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Histoire_des_femmes_en_France
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Caracalla.Pèredelacitoyennetéuniverselle?,PierreFORNI
Lesespionsdesamajesté.Unehistoiredel'espionnagebritannique,ÉmilieBERTHILLOT
Retrouvezl’intégralitédelacollectionsurnotresite
ISBN9782340-078710
©EllipsesÉditionMarketingS.A.,2023
8/10ruelaQuintinie75015Paris
ÀJean-Marie
Sansnosdialogues,parfoisvifs,
celivren’auraitpasvulejour!
Mercidececheminementpartagé.
Lesillustrationssontregroupéesdanslecahier-images(Pl.IàXVI)
Lesannexesenfind’ouvrageregroupentlesencadrésn°1àn°7.
CHAPITREPRÉLIMINAIRE
LELEGSDUMOYENÂGE
DESFEMMESSOUVENT«INVISIBILISÉES»
Le temps de l’histoire des femmes commence à une date incertaine car elles
ont été « déshistoricisées », ainsi que l’écrit la sociologue Andrée Michel (en
2003),commesilaconditiondesfemmeséchappaitàleurpropreinfluence.Elles
sontalorsréduitesaurôledesimpleobjetdel’histoireetnesauraientenêtreles
actrices.
Le Moyen Âge, expression des historiens pour désigner cette période qui
s’étiresurprèsdemilleans,etprendfinaveclaRenaissance,commenceavecla
destructiondel’empireromaind’Occidenten476denotreère,nationstructurée
et parfaitement organisée autour de structures politiques adaptées, dont le
fonctionnement est défini par un droit écrit. Une langue commune, le latin,
permetleséchangeséconomiquessurunvasteterritoirequis’étendauxpaysde
l’Europe occidentale actuelle. Le christianisme d’abord ennemi et persécuté est
devenuunereligiond’Étatsousl’empereurThéodose(395).Elles’eststructurée
en une église séculière avec son quadrillage géographique hiérarchisé et ses
communautés monastiques séparées de l’organisation territoriale, mais
rattachéesaupontiferomainàleurplushautniveauhiérarchique.LeMoyenÂge
futunelonguepériodehistoriqueoùlechristianismejouaunrôledéterminant
carilsauvegardalesconnaissanceshéritéesdumonderomainetdescivilisations
quil’environnaient.Etaussiparcequ’ilcontint,malheureusementavecdifficulté,
le déferlement de violence politique et sociale de ces dix siècles. Située entre
l’Antiquité et la Renaissance, la période est subdivisée par commodité par les
historiensentrelehautMoyenÂge(VeàXesiècle),leMoyenÂgeclassique(XIe-
XIIIesiècle)etleMoyenÂgetardif(XIVe-XVesiècle).
LesbarbaresévoquésparlesRomainsdel’Antiquitétardivesontlesétrangers
qui ne parlent ni ne comprennent la langue latine et qui habitent au-delà du
« limes », terme désignant les zones frontières de l’Empire romain. L’Édit de
Caracallaen212,ouConstitutionantonine,avaitaccordélacitoyennetéromaine
àtouthommelibrevivantdansl’Empire.L’empired’Occidentavaitmisenplace
unevie relativement facilegrâce à sonorganisation très évoluée.Les provinces
périphériques s’étaient romanisées et la paix s’était installée durablement.
L’Empirecomprenaitdegrandesvillesoùderichespatriciensavaientédifiéleurs
demeuresprospères.L’écartderichesseentreclassessocialesaiséesetpauvresa
sansdoutejouéendéfaveurdudésircollectifdedéfendrelacivilisationquiétait
lefruitdel’effortcommun.«Lesbarbares»,eux,étaientdeséleveurs,organisés
enclans,quivivaientdeleurstroupeauxqu’ilsdéplaçaientsurdevastesterrains
de parcours au gré des saisons. Parfois en raison d’une croissance
démographique excessive, parfois eux-mêmes poussés vers l’Ouest par des
migrations de peuples nomades venus de l’Asie centrale, ces populations
s’infiltraient sur les terrains de l’Empire. Lorsque la pression démographique
s’accentuait et que les difficultés économiques s’aggravaient, ces barbares
semaientlamort,lepillageetladestructiondesvilles.Lespopulations,outout
dumoinscequienrestait,fuyaientenabandonnantleursterresetleursbiens.La
dépopulation, la désurbanisation et les migrations de l’Antiquité tardive se
poursuivent et les descendants des anciens envahisseurs barbares fondent de
nouveauxroyaumessurlesterritoiresdel’ancienEmpireromaind’Occident.La
partieorientaledel’Empireromainsurvitauxbouleversementsgéopolitiquesde
lapériodeetresteunepuissancedepremierplansouslenomd’Empirebyzantin
et ce jusqu’en 1453. Ce dernier perd cependant une grande partie de ses
territoires au Proche et au Moyen-Orient et en Afrique du Nord au profit des
califatsmusulmansàlafinduVIIeetauVIIIesiècles.
Unefoisinstallés,lesbarbaresouleursdescendantsselivraienteux-mêmesà
des guerres internes pour l’attribution des nouveaux territoires conquis. Ce
processusviolentaboutitàlaconstitutiondesterritoiresféodaux.Pourarriverà
un équilibre malgré les querelles incessantes une élection permettait de choisir
quidansleclanseraitl’arbitresuprême.C’estainsiquelespremiers«rois»firent
leur apparition. D’autres invasions plus tardives, venues du sud cette fois,
modifièrent la géographie de la société médiévale. Les raids de Sarrasins,
fortementimplantésdanslapéninsuleibériqueauhuitièmesièclerelancèrentles
guerres locales. La tradition attribue à l’action de Charles-Martel le
cantonnement de leur zone de nuisance au sud de Poitiers. À la fin du règne
pacificateurde Charlemagne,les mouvementsd’invasionreprirent, venusde la
mer cette fois. Les Vikings (désignés plus tard sous le terme de Normands)
arrivèrent depuis la Scandinavie sur les côtes occidentales. Montés sur leurs
bateaux à fond plat, propulsés à la rame ou par une grande voile carrée, ces
esquifstransportaientvingtàquarantematelotscombattants.Leurconstruction,
très sophistiquée, les rendait à la fois résistants et légers. Leur fond plat leur
permettait dedébarquer directement sur lesplages, ce qui rendait difficileleur
interception. Des régions furent à nouveau dévastées et des populations
décimées.Cequiétaitaudébutunesériederaidsàfinalitédepillagedevintune
formede«colonisation».Laprésencedecesenvahisseursestformaliséeparla
signature du traité de Saint-Clair-sur-Epte, en 911 : le roi des Francs Charles
concèdeauxVikingslecomtédeRouenettoutleterritoireentrel’Epteetlamer,
fondementdufuturduchédeNormandie.
Dans ces temps troublés, le fil de l’histoire s’est parfois interrompu. Les dix
siècles du Moyen Âge ne sont pas documentés de façon régulière. Les grands
voyageurs/chroniqueursdel’Empireétaientuneespècedisparue:«exeunt»les
Salluste, Suétone, Tacite, Tite-Live, et plus tard Eutrope. Ils n’ont d’autres
successeurs que des clercs qui chroniquaient les évènements de l’espace réduit
danslequelilspouvaientsedéplacerensécurité.
Aussi proposons-nous, faute de documentation autre, de faire remonter le
débutdel’histoiredesfemmesfrançaisesàquelqueshéroïnes,sauvéesdel’oubli
parlaplacequeluiaccordèrentlamémoirepopulaireoul’Églisecatholiquedans
seshagiographiesourécitsdeviesdesaints.
GENEVIÈVENÉEÀNANTERRE
Geneviève (419-512), était fille de patriciens qui résidaient au village de
Nanterre,auborddelaSeine.Ellefutcanoniséeparl’Églisecatholiqueromaine
auXVIesièclequienfitlapatronnedeParis.ElleétaitprochedeClotilde,épouse
du roi Clovis qui avait engagé son époux à se convertir à la foi chrétienne.
L’histoiredeGenevièveestconnueparlerécitissudelaplumedeGrégoirede
Tours.Cedernieraffirmeavoirrecueilli,dix-huitansaprèslamortdelasainte
les récits de témoins oculaires de différentes étapes de sa vie. Selon son récit,
rédigéen latin,alors qu’elleétait encoreenfant, sapiété avait étéremarquéeet
encouragéeparl’évêqueGermain.Àlasuitedelamortdesesparents,lajeune
fille quitta Nanterre et vint se réfugier auprès d’une tante qui habitait à Paris,
dansl’îledelaCité.L’auteurluiprêtedesmiraclesaucoursdesonadolescence.
Laforcedesapiétéluiauraitpermisd’obtenirlaguérisondespersonnesatteintes
parlemaldesArdents(foliemortelledéclenchéeparlaconsommationdepain
contenantde l’ergot deseigle). Une chapelleconsacrée à Genevièvefut édifiée,
aprèssa mort, àproximité dusite de la« future »cathédrale NotreDame. Les
maladesatteintsdecemalvenaientyprierpourobtenirleurguérison.
Le texte de Grégoire de Tours, rédigé en latin à la fin du VIe siècle, raconte
aussil’épisodedusiègedeParisparunpartideHunsducland’Attilaremontant
la Seine sur leurs vaisseaux. Les habitants prirent peur, tant la réputation de
sauvagerie de ces barbares avait été confortée par les massacres auxquels ils
s’étaientlivrés. La villeétait coupée deses approvisionnementsalimentaires en
provenance de l’ouest. Un début de panique saisit la population. Geneviève,
puisadanssespropresdenierspourfairevenirduravitaillementenprovenance
de la région orientale de la ville. Puis elle réunit la population parisienne et
affirmaqu’avecl’aideduCiellasituationn’étaitpasdésespérée:
«Queleshommesfuient,s’ilsveulent,s’ilsnesontpluscapablesdesebattre.
NouslesfemmesprieronsDieutantettantqu’Ilentendranossupplications».
Elle organisaalors une prière collectivepour demander àDieu d’éloigner ce
danger.Lavillefutépargnée.
Pourrendregrâceàl’interventiondivine,Genevièvefonda,avecl’appuidela
reine Clotilde, un monastère sur la rive gauche parisienne. Une partie des
bâtimentsducouventaétéconservée.Unetourdel’abbaye,estintégréedansles
bâtimentsdel’actuelLycéeHenriIV,àproximitédel’égliseSt-ÉtienneduMont
etduPanthéon.LadévotionàGenevièveperduraaucoursdestemps.DuMoyen
Âge au XVIIIe siècle, une procession annuelle se déroulait entre la cathédrale
Notre-Dame et la « montagne Sainte-Geneviève » en l’honneur des deux
protecteurs de la ville : Denis, évêque et premier martyr et Geneviève dont la
déterminationavaitrepoussélesHuns.Lesarcophageconservantlescendresde
GenevièvefutplacéavecceluideClovis,dansl’églisedumonastèrequ’elleavait
fondéavecl’aidedeClotilde.LecorpsdeClotildefutinhuméàleurscôtéslorsde
samort.Leursdépouillesfurenttransféréesdansl’égliseSt-ÉtienneduMont,lors
desaconstruction,àl’époquedelaRenaissance(Cahier-images,Pl.I).
La«déshistoricisation »desfemmesest tellementaiguëau MoyenÂgequ’il
faut attendre sept siècles après Geneviève pour qu’une autre figure féminine
apparaisse dans l’Histoire. Encore faut-il, comme pour Geneviève, que cette
figurefémininesoittrèsprochedesplushautsniveauxdupouvoir.
BLANCHEDECASTILLEREINEETRÉGENTE
Blanche de Castille (1188-1252), épouse du roi de France Louis VIII, est la
petite fille d’Aliénor d’Aquitaine, elle-même souveraine d’Angleterre par son
mariage avec le roi Henri II Plantagenet. De son union avec le roi de France
naquirentdouzeenfants.LouisIX(saintLouis)estlequatrièmedelafratrie.Il
fut,aveclesrèglesdelaloisalique,l’ancêtreenlignedirecteoucollatéraledetous
lesroisdeFrancejusqu’en1848.
Selonlavolontédesagrand-mèreAliénord’Aquitaine,pourconsoliderlapaix
entrelaFranceetl’Angleterre,BlancheétaitdestinéeàépouserleprinceLouisde
France,filsdePhilippeAuguste.Ilseditquecechoixfutmotivéparl’intelligence
etlecaractèrebientrempédelafutureépouse.
Elle apporta à son époux un soutien précieux dans l’exercice difficile de ses
fonctions. La souveraineté royale sur les puissants barons des provinces
françaisesest une notionmise enplace par PhilippeAuguste. Sousle règne de
LouisVIII,elleesttropnouvellepournepasêtrefragile.Àlamortdecedernier,
lesbaronssedéchaînent.Lefuturroin’aquedouzeans.Samèreaétédésignée
commerégentepartestamentduroidéfunt.Faceàcepouvoirroyalfragile,les
partisans de la féodalité triomphante se sentent pousser des ailes. Blanche de
Castillefaitl’objet,danssesfonctionsd’autoritécommedanssavieprivée,d’une
campagne de dénigrement féroce. Deux puissants féodaux, Lusignan comte de
Poitou et Mauclerc duc de Bretagne, tentent d’enlever la régente et son fils.
Réfugiés dansla forteresse de Montlhéry, Blanche etson fils Louis sont sauvés
parlapopulationparisiennevenueleschercheretlesescorterjusqu’àParis.Les
baronsinsurgéssontfinalementdéfaitsparl’arméeroyale.BlanchedeCastilleest
parvenueàimposerl’autoritéroyale.Ellepeutseconsacreràpréparersonfilsàla
charge de roi. Elle lui donne les meilleurs précepteurs choisis parmi les ordres
dominicainetfranciscain.
Louisprendlesrênesdupouvoirversl’âgede20ans.Ilgardeauprèsdeluiles
conseilleurs de sa mère qui furent, bien souvent, aussi ceux de son père.
L’influencedeBlanchedeCastilleesttoujourspriseencomptedanslesdécisions
desonfils,maisellechoisitdes’effacerprogressivement.
Elleestconduiteàreprendresaplacederégenteen1248,lorsqueLouisIXpart
pour la septième Croisade en Orient. Lorsqu’il est fait prisonnier, Blanche de
Castille entreprend de réunir les fonds nécessaires au paiement d’une rançon.
Celle-ciestinutile,LouisayantforcélesTempliersàréunirlesfondsnécessaires
surleurspropresbiens.
La fin de Blanche de Castille fut triste. Louis est encore en Orient lorsqu’il
apprendlanouvelledelamortdesamère,en1252.IlneregagnelaFrancequ’en
1254. Blanche de Castille fut inhumée à l’abbaye cistercienne de Maubuisson,
prèsdePontoise.
MARGUERITEPORÈTE:DUBÉGUINAGEAUBÛCHER
MargueritePorète,aucontrairedeGenevièveoudeBlanchedeCastille,n’est
pas une femme proche du pouvoir. Elle est née vers 1250. Elle est la première
femme connue à cause d’une œuvre littéraire et mystique de sa composition,
œuvrequiluivalutd’êtreconsidéréecommehérétiquepuisbrûléeviveenplace
deGrèveen1310.
On connaît surtout de Marguerite son livre et les minutes du procès qui la
condamnaaubûcher.Onsaittoutefoisqu’elleappartenaitaubéguinagedeParis.
IlexistaitàParisautourde1310,danslequartierduMarais,unespacecloset
horsdutemps.Ilréunissaitdesfemmesdansunecommunautédelaïques:elles
vivaientensembleetconsacraientunepartieimportantedeleurtempsàlaprière.
C’étaitlegrandbéguinageroyal,autoriséparsaintLouis.Ellessontdescentaines
defemmesàvivre,étudieroutravaillerauseindelacommunauté.Ellesrefusent
lemariageetlecélibatconsacréetrevendiquentuneformedelibertétellequeles
femmesdecetteépoquepouvaientlaconcevoir.
Ce mouvementdu béguinage est ancien. Il naîtau sein de communautés de
jeunesfillesetdeveuves,vers1200enEuropedunord-ouest.LavilledeBruges
estaucentredesondéveloppement.
Proche de l’ordre mendiant des franciscains ou de l’ordre enseignant des
dominicains, les béguinages sont, pour beaucoup, marqués par l’influence de
mystiquesenmargedel’Église,cequileurvautunecertaineméfiancedelapart
des autorités ecclésiastiques. Les béguines se distinguent du reste de la
populationféminineparleportd’unvêtementetd’unecoiffeparticuliers.Leurs
journées sont rythmées par la prière en commun, les soins aux malades, les
travauxdetissageetdecouture.Pourbeaucoup,cechoixdevieétaitunefaçon
d’éviterunmariageimposéetdegarderleurindépendancetoutenbénéficiantde
lasécuritédelavieauseind’unecommunautéprotectrice.
Margueritebéguineetmystique,estprobablementnéeenHainaut,peut-êtreà
Valenciennes. Elle vint se joindre au grand béguinage royal de Paris. Elle fut
poursuivie pour son ouvrage Le Miroir des âmes simples et anéanties qui
seulementdemeurentenvouloiretdésird’amour,paruvers1290.Sonauteurey
traitedel’amourdivin.Elleécritcetouvragemystique,àlafoisdethéologieetde
poésie,enlanguevernaculaire(enlangued’Oïl),etnonenlatin,pourlerendre
plus accessible à un plus grand nombre. Son récit s’inspire de l’écriture et du
vocabulaire de la littérature courtoise. Son livre comporte 139 chapitres qui
traitentdesétapessurlecheminmenantàDieu,analysantlesétatsdel’âmeetles
expériences de la grâce. Marguerite estime que le dépouillement matériel doit
êtreassociéàlaméditationafindes’anéantirsoi-mêmepourpouvoirpartagerla
vie de la Trinité. Le livre circula. Des copies (calligraphiées à la main, cette
période étant antérieure à la création de la presse à imprimer) furent réalisées
ainsi que des traductions en plusieurs langues. Les autorités ecclésiastiques
s’inquiétèrent. N’était-il pas question de minimiser le rôle des clercs dans le
fonctionnement de la communauté chrétienne ? L’ouvrage fut condamné pour
hérésie par l’évêque de Cambrai qui en fit brûler un exemplaire en place
publique. Malgré cette première condamnation, Marguerite persista. L’affaire
vint alors entre les mains de l’Inquisiteur pour le royaume de France, le
dominicainGuillaumedeParis.Leprocèsdelabéguines’ouvritàParis devant
une commission de théologiens et un groupe de canonistes. Condamnée, elle
meurtsurlebûcheràParisenPlacedeGrèveen1310,cecidanslecontextede
l’exécutiondesTempliersvoulueparleroiPhilippeleBel,petitfilsdeLouisIX.
Peu après, le théologien dominicain Maître Eckhardt dont les écrits faisaient
autorité auprès des universités de Paris et de Cologne, vint à Paris où il prit
connaissancedes écrits de Margueriteet du sort cruel quilui avait été réservé.
Dansses propres enseignements,il repritet transposa lesthèses de Marguerite
autourdel’anéantissementdel’âme,c’est-à-diredudétachementpréliminaireà
touterencontreavecladivinité.
JEANNED’ARCPROPHÉTESSEREBELLE
Ni femme de pouvoir, au rebours de Geneviève et Blanche de Castille, ni
mystiqueréfugiéedanslaprièreetl’écrituretelleMargueritePorète,unefemme
decondition modesteparvient ausommet dupouvoir, dela puissanceetde la
souffrancepour l’amourde son pays.Jeanne d’Arcfut une héroïnerebelle àla
foisàsaconditiondefemmepuisqu’elleportalesarmesetàsaconditionsociale
modestepuisqu’ellefutchefdeguerreetconseillèreduroi. Ellepaya d’unprix
terriblesatransgression.Cettejeunefemmeimpressionnantedefoi,decourage
et d’autorité qui redonna le goût de la victoire à un Dauphin frileux et à son
entourage timoré fut abandonnée à l’ennemi, jugée, condamnée comme
hérétiqueetfinitaubûcher.Cetteépopéedramatiquecontribuaàmettrefinàla
guerredeCentans,conflitnédelaprésence,faceàCharlesVII,d’unprétendant,
héritier du roi d’Angleterre. Jeanne a sauvé l’identité des provinces françaises
menacées par l’intégration au sein du royaume d’Angleterre, dans lequel leurs
cultures se seraient dissoutes. La personnalité et le courage de Jeanne d’Arc
suscitentdesontempsnombrederécitscontradictoires,oùlesinterrogatoiresde
sonprocèstiennentuneplaceprimordiale.Jeannenaîten1412dansunefamille
depetitenoblessedeLorraine.Lespremièresmanifestationsdes«voix»qu’elle
entend lui enjoignent en cette période de guerre d’agir en faveur du dauphin
Charles.Faut-ilvoirencettetoutejeunefille,unedeces«prophétesses»delafin
de l’époque médiévale dont le christianisme exalté l’aurait poussé à agir et à
combattre physiquement ? Partie de Vaucouleurs avec quelques hommes
d’armeselle réussit àobtenir derencontrer le dauphinà Chinon auprintemps
1429.Elleparvintàleconvaincredetenterlaprised’Orléansalorsauxmainsdes
Anglais comme un grand nombre de villes, dont Paris. Victorieuse à Orléans,
Jeanne continue à combattre et à mener ses troupes. Elle réussit à atteindre
ReimsoùelleorganiselacérémoniedusacredeCharlesVII,lelégitimantainsi
comme roi de France. Elle tente de reprendre Paris en 1430, échoue devant la
porte Saint-Honoré. Blessée au cours de l’assaut elle se replie sur Compiègne.
Ellesouffredesesblessures.Physiquementdiminuée,elleperdunepartiedeses
soldats. Elle est faite prisonnière par les Bourguignons qui la « vendent » aux
Anglaisauxquelsilssesontalliés.Désormaissonsortestscellé.Lelongprocès
menéen1431lacondamneaubûcherpourhérésieetrelapse.Elleavaitsubisix
interrogatoires publics en présence d’une quarantaine de juges d’Église et neuf
interrogatoiresdanssaprisonenprésencedel’inquisiteuretdesmenacesdela
torture. Son acte d’accusation comporte soixante-dix articles. Les clercs,
dominicains, étayent leurs accusations d’hérésie sur les « voix » qu’elle dit
entendre et sur le vêtement masculin qu’elle porte. L’accusation de relaps fut
portéecontreelleparcequ’ellerefusaitdereconnaîtreuneoriginediaboliqueaux
voix qu’elle entendait et qu’elle persistait à porter son costume d’homme
symbole de son combat inachevé. Les interrogatoires et débats se déroulèrent
dans un français imprégné de variantes régionales qui nuisaient à la
compréhension des parties. Des clercs étaient chargés de la rédaction des
minutes en langue latine. Les historiens disposent du texte transcrit en latin,
paléographié et traduit en langue française moderne par l’archiviste Jules
Quicheratde1841à1849.LadéterminationdeJeanne,sonbonsensetl’habileté
qu’elleeutd’éluderlesquestionspiègesquiluiétaientposéesparuncollègede
clercspourlafairesecontredireétonnentbeaucoup.Ellerefuseaussidelivrerle
contenu des entretiens secrets qu’elle eut avec le roi. Jules Michelet, quelques
annéesavantlestravauxdeQuicherat,en1839dansson HistoiredeFranceavait
vouluvoirdansledestindeJeannelapremièreincarnationdupeuplefrançais.Il
yeutuneréouvertureduprocèsdeJeanneàlademandedeCharlesVIIen1455
auprès de la Papauté. Après une enquête au cours de laquelle il fut procédé à
l’auditiondetouslesacteursencorevivantsdecedrame,ladécisiondutribunal
aboutit à la réhabilitation de Jeanne et la procédure de 1431 fut annulée pour
causedevicedeforme.
CHRISTINEDEPISANVEUVEETÉCRIVAINEDETALENT
Tout autre fut le cas de Christine de Pisan (1364-1430). Tout oppose son
histoireàcelledeJeanne.Alorsquecettedernière,issued’unmilieumodestene
fitpas d’études,Christineétaitissue dela noblessecultivée. Née àVenisedans
unefamilleuniversitaire,ellevintenFranceàlasuitedesonpère,conseillerdu
roideFranceCharlesV,ets’ymaria.Sonpèreavaitdiscernésestalentsetluifit
donneruneéducationdequalité.Ellepratiquaitlalangueitalienneetlefrançais.
Ellelisaitcorrectementlelatin,choserareensontempspourunefemme,fut-elle
dequalité.
Son époux a été proche de la cour. Veuve jeune avec des enfants, Christine
connaît des difficultés financières mais ne souhaite pas se remarier. Elle dut
affronter les difficultés de son temps comme femme veuve voulant être
indépendantedansunesociétépatriarcale.Ellevécutdesaplumed’écrivaineet
poétesse.Son éruditionla distinguedesécrivains deson époque.Elle élargitsa
culture,litBoèce,philosophechrétiendel’époquedeClovisetadeptedesidées
d’Aristote.Elles’initieauxouvragesd’Histoire.C’estuneautricequicomposeen
françaisdestraitésdepolitique,dephilosophieetdesrecueilsdepoésies.Onlui
doit,entreautres,Centballadesd’amantetdedameet Lacitédesdames.Elleest
peut-êtreuneféministeavantlalettre.Christines’opposeenparticulieràJeande
Meung et à son livre Le Roman de la Rose, et fait le procès en misogynie de
l’ouvrage.
Elles’intéresseà dessujetsconsidéréscommehors dudomainedes femmes,
lorsqu’elleécritLeLivredesfaitsd’armesetdechevalerie.Cependant,elleditelle-
même,biendeshommesdesontempsonttrouvéqu’ellepassaitlesbornes.Le
domainereligieuxluiestmoinsfermédufaitdesaculturelatineetthéologique.
Elle rédige une Oraison à Nostre Dame (1402/1403), les Quinze joyes de Notre
DameetLesheuresdecontemplacionsurlaPassiondeNostreSeigneur.
Ellen’hésitapasnonplusàs’exprimersurlapolitiquedansl’ÉpîtreàlaReine
Isabeau(épousedeCharles VI).Elledénoncependantla guerredeCentans le
délitement du royaume durant le conflit interne entre Armagnacs et
Bourguignons.Ellerédigea,audébutduXVe siècleàlademandeduducPhilippe
de Bourgogne, Le Livre des faits et bonnes mœurs du roi Charles V le sage,
biographie riche en détails sur le règne de son mécène, le roi Charles V. Cet
ouvragea étéutile auxhistoriens.Christine dePisan seretireau monastèrede
Poissyàlafindesavie,oùelleécritun DitiédeJeanned’Arc afindedéfendresa
jeunecontemporaine,emprisonnéepuisjugéeàRouen.
FEMMESDANSLAMÉMOIRENATIONALE:
DESMANUSCRITSÀL’IMPRIMERIE
DurantcettelonguepériodequiprécédalaRenaissanceémergèrentquelques
personnalitésdefemmesfortesau-delàdel’imaginable.Certainesmarquèrentun
moment de l’histoire puis retournèrent à une notoriété restreinte aux cercles
universitairesquiétudientlapériodeoùellesconnurentuneinfluence.D’autres,
a contrario, figurent dans l’histoire officielle et sont les inspiratrices de
mouvements contemporains. On remarquera ainsi que l’Église catholique
contemporaine fait perdurer un culte de sainte Geneviève patronne de Paris.
BlanchedeCastille,quantàelle,trouvesaplacedanslesrécitshagiographiques
del’ÉgliseenraisondelaplaceaccordéeàsonfilsleroisaintLouis.
La place réservée au souvenir de Jeanne d’Arc dans notre histoire
contemporaineestencoreplusconsidérable.Àchaquecrisemajeurequetraverse
la France, on assiste à la renaissance de cultes johanniques, qui prennent une
formepolitiqueoureligieuse.Parmilesnombreusesstatuesdelasainterecensées
surleterritoirenational,unedespluscélèbresestcelledelaplacedesPyramides.
Elle fut commandée au sculpteur Frémiet en 1874 par la troisième république.
Après la fin de l’Empire, le désastre de la guerre contre la Prusse et la terrible
période de la Commune, le gouvernement souhaitait redonner confiance au
peuplefrançaisaprèslesépreuvessubies.L’emplacementchoisifut laplacedes
Pyramides,lieufamilierdesParisiensd’oùelledominelaruedeRivoli.Frémiet
la représenta sur son cheval comme il était d’usage de le faire pour les chefs
militairesvictorieux.Jamaiscelan’avaitétéfaitpourunefemmeetunepluiede
critiquess’abattit sur lemalheureux sculpteur.Heureusement pourlui, la ligne
demétrodelaruedeRivoliétaitencoursdeconstruction.LastatuedeFrémiet
retourna à son atelier. Il avait mis à profitce temps de travaux pour fabriquer
unenouvelleversiondesonœuvre,sur laquelleilavaitcorrigélesdétailsobjet
desplusviolentescritiques.Lastatueactuelleestcetteversionmodifiée.
Autre temps douloureux, où les références johanniques sont à nouveau
sollicitées:lesannéespréludesàlaPremièreGuerremondiale.Depuisladéfaite
de 1870 face aux armées prussiennes, la France est amputée de ses provinces
d’Alsace et de Lorraine. Cette situation est vécue comme une blessure ouverte
parunegrandepartiedelapopulation.Aufildutemps,lalittérature,lestextes
politiques ravivent cette douleur. Maurice Barrés se fait le chantre d’un
nationalismerépublicainattachéauxracines,àlafamilleetàl’armée.Ilentreàla
Ligue des patriotes présidée par Déroulède auquel il succéda. La Ligue est
puissammentantisémiteetanti-dreyfusarde.Onyfêtetouslesanslamémoirede
Jeanned’Arc,modèledenationalismeintransigeantselonsesmembres.Aprèsla
findelaPremièreGuerremondiale,en1920,Barrèsfitadopterunprojetdeloi,
visantàinstituerunefêtenationaledeJeanned’Arc.Autreauteur«johannique»
CharlesPéguyécrit,en1913, LaTapisseriedeNotre-Damequiexaltel’œuvrede
libération de la terre de France de Jehanne et son sacrifice ultime présentés
commelagrandeœuvredeDieu.
OrléansestdepuisleXIX esièclelehautlieudelacélébrationdelamémoirede
l’héroïne.DepuislalibérationdelavilleparJeanned’Arc,unefêteannuelleest
organisée. Un défilé en costume, reconstituant l’entrée de Jeanne et de ses
compagnons dans la ville délivrée est organisé à cet effet par la mairie. Il est
d’usaged’inviterdespersonnagesprestigieux,dontleprésidentdelarépublique.
Unejeunefille,habitantedelavilleestchoisieparmiungroupedecandidates.
EllejouelerôledifficiledeJeannecarelledéfileàchevaletenarmure.Cettefête
est très consensuelle. Les invités de toutes tendances acceptent généralement
l’invitation.Toutefois,legénéraldeGaulleyfitunefoisexceptionenraisondu
climat politique de cette année 1945. Une proximité toute symbolique liait
l’homme du 18 juin 1940 à Jeanne. Même message d’espoir en des temps où
l’espoirétaitmort.Le généralde Gaulles’estemparédumythe deJeannepour
appelerlesFrançaisàrésisteràl’occupant. LechoixdelacroixdeLorrainequi
orneledrapeaudesForcesfrançaiseslibresn’estpaslefruitduhasard.Aucours
dudiscoursdeBrazzaville,ildemandeàlaFranceoccupéed’observer,ensigne
derésistance,uneminutedesilencele11maiàl’occasiondelaFêtenationalede
Jeanne d’Arc qui est devenue une fête officielle « pétainiste ». Plusieurs autres
discoursdeDeGaullecontiennentdesréférencesàJeanne,jusqu’àlavictoiredu
8mai1945 oùellesdisparaissent.Legénéralsouligneque «envingtans d’une
existencetraverséepard’immensesdouleurs,lapatrien’avaitjamaisconnuune
situation semblable ». Le 11 mai 1945 coïncide avec l’anniversaire de la
délivrance d’Orléans, mais il considère que l’ampleur de cet évènement ne
supportepaslacomparaisonaveclavictoiredeJeanne.
Après son retour à la tête du pays, le général se rend, en 1959 aux festivités
d’Orléans. Il accepte, dérogeant en cela à sa règle de conduite habituelle d’être
photographié en compagnie de la jeune fille qui joue le rôle de Jeanne. Le
personnagedeJeanned’Arcreparaîtdanslesconférencesdepressequ’ildonne.
La guerre d’Algérie fait rage et les partis de droite et d’extrême droite se sont
emparésdumythejohanniquequiest appeléausecoursdu«combat contrela
dislocationhistoriquedontlaFranceestmenacée».Danscettelutteidéologique,
lepouvoirenplacenepouvaitlaisserl’exclusivitéauxpropagandistesdel’Algérie
Française.
Plus tard après la signature de la paix de 1962 (Accords d’Évian),
l’affrontement entre récupérateurs avait moins de raisons d’être. La statue de
Frémiet, place des Pyramides est depuis son érection le lieu d’une autre fête
anniversaire à caractère national populistedatée du premier mai depuis que le
Front National en a pris le contrôle. D’année en année les fidèles semblent se
lasseretJeanneaprèsavoirfaituntempsparlerd’elledanslecadredesconflits
entreproetanti-européenspuisàl’occasiondel’électionprésidentiellede2007,
sembledevoirneplusappartenirqu’àl’Histoire.
Cesfemmesquiémergèrentdestempsobscursoùellesvécurentnesontsans
doutepaslesseulesdontlamémoireauraitméritédepasseràlapostérité.S’iln’y
avait pas eu cet éparpillement des langues dont la diversité était un frein à la
circulationdesidées,l’influencede«l’amourcourtois»,celuides LaisdeMarie
de France ou de Tristan et Yseult auraient, au moins dans la haute société,
permisauxfemmesderemettreencauselesrôlesdebiend’échange,dereposdu
guerrier ou de reproductrice qu’elles se voyaient assigner dans l’univers de
l’époque.Lesseigneursdecetempsfaisaientleurcourauxdamesdanslecadre
de la cérémonie quasi militaire qu’était le tournoi. Un vaste terrain muni de
tribunesdestinéesauxnotablesinvitésétaitaménagé.Lapopulationassistaitau
spectaclemasséederrièredesbarrières.Leschevaliersrevêtaientleurharnoisde
guerre : cuirasse, jambières, cotte de maille et heaume. Ceux d’entre eux qui
recherchaientlesfaveursd’unedameajoutaientàleuréquipementunobjetqui
luiavaitétédérobé.Puis,deuxpardeux,àtourderôleonmettaitseschevauxau
grandgalop,lalanceàl’horizontalecherchantàatteindrel’écudontsecouvrait
l’adversaire.Enboutdeterrain,onfaisaitfairevoltefaceàsoncheval(onlefaisait
tourner,d’oùlemottournoi),etonchargeaitànouveaujusqu’àcequel’undes
deux compétiteurs aille mordre la poussière. On imagine que si le vaincu
concourraitpourlecœurd’unedame,sonaffaireétaitcompromise.
Biensouventfrustréesenamour,lesfemmesl’étaientaussidanslaformation
qu’ellesrecevaient.Peud’écolesexistaient.Parfois,uncurédevillageouvraitune
salle où il enseignait les rudiments de la lecture et fort rarement l’écriture aux
enfants des paysans et des artisans. La fréquentation de l’école était souvent
limitéeàlasaisonhivernale,lesenfantsétant employésaux champsle restedu
temps.Lemétierqu’ilsdevaientexercerleurétaitenseignédanslecadrefamilial.
Pointd’écoledanslesmilieuxdominants.Lesgarçonsavaientaffaireaumaître
d’armes et au curé. Les filles apprenaient la couture, la broderie, la lecture,
quelquesprièresenlatinetlesrudimentsdel’écriture,làencoredispensésparun
ecclésiastique.
Dans cetableau sommaire des siècles quiprécédèrent la Renaissance, siècles
oùlerôledelafemmeestminimiséauseind’unesociétémilitaro-agricole,une
inventionmajeureestpasséequasi-inaperçue:lapresseàimprimeràcaractères
mobilesréutilisablesdeGutenberg.Vers1450,Gutenberg,natifdeMayencequi
travailla un temps à Strasbourg, s’associa avec un certain Furst, habile homme
d’affaires pour créer une imprimerie de livres. Cette entreprise se destinait à
exploiter les inventions de Gutenberg qui devaient permettre de tirer de
multiples copies d’un ouvrage écrit. La presse à imprimer préexistait à ces
inventions, mais elle était cantonnée à la fabrication de papiers peints ou de
libellesàfaibletirage.Letexteoul’imageàimprimerétaitgravésuruneplaque
de bois. Cette dernière était encrée avec une encre à l’eau. Puis elle était
appliquéefortementsurlafeuilledepapieràl’aidedelapressexylographique.La
limite du procédé était que le travail du graveur ne concernait que des textes
courts par la difficulté de l’ouvrage et que la correction était impossible. Les
apportsdeGutenbergfurentmultiples.Ilcréaunnouvelalliageàbasedeplomb,
étain et antimoine. Ce métal pouvait se couler dans un moule à relief en acier
duquelonpouvaittirernombredecaractèresidentiques.Ilinventaunenouvelle
encrediteencregrasse,fabriquéeàpartird’huiledelinàlaquelleonincorporait
dela suie issue decombustibles résineux.Elle vint remplacerles encres àl’eau
quisedissolvaientsiunefeuilleimpriméerecevaitunegoutted’eau.Ilaméliora
le système de presse utilisé en xylographie, plaçant le prototype de pages à
imprimersurunchariotcoulissantpermettantdeleglissersousleplateaudela
presse sanseffort et de l’amener à portéede main pour l’encrage entre chaque
feuille.Cetensembledecréationsestàl’originedelatypographie,c’est-à-direde
l’impressionde textesà partirde caractèresmobiles assembléset fixés dansun
«composteur».
Gutenbergseproposaitd’entrerencompétitionaveclemodedefabricationde
livres alors en vigueur dans tout « scriptorium » des monastères. L’usage était
alorsdeprocéderàlarecopiemanuelle.Àtitred’exemple,oncitequeladuréede
recopied’uneBiblepouvaits’étendresurtroisans.Lacompositiond’unouvrage
entypographie étaitégalementlongue. Maislors del’impression,on fabriquait
plusieurs exemplaires du même livre. Gutenberg se fit à la fois éditeur,
imprimeuretlibraire,pourproduireuneBibleenlatin,laVulgateditedesaint
Jérôme.Le tirageétaitmodeste, 180exemplairesvendus parsouscriptionà des
institutionsreligieuses.Gutenbergétaitruiné.Ilabandonnasonimprimerieàses
associés Furst et Schoeffer en dédommagement des dettes contractées à leur
égardet finit son existencedans lagêne. Il fut victimedu manque d’intérêtde
l’Églisepour soninventionmais futvengé àtitre posthumelorsqueLuther, un
siècle plus tard après avoir traduit la Vulgate de saint Jérôme en langue
vernaculaire la fit imprimer à des milliers d’exemplaires qui répandirent la
Réformeàtraverstoutel’Europe.
LesystèmetypographiquedeGutenbergconnutungrandsuccès.Àpartdes
versions en fonte de sa presse, le système demeura immuable pendant près de
quatresiècles.
Unebrillanteinventionquirévolutionnaitlatransmissiondelaconnaissance
etdel’informationetlamémoiredefemmesdecaractèreexceptionnelles,voicile
meilleurdecequeleMoyenÂgeléguaàlaRenaissance.
CHAPITRE1
LAPLACEDESFEMMES
DANSLASOCIÉTÉDELARENAISSANCE
MISOGYNIEORDINAIREETÉMERGENCE
DE«FEMMESFORTES»
«Lesfemmesn’ontpastortquandellesrefusentlesrèglesdeviedumonde,d’autantquecesontles
hommesquilesontfaitessanselles».
MicheldeMontaigne(1533-1592),Essais,LivreIII,chap.5
Quel mot magnifique que celui de Renaissance ! Il est chargé de sens
multiples. Il est naissance d’une monarchie forte, avec l’arrivée au pouvoir de
François Ier. Il signifie l’émergence d’une nation puissante entre deux empires
rivaux : la monarchie anglaise et l’Empire de Charles Quint. Il rappelle aussi,
malheureusement, les guerres d’Italie, menées au nom des droits familiaux
supposésdeCharlesVIII,LouisXII,FrançoisIerpuisd’HenriIIsurlesduchésde
MilanetdeNaples.Surfonddeprétentionshéréditaires(donttoutpayspouvait
setarguerpuisquelesfamillesprincièresd’Europepratiquaientl’endogamie)se
cachait un bras de fer avec le Saint-Empire (empire électif réunissant les
principautésallemandes,lesactuelsPays-Bas)etleroyaumed’Espagne.François,
connut plus d’infortunes que de succès dans ces guerres d’Italie où il fut
confrontéaussiauxtroupespapales,auxtroupesanglaisesetbénéficiadel’appui
desOttomans.DéfaitàPavie,ilestfaitprisonnier.IlfuttransféréenEspagneoù
ilsubitunandecaptivité.
L’ÉDUCATIOND’UNEMÈRECULTIVÉEAIMANTLESARTS:
LEVENTD’ITALIESOUFFLEENSAVOIE
L’éducation reçue par François I er fut très influencée par sa mère Louise de
Savoie,filleduducdeSavoie.LeduchédeSavoieàcetteépoqueinclutlesvilles
suivantes:aunordGenève,ausudNice,àl’ouestChambéry,àl’estTurin.Louise
deSavoies’intéresseàl’artdelaRenaissanceitalienneettransmetcettepassionà
son filsqui maîtrise la langue italienneà la perfection. Aucours de son règne,
François Ier emploie de nombreux agents, chargés d’acquérir et apporter en
France les œuvres de maîtres italiens. On lui doit la création de la collection
d’œuvres d’art des rois de France, aujourd’hui exposée au Louvre. Il s’entoura
aussi d’artistes italiens parmi lesquels on compte Andrea del Sarto, Benvenuto
Cellini,LePrimaticeet,leplusgranddetous,LeonardDeVinci.
Il joueaussi un rôledéterminant dansla diffusion desconnaissances deson
temps.Lesprogrès del’imprimeriefavorisentalorsla publicationd’unnombre
croissantdelivres.Ildécidelacréationd’ungrand«cabinetdelivres»installéau
châteaudeBlois.Cetteinstitutiondevient«BibliothèqueRoyale».Interdiction
est faite de « vendre ou envoyer en pays étranger, aucuns livres ou cahiers en
quelqueslanguesqu’ilssoient»,sansyavoirdéposéunexemplaire.
Princeprotecteurdesartsetdeslettres,ilfutaussiunprincephilosopheàqui
l’ondoitl’émergencedelanotiondeprimautédesloistemporellessurcellesde
l’Église.LeConcordatdeBolognesignésoussonrègnesupprimelanomination
des évêques par le Vatican. Ces derniers sont choisis par le roi de France, la
ratification papalesurvenant après que vérification ait étéfaite que le candidat
répondauxconditionsd’étudesthéologiques,ainsiquedebonnesvieetmœurs.
C’estunemisesoustutelleétatiquedel’église,ouvrantainsilavoieàcequifut,
bienplustardl’émergencedelalaïcitéenFrance.
Bienquedirigéparunprince«éclairé»,lepaysd’alorsestbienloindel’État
contemporain.PlutôtquedeluidonnerlenomdeFrance,ilconviendraitdele
désignercommeréuniondesprovincesfrançaises.LechocdelaRenaissanceest
liéàlaprisedeconscience,parleroiFrançoisIeretsonentourageproche,dela
différence de civilisation existant entre la France et les territoires italiens.
Géographie,climatethistoireontdonnénaissanceàdesculturestrèsdifférentes
desdeuxcôtésdelabarrièredesAlpes.Paysdevastesplaines,laFranceestune
terre de grands domaines fonciers qui sont autant de champs de bataille
potentiels.Ils’yestdéveloppéuneculturemilitaro-féodalequiaperduréjusqu’à
uneépoquetardive.Lesexploitationsagricolesseregroupentautourduchâteau
ou du monastère fortifié où les troupes susceptibles d’en assurer la défense
tiennent garnison. L’Italie présente l’avantage d’un relief montagneux où une
poignéed’hommesdécidéspeuventtenirunearméeenéchec.Làoùlemaintien
del’ordrenécessiteraituneguerre,uneopérationdepolicesuffit.Aussi,bienque
leterritoireitaliensoitdiviséendemultiplesroyaumes,lesconflitsarméssontde
peu d’envergure. De surcroît, l’Italie est dotée d’une vaste façade maritime sur
unemeraisémentnavigablequiluiouvrelesportesducommerceavecleProche
Orient.Depuisdestempstrèsanciens,lesroutescommercialesentrecesrégions
etlerestedel’Europetraversentl’Italie.Lecommerceaveclesrégionslointaines
aouvertlesesprits.Auquotidien,lesobjetsd’artontprislaplacedelacharrueet
del’épée.Unevéritablecultures’estdéveloppéedel’autrecôtédesAlpesetleroi
François, souverain à l’esprit ouvert et sensible fut le premier roi d’Europe à
échanger des ambassadeursavec Soliman le magnifique, souverain de l’Empire
turc.
L’écart, de nature politique, que nous venons de souligner est loin d’être le
seul. La société de l’époque est bien éloignée de celle que nous connaissons. Il
faut d’abord dresser le portrait de ce qu’elle était. Les écarts, considérables par
rapport à la société contemporaine constituent autant de chemins de
progressionsqui,tousfurentembrassésaussiparlesfemmessansquel’histoire,
écritepardeshommes,nementionneleurcontribution.
UNESOCIÉTÉHÉTÉROGÈNEMALGRÉL’IMAGE
DES«TROISORDRES»
Lasociétéfrançaise,àl’avènementdeFrançoisIerresteprofondémentmarquée
par la féodalité. Les principaux groupes sociaux sont issus du traditionnel
découpage en trois « Ordres » ou catégories fondamentales des êtres sociaux :
ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui produisent nourriture et biens
nécessaires à la conservation des corps. La grande masse de la population est
répartie selon ces trois ordres. Une part écrasante de la population appartient,
biensûr,àlatroisièmecatégorie.Ils’agitd’ununiverstotalementpaysan,oùla
population pratique une agriculture de subsistance, avec des surplus minimes
qu’elle verse sous forme d’impôts et taxes diverses au profit des deux autres
ordres. La classe des combattants est une classe possédante. La terre constitue
l’essentieldela possessionetlerang d’uncombattant,d’unaristocrate, dépend
del’étenduedesesterres.Lesterresvoisinessontreliéespardesliensdevassalà
suzerain qui permettent de réunir des forces assez importantes pour défendre
une province entière lorsqu’elle est menacée. Au sein de cet écheveau
d’obligationsréciproques,leroideFranceoccupeunepositionsingulière,selon
unusagepolitiquehéritédePhilippe Auguste.De parl’étenduedesterresqu’il
possède,iln’estpaslepluspuissantseigneurdupays.Sesvassauxenviennentà
luiconcéderunpouvoirpolitiquequin’estpasfondéuniquementsurlataillede
son domaine foncier. Ils voient peut-être en lui un arbitre nécessaire aux
décisions duquel se ranger plutôt que de régler par la force les conflits qui les
opposent. L’ensemble de ceux qui prient constituent l’essentiel de l’effectif des
couvents. Ils appartiennent aussi à une classe possédante, mais possédante, au
travers d’une collectivité, des terres cultivées par leurs paysans. La défense des
domainesfonciersappartenantauxreligieuxestsouventsous-traitéeauseigneur
voisin.Ilspossèdentaussiuneautrerichesse:celledusavoir.Lesbibliothèques
descouventssontsouventtrèsrichesdemanuscritslatins,grecs,parfoisarabes,
quelesreligieuxontapprisàdéchiffreretdontilsfontdescopieséchangéesavec
d’autresmonastères.
Lesortdespopulationsquitravaillentlaterreestpeuenviable.Lespaysansqui
en font partie pratiquent une agriculture d’autosuffisance, paient leurs impôts
taxesetloyerdelaterreennatureetprientlorsquel’hiverarrivepourqu’illeur
reste assez de grain pour semer au printemps. La misère pousse souvent les
enfants de paysans à venir grossir les effectifs des milices féodales. Les disettes
sontfréquentes,lesfaminesparfoisaussiencasd’aléasclimatiques.Lepirequi
puisse arriver à ces pauvres gens est la guerre. Les armées de l’époque
méconnaissent l’utilité des services d’intendance. Hommes et bêtes de la
soldatesquesenourrissentsurleterrain.Illeurarrivemêmedefuirl’ennemien
incendiantlesrécoltesdansl’espoirdel’affamer.
FEMMESSOUMISES:DUMONDERURALAUMONDEURBAIN
La femme dans ce paysage de misère rurale tient la dernière place. Elle est
pauvre parmi les pauvres, celle à laquelle on reproche de n’être pas aussi forte
quel’hommeetdoncpeuutileauxtravauxdeschamps.Reléguéeauxsoinsdela
basse-couretàceuxdelamaisonnée,elleenchaînedesgrossessesnondésirées,
dontchacunepeutluiêtrefatale.
Elle est soumise à l’autorité du chef de famille et subit bien souvent les
décisions de la parentèle du maître. Sa vie est un esclavage qui ne dit pas son
nom.Ellenepeutimagineruneviedifférentecar,leplussouvent,ellenesaitni
lireniécrire.
C’estcequi,aveclamisère,différencielepluslesfemmesdupeupledecelles
quiappartiennentà l’aristocratieou auxordres.Les« damesdequalité» etles
moniales reçoivent une éducation souvent dispensée par des prêtres.
L’apprentissage de la lecture, de l’écriture et de quelques rudiments de latin
prennent placeaux côtés de la musique et des travauxd’aiguille. Pour le reste,
comme les femmes du peuple, elles subissent les choix de leur entourage.
Mariageouentréeaucouventsontdécidésparleschefsdefamille,laplupartdu
tempssurlabasedeleursintérêtspatrimoniauxoupolitiques.
Au cours des combats qu’elles ont conduit et qu’ellesportent encore de nos
jours,lesfemmesdetoutesclassessocialesontluttépourseréapproprierlalibre
disposition de leur être et de leur corps. Ce combat, toujours d’actualité, vise
encorel’égalitédesdroitsentrehommesetfemmes,ainsiquelalibertédeschoix
des femmes quant à leurs liensaffectifs. L’infériorisation de la femme face aux
travauxdes champs dura jusqu’auXIX e siècle.La rupture s’effectualorsque les
travauxproducteursdenourritureoudebienscessèrentderequérirl’utilisation
delaseuleforcehumainecommemoteur.Lamécanisationcomblelefosséqui
sépare la force physique de l’homme de celle de la femme. En ouvrant aux
femmesl’accèsàdestravauxjusque-làréservésauxhommes,elleleuraccordait
une promesse d’indépendance, même si elle permit aussi la création d’autres
formesd’esclavage.
UnedesrareslibertésconcédéesauxfemmesparledroitcoutumierduMoyen
Âge était la possibilité de conserver la gestion des biens qu’elle apportait à la
communautéparvoiedemariage,sousconditionquecetteréservesoitexplicitée
paruncontratnotarié.AucoursduXVIesièclecedroitsembledisparaîtresans
qu’il soit possible de trouver l’origine de cette régression. Ce que l’on sait de
l’époque, par contre, permet de constater la disparition du droit coutumier au
profit du droit écrit produit par les différents parlements du royaume. Ces
derniers avaient coutume de légiférer sous le regard du roi, mais aussi sous
l’influence de groupes de pressions divers parmi lesquels les très puissantes
corporationsquiavaientunemainmisesurl’activitééconomiquedesvilles.Bien
qu’ilyaiteudescorporationsdefemmes,etdescorporationsmixtes,lepouvoir
deréglementationdecesdernièresétaitenmajoritéentrelesmainsdeshommes.
Ilsavaientlepouvoirdedécréterquecertainsmétiersoucertainscommercesne
pouvaient êtreexercés par des femmes, sauf si cesdernières étaient des veuves
d’artisans ou de commerçants. Cependant, la mise en œuvre de telles mesures
nécessitait des validations longues et incertaines auprès de leur parlement de
rattachement. Il est probable, et c’est une hypothèse que nous émettons, qu’ils
ont eu recours à une mesure plus simple pour éliminer artisanes et
commerçantesdansdespériodes,lesguerresdereligionpourleXVIesiècle,où
les commandes se faisaient rares. Une femme pour pouvoir s’installer devait
prouver, comme un homme, le fait qu’elle avait été « reçue » à l’issue d’un
apprentissage, qu’elle était habitante de la ville où elle souhaitait s’installer,
qu’elle avait les moyens de payer ses cotisations à la corporation et qu’elle
possédait la capacité civile nécessaire. Cette capacité civile lui permettait de
signerdescontrats,d’acheterdesmarchandises,d’esterenjusticepourcontester
ou se défendre en cas de non-application d’un contrat. Il lui fallait, de plus,
posséder des biens pour financer l’achat ou la location d’une échoppe ou d’un
magasin ainsi que les installations et outillages nécessaires à l’exercice de sa
profession. Il suffisait de supprimer cette capacité civile pour interdire
l’installationdesfemmescommeartisaneoucommerçante.Etlasuppressiondu
mariageavecséparationdebienspouvaitconvenir.Eneffet,ledroitcoutumier
médiéval,enautorisant,sousréservedecontratnotarié,lesfemmesàconserver
la gestion des biens qu’elles apportaient à la communauté conjugale lui
conservaitsacapacitécivilenécessaireàlagestiondesesbiens,lasuppressionde
ce dispositifôte aux épouses, non seulementleurs biens, mais aussi la capacité
civile. Une femme mariée hors ce type de contrat ne peut ester en justice, par
exemplepourdéfendrelesbiensdelacommunauté.Seulsonmaripeutlefaire.
L’exercice professionnel des femmes est alors limité aux professions non
réglementéesetcesdernièresnesemblentpasréputéespourêtrelucratives.
L’indépendance économique ne saurait réellement être procurée par des
travaux subalternes. Un autre grand combat des femmes, que l’on peut
considérercommequasiparachevéaujourd’huienFrance,estl’accèsdesfemmes
àlaconnaissance.Cefutsansdoutelaplusabstraitedesluttescarlesobstacles
qu’il fallait renverser étaient constitués de préjugés. Si le Moyen Âge tardif se
posait encore parfois la question de l’existence d’une âme chez les femmes, le
dix-neuvième siècle s’interrogeait sur l’égalité des capacités intellectuelles des
deux sexes. L’accès des femmes au savoir est indispensable à la structuration
d’une sociétéde progrès. Pourautant, elles ont comprisqu’elles devaient avoir
aussi accès à l’organisation de cette société à laquelle l’apport de leurs
connaissances était nécessaire. Que ce soit dans le domaine du pouvoir
économique ou dans celui du pouvoir politique, les femmes au cours de cette
périodequis’étenddelaRenaissanceànosjoursontvouluprendreleurpart.
Laréussitedeleurscombatsaétémarquée,avecbienduretardsouvent,par
l’évolution des règles qui régissent la société occidentale. L’histoire de la
législationestunmarqueurcapitaldelaplacepriseparlesfemmesaucôtédes
hommesdanslasociétéfrançaisecontemporaine.Notreregardlorsqu’ilsepose
surcettehistoiresaisitlecheminparcouruet,aussi,l’étenduedeceluiquiresteà
parcourir.
Lesfemmesetleursprochessont,àl’époque,encadrésparlesinstitutionsde
l’Églisecatholiqueromaine.La tramedecetencadrement estconstituéeparles
registresparoissiauxquigardentlatracedel’état-civil:desbaptêmes,mariages
etfunérailles.L’Églisecatholiqueromaineinsistesurlecaractèresacramenteldu
mariage et fixe clairement son indissolubilité au cours du concile de Trente
(1545-1563).Lerituelinsistesurl’échangedesconsentementsentreépouxetsur
laprésencededeuxoutroistémoins,souspeinedenullité.Ladoctrinedulibre
consentementétaitanciennemaisellefutadaptéeauxnécessitésdel’époque.La
placedelafemmedanslasociétéaunegrandeimportancepourl’aristocratieen
ce qu’elle conditionne la transmission du patrimoine. Le libre consentement
serait un danger car il permettrait des mariages sans l’autorisation des parents
avec les risques de mésalliances concomitants. La monarchie réagit contre les
désordrespolitiquesquienrésulteraient.SousFrançoisIer ,en1557,unéditroyal
imposel’assentimentdespèresetmèrespourlesjeunesgensdemoinsdetrente
ans et pour les filles de moins de vingt-cinq ans. Des peines arbitraires sont
encourues par ceux qui désobéiraient. Un autre édit de la même période en
France condamne à mort les femmes et les filles coupables d’infanticides.
L’ordonnance de Blois, promulguée en 1579 par Henri III, ébauche de ce qui
devintplustardledroitcivil,confirmelesdispositionsdel’éditde1557etfixeles
obligationsdel’Églisesurl’enregistrementdesmariages.Pourgardertraceécrite
de la régularité de l’union du couple, le prêtre qui l’a prononcée doit mettre à
jour le registre des mariages et y faire apposer les signatures des époux et des
témoins.HenriIVconfirmeen1606l’ordonnancedeBlois.
Lesréformésontunevisiondifférentedelaquestiondumariage.Lutherdès
1520 met en doute son caractère sacramentel et, par conséquent, son
indissolubilité.Illeconsidèrecommeconsubstantielàlacréationdel’Univers.Le
couple est la cellule où s’accomplit l’œuvre du Dieu créateur, ce qui implique
qu’ilsoitvécudanslafoi.Ilest«uneaffaireextérieure,corporelle,commetoute
autreoccupationtemporelle».
Calvin, juriste de formation, auteur en 1535 de « L’Institution de la religion
chrétienne»qu’ildédiaauroiFrançoisIer,ignorelemariagedanssonexposédes
règlesdelaviechrétienne.CalvinseréfèrecommeLutherautextebibliquedela
Genèsequitraitedeladifférenciationetdelacomplémentaritédel’hommeetde
la femme. Créés à l’image de Dieu, ils sont les deux manifestations
complémentairesdumêmeêtre,lacréaturehumaine.L’uniondecesdeuxêtres
estl’acteparlequelDieuachèvesacréation.Calvinécritquelapassionnesaurait
êtrelamotivationdelaformationducouple,maisquelafoietlerecoursàDieu
guidentlechoixduconjoint.Cependant,aprèssoninstallationàGenève,Calvin
entrepritdepréciserdanssesordonnancesde1561lescompétencesdel’Égliseet
del’Étatdanslalégislationdumariage.
Le«modèledémographiquefrançais»nepeutêtreattribuéauxrèglesétablies
par l’Église catholique, par le pouvoir royal, ou par la contestation des
protestants. Il est marqué par une lente progression : la population représente
18 millions d’habitants au début du XVIe siècle. Il existe cependant des crises
démographiques et de brutales oscillations dues aux famines et aux épidémies,
même si la natalité représente 40 °/°°. La mortalité infantile est forte, celle des
mèresdefamillelorsdel’accouchementoudesessuitesesttragiquementélevée.
La connaissance trop réduite du corps humain et de ses mécanismes amène à
suivrelespréceptes« traditionnels»lorsdesgrossesses.Lespratiquesmisesen
œuvrerelèventdesuperstitions,certainesrésolumentpaïennes,d’autresliéesaux
usagesduchristianisme.
La société rurale est avant tout conçue comme collective, le mariage est en
quelque sorte compris comme une nécessité économique et démographique. Il
est souvent tardif et endogamique. Dans le monde paysan, les jeunes gens se
marientvers27/28 ansetlesjeunes fillesvers25 ans;d’aprèsce quiestrelevé
danslaplupartdesregistresparoissiaux.Cen’estpaslecaspourlesmariagesde
la noblesse et des princes de la famille royale. Le recul constant de l’âge du
mariage, plus élevé que celui des classes populaires, est-il compris comme un
moyenderéduirelenombredegestationsavantl’âgedelaménopause?Dansle
choix établi par les familles, l’endogamie sociale est la règle générale.
L’endogamiegéographiqueestcourante.Ilsemble,cependant,quelapopulation
aitconsciencedesrisques induitsparlaconsanguinité. Lesjeuneshommesqui
habitentdesparoissestroppeupeupléesrecherchentuneépousedansunvillage
plus éloigné. Ce sont alors les lieux où se tiennent les marchés et les fêtes qui
permettentlesrencontreshorsdugroupesocialhabituel.
La sexualité des femmes et des hommes avant le mariage est source
d’arrangementsaveclesrèglessociales.Entrelesnormesmoralesetreligieuseset
la réalité des pratiques, l’écart est parfois grand. La culpabilisation de la chair
n’estpasencoretrèsmarquéeauXVIesiècle,toutaumoinsavantleConcilede
Trente.Ilexistaitdesexutoires,lorsdesfêtestellesquelecarnaval,oùlescouples
se font et se défont sur la durée des réjouissances. D’autres vivent une cour
amoureusedelonguedurée,lacohabitationetlesnaissancesprénuptialesn’étant
pasexclues.Àl’imagedecequiestvécuparcescouples,lapoésieamoureusede
l’époque renverse l’ordre social. L’amant poète fait de sa bien-aimée une
initiatrice dispensatrice de lumière. L’amour devient sacrement et dépasse les
règles imposées par l’Église. Mais on est là dans l’exception à la règle
communément admise. La rencontre entre les jeunes gens peut se faire de
diverses manières, mais toujours sous l’œil des chaperons. La demande en
mariageestunactesocialprécédéparl’acceptationdesdeuxfamilles,acceptation
qu’elles ratifient par la cérémonie des fiançailles. Il existe aussi des mariages
décidéspar les familles afind’organiser les alliances etles héritages à venir.La
réuniondesterresetdestroupeauxpèsentdavantagequel’unionamoureusedes
cœurs. Le moment des noces et de la fête marque une rupture dans le temps
ordinairedutravail.Lacérémoniereligieuseestaccompagnéedesréjouissances
profanes, banquet et danses. Quelques rites « magiques » viennent parfois
émaillerlafête:levoldusoulierdelamariéeoul’affairedelajarretière,lasoupe
(le « chaudeau » ou « la rôtie ») apportée lors de la nuit de noces aux jeunes
époux.
VIVREAUVILLAGEAURYTHMEDESSAISONS
ETDESFÊTESRELIGIEUSES
La vie au village suit le rythme d’un calendrier influencé par les pratiques
religieuses.L’annéecommenceaujourdeNoël(25décembre),fêtequiclôturela
périodereligieusederecueillementprescriteparl’Églisesouslenomd’Avent.Ce
tempsmarqueaussilafindesgrostravauxagricoles.
VoirEncadrén°1
Calendrieragro-liturgiqueetrythmesdeviedanslasociétérurale
delaFrancedel’Ouest(XVIe-XVIIIesiècle)
Vientensuitel’Épiphanie(fêtedesroismages)quimarquaitlafindesfestivités
de la nativité et le début d’une autre période de festivités (dans certaines
provinces),nomméecarnaval.Aucoursdeces«joursgras»ontuaitleporcet
cuisinaitsaviande.LafêteseterminaitleMardigras.Onentraitalorsdansune
périodedepénurie,sanctionnéeparl’ÉglisesouslenomdeCarême,laquellese
prolongejusqu’àPâques.Cettepériodedepénitenceetdejeûneaprèslestemps
defêtesoùrègneunerelativeabondancealimentairereflètelacraintedepénurie,
quivacroissantelorsqu’onapprochedela«soudure»auprintemps.Lesjours
duretourauxchampssontsouventmalvécusentrel’épuisementdesréservesde
l’année passée et l’attente des récoltes de l’été. Les femmes assument la
responsabilitédegérerlesbiensalimentairesdufoyeretsurveillentleniveaudes
réserves.
Le rythme du calendrier est immuabled’une année sur l’autre. Paysannes et
paysans se plient au rythme de cette vie marquée par les saisons. On pourrait
résumerleurvieenuntempsdevieàl’extérieur(marsàoctobre)etuntempsde
vieàl’intérieurdesmaisons(novembreàfinfévrier)oùlestravauxd’entretiense
substituent auxtravaux champêtres. Cedernier est tout aussi importantque le
tempsdevieàl’extérieur.Lapopulationpaysanneentretientelle-même,souvent
avecl’aidedesesvoisins,sonhabitatetsesbâtimentsd’exploitation.
Les habitats des terroirs français sont variés. Les habitants des plaines
céréalièresstructurentleursconstructionsenvillages-rue.Ailleurs,aucontraire,
l’habitat est dispersé. Cependant chaque demeure rurale comporte trois
éléments : le manse (composé de la maison d’habitation, de la cour et des
bâtiments du jardin et du potager), les labours (espace cultivable en rotation
incluantunejachère)etle«saltus»(espacesauvagecomportantlesréservesde
forêtetlesétangs).Lesdroitsetchargesassociésàcesespacesfoncierssontgérés
par le pouvoir royal, le pouvoir seigneurial local et la tutelle de la paroisse. La
communauté villageoise est représentée par une assemblée des habitants,
composée en général des principaux chefs de famille. Les femmes n’y sont
admisesqu’unefoisdevenuesveuves.
La sociabilité recouvre les relations entrecroisées entre des individus et des
groupes d’individus. Pour vivre et se supporter au quotidien, des codes de
comportementsemettentenplaceetvarientpeu.Autourdechaquemaisonde
familles’organisentdesespacesoùl’onpeutserencontrer.Lesfemmessevoient
plutôtàlafontaineetaulavoirparfoisaufourbanaloùl’onvientfairecuireson
pain.Ellesyabordentdessujetsquineconcernentpasleshommes,yéchangent
dessecrets.Sansdouteyvéhiculent-ellesdeslégendes,voiredespeurscollectives,
maisaussidesrecettesmédicinales.Unautretempsdelaviepaysannejoueun
rôle important pour les femmes ce sont les veillées de novembre à mars : ces
réunionsdépassent le cadre dela maison familiale.Les femmes filent,cousent,
chantent. Ces réunions peuvent être mixtes et permettent aux jeunes gens et
jeunes filles de se rencontrer avant l’âge du mariage. Les autres lieux de
sociabilité sont la place du village, l’église paroissiale et le cimetière, lors des
célébrationsdelaToussaintpuisdesdéfunts.Partoutlesfemmessontprésentes
etactives.Onlesvoit,parcontrerarement,àlataverne,oùellesviennentparfois
écouterunconteur,oubienconclurequelqueaffairenotarialeavecleurépoux.
Lefoyerdomestiqueestleurlieud’activitéessentielainsiquelejardinpotager
etlepoulailler.Lesjeunesenfantss’éduquentenobservantletravaildeleurmère,
deleurstantesdeleurssœurs.C’estlelieuoùlesjeunesfillesdoiventapprendre
leur futur rôle social d’épouse et de mère. Les jeunes filles sont étroitement
surveillées dès l’adolescence. Elles sont exclues des « royaumes (ou
«bachelleries»)dejeunesse»etdetoutesfêtesréservéesauxgarçonspubères.
Audébutdumoisdemaionplantedesarbustesdevantlesmaisonsdesfillesà
marier.Le 24juinavec lesfeux delaSaint-Jean, lacommunautérurale renoue
avec des fêtes agraires païennes autour des rites de fécondité. C’est aussi la
période où on signe les contrats, pour les travaux à venir, les moissons, les
battages,lesvendanges,lesréparationsdesbâtimentsagricoles.
PERSÉCUTERLESFEMMES.RECHERCHERLESSORCIÈRES!
Mais,enFrancecommedansd’autrespaysd’Europecommesilaviemisérable
desfemmesdelapaysannerienesuffisaitpas,ellessubissentaussilesphantasmes
des obsédés de la sorcellerie. Les persécutions organisées par ces derniers
n’avaient pas exclusivement les femmes pour objectif, mais les archives des
procèsensorcellerietémoignentd’unacharnementpresqueexclusivementdirigé
contrelesfemmes.Lamassedesincompréhensionsdutempsalimentaitlebesoin
d’explications simples aux maux de la vie quotidienne. Les incendies dans les
granges, le bétail qui tombait malade, la foudre qui détruisait le manse, autant
d’évènements que l’on pouvait attribuer à la malveillance d’une femme qui
entretenait des rapports avec les puissances obscures. Les femmes sont les
premièressuspectespuisqu’ellesseulesétaientlesactricesduplusgrandmystère,
de la chose la plus incompréhensible : le don de la vie. Les sorcières sont, de
surcroît soupçonnées de ce que l’on appellerait de nos jours « violences en
réunion » au cours de leurs « sabbats » où, selon l’imaginaire collectif, elles se
rendaientàchevalsurunbalai.Ellesavaientcommerceaveclediable.LesXVIe
et XVIIe siècles ont connu les vagues de persécutions les plus intenses. Le
paroxysmeest atteintauXVIesiècle, lorsquelestribunaux civilssupplantent le
monopole d’Église qu’était l’Inquisition. Parallèlement à ces répressions, se
développe une littérature inquisitoriale (près de 2 000 œuvres recensées)
dénonçant les pouvoirs maléfiques des sorcières, dangereuses car elles « sont
encoreplusexécrablesencequ’ellesapprennentdelabouchedeSatanmesmece
que les magiciens apprennent dans les livres ». Les sorciers, ici désignés sous le
nomdemagiciens,sontrangésdansunecatégoried’êtresmoinsmaléfiquesque
les sorcières. Il faut dire que leurs travaux étaient souvent axés sur la
transmutation des métaux avec l’espoir, toujours déçu jusqu’à nos jours, de
changer le plomb en or ! Parmi ces œuvres, figure Le Marteau des sorcières
(1487), premier traité inquisitorial sur les manifestations de la sorcellerie et la
manière dont devait être conduit le procès en sorcellerie. L’ouvrage, bien que
condamnéparl’Églisefututiliséparl’Inquisitiontoutaulongdelapériodeoù
elle requit contre sorciers et sorcières. Les auteurs, Jacob Sprenger et Henri
Institorisguidentl’inquisiteurchargédudossierdanslarecherchedespreuvesde
culpabilité.Cesdeuxdominicainssontimprégnésdesidéesissuesdelatradition
antiféministe de l’Ancien Testament, reprises dans des textes de l’Antiquité
classique.L’inférioritémoraledelafemmed’aprèsletextedelaGenèse(chap.2),
estdémontréeparl’œuvredeséductionconduiteparÈveauprèsd’Adamqu’elle
mena au péché. La femme, quoique nécessaire à l’acte de reproduction, reste
dangereuse par sa sexualité. Les deux auteurs relèvent aussi la faiblesse de la
femme,faiblessequisetraduitparsacrédulitéàl’égarddudiableetsongoûtdu
partagedepratiquesmagiquesavecd’autresfemmes.Ilssoulignentaussiquela
femme sorcière peut ôter par maléfice à tout homme sa capacité génitale.
Rarementacquittés,lesprévenusetprévenuesétaientgénéralementcondamnés
aubûcher.Unetoutepetiteminoritéd’entreellespouvaitêtreconsidéréecomme
étant d’authentiques criminelles coupables d’homicides, ou des malades
mentales. La grande majorité était au contraire de tous âges et de toutes
conditions, et de diverses confessions religieuses, souvent sages-femmes ou
guérisseuses. Leurs remèdes se fondaient sur une pharmacopée traditionnelle,
breuvages, infusions ou décoctions de racines et d’herbes, les « simples ». La
population,essentiellementrurale,n’avaitguèred’autrerecourspoursesoigner.
Il suffisait d’une prescription inefficace, d’un accouchement ayant tourné à la
catastrophe,pourseretrouveraccuséedesorcellerie.
CertainsjuristeséminentsparmilesquelsJeanBodinenviennentàrédigerdes
ouvrages comme la Démonomanie des sorciers en 1580, sorte de manuel qui
codifielesactesdesorcellerieousupposéstelset fixelesprocéduresjudiciaires
qui doivent être exercées à l’encontre de leurs auteurs. Pourtant la sorcellerie
n’estpasunphénomènenouveau!Cetypedeprocèsapparaîtsemble-t-ilàlafin
duMoyenÂge,aprèsladisparitiondesdernièresexécutionsmisesenœuvrepar
l’Inquisition pour hérésie. Les persécutions contre les sorcières commencent
aprèslaruptureentrecatholiquesetréformés,surtoutaprèslesmassacresdela
St-Barthélemy de 1572. Pourquoi l’image du démon réapparaît-elle ? L’Église
post-tridentine (postérieure au concile de Trente) veut chasser les
représentationspaïennes figuréesdans l’artde laRenaissance etdans lestextes
inspirés par l’humanisme. Faut-il restaurer l’image d’un Dieu vengeur et
recherchertouslesaspectsd’agissementdu«Malin»?Uneordonnanceroyale
de 1580 facilite les poursuites contre les sorciers et contre diverses formes de
superstitions. Historiens et historiennes ont observé que la géographie de la
chasseauxsorcièresrecouvreenpartiecelledesrévoltespaysannes.Lesrégions
périphériques du royaume sont davantage impliquées par les tentatives de
résistance au pouvoir politique et religieux (le Nord, la Lorraine, le
Languedoc…) et poursuites pour sorcellerie fréquentes. La sorcellerie est
devenue un crime de lèse-majesté qui mène au bûcher et c’est la juridiction
royalequidoitagir.Lesparlementsdoiventtrancherenappelsinécessaire.Les
magistrats civils chargés de juger conduisent une lutte sans merci contre toute
personne soupçonnée de crimes « sataniques ». Les procédures des procès en
sorcellerie vont jusqu’à la pratique de la torture, voire de la recherche de
« marque » satanique sur le corps de la sorcière. L’aveu est indispensable. Le
phénomène des sorcières concerne essentiellement le monde rural en cours de
transformation:concentrationdesterres,suppressionouamoindrissementdes
contraintes collectives, appauvrissements des plus précaires. Parmi les femmes
accuséesils’agitsurtoutdespersonnesâgées,veuves,isoléespourtantintégrées
dans les communautés villageoises. En fait dans leurs activités principales elles
soignent les malades et connaissent les vertus médicinales des plantes, on les
consultepourlesphiltresamoureuxoupoursevengerd’unvoisin,pouraiderà
un accouchement difficile… Pourquoi tout à coup ces femmes sont-elles
accusées d’avoir fait un pacte avec le diable ? Comment se fait-il que des
magistrats issus des élites acceptent d’appliquer des procédures obscurantistes
contraires aux principes les plus élémentaires du droit. Leur conscience leur
dicte-t-ellequetoutmoyenestbonpouréradiquerlessuperstitionsettraditions
rurales qui sont un frein à l’évolution du pays ? Les sorcières furent-elles les
victimesexpiatoiresd’unaffrontemententrelamodernisationdelasociétéetles
résistancespaysannes.Commentempêcher«lamagie»d’êtreencorepratiquée
danslesvillages?Lespaysansont-ilseux-mêmesacceptédelaissersacrifierdes
sorcièrespourseprotégerettracerunenouvellefrontièreentrelesacréadmiset
lesancienneshabitudespaïennes?
Au XIXe siècle, en 1862, l’historien Jules Michelet avait rédigé un ouvrage
intituléLaSorcière,oùilqualifiecetypedefemmed’«uniquemédecindupeuple
pendant mille ans ». Il s’était élevé, dans cet ouvrage, contre la tradition
historiquequiavaitjetél’opprobresurelles.L’examendesarchivesdesprocèsen
sorcelleriel’avaitamenéàconclurequelasorcièreétaitplutôtunevictimequ’une
criminelle.
LESFEMMESDANSLEMONDEURBAIN:
TRAVAIL,SOCIABILITÉ
LeXVIe siècle,danstoutel’Europeestunsiècledeprospérité,aumoinspour
les classes dirigeantes. À l’exception de la période des guerres de religion
concomitantesavecl’émergenceduprotestantisme(1562-1598),cetteprospérité
a pour conséquence le développement des villes. Paris comptait
150000 habitants en1500. En 1560,on dénombrait 300000 Parisiens. Laville
devenaitunevilleouverteparoppositionàlavilleféodalefermée,repliéeàl’abri
desesmurailles,surveilléeenpermanenceparuncontingentarmé,qu’elleavait
étéaucoursdessièclesprécédents.Bienqu’ellesfussentdetrèsmauvaisequalité,
les routes de France convergeaient déjà vers Paris. L’allégement des formalités
nécessairesàl’entréedanslacité,ladisparitiondesfortificationspermettaientde
selivreraucommerceavecdesvolumesinconnusjusque-là.L’accèsparlaSeine
à la façade maritime Atlantique ouvrait les portes des pays de l’Europe de
l’Ouest. Paris est une ville « fiévreuse », dangereuse. L’approvisionnement en
nourritureparlacouronnedescampagnesquil’entoureestfragile.Elleestune
citépleinederumeurs,selonlesrécitsdubourgeoisdeParisPierredel’Estoile.
Lemaintiendel’ordreyestunepréoccupationconstante.
La vie quotidienne y est inconfortable. Plusieurs types d’habitat coexistent :
avec un ou plusieurs corps de logis, avec ou sans cour, avec ou sans étable ou
écurie. La concentration de la population et l’absence de moyens de transport
conduitàbâtir enhauteuret exigu.Dansle centredela ville,lesmaisons sont
édifiéesleplussouventenboisetentorchis,surdeuxàtroisétages,complétées
par un grenier et une cave. Elles sont serrées sur d’étroites parcelles. La
dispositiondespièces,sanscouloirnefaciliteguère l’intimitédansunefamille.
Lesnotionsdespécialisationdespiècesetd’appartementfamilialn’existentpas.
Enfants et domestiques partagentla vie intime du couple parental. Souvent les
différentespiècesd’unemaison sontlouéesà despersonnesn’ayantaucun lien
de parenté, ni d’activité commune. L’adaptation à ce mode de vie pour des
paysansetdespaysannesvenuschercherdutravailenvilleestparticulièrement
difficile.
Entre paysans et citadins prédominent, semble-t-il, la méconnaissance et la
méfiance.Auseindelavillesontinstalléslesreprésentantsd’uneadministration
royale qui étend chaque année davantage son pouvoir sur les campagnes. Les
paysansviventuneprisedeconsciencefaited’humiliationetdefrustrationfaceà
l’efficacitécroissantedeslevéesd’impôts.Lesofficiersquiy procèdentsont des
urbainsetlemondedelaterrevoueauxurbainsunedétestationinjustecertes,
maisprévisible,àtoutcequivientdelaville.
Lemodedeviedesfemmesenvilleestmoinsdifficilequ’àlacampagnepour
cellesquiexercentunmétierqualifié.Lesvilleséchappentenpartieausystème
seigneurialquiencadrelescampagnesetàlamonoactivitéterriennequiestaux
racinesdelaféodalité.Lesroiscapétiens,depuisdestempsanciens,pratiquentle
systèmedes «bonnes villes »,statut deprotection etde bénéficede franchises,
assortis de l’obligation de contribuer au « ban » royal en fournissant un
contingent d’hommes d’armes qui viennent se joindre aux effectifs de l’armée
royale.LamultiplicationetlacroissancedémographiquedesvillesauXVIesiècle
apermisauxroisdeFrancedes’affranchirprogressivementdusystèmeféodalen
seconstituantunearméequileurestpropre.Ilsnesontalorspluscontraintsde
réclameràleursvassauxlamiseàdispositiondeleurstroupesencasdeconflit.Il
leurdevientmêmepossibledelesaffrontermilitairementencasdedésaccord.Le
roi négocie l’exercice du pouvoir avec les élites des « bonnes villes ». L’élite
municipale comporte le maire, les échevins (ou « consuls » dans le midi de la
France), les membres des conseils. Les femmes ne sont pas concernées par la
gouvernance de la ville. Elles apparaissent cependant en bonne place lors des
célébrations désignées sous le nom « d’entrée du roi dans la ville », où le
souverainetsonépouselareinesonthonorésetsevoientrappelerparleconseil
lesdevoirsdupouvoircentralvis-à-visdelaville.«L’entréejoyeused’HenriIIà
Rouen»enoctobre1550afaitl’objetd’unedescriptionminutieuseparunauteur
anonyme. Fêtes, cortèges et bals se succédèrent. La reconstitution d’un village
brésilienétaitinscriteauprogrammeavecunecinquantainede«vraissauvages»
et plusieurs centaines de matelots qui connaissaient le Brésil pour y avoir été,
déguisés eux aussi en sauvages. La végétation avait été peinte en rouge pour
figurer les forêts d’Amazonie ! En dehors de ce type de manifestation liée au
couronnementduroi,le calendrierannueldesfêtes urbainessuit lerythmedu
calendrierliturgique.Mais ellessont généralementimprégnéesdu mêmeesprit
carnavalesque. Elles peuvent avoir des conséquences inquiétantes pour les
femmes, car la violence et les débordements y sont fréquents. Confréries et
corporations (plus exactement c’est le terme de jurandes qui doit être utilisé)
célèbrentleurfêteannuelle. Lesfêtesurbainesmêlentàplaisirsujetsreligieuxou
liés à la liturgie et fêtes païennes. Ces réjouissances comportent aussi des jeux
souvent menés parla jeunesse, sur le thème de l’inversiondes rôles. Le maître
devient serviteur. Le serviteur devenu maître exige de lui qu’il lui rende des
servicesridiculesouhumiliants.Lesfemmes,parprudencesetiennentàl’écart.
Difficilement concevable dans un cadre rural, le libertinage se répand dans les
villes. « Les quinze joies du mariage », multiples versions, auteur anonyme,
paraphrase un texte de dévotion populaire « Les quinze joies de la Vierge ».
L’institution du mariage y est brocardée. D’affreux malheurs surviennent à
l’hommeprisdansla«nasse»dumariage,présentécommelasourcedetousles
maux domestiques, érotiqueset autres, et surtout comme l’origine du malheur
suprêmedetoutêtrehumain:lapertedelaliberté.Letonestnettementlibertin,
misogyne et antiféministe. Machinationset ruses féminines font le malheurde
l’homme. Le mari est présenté comme un balourd sans imagination,
« métamorphosé en âne sans qu’il soit besoin d’aucun enchantement ». Le
libertinageesttolérédanstouteslescouchessocialesdelapopulationurbaine.La
contraception est inconnue et les naissances illicites assez nombreuses.
D’étranges « royaumes de jeunesse », hérités des traditions féodales réunissent
desjeunesgensquis’adonnentàl’ivrognerieetàladébauche.Combatscollectifs
etviolsenréunionfontoccasionnellementpartiedeleurbrutaleconvivialité.
LESÉLITESURBAINES
Lesélitesurbainesdetoutesconfessionscherchentàcadrercesmanifestations.
Cecontrôledelajeunesses’exercedifficilementpendantlapériodedesguerres
dereligionquiopposentcatholiquesetprotestantsde1562à1598.Àlafindeces
dernières, la montée en puissance du pouvoir central consacre le déclin des
culturescarnavalesques.
Pariscependants’agrandit«horslesmurs».Jusque-làcantonnéautravail«en
chambre»sonartisanatpeupledésormaisdenouvellesmanufacturesdestinéesà
satisfaire les volumineux besoins d’une classe dirigeante qui découvrait un
nouvelartdevivre.Lerassemblementd’artisansauxsavoirsfairediversausein
d’une structure capable de démarcher de grands clients et de négocier avec
fermetéauprèsdesesfournisseursestuneavancéesociale.Onpourraitparlerde
début d’une « révolution » manufacturière comme, plus tard, on utilise
l’expressionderévolutionindustrielleauXIXe siècle.Cetteamorcederévolution
seproduitnaturellementauseindesgrandesvillesoùsontexercésl’ensembledes
métiersnécessairesàunefabricationmanufacturièreintégrée.Deplus,letrainde
vie de la haute société crée une demande accrue de personnel domestique. Et
enfin, l’évolution économique du pays a pour conséquence l’apparition encore
timided’uneclasse«intermédiaire»éduquée.Lesconséquencessontmultiples:
en premier lieu, l’évolution démographique de la ville de Paris, comme celle
d’autresvilles,indiqueclairementquelescampagnescommencentàseviderde
leur population au profit des villes. L’apparition de « classes moyennes », par
naturecitadinesconstitueunréservoirdeclientsauxquelsleroidécidedevendre
des charges et des offices, créant ainsi une fonction « publique » entièrement
privée ! Le trésor royal s’enrichit et les titulaires de charges aussi, aux frais du
tiers état cette fois. Les femmes sont exclues des charges et offices au motif
«qu’ellesnesontpasassezinstruites».
FILLESETFEMMESAUTRAVAILENVILLE:QUELSMÉTIERS?
Queltravaillesfemmestrouvent-ellesenville?Unejeunefillequin’aaucun
espoird’emploidanssonvillageestcontraintedes’exilerenville.Toutd’abord
au bourg le plus proche, gros de 4 000 à 5 000 habitants. Elle peut espérer s’y
placercommedomestique,unrudetravailprochedeceluiqu’elleaconnudans
son village : nettoyer toute la maison du grenier à la cave, faire le marché,
s’occuperdelacuisine,travailleraulavoir.Danslemêmetemps,laprospéritéde
lapopulationdesgrandesvillesaugmentelademandeenpersonneldomestique.
Cellesdesjeunesfillesquirépondentàcetypededemandenes’aventurentpas
auhasard,elless’appuientsurleursrelationsfamilialesoudevoisinage.Parfois
ellessuiventunmouvementmigratoire organisé,rejoignant desmembresdela
familleouduvillagedéjàétablisdanslavillededestination.Cettemain-d’œuvre
estabondanteetrestalongtempsbonmarché.Danslesmaisonnéesauxrevenus
élevés,les domestiques ont des tâchesstructurées et le serviceà la personne se
décline en de multiples métiers. Dans les familles plus modestes on recrute
seulement une servante qui est une « bonne à tout faire ». Les commerçants
engagentaussidupersonnelfémininpourassurerlesfonctionsdevendeuses.Les
aubergistesetlescommercesdeboucheontbesoindeservantes,decuisinières,
de lingères. Dans toutes ces organisations les employeurs veulent avoir des
garanties sur les personnes embauchées d’où l’importance des réseaux
relationnels.Lecasleplusrépanduestceluidesaristocratesquichoisissentpour
lavilledesdomestiquesrecrutéessurleursdomainesruraux.Certainesdamesde
lanoblessesontlesmarrainesdebaptêmedefillesdesvillagesdeleurdomaine
seigneurial.L’usageveutqu’ellesleuraccordentaideetprotectionetqu’ellesles
aidentàtrouverunemploi.
Dans les zones de développement des manufactures liées à la mode, un
personnel féminin nombreux et qualifié est indispensable. En région lyonnaise
lesfilaturesettissagesdesoierecrutentunpersonnelfémininbienformécarle
matériau est cher et délicat. Les femmes sont embauchées pour dévider les
coconsau-dessusdescuvesd’eaubouillante,tordrelefilenroulerlesnavetteset
tirerlefilsurlesmétiers.Lamain-d’œuvreprovientdesvillagesdesalentours,du
ForezauDauphiné.Lesouvrièressontsouventdejeunesadolescentesdemoins
dequatorzeans.Cetravailresteprécaire,caràlamoindrecriseéconomiqueon
renvoielesjeunesfillesdansleurvillage!
Pluscomplexeslesmétiersdeladentellesonttotalemententrelesmainsdes
femmes.Laproductionsefaitencoreenchambre.L’achatdufilbrutetlavente
du produit fini à un grossiste, sont assurés par une donneuse d’ordres qui
alimente plusieurs ouvrières, dans les Flandres, de Valenciennes à Calais, mais
aussiauPuyenVelay.Ladentelleestundesproduitslespluschersdumarché
destextiles.EnFlandre,onenseignegratuitementdanslescouventslemétierde
dentellière aux filles très jeunes, car l’apprentissage du métier est de longue
durée. Elles tentent, une fois devenues professionnelles, de se constituer un
pécule. Après leur mariage elles peuvent travailler en indépendantes ou bien
continuerdansundesateliersducouventquijouealorslerôledemanufacture.
Ilexisteaussidesassociationsdefemmespieuses,«lesBéates»,quiorganisent
des ateliers et des dortoirs subventionnés par des donations pour recueillir ces
dentellières et négocier la vente des dentelles aux marchands grossistes. Les
jeunescitadinesquitravaillentdanslesmétiersdutextilepeuventcontinuerleur
carrièredansl’artisanatduvêtement,commecouturières,fabricantesdemantes,
chapelières,gantièresouencorebrodeuses.
Toutescependantn’ontpaslachanced’avoirapprisunmétierdelamode.De
façon plus modeste elles se cantonnent aux petits métiers ambulants non
réglementés, laveuse, vendeuse, marchande de rue. Ce sont les règles des
corporations et jurandes qui définissent les métiers ou commerces accessibles
aux femmes, dans la plupart des villes. Les artisans membres des corporations
craignentlaconcurrencedesfemmes,siellesacceptentparexempledetravailler
pour un moindre salaire. Quand il y a beaucoup de travail et moins de main-
d’œuvre les règles s’assouplissent parfois. On dispose de peu de sources sur la
manièredontlesjeunesfillesapprenaientunmétier.Sansdoutedansunefamille
modestelamère,artisaneapprendsonmétieràsesfilles,parexemplesielleest
lingère, blanchisseuse, repasseuse. Celles qui cherchent un contrat
d’apprentissagesontleplussouventdesorphelines,sortantd’uneinstitution.Ila
été retrouvé quelques contrats de ce type. Ils présentent souvent un caractère
léoninettémoignentdelaprécaritédecesjeunesorphelines.
Le mode de participation des citadines à l’économie familiale varie selon les
lieux,villesetlestypesdemétiers.Danscertainesentreprisesfamilialeslafemme
joue un rôle complémentaire à celui de son mari, ce qui lui permet parfois
d’acquérir un peu d’indépendance. Une entreprise comme un magasin de
vêtements, ou une imprimerie permettent à l’épouse d’être organisatrice de
l’activité,voiredegérerlacomptabilité.Lorsqu’unefemmed’entrepreneuroude
maître-artisandevientveuvesasituationestdifficile.Elledoitassurerlasuitede
l’éducationdesesenfants,lacorporationluilaisseengénéralcontinuerl’activité
de son mari mais elle doit faire face aux charges et aux dettes éventuelles. Elle
peutconserverquelquesapprentis,maissilaclientèleseraréfie,elleseretrouve
vitefaceàl’obligationdefermerboutique.
Il est difficile de mobiliserles sources car la femme adulte n’est mentionnée
qu’àtraverssesliens matrimoniaux(épouseouveuve deX).Letravail féminin
estpeu visible, caril estplutôt tourné versl’intérieur dela cellulefamiliale, au
contraire du travail masculin ouvert sur l’extérieur. Bon nombre de femmes
travaillent dans le petit et le grand commerce cependant et dans la vente de
produits et d’objets courants. Les paysannes viennent au bourg ou à la ville la
plusprochepourvendreunepartiedeleurproductiondupoulailler,dupotager,
du verger voire leurs travaux de tissage ou de confection. Certaines femmes
tiennent des échoppes ou des boutiques, les boulangères, par exemple, ne sont
pasrares.EnvilleentreleXVIeetleXVIIesièclequelquescasmontrentquedes
femmes ont exercé la profession de libraire-imprimeur. Des épouses de
négociantstraitent,pourlecomptedel’entreprisefamiliale,desaffairesàParis,à
Lyon,etaussidanslesvillesportuairescommeBordeaux,Marseille,Saint-Malo.
Sitouslessecteursd’activitéssontinégalement féminiséscertainsdomaines du
commerceurbainsontfortementféminisés:l’alimentationetletextile.
Lesfemmesinterviennentdanslafabricationetlacommercialisationdutextile
et dans les activités de la blanchisserie. Marchandes de draps et de vêtements,
fabricantes et commerçantes en dentelles, mercerie, linge de corps et chemises
sont mentionnées dans les sources disponibles. Si l’activité de certaines est
mentionnée comme celle de « ravaudeuses », d’autres sont de prospères
marchandesdemodedanslesgrandesvilles.
Dans le domaine de l’alimentation, les femmes sont omniprésentes sur les
marchés:lespluscélèbresdecesmarchandesétantles«damesdesHalles»de
Paris.
L’accès des femmes au travail sous l’Ancien Régime est soumis pour de
nombreuses activités artisanales et commerciales à la savante complexité de
l’organisation corporatiste.Les métiers jurés (appelés corporationsou jurandes
selon que l’entrée dans le corps était assortie ou non d’une prestation de
serment)sontstructurésencorporationsréservéesauxhommes,encorporations
peu nombreuses réservées aux femmes et en corporations rares ouvertes aux
hommes et aux femmes. Ces règles s’appliquent à l’artisanat et au commerce,
comme, de nos jours, les règles des chambres des métiers et des chambres de
commerce.Ladifférenceestquelesrèglessontpropresàuneville,différentesde
cellesquisontadmisesdansuneautreville.Ellessontsoumisesàl’approbation
du roi qui perçoit une partie des droits versés annuellement par les inscrits à
touteslescorporationsduroyaume.Nuln’aledroitd’exercerunmétierartisanal
oud’ouvriruncommercefaisantpartiedelalistedescorporationsdelaville,s’il
n’aété«reçu»,selonl’expressionenvigueur,danslacorporationcorrespondant
aumétierouaucommercequ’ilsouhaiteexercer.Êtrereçusupposequel’onait
été apprenti, puis compagnon, puis maître, dans la profession exercée.
L’acceptationdanschacundecesgradesestprononcéeparunjurycomposédes
maîtresartisansdelacorporation. Rappelonsiciquepourlesfemmess’exercede
plus la contrainte supplémentaire de la capacité civile qui est ou non accordée
auxfemmesmariéesenfonctiondesrèglesquirégissentl’institutiondumariage.
QUELQUESFEMMESEXERCENTDANSLESMÉTIERS
DEL’IMPRIMERIE-LIBRAIRIE
Defaçonsurprenante,ontrouveparfoisàcetteépoqueplusieurscommerces
féminins, groupés en un lieu prestigieux, travaillant dans une activité « de
pointe».RueSaint-Jacques,àParis,auXVIe sièclesetrouvaienttroislibrairies-
imprimeries dirigées par des femmes : le Soleil d’Or, la Licorne et l’éléphant.
MadeleineBourssette dirigeait l’Éléphant depuisla mort de son mari,François
Regnault.EllepublialespoèmesdeMargueritedeNavarreetdeClémentMarot.
Sa fille, Barbe Regnault continua les activités de l’Éléphant, puis sa petite fille
MadeleineBerthelin.Lemétierquepratiquèrentcestroisfemmesetlechoixdes
auteurs qu’elles éditèrent suggèrent qu’elles avaient atteint le sommet de la
culture de l’époque, alors que l’accès à la connaissance était particulièrement
difficilepourlesfemmes.
Paradoxalement, les femmes bénéficient dans leur conquête du savoir, au
moinspourcellesdelaclasse«moyenne»delapetitebourgeoisie,desquerelles
religieuses qui opposent catholiques et réformés. En 1517, Martin Luther, de
l’ordre des Augustins, publie ses « 95 Thèses ». Affichées à l’université de
Wittembergellescréentunchocetrencontrentungrandsuccès,d’aborddansles
États allemands fédérés au sein du Saint-Empire. Martin Luther traduit la
Vulgate(versionenlanguelatinedelaBible)desaintJérômedulatinenlangue
vernaculaire.C’est sans doute le premier succèsde l’imprimerie. Les tirages de
l’époque étaient réduits, les presses de l’époque produisant lentement, mais
chaquelivrecirculeentrelesmainsdelecteurs,clercscertesmaisaussidelaïcs.
Auxyeuxdel’Églisecatholiqueromaine,ledangerestconsidérable.Eneffet,les
fidèles ignorent le latin, mais savent lire pour une petite part d’entre eux. Cet
accèsnouveauauxtextessacrésfaitquelesinterprétationsdesclercs,quijusque-
làfaisaientautorité,peuventêtreremisesencause.
LeconciledeTrenteconvoquéparlepapePaulIIIen1542,travailleparétapes
successives jusqu’en 1563 à formuler une réponse aux demandes exigées par
MartinLutheretJeanCalvindanslecadredelaréformeprotestante.LaContre-
réformeenestissue.Elleestfondéesuruneappréhensionnouvelledurôledes
fidèlesauseindel’Égliseoùcesderniersdoiventrecevoiruneformationquileur
permette de défendre leur foi contre les arguments des réformés. L’ordre des
Jésuites, fondé en 1534 par Ignace de Loyola, ainsi que, plus tard, celui des
Oratoriens fondé par Pierre de Bérulle en 1611, doivent dans ce but créer des
collèges réservés à l’enseignement des garçons. L’ordre féminin des Ursulines
voit le jour en 1535, fondé en Italie par Angèle Merici, il se développe
rapidement en France. Il est le premier parmi de nombreuses organisations
religieusesfrançaisesàorganiserdescollègesdefillesinspiréspartiellementpar
lemodèlejésuite.
Leur contribution tant pratique que théorique est à l’origine d’un nouveau
type d’enseignement, qui, en puisant son inspiration dans les principes
pédagogiquespropresauxgarçonsdéveloppésparlesjésuitesoulesoratoriens,
transpose concrètement aux filles le modèle du collège d’humanités, en
l’adaptant à leur spécificité. Les classes pauvres restent à l’écart de ce type
d’enseignement qui est payant. Par contre, comme pour l’enseignement
primaire, la haute société conserve le principe du recours au préceptorat. Les
jeunes filles de la classe moyenne connaissent quant à elles un changement
majeurdansl’éducationqu’ellesreçoivent.Cetaccèsnouveauausavoirn’estpas
l’apanage des jeunes filles issues de familles catholiques. Il se crée également
nombredecollègesdestinésauxfillesdefamillesprotestantes.L’éditdeNantes,
en1598,accordeauxprotestantsledroitd’avoirdescollèges,maisenprécisant
que leur droit d’établissement serait vérifié, et qu’ils ne pourraient exister que
dans les villes et lieux d’exercice du culte réformé. L’enseignement secondaire
devient ainsi l’enjeu d’une véritable compétition entre les deux confessions
chrétiennesdanslespremièresdécenniesduXVIIe siècle.
LESFEMMESDELANOBLESSEACCOMPAGNENT
LACOURITINÉRANTE
Si,aucoursdecetteépoque,lesfemmesdesclasses«intermédiaires»,soitla
petitebourgeoisieetlanoblessepauvre,accèdentàl’éducation,lesfemmesdela
plushauteextractionaccèdentàlacour.L’entourageduroi,cen’estplusdepuis
longtemps « la Table Ronde » du roi Arthur où siégeaient les plus valeureux
chevaliers au cœur pur. La cour n’est pas un camp militaire où s’élaborent les
stratégiesdeconquêtesviriles,maisunlieupolitiqueoùonanalyselesstratégies
d’influenceetlesmesurespolitiquesacceptablesparlesgroupesdepressiondu
royaume.C’estunlieudevie oùlenomadismeseplieauxgoûtsdu souverain.
François Ier concrétisa sa curiosité pour les arts et pour le faste en faisant
construire ou remanier plus de onze châteaux. Ces somptueux édifices font
éclore le style architectural de la Renaissance française où les éléments de
l’architecturemédiévalesontréinterprétésenélémentsdécoratifs,oùlechâteau
devient un lieu de fêtes plutôt qu’un espace de repli défensif. Chambord,
Fontainebleau sont les plus impressionnants. Une partie de la cour carrée du
Louvre est aussi son œuvre. Saint-Germain-en-Laye fut remanié sous sa
direction. Il fit édifier à Neuilly le château de Madrid aujourd’hui disparu, et
d’autresencore.Augrédessaisonsoudesonbonplaisir,Françoissedéplacede
villesenchâteauoùsacourlesuit.CommeenItalieduQuattrocento,lacourest
devenueunélément fondamentaldela viedel’État. C’estle cœurpolitiquedu
pays, mais aussi un lieu de vie raffinée où se développent les arts, où de
somptueuses fêtes sont données (Cahier-images, Pl. II). Culture et civilité s’y
enracinent.Seulelapratiquedelachasse,lorsqu’onestàChambord,rappelleles
distractions des temps anciens. Le mode de vie de la cour et la place que les
femmesyoccupentdevientunmodèlepourlescouchessupérieuresdelasociété.
Les femmes de l’aristocratie font partie de la cour. Elles suivent au gré des
saisons le roi et ses officiers en val de Loire, du printemps à l’automne. Elles
suiventlachasseroyaleduhautdesterrassesduchâteaudeChambord.Quelques
bellestapisseriestraduisentcesmigrationssaisonnièresd’uneluxueusecaravane.
La traversée des villes est l’occasion d’« entrées triomphales » où les corps
constituésviennenttémoignerdeleurattachementau souverain.Labeautédes
femmesdelacouretlasplendeurdeleurstenuesajoutentàl’éblouissementdela
fête.
SuccesseurdeFrançoisIer,leroiHenriIIréorganiselacouretsesfastesautour
de sa maîtresse, Diane de Poitiers. Les courtisans du roi défunt disparaissent,
remplacés par un parti de favoris du roi autour du connétable Anne de
MontmorencyetunparticonstituédesamisdeDiane.LesGuisefontpartiede
ces derniers. Le duc René II de Lorraine a légué toutes les possessions
«françaises»delaMaisondeLorraine,dontGuise,situéeenPicardieàClaude
deLorraine-Guisesonfils.Cedernierestnaturaliséfrançaisetcrééducetpair
parleroiFrançoisIer.IlestlepremierducdeGuise.
SafilleMariedeGuiseépouseleroiJacquesVd’Écosseetfutrégented’Écosse
durantlaminoritédeleurfilleMarieStuartCettejeuneprincessefutélevéeàla
cour de France, elle en resta fort influencée devenue adulte, dans sa culture
personnelle.
La Maison de Guise jouit d’un statut particulier à la cour de France,
intermédiaire entre celui des princes du sang et celui des ducs et pairs. Sa
positionàlacouroscille,selonl’époque,entreunetrèsgrandeproximitéavecle
roideFranceetunehostilitémarquéeàsonégard.L’entréedesGuiseàlacour
estunsigneavant-coureurdesguerresdereligion.
Lacourdevientunlieudeluttesd’influenceentrecesdeuxgrandesclientèles
nobiliairescatholiqueetprotestante,conflitsauxquelslesfemmessontentraînées
danslesillagedeleursépouxoudeleursprotecteurs.MadamedelaFayettedans
sonouvrage LaPrincessedeClèvespubliéen1678,adonnéuneimagefidèledu
rôle des femmes dans cette cour brillante, rythmée par de nombreuses fêtes et
bals.Lafintragique duroiHenriIIest connue.Admirateurdelachevalerie,il
avaitrestauré la pratiquedes tournois quilui fut fatale.Au cours d’untournoi
organisérueSaint-AntoineàParis,illanceundéfiàMontgomery,lecapitainede
sagardeécossaise.Cedernieressayed’éluder,envain.Alorsilchargefaceàson
roi.Lesdeuxchevauxchargent,séparésseulementparlalice.Lechocalieuau
grandgalop.Montgomeryfrappedesalancel’écudesonadversaire.Elleéclate
souslechocetlemoignonpénètresouslavisièreduheaume,etblessantlecrâne
du roi qui meurt dix jours plus tard dans d’atroces souffrances. Cette tragédie
porte sur le trône François II, un frêle garçon de 15 ans, fils premier né de
CatherinedeMédicis.LesGuisesontnommésauxcommandesdel’Étatetcette
nominationesttrèsmalvécueparlesprincesdusangquilesconsidèrentcomme
desétrangers.Lesprotestants,eux,lesconsidèrentcommedesennemisenraison
deleurcatholicismeintransigeant.Laconspirationd’Amboisesenouecontreles
Guise.Detouteslesprovincesarriventdeshuguenotsenarmesquiconvergent
sur la ville avec le projet d’investir le château, de se saisir des Guise et de les
mettre à mort.Mal organisés les conjurés échouent.La répression est violente.
Milledeuxcentspersonnestrouventla mortetdesmillierssontemprisonnées.
Lacruautédecetterépressionestlesignedelafaiblessedupouvoir.L’heureuse
interventionde Catherine de Médicispermet de revenirà une politiquemoins
violente.EllechercheàobtenirduPapeunconcilequipermettraitderapprocher
protestants et catholiques. Mais le Pape s’y refuse tandis que les protestants,
assimilant les mesures d’amnistie à l’expression de la faiblesse du pouvoir
bafouent l’interdiction de réunion et rassemblent des armes et des fonds.
Certaines villes protestantes prennent leur indépendance vis-à-vis du pouvoir
royal.Laréactionduroiestempreintededétermination.Leseffectifsdel’armée
sontredistribuésdanslesprovincesagitées.L’ordresemblerevenirpeuàpeu.Le
lienentrecatholiqueetprotestantsn’estpastotalementrompu.En1563,Condé
anomméJeandeParthenaycommegouverneurdelavilledeLyonquiachoisila
Réforme. Ce dernier proclame la liberté de culte pour tous au sein de la ville.
ParthenayquialongtempsfaitpartiedesprochesdeCatherinedeMédiciseta
tentédelaconvaincred’adopterlareligionréforméeluiécritqu’ilgardelaville
de Lyon dans la fidélité au souverain. Les catholiques extrémistes sous le
commandement du duc de Nemours mettent quand même le siège devant la
ville.Uncomplotcatholiqueestourdidanslebutd’enleverlafemmeetlafilledu
gouverneuret deles emmenerdevantla villeà lavue deJean deParthenay en
menaçant de les mettre à mort s’il ne capitule pas. Henriette d’Aubeterre, son
épouse,lui écrit de lalaisser périr plutôtque de trahirleur cause sijamais elle
étaitfaiteprisonnière.
TENSIONSPOLITIQUESETGUERRESDERELIGION.
AUTOURDECATHERINEDEMÉDICISETDESESFILS
Danslemêmetemps,lestensionsenpolitiqueextérieureatteignentunniveau
alarmant.François II estl’époux deMarie Stuart,fille de Mariede Guise etde
JacquesVd’Écosse.Elleestreined’Écosseentitredepuislamortdesonpère,sa
mère Marie de Guise assurant la régence. Par une maladresse inconcevable,
François II fait réaliser un sceau qui témoigne sa prétention à la royauté de
France, mais aussi d’Écosse et d’Angleterre. Un parti de nobles écossais se
soulèveetacculeMariedeGuiseetsonentouragedeconseillersfrançaisdansla
forteressed’Édimbourg.FrançoisIIenvoiedestroupesquiparviennentàrompre
lesiège.MaislaFranceesttellementaffaiblieparlesluttesinternesqu’elledoit
retirersestroupes.Àlasuitedecesévènements,leroitombegravementmalade,
et malgré les soins que lui prodigue Ambroise Paré, il meurt en 1560 sans
descendance.SonfrèrecadetCharles,âgédedixans,luisuccède,souslenomde
Charles IX. Le 21 décembre, le Conseil privé nomme Catherine de Médicis
«gouvernantedeFrance»(Cahier-images,Pl.I).LesGuiseseretirentdelacour.
Marie Stuart, veuve de François II, retourne en Écosse. À la fin du règne de
FrançoisII,lesFrançaisontévacuél’Écosse,laCorse,laToscane,laSavoieetla
quasi-totalitéduPiémont.
Aprèslerègnededix-septmoisdesonfrèreFrançoisII,CharlesIXquiluia
succédé à l’âge de 10 ans, meurt en 1574, sans enfant mâle légitime à près de
24 ans. Catherine de Médicis, leur mère est à nouveau directement impliquée
danslegouvernementduroyaume.
Sous son règne, le Royaume est déchiré par les guerres de Religion, malgré
tous les efforts déployés par sa mère pour les empêcher. Après plusieurs
tentatives de réconciliation, son règne déboucha sur le massacre de la Saint-
Barthélemy.Ilestdifficiled’imaginerconflitsplusfratricidequecesguerres.Lors
dusacredeCharlesIX,en1561,CharlesdeBourbon,premierprincedusangest
nommé lieutenant général du royaume et il est susceptible, à ce titre, de
remplacer le souverain en cas de crise dans le royaume. Il est en même temps
l’époux de la reine de Navarre, Jeanne d’Albret, fervente protestante et mère
d’Henri de Navarre leur fils qui a choisi la religion de sa mère. Charles de
Bourbonsiègeauconseilprivéduroi,enremplacementducardinaldeLorraine
chef de file des ultras catholiques. Le prince de Condé, frère de Charles de
Bourbonetreconnuparlesprotestantscommeleurchefmilitaire.Catherinede
Médicisdéploiedeseffortsconsidérablespourquelesliensdusangparlentplus
hautsqueleschoixconfessionnels.Elleentreprendcourageusementuntourdes
villesdeFrancepourfairereconnaîtreetacclamerlenouveauroialorsquesur
tout le territoire se multiplient, à l’initiative des « huguenots » comme des
«papistes»,desmassacresoùlastupiditén’ad’égalequelacruauté.Lecortège
royalestaccueillidiversementdanslesdifférentesvilles,selonlaconfessiondes
habitants. Anecdote de la petite histoire, mais innovation politique durable,
Charles IX, lors de son passage au château de Roussillon signe l’édit éponyme
dont un article définit le 1 er janvier comme le début de l’année civile dans le
royaume.LesvillesprotestantesdeGascogneluiréserventunaccueilfroidmais
empreint de respect. À Montauban, il faut négocier le désarmement de la ville
assiégée par le maréchal de Montluc avant que le roi ne puisse y pénétrer.
À La Rochelle (dernière entrée d’un roi de France avant le siège de 1627), les
protestantsmanifestentleurmécontentement.ÀOrléans,leconvoiestaccueilli
paruneémeuteprotestantedanscettevillequiaétélequartiergénéraldeCondé
pendantlapremièreguerredereligion.Lasecondeguerreéclateen1567lorsque
leprincedeCondétented’enleverleroietlarégentedansuneopérationquifut
appelée la « surprise de Meaux ». Condé connaît un échec et regroupe ses
partisansarmésàSaint-Denisd’oùilmenaceParis.Lescombatslesopposentaux
arméesduroicommandéesparleconnétableAnnedeMontmorencyquitrouve
la mort dans les affrontements. L’armée royale tient bon. La suite des
affrontementssedérouleentreLoireetMeuseaucoursdestentativesdejonction
entrelesarméesprotestantesdeCondéetcellesdeColigny.Lanégociationdela
paix de Longjumeau aboutit à la remise en place des accords qui avaient été
conclusaprèsl’affaired’Amboise.
Quelques mois après la signature de l’accord de Longjumeau, une initiative
catholiquerelancelesaffrontements.Unetentatived’enlèvementdeCondéetde
Coligny échoue. Mais les chefs protestants se replient sur La Rochelle où ils
peuventrecevoirlesoutienmilitaireduprinced’OrangeNassau«Stathouder»
des Pays-Bas et le soutien financier de l’Angleterre. L’armée royale est sous le
commandement du duc d’Anjou, frère du roi et futur Henri III. Guillaume
d’Orange est obligé de rebrousser chemin. À Jarnac, le duc d’Anjou affronte à
nouveaulesprotestantsdansunebatailleouCondétrouvelamort.Désormais,
Coligny prend la direction des armées protestantes. Le duc d’Anjou écrase ses
arméesàMoncontour.L’éditdeSt-Germainde1570accordeauxprotestantsle
droitdepratiquerleurcultedanslesfaubourgsdesvillesetleuraccordequatre
placesdesûreté:LaRochelle,Cognac,MontaubanetLaCharitésurLoire.
On aurait pu espérer que la folie meurtrière s’éteigne à la suite de la
promulgationdecetédit.Maispendantlesfestivitésdumariagede Marguerite
deValois,filledeCatherinede Médicis,avec leroideNavarrefuturHenriIV,
l’amiraldeColignyestvictimed’unetentatived’assassinat.Lesprotestantsvenus
engrandnombreàParispourlemariageréclamentvengeance.L’enchaînement
desévènementsparlasuiteestrestéobscur.Sansdoutedésireuxd’anticiperles
représaillesdu parti « huguenot »,les chefs « papistes »,dont le duc de Guise,
décidentd’assassinerleschefsprotestants.C’estainsiquecommencelemassacre
de la Saint-Barthélemy, à Paris, dans la nuit du 23 au 24 août 1572. De là, le
massacresepropagedansungrandnombredevillesdeFrance.Lescatholiques
perdent tout contrôle et tuent leurs voisins protestants par crainte de
représailles ? Du massacre, on passe à la guerre qui se déroule essentiellement
entre l’armée royale et les villes de La Rochelle d’une part et Sancerre d’autre
part.L’épuisementfinancierdesdeuxcampsmetuntermeauxopérations.Parle
traitédeBoulogne,CharlesIXremetenvigueurlesclausesd’Amboiseetenlève
auxprotestantsCognacetLaRochelle.MaislesprotestantsduSuddelaFrance
rejettentl’éditroyaletrestentenarmes.Lafragileconfiancequiavaitpuexisterà
certaines périodes entre le pouvoir central catholique et les communautés
protestantes est rompue. Il s’est créé en France une sorte de république
protestanteaveccommecapitalesNîmesetMontaubanetungrandport,celuide
La Rochelle. En 1574, les protestants se choisissent un gouverneur général et
protecteurdesÉglisesréforméesenlapersonneduprinceHenriIer deCondé.
LasantéduroiCharlesIXatoujoursétédélicate.Underniercomplotajoute
une note finale aux souffrances endurées au cours de son règne. Un parti
composédegrandspersonnagesfrustrésden’avoirpasététraitésselonleurrang
ni selon leurs mérites et d’intellectuels qui théorisaient sur les formes de
constitutionquidevraientêtreappliquéesaugouvernementdelaFrances’était
constitué.Onlesdésignaitsouslenomde«partidesMalcontents».Parmiles
hautspersonnagesquiyadhérent,onnotelaprésencedeFrançoisd’Alençon,le
frère cadet du roi. Le roi de Navarre et le prince de Condé, qui ont abjuré la
religion protestante sous la contrainte en font partie, ainsi que le connétable
FrançoisdeMontmorencyquis’estretirésursesterres.CatherinedeMédiciset
CharlesIXtraitentavecindulgencelesprincesmécontents.LeprincedeCondé
estnommégouverneurdePicardie.MontmorencyentreauConseilduroi.Mais
en 1574, un incident, lié à une altercation, fait basculer le fragile édifice du
compromis.Les frèrescadets deMontmorency imaginentd’exfiltrerde lacour
les princes du parti des Malcontents où ils font l’objet d’une surveillance. Ils
arriventàStGermainenLaye,àlatêted’ungroupedecavaliersarmésdansle
butdeprotégerleurfuite.Maislesprincesnesontpasprêts.Parcontre,laCour
effrayée,s’enfuitàParis.LeroiCharlesIX,gravementmaladeesttransportéàla
forteressedeVincennes.
Leducd’AlençonetleroideNavarreconfessentleurprojetavortéàlareine
mère. Celle-ci appelle Charles IX à se montrer clément. Ce dernier rappelle
MontmorencyauconseiletpardonneàsonfrèreFrançoisd’Alençon.
Danscecontexteincertain,CharlesIXmeurtàVincennesen1574.Sonfrère,
leducd’Anjou,quiétaitpartipourCracovieenautomne1573àlasuitedeson
élection comme roi de Pologne, délaisse la couronne polonaise et rentre en
France où il est sacréroi sous le nom d’Henri III. en 1575. La même année,il
épouse Louise de Vaudémont-Nomény, princesse de Lorraine. Il n’a pas
d’héritierissudecemariage.
Le futur Henri III, avait reçu le titre de duc d’Anjou le jour de la mort du
connétable Anne de Montmorency lieutenant général du royaume auquel il
succèdedansla fonction.Iln’a queseizeans maisil s’investitpersonnellement
danslescombatsdesdeuxièmeettroisièmeguerresdereligion.Ils’étaitillustré,
en1569, danslabataille deJarnacoù LouisdeCondé avaitconnu ladéfaiteet
étaitmort.
AumomentdelaSaint-Barthélemyleducd’Anjouaapprouvél’actioncontre
les protestants sans toutefois y avoir pris part personnellement. Dans les
massacresquisuivirent,sonennemideMoncontour,l’amiraldeColignyperdit
lavie.
Le conflit rebondit en faveur des révoltés quand, un an plus tard, François
d’Alençon s’enfuit de la cour et prend la tête d’une armée de Malcontents. Ce
mouvementpasseàlarévoltearméeetfaitallianceaveclesprotestants.
La supériorité numérique des troupes coalisées contraignent Henri III à
s’incliner.UnepaixfragileestsignéeàÉtigny,fiefd’unpartisandeCatherinede
Médicis qui l’accueille à cette occasion sur ses terres. En mai 1576, le roi
confirme les termes de l’accord de paix par l’édit de Beaulieu qui répond
favorablementauxrevendicationsdesMalcontents.Ilaccordeauxprotestantsla
libertédeculteetdesplacesdesûretédontlesgarnisonsleursontfavorables.Il
créedesparlementsoùlesprotestantsetlescatholiquessontreprésentésàparts
égales.Lesdispositionsdecetéditsontlesracinesdecellesdel’éditdeNantesde
1598. Pour satisfaire les revendications des Malcontents, le roi s’engage à
convoquer lesÉtats généraux où les troisétats – noblesse, clergé ettiers état –
sont représentés. François d’Alençon reçoit le duché d’Anjou en apanage et le
princeallemandJeanCasimirrepartavecuneindemnitécolossale.
Catholiquesextrémistes,lesLigueurss’insurgentcontrelesdispositionsdela
paixde Beaulieu qu’ilstrouvent trop favorablesaux protestants.Ils constituent
desgroupesarmésunisentreeuxpardesengagementsd’assistancemutuelleetse
préparent à la guerre. Leur zone d’influence couvre la moitié nord du pays y
comprisla Bretagne.Leroi apparaîtde plusenplus isolé,entre lescatholiques
extrémistes, les protestants, et un groupe de « Politiques » ex-Malcontents qui
s’estréuniautourdelapenséedeJeanBodin.Économisteetpolitologue,Bodin
estpartisandelatoléranceetsoutientunethéoriedelasouveraineté«quifonde
en droit l’autonomie de l’État par rapport au problème confessionnel, et rend
légitime la liberté de conscience et de culte ». La réunion des états généraux à
Blois n’apporteaucune amélioration à la situationet la guerre recommence en
mai 1577. Les Politiques, soucieux de l’unité du royaume, rejoignent l’armée
royale.Françoisd’Alençon,ducd’Anjou,dirigelesopérations.Aprèsderapides
sièges,ilprend lesvillesdela CharitésurLoire,enmai, puiscelled’Issoire,en
juin.CharlesdeLorraine,ducdeMayenne,issudelafamilledeGuiseopèreen
Poitou. Charles de Montmorency (fils du connétable Anne de Montmorency),
duc de Damville assiège Montpellier. Encore une fois, aucun parti n’est en
mesuredel’emporter.LapaixdeBergerac,concrétiséeavecl’éditdePoitiers,met
unterme provisoireau conflit.Elle restreint lesconditions duculte protestant,
limitéàuneseulevilleparbailliageetseulementdanslesfaubourgs.
Catherine de Médicis entreprend, dans un but de pacification, un nouveau
voyage dans tout le royaume. Elle négocie avec les différents partis, avec les
gouverneurs des provinces, et avec les grandes familles du royaume en vue
d’établirunepaixqu’elleespèredéfinitive.Le28février1579,ellesigneaunom
duroiletraitédeNérac,quidonneauxprotestantsquinzeplacesdesûretépour
six mois. Six mois plus tard, au motif que leur sécurité n’est pas assurée, les
protestantsrefusentderendrelesplaces.
HENRIDENAVARRE,FILSDEJEANNED’ALBRET
Henri de Navarre à la tête d’un parti de protestants prend Cahors, ville
catholiquedéfendueparunegarnisonauxeffectifsplusnombreuxqueceuxdes
assaillants. La paix de Fleix (près de Bergerac) accorde le maintien de quinze
places de sûreté pour six ans aux protestants. Cette guerre est parfois appelée
guerredesAmoureuxenraisondesfêtesgalantesduchâteaudeNérac,oùHenri
deNavarreetsafemmeMargueritedeValois(lareineMargot)avaientréuniune
courcomposéedejeunesseigneursqueleursgalanteriesavaientfaitsurnommer
lesAmoureux.
Durant les guerres, l’autorité royale s’érode au profit des gouverneurs des
provinces. Côté protestant, Henri, roi de Navarre, seigneur en Rouergue et en
QuercyestenplusgouverneurdeGuyenne.CondéestgouverneurdePicardie.
Côtécatholique,lepartidesGuisecontrôlelesgouvernementsdelaBretagne,de
la Bourgogne, de la Champagne, et de la Normandie. Dans certaines régions,
dontlaProvence,lesdeuxpartissepartagentlepouvoir.
Enjuin1584,leducd’Anjou,Françoisd’Alençon,frèrecadetduroiethéritier
présomptif du trône meurt sans descendance. Henri III n’a pas lui-même
d’enfantetilestdouteuxqu’iln’enaitjamais.LadynastieValoisestmenacéede
disparaître. Depuis la fin de la dynastie capétienne, la règle de succession en
vigueurenFranceestcelledelaprimogénituremâlequiexclutlesfillesetleurs
descendantsdetouteprétentionautrône.
L’application de cette règle successorale a pour effet que le premier dans
l’ordrede successionn’est autrequ’Henri deNavarre,chef duparti protestant.
Mais les catholiques ne veulent en aucun cas d’un souverain protestant qui
risquerait d’imposer sa confession religieuse à tout le royaume. Le 17 janvier
1585,lesGuisesignentalorsaveclesEspagnolsletraitédeJoinvilleparlequelil
estconvenuquelesuccesseurd’HenriIIIseraitlecardinalCharlesdeBourbon,
oncle du futur Henri IV. Pour garantir la légitimation de ce candidat à la
succession au trône, Philippe II s’engage à verser les 50 000 écus par mois
nécessairesàlasoldedessoldatsdelaLigue.Auprintemps1585,laLigueprend
le contrôle de nombreuses villes. Pour donner des gages à ce parti, Henri III
publie l’édit de Nemours le 18 juillet 1585 qui interdit le culte protestant et
déchoit Henri de Navarre et Condé de leurs droits. Il reçoit l’appui du pape
SixteVquiluirappellequeleroideNavarreesthérétiqueetrelapse.
La guerre repend. Henri de Navarre inflige cependant de lourdes pertes aux
royaux dirigés par Joyeuse lors de la bataille de Coutras le 22 octobre 1587.
HenriIerducdeGuisebatlesreîtresprotestantsallemandsdurantlabataillede
Vimory(prèsdeMontargis),puisàlabatailled’Auneauenlamêmeannée.
GuisesefaitacclamerparlepeupledeParisquil’accueilleentriomphateur.Le
roiHenriIII,doitquitterlacapitalelorsdelajournéedesBarricadesdu12mai
1588.La ville estacquise à laLigue et àde Guise sonchef. Le roiprofite de la
réuniondesétatsgénérauxquisetientauchâteaudeBloispourfaireassassiner
le duc de Guise et son frère le cardinal Louis de Lorraine en décembre 1588.
Aprèscesdeuxmeurtres,HenriIII,bienmalinspiré,seseraitécrié:«Àprésent,
jesuisroi!».
À la nouvelle de l’assassinat deschefs de la Ligue, cette dernière rompt tout
contactavecleroidéclarétyranettraîtreàlacausecatholique.LeducCharlesde
Mayenne, frère des deux victimes et nouveau chef de la Ligue, prend alors le
contrôlede Paris. Enfévrier 1589,s’installe à Parisun conseilgénéral d’Union
auquelserallientplusieursgouverneurs.Lesdocteursdelafacultédethéologie
de Paris déclarent les sujets français déliés de leur serment de fidélité au roi.
Henri III n’a plus d’autre solution pour sauver son trône que de s’allier aux
protestantsduroideNavarre.Réconciliés,ilsjoignentleursforcespourassiéger
Paris. Henri III est assassiné à Saint-Cloud le 1er août 1589 par le dominicain
Jacques Clément. Ce crime fait d’Henri de Navarre, chef des protestants, le
nouveau prétendant au trône de France. Les Politiques, catholiques comme
protestants, reconnaissent la légitimité du nouveau roi. De plus, dès le 4 août,
HenriIV,influencéencesensparMicheldeMontaigne,proclamesonintention
desefaireinstruiredanslaconfessioncatholique.Lesprotestantsintransigeants
quittent alors le nouveau roi. Ils craignent que son éventuelle conversion ne
débouchesurunerestaurationdelacatholicitédupouvoiretnecréeunstatutde
sujetsauxdroitsinférieurspourlesprotestants.
LaLigue,quitienttoutelaFranceduNordetpeutcomptersurlesoutiende
Philippe II d’Espagne, refuse de reconnaître un roi protestant, même converti.
Dèslemoisd’août1589,lesligueursparisiensproclamentlecardinaldeBourbon
commenouveauroideFrance.Maiscelui-cimeurtenmai1590,laissantunvide
politiqueparmilesligueurs.Dessoldatsespagnolss’installentenBretagneeten
Languedoc. Philippe II donne l’ordre aux troupes d’Alexandre Farnèse
stationnées aux Pays-Bas de se rendre en France. Le duc de Savoie intervient
contre les protestants en Provence et en Dauphiné. Du côté des protestants,
ÉlisabethIred’Angleterreenvoiedesfondsetlesprincesallemands,destroupes.
En1589et1590,HenrideNavarremultiplielesopérationsprèsdePariseten
Normandie.Aprèslavictoired’Arques,iltenteànouveaulesiègedeParis.Au
boutdeplusieurssemaines,Henrisevoitcontraintdeleverlecamp,àcausede
l’armée espagnole envoyée par Alexandre Farnèse depuis les Pays-Bas pour
débloquer Paris. Dans la nuit du 20 au 21 janvier 1591, il tente à nouveau
d’investir Paris par la ruse en envoyant ses hommes de troupe déguisés en
marchandsdefarine.Cettetentativesesoldeparunnouveléchecetgardelenom
de«JournéedesFarines».
HenriassiègeRouen,envoieunearméetenirouvertelarouteverslesPays-Bas
protestantsetuneautreempêcherleducdeMercœurgouverneurdeBretagnede
menacer l’ouest de Paris. Sur le front sud, le duc de Montmorency parvient à
battrelafamilledeJoyeuseàlaquellelesMontmorencydisputentleLanguedocet
menacedésormaislavilledeTouloused’appartenanceligueuse.
En1593,lesétatsgénérauxdelaLigueseréunissentàParis.Ilsdemandentun
souverain catholique. Henri IV comprend de son côté qu’il ne sera jamais
acceptés’ilresteprotestant.DesnégociationsontlieuàSuresnesentrefinavrilet
finmai1593.Ilannoncesaconversionaucatholicismeetabjureàlacathédrale
deSaint-Denisle25juillet1593.CetteconversionluiouvrelesportesdeParisen
1594.IlestsacréàChartresle27février1594,lavilledeReimsétanttenueparles
Ligueurs. Le 7 décembre 1595, le pape reconnaît la légitimité de la succession.
Lesralliementsauroilégitimes’accélèrent.
Durablement installé dans sa capitale, Henri IV peut songer à finir la
reconquêtedesonroyaume.Ildéclareformellementlaguerreàl’Espagne.Ilse
porte, à la tête de l’armée royale au-devant des 13 000 soldats espagnols et
ligueursIllesmetendéroute,le5juin1595,àlabatailledeFontaine-Française.
CharlesIIdeLorraine,ducdeMayenneunefoisvaincu,laLiguenobiliairecesse
peuàpeud’exister.En1596,lejeuneducCharlesIerdeLorraine-Guisequis’est
rallié au roi assiège la ville de Marseille. Henri IV peut faire son entrée royale
danslavilledeLyonquil’accueillechaleureusement.Mayenneetlecardinalde
Joyeuse fontleur soumission au roi. Seul le gouverneurde Bretagne, le duc de
Mercœur conserve sa ligne de conduite ligueuseet reçoit le renfort de troupes
espagnolesenvoyéesparPhilippeII.
ITALIANISATIONET«FÉMINISATION»DELACOUR
ETDESESUSAGES
L’esprit du temps peut nous sembler surprenant. Dans ce pays en guerre,
ravagéparlescombatsentrefactions,combatsponctuésd’atrocesmassacres,se
développeunecourdeFranceetmêmedescourssil’oninclutcellesdesducset
princes ; les femmes y ont une place de choix. Sans doute faut-il voir là
l’influence italienne sur l’aristocratie française. Il existait en Italie depuis le
«Quattrocento»,sousl’influencedepenseursdontleplusconnuestMachiavel
unmodèledephilosophiedupouvoirquiagagnélaFranceàtraverslesguerres
d’Italieetàtraversl’arrivéeàlacourduroid’artistesetpenseursItaliensdansle
sillagedeCatherinedeMédicis,épousedeHenriII.Leshumanistesdeviennent
dans le courant du XVIe siècle les conseillers des princes italiens. Machiavel a
servilesintérêtsdeFlorenceauprèsdesMédicisenintégrantlaChancellerieet
enécrivantlesouvragesderéférence,telsque LePrinceetl’ArtdelaGuerre,sur
l’art de la bonne gouvernance auxquels fait écho, en France, l’Institution du
PrincedeGuillaumeBudé.
Le prince italien de la Renaissance se doit d’être un personnage cynique et
manipulateur,capabled’utiliserlaviolencesielles’avèreêtreunmoyendebonne
politique. Il s’entoure d’une cour composée d’aristocrates d’humanistes et
d’artistes. La magnificence de la vie courtisane est la mise en scène de son
pouvoir.Iln’estpluslemaîtredeguerremédiévalexpertdanslemaniementdes
armes et apparaît plus souvent en costume d’apparat qu’en armure. Les armes
ont changé, la lourde épée maniée à deux mains, les masses d’armes et les
cuirassesontfait placeà la«fine lame» dontlemaniement estle domainede
prédilectiondesbretteursprofessionnels.C’estl’époquedu«coupdeJarnac»où
le savoir-faire dans le maniement des armes amène les princes à former des
arméesdeprofessionnels.L’émerveillementdelapopulationparlasplendeurdes
demeuresprincières,larichessedescollections,lasomptuositédescostumessont
lespiècesessentiellesàlaconstructiondel’imagedesdétenteursdupouvoir.
Roi et princes français de la Renaissance ont compris ce message et, de
François Ier à Henri IV, ont modelé leur cour en suivant une inspiration
italienne.
Cette « italianisation » a atteint son apogée sous Henri III. Le roi a épousé
Louise de Vaudémont une cousine des Guise. Cet univers est brillant, très
féminiséetouvertàl’artetàlacultureitalienne.Lacoursedéplaceduchâteau
de Fontainebleau, au palais du Louvre, au château de Madrid à Neuilly, ou
encore à Saint-Germain-en-Laye. Au printemps et en été elle migre en val de
Loire,àBloispuisàChambord.En1564,CatherinedeMédicisfaitconstruirele
palais des Tuileries pour y installer la résidence royale à Paris. Édifié entre les
actuels pavillons de Flore et de Marsan du Louvre, il se trouve dans l’axe des
futursChamps-Élysées.LejardindesTuileries,surlepérimètreactuel,estcrééà
cetteépoquesouslaformed’unimmensejardinàl’italienne.
Sous le règne d’Henri IV la cour est moins fastueuse et respecte moins
l’étiquettemiseenplacesousHenriIII.Uncérémonialprécisestédictédès1585.
Ilrèglelerythmedeviedesfemmesetdeshommesagréésàlacoursansomettre
laquestionduportdesvêtementsadaptés.Danssonouvragedésormaisclassique
LaCivilisationdesmœurs(1939),NorbertEliasaanalyséleprocessuscivilisateur
quisemitenplacedansleroyaumedeFrance.Laviedeshommesetdesfemmes
à la cour fut marquéepar la gestion des pulsions violentes, héritées d’un autre
âge. L’aménagement des demeures seigneuriales est organisé en espaces
appropriés aux différentes nécessités du quotidien. La promiscuité médiévale
disparaîtetlaisselaplaceàunecertainepudeurdanslavieintimeetlesrelations
sexuelles. La cour se civilise avec l’entrée des femmes dans l’entourage des
princes.Cemodedevierelativementpolicésediffusedanslesélitesbourgeoisies
quitravaillentauservicedesprinces.
Lyon,prochedelafrontièredelaSavoie,citécosmopoliteattirantlesartistes
italiens,joueunrôledécisifdanscetteévolutiondesmœurs.Demultiplesateliers
d’imprimeries’ysontinstallésdès1473.Uneécoledepoésies’ydéveloppeautour
de Maurice Scève, qui exalte sa passion pour la belle Pernette, savante mais
mariée.ÀLyonencorevitLouiseLabéquiécritdespoèmesettientsalon.Dela
maigre documentation sur sa personne ressort une image de femme libre
d’esprit,pratiquantl’équitation,habileàtirerl’épée,chantantlesamoursqu’elles
fussent ou non hétérosexuelles. Avec Maurice Scève et Pernette du Guillet,
LouiseLabéappartientàunesupposée«écolelyonnaise»aupointquecertains
lasoupçonnentd’êtreunecréaturedepapier.Lavilleestunpôleculturelgrâceà
larenomméedesessalons,del’imprimerielyonnaiseetduCollègedeLaTrinité,
fréquentépardesintellectuelsetécrivainscontemporainscommeÉtienneDolet,
RabelaisouMarot.
Lescourantsartistiquesdutempsnaissentautourdel’écoledeFontainebleau,
elle-même liée aux artistes auxquels a été confiée la décoration du château. Le
Rosso et Primatice ont entrepris un vaste programme de peintures et se sont
entourésàceteffetdejeunespeintresfrançais.Dansledomainedelasculpture,
Jean Goujon s’inspire de modèles antiques et propose des œuvres au caractère
marquécommelaFontainedesInnocentsàParisoulatribunedesCaryatidesau
Louvre. Sous Henri II, les travaux de Fontainebleau continuent. L’architecte
PhilibertDelormeprendenchargelechantier.Onluidoitégalementlecélèbre
châteaud’AnetoffertparHenriIIàsafavoriteDianedePoitiers.Danscenouvel
art de vivre,la disposition des appartements,distingue entre pièces à caractère
public,sallesdespectacles,debal,decérémoniesetappartementsprivés,lieuxde
la vie quotidienne et cabinets de travail, salles de réunion pour les conseils
restreints.Ledécorintérieurvoitlamultiplicationdesmeublesetdessecrétaires
ornés de marqueteries à l’italienne, les tapisseries s’ornent de motifs
mythologiquesetlestableauxsemultiplient.Lecadredeviefleuritcommesila
viequ’onymèneétaitdouceetsedéroulaitpaisiblement.Etpourtant,lesguerres
de religion, les guerres de succession font rage et se répercutent à la cour. Les
seigneurs de haut rang, roi, princes et ducs ont des gardes personnels qui les
protègentjouretnuitetlesaccompagnentdanstousleursdéplacements.Malgré
cela, le duc de Guise et le cardinal de Lorraine tombèrent sous les coups des
assassinsmandatésparleroiHenriIII.Lui-même,pourn’êtrepasrestéauprès
des hommes chargés de le protéger, tomba sous les coups du moine Jacques
Clément.
« La guerren’est que le prolongementde la politique par d’autresmoyens »
Clausewitzécrivitceprincipesurlepapiertroissièclesplustard,en1832.Ilfaut
rendreauxpuissantsdelaRenaissancequel’idéecommençaitàfairesonchemin
dans leurs esprits. Il est remarquable que la diminution de l’appétence des
hommes pour la guerre s’accompagne de l’entrée en politique des femmes
prochesdescerclesdupouvoir.
Politiqueetmécénatdesreines,desrégentesetdesmaîtressesdesrois.Quels
sontlespouvoirsdesfemmes?
Laloiélaborée,selonlesrecherchesdeshistoriens,entreledébutduIVeetle
VIe siècle, pour le peuple des Francs dits « saliens », dont Clovis fut l’un des
premiersrois,fixaitlesrèglesdeviedecespopulations.Cecode,rédigéenlatin,
privilégielasuccessiondynastiquedepèreenfils.Cetteloifutmêmeréécriteau
fil du temps et réinterprétée afin d’écarter totalement toute succession par les
femmesdansladynastiedesCapétiensdirectspuisdesCapétiens-Valoisetenfin
des Bourbons. Les femmes n’existent juridiquement pas dans la chaîne des
successions dynastiques. Seul le roi est sacré à Reims. La reine peut recevoir à
Saint-Denisuneonctionsainte,gagedefertilité.Lareinereçoitaussiunanneau
symbolique,figurantlaTrinité,symboledesesdevoirs:laluttecontrel’hérésieet
laprotectiondespauvres.Encasdenécessitélareinepeutêtredésignéecomme
régente.
DEUXRÉGENTESFACEAUXCRISESDUROYAUME
AucoursduXVIe siècle,demultiplesrégencesfurentexercéesparlesreinesen
titre:
– 1515 : régence de Louise de Savoie, mère de François Ier, pour cause
d’absencedecedernierpartiencampagnemilitaireenItalie.
– 1524-1526: régence deLouise deSavoie, mèrede François Ier,pour cause
d’absencedecedernier,prisonnierenEspagne.
– 1552 : première régence de la reine Catherine de Médicis, épouse du roi
HenriII,pourabsencedueau«voyaged’Allemagne»,expéditionmilitaire
quiaboutitaurattachementauroyaumedeMetz,Toul,Verdun.
– 1560-1563: deuxième régence dela reine Catherinede Médicis, veuvedu
roiHenriIIet mèreduroiCharlesIX,pourcause deminoritédecelui-ci
(Cahier-images,Pl.I).
– 1574 : troisième régence de la reine Catherine de Médicis, mère du roi
HenriIII,pourcaused’absencedecelui-ci,jusqu’àsonretourdePologne,
dontilavaitétééluroi.
LouisedeSavoie,mèredeFrançoisIer estveuveàdix-neufans.Elleseconsacre
àl’éducationdesesenfants,MargueriteetFrançoistousdeuxconfiésauxsoins
des mêmes précepteurs. Elle leur achète les copies de nombreux manuscrits
destinésàleuréducation.
Louise est âgée de trente-huit ans, lorsque le roi Louis XII meurt sans
descendance, en janvier 1515. François, au premier rang dans la liste de
succession,héritedutrônedeFrance.
L’influencedeLouiseauprèsdesonfilsestconsidérable.Ellefaitetdéfaitson
entourage politique. Duprat lui doit son élévation au rang de chancelier,
SemblançayetleconnétabledeBourbonleurdisgrâce.Elleestdeuxfoisrégente
deFrancependantlescampagnesitaliennesdesonfils:en1515,lorsqu’ilpartit
affronterlesSuissesàlabatailledeMarignan,puisànouveauen1525-1526.La
régencedeLouisedeSavoieestl’exercicetotaldupouvoirroyaldansunclimat
degrandesdifficultés,aprèslacaptureduroilorsdelabatailledePavie.Dufait
desonexpérience,ellepeutassurerlacontinuitédelapolitiquedecentralisation
du royaume qu’elle a conçue avec Duprat et se livre, malgré la fragilité de la
position du royaume, à une contre-offensive diplomatique contre l’empereur
Charles Quint. Elle fait alliance avec l’Angleterre de Henri VIII et l’Empire
ottomandeSolimanleMagnifique.Fortedecesalliances,elleobtientdeCharles
QuintlalibérationduroiFrançoisIeren1526contreladétentiondesespetits-fils
aînésFrançois etHenri. Elleest àl’initiative dela négociationavec Marguerite
d’Autriche, gouvernante des Pays-Bas des Habsbourg, sa belle-sœur, tante de
CharlesQuint,négociationquiaboutitàlapaixdesDames,signéeàCambraile
5 août 1529. Cette parenthèse dans l’affrontement entre le roi de France et
l’empereur est un succès diplomatique considérable. D’abord, le roi de France
peutgarderlaBourgogne.Ensuite,ilretrouvesesfilsqu’ilavaitdûlaissercomme
otages en Espagne pour pouvoir lui-même sortir des prisons impériales où il
séjournaitdepuisledésastredePavie.C’estàsamèrequeFrançoisdoitcegrand
succès. Une anecdote révèle pourtant combien certains courtisans ne sont pas
capablesd’envisagerqu’unefemmepuisseêtredotéedetelstalents:JohnClerk,
évêque de Bath and Wells et ambassadeur d’Henry VIII à la cour de France,
estimeeneffetjudicieuxdeconseilleràLouisedeSavoied’exploiterlefaitqu’elle
est une femme et de « supplier à genoux l’empereur » de libérer ses petits-
enfants.Ilatoutefoislafinessedesentirqu’«ellenel’apastrèsbienpris».
HéritièredeSuzannedeBourbon,dontelleestcousinegermaine,elleentreen
conflit avec Charles III, le connétable de Bourbon, lui aussi héritier de son
épousedontiln’apasd’enfantvivant.Onconnaîtlasuiteetledénouement:la
trahison du connétable qui s’enfuit de France et se met au service de Charles
Quint en 1523. Elle a, de cette façon, contribué à l’abaissement du dernier des
grandsféodaux deFrance. La disgrâcede Semblançayet samise en accusation
devantleParlementdeParisneluisontpasattribuablesaveccertitude.Leroiet
sa mère ont cependant trouvé un tel profit à l’issue de la condamnation et de
l’exécution de ce dernier qu’il est difficile d’imaginer qu’ils n’aient
instrumentalisé les acteurs de ce drame. Semblançay était à la fois chargé des
financesdeLouiseet desfinancesduroyaume.Dans cettedernièrefonction,il
devait emprunter des sommes considérables pour couvrir les dépenses des
guerresetlesdépensesd’apparatdelacour.Ilexerçaitcemétierdebanquiersans
que les règles de cette profession soient clairement établies. Sa fortune
personnelle servait de garantie auprès des créanciers. De plus, il puisait dans
l’immense fortune de Louise qui était devenue ainsi la première créancière du
royaume. À l’extérieur du cercle royal, il empruntait contre intérêts, alors que
lorsqu’il prêtait au roi, il lui étaitinterdit de pratiquer l’intéressement. Pour se
défrayer,ilpratiquaitl’escomptesurlestraitesqueleroyaumepossédaitsurdes
tiers. Il semble que l’origine de ses problèmes se trouve dans la défaite de la
bataille de La Bicoque qui entraîna la perte du Milanais. Odon de Foix qui
dirigeaitl’arméedeFranceseplaintdecequesesmercenairesn’avaientpasété
payés, faute de l’argent que devait lui envoyer Semblançay. Une partie d’entre
eux, soutient-il, refusa de se battre. Semblançay se défend en disant qu’il a été
obligé par Louise de Savoie de lui remettre la somme disponible à cet effet en
remboursementd’unepartiedeladettequ’illuiafaitcontracteraubénéficedu
royaumedeFrance.Lesminutesduprocèsn’ontpasétéretrouvées.Parcontreil
existeunelettreparlaquelleleroigarantitl’héritagedesesenfants.Semblançay
estcondamnéàmort.Leroirejettesonappel.L’exécutionàlieuenjuillet1527.
Apparemment, Louise de Savoie est rentrée dans ses fonds. Le roi n’a plus de
dettes puisque Semblançay garantissait ses emprunts sur ses biens personnels.
L’opérationauraitalorseupourbutdefaireporterlesdettesduroyaumesurles
prêteursdeSemblançay.
Louise de Savoie, comme sa fille, Marguerite d’Angoulême, protège les
premiersRéformateursdontJacquesLefèvred’Étaplesetlesmembresducénacle
deMeaux:leprotestantismeserépandrapidementdansleurentourage.
LouisedeSavoiemeurtle22septembre1531,dessuitesdesesmaladies,alors
qu’elleserendaitdanssonchâteaudeRomorantinavecsafille,pourfuirlapeste
qui sévissait à Fontainebleau. François, qui apprend le décès le lendemain
23septembre,ordonnepoursamèredesobsèquesdignesdu«roi».Lecorpsde
LouisedeSavoiefuttransportéàSaint-Maur-des-fossés,pourêtreembauméau
couventdeSaint-Antoinedeschamps.Unconvoiofficielfutorganisé,lecercueil
était recouvert d’un drap d’or brodé de motifs d’hermine, il était surmonté de
l’effigie en cire de Louise, coiffée de la couronne ducale et, elle portait un
manteau ducal et tenait un sceptre en main. Le convoi traversa Paris suivi des
corps constitués selon leur rang hiérarchique. Une cérémonie se déroula à la
cathédrale Notre-Dame de Paris, le lendemain l’inhumation eut lieu dans la
cryptedelabasiliqueSaint-Denis,selonlecérémonialdécidéparFrançoisIer .
ClémentMarotdépeintLouisedeSavoiecommeunesaintequiaréforméla
courdeFranceetluiaenfindonnédebonnesmœurs,àtelpointquesontrépas
laisse le pays et la nature sans vie, les nymphes et les dieux accourent et
gémissent. Il la dépeint comme évangélique dans sa conception de la vie.
Devons-noussuivreMarotoùapprécierLouisedeSavoiecommeuneadeptede
Machiavel qui s’autorisel’usage de la violence lorsqu’elle permet d’exercerune
politique efficace ? Dans l’état des sources actuellement connues, il n’est guère
aisédetrancher.
Catherinede Médicis,princesse italienneoriginairede Florence,fut l’épouse
duroiHenriII.ElleaencommunavecLouisedeSavoied’avoirexercéplusieurs
régences au cours desquelles elle a pleinement agi en tant que dépositaire de
l’autorité royale. Sa jeunesse est marquée par un violent conflit armé entre le
Pape et l’Empire. Sa mère et son père sont morts alors qu’elle était très jeune.
Cettepériodedevacancedupouvoirsuscitedesespoirschezlesrépublicainsde
Florencequisesoulèvent.Catherinenedoitsasurviequ’àlaprotectiondeson
cousin le pape Clément VII (Julesde Médicis). Elle reçoit, dans l’entourage de
sonprotecteur,uneéducationraffinée.Entantqu’uniquehéritièredelabranche
aînéedesMédicis(familledominantalorsFlorence)etavecuncousinPape(àla
têtedesÉtatspontificaux),CatherinereprésenteunpartiutilepourFrançoisIer
dans le contexte des Guerres d’Italie. Cependant, il préfère marier Catherine à
sonfilscadetHenri,nondestinéàrégner,seréservantdetrouverunefillederoi
oud’empereurpourledauphinsonfilsaînéFrançois.
CatherinequitteFlorenceenseptembre1533etrejointlaFranceàborddela
galèredupape.Elleapporteavecelleunedotde100000écusd’argentet28000
écusdebijoux.Ilavaitétéconvenudanslecontratquelepapeprocureraitune
dotassezimportantepourcomblerletroudesfinancesroyales.Lemariagealieu
àMarseille,le28octobre1533,enprésenceduPape.Lecontratdemariageest
signéaprèsuntraitéd’alliance,quiprévoitquelepapeaideleroiFrançoisIerà
reconquérirlesduchésdeMilanetdeGênes.
Letraitéd’alliancepasplusquelecontratdemariageneproduirontleseffets
escomptés.ClémentVIImeurtl’annéesuivante.LepapePaulIII,sonsuccesseur,
romptletraitéd’allianceetrefusedepayerladot.LecommentairedeFrançoisIer
estjustebien quecavalier:« J’aieula filletoutenue» seserait-ilexclamé.Au
débutdesonmariage,Catherinefaituneentréetimideàlacour.Elleatoutjuste
quinzeans,etnemaîtrisepasencorelefrançais.Bienqu’ellesoitappréciéepour
sa gentillesse et son intelligence, la jeune femme pâtit de la conception des
aristocratesfrançais pourqui l’exercice d’uneactivité bancaire oucommerciale
estperçucommeunedéchéance.Safamilleestperçuecommeroturière.Quantà
sonmari,ilestplusintéresséparsonamieetconfidenteDianedePoitiers,bien
qu’ellesoitâgéedevingtansdeplusquelui.
Le10août1536,ledestindeCatherinebascule.LefilsaînédeFrançoisIer,le
dauphinFrançois,meurtsoudainement,faisantdel’épouxdeCatherinel’héritier
du trône. Catherine devient dauphine de Viennois et duchesse de Bretagne
(1536-1547).ElleprendprogressivementsaplaceàlaCour.
MaisCatherineetHenrin’onttoujourspasd’héritier(ilsmirentdixansàen
avoir un). Pour Catherine, la menace de répudiation plane dès 1538. Mais elle
reçoitl’appuiinattendudeDianedePoitiers,saproprecousineetcelled’Henri.
EllelaisseHenriarborerpartoutlescouleursdeDiane.
Elle bénéficie de l’amitié du roi son beau-père qui apprécie sa culture et sa
vivacitéd’esprit.Elleaencommunavecsabelle-sœurMargueritedugoûtpour
les arts et lettres, Catherine devient son amie. Avec la reine de Navarre,
Marguerite d’Angoulême, elles participent à l’élévation culturelle de la cour,
notammentparleurscompositionslittéraires.
Alors qu’elle craint de plus en plus d’être répudiée après dix années
d’apparenteinfertilité,ellemetaumondeunfilsen1544:François,lefuturroi
François II et futur époux de la reine d’Écosse Marie Stuart. Sa naissance est
suivieparcelled’unefille,Élisabeth(futureépousedePhilippeIId’Espagne),qui
confortelapositiondeCatherineàlacour.ÀlamortdeFrançoisIer,le31mars
1547,sonépouxdevientroisouslenomd’HenriII.Ennovembre,Catherinemet
aumondesontroisièmeenfant,unefille,prénomméeClaudeenhommageàla
mèredu roi, futureduchesse de Lorraine.Elle met aumonde dix enfantsdont
septsurvivent.Parmieux,lesfutursroisCharlesIXetHenriIII,Margueritede
France,future reinede Navarreparson mariageavec HenriIV, etFrançois de
France, futur duc d’Anjou, un temps en révolte contre l’autorité royale avec le
partidesMalcontents.
Reine de France depuis qu’elle a reçu l’onction à Saint-Denis en 1549,
Catherine s’entoure de conseillers de son choix. Elle accueille des Toscans
opposés à son lointain cousin Cosme Ier de Médicis qui dirige Florence et la
Toscanedemanièreautoritaireetsemontrefavorableàlacausedel’empereur.
Ces réfugiés politiques issus d’une brillante intelligentzia rendirent de grands
services au sein des armées royales et furent d’habiles conseillers politiques.
Malgré ou à cause de leurs qualités, ils sont dénigrés par les aristocrates de
souchefrançaise.
CatherinedeMédicis avécu uneépoqueterriblemarquée parlesguerres de
religion.Deson épouxHenriII, mortdansun accidentsurvenuaucours d’un
tournoi, à son dernier fils Henri III assassiné par un moine ligueur, elle a vu
disparaître aussi ses deux fils les rois François II et Charles IX. Outre les trois
régencesformellesqu’elleaexercées,elleaassurélacontinuitédupouvoirroyal
depuis1549,dateoùellereçoitl’onctiondereinedeFrancejusqu’àsamorten
1589.ElleappuyaunemonarchiecatholiquetoléranteetgallicanefaceàlaLigue
catholique intolérante inféodée à la famille de Guise et contre les huguenots.
Devenue veuve et après plusieurs échecs dans sa politique courageuse de
pacificationentrecatholiquesetréformés,ellefitédifierunsplendidetombeauà
sonépoux.Cependantunouvrageparuen1575(aprèsl’horriblemassacredela
St-Barthélemy)Discoursmerveilleuxdelavie,actions,déportementsdeCatherine
deMédicisfutprobablementàl’originedela«légendenoire»deCatherinede
Médicis.Cettedernièrefutenrichieparladécouvertedusecrétaire«àsystème»
qu’elle avait fait installer, sans doute pour protéger son courrier, dans ses
appartementsduchâteaudeBlois.LeXIXe siècle romantiquesepritdepassion
pourl’étudedel’histoiremédiévaleetdelaRenaissance.Lespersonnagesdecette
époque firent leur entrée dans la littérature, la sculpture, la peinture et, même
l’architecture avec les bâtiments néo-gothiques et néo-renaissance. Un tableau
d’ÉdouardDebat-Ponsanintitulé«UnmatindevantlaporteduLouvre»(1880),
musée d’art Roger-Quilliot à Clermont-Ferrand, représente Catherine de
Médicisfigée dans uneattitude hautaine, suivied’une cour brillantedevant les
cadavres dépouillés amassés à la porte du Louvre. Alexandre Dumas n’est pas
plusindulgent dans leportrait d’uneCatherine de Médicismachiavélique qu’il
dressedanssonroman LaReineMargot(en1845).Letraitementdupersonnage
durôle-titreestpireencorequiajoutelalubricitéàlaperversité.
Les travaux de Denis Crouzet en 2005 sur la correspondance de Catherine
donnentuneimagetotalementdifférentedesapersonnalitéetdesintentionsqui
l’animaientlorsdesesnégociationsdiplomatiques.Soncourrier,trèsabondant,
secomposedetextesdepropositionsd’accordetd’ordresqu’elledonneauxchefs
militaires et gouverneurs de duchés. Ses instructions sont, invariablement
d’éviterlesviolencesetderechercherle«vivreensemble».
Elle a par ailleurs fait preuve d’un immense courage lorsqu’en 1564 elle a
entreprisuntourdeFrancede28moispourprésentersonfils,leroiCharlesIXà
la population et aux corps constitués, à travers le territoire qui fourmillait de
bandesarmées.
En1578, elleentreprendunnouveau tourdeFrance quicommencepar une
tentative de réconciliation entre son fils François d’Alençon et Henri III. Elle
visiteensuiteleLanguedocoùellerencontreleschefsprotestants,puisserenden
Navarre pour tenter une réconciliation entre Marguerite sa fille et l’époux de
celle-cilefuturroiHenriIV,toujoursdansunclimatdepaixarmée.Enfin,lors
de la journée des barricades, en 1588, elle n’a pas peur d’affronter la rébellion
parisienneconduiteparleducdeGuise,enparcourantlesruesdeParisàpiedet
ensefrayantuncheminparmilesbarricades.Parsoncombat,enversetcontre
tous, pour la concorde, Catherine de Médicis est, aux yeux des historiens
contemporainsunepersonnehorsducommunquiimposelerespect.
«LAMARGUERITEDESMARGUERITES»HUMANISTE
ETÉCRIVAINENÉEÀANGOULÊME
FEMMESCULTIVÉESMÉCÈNESOUÉRUDITES
LapersonnedeDianedePoitiersetsonhistoiresontbiendifférentes.Néeen
1499 elle était en fait originaire d’une famille provençale. Fort jeune on lui fit
épouseràlacourLouisdeBrézé,petit-filsdeCharlesVIIetdesafavoriteAgnès
Sorel.QuelquesannéesplustardDianedevintdamed’honneurdelamèreduroi
FrançoisIer ,LouisedeSavoie,etpréceptricedesfilsduroi,dontlefuturHenriII.
Devenue veuve, Diane se battit pour défendre son patrimoine et celui de ses
filles. Elle devint la maîtresse du jeune roi Henri II et resta son amie proche
pendantvingtans.LeroiluioffritlechâteaudeChenonceauetluifitaccorderle
titre de Duchesse de Valentinois afin de confirmer son rang à la cour. Diane
connutlapérilleusedistinctiond’êtrenomméeparmilesdamesd’honneurdela
reine Catherine de Médicis. Le pouvoir exercé par Diane fut celui de proche
conseillèreduroidansl’organisationdelasplendeurdesonimage.Àcetitreelle
est avant tout une mécène. Elle fait travailler plusieurs peintres et sculpteurs
italiens dont Le Primatice et Benvenuto Cellini. En sa qualité de favorite, elle
engagea l’architecte Philibert Delorme, auquel elle confia les travaux de son
château d’Anet (Eure et Loir, non loin de Dreux). Ce magnifique château fut
conçuselonlestyledelaRenaissanceavecuneforteinfluenceitalianisante.Pour
ledécoretlemobilierladuchessefittravaillerbonnombredegrandsartistesde
l’époque. Un des dessins du Primatice annoté figure Phèdre et Hippolyte
(conservéauMusée duLouvre).Lemaître verrierNicolasBeaurainauquel elle
avait commandé des grisailles mythologiques pour son château d’Anet réalisa
ensuitelesvitrauxdelaSainte-ChapelleduchâteaudeVincennes.Ellefitappel
auspécialistedesémauxLéonardLimosinauquelHenriIIcommandaunesuite
d’émaux destinés à la décoration de la Sainte-Chapelle. Diane fit nommer
PhilibertDelorme surintendantdes bâtimentsroyaux.La favoriteprotégea àla
courleshommesdelettresPierredeRonsardet JoachimduBellay.Cedernier
loualabeautédusited’Anetetdesesjardinsàl’italienne.
CatherinedeParthenayestnéeen1554auParc-MouchampsenVendée,dans
unefamillecalviniste.Versl’âgedeonzeans,ellereçutlesleçonsdel’avocatet
mathématicien François Viète, secrétaire auprès de son père Jean V de
Parthenay-Lévêque, seigneur de Soubise et de sa mère Antoinette d’Aubeterre,
dont on a vu qu’ils étaient des gens de caractère. Son éducation est
exceptionnelle.Elleappritlelatin,legrecetl’hébreu.Elleallial’éruditionàlafoi.
Poétesse,dramaturgeetmécène,elleestmariéeàquatorzeansaubaronCharles
de Quellenec. Elle lui intente plus tard (avec sa mère) un procès pour
empêchement dirimant demeuré célèbre. Cependant, à la mort de son mari,
assassinélorsdelaSaint-Barthélemy,ellecomposeuneélégieàsagloireetàcelle
de l’amiral de Coligny. Peu après, elle fait jouer dans La Rochelle assiégée une
tragédie,«Holopherne»,dontilnerestequepeudetraces.
Douée pour les mathématiques et pour la littérature, elle est mariée en
secondes noces au vicomte René II de Rohan, dont elle eut six enfants. Veuve
unesecondefois,elleseconsacreàl’éducationdesesfilsHenrietBenjamin,et
desesfilles,Anne,CatherineetFrançoisedeRohan,danssonchâteaudeBlain,
puis au parc-Mouchamps. Connue au grand siècle comme la mère des Rohan,
ellereprochesonabjurationàHenriIVdansunpamphletpubliéanonymement
maisquiluiestunanimementattribué.Quelquesannéesplustard,elledéplorasa
mortdansuntrèsbeaupoème.TallementdesRéauxenalaisséleportraitd’une
femme lunatiqueet quelque peudécalée. Vers lafin de sa vie,elle combat aux
côtés de ses enfants pour faire respecter l’esprit de l’Édit de Nantes, mais son
partiestvaincuàLaRochelle,aprèsunsiègehéroïque,oùl’onditquelorsdela
famine, elle et sa fille Anne mangèrent le cuirdes chevaux. Emprisonnée, puis
exiléesursesterressurordredeLouisXIII,ellemeurttroisansplustardsurles
lieuxdesanaissance,âgéedesoixante-dix-septans.
OnlanommeselonlesépoquesdesavielabaronneduPonsoulamèredes
Rohan.
JEANNED’ALBRET:ACTRICETENACEDUPARTIRÉFORMÉ
Jeanned’Albretnéeen1528estlafilledeMarguerited’Angoulêmeetduroide
Navarre,Henrid’Albret.NièceduroideFrance,FrançoisIer,ellefutélevéesous
sonautoritéàlaCour.ElleépousaAntoinedeBourbon,princedusang(Cahier-
images,Pl.II).
Jeanneavaitmontré,d’abordavecprudence,sasympathiepourlaconfession
réformée. C’est au cours de l’année 1560 qu’elle choisit le clan des Réformés.
C’estpeut-êtresousl’influencedeThéodoredeBèzearrivéàsacour,auchâteau
deNérac.Sarupturedéfinitiveaveclecatholicismedevientofficielle.Àlamême
époque, son époux Antoine réside à la cour de France à Paris. Le couple est
séparéetAntoineresteauprèsdescatholiques.
Parune ordonnancede juillet1561, Jeanneautorise lapratique calvinisteau
royaume deBéarn.Aprèslamortd’AntoinedeBourbon,en1562,Jeannemeten
place des mesures qui facilitent l’implantation de la Réforme en Béarn. Parmi
elles,onnotelapublicationduCatéchismedeCalvinendialectebéarnais(1563),
la fondation d’une académie protestante à Orthez (1566), la rédaction de
nouvelles Ordonnances ecclésiastiques (1571), la traduction en Béarnais du
Psautier de Clément Marot et la traduction en Basque du Nouveau-Testament
(1571).
Du pointde vue politique,Jeanne devient le chefdu parti réformé.En 1568
elleprendlatêtedumouvementprotestantàsesrisquesetpérils,emmenantle
prince Henri de Navarre son fils âgé de quinze ans, à La Rochelle. Jeanne
administre la ville à l’exception des affaires militaires. Elle se charge de
communiqueraveclesprincesétrangersalliés,dontelleveutconserverlesoutien
aprèslamortdeCondéen1569.
Jeanne d’Albret entreprend des négociations difficiles à Paris, pour unir son
fils Henri à Marguerite de France, fille de Catherine de Médicis. Elle doit
cependant accepter une condition : Marguerite ne doit pas se convertir à la
religionréformée.Lemariagedoitavoirlieuenaoût1572.JeannearriveàParis
le 16 mai et s’installe à l’hôtel Guillard, mis à sa disposition par le prince de
Condé,pourles préparatifsdumariage.Jeanne déjàmalade,meurten juindes
conséquences d’une tuberculose. Le parti huguenot en est affaibli. Le prince
Henri de Navarre épouse Marguerite (La Reine Margot dans le roman
d’AlexandreDumaséditéen1845)enaoûtdevantlacathédraleNotreDamede
Paris peu avant le massacre de la Saint-Barthélemy qui éclate quelques jours
après,le24août.
Aprèsleretouràlapaixen1598,HenriIVépouseMariedeMédicis.
Lorsqu’HenriIVestsurlepointdereprendrelaguerrecontrelesEspagnols,
en 1610, il faitcouronner Marie de Médicis pour lui accorderune fonction de
Régente, le dauphin Louis étant encore trop jeune pour régner. Quelques
semaines après, Henri IV est assassiné à Paris. La reine a toute autorité pour
convoquerles étatsgénérauxen 1614et fairereconnaîtrela royautédeson fils
faceauxparlements.
CHAPITRE2
LESFEMMESAUXVIIESIÈCLE
DUBAROQUE ÀL’ÂGECLASSIQUE.
OSERPENSER,OSERAGIR,OSERÉCRIRE!
UNSIÈCLEDEFEU,DEGUERRES,DEGLOIRE,
D’HÉGÉMONIEFRANÇAISEENEUROPE
L’Histoire de la France au XVIIe siècle est marquée par l’apogée du pouvoir
royal, qui devient absolu. Après la paix des Pyrénées (1659), le royaume de
Francedevientunepuissancedont lerayonnements’étendàune grandepartie
de l’Europe. Les rois Louis XIII et surtout Louis XIV éliminent les dernières
tracesdespratiquesféodalesdans lesystèmepolitiquefrançais.Les aristocrates
delacoursontprogressivementécartésdesfonctionspolitiquesetreplacésdans
l’armée.Mais ils perdentla propriétédes régimentsde cettearmée qui devient
arméeroyalesouslecontrôleduministredelaGuerrenomméselonlechoixdu
roi. Les grands seigneurs du royaume dont les domaines relevaient de deux
suzerains, rois de deux nations différentes bien souvent ennemies se voient
contraintsdecéderleursterresrelevantduroyaumedeFranceauroideFrance
en contrepartie de pensions, de charges ou sous la pression de la force. Sous
l’influence de Vauban – selon la théorie dite à postériori du « pré carré » –
LouisXIV,chercheàdonnerauroyaumedeFrancedesfrontièresquienfontun
espacecontinu,bornépardesfrontièresnaturelles.Ilseheurteaunordetausud
auxpossessionsespagnoles,àl’estauSaint-EmpiredesHabsbourg.Lesfrontières
maritimesdesfaçadesouestetsudsontdéfenduesefficacementparunemarine
deguerremoderniséeetrééquipée.Àl’issuedurègnedeLouisXIV,laFranceest
devenue une nation puissante, hélas au prix de guerres épuisantes qui laissent
une dette considérable, laquelle est une des causes déterminantes de la
Révolutionàveniren1789.
LaculturefrançaiserayonneenEurope.Lepouvoirayantprisconsciencede
l’importance du prestige des arts et des sciences a donné naissance aux
Académies toujours actives de nos jours. L’Institut de France est créé, sous le
règne de Louis XIII, par Richelieu en 1635. Il regroupe trois académies : la
littérature, les arts, les sciences. Le français est confirmé comme la langue des
grands écrivains (Corneille, Malherbe, Racine, Molière…). La peinture, la
sculpture,l’architecture,etlamusiquesontflorissantes.Lesscientifiquesfrançais
tiennent une place déterminante en Europe (astronomie, mathématiques,
physique,optique),avecFermat,Pascal,Descartes…
Les évènements marquants du siècle, sommairement décrits ci-après
permettront de se repérer dans la chronologie des faits qui ont marqué
l’évolutiondelaconditionféminineaucoursdusiècle.
Lesiècles’ouvresurl’assassinatd’HenriIV,en1610.Leroiquimitunterme
auxsanglantes guerresde religion parl’Édit deNantes de 1598tombe sousles
coupsd’unfoumystiquecatholique,poussésecrètementparlesreprésentantsde
LaLigue.Illaisseàsessuccesseursunrégimedepaixarméeentreprotestantset
catholiques, chacun des deux partis possédant des places fortes armées par ses
partisans.
HenriIVarestaurél’Étatets’estattachéàlaremiseenmarched’uneFrance,
ravagée par plus de trente ans de guerre civile. Lui-même converti du
protestantismeaucatholicisme,ilchoisitleshommesquil’aidentdanssatâche
pour leur valeur, qu’ils soient protestants ou catholiques. Le duc de Sully,
protestant,estsonprincipalministre,Laffemas,protestantestresponsabledela
relanceducommerce.Villeroy,catholique,estchargédesAffairesétrangères.
En1601,unaffrontementdecourteduréeavecleduchédeSavoiepermetde
rattacherauroyaumedeFrancelaBresse,lepaysdeGexetdeBugey,leduché
recevantlemarquisatdeSalucesenéchange.Touslesroisetprincescherchentà
créer une unité du territoire qu’ils gouvernent en supprimant les doubles
suzerainetés.
En1610,HenriIV,disposantd’unearméeentièrementréorganiséeparleduc
de Sully, décide de lancer la guerre contre les Habsbourg dont les armées
occupaientleduchédeClèvesetJuliersdepuisledébutdel’année.Ceduchéest
situésurlarivedroiteduRhinauNordEst.LeroyaumedeFranceenestséparé
parlesPays-BasespagnolsetlesProvincesUnies.Maistoutestbonquinuitaux
Habsbourg.L’assassinatd’HenriIVmetuntermeàl’implicationduroyaume:le
royaumedeFranceseretiredecettequerelle.
Louis XIII est roi de France et de Navarre de 1610 à 1643. Son règne,
commence par la régence exercée par sa mère Marie de Médicis. Par la suite,
l’action du cardinal de Richelieu, principal ministre d’État, est caractérisée par
l’affaiblissementdel’aristocratieetdesprotestants,laluttecontrelesHabsbourg
d’Autricheetla dominationmilitairefrançaiseenEurope pendantlaguerrede
TrenteAns.Mariéavecl’infanteAnned’Autriche,leroiatardivementdeuxfils:
lefuturLouisXIV,etPhilippe,ducd’Anjoufondateurdelamaisond’Orléans.
Louis XIII est sacré le 17 octobre 1610 à Reims à l’âge de huit ans et demi.
Marie de Médicis, sa mère, assure la régence. En 1614, à sa majorité, Marie
déclare que Louis est trop faible pour assumer les devoirs de sa charge. Elle
l’écarte du Conseil et laisse gouverner ses favoris italiens Concino Concini et
Léonora Galigaï, rapaces et incompétents. Louis XIII, en avril 1617, ordonne
l’assassinatdufavoridesamère,ConcinoConcini,etfaitexécuterlaGaligaï,sa
femme,sousaccusationdesorcellerie.IlexileMariedeMédicisàBloisetprend
sa place de roi. En avril 1624, Richelieu, après avoir réussi une opération de
réconciliationentreleroietsamère,surrecommandationdeMariedeMédicis,
entre au Conseil du roi. Cette nomination marque un tournant décisif dans le
règne de Louis XIII. Depuis 1620, il s’en prend aux privilèges politiques et
militairesdontbénéficientlesprotestantsenapplicationdel’ÉditdeNantes.De
1620 à 1628 (siège de La Rochelle), il détruit les fortifications de leurs places-
fortes.Danscettelutte,Richelieucombatessentiellementpourassurerl’autorité
del’État.MêmelesiègedeLaRochellen’estsansdoutepassouhaitéjusqu’àce
queleprincedeRohandéclencheleshostilités.Laredditiondecetteville,après
untrèslongsiègequiprendfinen1628,estsuiviedelapromulgationdel’éditde
grâced’Alès(juin1629),quisupprimetouteinfrastructuremilitaireprotestante,
maismaintientlalibertédecultedanstoutleRoyaumesaufàParis.
Deuxpartiss’affrontentautourdelapolitiqueconduiteparleroi:celuidela
raisond’ÉtatdeRichelieu,celuiduclandeMariedeMédicis.Cedernierréclame
unepolitiqueenfaveurdes Habsbourgpourfairetriompherlecatholicismeen
Europe. Se ranger aux choix du cardinal, c’est placer les intérêts de l’État au-
dessusdeceuxdelareligion.
Louis XIII doit mater plusieurs révoltes organisées par son frère et héritier,
Gastond’Orléans,etfaireenfermernombredesesdemi-frèrescommeleducde
Vendôme.
Ilveutaussirabaisserl’orgueildesGrandsduRoyaumeetsemontreinflexible
à plusieurs reprises, ordonnant l’exécution du comte de Montmorency-
Bouteville pour avoir violé l’interdiction des duels, celle du comte de Chalais,
ainsiquecelleduducdeMontmorencypourtantacteurmajeurdelavictoirede
LaRochellepourconnivencecoupableavecGastond’Orléans.
Briserl’encerclementespagnolestletroisièmeaxedelapolitiquequemènent
LouisXIIIetRichelieu.LeroyaumedeFranceestencerclésursesfrontièresSud,
Est,Nord,parlespossessionsdesHabsbourg,ceuxd’Espagneetceuxd’Autriche
(Espagne, Italie, Saint-Empire, Pays-Bas). Mais la France redoute la politique
« impérialiste » des Habsbourg, notamment en Allemagne, et se fait défenseur
des « libertés germaniques » en profitant du basculement de certaines
principautés membres du Saint-Empire devenues protestantes. Les Habsbourg
sontendifficultédansl’EmpirefaceauxprotestantslorsdelaguerredeTrente
Ans.Cette guerreest unconflit entreles Habsbourgdu Saint-Empireunis aux
Habsbourg d’Espagneencouragés par le pape, etles états protestants du Saint-
Empire auxquels se sont joints les Provinces unies et les États scandinaves
également protestants. La France, bien que catholique, vient se joindre à ces
dernierscarelletrouvelàl’opportunitédedesserrerl’étreintedesesvoisins.
Jusqu’à la fin de son règne, Louis XIII est engagé dans une terrible série de
guerres.IloccupeainsilaCatalognerévoltéedanslaguerredesfaucheurs(1641).
Aprèscesquelquesannéesdifficiles,l’arméefrançaisevientpeuàpeuàboutde
l’arméeespagnole.
ANNED’AUTRICHEDEVIENTRÉGENTE
Après la mort du cardinal, en décembre 1642, le roi fait entrer au conseil
d’État un des proches collaborateurs de Richelieu, le Cardinal Mazarin, qui
devientvitePremierministredefait.LeroinesurvitpaslongtempsàRichelieu.
Ilmeurtle14mai1643,àl’âgede41ans.
Louis XIV, qui doitaccéder au trône n’a pas encore 5 ans. Anne d’Autriche
assume une vengeance posthume. Elle obtient du Parlement qu’il annule les
clauses du testament de Louis XIII qui limitent son rôle politique, et se fait
reconnaîtrecommerégenteàpartentière.EllenommelecardinaldeMazarinau
rangdechef duConseil,lui donnantlapremière placeaugouvernement, juste
au-dessusdeGastond’Orléansquiestlieutenantgénéralduroyaume.Sagrande
expériencedesaffairesdel’Europe,sonhabiletédediplomate,sonappartenance
auSacréCollègequiélitlepapeluiassurentleprestigeetlerespectindispensable
àsanouvellefonction.
La compagnie du Saint-Sacrement lui est hostile : ce grand parti dévot de
noblesultramontainsconsidèrequel’autoritédupapeestau-dessusdecelledu
roi.Cesontaussidesdéçusdudéclindel’influencedelanoblesseetdespartisans
d’uneallianceavecl’Espagne.
Ils sont de tous les complots anti Mazarin dont la cabale des Importants.
Mazarinsévitenéloignantlescomploteurssurleursterres.
À partir de 1643, Mazarin connaît encore 16 ans de combats armés,
notammentcontrel’EmpiredesHabsbourg.Ilpeutcomptersurl’appuipolitique
de la régente Anne d’Autriche et sur de grands capitaines : le marquis de
Turenne, le jeune duc d’Enghien (futur Grand Condé), Maillé-Brézé, ou Carl
Gustaf Wrangel, chef des armées suédoises. La France remporte la bataille de
Rocroien1643,remportelesiègedelaplacedeFribourg-en-Brisgauen1644et
deNördlingenen1645.En1648,lesarméesfrançaiseetsuédoisegagnentcontre
les Bavarois et les Impériaux la bataille de Zusmarshausen. La même année,
CondévainclesEspagnolsàLens.Inévitablementlecoûtdelaguerresetraduit
parunaccroissementdelapressionfiscale.
Mazarinetlarégentesongentàfairepayerlapopulationdelacapitaleoùsont
concentrésbeaucoupderichessujets.Denouveauximpôtssurlebâtisontcréés,
ainsi que des taxes d’entrée de marchandises dans Paris. La population s’agite.
Mazarin fait procéder à des arrestations et nomme l’Italien Particelli d’Emery
surintendant des finances. La création de nouvelles taxes et le retour aux
empruntsforcésdéclenchentaussiuneprotestationgénéraledesofficiersduroi,
contraints de faire appliquer ces mesures impopulaires, au risque de leur vie
parfois. Ce sont les prémisses de La Fronde, période de convergence de
mécontentements divers qui dure de 1648 à 1653, pendant la minorité de
LouisXIV.
Elle commence par une agitation des parlements, entre janvier et
décembre 1648. En 1648, Particelli augmente les taxes sur les propriétaires
parisiens,imposelacréationdedouzechargesdemaîtresdesrequêtes,augmente
laPaulette,redevancenécessairepourpouvoirtransmettreunechargedepèreen
fils. Toutes ces mesures, qui requièrent l’approbation parlementaire, sont
contestées. Cette contestation parlementaire s’ajoute aux révoltes des
propriétairesdelacapitale,desconsommateursquisubissentl’augmentationdes
taxesetdesofficiersduroi,ceux-làmêmesquidoiventfaireappliquerlaloi.
LeparlementdeParisprendlatêtedumouvementprotestataireetdresseun
projetd’arrêtparlequelildemandelasuppressiondetouslesnouveauximpôts
ettaxes,l’abandondelacréationdenouvellescharges,etenplusuneréduction
de la taille de 25 %… Particelli est renvoyé et les mesures proposées par le
parlementsontacceptées.
En Europe, la guerre de Trente Ans continue. Mazarin fait arrêter deux
meneurs de l’épisode parlementaire de la Fronde. Le parlement de Paris se
soulève, la ville se couvre de barricades (le 26 août 1648). Les meneurs arrêtés
sontrelâchés.
Leshostilitésextérieuresse terminentenfin,le24 octobre1648.Lasignature
destraitésdeWestphaliemetfinàlaguerreetauxnégociationsentaméesquatre
ans plus tôt. Dans le Saint-Empire, le calvinisme est maintenant reconnu au
même titre que le catholicisme ou le luthéranisme, la liberté de culte est
reconnue, quelle que soit la religion du prince régnant. Le Brandebourg et la
Suède agrandissent leurs territoires. Le Saint-Empire est affaibli, « l’équilibre
européen»estrestauré,laFranceaccroîtsonterritoire:lestroisévêchés,Metz,
Toul,Verdunetunepetitepartiedel’Alsacepassentsoussoncontrôle.Elleest
également protégée sur sa frontière est par la création d’un État indépendant
regroupantlescantonssuisses.
L’Espagne refuse la clause d’indépendance des Pays-Bas espagnols contenue
dans le traité et poursuit, seule, le conflit contre la France. Sa défaite à Lens
n’arrêtepasleroiPhilippeIVquicomptesurlestroublesintérieursdelaFronde
pourprendresarevanche.
LarégenteetMazarindécidentdemettreuntermeàlafrondeparlementaire.
La reine, ses deux enfants et Mazarin quittent Paris pour Saint-Germain-en-
Laye.Mazarinmandate Condéetson arméepourconduirele siègedeParis. Il
disposeautotalde8000à10000hommes.
Le Parlement de Paris confie le commandement des troupes qui défendent
ParisauprincedeConti,frèredeCondé(11janvier1649).
D’abord battus, les frondeurs reçoivent le soutien de Turenne qui tente
d’entraîneràsonservicehuitrégimentsdel’arméed’Allemagne.Mazarinachète
àgrandsfraislafidélitédesofficiersdecesrégimentsetTurennedécidealorsde
s’exiler.Le7mars1649,ilestdéclarécoupabledecrimedelèse-majesté.
Suite à cette défection, les frondeurs les plus modérés tels que le premier
présidentduParlement,MathieuMolé,supplientAnned’Autrichedenégocier.
Uncompromisestsignéle11mars1649(paixdeRueil),suividelapaixdeSaint-
Germain(1eravril1649).Touslesfauteursdetroublessontamnistiés,ycompris
Turenne.Le18août,leroifaitsonentréedansParis.
Lapaixcivileestànouveautroublée,cettefoisparlafrondedesPrinces(1650-
1651). Certains princes, comme Condé, estiment que leurs mérites sont mal
récompensés par les clauses de l’accord de Saint-Germain, et reprennent les
armes. La régente et Mazarin tentent alors un coup de force et font arrêter
Condé,Conti etLongueville.Leursamis serebellentet Mazarinlui-mêmedoit
allerlibérerlestroisprisonniers.Lescritiquesreprennentetlecardinalestobligé
de fuir pendant presque un an sur les terres accueillantes de l’électeur de
Cologne. Il espère que « l’union des Frondes » va s’essouffler avec le temps, à
raison : les différents membres du groupe rebelle s’aperçoivent qu’ils ne
partagent pas les mêmes objectifs, et grâce aux nombreuses manœuvres de la
régente,legroupefinitparsediviser.
Anne d’Autriche promet aux derniers opposants une réunion des états
généraux,maislafixeau8septembre1651.Le5septembre,LouisXIVatteintsa
majorité.Ses13anssontfêtésmajestueusement,etleroin’estpasengagéparla
promessedel’ex-régente.Condé,dontlecrimeestmaintenantuncrimedelèse-
majestéestenfuite.
Entre1648 et 1652,la France connaîtune crise économiquegravissime, une
famineetsoncorollairelapeste.Leroi,aidédeTurenne,fraîchementralliéàlui,
décide en 1652, de reprendre la capitale encore hors contrôle, mais échoue
devant l’armée de Condé. Ce dernier arrive à Paris. Trois mois plus tard, les
arméesduroilancentuneattaquesanglante,maiscelledeCondél’emportegrâce
à l’aide notamment de la Grande Mademoiselle, fille de Gaston d’Orléans,
princesselaplusrichedeFrance.DanslestroupesdeCondé,unpeuplustard,
ontlieudesmassacresàl’encontredeceuxqu’onsoupçonneden’êtrepasfidèles
auprince.
Devant une nouvelle crise, Mazarin entame un second exil. Condé, finit par
abandonnerlacapitalefin1652etpartpourBruxelles.Leroireprendlavillele
21octobre1652.LouisXIVprononceuneamnistiepourtous,saufpourCondé.
Ledomainedecompétencedesparlementsestredéfini.Lesaffairespolitiquesen
sontexclues.Gastond’Orléansserend,etleroil’exileàBlois.Gondiestarrêté,et
Mazarin est rappelé à Paris. La monarchie réduit les fonctions dévolues aux
aristocratesauprofitdesofficierset,bientôt,descommissaires.
LapaixestrétablieàParisenoctobre1652.Mazarinrentrele3février1653.
S’ouvre alors une période de paix. Le Conseil des affaires (Conseil étroit) est
remanié en partie, le fidèle Le Tellier est maintenu au secrétariat d’État à la
guerre,etdeuxsurintendantsdesfinancessepartagentlestâchessurlemodeci-
après : Servien en ordonnateur des dépenses et Fouquet pour le calcul et la
collectedesimpôtsettaxes.
Tout n’est pas toujours simple pour les intendants, progressivement rétablis
danslesprovincesenqualitédecommissaires,maislacontestationnerevêtplus
lesformesviolentesdelarévoltearmée.Lesconditionsclimatiquesfavorablesà
desrécoltesabondantes,lecantonnementdesarméesauxfrontières,contribuent
à une renaissance de la prospérité jusqu’en 1661-1662. Puis, à nouveau, une
sévèrecrisedesubsistancefrappeleroyaume.
La querelle janséniste, elle, a débuté pendant l’entre-deux Frondes, en 1649.
Elle est née d’une querelle théologique en Sorbonne. Les jansénistes qui ne
veulentpastrancherentrelepouvoirspirituelduPapeetlepouvoirtemporeldu
roi,sontsoutenusparcertainsfrondeurscommeMadamedeLongueville.Leroi,
lui,veutsimplementréduirelenombredeceuxquisepermettentdevivreune
religionhorsdescodesetdestextes,c’est-à-diresupprimerlesdéviances,qu’elles
soientjansénistesounon.
Pendant toutes ces années, la guerre civile tisse sa toile au sein de la guerre
étrangèrecontrel’Espagnequicontinue,danslesprovincesduNord.En1652,le
princedeCondéestpasséducôtéespagnol,rejointparsafemmeetsonfilsen
1653. Turenne, revenu au service du roi en 1652, se retrouve donc opposé à
Condé. Turenne bat Condé à Arras en 1654. Puis Condé bat Turenne à
Valenciennesen1656.
Surmer,lesflottesduroyaumedeFrancesepartagentladominationdesmers
aveccellesdesPays-Bas,etdel’Angleterre.Ilestdepremièreimportancepourla
Francedes’allieraveccesdeuxpuissances.En1657,Mazarinobtientlasignature
d’uneallianceavecCromwell(leLordProtecteuranglais,aupouvoirpendantle
Protectorat) qui permet à Turenne d’enlever la ville de Dunkerque. Celle-ci
arrachée aux Espagnols par Condé, alors au service de Louis XIV en 1646 est
repriseparlesEspagnolsen1652,àlafaveurdestroublesdelafronde.Le25juin
1658,Dunkerque,espagnolelematinetfrançaiseàmidi,estfinalementanglaise
lesoir,puisqueLouisXIVlaremetlejourmêmeauxAnglaisenaccordavecle
traité franco-anglais. Turenne a remporté une victoire terrestre déterminante,
tandis que la flotte anglaise assurait le blocus maritime de la ville. Charles II
d’AngleterrerevendDunkerqueàLouisXIVen1662.Leroyaumed’Espagneest
épuisé par cette guerre qui fait suite à la guerre de Trente Ans. Philippe IV
n’arriveplusàreconstruiresesarmées.Ilconsentàtraiter.
LapaixdesPyrénéesestsignéele7novembre1659.LaFranceobtientl’Artois
etleLuxembourgauNord,leRoussillonauSud.Condéestamnistiéetrécupère
toutesseschargesàlacour.Ilpréfèrecependantrestersursesterres.CharlesIV
deLorraineestrétablidanssonduché.UneunionestdécidéeentreLouisXIVet
lafilleaînéeduroid’Espagne,Marie-Thérèsed’Autriche,infanted’Espagne.On
espère par cette alliance limiter les conflits entre les deux puissances
européennes.
Ce traité est l’œuvre de Mazarin. Philippe IV d’Espagne veut que Marie-
Thérèse renonce à ses droits à la couronne d’Espagne par son mariage avec
LouisXIV.Mazarinyconsentmaisàconditionquel’Espagneverseunedoten
compensationàlaFrance.ConformémentauxattentesdeMazarin,ladotn’est
jamaisversée,cequirendlarenonciationdeMarie-Thérèsecaduque.LouisXIV
etsesdescendantsconserventtouslesdroitsàlacouronned’Espagne.LeTraité
desPyrénéesmarqueledébutdelaprépondérancefrançaiseenEurope.
Mazarin s’éteint le 9 mars 1661. En 18 ans de pouvoir, il a tenu tête aux
Habsbourg, résisté aux ambitions des frondeurs, constitué autour du roi le
Conseild’enhaut,quiresteinchangé(Fouquetmisàpart,quitombeendisgrâce
en 1661) pendant une grande partie du règne de Louis XIV. Il a terminé avec
succès la grande guerre espagnole, reconstruit la prospérité des provinces
éprouvéesparlesguerres,etparticipéàcréerunÉtatmoderne.
MARS1661ETLERÈGNEPERSONNEL DELOUISXIV.L’ABSOLUTISMESEPROFILE
Le10mars1661,lelendemaindelamortdeMazarin,LouisXIVquiaalors
22 ans, annonce qu’il gouvernera avec un Conseil étroit. Il ne nomme pas de
remplaçantaupostedeMazarin,récupèreunepartiedespouvoirsquiluiétaient
délégués (signatures de textes, nominations, promotions), se met à assister
régulièrementauxréunionspolitiques… Ilinaugureen 1661ungouvernement
personnel.
Durantles11premièresannéesdugouvernementpersonneldeLouisXIV,la
politiquegénéraleduroyaumeestunepolitiquedepaixetdegrandesréformes
quimarquentlongtempsleroyaume.LouisXIVenestbienentendul’initiateur,
mais Colbert également. Ce dernier entre au Conseil d’en haut en 1661 où il
remplaceFouquet,disgracié,commecontrôleurdesfinances.Ilcumulenombre
de fonctions : chargé du département des Bois fournisseur des matériaux
nécessaire à la construction de vaisseaux de guerre, nommé surintendant des
bâtiments en 1664, contrôleur général des finances et, en 1669, il reprend la
chargedesecrétairedelamaisonduroi,puislamêmeannéelagouvernancede
la marine. Il est un personnage important mais n’atteint jamais le statut de
principalministrequ’avaientexercéRichelieuouMazarin.
Entre 1660 et 1665, la réforme fiscale de Colbert fait passer la taille de
40millionsdelivresà35millionsdelivres.Cettediminutiondel’impôtdutiers
étatdoitêtrecompensée.Lesimpôtsindirectssontmajorés.Unefermegénérale
est créée en 1681 pour les percevoir : elle regroupe les aides, les gabelles, les
domaines,lestraitesetlestaxesintérieures.
Des taxes indirectes nouvelles sont créées : sur la consommation de tabac,
l’achatdevaisselleetuneobligationd’utilisationdutimbrepayant.L’application,
sans leur accord, à des villes, jusque-là exemptées, provoque des révoltes. Les
émeutes, comme les condamnations qui les suivent font plusieurs dizaines de
morts.Lesbureauxdepapiertimbrésont,dansunpremiertemps,souventvisés,
puislespaysansparmilliersviennentprotestercontrelespressionsénormesque
font peser sur eux les droits seigneuriaux auxquels viennent s’ajouter les
nouveaux impôts royaux. Plusieurs aristocrates subissent l’attaque de leurs
châteaux.En1676,larébellionestmatée.
En 1664, toujours pour élargir le périmètre de la population imposable,
Colbert lance une chasse à ceux qui prétendent abusivement être nobles et
échappentainsiauximpôtsdesroturiers.Latâches’avèrecompliquéeenraison
desfauxengénéalogieetdesmariagesanoblissant.
Colbert reste 22 ans au pouvoir. Il tente toutes ces années, de transformer
l’administration du royaume, régi par une constellation de textes hérités des
usages féodaux locaux, par une refonte et une mise à jour en profondeur de
textesfixantlalégislationetlescodesdeprocéduresapplicablesàl’ensembledu
royaume.
La diplomatie aussiest entrée dans la modernité. La marque de Mazarinest
impriméesurcetteévolution.Unambassadeurdoitséduireplutôtquefairepeur.
La tradition voulait que les missions d’ambassadeurs auprès des nations
étrangèressoient confiées à desaristocrates de haut rangauréolés de brillantes
victoiresdansdesconflitsinternationaux.Elledevientprogressivementlefaitde
grands commis spécialisés. Ils sont entourés de personnel diplomatique
connaisseur des pays avec lesquels ils traitent, d’espions stipendiés, d’agents
d’influenceetdisposentdebudgetsconsidérables.Mais lesgrandsnégociateurs
duXVIIesièclesontdetouteévidenceMazarin,puisLouisXIVlui-même.
L’arméedevientl’arméeduroyaume,entretenueparlebudgetdusouverain.
Ellecessed’êtreconstituéederégimentspropriétédesgrandsprinces,prêtésau
roi par leur suzerain selon les règles médiévales. Le Tellier jusqu’en 1672, puis
Louvois jusqu’en 1691, créent une véritable armée moderne. Pour grossir les
rangsfrançais,Louvoiscréeen1668unearméederéserve,composéd’unhomme
parparoisse,d’aborddésignépuisàpartirde1691,tiréausort.Petitàpetit,on
passeaussid’uneguerredemouvement,àuneguerredesiège.Pourenfiniravec
toutes les difficultés de logement des soldats, Louvois et Vauban entament le
travail de longue haleine de construction de nombreuses casernes. L’hôtel des
Invalides, destiné à l’accueil des blessés et l’hébergement des mutilés, est
construit en 1674, sous la direction de l’architecte Libéral Bruant. Un génial
modèle de place forte qui change le visage de la guerre est conçu par Vauban.
Doté d’une formidable résilience en cas d’attaque, il est en avance par rapport
auxprogrèsdel’artillerie.Vaubans’emploieinlassablementàdressercitadelles,
fortifications et villes-nouvelles, pour faire du royaume une sorte de bastion
inexpugnable:lepré-carré.
La marine de guerre a été complètement négligée sous Henri IV. Mazarin,
comme Richelieu sont conscients de la nécessité d’assurer la défense des deux
frontièresmaritimesduroyaume.Lasituationpolitiqueintérieureetextérieure
delaFranceneleurlaissepasassezdetempspourseconsacreràcettequestion.
Colbertenrevanche,avecsonfilslemarquisdeSeignelay,àpartirde1676,dote
laFranced’unevéritablemarinedeguerre.Lesarsenauxroyauxsontinstallésà
Dunkerque,LeHavre,Brest,LorientetRochefort,MarseilleetToulon.
Pourpallierleproblèmedurecrutement,Colbertmetenplace,pourlesgens
de mer, un service militaire rotatif à bord des navires de guerre, le système de
classes, future Inscription maritime. En compensation de cette obligation
astreignante,Colbertcréeunsystèmederetraiteetdeprévoyance,et,pourceux
desmarinsquiviennentdel’étranger,l’accèsàlanationalitéfrançaise.
Colberts’illustredansledomaineéconomiqueaupointdelaissersonnom,le
colbertisme,à une doctrine de l’intervention économiquedu pouvoir politique
quitrouve encoredes défenseursde nosjours. Lesiècle deColbert estmarqué
par la révolution manufacturière qui, avant la révolution industrielle, met en
évidencelesméritesdelaconcentrationetdelastructurationdessavoir-faireau
seind’uneorganisationquioptimiselesconditionsdeproductionetdediffusion
desproduits.Lerôledel’Étatconsisteàfinancerlaconstitutiondemanufactures
dontlesproduitscorrespondentàlastratégienationaleetquisontprotégéspar
des barrières douanières contre des productions étrangères concurrentes. Le
bien-êtreduroyaumeexigeunebalancecommercialebénéficiaire.Lesracinesde
laprospéritédusecteurfrançaisactuelduluxedatentdecetteépoque.
En1661,laFrancesembleavoirréunilesconditionspourconnaîtreuneèrede
paix.MaisaucoursdelapériodederègnepersonneldeLouisXIV,leroyaumea
connu37ansdeguerre.LapaixaveclesHabsbourgd’Allemagnesignéeparles
traitésdeWestphalie,etcellesignéeaveclesEspagnolsparletraitédesPyrénées,
ont affaibli l’encerclement du royaume par les Habsbourg. Elles ne l’ont pas
brisé. Au Nord et à l’Est les territoires frontaliers sont composés de territoires
discontinusséparéspardesplacesfortestenuespardesnationsétrangères.Pour
assureruneceinturedeferautourduroyaumelacontinuitédesterresdansces
régions du Nord et de l’Est s’impose. Elle se fait parfois par échange de places
aveclevoisin.Maisendernierressort,leroidoitrecourirànouveauàlaguerre.
Àcetteépoque,PhilippeIVd’Espagneestâgé.Leproblèmedesasuccessionse
pose.SonsuccesseuretfilsCharlesIId’Espagneestenmauvaisesantéetn’apas
de descendance. L’une des filles de Philippe IV est mariée à Louis XIV roi de
France,l’autreàLéopoldIIempereurdesHabsbourgenAutriche.Aumoment
deladisparitiondeCharlesII,l’Espagnequineconnaîtpaslaloisalique,apour
souverain l’époux de l’une des filles ou un descendant de ces dernières. Une
intenseactivitédiplomatiquedesdeuxpartisprépare,duvivantdeCharlesII,sa
succession.LouisXIVs’empressedepublierdesarticlesoùilespèreconvaincre
l’opinionetlegouvernementqueleroyaumerevientàsafemme,doncàlui.Mais
les Espagnols répliquent et démontent ses propos. Tout cela à la mort de
PhilippeIVmaisavant cellede sonfilsCharlesIIqui assisteenspectateuraux
spéculationssursamort!Cedernierdisparaîtennovembre1700.Ildésignepar
testamentleducd’Anjou,petit-filsdeLouisXIVcommehéritierdelacouronne
souslenomdePhilippeV,sousréservequeleroyaumed’Espagnenefassepas
l’objet d’un partage négocié entre la maison de France et celle des Habsbourg
d’Autriche. Ces derniers n’acceptent pas de renoncer à leurs droits sur la
successiond’Espagneetlaguerredevientinévitable.
Dernière grande guerre de Louis XIV, elle permit à la France d’installer un
monarquefrançaissurletrôned’Espagne,ledeuxièmefilsduDauphinetpetit-
filsdeLouisXIV.Ilrenoncepourluietpoursadescendance,àtouteprétention
sur le trône de France. Ainsi est née la dynastie des Bourbons d’Espagne, qui
règnejusqu’ànosjours.
Cetteguerredurade1701à1714.Elleimpliquapresquetouteslespuissances
européennes.
Lestraitésd’Utrecht(1713),deRastatt(1714)etdeBaden(1714)mirentfinau
conflit.
D’importantschangementsterritoriauxsontactésdanslecadredecestraités,
que ce soit à l’issue de batailles victorieuses ou en récompense des alliances
militairescontractées.
L’Espagne cède les Pays-Bas espagnols, le royaume de Naples, le duché de
MilanetlaSardaigneàlamonarchiehabsbourgeoised’Autriche,leroyaumede
SicileauduchédeSavoie,GibraltaretMinorqueàlaGrande-Bretagne.LaFrance
reconnaît la souveraineté britannique sur la Terre de Rupert, Terre-Neuve et
l’Acadie.
FEMMES,HOSPICESETENCADREMENT
DESPOPULATIONSPRÉCAIRES
Le premier hôpital général est créé à Lyon en 1614. Il s’inspire d’un projet
d’enfermementdes pauvresde Parisdéfini sous Mariede Médicispeu après la
mortduroi.HenriIVavaitfaitbâtirlepremierhôpitaldeParis:l’hôpitalSaint-
Louis. La finalité de cette institution était triple : secourir et évangéliser les
pauvresetlesmettreautravaildansdesateliers.Parlasuitecemodèleinspiraà
Paris l’édit de 1657 qui institue un « hôpital général pour l’enfermement des
pauvres».L’interventiondel’Étatmarqueundébutdelaïcisationdutraitement
delapauvreté,alorsconfiéjusque-lààl’Église.Maiscetteapprochenouvelleest
aussi un dispositif de police dans un esprit analogue à celui qui conduisit, en
Angleterre,àlacréationdes«workhouses».L’Étatsedotedelieuxdeprivation
delibertéquipermettentdecontrôlerunepopulationsanstoitniressourcesqui
vagabondeensituationdesurvieprécaire.Cespopulationsmisérablesprésentent
un danger pour le pouvoir en raison des exactions qu’elles commettent pour
assurer leur survie et parce qu’elles fournissent des contingents d’émeutiers en
casdetroubles.
Ce siècle glorieux de guerres souvent victorieuses, de cours brillantes aux
complotsmeurtriers,etdefêtesfastueusesasonterriblerevers.Lespopulations
des campagnes font les frais des affrontements de toutes sortes. Guerres de
religioninterneouguerresétrangèresdestinéesàétablirleterritoireduroyaume
dansdesfrontièresdéfendables,lepeuplepaysanpayeleprixfort.Lesarméeslui
prennent ses fils, transforment ses champs nourriciers en champs de bataille,
détruisentsesmaisonsetsesrécoltes,violentsesfemmesetsesfillesetpendent
leshommes pour lemoindre acte de rébellion.Puis ellesrelâchent des flotsde
miséreux privés de solde, handicapés des blessures reçues, incapables de se
défairedes habitudesde violencequ’ilsont contractéesà laguerre, réduitsà la
mendicitéouauvol.Lepouvoirroyal,faceàcettepopulationdangereuse,utilise
sacapacitédecoercition.
L’approchedelamisèreparVincentdePaulestàl’opposédecelledupouvoir.
VincentdePaul,issud’unefamilledepaysansmodestes,entréauséminaireplus
pourvenirenaideàsafamillequ’attiréparuneindiscutablevocation,futcuréde
Clichy.Unépisodedesavie,nondocumentéledonnepouravoirétéréduiten
esclavage par les Barbaresques lors d’une de leurs attaques sur le littoral
marseillais. Il se serait enfui avec son geôlier après l’avoir converti. Ce qui est
certain c’est qu’en 1610, sur recommandation du Saint-Siège, il fut nommé
aumônierde la reineMarguerite deFrance (lareine Margot), premièreépouse
d’HenriIV.PuislamaisondePhilippe-EmmanueldeGondi,généraldesgalères
de France, s’attache ses services. On sait que les galères de France, organisme
indépendant de la marine de guerre qui travaille cependant pour elle, se
fournissent en main-d’œuvre dans les prisons du royaume. La condamnation
aux galères est un moyen fort utile pour se débarrasser d’éléments dangereux
tout en fournissant une main-d’œuvre gratuite au service du roi. Ce genre de
navirestrouvesonutilitédanssagrandemanœuvrabilitéenl’absencedeventet
sa rapidité. Il est très utilisé dans les cérémonies d’apparat, plus rarement
pendantlesguerressicen’estenMéditerranéeoùlesbarbaresquess’enservent
dans un but de piraterie. Vincent de Paul, nommé aumônier des galères est
confrontéà l’épouvantable misèredes équipagesqui travaillent sousle fouet et
meurent dans des conditions d’insalubrité effroyables. Madame de Gondi,
l’emmèneenPicardiepoursesœuvresdecharité,oùildécouvreaussilamisère
despaysans.
Vincent de Paul est bouleversé par les spectacles de souffrance sociale qui
laissent la plupart de ses contemporains indifférents (Cahier-images, Pl. III).
Danslelangagedutemps,ondiraitquesonâmebrûledecharité.On pourrait
aussi bien dire dans un langage plus contemporain qu’il est capable d’une
empathieprofondepourtousleshumainsqu’ilcroise,qu’ilestd’unegénérosité
sans bornes et qu’il préfigure le courant humanitaire. Sensible à toutes les
souffranceshumaines,ilaccompagneleroiLouisXIIIdanssonagonie.
Sa rencontre puis son amitié avec Louise de Marillac est le point de départ
d’un mouvementchrétien d’exception quiplace la charité aupremier rang des
vertus. Louise de Marillac est la fille d’un homme de petite noblesse qui la
reconnaîtpoursonenfant«naturelle».Iln’yaaucunementiondel’identitéde
samèresursonactedenaissance.Elleestdoncuneenfantbâtardequesonpère
metenpensionaumonastèreroyalSaint-LouisdePoissyoùelleétudiesousla
directiondesatante,mèreLouisedeMarillacquiluidonneuneéducationdéjà
empreinte de valeurs humanistes. À la mort de son père, Louise est prise en
chargeparsononcleMicheldeMarillac,dévotnotoirequiestnommégardedes
Sceaux en 1626. Ce dernier destine sa nièce au mariage bien qu’elle souhaite
consacrersavieàDieu.ElleépouseMichelLeGras,undessecrétairesdeMarie
de Médicis, selon le choix de son oncle. Malgré le caractère arrangé de son
mariage, elle trouve le bonheur dans cette union qui lui apporte un fils.
Malheureusement,cebonheurconjugalestdecourtedurée.Latuberculosedont
MichelLeGrasestatteintymetrapidementunterme.Ellevitdouloureusement
l’épreuve du veuvage et s’interroge sur la « faute » qu’elle aurait commise en
choisissantlemariageplutôtquelecouvent.Elletrouveunréconfortauprèsde
VincentdePaul.Cedernierprêche,aucoursdesmissionsqu’ilconduitdansles
terresdesConti,deseconsacrerau salutdes pauvresavant decultiversapiété
personnelle. À l’issue de ces missions se créent des confréries de Charité qui
réunissent des dames de la noblesse ou de la bourgeoisie qui consacrent une
partiedeleurtempsetdeleursrevenusausoulagementdelamisèredutemps.
L’esprit du mouvement est porté à la fois par le concile de Trente et par
l’éloquence de Vincent de Paul. Sa limite tient au caractère partiel de
l’implicationdesfemmesqui yparticipent,lesquellesgardent enpartieleur vie
confortable.L’engagementdeLouisedeMarillacauxcôtésdeMonsieurVincent
estbeaucoupplusprofond.Elledécideen1633,deréunirsoussontoitdesjeunes
fillespourlesformerauxactionsdecharitéenverslespauvres.C’estledébutde
la compagnie des Filles de la Charité. Elles constituèrent la première
congrégationféminineàobtenird’échapperàlarègledelaclôture.Le25mars
1642, Louise et quatre des premières sœurs font vœu de s’offrir totalement au
serviceduChristenlapersonnedespauvres.Lapremièredesfillesdelacharité
victimedesondévouement,MargueriteNaseau,jeunepaysannedeSuresnesest
morte après avoir contracté la peste auprès des malades qu’elle soignait.
Monsieur Vincent confie la direction de la congrégation à Louise de Marillac.
Ensemble,ils répondent auxappels desplus démunis deleur temps, grâceà la
nouvelle compagnie qu’ils ont établie : éducation des enfants abandonnés,
secoursapportésauxvictimesdelaguerredeTrenteansetdelaFronde,soins
aux malades à domicile ou dans les hôpitaux, service des galériens et des
personnes handicapées, instruction des filles du peuple, participation à la
créationdel’hospiceduSaint-NomdeJésusetdel’hôpitalgénéraldeParis.Rien
n’arrêtelagénérositéetlecouragedecessœursnoncloitrées.Peuàpeu,Louise
de Marillac installe de nouvelles communautés partout où cela est nécessaire,
dansprèsde trentevillesde France,ainsiqu’en Pologne.MonsieurVincent,et
Louise de Marillac sont décédés en 1660, à quelques mois d’intervalle. La
compagniedes filles de laCharité, après lacanonisation de MonsieurVincent,
prit alors le nom de compagnie des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. Le
développementdel’œuvrecontinuaaprèsladisparitiondesfondateurs.Elleest
présente sur les cinq continents, dans 92 pays. Avec plus de 15 000 sœurs en
2016,c’estlacongrégationlaplusimportantedel’Églisecatholique.Lasilhouette
delareligieusedel’ordredeSaint-Vincent-de-Paul,porteused’unelonguerobe
bleueetdecettecoiffesiparticulièrequifaitsongerauvold’ungrandoiseauest,
jusquevers1920indissociabledesimagesd’hôpitauxoumaisonsderetraitedans
denombreuxpays.C’estlaprofessionnalisationdusecteurparamédicalquieut
progressivement raison de ce cliché. Il reste que grâce à la création de cette
congrégation, des femmes du peuple se sont levées et ont donné leur vie pour
venirausecoursdelamisèredupeuple.
LepeupledeFranceavaitgrandbesoindeleurprésence.Lagrandefaminede
1662 détruisit les familles et fit un grand nombre d’orphelins. Le nombre de
victimes fut tellement important que la démographie du pays connut un net
fléchissement.Parlasuite,uneséried’annéesfavorablespermitàlapopulation
de franchir le cap des vingt millions d’habitants. Cette situation fut rendue
possibleprobablementparlemaintienduprixdescéréalesàunniveaupeuélevé
de 1662 à 1688. Mais les veuves de la grande famine se retrouvaient dans une
situation épouvantable lorsqu’arrivait la date de renouvellement des baux qui
permettaitauxpropriétaires(tousles3,6ou9ans)derenégocierlestermesdu
contrat entre le propriétaire et leur métayer ou leur fermier. Elles devaient
chercher de l’aide dans leur famille pour se défendre contre les hausses
auxquelles elles ne pouvaient faire face. Les saisies n’étaient pas rares. La
situationdesfamillescomposéesdemanouvriers(paysanssansterresemployés
danslesexploitationscontrerémunération)etdeleursfemmesn’étaitguèreplus
enviable. Vauban dans son mémoire « Projet de Dîme royale » qui lui valut la
disgrâceroyaleen1707 examinelasituationde cestravailleursdescampagnes.
Ils survivent de différents travaux agricoles qui leur apportaient des emplois à
temps partiel. Vauban mentionne que la femme du manouvrier doit, dans les
tempsdechômage,contribueraurevenupar«letravaildesaquenouille,parla
couture, par le tricotage de quelques paires de bas, ou par la façon d’un peu de
dentelleselonlePays;parlacultureaussid’unpetitjardin;parlanourriturede
quelquesvolailles,etpeut-êtred’unevache,d’uncochonoud’unechèvrepourles
plus accommodez, qui donneront un peu de lait ; au moyen de quoi il puisse
acheterquelquemorceaudelard,et unpeudebeurreetd’huilepour sefairedu
potage.Et,sionyajoutelaculturedequelquepetitepiècedeterre,ilseradifficile
qu’il puisse subsister ou du moins il sera réduit lui et sa famille à faire une très
misérablechère(sic).Etsi,aulieudedeuxenfantsilenaquatre,ceseraencorepis
jusqu’à ce qu’ils soient en âge de gagner leur vie. … » Vauban insiste sur la
précaritédecestypesdefamillefaceauximpôtsetauxtaxesquilesécrasenttout
aulongdel’année.Onpourraitrapprochercesremarquesdediversesfablesde
LaFontainefaisantréférenceaumondepaysan,neserait-ceque«Lalaitièreetle
potaulait…»maisaussisesouvenirdes«ContesdemaMèreL’Oie»rédigés
parPerrault.DanslerécitduPetitPoucet,issud’unetraditionorale,lesparents
face à la disette essaient d’égarer leurs enfants dans la forêt plutôt que d’avoir
recoursdirectementàl’infanticide!Autantquelesloupss’enchargent.Ilexiste,
vers1680,destémoignagesd’arrivéedeloupsanthropophagesdansdesvillages
aussi proches de Paris que Chartres et Gallardon. Des femmes et des enfants
furentdévorés,alorsqu’ilsserendaientauxchampsougardaientlestroupeaux.
Audiredecertainscontemporainsla multiplicitédes cadavresabandonnéspar
faitdeguerreavaitdonnéauxloupslegoûtdelachairhumaine.Unenouvelle
crise vint frapper la population paysanne en 1692/1693. Une série d’épisodes
climatiques catastrophiques (été pourri puis sécheresse) détruisit une part
importante des récoltes. La surmortalité due à cette crise a été estimée par les
historiensà2,8millionsdepersonnes.
Des familles furent décimées et la sous-alimentation devint chronique. Le
caractère dramatique de la crise culmina dans les régions où la paysannerie
pratiquait la monoculture céréalière. Une seconde crise intervint en 1709 au
cours d’un hiver rigoureux et long. Toutes les provinces furent touchées et les
températures descendirent à 20 degrés en dessous de zéro. Bon nombre
d’animauxmoururentfautedefourrage.Cettecatastropheaugmentalamortalité
annuelle de 630 000 personnes. La révolte gronda car dans ces périodes la
populationruraleaccusalegouvernementd’accaparerlesgrainspourlesbesoins
de l’armée et d’ignorer les souffrances de la population causées par les guerres
incessantes.
«FEMMESDANGEREUSES»,FEMMESEXCLUES:
DESPROSTITUÉESAUXMYSTIQUES
LasociétéduXVIIe siècleidentifieles«femmesdangereuses»qu’elleexclut,
parfoissurlabasedesoupçonsinfondés.L’affairedespoisonsquimitencause
LaBrinvilliersfutconsignéedansunrécitdeMmedeSévigné.
LamarquisedeBrinvilliers,aprèsuneenfancemalheureuse,émailléedeviols
et d’incestes, aurait été mariée avec un membre de la noblesse de Robe. Elle
auraitensuitetrompésonépouxàplusieursreprises.Ellesemitàs’intéresseraux
poisonsparl’intermédiaired’unamantGodindeSainte-Croix.Lamarquisefinit
partuersonpèreetplusieursmembresdesafamilledansl’espoirderécupérerà
son profit la totalité de l’héritage paternel. Elle fut arrêtée, mise à la question,
jugée,condamnée puis exécutéepar décapitation en 1676.Madame de Sévigné
narrecetévènement.Lesrumeursdel’époquelaissèrentdirequelespoisonsde
la Brinvilliers auraient été utilisés pour faire mourir à la cour la princesse
Henrietted’Angleterre.
Les prostituées vivaient en nombre dans la capitale. Depuis Henri II, la
prostitutionn’estplus,considéréecommeunesortedeservicepublicquilimitait
lesviols,l’homosexualitéetl’adultère.Le«maldeNaples»,lasyphilis,progresse
après le retour des soldats des guerres d’Italie et la prostitution en assure la
progression.
Quelques établissements de tolérance fonctionnent toujours, sous le couvert
d’une activité légale. Une surveillance sanitaire sommaire y est assurée par les
tenanciers soucieux de la satisfaction de leur clientèle. La grande majorité des
filles travaillent dans la rue sous la férule des maquereaux. Elles viennent de
famillescampagnardespauvreschasséesparlamisèreetparfoismêmevendues
aux souteneurspar leurs propres familles.Elles opèrent de jour,se mêlant à la
fouleauxTuileries,souslesarcadesdelaplaceRoyale,dansleMarais,prèsdes
églisesetmêmedespalaisroyaux.
Certainsproxénètesévitentlesdangersduracolagepublicsoumisauxrisques
desprovocationspolicièresetfonttravaillerleursprostituéessurrendez-vous.
À la fin du XVIIe siècle, la prostitution, toutes formes comprises, a pris une
ampleur incontrôlable, en particulier à Paris. La Reynie, lieutenant de police
depuis1667,demandeàLouisXIVlaréouverturedes«bordeaux»,danslesquels
lecontrôlepolicierpeutfacilements’exercer.Leroirefusepréférantresterdans
lalogiqued’enfermement,déjàappliquéeauxpauvresetauxmendiantsàpartir
de 1656, avec la création des hôpitaux généraux. Il l’étend aux prostituées en
1684grâceà deuxordonnances.Lapremière,datéedu 20avril,créeledélit de
prostitution, qui n’existait pas jusque-là. Sont associées à ce délit les peines de
prison, et d’enfermement dans les hôpitaux généraux. Filles publiques et
maquerelles sont enfermées dans la maison de force de l’hôpital général de la
Salpêtrière,àParis,«lorsqu’ellesyserontconduitesparl’ordredeSaMajesté»,
c’est-à-direparlettrede cachet,«ouen vertudesjugementsqui serontrendus
pourceteffetauChâtelet,parlelieutenantdepolice».
L’enfermementsanctionnelesfemmesquirefusentdeseplierauxcanonsde
lamoralereligieuseetdelamoralesexuelle.Ellesfontlesfraisdel’influencede
l’austère Mme de Maintenon sur Louis XIV vieillissant qui, à partir de 1682-
1683, met un termeà une longue vie d’aventures et de liberté sexuellepour se
tournerversladévotion.Lesprostituéessontemprisonnéesdansdesmaisonsde
forceàPariscommeenprovince.Ellesysubissentunepeinedepénitenceetde
correction par le travail, dans la discipline et l’observation des règles de piété.
Ellesdoiventexpierleurcrimeenverslemariage,lafamilleetl’ordrepubliccar
ellesattaquentlesbonnesmœursetlatranquillitépublique.Lespectacledeleur
débauche risque de contaminer la société tout comme leurs maladies
sexuellementtransmissibles.
La maison de force de la Salpêtrière, vaste et lugubre bâtiment carré, est
organiséeendifférentsquartiersoùlesinternéessontrépartiesenfonctiondela
nature de leur délit. Les « filles et femmes publiques » sont au Commun. Les
«fillesdébauchées»,moinscoupablesquelespremièresetpouvantreveniràla
vertu, sont à la Correction. La Grande Force est réservée aux prisonnières de
marque payant une pension. La Prison est destinée aux détenues par ordre du
roi:voleusesmarquéesparunVouunefleurdelysetcriminellescondamnéesà
vie.
Les«fillesdébauchées»prisonnièresàlaCorrection,lesontàlademandede
leur famille, en application de la seconde ordonnance royale de 1684. Celle-ci
permetauxparentspauvresdefaireenfermerdansleshôpitauxgénérauxleurs
enfants«libertins,débauchésouparesseux»pouryêtrecorrigésparletravail.
AuCommun la«correction »desinternées passeaussiparune rééducation
religieuse : elles doivent prier matin et soir. Elles écoutent la lecture du
catéchismependantletravailetlesrepas.L’assistanceàlamessedesdimanches
et joursde fêtes estobligatoire. Leur enfermementdure le temps voulupar les
administrateursdel’hôpital–detroismoisàunanenmoyenne.Ilsdécidentou
non de leur libération en fonction de leurs marques de repentir et
d’amendement.
Lesmaisonsdeforceconstituentlaréponsedupouvoirroyalàladélinquance
féminine.Pourautant,lesinitiativesprivéesdanscedomainesontégalementles
bienvenues.Lacongrégationreligieuse«LeBonPasteur»estconsidéréecomme
un modèle du genre. Fondée en 1686 par Marie-Madeleine de Ciz, veuve
d’Adrien de Combé, protestante convertie, et des courtisanes repenties, elle
obtient la protection royale en 1688. Elle est renommée par la suite
«CommunautédesfillesduBonPasteur»,dirigéepardesreligieusesvouéesàla
rédemptiondesfillesperdues.Têtesrasées,lespiedschaussésdesocquesdebois,
vêtues d’une robe de bure grossière et de bas de laine, les cent vingt
pensionnaires y sont soumises à une règle de fer. Levées à 5 heures du matin,
ellesprientjusqu’à7heures30,puistravaillentensilencetoutelajournéejusqu’à
22heures.Lesseulesinterruptionssontréservéesauxmesses,auxrepasassortis
de lectures pieuses et aux trois examens de conscience quotidiens où elles
doivents’accuserdeleurspéchésdevanttoutelacommunautéetserepentir.Les
dînerssontaustères:potage,pain,eauetunpeudeviandeparfois.Mêmesice
n’estpasunemaisondeforce,celayressemblefortement.Lamaisonprincipale
setrouveàParis.Lacongrégationcrééeégalementdesmaisonsenprovince:Aix,
Dijon, Avignon, Toulouse, Besançon, Montpellier et Rennes. Elle fonctionne
jusqu’en 1790, date à laquelle la République confisque les biens de la
communauté et où les religieuses sont dispersées. L’emplacement à Paris est
aujourd’huioccupéparlaMaisondessciencesdel’homme.
Parmi les femmes perçues comme asociales, le royaume de France range les
mystiques.C’estassezsurprenantànosyeux.Nousvivonsdansunpayslaïcoù
les choix philosophiques ou religieux de chacun sont libres. Ce choix a été
confirméparlarépubliqueen1905.
DanslaFranceduXVIIesiècle,selonlathéoriedelaroyautédedroitdivin,les
roisdeFrancereçoiventleurautoritédirectementdeDieu.Detellesortequece
pouvoirdivinnesauraitêtrelimiténiparuneautoritémorale,niparuncontrat
social avec le peuple. C’est sur cette notion que se fonde l’absolutisme
monarchique. L’autre émanation de Dieu sur terre, l’Église doit donc être le
support du trône. Bossuet a théorisé l’absolutisme monarchique et le lien avec
l’Églisequiendécoule.Ilestlemoteurprincipaldeladéclarationsurlerôlede
l’ÉglisedeFranceetsadépendanceaupouvoirroyal.IlrédigelesQuatrearticles
de 1682 qui sont demeurés une loi de l’État et qui ont donné lieu à de vives
discussions avec la papauté. Cette loi de l’État restreint l’autorité du pape au
domainespiritueletréserveauroil’autoritésurlesdécisionstemporellesausein
de l’Église de France. On comprend mieux alors les positions adoptées par le
pouvoirroyalaucoursduXVIIesièclevis-à-visdetouteformedespiritualitéqui
s’exprime en dehors des règles de l’Église de France ou hors de cette dernière.
Adopter une telle spiritualité, c’est s’identifier comme un sujet qui n’est pas
totalementfidèleauroi.Lorsquecetteinfidélitéestlefaitd’ungrandnombrede
personnes, le trône est menacé et la guerre inévitable. Même les mouvements
religieux qui touchent une population de peu d’importance numérique sont
persécutés:croireàcôtédeladoctrinedel’Égliseestaussiundélitvis-à-visdela
loidupouvoirroyal.
Ce fut le malheur des femmes mystiques dans la France de cette époque.
Innocemment, elles veulent se vouer à l’amour du Christ dans le même esprit
quelesviergesdespremierstempsduchristianisme.L’imagenuptialedel’union
de ces femmes avec le Christ s’accordaitaux modèles culturels occidentaux du
temps.Danscedifficilecheminquimèneàcetamourmystique,lamortification
estuneétapeincontournable.Parmiplusieurscourantsmystiquesdel’époque,le
quiétismeaeud’asseznombreuxadeptes.IlfutinitiéparMadameGuyonautour
deladoctrinedu«puramour».Cetteexpériencepourtantsoutenueparl’évêque
Fénelon fut condamnée en 1695 car jugée incompatible avec « la pratique des
vertusthéologalesetmorales».LesécritsdeMmeGuyonfurentcondamnés.Elle
fut arrêtée et emprisonnée à Vincennes. Bossuet la persécuta, lui fit subir des
interrogatoires sur la doctrine chrétienne. Elle a laissé un récit de sa captivité.
Bossuet, voulant se rendre « maître de l’affaire », est devenu le « plus grand
adversaire»demadameGuyon.Ilvoitdanslequiétismeunesortededéisme.Il
craintquelacommunicationdirecteavecDieuneconduiselesfidèlesàsepasser
delapratiquereligieuse,del’autoritédesdogmesetdecelleduclergé.Fénelon,
manœuvrediscrètementdesoncôtépourdéfendremadameGuyon.Ilapparaît
qu’elleavaitosécomposerdescommentairessurles ÉcrituresSaintes.Etcomme
c’étaitunelaïqueiln’étaitpasadmissiblequ’elleaitempiétésurlesprérogatives
d’enseignement du clergé ! Mme Guyon est enfin libérée en 1703. Elle réussit
cependant à fonder une sorte de confrérie du « Pur amour » qui regroupe
quelquescommunautés.
Parmilesfemmesetleshommes«socialementsoupçonnables»figurent,bien
évidemment, ceux et celles qui appartiennent à l’une des deux confessions
protestantes.ÀlasuitedelaRévocationdel’ÉditdeNantesen1685,lesréformés
quinevoulurentpasabjurerdurentquitterleterritoireduroyaumedeFrance.
FortementinfluencéparlesvuesdeMadamedeMaintenonetcellesdu«parti
dévot»,lecontextepolitiquedelafinderègnevireàl’absolutismedévot.Ilyaeu
un cheminement progressif de l’application à minima de l’Édit de Nantes vers
une intolérance contre les réformés, hommes et femmes. À partir de 1679 les
réformés sont exclus de tous les offices royaux, ce qui entraîne de lourdes
conséquences pour les moyens d’existence de nombreuses familles
aristocratiquesprotestantes,cequiconduisitnombred’entreellesàaccepterune
conversionforcée. En1681 Marillac,intendant duPoitou, régiontrès marquée
par la réforme, expérimenta la première dragonnade pour forcer à l’abjuration
les familles de la « Religion Prétendument Réformée » (RPR). Alors que des
casernesétaientdisponiblespourlelogementdessoldats,l’intendantarecoursà
lapratiqueanciennequiluipermetd’obligerlapopulationàhébergerdessoldats
dans ses foyers. Louvois, le ministre de la Guerre, envoie un régiment de
cavalerie prendre ses quartiers dans la province. Marillac les loge chez les
réformésenleurpermettantdepilleretderuinerleurshébergeurs.Lesdragons
investissentd’abordlatabledeleurshôtespuiss’emparentdeleurséconomies.
Une fois ces dernières accaparées, les soldats vendent les meubles de valeur et
brûlentlesautres.Sil’hôtes’obstineànepasseconvertir,ilestbrutalisé,puisles
femmes et les filles de la maison subissent les derniers outrages. Ces
malheureusesconnaissentundestinpireencorequeceluideshommes.
En quelques mois, les curés enregistrent 38 000 conversions. Les habitants
s’enfuient vers l’Angleterre, la Hollande. La nouvelle suscite l’indignation de
l’Europeprotestante.LessoldatssontrappelésetMarillacestrévoquépouravoir
ruiné le Poitou. Toutefois cette première expérience a convaincu le Roi et son
entourage.Lesdragonnadessontappliquéesdanstouteslesprovincesfrançaises,
à tour de rôle. Vauban, fort inquiet des conséquences économiques de ces
exactions,rédigeunMémoireàl’attentionduroi.Iltented’attirersonattention
en 1689 sur le sort des huguenots. Il estime le départ vers l’exil à
200 000 personnes sur une communauté qui comportait 800 000 âmes. Une
grande révolte éclate dans les Cévennes, celle des Camisards en 1702. Cette
insurrectiondureplusieursannées.Lesfemmesyparticipentactivement.Leroi
fitenvoyer25000soldatspourlaréprimer.
D’autres restent après une conversion de façade. Ils connaissent des
persécutions,desdénonciations.Parmieuxdesfemmesrésistentetsubissentla
prison.Ce type de persécutioncontinua auXVIII e siècle.Marie Durand,jeune
fille calviniste du Vivarais arrêtée en 1730 résiste à l’intolérance religieuse et
refused’abjurersafoi.ElleestenferméedanslaTourdeConstance,prèsd’Arles,
pendant quarante ans. Cette résistance s’incarne aussi dans les assemblées au
désert où femmes et hommes se rassemblent dans des lieux retirés en pleine
natureoudansdescachessecrètespourprierensemblemalgrélesdangers.Cette
pratiqueestcourantedanslesCévennes,etdanslarégiondeMontpellier.Elleest
aussienusagedansd’autresrégionsduroyaume:lesud-ouestengénéraletplus
particulièrement en Charente et en Saintonge. Dans toutes ces régions, les
pasteurssontentrésenclandestinitéetsillonnentlescampagnesauservicedela
foiprotestante.
La répression des déviances religieuses s’illustre encore avec la lutte du
pouvoir royal contre le jansénisme. Doctrine théologique à l’origine, il inspira
d’abordunmouvementàcaractèrereligieuxquitouchacertainescommunautés
monastiques.S’iltiresonnomdeCorneliusJansenévêqued’Ypresquilethéorisa
danssesécrits,il puisesessourcesdans desdébatsplusanciens.Il portesurla
perceptionAugustiniennedelarelationentregrâcedivine(queDieuaccordeaux
hommes) et liberté humaine dans le processus du salut. Puis il touche des
milieuxcultivésférusdethéologieetdephilosophiequipublièrentdesouvrages
quien sontinspirés,ainsi quedesmembres dela noblessederobe. Apparuau
cours des années de Fronde il se développe aux XVIIe et XVIIIe siècles,
principalement en France, en réaction à certaines évolutions de l’Église
catholique et à l’absolutisme royal. Les jésuites, ordre beaucoup plus porté sur
l’évangélisationquesurlesdébatsthéologiquesselancentdanslacontradiction
des thèses jansénistes et font remonter le débat jusqu’au siège pontifical. Le
cardinalMazarin,pourmettreuntermeàcettepolémiquequimetendangerla
doctrinedelamonarchieabsolue,convoqueen1654puisen1655lesévêqueset
leurfaitsigneruntexteprécisantqueladoctrinedeJanseniusestcondamnable.
Ilrecommandeauxévêques,plutôtréticentslasignatured’untelformulairepar
tous les ecclésiastiques. Le roi, lui, l’imposa au clergé. Le texte comportait une
soumission à une des constitutions du Pape et à la condamnation des cinq
propositionsdeCornéliusJansenius.C’estàcetteétapeduconflitquel’abbayede
Port-Royal des Champs fut prise dans la tourmente. Cette abbaye cistercienne
était dirigée par Mère Angélique Arnaud qui, à partir de 1608, a entrepris de
réformer l’observance de la règle au sein de la communauté (Cahier-images,
Pl.IV).En1626,cettedernière,pourrépondreaunombredesvocationsqu’elle
suscite, acquiert l’hôtel de Clagny, qui est remanié et complété de bâtiments
destinés àle rendre propre à accueillirune communauté religieuse.Une partie
d’entre eux héberge actuellement la Maternité Port-Royal à Paris. Angélique
Arnaud s’y installe avec une partie des sœurs de la communauté en 1648. Elle
meurten 1661.Progressivement,Port-Royaldes Champsinsalubre àcausedes
marécages qui l’entourent se vide. Les religieuses migrent vers Port-Royal de
Paris.
La ferme du lieudit Les Granges située sur les propriétés de Port-Royal des
Champs accueilledepuis quelques années déjà une communauté d’intellectuels
désireuxdemenerunevied’étudeetdeprièreenunlieuretiré.L’abbédeSaint-
Cyranleurrendvisiteetguideleurrecherchespirituelle.Ilssontconnussousle
nomdeSolitairesdePort-Royal.
L’abbayedePort-Royal,estassimiléeàunfoyerdejansénismepourplusieurs
raisons.AngéliqueArnaudestlasœurd’AntoineArnaud,ditLegrandArnaud,
théologienjansénisteinfluent.Ledirecteurdeconscienced’AngéliqueArnaudet
de sasœur Agnès quia été sa coadjutriceest l’abbé de Saint-Cyran,également
janséniste. Les Solitairesvivent une recherche spirituelle teintée de jansénisme.
Leur mode vie et le contenu de leurs travaux attirent un certain nombre
d’anciensfrondeurs,dontdeuxdeleurschefsdefile,laduchessedeLongueville
etleprincedeConti.LacommunautédePort-Royalbénéficiedelaprotectionde
cespersonnagesd’origineprincière(ilssontsœuretfrèreduGrandCondé)mais
cetteprotectionattireévidemmentlasuspiciondupouvoirroyal.
Mazarinneparvientcependantpasàlutterefficacementcontrelejansénisme.
LouisXIV,quiserévèlesonplusduropposant,etcecidèssonarrivéeeffective
aupouvoirenmars1660.LesPetitesécolesdePort-Royalsontainsidispersées.
Lasignaturedu«Formulaire»,estimposéeauxreligieusesdePort-Royalquise
divisentquantàl’attitudeàadopter.
DèslamortdeMazarin,le9mars1661,LouisXIVordonneladispersiondes
novices et des pensionnaires des monastères de Port-Royal des Champs. Il
interditàlacommunautédePort-Royalderecevoirdésormaisdesnovicesetdes
pensionnaires,cequicondamne,àterme,sasurvie.
La crise se réveille en 1664. L’archevêque de Paris, Hardouin de Péréfixe de
Beaumont, demande à nouveau aux religieuses de signer le « Formulaire ».
Malgré une visite de l’archevêque à l’abbaye de Port-Royal des Champs, les
religieusesrefusenttoujoursdesigner.
Péréfixe décide d’exiler par la force seize religieuses de Port-Royal de Paris
dansdifférentscouventsdelacapitale.Àlami-novembre,ilserendànouveau
aux Champs. Les religieuses non signataires sont privées de sacrements et de
leurs confesseurs habituels. En 1707, Louis XIV confisque leurs revenus.
L’abbayenepeutplusvivrenirecruter.Safermeturenetientplusqu’àunfil.
LesreligieusesdePort-RoyaldeParis,prieureentête,signentpourlaplupart
le « Formulaire » dans le courant de l’année 1665. Les religieuses réfractaires,
accompagnées des seize religieuses qui avaient été dispersées dans d’autres
communautés parisiennes, sont envoyées à Port-Royal des Champs. Le
monastèrecomptealorsquatre-vingt-seizereligieuses,surveilléesenpermanence
par quatre gardes, qui leur imposent brimades et interdictions. L’abbesse de
Port-Royal des Champs n’est plus reconnue en tant que telle : l’archevêque ne
reconnaîtcommelégitimeabbessequecelledeParis.Lesreligieusessontcoupées
dumondejusqu’àl’accordquiintervientaucoursdel’été1668.
L’évêquedeMeaux,accompagnésecrètementparAntoineArnauldetLouis-
Isaac Lemaistre de Sacy se rend à Port-Royal des Champs, en mission de
conciliation.Ilparvientàconvaincrelesreligieusesdesignerle«Formulaire»,
objet de la requête de Péréfixe. Elles acceptent à contrecœur. À nouveau elles
peuvent recevoir les sacrements et accueillir pensionnaires et novices. Le
monastèredePort-RoyaldeParisresteséparédeceluidesChamps.
LesSolitairesetlesamisdePort-Royal,reviennentauxGrangesouàl’abbaye.
Lestravauxdeconstructiondesquatregaleriesducloîtresontrepris,jusqu’àleur
achèvementen1671.
MaiscequelesreligieusesdePort-Royalontprispourunepaixdurablen’est
qu’unarmistice.Enmai1679lenouvelarchevêquedeParis,FrançoisHarlayde
Champvallon, fait une visite aux Champs. Il apprend à l’abbesse que le roi a
décidé,ànouveau,d’interromprelerecrutementdenovices,delimiterlenombre
deprofessesdechœuràcinquante,aulieudessoixante-douzealorsprésentes,et
de renvoyer postulantes et pensionnaires. Les Solitaires doivent également
quitterleslieux.
En1707,lebénéficedesrevenusdesterresappartenantàl’abbayedesChamps
estrattachéàl’abbayedeParis.Lesreligieusessontexcommuniées.En1708,une
bullepontificaleordonnelasuppressiondel’abbayedePort-RoyaldesChamps.
En1710,leconseild’Étatordonneladémolitiondel’abbaye.Uncertainnombre
deprochesviennentreleverlescorpsdereligieusesdéfuntesappartenantàleurs
familles. Les contenus des autres sépultures sont déversés dans une fosse
communeanonymeàSaint-Lambert-des-Bois.
STATUTJURIDIQUEDESFEMMES:MARIAGE,DOT,HÉRITAGE
Une législation applicable à l’ensemble du royaume se met en place
progressivementau coursdu XVIIe siècle.Celle-ci doitse substitueraux droits
locaux issus de la tradition orale dans les provinces du nord, ainsi qu’au droit
écrit coutumier des provinces méridionales, souvent hérité du droit romain.
L’écriture de la législation du royaume est inspirée par deux facteurs : la
redécouverte de l’Antiquité et du droit romain par le siècle précédent et le
pouvoir absolu, fruit del’esprit politique du temps. Malheureusement pour les
femmes,ledroitromainconçoitlafemmecommeuneéternellemineure,qu’elle
soitcélibataire,mariée,ouveuve.Ellen’apasdedroitspolitiques,nepeutester
en justice et ne peut être témoin devant un tribunal. Elle n’existe socialement
qu’à travers un droit de possession spécifique à sa condition. Cette spécificité
apparaîtdanslesrèglesquirégissentlemariage.Ladotdelafiancéeconstitueun
élément essentiel des négociations matrimoniales. Dans les milieux les plus
favorisés,ilestpossiblequ’unejeunefille,toutenapportantunedotàsonépoux,
conserve une fortune personnelle. Ces biens « paraphernaux » doivent faire
l’objetd’unactenotarié,cariln’existepasdetextetraitantdeleurexistencedans
lalégislationduroyaume.
Lemariageconclu,lesrelationsentrelesbiensdumarietceuxdesonépouse
dépendentdurégimematrimonialadopté,demêmequelamanièredontilsles
léguerontàleursenfants.Dotethéritagesontdoncétroitementliés.Ladotreçue
par une jeune fille qui se marie est une avance sur son héritage futur. La
disparitiondel’undesépouxouvreunnouveaucyclederedistributiondesbiens
ducouplesaufàcequedesdispositionsspécifiquesaientétéprisespartestament
passédevantnotaire.Lorsquec’estlemariquimeurtlepremier,ledevenirdesa
veuve pose une série de problèmes spécifiques liés au statut des femmes. Ses
conditions de survie ou le maintien de son niveau de vie, son rôle de chef de
famille,l’éventualitédesonremariagesusceptibledefavoriserlatransmissiondu
patrimoine à une nouvelle famille, constituent autant de difficultés qui sont
envisagées avant même la conclusion du mariage. Ces différents aspects de la
question, transmission, dot, veuvage, voient s’affronter deux logiques, l’une
privilégiantlesliensdeparenté,etl’autrelacommunautéqueformeleménage.
La place reconnue aux femmes diffère selon la préférence donnée à l’un ou
l’autreàcesmomentsclésducyclefamilial.
Les familles ont abondamment recours au notaire, pour établir contrats,
accordsettestamentsetpourmettreensuitecestextesdedroitprivéenaccord
aveclesnouveauxarticlesdudroitduroyaume.Lepatrimoinefoncierconstitue
duhautaubasdel’échellesocialelapréoccupationpremièredesfamilles,dans
une société marquée par la prééminence d’une noblesse fortement renouvelée
parl’accroissementdeseffectifsdelanoblessederobeetlepoidsconsidérablede
lapopulationpaysanne.Maisilexisteaussidessecteursminoritaires,concernant
unefaiblemais dynamiquepartiedelapopulation, bourgeoisiemanufacturière
ou commerçante, pour laquelle le patrimoine mobilier joue un rôle beaucoup
plusdéterminant.
Nousavonsvu,plus haut,quelesiècleprécédent,marqué parl’influencedu
courant humaniste et la redécouverte du droit romain, avait favorisé une
perceptionsocialedéfavorabledelafemme.Lalégislationroyalesurlemariage
quisedéveloppedepuislemilieuduXVIesièclerenforcelecontrôledesfamilles,
et surtout du père, sur les choix matrimoniaux des enfants. De même que les
théoriciensdudroitpublicinsistentsurlapuissanceduroi,ceuxdudroitprivé
affirment l’autorité du père sur ses enfants, du mari sur sa femme. Pour les
juristesduXVIIe siècle,lafemmemariéeestplacéesouslapuissancemaritale.Le
liendumariageestsacramenteletnepeutdoncêtrerompu.Seuleuneséparation
corps et de biens peut être obtenue devant un tribunal. Au-delà, la femme est
privéedecapacitéjuridique,etconsidéréecommeunemineure,cequin’étaitpas
lecasàlafinduMoyenÂge.Cetteperceptiondesaféminitéluiinterdittoutacte
juridique sans l’autorisation de son mari, ou, à défaut, d’un juge. Par voie de
conséquence,lesépouses nesont pasmaîtressesde leursbiens apportésendot
qu’ellesnepeuventvendreouengagersansl’autorisationdeleurmari,souspeine
de nullité de l’acte.Il existe des coutumes dans lesquelles, elles ne peuventpas
mêmedisposerdecesbienspartestamentsanscetteautorisation.Auquotidien,
l’administration du patrimoine du couple, quelle qu’en soit l’origine, relève de
l’activité du mari, qui peut seul mettre en location un bien foncier ou en
percevoirlesrevenus.Paradoxalement,unefemmemariéequidisposedebiens
paraphernauxdisposededeuxidentitésdifférentesauxyeuxdelajustice.Pourla
gestiondesbiensqu’elleaapportésendot,ellenepeutesterenjustice,pourses
biensparaphernaux,ellepossèdelacapacitéjuridique.Lasuppressionaudébut
du siècle du « Velléien », qui interdisait à la femme de s’obliger pour autrui,
constitue une mince avancée. La situation de la veuve offre un contraste
saisissant.Celle-cirecouvreeneffettoutesacapacitéjuridiqueàpartirdudécès
desonmari,etreprendlamaîtrisedesonpatrimoine.Sonrôledemèreluiest
généralementpleinementreconnuetdansl’immensemajoritédescasellereçoit
latutelledesesenfantsmineurs,cequilaconduitàagirenleurnom.Siellese
remarie, ces droits de gestion de son patrimoine et de gestion au nom de ses
enfants mineurs disparaissent au profit de son nouvel époux, ce qui la rend
suspectedenepasêtrefidèleàl’intérêtdesenfantsdesonpremiermariage.La
grandemajoritédesfemmes,àl’exceptiondesveuvesetderarescélibataires,est
doncplacéesousl’autoritéd’unhomme,pèreoumari.
Cet ensemble de caractéristiques rapproche beaucoup la France des pays
voisins,demêmequeladiversitédudroitprivé,plusmarquéeencorequ’ailleurs.
Leroyaumesediviseenzonesbiendifférenciées,danslesquelleslafamillen’est
pasrégieselonlesmêmesrègles.L’essordel’absolutismeauXVIIe sièclen’apas
de prise sur ce phénomène de très longue durée. Ni l’affirmation de la
prééminence politique du monarque, ni le renforcement de l’appareil
administratif, ni le développement d’une législation royale sur le mariage,
n’empêchent le maintien d’une très grande hétérogénéité. Aux yeux des
contemporains,elleapparaîttrèsnettementàtraversleprismejuridique.Plusde
trois cents coutumes générales et particulières, souvent rédigées au siècle
précédent,separtagentdemanièretrèsinégaleleterritoire.Lesagrandissements
successifs du royaume enrichissent encore un peu plus une carte d’une très
grandecomplexité.Qu’ils’agissedessuccessionsoudesrégimesmatrimoniaux,
lessolutionslesplusdiversesfoisonnent,obéissantàdeslogiquesdifférentesles
unes des autres, se contredisant souvent. Face à cet émiettement, les juristes
insistentsurleclivagestructurantentrelespaysdedroitécritausud,fidèlesau
droitromain,etlespaysdecoutume,aunord,oùprévautl’héritagemédiéval.Le
pouvoir royal n’a pas produit de loi sur le mariage ou sur les successions qui
encadreraitlavaliditédescontratspassésdevantnotaire.Cerôleaétélaisséaux
droits coutumiers écrits ou oraux utilisés dans les provinces. Les différents
parlements appliquent des jurisprudences dictées par ces coutumes lorsqu’ils
doivent juger de conflits familiaux ou successoraux. Trois familles de systèmes
d’organisationfamiliale, dans le cadredes sociétés rurales, sedessinent dans la
géographie régionale du royaume : système à maison, système à parentèle,
système à lignage selon la typologie utilisée par Georges Augustins (Juriste,
CNRS, 1999).Ils obéissent à des logiquesdifférentes et ne reposentpas sur les
mêmesvaleurs.
LesystèmeàmaisonpratiquédansleLanguedocestunexempledespratiques
dudroitfamilialdumididelaFranceauXVIIesiècle.Lesfamilles,quelquesoit
leurniveausocio-économique,pratiquentenmatièresuccessoralelesystèmede
l’héritier universel. À chaque génération, un enfant est désigné par le père
commehéritier,sesfrèresetsœursnerecevantqu’unepartréduitedesesbiens,
correspondantàleurlégitime,lafractiondesuccessionrevenantobligatoireaux
membres de la famille. Le but est de protéger le patrimoine familial,
essentiellementfoncier,pourletransmettreentier,oumieuxencoreagrandi,àla
génération suivante. Les filles doivent donc en général se contenter d’une dot,
qu’ellesamènentdanslamaisondeleurépoux.Quanduncadetetunecadette
fondent un foyer, ils vont s’établir ailleurs. Dans l’immense majorité des cas
l’aînédesfilsestl’héritierdésigné.Cemodedetransmissiontraduitlesoucide
pérenniser la maison, quitte à sacrifier les cadets lorsqu’ils ne peuvent être
dédommagés correctement. La même logique de préservation de la maison se
trouveaffirmée,avecplusdeforceencore,danslequartsud-ouestdupays.
Lesystème àmaisoncouvre eneffetune largepartie suddela France.Dans
toutecettevastezone,latransmissionentregénérationsprivilégieleprincipede
résidencecontreleprincipedeparenté.Pouréviterlemorcellement,lesfamilles
pratiquent l’héritage préciputaire, qui permet de favoriser un enfant, parfois
deux,audétrimentdesautres.L’appartenanceàunemêmelignée,ouvretrèspeu
de droits, les exclus ne pouvant revendiquer que de maigres compensations
financières. Ce système fondamentalement inégalitaire couvre deux domaines
juridiquementtrès différents.À l’est,comme enProvence ouen Languedoc, le
pèredefamille,disposed’uneautoritéautocratique.Ildésignesonsuccesseur,et
peutmêmerevenirsursonchoixinitial.Salibertétestamentaireestpresquesans
limite, puisque tout testament doit comporter l’institution d’un héritier
universel. L’acte doit énumérer, tous les enfants du testateur, auxquels il doit
faire un legs dont la valeur ne peut être inférieure à celle de leur légitime. Le
montant de cette dernière est modeste. Pour une famille de deux enfants, elle
n’estqued’unsixième,pourunefamilledetroisenfants,d’unneuvième.Rien,en
droit, n’oblige le testateur à choisir un fils plutôt qu’une fille, un aîné plutôt
qu’uncadet.Ilpeutmêmearriverqueleconjointsurvivantsoitinstituéhéritier
universel.Ladésignationdusuccesseurn’estpasobligatoirementtestamentaire.
Ellepeutsefairelorsdumariagedel’héritier.Lecontratrédigéàcetteoccasion
comporte alors une donationeffectuée par le père, généralement accompagnée
d’uneclausedeco-résidenceetdedifférentesdispositionsprotégeantlesintérêts
matérielsdupèreetsonautorité.
Plusàl’ouest,enAquitaineoudanslesPyrénées,ellessontmoinsmarquées,
car il existeune mosaïque de coutumes quirégissent les régimes successoraux.
L’héritagepréciputaireen estlamarquedominante,en particulierdanslazone
pyrénéenne.La coutumelocale imposeune transmission desbiens quisuive le
principed’aînesse.EnBéarnparexemple,rattachéaudomaineroyalaudébutdu
siècle,c’estl’aînédesgarçonsquisuccède,lescadetsrecevantuneportionfixée
par le père. Les pratiques coutumières sont particulièrement dures aux cadets
dans ces zones pauvres de montagne, qui n’acceptent pas l’existence d’une
légitimité.
De même qu’il suit des règles d’héritage préciputaires, le système à maison
repose en matière matrimoniale sur le régime dotal, dans le sud de la France.
À son mariage, la femme apporte une dot, en principe inaliénable bien qu’elle
n’enpossèdepaslagestion,quiconstituesonapport.Ellepeutêtreaccompagnée
danslesmilieuxlesplusaisésdebienspropres,lesbiensparaphernaux.Iln’ya
donc pas fusion des patrimoines, masculin et féminin, puisque aucune
communautédebiensentreépouxn’estprévue.Aumomentdumariage,ladot
estdélivrée au mari,qui en assurela gestion pendantla duréede l’union. Àla
mortdel’épouse,sadotesttransmiseàsesenfants,àlaparentédel’épousesielle
n’apaseud’enfant.Commeladotd’unefillecorrespondàsapartsuccessorale
qui sort de sa maison d’origine, elle est de préférence composée de biens
mobiliers,pournepasémietterlepatrimoinefoncier.
Le mouvement de la dot, sortant d’une maison pour entrer dans une autre,
accompagneledéplacementphysiquedel’épousequittantlamaisondesonpère
pour s’installer dans celle de son mari ou bien souvent de son beau-père. Le
successeur,généralement l’aîné et souventle premier marié, vit habituellement
avecsafemmeetsesenfantsdanslamaisondontilestl’héritier,encompagnie
desesparents,avecsesfrèresetsœursplusjeunesencorecélibataires.Aufildu
temps, les décès des parents, les départs des frères et sœurs, réduisent la
composition du ménage à sa forme conjugale. L’épouse devient seulement la
maîtressedelamaison,quandlagénérationprécédente,disparueoutropfaible,
alaissélaplacelibre.L’emplacementdulitconjugal,ladétentiondesclés,sont
autantdesignesvisiblesdesrapportsdepouvoirdanslefoyer.
Ceux-ci sont remis en question au décès du mari, tandis que se mettent en
place les dispositifs visant à protéger les intérêts de la veuve. Dans le cadre du
régime dotal, elle a le droit de reprendre sa dot, inaliénable. Les contrats de
mariageassurentfréquemmentauxveuves,bienplussouventqu’auxveufs,des
droitsdesurvie.Lapiècemaîtresseenestl’augmentdedot,prissurlesbiensdu
mari,etversésouslaformed’unesommed’argentouplussouventd’unerente
viagère. Son montant est souventfixé en fonction de celui de sa dot, et s’élève
fréquemmentàlamoitiéouautiers.
Larestitutiondeladotposedesérieusesdifficultésàlafamilledesparentsdu
mari,danslamesureoùellen’estpasthésauriséemaisutilisée.Lesortdelaveuve
est donc fréquemment réglé par les dernières volontés de son mari. Il peut
prévoir le versement d’une pension viagère ou plus souvent lui laisser la
jouissancedetoutoupartiedesesbiens.Lorsquelecouplen’apasd’enfants,ou
queceux-cisontencorejeunes,cequiestunesituationfréquenteauXVIIesiècle,
ilpeutfairedesonépousesonhéritièreuniverselle,sansqu’ellesoitpourautant
destinatairefinaledupatrimoine,quidoitreveniràunenfant,depréférenceun
fils,ouàunprochedesonmarisiellen’apaseud’enfantaveccedernier.Quand
les enfants sont très jeunes, le mari peut éventuellement laisser à sa femme le
choixdedésignerelle-mêmesonhéritier.
Lesystèmeàparentèlerelèveprincipalementdelacoutumedubassinparisien.
Les actes notariés et archives judiciaires de l’époque renvoient l’image d’une
société rurale attachée à des valeurs d’égalité, à l’opposé de la hiérarchie qui
structure le système à maison. La coutume prévoit que les familles partagent
égalementleursbiensentretouslesenfants.Onétablitdespartsdevaleurégale
puiscesdernièressonttiréesausortentreleshéritiers.Lacoutumeapplicableest
lacoutumedeParisréforméeauXVIe siècle,quipermet,outrecettedisposition
debase,d’avantagercertainsenfantspartestamentouàceux-ciderenonceràla
succession pour conserver ce qu’ils ont reçu en dot. Ces possibilités sont peu
utilisées. Tous, héritiers et héritières, filles et garçons, au moment de leur
mariage vont s’établir en dehors du foyer parental. Pour acquérir son
indépendance économique, le nouveau ménage utilise indistinctement les
apportsdumarietdelafemme.Ilssontconstituésdeleurpartsuccessoraleou,
quandlesparentssontencoreenvie,d’uneavanced’hoirie,représentantenviron
la moitié de leur future succession et composée surtout de biens mobiliers. La
conséquence néfaste de cette pratique est qu’elle ne règle pas le sort des
personnes âgées, aucun héritier n’étant désigné pour les prendre en charge en
contrepartied’unavantagesuccessoral.
Lessystèmes àparentèlesont largementimplantés dansla moitiénord dela
France.Cerégimecoutumierimposedesrèglesdetransmissiondifférentesselon
la nature et l’origine des biens : biens propres, acquêts et meubles, biens
immobiliers.Sileurdétenteurdisposed’unecertainelibertéàl’égarddesacquêts
etdesmeubles,lesbienspropres,parvenusdanslacommunautédesparentsau
moment du mariage, sont largement protégés. Si les enfants sont issus de
plusieurslits,laplusgrandepartiedesbiensapportéeparchacunedesmèresest
répartieentrelesenfantsissusdesonlignage.Cequiprimen’estpaslavolonté
demaintenirintactunpatrimoine,maisdeleconserverautantquepossibleau
seind’unemêmelignée.Leconjointnepeutjamaishériter,lesbienspropresdu
défunt revenant, en l’absence d’enfants, à des parents du défunt même très
éloignés.Lesdonationsauseinducouple,quipermettraientdetournerlarègle,
sontétroitementcontrôlées.
Deux tendancesantagonistes, qui révèlentdeux perceptions différentesde la
famille,organisentunetypologiedescoutumes.Lesunes,privilégiantlesliensdu
sang,promeuventl’égalitéabsolueentreenfants,tellegroupedescoutumesde
l’Ouest, qui s’inscrivent donc pleinement dans un système de parentèle. Les
enfants doivent rapporter nécessairement au moment de la succession tous les
biens déjà reçus de leurs parents, pour que le partage successoral s’effectue de
manièrestrictementégalitaire.Lesautres,telleslescoutumesduCentre,del’Est
ou du Nord, permettent au contraire d’avantager par un préciput certains
enfants. Si pour certaines coutumes, l’influence du droit romain s’exerce
fortement, pour d’autres comme les coutumes du Nord, ces choix expriment
surtoutl’attachementauménageaudétrimentdeceuxquiensontpartis.Enfin
entre les deux, existent les coutumes d’option, qui comme les coutumes du
groupe orléano-parisien, cherchent à établir un compromis entre ces deux
aspirations contradictoires. Elles permettent à un enfant de choisir entre
rapporteraupartagelesbiensdéjàreçusourenonceràlasuccessionetconserver
cequ’ilaobtenu.
Danslavieducouple,lafemmesetrouveécartéedelagestiondesbiens.La
survenueduveuvagelaprojettedansl’inconnu.Pourpallierlesrisquesinhérents
à cette rupture, les droits coutumiers prévoient des dispositifs en faveur des
veuves.
Audécèsdeleurépoux,ellespartagentparmoitiélesbienscommunsavecles
héritiers. Elles bénéficient aussi d’un douaire, coutumier ou conventionnel qui
ressembleàl’augmentdedotdurégimedotal.Ilconsisteenunusufruitsurune
partie des biens du mari, le tiers dans l’Ouest, la moitié à Paris. Comme
l’augment de dot, il procède du constat que la veuve, par les soins qu’elle a
apportésàlagestionduménageaparticipéàl’augmentationouàlasauvegarde
desesavoirs.Àl’inversedesstipulationsquecontiennentcertainstestamentsdu
Midi,lesmarisnepeuventimposeràleurépousederesterveuvepourbénéficier
de leur douaire. Les remariages de veuves douairières sont donc une pratique
courante dans les familles du Bassin parisien, dans les conditions
démographiquesduXVIIe siècle.
Danslessystèmesàparentèle,les femmes,entantquefilles,sœurs, épouses,
mèresetveuves,ontunrôlebeaucoupplusimportantdanslatransmissiondes
patrimoinesquedanslesystèmeàmaisonduMidi.
Le système lignager est un reflet des liens de parenté au sein des familles
aristocratiques du royaume. La prise en compte du critère de genre privilégie
danscesystèmelaparentémasculineaudétrimentdelalignéeféminine.Sang,
biens et nom ne se transmettent que par les hommes. Dans la France du
XVIIe siècle,c’estenNormandieques’exprimeleplusfortementcemodèle.Une
égalitérigoureuserègneentrefrèresaumomentdupartage,alorsquelessœurs
sont exclues de la succession. La contrepartie de cette renonciation repose sur
leurdot,quileurestdueparleurpèreouleursfrères,etquiestrigoureusement
inaliénable. Elle est aussi constituée préférentiellement de biens mobiliers, les
fillesnepouvant obtenirplusdutiers deshéritagesen présencedegarçons.La
séparationdespatrimoinesauseinducoupleetl’inaliénabilitédeladotsontla
règle. Ces dispositions ont pour fonction d’empêcher que les biens du lignage
soienttransmisparlesfemmesàlafamilledumari.Cetterègleestcellequiest
applicable aux familles roturières. Les famillesaristocratiques, toutes Provinces
confondues y ajoutent la règle du droit d’aînesse qui permet d’éviter le
démembrement du fief familial et de le garder dans la lignée patrilinéaire tant
qu’il y a un héritier mâle. Le modèle social que représente la noblesse
traditionnelle se diffuse au cours du XVIIe siècle à des couches issues de la
bourgeoisiemarchandeetofficière.Lemodedetransmissiondelafortuneoude
l’office n’est pas celui du droit d’aînesse, le père de famille choisissant pour
héritier celui de ses fils présumé le plus capable de lui succéder. Le cas des
officiersestparticulier,puisqueledétenteurd’unofficedoitnécessairementêtre
unhommepourpouvoirexercerlesfonctionsquiysontattachées.
La diversité juridique, les différences sociales, l’hétérogénéité des pratiques
familialesdessinentdanslaFranceduXVIIesiècleunpaysageinfinimentvarié.
Laplacedesfemmesdanslessystèmessuccessorauxn’yapparaîtpasdemanière
univoqueetgarde,dansl’étatactueldesconnaissances,delargespartsd’ombre.
Faceauxhommes,ellesnesontjamaistotalementexcluesdel’accèsàlapropriété
ni des processus de transmission, mais elles restent très majoritairement sans
doute à une place secondaire. Les systèmes qui ont été décrits, dans lesquels
héritage, mariage, veuvage sont appréhendés différemment, leur sont plus ou
moinsdéfavorables,lesystèmeàparentèleétantlemoinsdiscriminant.
À l’intérieur de chacun d’entre eux, la préférencemasculine peut s’exprimer
avec plus ou moins de force, ce qui entraîne des différences marquées, d’une
régionàl’autre,d’unmilieuàl’autre,d’unefamilleàl’autre,quenousrepérons
malpourcettepériode.LeXVIIe sièclesecaractérise,noussemble-t-il,parune
tensionentredesévolutionscontradictoires.D’uncôté,lesjuristesrenforcentle
statutde mineurede la femme,la rendanttoujours plusincapable degérer ses
biens, la plaçant plus étroitement sous l’autorité de son mari. De l’autre, les
contraintesdémographiquesquipèsentlourdementsurlesFrançaismultiplient
lessituationsoùlesfemmesseretrouventdefaitgérantoupossédantdesbiens:
fillessansfrèresdevenushéritières,veuvessansmari,nomméestutricesdeleurs
enfants et maîtresses d’un douaire, épouses remariées. Or posséder un
patrimoine,c’estdétenirunrangetunpouvoirrevendiquésparleshommes.De
cet écart entre l’affirmation d’un ordre idéal masculin et des réalités bien plus
fémininespeuventsurgiralorsdesconflitsetdesmanifestationsdeviolence.
VoirEncadrén°2
Laviequotidienneetlesobligationsdesépousesdeministres
sousLouisXIV
DISPOSERDESONCORPS.
LESFEMMESFACEAUXCONNAISSANCESDESMÉDECINS.
OBSTÉTRIQUE,MATERNITÉ,SURMORTALITÉ
LeregardmédicalsurlesfemmesavaitlaisséauXVIesièclel’idéed’unenature
imparfaite.LeTiers-LivredeRabelais,n’oublionspasqu’ilfutmédecin,estune
caricaturededébatscholastiqueavecthèseantithèseetsynthèsesurl’opportunité
dumariageaurisqueducocuage.Laperceptiondelafemmeparlesparticipants
àlacontroverseestbienprochedelamaximegravée,parFrançoisIer,dit-onsur
unevitreduchâteaudeChambord:«souventfemmevarie,bienfolestquis’y
fie».L’imaged’uneféminitéfragile,inconstante,imparfaiteremonteàAristote.
LesécritsdeGalien,médecingrecduIIesiècleapr.J.-C.,auteurdelathéoriedes
humeurslaissentprésagerqu’ilpartagelepointdevued’Aristote.Àsesyeux,la
femme est « froide et humide », inférieure à l’homme, dans la mesure où ce
dernierest«chaudet sec»(« De UsusPartium »).Quelquesautresauteursde
l’Antiquitéromaine,parmilesquelsPlinel’Ancien,ajoutentmêmequelafemme,
en raison de la menstruation, présente un caractère venimeux. Pendant fort
longtempslatraditionpopulaireestimequelesrèglesontunpouvoirputréfiant.
Bien queces idées perdurentau XVII e siècle,le domaine del’accouchement se
rationaliseprogressivement.Lessages-femmesaucoursdusiècleprécédentn’ont
pour tout bagage que leur expérience personnelle de matrones jusqu’à un édit
royalde1560 quilesoblige àsuivreuneformation sanctionnéeparunjury de
chirurgiens jurés. La question de l’accouchement est un domaine réservé aux
sages-femmes, jusqu’à, dit-on, la décision de Louis XIV en 1663 imposant la
présenced’unchirurgienspécialisé,JulienClément,lorsdel’accouchementdesa
favorite, Louise de Lavallière. Clément écrit en 1668 un ouvrage qui fait
référence, Traité des femmes grosses et accouchées. Trente ans plus tard, il
collationne les interventions qui ont forgé son expérience dans un ouvrage
intitulé Observations.IlestsouventappelésurParis,VersaillesetSaint-Germain
danslescasdifficiles.Maisl’exercicedusavoir-faireprécieuxqu’ilaaccumulése
heurtesouventàladéontologied’Église.L’opiniondesmédecinsetdesreligieux
est, qu’en cas de péril en cours d’accouchement, il faut sauver l’enfant (pour
pouvoirlebaptiser),auxdépensdelaviedelamère.Nombredemédecinsaussi
sonthostilesàlacésariennejugéetropincertaine.
Lestravauxd’anatomieontcependantprogresséet,danslesamphithéâtresdes
facultés de médecine, les recherches en obstétrique et en gynécologie ont
continué sur la lancée d’Ambroise Paré. Malgré les efforts de médecins
praticiens, la question des règles et des raisons de l’écoulement de ce flux
mensuel reste inexpliquée. Ceci n’empêche pas les débats passionnés sur les
causesdelastérilitédesfemmes!LouysdeSerresen1625danssontraitéNature,
causes signes et curation des empeschements de la conception, de stérilité des
femmesexposequelesdeuxsexespeuventêtresujetsàstérilité.Cependantdans
lescroyancespopulairesdèsqu’unefemmenedonnepasnaissanceàunenfant
aprèsquelquesmoisdemariage,l’hommel’accusedestérilité,idéequepartagent
souventlesmédecins.Pourtant,LouiseBoursiersage-femmequimitaumonde
lesenfantsdelareineMariedeMédicisadmonestelesfemmesquisevoyantsans
espoirdegrossesseaccusentleurépouxdanssonouvrageObservationsdiverses
surlastérilité,pertedefruict,fécondité,accouchementsetmaladiesdesfemmeset
enfants nouveaux naiz. Les travaux sur la fonction des ovaires réalisés par le
médecin Jean Liébaut sont encore entachés d’erreurs anatomiques qui ne sont
corrigéesqu’àlafinduXVIIe .Malgrécetteavancée,laprésencedecetorganeest
encore pour nombre de médecins la cause de ses aptitudes physiologiques
inférieures à celles de l’homme et la cause d’une prétendue vulnérabilité
psychologique. La plupart des ouvrages de gynécologie et d’obstétrique de
l’époqueénoncentquelafemmeestunêtrevalétudinaireetqu’onpeutessayer
de la soulager dans ses maux, mais qu’elle doit accepter sa condition d’être
défavorisée par rapport au sexe masculin. Le Médecin charitable, ouvrage d’un
certain Philippe Guibert, énonce comme une évidence que la matrice serait la
causede la plupartdes maladiesde femmes! Plus tardau XVIII eles matrones
conserventcetteconvictionmêmesilesenseignementsetlesécritsdeMadame
LeBoursierduCoudrayontpermisdemieuxformerlesnouvellessages-femmes.
Au-delàdeconnaissancesinexactes,voiremédiocresetdecroyancespopulaires
irrationnelles, certains médecins se sont posé la question de la vie intime et
sexuelledescouples.Malgrélesinterditsdelamorale,AmbroiseParé,ausiècle
précédent, a abordé la question des conseils qu’il serait utile de donner aux
hommes. Il observe que ceux-ci ignorent bien souvent la sensualité de leur
épouse. La fonction du médecin reste délicate, car il peut être appelé comme
conseillerdelafamille,commeexpertauprèsdestribunaux,parexempleencas
deplaintepourviolouencasdedemandedeséparationdecorpsentrelesépoux
(le mariage reste indissoluble car sacramentel). Il arrive aussi que le médecin
devienneunalliédelafemmelorsqu’elleestenbutteauxpréjugésdesonmilieu
social.
LAMATERNITÉSUBIE,LAMORTALITÉDESFEMMES
En général la grossesse est comprise par les médecins comme un état
pathogène,mêmesiellesedéroulefavorablement.Lesobstétricienséprouventde
la compassion face aux souffrances des femmes et s’efforcent de répondre aux
angoisses de leurs parturientes. Le discours médical est alors en conflit avec la
doxachrétiennequicondamnelafemmeàaccoucherdansladouleur.Lapériode
des relevailles est souvent mal vécue par l’époux et la femme demande des
conseils au médecin et pas seulement aux matrones pour retrouver un corps
désirable.
Contraceptionetavortementsont,pourcetteépoque,dessujetsinterdits.Les
hommes de l’art, dans les traités d’obstétrique qu’ils écrivent, contournent le
sujet ou condamnent les interruptions provoquées de la grossesse. Bien qu’ils
évoquentdesraisonsdemoralitéquecesoitparconvictionouparcraintedela
censure, leur refus est principalement lié aux hémorragies difficiles à juguler
provoquéesparcetteintervention.Cependant,quelquesraresmédecinscomme
Louys Guyon n’hésitent pas à aborder la légitimité de l’avortement
thérapeutique. L’obstétricien François Mauriceau estime qu’en cas de danger
pour la vie de la mère, c’est au chirurgien après diagnostic d’aider la mère à
avorter,surtoutencasd’enfantdifformeousupposétel.Lechirurgienpeutaussi
en casd’extrême nécessité pratiquerune césarienne. À la findu XVIe François
Rousset, chirurgien à Montpellier rédigea un traité sur l’enfantement par
césarienne et exposa qu’on pouvait extraire le nouveau-né après une incision
latérale du ventre et de la matrice et que cela n’interdisait pas les grossesses
futures. Cet ouvrage déclenche une polémique en raison des risques de cette
intervention et de la survie non garantie de la mère. Il faut bien admettre que
cette technique n’était jusqu’au dix-neuvième siècle applicable qu’a
l’accouchementdefemmesdéjàdécédées.Lestentativessurdesfemmesvivantes
seterminaientparuntauxdedécèsde100%.IlsembleraitqueRoussetaitécrit
sur cette technique chirurgicale sans l’avoir jamais pratiquée. Utilisée
courammentdenosjours,ellen’estd’ailleurssûrequedepuisladécouvertedes
antibiotiques.Cependant,ilsetrouvacertainesfemmesauXVIIesièclequifaceà
la proposition qui leur était faite de sacrifier l’embryon qu’elles portaient
réclamaient le recours à l’opération. Il semblerait que leur démarche était
inspirée par une forme de revendication égalitariste qui exigeait qu’elles
affrontent la mort comme l’homme l’affronte lorsqu’il est emporté dans la
tourmentedelaguerre.
Les ouvrages d’obstétrique abordent aussi la question de l’allaitement
maternel. Les obstétriciens qui écrivent sur le sujet y sont favorables et
conseillentd’éviterl’allaitementparunenourricemercenaire.Lamèrequiallaite
peutalorss’imposerunehygiènealimentaireetunrythmedevieraisonnable.
Le moment de l’accouchement et des relevailles sont un domaine où
n’interviennent pas que les médecins. Le Concile de Trente a redéfini
l’intervention du prêtre au cours de cette période de la vie d’une femme. Au
XVIIe siècle, une « pastorale de la peur » (c’est l’expression de l’historien Jean
Delumeau) impose aux femmes l’idée que leur rédemption dépend de leur
acceptation du sacrifice maternel. L’opprobre que la faute d’Ève fait peser sur
touteslesfemmesnepeutêtrerachetéquedansuneacceptationdesdouleurset
decraintedelamortinévitablesdelamaternité.
À lafin du XVII e siècle,en 1685, Nicolas Venette,médecin et « sexologue»
avantlalettrepublialeTableaudel’amourconjugal,oul’Histoirecomplètedela
générationdel’homme,ouvragequifitgrandbruit.Faceauxenjeuxidéologiques
et religieux, il remet au premier plan, l’importance de l’amour physique entre
époux. On pourrait, à juste titre, le considérer comme le premier traité de
sexologieen Occident. L’auteury décritle fonctionnementdes organes sexuels
del’hommeetdelafemme.Ilestimequ’enfairebonusageestnécessairepour
« une amoureuse complaisance entre les personnes mariées ». Il se fait aussi le
conseillerdesfemmesafinqu’ellesn’oublientpasdeserendredésirablesàleur
époux,après les grossesses.Afin de nepas être tropcombattu par leshommes
d’Église, Venette avait pris soin de rédiger une préface prudente s’affirmant
commealliédesthéologiensetdesjuristesetfortrespectueuxdesrèglesmorales
dumariage!Voilàquiévitaàcetouvragelesrigueursdelacensure.
ACCÈSDESFEMMESAUSAVOIR:DISCRIMINATION,DIFFICULTÉSETEXCEPTIONS
Lesprémissesdel’accèsàlaconnaissancesontuneavancéeimportantedela
conditiondesfemmesauXVIIe.Entrelasituationdesquelquesfemmesd’Église
auxquelleslesclercsouvrentlesbibliothèquesdesinstitutionsetla situationde
cellesquisontprivéesdeconnaissancesenraisondeleurappartenancesociale,il
s’ouvre des nouveaux espaces de liberté. Celles, nombreuses, auxquelles une
fréquentation épisodique des cours bénévolement délivrés parfois par les curés
dans leur paroisse n’a pas permis de lire vraiment, mais sont capables de
déchiffrerquelquesmotsontaccèsauxouvragesdiffuséssurlesmarchésparles
colporteurs. La bibliothèque bleue publiée à Troyes est une innovation de
l’imprimeur Nicolas Oudot. Ces opuscules imprimés à moindres frais,
abondammentillustrésdegravuresaccompagnéesdetextesbrefs,brochéessous
unecouverturebleuecirculentsurlesroutesdeFrance.Ilsabordenttoutessortes
de sujets, certains concernent la piété, d’autres des romans de chevalerie en
images. On trouve aussi des jeux de société, des récits d’amour courtois, et les
incontournablesalmanachs.Ilamêmeétérecenséunmanueldestinéàaiderles
victimesdelachasseauxfauxnobleslancéeparColbert.Labibliothèquebleuede
Troyesapporteauxpaysansisolésdansleurscampagnesdesinformationssurles
pratiques de leur métier, les recettes de cuisine, des pratiques de médecine
populaire et de quoi se distraire lorsqu’ils disposent d’un peu de temps libre.
L’historienRobertMandrouquis’estintéresséàcettelittératureen1964,arelevé
l’importanceprépondérantedelareligion,delamorale,delapiétédanslessujets
traités. Les avancées doctrinales issues du concile de Trente purent ainsi se
diffuserauprèsdesfemmes,responsables del’éducationreligieuseetmorale de
leursenfants.Endépitdecetaspect,labibliothèquebleuepermitauxpaysanset
paysannesdepasserdudéchiffrementdestextesbrefsliésauximagesàlalecture
detextessimplesmaisstructurés,leurouvrantainsiunpremierespacementalde
libertés.
Endépitdecemodesteprogrèsdesclassespauvresenmatièred’éducation,les
inégalités socialesdans ce domaine semaintiennent, car l’éducation desjeunes
filles des classes favorisées progresse également. À part les enfants issus de
famillesprincièresoudehautenoblessequibénéficientdessoinsdeprécepteurs
particuliers,lamajoritédesjeunesfillesdel’aristocratieesttoujoursconfiéeaux
couvents où l’on se préoccupe un peu d’enseignement mais, plus encore,
d’éducationenvuedelapréparationaumariageouaunoviciat.Lecasparticulier
de la création de la Maison d’éducation de Saint-Cyr par Mme de Maintenon
constituel’exceptiond’envergureàcetterègle.
AuXVII ecommeauXVI e siècle,l’enseignementdanslescollègesneconcerne
quelesgarçons.Leréseaudescollègess’agranditenFrance,principalementdans
lesgrandesvilles,surtoutsousl’impulsiondesJésuitesjusqu’àleurexpulsiondu
royaume de France en 1675. Les collèges élargissent l’offre d’enseignement
jusque-làcantonnéeàlatrèsancienneinstitutiondesécolesdecharitéréservées
auxorphelins,auxséminairesetà quelquesrarespensionsprivées.Lesgarçons
de l’élite sociale ont accès à la lecture, à l’écriture, à l’arithmétique et aux
connaissancesqui,aprèsqu’ilsaientrejointlefoyerparental,leurpermettentde
se former aux activités qu’on y exerce. Cet enseignement leur permet aussi
d’entreràl’universitéquiformeessentiellementdesclercs.Lelivre,réceptacledu
savoir et outil de transmission des connaissances, est contrôlé. C’est une
marchandise qui ne peut rejoindre les étals, qu’après avoir été soumise à la
doublecensuredupouvoirroyaletdesautoritésecclésiastiques.L’éducationdes
garçons passe aussi par le dressage du corps et de ses sensations. Un code de
civilitéetde«bonnesmanières»estinculquédèsl’enfance,dansunecontrainte
quotidienne qui se poursuit au collège. Mais tout ceci ne concerne en rien
l’éducationdesfilles.Cesinstitutionsleursontinterdites.
Lesfillesdes classesmoyennes reçoiventl’essentieldeleuréducation dansle
cadre familial. Malheureusement les historiens détiennent peu d’informations
sur le contenu de ce qui est transmis aux filles. C’est parfois au détour des
correspondances et de quelques livres de Raison, conservés dans les familles,
qu’ilestpossibledeglanerçàetlàquelquesallusions.Unlivrederaison,journal
de bord familial, est un objet caractéristique des familles qui accumulent
quelques richesseset ont besoin d’enregistrer lesévènements qui justifient une
répartitionfuture de celles-ci entreleurs enfants. Aussi ytrouve-t-on aussi des
recommandationssurcomments’exerceràleurbonnegestionlaquellepassepar
unebonneéducation.Lesfilles,danscesfamilles,apprennentlesgestesetsavoirs
nécessaires à une bonne organisation du quotidien : la cuisine, les soins aux
enfantslesplusjeunes,l’entretiendulingeetdesvêtementsdelafamille,savoir
manierlefil,lesaiguilles,lestissus,voilàlessujetsabordés.
Un autre lieu d’éducation des filles est le couvent : une part importante des
revenus des couvents provient de leur activité d’enseignement. Celle-ci s’est
construiteàpartirdel’enseignementdispenséauxnovicesdelacongrégationqui
aétéadaptéetouvertauxjeunesfillesissuesdel’élitesociale,noblesseouhaute
bourgeoisie.AudébutduXVIIesiècle,l’enseignementfaitpartiede lavocation
de certaines congrégations féminines, telles les Ursulines. Quelle que soit la
congrégationretenue,lesparentsyplacentleurfillepouruneduréedequelques
années, non pour préparer une entrée dans la vie religieuse, mais pour leur
donner la culture, le maintien et la tenue nécessaire à l’entrée des jeunes filles
danslemondeavantlemariage.L’enseignementprodiguéaucouventestparfois
ouvert sur l’extérieur. Les parents des élèves de classes aisées veulent souvent
ajouterdesélémentssupplémentairesàl’enseignementaccordéàleursfilles.En
ce cas certains couvents acceptent de recourir pour ces élèves, moyennant des
fraissupplémentaires,àdesprofesseursdedanse,dechant,declavecin,deharpe,
de mandoline et dans certains cas de géographie et de dessin. Certains
professeurs étrangers à l’institution viennent y donner ces cours d’arts
d’agrément. En fait l’attribution d’une mission pédagogique au couvent est un
des résultats du Concile de Trente et de la contre-réforme catholique. Les
Ursulinesdontl’ordrefutfondéenItalieparAngèleMerici,sedistinguentence
quecettemissionestlamissionessentielledel’ordre.Lefonctionnementdeces
établissements d’enseignement est fortement inspiré de celui des collèges de
jésuitesdestinésauxgarçons.LesUrsulinesorganisentlesclassesd’élèvesentrois
niveaux:petites,moyennesetgrandes.Elleshébergentjusqu’àunecentainede
fillesdansuncouvent.Illeurfautalorsfairefonctionnerl’internatetsesservices.
Il convient d’investir en locaux adaptés et en personnel compétent. Malgré le
besoin considérable en capitaux que ce soit en investissement ou en
fonctionnement ces établissements (comme ceux des jésuites) connaissent un
développementtrèsrapide.Parfoislefinancementdecesinstallationsnouvelles
est le fait de princes de l’Église. Mais il est frappant de constater que les
donationssontsurtoutle faitdedévotslaïquesinspirés, sansdoute,parl’appel
aux responsabilités des fidèles initié par le concile de Trente. On peut faire
l’hypothèse que cette population est consciente d’une accélération du
changementdelasociétéquinécessiteunmeilleuraccèsàlaconnaissanceetune
meilleure préparation spirituelle pour leurs enfants et qu’elle construit la
légitimation de ses investissements dans les affaires de la foi sur un sentiment
élitaire. Habitée par son engagement à réformer la société tout entière, son
élévationdanslahiérarchiesocialeestassimiléeàunemesured’ordrespirituel,
justifiée par la piété des œuvres au financement desquelles elle contribue. Ce
sentiment élitaire conduit aussi à une compétition de grandeur avec les autres
membresdecettenébuleusedévoteetfavoriseuneformedesurenchère.
Lecontenudesconnaissancesdispenséesauxfillescomporteengénéraltrois
pôles : un corpus moral et religieux, lecture-écriture et arithmétique et enfin
développement de l’habileté manuelle : maniement du fil, des aiguilles, et du
métieràtisserpourcertaines.Lapartieduprogrammesurlaquelleondemande
aux maîtresses d’école de mettre l’accent, qu’elles soient religieuses ou laïques,
concerne la religion et l’exercice de la piété. Souvent, les premiers livres de
lecturesontdesmanuelsdeprière.Unoutilclassiquedecetenseignementapour
titre « Conduite chrétienne ou Formulairede prières à l’usage des pensionnaires
desreligieusesUrsulines».
Dans les différents établissements où les jeunes filles recevaient un
enseignement, certains adoptent des dispositions innovantes. La pédagogie de
Port-Royalpréconisevers1650decommencerl’apprentissagedelalectureparle
françaisetnonparlelatin.Peuàpeuonenvintàabandonnerl’enseignementdu
latin pour les filles. L’enseignement de l’écriture n’est pas toujours approfondi
parce que pas forcément considéré comme utile aux filles. Les enseignantes
insistentsurlegoûtdutravail.Lesfillettesdoiventpratiquerpendantdelongues
heures,avecrégularitéetaisancelacouture,labroderie,letissageéventuellement
sansoublier,letricot,leraccommodage,latapisserie,ladentelle.Chezlesjeunes
fillesdeclassesaisées,lestravauxd’aiguilledoiventconstituerunmoyendelutte
contre l’oisiveté, jugée propice aux divagations suspectes de l’esprit. Les jeunes
fillesdeclassesmodestestrouventdanslestravauxd’aiguillel’accèsàunmétier,
ainsi qu’à une condition honnête. Les sœurs de Saint-Maur, dans leur action
charitable et éducative auprès des plus démunies, proposent un avenir
d’ouvrières à leurs protégées sans leur donner l’espoir d’acquérir un jour un
brevetouunemaîtrise.
Les historiens qui s’intéressent à l’évolution des savoirs en France à cette
époque ont observé que l’alphabétisation des filles progresse et qu’elle est plus
étenduedanslesrégionsdunordetdunord-estdupays(engrosau-dessusd’une
ligneimaginairequiiraitdelaNormandieàGenève).
Ilest,dansledomainedel’enseignementquel’onprodiguaitauXVII esiècle,
uncastrèsparticulier.ParlavolontédeMadamedeMaintenon,l’écoledeSaint-
CyrestfondéeàquelqueslieuesdeVersailles.Le15août1684,enGrandConseil,
Louis XIV décrète la fondation « d’une maison et communauté où un nombre
considérabledejeunesfilles,issuesdefamillesnoblesetparticulièrementdespères
mortsdansleservice[…]soiententretenuesgratuitement[…]etreçoiventtoutes
lesinstructionsquipeuventconveniràleurnaissanceetàleursexe[…]ensorte
qu’aprèsavoirétéélevéesdanscettecommunauté,cellesquiensortirontpuissent
porterdanstouteslesprovincesdenotreroyaumedesexemplesdemodestieetde
vertu[…]».
Le domaine de Saint-Cyr est attribué en 1685. Les travaux sont dirigés par
Jules Hardouin-Mansart qui réalise une école fonctionnelle et non pas un
couvent. En juin 1686, après quinze mois de travaux, Louis XIV fait don du
domaineàlaMaisonroyaledeSaint-LouisfondéeparMadamedeMaintenon.
Les objectifs concernent la formation pour une élite de jeunes filles pauvres
mais issues de la noblesse. L’État gère cette institution où furent reçues
pensionnaires des filles de sept à dix ans et qui restaient jusqu’à l’âge de vingt
ans.Unenseignementgénéralyestdonnédemêmequelamusique,etlethéâtre.
Lamaisonpeutaccueillir250«DemoisellesdeSaint-Cyr».Ellessontsousla
responsabilitéde36dameséducatricesou«professes»et24sœurs«converses»
assurantlestâchesdomestiques,auxquelless’ajoutentdesprêtresetdupersonnel
laïc.
Les demoiselles portent en guise d’uniforme une robe d’étamine brune
rappelant par leur coupe les robes de cour, nouée de rubans dont la couleur
indiquaitlaclassedel’élève.
Lerèglement,dénomméselonl’usagedel’époque«lesConstitutions»,précise
danssonarticle54«Cequ’ilfautapprendreauxdemoiselles»:
«PremièrementàconnoistreDieuetlareligion[…]Illeurfautinspirerune
grande horreur du vice et un grand amour pour la vertu […]. Il faut leur
apprendrelesdevoirsd’unehonnêtefemmedanssonménage,àl’égarddeson
mari,desesenfantsetdesesdomestiques[…].Onleurapprendraàsetenir
de bonne grâce […] on leur apprendra parfaitement à lire, à écrire
l’orthographe,l’arithmétique[…]».
LesdemoisellesétaientélèvesàSaint-Cyrjusqu’àl’âgede20ans,saufencasde
renvoi, de mariage ou de « circonstances familiales exceptionnelles ».
Lorsqu’elles quittent l’établissement, elles reçoivent une dot suffisant à leur
assurer un mariage convenable ou à leur permettre d’entrer au couvent. Dans
son projet pédagogique Mme de Maintenon fut fortement influencée par
Fénelon,précepteurduDucdeBourgogne,théologien,pédagogueetarchevêque
deCambrai.
Danschaqueclasseonenseigneunprogrammeappropriéàl’âgedesélèves:
les plus jeunes apprennent la lecture, l’écriture et le calcul, reçoivent leurs
premières leçons de catéchisme et des rudiments d’histoire religieuse et des
rudimentsdelatin.Plustardellescontinuentcesmatièresetyajoutentl’histoire
et la géographie. Les jeunes filles apprennent également le dessin, le chant, la
danse,lethéâtreetlamusique.Lesplusâgéessontinitiéesàlaconnaissancedes
blasons (l’héraldique), à l’histoire de l’Église et reçoivent des cours de
philosophie morale. Les maîtresses insistaient sur la vertu de courage et sur la
pratiquedel’obéissance.
Touteslesjournéesdespensionnairessedéroulentselonunemploidutemps
soigneusementfixé:ellesselèventà6heuresdumatinetserendentenclasseà
7 heures pour les premières prières avant de prendre leur repas du matin au
réfectoire. Elles étudient ensuite de 8 heures à midi, puis vont « dîner ». La
récréation dure jusqu’à 14 heures, puis elles reprennent les cours jusqu’à
18 heures. Elles vont souper, pour finalement se coucher à 21 heures. Chaque
momentdelajournéeestponctuéd’uneprière.Cependantcetemploidutemps
ne comporte pas les prières de Matines, contrairement à la pratique en usage
danslescouvents.
L’aide aux tâches domestiques de la Maison royale fait partie de l’éducation
desélèves.Lesplusâgéesdoiventaiderauréfectoireouàl’infirmerie,oucoudre
desrobesetdulingedestinéesàleurscamaradesouauxdameséducatrices.
Les récréations sont une activité importante, et Madame de Maintenon
encouragelesélèvesàlesemployeràdesjeuxd’espritcommeleséchecsoules
dames.Enrevanche,lesjeuxdecartessontinterdits.
À partir de 1698, Madame de Maintenon apporte à l’enseignement de la
Maisonroyaleunemodificationinédite:chaqueclassen’estplusplacéesousla
direction de ses maîtresses, mais divisée en « familles » de huit à dix élèves,
possédantchacuneleur«mère»,généralementl’élèvelaplusâgéedugroupe,et
placéesouslaresponsabilitéd’unedesmaîtressesdelaclasse.
ÀlademandedeMadamedeMaintenon,Racinecomposeen1690unepièce
dethéâtreàsujetreligieux,pourlespensionnaires:Esther.Représentéedevantle
Roi et une partie de la Cour, portée par l’enthousiasme des élèves la
représentation remporte un triomphe. Mme de Maintenon fut cependant
inquiétéeparl’intérêt descourtisanspour lesjeunesfilles quiparticipaientà la
représentation et par l’orgueil que celles-ci tirèrent de leur succès. Racine
composa une autre pièce en 1691 : Athalie. Celle-ci est mise en scène et
représentée devant un public plus réduit et ne rencontra pas le même succès
qu’Esther.
Malgrécela,Racinecontinueàcomposer,enfaveurdecespensionnaires,des
cantiquesenfrançais.Jean-BaptisteMoreauavaitéténommémaîtredemusique
de cette maison. En collaboration avec Racine, il écrit une musique
d’accompagnement pour Esther, Athalie ainsi qu’en 1694 pour certains
cantiques.PlusieursautresmusicienscélèbrescomposentdespartitionspourSt-
Cyr:GuillaumeNivers,Louis-NicolasClérambault.
D’anciennesdemoisellesdeSaint-Cyrayantàcœurdetransmettrel’éducation
qu’elles avaient reçue, au fur et à mesure qu’elles entrent dans des couvents, y
diffusent la pédagogie de la Maison royale, ce qui modifia progressivement les
méthodespédagogiquesdetouslescouventsderenom,quiprirentdavantageen
compte l’instruction et le bien-être de leurs élèves, et non plus l’éducation
religieuse avant tout. La Maison Royale a survécu à la mort de Mme de
Maintenon en 1719, jusqu’à sa fermeture par l’assemblée nationale en 1792.
Napoléon installa dans ses bâtiments son École Spéciale Militaire. Aujourd’hui
une partie des bâtiments, réchappés aux destructions de Seconde Guerre
mondialeetrestaurés,abritelelycéemilitairedeSaint-Cyr.
ACCÈSAUPOUVOIR:FEMMESÉCRIVAINESETREBELLES
Il n’y a guère d’espace où les femmes puissent parler, se faire entendre. Le
salonconstitueuneexception.Lemotlui-mêmeapparaîtplustard,maislelieu
existe,enceXVIIe siècle.Sonapparitionpermetlanaissanced’unevieculturelle
source de progrès hors du milieu des classes dirigeantes. Depuis le siècle
précédent,reineset princessesontdes cerclesau palaisoùelles peuventréunir
des femmes et des hommes et aborder tous sujets de conversation qui les
distraientdusoucidel’exercicedupouvoir.Leshumanistes,versésdansl’étude
desauteursdel’AntiquitésesontconstituésencénaclessouslaRenaissanceoù
ilscomparentetconfortentlesconnaissancesqu’ilsontpuiséesdanscessources.
Ce mouvement se manifeste sur l’ensemble du territoire. La Navarre abrite la
cour deMarguerite d’Angoulême qui est uncénacle littéraire dont les activités
ontconnu unretentissementdans toutle royaumede France.L’apparitiondes
ancêtres des salons au XVIIe siècle où l’on pratique « l’honnête conversation »
entre femmes et hommes est un phénomène français, qui n’a pas d’équivalent
dans les pays voisins. La chose mérite que nous nous y arrêtions. Que des
personnesdesdeuxsexes,puissentseréunirdansunmêmelieupourleplaisirde
laconversationsansquecelle-cinesoitdestinéeàfinalitéslicencieusesestsigne
d’unprogrèsdecivilisation.En Francelamondanitéestpossibleet lesfemmes
des classes aisées exercent une certaine pédagogie dans l’art et la manière
d’ouvrirleurssalons.AudébutduXVIIesiècleaprèsplusdetrenteansdeguerres
de religion, en d’autres termes de guerre civile, les relations sociales étaient
brisées,lamoraleétaitaffaiblieetl’ignorancerégnaitpartout.La sociabilitédes
salonsdonnealorsauxfemmeslesmoyensd’uneluttecontrelecynismeaffiché
par les princes, la violence pratiquée par les reîtres, la grossièreté à l’égard
d’autrui.Danscetexercicederencontresetdeconversations,lesfemmesquise
réunissentparlentdelittérature,de théâtre,depoésie,sujetsde fictionquileur
sont autorisés. On lit « L’Astrée » d’Honoré d’Urfé, on rêve de libre choix en
matièred’amouretdenéo-platonisme.Lesfemmesenseignentauxhommesqui
partagent leurs échanges comment pratiquer un « commerce » agréable. Elles
sontdes«maîtresses»surunmodejusque-làinconnu.Lesfemmesapprennent
auxhommesàplaire,etquelquesmanièresdélicatesdesecomporter.Lessalons
ontajoutéàlacivilité,unpeudegalanterie.
Les premières hôtesses qui ouvrent leur salon sont des femmes de l’élite
parisienne,lanaissance,lafortuneetlalibéralitédeleursépouxleurpermettent
detenircesréunions.Descélibataires,libéréesdelatutelledeleursparents,telle
Madeleine de Scudéry peuvent aussi tenir un salon. Toutes ont acquis un
minimumdeculture.Certaines,pluschanceusesque d’autres,savent lelatinet
accèdentainsiàlalittératuresavantedel’époque.Lesfillesetfemmesdemilieu
réforméont,elles,lachancelorsqu’ellesappartiennentàunefamilledepasteur
depouvoiraccéderàsabibliothèquegénéralementbienfournieenouvragesde
rhétoriqueetdethéologieenlanguefrançaise.
La première génération de femmes recevant dans leur maison est
contemporainedurègned’HenriIV.ÀParis,CatherinedeRambouillet,néede
Vivonne,futla premièreàrecevoirdes amisdanssonhôtel particulier,proche
du palais du Louvre. Cette jeune femme avait reçu par les soins de sa mère,
d’origineitalienne,uneexcellenteculturebilingue.Elleappritaussil’espagnol.La
marquisedeRambouilletalachanced’avoiràsescôtésunépouxbienveillantqui
lui donne toute liberté d’organiser et de transformer l’architecture et le décor
intérieur de leur habitation. Catherine trace les plans de l’édifice, agrandit le
bâtiment, y fait construire un escalier latéral de façon à dégager l’enfilade des
salles. À l’étage elle fait aménager l’alcôve et la ruelle. Ce dernier espace qui
s’étend entre le lit et le mur latéral de la pièce est un lieu d’accueil pour les
intimes.Danscettechambreonadjointdescoffres,desarmoires,desrayonnages
pour les livres. De santé fragile, Catherine réagissait mal aux écarts de
température. Elle évitait de sortir et recevait ses amis dans cet appartement.
Comme elle sortait peu, elle se créa un univers à son image dans cet espace
intime : objets précieux posés sur les meubles et les étagères (vases vénitiens,
porcelainesde chine,marbresantiques) etdécorde fleursfraîches àprofusion.
Elledisposepartoutdesmiroirséclairéspardeslustresdecristal.Laflammedes
bougies ajoute une lumière fantasque à la pénombre de la nuit tombée. Elle a
aussi choisi d’orienter ses fenêtres non sur la rue mais sur le jardin intérieur
qu’elle dessina. Le décor de sa chambre, au lieu des tristes et sombres lambris
usuels,faitappelàdestextilesdecouleursvivespourlesmurs.Lacouleurqu’elle
préfère est le bleu azur, d’où le nom devenu célèbre de « chambre bleue ».
Quelquestableauxd’artistesbienchoisiscomplètentledécor.
Dans cet environnement élégant de qualité, Catherine de Rambouillet reçoit
ses amis parmi lesquels elle compte le poète Malherbe qui lui donne le nom
d’Arthénice,anagrammedesonprénom.Hommesdelettresetpoètesviennent
dans ce salon lire leurs œuvres : ils sont bien considérés à la condition qu’ils
respectentlesrèglesdelabienséance.Corneillevientfairelapremièrelecturede
satragédie« Polyeucte».Ilestdebontonderespecterlecharmedel’endroit,en
usantd’unlangaged’oùsontbannistrivialitésetgrossièretés.C’estàcettemême
époque que Richelieu impose une censure au théâtre pour éliminer les
expressions qui se rapportent aux farces jouées par les théâtres populaires
itinérants et à leurs grossièretés de langage. Dans les salons peu à peu les
expressionsquiévoquentl’amoursedoiventd’enresteràl’abstractionetd’éviter
toutesensualité.Lespoètessemettentàl’unissondansl’écrituredumadrigal.
Ces femmes de l’élite, qui sont ensuite désignées comme « précieuses », ont
aussilavolontédesavoir,d’apprendredenouvelleschosesetdes’intéresseraux
sciences.Ellesn’ontpasaccèsàl’universitéaussilessalonsetlespersonnesqu’on
yinvitesont-ellesdesressourcesdeconnaissancesetd’échanges.Onrencontre,
dans les réunions qu’elles organisent, des physiciens, des médecins, des
astronomes. Les précieuses apparaissent pendant l’époque de la Fronde
(1654/1659)maislessalonsontfaillidisparaîtreaprèscesannéesdeguerrecivile.
Quelques femmes ont soutenu la fronde des princes comme la Grande
mademoiselle.Encorefaut-ilréhabiliterl’imagedecertainesfemmesquisesont
jetéesauxcôtésdeshommesdanscetteactioncontrel’Étatetlamonarchie.
LaGrandeMademoiselle,duchessedeMontpensiernéeen1627estlafillede
Gastond’Orléans,frèreduroi.Elleestuneactricemajeuredestroublesdecette
période.Enjuillet1652,lorsducombatdufaubourgSaint-Antoine,ellefaittirer
lecanondeLaBastillesurlestroupesroyalesquis’opposentàl’arméeduPrince
de Condé. Quelle raison particulière a-t-elle d’agir ainsi ? On a évoqué un
penchant amoureux envers le prince de Condé. Y a-t-il d’autres moyens de
comprendre les volontés d’une femme de la noblesse vis-à-vis de l’autorité de
MazarinetdujeuneLouisXIVàl’époquedelarégence?Lesblessuresd’amour-
propre de la noblesse, princes et princesses par rapport à la progression de
l’autoritéroyalequi lesdépouille deleur pouvoirpolitiquesont-elles lacause ?
L’iconographie de l’époque représente la Grande Mademoiselle combattante, à
cheval, signe que sa révolte a été admise comme légitime bien qu’inacceptable
parlepouvoirroyal.
Les femmes instrumentalisent les salons afin d’y affirmer leur droit à la
considération, mais aussi leur indépendance et leur goût du savoir. Elles
recrutentdansdesmilieuxpluslargesqueceluidelanoblesse,etinsistentsurle
refusd’un mariagequi neseraitpas d’inclination.La maternitéleurparaît être
bien aliénante. C’est l’époque ou Madeleine de Scudéry écrit le roman-fleuve
Artamène ou le Grand Cyrus. Les personnages de ce roman à clé ont
apparemment une correspondance avec des personnages réels du temps de
l’auteure.Leursdébatsconcernenttouslestraitsdelapsychologieamoureuse.La
CartedeTendreenestissue.
Lesprécieusesontchassélesmots«obscènes»,ellesontcherchédestermes
élégants,enontaussiinventé.Maisilseraitinjusted’imaginerleursdialoguesà
l’identiquedeceuxdelapiècedeMolièreLesPrécieusesridicules(1659).Sonbut
n’était-il pas de faire rire le public ? Dans les Femmes savantes (1672) Molière
caricatureaussileurcuriositépourlaconnaissancedessciences.C’étaitpourelles
un atout nécessaire à leur émancipation, aussi leur fallait-il passer par
l’acquisitiondusavoir!
Aprèsl’art dela conversationlesfemmes s’attaquentà l’écriture:elles osent
créer.Orbiendesgenreslittérairesrestaienthorsdeportéedeces«débutantes».
Il faut oser écrire, n’avoir personne à ménager, pas de situation sociale à
sauvegarder. En dehors des manuels de dévotion, que pouvaient écrire les
femmes?Deslettrescertesmaisquin’étaientpasdestinéesàpublication.Pour
une femme il n’était guère admissible de voir son nom dans une publication.
MadeleinedeScudéryécrivitsespremiersouvragessouslenomdesonfrère.Des
femmesauteuressecachèrentsousdesnomsd’emprunt,ouchoisirentderester
dans l’anonymat, comme ce fut le cas pour Madame de La Fayette. D’autres
femmes se découragèrent d’écrire, tant les charges familiales, les enfants, les
maladiesduesauxgrossessesrépétéeslesépuisèrent.
Il y eut trois générations de précieuses. À partir de 1608, Catherine de
Rambouillet,dansla«chambrebleue»tientunsalonlittéraireàParis.Salontrès
brillant,oùlesinvitésrencontrentsafilleJulie(1607-1671),enl’honneurdequi
fut composée « La Guirlande de Julie », jusqu’au mariage de cette dernière.
Àpartirdecettedate,lesaloncommençaàdécliner,etlamortdupoèteVincent
Voitureen1648provoquasafin.
Son salon a exercé une grande influence sur la langue française et sur la
littérature du temps. Les réunions de la « chambre bleue » ont joué un rôle
importantdanslerenouvellementduvocabulairefrançais.
De 1620à 1625 le salonle plus en vogue estcelui de Madame deSablé. Les
habitués en sont Madame de Clermont, Madame Paulet, cantatrice et
musicienneaucharmeéblouissantetlesprécieuxMonsieurVaugelas,auteurde
«Remarquessurlalanguefrançoise,utilesàceuxquiveulentbienparleretbien
écrire » chargé du dictionnaire de l’Académie, Monsieur Segrais académicien
français. Avec son amie la comtesse de Maure future duchesse d’Uzès, elle
s’établit Place Royale, à Paris, où elle ouvre un salon littéraire qui permit au
moraliste François de La Rochefoucauld de créer un nouveau genre littéraire
illustré par ses Maximes. Elle-même en composa avant même celles de La
Rochefoucauld.
De1625à1648:MadeleinedeScudéry,surnomméeSapho,d’aprèslapoétesse
Sappho,estunehabituéedel’hôtel deRambouilletavantd’ouvriren1652,son
propresalonlittéraire,quiseréunitdansLeMarais,d’abordrueduTemple,puis
rue de Beauce. La plupart des célébrités de l’époque, Madame de La Fayette,
Madame deSévigné, et les Montausier, La Rochefoucauld,Conrart, Chapelain,
PomponneetPellissonhonorèrentrégulièrementles«samedisdeMademoiselle
deScudéry»deleursconversationséruditesetgalantes.
De1648à1665:aprèsavoirfréquenté,danssajeunesse,la«chambrebleue»,
Madame de Lafayette, née Marie-Madeleine Pioche de La Vergne ouvre avec
succès son propre salon littéraire dans son somptueux hôtel particulier rue de
Vaugirard(Cahier-images,Pl.III).MadamedeSévigné,entretientavecMadame
de Lafayette et le duc Françoisde La Rochefoucauld une amitié littéraire et de
cœur. Sa correspondance est notée « du faubourg » lorsqu’elle provient de la
demeuredeMadamedeLafayette,ou«ducabinet»lorsqu’ellessontécriteschez
leducdeLaRochefoucauld.MadamedeSévignéaffectionnaitparticulièrement
lefaitque,danslasociétédesesdeuxamis,onappréciebeaucoupsafille.
AvecleducdeLaRochefoucauld,ellediscutedemaximes,carelleaprisgoût
d’en composer elle-même. Chez le duc de La Rochefoucauld, ils lisent en petit
comité les fables et les contes de La Fontaine très appréciés par Madame de
Sévigné.
N’endéplaiseà Molière,lapréciosité esttoutsauf ridicule! Sonraffinement
est une rébellion contre le machisme d’une société qui se complaît dans la
fourberie et la violence. Chassées du champ politique après la répression de la
«Fronde»,lesprécieusesexercentleurlibertédepenséedanslessalons.
L’ARTDELACONVERSATIONETDEL’ÉCOUTE
Lapratiquedel’artdelaconversationcommenceparl’écoutedesautres:«on
ne cherche pas à avoir raison ni à écraser l’adversaire ». Elles préconisent la
maîtrise de soi, « l’esprit de joie » et « la paix civile ». Leurs valeurs sont la
bienveillance,lacourtoisieetlatolérance.
Elles appellent de leurs vœux une société où règne l’égalité entre femmes et
hommes. Mariages arrangés et maternités forcées sont voués à l’exécration. La
possibilitédumatronymatdanslemariageetl’acceptationdel’unionlibrefont
partiedeleurvisiond’unesociétélibre.Enréactionaumachiavélismequirègne
àlaCour,lesprécieusesmettentaupremierplandeleursexigences,vis-à-visde
leursinvitésfemmeset hommes,lasincéritédes sentiments.Dansl’ouvragede
MadeleinedeScudéry,Clélie,en1654,l’autriceaélaboréenaccompagnementde
sonrécit LaCartede Tendre.Elle créeunereprésentation topographiquedela
conduite et de la pratique amoureuses. Il s’agit d’aller de la ville de Nouvelle-
Amitié à la ville de Tendre. À partir de la rencontre initiale, trois voies sont
offertes : la plus rapide, au milieu, conduit au désastre ; celles qui, de part et
d’autre,l’encadrent,assurentlasoliditédes lendemains(sil’onnes’échoue pas
sur l’écueil Orgueil). Entre la Mer d’Inimitié et le Lac d’Indifférence, le fleuve
Inclination mène tout droit à la Mer dangereuse et aux Terres inconnues. Les
précieusesestimentquelescomportementsamoureuxfaçonnentlasociété.Dans
lesréunionsdecessalons,ilssontsujetsàdébats:«lescasd’amour….»quisont
un lointain écho des Cours d’amour du Moyen Âge. Elles estiment que l’art
d’aimerestunartdeparler.Ellesévoquentaussilefaitquel’artdeparlerestun
artdevivreensemble.
Le salon de Madame de La Fayette devient, dans le quartier de Vaugirard,
aprèsledéclindeceluideMadamedeRambouillet,unlieuprivilégiéd’échanges
desprécieuses.
Marie-MadeleinePiochedelaVergneestnéeàParisen1634.Elleestlafille
d’Aymar de La Vergne, et de Marie de Péna, elle-même issue d’une ancienne
lignée de Provence. Dans cette famille l’amour des lettres et la culture se
transmettent par tradition. M. de la Vergne dirige lui-même l’éducation de sa
fille.Ilignorelespréjugésdel’époque,etfaitétudieràsafillelegrecetlelatin.
GillesMénageetVincentdeSegraisfurentsesprécepteurs.En1655ellesemarie
aveclecomteFrançoisdeLaFayette.Elles’établitàParisen1659.MadamedeLa
Fayetteouvre sonsalonlittéraire ruede Vaugirarddansl’esprit decequi avait
fait la renommée du salon de Mme de Rambouillet. Elle devient la dame
d’honneurd’Henrietted’Angleterreàlacour(celle-ciestlapremièreépousede
Philippe deFrance, duc d’Orléans). Madamede la Fayette est l’amieintime de
MmedeSévignéetdeFrançoisdeLaRochefoucauld.
Commeécrivaine,madamede LaFayetteestconnue pardeuxouvrages: La
Princesse de Montpensier en 1662 et La Princesse de Clèves en 1678. L’autrice
décrit dans la Princesse de Clèves la situation et l’atmosphère de la cour
itinéranted’HenriII:
« L’ambition et la galanterie étaient l’âme de cette cour, et occupaient
également les hommes et les femmes. Il y avait tant d’intérêts et tant de
cabales différentes, et les dames y avaient tant de part que l’amour était
toujoursmêléauxaffairesetlesaffairesàl’amour.Personnen’étaittranquille
ni indifférent : on songeait à s’élever, à plaire, à servir ou à nuire. On ne
connaissaitnil’ennui,nil’oisiveté,etonétaittoujourspréoccupédesplaisirs
oudesintrigues».
L’espritdessalonsaeuuneinfluencesuruneélitemasculinedontfaitpartie
FrançoisPoullaindeLaBarre.Cephilosophe,acquisàladoctrinedeDescartes,
suivit un cursus de théologie. Consacré prêtre, il se convertit au calvinisme et
passeenSuisseaumomentdelarévocationdel’éditdeNantes.En1673,ilfait
paraîtreanonymementDel’égalitédesdeuxsexes,discoursphysiqueetmoraloù
l’onvoitl’importancedesedéfairedespréjugez,oùildémontrequel’inégalitéde
traitementquesubissentlesfemmesn’apasdefondementnaturel,maisprocède
d’un préjugé culturel. Il préconise que les femmes reçoivent une véritable
éducation mais aussi de leur ouvrir toutes les carrières, y compris les carrières
scientifiques.
ENDEHORSDESSALONS,DESFEMMESÉDITRICES
ETJOURNALISTESSONT-ELLESCONNUESÀCETTEÉPOQUE?
En France, en 1631 le premier journal, la Gazette, est créé à Paris. Son
fondateur, Théophraste Renaudot, a signé avec le pouvoir royal un accord de
privilège à monopole. Ce dernier lui permet, en exclusivité, de publier, sous
réservedesesoumettreàlacensuredupouvoirroyal.Cetyped’accordimpose
donc d’imprimer hors du royaume toutes les publications similaires
concurrentes.Ledynamismedel’éditionnéerlandaiseetl’accueilfavorabledont
bénéficient aux Provinces-Unies les protestants français exilés à la suite de la
révocation de l’édit de Nantes provoquent une multiplication des gazettes de
languefrançaisepubliéesauxProvinces-Uniesàpartirdesannées1680.Unedes
premières journalistes françaises connue est Anne-Marguerite Petit Dunoyer
(néeen1663),protestantevenuedeNîmesquiromptavecsonmariets’installe
auxProvinces-Uniesoùelleélèvedifficilementsesfilles.Aprèsdiversreversde
fortune elle devint rédactrice du journal La Quintessence des nouvelles,
historiques,critiques,politiques,morales etgalantes,en1711.La publicationbi-
hebdomadaire,traitaitdiverstypesdesujetssansomettredesrécitsde fictions.
Ses deux objectifs étaient d’informer et de distraire mais aussi de donner des
nouvellesde«lacour».
Hormiscesjournauxcontestatairesimprimésàl’étranger,pendantlafronde,
quelques écrivaines participent à des publications contestataires du pouvoir
royal. Parmi les titres qui ont fait l’objet d’archives, on connaît La Gazette des
Halles, Le Babillard et la Gazette de la Place Maubert. Ces publications
s’adressent à un large public,très populaire et au monde des commerçants. Ils
disparurentlorsquel’échecdesdiversépisodesdelafrondefutconsommé.
DESFEMMESDEPOUVOIR:POLITIQUE,MÉCÉNAT,INSTITUTIONSRELIGIEUSES
LeXVIIe,commelessièclesquileprécédèrent,connutdesreinesouprincesses
du sang qui jouèrent un rôle de premier plan dans la vie du pays. Ce siècle
connutdeuxrégences:celledeMariedeMédicisàlasuitedel’assassinatduroi
HenriIV(1610-1614),puiscelled’Anned’AutricheàlamortduroiLouisXIII
(1643-1651).
C’est à la veille du départ d’Henri IV en mai 1610 pour la guerre contre les
EspagnolsqueMariedeMédicissonépouseobtientd’êtrecouronnéereineenla
basilique Saint-Denis. Cette reconnaissance lui donne toute légitimité pour
veiller à l’éducation de son fils aîné le dauphin Louis futur Louis XIII, âgé de
9 ans. Peu après intervient l’assassinat d’Henri IV par Ravaillac et les
contemporains ne manquèrent pas de porter leurs soupçons sur la reine
imaginant qu’elle aurait pu participer à un complot destiné à lui permettre de
s’emparerdupouvoirsuprême.Devenuerégente,MariedeMédicisnegardeque
quelquetempslesconseillersduroi.Sasituationestfragilefaceàlanoblessedu
royaume. Elle choisit une politique de rapprochement avec le royaume
d’EspagnecequiinquiètelesprotestantsduroyaumeàquiHenriIVavaitgaranti
lapaix civilepar l’Éditde Nantesde 1598.La régentes’appuiesur desproches
venus d’Italie ce que n’apprécient pas les princes du sang, dont la famille de
Condé.LareineconvoquelesétatsgénérauxàParisen1614.L’étatdesfinances
du royaume nécessite que des décisions soient prises à la veille de la majorité
officielle de son fils. Le prince de Condé tente sans succès d’organiser
l’oppositionaupouvoirdelarégente.LouisXIIIdevenuroigardesamèredans
le conseildu roi. Elle en prend latête. En novembre 1615 a lieule mariage de
LouisXIIIavecAnned’Autriche.DanscecontexteleprincedeCondéréussità
entrer au Conseil du roi mais peu après il menace à nouveau de soulever la
noblessecontrelepouvoirroyaletlaRégentelefaitemprisonner.Peuaprèselle
faitnommerRichelieusecrétaired’ÉtatpourlaguerreetlesAffairesÉtrangères.
LouisXIIIfinitparécartersamèredupouvoirlorsd’uncoupd’Étaten1617.La
régenteestexilée àBlois.Ellene renoncepaset seménageleconcours duduc
d’Épernon pour s’échapper de Blois, aller se réfugier à Angoulême où elle
provoqueunsoulèvementcontreleroi.Unenégociationentreleroietsamère
est organisée par l’entremise de Richelieu qui aboutit à un armistice de courte
durée. À nouveau, Marie de Médicis tente de soulever les princes contre
Louis XIII. Après un temps d’exil la reine obtient de revenir à Paris et avec
l’appui de Richelieu elle se réconcilie avec le roi. Voyant la puissance
grandissanteduministreauprèsdusouverain,elletentedel’évincersanssuccès.
AprèslajournéedesDupes(novembre1630),MariedeMédicisestcontraintede
seretirerdelascènedupouvoir.Leroil’exileauchâteaudeCompiègne.Delà
ellefuitàBruxellesettentedeserapprocherdelacourdesPays-Basespagnols.
Elle se rend ensuite auprès de ses filles en Angleterre puis en Allemagne dans
l’espoirde trouverdesappuis politiques.Réfugiéeà Cologne,dansune maison
prêtéeparlepeintrePierre-PaulRubens,Mariemalademeurtenjuillet1642.Sa
dépouilleesttransféréeàlabasiliqueSaint-Denis.
La régente avait exercé un mécénatartistique ambitieux et avait mis sous sa
protection des artistes, architectes, sculpteurs, peintres et des lettrés. Elle avait
fait décorer ses appartements au château de Fontainebleau, commandant au
peintre d’Anvers Ambroise Dubois des peintures sur le thème des Éthiopiques
d’Héliodore et d’autres évocations mythologiques pour la galerie du château.
ÀParisaupalaisduLouvrelareineavaitfaitdécorerunvasteappartementpar
des peintures sur le thème de la Jérusalem délivrée d’après le récit du Tasse.
MariedeMédicisorganiseunvastechantieràParis:laconstructiondupalaisdu
Luxembourg dont les plans sont dessinés par l’architecte Salomon de Brosse.
L’influence italienne y est marquée : le lanternon central entouré de deux
pavillons est inspiré du Palais Pitti de Florence. La régente fait venir à Paris
plusieurs artistes pour la réalisation des peintures du Palais du Luxembourg.
GuidoRenietGiovanniBaglioneexécutentdescommandesdetableauxreligieux
etdetableauxauxthèmesmythologiques.EllecommandeàRubensuncyclede
peinturesursavie(cetensembleestactuellementconservéaumuséeduLouvre).
LessculpteursGuillaumeBerthelotetChristopheCochetœuvrentaupalais,des
peintresparticipentauxdécors:PhilippedeChampaigne,SimonVouetrevenu
de Rome. La régente fait aménager un vaste jardin autour du Palais du
Luxembourg,ilestdessinéàl’italienne,inspirédesjardinsBoboli,agrémentéde
fontaines,d’unegrotteetplantédedeuxmilleormes.
LareineAnned’Autrichedevientrégenteenmai1643,leroiLouisXIIIvient
demouriretlecardinaldeRichelieuavaitdisparuendécembre1642.Leroiavait
organisé au préalable par testament un Conseil de régence qui comportait
«Monsieur»,GastondeFrance(frèreduroi)etHenrideCondé,premierprince
du sang. Ils devaient être assistés de plusieurs ministres dont Mazarin et le
chancelier Séguier. Quelques jours après le décès du roi Anne d’Autriche
appuyée par le chancelier convoque le Parlement de Paris et fait casser le
testament de Louis XIII, car il limitait ses prérogatives en tant que régente
pendantlaminoritédesonfilsLouis.
La Régente part s’installer au Palais Cardinal pour profiter des jardins
aménagés (cet édifice devient par la suite le Palais Royal). Anne d’Autriche
nomme pour ministre Mazarin et elle décide de poursuivre la guerre contre
l’Espagne. Plusieurs cabales se succèdent contre la régente. Cependant elle fait
confiance à la politique étrangère de Mazarin dirigée contre la puissance de la
Maison d’Autriche. Elle confie à Mazarin l’éducation politique et militaire du
futur Louis XIV. Les mécontentements et les révoltes se succèdent dès 1649.
DevantledangerimminentAnned’AutricheetledauphinLouisquittentPariset
se réfugient au château de Saint-Germain-en-Laye. Le prince de Condé et son
arméesontchargésd’investirla capitale.L’apaisementest obtenudifficilement,
mais la révolte des princes n’a pas fini de gronder. La régente continue de
soutenir son ministre Mazarin en dépit de la campagne de pamphlets à son
égard.
Enseptembre1651ledauphinLouisatteintl’âgedetreizeans,lamajoritélui
est reconnue et la reine remet les pouvoirs régaliens à son fils. Ce dernier lui
demandede rester au Conseil.La reine quitte la viepolitique après la mortde
Mazarinen1661.Anned’Autricheseretirealorsassezsouventàl’abbayeduVal-
de-Grâce.Ellemeurten1666.DescontemporainscommeMadeleinedeScudéry
exprimèrentleuradmirationpoursonactionetsoncouragependantlarégence
etfaceàlafronde.
Un autre contemporain François de La Rochefoucauld fait référence à la
beauté de la reine. Il avait assisté à la rencontre d’Anne d’Autriche, dans un
contexte diplomatiqueen 1625, avec leduc de Buckingham en Francelors des
préparatifsdumariaged’HenriettedeFranceavecleroiCharlesIerd’Angleterre.
LemémorialisteécrivitàMmedeChevreuseàproposdel’ambassadeuranglais
quelareine«luiparutencoreplusaimablequesonimaginationneluiavaitpu
représenter,etilparutà lareinel’hommedumondele plusdignedel’aimer.Ils
employèrent la première audience de cérémonie à parler d’affaires qui les
toucheraientplusvivementquecellesdesdeuxcouronnes».Lesrumeursallèrent
bontrainàlacour.AuXIXesièclel’écrivainAlexandreDumasmitenscènecet
amour secret dans son roman Les Trois Mousquetaires et bâtit l’épisode des
ferretsdediamantsdelareinedonnésàBuckingham.
L’ÉGLISECONFIECERTAINESRESPONSABILITÉSCARITATIVESÀQUELQUESFEMMES
DEL’ÉLITE
Ces deux reines du XVIIe siècle ont tenu entre leurs mains le destin du
royaume pendant des années difficiles. Leur talent politique n’atteint pas le
niveaudeceluideCatherinedeMédicis,maisonleurdoitd’avoirsudistinguer
chezRichelieu,puischezMazarinlescompétencesindispensablesàlaconduite
d’unepolitiquenécessitantfermetéetsubtilité.L’Églisesemontreaussicapable
de confier de hautes responsabilités à quelques femmes de qualité. Les ordres
religieuxont,àcetteépoque,uneplacesocialedéterminante.Lescommunautés
de sœurs accueillent tous les ans des filles de familles aristocratiques qui, ne
pouvant prétendre à un mariage flatteur pour leur famille entrent en noviciat,
puis prononcent les vœux qui les font entrer définitivement dans la vie
contemplative dans l’observance des vertus théologales chrétiennes : foi,
espérance et charité. Cette dernière a été codifiée au XIIe siècle : nourrir les
affamés,désaltérerlesassoiffés,vêtirlesdémunis,soignerlesmalades,visiterles
prisonniers, enterrer les morts. Ces six formes de don charitable sont une
obligationpourtousleschrétiens.Certainsordresreligieuxseulementinscrivent
cesdevoirsdansleursrègles.LesdébatsduConciledeTrente,àlademandedes
protestants, ont concerné pour partie la question du salut et de la grâce.
L’homme est-il sauvé par la grâce de Dieu s’il secourt charitablement son
prochain ? Défiée par les protestants sur un terrain d’action potentielle qu’elle
avaitcrééetlaisséenfriches,l’Églises’intéresseànouveauausujetdelacharité
quel’ondoitexercerauprofitdesplusdémunis.Celaexpliquequ’àcetteépoque
où les guerres incessantes ajoutées à une injustice sociale millénaire ont créé
beaucoupdedémunis,deuxordrescaritatifsaientfaitleurapparitionetsesoient
développés rapidement. Plus remarquable encore, ils doivent leur
développement à deux femmes que l’Église canonisa par la suite : Louise de
MarillacetJeannedeChantal.Deuxhommesfurentinitialementleursmentors
spirituels. Vincent de Paul pour Louise de Marillac, François de Sales pour
JeannedeChantal,saventvoirencesdeuxfemmeslaforceprodigieusequeleur
donnent lafoi et l’autorité qu’elles-mêmesne se seraientpas crues capables de
déployer.
LouisedeMarillac,ainsiquenousl’avonsvuplushaut,estuneenfantbâtarde
que son pèremet en pension au monastère royal Saint-Louisde Poissy où elle
étudiesousladirectiondesatantequiluidonneuneéducationdéjàempreinte
de valeurs humanistes. À la mort de son père, Louise est confiée à son oncle
MicheldeMarillac,gardedesSceaux.IlladonneenmariageàMichelLeGras.
Devenueveuve,ellerencontreVincentdePaul,alorsengagédansdesmissions
oùilprêchel’engagementauprèsdespauvres.Àl’issuedecesmissionssecréent
des confréries de Charité qui réunissent des dames de la noblesse ou de la
bourgeoisie qui consacrent une partie de leur temps et de leurs revenus au
soulagementdelamisèredutemps.L’efficacitédel’actiondecesconfrériesest
limitéeparlapartialitédel’engagementdecesfemmes.LouisedeMarillacdécide
en1633,deréunirsoussontoitdesjeunesfillespourlesformerauxactionsde
charitéenverslespauvresauxquellesellesconsacrerontleurvie.C’estledébutde
lacompagniedesFillesdelaCharité,premièrecongrégationféminineàobtenir
d’échapper à la règle de la clôture. Monsieur Vincent confie la direction de la
congrégation à Louise de Marillac. Elle installe de nouvelles communautés
partout où cela est nécessaire, dans près de trente villes de France, ainsi qu’en
Pologne. Le développement de l’œuvre continua après la disparition des
fondateurs.
Jeanne de Chantal, comme Louise de Marillac a été mariée. Jeune veuve de
28 ans et mère de quatre enfants, elle rencontre à Dijon l’évêque de Genève,
François de Sales. La richesse et la fréquence de leurs échanges la poussent à
venir s’installer près de lui. À sa demande, elle accepte de diriger un groupe
ouvert à toutes les femmes, même à celles qui, pour des raisons d’âge ou
d’infirmitéétaientrefuséesdanslesordresmonastiques.FrançoisdeSaleschoisit
le nom de « Visitation » pour deux raisons. L’humilité de Marie qui, lors de
l’épisodeévangéliquedelaVisitation,oùlaViergeMarie,enceinteduChrists’en
va aider sa cousine Élisabeth âgée et enceinte de Jean-Baptiste. La seconde est
quelafêtedelaVisitation(le2juilletàl’époque)«étaitpeusolennisée».
Le premiergroupe formé enjuin 1610 s’installe àAnnecy, dans les Étatsdu
duc de Savoie, dans une petite maison des faubourgs, dite la « maison de la
Galerie». La Communautéquitte en1611 la «maison de laGalerie »devenue
troppetitepouraccueillirplusdequatorzepersonnes.JeannedeChantaldécide
d’acquérirlamaisonNycollinvoisinedecelle-ci.Cependanttrèsvitel’affluence
des vocations conduit Jeanne de Chantal à chercher à ouvrir un deuxième
couvent.En1613estposéelapremièrepierred’unmonastèrenouveauàAnnecy.
Certainsauteursontsupposéquelesreligieusessont«visitandines»carlarègle
deleurcommunautéprévoitqu’ellesvisitentlesmaladesetlespauvrespourles
réconforter.
L’ordredelaVisitation,consacréd’abordàlavisiteetauxsoinsdesmalades
puis à la contemplation, comporte au décès de sa fondatrice en 1641, 87
monastèresdanstoutel’Europe.Aujourd’hui,ilregroupe3500visitandinesdans
135couventsrépartisàtraverslemonde.
Auseindel’Église,lesdeuxgrandesfondatricesd’ordrecharitablesnefurent
paslesseulesfemmesauxquellesdesresponsabilitésétenduesfurentconfiées.Les
abbessesdesordresimportantsdéjàenplaceétaient,commelesévêques,choisies
par le roi et confirmées par le Pape dans leurs fonctions. Ce choix prend une
importance particulière en cette période de contre-réforme. Beaucoup de
monastèressont la cible descritiques des protestantsen raison de la vielégère
sinondissoluequ’onymèneetilestessentielqu’ilss’amendent.LeroiLouisXIV
nommeen1670Marie-MadeleineGabrielledeRochechouartdeMortemartàcet
effet,àlatêtedel’abbayedeFontevraudetàlatêtedel’ordrequiyesthébergé.
Cet ordre, a essaimé et comporte plusieurs prieurés en France et même dans
certains pays étrangers. L’ordrea la particularité d’être mixte et dirigé par une
abbesse.SœurdeMmedeMontespan,Gabrielleavaitvécusonenfanceàlacour
et elle avait reçu une excellente éducation. Elle se passionnait pour les langues
anciennes et les langues contemporaines et sa vivacité d’esprit fut remarquée.
Elle orienta ensuite ses études vers la théologie, vers les textes des Pères de
l’Église et la connaissance des conciles. Elle décide de quitter la cour et de
consacrer sa vie à Dieu en prenant le voile en 1664. Louis XIV la nomme,
supérieuregénéraledel’abbayeroyaledeFontevraud,prochedeSaumur,oùelle
devaitprendreladirection delacommunautédes moinesenmême tempsque
celledelacommunautédesreligieuses.Elleremplitavecconscienceethumilité
les devoirs de sa charge. Son autorité s’exerçait sur l’abbaye-mère et sur la
cinquantaine de prieurés qui en dépendaient. Ceci incluait une gestion
économique de ce vaste ensemble patrimonial et des terres qui y étaient
attachées. Cependant Marie-Madeleine Gabrielle n’oublia pas ses études et
transforma Fontevraud en foyer de rayonnement intellectuel et culturel. Elle
traduisit les trois premiers livres de L’Iliade d’Homère et, avec Racine, Le
BanquetdePlaton.ElleentretenaitunecorrespondancerégulièreavecLouisXIV
qui l’avait surnommée« la perle des abbesses ». Il luigarda toute sa confiance
même après la disgrâce de Madame de Montespan. Gabrielle dirigea l’abbaye
jusqu’àsamortetfutinhuméeàFontevraud.
S’ilyaeudepuissantesabbessesreconnuesparlepouvoir,ilyenad’autres
quilecombattirentfarouchement,enparticulieraucoursdelapénibleaffairede
Port-Royal. Mère Agnès Arnauld à Port-Royal des Champs, abbesse de
l’isolement,delaméditationetdelaprièresuccèdeàsasœurAngéliquecomme
abbesse en 1658, lorsque celle-ci, épuisée par ses années d’orgueilleux défi au
pouvoirroyal,abandonnalafonctiond’abbesseetmeurten1661.Ellefutàlatête
du mouvement de refus de signature du « formulaire » de condamnation du
jansénisme que le pouvoir royal et le Pape demandent aux sœurs. Ce conflit
remonteàlafindelafronde.CertainsfrondeursdontladuchessedeLongueville
accordaientleurprotectionauxjansénistes.
ACCÉDERÀLACRÉATIONETAUXARTS
Siècle brillant pour le développement des arts, le XVIIe a consacré de
nombreuxtalents masculins.Peu de sourcesont été conservéessur desartistes
fémininesquiauraient,ellesaussi,méritéd’entrerdansl’histoire.Deuxfemmes
cependant ont laissé une trace de leur engagement et de leur talent exercé au
coursdusiècle.
La musicienne Élisabeth Jacquet est née en 1665 à Paris, où son père était
facteur de clavecins. Sensibilisé par les excellentes dispositions dont elle faisait
preuve,il luidonnaune éducationmusicalede qualité.Enfantprodige, ellefut
présentéeàlacouroùellejouasespremièrescompositionsmusicalesauclavecin.
Élisabeth épousa Marin de la Guerre, organiste à la paroisse Saint-Séverin de
Paris. Très tôt Élisabeth se distingua comme compositrice, claveciniste et
organiste. Elle est régulièrement invitée à se produire devant la cour de
LouisXIVoùsescompositionssontappréciées.Élisabethcomposadelamusique
profane et de la musique religieuse. Elle écrit des sonates pour clavecin, des
motetsmaisaussiunopéra-balletetinnovaenécrivantunecantate.Sonstylefut
influencé par le goût italien. La réussite de sa carrière est un cas exceptionnel
pourunefemme decetteépoquedans cedomaineartistique.Élisabeth Jacquet
de La Guerre est considérée comme l’une des premières femmes en France à
avoir composé un opéra-ballet, elle est reconnue pour ses compositions au
clavecin. Novatrice encore, comme dans la cantate, Élisabeth Jacquet de La
GuerrecompteparmilestoutpremierscompositeursdesonatesenFranceaux
côtésdesoncousinFrançoisCouperin,detroisanssoncadet.L’injusticequilui
est faite doit beaucoup à son instrument de prédilection, le clavecin dont le
destin fut brisé par la Révolution, puis par l’apparition du pianoforte puis du
pianoquiapportèrentunenouvelledimensionàlamaîtrisedelamusique.
À partirdu milieudu XVIIe siècle,la reconnaissancede l’exercicedu métier
d’artistepasse,en France,parl’agrément àl’Académieroyale depeintureet de
sculpture, qui permet d’exposer au Salon, passage obligé de la reconnaissance
publique.
Cependant les femmes artistes ne sont pas autorisées à choisir des sujets
d’Histoire réservés aux hommes. Aussi, les femmes sont-elles cantonnées aux
artsd’agrément,lapeinturedefleursetlanaturemorte,etaumieuxauxgenres
ditsmineursduportraitetdelascènedegenre.Lesrarescasconnusconcernent
des filles, sœurs ou épouses d’artistes : en 1663, la première femme peintre
admiseàl’AcadémieestCatherineDuchemin(1630-1698),peintredefleurs,elle
futl’épousedusculpteurFrançoisGirardonquiétaitauserviceduroiLouisXIV.
«COUVREZCESEINQUEJENESAURAISVOIR!»
TARTUFFEFACEÀDORINE
LespersonnagesfémininsdanslethéâtredeMolièremettentsouventl’accent
surlesmœursdelasociétésousLouisXIV,sansomettrel’hypocrisiedupartides
«dévots»dontTartuffeestlacaricature.Lethéâtredecetteépoquerévèlepeude
choses de la vie quotidienne des comédiennes attachées soit aux troupes
ambulantes,soitauxcompagniesquiexercentdansdessallespermanentesselon
des privilèges liés à la ville concernée. Des contrats lient les acteurs et actrices
pour des durées données qui commencent souvent à la période du Carême et
pourl’annéeàvenir.Lescomédiensambulantsjouentsouventsurlepavéousur
destréteaux.
L’ouvrage de Scarron, Le Roman comique (1651) propose un récit en partie
burlesqueetbaroquesurlaviedescomédiensetcomédiennesdanslestroupes
itinérantes. Ce texte inspira Théophile Gautier pour la rédaction du roman Le
CapitaineFracasseen1863,maisdontl’actionsedéroulesousLouisXIII.
Peu à peu un rythme et des dates des spectacles de théâtre sont fixés à
l’occasiondesfoires.ÀParisilexistedeuxfoiresprincipalesdansl’année:lafoire
Saint-Germain(rivegauche,surdesterrainsdel’abbaye)–defévrieràPâques–
etlafoireSaintLaurent(rivedroite,surdesterrainsdesLazaristes,dansl’actuel
Xearrondissementprochedelagaredel’Est)–enétéetjusqu’enseptembre.Ces
foiressontdeslieuxdecommerce,marchandsetmarchandesvenusdetoutParis
etde la provincelouaient une boutiqueen bois ettoiles contre uneredevance.
Certaines des loges construites au-dessus des boutiques ou auprès des théâtres
éphémères étaient souvent utilisées comme lieux de débauche. Scarron note à
proposdelafoireSaint-Germain:«Foireoùl’onvendmoinsd’affiquetsquel’on
venddechairhumaine».Lesspectaclessedéveloppèrentdanscesfoiressuscitant
desconflitsentre lestroupeset provoquantparfoisdesprocès !Unefusion fut
réaliséeàParisparordonnanceduroien1680,entredeuxtroupesrégulières,la
troupe de l’hôtel de Bourgogne et la troupe de l’hôtel Guénégaud (troupe de
Molière,aprèssondécèsellefutdirigéeparLaGrange).Ilexistaitaussidessalles
privées,despersonnesaiséesrecevaientchezelles,dansleursalonetdonnaient
desspectacles.
Quelquescomédiennesdugrandsiècleontlaissédestraces.MadeleineBéjart
née en 1618 participa aux côtés de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière à la
fondation de l’Illustre Théâtre, en 1643. Elle fut la compagne de Molière et
appartint à toutes les troupes qu’il anima ou dirigea, et créa certains des
principauxrôlesfémininsdescomédiesqu’ilcomposa.GeorgesdeScudéry, un
contemporain,faitd’elleunportrait:
«Elleétaitbelle,elleétaitgalante,elleavaitbeaucoupd’esprit,ellechantait
bien;elledansaitbien;ellejouaitdetoutessortesd’instruments;elleécrivait
fortjolimentenversetenproseetsaconversationétaitfortdivertissante.Elle
étaitdeplusunedesmeilleuresactricesdesonsiècleetsonrécitavaittantde
charmes qu’elle inspirait véritablement toutes les feintes passions qu’on lui
voyaitreprésentersurleThéâtre.Cetteaimablecomédiennes’appelaitIébar»
(anagrammedeBéjart).
M lleDuParccomédiennefrançaise,néeen1633,rencontraMolièreàLyonet
fitpartiedesatroupede1653à1667,avantdepasseràl’HôteldeBourgogneoù
elle créa le rôle-titre de la tragédie de Jean Racine : Andromaque. Marie
Desmares,ditelaChampmeslé,néeen1642,intégral’HôteldeBourgogneetse
fit remarquer dans des rôles de tragédie. Racine écrivit pour cette actrice
plusieurs grands rôles féminins : elle joua Roxane dans Bajazet, Monime dans
Mithridate,lerôle-titredansIphigénie(1674)etPhèdredansPhèdreetHippolyte,
quifutsemble-t-ilsonplusgrandsuccès.Boileaul’aimmortaliséeparquelques
vers:
«JamaisIphigénieenAulideimmolée,
N’acoûtétantdepleursàlaGrèceassemblée
Quedansl’heureuxspectacleànosyeuxétalé,
EnafaitsoussonnomverserlaChampmeslé».
Le talent des comédiennes et des comédiens n’empêchait pas l’Église de les
écarter de la vie de la société par l’excommunication et de leur refuser une
sépulturechrétiennecommeàtoutlepersonnelduthéâtre!Richelieucependant
s’étaitmontréfavorableauxspectaclesdethéâtre,maislasituationsedurcitsous
Louis XIV, lorsque Bossuet publia en 1694 des « Maximes et réflexions sur la
comédie », son hostilité eut une influence sur la pratique de la plupart des
évêques dans leur diocèse. La Bruyère notait avec un trait d’humour qu’il lui
semblait«bizarre»devoir« unefouledechrétiensdel’unetl’autresexequise
rassemblent à certains jours dans une salle pour y applaudir à une troupe
d’excommuniés ! » La situation évolua en s’assouplissant dans le courant du
XVIIIesiècle,maislaquestiondesfunéraillesdemeuraitsouventunobstacle,sile
comédien ou la comédienne n’avait pas fait un acte de renonciation à sa
profession.
VoirEncadrén°2
Femmesdeministres,viequotidienneetobligations
VoirEncadrén°3
LespersonnagesfémininsdanslethéâtreduXVIIesiècle
CHAPITRE3
LESFEMMESAUXVIIIESIÈCLE:
LETEMPSDESREMISESENQUESTION
LES«LUMIÈRES»ETLERENDEZ-VOUSMANQUÉAVEC
LESFEMMES.LARÉVOLUTIONDE1789,RUPTURESET
ESPOIRS
«Ilestnécessairequelesfemmespartagentl’instructiondonnéeauxhommes[…]Parcequeledéfaut
d’instructiondesfemmesintroduiraitdanslesfamillesuneinégalitécontraireàleurbonheur.D’ailleurs
onnepourraitl’établirpourleshommesseulssansintroduireuneinégalitémarquée,nonseulemententre
lemarietlafemmemaisentrelefrèreetlasœuretmêmeentrelefilsetlamère;or,rienneseraitplus
contraireàlapuretéetaubonheurdesmœursdomestiques.L’égalitéestpartout,maissurtoutdansles
familles,lepremierélémentdelafélicité,delapaixetdesvertus.Quelleautoritépourraitavoirla
tendressematernelle,sil’ignorancedévouaitlesmèresàdevenirpourleursenfantsunobjetridiculeoude
mépris?»
NicolasdeCondorcet,inCinqmémoiressurl’instructionpublique,1791
En 1715 après la mort de Louis XIV le royaume comporte 28 millions
d’habitants,lamonarchieabsolues’achèvesurunalourdissementdelasituation
politiqueintérieureetextérieure.
Face aux dépenses successives des guerres dont celle de la succession
d’Espagne,desimpôtsnouveauxontétécréés:lacapitation(impôtsurlerevenu
qui touche toute la population fixé en fonction du revenu estimé de chaque
individu)en1695etleDixièmeen1710(quiportesurtouslesrevenusmobiliers
et immobiliers et aussi sur les offices. C’est un impôt sur les revenus de la
fortune).Cependantune partiedes privilégiés,pardivers typesde manœuvres,
réussissent à échapper à l’impôt.Le royaume est frappé par une grave crise de
subsistancesen1709/1710àlasuited’unhiverparticulièrementrigoureux.Une
autre tragédie de ce type avait pesé sur la population en 1693/1694 faisant des
milliers de victimes avec la disette puis la famine qui provoquent une forte
mortalité.Cettelonguepériodeestaussimarquéeparunecrisemonétaire,l’État
pratiquedesmutationsdelamonnaieenretirantcelle-cidelacirculationeten
diffusant de nouvelles pièces de même valeur nominale mais dont le poids de
métalestdiminué.Lalivretournoisquicirculeperduntiersdesavaleurmétal
entre1686et1710.
L’AUTOMNEDELASOCIÉTÉDESTROISORDRES:
PREMIÈRESFISSURES
Lesrègleshiérarchiquesetle fonctionnementdelasociétéaristocratiqueont
étéfixésetencadrésparLouisXIVdansl’organisationdelacourdeVersailles.
Montesquieu observe dans son ouvrage Les Lettres persanes (1721), critique
déguiséedelamonarchieabsolue:«Leprinceimprimelecaractèredesonesprità
lacour,lacouràlaville,lavilleauxprovinces»(L.XCIX).
LouisXIV dans lesdernières annéesde son règnelutte contrele jansénisme
qui,au-delà d’un sujetpropre au christianisme,a revêtuun caractère politique
malgrésacondamnationpar labulledu Pape(Unigenitusen1713). Cettecrise
déstabilisel’ÉglisedeFrance.
À la mort de Louis XIV en 1715, le pouvoir est confié au Régent Philippe
d’Orléans qui doit prendre en main le sort du royaume en attendant que
l’arrière-petit-filsduroi,ledauphinLouis,orphelin(futurLouisXV)néen1710
puisseaccéderaupouvoir.Lerégentfaitpreuvedepragmatismeetd’habileté.Il
organiselapolysynodie:cemodedegouvernementcomporteseptconseilsqui
assistentlerégentetformentdesministèrescollégiaux.Pendantcetempslefutur
Louis XV bénéficie de l’éducation qui lui est donnée par son précepteur, le
cardinaldeFleury.LeRégenttentedesortirdelacrisefinancièreduroyaumeet
s’appuiesurlesidéesdel’écossaisJohnLaw.LabanqueetlacompagniedesIndes
que crée ce dernier s’effondrent en 1720, après avoir connu un grand succès.
JohnLawconsidèrequelaquantitéd’ordisponibledansleroyaumen’estpasune
richesse en soi, mais un instrument au service du commerce. Précurseur de la
financemoderne,ilpréconiseunemonnaiepapierdontlevolumeestajustésur
lavaleurdelamassedecontratscommerciauxencours.L’idéeestpertinentecar
le volume de la monnaie métal est lié à la production des mines de métaux
précieux. Quand celle-ci est trop faible pour un commerce en cours de
développement rapide, on entre dans une crise des paiements et un envol des
tauxd’intérêtdel’empruntquisusciteunfreinagedel’économie.Danslemême
tempsLawcréelaCompagniedesIndesetlafinance,làencore,pardupapier,
nonplusdesbilletsdebanquecettefois,maisdesactions.Ilal’imprudencede
mettre en route simultanément la banque et la compagnie. Avant que cette
dernière n’ait eu le temps d’engranger les profits de son activité, un vent de
paniquepousseles clientsdela banqueàdemander l’échangedeleur monnaie
papiercontredelamonnaieor.Lenuméraireordelabanqueaétéabsorbépar
lesfraisdecréationde lacompagnie.Lawestobligédereconnaître qu’ilesten
défautdepaiement:lesystèmeestenétatdebanqueroute.
Le fonctionnement de la polysynodie ne donne pas satisfaction et reçoit les
critiques du parlement de Paris. À la même période une tentative de complot
émanantd’ungrouped’aristocrates,viseàéliminerdupouvoirleRégent.Dansle
domaine de la politique extérieure, la paix d’Utrecht est signée tandis qu’un
rapprochement avec le royaume d’Angleterre est esquissé. Le très jeune roi
LouisXVarriveaupouvoiren1723,samajoritéofficielleaétéproclaméeàl’âge
detreizeans,lorsdu«litdejustice»duParlementdeParis.
Lesouverainrestesousl’influenceducardinalFleury.Cedernierdoitmettre
un terme aux troubles provoqués par les jansénistes. L’affaire n’est pas simple
d’autant que beaucoup de prêtres des quartiers centraux de Paris sont des
«sympathisants»jansénistesetqu’ils onttransmisàlapopulationlocalela foi
danslesdogmesdecemouvement,enparticulierlacroyancedanslesmiracles,
signesdelavolontédivine.Undiacredecettemouvance,lediacrePârismeurten
1727. On l’enterre au cimetière St-Médard où sa tombe devient un lieu de
pèlerinages.Aucoursdecesderniers,desmanifestationsexaltéesdelafoisont
source d’agitation convulsionnaire. Dans cet environnement passionnel, des
miracles présumés se déroulent sur la tombe du diacre Pâris. Le phénomène
prendunetelleampleurquelesautoritésreligieusess’émeuvent,puislepouvoir
politique.Lemouvementestinterdit,ilentredanslaclandestinitémaiss’étendà
plusieursvillesdeprovince.
Dans le domaine de la politique extérieure le décès du roi de Pologne et
électeurdeSaxeAugusteIIen1733amèneleroyaumedeFranceàsedéclarerau
sujet de ce trône électif vacant, afin de contrecarrer l’influence russe. Cette
questionsuscitelesintérêtsdeplusieursétatseuropéens.LouisXV,âgédequinze
ans,aépouséMarieLeszczynska,en1725.ElleestlafilledeStanislasLeszczynski
roidePolognede 1704à1709.La royautéde Pologneestuneroyautéélective.
Deuxcandidatss’opposentpoursuccéderauroiAugusteII:sonfils,FrédéricII-
Auguste, devenu électeur de Saxe par hérédité, et Stanislas Leszczynski. Le
premierestsoutenuparlaRussieetl’Autriche,lesecondparlaFrance.Stanislas
Leszczynski est vaincu lors du siège de Dantzig par l’armée russe en 1734. Il
renonceformellementautrônedePologneen1736.
En 1740, avec la mort de l’empereur Charles VI archiduc d’Autriche, la
succession d’Autriche est ouverte. Charles VI a deux filles. Il règne sur les
possessions de la famille Habsbourg : l’archiduché d’Autriche, le royaume de
Hongrie,leroyaumedeBohême,lesPays-Bas(pourlapartieméridionaleissue
de l’héritage espagnol) et certains territoires italiens. Il est élu, comme cela est
d’usagedepuisplusieurssiècles,empereurduSaint-Empireromaingermanique.
Il est le second filsde Léopold Ier qui avait pris des dispositionstestamentaires
faisantdeluil’héritierdugrand-duchéetprévoyantques’iln’avaitpasd’enfant
mâle, les filles du frère aîné de Charles recevraient la succession par ordre
d’aînesse.Aprèslamortdesonpère,CharlesVIpassedixansdesavieànégocier
avecsesvoisinseuropéensuntraité,la«Pragmatiquesanction»,quimodifiele
testament de son père et fait de ses propres filles ses héritières potentielles. Sa
démarchedenégociationestdifficileàcomprendresionometlefaitquetoutes
lesfamillesrégnantesétant liéesparmariage, lesétatsvoisinspouvaient arguer
deliensdeparentépourprétendreàunesuccessionouverteàlatêted’unÉtat,
saufàcequeledéfuntsouverainaitunhéritiermâle.LaFranceavaitsigné,elle
avait reçu en remerciement de son acceptation le duché de Lorraine. Lorsque
Charles VI meurt en 1740, les états signataires de la « Pragmatique sanction »
oublientleursignature!L’Autricheestaffaiblie:lescaissesdutrésorsontvides
et l’armée est désorganisée. La nouvelle archiduchesse Marie-Thérèse, âgée de
23ans,estinexpérimentée.Lespayseuropéensquientourentlespossessionsde
l’archiduchéprofitentdecettefaiblessepourtenterdes’emparerd’unepartiede
ses territoires. L’archiduchesse veut aussi faire élire son époux, François de
Lorraine,àlatêtedel’Empireetpourcelaonattendqu’elle«achète»desvotes.
C’estjustementlaPrussequiouvreleconflitendemandantlaSilésieenéchange
d’un vote favorable. Comme l’archiduchesse hésite, la Prusse occupe
militairement la région. La France trouve un biais diplomatique. Elle ne
revendique aucune concession territoriale, mais elle soutient la candidature de
l’électeur de Bavière au titre d’empereur et se retrouve, de fait associée aux
prétentions territoriales de ce dernier. En 1741, un traité d’alliance contre
l’Autriche réunit la Bavière, la France, l’Espagne, la Prusse, l’électeur de Saxe,
l’électeur Palatin, l’électeur de Cologne. Des troupes françaises envoyées en
AllemagneetBohêmesontmisesàladispositiondel’électeurdeBavière.
L’AutrichereçoitlesoutiendelaGrande-Bretagne,desProvinces-Uniesetde
laRussie.LaGrande-BretagneetlesProvinces-Uniessontsurtoutmotivéespar
leur aversion pour le royaume de France. Pendant huit années, le centre de
l’Europe est le siège de multiples batailles au cours desquelles des territoires
changentplusieursfoisdemains. Lestroupesfrançaisesparticipentàcesluttes
souslecommandementdesBavarois.
En1744, le conflitse déplace.La Francedéclare la guerreà l’Angleterreet à
l’Autriche. La cible est cette fois les Pays-Bas autrichiens qui, après avoir
appartenuauxHabsbourgd’EspagnesontpasséssouslecontrôledesHabsbourg
d’Autriche. Louis XV est vainqueur à Fontenoy (1745). En 1746, il entre dans
Bruxelles. Sous les ordres de Maurice de Saxe, la conquête des Pays-Bas
autrichienscontinue,jusqu’auxfrontièresdesProvincesUnies.Lesecondtraité
d’Aix-la-Chapelle, conclu en octobre 1748 met fin à la guerre de Succession
d’Autriche.LaFrancerendàl’AutrichelesPays-Basautrichiens.
Autermedecettelongueguerredehuitans,laviedelacouràVersaillesest
cependantmarquéeparunamplemécénatartistique.LouisXVfaitrecevoiràla
cour Mme d’Étiolles marquise de Pompadour, femme cultivée qui exerce une
forteinfluencependantunevingtained’annéesetappuielesactivitésdesartistes
àlacour.C’estl’époqueoùLouisXVs’appuie,danssongouvernement,surson
secrétaired’Étatàlaguerre,Marc-Pierred’Argenson.Issudelanoblessederobe,
il a été le lieutenant général de police du Régent. À la mort de ce dernier,
d’ArgensonentredanslescommissionsduConseiloùilparticipeàlarédaction
des ordonnances civiles du chancelier d’Aguesseau. Le cardinal de Fleury le
nommedirecteurdelaLibrairie,puisprésidentduGrandConseil(1738-1740),
et intendant de Paris (1741). Il est nommé ministre d’État en 1742, puis
secrétaired’ÉtatdelaGuerreen 1743,puissurintendantdespostesetrelais de
France en 1744. L’armée lui doit les réformes majeures qui lui ont permis de
s’illustrerdanslesguerresquiontprécédélapaixd’Aix-la-Chapellede1748.On
doitàsapassionpourl’arméelacréationdel’Écolemilitaire,etduChamp-de-
Mars.En1749,aurenvoideMaurepas,ilsevoitconfierenoutrelagestiondela
villedeParis.IlfaitdresserlesplansdesChamps-ÉlyséesetdelaplaceLouisXV.
Ilconnaît,en1757,ladisgrâcequileconduitàl’exildanssonchâteaudesOrmes.
LapolitiqueextérieuremènelaFranceànouveaudansunconflitinternational
lorsdelaguerredeSeptans,de1756à1763.Lesenjeuxconcernentdesconflits
européens dans l’espace germanique mais aussi dans les colonies françaises et
anglaises en Amérique du Nord, ainsi qu’en Inde. Alors que la guerre de
Succession d’Autriche, opposait principalement l’Autriche alliée à la Grande-
BretagneetlaPrussealliéeauroyaumedeFrance,laguerredeSeptAnsoppose
laFrancealliéeàl’AutricheetlaGrande-BretagnealliéeàlaPrusse.D’autrespays
européens participent également à cette guerre : l’Empire russe aux côtés de
l’Autriche et le royaume d’Espagne aux côtés de la France. La Prusse et la
Grande-Bretagne sont les principales bénéficiaires du conflit. En Amérique du
Nord et en Inde, il fait presque entièrement disparaître le premier Empire
colonial français, principalement au profit de la Grande-Bretagne. La Prusse
remporte la victoire de Rossbach sur la France et de Leuthen sur l’Autriche
(1757).L’ancienneprééminencedel’AutrichesurleSaint-Empireestdésormais
menacéeparlaPrusse.LeducdeChoiseuldevientsecrétaired’Étatauxaffaires
étrangèreslorsqu’onenvientànégocierlapaixlorsdutraitédeParisen1763.La
FrancecèdeunegrandepartiedelaLouisiane,lariveouestduMississipi,àl’allié
espagnol,car elle n’a plusla capacité à ladéfendre contre les Britanniques.Au
nordducontinent,malgréunerésistancehéroïquecontrelesAnglais,Acadiens,
Québécoisettribusindiennesalliéessontvictimesdeleurinférioriténumérique.
LeCanadaestperdu.
Dansledomaineintérieur,lerègnedeLouisXVestmarquépardesréformes
innovatrices, déterminantes quant à l’impulsion qu’elles donnent à l’économie
du pays. Parmi celles-ci, la création du corps des Ponts et chaussées tient une
place de choix. Les ingénieurs formés sont des experts qualifiés. C’est aussi
l’époqueoùonsesouciedel’économiepolitiqueaveclapublicationdestravaux
de Vincent de Gournay puis de François Quesnay. De Gournay, commerçant
international malouin peut être considéré comme le créateur du mouvement
libéral français. Cependant, il considérait, comme les mercantilistes que la
richessedelanationprovenaitd’unebalanceducommerceextérieurepositiveet
que les activités exportatrices devaient être protégées par des droits de douane
sur les produits importés concurrents des leurs. Il inspire directement Turgot,
QuesnayouencoreTrudaineetMalesherbes,Silhouette,Bertin.Àcetteépoque
l’agriculture demeure la principale richesse du pays et emploie la plus grande
partie de la population. Cela, sans doute, explique la naissance vers 1750 du
mouvement physiocrate à l’origine duquel se trouve François Quesnay. Tout
commelesmercantilistes,les physiocratessontnoninterventionnistes.Mais ils
considèrent par contre que la classe paysanne est la seule classe sociale
productiveetquelarichesseproduiteparlanationestlasommedesproduitsde
lapopulationpaysanne.Laclassedespropriétairesdelaterrecapteunepartiedu
produitdutravaildes paysans.Les autresclassesdites«stériles »transforment
lesproduitsdelaterreetcetteactivitén’estpascenséecréerdelavaleur.Faceàla
partcroissantedelavaleurcaptéeparlespropriétairesetparl’impôtd’Étatune
réformefiscale est nécessaire.Plus tard,Turgot se livreà desexpérimentations
inspiréesparladoctrinedesphysiocrates.Ellessontréaliséeslorsqu’ilestnommé
contrôleur général des finances du roi Louis XVI. Cette période est aussi
marquée par un affaiblissement de l’autorité royale souligné par des crises
internesetpolitiquescommecellequiamène,aprèsl’affaireLavalette,àexpulser
les Jésuites de France en 1762 et à supprimer les collèges qu’ils dirigent sur le
territoire. Lavalette, qui est membre de l’ordre, est procureur (c’est-à-dire
contrôleur des finances de l’ordre) en Martinique. Pour assurer des rentrées
d’argent, il fonde une compagnie commerciale qui, après un certain succès,
connaît la banqueroute. Lavalette quitte l’ordre des Jésuites. Sous prétexte que
Lavaletten’enfait pluspartie,lacompagnie deJésusrefuse dedésintéresserles
victimes de la compagnie commerciale qu’il a créée. Le scandale est énorme :
approuvéparleParlementdeParis,leroidécidel’expulsiondelacompagniede
Jésus. Maupéou qui avait intrigué avec Madame Du Barry, maîtresse du roi
vieillissantpourobtenirladisgrâcedeChoiseul,estnomméchancelier.En1771
ce dernier tente une réforme de la justice. Son influence à la fin du règne est
prépondérante.Ilestleplusinfluentdesministresd’État.
1774–LOUISXVIDEVIENTROI.SONÉPOUSELAJEUNEMARIE-ANTOINETTE
N’AAUCUNEEXPÉRIENCEPOLITIQUE
LEQUOTIDIENDESFEMMES:
INTERDÉPENDANCEVILLE-CAMPAGNE
Cetengagementderuptureavecl’exercicedupouvoirauquotidiens’adresseà
unpeuplede28millionsd’habitants.Moinsd’unFrançaissurcinqestcitadin.La
croissanceurbaine est trèsvariable d’une villeà l’autre. En dehorsde quelques
grandesvillesfortactivesoùl’urbanismeaprofitédel’enrichissementdesclasses
sociales élevées, la majorité des espaces urbains est constituée de bourgs et de
petitesvillesdontlaprincipaleraisond’êtreestl’existencedemarchésetdefoires
périodiques.Lesrègles socialess’adaptentprogressivementà l’augmentationde
lacirculationdesbiens.En1767unarrêtduconseilduroiautorisel’exercicedu
commerce de gros aux membres de la noblesse et ouvre chaque année la
perspective d’anoblissement à deux négociants qui se sont particulièrement
distinguésdanscetteactivité.Àcetteépoquenaissentlespremières«dynasties»
familialesentrepreneuriales.
Lesémeutesfrumentairesetlesrebellionscontrelalevéeexcessivedesimpôts
s’étaient accrues après 1750. Les historiens ont relevé au XVIIIe siècle 8 528
soulèvementsdont 1 497causées par lapénurie des subsistances.Dans ceux-ci
les femmes jouent un rôle de premier plan. Les émeutes liées aux difficultés
d’approvisionnementet aux augmentationsde prix provoquéespar larareté se
multiplientaprès1770.La«guerredesfarines»commenceaudébutdurègnede
LouisXVI.Lespectredelafamineestbienprésent.Lesémeutesdesubsistances
s’appliquentàplusieurssujets:soitcontreledépartdesgrains(descampagnes
pourallerapprovisionnerlesvilles),soitcontrelachertédesgrains,soitencore
contre l’accaparement de ceux-ci par des intermédiaires qui constituent des
stocks pour que les prix augmentent et revendent ensuite avec de confortables
marges.Laguerredesfarinesdésigneunevagued’émeutesde1775causéespar
l’augmentationduprixdesfarinesetenconséquencel’augmentationduprixdu
pain. Elles touchèrent surtout la partie septentrionale du royaume et le bassin
parisien. Le « laissez faire, laissez passer, le monde va de lui-même » de De
Gournay et de ses disciples physiocrates ne convient pas à l’époque. Dans une
situation de crise causée par des récoltes insuffisantes, il eut été plus sage
d’interdirelaventeàl’exportation.Cesémeutessontlesigned’uneaspirationà
une justice alimentaire, redistributive, qui repose sans doute sur une forte
demande de régulation et d’encadrement. Les femmes jouent un rôle majeur
dansledéclenchementdecesviolencesurbaines.Lesémeutesfrumentairessont
partiellementconnuesparlessourcesjudiciaires.
Femmes des villes et femmes des campagnes ont des modes de vie très
différents mais interdépendants. Il serait inapproprié de dissocier ville et
campagneenvironnante.Lesbourgeoisetleursfamillessepréoccupentbeaucoup
des campagnes proches. Certains ont des propriétés péri-urbaines comme cela
est déjà et le cas pour les membres de la noblesse de robe. Le mouvement
manufacturier et le travail à domicile ont créé un réseau de relations et
d’interdépendance entre ville et campagne. Il existe une circulation de main-
d’œuvre,demarchandsetdedonneursd’ordreentrelacampagneetlavilleoula
petitebourgade. Ils’agitde fairefabriquer dansles campagnesetde vendreen
villedesproduitsfinisousemi-finis.Dansledomainedesmétiersféminins,que
ce soit en mode travail à domicile ou dans des structures manufacturières, on
trouvedesateliersdetissage,decoutureetdebroderie(Cahier-images,Pl.V).Le
métierde filassièrequi consisteà traiterles tigesde linou dechanvre pouren
extraire les fibres puis en faire du fil est très répandu. La corporation des
filassiéres est, numériquement, l’une des plus importantes de l’époque. Les
bouquetières chapelières en fleurs et leurs fournisseurs, les jardiniers fleuristes
représententaussi des populationsdont les métierss’exercent à lafois en zone
urbaineetdanslescampagnes.Ilexistetoujours,commeausiècleprécédent,de
petits métiers des rues, dont témoignent gravures et eaux-fortes. Parmi ceux
exercés par les femmes, citons : la porteuse de bouquets, la vendeuse de pois
écossés, la vendeuse de groseilles à maquereaux, la vendeuse de paniers et
corbeilles, la vendeuse de rubans et de bonnets… (cf. iconographie pour
exemplesetcrisdeParis(Cahier-images,Pl.III),voiraussiimagesdesmétiersde
Bordeaux). La participation des femmes peut aussi concerner, aux côtés des
hommes,desactivitéstemporairescommelesmoissonsetlesvendanges.
Les témoignages des femmes des propriétaires laboureurs ou paysans aisés,
qui, parfois, exploitent aussi des terres en fermage, sont de précieuses sources
d’information.Leurs épouxontsouvent recueilliles doléanceslocales,puis ont
étédésignéscommereprésentantsdutiersétatcarilssaventlireetécrire.Leurs
épousesrestéessurlesterrescontinuentl’exploitationetéchangentparcourrier
avecleursmaris,bloquésàVersaillesparlatenuedesÉtatsgénéraux.Àlaveille
de1789AngéliqueLepoutreetsonépouxéchangentpendantuneannéeentière
informations et conseils sur les travaux dans leur exploitation des Wattines (à
20kmdeLille).Lecoupleacinqenfantsde7à17ans.Pierre-François,lemari,a
été élu représentant du tiers état de l’Artois. Il vient à Versailles puis à Paris
(commedéputéàl’AssembléeConstituante)oùilresteduprintemps1789àcelui
de 1790. Son épouse lui écrit très régulièrement pour l’informer de la manière
dontellegèrelamaisonnée,lesdomestiques,lesvaletsdeferme,lestravaux,les
récoltes, les achats et ventes en ville mais aussi l’éducation des enfants et les
relationsaveclevoisinage.
FEMMESET«BUREAUXD’ESPRIT»:DESLIEUXMIXTES
DECONVIVIALITÉETDERÉFLEXION
Au XVIII e siècle, une tradition s’était maintenue dans et autour des familles
«précieuses ». Desfemmes aristocratesou roturières,héritières spirituellesdes
valeurs des précieuses, continuent de tenir salon, créent de nouveaux lieux de
sociabilité qui reçoivent le nom de « sociétés », ou de « clubs », ou bien de
« bureaux d’esprit » mixtes ou non. Ces lieux sont animés de débats qui, plus
tard,débouchentsurlespremièresmanifestationsrévolutionnaires.
Unesociabiliténouvelles’installesousuneformeplurielle.Ilexisteunegrande
diversité de fonctionnement entre les salons.Certaines hôtesses constituent un
cerclefixed’intimesdansunsoucideconfidentialité.Chezd’autres,ilexisteun
premier cercle, mais on peut être reçu sur recommandation d’un personnage
appartenantàcecénacle.
L’espace géographique du salon ou de ses avatars est un lieu domestique
animéparunefemme.Onydonnedesdînerset/oudessoupers,unjourfixeou
non.Ilconvientd’yrespecterdesrèglesdelacivilité.Lasociabilitéestmixte,on
peut y pratiquer, outre la conversation, les plaisirs de la musique et des jeux
d’argentleplussouvent.
DèslesdébutsduXVIIIesiècle:dessalonsmondainss’organisentendehors
de la cour. À la fin du règne de Louis XIV, sous l’influence de Madame de
Maintenonlacourdevenueaustèreàperdutoutintérêtdepuisqu’ensontbannis
bals,musiqueprofane,théâtre,opéras,jeuxd’argent.Princesetaristocratesont
adoptéd’autreslieuxdeconvivialité.
LaDuchesseduMaine,petitefilledugrandCondé,etsonépouxreçoiventdes
amis au château de Sceaux dès avant 1715 et y mettent en place un salon où
viennent régulièrement amis et artistes. Anne Louise Bénédicte de Bourbon,
duchesseduMaineavaitépouséundesbâtardslégitimésduroiLouisXIVetde
Madame de Montespan. La duchesse du Maine était cultivée, dynamique,
originale,audacieuseetmalvue àlacour.Elle insistaauprèsdesonmari pour
acheter le château et le domaine de Sceaux. Elle y fit des installations fort
coûteuses afin d’y recevoir des amis. Elle était passionnée de théâtre, d’opéra.
Pour se distraire, elle avait créé autour d’elle une petite académie de poètes et
d’artistes qui se déclaraient de « l’ordre de la mouche à miel », façon de se
moquer des académiciens et des personnes pourvues de titres savants ! Au
momentdelaRégence,ellen’eutdecessequedetenterderetrouverdupouvoir
auprès des princes du sang. Elle tenta de déstabiliser le Régent, Philippe
d’Orléans en ourdissant une conspiration dite de Cellamare. Ce dernier était
l’ambassadeur d’Espagne. L’objectif était d’écarter le Régent et de placer
PhilippeVd’EspagnesurletrônedeFrance.Laconspirationéchouacequicausa
l’éloignementdéfinitifdeladuchesseetdesonmari.L’atmosphèredelacourde
Sceauxetleseffortsdelaconjurationontétéabordésavechabiletédansleroman
historiqued’AlexandreDumasLeChevalierd’Harmental(1842).
LerégentPhilipped’OrléansaquittéVersaillesetlacours’estinstalléeàParis.
LequartierduPalaisroyals’animeetdiverssalonsdefemmesdelanoblesses’y
organisent pour recevoir régulièrement amis et connaissances, écrivains,
philosophes,musiciens,dramaturges,diplomates…
LesalonleplusancienetleplusréputéestceluideMmedeLambertde1710à
1733(Cahier-images,Pl.V).Ilamarquél’espritdelaRégence.PlustardMmede
Tencintientsalonde1726-1749.Unefemmedelahautebourgeoisiequiadéjà
fréquenté les salons, ouvre un « bureau d’esprit » en 1730. Il s’agit de
MmeGeoffrin,épousefortriched’undesdirecteursdelamanufacturedeglaces
de Saint-Gobain. Elle tient régulièrement chaque semaine son salon en
compagniedesafilleMmedelaFerté-Imbault,jusqu’en1777.MadameGeoffrin
familièredessalonsdelanoblesse,saitrecevoirets’entourer.Femmedeculture
maissurtoutexcellentefemmed’affaires,elleréussit,aprèsledécèsdesonépoux,
àgérersafortuneetcelle desafille.L’unedesescontemporaines,Madamedu
Deffand, tient de 1747 à 1780 un salon littéraire et philosophique fort réputé.
Puissonsalonsetrouveplustardconcurrencéparceluiqu’avaitouvertsanièce
etanciennelectrice:JuliedeLespinasse.Cettedernièreouvreunbureaud’esprit
modeste en 1764 et le tient jusqu’en 1776. On compte d’Alembert parmi les
intimesdecedernier.
VoirEncadrén°4
LafréquentationdessalonsparisiensauXVIIIe siècle
D’autresfemmesreçoiventdesamismaissanstenirunsalonrégulier.C’estle
cas de Madame du Châtelet jusqu’en 1749, qui fut amie de Voltaire et sa
compagnequelquesannées.ÉmilieduChâteletavaitétudiéets’étaitforméeseule
ensciences(Cahier-images,Pl.VI).Ellese plongeadans l’étudedes travauxde
NewtonetenfutlapremièretraductriceenFrance.
Louised’Épinayreçutdesamisassezsouventetséparéedesonépouxélevases
enfantsavecsoin,écrivantdestraitésetavisdepédagogieàceteffetàpartirde
1770. Elle fut l’amie d’un des frères Grimm qui l’encouragea dans ses travaux
d’écrivaine.
Au quartier du Marais, rue Michel Lecomte, dans son hôtel particulier,
Suzanne Necker épouse du banquier suisse, devenu plus tard ministre des
FinancesdeLouisXVI,donnauneexcellenteéducationàsafilleetlafitsouvent
assisterauxréunionsdesonsalon.LajeuneLouise-Germaineétaitfortappréciée
poursavivacitéd’espritetsaculture.ÀlaveilledelaRévolutionelleépousale
baron de Staël-Holstein et continua les activités mondaines de sa mère. Son
talentd’écrivaineetsesidéeslibéralesamenèrentNapoléon-Bonaparteàl’exiler
loindeParis.
Les premiers écrivains invités dans ces espaces de convivialité sont Voltaire
Fontenelle et Montesquieu. Ils fréquentent plusieurs salons dont celui de
Madame Geoffrin. Cette dernière accorda une aide appuyée à Montesquieu,
barondeSecondat,magistratduParlementdeBordeauxquis’estfaitconnaître
par ses Lettres persanes. Les lectures qu’il en fait et les discussions qu’il a dans
cetteassemblée parisiennelui permettentde préparerl’écriturede sonouvrage
deréférence L’EspritdesLoisparuen1748.C’estaussiauxréunionsorganisées
par Madame Geoffrin qu’il a réussi à contourner la censure sur certains sujets
liésàl’exercicedelamonarchieenFrance.
LesEncyclopédistesaussidoiventbeaucoupauxfemmesdel’ombrequesont
les«salonnières»parisiennes.Unambitieuxprojetdetraductionetd’adaptation
delaCyclopediadeChambersparueenAngleterreen1745,échoue.JeanleRond
d’Alembert qui a fait partie des auteurs sollicités s’associe à Diderot pour
ébaucherunambitieuxprojetdedictionnaireuniverselraisonnédessciences,des
arts et des métiers. Le propos est de dresser une table générale des objets des
connaissanceshumaines.Diderotsouhaiteaccorderuneplaceexceptionnelleaux
illustrationsetauxplanchesexplicativesdesarticlesrédigés.Ilfautensuiteréunir
les collaborateurs prêts à s’engager dans cette œuvre qui embrasse toutes les
disciplines.Ilyeut17volumespubliésde1751à1765.ÀcetteépoqueDiderotet
d’Alembert sont déjà bien connus dans les salons parisiens, mais les attaques
fusent de toutes parts et la censure s’abat sur les rédacteurs de l’Encyclopédie.
CependantilsontreçulessoutiensactifsdeMmeGeoffrin,dequelqueshôtesses
de divers salons. Ils bénéficièrent de la bienveillance de la Marquise de
Pompadourautrefemmedel’ombredel’époque.Malesherbesplacéàlatêtede
la « Librairie » du roi et donc de la censure royale plaide la cause de
l’« Encyclopédie ». Son père, Lamoignon, chancelier de France, proche des
philosophes, contribue à la défense de l’ouvrage. Un portrait de madame de
Pompadour dont l’auteur est Quentin de la Tour résume les luttes politiques
qu’elle arbitra et son influence décisive sur la production scientifique
intellectuelleetartistiquede sontemps:la marquiseestprésentéeappuyéesur
unbureauoùlesvolumesdel’Encyclopédiesontbienvisiblesàcôtédel’Espritdes
Lois,departitionsdemusique,d’unemandolineetd’unglobeterrestre(Musée
duLouvren°inventaire27614).
Diderot, dans les cercles où il est reçu, remet en cause l’autorité royale ou
religieuse au regard des principes de liberté. La raison doit en assurer le plein
exercice.Cedébatd’idéesestlefondementdel’article«Autoritépolitique»dans
l’Encyclopédie. Helvétius qui fréquente les mêmes cercles est fermier général,
fondateurd’unelogemaçonniqueetassureunsoutienfinancieràlapublication
de l’Encyclopédie. D’Alembert, Jaucourt et un grand nombre d’autres
collaborateursassurentlarédactiondesarticlestraitantdesujetsàlapointedes
connaissances en mathématiques, en droit, en agriculture, en fabrications
manufacturièresouencoreenmusique.
Les sujets de conversation des assemblées salonnières sont très variés. On y
parle souvent politique : fonctionnement des institutions, monarchie absolue,
conséquencesdel’exildesréformés.Voltaire,fortdesdiscussionsqu’ileutavec
les invités des « bureaux d’esprit » qu’il fréquente entreprend de lutter contre
l’intolérancelorsdel’affaireCalasen1763.Aprèscetteexpérienced’uneaffaire
où les préjugés antiprotestants avaient conduit à condamner un innocent, le
philosopherédigeun«TraitésurlaTolérance».
Respectueusesde latradition instituéepar lesprécieuses duXVIIesiècle, ces
assembléessontouvertesaucosmopolitisme.Lesvoyagesetlesdéplacementsse
multiplient en Europe, à cette époque. Les étrangers qui ont l’occasion de
séjourner à Paris, diplomates et jeunes gens de la noblesse faisant le « Grand
Tour », obligation des jeunes gens appartenant aux classes les plus riches de
l’aristocratie, sollicitent par des recommandations d’être reçus dans ces salons.
Encorefallait-ilquecesvisiteurssachentfairepreuvedecourtoisieetconnaissent
lesrèglesdusavoir-vivre.Enclaironaimelesrèglesdel’entre-soietleshôtesses
veillentàcequ’ellessoientappliquées.
Quefaisaientlesparticipantsdanscesréunionsoùilspassaientlesaprès-midi,
les soirées et parfois les nuits ? L’art de la conversation n’est pas l’occupation
exclusive.Dansunesociétéoùunecertaineclassesocialeestvouéeàl’oisiveté,les
réunions, les invitations sont une source de distraction. Il semble que pour
certainesfemmescommeMadamedeTencinilyaitunefrénésiedesociabilité
destinéeàtromperl’ennuietlamonotoniedesjours.S’amuser,sedistrairesont
aussi des mots essentiels de la mondanité du XVIIIe siècle. Un rôle important
peutêtreaccordéauxplaisirsdelatable.Ondîne,c’est-à-direquel’onprendune
collation au milieu de la journée, ou bien l’on soupe c’est-à-dire que l’on se
restaure,avantouaprèslethéâtre.Semettreàtablen’étaitenrienuneobligation.
Certainsinvitésprofitaientdesplaisirsdelatable,d’autresdiscutaient,d’autres
jouaient, d’autres encore faisaient ou écoutaient de la musique… Mme du
Deffand, dans sa correspondance relate l’ambiance d’une de ces soirées : une
vingtainedepersonnessontinvitéeschezellelesoir.Unedizainesemetàtable.
Desfauteuilsdisposésaucoindufeuaccueillentlespersonnesquiconversentou
écoutentlalectured’untexte,tandisquelesjoueurssetiennentàl’écartdansun
angle de la pièce. La haute société se plaît à dîner entre deux heures et quatre
heuresdel’après-midi,etlesoupersedérouleaprèsneufoudixheuresdusoir.
Le nombre d’invités au souper est un marqueur social de solennité. Il advient
aussiquel’amphitryonneproposedesrepasgastronomiquesoriginaux.Madame
Vigée-Lebrunmerveilleuseportraitistedetouteslescoursd’Europe,aprèsavoir
lu l’ouvrage Voyage en Grèce du jeune Anacharsis de l’abbé Barthélemy, fait
serviràsesinvitésunsoupergrec.Cedernierestcomposéd’unepoularde,d’une
anguille à la grecque, d’un gâteau au miel et aux raisins de Corinthe, le tout
accompagnédevindeChypre.Lesinvitéesfémininesdoiventvenirhabilléesen
athéniennes!ChezMmeGeoffrinonfaitplussimple.L’usageestdeservirune
excellenteomeletteauxépinardsquidevientlégendaire!
Lerôleducaféestessentieldanslessalonsmondains.Lapréparationdecette
boisson recherchée devient presque un symbole d’hospitalité, hérité de l’esprit
italien.Lamodeduthéserépandverslafindusiècle,maislesinvitésleboivent
plutôt enfin d’après-midi. On està une époque où lemodèle anglais s’impose
commeilressortdutableaud’OllivierfigurantlethéservichezleprincedeConti
(1777,Muséedu Louvre,n° inv.7007).Le chocolatétaitplutôt uneboissonde
l’intimité commeen témoignent quelques tableauxde Boucher oude Chardin.
Lesrepasétaientarrosésdevinsexcellents,particulièrementchezlesfinanciers.
Leraffinementgastronomiqueestassociéàl’idéedeluxe.Lechampagneestune
nouveauté du siècle des Lumières, il est apprécié lors des conversations, il est
aussisymboledegaietécommelenoteDiderot.Leshôtessesavaientgrandsouci
debienrecevoirlescommensaux.IlsemblebienqueSuzanneNecker,femmedu
banquiergenevois,plusieursfoisintendantdesfinancesduroi,attiraitdansson
salongrâceà sonespritmais aussigrâceà soncuisinier,disaient lesmauvaises
langues et les jalouses comme Madame de La Tour du Pin ! A contrario, dans
certains«bureauxd’esprit»l’hôtesseseflattequ’onsoupemédiocrementafinde
mettreaupremierplanl’intérêtintellectuelquelesinvitéstrouventàvenirchez
elle.L’artdeparleretl’artculinairesontliésdansl’expressiondel’artdevivre.
Les activités des salons comportaient aussi les tables de jeu. Le jeu d’argent
étaitune pratique courantedans les réunionsprivées, dansles tripots, dansles
foires. Les jeux de cartes et de dés comportaient des mises en argent. Certains
hommesmaisaussidesfemmesavaientlafureurdujeu.Lessommesmiséessont
parfoistrèsimportantes!Lejeuestunfacteurdesociabilitémaisc’estaussiun
sujetdedisputes.Ceuxetcellesquin’aimentpaslesjeuxdecartesontbeaucoup
demalàyéchapperlorsdessoirées.Le«Pharaon»esttrèsappréciéàlacour,
maisonygagneouonyperddegrossessommes.
Lessalonssontaussiunlieudelibertinage,enraisondeleurmixité.Ilsservent
aussi la « bonne cause » car ils peuvent être favorables aux stratégies
matrimoniales.Germaine Necker, partiintéressant s’il en estrencontre dans le
salon de sa mère le diplomate suédois de Staël-Holstein qui lui fait la cour
pendant plusieurs années, en fréquentant les dîners, soupers, soirées que
donnaient ses parents. Avec l’aide d’une amie de la famille, la comtesse de
Boufflers, après avoir gravi les échelons jusqu’à remplacer l’ambassadeur,
Monsieur de Staël finit par épouser Mademoiselle Necker ! Certains mariages
mobilisent l’attention et les interventions de plusieurs maîtresses de maison.
Madame de Graffigny qui veut marier sa nièce Catherine de Ligniville avec
HelvétiussefaitinviteravecsaniècechezMademoiselleQuinault,actricecélèbre
pourlebrillantdesonsalon,etdemandeàcelle-cid’inviteràlafoisHelvétiuset
Marivaux.MmeGeoffrinquiviselaréussitede lamêmeaffaireestvexéedese
voir écartée de l’affaire, car elle se vantait de disposer d’un réseau de relations
hors pair. Il semble bien que les salons philosophiques autant que les salons
mondains servaient de terrain aux jeux de séduction. À travers des
correspondances et même des rapports de police on comprend que les uns
commelesautressontdeslieuxprivilégiésd’intriguesamoureuses.
Legoûtdutempspourlagalanteriesetraduitégalementparlaparutiondes
premiers romans libertins, une nouveauté dans un style mis à la mode par
Crébillon. L’écriture de ce genre d’ouvrage épouse une forme narrative et se
focalise sur le processus de séduction et la force de persuasion du langage. La
dimension sociale de la séduction est au centre de l’ouvrage de Choderlos de
LaclosLesLiaisonsdangereuses(1782).Elleest,pourleshommesunartdeplaire
etdevaincre,pourlesfemmesceluidecéderavecgrâce!Cesreprésentationsde
la mondanité et des libertins restèrent durablement associées à la sociabilité
parisienne du XVIIIe siècle. Il existait cependant un écart entre Paris et la
province,oùlesfemmesfaisaientencorepreuved’unecertainepruderie.
L’AMOURDUTHÉÂTREETDEL’OPÉRA
Parmi les spectacles de société, le théâtre joue un rôle de premier plan. La
société parisienne des aristocrates et de la grande bourgeoisie fréquente avec
assiduité divers spectacles, de la Comédie Française à l’Opéra, sans oublier les
théâtresdefoiresetdesboulevards.Lesgensdumondeprennentplaisiràjouer
eux-mêmeslacomédiedansleurssalonsetavecleursinvités.Parfoisilsinvitent
pourlesaiderdescomédiensetdeschanteursprofessionnels.Quiadoncdonné
cette impulsion au théâtre d’amateurs ? Certains historiens font référence au
goûtdemadamedePompadourqui,dès1748,jouaitavecsesami(e)sdespièces
dethéâtre. Endehorsde Parisdes membresde lanoblesseet desgens derobe
fontinstallerdansleurmanoirdecampagnedessallesmuniesd’unescènepour
jouer du théâtre entre amis. On peut attribuer à cette mode des origines
multiples. Il est possible que ce soit une imitation des pratiques de la cour de
Versailles,oubienl’influencedesannéesd’éducationducollègeoùonjouaitles
pièces des grands auteurs pour mieux en appréhender le sens. Cela peut être
aussiunemanièredereproduireleplaisiréprouvéauspectacledesthéâtresdes
foires. Deux grandes foires parisiennes annuelles, la foire Saint-Germain (rive
gauche) et la foire Saint-Laurent (rive droite) attiraient nombre de théâtres
ambulants qui dressaient leurs tréteaux parmi les déballages de marchandises
proposées à la clientèle. Dans des temps anciens s’y produisaient des
marionnettistes et des danseurs de corde. Lorsque les théâtres ambulants
investissentl’endroit,ilsse heurtentauxprivilègesdel’Opérasur lechantetla
danse, aux privilèges du théâtre de langue italienne de l’hôtel de Bourgogne et
auxprivilègesdelaComédiefrançaisepourlethéâtredelanguefrançaise.C’est
unthéâtrepopulairecontestataireetcréatifquelesspectateursdelafoireSaint-
GermainoudelafoireSaint-Laurentvenaientdécouvrir.Deuxinventionssont
restées dans les mémoires. Il y eut les pièces écrites en une langue inventée,
transparente pour des spectateurs de langue française, sorte de bas latin qui
échappaitdoncauxinterdits.Puiscefurentlespiècesàécriteaux.Lesacteursse
livrent à une pantomime muette. Des écriteaux sur lesquels sont écrites les
répliques de chaque personnage descendent des cintres. S’il y a des chants, le
livret est affiché par la même voie et ce sont les spectateurs qui chantent. Les
troupes qui se livraient à ces exercices originaux préfigurent les créations de
l’Opéra-comique.Ellessontaussi,probablement,àlaracinedecetengouement
pour lethéâtre intime qui connut tant de succèschez Madame de Pompadour
comme,plustard,auprèsdelareineMarie-AntoinetteàTrianon.
Unautreaspectessentieldesdivertissementsestlamusique.Lesmembresde
lanoblesseentretiennentsouventunorchestreprofessionnelàl’année.Ilexiste
desconcertshebdomadairesdonnésdansdessalonscélèbres,celuidufinancier
PierreCrozat,celuidelamarquisedeBrie,celuid’AlexandredeLaPopelinière
qui favorisa la carrière de Rameau, ou encore celui du prince de Conti. Les
orchestrespermanentscomportentengénéralunequinzainedemusiciens,dont
certains,parfois,fortrenommés.Quantauxmusiciensetmusiciennesamateurs,
ilsjouentlorsdessoiréesdanslessalons,danslecadredeconcertsprivés.Bon
nombredecesamateursjouentduclavecin,dupianoforte,delavioledegambe,
de laflûte et leschanteuses de qualitésont nombreuses. Pourrépondre à cette
demande la productionet l’édition de partitions de musique s’accroît très vite.
Les passionnés achètent aussi des transcriptions d’airs d’opéras dans des
arrangements simplifiés. Les concerts dans les salons parisiens ressemblent
souvent à des soirées de l’opéra-comique. On publia même de petits ouvrages
comme celui de Monsieur Paulmy d’Argenson Manuel des sociétés qui font
amusement de jouer la comédie. L’auteur y donne une liste de partitions
d’opéras-comiquesàlamodeetdepiècesàariettesetdesconseilsafindechoisir
cellesquinesontpastropdifficilestechniquementmaisquisontpropresà«faire
briller les voix des dames ». Ces types de guides furent utilisés par les sociétés
provincialesquivoulaientimiterlamodeparisienne.Certainesaristocratesfirent
construire des salles de théâtre dans leurs châteaux, Madame la marquise de
Mauconseil à Bagatelle, Madame d’Épinay à La Chevrette. L’architecte Nicolas
Ledouxconstruisitpourl’actriceetcourtisaneLaGuimardungrandthéâtreen
1772àLaChausséed’Antin.Pourlapratiquedelamusiquecertainsinvestissent
dans une salle agencée à cet effet. Une charmante gravure de Dequevauviller,
d’après Lavreince « L’assemblée au concert » représente le salon de musique
ovale de Madame Brillon de Jouy. Elle et ses amies y jouent de la musique au
coursde réunions auxquellesdes musiciensprofessionnelsviennent se joindre.
L’accueil des professionnels peut donner lieu à des soirées d’exception comme
celles qui marquèrent la tournée du jeune Wolfgang Mozart, enfant prodige, à
Paris en 1763. Quelques musiciennes amateurs se sont fait une réputation
d’artistestalentueuses,telleMadamedeGenlisharpistequi,plustard,estretenue
commegouvernantedesenfantsduducdeChartres.
CertainsserendentàParisavecl’espoirdetrouverunauditoiredanslemonde
dessalonspourmonnayerensuiteleurcélébrité.C’estladémarcheadoptéeparle
«docteur»FranzMesmerquiveutpopularisersathéoriedumagnétismeanimal
danslesannées1780.Ilestdifficilededémêlerlesliensentrecuriosité,scienceet
sociabilité. Le salon de la duchesse d’Enville La Rochefoucauld est souvent
présenté comme un lieu où les scientifiques qui sont reçus peuvent discuter
librementdeleurs expériences.Laduchessese passionnepourles sciences,elle
étudie la géométrie, possède une belle collection de minéraux, entretient une
correspondance avec plusieurs scientifiques. Messmer correspond avec elle.
Grâceàl’entregentdeladuchesse,ilestbientôtconnudutoutParisets’engage
dans une aventure thérapeutique à honoraires très élevés. Sa théorie du
magnétisme animal, on est au tout début de la découverte de l’électricité, est
baséesursonintuitiondel’existenced’unfluideanimalinvisible,transmissible
d’unêtrevivantàunautre.Lasantédel’hommeestliéeàlabonnerépartitionde
ce fluide dans le corps. Il a inventé un appareil spectaculaire, le baquet de
Messmer dont la structure est une préfiguration (involontaire) de celle d’un
accumulateur.Leditbaquet,remplid’eauetdeverrepilé,esthérissédetigesde
fer que les patients doivent appliquer sur l’endroit où ils ressentent une
souffrance. Les thérapies sont collectives. Elles se font sous la direction du
docteur. Elles déclenchent des crises d’hystéries chez de nombreux patients,
interprétéescommedessignesdeguérison.LetoutParissediviseendeuxclans
composés de ceux qui considèrent Messmer comme un escroc et ceux qui le
considèrentcommeungrandmédecin.L’ampleurduphénomèneesttellequele
roi constitue deux commissions de contrôle. L’une est une émanation de la
Société royale de Médecine, l’autre est composée des plus grands savants de
l’Académiedessciencesetdel’Académiedemédecine.Cettedernièreconclutà
l’absencederéalitédufluideanimal.LaSociétéroyaledeMédecineacceptel’idée
que des cas de guérison puissent être observés, mais les attribue à une action
bénéfiquedel’imaginationdupatient.Il estintéressantdeconsidérerquecette
vision de l’expérience mesmérienne en fait une préfiguration des thérapies de
groupe.
L’expression « salon littéraire » est une notion historiographique difficile à
cerner car la sociabilité s’y exerce à travers la conversation. L’histoire d’un
phénomène qui se développe par l’oralité pose un problème de sources. Les
historienspeuventessayerdelireenfiligranecequisedisaitàtraverslalecture
desromanscontemporainset deséchangesépistoliers.Mais l’écritdel’époque,
mêmeprivé,doitêtreutiliséavecprécaution.Desindiceslaissententrevoirqu’il
régnaitdanscessociétésdeprivilégiésunespritfrondeurquisetraduisaitparun
goût, parfois immodéré, pour le mot d’esprit. Il existe des comptes rendus
posthumes,detraitsd’espritsquiauraientpuvaloiràleursauteursunelettrede
cachet. Ils tournent en ridicule des personnes connues, mais aussi des choix
politiquesdelacouronneet,àl’approchedelaRévolution,l’inadaptationdela
royautéabsolueetsa difficultéàseremettreen question.Lestraitsd’esprit des
salons doivent faire rire parfois même allant jusqu’à la raillerie grinçante.
Certainsprennentlaformed’épigrammespuisdescendentdanslaruevéhiculés
pardeslibellesoutranscritsenchansons.
L’artdelaconversationemprunteparfoisàceluiduspectaclepourrejoindre
celui du conteur. Chez Madame Geoffrin l’abbé Galiani, enchantait l’auditoire
par la pantomime napolitaine, dont il agrémentait ses récits. Pour Madame
Necker, mère de Madame de Staël, la conversation est aussi une forme de
spectacle. Elle rapproche cela de l’art dramatique et reprend à son compte
l’observationdeDiderotsurladistanceentrelecomédienetsonsujet,sourcede
la maîtrise de ses motions et de sa gestuelle. La conversation prend alors une
dimensionthéâtrale.
Laconversationmondaineprendparfoisuntourquilarapprochelàdel’éloge
courtisan.Ilestdebontondelouerlamaîtressedemaisonquivousinvite,c’est
une manière de participer à la galanterie alors en usage et de le faire en
respectant la hiérarchie dans l’expression des louanges choisies. Pour bien
manierlalouangeilfautconnaîtrel’usagedumonde,lesrangsàrespecter.Sil’on
est étranger, il convient d’écouter et d’apprendre auprès de ceux et celles qui
saventafindenepasfairedefauxpas!MadameGeoffrinéduquelejeuneprince
StanislasPoniatowski,futurroidePologne,lorsdesonséjourparisienetelles’en
flatte. La sociabilité mondaine est également étroitement liée aux pratiques
épistolaires. Les lettres sont utiles pour maintenir des liens interpersonnels en
périoded’éloignementoudemaladie.Certaineslettresnourrissentaussid’autres
conversations de salons à propos des absents. Ces correspondances circulent,
certainessontdestextescollectifs.D’autressontcopiéesetdesextraitsensontlus
à haute voixdans des assemblées salonnières.D’Alembert co-écrit parfois avec
JuliedeLespinasse,laduchessedeChoiseulfaitdemêmeavecl’abbéBarthélemy
depuis sa propriété de Chanteloup (proche d’Amboise) à des amis parisiens.
Madame d’Épinay écrit à l’abbé Galiani à propos des conversations échangées
danslessalonsparisiensoùilsavaientdesconnaissancescommunes.
LESSALONS:DESATELIERSD’ÉCRITURESCROISÉES
ETDELECTURESPUBLIQUES
Parfois à l’issue de diverses réunions, les membres d’un cercle salonnier
décident d’écrire ensemble un ouvrage, un recueil de textes, des poèmes, ou
encore une comédie pour la jouer avec des amis. C’est aussi une possibilité de
faire connaître dans un cercle restreint des textes qu’il n’est pas possible de
publier.En1751MadamedeGraffignyestravied’avoirobtenud’Helvétiusqu’il
vienneliredanssonsalonpoursesinvitéessonpoèmeDuBonheur,alorsqu’elle
l’avait entendu chez Melle Quinault. Le poème ne fut publié qu’en 1771. Ces
lecturesdesalonmontrentque,parmilesélitesurbaines,lalectureàhautevoix
voire la déclamation,sont encore appréciées. La marquise de Vaupalièreinvite
une soixantaine d’amis et connaissances pour écouter dans son salon
Beaumarchaisliresapiècedethéâtre LeMariagedeFigaro.Encorefaut-ilavoir
d’excellentesqualitésdelecteur,commed’AlembertdontMadameNeckerécrit
dansseslettresquesadictionestexcellente.Ilyachezcertainesfemmesledésir
d’excellerdanscetart.LacomtessedeChauvelinprenddesleçonsdedictionet
de déclamation auprès de la comédienne, Mademoiselle Clairon. Lecture et
théâtre de société ont parfois des inconvénients de même nature quant à la
difficultéderetenirl’attentiondesauditeurs!JuliedeLespinasseracontequ’elle
avait invité Marmontel à venir faire chez elle la lecture de son dernier opéra-
comique.Elleavouequ’avantlafindupremieractesonesprits’étaitenvolédans
desrêveriesetqu’ellen’avaitrienretenudel’histoirenidurôledespersonnages.
Celanel’empêchepasdeféliciterchaleureusementl’auteur.Juliede Lespinasse
écrit elle-même des textes dont on donne lecture dans les sociétés qu’elle
fréquente. Ce sont souvent des pièces courtes teintées de l’atmosphère des
romansanglaisdel’époque.Onyrelèveainsideslouangessurlabienfaisancede
MadameGeoffrinquiaétéuntempssonmentor.
Lapoésieestunautremarqueurdespassionsdecettesociétémondaine.Ilest
bien vu de composer des vers et de les lire à haute voix à des amis et
connaissances. Lesévènements politiques ou de la vie desociété courante sont
desoccasionsd’écrireetdemettreenmusiquequelquespoèmessurdesairsdéjà
connusetfortàlamode.Enavril1773,MmeduDeffandadresseàChanteloupà
laduchessedeChoiseulunechansoncomposéeparlacomtessedeBoufflersque
voici:
«Dimanchej’étaisaimable,Lundijefusautrement,
Mardijeprisl’aircapable,Mercredijefisl’enfant;
Jeudijefusraisonnable,Vendredijeprisunamant,
Samedijefuscoupable,Dimanche,ilfutinconstant»
Elle eut du succès dans les salons parisiens. Parfois, il est de bon ton
d’accompagneruncadeaupourunefêted’unpoèmecomposéàceteffet.
Danscettesociabilitémondaineons’amusaitaussiàfairedesbouts-rimés,jeu
qui consiste à écrire un sonnet à partir de rimes imposées. Madame Suzanne
Neckers’yprêtaitavecdesconcurrentsinvités.Ondonneunelistederimes,avec
lesquelleslesconcurrentsdoiventfairel’élogedelamaîtressedemaison.Onpeut
sefaireuneidéedeladifficultédelatâcheàlalecturedelalisteci-après,imposée
dans une réunion qui eut lieu chez Madame Necker : « pantoufle, souffle, rat,
mat,écrevisse,coulisses,haricots, visigot(sic),corniche,fiche, carafon,typhon,
seigle, règle ». Les charades, exercice auquel excellait Diderot, faisaient aussi
partie de ces jeux de société. Les concours de listes de synonymes, où chacun
tentederéaliserunelistepluslonguequecellesdesesconcurrents,rencontrent
égalementuncertainsuccès.JuliedeLespinassepratiquaitsouventcejeu,mais
elle était attachée au « bon ton » langagier ! Madame de Staël faisait aussi cet
exerciceludiquequis’apparenteaubadinageetàlapréciosité.
Le badinage était roi chez la marquise de la Ferté-Imbault, fille de
Mme Geoffrin. Cette jeune femme devenue veuve peu de temps après son
mariage a fui le salon de sa mère et les philosophes qui le fréquentent. Elle
préfèreserapprocherdessociétésaristocratiquesquesonmariageluiarendues
accessibles : les Pontchartrain, les Condé, les Chevreuse, la duchesse de
Brancas…Unsoirde1771elleinviteàl’undesesdînersdulundi,desamiset
connaissancesetquelques étrangerscommele comteet lacomtesseStroganov.
L’hôtesseveutremédieraux idéestristesliéesàla discussiondelapolitique du
ministreMaupeoucontrelesparlements.Pourpasseràdesidéespluslégères,on
écrit des chansons facétieuses, attribuées à l’ordre de chevalerie parodique et
mixte des Lanturelus. Plusieurs soirées sont consacrées à ce divertissement, on
composa collectivement des vers, des couplets de chansons. La marquise de la
Ferté-Imbault est nommée reine des Lanturelus. Hostile aux Encyclopédistes
amis de sa mère, elle a fermé sa porte à Messieurs D’Alembert, Marmontel et
autres, tous anciens amis de sa mère. Elle a choisi la défense de la foi, les
philosophes de l’Antiquité, les philosophes chrétiens du siècle précédent,
Montaigne, Descartes, Malebranche, Pascal. Son salon antiphilosophique ou
encoredebadinagelarendcélèbreauprèsdelahautearistocratie.Cessoiréesdes
Lanturelus continuèrent plusieurs années toujours dans un cercle d’initié(e)s.
Ainsien1786MadamedeStaëldemandaàêtremembredecegroupe,nonpas
en raison de convictions partagées mais toujours dans le registre des jeux
mondains.
La personnalité de Madame de Tencin illustre assez bien une facette
particulière du rôle que peuvent tenir les femmes dans le fonctionnement des
«bureauxd’esprit».AlexandrineSophieGuérindeTencin,naquitàGrenobleen
1682.Sa famille lamet fort jeuneau couvent etelle y restecontre son gré.Ses
vœuxluisontextorquésen1698.Elledoitlutterjusqu’en1712pourobtenird’en
êtrerelevée.Elleréussitàs’installeràParisen1711etàpénétrerlesmilieuxdu
pouvoir grâce à l’appui du cardinal Dubois, son amant. Quelques années plus
tard elle ouvre un « bureau d’esprit » fort réputé mais surnommé par ses
détracteurs«laménagerie»!Onyparlebeaucouppolitiqueetfinance,surtoutà
l’époquedelaspéculationdeLaw.MadamedeTencins’enrichitenrevendantà
tempslestitresacquisauprèsdecedernier.Lesalonprendensuiteunetournure
littéraire. Bon nombre d’écrivains le fréquentent : Fontenelle, Marivaux, l’abbé
PrévostpuisMarmontel,Helvétius,Montesquieu.Etc’estlàqueMmeGeoffrin,
membredelabourgeoisieetdunégoceréussitàs’introduire.MadamedeTencin
publie aussi avec succès quelques romans dont les Mémoires du comte de
Comminge. Elle avait également un goût prononcé pour le théâtre et pour
l’opéra.
Dans ses Mémoires, Jean-François Marmontel évoque l’atmosphère du salon
deMmeGeoffrinetdepersonnalitésfortdiversesqu’onyrencontrait.
«Assezrichepourfairedesamaisonlerendez-vousdeslettresetdesartset
voyant que c’était pour elle un moyen de se donner dans sa vieillesse une
amusantesociétéetuneexistencehonorable,MmeGeoffrinavaitfondéchez
elledeuxdîners,l’unlelundipourlesartistes,l’autrelemercredipourlesgens
delettres,et,unechoseassezremarquable,c’estque,sansaucuneteintureni
desartsnideslettres,cettefemmequi,desavie,n’avaitrienlunirienappris
qu’àla volée,setrouvant aumilieude l’uneou l’autresociété,ne leurétait
pointétrangère».
Marmontel note encore que Mme Geoffrin se sent à l’aise mais qu’elle a la
prudence de ne pas monopoliser la parole, d’accorder la parole aux personnes
instruitesetd’écouteravecattentionetbienveillance.Elleestimpatiented’aider
sesamisendifficulté.
CORRESPONDANCESFÉMININESETINTRIGUES
Que les femmes soient hôtesses, qu’elles participent aux débats, les hommes
peuventletolérer,maisqu’ellesveuillents’exprimercommeécrivaines,celareste
difficilementpensable.Leshommespeuventleurconcéderunsavoir-fairedans
un genre littéraire mineur, celui de la correspondance. Celles qui voulurent
s’aventurerdansd’autresproductionslittérairesfurentpourlemoinshumiliées,
voireridiculisées,commeMadamedeGraffigny(«Lettresd’unePéruvienne»),
MadameduBocage,MadamedeBeauharnais.
Des luttes politiques qui font trembler la monarchie à la fin de l’Ancien
Régime,on trouvequelqueséchos dansles correspondancesentremembres de
sociétéssalonnièresquirelatenttelouteléchangelorsdeconversations.Onsait
aussi que les épigrammes, libelles et chansons politiques ne sont pas que des
divertissements.CestextescirculaientdanslesquartiersdeParisetgagnaientla
province. Certains cercles sont proches de la cour. C’est le cas de celui de
Madame du Deffand en raison de ses relations avec la duchesse de Choiseul.
MadameduDeffandprendpartipourleducdeChoiseullorsducomplotourdi
parMaupeoupourobtenirsadisgrâce.Unsouperamicalpeutsetransformeren
affrontementpolitique.Monsieurde Choiseuldoitquitterle postedeprincipal
ministreduroiets’exileràChanteloup.Leducd’Aiguillonleremplaçaauposte
de secrétaire d’État aux affaires étrangères. Mme du Deffand ne voulut plus
fréquenterlesalondeladuchessed’Aiguillon.
Certainssalonsdeviennentdeslieuxpropicesàl’actionpolitique.Lesalonde
MmedeTencinestconnupouravoirétéunfoyerd’intriguesquiontcontribuéà
l’ascensiondelacoterieducardinalDubois,avant1730.
Encores’agit-ild’épisodesmineursparrapportauxévènementsquichangent
lesliensentresalonsetpouvoirpolitiqueàlafindusiècle.Lestensionssociales,
prémissesdelaRévolutionmodifientl’attitudedessociétéssalonnièresvis-à-vis
dela cour.Celle de MadameCassini estconservatrice. Elletient unsalon chez
elle, rue de Babylone. Elle y fait jouer la pièce Mélanie, ou la Religieuse de La
Harpe,alors quela pièceavait étéinterditepar l’archevêquede Paris.Dans ses
salons,oncolportelesnouvellesmaissurtout,onintriguepourfaireoudéfaire
un homme en place, diminuer une influence ou ruiner une réputation. Elle-
même est ouvertement contre-révolutionnaire. Impliquée dans plusieurs
complotsroyalistes,elleémigreàLondresen1792.
Lacarrièredeshommescélèbrespasseparfoisparlesrencontresqu’ilsfirent
dans les milieux salonniers. Un jeune séminariste en rupture de ban, le futur
abbé puis cardinal de Bernis, personnage qui fut l’artisan du renversement
d’alliancequiprécédalaguerredeSeptansetl’influentreprésentantdelaFrance
auprèsdelapapauté,fréquentalessalonsdeMadameGeoffrin,delacomtessede
PontchartrainpuisceluideMadameLeNormantd’Étiolles(futuremarquisede
Pompadour).Cadetdefamilledestinéauservicedel’Église,ilarrivaàParispetit
poèteamateur.Aprèsavoirfréquentélesmeilleurssalonsdelacapitale,ildevient
ministre des Affaires étrangères, puis l’un des plus puissants diplomates de
Francejusqu’àlaRévolution.
DESSALONSPOLITIQUESÀLAVEILLEDE1789
S’ilexisteunsalonpolitiqueàlaveilledelaRévolutionde1789,c’estbiencelui
des Necker, Leur hôtel particulier (hôtel d’Halwill) se trouve au Marais, rue
Michel Lecomte. Le salon de Suzanne Necker fut un appui certain pour la
politique et l’accession au pouvoir de son mari. On y reçoit la duchesse de
Luxembourg, la comtesse de Boufflers, les Beauvau, Mme du Deffand et des
diplomates mais aussi des hommes de lettres comme Morellet. Le salon de
Mme Necker permit à ce banquier genevois et protestant d’entrer dans la
« bonne société » mondaine et d’y trouver des relais, tant son épouse avait de
talents pour fréquenter des groupes différents. Necker bénéficia des appuis de
MadameduDeffand,deMmedelaFerté-Imbault.MmeNeckersutapporterà
sonmaril’appuideshommesdelettres.L’opinionpubliqueseconstruisitainsi,
indirectement,enfaveurdeNecker.Ilréussitaussiparcebiaisàfaireconnaître
son mémoire sur la Législation du commerce des grains. Necker échoue à
assainirlesfinancesduroyaumeIltentedes«coups»audacieuxetilestdesservi
parlachance.Peut-êtrea-t-ilétéunedesdernièrescartesdelaroyauté?
Onnesaurait,nonplus,négligerlaprésencemassivedesdiplomatesdansles
sociétés salonnières. La sociabilité fait partie du métier d’ambassadeur. Sous
couleurde«divertissementmondain»lesambassadeursétrangersfontleurmiel
des idées qui circulent dans ces milieux proches du pouvoir. Ce travail est
particulièrementnécessaireaumomentdelapréparationdesguerres.Leprojet
d’aide aux insurgés américains de Lafayette et Rochambeau au temps où le
pouvoirs’interrogeaitsurl’opportunitéd’uneinterventionaéveillél’attentionde
tousceuxquiavaientdessympathiesbritanniques.Ilestderèglequ’enpériode
d’incertitude politique, les salons soient les lieux où on espère glaner les
informations fiables et indispensables. Les rumeurs sur la guerre de
l’IndépendanceaméricainecirculentdanslessociétésreçuestantchezMadame
NeckerquechezSophiedeGrouchy,jeuneépousedeCondorcet.
Le phénomène salonnier peut paraître déroutant, tellement la diversité de
fonctionnementde ces assembléespeut cacherce qu’elles ontde commun. Les
raisons de son existence vont du simple désir de s’amuser ou de se cultiver à
l’organisationdecomplotsdestinésàfairetomberendisgrâceunepersonnalité
connue au profit d’une autre présentée comme plus compétente. Parmi ces
raisons,ilyeneutdeplusnobles,commeledésird’unesociétéplusjusteetplus
ouverteauprogrèsquecelledelamonarchieabsolue.Danscedomaineuneplace
particulièreesttenueparlessalonsdeMadameNeckeretdeSophiedeGrouchy.
Ontrouveral’étudedecedernierdanslasecondepartiedecechapitreconsacréà
lapérioderévolutionnaire.Cesdeuxassembléessalonnièresontétéfréquentées
pardes«passeurs»,personnagesauxquelsleurouvertured’espritpermettaitde
comprendre les arguments de parties en conflit et d’imaginer des solutions
permettantuneconciliationaminima.
On retiendra surtout que, toutes natures de salons confondues, les hôtesses
ontvidélacourd’unegrandepartiedesesfonctionsqu’ellessoientludiquesou
politiques.Lepouvoird’influencequi aétéjusque-làle privilègedesprincesses
du sang et des maîtresses royales est passé entre les mains d’une classe
intermédiaireàlaquelleappartiennentaussibiendesduchessesquedesfemmes
delanoblesse derobeet degrandesbourgeoises.Il seraitvainde croirequele
succèsdecesfemmessoitdûàunequelconqueloiouchangementdementalité
deshommesconcernantlaplacedelafemmedanslasociété.Ellesneledoivent
qu’àleuraudaceetàleurintelligence.
Leslieuxcommunsdel’époquesurlanaturedesfemmessontunressassement
deceuxquiavaientcoursdanslessièclesprécédents.Littérature,philosophieet
médecineontcroiséleursapprochespourdéfinirunarchétype«scientifique»de
féminité : « constitution délicate », « tendresse excessive », « raison limitée »,
« nerfs fragiles »… La soi-disant infériorité intellectuelle et physiologique de la
femmejustifiequ’ellesoitprivéededroitscivilsetpolitiques.Diderot,dansson
essaide1772«SurlesFemmes»,notequel’exaltationdelabeautéféminineetla
célébrationdusentimentamoureuxnesontquel’enversdel’enfermementdela
femmedanssoninférioritéphysique.
Leur vocation naturelle se réduit à une activité domestique, extérieure à la
société civile. Mères ou ménagères, elles sont loin des fonctions sociales que
certainesdésirent.Lafemmeestleprincipespirituel(l’âme)dufoyer,l’homme
en est le principe juridique. Le cantonnement de la femme s’accentue lorsque
l’hommeestreconnuaveclaRévolution,commeunsujetautonome,participant
directementàlasouverainetépolitique.
Les partisans de l’égalité politique, on l’aura noté, ne sont pas nombreux
pendantleXVIIIesiècle.Aussin’est-ilpassurprenantquelestatutjuridiquedela
femmeàcetteépoque,n’évoluequ’àlafindelaRévolution.
FEMMES,ENFANTS,ÉDUCATION,DANSUNROYAUME
DE28MILLIONSD’HABITANTS
Lavisiondelafemmequiestcelledel’époquesetraduitdansladémographie.
Le royaume compte 28 millions d’habitants. Les quelques données
démographiquesconnuespermettentd’estimeruntauxdenatalitéde35à38°/°
°.L’âgedumariageestde26à28anspourlesfemmes,autourde28anspourles
hommes.L’espérancedeviemoyenneàcetteépoqueestde40à45ans.Ladurée
moyenned’existenced’uncouple,horsséparation,n’excédaitpas15ans.Après
lapremièrenaissance,l’intervalleentregrossessesn’excédaitpas2ans.Lamise
ennourricedesenfantsestunusagefréquentchezlesurbainsquiontrecoursà
l’« allaitement-mercenaire » selon l’expression de l’historien Emmanuel Leroy-
Ladurie. Bourgeoises et femmes d’artisans envoient leurs enfants en nourrice
dans les petites bourgades ou dans les villages de la région. Cet usage s’est
particulièrementdéveloppéenFrance(Cahier-images,Pl.IV).Lamédiocritédes
soins donnés aux enfants est cause de nombreuses maladies infantiles à l’issue
parfoistragique.Lesfemmesdelaplushautesociétéontsansdouteaccèsàdes
moyens dela limitation desnaissances car on observeque les famillesde cette
classesociale sontsouventréduites àdeux enfantscontrecinq àl’époque dela
génération précédente. Les jeunes gens de l’aristocratie sont souvent mariés
avant 20 ans, contrairement aux usages des milieux populaires. Le
rapprochement de ces deux constats laisse soupçonner l’utilisation discrète de
processus contraceptifs contraires aux vues de l’Église. Dans la noblesse
nouvellementautoriséeauxactivitésdecommercepardécretroyal,cesmodesde
contraception gagnent du terrain, dans le but d’éviter la dispersion du
patrimoinefamilial.
Le goût pour le libertinage multiplie les naissances illégitimes avec leur
corollaired’abandonsd’enfants.MadamedeTencinabandonnesonfilsJeanLe
Rondd’Alembert,J.-J.Rousseauabandonnalestroisfillesqueluiavaitdonnées
sacompagneThérèseLevasseur.LesHospicesdesenfantstrouvés,œuvretenue
parlesfilles delaCharité (sœursdeSaint-Vincent-de-Paul),s’agrandissentpar
deuxfois en 1750,puis en1780. L’établissementqui donnesur le parvisNotre
Dame dispose d’une ouverture munie d’un tour en bois. Cet appareil se
manœuvreindifféremmentdel’intérieuroudel’extérieurdubâtiment.L’enfant
y est déposé discrètement la nuit, on pousse le tour et l’enfant est retrouvé au
matin dans la partie intérieure de l’édifice. Certaines mères abandonnent
directement leurs enfants dans les églises, dans un geste qui traduit une
confiance dans la protection divine. Cependant, si le nombre d’enfants
illégitimes abandonnés s’accroît au XVIIIe siècle, le nombre d’infanticides
décroît, sans doute sous l’effet d’une certaine humanisation des mœurs.
L’abandond’enfantslégitimesestaussiunepratiqueliéeàlamisèrequifaitson
apparition dans les périodes de famine. Madame de Fougeret, fille d’un
administrateurdeshôpitauxfondeen1784,àl’attentiondecesenfantsqueleurs
famillesnepeuventplusnourrir,laSociétédecharitématernelle.Soninitiative
estsoutenueparlareineMarie-Antoinette.Onaccordeauxmèresdessecoursen
argentetennature(vêtements,nourriture…),maisladétressedesfilles-mèresne
provoque aucune empathie. Elles restent stigmatisées dans la société qui les
entoure. Les institutions charitables qui recueillent les enfants abandonnés
recherchent en permanence des nourrices dans les campagnes environnantes,
maisnepeuventpastoujourstrouveruneréponseàtemps.Ilsembleraitqu’un
tiersdesabandonnésmeurentdanslesjourssuivantl’abandon.
Les survivants, lorsqu’ils sont âgés de quelques années sont adressés aux
orphelinatsoùilsontlestatutd’internesetsontsoumisàdesrèglesédictéespar
lebureaudespauvresdanschaquegrandeville.Dèsleplusjeuneâge,ilsdoivent
fréquenter quotidiennement des ateliers en vue de l’apprentissage d’un métier.
Une éducation religieuse leur est donnée. Le personnel est principalement
composédegouvernantes,dontcertainessontdesreligieuses.
Maternité et santé féminine ne font pas partie des interventions étatiques.
Cependant L’État et les élites éclairées sont intéressés par toutes les initiatives
concernant un problème grave de santé publique : la mortalité féminine et la
mortalité des nourrissons dans les jours qui suivent la naissance. Madame du
Coudray,sage-femmeàParisoùellepratiquejusqu’en1755,rédigeauncourssur
l’accouchement,fruitd’untravailextraordinaireetd’unepratiquedequalitéqui
luiassurauneréputationetdessoutiens.ElleserenditenAuvergneàlademande
d’unseigneur localpourformer dessages-femmes.Pourexposer lesmeilleures
méthodesàappliquerenfonctiondelapositiondufœtus,elleréalisaunesorte
demachineentissurembourrécomposéed’unmannequindebassindefemme
et d’un mannequin de nourrisson qui prend place à l’intérieur. Dès 1759 son
enseignement est reconnu et un brevet royal l’autorise à enseigner l’art de
l’accouchement dans tout le royaume. Elle sillonne un grand nombre de
provinces pendant plusieurs années. Son projet pédagogique comporte deux
mois de cours, à la suite desquels les jeunes sages-femmes complètent leur
formation auprèsd’un chirurgien obstétricien pendant deux semainesenviron.
De nombreux chirurgiens deviennent, à leur tour, des démonstrateurs de la
méthode de Madame du Coudray. Le sujet de l’accouchement, grâce à son
impulsion,progressedanslespublicationsmédicales.LechirurgienDesfarges,en
1786,rédigeunMémoiresurlanécessitédefaireinstruirelessages-femmesdela
campagneetlesmoyenslesplusfacilesdelefairedanslagénéralitédeLimoges.Ce
soucidesantépubliqueetdeluttecontrelamortalitédesnouveau-nésetdeleur
mère,inciteen1786lecontrôleurgénéraldesfinancesCalonneàfaireexécuter
parlesintendantsuneenquêtesurl’encadrementmédicalduroyaume(incluant
médecins,chirurgiens,sages-femmes)souslasurveillancedelaSociétéroyalede
Médecine.Lesrésultatsfurentanalysésetlesmédecinsdumondeurbainjetèrent
lasuspicionsurletravailetlesconnaissancesdessages-femmesetmatronesdu
monde rural. Les méthodes de Mme du Coudray furent répandues grâce à un
enseignement de proximité dans le cadre rural pour ne pas décourager les
vocationslocales. Certaines formationssont même itinérantes,dans l’espoir de
réduire le coût. Tous les efforts de formation médicale dans le domaine de
l’accouchementportentlentementleursfruitsaprèslaRévolution.
Éducationetpédagogie del’enseignementdestiné auxfemmes,comme nous
l’avons abordé au précédentchapitre ont occupé bon nombre de beaux esprits
dans la lignée des décisions du Concile de Trente et ensuite pendant le
XVIIe siècle.L’abbéClaudeFleuryen1685publieparmilesderniersouvragesde
pédagogiedelafinduXVIIeleTraitéduchoixetlaméthodedesétudes.Ilestime
que les femmes méritent que l’on soigne leur instruction car elles font preuve
d’application,decourage,devivacitéd’esprit,dedouceuretdemodestie.Fleury
propose de faire enseigner aux filles la religion (en s’écartant de toute
superstition),lalecture,l’écriture,unpeuderédactionpourlessujetsusuels,de
l’arithmétiquepratique,des sciencesménagères,de lajurisprudence. Lesloisirs
ne doivent pas donner lieu à la lecture de romans ni à des sujets frivoles (la
mode, les rubans, les coiffures…). En 1687 Fénelon publie un traité de
L’Éducation des filles. Plus libéral que son prédécesseur, il estime que les filles
peuventaussiétudierl’histoire,unpeudelatin,demusiqueetdepeinture,àla
conditiondenerienexagéreretderesterdansunedirectionquipréparelajeune
fille à son rôle social et familial selon son rang. Madame de Maintenon, nous
l’avonsvus’étaitinspirée decesprincipeslors delafondationde laMaisonde
Saint-Cyren1686.
Pendant le XVIIIe siècle éducation et pédagogie restent des sujets qui
passionnent. L’abbé de Saint-Pierre rédige en 1730 un ouvrage intitulé Projet
pourperfectionnerl’éducationdesfilles.Ilconçoitunprojetinnovantdanslequel
une sorte de bureau de l’enseignement réglementerait le contenu des
programmes et superviserait les enseignements dans les collèges tant pour les
fillesquepourlesgarçons.Ilproposepourlesfillesunescolaritéquidureraitde
5 à 18 ans organisée par niveau de classes. Chaque classe comporterait 3
maîtresses et 15 élèves. À côté des internats, l’auteur propose d’organiser des
externats gratuits. Vers 1760, la question de la pédagogie passionne encore
davantagelesélitesetformelesujetdediscussionsdanslessalonslittéraires.En
1762 Jean-Jacques Rousseau publie son célèbre L’Émile ou de l’éducation. Au
LivreVdel’ouvragelejeuneÉmilerencontreSophieetfaitleprojetdefonder
une famille. De manière très décevante, l’éducation de Sophie est entièrement
vouéeàsafonctiond’épouseetdemère.
Lelivreestvitel’objetdecritiquesacerbesdelaSorbonne,puisdesparlements
pourcaused’irréligion.Àcettemêmepériodesesituel’expulsiondesJésuitesde
Franceetdecefaitladésorganisationoulafermeturedebonnombredecollèges
qu’ils dirigeaient. Peut-être les catholiques craignent-ils qu’un mouvement se
dessineenvuederemplacerlescollègesdesJésuitespardesinstitutionslaïques
imprégnéesdel’espritdesphilosophes.
Selonuncourantdepensée quiaperduréetperduredansle temps,certains
pédagoguessontplutôtfavorablesàl’enseignementdanslemilieufamilial,s’ilest
aisé et cultivé. Le sujet de l’éducation des filles est très inspirant. Madame de
Miremont publie entre 1779 et 1789 un Traité de l’éducation des femmes qui
couvreseptvolumes!Lesfillesseraientaccueilliesdansunespaced’éducationde
septàdix-huitans.Elleproposededécouperladuréedesétudesendeuxcycles.
Lecontenudesétudescomportelareligion,lamusique,ladanse,maisaussiles
languesvivantes,lalittérature,l’histoire,lagéographiesansoublierlagrammaire
et l’orthographe de la langue française. L’auteure insiste sur la qualité de la
formation des professeures. Parmi les personnes qui suivent les préceptes de
Jean-Jacques Rousseau on note le cas de Madame d’Épinay pour ses propres
enfants,cequil’amèneàpublieren1774unouvragederemarquespédagogiques
Les Conversations d’Émilie. J.-J. Rousseau a lui-même développé l’idée qu’une
fille doit être éduquée afin de devenir la compagne d’Émile dont il a tracé le
cheminement. Elle se nomme « Sophie », il consacre un développement (le 5e
livredel’ouvragel’Émile)quiviseàmontrerquetoutefemmedoitêtreéduquée
afin de devenir la compagne agréable de l’époux et une mère dévouée à ses
enfants.
Quecesoitdanslanoblesse,oudanslabourgeoisiecultivée,onnotequebon
nombre de parents qui disposent de moyens financiers préfèrent garder leurs
fillesàlamaisonetfairevenirdesprécepteursdel’extérieur.Ilsseréserventde
définir eux-mêmes la teneur du programme d’enseignement. C’est ce type
d’éducationquereçutManonPhilipon,futureépousedurévolutionnaireRoland
et égérie des Girondins. Une fois ses études faites à la maison ses parents
l’envoient quelque temps au couvent où elle continue à se perfectionner en
musiqueetendessin(Cahier-images,Pl.VI).
DESFEMMESD’EXCEPTIONACCÈDENT
AUXCONNAISSANCESSCIENTIFIQUES
AUPRIXDEBIENDESOBSTACLES
Dans cette période du XVIIIe des femmes ont brisé de tabou selon lequel la
connaissance desdisciplines scientifiques ne convenait qu’auxhommes. Émilie
du Châtelet, (1706-1749) reçut de ses parents une éducation soignée et
approfondie,raredanslesmilieuxdelanoblesse.Sesparentstenaientunsalon
littéraire à Paris et recevaient Fontenelle homme de lettres dont on louait le
talentdansledomainedelavulgarisationscientifique.Émilie,trèsjeuneprésenta
desdispositionspour lesétudes,le latin,le grec.Elleapprit l’allemand.Ellefut
initiée à la musique et au chant. La curiosité scientifique qui avait été éveillée
dans son esprit la conduit à l’étude des mathématiques et de la physique. Elle
traduisitl’œuvredeNewton(Cahier-images,Pl.VI).
Elle fait la connaissance de Voltaire en 1734, et l’invite en son château de
Cirey.Il futson compagnonpendantune quinzained’années etl’encourageaà
approfondirsestravauxenphysique.ElleétudieLeibniz,rencontreMonsieurde
Maupertuis, mathématicien, physicien, astronome et naturaliste français qui
contribua notammentà la diffusion des théoriesde Newton hors d’Angleterre.
Elle fait la connaissance de Réaumur, l’inventeur de la thermométrie et grand
connaisseur des techniques ainsi que des sciences du vivant, elle sollicite les
conseilsde Buffon.À lacour, Émiliefut l’invitéede laduchessedu Mainelors
desfêtesauchâteaudeSceaux.Sarenomméevaau-delàdesfrontières.Émiliefut
élueàl’AcadémiedessciencesdeBologne.
SophieGermain(1776-1831)estégalementunemathématicienne.Néedansla
bourgeoisiecommerçanteetaiséedeParis,d’unpèrequifutdéputédutiersétat
en 1789. Toute jeune elle apprend seule le latin et le grec puis s’intéresse aux
sciences, aux travaux de Newton. Elle est aussi passionnée par les
mathématiques,ellecommuniqueavecLagrangemaisellenepeutallerétudierà
l’École polytechnique, créée sous la Révolution mais non accessible aux filles.
Afin de continuer seule à étudier puis à correspondre avec de célèbres
mathématiciensdesontempsdontJosephFourier,BaderetGauss,ellesedécide
à signer tous ses courriers d’un nom d’emprunt masculin, Antoine Auguste
Leblanc, afin que ses travaux soient pris au sérieux. Sa famille la soutient
financièrementcequiluipermetd’avancerdanssesrecherches.Elles’épuiseles
dernières années à rédiger et publier ses dernières recherches avant de mourir
d’uncancerdusein.
DESFEMMESMÉCÈNESAUXCHEFFESD’ENTREPRISES
ETAUX«JOURNALISTES»
ÀLAVEILLEDE1789ETDELARÉUNION
DESÉTATSGÉNÉRAUX
Peuavantla RéuniondesÉtatsgénérauxdu printemps1789,Olymperédige
un« DialogueallégoriqueentrelaFranceetlavérité,dédiéauxÉtatsgénéraux».
Danslessemainesetlesmoisquisuivirentellepubliediverstextessurlesdroits
desfemmesetsurlanécessitédeleurparticipationàl’organisationdelaviedela
nation.UnedesesbrochuresapourtitreActionhéroïqued’uneFrançaiseoula
FrancesauvéeparlesFemmes.Elleyracontel’actiond’ungroupedecitoyennes
quiétaientvenuesremettreàl’AssembléeNationaleleurséconomiespourlebien
de la patrie. Olympe adressa un exemplaire à Mirabeau qui la félicita. À cette
époqueellefréquenteencoreplusieurssalonsparisiens,bienquelesclubssoient
devenusleslieuxprivilégiésdesdébatspolitiquesetdesociété.Ellerencontreles
Condorcetetleursamisdanslamaisondecampagned’Auteuil.Onycroisaitdes
voyageursétrangersetc’estsansdouteàcetteépoquequ’elleeutconnaissancedu
texte de Mary Woolstonecraft « The Vindication of the Rights of Women »
(Défense des Droits des femmes). En 1790 Olympe adhère, comme les époux
Condorcet,auClubdelaRévolution.Leclubestinstalléaucentredesjardinsdu
PalaisRoyal.Ils’ytient desréunionssavantesetphilosophiquesappréciéesdes
meilleursespritsdel’époque.
Sophie de Grouchy et Nicolas de Condorcet, son mari, reçoivent aussi leurs
amisà Paris,àl’Hôtel delaMonnaie. Onycroise BenjaminFranklin,Thomas
Jeffersonetd’autresAméricainsencore,tousimpliquésdanslemouvementqui
aboutit à la Guerre d’indépendance. Leurs idées sur la démocratie et la liberté
sontavanttoutuniversalistes.Dansleurentourage,ondiscuteaussidel’abolition
del’esclavagedanslesîlesàsucreetlesespacescoloniaux.Lesdroitspolitiques
desfemmessontdébattus.Dès1787,Condorcetadéjàdéfenduledroitpolitique
des femmes et a dénoncé leur exclusion, estimant après 1789 que c’est une
violation de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen. Nicolas
Condorcet et Sophie de Grouchy défendent également le droit à l’éducation
égalitaireetgratuitedesgarçonsetdesfilles.L’égalitésupposepourlesfemmesle
choix de leur conjoint et le droit au divorce. Ils suggéraient pour le futur des
droitsciviquesdesfemmes:ledroitdevoteetledroitd’éligibilité.
SelonlesvaleursdesLumières,laraisonestleseulguidedujugementetdela
morale,l’espritd’examendoitêtrepratiquéenpréalableaujugement,l’égalitéet
lalibertésontindispensables,ledroitaubonheurindividuelestproclamé.
Cependantunepierred’achoppementpersiste:lesfemmesdemeurentexclues
des valeurs des Lumières, malgré leur rôle essentiel dans les « journées
révolutionnaires» etsont absentesdes assembléessuccessives (laConstituante,
puislaLégislative,etensuitelaConvention).
FEMMESARTISTESAUXVIIIE:QUELQUESOPPORTUNITÉS
Femmesethommes,aumilieuduXVIIIesiècle,doivent,pourêtreconsidérés
commeartistes,êtremembresdel’Académieroyaledepeintureetdesculpture
(crééeauXVIIe)oudelamaîtrise(ouguildenéeauXIV esiècle)despeintreset
sculpteurs. En 1705 la maîtrise obtient l’autorisation d’ouvrir une école dite
AcadémiedeSaint-Lucoùlesfils,apprentisetcompagnonsdesmaîtrespeintres
bénéficient d’un enseignement reconnu. Cette nouvelle communauté obtient
l’octroi d’avantages qui la rapprochent de l’Académie royale, dont le droit de
participeràdesexpositions.Auseindelamaîtrisedespeintresetsculpteurs,les
femmes bénéficient de droits que l’on peut qualifier de mineurs par rapport à
ceuxdontbénéficientleshommes.Parexemple,unefilledemaîtreartistepeut,
sans dérogation, succéder à son père dans la direction de son atelier. Dans le
règlement rédigé vers 1760 par le marquis de Paulmy d’Argenson pour
l’AcadémiedeSaint-Luc,unarticleprécisequelesfemmespeuventconcourirà
partirde18anspourl’accèsàcetteinstitution,danslalimitededeuxparan.Les
femmes peuvent être reçues à l’Académie Saint-Luc quelle que soit leur
situation : célibataire, mariée, veuve, fille de maître ou non. Dans les sources
conservées, on dispose de la Liste générale de tous les maîtres peintres de la
création jusqu’en 1764 : ce recensement indique 901 hommes et 199 femmes,
dont102 veuvesayantrepris àleurcompte l’atelierdeleur mari.Cetteliste ne
tientpas comptede ceux etcelles quitravaillent dansles ateliersaux côtésdes
maîtres.Dansunatelierfamilialilestcourantquelesfillesetlesfemmessoient
chargéesdelapréparationdestoiles,delapeinturedesfondsetdesarrière-plans,
de la restauration de tableaux, des premières esquisses. Leur participation à la
réalisation d’une œuvre du maître et de son atelier est anonyme. On sait que
l’épouse du peintre Maurice Quentin-Delatour et celle de Jean-Honoré
Fragonard participaient aux œuvres de leur mari. Des femmes comme Jeanne
Bureau, épouse du peintre François Boucher, sont miniaturistes. Certaines
« dynasties » d’artistes sont reliées entre elles par l’exercice de métiers d’arts
complémentaires. Le peintre Jean-Baptiste Oudry était le fils d’un peintre et
marchand de tableaux. Sa mère Nicole Papillon était issue d’une famille de
graveurs. Oudry épousa une de ses élèves Marie-Marguerite Froissé, fille d’un
miroitier.Àlagénérationsuivantel’unedeleursfillesépousalepeintreAntoine
Boizot,lui-mêmefilsd’unsculpteurreconnuetd’unegraveuse.
Était-ilpossiblepourunefemmedes’éleverau-dessusdustatutdepetitemain
ou d’artisane d’art et de faire une carrière d’artiste ? Les cas sont rares. On
connaît Marie Jacob Van Merle, épouse Godefroid, peintre et restauratrice de
tableaux, et aussi Françoise Madeleine Basseporte, graveuse et peintre de
botanique. Madame Godefroid devenue veuve reprendl’atelier de son époux à
ParisdanslecloîtredeSt-Germainl’Auxerrois.Elleparvientàutiliserlesréseaux
sociaux de son époux proche de la cour et dès 1743 elle travaille pour les
collectionsroyales.ElleentreenconcurrenceavecRobert Picaultquidétientle
poste très convoité de restaurateur royal. Elle crée de nouvelles méthodes de
restauration des peintures anciennes, dont la « transposition d’épargne » qui
consisteàdétacherun fragmentenmauvais étatetàle transférersurunetoile
neuveenyincorporantuneffetdeglacis.Laqualitédel’exercicedesonartlui
apporte une clientèlenombreuse. Elle finit sa carrière en ayant faitfortune. Le
cas de Madeleine Basseporte est moins bien connu. Elle ne semble pas s’être
enrichie,bienqu’elleaitfréquentédespersonnalitésdelacourdeLouisXV.Elle
enseigneauxfillesdusouverainl’artdelapeinturedesfleurs.Onsaitque,pour
se perfectionner dans l’exercice de son art, elle entretient une correspondance
régulièreaveclenaturalisteBuffon.Elleformaaussiquelquesjeunesartistes.
Globalementilestdifficileauxfemmesartistesdesefaireconnaîtresiellesne
peuventparticiperàdesexpositionsofficielles,oùleursœuvressontprésentées.
Entre 1783 et 1789, quelques femmes essaient d’être reçues à l’Académie
royale de peinture et de sculpture. Adélaïde Labille-Guiard présente sa
candidature en 1783. Cette jeune femme est déjà connue, elle est la fille d’un
marchandmercieraisé,sonpèreestunamidusculpteurPajou.Adélaïdeestdéjà
une portraitiste de talent. Elle se trouve en concurrence avec Élisabeth Vigée-
Lebrun, un peu plus jeune qu’elle, mais connue à la cour. Chacune dispose
d’appuis et de réseaux sociaux différents. Mais, au regard des règles de
l’Académie,ilestimpossiblederecevoirdeuxfemmeslamêmeannée.Certains
sonthostilesàlacandidaturedeMmeVigée-Lebrundontlemariestnégociant
detableaux.Unautrearticledurèglementprécisequesesmembresnedoivent
pastenircommercedeleurart.CependantAdélaïdeéchoue,carlareineMarie-
AntoinetteintervientenfaveurdeMmeVigée-Lebrun.Cetteadmissionnécessite
qu’une«dispense»luisoiraccordéepourqu’ellesoitadmisemalgrél’activitéde
négocedesonmari.L’Académieserefusaàplierdevantlavolontédelacouret
Adélaîde Labille-Guiard fut reçue par 29 voix sur 32 votants. Cette année-là à
titre exceptionnel deux femmes artistes peintres furent reçues. Voilà une
situationqueCharlesd’Angivillier,directeurgénéraldesBâtiments,Arts,Jardins
etManufacturesduroinesouhaitaitsûrementpasvoirsereproduire.
Cesdeuxartistessubissentlescritiquesusuellescontrelesfemmesquientrent
dans un milieu habituellement masculin. Élisabeth Vigée-Lebrun, subit des
critiques sur sa vie privée en raison de ses relations avec la cour. On l’accuse
d’avoirétélamaîtressedeCalonnedontellefitleportrait,ouencoredemener
un train de vie excessif. Adélaîde Labille-Guiart est accusée de ne pas être
l’auteure de ses tableaux. Elle est victime de pamphlets diffamatoires sur ses
mœurs.
À cette même époque, au milieu des années 1780, s’ouvrent les premiers
ateliers féminins. David, en dehors de quelques cours particuliers amicaux
délivrésàtitregracieux,accueilledesjeunesfillesdanssonatelierduLouvreet
de leur enseigne la peinture. Bien avant lui, Jean-Baptiste Greuze a, malgré les
interdictions de l’Académie, ouvert son atelier aux femmes, avec cette
particularitédes’interdirederecevoirdesfillesdefamillesd’artistes.Cesjeunes
aspirantes viennent travailler plusieurs jours en semaine et souvent plusieurs
années pour se former. Cependant, lorsqu’Adélaïde Labille-Guiart demande à
ouvrir au Louvre un atelier destiné à recevoir des élèves filles, M. d’Angiviller
oppose un refus.Dans le même temps, tardif gardien du temple,il demande à
David de renvoyer les élèves féminines de son atelier au Louvre. Victime
collatérale de la pruderie du directeur général des Bâtiments, Arts, Jardins et
Manufactures du roi, le peintre Joseph-Benoit Suvée se voit obligé de fermer
l’atelierduLouvre,oùildélivreunenseignementréservéauxfemmes.
Undernierdébatéclateen1785,aumomentdel’Exposition«delajeunesse».
Il apparaît que parmi les exposants le nombre d’exposantes a augmenté. Cette
manifestationsetientàParisplaceDauphine,enjuinlorsdelaFête-Dieu.Elle
attirebeaucoupdevisiteurs.Cetteannée-làneuffemmesyparticipent,voilàqui
étonnelescontemporains.Àcegenred’expositionlesjeunespeintresprésentent
souvent des autoportraits, comme celui de Gabrielle Capet ou de Marie-
Guillemine Laville-Leroux. Est-il bien raisonnable que des jeunes femmes
s’exposentainsienpublic?CertainscritiquescommeFontenayestimentqueles
parentsnedoiventpaslaisserlesjeunesfillesselancerdanscetteprofessionfort
incertaine et il estime que les professeurs de peintures ne devraient pas ouvrir
leursateliersauxfemmes.Cettepolémiquefitlesdélicesdelapressedel’époque.
LESÉTATSGÉNÉRAUXETLESREVENDICATIONS
DESFEMMES
L’ouverturedesÉtatsgénérauxsurordreduroiLouisXVIsefaitle5mai1789
àVersaillesenl’HôteldesMenus-Plaisirs.1139députésdestroisordresontété
élusetilyaeu40000Cahiersdedoléancesdûmentrédigésàl’amont.Aprèsle
discoursd’ouverture duroi, ilest convenuque les députésde chacundes trois
ordres se réunissent pour débattre séparément, chacun avec son ordre
d’appartenance.Aprèsquelquessemaines,lesmembresdutiersétatsortentdela
légalité et se réunissent dans la salle du jeu de paume (située à l’extérieur du
périmètreduchâteau).Là,le29juin1789ilsprêtentsermentdenepasseséparer
avant d’avoir donné une constitution à la France. L’Assemblée nationale est
proclamée. Le conflit avec le roi est suivi du renvoi de Necker. L’insurrection
grondeàParis,elleéclatele14juillet.LaforteressedelaBastilleestprise,mais
c’est avant tout le symbole de l’autorité de la monarchie qui s’écroule, le lieu
symbolique de l’arbitraire qui permet au roi de priver de liberté qui bon lui
semble. La « Grande peur » et les rumeurs agitent les paysans des campagnes.
Dans la nuit du 4 août les députés de l’Assemblée nationale proclament
l’abolition des droits seigneuriaux dénommés privilèges. Le 26 août 1789 les
députés proclament « la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen ».
L’aggravation de la crise économique provoque les journées d’Octobre. Les
femmesdela HalledeParis serendenten armesàVersaillesréclamer dupain
(Cahier-images,Pl.VI).LafouleramèneàParisleroietsafamille.L’assemblée
seproclameConstituante,cequisignifiequ’elles’attribuelepouvoirderédiger
les textes qui définissent le fonctionnement du gouvernement. Des clubs
politiquess’ouvrentàParis,lalibertédelapresseestmiseenplace,lesjournaux
et gazettes se multiplient. La Constituante organise un nouveau régime celui
d’unemonarchieconstitutionnelleassociantlaNationetleroi.Lestextesqu’elle
promulgueformentlaConstitutionde1791.Maislafuiteduroiavecsafamille,
leur arrestation à Varenne compromettent l’existence de cette royauté
constitutionnelle.LeclubdesCordeliersréclamel’instaurationdelaRépublique
lorsd’unemanifestationpopulaireauchampdeMars.LaConstituantefaittirer
surlafoule.L’AssembléeLégislativeestélueausuffragemasculincensitaireentre
le29aoûtetle5septembre1791,enapplicationdelaConstitutionde1791.Elle
devientlegouvernementdefaitdelaFranceetdoitfairefaceàlasuitedelacrise
économiqueetrépondreàladéclarationdeguerredel’Autricheetdescoalisés
au printemps 1792. La famille royale est installée aux Tuileries. Le roi est
déconsidéré. Bien que détenteur théorique du pouvoir exécutif, il n’existe que
parlavolontédel’AssembléeLégislativeetaumodedescrutinquiapermisd’y
élire une majorité de partisans de la royauté constitutionnelle. Le 11 juillet, le
général Lafayettequitte son poste au frontet tente devant l’Assembléede faire
prendredes mesures pourrétablir les pouvoirsdu roi, envain. Le 11 juillet,la
Patrieestdéclaréeendanger.LesfemmessontexcluesdesclubsdesCordelierset
desJacobins,ellescréentdoncleurspropresclubsetsociétés(OlympedeGouges
en 1790, Théroigne de Méricourt, Etta Palm fonde en 1791 la « Société
patriotique et de bienfaisance des amies de la vérité »). Entre 1789 et 1793, les
sourcespermettentd’identifier56clubsfémininsàParisetenprovince.Certains
de ces clubs sont souventd’origine philanthropique, parfois ils permettent aux
femmesunapprentissagedelaprisedeparoleenpublic.
Le droit des femmes au port des armes fait partie de leurs revendications.
Devantlamenacequipèsesurleurpatrie,cescitoyennesdemandentàprendre
leur part à sa défense. Pauline Léon présente sans succès à l’Assemblée une
pétition signée de 319 femmes qui sollicitent d’organiser une garde nationale
fémininearmée.L’égalitéentrehommesetfemmesnefranchitpaslesportesde
l’assemblée, cette revendication qui figure, dès 1788, dans les colonnes des
journaux révolutionnaires et féministes. Dans Le Tocsin, on lit : « Les femmes
sontletiersétatdutiersétat».
QuellessontlesvaleursdéfenduesparlesfemmesfavorablesàlaRévolutionet
auxidéesnouvelles:l’égalité,l’éducationdesfilles,ledroitaumariaged’amour
etledroitaudivorce.
Les femmes revendiquent aussi : les droits civiques, le droit à l’héritage,
l’abolitiondel’esclavageetenfinl’abolitiondelapeinedemort.Ellesn’oublient
pas,nonplus,derevendiquerledroitaubonheur.
Maislesvaleurspatriarcalesetl’emportent.Leconceptd’universalités’arrêteà
laporte dela maisonoùla femmedoit restercantonnée.L’égalité neconcerne
que les hommes. La liberté ne concerne pas les femmes : elles conservent un
statutd’inférioritécommelesenfantsoulesmaladesmentaux.
Des armes sont distribuées à la population. L’insurrection populaire du
10 août 1792, soigneusement préparée, promulgue la Commune
insurrectionnelledeParis. LesTuileries sontprisesd’assaut, ladéchéance dela
monarchieestprononcée.L’AssembléeLégislativeentérineetappelleàl’élection
d’une Convention qui doit écrire une nouvelle Constitution, républicaine cette
fois.LacommunedeParisquiajouéunrôlemajeurdansl’évènementsedéclare
Commune insurrectionnelle. Son pouvoir du moment est considérable : elle
purgeleslistesdescandidatsàlanouvelleassembléeconstituanteennevalidant
que ceux qui sont favorables à la république. Elle fait pression sur l’Assemblée
législative finissante pour accélérer les procès des coupables du massacre du
10 août. Elle impose le transfert de la famille royale au Temple, effectué le
13août,etfinitparobtenirle17aoûtlacréationd’untribunalextraordinaireélu
parlessections.Du2au7septembre,enréactionàlapousséedesarméesaustro-
prussiennes et leurs bataillons d’émigrés qu’ils croient renseignés par des
informateurs clandestins parisiens les sans-culottes, parmi lesquels des
Hébertistes, massacrent les détenus des prisons qu’ils soient royalistes de droit
commun ou religieux. On estime le nombre de victimes à 1 200 morts. Les
électionsàlaConventionsedéroulentdanscetemps.Lanouvelledusuccèsdela
batailledeValmyparvientenseptembre.Elleestsuiviedelaproclamationdela
république(etdel’AnIdunouveaucalendrier).LaConventionissuedusuffrage
universelmasculinestreprésentativedelasociétédel’époque:lesGirondins(la
droite modérée), les députés du « Marais » (ou Plaine) et les Montagnards (la
Gauche).
AufildesmoislaRévolutionseradicalise.Pendantl’année1793,desfemmes
participent à la préparation des journées révolutionnaires de mai et juin qui
aboutiront àl’élimination des Girondins. PaulineLéon fonde en mai le « Club
des Citoyennes républicaines révolutionnaires ». Il est ouvert à toute femme de
plusde18ansquiprêtesermentdedéfendrelaRépublique.Danslerecrutement
sont présentes des ouvrières, des marchandes, des couturières. Les femmes
revendiquentsanssuccèsl’accèsàlacitoyenneté.Aprèslacommémorationàla
mémoiredeMarat,assassinéparCharlotteCorday(juillet1793),lesfemmesdu
club soutiennent les « Enragés », qui se situent à gauche des Montagnards, et
sontenrelationaveclessans-culottesparisiens.Ellesvoudraientaussiobtenirle
contrôlepopulairedel’exécutifparlessections.Parlasuite,devantlessoutiens
apportésparcesfemmesauxélémentslesplusextrémistesetincontrôlables,les
Conventionnels repoussent toute participation des femmes à la vie politique
publiqueetleComitédesûretégénéralefinitparinterdirelesclubsetlessociétés
enoctobre1793.
Leprocèsduroiestsuividesonexécutionle21janvier1793.Elleestsuiviede
la miseen accusation desGirondins, leur condamnationpuis leur exécutionle
31octobre1793.Presquetoutel’élitepolitiqueintellectuellequis’estcrééedans
les salons disparaît. Cette année voit se développer une violente crise
économique qui, ajoutée à la pression extérieure permanente des armées de la
coalition,amènelaConventionàorganiserle«gouvernementrévolutionnaire»
etlecomitédesalutpublicsouscontrôledesMontagnardsdontlechefdefileest
Robespierre.Lamenaceauxfrontièresdesarméesétrangèresetd’émigrésestde
plusenplusforte.Lasituationpolitiqueestparticulière.Lepouvoirexécutifest
entrelesmainsducomitédeSalutpublic.LaConventionn’ad’autrerôlequede
validerlesdécretsprisparlecomitédeSalutpublic.Pourfairefaceauxmenaces
internes et externes de la contre-Révolution, la Terreur s’installe en
septembre1793. LaMontagne,qui contrôlel’exécutifest composéde plusieurs
tendances, dont le club de Robespierre et ses amis, les Jacobins et le club des
CordeliersauquelappartientHébert.Pamphlétairetrèspopulaire,ilaunegrande
influence auprès des sans-culottes parisiens grâce à son journal, Le Père
Duchesne, fondéà l’été 1790. Dans cette publication,les événements politiques
sont présentés dans la langue populaire en usage chez les prolétaires les plus
démunis, agrémentés de commentaires abrupts, éventuellement orduriers
commeilestdecoutumedanslesdébitsdeboissonslesplusmisérables.
Ses articles ont contribué à la journée du 10 août 1792 et aux évènements
provoquésparcetteinsurrection:chutedelaroyauté,massacresdeSeptembre,
chute des Girondins, grande manifestation du 5 septembre 1793 au cours de
laquellelamiseàl’ordredujourdelaTerreurestdemandéeparlessans-culottes
àlaConvention.
Fin 1793, au moment où la crise des subsistances, aggravée par la loi sur le
maximum général, marque une reprise de l’agitation populaire, Hébert veut
jouerànouveaul’épreuvedeforceentrelarueparisienneetlepouvoirlégal.Il
prépareavec les chefs cordeliersune nouvelle journéerévolutionnaire qui, mal
organisée,échoue.Présentéscommedescomplicesdu«complotdel’étranger»,
toussontexécutésle24mars1794sansquelessans-culottesbougent.
Lessoldats del’An IIcontinuent dese battreavec vaillance.À l’intérieurles
conflits religieux compliquent la situation lors de la proclamation de la
Constitution civile du clergé et de la nationalisation des biens de l’Église. Les
prêtresréfractairesquirefusentdesesoumettreàlaconstitutioncivileduclergé
doiventsecacheroufuir.Ceuxquisontarrêtéssontguillotinésoufusillées.Les
populations paysannes de la Vendée et de la Bretagne se soulèvent. Elles
sollicitentdeleursanciensseigneursoud’anciensofficiersdesarméespourqu’ils
prennent la tête de leur révolte. L’ouest de la France se transforme en un
nouveau front où il faut envoyer les armées de la République. La répression
exercée est aussi arbitraire que féroce. Elle reflète la paranoïa collective de
l’exécutif. Elle s’exerce en province comme à Paris. Le comble de l’horreur est
atteintàNantesoùCarrier,lecommissairedelaRépubliqueajouteauxfusillades
etàlaguillotinelesnoyadescollectivesquiconsistentàenfermerlesprisonniers
dansdespontonsquisontensuitecoulés.LesdéputésduMaraisprennentpeur
devant l’extension de la répression. Conscients que la loi des suspects pourrait
aussi s’appliquer à eux, ils s’allient aux commissaires Montagnards rappelés à
Paris en raison des exactions commises en province. Eux craignent aussi la
vengeancedeRobespierrequilesaccused’avoirsalilaRépubliqueparleursactes
illégauxetcriminels.Cettecoalitioncontrenaturefinitparprovoquersachutele
28 juillet 1794. Les députés du Marais mettent en place la Convention
thermidorienne. Des réformes mènent une transition vers le régime du
DirectoirequipromulguelaConstitutionde1795.
L’artisan principal de la chute de Robespierre est l’ancien commissaire de
Bordeaux, amant de la belle Theresa Cabarrus. Aristocrate, fille du comte
FrançoisCabarrus,elleadhèreauxidéauxdesLumières.Aprèsl’instaurationde
laTerreurjacobine,elledoitfuirParis,en1793.EtseréfugieàBordeaux.Elleest
arrêtéeenapplicationdelaloisurlessuspects.LereprésentantdelaConvention,
Jean-LambertTallien,sensibleàsabeauté,lafaitlibérer.Devenuesacompagne,
elle use par la suite de son influence auprès de lui et parvient à sauver de la
guillotinenombredesesamis.
En juillet 1794, soupçonné de mollesse, Tallien fait partie des commissaires
rappelés par Robespierre à Paris et Thérésa est arrêtée. Alors qu’elle va être
guillotinée,elleexhortesonamantàagir,letraitantdelâche.Ilsedécidealorsà
entrer dans la conspiration qui réunit le Marais et les commissaires qui ont
mécontentéRobespierre.Le27juillet1794,ilprononceàl’Assembléelediscours
décisifquifaittomberlegrandrévolutionnaire.TheresaCabarrusdevientparla
suitelacompagnedeBarras,l’hommefortduDirectoire.Danssonchâteau,elle
tient un salon où se pressent les artistes et les muses proches du pouvoir,
Joséphine de Beauharnais, Juliette Récamier. Le Directoire repose sur cinq
directeurs qui détiennent l’exécutif et le pouvoir législatif est confié à deux
assemblées.C’est l’époque des Muscadinset des Merveilleuses.Elle consacre le
triomphedesnantis,deceuxquiontbénéficiédelaRévolutionàtraverslavente
des biens nationaux et de la spéculation sur les subsistances… Mais la guerre
contre la révolution n’est pas finie en Europe. La France est assaillie de toutes
parts.D’abordréduitàladéfensive,leDirectoires’enharditàlasuitedessuccès
de ses généraux parmi lesquels le jeune Napoléon Bonaparte. Son ascension
politique après la campagne d’Italie puis la campagne d’Égypte créent les
conditionsducoupd’Étatdu18Brumaire(novembre1799)etàlaproclamation
durégimeduConsulat.Leretouràlapaixestimminent.
LESFEMMESDANSLATOURMENTEETL’INSTABILITÉPOLITIQUE,ÉCONOMIQUE,
MILITAIRE
Les femmes, dans la société de cette époque, pâtissent davantage que les
hommes de l’arbitraire social et de l’instabilité politique. Même les femmes de
condition aisée souffrent des conséquences de leur allégeance obligée aux
décisionsdeleurépouxoudeleurstatutsocial.SophiedeGrouchyasansaucun
doute participé à la rédaction des textes dans lesquels son époux Nicolas de
Condorcet exposait sa vision du régime politique idéal qui convenait pour la
France.Maisluiseuladécidédespositionsqu’ilprendàl’Assembléenationale,
des affrontements qu’il assume face à ses ennemis Montagnards et qui ont
conduit à la proscription des deux époux et à la mort de son mari. Manon
Roland,quis’étaitdonnépourrègledeneprendrepartauxdébatsdesonsalon
quesionsollicitaitsonavisn’apaschoisilesattaquesquesonmarilancecontre
la Montagne et contre la Commune de Paris, attaques qui la conduisirent à la
prisonpuisàlaguillotine(Cahier-images,Pl.VI).Pasplusquelesquatresœurs
Gabrielle, Marguerite, Claire et Olympe guillotinées à Nantes sur l’ordre de
l’infâme Carrier parce que nées au château de La Métairie et appartenant à
l’aristocratiealorsqu’ellesn’onteuaucuneactivitécontrerévolutionnaire.
Paradoxalement, la pauvreté semble avoir poussé les femmes du tiers état
prolétarien à prendre des décisions lourdes de conséquences. Lors de la
préparationdesÉtatsgénérauxde1789,lesdirectivesderédactiondescahiersde
doléances ne mentionnaient pas le genre des participants à la rédaction. Il y a
cependanttrèspeudecescahiersrédigésouaumoinsinspiréspardesfemmes.
Danscertains baillages,les assembléesdes communautésd’habitants envue de
cette rédaction étant considérées comme des réunions extrajudiciaires, les
femmeschefsdefamille,c’est-à-direlesveuvesetlesfillescélibatairesmajeures
faisant valoir leur bien, avaient le droit de comparaître pour défendre leurs
intérêtscommeleshommes.ÀMarseillefutégalementproduitun«Cahierdes
représentationsetdoléancesdubeausexe» dontle caractèreapocryphene fait
aucundoute!Bienque,empêchéesoupeumotivées,lesfemmesnesemblentpas
avoirportéungrandintérêtàlarédactiondescahiersdedoléances,surleterrain
ellessemanifestentetsemettentendangerlorsquel’occasionseprésente.Elles
fontpartie,ennombre,desmanifestantsdelaJournéedesTuilesàGrenoblequi,
en juin 1788, s’opposent au départ de leurs parlementaires, exilés sur ordre de
LoméniedeBrienne.EllessontparmilesémeutiersdufaubourgSaint-Antoine
en avril 1789 en soutien des ouvriers de la manufacture de papiers peints
Réveillon qui s’opposent à la baisse de leurs salaires. Elles sont également
présenteslors des émeutes desubsistances au printemps 1789,contre la cherté
du pain. Elles marchent sur Versailles et réclament le retour à Paris « du
boulanger, de la boulangère et du petit mitron ». Leur action modifie la
géographie des débuts de la Révolution, déplaçant le cœur du pouvoir de
VersaillesversParislacapitale.Decefaitl’AssembléeNationales’installeaussià
Paris.
L’engagementleplusabsoludesfemmesauservicedelaRévolutionestcelui
des femmes soldats. Les seules sources sont celles de demandes de pension de
survivantesétayéesparleursétatsdeservice.Ilestrestélatrace d’unecentaine
d’entre elles qui ont porté les armes et combattu sous l’uniforme. Les plus
célèbressontlessœursFernig,fillesd’officierdeChâteaul’Abbaye.Élevéesdans
lerespectdesvaleursrépublicaines,remarquéespourleursexploitsaufront,elles
sont affectées à l’état-major de Dumouriez, qu’elles suivent lorsque ce dernier
trahit. Malgré leur dévouement à la cause, la République les proscrit et elles
meurentenBelgiquesansavoirrevuleurpaysnatal.
Marie-Henriette Xaintrailles, d’origine germanique, accompagne son mari
dansl’arméedepuis1793,puisdevientaidedecampdugénéralMenouavecla
recommandationdeBerthieretdeCarnoten1795.
CatherinePochetat,sous-lieutenantdansladeuxièmelégiondesArdennes,a
accompli une longue carrière sous l’uniforme. Elle est présente à la prise de la
Bastille et des Tuileries, Elle s’engage ensuite comme canonnière dans l’armée
avec son père et son frère, dans le bataillon de Saint-Deniset se distingue à la
batailledeJemmapesennovembre1792.Elleestensuitepromuesous-lieutenant
d’infanteriedanslarégiondesArdennes.
Trois Sarthoises, de Saint-Calais, s’enrôlent en tant que femmes-soldats en
mars1793,avecl’appuideleurcommunautéquileuraoffertununiformegrâce
àunesouscription.Ellesn’ontpasdissimuléleuridentitépourpouvoirs’engager
etontétéacceptées.
Cette situation semble avoir été aussi le cas d’Élisabeth Dubois, femme du
capitaine Favre, qui rejoint son mari à Liège en 1793. Proclamée capitaine en
secondparlescanonniers,elleenportal’uniformeetfitleservice.Enlevéeparles
Autrichiensle1er mars1793,MadameFavreassistaaumassacredesprisonniers
danslesfossésd’Aix-la-Chapelle,lesAutrichienstuantàcoupsdesabre,dit-elle,
pour économiser la poudre et les balles. Déshabillée, son tour arrivé, et alors
reconnue femme, elle fut sauvée par ordre d’un officier qui la fit rendre aux
postesfrançais.
Marie Duchemin, veuve Brulon, prend part aux combats qui se déroulent à
Ajaccioen1791avecsonmarietsonfrèrepuisdemeuredansl’arméeaprèsqu’ils
aient été tués. Comme caporal fourrier, elle prend notamment des initiatives
importanteslorsdeladéfensedeCalvienl’anII,semettantàlatêted’unepetite
troupecomportantdesfemmes,pourallerchercherdesmunitionsdestinéesàla
garnison. On lui attribue d’avoir été la première femme décorée de la légion
d’honneur. Le parcours militaire de Pélagie Dulierre figure parmi les plus
typiques. Engagée comme canonnier, sergent en 1792, elle devient « sous-
lieutenante » sur proposition de Dumouriez. Sa promotion est ratifiée par
l’Assemblée constituante et par les généraux commandant l’armée du Nord, si
bienqu’elleestmaintenue,malgréundécretquiexpulselesfemmesdel’armée,
jusqu’enseptembre1793.
LESFEMMESDELACONTRE-RÉVOLUTION
LesfemmesdelaContre-Révolutionsonttoutaussiactivesetimpliquées.Elles
appartiennentmajoritairement à la noblesse, veulentdéfendre la monarchie, la
religion, leurs privilèges et ceux de leur famille. Elles sont des acteurs de la
«chouannerie»quiembraselaBretagne,leMaine,l’AnjouetlaNormandie.La
constitutioncivile duclergé en aété l’élémentdéclencheur. Unelarge majorité
des prêtres de ces régions refusent le prêter serment et se retrouvent dans la
situation de prêtres réfractaires que la guillotine attend s’ils se font prendre.
L’engagement de ces femmes, aux côtés des armées royalistes qui se sont
constituées,esttotal.Ellesportentlesarmesetchargentàchevallessoldatsdela
République. Elles combattent sans cacher leur identité. Renée Bordereau, fait
exceptionàcetusage.Ellecombathabilléeenhomme.Issued’unmilieupauvre,
vendéenne des Mauges, surnommée Brave l’Angevin, elle vient d’une famille
dont les membres ont été massacrés par les armées de la République. Sous les
ordresdeLescure,sonpremierfaitd’armesfutlaprisedeCholet.Elleparticipe
ensuite à l’ensemble des guerres de Vendée où elle combat à cheval comme à
pied,souventaucorpsàcorpsetàl’armeblanche.Victimed’uneballeàlajambe
àMartigné-Briand,elle reprendlecombat quelquesjoursaprès. Elleconnaîtla
défaiteàSavenayetvitladéroutedelaviréedeGalerne.Aprèsêtrerestéecachée
pendantdeuxmois,elleparticipaàlaguerredepartisanspostérieureauxdéfaites
desarméesdel’Ouest.Lespetitsgroupesd’insurgésdontellefaitpartieharcèlent
les armées républicaines. Ces bandes d’une quinzaine de cavaliers parviennent
ainsiàlibéreràplusieursreprisesdenombreuxprisonniers.Ilsrejoignentensuite
Stofflet lorsqu’il parvient à reconstituer une faction capable de plus grandes
opérations.
Lecas de RoseCailleau, cavalièredes arméesde Charette,est plusincertain.
Après avoir combattu dans les armées de l’intérieur, elle aurait rejoint le
régiment d’émigrés connu sous le nom de Légion noire ou Légion Mirabeau
(surnommé Mirabeau tonneau) du nom de son commandant, frère du
conventionnel.
Différents mémoires des armées vendéennes retracent les exploits des
« amazones » à cheval, aristocrates à la tête de petites troupes dont elles sont
obéies.Danscesarmées,leprestigedesmaisonsnoblesdonnaitauxfemmesqui
en étaient issues une capacité à diriger, liée à leur rang social qui les met au-
dessusdulotcommun.
D’autresfemmesliéesauxmonarchistesetfavorablesàlaContre-Révolution,
choisissentd’autresvoiesquelaluttearméeetexercentuneactivitéclandestine
auservicedelacausequ’ellesontchoisie.Àpartirde1791,annéedelafuitedu
roi à Varennes, l’avenir d’une monarchie constitutionnelle a perdu de sa
crédibilité et les aristocrates restés en France envisagent l’avenir dans une
intervention extérieure. Des réseaux d’information au profit des armées
d’émigrés se mettent en place auxquels de nombreuses femmes participent.
Activitéimportanted’uneautrenature,quimontreàquelpointl’usagequel’on
peutfairedelamonnaiepapieretdesrisquesinhérentsàcetusageontétévite
compris:laproductionetladiffusiondefaussemonnaie.Lesbilletsdebanque
de l’époque, les assignats, ont été imprimés dans l’urgence et ils sont assez
simplesàcontrefaire.Desréseauxdefaux-monnayeursroyalistessemettenten
place et fabriquent des assignats. C’est là un moyen puissant pour provoquer
l’inflationetruinerl’économiedupays.L’introductiondecettefaussemonnaie
danslescircuitséconomiquesestassezsouventconfiéeàdesfemmesdévouéesà
lacause.Ilfautbeaucoupdecourageetd’abnégationcarcetteactivité,sielleest
éventée,conduitdirectementàlaguillotine.D’autresfemmesencore,toutaussi
courageusesoupeut-êtreplusencoresontchargéesdemanœuvresdecorruption
auprès des députés de l’Assemblée nationale puis de l’Assemblée constituante
pour obtenir des votes négatifs sur les mesures les plus contraignantes prises
contrel’aristocratieoucontrel’Église.
TROIS«FÉMINISTES»IMPLICITESAUCŒURRÉPUBLICAIN
Lagaleriedeportraitsdesfemmesremarquablesdelapérioderévolutionnaire
seraitincomplètesinousnerappelionsicilesouvenirdetroisfemmesquifurent
des féministesimplicites ou déclarées,des républicainesdès avant 1789, ettrès
prochesdesélémentslesplusradicauxducourantrévolutionnaire.
LouiseFélicitédeKeralio-Robert(1758-1822)Cettejeunefillen’aque16ans
lorsqu’elleselancedanslacarrièrelittéraireentraduisant,en1772,Lesnouveaux
extraitsdesmémoiresdel’AcadémiedeSienne.Sonpèreestunhommedelettres,
professeuràl’Écolemilitaire,traducteuretécrivaindansle Journaldessavants.
Trèsjeuneelletravailleàdestraductionsdel’anglaisetdel’italienetn’hésitepas
àentreprendreunehistoiredurègned’ElizabethIre .Elleestélueenfévrier1787à
l’Académie des sciences, lettres et arts d’Arras. Robespierre, qui en est le
président,présidesaréception.
Louise arrive de l’Artois à Paris avec son père en 1789 et commence une
activité de journaliste. Elle fonde un journal Le Journal de l’État et du citoyen
dontl’épigrapheest«Vivrelibreoumourir».Premièrefemmeàêtrerédactrice
enchefd’unjournal.Elledirigeaensuite LeMercurenational,ou Journald’État
et du citoyen, puis Le Mercure national et Révolutions de l’Europe et enfin Le
Mercure national et étranger, ou Journal politique de l’Europe. Elle est aussi
membredela« Sociétéfraternelledespatriotesdel’unetl’autresexe »crééepar
Dansart en 1790. Ce club, qui soutient l’idée de l’égalité des femmes et des
hommes, dont les locaux voisinent avec ceux du club des Jacobins. Il fut un
momentprésidéparTallien,l’artisandelachutedeRobespierre.Hébertenafait
partie.Elleépouseunpatrioteardent,lecordelierPierre-François-JosephRobert.
ParmisestémoinsfigurentNicolas-JeanHugoudeBassville,assassinéàRomele
13janvier1793,etLouisPotierdeLille,mortguillotinéle18juin1794.Louise
tient aussi avec son époux un salon où elle reçoit des membres du club des
Cordeliers.L’historienAlphonseAulardécritàproposdecesalon«queleparti
républicainestnéen1791surlecanapéd’unefemmedelettres,oùonapudire
qu’iltenaittoutentierjusqu’au10août1792».(Le10août1792estladatedes
émeutes parisiennes qui provoquèrent la chute de la royauté). Parmi ses amis
proches, on compte Danton, Etta Palm et Camille Desmoulins, mais Lucile
DesmoulinsetManonRolandnel’apprécientpas.
La famille de son mari est originaire la région de Dourbes, en Belgique
wallone.LouisedeKéralioetPierre-François-JosephRobertachètenten1799le
château de Matagne-la-Petite. Leur vie d’anciens révolutionnaires devenus
châtelains dure jusqu’en 1810, année où, ruinés, ils sont dans l’obligation de
vendreleurpropriété.Robertestnommésous-préfetdeRocroidurantlesCent-
Jours.MaisauretourdeLouisXVIII,ayantvotélamortdeLouisXVI,ildoità
nouveaus’exileràBruxellesoùils’installecommecommerçantenalcools.
RosalieJullien(1775-1810)néeDucrollay,estissued’unefamilleaisée.Elleest
la fille d’un marchand-mercier prospère et cultivé : elle appartient au milieu
parisiendelabourgeoisiemarchandeetcitadine.Elle-mêmetrèscultivée,ellelit
l’anglaisetl’italien,citeMolière,Racine,LaFontainesurtout,desauteurslatins
etitaliens.ElleconnaîttrèsbienlestextesdeJ.-J.Rousseau.Elleépouseen1774
Marc-Antoine Jullien (dit Jullien de la Drôme), futur député jacobin,
représentantdelaDrômeàlaConvention,àParis.Luiestissud’unefamillede
propriétairesfonciersduDauphiné.IlsonttroisfilsdontlecadetMarc-Antoine
deviendraunprochedeRobespierredurantlaRévolution.
Leur vie se déroule entre Paris et Pizançon, bourg de la Drôme où Rosalie
s’occupedelagestiondeleurspropriétés,parmilesquellessetrouveunélevage
de vers à soie. La nature de leurs obligations qui les oblige à voyager entre la
Drôme et Paris fait qu’ils sont souvent séparés et les oblige à échanger par
courrier.Unpatrimoinede900lettresdelaplumedeRosalieaétéconservéet
publié. Les deux époux sont passionnés de politique, républicains de cœur et
proches des Montagnards. Rosalie est inscrite aux Jacobins. Lorsqu’elle est à
Paris,elleserendauxséancesdelaConvention.Ellerendcompteetcommente
les débats qui s’y déroulent. Parmi nombre de députés de la Montagne,
Robespierrefréquentesonsalon.Ellenotedansl’unedeseslettres«lesaffaires
d’État sont mes affaires de cœur ». Femme de cœur inspirée par l’esprit
républicain,elleose cettephrase,le 10août1792, jourdela prisedesTuileries
parlesParisiens:«Jourdesang,jourdecarnage,etpourtantjourdevictoirequi
est arrosé de nos larmes.Écoutez et frémissez ». On trouve également dans une
autredeseslettresdelamêmeépoquecetteappréciationd’unefemmeàlafois
parisienneetprovinciale,quis’inquiètesansdoutedupoidsdelaCommunesur
lesdécisionsdugouvernement:«l’accorddesdépartementsaveclacapitalesera
lesalutde laFrance». Témoin,auteureetcitoyenne engagée,elleconstateque
«l’exaspération estun desplus énormespéchésdans laRévolution. Fouguen’est
pasforce.Ilfautdelasagesse,puisdelasagesse,etencoredelasagesse»etforme
levœu,le1erjanvier1800,«queleXIX esiècleréparelescrimesetlessottisesdu
XVIIIe.»
ClaireLacombe(1765-1826),estlafilledemarchandsinstallésàPamiers.Elle
devientcomédienne,nonsanssuccès,àMarseilleetàLyon.EllearriveàParisen
1792,où elle fréquentele clubdes Cordeliers etparticipe aveccourage comme
d’autres femmes à l’assaut des Tuileries avec un bataillon de Fédérés. L’hiver
suivant,elleserapprochedugroupedesEnragésetmilitecontrelechômageou
l’accaparement des richesses, préoccupations sociales qui l’amènent à fonder
avecPaulineLéonla« Sociétédesrépublicainesrévolutionnaires»en mai1793.
Claireprendunrôledynamiquedansceclub,etprésenteunepétitionenaoûtà
laConvention,demandantdesmesurescontrelessuspects.Imprudemment,elle
demande même l’épuration du gouvernement. Cette fois, les Jacobins s’en
prennent à elle et l’accusent de délits imaginaires extrêmement dangereux à
l’époque : avoir donné asile à des aristocrates par exemple. Arrêtée le
16septembre,elleestrelâchéelesoirmême.Le7octobre1793,elleseprésenteà
la barre de la Convention et dénonce l’oppression dont sont victimes les
femmes:«Nosdroitssontceuxdupeuple,etsil’onnousopprime,noussaurons
opposerla résistance àl’oppression ».À la suited’une rixeavec les damesde la
Halle qu’elle voulait forcer à porter le bonnet Phrygien rouge, normalement
réservé aux hommes en signe d’égalité homme-femme, elle est fouettée et
expulsée par ces dernières. Cet évènement sert de prétexte au gouvernement
révolutionnaire, qui interdit tous les clubs féminins, à commencer par les
Républicaines révolutionnaires.Claire est arrêtée en 1794puis libérée en 1795.
EllereprenddutravaildansunetroupedethéâtreàNantes,puisrevientàParis
en 1798. Elle abandonne toute activité politique. On ne retrouve sa trace que
lorsqu’elleest admise entant qu’« aliénée »à l’hôpital dela Pitié-Salpêtrière le
19juin1821.Elleydécèded’uneruptured’anévrismele2mai1826.
LARUPTUREDE1789/1799:CONSÉQUENCES
ETESPOIRSDÉÇUS
LeXVIIIesiècleestunsiècleétrange.Lesquatre-vingt-neufpremièresannées
sontmarquéesparleseffortsconsidérablesd’unesociétépourfairefonctionner
un système politique où les complexités du jour s’ajoutent à celles qui ont été
accumulées au cours des siècles précédents. Les onze dernières années sont
consacrées à une formidable succession de systèmes politiques nouveaux
renversés alors qu’ils étaient à peine mis en place. Pour faire bonne mesure ;
l’ensembledes monarchies européennesse coalise pour essayerd’arrêter par la
force l’incendie institutionnel français de peur qu’il ne s’étende à leur propre
territoire. La vie politique, sociale, culturelle et religieuse est définitivement
marquéeenFranceparlarupturede1789.Cettetransformationestapprofondie
et complétée au siècle suivant par la création d’un enseignement primaire,
secondaireetsupérieurgratuit,ouvertaussiauxfemmes,puisparlaséparation
de l’Église et de l’État ; ce qui fait de la France par rapport à l’ensemble de
l’Europe un pays aux institutions originales. Au sortir du XVIII e siècle, le
principed’égalitéentrefemmesethommesn’apasétéadoptédanslestextesetla
femme n’est toujours pas une citoyenne de plein droit. Les droits de vote et
d’éligibilitéluiontétérefusés.Ellen’apossédéquependantunecourtepériode
lesdroitscivilsquiluiontpermisd’accéderaudivorcede1792à1804.
Quelques changements de l’Ancien Régime se dessinent après 1715 sous la
Régence. Philippe d’Orléans et son gouvernement quittent Versailles pour
s’installeràParis.LasociabilitédesLumièressemetenplace.Uneéliteparmiles
femmesdelahautesociétéfacilitelesrencontresetleséchangesentreécrivains,
philosophes,savantsetencyclopédistes.
La situation familiale des femmes ne change guère, elles sont liées par les
obligationsdesmariagesarrangés,desnaissancesrépétéesetletauxdemortalité
lors des accouchements reste élevé. Le niveau d’études des filles demeure très
médiocre, analphabètes et illettrées peuplent les campagnes, cependant dans
certaines paroisses de petites écoles sont accessibles. En ville, les filles de la
bourgeoisiepeuventrecevoiruneéducationàconditionquelesparentsymettent
le prix. Les jeunes filles de la noblesse sont envoyées au couvent et doivent y
acquérir un minimum de connaissances et surtout des habitudes de vie pour
devenir maîtresses de maison et tenir leur rang. L’emprise ecclésiastique reste
fortesurtouteslesquestionsquitouchentàl’éducation.
Pendantcesiècle,lapolitiqueroyalenechangeguèrelesinstitutionsendehors
de quelques tentativesde réforme des parlements et d’essaisde transformation
des impôts et taxes. Le pays s’enlise dans l’endettement du fait des guerres
multiples du royaume contre une partie des pays d’Europe et de leurs
conséquences économiques. Les conflits du règne de Louis XV n’amènent
aucune extension des frontières. Cependant, le règlement de la « Pragmatique
sanction»conduitaurattachementdelaLorraineauterritoirefrançaisen1766.
DésormaislestroisévêchésnesontplusdepetitsterritoiresdeFranceauseindu
territoiregermanique.LeprojetdeLouisXIVestparachevé.Leterritoirefrançais
est enfin un « pré carré », comme le souhaitait le roi. La guerre de succession
d’Autriche de 1740 à 1748 se termine par une occupation des Pays-Bas
autrichiens.Maismalgrésavictoire,laFrancerestitueàl’Autrichelesterritoires
occupés.LaguerredeSeptans,de1756à1763conduitàlapertedesterritoires
del’Empirecoloniald’AmériqueduNordetdesIndesauprofitdel’Angleterreet
d’une moitié de la Louisiane remise aux Espagnols. Louis XVI engage une
politiquedepaix.Ilselaissecependanttenterparl’aventuredel’Indépendance
américainequiaugmenteencorel’endettementduroyaume.Iltenteuneréforme
des finances avec Turgot, une réflexion sur le fonctionnement de la Ferme
générale,unerévisiondestaxes,unetentativedesuppressiondescorporationsen
vuedefluidifierlaproductionetlecommerceintérieur.Leséchecsamènentau
pouvoir Necker, mais la situation sociale se tend en raison du creusement des
inégalités sociales et de l’apparition d’un pré-prolétariat urbain attiré par
l’implantation des premières manufactures. La culture des membres du
gouvernement est dominée par les théories des physiocrates qui ont une
influenceheureusesur l’évolutiondel’agriculture, maisdontl’influence surles
autres secteurs de l’économie est néfaste. Il est regrettable que La richesse des
nations de l’Écossais Adam Smith parue en 1776, n’ait été lue et mise en
application par les conseillers du gouvernement pour le désendettement du
royaumeetl’accroissementdel’activitééconomique.Ilesttoutaussiregrettable
quel’onignorâtlestravauxdeParmentier,pharmacienmilitairequifut,aucours
delaguerredeSeptAns,prisonnierenPrusseoùildécouvritquelapopulation
senourrissaitdepommesdeterresansinconvénientspoursasantéalorsqu’en
Franceoncouraitdedisetteenfamine.
Laruptureen1789constitueunmomentparticulierdansl’histoiredusiècle.
LaconvocationdesÉtatsgénérauxestunedécisioncourageuse,maislepouvoir
perd tout contrôle sur l’évolution de la situation. Les femmes de Paris, en
particuliercellesdesHallesquiontunevisionexactesurlesmanipulationsqui
accroissent artificiellement la pénurie, bouleversent le jeu politique lorsqu’elles
forcentlafamilleroyaleàquitterVersaillesetàs’installerauxTuileries.Lapartie
estperdue,carlepalaisdesTuileriesnepeutentretenirqu’unegarnisonréduite
quiestvitenoyéeparlafouleparisienneencasd’émeute…Latentativedefuite
du roi, son arrestation à Varenne signent la condamnation de la royauté
constitutionnelle ou pas et de ceux qui la croyaient possible, les Girondins de
l’assembléelégislative.La Républiqueestproclamée,une nouvelleConstituante
estélue. Mais cettefois lesroyaumes d’Europeprennent peur,une coalitionse
forme,la Franceestencerclée. Lesinstrumentsd’un étatpolicierse mettenten
placepourdébusquerl’ennemidel’intérieur.Laconscriptionenvoieleshommes
enarmesàlafrontière.Descabrioletsàl’arrièredesquelssontarrimésles«bois
dejustice»prennentlaroutepourtouslesdépartements.Àl’intérieurvoyagent
lesterriblescommissairesreprésentantsduComitédeSalutpublic.Deuxfactions
encoreplusextrémistes,lesEnragéspuislesHébertistes,essayentàtourderôle
de prendre le contrôle du Comité de Salut public. Les condamnations se
multiplient.LeComitédeSalutpublic,aprèsavoirdétruitlesGirondins,puisles
deux factions extrêmes, se trouve face au Marais désormais seul opposant. Les
élusdecegroupeprennentpeur,pensantqueleurtourestarrivé.Robespierreet
ses compagnons font les frais de cette peur. La guillotine met un terme à la
Terreurqu’ilsinstrumentalisaient.Lesfemmes,bienqu’ellesaientétéactrices,et
l’historienneDominiqueGodineau(en2004)utilisel’expression«descitoyennes
sans citoyenneté » pour désigner leur irruption sur la scène politique. Elles
participent aux évènements dès le printemps 1789 comme membres de la
Nation,cependantellessontviteexcluesdudroitdevoteetdel’éligibilité.D’une
certainemanièreunepoignéedefemmesfontl’apprentissagedelaviepolitique
danslessalonsetdanslesclubs,cesderniershéritiersdestructuresassociatives.
Quelquesfemmesparticipentàlarédactiondelibellesetde journaux.D’autres
s’engagentdanslaviepolitique locale,elles viennentauxcérémoniespubliques
patriotiques. À partir de 1792 elles participent surtout à Paris à des
manifestations, quelques-unes militent pour la formation de corps armés
fémininsafindedéfendrelapatrie.Ellesontàcœurd’intervenirlorsdelacrise
des subsistances et des augmentations du prix des denrées en 1793/94. Les
femmess’engagentbienquelesdifférentesinstancesdelaRévolutionoùs’exerce
le pouvoir ne les acceptent jamais dans leurs rangs, bien que leur action
déterminantede1789,leretourdelafamilleroyaleàParis,nesoitjamaisportée
à leur crédit, et bien que leur pensée soit même interdite d’expression
puisqu’ellessontfinalementexcluesdesclubs,tantàParisqu’enprovince.Àla
findes dixannées dela Révolution,les femmesn’ont acquisque l’ébauchedes
droitscivilsetunecapacitéjuridique(Cahier-images,Pl.VII).Ellesontobtenule
mariage comme contrat civil et l’accès au divorce. La Révolution manifeste un
moment fondateur dans l’idée d’égalité des sexes. L’espace public a été ouvert
pourlapremièrefoisauxfemmes,ellestententausièclesuivantd’enracinercet
espoir dans les pratiques politiques en dépit des obstacles qu’elles doivent
affronterdansunesociétémasculine.
CHAPITRE4
LESFEMMESAUXIXE SIÈCLE
DUCODECIVILNAPOLÉONIEN(1804)
JUSQU’ÀLAVEILLEDELAGUERREDE1914
Le début du siècle est marqué par la montée en puissance de l’Empire.
NapoléonporteleterritoirefrançaisàsonextensionmaximaleenEurope,avec
134 départements en 1812, Rome, Hambourg, Barcelone ou Amsterdam sont
devenus des chefs-lieux de départements français. Il est aussi président de la
Républiqueitaliennede1802à1805,roid’Italiede1805à1814,médiateurdela
Confédérationsuissede1803à1813etprotecteurdelaconfédérationduRhinde
1806à1813.IlannexeàlaFranceparsesvictoiresdevastesterritoires.Ilétend
sonpouvoiraupointdegouvernerlamajeurepartiedel’Europecontinentaleen
plaçantlesmembresdesafamillesurlestrônesdeplusieursroyaumes:Josephà
Naplespuis enEspagne,Louis enHollande, Jérômeen Westphalieetplus tard
sonbeau-frèreJoachimMuratàNaples.IlcréeégalementunduchédeVarsovie,
sans restaurer formellement l’indépendance polonaise, et soumet
temporairementàsoninfluencedespuissancesvaincuestellesqueleroyaumede
Prusseetl’empired’Autriche.
Napoléon doit son pouvoir sans limites à ses succès militaires à l’issue de
guerresmeurtrièresavecdesmillionsdemortsetblessés,militairesetcivilspour
l’ensembledel’Europe.Ilestconsidérécommel’undesplusgrandsstratègesde
l’histoire,etsesguerresetcampagnessontétudiéesdanslesécolesmilitairesdu
mondeentier.
Mais au début du siècle également, Napoléon connaît un échec dans sa
politiquenord-américaine(1802).IlsouhaitedurablementinstallerlaFranceen
Louisiane,enpartant d’Haïtietde laGuadeloupe.Lesexpéditions endirection
des deux îles se terminent par un échec causé par la résistance de Toussaint-
Louverture, les soulèvements provoqués par le décret de rétablissement de
l’esclavage,etlafièvrejaune.
LespuissancesalliéescontrelaFranceélargissentleurcoalition.Touslespays
européens craignent l’ambition dévorante du pouvoir impérial français. La
coalitionfinitparremporterdessuccèsdécisifsenEspagne(batailledeVitoria)
etenAllemagne(batailledeLeipzig)en 1813.Napoléon,atteintpar l’hubrisde
sessuccèsnégligel’impactdecesrevers.Despansentiersdelasociétéfrançaise,
lassedelaguerreluiretirentleursoutien,tandisquesesanciensalliésouvassaux
seretournentcontrelui.Amenéàabdiqueren1814aprèslaprisedeParisetexilé
àl’îled’Elbe,ilrentreclandestinementenFrancelorsdel’épisodedesCent-Jours
en1815.Aucoursd’unefollecampagneéclairaucoursdelaquelledesrégiments
entiers qui ont mission de l’arrêter se rallient à sa cause, il rétablit le régime
impérial sans coup férir. À la suite de diverses trahisons et dissensions de ses
maréchaux, au cours d’un affrontement ultime avec la coalition à Waterloo, la
lourde défaite qu’il subit met un terme à l’Empire napoléonien et assure la
RestaurationdeladynastiedesBourbons.Napoléonmeurtenexilen1821,dans
l’îledeSainte-Hélène,souslagardedesBritanniques.
Napoléon ne fut pas qu’un général de génie. Malgré la courte durée de
l’Empire, il dote la France d’un système d’enseignement supérieur toujours
présent, sous une forme remaniée. Il dote également le pays d’une législation
complèteycomprisleCodecivilpubliéen1804.Danscedernier,lesdispositions
concernant les femmes prononcent l’incapacité juridique de la femme mariée.
Cettedispositionpriveparvoiedemariagel’épousedetouteautonomie.L’accès
au divorce est limité (article 229). Il faut attendre la loi de 1965 pour que les
femmes mariées puissent ouvrir un compte en banque et exercer une activité
professionnelle sans autorisation de leur époux. Puis en 1975 seulement, le
divorce par consentement mutuel devient possible. Et en 1985 enfin, la loi
accordeauxdeuxépouxlagestiondesbiensdelacommunauté.
À la suite de l’épopée napoléonienne, la Restauration imposée par les alliés
aprèsWaterlooramènelesBourbonssurletrônedeFrance.LouisXVIII,frère
cadet de Louis XVI, considérant l’évolution de la France entre 1789 et 1814,
« octroie » au peuple une Charte constitutionnelle de 1814, qui laisse survivre
certaines des libertés acquises. Avec sagesse, il mène une politique de
réconciliation et d’oubli concernant les violences révolutionnaires et tente de
calmerlesroyalistespartisansdelaTerreurblanche.Iladansunpremiertemps
composé avec une chambre parlementaire très conservatrice. En 1820, après
l’assassinatdesonneveuleducdeBerry,laRestaurationprenduntournantplus
dur,voireréactionnaire,queLouisXVIIIlaissemenerparleprésidentduconseil
Villèle,jusqu’àsamorten1824.SonfrèreluisuccèdesouslenomdeCharlesX.
Il n’a pas la finesse d’esprit de son frère. Il conserve la Charte mais il reste
fortementmarquéparsesconvictionsultra-royalistes.
Après la démission du président du Conseil Villèle, en 1827, Charles X
gouverne par ordonnances. Son règne est notamment marqué par la loi
d’indemnisation des émigrés, ainsi que par les expéditions françaises en Grèce
(1828)etenAlgérie(1830).
NAISSANCEDEL’ESPRITROMANTIQUE
Lagloiredel’Empireetsafinbrutale,leretouraupouvoird’uneclassesociale
aristocratique déconsidérée provoquent une puissante émergence du courant
romantique en France. Cette nouvelle sensibilité, s’oppose au classicisme, aux
Lumièresetàlarationalité.Elleestporteuseducultedumoi,del’expressiondes
sentiments jusqu’aux passions. Stéphane Guégan écrit en 1995, dans
L’Abécédaireduromantismefrançaiscettedéfinition:« Issudebouleversements
politiquesetsociauxsansprécédent,ilmetl’hommeetl’artistedevantundestin,
improbable,inquiétant.Cettevisiondramatiquedel’humanitéestalorscommune
à touslesarts,mêmeauthéâtreetàl’opéra,souslamagnificencedesdécors…Le
réel, que les romantiques rendent expressif, dramatique, l’emporte sur le beau
idéal ». Ce rejet de la rationalité des Lumières, de l’idéal gréco-romain de la
Renaissance,cettesensibilitéhyperboliquesemanifestentdanslalittératureetles
arts plastiquespar un renouvellement thématique.Le Moyen Âge et ses ruines
mélancoliques, l’Orient, l’époque napoléonienne, la littérature étrangère des
romantiques allemands et britanniques, la nature et le peuple deviennent des
thèmesdeprédilectiondesécrivainsetartistesetdeceuxquisepassionnentpour
leursœuvres.
Alfred de Musset, plume autorisée s’il en est, en 1836, résume dans
La Confession d’un enfant du siècle le mal dont souffre la jeunesse française :
«Toutelamaladiedusiècleprésentvientdedeuxcauses;lepeuplequiapassépar
1793etpar1814porteaucœurdeuxblessures.Toutcequiétaitn’estplus;toutce
quiseran’estpasencore.Necherchezpasailleurslesecretdenosmaux.»
Lecourantromantiqueenlittératureinspiredeuxfemmesd’exception.Leurs
œuvres portent la marque des choix de vie qu’elles ont faits. Il y eut Louise-
GermainedeStaël,puisGeorgeSand.
LOUISE-GERMAINEDESTAËL:UNEOPPOSANTE
AUDESPOTISMEPOLITIQUEDENAPOLÉON
Louise-GermainedeStaëlestlafilledubanquiersuisseNecker.Cedernierfut
ministredesFinancesdeLouisXVI.Hostileaulibéralismedesesprédécesseurs,
ilestinterventionniste,encequ’ilconsidèrequel’Étatdoitprotégersonpeuple
etquecedernierdoitêtrereprésentéauxÉtatsgénérauxauproratadel’effectif
qu’ilreprésente, cequi revientàdoubler l’effectifdu tiersétat.Très, voiretrop
populaire,ilestenoppositionaveclacouraupointqu’ilrenonceàsachargeetse
réfugie en Suisse dans son château de Coppet en 1790. L’épouse de Jacques
Neckerestunefilledepasteurextrêmementcultivéequitenaitunsalonlittéraire
brillant, dans l’hôtel d’Halwill, rue Michel le Comte à Paris, au quartier du
Marais. Là sont accueillis les Encyclopédistes, Madame Geoffrin, Madame du
Deffand,BernardindeSaint-Pierre,Buffon,Grimmetd’autresencore,dontdes
diplomates européens. Germaine, future Madame de Staël (1766-1817) malgré
sonjeuneâgeparticipeauxdiscussionsqu’onytient.Sesparentslamarienten
1786,alorsqu’ellea20ans,àunaristocratesuédoisdésargentéquitientleposte
d’ambassadeur de Suède à Paris. De Staël-Holstein a 17 ans de plus que son
épouse,dontladotluipermetderedonnerdubrillantàl’activitémondainede
son ambassade impécunieuse. Germaine de son côté mène une vie très
indépendante,aupointquelapaternitédescinqenfantsqu’elleestcenséeavoir
eus avecde Staël estparfois incertaine.Elle entretient avecBenjamin Constant
une liaison à éclipses où le sentiment amoureux le dispute à l’amitié. De cette
liaisonnaîtleroman AdolpheécritparBenjamin. Adolphe estunchef-d’œuvre
duromand’analyse.AprèsavoirséduitEllénore,pluspardésird’aimerquepar
amour véritable, Adolphe ne parvient ni à rompre ni à aimer. Subjugué par la
personnalitéd’Ellénoreilseplieàsavolonté.Sonindécision,ainsiqu’unesorte
decomplaisancedanslasouffrance,précipitentlacourseàl’abîmedececouple
fatal. Louise-Germaine de Staël est pour lui une Ellénore bienveillante qui lui
gardeuneamitiéfidèlemalgrélapersonnalitébipolaired’Adolphe.Cettefemme
brillante montre des sympathies affirmées pour les valeurs de la Révolution et
entretient des rapports détestables avec Napoléon qui l’exile d’abord à trente
lieues de Paris, puis hors du territoire français. Elle tenait le salon littéraire et
politique le plus actif à Paris et elle revendiquait une parole libre. Auteure à
succès, elle touche à tous les genres, aussi bien politique et économique que
littéraire. Dans ce dernier domaine, elle publia en 1807 le roman Corinne ou
l’Italie qui est un véritable manifeste féministe. Les personnages principaux
autour desquels se noue l’intrigue sont Corinne elle-même, poétesse à la
sensibilitédélicate,portéeauxnuesparlepublicitalien,OswaldNelvilfilsd’une
grandefamilleécossaise,officierbritanniqueendisponibilitéprovisoireetLucile
Edgermond, jeune fille britannique issue d’une famille amie de celle de Lord
Nelvil.OswaldNelvilprofitedesadisponibilitépourvisiterl’Italie,sacrifiantàla
mode romantique anglaise qui veut que tout homme bien né doive passer
quelquesmoisenItaliepourparfairesaculture.Lorsqu’ilarriveàRome,ilassiste
au couronnement du plus grand poète vivant, en l’occurrence Corinne. Il est
subjugué par le charme de la jeune fille et par la beauté des textes qu’elle a
composés en vue de cette fête. Oswald s’arrange pour être reçu dans le cercle
d’amisquientourentlajeunefemme.Celle-ciluiproposedeluiservirdeguide
pour lui faire découvrir Rome. Tous deux sont attirés l’un vers l’autre, sans
pouvoirsedéfaired’unmalaiseliéàladifférencedesvaleurspropresàchacun.
Mais«l’inclination»l’emporte:ilsdécidentd’allerensembleàNaples.Aucours
de ce périple d’amitié amoureuse, ils échangent sur ce qui les sépare. Corinne
avoue à Oswald qu’elle redoute la perspective d’aller en Angleterre avec lui au
risque dedevoir renoncer à ses choixde vie et se plier auxexigences anglaises
enverslesfemmesmariées.Salibertéaétéchèrementpayéecarelleest,comme
sasœurLucile,filledeLordEdgermond,malaiméeparlasecondeépousedeson
père qui désapprouve sa passion pour les arts et la poésie. L’aversion de sa
marâtrel’acontrainteàs’exilerenItaliesousunnomd’emprunt.Lapériodede
disponibilité dontdispose Oswald touche à sa fin.Il quitte Corinne et regagne
l’Angleterre, où son régiment l’attend. Il rend visite à Lady Edgermond et
rencontre Lucile. Il est troublé par la beauté et la timidité de la jeune femme.
Oswald écrit plusieurs fois à Corinne, qui devine ses hésitations à travers ses
lettres.Dévoréeparlasouffrancedel’absenceetparl’anxiété,elleembarquepour
l’Angleterre. Elle doute que ce voyage ne lui apporte autre chose que la
confirmation de ses craintes. Elle finit par voir Oswald plusieurs fois en
compagnie de Lady et Lucile Edgermond, sans qu’il puisse s’apercevoir de sa
présence. Les regards et les prévenances d’Oswald envers Lucile convainquent
Corinnequ’ill’aoubliéeauprofitdesasœur.Plongéedansunabîmedechagrin,
Corinnes’embarquepourl’ItalieetséjourneseuleàFlorence,avantderegagner
Rome.Elleperdsoninspirationetsajoiedevivre.Désemparée,elleapprendle
mariaged’OswaldavecLucile.Elleentredansuneprofondemélancoliequimet
lentementfinàsesjours.Celivrecommelaviedesonauteureestunmanifeste
féministe qui pourrait se résumer dans une formule toujours d’actualité :
«Messieurs,pourquoiavez-voussipeurdenotreliberté?».
GEORGESAND,NOMDEPLUMED’AUROREDUPIN
DEFRANCUEIL:ÉCRITUREETÉMANCIPATION
L’autre héroïne féministe du siècle, seconde dans l’ordre chronologique, est
George Sand. Ce pseudonyme masculin est adopté par Aurore Dupin (1804-
1876) (Cahier-images, Pl. VII). Aurore Dupin a la particularité d’être
probablementdescendantedumaréchalMauricedeSaxeparsonpèreetducôté
de sa mère, elle a pour grand-père Antoine Delaborde, maître oiselier, qui
vendaitdesserinsetdeschardonneretsàParis,surlequaiauxOiseaux.Aurorea
une double ascendance, populaire et aristocratique, qui la marque
profondément. Son père, Maurice Dupin, incorporé dans les rangs de l’armée
révolutionnaire, participe de 1798 à 1808, à toutes les guerres républicaines et
impériales. Il rencontre Victoire Delaborde pendant la Campagne d’Italie. La
mèreducapitaineDupin,Marie-AuroredeSaxe,faittoutpours’opposeràleur
mariage. Ils se marient en juin 1804, malgré son opposition, juste avant la
naissancedelafutureGeorgeSand.ElleestlapremièrefilledeMaurice,maisla
secondefilledeVictoire.Lespremièresannéesd’AuroresepassentàParis,rue
Grange Batelière. En avril 1808, le capitaine Maurice Dupin est affecté en
Espagne où sa famille le suit malgré les révoltes contre l’occupation française.
Victoire donne naissanceà un enfant, un garçon né aveugle. La situation n’est
plustenableenEspagneetlafamillerentreenFranceoùelleestaccueillieparla
grand-mère d’Aurore, au château de Nohant en Berry. L’enfant que Victoire a
misaumondenesurvitpasauvoyage.Unseconddramesurvientdanslesjours
qui suivent : le capitaine Dupin fait une chute de cheval à La Châtre, accident
auquelilnesurvitpas.
La vie à Nohant devient difficile entre Victoire et Marie-Aurore de Saxe, sa
belle-mère.Un compromis esttrouvé entreles deux femmes.Marie-Aurore de
Saxe prend la responsabilité de l’éducation de la petite Aurore. Elle passe la
majeurepartiedel’annéeàNohantencompagniedesagrand-mèreetpeutvoir
samère,installéeàParis,enhiver.Victoirereçoitunerentedesabelle-mèreet
elleestaccueillieavecsafilleaînéeàNohantpendantl’été.MarieAuroredeSaxe
fait découvrirJ.-J. Rousseau àAurore, puis les philosophesde l’Antiquité, puis
Montaigne,Montesquieu,BlaisePascal,JeandeLaBruyère,Montaigne,Francis
Bacon, JohnLocke, Leibniz, ainsi que les poètes Virgile,Alexander Pope, John
Milton, Dante, et William Shakespeare. Aurore vit une relation heureuse avec
cettegrand-mère àl’esprit finet cultivé.Cette dernièremeurt en1821. Aurore
n’aque17ansetelleestlalégataireuniverselledesagrand-mère.En1822,elle
épousel’avocatCasimirDudevant.Heureusement,samèreveilleàlarédaction
du contrat de mariage qui fait la part belle à aux biens qu’Aurore conserve en
propre.Elleadeuxenfantsdesonmari,SolangeetMaurice.Larelationentreles
deux époux tourne rapidement à l’aigre. Dudevant est un individu inculte,
possessifetjalouxdesurcroîtalcooliqueetquiestcapabledegiflersafemmeen
public. Aurore veut obtenir son indépendance, souhaite travailler et gérer ses
bienspropres.Aumêmemoment,elleengageuneidylleavecleromancierJules
Sandeau et désire le rejoindre à Paris. La séparation d’avec son époux est
inévitable–ledivorcen’existepasàcetteépoque–etelleestprononcéeparle
tribunal de La Châtre en faveur de l’épouse en février 1836. Cette juridiction
reconnaîtquesontprouvésles«injuresgraves,sévicesetmauvaistraitements».
Aurores’installeàParisoùellefaitvenirsesdeuxenfants.Surviennentalorsles
TroisGlorieuses de1830, troisjournées d’insurrectionqui expulsentledernier
roi de France Charles X au profit du premier « roi des Français », Louis
Philippe.IerdelabranchedesOrléans.Auroremènelaviedebohèmeavecdes
compagnons venus comme elle de l’Indre, parmi lesquels l’écrivain Jules
Sandeau.Ayantobtenudelapréfecturedepolicedel’Indreune«permissionde
travestissement»(sic)elleadopteuncostumemasculin,pluspratiqueetmoins
coûteuxque lesproductionsde lamode féminine.Avec JulesSandeau,elle fait
ses débuts en littérature. Rose et Blanche est le roman à quatre mains, fruit de
cette collaboration, qui paraît sous le pseudonyme transparent de « J. Sand ».
Ensemble,ilscommencentégalementunecarrièrejournalistiqueauFigaro. Rose
etBlancheconnaîtuncertainsuccès.Unautreéditeurseprésenteetcommande
unprochainromansouslemêmenomd’auteur.Aurorevientd’écrireIndiana,à
Nohantdurantl’hiver1831-1832,elleveutledonnersouslemêmepseudonyme.
Jules Sandeau,sans doute par délicatesse,n’accepte pas. Lecompromis suivant
esttrouvé:lenomdeSandestconservé,maisprécédéduprénomGeorge(sans
s).GeorgeSandestnéeetl’immenseproductiond’Auroreparaîtdésormaissous
cenom.
Indiana eut, lors de sa parution un immense succès. Le récit a pour cadre
LagnycommunedelaBriedansunpaysagedeplainesmonotones,Parisetses
réceptions,ainsiquel’îleBourbon(anciennomdel’îledeLaRéunion).
Cinq personnages sont liés par une intrigue amoureuse. Ce roman est aussi
uneétudesocialeetuneétudedemœurs.Sonpersonnageprincipalestunejeune
femme, Indiana. Elle est mariée selon la coutume de l’époque au sortir de
l’adolescence avec un mari beaucoup plus âgé qu’elle. De surcroît mari
antipathiqueetautoritaire,l’hommeestunancienofficierdesarméesimpériales
nostalgique et sujet à des accès de violence à l’égard de son épouse. Elle est
courtiséeparunjeunehomme,RaymondelaRamière,êtreintelligentetpervers,
pour qui l’acte de la séduction a plus d’intérêt que celle qui en est l’objet. Il a
achetélechâteaudeCercy,localitévoisinedeLagny.AprèsavoircroiséIndiana
dans une fête parisienne, il décide de la séduire. Noun, la femme de chambre
créole d’Indiana est la première victime de sa décision. Entré clandestinement
surlapropriétédeLagny,ilentretientavecelleuneliaisonamoureuseàlasuite
delaquelleellesetrouveenceinte.Désespéréeparlerefusdel’élégantRaymonde
luivenirenaide,ellemetfinàsesjours.Raymon,danslebutdeserapprocher
d’Indiana est assidu auprès du colonel Delmare qui se complaît dans la
compagniedecethabilementeur.Indianas’éprendau-delàdetoutemesurede
Raymonqu’ellerencontreà nouveauaucoursd’une partiedechasseorganisée
parSirRalph,unaristocratebritanniqueissud’unefamilledeplanteursdel’île
Bourbon.Indiana etluiont véculeur jeunesseensembleà Bourbon.Sir Ralph,
unpeuplusâgéqu’elle,luiaservidementor.Trèscultivé,ilajouéaussilerôle
de précepteur auprès d’elle. Cet homme clairvoyant et discret n’a d’estime ni
pourlecolonel,nipourRaymon.
Quelquetempsaprès,lecolonelperdunepartiedesafortuneàlasuitedela
faillite d’une maison de commerce qui était sa propriété. Il décide alors de se
replieràBourbonpours’occuperdesaplantationdecanneàsucredontl’activité
tourneauralentietdontilespèrequ’unefoisgéréeparsessoins,elleluipermette
derétablirsafortune.Indianacommetl’imprudencededemanderàRaymonde
la cacher chez lui pour échapper au départ pour Bourbon. Raymon se
désintéressedesonsort:l’entreprisedeséductionestdevenueennuyeuse,alorsil
refuse.
RalphaccompagneIndianaetlecolonelDelmaredansleurvoyageàBourbon.
IndianamèneunevietristeetmélancoliqueàBourbonoùseulelaprésencede
Ralphluiapporteunpeudejoie.ElleécritàRaymonunelettredanslaquelleelle
luipardonnedel’avoirabandonnée.
Ilreçoitlalettred’Indiana.Illuirépondensedisantmalheureux:c’estdireà
Indianaqu’ill’attend.
Cettelettreprovoquechezelleunedécision:ellequitteclandestinementl’ile
Bourbon à destination de la France. Pendant les trois mois qui séparent le
courrierdel’arrivéed’IndianaenFrance,lefrivoleRaymonafaitconnaissance
avec Mademoiselle de Nangy, fille adoptive d’un riche industriel bourgeois,
MonsieurMartinquiareprisLagny,anciendomaineducolonelDelmare.Séduit
par le charme de la jeune aristocrate et par la fortune de son père adoptif, il
l’épouse.
Indiana arriveen France pendantles évènements des Troisglorieuses à l’été
1830.Elleseremetdifficilementdesfatiguesduvoyage,puisserendàLagny,où
elledoitrencontrerRaymon.Affreusementgêné,illuiprésentesonépouse.
Malade de chagrin et d’humiliation, elle erre quelque temps dans Paris en
compagnie de sir Ralph. Celui-ci lui apprend que le colonel est mort, victime
d’une attaque cérébrale. Ralph et Indiana sont tous deux tourmentés par une
incurablemélancolie.IlsdécidentderetourneràBourbonpourmettrefinàleurs
joursdansleravindeBernica.
Unefoisarrivéssurplace,sirRalphouvresoncœuràIndiana.Illuirappelle
les moments qu’ils ont passés ensemble au cours de leur jeunesse. Il lui avoue
l’avoir toujours aimée. La fin de l’histoire est la narration par l’auteur supposé
d’uneexcursionqu’ilafaiteàBourbon.Aucoursdecelle-ci,ilestprisdansune
violentetempête,ils’égareetdemandel’hospitalitéàuncouplequivitdansune
maisonisolée.L’homme,quin’estautrequesirRalph,luicontecommentilsont
manqué leur suicide et que lorsqu’ils se sont réveillés vivants après leur
effroyablechute,ilsontdécidédevivre.
IndianafaitainsipartiedesromansféministesdeGeorgeSandausensoùle
récitdénoncelesconditionsdeviepeuenviablesdes femmesen Franceà cette
époque. L’action se déroule à la fin de la Restauration et au début de la
MonarchiedeJuillet. Indianarencontreungrandsuccèsauprèsdupublicetde
la critique dès sa parution, et permet à George Sand d’entamer une carrière
littérairequiluipermetdedevenirl’unedespremièresauteuresfrançaisesvivant
desrevenusdesaplume.
Les œuvres de ces deux écrivaines ont apporté à leurs lectrices issues
généralement de l’aristocratie ou de la bourgeoisie un puissant sentiment de
déculpabilisationsurplusieursplans.Ilressorttantdestextesquedesactesdeces
deuxauteurescélèbresquelesfemmesnesontpasinférieuresàl’hommetanten
qui concerne l’intelligence que la volonté. Il devient évident que le mariage
arrangéparl’entourageetsacraliséparl’Église(iln’existepasdemariagecivilà
cetteépoque)estunleurre.Encasdeconflitdesdeuxépoux,laséparation,seule
autoriséeparlaloi,permetauxépouxdevivreàl’écartl’undel’autreetconserve
au mari l’usufruit de la dot de sa femme. Le sacrement est-il un titre de
propriété?Commentlesinspirationsducœurneseraient-ellespasplussacrées
quecetteinstitution?L’interditsocialquipèsesurlesrelationsextra-conjugales
estébranlé.
LorsdelaRévolutionde1830,unepartiedelapopulationféminineavaitporté
desrevendicationsnourriesdessocialismesutopiquesdeFourier,Saint-Simonet
AugusteComteaupremierrangdesquellesfiguraitlarevendicationdudroitde
voteféminin.LarévisiondelaCharteissuedesbarricadesdejuilletamaintenule
suffrage censitaire et masculin. Avec les barricades de 1848, cette question
redevient d’actualité. L’assemblée constituante qui devait fixer les textes de la
Constitution de la Seconde République était entièrement masculine et
majoritairementopposéeàcetterevendicationféminine.Pireencore,peuavant
la fin de la brève Seconde République, lorsque les républicains conservateurs
écrasèrent par les armes leurs adversaires républicains socialistes, le droit
d’association et le droit de participer aux débats publics furent retirés aux
femmes. Le seul moyen de rendre publiques leurs opinions qui leur restât fut
l’écriture.GeorgeSandetJeanneDeroinfurent,parmid’autres,lesdéfenseures
decetteultimeliberté.
Paradoxalement,ledroitd’associationfutrétabliparleSecondEmpire,régime
issuduplébiscitede1851àl’initiativeetaubénéficeduprinceLouisNapoléon
Bonaparte. La pression de la population ouvrière croissante au service de la
révolution industrielle incita en 1864, le Premier ministre de l’époque Émile
Ollivier à restreindreles mesures de contrôle policier qui s’exerçaientsur cette
population en supprimant le livret ouvrier qui permettait de contrôler les
déplacements et à autoriser le droit d’association qui légalisait de facto les
syndicats.PuisilyeutlaCommune,cetterévoltedesirrédentistesquirefusèrent
lacapitulationde1871,faceàl’invasionprussienne.
Les trois affrontements sanglants de 1830, 1848 et 1871 avec toutes les
souffrances de la population, mobilisèrent les femmes qui trouvaient dans ces
mouvements aussi l’espoir d’une amélioration de leur condition sociale. Au
coursdecestroispériodesdeviolence,lesfemmesdesclassespopulairessesont
révoltées contre le double asservissement de leur condition : l’asservissement
social qu’elles partagent avec leurs compagnons et l’asservissement à leur
compagnonqueleurimposelaloi.
LESFEMMES,LARÉVOLUTIONDEJUILLET1830
ETLESAINT-SIMONISME
Enjuillet1830,lemouvementquiportaLouis-Philippesurletrôneaprèsson
acceptation d’une monarchie constitutionnelle laisse espérer, dans un premier
tempslaruptureducarcanmoralimposéparlaRestauration.Cettedernièren’a
pas réussi à éradiquer les courants de pensée saint-simonien et fouriériste.
Ouvrière brodeuse mariée à un typographe, Suzanne Voilquin organisa et fit
fonctionner une communauté saint-simonienne égalitaire, inspirée par les
principes du Père Enfantin, où femmes et hommes avaient les mêmes droits.
Avec deux autres ouvrières, elles publient un journal ouvertement féministe et
toutestroissedéclarent«prolétaires».L’écrivaineetjournalisteEugénieNiboyet
a, elle aussi, fréquenté les Saint-simoniens avant de se rallier au courant
fouriériste qui prône, comme les Saint-simoniens, la création d’une société
organisée en phalanstères où hommes et femmes partagent les tâches et sont
égauxen droits.Lors dusoulèvement de1830,des femmess’engagent dansles
rangs républicains : elles sont souvent ouvrières. Certaines fabriquent des
cartouchesetdelapoudreàcanon.D’autresprennentlesarmesetfontlecoup
defeusurlesbarricades.Lecamprévolutionnaireestcomposédepersonnesqui
poursuivent des objectifs différents. On y trouve des partisans d’une royauté
constitutionnelle, des bonapartistes (qui prennent leur revanche en 1852), des
républicains, des adeptes des divers mouvements socialistes. Entre
révolutionnairesetlégitimistesquisoutenaientCharlesX,ilestapparuuneforce
tierce,la Garde nationale.Cette dernière était unemilice créée en1789, placée
souslesordresdeLafayette.Composéedecitoyens,commandéepardesofficiers
élus,elleaétéconstituéepourassurerlemaintiendel’ordreentempsdepaixet
formeruneforced’appointentempsdeguerre.En1827,undécretduroil’avait
supprimée, mais les hommes qui la composaient avaient gardé leurs armes et
leursuniformes.
Le roi Charles X met le feu aux poudres, en juillet 1830, en signant trois
Ordonnances:unequi restreintlalibertéde lapresse,uneautrequi dissoutla
Chambre,latroisièmequimodifielaCharteconstitutionnelle.Deuxpersonnages
jouent un rôle majeur dans le déroulement des évènements pendant que
s’affrontentlesinsurgésetlesrégimentsdumaréchalMarmont.Cespersonnages
sontlebanquierLaffittequiambitionnededevenirPremierministred’unroiqui
seraitLouis-PhilippeetLafayette(ilestâgéde72ans)toujourspopulairechezles
Gardesnationauxetquisevoiten«faiseurderois»commeen1789.Cedernier
s’estinstalléàl’HôteldeVille.LaffitteeffectuedesnavettesentreSaint-Cloudoù
setrouveCharlesX,lePalaisRoyal,résidencedesOrléansetl’HôteldeVilleau
cœur de l’émeute. Louis Philippe d’Orléans hésite à se prononcer contre son
cousinCharlesX:ilyauraitducrimedelèse-majestédansunetelledémarche.
LaffitteproposealorsqueleroinommeLouis-Philipped’Orléans«Intendantdu
royaume»etLafayettecommandantenchefdetouteslesGardesNationales.La
proclamationdecesmesuresmetuntermeauxcombats.L’ordreestassuréparla
Garde.Lemillierdemortsetladizainedemilliersdeblessésdescombatstoutes
tendancescomprisesont «tiré lesmarronsdu feu».Lafayette lui-même,quia
légitiméLouis-Philippedansuneaccoladepubliqueaubalcondel’HôteldeVille
est écarté en douceur et remplacé à la tête de la Garde nationale. Louis-
PhilippeIer devient«roidesFrançais»etnonpasroideFrance.
Lerôledesfemmesadhérentesàl’utopiesaint-simonienneoufouriéristeavait
soulevél’enthousiasme. Prolétairescomme SuzanneVoilquin ouappartenant à
la petite bourgeoisie comme Eugénie Niboyet, Pauline Roland, Claire Joubert
épouseBazardetlecoupleCharlesetElisaLemonnier,tousespèrentl’avènement
d’unejusticesocialeincluantlesfemmesetuneréductionde lapauvretépar le
développementdel’industrialisation.LadoctrinedeFouriervoitparcontredans
cetteévolutionindustrielleunesourcededésordresocial.Savisiond’unesociété
future est fondée sur l’idée de Phalanstères composés d’individus qui se sont
choisisparinclinationréciproque,où lapratiquedesarts, ainsiquel’harmonie
desbâtimentsquiabritentlacommunautéaveclepaysagedanslequelilsontété
édifiés sont une source de bonheur. Bien que le propos soit ouvertement
féministe:«Lesprogrèssociauxs’opèrentenraisondesprogrèsdesfemmesversla
libertéetlesdécadencesd’ordresocialenraisondudécroissementdelalibertédes
femmes », le seul journal qui diffuse sa théorie est écrit par Fourier lui-même,
alors que le Saint-simonisme est à l’origine de vocations journalistiques
multiples.Proudhon,leplusextrêmedessocialistesutopiquesnetrouvepasde
relaisféminins pour propagerses idées. Il fautavouer que sondiscours sur les
femmesneluilaisseaucunechancedetrouverdesadeptesféminines!Voicile
commentairequeluiinspirelacandidaturedeJeanneDeroinauxlégislativesde
1849:
« Un fait très grave et sur lequel il nous est impossible de garder le silence,
s’estpasséàunrécentbanquetsocialiste.Unefemmeasérieusementposésa
candidature à l’Assemblée Nationale. […] Nous ne pouvons laisser passer
sansprotesterénergiquement,aunomdelamoralepubliqueetdelajustice
elle-même,desemblablesprétentionsetdepareilsprincipes.Ilimportequele
Socialisme n’en accepte pas la solidarité. L’égalité politique des deux sexes,
c’est-à-direl’assimilationdelafemmeàl’hommedanslesfonctionspubliques
estundessophismesquerepoussenonpointseulementlalogiquemaisencore
laconsciencehumaineetlanaturedeschoses».
LesTroisglorieusesdejuillet1830furentsansdouteuntremplinpourl’essor
du Saint-simonisme. Le journal La Gazette des femmes d’obédience saint-
simonienne, dénonce l’iniquité du Code civil qui limite la capacité civile des
épousesetréclameledroitaudivorce.Ilarrivequ’onydemandeaussiledroitde
votepourlesfemmes.Lesdésillusionssurlesacquisespérésde1830arriventvite.
Les femmes proches du Saint-simonisme se voient refuser l’émancipation
promiseetellessedécident àtrouverparelles-mêmesleurvoie.DésiréeVéret,
ouvrière couturière, et Marie-Reine Guindorf, ouvrière lingère, fondent le
journal La Femme libre en 1832 (il devient plus tard La Femme nouvelle). La
direction en est confiée à Suzanne Voilquin. Les articles publiés, mettent en
parallèle l’exploitation des femmes et celle du prolétariat. Pour ces femmes, la
marcheversl’égalitédoitcommencerparcelledel’instructionmaisaussiparle
rétablissementdudroitaudivorce.
EugénieNiboyet,untempssaint-simonienneadhèreàladoctrinedeFourier.
Elle s’engage en 1833 dans un combat pour l’amélioration de l’éducation des
jeunesfilles.EllefondeàLyonlejournalL’Athénéedesfemmes.DeretouràParis
en1836, Eugénie fonde La Gazette desFemmes avec l’aided’amis telsCharles-
Frédéric Herbinot de Mauchamps. Les rédacteurs et les abonnés se réunissent
touslesjeudispoursouteniretgérerlejournal.Ilsformentunclub,oùondébat
notammentdelaluttepourl’exercicedesdroitspolitiquesetciviquesféminins.
Eugénierassembledenombreusesfemmes lorsdecesréunionshebdomadaires
au 27 de la rue Laffitte. On y rencontre Flora Tristan, Hortense Allart, Anaïs
Ségalas et plusieurs autres féministes. La mémoire de Flora Tristan est restée
dans les esprits comme la grand-mère de Paul Gauguin. Son ouvrage
autobiographique de 1844 L’Émancipation de la femme ou le testament de la
pariamontreàquelpointlesfemmessontoppriméesycomprisparleurépoux
(Cahier-images, Pl. VIII). Flora elle-même a dû se séparer de son mari, fort
violentet quil’avait blesséd’uncoup depistolet !Socialisteutopique, elleveut
mobiliserlesfemmesetproposedecréerune«Unionouvrière»,oùlesdroitsdes
femmesetdeshommesserontégaux.ElleentreprendalorsuntourdeFrancedes
grandes villes pour faire connaître ses idées, mais étant déjà d’une santé
chancelante,ellemeurtsurlecheminàBordeauxen1844chezsesamisÉlisaet
CharlesLemonnier.
Lerégimeaffronteaprèsunpeuplusd’unand’existencesespremierstroubles
sociaux et politiques. En novembre 1831 les tisserands de soie lyonnais,
travailleursenchambresurnommés«canuts»payéssurlabased’untarifhoraire
par les commerçants appelés « soyeux » s’insurgent contre le faible niveau du
minimum négocié et, parfois, contre la non-application du minimum négocié
parcertainssoyeux.Ilsdéclarentunecessationdutravail(ledroitdegrèven’est
pasencorereconnuparlaloi)quitourneàl’insurrection.Devantl’ampleurdu
mouvement, le général Roguet, gouverneur de la ville, est contraint
d’abandonnerLyonauxinsurgés.Larévoltedescanutsestrépriméedanslesang
parlefilsduroiLouis-Philippe,leDucd’Orléans,aumoisdedécembre.
En1832,l’OuestdelaFrances’agite.LaduchessedeBerryrêvederenverserla
MonarchiedeJuilletetderestaurerlamonarchielégitimepoursonfilslecomte
de Chambord. L’insurrection échoue et la duchesse de Berry est arrêtée le
7novembre1832.Elleestlibéréeenjuin1833etexiléeenItalie.
En juin 1832 les funérailles du général Lamarque tournent à l’émeute. Ce
soldatdelaRévolutionpuisdel’Empire,ralliésansconvictionàLouis-Philippe
était favorable aux républicains. Les Gardes nationaux envoyés pour rétablir
l’ordrepactisentavecles émeutiers.L’interventiondel’arméeles 5et6 juin,se
soldepar800morts.Louis-PhilippesigneuneordonnancemettantParisenétat
desiègeafindetraduirelesémeutiersdevantleconseildeguerre.
Nouvelle semaine sanglante à Lyon en avril 1834. Après les événements de
1831,Lyonconnaîtuneseconderévoltedescanuts.Réagissantauxmanœuvres
des employeurs qui tentent une baisse des salaires et la restriction des droits
d’association,lesouvriersdessoieriesmanifestent.Desbarricadessontdressées
dans toute la ville. Comme en 1831, le pouvoir fait preuve de la plus grande
fermeté.AdolpheThiersreçoitlamissiondenoyerlarébelliondanslesang,ce
qu’ilfaitauxprixde600mortsetde10000prisonniers.
Lesloisd’avril1834quirestreignentlalibertéd’associationmettentlesmilieux
républicains en effervescence. Des barricades sont dressées à Paris. Au passage
d’undétachementmilitairedanslarueTransnonain(actuellerueBeaubourg),un
coupdefeutiréd’unemaisonaunuméro12tueunofficier.Lessoldatsperdent
toutcontrôle.Ilsinvestissentlamaisonetmassacrenttousleshabitants.
Louis-NapoléonBonaparte tente, enoctobre 1836, avecl’aide de lagarnison
deStrasbourgderenverserLouis-Philippe.IlmarchesurParis.L’opération,mal
préparée,estunéchec.Louis-NapoléonessaiedequitterlaFrancepourlesÉtats-
Unis.Ilestarrêtéetjugé.Àl’issueduprocès,ilestfinalementacquitté.
Enaoût1840,Louis-NapoléonBonapartetenteànouveausachance.Ilrentre
clandestinementdesÉtats-Unisoùils’étaitréfugiéaprèslatentativeavortéede
1836ets’installeàLondresd’oùilprépareunnouveaucoupd’État.Danslanuit
du5au6août,ildébarqueavecsesfidèlesprèsdeBoulogne-sur-Merettentede
mutiner le 42e régiment de ligne, en vain. Les conjuréssont encerclés, certains
sont tués. Louis-Napoléon Bonaparte est blessé. Jugé puis condamné à
l’emprisonnementàviedanslaforteressed’Ham,ils’enéchappeen1846.
DESCHANGEMENTSDANSLASOCIÉTÉ.
LAPLACEDESFEMMESDANSLEMONDEDUTRAVAIL
Onserapprochedelafindecerégimedontlessoutienssontopportunisteset
les opposants nombreux. Pendant cette fin de règne, ignorant les convulsions
politiques,larévolutionindustrielles’estinstallée.Elleestleprocessushistorique
duXIXesièclequifaitbasculerunesociétéàdominanteagraireetartisanalevers
une société commerciale et industrielle. Ainsi, cette transformation, tirée par
l’essorduréseauferroviairedesannées1840,affecteprofondémentl’agriculture,
l’économie, le droit, la politique, la société et l’environnement. L’économiste
libéral Adolphe Blanqui, en 1837, pour la première fois, souligne l’ampleur et
l’importanceduphénomène.FriedrichEngels,collaborateurdeKarlMarxetpeu
suspect de libéralisme reconnaît son existence en 1840. L’avènement de la
révolutionindustrielleduXIXefaitsuiteàl’expérienceantérieure(XVIIe-XVIII e)
de la révolution manufacturière qui a obtenu l’amélioration de la productivité
parlaconcentrationetlastructurationdesfonctionsauseind’organisationsde
productioncollective.Elleintègreauquotidienl’usagedetechniquesdatantdela
Renaissance en matière de navigation, d’imprimerie, d’horlogerie, d’extraction
minière et de méthodes bancaires. Mais encore, elle doit son essor à la
découvertedesmachines quipermettentdeproduire del’énergieen quantitéà
partir de la vapeur, ainsi qu’à la mécanisation. Cette dernière a transformé en
premier le travail dans les campagnes, avec des machines utilisant l’énergie
animale. Les labours se font désormais au « brabant », les semailles avec des
semoirs mécaniques à traction animale, les récoltes à l’aide de moissonneuses-
lieuses,laséparationdesgrainsavecdesbatteuses.Lesrendementsaugmentent
avec l’utilisation des premiers engrais chimiques. Puis, dans les faubourgs des
villes se sont installées des usines, utilisant la force motrice de la vapeur pour
entraîner des machines auprès desquelles des femmes et des hommes assurent
surveillance,réglage etdépannage. La mécanisationdes campagneslibère de la
main-d’œuvre. Celle-ci migre vers les villes où elle va grossir un prolétariat
urbaindanslequellesentreprisespuisentleurssalariés(Cahier-images,Pl.XII).
De nouveaux métiers, accessibles aux femmes, font leur apparition. La
naissance des Grands Magasins parisiens et leur essor rapide nécessitent
d’embaucherunnombreélevédevendeuses.Leromand’ÉmileZolaAubonheur
desDamesévoquel’ascensionsocialed’unevendeusepartied’unesituationfort
modestequiestàl’imagedecellequ’ontconnueErnestCognacqetMarie-Louise
Jay propriétaires et fondateurs de la Samaritaine. En 1910, la Samaritaine, rive
droiteemploie2500personnes.LemagasinduBonMarché,fondéparAristide
etMargueriteBoucicauten1852,rivegauche,emploieprèsde4500personnes.
Beaucoup de jeunes filles et jeunes femmes souvent venues de province
présententleurcandidatureaumétierdevendeusesdanscesétablissements.Le
métier est exigeant, cependant la direction accorde en plus du salaire fixe un
intéressementsurlesventes:laguelte(entre0,5%et3%).Cettepratiquecrée
uneémulationentrevendeusesquisecomportent,entreelles,enconcurrentes.
Lesconditions detravail sont dures,à raisonde dixheures de travailpar jour,
avecinterdictiondes’asseoir,jusqu’àlaloide1900dite«loisurlessièges»qui
fixait l’obligation de mettre à disposition des vendeuses une chaise pour trois
personnes.Ellesontlapossibilitédes’asseoirseulements’iln’yapasdeclienteà
servir.L’attitudedupatronatvarieentrelepaternalismeetlarépression.Detoute
manièrelespostesintéressantsnesontaccordésqu’àdeshommes:inspecteurs,
chefsderayons.
Lemondedupersonneldesbureauxestessentiellementmasculin,cependant
l’utilisation des machines à écrire crée, avant la guerre de 1914, des emplois
féminins.Sansdoutedéconcertéparl’aspectfragiledecesappareils,lepersonnel
masculinrechigneàlesemployer.Danslesfamillesdelapetitebourgeoisie,on
recherche, par contre pour les filles ce type de salariat qui, pour peu qu’il soit
stable,pallielefaitquelesfamillesnepuissentpasleurconstituerunedot.Ces
jeunes filles apprennent généralement le métier « sur le tas », cependant que
quelques écoles privées de dactylographie, telles que l’école Pigier, fondée en
1850,ouvrentleursportes.C’estaussil’époqueoùElisaLemonnier,républicaine
etlaïque,ouvrelapremièreécoledeformationprofessionnelledejeunesfillesoù
onformeàdemultiplesmétiersdontladactylographie.Elleasuintéresseràson
projetdesgénéreuxreprésentantsdelabranchefrançaisedelafamilleRothschild
etlagrandeartistepeintreanimalièreRosaBonheur.Elleestaussisoutenuedans
sonactionparlaCompagnieparisienned’éclairageetdechauffageparlegaz,et
parlaCompagniedesomnibusdesdynamiquesfrèresPereire.
Le développement des activités de la poste et surtout de la téléphonie, tous
deuxmonopolesd’Étatenraisondel’aspectstratégiquedecesactivitésencasde
conflit,créentdesemploisattractifspourlesfemmesbienquelessalairessoient
modestes. Avant la création des standards automatiques la « demoiselle des
postes»estlapremièrepersonneàlaquelleonparleavantdeconverseravecson
correspondant. C’est elle qui cherche une ligne libre où connecter votre
branchement et qui engage la conversation avec une autre « demoiselle des
postes»quisollicitelecorrespondantsouhaité.Cettefonctionperdurependant
près d’un siècle. Pourquoi parle-t-on de demoiselle des postes ? Deux
explications ont cours. L’une de celles-ci que beaucoup d’entre elles ne
réussissentpasàsemarier,carlesouvriersdecetteépoqueneveulentpasd’une
femme qui travaille à l’extérieur ! L’autre est que, à une certaine époque, une
clausedeleurcontratde travailprécisequelemariage auraitétéuneclausede
rupture.
L’industrie naissante requiert une importante concentration de capitaux en
vuede financer desinvestissements deplus en plusimportants. Aucune forme
d’associationdepersonnedisposantdecapitauxnepouvaitjusque-làpermettre
de limiter le risque pris par les contributeurs en cas de « naufrage » de
l’entreprise.Entreprendredanscesconditionsrevenaitàengagerlatotalitédeses
biens dans l’aventure. Pour faciliter la création de nouvelles industries, une
nouvelle forme juridique d’entreprise, la société anonyme (SA) est créée. Les
investisseursn’engagentleur responsabilitéqu’à hauteurdesmontants investis.
Le maître-ouvrage de Jean-Baptiste Say, le Traité d’économie politique paru en
1803,apermisdestructurerlaréflexiondesnéo-entrepreneursdel’époque.En
1815,Sayenseigne àl’Athénéeroyalet auConservatoire,diffusantlesidées du
grandéconomisteécossaisAdamSmith(1723-1790).
L’énergievapeurtrouvesapremièreapplicationdanslafabricationdepompes
d’exhauredestinéesaux mines.Elles viennentrésoudreun problèmecrucial de
l’exploitation minière souterraine : les infiltrations d’eau. Beaucoup de mines
abandonnéesàcausedel’eauredeviennentexploitables.Cetteapplicationesttrès
ancienne, la première pompe ayant été inventée par Newcomen en 1712. Le
besoindecegenredemachinenedevientpressantquelorsquelesmoteursfixes
àvapeur,grosconsommateursdecharbon,semultiplient.En1830,leRoyaume-
Unipossède15000machinesàvapeur,laFrance3000etlaPrusse1000.
Lafabricationdestextilesestlapremièrebénéficiairedelamécanisationetdu
moteur à vapeur. Filage et tissage sont, jusque-là, des opérations manuelles
pratiquéesàl’aided’outilsrudimentaires:lerouetetlemétieràtissermanuel.En
1779,Comptoninventela«Mulejenny»capabledetordre400filssurautantde
broches à la fois. En 1785, Cartwright crée la première machine à tisser
mécanique.En1801,Jacquardinventelemétieràtisserquipermetdetisserdes
motifssouslecontrôledecartonsperforés.Cetappareilestàl’originederévoltes
des«canuts»lyonnais.
Lamachineà vapeurfixea asseztôtinspiréles inventeursquisouhaitenten
tirer une version mobile pour l’adapter aux moyens de transport. La première
locomotiveàvapeurinventéeparl’Anglais Trevithickvoit lejouren1804.Elle
est utilisée dans une exploitation minière. La première ligne de passagers est
ouverteen1825,avecdeslocomotivesStephenson.
En1783,lepremierbateauàvapeur,le«Pyroscaphe»bateaumuniderouesà
aubes de Jouffroy d’Abbans fait une démonstration de navigation d’un quart
d’heure, sur la Saône. Jusqu’à l’invention de l’hélice par Sauvage en 1832, la
navigationàvapeursecantonneauxrivières,auxportspourlesremorqueurset
sur des trajets courts, comme la traversée de la Manche. L’augmentation de la
tailledesnaviresetlapropulsionvapeurdivisentlesfraisdetransportparquatre
entre1820et1850surlesliaisonsinternationales.
Les chemins de fer, tant pour les voies que pour le matériel roulant, puis la
construction navale avec les navires à coque en tôle d’acier font appel à un
matériau essentiel : l’acier. En 1779, Abraham Darby (troisième du nom)
construit le premier pont métallique en fer, l’Iron Bridge, sur la Severn. Le
matériaudeconstructionaétéobtenuàpartirdefonteaucokedecharbonselon
un procédé mis au point par son père et son grand-père. Trois mois sont
nécessaires à son haut-fourneau pour produire les 384 tonnes de fonte
nécessaires. Ironbridge est considéré comme le berceau de la Révolution
industrielle. La société Darby cesse son activité en 1818, victime de la crise
consécutive de la fin des guerres contre la France et de la concurrence. Le
premier pont métallique réalisé en France est le pont parisien d’Austerlitz de
1807(reconstruiten1854àcausedenombreusesfissures).Latransformationde
la fonte produite par le haut-fourneau en fer ou en acier est réalisée dans des
foursà«puddlage».Cetyped’installationconsisteenunfourhorizontal,oula
voûteestmaintenueàhautetempérature.Diversoxydantssontintroduitsdansle
baindefonte.Ceux-cicaptentlecarboneenlebrûlant.Un«laitier»seformeà
la surface de la fonte en transformation. Il est évacué, puis le fer est coulé. Le
procédé est long et coûteux. Il est remplacé partiellement par l’utilisation du
procédéBessemerbrevetéen1855,quiestinapteàlatransformationdesfontes
tirées de minerais phosphoreux, mais peut produire directement de l’acier. Le
procédé Martin est breveté en 1864. Il permet de réutiliser des ferrailles et de
déphosphorerlesfontes.
La Révolutionindustrielle que l’onpourrait qualifier derévolution charbon-
acier se développe tout au long du XIXe siècle. Dans les dernières années, on
assisteauxprémicesd’uneseconderévolutionindustrielle,larévolutionpétrole,
électricité, télécommunications, dont le développement se fait tout au long du
sièclesuivant.
Fermons cette parenthèse sur les transformations économiques qui sont la
toiledefonddel’histoirepolitiquedusiècle.Nousavionsévoquélecomplotde
Louis-Napoléon Bonaparte qui tente, en août 1840, après un débarquement à
Boulogne-sur-Merdemutinerle42erégimentdeligne.L’affaireéchoue.Louis-
Napoléon Bonaparte, jugé puis condamné à l’emprisonnement à vie dans la
forteresse d’Ham, s’en échappe en 1846. Deux ans plus tard, en 1848,
l’oppositionrépublicainesemanifesteàsontour.Contournantl’interdictionde
réunionetd’association,lesRépublicainsorganisentunecampagnedebanquets
où les projets de réforme sont présentés et débattus. Dans le même temps, les
contributions des participants permettent d’amasser les fonds nécessaires aux
actions politiques entreprises. La campagne des banquets touche environ
17 000 personnes, mais Louis-Philippe I er et son Premier ministre Guizot
refusentde tenir compte desrevendications républicaineset libérales. L’undes
banquets prévu le 19 février à Paris est interdit par le préfet de Paris. Les
organisateursfixent une nouvelle date au 22 févrieret appellent les Parisiens à
unemanifestationdemasselemêmejour.Guizot,le21février1848renouvelle
son opposition à l’organisation du banquet du 22 février. Pour beaucoup de
Républicains, il est trop tard pour faire machine arrière. Ils pensent que les
Parisiensviendrontenmassemanifesterleurmécontentement.
Le22février,lesParisiens,répondantàl’appeld’OdilonBarrot,deLouisBlanc
ou encore de Lamartine, se soulèvent contre le régime de Louis-Philippe. Ce
derniermaintientsoninterdiction.LaGardenationale,invitéeàrétablirl’ordre
sejointauxmanifestants.
Faceàlasituationconflictuelle,leroiLouis-Philippecèdeàlarueetdécide,le
23 février de renvoyer Guizot. Mais les affrontements de la nuit rendent cette
concessioninutileet lemonarquedoitabdiquer. Louis-Philippepartenexil en
Angleterre.
LESCHANGEMENTS ISSUSDELARÉVOLUTION
DEFÉVRIER1848.
LESFEMMESETLADEUXIÈMERÉPUBLIQUE.
L’ÉVEILDESASSOCIATIONSETDELAPRESSEFÉMININE
Ungouvernementprovisoireestformé,présidéparLamartine.Enfontpartie
Arago,Ledru-Rollin,etCrémieux.Larévoltepopulairedefévrier1848aréclamé
ledroitautravail.Lasituationéconomiqueesttrèsinquiétante,lechômagedes
hommesetdesfemmesconsidérable.Depuis1847,ils’estforméenFranceune
bullespéculativeliéeauxcheminsdefer.Nombredecompagniessesontcréées
en vue d’ouvrir des lignes. Ces compagnies font appel à l’épargne publique en
procédant à des levées de fonds en Bourse. Les banques et les particuliers ont
acheté leurs actions dans la perspective de fortes plus-values. Mais la
constructiondeslignesrevientpluscherqueprévu.Enmanquedetrésorerie,les
compagniesontralentileurstravauxcréantainsilechômagechezleursemployés
etchez lesemployés deleurs fournisseurs.On assisteà l’éclatementde labulle
spéculative des chemins de fer. Il s’y ajoute malheureusement une crise
alimentaire.LemildiouquiaravagélesculturesdepommedeterreenIrlandea
fait aussi des dégâts en France et les inondations de l’été ont provoqué le
pourrissementdesgrains.Cettecrisealimentaire,provoqueunehaussemoyenne
desproduitsdebasede13%.
Le gouvernement provisoire, face à la terrible misère ouvrière, ouvre des
ateliersnationaux.Ilssontdestinésàfournirdutravailauxhommesvalidesqui
neréussissentpasàs’enprocurerautrement.Parmilesprogrammesdetravaux
financésparl’Étatetprojetésdanslecadredesateliersontrouvelaconstruction
delapremièregareMontparnasseetdelagareduNord.Iln’estpointquestion
detravailpourlesfemmes.Lapressionpolitiquedesfemmesduprolétariatvise
essentiellementledroitautravailquioccultetouteautrerevendication:droitau
divorce,capacitécivile,droitdevote.Elles’organisedifficilementgrâceàDésirée
Gay. Le 10 avril des ateliers féminins sont enfin ouverts. Des travailleuses,
surtout des couturières s’y précipitent, mais elles sont payées d’un salaire bien
plusbasqueceluiaccordéauxhommesdanscesmêmesateliersnationaux.Les
articles de presse se multiplient pour protester contre cette injustice. Des
ouvrières signent des pétitions pour la revalorisation de leurs salaires. Elles
s’adressent à la Commission du Luxembourg où siègent Louis Blanc et
Alexandre Martin, dit l’ouvrier Albert. Surviennent les élections du 23 avril à
l’Assembléeconstituante,dont lesrésultatssont unegrande déceptionpourles
milieuxrépublicainsprogressistes.Latrèsgrandemajoritédesdéputésélussont
desrépublicainsmodérésauxvueslibéralesenmatièred’économie.Auxyeuxde
cettenouvellemajorité,l’Étatnedoitpass’investirdansl’économiedupays.Le
10 mai, le gouvernement provisoire installé au moment de la Révolution de
févriercèdelepouvoiràlaCommissionexécutived’oùLouisBlancetAlexandre
Martinditl’ouvrierAlbertontétéexclus.Maislesjournéesdejuin1848éclatent,
bloquanttoutespoirdenégociations.Lesateliersnationauxsontfermésfinjuin,
fautedemoyensbudgétaires.Larévolteetlaviolencegagnentànouveaulesrues
(Cahier-images,Pl.VIII).Larépressionbourgeoises’abat.Lamassedesfemmes
se tait, bien qu’elle réprouve la violence de cette répression. Malgré les
suggestionsdufouriériste VictorConsidérantqui proposed’accorderlesdroits
électorauxauxfemmes,laConstitutiondeladeuxièmerépubliquemiseenplace
en novembre1848 entérine l’exclusiondes femmes de la démocratienaissante.
Jeanne Deroin dénonce dans ses articles de presse le despotisme masculin qui
transformelesfemmesen«ilotesdelaRépublique1 ».Bienquelesfemmessoient
inéligibles, Jeanne Deroin se présente aux élections du 13 mai 1848. Cette
initiativeestcritiquéemêmedanssonproprecamp.Ànouveau,EugénieNiboyet
réussiten1848àrassemblerautourducombatféministemenéparlejournalla
Voix des femmes celles qui étaient déjà impliquées en 1830, comme Jeanne
Deroin, Désirée Gay, Suzanne Voilquin, Elisa Lemonnier, et Anaïs Ségalas. Le
mouvement est renforcé par la présence d’auteures qui connaissent le succès à
cetteépoque:GabrielleSoumet,AméliePrai,AdèleEsquiros.Quelqueshommes
viennent se joindre au mouvement : Jean Macé fondateur de la Ligue de
l’enseignement (plus tard, en 1866) ou Paulin Niboyet, fils d’Eugénie. Selon le
système hérité de 1789, un club est créé auquel adhérent les dirigeants du
journal, ses journalistes et les lecteurs ce qui permet de prendre des décisions
collectives pertinentes quant à l’orientation du journal. Comme tous les clubs
politiques de cette période, il est autorisé à désigner un représentant qui porte
devantl’Assembléeconstituantedesprojetsdébattusparsesmembres.
LaVoixdesFemmesdéfenduncataloguetrèslargederéformesfavorablesaux
femmes, tant dans le domaine domestique que dans celui de la politique.
L’extension du droit de vote à tous les hommes provoque une initiative
retentissante,le 6avril 1848: leclub proposela candidaturedeGeorge Sandà
l’Assemblée constituante. Sand désavoue cette initiative et juge durement les
auteuresdecetteinitiativequ’elleaffirmenepasconnaître.Lescaricaturistesdu
Charivari croquent Eugénie Niboyet et les journalistes de La Voix des Femmes
dansunesérieappelée«LesVésuviennes».Celle-ciestnéedel’exploitationd’un
fait divers assez ridicule. En mars 1848, un certain Daniel Borme, chimiste
demeurantàParis,17,rueduPonceauéprouvalebesoindecouvrirlesmursdes
quartiersducentredeParisduplacardsuivant:
«LecitoyenBormefils,auteurdeplusieursmachinesdeguerre,lançanttrois
centsbouletsoupaquetsdemitrailleàlaminute,auteurdufeugrégeois,avec
lequelonpeutincendieretcoulerbaslesflottesennemies,auteurd’unmoyen
avec lequel deux mille citoyennes peuvent lutter contre cinquante mille
hommesennemis.
«Auxcitoyennesparisiennes!
«MessœursenRépublique!
«Citoyennes,
«LaRépubliquevousdoitlequartdesonexistence,c’estparvosexhortations
quevospères,vosfrères,vosamisontaffrontélamitraille,le24février.
«Vousavezméritédela patrie,citoyennes,etc’est pourcette considération
quej’aidemandéauGouvernementprovisoiredevousenrégimentersousle
titredeVésuviennes.
«L’engagementserad’unan;pourêtrereçues,ilvousfautquinzeoutrente
ansauplusetn’êtrepasmariées.
« Présentez-vous tous les jours de midi à quatre heures, 14, rue Sainte-
Apolline,oùvosnoms,prénoms,professions,âgesetdemeuresserontinscrits.
«Salutetfraternité.
«Vive,viveetvivelaRépublique!
BORMEfils.»
Le26 mars,entreonze heuresetmidi, aupiedde lacolonne Vendôme,une
«légion»dejeunesfemmesde15à30ansdéfilaenarmesaffubléesd’uniformes
fantaisistes derrière une bannière tricolore où était inscrit le mot
VÉSUVIENNES.Àmidi,ellesserendirentàl’HôteldeVille,dansl’espoird’être
reçuesparlegouvernement.Uneautrefois,letambour-majordesVésuviennes,
unefemme,serenditchezLamartinequirefusadelarecevoir.Enavril1848,les
Vésuviennes avaient établi un poste, rue de Rivoli, « dans une baraque en
planches, précédée d’un débit de vin où elles versaient aux gardes mobiles du
Louvre le canon de l’amour et celui de l’amitié. » À la suite de l’initiative du
journal La Voix des Femmes concernant la candidature de Georges Sand, les
caricaturistes du Charivari assimilèrent Eugénie Niboyet et son équipe aux
Vésuviennes.LaVésuviennedeleurscaricaturesportaitcorsagelégeretpantalon
« à tournure » qui soulignaient sa féminité. Coiffée les cheveux courts sur
lesquelselleposaitcoquettementpenchéleképidesgardesnationaux,ellefumait
lecigareetjouaitauxcartesentredeuxtoursdegarde.Laséduisantepersonne,
devaitselonleCharivarifairedondesonmariàlalégionafinquetoutespuissent
partagerlecharmedesoncompagnon.Pourinfamantequ’ellefut,latechnique
réussitàridiculiserlesjustesrevendicationsdecesfemmesdignesetconscientes
deleurs droitsenassimilant leursrevendicationsà l’amourlibre,le méprisdes
hommes, la volonté d’imposer un service militaire pour les femmes. On
remarquera que certains traits de la Vésuvienne fantasmée par ses auteurs
renvoyaient à George Sand qu’ils trainaient ainsi dans la boue par la même
occasion.
Lebruitdel’affaireestretentissant.L’initiativequi,audépart,estd’abordun
hommageàGeorgeSandsetermineenunvéritabletorrentd’insultesàsonégard
et à vis-à-vis de celles qui en sont à l’origine. Trop heureux du scandale
provoqué, le gouvernement décide la fin des clubs de femmes. Le 20 juin,
Eugénie Niboyet, découragée et meurtrie, cesse la publication de La Voix des
Femmes,etlesféministessedispersentpouréviterlarépression.Eugénieseretire
de la vie publique et s’exile à Genève où elle vit difficilement de traductions
d’auteurs anglais : des œuvres de Charles Dickens et des livres pour enfants
éditésparLydiaMariaetMariaEdgeworth.L’indemnitélittérairequiluiavaitété
attribuéeen1839luiestsuppriméeetneluifutjamaisrestituée.Néanmoins,elle
reprend la plume après la Commune de Paris en 1871 pour soutenir les
demandes de grâces des condamnés. En 1878, à 82 ans, elle est célébrée au
CongrèsféministedeParis.EugénieNiboyetmeurtàParisle6janvier1883.
Àladatedurenoncementdugroupedefemmeslemieuxorganiséetleplus
actif, structuré par Eugénie Niboyet autour du journal La Voix des Femmes,
l’expériencesocialedelaDeuxièmeRépubliqueprendfinavecl’insurrectiondu
20juin.Ellen’avaitduréquesixmoisaucoursdesquelslalibertéindividuelleest
devenue un droit pour tous : rétablissement de la liberté de réunion et de la
presse, abolition de l’esclavage – tous les habitants des colonies devenant des
citoyens français à part entière. Le suffrage universel, cependant réservé aux
hommesdeplusdevingtetunans,avaitremplacélesuffragecensitaire.Lapeine
de mort en matière politique avait été supprimée. Plus encore, l’esprit de
quarante-huit avait introduit pour la première fois une dimension sociale et
économique dans la législation, avec création des ateliers nationaux destinés à
offrirdes emploisaux chômeurs,et l’abaissementdutemps detravail légaldes
ouvriers à 11 heures par jour (10 heures à Paris). Dans le contexte d’une crise
économique, d’une violence inimaginable, le chômage atteint 25 % de la
populationouvrièreparisienne,lesélectionsàl’Assembléenationaleconstituante
d’avril1848marquentleretourdesnotablesdeprovince.Commenousl’avons
vu plus haut, la nouvelle majorité décide de mettre un terme, le 20 juin, à
l’expériencedesateliersnationaux.LaCommissionissuedelanouvelleChambre
supprime ce qu’elle considère à la fois comme un foyer d’agitation ouvrière et
comme une activité hors du champ de l’action gouvernementale. Vingt mille
ouvriers descendent dans la rue le 23 juin 1848 et dressent jusqu’à
400barricades.
Le général Cavaignac engage une terrible répression, à la mesure de l’effroi
qu’éprouventlesbourgeoisdel’Assemblée.Autotal,du23au26juin,troisjours
de combats font 4 000 morts parmi les insurgés et 1 600 parmi les forces de
l’ordre.
«Jenecroispasàl’avenird’uneRépubliquequicommenceparfairetirersurses
prolétaires!»s’indignealorsGeorgeSand.
La constitution du 4 novembre 1848 institue l’élection du président de la
Républiqueausuffrageuniverselpourunmandatdequatreans.LouisNapoléon
Bonaparteselancedansunecampagneélectoraledanslaquelleilutiliselapeur
d’uneFranceruraleetconservatriceàl’égarddes«partageux»:le10décembre
1848, il obtient 74 % des suffrages à l’élection présidentielle. L’Assemblée
nationale qui sort des élections du 13 mai 1849 est largement dominée par les
forces réactionnaires : légitimistes, orléanistes, républicains modérés et
bonapartistes,qui cumulent plus de 53% des suffrages expriméset obtiennent
prèsde500éluspour750sièges.
LaRévolutionromantiqueadéfinitivementcédélaplaceauréalismeetlepire
resteàvenir.
LouisNapoléonBonaparteneparvientpasàobtenirdel’Assemblée,pourtant
dévouée à sa cause, l’abrogation de la disposition constitutionnelle qui lui
interdit d’enchaîner deux mandatsprésidentiels sans alternance. Il organise un
coup d’État, le 2 décembre 1851. L’Assemblée est dissoute et le futur
NapoléonIIIdéclaredansunAppelaupeuple«fermerl’èredesrévolutions».
VoirEncadrén°5.
APRÈSLECOUPD’ÉTATDENAPOLÉONENDÉCEMBRE1851,DESOUVRAGESDE
FEMMESSONTPUBLIÉS
SURL’ÉDUCATIONETL’ÉGALITÉDESSEXES
Le4décembre1851commenceunecampagnederépressiondestinéeàasseoir
le pouvoir de Louis-Napoléon Bonaparte face aux forces républicaines et
républicaines-sociales. Nous ne donnons qu’un aperçu des évènements qui
conduisentàlaguerre,àlachutedel’EmpireetàlaCommune.Uneinsurrection
populairefaitsuiteauxannoncesdeLouis-NapoléonBonaparte.Leprésidenty
metfindanslesang.
Le 23 janvier 1852, la famille d’Orléans est bannie de France, ses partisans
représentant une menace via le suffrage universel pour le pouvoir. Louis-
NapoléonBonaparteordonne laconfiscationet laventedes biensdela famille
d’Orléans. La liberté de la presse est restreinte. Désormais les journaux ne
doiventpublierquelescomptesrendusofficielsdesdébatspolitiques.
Le21novembre1852,unplébisciteestorganisépourl’instaurationduretourà
l’Empire.Leprince-présidentcumulelespouvoirs,aumoyend’uneConstitution
largement réformée. Il reprend de près les principes fondateurs du Premier
Empire. Une apparence de démocratie est introduite avec le suffrage universel
masculin. Ce dernier sert à élire des « candidats officiels » à l’assemblée et à
approuverlesdécisionsdupouvoirparleplébiscite.NapoléonIIIestproclamé
empereurle2décembre1852.
Le 22 juin 1854, le livret ouvrier est généralisé. Tout ouvrier qui quitte son
atelier doit faire porter l’appréciation de son maître, susvisée par les autorités
municipales.Ilpermetdecontrôlerletravailetledéplacementdespopulations
salariées.
Le 14 janvier 1858, Napoléon III échappe à un attentat perpétré par Felice
Orsini, partisan de la réunification italienne. Plusieurs bombes sont lancées en
direction du convoi impérial. L’empereur et l’impératrice sont légèrement
blessés. Mais huit personnes meurent de leurs blessures. Cet attentat à demi
manqué eut pour principale conséquence indirecte l’entrée en guerre de la
FranceauxcôtésduroidePiémont-Sardaignecontrel’Autriche.
Depuis 1854, plusieurs tentatives d’assassinats et d’attentats ont ponctué le
règnedeNapoléon III.L’attentatde FeliceOrsiniest perçucommeune lourde
menace. Le 19 février 1858, le gouvernement opte pour le durcissement de sa
politique intérieure. La loi des suspects (ou loi de sûreté générale) est
promulguée:elleprévoitdesinternementsarbitrairessansjugement,pourtoute
personnesuspectéed’agircontrel’intérêtdel’Empire.
Le 21 juillet 1858 a lieu l’entrevue de Plombières-les-Bains (Vosges) entre
NapoléonIIIetCamilleCavour,présidentduconseilduroyaumedePiémont-
Sardaigne.Durantleurentretien,lesdeuxhommesmettentaupointlestermes
d’untraitéquiestsignéàTurinl’annéesuivante.IlviseàaccorderauRoyaume
de Piémont-Sardaigne l’assistance militaire de la France en cas de guerre avec
l’empired’Autriche.Encontrepartie,ilestconvenuqueCamilleCavourcèdeàla
FrancelecomtédeNiceetleduchédeSavoie.
Le3mai1859,NapoléonIIIdéclarelaguerreàl’Autriche.Le20mai1859,la
paixs’avèreêtredecourtedurée.Lestroupesfrançaisesainsiquelessoldatsde
Piémont-Sardaigne affrontent l’armée autrichienne à Montebello (en
Lombardie).Lacoalition franco-sarderemporte lavictoire.Les troupesfranco-
sardesmettentàmallessoldatsautrichiensàMagentale4juin,puisàSolferino
le24juin. LetraitédeZürich,des 10etle11 novembre1859marquelafin de
cette première étape de la réunification de l’Italie. Les Autrichiens cèdent à la
FrancelaprovincedeLombardie,qu’ellecèdeàsontouràlaMaisondeSavoie
(famille régnante de Piémont-Sardaigne). En contrepartie, l’Autriche peut
conserverlaVénétie,ainsiquelesforteressesdeMantoueetPeschiera.En1860,
le Royaume de Piémont-Sardaigne donne à la France le comté de Nice et le
duchédeSavoie,conditionayantmotivésaparticipationàlacampagned’Italie.
Le23janvier1860,laFranceetl’AngleterresignentuntraitédeLibre-échange
destinéàabolirlestaxesdouanièressurlesmatièrespremièresetsurlamajorité
des produits alimentaires. Une taxe de 30 % est fixée pour les produits
manufacturés.Cerapprochementfranco-britanniquevouluparlareineVictoria
etNapoléonIII,confirmelavolontéd’allianceetdecoopérationentrelesdeux
nationsjusque-làennemies.
Au fil des années 1860, le Second Empire prend une tournure moins
autoritaire.Lechampdel’emprisedelacensureseréduit.Ledroitderéunionest
rétabli, tandis que le fonctionnement du Corps législatif se rapproche de celui
d’un véritable Parlement. La loi du 6 juin 1868 sur les réunions publiques
supprime les autorisations préalables, sauf celles où sont traitées les questions
religieuses ou politiques. Néanmoins, la liberté des réunions électorales est
reconnue.
Le25mai1864estvotéelaloisupprimantledélitdecoalition.Cetexteabroge
laloiLeChapelierendatede1791.Initialementpromulguéepourmettrefinaux
dérivescorporatistesdel’AncienRégime,elleinterditlalibertéd’associationdes
maîtres-artisans et la liberté d’association des compagnons. Les régimes
postérieurs l’ont conservée pour interdire les syndicats ouvriers. Le Second
Empireymetuntermeetouvreainsilaporteàlalibertésyndicale.
AUTOURD’ANDRÉLÉO,DEJULIE-VICTOIREDAUBIÉ
ETDEMARIADERAISMES
AndréLéo(nomdeplumedeLéodileBéra),mitàprofitcetterelativeliberté
en 1868 pour créer l’Association pour l’amélioration de l’enseignement des
femmes(Cahier-images,Pl.XI).Elletirelesleçonsd’unpassérécent:sonaction
vise à atteindre un objectif pour les femmes, mis en œuvre par des femmes.
Parallèlementàcetteaction,ellepubliedesouvragesetunmanifesteconsacréà
l’égalitédessexes,manifesteconsacrantlanaissancedupremiergroupeféministe
français. D’autres femmes partagent ses idées : Paule Minck, Amélie Bosquet,
AdèleEsquirosetd’autresencore.OncompteparmiellesJulieDaubiépremière
femmeàobtenirlebaccalauréat(en1861),puispremièrefemmetitulaired’une
licence ès lettres. Elle vécut à Paris où elle travaillait comme journaliste
économique.En1869,cecourantdepensées’exprimedanslejournalfondépar
MariaDeraismes(1828-1894)etLéonRicher: LeDroitdesFemmes.Sansdoute,
cetteannéeest-ellecelled’undoublesuccès:premierhommeacquisàlacause
féministe,premierjournalféministe.
MariaDeraismesécrit:
«Queveulentlesfemmes?Levoici,riendeplussimple.Ellesveulenttoutce
que tous les opprimés, les assujettis ont voulu depuis le commencement des
sociétés:leurjustepartdedroitetdeliberté[…]»Elleajoutelesréflexions
suivantes : « Le sexe masculin s’étant arbitrairement déclaré noble s’est
constituéen aristocratie,etcomme toutesles aristocraties,il s’estallouédes
privilèges. Il a confisqué la liberté à son profit. Mais la liberté “aspiration
universelle”, a glissé entre ses doigts ; elle est arrivée à tous les êtres sans
distinctiondesexe.Cequelesfemmesveulent,c’estdenepointêtreélevées,
enseignées, façonnées suivant un type de convention ; type conçu dans la
cervelledespoètes,desromanciers,desartistesetparconséquentdépourvude
réalité […] Donc ce que les femmes veulent, c’est le développement de leur
raisonpourl’accomplissementdeleursdevoirsetdelapossessionlégitimede
leursdroits;cartouslesêtresraisonnablessontégaux,riendepluslogique».
MariaDeraismesestissued’unefamillefortunée(Cahier-images,Pl.X).Son
pèreestungrandbourgeoisvoltairienanticlérical.Elle-mêmesouhaiteconserver
sa libertéet choisit d’être fidèle aucélibat. Elle aurait souhaité devenirpeintre.
Admiratrice de Rosa Bonheur elle fréquente les rares ateliers délivrant un
enseignement d’art aux femmes. Finalement sa vie est marquée par d’autres
talents qui lui furent donnés en partage.Elle est une conférencière née qui, de
surcroît,possèdeaussiunjolitalentdeplume.En1866,suiteàl’invitationdeson
ami Léon Richer, elle présente une conférence devant la loge Cadet du GODF
(Grand Orient De France)à laquelle celui-ci appartient. Impressionnés par ses
talentsoratoiresetsaculture,lesresponsablesdelalogeduPecq(dansl’ancien
départementdeSeineetOise)acceptentdel’initier,cequiprovoqueunénorme
scandaleauseindelamouvance.LeVénérableMaîtreestdésavouéetlalogeest
fermée. Georges Martin un médecin féministe initié dans la loge Union et
BienfaisanceauRiteÉcossaisAncienetAcceptéaidealorsMaria.Constatantque
la maçonnerie masculine est rebelle à l’idée d’accueillir des femmes dans son
sein, il fonde en 1893 avec elle une nouvelle obédience maçonnique ouverte
indifféremmentauxfemmesetauxhommes,appelée« LeDroitHumain »dans
le cadre de La Grande Loge Symbolique Écossaise de France. Cette obédience
devient,parlasuite,OrdreMaçonniqueMixteInternationalLeDroitHumain.
Maria Deraismes est, en 1870, avec Paule Minck, Louise Michel et Léon
Richer, la fondatrice de l’Association pour le Droit des Femmes (ADF) qu’elle
préside. Désormais,sa vie est consacrée à l’écritureet à la négociation avec les
milieux politiques selon un but premier : l’émancipation des femmes et
l’instaurationd’unedémocratielaïque.
En juillet 1867, le prince Otto von Bismarck (1815-1898) accède au titre de
chancelier de la confédération de l’Allemagne du Nord, née au lendemain du
traitédePrague(août1866).Cetteconfédérationconstituelesocledelafuture
unité allemande. Conclu au lendemain de la victoire prussienne sur les
Autrichiens, à Sadowa (3 juillet), ledit traité établit l’unité du territoire de la
Prusse,du Rhin au Niémen.Les États du sudde l’Allemagne, Grand-duchéde
Hesse-Darmstadt,Grand-duchédeBade,RoyaumedeWurtembergetRoyaume
de Bavière accèdent à une complète indépendance. L’Autriche est exclue de
l’espacegermanique.
Enoctobre1867,GiuseppeGaribalditentedes’emparerdesÉtatsduVatican
dans le but de les rattacher à l’Italie en cours de réunification. Mais l’État
pontificalestprotégéparNapoléonIII(décretdu15septembre1864).L’armée
françaiserepousselestroupesdeGaribaldi.Cederniersubitunelourdedéfaitele
3novembreàMontanaetcessedéfinitivementsesattaquescontreleVatican.La
situation politique des États pontificaux bascule avec le retrait des troupes
françaisesen1870.LegouvernementitalienbombardelesfortificationsdeRome,
ce qui met rapidement un terme au conflit. Au siècle suivant, les accords du
Latranen1929signésparMussolinientérinentl’Étatpontificalde1870réduità
unquartierdeRome.
En juillet 1870, dans le cadre de la succession au trône d’Espagne,
Napoléon III refuse la candidature d’un prince allemand Léopold de
Hohenzollern-Sigmaringenetlefaitsavoir.L’ambassadeurdeFranceestchargé
defaireconnaîtrelapositionfrançaiseà GuillaumeIer ,alorsquecelui-ciesten
curedanslavilled’Ems.Cedernieracceptelapositionfrançaise,Hohenzollern-
Sigmaringenretiresacandidature.GuillaumeIerconsidèrel’affairecommeréglée
et rend compte par télégramme à Bismarck. Malheureusement, Gramont
ministredesAffairesétrangèressouslafâcheuseinfluenced’EugéniedeMontijo
a la mauvaise idée de renvoyer son ambassadeur pour demander une
confirmationécritequeGuillaumeIerrefusededonner.LeChancelierBismarck
yvoitl’occasiondedéclencheruneguerrecontrelaFrance.Ilprésentelesfaits,
exacts,dontilaconnaissancesouslaformed’unacteinsultantdelapartd’une
diplomatie française qui remet en cause la parole du souverain prussien. La
presse européenne dans son ensemble reçoit et publie la version de Bismarck.
Napoléon III déclare la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870. Insuffisamment
préparée, en quelques semaines, la France perd plusieurs batailles. L’infériorité
numériquedel’arméenapoléonienneestpatente:250000soldatscontreprèsde
800 000 soldats allemands. Son long passé de guerres coloniales a amené la
France à négliger son artillerie lourde. Un mois et demi seulement après la
déclarationdeguerre,ladéfaitehumiliantedesFrançaisdanslabatailledeSedan,
où l’empereur est fait prisonnier marque le tournant de la guerre franco-
prussienne.
Les forces du général Mac Mahon doivent capituler devant les Prussiens le
4septembre1870.L’empereurNapoléonIIIaétécapturéle2septembre.S’ensuit
la journée révolutionnaire du 4 septembre à Paris où la foule envahit le palais
Bourbontandisquel’Impératricedoitfuirversl’Angleterre.LepalaisBourbon,
siège du Corps législatif est envahi par des émeutiers ce même 4 septembre.
Depuisl’hôteldevilledeParis,LéonGambetta,soutenuparlesélusrépublicains
du Corps législatif, proclame la république. Des événements similaires se
déroulent dans les grandes et moyennes villes de France, notamment Lyon et
Marseille.UngouvernementdelaDéfensenationaleestconstitué,avecàsatête
legénéralTrochu,gouverneurmilitairedeParis,dontlanominationviseaussià
obtenir le ralliement de l’armée. Il acte la chute du Second Empire et la
proclamation de la III e République. Le nouveau gouvernement choisit de
s’installerdansParisassiégéparlestroupesprussiennesetleursalliésallemands.
UnedélégationestenvoyéeàTourspourcoordonnerl’actionenprovincesous
lesordresd’AdolpheCrémieux.Elleestrejointele9octobreparLéonGambetta
investi des ministères de la Guerre et de l’Intérieur pour former de nouvelles
armées:l’ArméeduNord,l’ArméedelaLoirepuisl’Arméedel’Est.Levoyage
de Gambetta fut l’une des premières utilisations d’un ballon libre fabriqué à
Paris, gonflé au gaz d’éclairage. Tributaire des courants aériens, le pilote
atterrissait lors du survol d’un territoire encore contrôlé par les armées
nationales.Le27octobre,legénéralTrochu,quiacachélaredditionsanscombat
de l’armée de Bazaine à Metz, doit reconnaître les faits. L’exaspération envers
l’inertie des gardes nationales après l’affaire du Bourget et l’envoi d’Adolphe
Thiers à Versailles pour négocier la paix avec Bismarck provoquent le
soulèvementdu31octobre1870.Trochunepeutsauversongouvernement,avec
l’aidedeJulesFerry,qu’enrassemblantlesdernièresbrigadesencoreloyales.Le
5novembre1870,ilorganisedesélectionsmunicipalesàParis.
En province, où la victoire du général d’Aurelle de Paladines à la tête de
l’ArméedelaLoireavaitressuscitél’espoir,lesmauvaisesnouvelless’accumulent
tandis que l’étau se resserre autour de Paris. Une sortie visant à briser
l’encerclement prussien a lieu dans la nuit du 28 novembre à Champigny se
terminesurunéchec.Une deuxièmetentative,lasecondebatailledeBuzenval,
menée par les troupes de la Garde nationale, échoue le 18 janvier 1871. En
province,devantl’avancedesarméesallemandes,ladélégationdugouvernement
serepliesurBordeaux.
Seloncertaines interprétations,ce gouvernementissude la classedominante
aurait surtout œuvré à signer la capitulation et à faire accepter la défaite aux
Français dans le but d’enrayer la menace du socialisme parisien. Les Prussiens
qui assiègent Paris sont seuls capables de contrôler la situation, la plupart des
arméesimpérialesayantétéfaitesprisonnières.
Paris assiégéconnaît une grave famineau cours de l’hiver1870-1871. Par la
volonté de Bismarck, l’Empire allemand (dit deuxième Reich) a été proclamé
dans la Galerie des Glaces du château de Versailles le 18 janvier 1871. Le
28 janvier1871, Jules Favre,ministre des Affairesétrangères du gouvernement
provisoire, signe avec le chancelier un armistice qui prévoit, outre l’arrêt des
hostilitéspourunepériodedequinzejoursrenouvelables,laconvocationd’une
assembléenationalechargéenotammentdedéciderdelapoursuitedelaguerre
ou de la conclusion de la paix. L’existence du gouvernement provisoire est
fragile.Ilaréussiàcontenir,le31octobre1870,unetentativederenversement
venuedelagauche,àlasuitedurefusdugouvernementdeportersecoursàune
sortie de Fédérés mal engagée sur le Bourget. Il parvient de justesse à en
empêcher une seconde, le 22 janvier 1871 celle-ci visant à empêcher le
gouvernement provisoire de signer la paix. Les quelques troupes régulières
cantonnéesdansl’enceintedelavilletirentsurlafouleàBelleville.
Bismarck n’accepte de négocier qu’avec un gouvernement issu d’élections
nationales. Des élections législatives sont organisées dans la précipitation pour
satisfaire à sesexigences. Quatre cents députés, issus de listes« pour la paix »,
sont élus à l’Assemblée nationale. La gauche parisienne mobilisée par les
exigences du siège n’a pas eu la possibilité de faire campagne dans les
circonscriptions rurales, où est concentrée la majorité de l’électorat. La plus
grandepartiedesélusreprésentantParissontissusdeslistes«pourlaguerre»,
souventextrémistes.Lepeuple parisienasupportéla terriblefaminedel’hiver,
subilesbombardements,etrepoussélesattaquesprussiennes.Ilcroitsansdoute
possible d’éviter l’humiliation de voir les troupes prussiennes défiler dans la
capitale.
Le17mars1871,AdolpheThiersetsongouvernementenvoientaucoursdela
nuitlatroupesouslecommandementdugénéralLecomtes’emparerdescanons
de la Garde nationale sur la butte Montmartre. Alors que la population et les
gardes nationaux se rassemblent, Lecomte ordonne de faire feu sur les civils
présents, mais ses soldats refusent d’obtempérer. Le général est capturé par les
insurgésettuélelendemain,commelegénéralClément-Thomas.Lapopulation
deParisleurreprocheàtousdeuxd’avoirdirigélarépressionde1848.
La tentative du gouvernement de soustraire aux Parisiens leurs 227 canons
entreposés à Belleville et à Montmartre est une véritable provocation. Ils se
voientlivréssansdéfenseauxattaquesdestroupesgouvernementalesaussibien
que des assauts prussiens. Thiers justifie le retrait des canons par l’application
desconventionsprisesaveclevainqueur,conventionsdontledésarmementdela
capitaleferaitpartie.
DESFEMMESENGAGÉESDANSLACOMMUNEINSURRECTIONNELLEDEPARIS.
MARSÀMAI1871
L’attitudedel’Assemblée,royalisteetpacifiste,contribueàl’exacerbationdes
tensions. Le 10 mars 1871, elle transfère son siège de Paris à Versailles parce
qu’elle voit,à juste titre, dans Paris « le chef-lieude la révolution organisée, la
capitale de l’idée révolutionnaire ». Par une loi du même jour, elle met fin au
moratoiresurleseffetsdecommerce,acculantàlafaillitedesmilliersd’artisans
et de commerçantset leurs familles, et supprime la solded’un franc cinquante
par jour payée aux gardes nationaux. Les élections sont organisées le 26 mars
pour désigner les 92 membres du Conseil de la Commune. Compte tenu des
départs de Parisiens, qui ont quitté la ville avant le siège et de ceux (100 000
environ)quisuiventThiersàVersailles,letauxd’abstentionestde52%.70élus
seulement siègent, du fait de la démission rapide des modérés. Le Conseil est
représentatifdesclassespopulairesetdelapetitebourgeoisie.
Toutes les tendancespolitiques républicaines et socialistessont représentées,
jusqu’auxanarchistes.Ontrouveunevingtainede«jacobins»,admirateursdela
Révolution de 1789 et plutôt centralisateurs. À peine plus nombreux sont les
« radicaux », partisans de l’autonomie municipale et d’une république
démocratiqueet sociale. Oncompte une dizainede « blanquistes», adeptes de
l’insurrection et avant-gardistes. Des collectivistes, membres de l’Association
internationale des travailleurs, sont élus. Sont également élus quelques
«proudhoniens»,partisansderéformessociales.Enfin,des«indépendants»ont
étéélus,telsJulesVallèsetGustaveCourbet.
Journauxetclubssemultiplient.Lesclubsseveulentdesrelaisdel’actiondu
ConseildelaCommuneainsiquedesrelaisdesrevendicationsdescitoyens.
Le Clubde la Révolution, fondépar Louise Michel futle plus important. La
fondatrice, participe activement aux émeutes, notamment place de l’Hôtel de
Villeetfaitpartiedelafrangelaplusrévolutionnaireetradicaledumouvement.
Le Club de la Révolution a élu domicile dans l’église Saint-Bernard de la
Chapelle.Louise Michel fait partie duComité de vigilance de Montmartreaux
côtés de Paule Minck, Anna Jaclard née Vassilievna Korvine-Kroukovskaïa, et
SophiePoirier.Louiseportel’uniformeetlesarmesdelaGardenationale.Selon
une anecdote fameuse, le 22 janvier 1871, elle fait feu sur les troupes qui
défendentl’Hôtel-de-Villelorsd’unemanifestationrépriméedanslesangparle
général Vinoy. Propagandiste, garde au 61 e bataillon de Montmartre,
ambulancière, et combattante, elle participe activement, les 17 et 18 mars, à
l’affairedescanonsdelaGardenationalesurlabutteMontmartre.LouiseMichel
fait partiede l’aile révolutionnairela plus radicaleaux côtés des anarchistes,et
pense, au moment de l’affaire des canons qu’il faut lancer une offensive sur
Versailles pour renverser le gouvernement d’Adolphe Thiers, car l’effectif des
troupeslaisséessurplacepourprotégerlegouvernementestfaible.
Victoire Léodile Béra, dite André Léo (1824-1900), n’est pas comme Louise
issuedesclassespauvresdelasociété(Cahier-images,Pl.XI).Cependant,ellese
rattacheaumêmecourantdepensée.ElleestnéeàLusignanungrosbourgdela
Vienne.Elleaussiadhèreàl’Associationinternationaledestravailleurs,connue
également sous le nom de Première Internationale. Le mouvement, fondé en
1862,réunitlespartisansdeMarxetceuxdeBakounine.L’échecdelaCommune
conduitàlascissiondumouvemententrepartisansducentralismedémocratique
deMarxetlemouvementantiautoritaireanarchistedeBakounine.AndréLéoest
romancièreetjournalisteetelleestcélèbrepoursonféminisme.CommeLouise
Michel,ellefaitpartieduComitédevigilancedeMontmartreetdel’Uniondes
femmespourladéfensedeParisetlessoinsauxblessés.
AndréLéoestissued’unmilieucultivédelabourgeoisie.Songrand-pèrefut
unrévolutionnaire,fondateuren1791delaSociétédesamisdelaConstitution.
Sonpère,ancienofficierdemarine,estnotaireàLusignanetdevientensuitejuge
depaix.
Après le coup d’État de Napoléon III du 2 décembre 1851, elle rejoint en
Suissesonfiancé,lejournalisteGrégoireChampseix,condamnéàplusieursmois
de prison en1849. Ils ont deux enfants nés deleur union le 8 juin 1853. Mais
Grégoiremeurten1863laissantLéodileseulepouréleverleursdeuxenfants.
C’estdepuislaSuisse,queLéodileBérapubliesonpremierromansignéAndré
Léo.Ilestsuividenombreusesautresœuvresquiluiassurentuneréellenotoriété
etluipermettentdevivredesaplumecommeromancièreetjournaliste.
Revenue à Paris en 1860, elle crée l’« Association pour l’amélioration de
l’enseignement des femmes » et en 1868, elle publie un texte défendant l’égalité
dessexesquiestàl’originedelapremièrevagueféministeenFrance.
TrèsliéeàNoémieReclusetauxfrèresÉlieetÉliséeReclus,elleprojetteavec
Noémie,lacréationd’uneécoleprimairelaïquedejeunes.Maislaguerrede1870
vientétoufferceprojet.
PendantlaguerreaveclaPrusse,ellemiliteauseinducomitédevigilancede
Montmartre et, le 18 septembre 1870, elle est arrêtée avec Louise Michel lors
d’unemanifestationrépriméeparl’armée.
Ellepublieà100000exemplairesunappel«Auxtravailleursdescampagnes».
Cette préoccupation – nouer le dialogue entre le prolétariat urbain et les
travailleursruraux–estl’unedesthématiquesdominantesdestextesqu’elleécrit
durant l’insurrection. On retrouve cette thématique dans Le Socialisme aux
paysans,quelaCommunetentedediffusergrâceàdesvolsdeballonslibresen
directiondelaprovince.
« La mise à l’écart des femmes, ou leur insuffisante intégration dans la lutte
insurrectionnelle »,représente pour André Léo l’une des raisons « de son échec
inexorable ».Parvenue à échapper à la répressionde la Semaine sanglante, elle
s’exileenSuissepuissefixeàFormia,enItalie.En1871,ellepublie«LaGuerre
sociale », où elle raconte l’histoire de la Commune. Lors de la scission de la
PremièreInternationale,elleadhèreàl’Allianceinternationaledeladémocratie
socialistefondéeparBakounine.Elle collaboreaujournalLa Révolutionsociale
dans lequel, elle se livre à de vigoureuses attaques contre Karl Marx et son
centralismedémocratiquequ’elleperçoitcommeliberticide.
Voyageant en Europe, elle se consacre à l’étude de la condition féminine de
son temps. André Léo rentre en France après l’amnistie de 1880 et collabore
épisodiquementàlapressesocialiste.Sadernièreœuvre« Couponslecâble »est
unplaidoyerpourlaséparationdel’Égliseetdel’État.Elledatede1899,sixans
avantlaloide1905.
Ellelaisseuneœuvreconsidérable:denombreuxromans,contesetessais,des
dizainesd’articlesettextespolitiques.Elleneséparepasl’écritureromanesqueet
l’engagement.Etpourtant,quelcontraste.Onnelitplusdenosjourslesromans
d’André Léo et c’est sans doute dommage. De quelques bonnes feuilles de La
VieilleFille,s’élèveunparfumquirappellele VoyageenItaliedeGoethe.Quelle
distance entre ces pages romantiques et les anathèmes déversés sur Karl Marx
parcetteferventedéfenseuredeBakounine!
L’UniondesfemmespourladéfensedeParisetlesecoursauxblesséspermitde
fédérerleseffortsdepersonnalitéscélèbrestellesqueLouiseMicheletAndréLéo
avecceuxd’autresfemmes,quelquefoisoubliéesdel’histoire.Toutessebattaient
pour une cause commune, pour l’honneur du mouvement ouvrier et contre la
pauvreté.Ellesfurenttraînéesdanslaboue,emprisonnéesetdéportéespourles
plus chanceuses, fusillées sans jugement pour d’autres lors de la chute de leur
barricade.
L’Union des femmes pour la défense de Paris et le secours aux blessés a été
fondéele11avril1871,dansuncafédelarueduTemple,àParis,parNathalie
Lemel,relieuse,etÉlisabethDmitrieff,intellectuellerusseprochedeKarlMarx.
L’Unionestlecentreprincipaldesactionsconcrètesmenéesparlesfemmesdans
laCommunedeParis.Elleavaitpourbut,d’organiserl’intendanceetlesservices
desantédelaCommune.Danslemêmetemps,ellepermettaitauxfemmesquiy
travaillaientderecevoirquelquessubsidesetdesdenréesalimentaires,autantde
biens qui ne leur étaient plus accessibles depuis que leurs compagnons étaient
engagés dans les combats. Nathalie Lemel, ouvrière, relieuse de son état, avait
acquisuneexpérienceprécieuse,avecEugèneVarlindansl’organisationde«La
Marmite».Lebutdecetorganismeestdécritdanssesstatuts:«Lasociétéapour
but de fournir au prix de revient, à tous les sociétaires, une nourriture saine et
abondanteàconsommersurplaceouàemporter».Varlinorganiseégalementun
« Crédit coopératif » qui permet de garantir aux fournisseurs le paiement des
approvisionnements. Nathalie Lemel qui est la directrice de La Marmite ouvre
quatre succursales en plus de l’établissement principal de la rue Mazarine.
Pendant les six premiers mois elle réussit l’exploit de nourrir environ
1000personnesparjourdanslavilleaffaméeparleblocusdesPrussiens.
L’expérience d’ElizabethDmitrieff est d’une autre nature. Elle se sert deson
expériencepolitiqueacquisedanslesmilieuxrévolutionnairesexilésenSuisseet
à Londres, ainsi que de sa proximité avec Karl Marx pour régir l’Union des
femmes.ElleobtientdelaCommissionexécutivedelaCommunedesmoyenset
demande l’attribution de salles dans les mairies d’arrondissement pour les
femmes souhaitant s’impliquer dans le service d’ambulances ou les barricades.
Ellestructurel’organisationdemanièrehiérarchique.Elle-mêmeoccupeleposte
desecrétairegénérale,unpostenon-éluetnonrévocable.Soussonautoritésont
constituésdescomitésdanschaquearrondissement,dotésd’unbureauetd’une
commission exécutive composée de sept membres représentantes du quartier.
Onestimeàenviron300lenombredefemmesquitravaillèrentdanslecadrede
l’UniondesfemmespourladéfensedeParisetlesecoursauxblessés.Leslocauxet
lesmachinesdesateliersdontlespatronssesontenfuisàVersaillesàlasuitede
Thiers sont réquisitionnés. On y installe des couturières qui taillent et cousent
des uniformes pour les Gardes nationaux parisiens. Nathalie Lemel et ses
camarades y installent leurs entrepôts de vivres et leurs cuisines sociales. Le
fonctionnementestassuréparlescomitésdequartierquirépondentégalement
aux demandes de volontaires pour les ambulances ou les barricades. Nathalie
Lemel exhorte les femmes à prendre les armes au club de La Délivrance. La
volontédesfemmesdeparticiperauxcombats estclairementexpriméecomme
conséquence de l’égalité entre hommes et femmes dans cette adresse à la
commissiondelaCommune,quifutlegouvernementéludelavilledeParisdu
28marsau28mai1871:
« La Commune, représentante du grand principe proclamant
l’anéantissement de tout privilège, de toute inégalité, – par là même est
engagée,àtenircomptedesjustesréclamationsdelapopulationentière,sans
distinction de sexe, – distinction créée et maintenue par le besoin de
l’antagonisme sur lequel reposent les privilèges des classes
gouvernementales».
L’intitulé du mouvement semble anodin et se limiter à la question de la
participation à la défense de Paris dans les rangs des communards. Il cache la
visée beaucoup plus radicale de l’instauration d’un syndicat de travailleuses
pouvantleurpermettredelutterpourobteniruneréelleémancipation.Ils’inscrit
dansl’actionetdanslaprésencedanslesrangsdescommunardsetneformule
aucunobjectifayanttraitàdesdroitspolitiquesspécifiquespourlesfemmes.Le
mouvementestrevendicatifenceque,partageantlesdevoirsdesinsurgés,elles
veulent lesmêmes droits : droits économiques,droit d’organiser son travailde
façonautonomeetd’enrecevoirlarétributionsansintermédiaire.
L’historien anglais Eugene Schulkind (en 1950) estime à 300 le nombre de
membres de cette organisation féminine. La répression sanglante de la
Communemetuntermeàcetteexpériencedemouvementfémininquiinspira
plusieurscourantsféministesdusièclesuivant.
Les deux responsables du principal mouvement féminin de la Commune
connaissent des sorts différents lors de la chute de cette dernière. Élisabeth
Dmitrieffparvientàs’échapperetseréfugieenSuisse,puisretourneenRussie.
Ellesemarieen1877avecuncondamnédedroitcommun,IvanDavidovski,afin
de pouvoir le suivre dans son exil en Sibérie auquel il est condamné. Elle part
avecleursdeuxenfantsenbasâge.Ellecachesonidentitécarelleestrecherchée
par les polices française, suisse et russe, et passe les dernières années de sa vie
dansl’oubli.Ladatedesamortestincertaine,onperdsatraceaprèslarévolution
bolchéviquede1917.
LESFEMMESDE1871:DESBARRICADESÀLARÉPRESSIONETÀLADÉPORTATION.
LOUISEMICHEL
ETLESMILITANTES
Nathalie Lemel mena la lutte sur les barricades jusqu’à la fin de la semaine
sanglante.Ilsemblequ’ellen’aitpasétépriselesarmesàlamainlorsqu’elleest
faite prisonnière, car l’usage dans ce cas est de fusiller sans jugement. Elle est
emmenée à Satory (camp situé à Versailles), jugée par un conseil de guerre
condamnéeetdéportéeenNouvelle-Calédonie.
SophiePoiriercréaetprésidaleClubdelaBouleNoire.BéatrixExcoffonenfut
la vice-présidente. Second des clubs de la Commune par son importance
numérique,ceclubpolitiquedestinéauxfemmesuniquement,seréunissaitdans
unappartementruedesAcaciasdansleXVII earrondissement.Onydébattaitde
laprostitutioncontrainteparlamisèreprolétarienne,del’organisationdutravail
etdesarémunération,oudel’éducationdesjeunesfilles.Selonlatraditiondes
clubsissusde1792,lesconclusionsdesdébatsorganisésétaientformaliséespar
une« adresse » àla Commissiondela Commune.La mortdel’Archevêque de
Paris,GeorgesDarboy,etlerenversementdelacolonneVendômeyfurentvotés.
Le souvenir laissé par la Commune est celui d’un mouvement de révolte
parisien et prolétarien auquel le prolétariat féminin participa et à l’occasion
duquel les revendications propres aux femmes pauvres s’exprimèrent. L’image
est juste quant à la nature de la révolte, inexacte sur le plan géographique. La
Commune de Paris s’inscrit dans le cadre d’un mouvement « communaliste »
global qui se développa à cette période sur l’ensemble du territoire. Des
communes ont également vu le jour dans les grandes villes que sont Lyon et
Marseille,maiségalementdansdesvillesmoyennescommeLimoges,Narbonne,
Le Creusot et Saint-Étienne. On trouve généralement dans ces villes une
implantationdesectionsdelaPremièreInternationale,égalementconnuesousle
nom d’Association Internationale des Travailleurs, fondée en 1864. Elles
adoptentuneorganisationsemblableàcelledelaCommunedeParis,fondéesur
la démocratie directe et sur la création d’unités de la Garde nationale. Elles
refusent la paix négociée par le gouvernement avec Bismarck et souhaitent
continuer à se battre contre les Prussiens. Elles s’affrontent aux troupes de
Versaillesetsonttoutesvaincuesen1871.
LarépressioncontrelaCommuneatteintlesfemmesdelaclasseouvrièremais
eutaussideseffetssurlapresseféministedesclassessocialesplusélevéesetsur
leursclubs.Lesfemmesseretrouventànouveauexcluesdelaviepolitique.
Léon Richer qui fut le directeur du journal Le Droit des femmes (devenu en
1871 l’Avenir des Femmes) est clerc de notaire. Orphelin de père, il assure la
chargedesamèreetdesasœur.Ilenestl’uniquesoutien.Spectateurquotidien
des difficultés de toute nature qu’elles affrontent en raison de leur statut
d’éternellesmineures,ilmilitecontreleurstatutciviliniqueetcontrel’influence
de l’Église sur leur conscience. Lassé du quotidien de l’étude notariale qui
l’employait,ilfaitunbrefpassagedanslacompagniedescheminsdeferParis-
Orléans,puissetourneverslejournalisme.Ilfaitpartieducomitéderédaction
de L’Opinion nationale, journal républicain qui milite pour une instruction
publique laïque gratuite et obligatoire, ainsi que pour le droit de vote des
femmes.Membre du Grand Orient deFrance dont il ouvritles portes à Maria
Deraismes,ilassurelefonctionnementdel’hebdomadaire LeDroitdesfemmes.
Édité à perte, le financement du journal était bouclé par les apports des deux
fondateurs.Le journala organisélepremier banquetféministe en1869. Àleur
initiative,en1874,l’AssociationpourleDroitdesFemmes(ADF)prendlenom
deSociétépourl’AméliorationduSortdesFemmes(SASF).
Voirencadrén°5
1878:UNCONGRÈSSURLEDROITDESFEMMES
Au coursde l’été 1878, LéonRicher, à l’occasionde l’Exposition universelle,
organise,toujoursavecMariaDeraismes,uncongrèssurledroitdesfemmesà
laquelle participent des représentants et représentantes des pays européens, de
Russie et d’Amérique du Nord. Hubertine Auclert (Cahier-images, Pl. XII)
essaye d’y soulever la question du droit de vote des femmes, mais la
revendication est jugée prématurée par l’assemblée qui refuse la stratégie
d’attaque frontale qu’elle propose. Cet incident consacre la rupture entre deux
courants du féminisme. Le courant incarné par Deraismes et Richer, franc-
maçon et anticlérical considère que l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement
républicain et l’instauration d’un enseignement laïque obligatoire destiné aux
femmesestunpréalableincontournable.Fautedecechangementpolitiqueetde
cetteformationdesfemmes,leuraccorderledroitdevoteceseraitaccorderun
second droit de vote à leur mari ou, pire encore, à leur confesseur. Le mode
d’action, très marqué par la franc-maçonnerie consiste à influencer les cercles
politiquesjusqu’àcequ’unemajoritéfavorableàleursrevendicationssedessine,
cequiestcaractéristiqued’uncourantréformiste.L’autrecourantestincarnépar
Hubertine Auclert on pourrait légitimement le qualifier de radical, il réclame
«tout,toutdesuite».
Un désaccord survint en 1882 entre les deux fondateurs de la SASF. Cette
année-là Maria Deraismes avait pris position en faveur du suffrage féminin,
dérogeantàcequiavait étéjusque-làleurlignecommune.MariaDeraismesse
mit en retrait de la SASF. Elle fonda alors la Ligue Française pour le Droit des
femmes (LFDF), dont la présidence est reprise ensuite par d’autres figures du
féminisme:MariaPognonpuisMariaVérone.Parlasuite,DeraismesetRicher
travaillent à la préparation d’un Congrès international du droit des femmes à
Paris qui doit avoir lieu en 1889, année anniversaire du centenaire de la
Révolution. En 1886, ils élargissent les effectifs du comité d’organisation en se
fédérant avec la Société du droit des femmes dont l’objectif était la création
d’écoles laïques. Revendiqué comme le congrès le plus suivi des festivités du
centenaire, l’éventail des sujets qui furent abordés fut très large : histoire des
femmes, situation économique des femmes, atteintes morales, discrimination
anti-féministedelalégislation(Cahier-images,Pl.XII,métiers).
Danslalistedesinterventions,ontrouveuneallocutiond’HubertineAuclert,
preuvequedesmouvementsféministesdivisésgardaientdesobjectifscommuns.
Aprèsle mort de MariaDeraismes en 1894,la société SASFest présidée par
AnnaCarnaudjusqu’en1929.Cetteauteureféministeetfemmepolitiqueajoute
auxobjectifs de lasociété la mixitéà l’école,estimant que lesenfants des deux
sexestrouveraientlàuneoccasionuniquedeconnaîtreladifférencedel’autre.
Élisabeth Fonsèque lui succède, puis Yvonne Netter (1889-1985), avocate,
féministe et résistante française qui présida l’association jusqu’en 1934, date à
laquelle celle-ci semble avoir disparu. La première vague du mouvement
féministe s’essouffle à cette époque. Les revendications sur l’école laïque pour
tous ont été satisfaites grâce au puissant courant laïc qui a engagé le déclin de
l’activité enseignante des congrégations en 1905. La revendication du droit de
votepourlesfemmesaétésatisfaitedanstouslespaysd’EuropesaufenFrance
où, à cause d’un sénat particulièrement réactionnaire, il faut attendre l’après
Seconde Guerre mondiale pour que la loi, proposée à plusieurs reprises par la
Chambrededéputés,passeenfin.Unefoislesuffragedesfemmesobtenu,dela
liste des revendications féminines qui figuraient dans la conférence de 1889, il
resta celles qui figuraient dans la rubrique « morale » et « économie » des
conférences : le respect du corps de la femme et la réappropriation par les
femmes de sa propriété, l’accession des femmes au pouvoir économique. Ces
revendicationssontàl’originedelasecondevagueféministequivoitlejourdans
lesannées1960etquiperdurelongtemps.
L’année de la disparition de Maria Deraismes, une souscription fut ouverte
pour édifier un monument à sa mémoire. Sa statue est érigée au square des
Épinettes à Paris. Elle fut le point de ralliement de plusieurs manifestations
féministes,généralementenfaveurdudroitdevotedesfemmes.Fonduesousle
régimedeVichypourl’effortdeguerreallemand,elleestrétablieen1983grâce
aux concours de la Ville de Paris et de la mouvance franc-maçonne Le Droit
Humain.
Léon Richer survécut sept ans à la disparition de Maria Deraismes. Lutteur
infatigable, ilcontinua le travail effectué par la SASF.En 1886, il avait créé du
vivant de Maria Deraismes une commission extra-parlementaire composée de
députés et sénateurs proches de la SASF. Cette commission travailla à trois
propositionsdeloisdestinéesàêtresoumisesàl’Assemblée:
– Accession des femmes à la possession totale des droits civils et familiaux,
par exemple versement direct et non au mari du salaire des femmes qui
travaillent,partagedel’autoritéparentaleentremarietfemme.
– Modificationducoderelatifàlanationalitédesfemmesmariées.Lesrègles
en vigueur à l’époque prévoyaient qu’une femme française épousant un
étranger perdait sa nationalité française au profit de la nationalité de son
mari.
– Émancipationciviledelafemmemariée.
Laloiaccordantladoublenationalitéauxfemmesmariéesàunétrangervoitle
jouren1889.Ilfautattendre1946pourquelepréambuledelaConstitutionpose
le principe de l’égalité des droits entre femmes et hommes dans tous les
domaines.
Fidèle à la ligne réformiste stricte qui le différenciait de Maria Deraisme, il
soutientquelesféministesradicales«compromettentgravementlacausequ’elles
prétendentdéfendre».
En 1890, LéonRicher songe à l’internationalisation deson action. Il crée La
FédérationInternationalepourlaRevendicationdesDroitsdesFemmes(FIRDF)à
laquelle il obtient le ralliement de la quasi-totalité des mouvements des pays
européensetdel’ÉtatdeNewYorkauxÉtats-Unis.
Maislevieuxlutteursesentuséparsescombatsincessants.En1891,ilmetfin
àlapublicationdujournal LeDroitdesfemmes qu’ilavaitcrééetfaitvivreavec
Maria Deraismes. Il abandonne et transfère à des femmes la présidence des
associations qu’il a créées. Jusqu’à sa mort en 1911, il est couvert d’honneurs
pour l’action qu’il a menée. Il fut le créateur d’un mouvement féminin
républicain réformiste répondant aux besoins des femmes de classe moyenne.
Mais ce mouvement ne peut pas, comme en sont capables les différentes
mouvancesd’inspiration socialiste, s’adresseraux travailleusespauvres et lutter
contre leur exploitation. L’expérience de la Commune a montré que les
revendications prioritaires des femmes prolétaires touchaient à la pauvreté et
qu’elles voulaient être acceptées à égalité comme compagnes de lutte des
hommesdanslessyndicatsouvriersrévolutionnaires.
HUBERTINEAUCLERTMILITANTEPERSÉVÉRANTE
ETACHARNÉEDESDROITSDESFEMMES
L’initiatriceducourantradicaldelacontestationféministe,HubertineAuclert
(1848-1914) est née dans une famille aisée (Cahier-images, Pl. XII). Son père,
richefermierrépublicain devientmairede sonvillage, Saint-PriestenMurat, à
l’avènementdelaDeuxièmeRépubliqueen1848.Sanssurprise,ilestdestituéàla
proclamationduSecondEmpireen1851cequileconfortedanssesconvictions
républicaines.Samèrefaitscandaleencréantunorganismequivientenaideaux
filles-mèresvictimesdelabien-pensancequilesrejetteenpunitiondeleurfaute.
Hubertineest très marquéepar l’éducation religieusereçue dansle couvent où
ellesuitsaformationscolaire,aupointqu’elleenvisaged’entrerdanslesordres.
Refusée en 1869 pour cause d’indépendance d’esprit, elle en conçoit du
ressentiment.Ellefinitpardeveniranticléricale.
Son père est mort en 1861, sa mère en 1866. Bien qu’elle soit la cinquième
enfantsurunefamilledesept,lapartd’héritagequeluilaissentsesparentssuffit
àassurersonindépendancematérielle.Ellesemobilisepourlesdeuxcausesqui
lui tiennent à cœur : la république et les droits des femmes. Partisane de la
révisiondesarticlesduCodeNapoléonquidéfinissentleurstatut,elledéclare:
« J’ai été, presque en naissant, une révoltée contre l’écrasement féminin, tant la
brutalitédel’hommeenverslafemme,dontmonenfanceavaitétéépouvantée,m’a
de bonne heure déterminée à revendiquer pour mon sexe l’indépendance et la
considération ». Elle a pris connaissance des textes des discours prononcés au
coursdesbanquetsorganisésparLéonRicheretgagneParispeuavant1870pour
être au cœur de combats qui la motivent. La Troisième République naissante
ouvre un espace de libertépropice aux luttes féministes. Hubertine Auclert est
alors hébergée chez sa sœur. Elle s’inscrit à l’Association pour le Droit des
Femmes (ADF) de Maria Deraismes, association qui prend en 1874 le nom de
Sociétépourl’AméliorationdusortdesFemmes(SASF).LaSASFestinterditeen
1875, et autorisée à nouveau en 1878. Son éclipse est liée à loi de 1875 qui
autoriselesassociationsmaislimiteleurobjetàl’organisationdel’enseignement
supérieur.
Alorsquelemouvementféministefrançaisréformateurorientesonactionsur
l’accès des femmes à une éducation laïque et de haut niveau, ainsi que sur les
droits civils des femmes, Hubertine Auclert s’attache à promouvoir l’éligibilité
des femmes. Elle estime, sans doute à juste titre, que des lois favorables à
l’évolution de la condition féminine ne peuvent être votées que par une
assembléeoùsiègentdesdéputéesfemmes.En1876,ellefondelasociétéLeDroit
desFemmesquisoutientledroitdevoteféminin.Cettesociétédevienten1883
LeSuffragedesFemmes.
Elle lance en 1877 un appel à la population féminine : « Femmes de France,
nous aussi nous avons des droits à revendiquer : il est temps de sortir de
l’indifférence et de l’inertie pour réclamer contre les préjugés et les lois qui nous
humilient. Unissons nos efforts, associons-nous ; l’exemple des prolétaires nous
sollicite;sachonsnousémancipercommeeux!»
Invitée au congrès de 1878 sur le droit des femmes organisé par Maria
DeraismesetLéonRicher,elleprésentesamotionenfaveurduvotedesfemmes
quiestrefuséeenraisondelaprésenced’unemajoritédedéléguésappartenantà
latendanceréformiste.
Àlasuiteducongrèsoùellen’apaspuexprimerpleinementsesopinions,elle
publieunarticlequirésumelecourantdepenséeauquelserattachesonaction:
«Mesdames,ilfautbiennousledire,l’armeduvoteserapournouscequ’elle
est pour l’homme, le seul moyen d’obtenir des réformes que nous désirons.
Pendant que nous serons exclues de la vie civique, les hommes songeront à
leursintérêtsplutôtqu’auxnôtres.Leprolétairecompritcela,lorsqu’en1848
ilrevendiqualesuffragecommeseulmoyendeconquérird’autresfranchises.
[…]Noussommesneufmillionsdefemmesmajeuresquiformonsunenation
d’esclavesdanslanationd’hommeslibres[…]Parlefaitqu’onpaiel’impôt,
onaledroitdeparticiperàl’établissementdel’impôt.Étantcontribuable,on
doitêtreélecteur[…]
Républicains, qui vous croyez radicaux, socialistes, qui niez la liberté, vous
niez l’égalité. Pensez-vous pouvoir établir sérieusement un gouvernement
républicain en conservant des esclaves qui feront de la France un pays
continuellementenétatdefermentation?»
Emily Venturi à qui l’on avait donné la tâche de prononcer le discours de
clôtureducongrèsconclutparcetteanecdote:
«Hiersoir, unhommequi paraissaitunpeu sceptiquesurles avantagesde
notrecongrès,me demanda: “Ehbien, Madame,quellegrande véritéavez-
vous proclamée au monde ?”. Je lui ai répondu : “Monsieur, nous avons
proclaméquelafemmeestunêtrehumain.Ilrit.–Mais,madame,c’estune
platitude. – Mais quand cette platitude… sera reconnue par les lois
humaines, la face du monde sera transformée. Certes, alors, il ne sera plus
nécessaire pour nous de nous réunir en congrès pour exiger les droits de la
femme.”»
En1879,leComitécentralsocialistedesecoursauxamnistiésetnonamnistiés
estcréé.Sonobjectifestd’obteniruneamnistietotaleetd’organiserunecollecte
defondspouraiderlescommunardsdéportésouinterditsdeséjour.L’exécutif
du comité est ouvert aux femmes. Hubertine Auclert en fait partie. Ce nouvel
engagementlaconduitàparticiperautroisièmeCongrèssocialistedeMarseille
en 1879. Elle y présente un rapport dont on retiendra le passage suivant à la
résonance très contemporaine : « Une République qui maintiendra les femmes
dans une condition d’infériorité ne pourra pas faire les hommes égaux ». Son
messagerencontremalheureusementpeud’écho.
Àpartirde1880,elleentameunegrèvedel’impôt.L’idéequiguidesonaction,
est que les femmes n’ayant en quelque sorte pas d’existence légale ne peuvent
guère être soumises à l’impôt. Mais les juges de la haute autorité auxquels elle
s’adresseneperçoiventpaslecartésianismedesarequêteetrejettentsademande.
Hubertine Auclert doit céder lorsque les huissiers apposent les scellés sur son
domicile.
Lamêmeannée,malgréouàcausedel’échecdesonaction,ellecréelejournal
La Citoyenne. Dévouée à la cause de la libération féminine, cette publication
accueillelesarticlesdelajournalisteSéverine(nomdeplumedeCarolineRémy)
ou encore de l’aristocrate flamboyante et peintre de talent que fut Marie
Bashkirtseff. En 1884, Hubertine Auclert fait campagne contre les dispositions
restrictivesdelaloide1884quirétablitledivorcesupprimésouslaRestauration.
LedéputéNaquetaréussiàfairepassersonprojetdeloiàl’Assemblée.Ils’attire
les foudres des milieux catholiques traditionalistes et des antisémites de tout
bord qui tirent parti de ses origines juives pour crier à la conspiration sémite
internationale.Enfaitetc’estlàlasourcedemécontentementdesféministes,la
loi de 1884 rétablit le divorce pour faute, naguère autorisé par la loi
révolutionnairede1792etignoreledivorceparconsentementmutuel.Ilfautde
graves préjudices causés par l’un des deux époux à son conjoint pour que le
divorcesoitprononcé.Lavictimepeutalorsprétendreàunepensionetàlagarde
desenfants.LaloiNaquet,malgrélespressionsdesmouvementsféministesdura
presque cent ans. Ce fut seulement en 1975 que le divorce par consentement
mutuelfutinstitué.
En1888,HubertineAuclerts’installeenAlgérie,ousonmari,PierreAntonin
Lévrieraéténomméjugedepaix.Elleyrestequatreans,jusqu’audécèsdeson
époux, nommé successivement à Freda (wilaya de Tiaret) puis à Alger. Elle
travaillependantsonséjouralgérienàuneétudesurlasociétéindigèneetsurles
mauvaises relations qu’elle entretient avec la société coloniale. Elle décrit la
conditionmisérabledesfemmesmusulmanessoumisesaudoublepatriarcatdela
société indigène et à celui de la société coloniale qui est venu renforcer
l’assujettissementdesfemmesàlatraditionlocale.Lesécolescoraniquesontété
fermées aux filles qui n’ont plus aucun accès à la lecture en langue arabe à
laquelleellesaccédaientparl’apprentissagedelalectureduCoran.
Refletdel’airdutemps,HubertineAuclertestimequelavoiedelalibération
des femmes indigènes passe par une assimilation dans un environnement
culturelfrançais.Ellerendcomptedesonexpériencealgériennedansunouvrage
éditéàcompted’auteurintituléLesFemmesArabesenAlgérie.
De retour en France, elle est contrainte, face à des difficultés financières, de
mettreuntermeàlapublicationdujournal LaCitoyennequ’elleavaitfondéen
1880. Pour des raisons alimentaires elle collabore en 1894 au journal La Libre
Paroledel’antisémiteEdouardDrumont.En1900,ellefaitpartiedesfondatrices
du Conseil nationaldesfemmes françaises,organisationqui soutientle droitde
vote des femmes françaises. En 1908 les femmes françaises mariées sont
autorisées par une nouvelle loi à toucher elles-mêmes leur propre salaire alors
quejusque-là,seulleurmariavaitledroitdelefaireenleurlieuetplace!
HubertineAuclert,est-cepourfêterdignementl’évènement,serenddansun
bureau de vote des élections municipales de la Ville de Paris et détruit l’urne
électorale ! En 1910, en compagnie de Marguerite Durand et de deux autres
femmes, elles s’inscrivent comme candidates aux élections législatives. Leurs
candidaturessontrejetéesparlepréfetdelaSeine.
Jusqu’àsamortenavril1914,HubertineAuclertpoursuitsonactivisme.Elle
estaccompagnéepuisrelayéedanssoncombatparMargueriteDurand.
VoirEncadrén°5.
MARGUERITEDURANDETLAPRESSEFÉMINISTE,LEJOURNALLAFRONDE
Marguerite Durand (1864-1936) est une personnalité talentueuse. Enfant
naturelleélevéeparsamère,elleentreauconservatoiredeParisen1879oùelle
obtientunpremierprixdecomédie(Cahier-images,Pl.XIII).En1881,elleentre
à la Comédie française, ce qui représente une belle promotion pour une
comédienne. En 1888, elle démissionne pour épouser un avocat député
boulangiste, ce qui n’est pas vraiment un choix féministe ! Elle s’initie à la
politique et se forme au journalisme en travaillant pour La Presse, journal de
propagande boulangiste. Après le suicide du général Boulanger en 1891, sa
confiancedans leboulangisme s’effondre.Elle sesépare deson mari,quitte La
Presse, mais garde une véritable passion pour le journalisme qui la mène au
Figaro. En 1896 la rédaction du Figaro l’envoie faire la couverture du Congrès
féministe international, avec mission de rendre compte des réactions hostiles
soulevéesparl’évènement.Ellerefusedeselaisserimposerlethèmeducompte
rendu qui lui est demandé et traduit au contraire le caractère sérieux de
l’ambiance,le travailetle bien-fondédes discoursqui s’ytenaient,ainsi quela
maîtrise et l’autorité de la présidente, Maria Pognon. Ce contact avec la
mouvance féministe réformatrice créée par Léon Richer bouleverse ses
convictions.Elledécidedeseconsacreràladéfensedesfemmes.LejournalLa
Frondenaquit en1897 decette conversion.Lejournal seveut féministejusque
danssapratiquequotidienne.Deladirectionauxtypographesenpassantparla
rédaction,toutlepersonnelestféminin.Cependant,cen’estpasunjournaldont
larédactionseborneauxsujetsféministes.Politique,sports,finance,arts,toutce
quiconcernel’actualité ytrouveégalementsa place.Lerythmede parutionfut
quotidien jusqu’en 1903 puis mensuel de 1903 à 1905. Les collaborations de
Séverine figurent parmi les plus fréquentes. Toutes les plus grandes figures
féministesdel’époquefurentdescollaboratricesoccasionnelles.
MargueriteDurandparticipaégalementàlacréationen1903d’unquotidien
de tendance socialiste anticléricale, l’Action. Elle collabora dans ce cadre avec
Henry Béranger journaliste à La dépêche de Toulouse et Victor Charbonnel,
directeurdel’hebdomadaireanticléricalLaRaison.Cettecollaborationpritfinen
1905,MargueriteDurandétantsansdoutetroploindesesconvictionsprofondes
pourpouvoirs’entendredurablementaveceux.
En 1904, année du centenaire du Code civil napoléonien qui, toujours
d’actualitéen1904,définitlesdroits,lesnon-droitsdevrait-ondire,delafemme,
elleécritdansLaFronde:«Iln’estpasunefemmequinedoivemaudireleCode,il
n’est pas une femmeriche ou pauvre, grande dame ou travailleuse, qui, dans sa
misèreoudanssesbiens,danssapersonne,danssesenfants,danssontravailou
sondésœuvrement,n’aiteuoun’auraàsouffrirgrâceauCode.»(Cahier-images,
Pl.XI,tableaudeDebat-Ponsan)
En 1907, elle organise un congrès du travail féminin. Elle connaît René
Viviani,ministresocialisteduTravaildanslegouvernementClemenceau.Avec
son aide, elle tente de créer un Office du travail féminin qui serait rattaché
directement au ministère du Travail. L’idée serait de créer une représentation
parallèle des travailleuses salariées puisqu’elles ne peuvent être élues à la
Chambre des députés. Le rattachement au ministère du Travail permettrait de
faireprendredirectementencomptedesmodificationsréglementairesdutravail
féminin pour en améliorer les conditions. Le principe est accepté et le
financement prévu. Marguerite Durand, pressée et méfiante assure
provisoirement la trésorerie sur ses propres deniers et commence la mise en
placedel’organisme.
Le congrès du travail féminin qu’elle a organisé vise à intéresser les
travailleuses et à les faire participer à son projet en recueillant l’avis de leurs
syndicats. Malheureusement, malgré l’intérêt des syndicats de branches
féminines, Marguerite Durand apprend à ses dépens que l’antiféminisme
n’habite pas le seul corps législatif. Son projet fait l’objet d’une campagne de
dénigrementsansretenuedelapartdelapressedelaCGT,danslaquelleelleest
accusée personnellement de corruption et de trafic d’influence. Face à cette
réactionsyndicalenégative, leministre Vivianimetun termeà laparticipation
gouvernementaleetMargueriteDurandlaissesonprojetenveilleuse.
Elle annonce en 1914 dans La Fronde la réactivation de l’office qui est resté
uneaffaireprivéequ’ellefinancesursesdeniers.Laguerreestproche.Lemonde
dutravailféminina,plusquejamais,besoind’aide.
SÉVERINE,UNEJOURNALISTEFÉMINISTE
FORMÉEÀLAPRESSEPARJULESVALLÈS
L’histoireduféminismelibéralduXIXe siècle,tantlecourantréformistequele
courantradicaldoitaussibeaucoupàCarolineRémyditeSéverine(1856-1929)
quicollabora aujournal LaFronde.Séverine estnée dansune famillede petite
bourgeoisieparisienne(Cahier-images,Pl.XIII).Àseizeansellerêvedefairedu
théâtre. Ses parents refusent et la marient. Après moins d’un an de mariage,
écœurée de la violence sexuelle de son époux et enceinte, elle réclame la
séparationde corps. Àla naissance deson fils, Louis,ce dernier estréclamé et
élevéparsonpère.
Afin de ne plus dépendre de ses parents, Caroline cherche un travail, elle
devient dame de compagnie-lectrice auprès de Madame Guebhard, une suisse
fortunéedontlaviesedérouleentrelaSuisse,l’ItalieetNeuilly.Adrien,sonfils,
estmédecinetégalementagrégédephysique.Ilenseigneàlafacultédemédecine
deParis.PlusâgédesixansqueSéverine,ils’éprendd’elle.Unfils,Roland,naîtà
Bruxellesen1880deleuridylle.Ilestélevéennourricediscrètement.Lasituation
ducoupleestcompliquée:Séverinenepeutdivorcer(laloiNaquetsurledivorce
n’est votée qu’en 1884). Adrien et Caroline rentrent à Paris et s’installent rue
Soufflot(àdeuxpasduPanthéon).ElleépouseAdrienGuebharden1885après
avoirobtenuledivorce.
Au cours de leur séjour à Bruxelles, Caroline a fait la connaissance de Jules
Vallès, célèbre communard proscrit qui a trouvé refuge dans cette ville. Elle
sympathiseaveclui.AuretourdeVallèsàParis,aprèsl’amnistiede1880,malgré
lesoppositionsdesafamille,etunetentativedesuicide,CarolineRémytriomphe
et travaille avec Vallès, dont la réputation de « communard » est sulfureuse
auprès de la bourgeoisie. Elle devient son assistante. La loi sur la liberté de la
presseestvotéeen1881.Vallès,biensûrs’enréjouit.Lorsqu’en1883,ilenvisage
de rendre vie au journal communard Le Cri du peuple, Séverine lui apporte le
soutienfinancierdesonmari.
Elle apprend sur le terrain les rudiments de la presse, du journalisme et
découvre les idées des socialistes. Vallès meurt en 1885. Séverine reprend la
directiondujournaldontellegardelaligneéditoriale.
LeCridupeuple,quotidien,grandformat,comporte4pages.C’estunjournal
militant et un journal populaire. Il tire à 15 000 exemplaires (puis monte à
25 000 exemplaires devant le succès rencontré). En 1885, elle fait entrer au
comité de rédaction un journaliste nommé Georges Labruyère. Cet ancien
militaire, démobilisé en 1879 a derrière lui une riche carrière de journaliste. Il
s’éprenddeSéverineetquittefemmeetenfantspourelle.Cetépisodedesavie
privée et des divergences politiques avec l’intransigeant socialiste Jules Guesde
qui lui reproche les idées boulangistes de Labruyère rendent le climat de la
rédactioninvivable.EllevitavecLabruyérejusqu’àlamortdecedernieren1920,
avantdereprendrelaviecommuneavecsonsecondmari,AdrienGuebhard,qui,
lui,disparaîten1924.
Séverinedémissionneen1888.Ellelaisseaujournaltouslesactifsqu’elleavait
investis avec son mari. Le ton de l’extrait de son article d’adieu ci-après, paru
dans Le Cri du peuple donne une idée assez représentative des articles qui
sortaientdesaplume:
«Cetignorantquinesaitnilire,niécrire,siincapablededistinguersadroite
de sa gauche qu’au régiment ses chefs feront garnir différemment ses deux
sabots, et que les mouvements s’exécuteront au commandement : “Paille !
Foin!…Paille!Foin!”Cetignorantestélecteur.Cebutorquiassommeses
chevauxàcoupsdefouet,sansdiscernement,sanspitié,sansmêmelesoucide
sonintérêt,quidistribueàtortetàtraversl’injusticeetlasouffrance,cebutor
estélecteur…Cepochardquinedésemplitpas,del’aubeaucrépusculeetdu
soiraumatin,cesemblantd’homme,aviné, loqueteux,baveux,ayant laissé
saraisonaufonddupremierverre,tellementilestintoxiqué,tantôtricochant
d’un mur à l’autre et tantôt vautré dans ses déjections, ce pochard est
électeur…Électeurencore,cefainéantquisefaitnourrirparsafemme,etcet
apachequivitdelafille;électeur:cegâteuxquis’usalesmoellesendesales
noces ; électeur : ce demi-fou et ce fou prétendu guéri. Électeur enfin
l’imbécile,maîtredumonde!Maislafemme,réputéeinférieureàtousceux-
là, n’a d’emploi que comme contribuable ; qu’un devoir : celui de payer ;
qu’undroit:celuidesetaire.»
Devenuejournalisteindépendante,elle naviguebeaucoupentreles différents
journauxdel’époque.ElletravaillepourlespériodiquesconservateursLeGaulois
et GilBlas.Defaçonencoreplussurprenante,ellecollaboreépisodiquementau
journalantisémitedeDrumontLaLibreParole.
Cependant, lorsqu’éclate l’affaire Dreyfus, elle s’engage aux côtés des
dreyfusards.Elle soutient également des causes anarchistes eten 1927 tente en
vain de sauver Sacco et Vanzetti, deux immigrants italiens aux États-Unis,
accuséssurlabasedeprésomptionsfragilesd’êtrelesauteursdubraquaged’un
transportdefonds.Pourleurmalheur,tousdeuxappartiennentàunemouvance
anarchiste.Letribunaltrouvelàlemobiledel’agression:ilssontaccusésd’avoir
braqué et tuéles convoyeurs pour financer leurmouvement. Sacco et Vanzetti
sontdéclaréscoupables,condamnésetexécutés.
Enjuillet1914,RenéVivianidevientprésidentduConseil.Séverinevoitdans
l’arrivée de ce nouveau Premier ministre socialiste une conjonction d’astres
favorableàlarelancedudroitdevotedesfemmes.AvecMargueriteDurand,elle
parvient à réunir 2 500 femmes qui défilent des Tuileries jusqu’à la statue de
Condorcet(quaiConti).L’imminencedelaguerrefaitpasserlemouvementau
secondplan.
Pacifiste durant la Première Guerre mondiale, elle accueille avec faveur la
Révolution russe de 1917. Elle adhéra au parti communiste, écrit dans
L’Humanité,puisquittelepartilorsquecedernierstigmatisela Liguedesdroits
de l’Hommecomme organisation dela classe bourgeoise.Il existe un très beau
portraitdeSéverine,àlaNationalGalleryofArtàWashington.L’auteurdecette
œuvren’estautrequePierreAugusteRenoir.
JEANNESCHMAHLETLECOMBATPOURL’ÉMANCIPATIONÉCONOMIQUEDES
FEMMESMARIÉES
Venantenrenfortducourantféministelibéral,ontrouvedesassociationsaux
objectifsmoins globaux,àl’efficacité parfoistrèsgrande parceque concentrées
surdesrevendicationsapparemment«apolitiques».
C’est le casde l’« Avant Courrière », crééepar Jeanne Schmahl (1846-1915).
JeanneSchmahlétaitd’originebritannique.NéeArcher,elleépouseunAlsacien
réfugiéenFranceaprèsledésastredeSedanetadoptelanationalitédesonépoux
parvoiedemariage.ElleavaitcommencédesétudesdemédecineenAngleterre,
étudesqu’ellen’avaitpupoursuivre,laloibritanniquenepermettantpasl’accès
desfemmesaudiplôme.Elletravaillecomme sage-femmeet sejointen1878à
l’une des associations fondée par Maria Deraismes avec un pasteur d’origine
alsacienne,lerévérendTommyFallot.Cedernierœuvreauprèsd’unepopulation
pauvre, dans le quartier parisien de La Chapelle. Il anime des conférences
moralesdestinéesàtenterd’éradiquerlaprostitutionetl’alcoolismequifontdes
ravagesdanscesmilieuxpauvres.
En janvier 1893, Jeanne Schmahl fonde l’association l’« Avant-Courrière ».
Ayanttravailléaveclecourantlibéralréformisteduféminisme,ellepensequele
liendoctrinalétablientrereligionetobtentiondesdroitscivilspourlesfemmes
estnuisibleauprogrèsdelacause.Letextefondateurdel’«Avant-Courrière»se
borne à tenter d’obtenir, pour toutes les femmes, le droit de servir de témoin
danslesactespublicsetprivés,et,pourlafemmemariée,ledroitdetoucherle
produit de son travail et d’en disposer librement. Des personnalités de la
moyenne et grande bourgeoisie adhérent à son association. Elle s’entoure de
collaboratrices compétentes en communication avec Jane Misme future
fondatrice du journal La Française, et en droit avec Jeanne Chauvin première
femmedocteurendroit.JeanneChauvinsechargederédigerlesdeuxprojetsde
loi qui sont distribués à la presse et aux parlementaires. Celle qui permet aux
femmesd’êtretémoinestvotéeparlaChambreen1897.Ellenerencontrepasde
difficultésauSénat.
Le projet sur la propriété du salaire des femmes mariées rencontre plus de
difficultés. Il fait craindre une brèche dans une loi de l’époque qui donnait au
marilatotalitédelapropriétédesbiensducouple,ycomprisdeceuxquiétaient
apportésàlacommunautéparlafemme(comprendresadot).Leprojet,amendé
enconséquenceestproposéàlaChambreen1894etvotéen1896.LeSénatmet
onze ans pour le ratifier en 1907. À la suite de son adoption Jeanne Schmahl
dissoutl’association.
En1901,elles’intéresseàlabrancheradicaledecourantféministelibéral.Elle
adhèreau« SuffragedeFemmes »,associationcrééeparHubertineAuclert,dont
les adhérentesrésident pour la plupartdans la région parisienne. En1909, elle
crée sa propre association, l’UFSF, dont le but est d’étendre la revendication
suffragiste féminine à l’ensemble de la France. Jane Misme en est la vice-
présidente, Cécile Brunschvicg la secrétaire générale. L’UFSF est officiellement
reconnueparlecongrèsinternationaldel’Allianceinternationaledesfemmesà
Londresenavril1909,commereprésentantofficieldumouvementsuffragisteen
France.Elleestparlasuite,leplusimportantmouvementsuffragistefrançaispar
lenombredesesadhérentes.En1914,l’organisationfaitétatde12000membres.
En1911,probablementenraisondedissensionsavecCécileBrunschvicg,Jeanne
Schmahl démissionne de son poste de Présidente. Cécile Brunschvicg la
remplace.JeanneSchmahlmeurten1915àParis.
VoirEncadrén°5
Engagementsdefemmesde1830à1914
(associations,publications,congrès)
Ledéveloppementdescourantsféministesrépublicainetlaïqueréformistede
Maria Deraismes et Léon Richer ainsi que le mouvement radical d’Hubertine
Auclertprovoqueuneappréhensiondanslesmilieuxchrétiensetchezlespartis
conservateurs. De ces craintes sont nés des mouvements se réclamant d’un
féminisme non républicain et non laïc. La hiérarchie catholique craint plus
particulièrementlapropagationdesidéeslaïqueschèresàcesmouvements,idées
quiannoncentlaséparationdel’Égliseetl’Étatdudébutdusièclesuivant.
UNCOURANTFÉMINISTESOUSINFLUENCECATHOLIQUE
MargueriteMaugeret(1844-1928)estlafilled’unmédecinsarthois.Écrivaine,
imprimeuretéditeur,elle transportesonactivitéà Parisoùelleassure quelque
tempsl’impressiondujournalféministedeMargueriteDurand, LaFronde,dans
lequelilluiarrived’écrire.
EllecréeetpubliesonproprejournalLeFéminismechrétiendontlebutaffiché
estde«christianiserleféminisme».Cettefinalitéestunedéclarationdeguerre
larvée au mouvement maçonnique. L’affaire Dreyfus est l’occasion pour
MargueriteMaugeretdeserapprocherdemouvementsnationalistes.Elleesten
contact avec le groupe anti maçonnique féministe Association Patriotique des
Femmes Françaises de Françoise Dorive. Attachée à la cause du suffrage des
femmes, son ambition est de ne pas laisser le monopole du féminisme aux
courantsréformisteouradicald’inspirationanticléricaleetrépublicaine.Elleva
tenter, à travers les congrès catholiques, de fédérer les associations de femmes
traditionalistes tentées par une timide ouverture sur le suffragisme. Son
association, l’Union Nationaliste des Femmes, développe un argumentaire
original:«Quelesfemmesvotentounevotentpas,ilestentendu,ilestadmis–et
c’estmêmelaconsolationqu’onoffreàcellesquiréclamentlebulletin–quecesont
elles qui font voter. Nous ne voyons pas pourquoi, alors, elles n’auraient pas le
droit[devoter],ledevoirmême,etledevoirtrèsrigoureuxdeserendrecomptede
cequ’ellesfontfaire».Lesélectionslégislativesde1898ontétéunsuccèspourles
antidreyfusards : le suffrage universel pourrait, sous condition d’un savant
conditionnement de l’esprit des femmes, mener à la « rédemption nationale ».
Maislesuffragedesfemmesnepourraêtreadoptéàl’échellenationalequ’avec
l’adhésion des conservateurs et de la hiérarchie catholiques, que Maugeret
s’attellealorsàconvaincre.
Aussi lorsqu’elle crée en 1886 la « Société du Féminisme Chrétien », la
hiérarchie, après une période de méfiance accueille le groupe, en 1900, au
Congrèsinternationaldesœuvrescatholiques.Sesargumentssurlarédemption
d’uneRépubliquedeplusenplusanticléricaleluipermettentdeserapprocherde
l’église,qu’elle chercheà rallierà sacause alorsque cette dernièrereste encore
hostileausuffragisme.
La collaboration avec le groupe anti-maçonnique féministe de Françoise
Doriveaconduitauprojetd’unpremiercongrèsd’étudessocialesàParisen1903
souslepatronagedeJeanned’Arc,l’héroïnenationalequifait,danslesmilieux
antirépublicains et antimaçonniques, office de modèle pour les femmes
catholiques françaises. Marie Maugeret tente de faire des femmes une force
politiqueen appelantàce congrèsannoncédans lejournal L’Univers du7 mai
1904 où sont notamment discutées « toutes les questions concernant les droits
civiquesdelafemmeetsonrôlesocial-chrétien».
Cette opération conjointe de défense des droits des femmes et de l’Église
rencontreuncertainsuccès.L’initiativereçoitlesoutienduVatican.Lejournal
LaCroixdu17mai1904annonceque «L’œuvredesCongrèsJeanned’Arc»est
bénieparlepapePieX.En1905,enpleinecrisedelaséparationdel’Égliseetde
l’État,cetteorganisationentreenactionenlançantunevastepétitioncontreles
projetsdelaïcisationdelasociétéfrançaise.
L’œuvre des congrès de Marie Maugeret organise en plus d’une quinzaine
d’annéesseizecongrèsannuelsquisesuccèdentde1904à1920,avecuneseule
interruptionpourl’année1918.Ilssetiennentgénéralementsurtroisjours,vers
la fin du mois de mai, et se dérouleront toujours au même endroit, dans les
locauxdel’InstitutcatholiquedeParis.
Le troisième Congrès Jeanne d’Arc, en 1906, consacre un tournant dans
l’histoireducourantcrééparMargueriteMaugeret.Commedanslessessionsdes
annéesprécédentes,deuxjourssontconsacrésàlarevuedesœuvresféminines.
Letroisièmeabordefranchementlaquestionpolitique.Cinqintervenants,dont
deuxprêtres,seprononcentenfaveurdudroitdevotedesfemmes.Maugeretest
laplusvéhémente.Auvoteàmainlevée,levotedesfemmesdanslesassemblées
professionnelles est adopté à l’unanimité ; dans les communes à la grande
majorité;danslesconseilsgénérauxàlamajorité;auxélectionslégislatives,àla
majorité, mais avec une importante abstention. Dans les jours qui suivent, le
journal L’Univers,organe du courant catholique libéral, publie deux éditoriaux
explicitement suffragistes. Autre tendance du féminisme chrétien, le « Conseil
nationaldesfemmesfrançaises»,dominéparlesprotestantesdeSarahMonod,
inscritledroitdevoteàl’ordredujourdesonassembléegénérale.
Mais, malgré le succès du courant de pensée de Maugeret, un nombre
important de femmes catholiques restent hostiles au suffragisme. La Ligue
patriotique des Françaises et la Ligue des femmes françaises mettent en avant
l’opposition personnelle du nouveau pape Pie X : « Les femmes dans les
Parlements,ilnemanqueraitplusquecela!Leshommesseulsyfontdéjàbien
assezdegâchis»(sic).
En1910,âgéedesoixante-sixans,Maugeretseretiredesluttes.Elleadéjàmis
un terme en 1907 à la parution du journal le Féminisme chrétien. Elle reste
néanmoinssecrétairegénéraledelaFédérationJeanned’Arcjusqu’àsamort,en
1928.Néanmoins,ausortirdelaPremièreGuerremondiale,Maugeretassisteà
la renaissance de l’engouement des femmes catholiques pour le droit de vote :
l’émergencedubolchévismefaitentrevoiràladroiteundangerplusgrandquele
républicanisme.En1919,laChambredesdéputésprenantconsciencedel’effort
de guerre considérable fourni par les femmes de France vote l’intégralité des
droitspolitiques.LeprojetdeloiestrejetéparleSénat!
SARAHMONODETJULIESIEGFRIED:DESFÉMINISTESDANSLECADRE
PROTESTANT
Le désir de faire évoluer le statut des femmes dans un cadre chrétien se
manifeste aussi dans la mouvance protestante. Toutes deux filles de pasteur,
Sarah Monod (1836-1912) et Julie Siegfried (1848-1922) sont proches par leur
milieu familial et culturel. Elles appartiennent à la haute société protestante
inséréedanslemondedesaffairesetdelahauteadministration.SarahetJuliese
caractérisent par une foi chrétienne tournée vers l’action. Sarah Monod, en
compagnie de sa mère, s’intéresse fort jeune à l’œuvre des prisons pour les
femmes deSaint-Lazare. La tâche nécessitedu courage : laprison Saint-Lazare
estréservéeauxprostituéesetauxfillesmineuresissuesdemilieuxpauvresqui
présententdestroublespsychiatriques.Ellecontinueàs’intéresserauxproblèmes
deladétentiondanslecadredelaSociétégénéraledesprisons,sociététoujours
activedenosjoursquiétudielesmoyensetprocéduresappliquéesauxdétenus
demanièreàobtenirlameilleureréinsertionpossible.Sarah,soucieused’étendre
le champ de ses activités de bienfaisance accepte les fonctions de co-directrice
desdiaconesses.Lesdiaconessesontuneanalogielointaineaveccertainsordres
religieux catholiques non contemplatifs. Leurs fonctions sont proches de celles
du diacre catholique. Elles prononcent des vœux pour cinq ans. Les sœurs
consacréesaunombredequelquesdizainesdirigentdesactivitésassuréespardes
bénévolesoudesemployés.Lechampdecesactivitéscomprendl’assistanceaux
plus démunis. Les activités de leur communauté sont orientées par un conseil
composé de personnalités éminentes réputées pour leur foi et leur rigueur
morale.Pendantlaguerrede1870Sarahorganiseavecles diaconessesdeParis
uneambulancefinancéeparlecomitéévangéliqueauxiliairedesecourspourles
soldats blessés et malades. Cette ambulance soigne, entre le 3 août 1870 et le
3 mars 1871, plus de 1 500 blessés. Après la défaite de Sedan, elle part en
Angleterrepourleverdesfondsetapprovisionnerdumatérieletmetsonéquipe
au service de l’armée de la Loire qui continue le combat sous les ordres de
Faidherbe.Quelquesmoisplustard,elleportesecoursàd’autresblessés:ceuxde
laCommunedeParis,sansdistinctiondecamp.
En1877ellerencontreJoséphineButler,femmedepasteuranglaisequilutte
contre les lois de son pays imposant des procédures de contrôle sanitaire
infamantesauxprostituées.
SarahMonods’associeàsoncombatencréant,enFrance,uneœuvrepourla
protectiondesjeunesfillesisolées.Cetorganismeintervientauprèsdesbureaux
deplacementpourleurpermettred’échapperàlaprostitutionfaceauxdifficultés
économiquesdelavie.
ÀlamêmepériodeJulieSiegefriedvientdesemarier.Elleconsacrel’argentde
sescadeauxdemariageàlafondationàMulhoused’unpetitétablissementpour
former les servantes et recevoir les domestiques sans emploi. Son idée est de
protégerlesjeunesfillesvenuesdelacampagnechercherdutravailenville.Julie
est appuyée par son époux, Jules Siegfried, qui est maire du Havre, ville où il
organise l’école primaire laïque dès 1878. Dans cette ville Julie découvre les
ravagesdel’alcoolismeetdécidedeluttercontrecefléauliéàlapauvreté.Avec
l’aide de son mari, elle s’efforce d’éradiquer les logements indignes du Havre
dans lesquels vivent bon nombre de familles d’ouvriers et d’artisans (Cahier-
images,Pl.XII,cf. LesExpulsés deF.Pelez).Ellecréedescentresd’assistanceet
deprotectiondesfemmesetdesenfantsetdesdispensaires.JulesSiegfriedestélu
députéen1885etlecouplevienthabiterParis.Julieseconsacreàuneœuvrede
secoursauxfemmesdescommunards,victimesdelaguerrecivilede1871.Avec
son aide, cette œuvre s’agrandit par la création de crèches, d’école, de
dispensairesmaisaussidansundomainepionnierceluidescoloniesdevacances.
Julie consacre aussi une part de son temps à une œuvre fondée par une
Américaine à Paris en faveur des « demoiselles de magasin », les nombreuses
vendeusessalariéesdestoutnouveauxgrandsmagasinsparisiens.L’œuvremetà
leurdispositiondeslieuxderéunionetunebibliothèqueetdispensedescours.
Julie prend la tête, en 1891, du journal bimensuel La Femme (fondé en 1879).
Soussadirectionletondecejournalévolueetpassedesconseilsmorauxàdes
revendications (en 1911) en faveur du suffrage des femmes. En 1889 lors de
l’ExpositionuniverselleàParis,deuxcongrèsféministessetiennent:lecongrès
deslaïcsréformistestenuparDeraismesetRicheretlecongrèsdesprotestants.
Julie et Sarah participent au congrès protestant qui se réunit autour de Jules
Simonpourmettreenlumièreletravaildesinstitutionsfémininesprotestantes.
Plus tard il est décidé de préparer un Congrès des œuvres et institutions
féminines pour l’Exposition universelle de 1900, sous le patronage du
gouvernement.Lescatholiquessollicitéesn’acceptentpasdeparticiperestimant
que la présence protestante est trop marquée. En 1900 se tiennent à nouveau
deuxcongrèsféministes:celuideslaïcsréformistesetceluidesprotestants.
Danscecontexteestfondéle ConseilNationaldesFemmesFrançaises(CNFF)
en 1901. Sarah Monod est élue présidente. Elle est épaulée dans sa tâche par
GhéniaAvrildeSainte-Croix,secrétairegénéraledumouvementde1901à1922.
En 1922,elle succède à JulieSiegfried à la présidence.En 1929, elle présideles
états généraux du féminisme réunis à Paris. Née en 1855 en Suisse, Ghénia,
orpheline à seize ans, part travailler comme gouvernante dans des familles de
diplomatesfrançais.Danslecadredesonmétier,elleparcourtdenombreuxpays
et parle plusieurs langues. Elle s’intéresse aux droits des femmes, quitte son
métierdegouvernantepourceluidejournalisteen1893.Elleréaliseuneenquête
surlesconditionsdeviedesprostituées.En1898elleserendàLondrespourun
congrèsabolitionnisteet,commeSarahMonoden 1877,yrencontreJoséphine
Butler, célèbre abolitionniste anglaise. Avec elle, elle lutte contre les règles
dégradantesdelaprostitutionréglementée(ditealors«Traitedesblanches»).En
1900, elle épouse François Avril. Elle publie un livre en 1907 Le Féminisme.
Remarquée par le personnel politique, elle est appelée à travailler avec la
commission Coulon-Chavagne (1905/1907) qui entreprend le remaniement du
CodeCivilausujetdel’incapacitéciviledesépouses.Pendantlaguerrede1914
Ghénia participe à diverses œuvres patriotiques : foyers-cantines pour les
femmestravaillantdanslesusinesdeguerre,officedesrenseignementspourles
famillesdisperséesparlaguerre.EllecréeavecJulieSiegfriedlaSectiond’Études
féminines(SEF)duMuséesocial.Jusqu’àlafindelaguerreGhéniatravailleau
seindelacommissionsurleTravailféminin,quiréunitdesinformationspourle
gouvernementsurletravaildesfemmesentempsdeguerre.
Le féminisme de l’époque est marqué par l’émergence d’un courant libéral
puissantanticlérical, quine devientsuffragiste qu’àla fin dusiècle. Fortde ses
deuxtendances,latendanceréformisteetlatendanceradicale,cecourantpeutse
définircommedoctrinaire.Ilprocèded’uneréflexionsurcequiestutilepourle
genreféminin,puiscréedesassociationspourrépandrelefruitdecetteréflexion.
Parallèlement à ce courant se développe un courant chrétien, lui-même
également scindé en courant protestant et courant catholique. Ils ont en
commun de ne pas être doctrinaires, mais pragmatiques. Les congrès qu’ils
tiennent rassemblent les œuvres de toute nature dont les participantes sont
susceptibles d’adhérer au courant féministe. Une différence fondamentale les
distingue. La population protestante, nourrie de la responsabilité individuelle
devant Dieu passe avec aisance de la réflexion à l’action. À l’inverse les
catholiques sontinhibés par la division entre laïqueset clercs et l’initiative des
laïques est soumise en permanence à l’approbation d’une hiérarchie cléricale
conservatrice.Cette dernière nedonne son approbation auxinitiatives que par
peurdelalaïcitérépublicaineet,parlasuite,parpeurducommunisme.
Maislesadhérentesdecesmouvementsquelsqu’ilssoientappartiennentaux
classessocialesfavorisées,delapetitebourgeoisiejusqu’àl’aristocratielibérale.Il
yaaussi desmanifestationsd’unféminismeissu desdiverscourantssocialistes
de l’époque. L’expression de ces courants est difficilement audible pour deux
raisons. Les courantssocialistes sont divisés et se livrent à de violentscombats
internes concomitants à la diffusion des idées de Marx et de Bakounine. Les
partisans de Marx prônent une société structurée et collectiviste. Ceux de
Bakounine veulent la destruction de l’État. Ces deux tendances travaillèrent
d’abord au sein d’une structure commune, l’Association internationale des
travailleurs(AIT).AussiappeléePremièreInternationale,ellefutfondéeen1864
à Londres. Son objectif premier est de coordonner le développement du
mouvementouvriernaissantdanslespayseuropéensrécemmentindustrialisés.
Des sections nationales sont créées en Suisse, Belgique, France, Allemagne et
Italie, Espagne, Pays-Bas, Autricheet aux États-Unis. En 1869, un débat divise
l’AIT entre partisans de Karl Marx, favorables à la gestion centralisée de
l’associationetàlacréationdepartispolitiques,etles«antiautoritaires»réunis
autourdel’anarchisteMikhaïlBakounine.
En 1871, la défaite de la Commune de Paris et la répression qui la suit
accentuentledébatetprovoquentlarupturedéfinitiveentrecesdeuxtendances.
La mouvance Bakounine est exclue par le congrès de La Haye en 1872. La
Première Internationale disparaît en 1876. Elle est prolongée, en 1889, par
l’Internationaleouvrière,d’oùsontexcluslescourantsanarchistes.
L’autreraisonaumanqued’audibilitéd’unféminismesocialisteestlapriorité
revendicative que le courant se donne. Dans l’esprit de ses adhérents, l’égalité
homme/femme socialiste comprend l’égalité des droits, l’égalité de
l’enseignement, le divorce par consentement mutuel et l’égalité des salaires à
travailégal.Parconséquent,le préalableà laconquêtedudroitdes femmesest
l’établissement d’une société socialiste. On est bien loin de l’empirisme du
courantlibéralquis’efforced’obtenircequiestpossibledanslecadrepolitique
del’époque.
DESFEMMESDANSUNCOURANTSOCIALISTE:
MADELEINEPELLETIERETGABRIELLEDUCHÊNE
Pourtant,malgrélecaractèreutopiquedel’entreprisequilesmenaàunsuccès
limité, deux femmes tentèrent de créer un courant socialiste marxiste ou
anarchisteduféminisme.
Le docteur Madeleine Pelletier (1874-1939) est une figure particulièrement
marquante. Issue d’un milieu pauvre, elle fréquente très jeune les milieux
anarchistes, puis reprend tardivement des études. Après avoir passé son
baccalauréatà22ans,elles’inscritenmédecineetobtientsondiplôme.En1901,
elleestinternesuppléanteàl’hôpitalpsychiatriquedeVillejuif.Sonimplication
personnelledansleféminismevaloin.Elles’afficheencostumemasculin,porte
unecanneet,poursedéfendredesagressions,porteunrevolveràlaceinture.Ses
cheveux sont coupés court. Elle refuse non seulement le mariage mais toute
relation sexuelle avec les hommes. En novembre 1902, elle veut s’inscrire au
concoursdesinternatsdesasilesmaiscelaluiestrefuséaumotifquececoncours
est réservé aux personnes jouissant de leurs droits politiques. Les femmes,
n’ayantpasledroitdevote,ensontdoncexclues.
MadeleinePelletier metalors tout enœuvre pourque cette règlesoit abolie.
Soutenueparlequotidienféminin LaFrondeetparlesmembresdujuryquila
connaissent,elleestfinalementautoriséeàpasserleconcoursen1903etprésente
sondoctoratavecsuccèslamêmeannée.Elleestlapremièrefemmediplôméeen
psychiatrie.
En 1906, elle accepte la présidence du groupe féministe socialiste « La
solidarité des femmes ». Elle adhère à la SFIO (Section Française de
l’Internationale Ouvrière de 1889). Mais ses idées sur l’avortement et la
suppression du mariage ne sont pas acceptées. Elle se rapproche alors des
anarchistesquipartagentsonnéo-malthusianisme,sesidéessurl’avortementet
sonantimilitarisme.Enjanvier1914,ellecommenceàpublierdesarticlesdans
Le Libertaire auquel elle collabore jusqu’au début de la guerre et auquel elle
revientde1919à1921.Elles’enthousiasmepourlaRévolutionrussede1917.En
1919, Lénine crée la Troisième internationale ouvrière ou Kominform. Au
congrèsde Tours de 1920,une partie des membresde la SFIO restefidèle à la
Seconde internationale, tandis que les autres se rallient au parti communiste,
émanationfrançaiseduKominformouTroisièmeinternationale.Elleadhèreàce
dernier. Elle entreprend alors un voyage en URSS et revient désappointée par
l’écartentre ce qu’elle avait imaginéet la réalité. Sesengagements politiques la
voient désormais naviguer entre les mouvements communistes et anarchistes.
Ses positions néo-malthusiennes lui valent des poursuites pour un avortement
présumé qui se solde par un non-lieu. Les séquelles d’un accident vasculaire
cérébral dont elle avait été victime avant la date des faits retiraient toute
vraisemblance à l’accusation portée contre elle. Les charges qui pèsent contre
ellessontabandonnées.Maissesaccusateursladéclarentdangereusepourelle-
même et pour autrui, et la font interner en asile psychiatrique, où sa santé
physique et mentale se détériore. Elle meurt d’un second accident vasculaire
cérébral,le29décembre1939.
Gabrielle Duchêne (1870-1954) peut, elle aussi, être considérée comme une
représentante du courant féministe socialiste. Elle a toutefois la particularité
d’être impliquée initialement dans le syndicalisme féminin et le pacifisme
féminin. Nous nous limitons ici à décrire ses engagements jusqu’à la Première
Guerremondiale.Parlasuite,danslapremièremoitiéduvingtièmesiècle, elle
est surtout une compagne de route du parti communiste français, largement
impliquée dans le fonctionnement des mouvements pacifistes inspirés par ce
dernier.
GabrielleDuchêneestnéedansunefamilleaisée.NéeLaforcade,elleestlafille
dujardinier enchef dela villedeParis. À22 anselle épouseAchille Duchêne,
architecte paysagiste de grande renommée qui dessina les jardins de divers
châteaux et monuments nationaux. Ses premiers combats féministes ont pour
cadrelemouvementsyndical. Lamisèreouvrièredel’époqueest immense.Les
femmestravaillentsouvent«enchambre».Isolées,ellesn’ontaucunemargede
négociationfaceàleursdonneursd’ordres.Gabrielles’impliqueprincipalement
surlesujetdelaprotectiondutravailféminin.Lalégislationquiréglementece
dernierestlacunaireetconcerneprincipalementlalimitationdutravailféminin
denuit (non applicableaux infirmières).Dans l’esprit del’époque, lesmesures
quel’onpourraitcroireinspiréesparlaphilanthropieontpourbutdeprotégerla
«reproductrice»plusquelafemmeelle-même.
L’une des amies de Gabrielle est Henriette Hoskier. Fille d’un banquier
protestant elle épouse le géographe Jean Brunhes. Henriette s’intéresse aux
« Consumer’sLeagues »américaineset àleurfonctionnement.Gabrielle deson
côté suit les actions menées par l’OIT (Office international du Travail) sur la
protectionsocialedestravailleurssalariés.En1908,ellecrée« L’Entraide»,une
coopérative qui produit des objets de lingerie et de couture, où elle fait se
syndiquertoutesleslingèresquiytravaillent.Gabrielleouvreaussiuneboutique
oùestvenduelaproductiondelacoopérative:lingedemaison,vêtements.Les
ouvrièrestravaillentsoitàdomicilesoitàl’atelier.Àlaveilledelaguerrede1914
« l’Entraide » emploie une soixantaine d’ouvrières. Henriette Brunhes, quant à
elleavaiteul’idéed’uneassociationconsuméristequiauraitdélivréunlabelaux
entreprisesquiauraientréponduàlafoisàdesnormesdequalitéetàdenormes
sociales.Lesdeuxamiesyvoyaientunmoyendepressionpourorienterleschoix
de la clientèle vers la production d’entreprises pratiquant une politique sociale
favorable aux travailleuses. Pour élargir le champ de son action, elle crée un
officefrançaisdutravailàdomicile,groupedepressionquiagitenfaveurdela
création d’une loi fixant un salaire horaire minimum pour les travailleuses à
domicile.Cetteloifutvotéeen1915etl’associationobtintledroitdepoursuivre
lesdonneursd’ordrequinerespecteraientpassonapplication.
Malgrélacomplémentaritéentre« l’Entraide»deGabrielleetl’associationde
labellisationd’Henriette,lesdeuxamiesfinirentparneplustravaillerensemble.
Entre1913et1915,GabrielleprésidelasectionTravaildu«Conseilnational
des femmes françaises ». Ce dernier est une association créée le 18 avril 1901,
affiliée au mouvement international dénommé « Conseil international des
femmes».Depuissacréationen1888parlessuffragistesaméricainesElizabeth
Cady Stanton et Susan B. Anthony, le CIF vise à unifier les organisations
nationalesdefemmespourpromouvoirlesdroitshumains,l’égalitédessexes,la
paix et l’implication des femmes au niveau international. Dans le cadre de cet
organismeréformiste,elletentedepromouvoirlanotion,toujoursd’actualité,«à
travailégal,salaireégal».
AVRIL1915,LECONGRÈSDELAHAYE
ETLESESPOIRSDESFEMMESPACIFISTES
En avril 1915, elle se rallie aux thèses du Congrès international des femmes
réuniàLaHaye,scissiondumouvementféministeCIF,quiréunitlesmilitantes
refusant de soutenir l’effort de guerre et appelle à une résolution pacifique du
conflit.LesFrançaisessontempêchéesparlesautoritésnationalesdes’yrendre.
ÀlasuiteducongrèsleComitéinternationaldesfemmespourlapaixpermanente
(CIFPP)estcréé.Enmai1915,Gabriellefondeetprésidelasectionfrançaisedu
CIFPP. Elle diffuse une brochure pacifiste qui lui vaut la perquisition de ses
locauxparlapolice.Membredugroupe,HélèneBrion,institutriceàPantinest
misesoussurveillancepolicière. Lapersistancedeses correspondancesavecles
milieuxpacifistesluivauten1917uneperquisitiondesonappartement,puisla
suspension sans traitement, puis l’internement à la prison St-Lazare. Elle est
jugée en conseil de guerre en mars 1918, sous l’accusation de défaitisme. Elle
plaidelacauseduféminismeetdéclare:
«Jecomparaisicicommeinculpéed’undélitpolitique.Orjesuisdépouillée
detousdroitspolitiques.Laloidevraitêtrelogiqueetignorermonexistence
lorsqu’ils’agitdesanctionsautantqu’ellel’ignorelorsqu’ils’agitdedroits.Je
protestecontresonillogisme».
Elleestcondamnéeàtroisansdeprisonavecsursisetàlarévocationdeson
poste.
FEMMESETCOURANTDELAÏCISATION
AUTOURDEL’ÉDUCATION.
LADÉTERMINATIONDEJULESFERRYETDECAMILLESÉE
Le travail intense des associations féministes de toutes tendances trouve un
appuiimportantducourantséparationnistequis’installeàl’Assemblée.Lalaïcité
estune idéequi continue àfaire sonchemin àpartir desnominations de Jules
Ferrycommeministredel’InstructionpubliqueetdesBeaux-Artsentre1879et
1883.Ilfaitpromulguerparlesgouvernementsauxquelsilappartientdesloisqui
organisentl’instruction obligatoireet gratuite. Ceslois s’appliquentà l’héritage
laissé par François Guizot, Alfred de Falloux, Victor Duruy. Guizot ministre
protestant épris des Lumières, au service de Louis-Philippe, oblige en 1833
chaquecommuneàsedoter,danslessixansquisuivent,d’unlocald’école.Ce
dernierdoitcomporterdeslocauxd’enseignementetdeslocauxaptesàlogerun
ou plusieurs instituteurs. Les familles, en échange de l’instruction de leurs
enfants participent à la rétribution mensuelle du ou des instituteurs : « Toute
commune est tenue, soit par elle-même, soit en se réunissant à une ou plusieurs
communesvoisines,d’entreteniraumoinsuneécoleprimaireélémentaire».
Lesinstituteurssontformésdanslesécolesnormales:«Toutdépartementsera
tenu d’entretenir une école normale primaire, soit par lui-même, soit en se
réunissant à un ou plusieurs départements voisins ». Il ne s’agit encore que de
formerdesinstituteursmasculins.Lesécolesnormalesdefemmessontcrééesà
partirde1844selonlebonvouloirdeséluslocaux.Cettedispositionnedevient
obligatoirequ’en1879.
La loi Guizot précise le contenu de l’enseignement : « L’instruction primaire
élémentairecomprendnécessairementl’instructionmoraleetreligieuse,lalecture,
l’écriture,lesélémentsdelalanguefrançaiseetducalcul,lesystèmelégaldespoids
etmesures».
LaloiFallouxde1850marqueunretourenforcedel’Églisecatholiquedansle
domainedel’enseignement.Aveccetteloi,l’enseignementprimaireestgérépar
les communes, les départements et l’État. L’enseignement privé, dit « libre »,
dont les établissements sont gérés par des particuliers, des associations ou des
congrégations est laissé à l’initiative de ces derniers. Les maîtres de
l’enseignementprimairesont formésdans desÉcolesnormales entretenuespar
les départements. Pour l’enseignement « libre », les congrégationistes peuvent
enseigners’ilssonttitulairesdubaccalauréat,ousontministresd’unculteouont
un certificat de pratique. Pour les religieuses une simple lettre d’obédience de
l’évêquesuffit.
Mieuxencore: lesévêquessiègent dedroitauconseil d’académie,l’écoleest
surveilléeparlecuréconjointementaveclemaire.Unsimplerapportdumaire
ouducurépeutpermettreàl’évêquedefairemuteruninstituteuràsaguise.Les
préfetspeuventrévoquerlesinstituteurs.LaloiFallouxfixeégalementl’objectif
d’uneécoleprimairedefillesdanschaquecommunedeplusde800habitants.
VictorDuruyestunprofesseurd’HistoireetGéographieagrégéetnormalien.
Louis-Napoléon l’apprécie pour son intelligence et sa largeur de vue bien qu’il
soitassezsouventendésaccordaveclesautresministresdesongouvernement.
Ilchercheàrenforcerl’enseignementsecondaireclassiquemisàmalaudébut
du Second Empire. Dès sa prise de fonctions, il rétablit ainsi l’agrégation et la
classedephilosophiequiavaientétésuppriméesen1852.
Ilsouhaiteadapterl’enseignementsecondaire,quidoitformerlescadresdela
nation,auxbouleversementsdelaRévolutionindustrielleduSecondEmpire.Il
créeàceteffetunenseignementsecondaireparticulierdestinéàdispenser«une
instruction appropriée aux besoins des industriels, des agriculteurs et des
négociants ». Sans enseignement du latin, il comporte un programme renforcé
dans des disciplines plus utilitaires comme l’économie, les langues vivantes, le
dessin industriel, la comptabilité… Soucieux également de promouvoir
l’enseignement féminin, il publie en 1867 une circulaire dans laquelle figure le
projet d’un enseignement secondaire à destination des jeunes filles. Cet
enseignementpublic,organiséparlesmunicipalitésapourobjetdefourniraux
jeunes filles une instruction différente de celle prodiguée dans les pensionnats
(religieux ou laïques). Il est pris en charge par les professeurs des différents
collèges et lycées pour garçons. Les programmes abordent notamment les
sciences sous leur aspect pratique et expérimental. Cette initiative soulève une
violenteoppositiondelapartdel’Églisecatholiqueetdesmilieuxcléricaux,qui
entraînesonéchec.
UnanavantqueJulesFerrynesoitnomméministredel’Instructiondansle
cabinet Waddington, Camille Sée, député élu sur une liste de la Gauche
Républicaine,reprenden1878l’idéed’unenseignementsecondairedestinéaux
jeunesfilles.
Il dépose le 28 octobre 1878 une proposition de loi sur l’enseignement
secondaire des jeunes filles, à une époque où celui-ci relève encore
majoritairement de l’Église. Ancien sous-préfet de l’arrondissement de Saint-
DenisdansledépartementdelaSeine,ils’étaitintéresséaufonctionnementdela
maisond’éducationdelaLégiond’honneur.Sonprojetdelois’inspiredumodèle
propre à cette institution napoléonienne ancienne de plus de 70 ans. Pour sa
proposition de loi, il s’inspire notamment de l’institution fondée en 1807 à
Écouen.NapoléonIerveutqu’uneéducationgénéralistesoitaccordéeauxjeunes
filles désargentées, filles de soldats ou filles de fonctionnaires pauvres dont les
pèresontétédistinguésdansl’ordredelaLégiond’Honneur.Lesuccèsdecette
premièremaisonamèneàenouvriruneautreàSaint-Denisdansl’anciencloître
del’abbaye,puisuneautreencoreestouverteàSaint-Germain-en-Layeaulieu-
dit Les Loges. Ce site reçoit les orphelines, filles de soldats ou officiers tombés
souslefeudel’ennemi.SouslaRestaurationcetteinstitutionperduresousune
forme remaniée. L’inspiration éducative reste dans l’esprit initial : il s’agit de
former des maîtresses de maison habiles mais aussi des hôtesses cultivées
capables d’animer un salon ou des réceptions. Le cursus est long, de l’âge de
6 ans, jusqu’à l’âge de 18 ans. La progression se fait par classe de niveau, en
s’inspirant des lycées, autre création napoléonienne. Le projet de loi sur
l’enseignementsecondairedesfilles,estcomplétéparunprojetdecréationd’une
« École normale de professeurs-femmes », l’école normale de Sèvres, qui doit
former les professeurs des lycées correspondants. Camille Sée argumente
également en citant les États-Unis : « Non seulement les États-Unis donnent
également l’instruction aux uns et aux autres, mais ils leur donnent la même
instruction, et la leur donnent en général dans le même établissement. La
“coéducation des sexes” est, aux États-Unis, l’éducation préférée ». Toutefois, la
propositiondeloideSéenefaitaucunementiondelacoéducation(c’est-à-dire
lamixité,sujettrèssensiblepourlaréactioncléricale),cequiluivautlesattaques
d’Hubertine Auclert qui critique également l’absence de matières utiles à
l’autonomieprofessionnelle.«Aussilongtempsquel’instructionneserapaspour
lafemmeunmoyenderessourcespécuniaires,lesparentsnesongerontpasàfaire
dessacrificespourinstruireleursfilles,maispourlesdoter».LerapportdePaul
BrocarelatifàlapropositiondeloiestpubliédansleJournalofficieldu19juillet
1880.Auxélectionssénatorialesde1879,untiersdessiègesdelaChambrehaute
ontétérenouvelésetlamajoritéabasculéenfaveurdesrépublicainsàlasuitede
cerenouvellement.LapropositiondeloideCamilleSéeestadoptéeàlaChambre
etauSénat.JulesGrévysigneletextequientreenapplicationendécembre1880.
Laloiannexecréantl’ÉcolenormaledeSèvresestadoptéeenjuillet1881.
Avant de quitter Camille Sée et son projet, réussi, de loi sur l’enseignement
secondaireféminin,honoronsànouveausamémoireenrelevantleprojetdeloi
qu’il avaitrédigé en vue de donneraux femmes la totalitédes droits civils que
possèdentleshommes.Malheureusement,cedernierneparvientpasàfranchir
laChambrepuisleSénat.Ilfautattendre1938pourquelesfemmesacquièrent
lesdroitscivils.Pasdansleurtotalitétoutefois.Cen’estqu’en1965,parexemple,
qu’ellespeuventexerceruneprofessionsansl’avisdeleurmari.
Nommé depuis peu de temps ministre de l’Instruction publique, Jules Ferry
dépose à la Chambre le 15 mars 1879, jour anniversaire de la loi Falloux, un
projetde loiencadrant laliberté del’enseignementsupérieur. Cetexte s’inscrit
dansleprogrammedunouveauministre:soustrairel’enseignementàlatutelle
del’Église.Sanécessitéestapparueàlasuitedelaviolentecampagnedepresse
provoquéeparunecirculairede1878duconseilmunicipaldeParisautorisantla
laïcisationdesécolescongréganistesparisiennes.
PourlesRépublicainsquisoutiennentJulesFerry,ledépôtdeceprojetdeloi
est la conséquence du long conflit qui, depuis 1870, oppose l’opinion
républicaine et ce qu’ils appellent « la contre-révolution » et dont le point
d’orguefutlacrisedu16mai1877.Cettecriseestliéeàlalecturedifférentedela
constitution que font le président de la république, Mac Mahon et la majorité
républicaine de la Chambre. Elle se solde en 1879, après dissolution de la
chambre et des élections qui augmentent la représentation républicaine à la
Chambre,puislaconquêteduSénat,àladémissiondeMacMahon.JulesGrévy
leremplaceàlatêtedel’État.
Ceprojetdeloicomportedeuxvolets:lasuppressiondegarantiesaccordées
par la loi de 1875 aux établissements libres de l’enseignement supérieur et
l’interdictiond’exercicedel’enseignementauxmembresdescongrégationsnon
autorisées. Dans la première série de mesures, figure le retrait de la collation
(comprendre validation) des grades décernés par des jurys composés de
professeursd’écoleslibres etpubliques. Seulsles juryscomposésexclusivement
de professeurs des écoles publiques sont en mesure de le faire. Apparaît
égalementl’obligation pour lesétudiants de prendreleurs inscriptionsdans les
établissementspublicsetlagratuitédecelles-ci.Lesétablissementsdel’Étatseuls
peuventportentlesnomsdefacultéetd’université.L’articleleplusimportantest
l’article 7 : l’interdiction d’enseigner aux personnes n’appartenant pas à une
congrégationagrééeenFrance.Cettedernièredispositionestune«machinede
guerre » redoutable contre l’Église. Elle est susceptible de permettre, après
l’interdictionde certainescongrégations, defaire disparaîtredes établissements
d’enseignementconfessionnels.
Déposé le 15 mars 1879 le projet a Jules Simon pour rapporteur. Le texte,
amputédel’article7,estadoptéparlaChambre.LeSénatl’adopteen1880.
L’œuvre de Jules Ferry se traduit par une structuration de l’ensemble de
l’enseignement, du primaire au supérieur. Elle définit par ailleurs la laïcité de
cette instruction,ainsi que sa gratuité.Notons ci-dessous la listedes textes qui
ontétévotéssoussonautoritédeministredel’Instructionpublique:
– La loi du 16 juin 1881 établissant la gratuité absolue de l’enseignement
primairedanslesécolespubliques.
– Laloidu28mars1882surl’enseignementprimaireobligatoire.
– La loi du 9 août 1879 relative à l’établissement des écoles normales
primaires.
– Laloidu18mars1880relativeàlalibertédel’enseignementsupérieur.
– La loi du 27 février 1880 relative au Conseil supérieur de l’instruction
publiqueetauxconseilsacadémiques.
– Laloidu21décembre1880surl’enseignementsecondairedesjeunesfilles,
quicréeleslycéesdejeunesfilles.Cetteloiaétéproposéeparledéputéde
Saint-DenisCamilleSée.
– La deuxième loi du 16 juin 1881, relative aux titres de capacité de
l’enseignementprimaire,quidéfinitlesexigencesdediplômesettitrespour
l’exercicedesfonctionsd’instituteuretdedirectricedesalled’asile.
– La loi Goblet du 30 octobre 1886, du nom du ministre de l’Instruction
publique qui succéda à Ferry complète cet ensemble en limitant à un
personnelexclusivementlaïcl’enseignementdanslesécolespubliques.Les
instituteurs congrégationistes ne sont plus admis dans l’enseignement
public.
LesloisFerryredéfinissentenprofondeurledroitdel’éducationenFrance,et
modifientlaloiFallouxdu15mars1850quirégissaitjusque-làcettematière.On
remarque l’habileté du dispositif. Aucune disposition ne vise la propriété des
établissements d’enseignement, pas plus que leur administration ni leur
financement. Par contre, la formation des enseignants, leur appartenance
idéologique et le contenu des enseignements qu’ils doivent dispenser sont
étroitementréglementés.TouslesjeunesFrançaisesetFrançaisreçoiventdansce
cadreune formationrespectueuse desvaleurs dela République,quelle quesoit
l’appartenancereligieuseouidéologiquedeleursfamilles.Cesrègles,malgréleur
sévérité, n’ont pas été des obstacles au développement d’établissements privés
d’excellence, surtout quand ces derniers respectaient une totale neutralité
confessionnelle.
La réussite de l’initiative de Mathilde Salomon en administre pleinement la
preuve.NéeàPhalsbourgen1837,elles’établitàParisen1856contrel’avisde
ses parentspour chercher dutravail. Elle estdiplômée d’un brevetélémentaire
d’enseignement. Elle donne des cours dans des institutions privées pour des
jeunes filles de la bourgeoisie. Tout en travaillant, elle complète ses études et
passe le brevet supérieur d’enseignement. Michel Bréal et Frédéric Passy,
respectivement membre du Collège de France et membre de l’Institut avaient
créé,quelquesannéesavantlesloisFerry,lecollègeSévigné.En1883,ilsconfient
àMathildeSalomon,âgéealorsde46ans,ladirectionducollège.Elledevintpeu
à peu la figure tutélaire de l’établissement. Ce dernier se finançait à partir de
donsprivés,del’aideaccordéeparleministèredel’Instructionpubliqueetparle
Conseil municipalde Paris, ainsi que par la contributiondes familles aux frais
d’enseignement. L’équilibre financier de l’établissement est précaire jusqu’en
1903oùilestassurégrâceàl’accroissementdunombredesélèves.
Directricedel’écolejusqu’àsamort,ellesiègeauCSIP(ConseilSupérieurde
l’InstructionPublique)de1892à1909.Ellefitpartiedesmembresfondateursde
laLDH(LiguedesDroitsdel’Homme)del’avocatLudovicTrarieuxquidéfendit
Dreyfus. Mathilde Salomon fut décorée de la légion d’Honneur en 1900,
distinctionrarepourunefemmeàcetteépoque.
– En1905elledécidaquelecollègepréparaitdésormaisaubaccalauréatlatin-
languesetnonpluslebaccalauréat«réduit»réservéauxfemmes.
– À partir de 1910 toutes les sections de Bac sont préparées à Sévigné avec
succès.
– Sévigné ouvrit ensuite des préparations aux grandes écoles et aux
agrégations.
Parmi les anciennes élèves, Marie Landry (Bac 1911) est première Femme
médecin,chefdecliniquedeshôpitaux.MadeleineChaumontaprèsleBacesten
1919lapremièrefemmereçueàl’ENSUlmensectionsciences.
DES«SALLESD’ASILE»AUXPREMIÈRESÉCOLESMATERNELLESPUBLIQUES.LES
INNOVATIONS
DEMARIEPAPE-CARPANTIER,PÉDAGOGUE
OnauraremarquéquelasecondeloiJulesFerrydu16juin1881relativeaux
titresdecapacitédel’enseignementprimaire,mentionnelafonctiondedirectrice
de salle d’asile. L’apparition de ce type d’établissement est liée à la Révolution
industrielle et au nombre croissant de femmes qui exercent une profession
salariée.Le salariatdesdeux parentsestune difficulténouvelle pourlesclasses
pauvres et moyennes inférieures. Au début de ce phénomène, les mères de
familleconfiaientleursenfantsenbasâgeàdesvoisinesquielles,netravaillaient
pas. Cette ressource disparaît progressivement avec l’extension des emplois
industrielsféminins.Lagardedesenfantsseprofessionnaliseaudébutdusiècle
avec l’apparition de ces institutions appelées salles d’asiles qui accueillent les
enfants de 2 ans à 6 ans. Ce sont les ancêtres des actuels jardins d’enfants et
écolesmaternelles(Cahier-images,Pl.XI,Granet).
Initiatricedelarefontedufonctionnementdecesétablissements,MariePape-
Carpantier naît en 1815 à La Flèche dans la Sarthe. Orpheline de père, elle est
élevéeparsamère,quipeineàsubvenirauxbesoinsdesestroisenfants,avecles
revenusdesonactivitédelingère.Marieestconfiéeàsagrand-mèreetnerevient
àLaFlèchequ’àl’âgedequatreans.Elleyconnaîtunescolaritédifficile,qu’elle
abandonne à l’âge de onze ans pour travailler auprès de sa mère. Elle devient
repasseusepuisgantière.
En 1833, la loi oblige chaque commune à créer une école primaire et des
« salles d’asile » destinées aux enfants de deux à six ans. L’année suivante, la
création d’un établissement à La Flèche est confiée à la mère de Marie. Cette
dernièreparticipeàl’encadrementdesenfantssoumisàunprogrammeéducatif
reposantsurdestempsdeprière,d’instructionetdetravauxmanuels.En1834,
Marie Carpantier remplace sa mère à la tête de la salle d’asile et encadre une
centained’enfants.Elleseconsacreàleuréducationetlesfamillesapprécientsa
contribution au bien-être et à l’éveil des enfants. Il existe un manuel officiel
d’organisationdessallesd’asilequipréconiselaméthoded’éducationapplicable.
Mais Marie, très attachée à l’expérimentation et à la « leçon de choses », ne
l’approuveninel’applique.En1842,elleestnomméedirectricedelaprincipale
salled’asileduMans,oùelleofficiependantcinqans(Cahier-images,Pl.IX).
En1846,MarieCarpantierpublieunouvrageintituléConseilssurladirection
dessallesd’asile.Elleécrit,parlasuite,d’autresouvragespédagogiquesainsique
des livres pour enfants et de la poésie. En 1848, elle devient directrice de la
« maison d’études » qui forme les enseignants et l’installe à Paris, rue des
Ursulines (Ve) avec l’appui moral et financier d’Émilie Mallet. En 1849 elle
épouseLéonPapeàParis,lecoupleeutdeuxfilles.SousleSecondEmpire,elle
est inspectrice des salles d’asile placées sous la protection de l’impératrice
Eugénie.En1861,MariePape-Carpantierformelesenseignantes,qui,selonles
principesexposésdanssonouvrage,devrontseconsacreràl’éveildel’espritdes
enfantsplusqu’àlatransmissiondeconnaissances.Militantpourl’éducationdes
filles,elleécritdesarticlessurlaquestiondesdroitsdesfemmes,expliquantqu’il
s’agit d’« une question de justice et de bien-être, intéressant la société et
l’humanité».
En 1867, lors de l’Exposition universelle à Paris, le ministre de l’Instruction
publique Victor Duruy, a lancé une souscription pour faire venir à Paris des
instituteurs de divers départements qui visiteront les bâtiments de l’exposition
pendant l’été. Marie Pape-Carpantier est alors sollicitée pour présenter dans
l’enceinte de la Sorbonne plusieurs conférences pédagogiques et expliquer ses
méthodesdetravailàcetauditoired’enseignants.
C’estlapremièrefoisqu’unetelleresponsabilitéestconfiéeàuneenseignante.
Marie remporte un franc succès lorsqu’elle présente son matériel pédagogique
adaptéaux jeunesélèves, ellemet l’accentsur lacuriosité pourles sciencespar
l’observationpratique.Elleévoqueaussil’utilitédesjeuxcollectifs,sansoublierla
pratiquedudessin.
MariecontinueparlasuitelaformationdesinstitutricesruedesUrsulines.Les
temps de distraction sont consacrés au théâtre, à la musique, au chant, à la
récitation de poèmes… Marie continue ses publications pédagogiques dans la
revue L’Ami de l’enfance et la parution de l’un de ses ouvrages lui attire les
félicitationsdeVictorHugo.
Lors de la présidence de Mac-Mahon en 1874, sous le ministère Cumont,
Marie est dépossédée de sa fonction d’enseignante à la suite d’une cabale
diffamatoire menée par quelques personnalités proches des autorités
ecclésiastiques. Elle se trouve sans ressources, quelques mois plus tard elle est
réhabilitée et nommée « déléguée générale en activité dans les écoles
maternelles». Elle continue à travailler surses projets de jeux éducatifsqu’elle
espèreprésenteràl’Expositionuniversellede1878.Maisellemeurtd’épuisement
avantlafindel’année.
L’action de Marie Pape-Carpantier fut amplifiée par Pauline Reclus-
Kergomard. Issue de la famille protestante des Reclus, elle passe deux années,
entre13et15ans,chezsononcle,JacquesReclus,pasteurdutempleprotestant
d’Orthez, et sa tante Zéline Trigant-Marquey, qui tient une école. Elle est la
cousinegermainedugéographeÉliséeReclus.Elledevientinstitutriceà18ans.
En 1861, elle s’installe à Paris et épouse, en 1863, Jules Duplessis-Kergomard,
dontelleafaitlaconnaissancedanslesmilieuxrépublicains.Elletientuneécole
privéeetdevientladirectricedeL’Amidel’enfance,revuepourlessallesd’asile.
Inspirée par Marie Pape-Carpantier, Pauline Kergomard est à l’origine de la
transformation des salles d’asile, établissements à vocation essentiellement
sociale,enécolesmaternelles,destinéesàpréparerlesenfantsàleurentréedans
lesystèmescolaire.Lejeu,lesactivitésartistiquesetsportivessontinclusdansla
pédagogie.Enprémissesà lascolarisation,leprogrammede travaildesenfants
comporteuneinitiationàlalecture,àl’écritureetaucalcul,sanspourautantque
les maternelles deviennent des lieux d’instruction à part entière. Leur objectif
affichéestdefavoriserle«développementnaturel»del’enfant.
Elledevienten1879déléguéegénéraleàl’inspectiondessallesd’asile.En1881,
Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, la nomme
inspectrice générale des écoles maternelles. Elle fait inclure le jeu dans les
programmes de travail du jeune enfant et réclame un mobilier adapté à leur
taille,idéequifutrepriseplustardparMariaMontessorienItalie.
Pauline Kergomard est une femme de terrain. Elle parcourt toute la France.
Inspections, conférences, rapports avec les pouvoirs publics, régionaux ou
nationaux,initiativesdiversescontrelamisèredesenfantsetpourlapromotion
desfemmesfontpartiedesonquotidien.
Ellecréeen1887l’Unionfrançaisepourlesauvetagedel’enfancequivienten
aideauxenfantsetadolescentsensouffrance.
L’action législative de Jules Ferry et sa mise en œuvre par des enseignants
acquisàla causedela républiqueontrefondé l’enseignementenFrance.Elle a
garanti la progression des valeurs républicaines chez les jeunes générations et
durablementmisenplacelesconditionsd’uneplusgrandeégalitéentrelessexes.
Maiscetterestructurationdel’enseignement,pourpasserdanslesfaits,doitse
concrétiser par une refonte de l’existant. Le monde réel de l’éducation est
majoritairementsouslecontrôledescongrégationsreligieusesenseignantes.
Quelques mots sur les congrégations permettront de mieux comprendre les
mesuresprisesparlesgouvernementsrépublicainsjusqu’àlaguerrede1914.Les
clercs de l’Église sont organisés de longue date en deux groupes distincts : le
clergé régulier et le clergé séculier. Ce dernier est en contact avec le « siècle »,
c’est-à-direaveclapopulation.Ilassurelefonctionnementdelaprédication,du
culteauseindesétablissementsréservésàceteffet,églises,cathédrales,chapelles,
etc.Sousl’AncienRégime,leclergéséculierassuraitaussilatenuedesregistres
d’état civil. Il est hiérarchisé, les prêtres rendant compte à leurs évêques eux-
mêmes placés sous le contrôle des cardinaux qui rendent compte au Pape à
Rome. Ces derniers, cardinaux et évêques doivent agir en concertation avec le
pouvoirpolitiquedupaysd’exerciceetsontcensésrespecterlesorientationsdu
pouvoir en place. En France le pouvoir exerce un droit de regard sur les
nominations des hiérarques de l’Église, ce qui est désigné sous le nom de
gallicanisme.Lescongrégations(ordresreligieux)sontconstituéesdelaïquesou
declercs qui prononcentdes vœuxet suiventla règle dela congrégationqu’ils
ontchoisie.Ellesontencommunqueleurrèglecomprendl’exercicedelaprière
individuelleet collectiveet une activitécharitable quipeut êtrel’assistance aux
malades ou l’éducation des enfants ou des adolescents. Localement, les
congrégations répondent à un supérieur. Ce dernier prend directement ses
instructionsauprèsduresponsablemondialquinerenddescomptesqu’auPape.
La congrégation enseignante par excellence est l’ordre des Jésuites. Leur
indépendance vis-à-vis du pouvoir politique du pays dans lequel ils sont
implantésfaitd’euxlesplusanciennesvictimesdecedernier.SousLouisXV,en
1763, les Jésuites ont à subir les attaques des jansénistes, des gallicans et des
parlementaires,puisdel’athéismedesphilosophes:ilssontinterditsetbannisde
France.Leursdeuxcentscollègessontfermés,pardécretroyal.
SouslaTroisièmeRépublique,lemouvementanticlérical,est,dansunpremier
temps, assez tolérant envers le clergé séculier. Vis-à-vis des congrégations
enseignantes,ilmèneunepolitiqued’élimination.
En mars 1880, un décret est signé par le ministère de Freycinet, dans lequel
JulesFerry,estministredel’Instructionpublique,décretquiexpulsedenouveau
les Jésuites de France et d’autre part impose aux autres congrégations
enseignantesnonautoriséesdesesoumettreàuneprocédured’autorisationdans
undélaidetroismois,souspeined’interdiction.La plupartayantdécidé dene
pasdemanderl’autorisationparsolidaritéaveclesjésuites,àl’issuedudélai,les
congrégations visées (bénédictins, capucins, carmes, franciscains,
assomptionnistes…)deviennentexpulsables.
La loi du 1er juillet 1901 sur les associations soumet cette fois toutes les
congrégationsàunrégimed’exceptiondécritautitreIIIdelaloi:
«Lescongrégationsexistantesaumomentdelapromulgationdelaprésente
loi,quin’auraient pasétéantérieurementautorisées oureconnues,devront,
dansledélaidetroismois,justifierqu’ellesontfaitlesdiligencesnécessaires
pourseconformeràsesprescriptions.
Àdéfautdecettejustification,ellessontréputéesdissoutesdepleindroit.Ilen
serademêmedescongrégationsauxquellesl’autorisationauraétérefusée.
Laliquidationdeleursbiensauralieuenjustice.Letribunal,àlarequêtedu
ministèrepublic,nommera,pouryprocéder,unliquidateurquiaurapendant
toute la durée de la liquidation tous les pouvoirs d’un administrateur
séquestre.»
Le Vatican condamne la loi, mais laisse aux congrégations la liberté de
demander leur autorisation. La plupart d’entre elles déposent une demande
d’autorisation.Cependant,lavictoireduBlocdesGauches(radicaux,socialistes
etsocialistesguesdistes)auxélectionslégislativesdemai1902porteaupouvoir
ungouvernementdirigéparÉmileCombes,unfaroucheanticlérical.
Auprintemps1903,CombestransmetàlaChambreetauSénatlesdossiersde
près de 2 000 établissements appartenant à des congrégations féminines et
masculines.Lesétablissementsd’enseignementreprésentent80%desdemandes.
Elles sont toutes refusées. Seules échappent au couperet des congrégations à
vocationhospitalière,àvocationmissionnaire,oucontemplative.
La Chambre comme le Sénat valident les préconisations de Combes. Les
congrégationsnonautoriséessontexpulséesàpartird’avril1903.
Les derniers vestiges de l’enseignement confessionnel assuré par des
congrégationsenseignantesautoriséessontéliminéspar laloidu7 juillet1904,
dontl’article1er prévoit:
«L’enseignementdetoutordreetdetoutenatureestinterditenFranceaux
congrégations. Les congrégations autorisées à titre de congrégations
exclusivementenseignantesserontsuppriméesdansundélaimaximumdedix
ans. Il en sera de même des congrégations et des établissements qui, bien
qu’autorisésenvuedeplusieursobjets,étaient,enfait,exclusivementvouésà
l’enseignement à la date du 1 er janvier 1903. Les congrégations qui ont été
autorisées et celles qui demandent à l’être, à la fois pour l’enseignement et
pourd’autresobjets,neconserventlebénéficedecetteautorisationoudecette
instance d’autorisation que pour les services étrangers à l’enseignement
prévusparleursstatuts.»
Des dizaines de milliers de religieux qui avaient fait de l’instruction leur
terrain d’action privilégié se trouvaient interdits d’exercer leur profession et
confrontés au choix entre reconversion, abandon de l’état régulier, et exil.
Certains se sécularisent, à l’appel des évêques, pour assurer la survie de leur
œuvre, mais beaucoup choisissent la fidélité à leur vocation et donc l’exil, de
préférenceleplusprèspossibledelaFrance,dansl’espoird’unretourpossible.
L’applicationdecetteloidonnelieuàdenombreuxincidents,danslesrégions
lespluscatholiques(l’OuestdelaFrance,unepartieduMassifcentral).
Une nouvelle étape est franchie en mars 1904 : toutes les demandes
d’autorisation des congrégations masculines sont rejetées. En juillet 1903, les
congrégations féminines avaient subi le même sort. Ceci provoque des
désaccords au sein même de la majorité républicaine, Waldeck-Rousseau
reprochant même à Combes d’avoir transformé une loi de contrôle en
instrumentd’exclusion.Defait,religieuxetreligieusessontexpulsésdeFrance.
Ceux qui résistent en prétendant au droit de rester dans leurs couvents sont
expulsés manu militari,tels leschartreux,que desgendarmes viennenttirerde
leur retraite pourappliquer la loi d’interdiction. C’est ainsi que des milliers de
religieuxtrouvent refuge dansdes terresplus hospitalières :Belgique, Espagne,
Royaume-Uni…
ENJEUXAUTOURDESCONGRÉGATIONSÉDUCATIVES
ETPRÉPARATIONDELALOIDE1905
RELATIVEÀLASÉPARATIONDEL’ÉTATETDESÉGLISES
En fait, en 1902, huit propositions de lois avaient été déposées, et Émile
Combes, pour étouffer ces tentatives, crée le 11 mars 1904 une commission
chargée d’examiner ces propositions et de rédiger un projet de loi. Sourd aux
critiquesémanant de la droite,indifférent aux appelsradicaux de Clemenceau,
quiréclamelasuppressionpureetsimpledescongrégations,considéréescomme
prolongementsdu«gouvernementromain»enFrance,ÉmileCombesinterdit
l’enseignementauxcongrégationsparlaloidu7juillet1904etleurenlèveainsi
également la possibilité de prêcher, de commercer, étant entendu que les
congrégationsenseignantesdoiventdisparaîtresousundélaidedixans.Combes
prépareainsiunelaïcisationcomplètedel’éducation.
Cependant,ilhésiteàs’engagerfermementpourlaséparationdesÉglisesetde
l’État:eneffet,lesrelationsentrel’Églisecatholiqueetl’Étatsonttoujoursrégies
en1904parleConcordatsignéentreNapoléonBonaparteetlepapePieVIIun
siècleplustôt,etlesarticlesorganiquespermettentnotammentaugouvernement
de contrôler le clergé français en proposant les nominations d’évêques et en
salariantlespersonnelsduclergéséculier.Combescraintdeperdrececontrôle
surl’Égliseens’engageantpourlaséparation,maislasuitedesévénementsnelui
laisseguèred’autresolution:
– D’une part,en juin 1903, une majorité dedéputés décide qu’il y a lieude
débattred’uneéventuelleséparationetconstitueunecommissionprésidée
parFernandBuisson.AristideBriandenestlerapporteur.
– D’autrepart,lepapeLéonXIIImeurtenjuillet1903.Sonsuccesseur,PieX,
estréputépoursarigidité.
La publication des lois sur l’enseignement entraîne la rupture entre le
gouvernement français et la papauté. La visite du président de la République
ÉmileLoubetauroid’ItalieVictor-EmmanuelIII,dontlegrand-pèreaannexéla
villedeRome,estlagoutted’eauquifaitdéborderlevase:leVaticanenvoiedes
lettres de protestation antifrançaises aux chancelleries européennes. La fin des
relationsentrelaRépubliqueetlapapautérendlerégimeconcordatairecaducet
la séparation entre dans les faits. Combes déstabilisé par le scandale dit de
«l’affairedesfiches»démissionne.Sonsuccesseur,MauriceRouvier,parachève
laséparationenpromulguantlaloipréparéeparlacommissionBuisson-Briand.
Letexterédigéparlacommissionestlefruitd’uncompromisentreuncourant
ultra-laïquequiveutdétruirel’Égliseeninterdisantleculteetenladépossédant
des biens meubles et immeubles dont elle était détentrice, et un courant plus
modéré qui souhaite une égalité de traitement entre les différentes religions
pratiquéesenFranceetlasuppressiondespressionsexercéesparlesreligionssur
lasphèrepolitique.BriandetBuissoncomprennentqu’uneloideconciliationest
nécessaire pour éviter un affrontement désastreux. Aristide Briand lors de la
présentationduprojetdevantlaChambreparvientàconvaincreunepartiedela
droitecatholique que cette loin’est pas une loide persécution del’Église, sans
toutefois se montrer trop conciliant aux yeux d’une gauche radicale ou d’une
extrême gauche qui voudrait éradiquer le « bloc romain ». La phase la plus
difficilefut la discussionde l’article 4,l’article qui définità qui reviendront les
biensmobiliersetimmobiliersdel’Église.
Lescatholiquescraignentquel’Étatneveuilledisloquerl’Égliseetprovoquer
un schisme en imposant au clergé une « constitution civile du clergé ». Les
républicains refusent que le Vatican garde le choix des associations cultuelles
(crééesparlaloide1901)aptesàbénéficierdeladévolutiondesbiensdel’Église,
associationsquipourraientêtreinstalléesàl’étranger.AristideBriandacceptede
revoir quelques dispositions de l’article 4. Le 20 avril 1905, il déclare à la
Chambre:«Nousn’avonsjamaiseulapenséed’arracheràl’Églisecatholiqueson
patrimoinepourl’offrirenprimeauschisme;ceseraitlàunactededéloyautéqui
restetrèsloindenotrepensée.»
L’article 6 concernant l’autorité en mesure de trancher le débat entre
associations cultuelles candidates à la dévolution d’un même bien désigne le
Conseil d’État réputé plus proche de la ligne politique de l’État plutôt que les
tribunauxcivilsdonnantainsisatisfactionauxanticléricaux.Laloifutvotéeàla
Chambreen juillet 1905et au Sénaten décembre1905. Elle metfin au régime
concordatairefrançaisde1801.Inventantlalaïcitéàlafrançaise,elleproclamela
libertéde conscience, garantitle libreexercice descultes et posele principe de
séparation des Églises et de l’État. Le Vatican prononce en 1908
l’excommunicationdesdéputésetsénateursayantvotélaloi.
Grâceauxrevendicationsdesassociationsféministesetauxrépublicainslaïcs
modérés ou radicaux, les femmes voient s’ouvrir devant elles l’accès au savoir.
Les lois leur sont favorables, cependant les premières générations d’étudiantes
qui veulent poursuivre leurs études à l’université sont en butte à la misogynie
ordinaire desprofesseurs et des étudiants.La grande anthropologue Alexandra
David-Néel, spécialiste du Tibet, relate dans ses souvenirs d’étudiante à la
Sorbonne, que les rares filles subissaient des agressions verbales et parfois
physiques.Unjeudeleurscondisciplesmasculinsétudiantsconsistaitàpousser
lesétudiantesdanslesgradinspourleurfairedévalerl’amphithéâtresurledos,
ou de bourrer de coups de pied dans le dos l’étudiante assise devant eux. Ces
comportements imbéciles ne peuvent pas être attribués uniquement à
l’immaturité des étudiants. Une part importante du corps universitaire est
gangrenéeparunmachismeviolentdontMarieCuriefutlavictime.
Marie Slodowska arrive de Pologne en 1891. Elle vient en France pour
continuersesétudesdePhysique,activitéquiestréservéeauxhommesdansson
paysd’origine. À cetteépoque lafaculté dessciences dela Sorbonne comporte
1825étudiantsparmilesquelsiln’yaque23étudiantes.MarierencontrePierre
Curieetvatravailleràsescôtésdanssonlaboratoirederecherche.Ellel’épouse
quelques années après. En 1903 les époux Curie conjointement avec Henri
Becquerel reçoivent le prix Nobel de Physique. Marie Curie affronte après la
mort accidentelle de son mari en avril 1906, un deuil dont elle se remet
difficilement, elle élève seule ses deux filles. Plusieurs années après ce tragique
évènement,ellerencontrelephysicienLangevin,professeuraucollègedeFrance.
Lorsqu’elle reçoit son deuxième prix Nobel en 1911, la presse nationaliste lui
prêteuneliaisonavecLangevin,lui-mêmeeninstancededivorce.Lacampagne
de presse est d’une telle violence que le ministre de l’Instruction publique en
vient àsouhaiter que Marie Curie retourneen Pologne. Le comitéNobel subit
des pressions politiques telles qu’il suggère à la scientifique de ne pas venir
chercher son prix. La misogynie d’une partie des milieux scientifiques est telle
quel’attributionduprixNobelàunefemmeleurestinsupportable.
DESRÉFORMESAUTOURDEL’ENSEIGNEMENTARTISTIQUEETDEL’ACCÈSDES
FEMMES
La réforme de l’enseignement français, sa laïcisation et son ouverture aux
femmes ont remanié en profondeur la société française. Dans le même temps,
bien que de manière plus discrète l’enseignement artistique recevait aussi
l’empreintedel’époque.
Fondéen1816,l’InstitutdeFrancequioccupelesbâtimentsduquaiConti,est
divisé en trois sections. L’une d’entre elles, l’Académie des beaux-arts, a pour
mission la préservation et l’illustration du patrimoine artistique de la France,
ainsiquesondéveloppement,danslerespectdupluralismedesexpressions.Elle
veilleàla sensibilisationauxartsdans l’enseignementgénéral etàla qualitéde
l’enseignementdanslesécolesspécialiséesquidépendentdel’État.
Laréformedecetenseignementdatede1863.Elleestpréparée,endehorsde
l’Académie par un groupe de réformateurs mené par Prosper Mérimée et
l’architecte Eugène Viollet-le-Duc. Cette réforme a pour but de libérer les
disciplines peinture,sculpture, gravure, architecturedes directives données par
l’Académie des Beaux-arts. Depuis la Révolution, l’École des Beaux-Arts n’est
plus,juridiquement,liéeàl’Académie.Cependant,lesétudesyrestentencore,au
XIXesiècle,fortementdépendantesdel’organisationetdujugementduconcours
pour le Prix de Rome par cette dernière, l’École jouant pour ainsi dire le rôle
d’une classe préparatoire au concours. Le recrutement des professeurs par
cooptation profite quasi-exclusivement aux académiciens. L’enseignement à
l’École, jusqu’à sa réforme de 1863, reste cantonné au seul dessin assorti
d’éléments d’Histoire antique : événements historiques de l’Antiquité, biblique
oumythologique.Lesséancesdedessind’aprèslenaturel–lemodèlevivant–ou
d’aprèslabosse–leplâtreantique–sont,enoutre,complétéesparuncoursde
perspective, par un cours de géométrie et un cours d’anatomie. Là se limitait
l’enseignementquedispensel’École.Ledessinenestlabaseetlafin.
Les locaux actuels de l’École des Beaux-Arts de Paris sont le résultat de
l’ordonnance du 21 mars 1816 faisant suite à la création de l’Académie des
Beaux-arts. De 1870 à 1903, l’institution s’appelle « École nationale et spéciale
des Beaux-Arts ». Les femmes sont admises seulement à partir de 1897.
Heureusementpourelles,lesateliersprivésdespeintresetsculpteursaccueillent
des élèves contre rémunération. Certains acceptent des élèves femmes. Le
sculpteur Rude, auteur du groupe La Marseillaise de l’Arc de Triomphe avait
même, avec l’aide de son épouse, ouvert une sorte de pension de famille qui
subvenaitauxbesoinsmatérielsdeceuxquivenaientrecevoirl’enseignementdu
Maître. Jusque dans les milieux sociaux les plus élevés, cette pratique d’une
forme d’apprentissage était appréciée. Au début des années 1830, Marie
d’OrléansfilleduroiLouis-Philippe,eutpourprofesseurdedessinlepeintreAry
Scheffer. Par la suite elle étudia avec succès la sculpture. Le musée du Louvre
conserveunebellestatuedeJeanned’Arcdesamain.Maisunemortprécoce,à
28 ans, mit un terme à son œuvre. Il existe quelques tableaux qui restituent
l’atmosphèredecesateliersoutravaillaientdesélèvesféminines,jeunesfillesde
toutes catégories sociales travaillant dans l’atelier d’un maître réputé, dans
l’espoirdeseconstituerunréseauderelationsetdeclients.L’atelierdePujolà
Paris et ses élèves ont été représentées par une des élèves Louise Grandpierre-
Deverzy.Ces jeunesartistespouvaient aussiparvenir àun métierleur assurant
un niveau de vie correct lorsqu’elles entraient au service d’une décoratrice en
porcelainecommeVictoireJaquototou dansunatelierde miniaturistecomme
celuideLizinkadeMirbel.
Il y a aussi, dans ce siècle peu favorable à l’épanouissement des femmes
quelquesartistesfémininesàlacarrièreexceptionnelle.
RosaBonheur(1822-1899)naîtàBordeaux.Sonpèreestprofesseurdedessin
etpeintre.IlvientàParisavecsesenfants,Rosatoutejeunesepassionnepourle
dessin mais à cette époque les filles ne sont pas admises aux Beaux-Arts. Elle
apprend avec acharnement auprès de son père les rudiments du dessin
documentaireetdelapeinture.EllereçoitlesconseilsdeJ.-B.Corot,peintreami
desonpère.Passionnéeparl’artanimalier,RosaserendsouventauxHalles,au
Muséumd’Histoirenaturelle,maisaussiàlacampagnepourétudierlesanimaux
(bœufsetattelages,chevaux).EllereçoitplusieursprixausalonannuelàPariset
devientcélèbrevers1848.Ellevitdésormaisavecaisancedesapeinturecequilui
permetd’aidersesfrèresetsœurs.Sonamied’enfanceNathalieMickasdevient
sa compagne et travaille à ses côtés près de Barbizon. Rosa reçoit la Légion
d’honneuren1865,c’estlapremièrefemmeartisteàrecevoircettedistinction.Sa
production de peinture et de sculpture lui vaut une réputation internationale
jusqu’auxÉtats-Unis.
CamilleClaudel(1864-1943),issued’unefamilledelabourgeoisie,estl’aînée
d’une fratrie qui vit en province dans l’Aisne. Son frère Paul fut écrivain,
dramaturgeetdiplomate.LafamilleClaudels’installeàNogentsurSeine(Aube)
de1876à1879(Cahier-images,Pl.XIV).Camillepassionnéetrèsjeuned’art,de
dessin et de sculpture s’essaie à des réalisations en terre glaise auprès de ses
professeurs. Son travail attire l’attention d’Alfred Boucher, jeune sculpteur
originairedesalentoursdeNogent-sur-SeineetvivantàParis,quiluireconnaît
desdonsexceptionnels.Camillerêved’étudierlasculptureàParis.Elleparvientà
convaincre sa famille qui vient s’installer dans la capitale, à Montparnasse.
Camille loue un atelier. À partir de 1882 elle étudie dans l’atelier d’Auguste
Rodinavecd’autresélèves.Elleparticipeàlaréalisationdeplusieurssculptures
des œuvres du maître, comme l’imposant groupe statuaire « Les Bourgeois de
Calais ». Une connivence s’installe entre le maître et l’élève. Camille devient
l’inspiratrice,maisaussipoursonmalheur,lamaîtressedeRodin.Elletravailleà
ses côtés pendant une dizaine d’années en qualité de praticienne et elle
l’influencepourquelques-unesdesesœuvresdontlastatue«lebaiser».Camille
accompagne Rodin au château de l’Islette (près de Tours) où le maître doit
travailleràunestatuedeBalzac.Camillesculptedesoncôté.Aprèsleurrupture,
Camillecontinue difficilementà travailleret cherchedes commandesde l’État.
Elle réussit pendant quelque temps à sculpter des projets pour une mécène
parisienne. La douleur de sa rupture avec Rodin la conduit à s’isoler dans son
travail.Ellevitenrecluseetsadépressions’aggrave.En1913safamilledécidede
lafaireinternerpourcausededépressionet paranoïa.Elleresteenferméedans
unasiled’aliénésenSeineSaint-Denis,puispendantlaguerreelleesttransférée
en Vaucluse. En 1919 son état semble s’améliorer et elle sollicite par lettre sa
libération.Samèrerefuse.Elledemeureàl’asiledeMontfavet,abandonnéedesa
famille et y meurt en 1943 pour cause de traitement inapproprié et de
malnutritioncommedansbiendesasilesd’aliénéspendantlaguerre.
Lili Boulanger, musicienne, compositrice (1893-1918). Son père est
compositeuretprofesseurdechant,samèreestcantatrice.ToutejeuneLilireçoit
les leçons de musiquede sa sœur aînée Nadia et les conseils de Gabriel Fauré.
Elle entre au conservatoire en 1909. Sa santé est précaire. Elle compose une
cantate, FaustetHélène,etobtientlepremierprixdeRomeen1913.Elleestla
première femme à obtenir cette distinction. Malgré les débuts de la guerre en
1914,elleserendàlavillaMédicisàRomepuisséjourneàNiceoùellecompose
diverses œuvres vocales et instrumentales avant d’être terrassée par la
tuberculose.Sescompositionsfontmontred’unegrandevirtuositéetd’uneforte
modernité.
LeXIXe siècle,telquenousavonsessayédeledécrire,del’apogéedel’Empire
àlaPremièreGuerremondialeestunepériodemajeuredel’histoiredesfemmes.
Leurcadredevieestbouleversé,surtoutceluidesfemmespauvresquipassentde
laconditiondepaysannestotalementdépendantesduchefdefamilleàceluide
salariéesexploitéesparlesentreprisesquilesemploient.Leprogrèsn’estpasbien
grand,sicen’estquecettenouvelleconditionrelâcheunpeulapressionfamiliale
qui s’exerce sur elles. Les femmes des classes aisées voient leurs effectifs
s’accroîtreavecl’apparitiond’unebourgeoisied’affairesetd’uneclassemoyenne
dontl’apparitionestliéeàlaRévolutionindustrielle.Lecourantromantiquedu
débutdu siècle vient bousculerles espritsen ce qu’il déculpabilisel’inclination
amoureuse et discrédite le mariage institutionnel. Pour ces classes sociales et
pour les quelques femmes pauvres désireuses de sortir de leur condition, le
bouleversement de l’enseignement public qui lui confère laïcité et accessibilité
aux filles est l’évènement majeur du siècle. Il est accompagné par l’installation
durable du régime politique républicain, mais républicain demi-démocratique
seulement.Malgrél’importantepousséedesassociationsféministes,lesfemmes
n’obtiennent pas le droit de vote, ce qui leur ôte la possibilité d’entrer dans le
corpslégislatifetde déposerdesprojetsde loissusceptiblesderapprocherleur
pouvoirdeceluideshommes.Lesfemmesdesclassespauvresontconnu,elles,le
terrible laboratoire social de la Commune de 1871 et sont ressorties de
l’expérience confortées dans l’idée que leur difficulté prioritaire, la misère, ne
pouvait être résolue que par la lutte de l’ensemble du prolétariat, tous genres
confondus, pour l’instauration d’une société socialiste. Nombreuses sont celles
d’entre elles qui se glissent au début du XX e siècle dans le courant anarcho-
syndicaliste.
Le statut juridique des femmes ou droit civil évolua au cours du siècle,
essentiellement au bénéfice des femmes de classe aisée : droit au divorce pour
faute (1884), double nationalité acquise par mariage avec un étranger (1889),
droitdetémoigneràunprocès,(1897),droitdetoucherdirectementsonsalaire
sanspasserparl’intermédiairedesonmari(1907).Cesavancéessocialesontpeu
d’échoschezlesfemmesdesclassespauvres.Chezlesprolétaires,onse«meten
ménage », on ne se marie pas. Alors tout ce qui touche à la perte de capacité
civiledelafemmemariéeouàlagestiondesbienscommunsducoupleesthors
sujet.Ledroitdevoten’intéressepasnonplus:lasociétélibéralerépublicaineest
vouéeauxgémoniesetsonrenversementparlarévolutionapparaîtcommeseule
dignequ’onluiconsacresonénergie.
Lesmouvementsinternationalistespourlapaixsontlesseulsàcréerunterrain
d’action où les femmes se retrouvent toutes classes confondues. On sait,
malheureusement,malgrél’énergiequ’ellesmirent àsauver lapaix, dansquelle
abominable boucherie les pays européens et leurs colonies furent entraînés en
1914.
VoirEncadrén°6
FemmesetallégoriesdelaRépubliquede1789à1914
1. Ou Hilotes, en référence aux habitants de Laconie réduits en esclavage par les Spartiates pendant
l’Antiquité.
CHAPITRE5
LESFEMMESDE1914À1939–HÉROÏNES
INVISIBLES?
PREMIÈREGUERREMONDIALE
ETPARADOXESDURETOURÀLAPAIX
Àl’issuedelaguerrefranco-prussiennede1870quilaisselaFranceamputée
de la Moselle et de l’Alsace,l’Europe vit une longue période de paix de quatre
décennies. Les conditions sont réunies pour une séquence de progrès
économiques et techniques qui touchent plus particulièrement la France, le
Royaume-Uni,laBelgique,l’Allemagne,l’Italieetl’Autriche-Hongrie.Àlasuite
delaGrandeDépressiondesannées1873à1896,consécutiveàl’éclatementdela
bullespéculativesurlescheminsdeferetsurletextile,l’Europeentredansune
période de croissance soutenue dans le cadre de la deuxième révolution
industrielle. Dans cette période prend fin le règne de l’expansion charbon,
vapeur,acier,cheminsdefer,remplacéparlerègnedelatransformationpétrole,
électricité,automobileetaviation,télécommunications.
Leseffetsdecettenouvellevaguedeprogrèssetraduisentparl’émergencedu
positivismeetduscientismedansl’inconscientcollectif.Lespopulationsdecette
époquesontoptimistes:cellesquiprofitentdel’améliorationdeleursconditions
de vie et celles qui s’organisent pour peser sur les conditions de redistribution
desfruitsduprogrès.
Ainsique nousenavons faitmentiondans lechapitre précédent,enEurope
comme aux États-Unis, la société s’organise en mouvements d’opinions, en
syndicatsouenpartispolitiques.Pendantcettepériodeapparaissentlespremiers
partis socialistes européens, de plus en plus influents, mais gênés sur leur aile
gaucheparla«propagandeparlesfaits»desanarchistes.L’internationalisation
de certains courants de pensée est un phénomène nouveau. Déjà se dessinent
l’influence des courants politiques issus du marxisme et de l’anarchisme, ainsi
quelescourantsféministesd’origineanglo-saxonnequiinfluencentplustardle
pacifisme féminin et la revendication des droits politiques des femmes. Les
mouvementsdefemmessontàleurapogée,qu’ilssoientféministes,pacifistesou
suffragistes.
Malgré une certaine légèreté de l’époque, les gouvernements européens
songent aux futurs conflits possibles et cherchent à constituer des alliances en
conséquence.LaFrancequitteleXIXe siècleavecunterritoireagrandideNiceet
delaSavoie,maisamputéedelaMoselleetdel’Alsace.Surtout,cetteamputation
estlefruitd’unedéfaitedéshonorantepourunearméefrançaisemaléquipéeet,
peut-être plus encore, mal commandée par des généraux qui devaient leurs
étoilesàleurstatutdefavorisplusqu’àleurstalents.Malgrél’aisancefinancière
etleconfortapportésparledéveloppementéconomique,lesclassesdirigeantes
françaises rêvent à la reconquête des territoires perdus. Cela se sait chez les
vainqueursetBismarckcommel’empereurd’Allemagnecherchentàseprémunir
contre d’éventuelles velléités de revanche française. Dès 1879, un traité
d’assistance mutuelle, la Duplice, a été signé entre l’Allemagne et l’Autriche-
Hongrie. Il met fin au conflit qui les a opposés pour le contrôle de l'Empire
allemand, arraché à l’Autriche par la Prusse. L’Allemagne est motivée par la
craintedelaFranceetsonenviedelaréduireàunepuissancedesecondordre,
l’Autriche par la difficultéqu’elle éprouve à maintenir l’unité de son territoire.
L’Italie qui a été bafouée par la colonisation française de la Tunisie où vit une
colonieitaliennenombreuseetoùelleainvestidescapitauximportantsrejoint
cette alliance, bien qu’elle ait des contentieux sur sa frontière nord avec
l’Autriche-Hongrie.C’estainsiquenaîtlaTriplice.Surlacartedel’Europe,elle
constitueunvéritable«mur»àl’estdelaFrance.
En 1904, la France et le Royaume-Uni signent l’Entente cordiale, traité qui
marque le désir commun des deux pays de mettre un terme à une hostilité
séculaire.MaisleRoyaume-Uni,aprèsl’entrevuedeGuillaumeIIetdeNicolasII
en juillet 1905, s’inquiète d’un possible rapprochement entre l’Allemagne et la
Russie.Il se décidedonc àsortir de son« splendideisolement » età réglerses
différends avec la Russie, différends qui lui interdiraient l’accès terrestre à son
empiredesIndes.Enaoût1907,leRoyaume-UnisigneaveclaRussieunaccord
parlequellesdeuxpuissancesdélimitentleurszonesd’influenceenAfghanistan,
enPerseetauTibet.DèslorslaTripleEntenteestconstituéefaceàlaTriplice.
L’Europeest diviséeendeux alliances« défensives»,bien sûr.Unequerelle de
frontière, un conflit interne avec une minorité ethnique sont désormais
susceptibles de déclencher une gigantesque conflagration d’où aucun pays
européennepeutespérersortirindemne.LesclausesdelaTriplicesonttenuesà
jour au fil du temps et prennent en compte les prétentions des coalisés qui la
composent sur des territoires extérieurs à leurs frontières. La Roumanie et la
Bulgarie sont englobées dans un périmètre associé. Puis il y eut également des
clausesconcernantlestatuquodesîlesgrecquesenmerÉgéeetAdriatiqueainsi
quelestatuquodesÉtatsbalkaniques.
La Bosnie-Herzegovine est la cause qui sert de détonateur au conflit. Ce
territoiresituéenarrière-plandelamerAdriatiquederrièreunelonguebandede
territoirecroate,faceàlaprovinceitaliennedesPouilles,estsousadministration
turque, et se trouve à la frontière avec l’Autriche-Hongrie. En juillet 1876, la
Serbieet leMonténégro déclarentla guerreà la TurquieOttomane devantson
refusd’accorderlaBosnieàlaSerbieetl’HerzégovineauMonténégro.LaRussie
qui se veut protectrice des Slaves, et l’Autriche-Hongrie en qualité de voisine,
interviennentauxcôtésdesSerbes.LadéfaitedelaTurquieesttotale.LaBosnie-
Herzégovine est placée sous administration autrichienne, théoriquement
provisoire.Unemoitiédelapopulationestmusulmane.L’autremoitiésepartage
entrecatholiquesetorthodoxes,touspartisansdel’unionaveclaSerbievoisine.
Ils se sentent floués par leurs « sauveurs ». La situation d’administration
« provisoire » a duré depuis trente ans, en 1908, lorsque l’Autriche-Hongrie
annexeleterritoiredemanièredéfinitive,enraisondel’arrivéedesJeunesturcs
aupouvoiràConstantinople.Surlalonguepériodequiprécède,lesmouvements
clandestins Serbes se sont organisés et sont montés en puissance. En 1913,
l’archiduc François-Ferdinand, prince héritier autrichien, a été nommé
inspecteur général des armées. En juin 1914, il participe aux manœuvres de
l’arméeaustro-hongroiseenBosnie.
Aulendemainde lafindesmanœuvres, ilaprévu unevisitedeSarajevo, en
compagniedesonépouseSophie,visiteaucoursdelaquelleilsdoiventinaugurer
un musée. Ils périssent tous deux le 28 juin dans un attentat perpétré par un
nationalisteserbe.
L’Allemagne et l’Autriche entrent en guerre contre la Serbie, puis contre la
Russie qui entend défendre la Serbie. La France et l’Angleterre finissent par se
joindreauxRussespourhonorerlesaccordsdelaTripleentente.Auseindela
Triplice,l’Italiesedéfausse,découvrantsoudainquelesintérêtsdeses alliésne
sontpaslessiens.Parcontre,leroideBulgarieFerdinandIer rejointl’allianceen
1915 dans l’espoir de récupérer quelques territoires aux dépens de ses voisins
SerbesetGrecs.
Un accord germano-turc secret est signé le 2 août 1914. La Sublime Porte,
après avoir observé le développement victorieux des opérations germano-
autrichiennes sur le front ouest entre en guerre aux côtés de la Triplice en
octobre1914.
Après l’échec de ses offensives contre l’Égypte, ancienne province de son
Empire passée sous contrôle britannique et contre le Caucase russe, l’Empire
ottoman subit en 1915 une offensive alliée visant Constantinople. Le statut du
sultan, calife de l’islam par reprise d’un titre vacant depuis le XVIe siècle, lui
permetd’appeleràlaguerresaintecontrelesAlliésavecunsuccèslimité,carses
vassaux de la péninsule arabique, stipendiés par les Britanniques, se révoltent
contrelui.
Surlefrontdel’ouest,àpartirdeladéclarationdeguerredu3aoûtl’offensive
germano-autrichiennesedéveloppedemanièrefoudroyante.LeLuxembourgest
envahi malgré sa neutralité affichée. Le 4 août, l’armée allemande envahit la
Belgique pour contourner l’armée française. Elle est arrêtée par la contre-
offensivefrançaise du6 au12 septembre,connue sousle nomde bataillede la
Marne.L’arméenepossèdeaucunvéhiculemotoriséquipermettraitunecontre-
attaque rapide. Coup de génie dans un désert d’impréparation, les 6 et
7 septembre 1914, sur ordre du général Gallieni, environ 1 100 taxis parisiens
ainsi que quelques cars pouvant transporter 20 à 30 soldats chacun sont
réquisitionnéspourservirdemoyendetransportauxfantassinsdela14ebrigade
(103e et 104 e RI) de la 7e division d’infanterie. Cette opération permet
d’acheminer rapidement environ entre 3 000 et 5 000 hommes stationnés à
proximité de la capitale. Contrairement à une idée reçue, l’effectif des troupes
transportées de cette façon ne représente qu’une partie du contingent engagé
danslapremièrebatailledelaMarne.Danslecourantdumoisdenovembre,le
front se stabilise de la mer du Nord à la Suisse. Les troupes belligérantes
s’enterrent,ycomprislescavaliersquiabandonnentleurschevaux.Laguerrede
tranchéescommence.
Au cours du siècle précédent, l’agitation des mouvements nationalistes
français dont les propos revanchards particulièrement violents à l’époque de
l’affaireDreyfusfaisaientcraindrelaréouverturedeshostilitésavecl’Allemagnea
conduit certains mouvements féministes à s’interroger sur l’opportunité d’un
engagementpacifiste.Luttercontrelesmenacesdeguerreestapparucommeune
nécessitépourd’autresfemmes,nonengagéesdansleféminisme,maissensibles
au courant pacifiste qui avait vu le jour dans le monde anglo-saxon et en
Allemagne.Demanièresurprenante,lemouvementdesfemmescontinue,même
aprèsqueleshostilitésaientétédéclenchéesetquelacritiquedubellicismesoit
punie par la loi. Puis après la guerre, les femmes pacifistes contribuèrent à la
créationdelaSDN(SociétédesNations)premierorganismededialogueentreles
nations qui devait travailler à éviter, hélas sans grand succès, d’autres guerres
mondiales.
On a vu, précédemment, la création en 1888 du CIF à l’initiative des
suffragistesaméricainesElizabethCadyStantonetSusanB.Anthony.LeCIFvise
à unifier les organisations nationales de femmes pour promouvoir les droits
humains, l’égalité des sexes, la paix et l’implication des femmes au niveau
international. Parmi les organisations fédérées, certaines sont essentiellement
pacifistestelles«TheWomen’sAuxiliaryofthePeaceSociety»enAngleterreen
1882,oule«FrauenbundderDeutschenFriedensgesellschaft»enAllemagneen
1914. Vingt ans après la Première internationale des travailleurs, d’inspiration
socialiste, qui réunissait les mouvements de travailleurs européens, une
organisation internationale des femmes, d’inspiration libérale, voit le jour.
L’histoire de ces mouvements de femmes a malheureusement été oubliée,
étoufféeparledéferlementdel’histoireévènementielledel’époque.
DESINITIATIVESTRANSNATIONALESDEFEMMESPACIFISTES
Ces femmes qui défendent l’internationalisme ont le sentiment profond que
lestâchesmaternellesquileur incombent(mettreaumonde,nourrir,protéger,
éduquerlesenfants) unissentlesfemmes au-delàdesfrontièresnationales.Des
initiatives précoces de pacifisme féministe transnational apparaissent dès le
XIXesiècle.Aprèslaguerrefranco-prussiennede1870-1871,l’AméricaineJulia
WardHowe(1819-1910)proclameunefêtedesmèrespourlapaix,célébréepour
lapremièrefoisen1873dansplusieursvillesaméricainesainsiqu’enAngleterre,
enSuisse,enItalieetenFrance.UneéphémèreUnioninternationaledesfemmes
pourlapaixavulejouren1891fondéeparlaSuisseMarieGoegg(1826-1899),
la Française Eugénie Potonié-Pierre (1844-1898) et la Britannique Ellen
Robinson (1840-1912), ainsi qu’à Paris, en 1896, l’Alliance universelle des
femmespourlapaixetpourledésarmementfondéeparGabrielleWiesniewska
(1836-1903).En1899,l’AllemandeMargaretheLeonoreSelenka(1860-1922)est
à l’origine de manifestations de femmes pour la paix dans plusieurs pays, à
l’occasiondelaconférenceinternationaledelapaixàLaHaye.
Jusqu’à1914,œuvrerpourlapaixinternationalen’estpasuneprioritépourles
deux organisations féministes internationales les plus importantes.
L’International Council of Women (ICW, fondée en 1888) (Conseil
InternationaldesFemmesouCIF),aubureauduquelsiègeGabrielleDuchêne,a
pourobjectifl’améliorationdesconditionsd’exercicedesfonctionsdelafemme
(mettre au monde, nourrir, protéger, éduquer les enfants). L’International
WomanSuffrageAlliance(IWSA,fondéeen1904)(AllianceInternationalepour
le Suffrage des Femmes, puis Alliance Internationale des Femmes), lutte pour
obtenir l’accès des femmes aux droits politiques. Sa « branche » française est
fondéeparJeanneSchmahlpuisdirigéeparCécileBrunschvicg.Leuractionest
davantagecentréesurl’accèsdesfillesàl’éducation,ledroitd’accèsdesfemmes
au travail ou le droit de vote. Mais lorsque les tensions internationales
s’aggravent,entraînéesparlesassociationsquilescomposent,cesdeuxgrandes
fédérationssetournentversl’actionpacifiste.Lamajoritédesmembresdesdeux
fédérations internationales sont originaires d’Europe ou d’Amérique du Nord.
Bertha von Suttner (1843-1914), membre fondatrice des sociétés pacifistes
autrichienneetallemande,vice-présidenteduBureauinternationaldelapaixet
lauréate du prix Nobel de la Paix en 1905, intervient au congrès fondateur de
l’IWSA qui se tient à Berlin. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, la
grande majorité des mouvements féministes soutiennent à regret l’effort de
guerredeleurpaysd’origine,malgréleuractionpacifistedanslesannéesquila
précédèrent.Malgrécela,des congrèsinternationauxdefemmes,avec l’objectif
de tenter des solutions propres à enrayer le conflit voient le jour. Plus de
1 100 participantes se réunissent à La Haye en avril 1915. Les participantes
viennent non seulement des Pays-Bas, mais également des États-Unis (la
présidenteducongrèsJaneAddams(1860-1935)futaussilauréateduprixNobel
de la Paix en 1931), du Canada, du Danemark, d’Allemagne, de Belgique, de
Grande-Bretagne,d’Italie,deNorvège,deSuède,d’AutricheetdeHongrie.Elles
revendiquentunstatutpolitiqueidentiqueàceluideshommesetlamiseenplace
dansleurspaysrespectifsd’unsystèmepolitiquedémocratiquereprésentatif.Ces
deux conditions sont, selon elles, d’incontournables prérequis à la paix future.
Elles demandent l’organisation d’une conférence de médiation arbitrée par les
pays neutres. En mars 1915, alors que sur le front ouest allemands et français
s’épuisentàsedisputerlesaillantdeSaint-Mihielauprixdepertescolossales,et
que, sur le front est, les troupes anglo-françaises cumulent les échecs sur le
détroit des Dardanelles, un groupe de 25 femmes socialistes originaires
d’Allemagne,deGrande-Bretagne,deRussie,dePologne,desPays-Bas,d’Italie,
deFranceetdeSuisseserencontrentàBernepouruneconférenceinternationale
deprotestationcontrelaguerre.Ellesentretiennentdesliensavecl’International
Socialist Women’s Committee qui avait été organisé par Clara Zetkin (1857-
1933)en1907.
En France, le travail de Jeanne Mélin fait écho à cette double mouvance,
mouvancelibéraleetmouvancesocialiste,dupacifisme.JeanneMélinoriginaire
desArdennes, dont lafamille possède unepetite entreprise, adhère,en 1913, à
l’Union française pour le suffrage des femmes (UFSF), présidée par Cécile
Brunschvicg.Danslesmêmesannées,ellemultiplielesengagements,adhérantà
laSFIO,etàlaLiguedesdroitsdel’Homme.Uncertainféminismedécoulede
son pacifisme : pour elle, les femmes sont naturellement pacifistes et la
reconnaissance de leurs droits à participer aux élections peut conduire à des
politiquespluspacifiques.EllesetrouveàBruxelles,àuneréuniondepacifistes
européens, quand éclate la nouvelle de l’assassinat de Jean Jaurès, le soir du
31 juillet 1914. Sa mort, signe la disparition du seul homme qui pouvait, en
France, provoquer un refus massif de la mobilisation et contraindre ainsi les
dirigeants français à rompre les engagements signés dans le cadre de la Triple
Entente.Lavoieestouverteàl’Unionsacrée,provoquantdesdivergencesausein
del’UFSFdontlamajoritédesmembresadhèreàl’union.JeanneMélinrefusede
suivrelemouvementettentedeserendreaucongrèsdeLaHayeenavril1915.
Les autorités françaises refusent de lui délivrer un visa, mais elle participe
activement à la préparation thématique du congrès en échangeant une
abondante correspondance, avec les principaux organisateurs : Aletta Jacobs,
Cécile Brunschvicg, Charles Richet, Théodore Ruyssen, Nicholas Butler, Jane
Addamsetd’autres.
Le congrès de La Haye d’avril 1915 donne naissance à l’International
Committee of Women for Permanent Peace (rebaptisé Women’s International
LeagueforPeaceandFreedom,/ WILPF,en1919).PendantlaPremièreGuerre
mondiale, la WILPF inclut seize sections nationales (dont la section française
rassembléeautourdeGabrielleDuchêne,1878-1954).SonsiglefrançaisestLigue
internationale des femmes pour la paix permanente (qui devient plus tard la
Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté, LIFPL). Elle existe
toujours sous la forme d’une ONG de femmes militant pour la paix dont le
périmètre s’est étendu à une quarantaine de pays. Jeanne Mélin adhère à cette
structure au sein de laquelle elle continue son combat pacifiste. Elle se rend,
malgrél’oppositiondesautoritésfrançaises,aupremiercongrèsinternational,à
Zurich, en mai 1919, y est applaudie et échange une longue poignée de mains
avec la déléguée allemande Linda Gustava Heymann. Dans son discours, elle
s’élève contre la Conférence de paix de Paris, où les vainqueurs du conflit
préparent les clauses du traité de Versailles qui humilient l’Allemagne. Elle
conteste la thèse de la culpabilité allemande et plaide pour un rapprochement
franco-allemand. La réflexion de Jeanne Mélin montre le réalisme et la
clairvoyance des analyses des mouvements de femmes. Le contenu de son
interventionaucoursducongrèsdeZurichestl’exacteprédictiondesdécisions
etévènementsquiaboutissentàlaSecondeGuerremondiale.Aurait-onpu,pour
autant éviter le déclenchement de la guerre de 1914 ? Il est vraisemblable que
non. L’Allemagne, ou plutôt ses classes dirigeantes ne sont pas en état de
soumettre une décision aussi grave que l’entrée en guerre à l’analyse d’une
représentationpopulaire.Le«Kaiser»GuillaumeIIdeHohenzollern,petit-fils
du souverain régnant à l’époque de la guerre de 1870, est un homme à la
personnalité complexe,victime d’une malformation physique à sa naissance (il
souffre d’une atrophie du bras gauche) qui lui interdit de se conformer au
modèledeprinceguerrierquiacoursdansl’aristocratieprussienne.Intelligentet
cultivé, il compense la souffrance que lui cause cette inadaptation par une
insensibilitéréelleouaffichéeetunautoritarismeintransigeant.GuillaumeIIa-t-
illuNietzschepourseconstruireuneimagedesurhomme?Lorsqu’ilarriveau
pouvoir, à la mort de son père Frédéric III, en juin 1888, qui ne régna que
quelques mois, Otto von Bismarck est toujours le chancelier tout-puissant de
l’Empire allemand. Mais le système politique étonnant mis en place par ce
dernier,danslequellechancelierdécideetl’empereurentérineneconvientpasà
la conception que le nouvel empereur se fait de son rôle. Les relations se
dégradent et, en 1890, Bismarck est contraint à la démission. Ses multiples
successeursdoiventseplierauxexigencesdeGuillaumeII.Audébutdelaguerre
de 1914, la fonction est assurée par von Bethmann Hollweg, qui coordonne
l’écrituredudocumentconnusouslenomde«ProgrammedeSeptembre».La
lecture de ce document dont on trouvera ci-après un résumé met en évidence
deux choses. D’une part, si, dans la Triplice, l’Autriche et l’Italie voulaient se
protéger contre des menaces, l’Allemagne avait un projet impérialiste
d’envergure. D’autre part les femmes allemandes qui adhéraient aux
organisationspacifistesfaisaientpreuvedeclairvoyanceetd’ungrandcourage.
Le programme daté du 9 septembre 1914 décrit le projet politique du
chancelier qui reprend les objectifs des dirigeants politiques et militaires du
Reichainsiquelesobjectifsdesmilieuxéconomiques.
EnEuropedel’ouest,lesannexionsterritorialesdoiventportersurlebassinde
BrieyenLorraine,surlatotalitédelaBelgiqueetduLuxembourg.Latutelledu
Reich sur l’Autriche-Hongrie doit être renforcée, dans le cadre d’une union
politique,assisesurlerenforcementdupoidspolitiquedesAllemandsd’Autriche
auseindel’Empireaustro-hongrois.
Faceà la Russie,il estprévu unrefoulement dela Russie parla constitution
d’étatsfrontaliersplacéssousunsévèrecontrôleduReich.
Horsdel’Europe,l’Allemagnesouhaiterattraperleretardqu’elleaprissurla
Franceetsurl’Angleterreenmatièredecolonisation.Elledésireseconstituerun
EmpirecolonialafricaincentrésurlebassinduCongo,auxdépensdelaFrance,
duRoyaume-Uni,delaBelgiqueetduPortugal,bienquecederniersoitneutre.
Lesauteursduprojetsouhaitentlaconstitutiond’unbloccolonialallemanden
Afrique,composédel’Angola,dunorddu Mozambique,duCongobelgeetde
l’Afrique-Équatoriale française. Ce bloc viendrait s’adjoindre au Cameroun, au
Sud-Ouest Africain et au Togo que l’Allemagne possède déjà. Le Togo serait
agrandiparl’annexionduDahomeyetdelaSénégambie.
Les responsables économiques en tête desquels on trouve le directeur de la
DeutscheBank,ArthurvonGwinner,etledirecteurdelacompagnieélectrique
AEG, Walther Rathenau ont rédigé les dispositions économiques qui doivent
compléter la victoirede l’Allemagne, là où l’annexion territorialen’est pas une
nécessité.Cesclauseséconomiquessontdestinéesàinterdireauxadversairesdu
Reichdedisposerdesmoyensdeprépareruneguerrederevancheetàpermettre
laconstitutiond’une«Mitteleuropa»sousdominationallemande.Pourréaliser
cette union économique de l’Europe centrale, Bethmann-Hollweg souhaite des
mises soustutelle camouflées enune union économiquedans laquelle le Reich
exercesa prédominance.Ces annexionset mises soustutelle économique,sont
censées créer un ensemble susceptible de vivre en autarcie. Si l’assassinat du
prince héritier d’Autriche est une cause de guerre pour certains des pays
adhérentsàlaTriplice,pourl’Allemagnecetévènementn’estqu’unprétexte.La
véritablecauseestledésirdel’Allemagned’appliqueràsesvoisinseuropéensson
plan de septembre. Son armée est réorganisée en conséquence : les régiments
d’artillerie reçoiventdes pièces de gros calibre capables desoumettre les lignes
ennemiesàunfeuintensetoutenrestanthorsdeportéedescanonsadverses.Les
ballons captifs, d’observation, les dirigeables, les avions de chasse et de
reconnaissance font partie de dotations régimentaires. L’armée française, a
contrario, a peu évolué depuis 1870. La tenue des fantassins est toujours la
même : pantalon rouge, capote bleu ciel et képi rouge. Deux changements
d’importance seulement ont été introduits. Le fusil d’infanterie Lebel est une
armerécenteetfiable,lecanondecampagnede75également.Depuisladéfaite
de 1870, la reconquête des territoires perdus d’Alsace et de Lorraine était un
véritable dogme politique. À l’école de la république, les cartes de géographie
portaient le deuil de ces deux régions. La loi de 1905 a institué un service
militaireuniverseld’uneduréede3ans.
Le2 août1914, leshommes mobilisésainsi quela majoritédela population
pensaientqu’ils’agiraitd’uneguerrerapideetquetoutrentreraitdansl’ordreà
courtterme.Depuislongtempslesespritsavaientétépréparésàcetteéventualité.
Parcontre,àlamobilisation,l’état-majors’attendàuneconfrontationanalogueà
cellede1870.Ilprévoitdesbataillesd’infanterieenrasecampagneoùlacavalerie
légèreassurerait le renseignementsur le dispositifennemi et oùles cuirassiers,
parleurschargesviolentesisoleraientlesunitésadverseslivréesensuiteauxtirs
desfantassins.
ÉTÉ14:DISCOURSDEVIVIANIAUXFEMMES
POURLADÉFENSEDELAPATRIE
La mobilisation générale du 2 août 1914 a de lourdes conséquences sur
l’économie française. Soixante pour cent des emplois recensés se trouvent
vacantsdujouraulendemain.Legouvernementfrançaisestréduitàappelerles
femmes à participer à l’effort de guerre, comme le fait René Viviani dans son
discoursdu7août1914:
«AuxFemmesfrançaises,
Laguerreaétédéchaînéeparl’Allemagne,malgréleseffortsdelaFrance,de
laRussie,de l’Angleterrepourmaintenirla paix.Àl’appel delaPatrie, vos
pères,vosfils,vosmarissesontlevésetdemainilsaurontrelevéledéfi.
Le départpour l’armée de tousceux qui peuvent porterles armes, laisseles
travaux des champs interrompus : la moisson est inachevée le temps des
vendangesestproche.AunomdugouvernementdelaRépublique,aunomde
la nation tout entière groupée derrière lui, je fais appel à votre vaillance, à
celledesenfantsqueleurâgeseul,etnonleurcourage,dérobeaucombat.Je
vousdemandedemaintenirl’activitédescampagnes,determinerlesrécoltes
del’année,depréparercellesdel’annéeprochaine.Vousnepouvezpasrendre
àlapatrieunplusgrandservice.
Cen’estpaspourvous,c’estpourellequejem’adresseàvotrecœur.
Il faut sauvegarder votre subsistance, l’approvisionnement des populations
urbaines et surtout l’approvisionnement de ceux qui défendent la frontière,
avecl’indépendancedupays,lacivilisationetledroit.
Debout, donc, femmes françaises, jeunes enfants, filles et fils de la patrie !
Remplacez sur le champ du travail ceux qui sont sur le champ de bataille.
Préparez-vousàleurmontrer,demain,laterrecultivée,lesrécoltesrentrées,
leschampsensemencés!
Iln’yapas,danscesheuresgraves,delabeurinfime.Toutestgrandquisert
lepays.Debout!àl’action!àl’œuvre!Ilyaurademaindelagloirepourtout
lemonde.
VivelaRépublique!VivelaFrance!
Pour le Gouvernement de la République : Le président du Conseil des
ministres,RenéViviani.»
3700000hommesontétémobilisés,lesfemmesdoiventdonclesremplacer.
C’est d’abord dans les campagnes que la situation presse. On est au début des
moissons etil est inenvisageable delaisser perdre la récolte.56 % des Français
viventalorsdansdesvillagesdemoinsde2000habitants,etlasommedetravail
quereprésenteledépartdeshommesestimmense.Plusdelamoitiédesfemmes
françaisesestconcernéeparcetimmensedéfiquiconsisteànourrirl’ensemble
delapopulation, alorsqueles hommessonttoussur lefront.Elles sontaidées
danscettetâcheparleursenfantsadolescents,pardesréfugiésbelgeset,bienplus
tard,parlesprisonniersallemands.
Le défi est considérable : avec la fixation du front, 2 500 000 ha de terres
agricoles sont perdus. Ces plaines du Nord et du Nord-Est ont fourni avant-
guerre20%dublé,25%del’avoineet50%dusucre.Cettesituationad’abord
des conséquences pour l’approvisionnement du pays. Sur le reste du territoire
national,mêmeaprèsreconversionpartielledessurfacesconsacréesauxplantes
fourragères, la production en blé n’en diminue pas moins de près de 40 %, de
mêmepourl’orgeetl’avoine,enraisondelapénuried’engraisartificielsissusde
lachimieducharbon,alorsquelaFranceaperdulaquasi-totalitédesesmines.
Seule la culture de pommes de terre reste à son niveau de 1913. Jusque-là, la
Franceconnaissaitlasuffisancealimentaire.Àpartirdudébutdelaguerre,ilfaut
importermassivementafindenourrirl’ensembledelapopulation.Aucoursdes
six premiers mois de la guerre, les importations n’étant pas encore organisées,
l’approvisionnement décime le cheptel français. En ce qui concerne l’élevage
équin,àlaperteimmédiated’unepartsubstantielleducheptelparfaitsdeguerre
s’ajoute la réquisition d’animaux de trait. L’armée au début de la guerre ne
possèdepasdevéhiculesautomobilesetlesrégimentsd’artilleriedéplacentleurs
canonsenlesfaisanttirerpardeschevauxdelabourqu’ilsréquisitionnentdans
les fermes. Mais c’est surtout l’approvisionnement des populations mobilisées
(troupesetauxiliaires)quimetd’embléeenpérilletroupeaubovinlui-même.En
cinqmois,735000 bovins(5%dutotal)sont abattus.Àcerythme,l’existence
mêmedutroupeaubovinfrançaisestmenacée.Legouvernementdécidealorsde
recouriràdesimportationsdeviandescongelées,àhauteurde20000tonnespar
mois,quicouvrent60%desbesoins.
L’effectif du cheptel national se réduit à seulement 540 000 têtes, et grâce à
l’effort des agricultrices, les effectifs remontent à 12 millions de têtes en 1918,
troismillionsdemoinstoutefoisqu’en1913.
LEQUOTIDIENDESFEMMES14-18:DUDÉFIÉCONOMIQUEÀL’HÉROÏSME
SILENCIEUX
Maislequotidiendecesfemmesquiontsauvécequipouvaitl’êtreestterrible.
Déjà,avantlaguerre,ellesconnaissaientladoublejournéedetravail:entretien
delabasse-couretdujardindanslajournée,entretiendelamaisonetdulinge,
cuisineetvaissellematin,midietsoir.Àpartirdelaguerres’ajoutentletravail
deschampsetle soindesétables.Ilest utiledeserappelerqueles fermessont
sous-équipées,queletravailestbiensouventtotalementmanuel:lesmoissonset
lesfenaisonssefontàlafaux.Onentasselarécolteenmeulesdansl’attentedela
disponibilitédel’entrepreneurdebattage,puisilfautpasseraudéchaumageet,
travaildeforces’ilenest,aulabourage.Encorefaut-ilquel’onpuissedisposerde
chevaux à cette période de l’année.Les réquisitions des gendarmeries,chevaux
pourles trainsd’artillerie, bœufspour l’alimentationde lapopulation fontque
lesfemmessontsouventobligéesd’emprunterlesanimauxdeleursvoisinespour
pouvoirtravailler.Leromand’ErnestPerrochon LesGardiennes(éditéen1924),
met en scène les difficultés d’une famille paysanne où il ne reste plus que les
femmesetlesvieuxpourfairevivrelaterre.
En 1915, Étienne Clémentel, ministre de l’Économie prend conscience de la
nécessité de mécaniser les travaux de force dans un univers paysan presque
exclusivement féminin. Il projette d’acquérir un parc de 120 batteries de dix
machinesagricolesaptesàlabourer300000hectares.Finalement,l’Étatacquiert
404tracteurs(dont293importésmajoritairementdesÉtats-Unis).En1917,seuls
6500hectaresfurentlabourésparcesmoyensmécaniquesmodernes.Malgréla
modestie de la réalisation par rapport à l’ambition du projet, elle favorise
l’acceptation de l’idée de la mécanisation au sein d’une population paysanne
traditionaliste. Un outillage agricole moderne fait son apparition à partir de
1918, grâce en particulier à des importations américaines de faucheuses,
moissonneuses,semoirs.
À l’issue de la guerre, plus de deux millions d’hectares sont dévastés ou
abandonnés,lasurfacedeschampsdebataille.Maisleplustragiquedemeureles
pertesenhommes.Auseindelapopulationagricole,cesdernièressontévaluées
entre500000et700000morts,auxquellesilfautajouterprèsde500000blessés,
soitquelque20%despaysansquiontfournil’essentieldel’infanterie,l’armela
plus exposée. Tel est le terrible bilan que rappellent encore aujourd’hui les
monumentsauxmortsdanstouslesvillagesdeFrance.
Lorsqueceuxdespaysansquiontéchappéàlamortreviennentdufront,leurs
terres, à l’exception de celles qui ont servi de champ de bataille ont été
sauvegardéesparleursépousesouleurssœurs.Mêmeavecunrendementréduit,
elles sont entretenues et prêtes à produire plus si elles reçoivent à nouveau les
engrais nécessaires. Les prix agricoles ont beaucoup augmenté, portés par
l’inflationcauséeparl’économiedeguerre.Maislerevenupaysann’apassuivi
enconséquence,bienquelepoidsdesfermagesaitétéréduitparl’inflation.Les
propriétairesdeterressontsouventacculésàvendre,àcausedeladiminutionde
leurs revenus. Les paysans les plus aisés achètent des terres, les plus pauvres
abandonnentlaterrepourdesemploisurbainssalariés,desveuvescèdentleurs
exploitations.
On ne saurait parler de cet impact de la guerre 1914-1918 sans consacrer
quelqueslignesàlasouffranced’uncoupledepaysansetmesurerainsilaterrible
détressepartagéedecesêtresséparésparlaguerre.
Une professeure de Lettres d’un établissement de Bordeaux, Cécile Plantié a
recueilli dans les archives familiales la correspondance de ses ancêtres
agriculteurs, les époux Plantié. L’autrice a publié en 2020 une sélection
commentéedecetémoignageintimependantlaPremièreGuerremondiale,sous
letitremélancoliqueetdélicatQuedebaisersperdus.
MadeleineetLéonPlantiésemarienten1909.Ilssontenfantsdecultivateurs
auxalentoursdeMarmande(LotetGaronne).LeurfilsÉtiennenaîten1913.Le
jeune couple a peu de famille proche. Il habite au Ricaud, lieu-dit rattaché à
Gontaud,à10kmdeMarmande.Ilslouentunepetitepropriétéenfermagequ’ils
exploitentenpolycultureetvignes.Ilspratiquentaussilemaquignonnage.Leur
situationsembleplutôtaiséeàlaveilledelaguerre.
Léon,néen 1878etpèrede famille,appartientàla Territorialeà laveillede
1914.Mobiliséle3août1914iln’estcependantpasàl’abridudangerdufront.
LeslettresdeLéonontétéconservéesparMadeleine:ellescouvrentlapériode
du12août1914au15août1917.Sonépousegardeles1500lettresreçues.Léon
meurt au Chemin des Dames le 16 août 1917, victime, selon l’ahurissante
expression militaire, « d’un tir ami ». Ce qui veut dire qu’un artilleur imbécile
s’esttrompédanslepointagedesapièceetqu’ilaexpédiéaumoinsunobussur
un chantier de construction de tranchée français au lieu d’une tranchée
allemande!Léonétaitmembredu130erégimentdelaterritoriale,1 erbataillon,
matricule 378. Comme des milliers et des milliers de poilus « morts pour la
France»sonnomfiguresurlemonumentauxmortsdesonvillage:Gontaud.
DanslesdébutsdecettecorrespondanceconjugaleLéonsembleassezgaidans
lespremiersmois,presque«fanfaron».Maisilmanifesteunecertaineretenue
surlerécitdesévènementscarilcraintquelacensuren’empêcheseslettresde
parvenir à sa femme. Or il est très amoureux de Madeleine et se désole d’être
éloigné de son fils Étienne, si petit qu’il risque d’oublier son père ! Dès les
premiersmois, aprèsle transfertà Draguignan etl’entraînement, sonrégiment
est transféré en chemin de fer vers Montauban puis de là à Paris. Il rejoint
Survilliersavantd’êtreaffectéavecsonrégimentàlaconstructiondetranchées,
prèsdeMourmelonetdeChâlon-en-Champagne.
DeslettresdeMadeleineontétéconservées.Léonaprèsenavoirlucertaines
les renvoyait à son épouse afin qu’elle les garde pour leur fils quand il serait
grand.Léonditàsafemmequ’ilessaiedelirequandilyaunpeuderépit!Cet
agriculteurquiavaitpeul’occasiond’écriredanslaviequotidiennes’estprocuré
unrécitsurGenevièvedeBrabant,héroïnedontilrésumel’histoireàsafemme.
Ilajoutemêmeunecomparaisonentrel’amourcourageuxdeGenevièveetcelui
desonépouseMadeleinequiaffronteseuleletravaildelafermeetl’éducationde
sonfilsÉtienne.
Léon demandedes nouvelles de la foire, des voisins,du travail à la ferme et
aussi de l’état des dépenses. Il donne des conseils à Madeleine pour gérer les
travaux des champs, l’achat des veaux, l’organisation de l’étable. À partir de
décembre1914les lettresdeLéon oscillententrelarévolte etlanécessité dese
résigner. Faut-il comme citoyen continuer à « défendre la patrie » ? Au fil des
mois et des lettres, Léon est gagné par des idées pacifistes. En lisant entre les
lignesonressentladifférencedesituation:les«nous»aufrontetles«vous»à
l’arrière.Ilnotecombientoussontimpuissantsdevantlamachinedeguerre!En
filigrane, l’amour et la tendresse de l’époux envers Madeleine l’amènent à lui
demander pardon d’écrire des choses tristes dans ses lettres. En février 1915 il
écrit « Oui, chère amie, je ne devrais pas te le dire, mais j’ai des moments de
complets découragements, et je ne suis pas le seul… » Mais la colère de Léon
revient vite : « Qu’ils baissent la tête ces provocateurs de guerre, qu’ils se
courbent jusqu’à terre pour supporter le lourd fardeau qui pèse sur leur
conscienceetqu’ilsrougissentquandilsverrontunblessé,uninfirmeetsurtout
une pauvre veuve où s’attacheront deux ou trois petits orphelins, mal-vêtus et
mourantdefaim…»
AufildeslettresLéonessaiededireavecpudeuretmaladresse,lemanqueetle
désiramoureux.Iloseécrirequ’ilarêvédeMadeleineetqu’ensembleilsfaisaient
l’amouravecbonheur.Quelquessemainesplustard,Léonécritàsonépousequ’il
va trouver un de ses camarades de tranchées qui pourra le photographier au
bivouac et envoyer la photo pour Madeleine et le petit Étienne. À partir
d’août 1915, la censure officielle est mise en place. Léon demande à sa femme
d’êtreprudentedansseslettres.Enfinen décembre1915, Léonobtientaprèsle
longtravaildeconstructiondetranchées,quelquesjoursdereposetvientjusqu’à
Mourmelon.Léon écrit à Madeleine pour demanderdes nouvelles de lafuture
replantation de tabac et des difficultés liées à un temps trop pluvieux. Léon
échange à plusieurs reprises sur un sujet qui lui tient à cœur : il veut que son
épouse ait droit à une allocation comme la commission administrative l’avait
annoncé. Malgré les démarches et les lettres on répond à Madeleine que le
revenudelafermedoitluisuffirepourvivreelleetsonfilsenl’absencedupère
defamilleaufront!Madeleinetientaumieuxlescordonsdelaboursemaiselle
doit se résoudre à congédier Jeanne la nourrice qui gardait Étienne quand
Madeleine travaillait aux champs. Léon se fâche dans ses lettres contre « les
nantis»etilimaginedesprojetsd’éducationpoursonfilsquandilrentreradela
guerre:illuiapprendralahainedelaguerre.
Àlafindel’été1915Léonécritpeu,c’estunepériodedegrandesoffensives.
Lorsqu’ilprendlaplumeildécritlesblessés,lesmorts,labouequiengloutittout.
Madeleine répond et évoque les soucis de la ferme, les premières gelées
dangereuses pour le tabac, il lui faut chercher un peu de main-d’œuvre pour
achever les vendanges et ensuite commencer à préparer les semailles. À la mi-
novembreadvientenfinlapermissiontantattendue.C’estlebonheuréphémère
ducoupleetlajoieauprèsdupetitÉtienne.AprèsleretourauFrontleslettresde
Léonsontempreintesdequelqueslignessensuellesetpleinesdetendresseenvers
sonépouse.LeslettressuivantesdeMadeleineparlentdetouslessoucisqu’elle
rencontrepourmenerlesvachesàlapâture.Pourlesramenerlesoirc’estdeplus
enplusfatigant.Elleveutéconomiserlefoinavantl’hiver,carildevraenrester
suffisammentpourtenirjusqu’àlasoudureauprintempssuivant.
Dansleslettresdedécembre1915,Léonn’hésitepasàraconteràsonépousele
vent derévolte qui soufflesur l’armée. Chacun espèrela fin dela guerre et un
phénomène s’ajoute à cela : le rapprochement avec les soldats des troupes
adverses. Ces mouvements de fraternisation ont ébranlé ses convictions. Il
critique désormais la violence des officiers français dont il subit le
commandement.Ilfaitétat detirsdel’artilleriefrançaise contreeux,lespoilus
destranchés,lorsqu’ilsonttentédeserapprocherdes«boches»pourfraterniser.
Léonévoquedanscecontexte«lesassassins»quiempêchentleretouràlapaix.
Enfévrier1916Madeleineadesérieuxsoucisaveclescomptesdelafermeet
l’alourdissementdes dépenses, elle envoie toutes les informations à son époux.
Elle se prive pour lui envoyerquelques colis et un peu d’argent. Léon dans les
lettressuivantesracontequelorsqu’ilécritlanuitilestaccompagnédubruitdes
ratsquigrattententrelescaissesdemunitionsetdegrenadesencherchantdes
débris de nourriture, et quand il n’y a plus rien à grignoter ces rats « font le
sabbat»etempêchentlessoldatsdedormir.
Àlafindel’hiverMadeleineenvoielescomptesàLéon,onylitun«inventaire
àlaPrévert»:dépensesàlafoiredeMarmande,glycérine,50livresdesonpour
les vaches, sucre, savon et huile pour la maison, lait et viande pour le petit
Étienne, sirop, café et chicorée, fil à coudre et salaire de la servante Léonie.
Suivent peuaprès les comptes dumois de mars avecachat de balai, de lessive,
d’échalotesetoignons,dupétrolepourleslampesdelaferme,ducharbon,mais
aussiunpeudechocolat,sansoublierlesfraisderéparationdelasulfateusepour
traiter les vignes. Beaucoup de lettres de Madeleine se terminent par ces
expressions«Adieu,monpetitamouradoré.Jet’envoietousmesbonsbaisers».
Parfoisunecartepostaleimpriméeestjointeàlalettre,c’estlaphotod’unpoilu
qui embrasse son aimée, une phrase imprimée mentionne « Qu’importe la
souffrance,ànotretendreamour?Lebaiserquil’effaceestlemieldelavie».
Léons’inquiètesouventdesavoirsisonfilsnel’oubliepastrop.Madeleinele
rassure et lui raconte en occitan tous les bons mots du petit Étienne. En mars
Madeleines’attardeàrelatersessoucisquotidiens:allerchercherdusablepour
semerlesplantsdetabac,labourer,surveillerleseigle«quimontevite»,acheter
àlafoireunevêle(veaufemelle)de5à6moispourlaferme.Madeleineajoute
qu’elle continue à faire des économies dès que cela est possible et qu’elle s’est
décidée à participer modestement à l’emprunt national lancé par l’État pour
financer la suite de la guerre. Elle espère dit-elle que ces titres permettront de
faire une plus-value dans l’après-guerre. Léon répond qu’il est mécontent de
cette décisiond’utilisation d’une part de leurépargne et il ajoute à lafin de sa
lettre«Situm’aimesneparticipepasàmefairetuer!».
Pendantl’année1917,Léonetsonrégimentsontaffectésàlasurveillancedu
fort de Vaux, proche de Verdun. Les échanges de lettres de cette période font
écho aux disputes des époux à propos des soucis financiers du couple pour la
gestiondelaferme.Madeleineexposequ’elleadesdifficultéspourréglerlebail
en temps aux propriétaires, elle ajoute qu’elle est épuisée par le travail mais
qu’ellenepeutpasreprendrelajournalièreLéoniecarcelaentraînetropdefrais.
LemoraldeMadeleines’assombrit.Àunmoment,elleestsidécouragéequ’elle
envisage de rompre le bail pour les terres Ricaud (nom des propriétaires) et
qu’ellesouhaiteraitchercheruntravail dedomestiquedefermeavec unsimple
salairepournourrirsonfilsetelle.Lesjournéesdejanvieràmars1917s’écoulent
dansunegrandelassituderéciproque.Madeleineestenpleindésarroi.L’hivera
été rude, beaucoup de neige. Léon travaille aux tranchées. L’épouse envoie à
Léon une carte postale imprimée avec une photo d’enfant « graine de poilu !
Comme papa», elle est accompagnéedes baisers d’Etienne.Le petit va bientôt
avoir4ans,ils’exerceàécriresonnomsurleslettrespoursonpèreouàajouter
unpetitdessin!
Enavril1917Léonécritàsonépousequ’ilquittelabouedestranchéesetqu’il
est envoyé à un travail de bureau auprès du commandement du génie. Il est
affectélàcommetéléphoniste.Ilprécisequ’ildoitêtreprésentjouretnuitdans
unpetitbureau,fortheureusementilyaunlitetunpoêleàcharbon.Letemps
luisemblelong,ilchercheàseprocurerdeslivres,ilécritdavantageàMadeleine.
Léon s’inquiètede savoir si Étienne est raisonnableet si sa mère le « corrige»
(sic)suffisamment.Danscertaineslettres,Léonévoqueseslecturesdejournaux,
il a appris l’entrée en guerre des Américains, il s’inquiète aussi beaucoup des
premierséchossurlaRévolutionrusse.QuantàMadeleine,ellefaitdesallusions
danssacorrespondanceàlapropagandedel’Étatsurlesnécessitésdelanatalité
enFrance,maisàquoibonmettreaumondedesenfants,leséleverpourenfaire
de la chair à canon quand ils arrivent à la fleur de l’âge. Elle traite le
gouvernementfrançaisetl’arméed’assassins.
Pendantl’étélesépouxéchangentdeslettresquis’enchevêtrent,surunmême
papier,Léonrépondsurlamissivedesafemmeenécrivantentreleslignesetsur
les bordures des marges, même au dos de l’enveloppe. Il faut croire qu’il n’est
plusenmesuredeseprocurerdupapier.
En août 1917, l’urgence est là, c’est l’époque des combats du Chemin des
Dames. Léon enfin eut une très courte permission. Au retour sur le front, il
n’écrit plus à son épouse que de brèves cartes postales pré-imprimées, il dit
brièvement « nous subissons des bombardements d’enfer » quelques messages
suiventenstyletélégraphique.
Le 10 août Léon est envoyé à son nouveau régiment (le 10e Régiment
d’infanterie). Sa lettre du 13 août fait état de bombardements très violents, il
ajoute:«Espéronstoujoursquandmêmeetattendonsdesjoursmeilleurs».
Léon est tué le 16 août 1917 au Chemin des Dames par « un tir ami » ! La
dernièrelettredeMadeleines’achevaitsurcesmots«Jet’envoiemillebaisers».
Envoyéele14août,elleluifut retournéeparle Servicede laposteauxarmées.
Madeleine apprit le décès de son mari par une missive d’un de leurs amis qui
étaitaufrontdanslemêmerégiment.
FEMMESMOBILISÉESPOURLAPRODUCTIONINDUSTRIELLE
Silamobilisationbouleversel’organisationdutravaildanslescampagnes,ilen
est de même pour l’industrie. Il ne reste dans les entreprises que quelques
ouvriers et cadres hautement spécialisés des industries de défense, des effectifs
nécessairesmais toutàfaitinsuffisantspourassurerlasurviedel’économiedu
paysetlasatisfactiondesbesoinsdesarmées.Lesfemmes,répondantàl’appelde
Viviani, se proposent pour remplacer les hommes mobilisés. Cependant les
industrielsmettentdutempsàlesaccepterentantqu’ouvrières.Lescommandes
del’États’accumulant,ilssevoientobligésdefaireappelàellespourrépondreà
cette demande et cette période coïncide avec la nécessité où se trouvent les
Françaises de travailler pour survivre. Les allocations offertes par le
gouvernement pour compenser la perte des salaires de leurs hommes sont
insuffisantes. Les femmes des mobilisés reçoivent une indemnité de 1,50 franc
parjourmajoréede50centimesparenfantàcharge.Parcomparaison,leprixdu
kilo de viande à cette époque est de 1,50 franc. Ces Françaises, devenues
ouvrières ou employées, doivent s’adapter à ce nouvel environnement qu’est
l’usineeteffectuer,sansformationpréalable,destâchesjusque-làréservéesaux
hommes. Cette adaptation, étant donné la mode qui avait cours avant les
hostilités, passe par une refonte totale des tenues féminines. Les corsets qui
étranglentla taille etles talons hautsqui accentuent lacambrure disparaissent,
libérantlecorpsdesfemmespourlerendreplusdisponibleàl’exercicedeleurs
activités nouvelles. Le plus étonnant est qu’elles parvinrent rapidement, sans
formation à des métiers nouveaux pour elles, à tenir dix heures de travail
journalieretàproduirelesbiensetservicesnécessairesàlaviequotidienneainsi
qu’àlasatisfactiondesbesoinsdel’arméeenguerre.Elless’adaptentàl’usineet
l’usine s’adapte à elles pour améliorer la productivitédu travail. Elles sont à la
base de la mécanisation croissante de cette époque qui réduit la dépense
d’énergie humaine sur les postes où les femmes remplacent les hommes. Déjà
présentesdanslesindustriestextilesetdeconfection,ellesentrentdeplain-pied
dans les industries mécaniques où elles conduisent les machines-outil de
l’époque : tours, fraiseuses, perceuses, rectifieuses et occupent les diverses
fonctionsdeschaînesdemontage.Iln’yavraimentquelamétallurgielourdeet
lesminesauxquelleselleséchappentmajoritairement.Cessecteursd’activitésont
pourvuspardeshommesenaffectationspécialeenraisondeleurscompétences
ouenprovenancedepaysneutresoudepayssousprotectorattelsleMarocou
l’Indochine.
Lestâchesattribuéesauxfemmessemodifientsouslapressiond’évolutionsdu
droit obtenues grâce à des revendications collectives organisées, et grâce à la
priseencomptedelaformationreçue,suiteàl’instaurationdel’écoleprimaire–
gratuite-obligatoire-laïque – par les lois Jules Ferry de 1881 et de 1882. Le
secteurtertiairedisposeàladéclarationdeguerred’ungisementdecompétences
féminines.Ainsiellesdeviennentcaissièresdebanque,vendeuses,télégraphistes,
opératrices,maisaussidactylos,institutricesetinfirmières.Cestransformations
sont liées à l’évolution économique mais aussi légale. Dans d’autres pans du
secteurtertiaire,leschosesvontégalementtrèsvite.Si,audébutdelaguerre,le
Syndicat des transports parisiens, sous la pression des usagers, s’oppose
vigoureusementàl’embauchedepersonnelféminin,onvoittrèsvitedesfemmes
conduire des taxis et des tramways, la presse devant admettre qu’il n’y a pas
d’augmentationdunombred’accidents!
Dans l’enseignement, grande nouveauté, des femmes professent dans le
secondaireàdesgarçons!Lesinstitutricesremplacentlesinstituteursqui,pour
lamoitiédeleureffectif,ontétéenvoyésaufront.L’enseignementestunsecteur
sensible,chargédel’éveilauxvaleursrépublicainesetpatriotiquedelajeunesse.
Hormis une minorité syndiquée et pacifiste, les institutrices organisent le
patriotismescolaireàl’attentiondes«grainesdePoilus».
Ce sont aussi 18 000 employés des Postes qui sont remplacés par
11 000 femmes seulement, sûrement compétentes puisque les courriers n’ont
jamaisétéaussinombreuxquependantcettepériode!
Dansles secteurs ducommerce et dela petiteindustrie, lorsque leursépoux
ontétémobilisés,desfemmesassurentladirectiond’entreprises,alorsquelaloi
lesconsidèrecommedesmineures…Laseulelégislationfavorableàcesfemmes
est la loi de 1907 pour laquelle Jeanne Schmahl livra un combat de plusieurs
annéeset dont letexte fut portédevant lesdeux assemblées parle députépuis
sénateurLéopoldGoirand.Cetexteprécisequel’épousealalibredispositiondes
sommes obtenues grâce à son activité professionnelle. S’il nous paraît être une
avancée modeste de nos jours, le texte constitue la première brèche dans les
dispositionsduCodeNapoléon.
Ellesparticipentmassivementaudéploiementdetechnologiesdeproductivité
émergentesdontledéveloppementestaccéléréparlaguerre:latéléphonieetla
dactylographie. L’administration, les grandes entreprises créent des milliers
d’emplois de téléphonistes et de « dactylos ». Les moyennes et grandes villes
françaisessedotentde«centrauxtéléphoniques»,quigrâceauxdemoisellesdu
téléphonepermettentàunepartcroissantedelapopulationd’échangerdevive
voixd’uneextrémitéàl’autreduterritoire.
QUELESTLETRAVAILDES«MUNITIONNETTES»?
Plusimportantencore,lesbesoinsdel’industriedeguerreabsorbentunepart
croissante de la population ouvrière féminine. En 1918, 430 000 femmes
travaillentdanslesusinesd’armementnotammentdanslafabricationd’obuset
demunitions,cequi leurvautlesurnomde «munitionnettes»dans lapresse.
Elles interviennent dans tous les postes de fabrication où elles partagent les
tâches des hommes, ouvriers de l’industrie de l’armement, mobilisés pour le
frontpuisrappelésàleursaffectationsprofessionnelles(Cahier-images,Pl.XIV).
La fabrication des corps d’obus à partir de billettes d’acier s’effectue à haute
température, dans des ateliers de forge où les conditions de température et de
poussière sont difficilement supportables. L’emboutissage produit un cylindre
creuxsoumisensuiteaudégrossissagequifermelapartiearrièredel’enveloppe.
«L’ogivage » effectuéégalement àchaud pardes presseshydrauliques ébauche
l’avant pointu de l’enveloppe. La trempe renforce la dureté de l’acier. Ces
opérations de métallurgie sont physiquement, pour celles et ceux qui y
travaillent,lesplusduresdelachaînedefabrication.Onytrouvecependantdes
femmes.ClotildeMulon,médecindutravail,décritl’usineCitroën,àParis,usine
d’automobiles reconvertie pour les besoins de l’armement. Elle souligne la
présencedefemmesdanslesateliersd’emboutissage:
«Toutd’abordceluioùsefaitl’emboutissagedesobus.C’estunénormehall
dans lequel 24 presses sont entourées chacune de démons noirs mâles et
femelles qui manient dans la flamme des obus d’acier incandescents. Dans
uneatmosphèredefour,unhommesortdufeulabarrerougie,laportesur
un étau où, grâce aux gestes d’une femme, un puissant poinçon s’enfonce
commeleferaitledoigtdansdelaglaise.Desétincellesjaillissentcaptéespar
desécrans. Trois secondess’écoulent. L’obustombe, creusé, embouticomme
ondit.Unhommeleprenddansdelonguespinces.Ilestprêtpourlatrempe.
Onle placesurun trottoirroulantquile conduitàun autreatelier.Vingt-
quatre équipes font le même mouvement autour de vingt-quatre machines.
Destachesdefeus’allumentetcirculentdanstoutl’immensehall.Visionde
guerre.[…]Déjànotregroupearrivedansunautreatelier.[…]Quatremille
ouvrièrestravaillentdanscephénoménalatelierconstruitensixsemainessur
l’emplacementdetrente-huitmaisons.»
À la suite de cette métallurgie à chaud viennent les opérations d’usinage
effectuées à froid sur machine-outil. L’ébauche qui sort de la forge est
transforméeenunepiècemécaniquedeprécisionquidoits’ajusterparfaitement
au tube du canon qui doit le tirer. Le corps creux de l’obus reçoit un filetage
creuxpermettantdevisserlafuséequiprovoquel’explosion,et,àl’arrière,une
gorgedestinéeàrecevoirlaceinture.Cettedernièreestunebagued’alliagetendre
quireproduit,encreuxlesrayuresducanon.Ellepermetlamiseenrotationdu
projectileaumomentdutir,cequipermetd’enaccroîtrelaprécisionetlaportée.
Lecontrôledescôtesesteffectuéetenfinleceinturage,oùlabagued’alliageest
abraséesurlecorpsdel’obus.
La suite du processus de production consiste en remplissage des charges
explosives, Le travail des femmes est difficile car elles doivent porter plusieurs
centainesvoire demilliers dekilospar jour.Pour lessoulager, AlbertThomas,
ministre de l’Armement de 1916 à 1917, souhaite une modernisation de
l’outillagemaiscelui-cirestepeuadaptéauxfemmescarilnesupprimepasles
manutentions entre postes de travail. Travailler dans une usine d’armement
représente également un danger, car ce type d’usines est une cible prioritaire
pourlesartilleursallemands.Qu’onimaginel’arrivéed’unobusadversedansun
magasin contenantdes milliers d’obus! Les accidents defabrication aussi sont
nombreux,àl’imagedeceluiquiestsurvenule2février1918àlapoudreriede
Moulinsoù2millionsd’obusontexplosé.
Les lois sur le travail des femmes qui limitent la durée du travail journalier,
interdisent le travail de nuit et imposent les temps de repos hebdomadaires,
existent. Mais devant l’urgence de l’approvisionnement du front, elles sont
ignorées. Les recherches de l’historienne Laura Lee Downs, professeure à
l’universitédeColumbiaetàl’EHESSillustrentlamanièredontcesrèglessont
ignorées au sein des usines Renault, autre usine d’un constructeur automobile
transforméeenusined’armement:
«[…]silacommanded’obusarrivait,lesouvriers,lesouvrièresétaientcensés
rester à l’usine pendant 24 heures voire 36 heures comme ça, jusqu’au
moment où la commande était honorée. Il n’était pas rare de travailler
pendant24heuresoumême36heures.Unefemmerapportequependantles
servicesdenuitauxusinesRenault,certainesdormentdanslesWC.S’iln’y
avait pas eu de dimanche, les trois quarts de ces femmes seraient mortes.
Certaines sont décédées d’ailleurs comme le rapporte le témoignage d’une
autreouvrièresursesconditionsdetravaildurantlaguerre».
Autre témoignage, vécu celui-là, de la dureté des conditions de travail :
Marcelle Capy, journaliste libertaire, travaille incognito dans une usine
d’armement. Elle livre, dans La Voix des femmes, son témoignage, sur la
pénibilitédupostedecontrôledimensionneldesobusenfindechaîne,àlafinde
l’année1917:
« L’ouvrière, toujours debout, saisit l’obus, le porte sur l’appareil dont elle
soulèvelapartiesupérieure.L’enginenplace,elleabaissecettepartie,vérifie
lesdimensions(c’estlebutdel’opération),relèvelacloche,prendl’obusetle
dépose à gauche. Chaque obus pèse sept kilos. En temps de production
normale,2500obuspassenten 11heuresentresesmains.Comme elledoit
souleverdeuxfoischaqueengin,ellesoupèseenunjour35000kg.
Auboutde3/4d’heure,jemesuisavouéevaincue.J’aivumacompagnetoute
frêle,toutegentilledanssongrandtabliernoir,poursuivresabesogne.Elleest
àlaclochedepuisunan.900000obussontpassésentresesdoigts.Elleadonc
soulevéunfardeaude7millionsdekilos.
Arrivéefraîcheetforteàl’usine,elleaperdusesbellescouleursetn’estplus
qu’unemincefilletteépuisée.Jelaregardeavecstupeuretcesmotsrésonnent
danslatête:35000kg.».
Toutes ces opérations de fabrication d’obus reposent sur des manipulations
sans assistancemécanique, à l’exception decelles qui concernent la fabrication
des gros obus de l’artillerie de siège ou de l’artillerie de marine. Les usines
d’armement qui en fabriquent sont équipées de ponts roulants qui permettent
auxébauchesdecirculerd’unemachine-outilàl’autresansqu’ilsoitnécessaire
defaireappelauxforceshumaines.
Lafabricationdesdouillesd’obusfaitappelàlamétallurgieducuivreetdeses
dérivés. La SEMD (Société d’Electro Métallurgie de Dives) a été créée pour
produire des tubes de cuivre ou de laiton à partir d’un procédé d’électrolyse
d’origine britannique (procédé Elmore). L’usine de Dives produit sa propre
électriciténécessaireàl’applicationduprocédé.Commeiln’yaplusdeminesde
charbon en France hormis dans la zone occupée, l’établissement reçoit ses
matièrespremières,charbonetcuivrebrut,depuislaGrande-Bretagne.Unejetée
a été construite en mer pour permettre aux bateaux qui l’approvisionnent
d’accoster.Lasociétéarevendusonprocédéàd’autrescompagniesetouvertdes
filiales. Moins stressant que l’usinage des obus, le travail de fabrication des
douillesoccupeaussidenombreusesfemmes.Onretrouvedouillesetobusdans
lesateliersderemplissage.Lesdouillesreçoiventlachargepropulsivedefulmi-
coton.DanslecorpsdesobuslaMéliniteencoreappeléeacidepicriqueestcoulée
à chaud. Puis les deux, douilles et obus, sont assemblés par forçage. Les obus
« shrapnells » qui éclatent en altitude et dispersent des billes de plomb
meurtrièressontchargésàlapoudrenoire.
Lesmunitionnettestravaillentaussidanslesateliersmalsainsetdangereuxoù
onfabriquelesexplosifs.Le«fulmi-coton»deschargespropulsivesestobtenu
par l’action d’un mélange d’acide sulfurique et d’acide nitrique sur du coton.
L’acide picrique des charges explosives est du trinitro-phénol, qui résulte de
l’action de l’acide nitrique sur le chloro-phénol. Cristallisé, c’est un explosif
brisant puissant. En cas de contact direct, l’acide picrique provoque une
coloration jaunâtre des cheveux et de la peau qui est caractéristique des
travailleursdesentreprisesdemunitions.Lapoudrenoire,mélangedesoufre,de
salpêtre et de charbon de bois pulvérisé part de composants moins dangereux
pourla santéhumaine, maisl’instabilitédu produiten coursde fabricationest
susceptible de réactions spontanées très dangereuses pour les opératrices et
opérateursquiparticipentàsafabrication.Etilyapireencore:lesrisquesliésà
lafabricationdes obusà gaztoxique.Germaine Belloulou,infirmièredurantla
guerretémoigne:
«En1916,lesfemmesontcommencéàtravaillerdanslespoudrières.C’était
effrayantcommeellesétaientjaunesàcausedel’ypérite.Maisellesgagnaient
beaucoup d’argent,alors du momentqu’elles avaient de l’argent,tout allait
bien».
Dansunopusculede1917consacréàlasantédesfemmesautravaildansles
usinesd’armement,leComitéduTravailFémininduministèredel’Armement
émetdesvœuxconcernantlaprotectiondelamaternitéauseindecettebranche
d’activité. Une enquête du professeur Audubert sur les établissements de
Toulouse, portant sur les 4 175 femmes travaillant à la poudrerie, les 7 356
travaillant à l’Arsenal et à la Cartoucherie, révèle que 311 femmes étaient
enceintesàlaPoudrerieet224àl’ArsenaletàlaCartoucherie.Chezlesouvrières
de la Poudrerie, 50 % des grossesses ne sont pas arrivées à terme contre 30 %
chezlesouvrièresdel’ArsenaletdelaCartoucherie.Mêmecedernierchiffreest
supérieur au pourcentage moyen de l’époque. Il trahit l’effet des innombrables
manutentions, de la station debout et des horaires de travail imposés par la
nature du travail des ouvrières. Quant au chiffre effarant des grossesses
interrompues chez les ouvrières de la poudrerie, il est probablement causé par
l’exposition aux produits utilisés pour la fabrication des explosifs et gaz de
combat.
Les munitionnettes sont plus de 430 000 à la fin de la guerre. Le maréchal
Joffreauraitdit:«Silesfemmes,quitravaillentdanslesusines,s’arrêtaientvingt
minutes,lesAlliésperdraientlaguerre.»
Et pourtant, malgré des conditions de travail épouvantables, des risques
d’accidentconsidérablesetunpouvoird’achatenconstanteérosion,lesrévoltes
ouvrières féminines furent peu nombreuses, à l’exception de celles de l’année
1917quisedéroulentdansunclimatgénéralderefusdessacrificesimposéspar
laguerre. Lesouvrièresmultiplient lesgrèves pouraméliorerleur situation,du
moinscellesquiontprisconsciencedeleurpouvoirdenégociation,cequin’est
pas le cas de celles qui travaillent dans l’industrie textile et la confection. La
mémoire ouvrière a conservé des traces de ces luttes de 1917, comme « La
marchedesfemmessyndicalistes»deSaint-Étienne:
«Deboutlesfemmes!
Onnousréclame
Pourboycotterleursprocédés.
Ontuenosfrères.
Assezd’abus,
Nousvoulonsnospoilus
[…]Encestroisansdeguerre
Quel’onnousfaitsubir,
C’estlaclasseouvrière
Quel’onveutasservir.
Serronslesrangs,lesfemmes!
Etcontrecesassassins
Nousenvoulonslafin.
Groupons-nouspourlapaix,
C’estlebonheurqu’onveutdésormais»
La violencedu texte, laisserait penser que la révolutionest proche et qu’une
partiedelapopulationféminineestprêteàsesouleverpourrefuserlaviolence
quiluiestfaite.Etpourtant,avecl’armisticeetleretourdessoldats,lesfemmes
reprennentlaplacequiétaitlaleuravant-guerreetreçoiventpeudetémoignages
de reconnaissance pour leur participation à l’effort de guerre, qu’elles aient
travailléauxchampsoudansl’industriededéfense.Ilestd’ailleursassezétrange
quel’imageriede l’époquequireprésente souventdesfemmes auxcommandes
de machines-outils sophistiquées véhicule une impression trompeuse : non le
savoir-faire des professionnels de la métallurgie ne leur a pas été transmis. Le
réglage des machines, le changement des outils de coupe en fin de vie,
l’ordonnancementdelaproduction,toutcelaaétéfaitparlesprofessionnelsde
l’armementenaffectationspéciale.Généralement,lesouvrièressontcantonnées
à assurer l’alimentation des machines en ébauches et au lancement des
opérationsd’usinage.Comparativement,lespaysannesontbeaucoupplusappris
deleurparticipationà l’effortdeguerre.Ellesontdécouvert parlapratiqueles
techniques de culture et les règles de gestion de l’exploitation. Parmi les
malheureuses qui ont perdu leur mari au front, une part non négligeable se
refuseàcéderleurexploitationqu’ellescontinuentàfairesurvivre.
FEMMESINFIRMIÈRES:LES«ANGESBLANCS»
D’autres femmes encore participent à l’effort de guerre d’une manière
différente : celles que l’on appelle les Anges Blancs. Certaines d’entre elles, au
nombre de 30 000 sont des infirmières militaires. Leur affectation dépend du
service de santé des Armées, ce qui les destine majoritairement aux centres
sanitaires les plus proches du front, ainsi qu’aux hôpitaux permanents des
Régions militaires. En ce temps de guerre, les services de santé des armées
reçoivent le renfort de la Croix-Rouge. Cette dernière réunit trois sociétés
(l’Association des Dames françaises, l’Union des Femmes de France, la Société
française de secours aux blessés militaires ou SSBM). Elle est animée par des
femmesbénévoles.Ilestprévuparlesdécretsde1892puisde1913,qu’encasde
conflit,laCroix-Rougeestàladispositionduservicedesantédesarmées.Pour
se préparer à cette éventualité, sa mission de temps de paix est ainsi définie :
identifier des locaux pour installer des hôpitaux dits « auxiliaires », former du
personnelsanitaireetconstituerunstockdematérielpourlesfairefonctionner.
Dans les années qui ont précédé la guerre, des dispensaires ont été ouverts,
jusqu’aunombrede87,quitoutenapportantdessoinsmédicauxgratuitsdans
des quartiers défavorisés ont servi de centres de formation aux infirmières
bénévoles. Cette association est également forte de 250 000 adhérentes dont
certainesviennentdes classessocialesdominantes, toutescotisantesselon leurs
moyens,cequireprésenteunepuissancefinancièreconsidérable.Aumomentoù
laguerre éclate,laCroix-Rouge dirigeprès de72 000infirmièreset auxiliaires,
réparties dans toutes les structures de soins à l’arrière ou dans les ambulances
prèsdufront:950sontdécoréesdelaCroixdeguerreàcetitre,105sonttuées
sousles bombardements,4600 reçoiventla médailled’honneurdes épidémies,
chiffre qui rappelle le risque auquel sont exposées celles qui soignent les
nombreuxsoldatsdécimésparlesépidémiesdetyphus,detyphoïdeet,dansles
derniersmoisdelaguerre,parlaterrible«grippeespagnole».
Nombredetextesdel’époqueexaltentlerôledel’infirmière:emportéparun
élan de machisme lyrique,Léon Abennour écrit en 1917 dans son ouvrage Les
Vaillantes le texte suivant : « Quiconquepense à la femme française de 1914 se
représente une jeune infirmière drapée dans le voile blanc ou bleu, sémillante
malgrélacoiffemonastiqueoùbrilleunecroixdesang».
Le concours de ces volontaires est indispensable pour le fonctionnement du
servicedesantémilitaire.Ilyeutprèsdetroismillionsdesoldatsfrançaisblessés
ethospitalisés,pendantlesquatreannéesdeguerre.
Le rôle qui fut le leur durant ce conflit se rapproche plus de celui de l’aide-
soignanteactuellequedeceluidel’infirmièrecontemporaine.Lacausedecette
différencetient,biensûr,aucaractèreencorefrustedelamédecinedel’époque,
maisaussi àlaméfiance desmédecinsqu’ils fussentmilitaires,appelés sousles
drapeaux,oucivils,pourcepersonnelinfirmiervolontairedontlacompétenceet
la résilience leur paraissait incertaine. Il faut dire, à leur décharge, que ces
femmes volontaires, souvent jeunes, avaient pour entraînement les soins aux
maladesdes dispensaires dela CRF. Là, ils’agit d’autre chose: le sangpartout
répanduparlesplaiesouvertes,leschairsdéchiréesparleséclatsd’obusàl’acier
coupantetdentelé,lesabdomenslabourésparleséclatsdefontedesgrenadesà
main, les membres qui ne tiennent plus que par quelques tendons, les visages
labourésetméconnaissables.Malgrécetteinhumainehorreur,lesinfirmièreset
leurs aides auxiliaires font leurs preuves dans les hôpitaux de toile installés à
proximité du front et prennent en charge efficacement les évacuations vers les
hôpitaux de l’arrière. Leur participation aux évacuations réduit le nombre de
décèsencoursdetransportenraisondel’attentionqu’ellesportentàl’étatdeces
malheureux:desmotsd’espoiràlaréfectiondespansementsetàlasurveillance
desgarrots,nombred’entreeuxleurdoiventd’êtrearrivésvivantsàl’hôpital.
Le service de santé comporte en plus des hôpitaux militaires des lits
réquisitionnés dans des hôpitaux civils, des hôpitaux auxiliaires gérés par des
directrices de la Croix-Rouge. À Paris on organise des cours pour former des
aides infirmières. L’intérêt était tel qu’il y eut forte affluence de candidates. Le
zèle patriotique s’accompagna parfois de l’espoir d’assurer son sort matériel,
disposerd’unsalaireminimaletêtreindépendante.Pourd’autresfemmescefut
uncertainsnobismepoursevanterparlasuitedesonengagement!Quelques-
unes se sentirent même flattées de porter le costume d’infirmière et d’être
reconnuesdansl’espacepublic.
Lesreligieusesqui,avantlaloide1905,constituaientl’essentieldespersonnels
soignantdeshôpitaux reprennentduservice. Ellessontenviron 10000à s’être
dispersées dans les congrégations déclarées,lors de l’interdiction qui leur a été
faite d’exercer dans les établissements publics de santé. Hospitalières,
FranciscainesetSœursdeSaint-Vincent-de-Paulsontrattachéesdenouveauaux
hôpitaux.Cetteréintégrationauseindelanationaprèslesviolencesmoralesqui
ontaccompagnélapromulgation delaloide séparationapporte dubaumesur
les blessures de 1905. Les sœurs de Saint-Charles de Nancy répondent avec
enthousiasmeàcetactedereconnaissance.LasœurJulie,supérieuredel’hôpital
deGerbéviller,donneasileàmilleblessésqu’ellerefuseobstinémentdelivreraux
Allemands. Le président de la République, Raymond Poincaré, en visite à
Gerbévillerle29novembre1914,décernelalégiond’honneurà«l’infirmièrede
l’hospice-ambulance de Gerbéviller ». Une citation à l’ordre de l’Armée lui fut
égalementattribuée.
Une autre expérience d’infirmière est celle de Thérèse Papillon (1888-1983)
quis’étaitengagéedansleservicedesantédesarméesetavaitservipendantles
bataillesd’Artois,delaSommeetduChemindesDames.Ellefutensuiteaffectée
à l’Armée d’Orient, accepta de servir en Serbie dans la lutte contre le typhus.
Aprèsl’armistice,ellesemitdix-huitmoisauservicedespopulationssinistrées
de l’est du département de la Somme, elle soigna des enfants et consacra ses
efforts à la lutte contre la tuberculose. Sollicitant le préfet de la Somme et
quelques mécènes elle installa un établissement pour enfants tuberculeux dans
l’abbaye de Valloires et y exerça jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Elle
participaen1939/45àlaRésistance.
L’AIDEAUXPOPULATIONSCIVILES:
LESAMÉRICAINESDUCARD
Àlapériphériedecemouvementversleservicedesantédesarmées,ilyeut
l’action privéede responsables féminines américainesqui, comme les aviateurs
volontairesdel’escadrilleLafayette,vinrentserangerauxcôtésdelaFrance,en
remerciement de sa contribution à l’indépendance des États-Unis. Anne Tracy
Morganfutl’unedecesmécènes.Américainefrancophileetphilanthropeelleest
la fille du banquier John Pierpont Morgan. À New York, elle est membre
fondatriceduColonyClub,premierclubpourfemmesdelaville.
AnneMorgan,avecsesamies,lesAméricainesÉlisabethMarburyetElsiede
Wolfe,séjournentrégulièrementenFrance,avantlaguerre,àlavillaTrianon,au
Chesnay,prèsdeVersailles.Lepèred’Anne,lebanquierJohnPierpontMorgan,
décèdeen1913cequilametàlatêted’unefortuneconsidérable.
Enseptembre1914,elleserendencompagniedesesamiessurleterrainaprès
labatailledelaMarne.Finseptembre1914,ellesorganisentauxÉtats-Unisdes
tournées de conférences illustrées par des projections de photographies et de
filmsréalisésparleservicecinématographiquedel’arméefrançaisedanslebutde
collecter des fonds pour l’AFFW (American Fund for French Wounded),
association desecours destinée aux victimes européennesde la guerre. Celle-ci
fournitleshôpitauxetlesambulancesenmatérielmédicaletenvoiedescolisaux
soldats.
Au début de 1916, Anne Morgan revient en France et transforme la villa
Trianon en une maison de convalescence pour soldats. Elle crée une section
civiledel’AFFWpourvenirenaideauxpopulationsquiviventdanslazonedu
front. Ce nouvel organisme, le Comité américain pour les régions dévastées
(CARD), est présidé et dirigé par Anna Murray Dike (1878-1929), médecin
canadienne d’origine écossaise proche d’Anne Morgan. Trois cent cinquante
jeunes américaines y participent. Elles doivent maîtriser la langue française,
posséder leur propre automobile, subvenir à leurs propres besoins et porter
l’uniformetoutaulongdeleurengagementde6mois.
En1917,aprèsl’entréeenguerredesÉtats-Unisetavecl’accorddesautorités
militaires, Anne Morgan et Anna Murray Dike s’installent à Blérancourt, dans
l’Aisne,prèsdufront,danslesquelquesbâtimentsquisubsistentduchâteaudu
XVIIe .Ellesfontédifierdesbaraquementsdanslacourd’honneur,etyinstallent
lesvolontairesaméricainesduCARD.Aidéesd’auxiliairesfrançaisesrétribuées,
lesvolontairesduCARDviennentenaideauxsinistrésetvictimesdelaguerre.
Leur activité couvre de nombreux domaines, en plus de celui de la santé. La
remiseenétatdeslogementsdétruitsparlaguerre,laréouverturedesécolesfont
aussipartiedeleursdomainesd’intervention.Onleurdoitégalementlaremise
sur pied des activités culturelles. Des voitures cinéma permettent de créer des
spectacles de cinéma dans les villages tandis que des tournées de camions
bibliothèquessontorganiséespourremplacerlesfondsdebibliothèquesdétruits
parfaitsdeguerreetproposerdeslecturestantauxadultesqu’auxenfants.
L’action du CARD s’étend bien au-delà de la région de Blérancourt.
À Soissons sont créées des structures d’aide sociale dont le fonctionnement
perdureensuitesouslecontrôledel’administrationfrançaise.Puis,àlasuitede
la réouverture de salles de lecture de la région et de la remise en route de la
bibliothèquede Soissons, uneÉcole américaine debibliothécaires estouverte à
Paris où l’on enseigne, entre autres, le système de classification Dewey. Au
printemps 1918, quand survient la redoutable percée due à l’ultime offensive
allemande, tous leurs efforts de reconstruction dans la région de Blérancourt
sont anéantis. Anne Morgan et Anna Murray évacuent les populations
abandonnées par le repli de l’Armée française et les rapatrient vers Paris où le
Quartiergénéral leurdonne des locauxboulevard Lannes.Dès quela situation
militaire est devenue favorable aux Français, elles reconduisent cette même
populationversl’Aisne.
Après la guerre, le CARD participe à la reconstruction de la région.
L’association L’Hygiène sociale de l’Aisne (HASA) est créée : elle emploie des
FrançaisesrecrutéesàlaMaisondesantéprotestantedeBordeauxdirigéeparle
DrAnnaHamilton.
En1924,ellefondele«Muséehistoriquefranco-américain»danslechâteau
deBlérancourt; cedernieretses collectionsfurentensuitedonnés àlavillede
Blérancourtetdeviennenten 1931leMuséenational delacoopérationfranco-
américaine.En1932,AnneMorganestlapremièrefemmeaméricaineàdevenir
commandeurdelaLégiond’honneur,dontelleétaitdécoréedepuis1924.
Dansunautre domainesesituel’œuvre philanthropiquede GraceWhitney-
Hoff née aux États-Unis en 1862. Elle vient s’installer en France en 1900, avec
sonépoux,l’undesdirigeantsdelaStandardOilCompany.GracefondeàParis
en1906leStudentHostelafind’accueillirdesjeunesfillesdumondeanglo-saxon
quiviennent étudierdansles universitésfrançaises.Pendant laguerre de1914,
GraceWhitneyestmarrainedeguerred’unrégimentd’infanterie,parlasuiteelle
transformesonchâteaudePeyrieu(Ain)pourenfaireunemaisonderetraitedes
veuves de guerre. Elle fait aussi reconstruire en 1926 le Student Hostel en
modernisant et agrandissant ses équipements, au 93 Bd Saint-Michel. Des
étudiantes de toutes nationalités y sont accueillies, y compris des boursières.
Grace fait don de cet établissement à l’université de Paris en 1936. Ce foyer,
devenumixte,existetoujours.
FEMMESCHIRURGIENNESETACTIONSSURLEFRONT
À l’époque du début de la Grande Guerre, un certain nombre de femmes
avaient réussi à franchir, non sans peine, le machisme latent des milieux
médicaux et à obtenir leur doctorat. Animées d’un élan patriotique méritoire,
nombre d’entreelles se rendent dans les bureaux demobilisation, pensant que
leurscompétencesseraientutilesdanslesservicesdesantédesarmées.Hélas,les
médecins militaires considèrent que les femmes n’ont pas leur place dans les
ambulancesduchampdebataille.
Seule, Nicole Girard-Mangin, née à Paris en octobre 1878 et décédée en
juin 1919 dans la même ville, fut acceptée (Cahier-images, Pl. XIV). Unique
femmemédecinaffectéeaufrontdurantlaPremièreGuerremondiale,ilsemble
quesonincorporationsoitliéeàuneerreurdelecturequifitdeGirardMangin,
« un » Gérard Mangin. Mobilisée à la suite de cette probable erreur
administrative le 2 août 1914, elle occulte sa condition féminine et se porte
volontairepourexerceràVerdun.
NéeàParisdeparentsoriginairesdupetitvillagedeVéry-en-Argonne,elleest
issued’unepetitebourgeoisieassezaiséepourqu’à18ans,elleentamedesétudes
de médecine. Mariée en 1899 avec André Girard, elle met au monde un fils,
Étienneetabandonnesesétudespourtravaillerauxcôtésdesonmari.Divorcée
en1903,ellerevientàsesétudesdemédecineetprésenteen1906sathèsesurles
poisons cancéreux. Elle intègre en 1914 le dispensaire anti-tuberculeux de
Beaujon. Lorsque la guerre éclate, elle se porte volontaire. L’administration,
malgré son erreur sur le sexe de l’aspirante, la mobilise, l’armée manquant de
médecins. Suprême insulte, elle est incorporée comme médecin auxiliaire avec
une solde d’infirmière et on lui donne un uniforme de femme-médecin de
l’arméeanglaise,jupeaurasdusol,dolmanetcasquetteplate,aucundirigeantdu
service de santé des armées n’étant capable d’imaginer qu’avec quelques
aménagements, on aurait pu lui trouver une tenue qui l’intègre un peu mieux
parmi sescollègues. Arrivée au fortde la Chaume, lemédecin chef lui interdit
l’accès aux salles des blessés. On l’affecte, avec pour toute aide une douzaine
d’infirmiers,auxsoinsdes800typhiquesdusecteurdeVerdunregroupésdansla
caserne de Glorieux qui, comme le reste du secteur croule sous les bombes le
21 février1916. Lorsquel’ordre d’évacuationest donné, NicoleGirard-Mangin
ne peut se résoudre à abandonner les neuf blessés intransportables de son
service.Lorsqu’il estquestion d’évacuercinq soldats survivantsnécessitant une
hospitalisation, elle organise un convoi automobile, au mépris des obus qui
pleuvent.Affectéeensuiteàl’hôpitalauxiliairedeVadelaincourt,ellepratiquela
chirurgiedeguerre.Ilsembleaussiqu’àcetteépoqueelleaitsillonnéégalement
lechampdebatailleencamionnetteavecunbrancardieretuninfirmierafinde
prodiguerlespremierssoins.
ElleestenvoyéeensuitedanslaSommepuisdanslePas-de-Calais,àl’hôpital
deMoulle,oùelledirigeunservicedetraitementpourtuberculeux.Malgréses
nombreux heurts avec l’administration militaire, elle est nommée médecin-
major,endécembre1916,avecrappeldetraitement.ElleestalorsaffectéeàParis
oùellesevoitconfierladirectiondel’hôpitalÉdithCavell,qui,outresesservices
médicauxetchirurgicaux,abriteuneécoled’infirmières.
Aprèslaguerre,dansunbutmémorieletpacifiste,elledonnedesconférences
surlerôledesfemmesdurantlaGrandeGuerre.Ellemiliteégalementdansune
association féministe et participe à la création de la Ligue nationale contre le
cancer.Alorsqu’elleprépareunetournéeinternationale,elleestretrouvéemorte,
d’uneoverdosemédicamenteuseenjuin1919,victimedusurmenageousuicidée
dansunaccèsposttraumatique,aucôtédesonchienDun.Uneautrehypothèse
serait qu’elle se soit suicidée, se sachant atteinte d’un cancer incurable. Malgré
son héroïsme, jamais, elle ne reçut aucun témoignage de reconnaissance de la
nation.Ilrested’elleunportraitphotographiqueetunmessagededouceuretde
légèretéquidittoutesagrandeur:
« Il est fort probable que peu d’années, que dis-je, peu de mois après notre
victoire, j’aurai un sourire amusé pour mon accoutrement singulier. Une
penséecritique pour l’affectionque jeporte àDun, ma chienne.Ce seradu
reste injuste et ridicule. Je dois à ma casquette d’avoir gardé une coiffure
correcte,mêmeendormantsurdesbrancards;d’avoirtenudesheuressurun
siège étroit sansgêner le conducteur. Je dois à mes multiplespoches d’avoir
toujourspossédélesobjetsdepremièrenécessité,uncouteau,ungobelet,un
peigne,delaficelle,unbriquet,unelampeélectrique,dusucreetduchocolat.
Je dois à ma chienne, née et élevée là-bas bien des minutes d’oubli, son
attachementdésintéressém’aétédoux.Enfin,jedoisàmescaducéesetmes
brisquesleprestigequ’ilm’afalluparfoisauprèsdesignorantsetdessots.»
Une autre figure est celle de Suzanne Noël (née en 1878) qui avait fait des
étudesdemédecineetavaitcommencéuneformationenchirurgie.Dès1916elle
seformaauxtechniquesdelachirurgieréparatriceàl’hôpitalmilitaireduValde
Grâce. Dans des conditions précaires elle opère des soldats défigurés, les
«gueulescassées»etsoutientparlasuitesathèseen1925danslaspécialitédela
chirurgiedereconstruction.
NicoleGirardManginetSuzanneNoëlnefurentpasaccueilliesavecchaleur
dans le milieu des soins aux blessés de guerre, il en fut de même pour Marie
Curie. La physicienne deux fois « Nobélisée », maîtrisait la physique des
rayons X, découverts par Wilhelm Röntgen, en 1895 et utilisés en radiologie
médicaleparAntoineBéclèreàpartirde1897.
En juillet 1914, Marie vient de déménager son ancien laboratoire dans un
nouveaubâtimentquis’appellel’Institutduradium,dansleVearrondissement
deParis.Lelaboratoiredanslequelelleeffectuesesrecherchesvoisineaveccelui
dudocteurRegaudquieffectuedesrecherchessurlesapplicationspossiblesdes
rayonsX etdu radiumau traitementdes tumeurscancéreuses.À la suitede la
déclaration de guerre, elle est contactée par le ministère de la Guerre, à la
demandedu docteur Béclère, pourremplir deux missions :former rapidement
des opérateurs radiographes pour qu’ils travaillent auprès des chirurgiens
militairesalorsqu’iln’yaque175médecinsradiologistesenFranceetmultiplier
lesinstallationsderadiographie.Pourrépondreàcettemission,MarieCuriemet
en veille les activités de l’Institut du radium et le transforme en établissement
d’enseignement de la radiologie pratique. Elle forme des infirmières qu’elle
préfèreauxmanipulateursmilitairesmasculins.Ellechoisitlesfemmesqu’elleva
formerenfonctiondeleurniveaudeconnaissanceenphysiquethéorique.Elleva
au-delà de la mission qui lui a été confiée. Elle imagine de rapprocher les
installations de radiologie au plus près du front et des hôpitaux de campagne
pour apporter les informations nécessaires à une intervention efficace sur les
blessures le plus tôt possible. Elle lève des fonds pour transformer dix-huit
voitureschirurgicales, les célèbres« auto-chir »en autant de «petites Curies »
équipées de matériel radiologique. Pour produire l’électricité nécessaire à la
radiologie,onainstalléunedynamoquiestentraînéeparlemoteurduvéhicule.
Ces voitures partent dans le Nord et dans l’Est de la France. En 1916, Marie
Curieobtientsonpermisdeconduireetpartrégulièrementsurlefrontréaliser
desradiographies.ElleestrejointeparsafilleaînéeIrène(lafutureIrèneJoliot
CuriePrixNobelà sontour),âgéedemoins dedix-huitans,qui faitdemême
dansplusieurshôpitauxdecampagneduranttoutelaguerre.MarieCurieaaussi
participé à la création de 150 installations fixes de radiologie, au sein des
hôpitauxmilitaires.
DESINFIRMIÈRESDECHOC,
MAISSOUVENTSANSDIPLÔMES
FEMMESDEL’OMBRE:RÉSISTANTESETESPIONNES.
AIDERLESALLIÉS
Après les horreurs de l’invasion, les habitants et habitantes subissent les
rigueurs de la loi martiale. Ils sont obligés de délaisser tout ou partie de leurs
habitatspour le logementde soldatsou officiers allemands.La kommandantur
estconscientedesrisquesd’attentatscontresestroupes.Aussimet-elleenplace
unsystèmededéportationd’otages.Unvastecampdedétentiond’unecapacité
de10000personnesestbâtiàHolzminden,danslenord-ouestdel’Allemagne,
enBasseSaxe.Lecampestdestinéàrecevoirdesressortissantscivilsdesnations
de la Triple Entente habitant les zones occupées (Cahier-images, Pl. XIV). De
plus,touteslesvillesdesterritoiresoccupésdoiventfournirunquotadenotables,
femmesetenfantscompris,destinésàêtredéportésdanscecamp.Cesderniers
saventquesiunattentantestcommisdansleurvilled’originecontrelestroupes
allemandes,ilssontdestinésàêtrefusillés.Lapoignedeferallemandeprovoque,
enzone occupée,lesmêmesréactions quecellesque connutla Franceoccupée
vingtans plustard.Des femmeset deshommes refusentl’humiliationqui leur
est infligée et entrent en guerre secrète contre l’occupant : l’information
clandestine des populations, le recueil du renseignement militaire, l’assistance
aux évadés qui rejoignent une zone d’où ils peuvent reprendre le combat, le
sabotage.Certaines sourcesestimentle nombrede résistantsactifs à3 000.On
estime que 300 d’entre eux furent fusillés. Les Allemands leur opposent des
services de police qui parviennent à infiltrer certains réseaux. C’est ainsi que
tombent les réseaux Jacquet, Trulin et Louise de Bettignies dans la région de
Lille.EugèneJacquetestunrichenégociantenvinlillois.Ilestsocialiste,franc-
maçon,secrétairedelaFédérationduNorddelaLiguedesDroitsdel’Homme.
Le réseau qu’il dirige recueille des fonds destinés à financer son activité
clandestine. Il cache les fugitifs et organise leur évasion vers la Hollande, pays
neutre, via la Belgique. Eugène Jacquet est aidé dans sa tâche par George
Maertens, Ernest Deceuninck, et le passeur belge Sylvère Verhust. Cette filière
d’évasion efficace prend le nom de Comité Jacquet. Elle reçoit l’aide de
nombreuxpatriotesquineseconnaissantpasentreeuxetquin’ontdecontact
qu’avecunseuldesmembresducomité.Cedernierpermetl’évasiond’unpilote
anglais abattu au-dessus du territoire occupé. Mal inspiré, ce dernier laisse en
Franceuncarnetdanslequelilaconsignélerécitdespréparatifsdesonévasion.
Il ajoute à cette bourde une provocation dont il aurait pu s’abstenir. Il revient
survolerlaKommandanturlilloiseetlargueuncourrierdanslequelilnarguele
gouverneurmilitaireallemandVonHeinrich.Grâceauxinformationscontenues
dans le carnet du pilote anglais, les Allemands arrêtent 200 personnes. Eugène
Jacquetetsestroiscomplicessontfusillés.Unmonumentàleurmémoireaété
édifiéen1929surl’esplanadedelaCitadelle.
Lesfemmesprirentunepartimportantedanscetteguerredel’ombre.Louise
de Bettignies est, avec Édith Cavell, à l’origine d’un type de réseaux construits
autourd’uneactivitéinitialedesoinsauxblessés.NéeàSaint-Amand-les-Eaux,
elle acquiert à l’issue de ses études universitaires une parfaite maîtrise de la
langue anglaise et possède aussi une bonne connaissance de l’allemand et de
l’italien,aprèsavoirexercédesfonctionsdegouvernanteouderépétitricedans
différentesfamillesaristocratesd’Europe.
Au moment de l’invasion de 1914, Louise et sa sœur vivent dans la maison
familiale à Lille. Leur mère fuit l’avancée allemande et trouve refuge à Saint-
Omer. Madame Féron-Vrau(1869-1927), amie de leur famille et fondatrice de
l’hôpitaldelaCroix-RougedeLille,lesrecrutetoutesdeuxcommeinfirmières.
Du 4 au 13 octobre 1914, les troupes lilloises refusent de se rendre malgré
l’écrasante supériorité numérique de l’ennemi. Elles se battent sous un déluge
d’artillerie qui réduit le quartier de la gare à un monceau de ruines. Louise de
Bettignies et sa sœur participent au ravitaillement en vivres et munitions des
soldatsquisebattentcontrelesassiégeants.Aprèslecessez-le-feu,ellessoignent
indifféremmentlesblessésdesdeuxcampsdansdeshôpitauxdefortune.Louise
rédige des lettres destinées aux familles, sous la dictée de soldats allemands
mourants.
Àlafindel’année,elleacceptedepasserenFrancenonoccupéequelquetrois
cents lettres, qu’elle avait recopiées à l’encre invisible sur ses vêtements. Elle
entreprendlevoyagepourarriveràBoulogneetrejoindresamèreàSaint-Omer.
Au cours de ce séjour elle est contactée par le Deuxième bureau français et
l’IntelligenceServiceanglaisquisouhaitentmettreenplaceàLilleunservicede
renseignements. Sous le pseudonyme d’Alice Dubois, elle crée et dirige depuis
sondomicile,avecl’aidedeLéonieVanhoutte,unvasteréseaudansleNorddela
France. Elle centralise les observations recueillies par ses informateurs sur les
mouvementsdestroupesallemandes.Pendantlesneufmoisdesapleineactivité
(janvier à septembre 1915), l’état-major britannique estime que la centaine de
personnes du réseau d’Alice a permis d’épargner la vie de plus d’un millier de
soldatsbritanniques.
ArrêtéeparlesAllemandsen1916avecplusieursdesescollaborateurs,elleest
jugéeetcondamnéeàmort.Sapeineestcommuéeendétentionenforteresse,à
perpétuité. Léonie Vanhoutte est condamnée à 15 ans de prison. Louise est
internéeàlaforteressedeSiegburgousetrouveégalementlaprincessedeCroÿ
arrêtée,elle,enraisondesonappartenanceauréseaud’EdithCavell.Elletombe
malade, est mal opérée d’un abcès du poumon et meurt, probablement de
septicémieàl’hôpitaldeCologneoùelleaététransportée.En1920,soncorpsest
rapatriéenFrance.MgrCharost,évêquedeLille,dansl’homéliequ’ilprononce
aucoursdelacérémonieusedecettecomparaison:
« Aux époques de la grande pitié nationale, des femmes ont toujours surgi
commeJeanned’Arcou LouisedeBettignies.Chez labonneLilloisecomme
chez la bonne Lorraine, c’est le même amour frémissant pour la patrie, la
mêmevolontéinvinciblepourrepousserlesmenacesetaccepterlemartyre.»
Édith Cavell est britannique, née dans le Norfolk, où son père, le révérend
FrederickCavell,estprêtreanglican.En1884,soncursusd’étudesestvalidépar
lediplômed’institutrice.En 1896,elleentreauRoyal LondonHospitalcomme
aideinfirmière,puistravaille,entre1903et1907,commeinfirmièrelibérale.
En 1907, elle rejoint Bruxelles où elle est nommée, par le docteur Antoine
Depage fondateur de la Croix-Rouge belge, infirmière en chef à l’institut
Berkendael. En octobre 1907, Antoine Depage fonde, dans la banlieue de
Bruxelles,uneécoled’infirmièreslaïque.IlenconfieladirectiongénéraleàÉdith
Cavell. L’école comprend cinquante chambres d’internat pour les élèves
infirmières, un institut médicochirurgical, avec deux salles d’opération et une
capacitéd’hospitalisationluipermettantderecevoirunevingtainedemalades.
Au début de la guerre, l’école est placée sous la responsabilité de la Croix-
Rouge. Édith Cavell, avec ses élèves et Miss Wilkins (une autre infirmière
anglaise),soignelesblessésdesarméesalliéesetallemandes.
Agentdesservicesderenseignementbritanniques,elleparticipeàlaguerrede
l’ombreenorganisantl’exfiltrationdesoldatsalliésdelaBelgiqueoccupéevers
les Pays-Bas, qui sont un pays neutre. Son réseau d’évasion s’appuie sur des
collaborateursbelgesdelarégiondeMonsetdesfrançaisdelarégiondeLilleet
de Valenciennes. La princesse de Croÿ met à disposition son château de
Bellignies qui sert de refuge aux candidats à la traversée de la frontière.
À Bellignies les arrivants sont souvent envoyés par Louise de Bettignies. Le
prince de Croÿ assure seul les départs. Louise Thuliez et Henriette Moriamé
assurent les soins aux blessés ainsi que les approvisionnements. Il arrive un
moment oùBellignies est si plein de candidatsau départ que les deux femmes
sontsurlepointdeleursuggérerdeseconstituerprisonniersauprèsdel’armée
allemande.C’estalorsqu’ellesapprennentquel’institutBruxelloistransforméen
hôpitaldelaCroix-RougeetdirigéparÉdithCavellsertdepointdedépartàune
organisationd’exfiltrationefficace.Unecollaborationentreces deuxréseauxse
metenplace.
Malheureusement, en juin 1915, deux hommes se présentent à l’institut
commesoldatsfrançaisenfuite.L’unestunsoldatfrançaispasséauservicedes
Allemands, l’autre est un agent allemand. Le démantèlement du réseau
commence le 31 juillet 1915 avec les arrestations de Philippe Baucq et Louise
Thuliez suivies le 5 août par celles d’Edith Cavell, de la comtesse Jeanne de
BellevilleetdelaprincesseMariedeCroÿ.LouisedeBettigniesest,elle,arrêtéele
20octobre1915.
Parmi les co-inculpés, figurent également de nombreux autres patriotes
commelepharmacienLouisSeverin,l’avocatAlbertLibiez,lescafetiersPansaers
et Rasquin, ou l’aubergiste, cabaretier et maçon François Vandievoet, et aussi
Edmond-Charles Lefebvre qui est condamné à huit ans de travaux forcés bien
qu’ilnesoitpasmajeur.
ToussontincarcérésàlaprisondeSaint-Gillesetjugésles7et8octobre1915.
ÉdithCavellnesedéfendpas,admettantlesactesquiluisontreprochés.Sixdes
accusés sont condamnés à mort le 11 octobre 1915. Ces condamnations,
lorsqu’elles sont connues, provoquent un énorme mouvement d’indignation
danslapressedespaysneutres.
PourcoupercourtàlaprotestationorganiséeparlesambassadeursàBruxelles
desÉtats-Unis,BrandWhitlocketd’Espagne,lemarquisdeVillalobar,leconseil
deguerreallemand,faitexécuterPhilippeBaucqetÉdithCavelllelendemain.
Les condamnations à mort de Louise Thuliez, Jeanne de Belleville, Louis
Severin et Albert Libiez sont commuées en peine de prison à perpétuité. Les
autres inculpés sont condamnés à des peines de prison ou de travaux forcés.
AprèsunséjourdequelquesmoisàlaprisondeSaint-Gillesnombred’entreeux
sontdéportésenAllemagneàlaforteressedeSiegburg,làoùestinternéeLouise
deBettignies.
L’exécution choque le monde entier et déchaîne partout l’opinion publique
contre les Allemands. Édith Cavell est considérée en Grande-Bretagne comme
unemartyre.LesAllemands,prisdecourtparl’indignationdupublic,s’avèrent
incapablesdelacontrecarrerefficacement.Àlasuitedecetteexécutionlegénéral
Sauberzweig,gouverneurmilitairedeBruxelles,estrelevédesesfonctions.
Cettevagued’indignationvients’ajouteràcellequiaétéprovoquéele7mai
1915parletorpillageduLusitaniaparunU-Bootallemand.LeRMSLusitania,
paquebot transatlantique britannique de 2 000 passagers coule en 15 minutes
provoquantlamortde1200personnes,parmilesquelles136citoyensdesÉtats-
UnisetMarieDepage,épousedufondateurdelaCroix-Rougebelge.Cesdeux
évènementssontdevenusdesélémentssignificatifsdelapropagandebritannique
anti-allemandeetdel’hostilitéinternationalegrandissanteàl’égarddel’Empire
allemandquicontribuentàladécisiondesÉtats-Unisd’entrerenguerreen1917.
Pour Stefan Zweig, « L’exécution de l’infirmière Cavell, le torpillage du
“Lusitania” furent plus fatals à l’Allemagne qu’une bataille perdue, grâce à
l’explosiond’universelleindignationqu’ilsprovoquèrent».
L’importance du renseignement militaire a été mise en évidence par ces
premiers réseaux de résistance dont la création est spontanée et dont les
initiateurs n’ont reçu aucune formation préalable en matière de guerre de
l’ombre. Les états-majors des armées française, belge et britannique disposent
avant la guerre de services de renseignement munis de moyens limités et aux
doctrines d’emploi divergentes. L’entente ne règne pas entre les alliés, chacun
essaiedemettreagentsderenseignementetréseauxsoussapropreautorité.Siles
servicesfrançaisontquelqueretarden1914,laBelgique,encoursderestauration
de son armée à la veille de la guerre, ne peut faire concurrence. Elle travaille
cependant avec ses alliés et fournit plusieurs milliers d’informateurs qui
travaillentdanslesterritoiresoccupésdelaBelgiqueetdelaFrance.Développés
depuis1909,lesservicesbritanniquessontmultiples.LeGrandQuartierGénéral
est en concurrence avec les services secrets du ministère de la Guerre, le War
Office, de qui dépend l’Intelligence Service créé en 1909, lors de la guerre des
Bœrs. L’Amirauté possède également son propre service d’informations à
Folkestone.Le22novembre1914,lesparticipantsàlaconférenceinteralliéede
Furnes décident de mettre un terme aux rivalités et installent une base de
renseignementscommunsàFolkestone,portsituéprèsde Douvres.Ilaccueille
touslesferriesetnaviresdespaysneutres,surchargésderéfugiésetdepassagers
de toutes origines, aux motivations très diverses, ce qui permet un contre-
espionnageefficace et unrecrutement fructueuxpour les servicessecrets. Il s’y
installe également un centre de formation pour les agents de renseignement.
DeuxcentresdetraitementclandestinssontinstallésauxPays-BasàFlessingueet
àMaastricht.
L’une des premières femmes recrutées dans le cadre de la création de ce
servicecommunderenseignementestGabriellePetit.Elleestlafilled’unclerc
denotairequiconfiel’enfantàuneinstitutionreligieuseàlamortdesonépouse.
Puiscederniersedésintéressedesafille.Leprincipallienfamilialqu’ellegarde
jusqu’àl’âge17ansestunoncle.Elleretournevivrequelquetempsavecsonpère
maisfinit paremménageràBruxelles oùelletrouve uneplacede gouvernante.
Ellea21ansetdoitsemarierlorsquedel’invasionsoudainedelaBelgiquepar
lestroupesallemandesen1914vientmettreuntermeàsesprojets.Tandisque
sonfiancé,rejointsonrégiment,Gabrielles’engagecommeinfirmièreàlaCroix-
Rouge. Blessé lors des premiers combats, le jeune homme est fait prisonnier,
mais s’évade presque aussitôt. Il erre de cache en abri provisoire dans la zone
occupée.Convalescent,ilveutrejoindrel’arméebelgeretranchéederrièrel’Yser.
Cependant,ilfautpasserparlesPays-Bas,restéshorsduconflit,l’Angleterreet,
enfin,lenorddelaFrance.Gabriellel’accompagneetlesoutientdanscepériple
chaotique.
Parvenueenterrealliée,elleestcontactéeparunreprésentantdel’Intelligence
Service. Elle reçoit une formation sommaire dans le domaine des techniques
d’espionnage.Unepremièremissionluiestproposée,qu’elleaccepte.Deretourà
Bruxellesdèslafinjuillet1915,ellerecueilleettransmetauxétats-majorsalliés
les positions et les mouvements des troupes ennemies dans le secteur de
MaubeugeetdeLille.Elledistribueaussidelapresseclandestine,transmetdes
lettres aux soldats internés et fait passer la ligne de combats française à des
soldatsquiveulentcontinueràsebattre.Lapoliceallemandelasoupçonne:elle
estarrêtéeetinterrogéeunepremièrefois.Libéréefautedepreuves,ellepoursuit
sesmissions jusqu’à cequ’elle sefasse à nouveauarrêter le20 janvier 1916.Le
2 février, elle est transférée à la prison de Saint-Gilles. Le 3 mars, elle est
condamnéeàmortparuntribunalmilitaireallemand.Elleestfusilléeaudébut
d’avril.
Un Te Deum est célébré en son honneur en la collégiale Saints-Michel-et-
GuduledeBruxelles.Unefouleimportanteassisteàlacérémonie.Aprèslafinde
laguerre,MgrKeesenditdevantleSénatbelge,le2juillet1919:«LaFrancea
Jeanned’Arc,laBelgiqueaGabriellePetit.Lapartieestégale,nejalousonspasnos
voisins.»
Àlafindelaguerre,lesrestesdeGabriellePetitsontexhumés.Desfunérailles
nationalesontlieuenmai1919enprésencedelareineÉlisabethdeBelgique,qui
dépose la croix de l’ordre de Léopold sur le cercueil dans un grand moment
d’émotionpopulaire.EllereposemaintenantaucimetièredeSchaerbeek.
Les services de renseignement ont trouvé un terreau fertile parmi les
populations et de la Belgique et de la France occupée. Les estimations de
différents auteurs aboutissent à un chiffre moyen de 300 réseaux actifs sur la
duréedelaguerreavecdesfluctuationsimportantesduesauxarrestationsetaux
reconstitutions de filières. La contribution des populations belges fut
considérablecarellecomprenaitdenombreuxagentsbilinguesquientretenaient
desrelationsaveclesPays-Bas,pointdepassageefficacedesexfiltrations.
Lesservicesderenseignementdesdifférentesarmées,confortésparlaqualité
militaire des renseignements rapportés par les réseaux qu’ils ont mis en place
cherchent à aller encore plus près des sources d’information. L’idée est de
recueillirl’informationàsasource,auplusprèsdeceuxquiontunrôledécisif
dans la conduite de la guerre. Tous pensent aux femmes qui sont tellement
excluesdesaffairesdelaguerrequelaméfianceàleurégards’efface…devantle
charme qu’elles sont censées exercer auprès des hommes. L’idée de l’espionne
n’est certespas neuve, mais la morale de l’époqueest, au moins en France, un
barragecontresamiseenœuvre.
Toutefois, la collaboration avec les services alliés et surtout britanniques qui
recrutent des femmes dans tous leurs bureaux, amène le commandement
françaisàprendredavantageenconsidérationlerôledel’espionne.Ilarriveun
tempsoùlesétats-majors,toutenationalitéconfondue,serésolventàdemander
auxfemmesqu’ilsjugentaptesàlefaire,desecomporteràlafois«enagentde
renseignement…etenfemme».
Lesespionnesnefournissentpaslemêmetravailcommeleprouventlesrares
récitsdeleurssouvenirsoudeceuxquiontécritpourellesaprèsleurmort.Leur
recrutement, leurs motivations, les formes de leur travail, leurs contacts,
l’importance de leur rôle, la reconnaissance de leur action diffèrent souvent.
Issuesdemilieuxhabituésàlafréquentationdessalonspourlaplupart,ellessont
aussiretenuespourleurcharmeetpourleuraudace.
Lesjeunesfemmesbelges,issuesdefamillesaisées,sontsouventcibléesparce
qu’ellesparlentl’allemand.Cellesquisontrecrutéesparunservicesecretfrançais
ou britannique, sont envoyées à Londres ou à Folkestone pour un stage de
formation rapidede huit à dix jours, pour apprendre les rudiments du métier.
Lesmotifsdesespionnesvarient,maislesrécitsdeleurssouvenirsoudeceuxqui
ontécritpourellesaprèsleurmortmarquenttousl’amourdelapatrie,souventle
dévouementdûàlareligion,égalementlahainedel’Allemandquilesopprime.
Pour certaines, qui n’ont pas de famille et pas de ressources, l’exercice de ce
métierestunmoyendevivre.Maislepoidsdel’opprobreestduràporter.Elles
nepeuventexercerleurmétierqu’enétantagentdouble.Ellesdoiventapporter
aux Allemands des informations soigneusement préparées par leurs officiers
traitants pour pouvoir mettre leurs interlocuteurs en confiance et recueillir à
l’insu des Allemands des informations utiles aux états-majors alliés. Leurs
terrains de chasse se situent généralement dans les ambassades allemandes des
paysneutresoudanslesambassadesdespaysneutresàBerlin.Aumoindrefaux
pas,lamortestcertaine.
Beaucoup d’entre elles se sont volontairement fait oublier parce que, dans
l’imaginairepopulaire,ellesétaientprochesdesprostituées.Cemépriss’étendait
àleursofficierstraitantsplusoumoinsassimilésàdesproxénètes.Pireencore,
une questionrevenait de manièrerécurrente. Travaillantpour deux nations en
conflit, laquelle des deux trahissaient-elles ? Le fil est si ténu que les
collaboratrices des services alliés sont presque assimilées à Mata Hari. Cette
dernièreexerceàParislemétierdedanseusedecharme.Bienqu’originairedes
Pays-Bas,sonnomde naissanceestZelle,ellesefait passerpouruneprincesse
javanaise. Elle a pour amant un lieutenant pilote russe qui sert dans les rangs
français.SurvivantàlachutedesonavionabattuparlesAllemands,ilestsoigné
dansunhôpitaldecampagne,ducôtédeVittel.Désireusedeluirendrevisiteà
l’infirmeriedufront,elledoitpayercettefaveurdelapromessed’allerespionner
le Kronprinz (le prince héritier de l’Empire allemand), qui est de ses
connaissances,moyennantunerétributionconsidérable.
Elle se rend en Espagne, pays neutre, avec le projet de prendre un bateau à
destinationdesPays-Basetgagnerl’Empireallemand.L’IntelligenceService,àla
suited’unemauvaisecoordinationaveclesservicesfrançais,l’arrêteàl’escalede
FalmouthetlarenvoieàMadridoùellenetardepasàséduirel’attachémilitaire
allemand. Les communications entre les ambassades allemandes et Berlin sont
écoutées et décryptées par les services alliés. Ils interceptent un message de
l’ambassadedeMadridàdestinationdeBerlintraitantdesous-marinsàfournir
auMarocetdemanœuvresencoulissepourétablirleprincehéritierGeorgessur
letrônedeGrèce,ensignalantque«l’agentH-21s’étaitrenduutile».MataHari
commet l’erreur de rentrer en France pour rejoindre son lieutenant russe.
Arrivée à Paris le 4 janvier 1917, elle est arrêtée le 13 février à l’hôtel Élysée
Palace.Elleestprésentéele24juillet1917devantunconseildeguerre,auPalais
de justice de Paris. Les juges doivent décider si elle est bien H 21, coupable
«d’espionnageetd’intelligencesavecl’ennemi».Leconseildeguerreconclutà
saculpabilitéetlacondamneàmort.Elleestfusilléedanslesjoursquisuivent.
Aujourd’huiencore,saculpabilitéestincertaine.Lemessagesurlabaseduquel
elleaétécondamnéepourraitavoirétéfalsifié.Ellefutvictimedel’atmosphère
terribledel’année1917oùdesrégimentsentiersrefusaientd’exécuterlesordres.
Le pouvoir usait de sanctions exemplaires pour reprendre le contrôle de la
situation.
MartheRicher,plusconnuesouslenomdeMartheRichardfutrecrutéeparle
capitaine Ladoux qui a été l’officier traitant de Mata Hari et l’a démasquée.
Marthe a connu une enfance difficile et une jeunesse tumultueuse teintée de
galanterie.Ellealiéconnaissanceavec unricheindustrielquise mitentêtede
l’épouseretluioffrit,entreautrescadeaux,unaviongrâceauquelelleapprendà
piloteretobtientsonbrevetenjuin1913.Lorsquelaguerreéclate,sonépouxest
mobilisé. Elle-même tente de s’enrôler dans l’armée de l’air naissante, mais sa
candidatureestrefusée.Auxyeuxdesautorités,unefemmenepeutêtrepilotede
guerre.Sonmari,HenriRicheresttuéen1916.Àlasuitedecedeuil,elledécide
de le venger et signe son engagement dans les services de renseignement. Le
capitaine Ladoux l’envoie en Espagne où elle a l’attaché naval allemand Hans
Von Krohn pour cible. Elle séduit ce dernier et apporte aux services de
renseignementsfrançaisdesinformationssurlaconstructionetsurl’utilisation
dessous-marinsallemands.Sacollectederenseignementsestcomplétéepardes
informations sur les livraisons d’armes allemandes aux rébellions marocaines.
Ces soulèvements mobilisent des troupes françaises et les Allemands les
favorisent en vue de diminuer les réserves de troupes disponibles sur le front
français. Sa carrière d’espionne est fortuitement interrompue. Elle est victime
d’unaccidentd’automobileencompagniedeKrohn.L’impulsifetmoralisateur
LéonDaudets’indigne,danslequotidienl’ActionFrançaise,delaprésenced’une
Française dans l’automobile d’un attaché naval allemand de l’ambassade
madrilène. Sa carrière d’agent étant révélée par la presse, elle doit rentrer en
France où elle découvre que son nom est rayé du service et que le capitaine
Ladoux a été arrêté. La vie est compliquée dans les services de renseignement
pourlesofficierstraitantsdesagentsdoubles.Commepourleurs«créatures»,
on s’interroge sur l’identité du pays pour lequel ils travaillent réellement. Bien
queLadouxaitdémasquéMataHari,sessupérieurss’interrogentsursapossible
complicité avec elle. Il est, par la suite réhabilité, mais la carrière de Marthe
Richarddanslesservicessecretsestterminée.
Elle fait, par la suite, une carrière littéraire. Elle publie ses souvenirs où ses
activitésauseindurenseignementfrançaistrouventleurplace.Elleestl’auteure
d’unpassagequivautpourtouteslesfemmesquionteulecouragedeserisquer
àcetteactivitéquifutmortellepourlaplupartd’entreelles:«Votremissionest
de faire croire à l’ennemi que vous trahissez votre pays. Mais l’ennemi hésite…
Celle qui trahit, n’est-elle pas espionne, agent double… ? Et ceux qui vous ont
envoyée doutent. Ainsi l’agent secret qui sert son pays comme agent double est
soumisàunecruelletorture.»
En1926,elleépouseleBritanniqueThomasCrompton,directeurfinancierde
la fondation Rockefeller, mécène de la restauration du Petit Trianon. Thomas
Compton meurt de maladieen 1928. Il a pris les dispositions nécessaires pour
quesonépousesoitàl’abridubesoin.Elleeffectueàcetteépoquedestournées
de conférence sur le thème de l’action des services secrets pendant la Grande
Guerreetfaitdesvolsdedémonstrationavec l’avionPotez 43.Ellereprenddu
service pendant le Seconde Guerre mondiale. Elle se forge ainsi un destin de
grande résistante qu’elle raconte dans plusieurs de ses mémoires. Cependant
l’affaire est historiquement toujours en cours. La preuve qu’elle a hébergé des
aviateursaméricainspendantlaguerreaétéfaiteen2015.
En 1945, « héroïne des deux guerres », elle est élue conseillère dans le
4e arrondissementdeParissurlalistedelaRésistanceUnifiée.Elleselancealors
dans une campagne pour la fermeture des maisons de prostitution. Une loi
d’interdictionest votéebeaucoupplus tard.Elle aboutàla fermeturedéfinitive
des plus célèbres enseignes parisiennes, sans pour autant régler la question de
l’exploitationdesfemmes.MartheRichardestdécédéeen1982.
Moinscélèbrequ’elle,MathildeLebrunajouéunrôletoutaussidangereux.Le
capitaine Ladoux est également son officier traitant. Originaire de Pont-à-
Mousson,germanophone,elleestveuvedeguerre,mèredetroisenfantsetagent
doubleauservicedelaFrance,souslenomdecodeSimonepourlesFrançaiset
R2pourlesAllemands.Ellereçoitpourmissiondepasserleslignesallemandeset
des’installeràMetzdansunefamilleallemandedanslaquelleelledoits’occuper
des enfants. Elle doit localiser les dépôts de munitions, l’emplacement des
batteries, la profondeur des lignes de tranchées, le numéro des régiments
ennemis qui tiennent les positions. La famille allemande dans laquelle elle
travaille ignore qu’elle connaît leur langue. Sa plus spectaculaire et courageuse
mission d’agent double est d’approcher le chef des services secrets allemands,
Von Gebsattel, pour obtenir la preuve de la situation réelle d’espionnes de
Mesdames Gimeno-Sanchez, et Félicie Pfaadt, toutes deux soupçonnées et
emprisonnéesenFrance.EllestravaillentdanslesportsdeNiceetToulonpour
relever à l’attention des Allemands le départ des navires à destination de
Salonique qui approvisionnent le front d’Orient, afin de les faire torpiller ou
bombarder. L’intervention de Mathilde Lebrun est efficace. Elle se fait passer
auprèsdeVonGebsattelpourunecomplicedecesdeuxfemmesetobtienttoutes
les informations souhaitables sur la nature de leurs activités. Une fois en
possession de ces preuves, la justice militaire française les juges et établit leur
culpabilité. Elles sont condamnées à la peine capitale et fusillées. À la suite de
cette mission, Mathilde Lebrun devient indésirable en Allemagne où le doute
s’estinstalléetdecefait,laFranceévitedeluiconfierdenouvellesmissionscar
savieestmenacée.
Après la guerre, les anciennes espionnes ont souffert du manque de leur
reconnaissance. La position des gouvernements qui les ont employées est
forcément ambiguë. Les conventions internationales admettent que la pratique
delaguerredel’ombrenepeutconféreràceuxquilapratiquent,lorsqu’ilssont
découverts, la protection du statut de soldat prisonnier. Il est lors difficile de
fusiller les agents doubles envoyés par l’ennemi et de couvrir d’une gloire, au
demeurantméritée,sespropresagents.Plusieursanciennesespionnesfrançaises
créèrentuneassociationdénommée«LesInvisibles»dontlebutétaitd’obtenir
le statut de combattantes au même titre que les soldats. Et pour perpétuer le
souvenir de leur rôle. Malgré leurs actions auprès des politiques, elles ne
parviennentpasàobtenirgaindecause.
Ilyeutaussidesfemmesqui,animéesdumêmeespritpatriote,maisavecune
capacitéàagirhorsdetoutestructureétabliepourraientêtreconsidéréescomme
ayant fait de la guerre une affaire personnelle. Hors de toute structure de
résistance, elles se sont lancées, parfois les armes à la main dans un combat
individuel frontal avec l’ennemi. C’est le cas d’Émilienne Moreau-Evrard,
originairedeWinglesgrosbourgdubassinminierduPas-de-Calais.Safamille
s’installeenjuin1914àLoos-en-Gohelle,égalementdanscettemêmerégion,où
son père, ancien mineur, a pris la gérance d’une épicerie-mercerie-bonneterie.
Elle a 16 ans lorsqu’il meurt en 1914, victime des privations consécutives au
pillagedelazoneoccupéeparl’arméeallemande.
Laville estoccupéepar lestroupes allemandes.Sonfrère, mobilisé,sebat et
tombe au cours des combats de la fin de l’année 1914. En février 1915, les
autorités allemandes ordonnent à Émilienne, dont les études d’institutrice
avaient été interrompues par la guerre, de créer une école improvisée destinée
auxenfantsdeLoosdanslacaved’unemaison.Décidéeàvengerlamortdeses
proches,elleenseigne toutencherchant uneopportunité.Elle entreencontact
avec l’état-major britannique. Le 25 septembre 1915, les troupes britanniques
s’apprêtent à donner l’assaut aux troupes allemandes qui tiennent Loos.
Émilienne,à la demande deson correspondant anglais,a relevé l’emplacement
descasematesdes occupants.Elleévente desurcroîtle projetd’embuscadeque
lesAllemandspréparentàleursennemis.
L’offensiveest lancée.Le postemédicalde premièreligne estinstallé dansla
maisonMoreau.Durantlapremièrejournéeetlanuitdel’offensive,Émilienne
secondeunmédecinécossais,aideàtransporterlesblessésetdonnelespremiers
soins. Elle participe également aux combats, abattant quatre soldats ennemis.
Finalement, la ville est reprise aux Allemands. Émilienne Moreau devient, à
17ans, «l’héroïne deLoos» etelle estcitée àl’ordrede l’arméepar legénéral
Foch.
CetexploitesttrèsmalvécuparlesAllemandspourquisongesterelèvedela
séditionarmée etconsidèrentque lesparticipants àune guerredepartisans ne
relèventpasdelaconventiondeLaHayede1907etdoiventêtrefusilléssur-le-
champs’ilssontprislesarmesàlamain.
Émilienneestcependantdécoréedelacroixdeguerresurlaplaced’armesde
Versaillesle27novembre1915.SatêteestmiseàprixparlesAllemands.Ellefait
savoir qu’elle considère cela comme un honneur supplémentaire qui lui est
rendu.
Son image fut abondamment utilisée à des fins patriotiques servies par la
parutionde ses souvenirs, LesMémoires d’Émilienne Moreau, l’héroïnede Loos
publiésdébut1916.
Émilienne passe son brevet supérieur et devient institutrice. Elle termine la
guerrecommeenseignantedansuneécoleparisienne.Militantesocialisteàson
retourdanslePas-de-Calaisaprèsl’armistice,elleépouseen1932JusteÉvrard,
responsablefédéralduPas-de-Calais.Fidèleàelle-même,ellereprendduservice
danslarésistanceaucoursdelaSecondeGuerremondiale.En1940,laFranceest
à nouveau occupée. Son mari et elle sont des résistants harcelés par les
Allemands. Elle échappe plusieurs fois de justesse à l’arrestation et rejoint
Londres. Membre important du réseau Brutus, elles une des six femmes
CompagnondelaLibération.
Animéeparlamêmeaudaceetuneforcedevolontépeucommune,telestle
personnagedeMarieMarvingt,surnommée«lafiancéedudanger»enraisonde
ses exploits de casse-cou. Résistante, elle est aussi une pionnière de l’aviation,
inventrice,sportive,alpiniste,infirmièreetjournalistefrançaise.Elleobtientune
licence de lettres et étudie la médecine et le droit. Elle apprend à parler cinq
langues et obtient son diplôme d’infirmière de la Croix-Rouge. Pour la petite
histoire,elleestaussilapremièrefemmeàaccomplirleTourdeFrance,en1908.
Les organisateurs ayant refusé de l’inscrire dans les effectifs de la compétition,
elle prend le départ quelques minutes après le départ officiel de l’étape et elle
termine la grande boucle alors que bon nombre de concurrents masculins ont
abandonné en cours de route. Elle pratique aussi les sports de montagne :
escalade,skietmêmebobsleigh.
Ladécouvertedel’aéronautiqueestsonplusgrandbonheur:aéronautepuis
aviatrice, elle est l’une des premières femmes à voler seule et la première à
traverserlaMancheducontinentversl’Angleterreen1909,lamêmeannéeque
Blériot.
Titulaire depuis 1899 du « certificat de capacité pour conduire des
automobiles », elle participe plus tard à plusieurs courses automobiles dans le
Sahara.
EllesetrouveàNancyaumomentdeladéclarationdelaGrandeGuerreetse
replie avec les troupes françaises devant l’avancée allemande. Elle essaye alors,
sans succès de s’engager dans l’armée de l’Air, mais remplace au pied levé un
piloteblesséetaccomplitdeuxmissionsdebombardement.
ElleretourneàNancyoùelledevientinfirmièreetcorrespondantedeguerre.
Décidantderejoindrelefront,ellecombat47joursdéguiséeenpoiluavantd’être
démasquée.Legénéral Fochl’affectedans lesDolomitessur leFront italienoù
sestalentsdeskieusedehautniveausontutiliséspourl’évacuationdesblessésen
hautemontagne.
Après la Première Guerre mondiale, Marie Marvingt reprend le métier de
journalisteetpartvivreauMarocoùellecréelapremièreécoledeformationdes
infirmièrespilotesd’avionssanitaires.Elleestàl’originedelacréationducorps
delaCroix-RougedénomméIPSA(InfirmièresPilotesSecouristedel’Air).Elle
faitpartiedeceservicependantlaSecondeGuerremondiale,aucoursdelaquelle
elle invente un type de suture chirurgicale d’urgence minimisant le risque
d’infectionsurlechampdebataille.C’estl’aboutissementdesesannéesd’effort,
quidébutèrentavantlaGrandeGuerre,pourpromouvoirletransportaériendes
blessésquidevaitpermettredeleurépargnerlescahotsmeurtriersdutransport
terrestre et,surtout, d’accélérer la prise en chargesalvatrice. Elle vit sa passion
pour l’aéronautique jusqu’à ses derniers jours, malgré une situation financière
difficile. Elle prépare et obtient son brevet de pilote d’hélicoptère à 84 ans et
trouve ainsi le meilleur aéronef d’évacuation sanitaire qu’elle a cherché sa vie
durant. Elle meurt à 88 ans. Trente-quatre fois distinguée, elle est la femme la
plusdécoréedel’histoiredeFrance.
Parmi les autres aviatrices de cette époque, Adrienne Bolland exécuta de
nombreusesmissionspérilleuses(Cahier-images,Pl.XIV).
Revenons maintenant à la chronologie de la guerre, étape nécessaire pour
comprendre les soubresauts qui ont animé la société française au cours de ces
annéesdecrise.
Année1914
28juin:L’Archiduchéritierdel’Empireaustro-hongroisetsonépousesontassassinésàSarajevo.
28juillet:L’Autriche-HongriedéclarelaguerreàlaSerbie.
31 juillet : Jean Jaurès, le dernier homme susceptible de dresser les classes populaires contre la
mobilisationgénérale,estassassinéàParis.
1 eraoût:MobilisationgénéraledécrétéeenFranceetenAllemagne.
3août:L’AllemagnedéclarelaguerreàlaFrance.
4 août : Le Royaume-Uni déclare la guerre à l’Allemagne. En France, dans un message solennel à la
Nation,leprésidentRaymondPoincaréappelleàL’Unionsacréeentretouteslesclassessociales.
28-30août:CombatsdanslaSommependantlaretraitefrançaise.
2septembre:LesAllemandsatteignentSenlis–LegouvernementquitteParispourBordeaux.
22-27septembre:CombatsdelacourseàlamersedéroulantauNorddel’Avrejusqu’aunordd’Albert
(danslaSomme).
Année1915
15février:DébutdelatentativedepercéeenChampagne.
25 février : Début de l’opération des Dardanelles. À l’instigation du Lord de La Mer britannique de
l’époque,Churchill,une expéditionfranco-anglaisemaritimeet terrestreestorganisée pourouvrirun
frontorientalàGallipoli,verroud’entréedelamerdeMarmara.Lestroupesfrançaisessontacheminées
depuisl’Afriquedunord.Échectotalterrestreetmaritime.Pertede50000Alliéset50000Turcs.Les
troupesalliéessontrepliéesenGrèceàSalonique.
22avril:PremièreutilisationdegazasphyxiantàLangemarkprèsd’Ypres.
23mai:Entréedel’ItaliedanslaguerreauxcôtésdesAlliés.
25septembre:Débutdela2etentativedepercéeenChampagneetdela3 epercéeenArtois.
Décembre:ConférenceinteralliéeauG.Q.G.deJoffrequipréconiseuneoffensivemassivesurlaSomme.
Année1916
21février:DébutdelabatailledeVerdun,àl’initiativedesAllemands.
19mai:Enraisondel’attaqueallemandeàVerdun,JoffreréduitlaparticipationfrançaisedanslaBataille
delaSommequiseprépare.
24juin:Débutdelapréparationd’artilleriepourlaBatailledelaSomme.
29juin:Àcausedelapluieetd’unepréparationinsuffisante,l’attaquedelaSommeestreportée.
1 erjuillet:DébutdelabatailledelaSomme:ÉchectotalauNord,plusdesuccèsauSud:lesBritanniques
prennentMametzetMontauban.LesFrançaisprogressent.57470Anglaissonttués.
14juillet:2eattaqued’envergure.LesBritanniquesvisentla2eligneallemandesurunfrontplusrestreint.
LesSud-AfricainsattaquentauBoisDelville(Somme).Batailled’usure.
23juillet:AttaquebritanniquedeGuillemont(Somme)àPozières(Somme),prisparlesAustraliensle25.
3septembre:AttaquegénéralealliéedepuislarivièreAncrejusqu’àChilly.LesBritanniquess’emparent
deGuillemont(Somme),lesFrançaisdeSoyécourt(Somme).
5septembre:LesCanadiensrelèventlesAustraliensdevantlafermeduMouquet.
9septembre:Ginchyestprisdéfinitivementparla16e divisionirlandaise.
15septembre:Descharsd’assautsontutiliséspourlapremièrefoisparlesAnglais.
26septembre : Débutd’une offensive généralefranco-britannique, de Martinpuichà la rivièreSomme.
ThiepvaletComblessontauxmainsdesAlliés.
7octobre:OffensivealliéedeCourceletteàBouchavesnes.LesBritanniquesserendentmaîtresdeLeSars.
Lapluieralentitlaprogressiondestroupes.Guerred’usure.
18novembre:FindelabatailledelaSomme.MortdeFrançois-Joseph,empereurd’Autriche-Hongrie.
18décembre:FindelabatailledeVerdun:240000Allemandset275000Françaissonttués.
25décembre:LegénéralJoffre,nommémaréchaldeFrance,estremplacéparlegénéralNivelleàlatête
desArméesfrançaises–RestaurationdelaconscriptionenAngleterre.Mobilisationdetousleshommes
de17à60ansenAllemagne.
Année1917
8janvier:DébutdelapremièrevaguedegrèvesenFrance.
8au12mars:Premièrerévolutionrusse.
16mars:RetraitvolontairedesAllemandssurlaligneHindenburgaprèsavoirsystématiquementdétruit
lesrégionsabandonnées.LaligneHidenburgestunelignededéfenseappuyéesurdesblockhausetdes
défensesnaturellesrenforcées pardesaménagements quivad’Ostende,au nord-ouest,jusqu’àPont à
Moussonausud-est.Lebutestdeconcentrerlesdéfensesenraccourcissantlalignedefront.
2avril:EntréeenguerredesÉtats-Unis.
16avril:Débutdel’offensiveduChemindesDames–Premièreutilisationdescharsd’assautfrançais.
15mai:LegénéralPétainàlatêtedel’arméefrançaise–Mutineriesdansl’arméefrançaise.
6novembre:LesBolchevikss’emparentdupouvoirenRussie.
16novembre:Clemenceau,présidentduconseil.
Année1918
21mars:OffensiveallemandeenPicardie.
23mars:DébutdesbombardementsdeParisparla«GrosseBertha».
26 mars : Conférence de Doullens, le principe d’une coordination entre les commandements alliés est
validé.
27mai:OffensiveallemandesurleChemindesDames.
15juillet:OffensiveallemandeenChampagne.
18juillet:Contre-offensivefrançaise–deuxièmebatailledelaMarne.
8août:OffensiveenPicardie–débutdel’offensivegénéralealliée.
Octobre:Apogéedel’épidémiedegrippeespagnole.
9novembre:Abdicationdel’empereurGuillaumeII–ProclamationdelaRépubliqueallemande.
11novembre:L’Allemagnesignel’armistice.
Année1919
28juin:Signaturedutraitédepaixavecl’AllemagnedanslagaleriedesglacesduchâteaudeVersailles.
La guerre change de visage avec la bataille de la Somme de juillet à
novembre1916etlabatailledeVerdunenLorrainedefévrierànovembre1916:
ellesfontplusde1750000victimes:750000tuésetdisparuset1000000blessés
environ, avec des pertes presque identiques dans les deux armées adverses. La
boucheriecontinuesurlefrontmalgrélalassitudedestroupes,lesmutinerieset
à l’arrière des mouvements d’agitation sociale. La Triplice comme la Triple
Entente ont saigné leurs armées et sont à court de combattants. Une poussée
pacifistetentederomprel’Unionsacrée,àl’initiativedelapacifisteetécrivaine
allemande réfugiée en Suisse Annette Kolb. Celle-ci encourage et organise la
rencontred’ÉmileHagueninaveclecomteHarryKessler.ÉmileHagueninétait
connudesAllemandspouravoirofficiépendantprèsdetreizeansàl’université
etauséminairedeslanguesorientalesvivantesdeBerlinenqualitédeprofesseur
delittératurefrançaise.HarryKessleracombattusurplusieursfronts.Lesdeux
hommes ont en commun d’être responsables des bureaux de propagande de
leurspaysrespectifset d’avoiraccèsauxpersonnalités deleursgouvernements.
Annette Kolb est née du paysagiste munichois Max Kolb et de la pianiste
parisienneSophieDanvin.Écrivaine,journaliste,musicienneetpacifiste,elleest
une admiratrice de l’homme politique français Aristide Briand. Européenne
convaincue,elleconsidèrequelespeuplesfrançaisetallemandontunedestinée
communeetqueleconflitterritorialquilesopposeestdénuédesens.Elleaété
invitée à quitter le Reich en raison de ses opinions pacifistes affichées. Elle
retournera en Allemagne après la fin de la Grande Guerre, d’où elle sera à
nouveauexpulséeàl’arrivéedesnazisaupouvoir.En1983,lecinéasteallemand
Percy Adlon tourne The Swing, film inspiré de l’histoire de sa vie. Elle est
décédée à Munich en 1967 à l’âge de 97 ans, en ayant reçu les plus hautes
distinctions de ses deux pays de cœur. Malheureusement, les tentatives de
négociationsentre Haguenin etKessler échouent peuaprès leur ouverture.Les
deux hommes, en politiques avertis, conviennent au cours de leurs premières
rencontres de définir les buts deguerre de leurs nations respectives. Haguenin
avancelarestitutiondel’AlsaceetdelaLorraine.Kesslerproposeuneautonomie
deces deux contréesau sein de l’Empireallemand. Puis,ayant apprécié àquel
pointcettepropositionétaitinacceptablepourlapartiefrançaise,ilamendeson
projet. Il propose la création d’un Royaume de Souabe comprenant l’Alsace-
Lorraine, le Bade et le Wurtemberg, une proposition là aussi accueillie avec
beaucoupderéservesautantparParisqueparBerlin.
Les discussions tournent court, car les empires centraux remportent des
victoires sur le front de l’Est. Puis l’effondrementde l’Empire russe mène, à la
suite de la Révolution Bolchevique d’octobre 1917, au retrait Russe sanctionné
parl’armisticedeBrest-Litovsk.LestroupesdelaTripliceengagéessurcefront
sontréaffectéesàl’ouest.Lesalliésrepassentàl’offensiveetbénéficientdel’appui
duprésidentWilsonetdel’engagementdel’arméeaméricaine.Àl’étésuivanten
1918lesAlliésreprennentl’offensiveavecsuccèsdanslesBalkans.L’ouverturede
cefrontsecondaire,malengagéeavecladésastreuseexpéditiondesDardanelles,
s’étaitsoldéeparlereplidel’arméed’OrientsurSaloniqueaprèsavoiréchouéà
prendreGallipoli,verroud’accèsàlamerdeMarmara.Saloniqueestaunordde
lamerÉgée,enterritoiregrec,puissanceneutresurlaquellerègneunedynastie
d’origineallemandesympathisantedelaTriplice(leroiConstantinestlebeau-
frèredel’empereurGuillaumeII),gouvernéeparunPremierministre,Venizelos,
prochedelaTripleEntente.Malgrélaneutralitégrecque,lesalliésontobtenude
pouvoirconstruiredescampsd’accueildeleurstroupesàquelqueskilomètresde
laville.Ilsserventàlafoisdebaseauxtroupesquelesalliésfontvenirdeleurs
coloniesenpassantparl’Afriquedunordetdebasederepliauxarméesserbes
qui se replient à travers les montagnes de l’Albanie. L’effondrement serbe est
consécutifàl’entréeenguerredelaBulgarie,auxcôtésdelaTriplice.LaSerbie
constituepourleReichunverrouquiluiinterditderavitaillersonalliéeTurque
parvoieterrestreetellemetleprixpourlefairesauter.L’entréeenguerredela
Bulgarie,qui aune frontièrecommuneavec laSerbie estl’occasion. LesSerbes
confrontés aux armées bulgares encadrées par des Allemands voient leur
territoire envahi et annexé de fait par la Bulgarie. L’armée serbe se réfugie en
Grèce. Avec l’appui des Alliés, elle est rééquipée et déployée en Macédoine
grecque.N’ayantplusàs’opposerauxRusses,laTripliceallègesondispositifsur
le front d’Orient pour se renforcer à l’Ouest où les Américains sont venus
renforcerlesAlliés.Lesarméesalliéesd’Orientconstituéesde650000hommes
peuvent ainsi affronter les armées ennemies, qui comptent seulement
400 000 hommes, en majorité bulgares. La Bulgarie et la Turquie restent les
principauxadversaires.
Aprèsl’accorddesgouvernementsbritanniqueetitalien,le15septembre1918,
l’armée d’Orient commandée par le général Franchet d’Espérey passe à
l’offensiveendeuxcolonnes.Uneattaquefrontaledesforcesserbesetfrançaises
endirectiondeBelgrade,parUsküb(aujourd’huiSkopje)pourcouperendeux
lesarméesbulgares,unecolonnesecondairedesforcesbritanniquesetgrecques
quicontourneleterritoireserbepourfrapperlaBulgarie.
Les divisions serbes progressent, appuyées par des unités grecques et
françaises. C’est dans ce cadre qu’a lieu la dernière charge de l’histoire de la
cavalerie française : les cavaliers foncent en direction d’Usküb, capitale de la
Macédoine,priseparsurprisele29septembre.L’arméeturqueprivéedusoutien
de la Triplice doitdemander l’armistice. La Bulgarie signe un armistice lejour
même.L’Allemagnemilitairementvaincuesurlefrontouestetprivéed’alliéssur
le front oriental doit accepter l’armistice le 11 novembre 1918. Le Reich
s’effondreetc’estlanouvellerépubliqueallemandeétablieàWeimarquientame
lesnégociationsenvuedelapaix.LetraitédeVersaillesen1919estunevictoire
apparente mais qui humilie l’Allemagne. Les démocraties semblent triompher
mais les bouleversements économiques et sociaux sont profonds en Europe.
L’organisationde la SDN(Société desNations) à Genèveen 1919 estissue des
idéesdel’undes14pointsdeWilson.Lesdiplomatesespèrentqu’ellegarantirala
constructionetlemaintiendelapaixenEurope.
LESFEMMESÀL’ÉPOQUEDESANNÉESFOLLES:
SELIBÉRERDESCONTRAINTES
LESFEMMESDANSLEMONDEDUTRAVAIL:DIVERSIFICATIONDESEMPLOIS
Lerapportdesfemmesàlamaternitéest,sansdoute,lesujetmajeurdecette
période de l’entre-deux-guerres. Le rapport de la femme au travail en est
l’incontournablecomplémentetdanscedomaineaussi,ilyadivergenceentreles
actionsdelaclassepolitiqueetlessouhaitsdelapopulation.
Le taux d’activité féminine, dans l’entre-deux-guerres, est du même niveau
qu’avantqueleconflitdelaGrandeGuerrenedébute,maiscetteconstancedes
chiffrescache uneévolution considérablede la naturede l’emploiféminin. Les
chiffresde1914incluentlesemploisfémininsagricolestenusparlesépousesdes
agriculteurs. La sortie de la période de guerre se traduit par l’abandon de
nombreuses exploitations et une migration intérieure qui vient grossir les
effectifs urbains là où l’industrie connaît un développement rapide et crée des
emplois. Dans la classe politique s’exprime, malgré les programmes natalistes,
une volonté de protéger le travail féminin et d’aider à la création de carrières
fémininesvalorisées.Lescampagnesnesontpasoubliéesparlamiseenœuvrede
cettepolitique.Laloide1924créantleschambresd’agriculturedonneledroitde
voteauxfemmeschefsd’exploitation.Danslemêmetemps,lesecteursecondaire
delapopulationactiveseféminise.Lesfemmesemployéesdanscesecteursont
particulièrementvictimesdelarationalisationetdelataylorisation,cequedécrit
Simone Weil (1909-1943), philosophe, ancienne élève de l’École Normale,
femme de cœur sensible à la souffrance des autres, relatant son expérience
ouvrière dans le Journal d’usine de 1935. Le secteur tertiaire connaît dès les
années d’après-guerre une très forte croissance, source d’entrée massive des
femmes dans les bureaux, sans perspectives de carrière. L’OST (Organisation
ScientifiquedeTravail)estàlasourcedelacréationdes«pools»dedactylosoù
l’ontravaillealignéesparrangéesalternativementrosesetbleues,sousleregard
d’une contremaitresse juchée sur une estrade qui lui permet de vérifier depuis
sonbureauquetoutesles«filles»sontoccupées.Ilyadesmassesd’employées
fémininesàformeràl’exercicedeladactylographie.Leréseaudesécolesprivées
Pigiers’yemploieavecprofit.Aufildutemps,ellesévoluentd’ailleursversdes
formationsaucontenubeaucoupplusrichequeceluideladactylographie.Elles
apportentuntypedeformationnécessaire,carlesfillesontreçudesformations
inadaptéesdanslesécolesdelaIIIe République,lesplusdésavantagéesétantles
rurales.LaloiAstierdu25juillet1919surl’enseignementtechniquedunomde
son auteur, Placide Astier (1856-1918), impose aux communes l’obligation
d’organiser des cours professionnels gratuits. De plus les écoles techniques
privéesbénéficientdessubventionsdel’État.Cetteloiquiconstatel’absencede
l’Étatdansledomainedelaformationprofessionnelleenreconnaîtlanécessité
pouraider àlatransformation dupays. Elleprofiteaussi bienaux fillesqu’aux
garçons, ce qui est une reconnaissance implicite que la société technicienne
d’après-guerreabesoind’un«personnelféminin»bienformé.
Les classes populaires peinent à se familiariser avec l’idée de la nécessité de
professionnelles féminines possédant un niveau satisfaisant de compétences. Il
faut l’effort d’organisations privées pour difficilement convaincre.
L’enseignement ménager agricole se développe, et la branche féminine de la
Jeunesseagricolechrétienne(JAC,1933)mèneuneluttecontrelemodèledela
« paysanne-servante » et pour promouvoir celui de la « gardienne du foyer-
collaboratrice ». Surtout la classe ouvrière adhère toujours au modèle de la
femme au foyer : l’homme « évite » la fatigue de l’usine à sa femme, qui, elle,
privilégie les soins à sa famille. Un juste équilibre est souhaité entre le salarié
(pèredefamille)etlesconsommateurs(lerestedelafamille).Lamèredefamille
est souvent responsable du budget familial, et le travail domestique n’est
évidemmentpaspartagé!
Survivancedel’espritdelaBelleÉpoque,lanaturedescarrièresfémininesest
souventconsidéréecommedictéeparla«natureféminine».L’enseignementque
reçoivent les jeunes filles est marqué par cette idée de l’influence du genre
(Cahier-images, Pl. XII, Les métiers). Les lycées de jeunes filles conservent
longtemps une atmosphère spéciale : tablier obligatoire avec couleur définie
selon les semaines, enseignement de rudiments d’arts d’agrément, cours de
coutureetparfoisdebroderie.Quantàl’enseignementsupérieur,laconvergence
des programmes est assurée, mais l’agrégation reste genrée : non par la nature
desépreuvesquisontlesmêmes,maisparlenombredepostesmisauconcours.
Ily a un quotad’hommes etun quota defemmes beaucoup plusfaible, cequi
introduitune formede discrimination.Une importanteévolutionsociale estla
disparition, sauf dans les classes tout à fait supérieures, des « épousailles » de
rentiers avec vingt ans de différence d’âge, trousseau, dot et contrat notarié.
L’inflationdueauxdépensesdeguerreestpasséeparlà.Elleadévorélescapitaux
delarenteetlesrentiersontdisparu.Delaréflexiondelaclassepolitiquesurles
problèmesposéspar«l’immigrationintérieure»etl’adaptationdecesmigrants
aux conditions de la vie citadine, au travail en usine, aux dispositions de la
protection sociale est née une nouvelle profession féminine. De nos jours, les
assistantessocialesconsacrentleurinlassabledévouementàtenterderéduirela
fracture numérique. Leurs ancêtres, appelées « surintendantes » dans les
années 20, se battaient pour réduire la « fracture citadine » des migrants
intérieurs, issus d’un monde rural où l’écrit est rarement utilisé, jetés dans un
universcitadingrouillantoùl’environnementestchangeantetoùonadesdroits
maisoùilfautécrirepourréclamerleurapplication.
L’École normale sociale (catholique, 1911), l’École pratique de Service social
(protestante, 1912) et l’École des surintendantes (laïque, 1917), forment des
surintendantes. Issues de classe modestes ou aisées les élèves doivent
obligatoirement faire un stage en usine pendant leurs études, sans que leur
identité soit dévoilée ! Les rapports qu’elles écrivent en fin de stage sont une,
source intéressante pour l’histoire des sciences sociales. Cette documentation,
traduit le bouleversement de la perception des stagiaires au contact de la
populationouvrièredesusines.Ellesdécouvrentl’omniprésencedupouvoirdes
hommes, y compris sur le plan sexuel. Dans cet univers, les pratiques et
comportements des hommes sont adoptés par leurs collègues féminines en
particulier la trivialité de leur langage.Heureusement, elles adoptent aussi leur
sensdelasolidaritéetparticipentpleinementauxluttespourl’améliorationdes
conditionsdetravail.
Les«surintendantes»,jouentunrôledécisifdansl’instaurationdelarelative
paixsocialedesannées20,enfacilitantledialogueentrelesdirectionsd’usineset
les représentants des travailleurs. On leur doit également une relative
amélioration des conditions de vie au sein des foyers pauvres par leur
connaissancedesaidessocialesdisponibles,destechniquesdegestiondubudget
familialetdelagestiondelasantédelafamille.
Les femmes peuvent devenir médecin depuis 1892 mais rares sont les
étudiantes dans les Facultés de médecine de l’entre-deux-guerres, sans doute
rebutées par les usages fortement teintés de sexisme des « carabins ». La
pharmaciesurtoutestunmétierlargementféminisé.En1935,prèsd’untiersdes
officines sont tenues par des pharmaciennes. La profession d’avocate, ouverte
auxfemmesdepuislaBelleÉpoque,rencontredavantagedesuccès.
Ilestquand mêmedesdomainesoù laclassepolitiqueneprend pastropde
retardparrapportàl’évolutiondelasociété.Laloidu12mars1920donneaux
femmes le droit d’adhérer à un syndicat sans l’autorisation maritale, ce qui
entraîne la progression de la syndicalisation féminine, en grosse majorité à la
CGTetàlaCGTU,plussensiblesauxdifficultésspécifiquesrencontréesparles
femmes dans le monde du travail. Marie Guillot (1880-1934) est secrétaire
générale de la Fédération de l’Enseignement, puis secrétaire confédérale de la
CGTU(àpartirde1922);JeanneBouvier(1865-1964)joueunrôledécisifàla
CGT. À la CFTC, qui, elle, est d’inspiration chrétienne, la moitié des effectifs
sontféminins,surtoutparmilesemployées.Leparadoxeestd’autantpluscocasse
quelemouvementduchristianismesocial,auquellaCFTCdoitpourpartieson
succès,mèneuncombatenfaveurdelafemmeaufoyer!
L’ÉVOLUTIONDESMŒURS,«LAGARÇONNE»(1922),L’ANDROGYNIE
Danstouslescas,onnesauraitparlerdelaconditionfémininedansl’entre-
deux-guerres sans consacrer quelques lignes à la mode de l’époque et à
l’évolutiondesmœursqu’ellereflète.Cetteévolutionestdemanièreparadoxale
un signal fort de l’entrée de la femme dans la modernité et de sa libération
sociale,alorsquesonstatutjuridiqueetsonstatutpolitiquerestentbloquéspar
une chambre haute, le Sénat, qui juge les femmes encore influençables par
l’Égliseentantqu’institution.Cettenouvellemodedesannées20metuntermeà
lasilhouetteféminineBelleÉpoquequifitlesuccèsducouturierPaulPoiret.Elle
est appelée parfois « silhouette en S », expression qui qualifie ce profil des
femmesdûauportducorsetquiaffinelatailleetfait«pigeonner»lagorgeet
ressortir la cambrure des fesses grâce à la présence de la « tournure », alias
« faux-cul » sous la jupe longue. La « garçonne » des années 20 revient à une
silhouetteoùleslignesducorpsfémininreprennentleurplaceaprèsquelesdeux
accessoiresprécitésaientétéabolis.Lasilhouetteestfine,lereliefdesseinspeu
marqué. Les jupes raccourcissent, les immenses capelines du début du siècle
surchargéesdesfleursetautresdécorationsparfois saugrenuessont remplacées
parde petitschapeaux clochequi collentà lachevelure quise portecourte. Le
nouveauvestiaireféminin permetdecourir,demonteràbicyclettedejouerau
tennis,brefd’entrerdeplain-pieddanslemondedusportjusque-làréservéaux
hommes. La femme des années 20 est indépendante, ou cherche à l’être,
brouillant les identitéssexuelles et transgressant un double tabou, « celui de la
différenciation sexuelle par le vêtement mais aussi celui de l’homosexualité
féminine » Préparée par l’explosion de la « littérature saphique » de la Belle
Époque, la « visibilité lesbienne » dans les années vingt est un phénomène
parisien, assorti d’une explosion d’homophobie. On peut s’interroger sur sa
valeurdesymboledel’émancipationféminine,réelleoufantasmée.Desfemmes
portentlepantalon,moulantdepréférence,avecdesvariantes,sportivepourle
pantalondeski,suggestivepourle«pyjama».
Certainespoussentl’assimilationmasculineenadoptantlamodeducomplet,
delacravate,despoitrinesplates,delacigaretteetdubronzage.Cettetendance
estlimitéeàuneminorité,lamajoritésuivantlesgrandescréatricesfémininesde
mode de l’époque : Jeanne-Marie Lanvin (1867-1946), Jeanne Paquin (1869-
1936), Doucet Madeleine Vionnet (1876-1975), Gabrielle Bonheur Chanel dite
« Coco Chanel » (1883-1971) Elsa Schiaparelli (1890-1973). Les femmes de
milieupopulaire suivent, commeelles peuvent, cettemode, peu illustréepar le
catalogue de la Redoute, largement diffusé et référence du bon goût pour les
budgetsmodestes.
L’androgyniefascinelalittératuredepuislaBelleÉpoque.L’«aboutissement»
de la mode de la garçonne est la lesbienne, mais des homosexuelles
«historiques»refusentcettemode,préservantleurdélicat«saphisme»hyper-
féminin de la Belle Époque. À l’autre extrémité du spectre, se trouvent des
homosexuelles qui préfigurent le mouvement « Drag Kings » ou encore
« Female-to-Male », adeptes de la transsexualité, comme Violette Morris et la
banquière Marthe Hanau. Violette Morris, née en 1893, est une sportive qui
recherche la performance dans des disciplines réservées habituellement aux
hommes.Douéed’unecarrureimposante,ellesefaitremarquerparsaviolence
verbaleetparfoisphysique.Elles’habilleenhomme,dirigeunmagasindepièces
de rechange automobiles et se fait couper les seins qu’elle a très volumineux
parce qu’ils la gênent pour conduire. Elle monte sur le ring et affronte des
hommesdansdescombatsdeboxe.Ellenechoisitpastoujoursbiensesrelations
etnouedesliensaveclenazismeen1934.PendantlaSecondeGuerremondiale,
elle fréquente la Gestapo française pour laquelle elle fait volontiers office de
chauffeur.LaRésistancel’abatenavril1944sansquel’onsachesielleétaitune
victime collatérale ou la cible de l’opération qui fit plusieurs morts.
L’homosexualitéfémininedel’entre-deux-guerresprésentedemultiplesfacettes
et celle qui est numériquement le plus importante est une poly-sexualité qui
sembles’êtremiseenplaceenraisondel’absencedeshommesretenusaufront.
Sion seréfèreau nombrededivorcesprononcés dansl’immédiataprès-guerre
onpeuts’interrogersurlenombredeceuxquiontétéprononcésauprofitdes
femmesquiavaientdécouvertladouceurd’unesensualitéentreamiesetfurent
déçues par la violence d’un mari qui, de son côté, a goûté à la bestialité des
amours tarifées. L’énorme scandale et le tirage hors-normes du roman La
GarçonnedeVictorMarguerite(1866-1942),donneducorpsàcettehypothèse.
Dans ce livre, publié chez Flammarion en 1922, l’héroïne rejette la morale
traditionnelleetenrichitsavieérotiquedemultiplesexpériencesdécritesparle
menu, ce qui provoque une plainte de la « Ligue des Pères de familles
nombreuses».VictorMargueritteestradiédelaLégiond’Honneur,lapresseest
unanimedanssacondamnation.
Cette œuvre provoque les réactions de féministes de toutes tendances. La
communisteLouiseBodin(1877-1929)etlalibertaireMadeleineVernet(1878-
1949) voient dans ce mode de pensée « affranchie » une incitation à la
concupiscencemasculine,voireauviol,alorsqueviolenFranceàcetteépoque
estfaiblementpuniparlestribunaux.Àleursyeux,l’affranchissementsexuelde
la femme est une dépravation qui transforme les corps féminins en
marchandises. Les natalistes quant à eux redoutent le « péril national » que
représentela«stérilité»desgarçonnes.
Autrescandalequirajoutedel’indignation«àl’indignationdesindignés»le
succès à la scène à partir de 1925, de Joséphine Baker. Noire, métisse afro-
américaineetamérindienneavecaussidesancêtresespagnols,ellenaîtdansune
familled’artistespauvresàuneépoqueoùlesÉtats-Unisconnaissentuneintense
discriminationraciale.Elleportelenomdesonsecondmari,épouséalorsqu’elle
n’a que 14 ans. Ils font partie d’une troupe d’artistes de rue. Ambitieuse, elle
quitte son mari et la troupe dans laquelle elle danse pour tenter sa chance à
Broadway. Engagée ensuite par l’attaché commercial de l’Ambassade de Paris,
elleentredanslatroupequiproduitla«RevueNègre»auThéâtredesChamps-
Élysées.Elledanse lecharlestonquasiment nueau sond’untamtam. Lesuccès
estimmenseets’étendàtoutel’Europe.Ellerégalelesspectateursd’unspectacle
érotiquequilesconfortedansleurperceptionracistedelafemmenoire.
De la garçonne aux spectacles de Joséphine Baker, autant de motifs qui
excitent le lamento de la décadence nationale. L’extrême droite, bien sûr,
dénonce l’« influence juive » (où diable a-t-elle été chercher cela ?), sur le
dérèglementdesmœurset leprogrèsdesmaladiesvénériennes.Unecampagne
dedroitesedéveloppepourl’«ordremoral»,exacerbéeparlavictoireduCartel
des gauches aux législatives le 11 mai 1924. Les débordements des « années
folles»,sontstigmatisésparlespartisdedroitecommedes«fléaux»,auxquels
s’ajouteraitlaconsommationd’alcool,laVille-lieudeperdition,laconcurrence
sexuelle trop souvent victorieuse exercée par les « métèques »… Du côté de la
gauche,ondéploreaussilepourrissementdelasociétéaucoursdesannéesfolles,
maispar l’argentcette fois.Ces deuxcourants seretrouventdans lahantise de
l’« anarchie sexuelle », la condamnation du refus de la maternité, cause de
dépopulation,lamiseaupiloridudivorce,etdumythedel’infidélitédesfemmes
decombattantsdelaPremièreGuerremondiale.Ilestvraiquel’homosexualité
féminine gagne en visibilité et qu’une culture homosexuelle se développe dans
années 20, « encouragée » par les dispositions du Code pénal : en France,
l’homosexualitén’étantpasundélit,laréputationdetolérancedupaysattiredes
homosexuelles étrangères, visibles, ce qui exacerbe la réprobation des bien-
pensants.
L’évolution du sport féminin pendant la Première Guerre mondiale, se
manifeste par l’apparition, en France, de sociétés omnisports féminines. La
premièreàfaireson apparition,«L’Académied’éducationsportiveet physique
delafemme,delajeunefilleetdel’enfant»,égalementdénommée«Académia»,
est présidée par la duchesse d’Uzès. Les débuts du football féminin français
remontentà l’extrême finde la GrandeGuerre. Il secaractérise longtemps par
deuxmi-tempsde30minutes.Fautederecrutementsuffisant,ildéclinedèslafin
desannées1920.
L’éducation physique devient obligatoire pour les filles fréquentant les
établissements d’enseignement secondaires en 1925. Une « Fédération des
Sociétés féminines sportives de France » voit le jour en 1920, elle devient peu
après la « Fédération féminine sportive de France. Union française de
gymnastique féminine ». Cette appellation complexe est simplifiée en 1922 en
«Fédérationfémininedegymnastiqueetd’éducationphysique».La«Fédération
sportivedu Travail», dès safondation en1923, reprendl’essentiel dudiscours
marxiste en matière d’émancipation féminine, mais les réticences à
l’émancipationfémininepropresauxclasseslaborieusesdemeurent.Lesfemmes
ne sont officiellement admises aux Jeux Olympiques qu’à partir de 1928, à
Amsterdam, où elles sont 263 à se présenter. Le tennis féminin français brille
avec l’élégante Suzanne Lenglen qui, de 1919 à 1925, s’impose comme la plus
grande joueuse professionnelle du moment. Suzanne Lenglen a disputé son
premier tournoi en 1912, alors qu’elle n’avait que treize ans, elle a remporté
quinze championnats du monde sur herbe, autant sur terre battue, deux
championnatsolympiques et 19 championnatsde France. La célèbrerencontre
du16février1926entrel’étoilemontantedutennisaméricain,la«petiteécolière
sage » Helen Wills (1906-1998), vingt ans et déjà trois victoires dans les
InternationauxdesÉtats-UnisetSuzanneLenglenestgagnéeparcettedernière.
Suzanne Lenglen a défrayé la chronique par ses jupes relativement courtes,
réalisées par le couturier Jean Patou (1887-1936), et par son usage du cognac
commeremontant.Elleestmortedeleucémieen1938.
Dans les années trente, la condition féminine subit l’influence de deux
évènementsmajeurs:lacriseéconomiqueetsocialedite«de29»,etl’accession
aupouvoirdesforcesdegauchecoaliséesdansleFrontpopulaire.
LACRISEÉCONOMIQUEDESANNÉESTRENTE
ETSONIMPACTSURLETRAVAILDESFEMMES
La crise économique a pour effet de renforcer les pressions déjà existantes
contre le travail féminin. Les associations du mouvement catholique « social »
sont à la pointe du combat. Mais cette revendication d’un retour en arrière
soulève un problème insoluble car les femmes occupent déjà des fonctions
« impossibles » à confier à des hommes. À la différence des dictatures et des
États-Unis, les pouvoirs publics s’interdisent de légiférer sur la limitation du
nombre des emplois féminins, mais les étrangers (et les étrangères), tout
particulièrement les Polonais et les Polonaises, sont souvent reconduits aux
frontières, en cas de dégradation des chiffres du chômage. Plus brutal, le
gouvernementLavalde 1935décide lelicenciementdes employéesdesservices
publicsmariéesàdesfonctionnairesetréserveauxhommesl’accèsauxconcours.
En1938lesfemmesfontl’objetd’unediscriminationpositive:lesdécrets-loisdu
11novembreétendentlesallocationsfamilialesàtoutelapopulationactive,elles
sontharmoniséesdansleurstauxetellessontmajoréessilamèreresteaufoyer.
Paradoxalement, l’observation des chiffres, traduit le fait que la crise n’a, en
définitive,qu’uneincidencenumériquelimitéesurl’emploidesfemmes.
La surexploitation du travail féminin perdure. Les salaires des femmes
continuentàêtreinférieurs,d’untiersenviron,àceuxdeshommes,cequiapour
effetdeconforterlapositiondepouvoirdel’hommeauseindu«ménage».Etles
conventionscollectivesnégociéesaprèslesaccordsdeMatignonofficialisentles
doublesgrillesdesalaires!Onvoitse perpétuerouapparaîtreavecla crisedes
phénomènesquiposentencorequestiondanslapremièremoitiéduXXIesiècle:
usure au travail, qui pousse les employeurs à rechercher de jeunes femmes,
grossièretés,harcèlement, droit de cuissage, salaire d’appointde la prostitution
occasionnelle… En fin de carrière tout cela débouche sur une pauvreté plus
grande des femmes à la retraite que celle des hommes à la retraite. La
prostitution est combattue par un mouvement « abolitionniste » dans l’entre-
deux-guerres,mais HenriSellier (1883-1943),ministre dela Santépublique du
Frontpopulaire,échouedanssatentativederépressionduproxénétisme:ilest
fortisoléauseindelaclassepolitique.
Le droit de vote des femmes ne figurait pas dans le programme du
Rassemblement populaire, notamment parce que les partis de gauche ont été
influencés par des articles de presse présentant la victoire électorale de Hitler
commedueauvoteféminin,cequiesthistoriquementinexact.Cependant,bien
que non éligibles, trois femmes figurent au gouvernement, avec un statut de
sous-secrétaire d’État, rattachées à un ministre en exercice : Irène Joliot-Curie,
procheduPC,sous-secrétaired’ÉtatàlaRecherchescientifiquesouslapesante
houlette de Jean Zay, Suzanne Lacore, ancienne institutrice et SFIO, sous-
secrétaire d’État à la Protection de l’Enfance, Cécile Brunschvicg, membre du
partiradicaletprésidentedel’Unionfrançaisepourlesuffragedesfemmes,sous-
secrétaired’Étatàl’Éducationnationale.IrèneJoliot-Curiedémissionnetrèsvite,
etl’expériences’arrêteen1937,maisdutravailefficaceaétéfait.Enréalité,dans
lesannées30,c’estdanslecampconservateurantirépublicainetcléricalqueles
femmes sont le plus nombreuses. Parmi les associations auxquelles elles
adhèrent,ontrouvelaLigueféminined’Actioncatholiquefrançaisedirigéepar
desmembresde l’anciennearistocratieet desfemmesde lahautebourgeoisie :
activismepolitique,prosélytismereligieux,etluttecontreledivorcefigurenten
bonneplaceausein deleursactivités.C’estunantiféminismedirigé avanttout
contre la République.L’Action française, quant à elle, organise un « comitéde
dames».Biensûr,pourl’extrêmedroiteetunepartiedeladroite,lamaternité
doitêtrele«patriotismedesfemmes».Leféminismeestfréquemmentqualifié
d’« invention juive ». Certains s’insurgent contre la scandaleuse présence au
gouvernementdeCécileBrunschvicg,choisieparLéonBlum.
FAMILLE,DÉMOGRAPHIE,MARIAGE,AVORTEMENT
ET«LOISSCÉLÉRATES»
Desmodesdepenséetraditionnelsperdurentdanslesannéestrente.Dansune
décennieoùlaFrancecommenceàavoirunnombreappréciabledesociologues,
ceux-ci relèvent l’existence d’une évolution du consensus de pensée sur la
démographie, le mariage et la fondation d’une famille. Les petites annonces
matrimonialesdu Chasseur français,unhebdomadaire dontletirage augmente
de façon considérable dans l’entre-deux-guerres, atteignant les
400 000 exemplaires en 1940, constituent une source d’information
surabondantesurlesattentespopulairesvis-à-visdel’institutiondumariage.Les
âgesdesannonceusesouannonceurssontvariés,maissemanifestentbeaucoup
veuves,surtoutaprèslaPremièreGuerremondiale.Lesannoncesinsistentsurla
familleetlasituationéconomique.Depuislesannées20,lesbouleversementsde
lafamillesontvisibles,oninsistesurla«qualité»d’enfantunique,onsesoucie
davantage qu’auparavant du salaire féminin, un grand nombre de femmes
célibataires passent des petites annonces, les divorcés apparaissent, la fonction
publique fait une entrée massive dans les annonces, et l’on est en quête du
bonheur familial : le mot « amour » surgit. Les divorces sont de plus en plus
nombreux:27000en1939,soitprèsdedeuxfoislenombrede1911.Lapeurde
la « mort en couches » et de la grossesse reste importante, à juste titre,
malheureusement:2à3‰desparturientesmeurentdansl’entre-deux-guerres.
Quantàl’accouchementparcésarienne,ilreste,etpourlongtempsmeurtrier,à
hauteur de 13 % en moyenne vers 1920, et constitue une véritable source
d’angoissepourlafemmeetpourlemédecin.
Lapeurdelagrossesseestaccentuéepardeuxloisdel’entre-deux-guerres.La
loi du1 er août1920 (dite «bleu horizon »car votée parla Chambre dumême
surnom) réprime toute « provocation » directe ou indirecte à l’avortement et
toutepropagandeanticonceptionnelle,enpunissantcesactesd’unepeinedesix
moisàtroisansdeprison.Laloide1923passel’avortementencorrectionnelle–
il n’y a donc plus de jury, traditionnellement conciliant en la matière – et elle
hausselespeines:deunàcinqansdeprisonpourlesavorteurs,desixmoisà
deux ans pour les avortées. La moyenne des acquittements tombe à moins de
20%,maisilsembleraitquelenombredesavortementsn’aitpasdiminuéentre
1920-1923et1939.LeCodedelaFamillede1939renforcelarépressioncontre
lesavorteursetlerégimedeVichyfitdel’avortementuncrimecontrel’Étatpuni
parlapeinedemort.
LESFEMMESETLEMONDEPOLITIQUE
LaGrandeGuerreaurait-ellecrééunnouveaurapportentrelesfemmesetla
politique?Lepoidsdel’opinionféminineenmatièredepolitiquecommenceàse
faire sentir. Sous l’impulsion même de la Papauté, les milieux catholiques
français se déclarent pour le vote des femmes. Viviani, Blum et Briand,
personnalités laïques et socialistes, sont rejoints par Louis Marin (1871-1960),
MarcSangnieretRaymondPoincaré.Dansl’entre-deux-guerres,parquatrefois
(1919,1925,1932et1935),laChambredesdéputésvotepourlesuffrageféminin.
Parquatrefois,leSénatrepousseledroitde voteauxfemmes.Cetteassemblée
est contrôlée par le courant radical laïc convaincu que la « nature féminine »
pousselesfemmesàvoterselonl’opinionducuréouduconfesseur.ArthurHuc
(1854-1932),éditorialistede LaDépêche deToulouseoseécrire:« l’interdiction
provient du sexe de leur cerveau » ! Aucun gouvernement ne tente d’ailleurs
d’infléchir la volonté des sénateurs. Quant à l’opinion publique, femmes
comprises, elle semble peu passionnée par le sujet ! Quelques militantes,
minoritaires, se manifestent, notamment au sein de l’Union française pour le
suffrage des femmes, présidée par Cécile Brunschvicg (1877-1946, née Kahn),
militanteféministecommesonmari(Léon,1869-1944)etsous-secrétaired’État
dugouvernementLéonBlum.Etcependant,leproblèmedelacapacitéciviledes
femmesvients’ajouteràceluideleurcapacitépolitique:malgrécela,l’énorme
scandale de cette double minorité ne soulève pas l’indignation. La plupart des
partispolitiquesontlongtempsétéhostilesàlaféminisationdeleurseffectifsetà
l’inscription des droits de la femme dans leurs programmes. Quelques
formationsouvrentdes«sectionsféminines»quideviennentdesvivierspourles
élues de la IV e République, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. À cette
époque,GermainePoinso-Chapuis(1901-1981),avocate,estlapremièrefemme
nomméeau poste de ministre,en 1947. Ellea été une militantedu PDP (Parti
démocratepopulaire).LePartiradicalreste,malgrél’ouverturedesesrangsaux
femmes en 1924, le plus hostile de tous les partis. Dans le cadre du
Rassemblement populaire il exige de ses partenaires la non-inscription du
suffrage féminin dans le programme du Front. Même la SFIO a un taux de
féminisationfaiblepourunpartisocialiste.Sansdoutefaut-ilyvoirlerefletde
l’opinion affichée par l’Internationale socialiste qui considère le féminisme
comme une dérive « bourgeoise ». À l’inverse, dès sa naissance, le Parti
communiste français accorde à la propagande parmi les femmes un soin
remarquable.Ilprônel’égalitédessexes,célèbrelaJournéedu8mars,votetoutes
lespropositionssuffragistesauparlement,créedesorganisationsféminines.Des
féministesd’avantlaGrandeGuerreentrentauPC,commeMadeleinePelletier,
Hélène Brion (1882-1962) et Marthe Bigot (1878-1962). Mais le nombre
d’adhérentesest faibleà la findes annéestrente. Entre-temps,en 1936 lePC a
sacrifiélalibertédecontraceptionetd’avortementsurl’autelduFrontpopulaire.
La « féminité », la maternité, et une morale de « bon aloi » sont dès lors
valorisées:lePCadestraitsculturelsd’uneclasseouvrièreauseindelaquellela
hiérarchiesexuelleestbeletbienuneréalité.Cepuritanismealaviedure.Seuls,
lesanarchistessonthostilesà l’oppressiondesfemmes,maislesmilitantessont
trèspeunombreuses.
Le féminisme des années 1930 se manifeste selon trois courants principaux.
Un féminisme réformiste,républicain, laïc, radical ou socialisant, s’attache à la
conquêtedel’égalitéjuridiqueetdudroitdevote,pardesmanifestationsetdes
opérationsspectaculaires,commelefontlessuffragettesanglaises.
Un autre courant, celui de la journaliste Louise Weiss (1893-1983), est un
féminismededroite,plutôtcatholique,traditionaliste,quandmêmefavorableau
droitdevote(Cahier-images,Pl.XV),encouragéparladéclarationde1919du
papeBenoîtXV(1854-1922)enfaveurduvoteféminin.C’estàceféminismeque
serattachelagéographeMarielJean-BrunhesDelamarre(1905-2001).
Unféminisme«radical»défendl’idéequeleféminismedoitallerau-delàde
l’égalitéjuridique,dudroitdevoteets’étendreàlasexualité.Ilestanticapitaliste,
pacifiste,athée.C’estceluideMadeleinePelletier.Danslesannées30,ellepublie
destextes radicauxcomme «La Femmevierge »,« UneVie nouvelle»et « La
Rationalisationsexuelle».Sespositions,trèspersonnelles,sontpeusuivies.Elle
faitl’apologieducélibatféminin,allantjusqu’àproclamerquel’étatdevirginité
estleseulgarantd’unevéritableindépendance.
D’autres combats sollicitent les féministes de l’entre-deux-guerres, le
« relèvement » des prostituées, considérées comme victimes d’une forme
d’esclavagisme,larevendicationd’uneprotectionspécifiquepourlesfemmes,en
particulier les travailleuses et les mères. Certains conseils municipaux
s’entrouvrentdansl’entre-deux-guerresàdesfemmes,avecvoixconsultative.Le
Frontpopulaire,ennommantdessecrétairesd’Étatquin’ontpasledroitdevote,
donnelapreuvequ’ilestplusfaciledecédersurl’éligibilitéquesurlevote!
Pourquoiceretardfrançais?Lerôleconservateurdelamajoritésénatorialeen
matière de droit de vote n’est probablement qu’une partie de la réponse. Il est
une autre explication possible. La crainte d’une réforme du Code civil
consécutiveaudroitdevotedesfemmesquientraîneraitl’émancipationgénérale
des femmes et, par conséquent, leur entrée de plain-pied dans la gestion des
biensducouple.
LESFEMMESDANSLESARTSETLALITTÉRATURE
Lerapportdesfemmesàlacréationculturelleetartistiqueestunautregrand
sujetdel’époque.CamilleClaudelpremière«sculptrice»del’histoiredesartsest
un scandale, parce que la création n’est pas considérée comme appartenant au
domaine féminin (Cahier-images, Pl. XIV). D’interminables controverses
opposentféministesetantiféministessurl’originalitédesonœuvreparrapportà
celled’AugusteRodin,sonmaîtreetamant,alorsqu’ilsemblebienquecertaines
œuvresdecedernierluidoiventbeaucoup.DévastéeparsaruptureavecRodin,
elleperdcontactaveclaréalité,s’enfoncepeuàpeudansladépression.Elleest
internéeàl’âgede50ans,àlademandedesamèreetdesonfrère,etmeurtdans
desconditionsmisérablesàl’hôpitalpsychiatriquedeMontfaveten1943.
Parmilespeintres,MarieLaurencin,néeen1888,créedesœuvresdanslestyle
du fauvisme avant d’évoluer vers le cubisme. Son galeriste Paul Rosenberg la
présente aux côtés de Picasso, Braque, Léger et Matisse. Ses tableaux sont
remarqués lors d’une exposition fort médiatisée en mars 1921. Elle devient la
portraitistemondaineduTout-ParisdesAnnéesfolles.
Dans le domaine littéraire, la création du Prix Fémina en 1904, est due à
l’initiatived’ungroupedefemmesartistesouécrivaines.Lasséesparl’opposition
systématique du jury Goncourt qui refuse de laisser concourir d’autres œuvres
quecellesdes hommes,toujoursaunom duprincipedel’incompatibilitéentre
créationet«espritféminin»ellesdécidentdecréerleurpropreprix.Parmiles
membres du premier jury on note la présence d’Anna de Noailles poétesse et
mondaine,deJaneDieulafoyféministeetarchéologue,delajournalisteSéverine
etdel’écrivaineorientalisteJudith Gautier(fille deThéophileGautier).Leprix
de1904estdécernéàMyriamHarrypoursonroman LaConquêtedeJérusalem.
Bienquelejurysoitféminin,ilse«donnelesgants»derécompensertantdes
œuvres féminines que masculines. En 1910 le prix récompense Marguerite
Audoux pour son roman Marie-Claire, en 1919 Roland Dorgelès pour son
ouvrageLesCroixdeboiseten1931,AntoinedeSaint-ExupérypourVoldenuit.
La scandaleuse Colette (1873-1954) porte un coup décisif à la soi-disant
supérioritémasculineenmatièredecréationlittéraire.Ellerédige Sidoen1930,
La Chatte en 1933. Les autrices de l’époque écrivent le plus souvent dans la
poésielyriqueetleromantraditionnel.Mais,indéniablement,AnnadeNoailles
(1876-1933) est l’incontournable « muse de la République », et les auteures se
réclament ouvertement du « féminisme ». Lucie Delarue-Mardrus (1874-1945)
revendiqueunenatureféminineenlittérature,etlaphotographe,GisèleFreund
(1908-2000), installée en France après avoir fui le nazisme, impose sa vision
fémininedumonde.
LeParisdes«annéesfolles»estaussimarquéparlavenued’artistesétrangères
quis’intègrentdanslemilieuartistiquedelacapitaleauquartierMontparnasse
et à Montmartre. Chana Orloff devient sculptrice, Tamara de Lempika est
peintre,MarieVassilieffétudielapeintureavecMatisseavantdeselancerdans
les arts décoratifs. Les américaines Gertrude Stein et Nathalie Clifford Barney
participentàcetteviemondaineetouvrentleurssalonsauxartistes.SylviaBeach
crée une librairie d’avant-garde « Shakespeare and Company » c’est aussi
l’époquedu«ParisLesbos»desgarçonnes.Lalibertéhomosexuelleestillustrée
parplusieursartistesdontlachanteuseSuzySolidor,figuredesnuitsparisiennes.
Endehorsdelalittératureetdesartslesfemmesprennentpiedpeuàpeudans
le monde intellectuel. Une jeune fille était entrée, en 1910, à l’École normale
Sciencesdela rued’Ulm,réservéeaux garçons.Uneautres’impose,en 1924,à
l’École normale Lettres. Les khâgnes, classes préparatoires à l’École normale,
s’ouvrentauxjeunesfillesen1924.Dénommées«Ulmiennes»(paropposition
aux « Sévriennes » qui concourent à l’entrée de l’École normale de Sèvres
réservée aux filles), elles obtiennent des résultats spectaculaires, comme
l’hellénisteJacquelineDavid,connuesoussonnomd’épouseWormsdeRomilly
(1913-2010),reçueseconde(depuislakhâgnedeLouisleGrand)auconcoursde
1933, ou Simone Weil (1909-1943), entrée sixième à l’École en 1928 et
intellectuelle«engagée».Ilyadeuxgrandesscientifiques:MarieCurie(1867-
1934), grande figure scientifique de l’entre-deux-guerres, deux fois Prix Nobel
magnifiéegrâceàsonactionpendantlaguerreetsafilleIrèneCurie,PrixNobel
de Chimie en 1935 avec son mari Frédéric Joliot. Aucune des deux toutefois
n’entreàl’AcadémiedesSciences…
Les femmes journalistes sont nombreuses : toujours Séverine, Louise Weiss,
Geneviève Tabouis. Prenons garde au mythe – masculin – des « femmes
d’exception », les « personnages » les plus emblématiques étant pour les
années 30 les pionnières de l’aviation dans l’entre-deux-guerres, Adrienne
Bolland (1895-1975) réalise la traversée de la Cordillère des Andes et survole
l’Aconcagua(Cahier-images, Pl. XIV),Maryse Bastié (1898-1952),Maryse Hilz
(1901-1946)etHélèneBoucher(1908-1934,recordmondialdevitesseen1934).
Ilyatoujoursunepresseféminine,avecFemmesd’aujourd’huietLePetitÉcho
delaMode(plusd’unmilliond’exemplairesen1930),tousdeuxinspirésparles
valeursd’unemoraleconservatrice.Laversionfrançaisedumagazineaméricain
Vogue s’adresse aux riches élégantes. Innovation culturelle, Marie-Claire est
lancéeen1937,avecuneprésentationmoderne,parJeanProuvost(1885-1978)
et Marcelle Auclair (1899-1983). Ce magazine original obtient un succès
immédiat, surtout auprès des citadines des classes moyennes. Confidences est
lancéen1938parPaulWinklersurunmodèleaméricainquifaitunelargeplace
aucourrierdeslecteurs.Leslectricesytrouventunexutoireàleursolitudeetun
apaisementdansledialogueépistolairequ’ellesinstaurentaveclespersonnelsdu
journal.
Onpourraitconclurecettequêtedel’évolutiondelaperceptionsocialedela
femme, en France, entre les deux conflits mondiaux avec deux icônes, trois
symboles féminins, qui tous trois ont évolué dans l’entre-deux-guerres.
Mariannes’estcomplètementbanaliséeavecl’Unionsacrée.Elleasonbustedans
touteslesmairiesdeFrance.Elleestaussidevenueuneégériepublicitaire,mais
n’apasencoretrouvésaplaceauxPTT:ellen’estnullementunefigureféminine
surlestimbres-posted’usagecourant.Celle-ciesttoujourstenueparlaSemeuse
dessinée par Louis Roty, comme avant-guerre. Symbole de la Paix et de Cérès
déessedesmoissons,elleestl’incontournableimagedel’abondance.
Jeanned’Arc,longuementetvivementinterpelléependantlaGrandeGuerre,
avec une véritable ferveur johannique consensuelle, change beaucoup plus que
Marianne.Eneffetladroitelarevendiqueàgrandscrisdanslesannées30,carà
ses yeux elle incarnerait la France traditionnelle contre le Rassemblement
populaire. En conséquence, la Jeanne démocratique d’avant 1914 s’évanouit et
Jeanneconnaîtunenouvelleinterprétation.
Denouveauxconflitsémergenttandisqu’éclatelacriseinternationalede1929.
Elleestbancaire,financièrepuiséconomiqueetsociale.Sesconséquencessefont
sentirdanslamontéedufascismeenItalieetensuitedunazismeenAllemagne.
EnFrancelesexpériencespolitiquesmènentdublocnational(1919)auCartel
desGauches(1924).PlustardlegouvernementdeRaymondPoincaréchercheà
assainirlasituationdelamonnaiefaceà lacrisede1929.Lasituationentraîne
inévitablement la montée des extrémistes de Droite tandis que les partis de
Gauches’unissentauxélectionsquimènentàlavictoireduFrontpopulaireen
1936 avec Léon Blum. Des réformes sont initiées mais le bruit des canons se
rapproche, après l’échec de la conférence de Münich. La marche à la guerre
s’accélèreà traversles coupsde forcede Hitler,l’Anschluss enAutriche puisla
crise des Sudètes en Tchécoslovaquie. La France entre en guerre en
septembre 1939 avec son alliée le Royaume-Uni sans avoir pu juguler la crise
économiqueet les Français sontdivisés sur l’avenirpolitique de la démocratie.
Danscecontexteonapprendbrutalementqu’unpactegermano-soviétiqueaété
concluetquel’ItaliedeMussoliniserangeauxcôtésdesnazis.
CHAPITRE6
LESFEMMESDE1939À1974
FEMMESCITOYENNES«SANSCITOYENNETÉ»DANSLA
GUERRE.DELARÉSISTANCE
ÀL’ACCÈSAUDROITDEVOTE.L’ÉMANCIPATIONDU
CORPSETLACONTRACEPTION
CechapitreestdédiéàlamémoiredudocteurPierreSimon(1925/2008)Gynécologue-obstétricien.Co-
fondateurdela«Maternitéheureuse»en1956(associationdevenuelePlanningfamilial)
puisco-fondateurdu«Collègedesmédecins»en1962.
LadernièrepagedelatragédiedelaGrandeGuerreestécritele28juin1919
lors de la signature du Traité de Versailles. Les cinq principales puissances
victorieuses:l’Empirebritannique,l’Italie,laSerbie,laFranceontnégociéautour
d’untexteissudes«Quatorzepropositions»duprésidentaméricainWilson.Les
vaincusdecette guerre,laTripliceet sesalliésBulgares,ainsi queTurcsfurent
réduits àmanifester leurs points de vuepar écrit. Rares furentleurs demandes
d’aménagementquifurentacceptées.LaRussie,devenuebolcheviqueen1917fut
excluedesnégociations.
D’importantsremaniementsterritoriauxsontcréésparletraitédeVersailleset
ses corrélats. La Pologne redevient une nation, alors qu’elle était démembrée
entre la Prusse, l’Empire russe et l’Autriche. D’importants territoires qui se
trouvaient dans l’est de l’Allemagne sont attribués au nouvel État polonais.
Dantzig devient une ville libre, ce qui garantit l’accès de la Pologne à des
installationsportuairessurlamerBaltique.LacréationducorridordeDantzig,à
l’ouestdelavillelibre,aaussipoureffetdeséparerdemanièrenettelaPrusse-
Orientale,restéeallemande,durestedel’Allemagne. LaTchécoslovaquiedevient
un État indépendant de l’Empire d’Autriche auquel elle était rattachée. La
Hongriesortdeladoublemonarchieaustro-hongroiseetformeunerépublique
indépendante. Il ne subsiste plus de l’Autriche que les territoires de langue
allemande.
La France reprend la Lorraine mosellane et les deux départements alsaciens
(Haut-RhinetBas-Rhin).
LaBelgiquebénéficiedescantonsd’EupenetdeMalmedy.
L’Allemagneperdsescoloniesafricainesauprofitdesdétenteursdeterritoires
coloniauxlimitrophes.Royaume-Uni,France,BelgiqueetUnionsud-africainese
partagentleCameroun,leTogo,l’Afriqueorientaleallemande(actuelsTanzanie,
RwandaetBurundi)etleSud-Ouestafricain(actuelleNamibie).
Lesdispositionslesplussévèresconcernentlesdommagesdeguerre.L’estetle
nord dela France ontété transformés pendantprès de cinqans en champs de
ruinesparlesbataillesquiyfurentlivrées.Certainesvillesetvillagesontétérayés
delacarte.Lesterresagricolessontdevenuesd’immensescharniersetdetristes
dépotoirsdesorduresdelaguerre.L’Allemagne–considéréecommeprincipale
responsabledelaguerre–doitpayerdefortesréparationsauxAlliés.Lemontant
àpayer estiméaprès plusieursévaluations estfixé à 132milliards demarks-or,
lesquels vaudraient de nos jours, environ 1 420 milliards d’euros. Georges
Clemenceau, Premier ministre français, veut pouvoir à la fois financer la
reconstruction de son pays et affaiblir économiquement l’Allemagne. Le
présidentaméricainàl’inverse,craintuneAllemagnehumiliéeettentéeparune
aventure communiste qui relancerait les troubles en Europe. La population
allemande,comme son territoiren’a pas étéenvahi par les vainqueursne croit
pas à l’effondrement de l’armée nationale et perçoit les clauses du traité de
Versailles comme un « diktat » inacceptable des pays d’Europe occidentale. Le
kaiser Guillaume II a été déposé le 9 novembre 1918 et la république (dite de
Weimar)proclamée. Friedrich Ebert,membre duSPD,en prendla présidence.
L’agitationestàsoncomble.Danstouteslesgrandesvillesnaissentdesconseils
ouvrierset deconseilsde soldats.Ebert,dans sonpropreparti doitfaire faceà
une scission de l’aile gauche, les spartakistes. Rosa Luxembourg et Karl
Liebknecht, qui en sont les leaders, passent un accord avec le petit parti
communiste allemand et appellent à l’insurrection. Entre le 5 et le 12 janvier
1919, on se bat dans les rues de Berlin. Ebert fait appel aux « corps francs »,
milicesconstituéesprincipalementdesoldatsdémobilisésquiviventdel’exercice
mercenairedumétierdesarmes.Ceshommes,adeptesdelaviolencesontutilisés
à contre-emploi dans la défense de la république allemande. Ils mettent fin au
soulèvement, arrêtent Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht et les fusillent. Ce
sontlesmêmesqui,enmars1920,marchentsurBerlindanslebutderenverser
larépublique.Parlasuite,ceshommesfurentnombreuxàrallierlesSApuisle
SS du parti NSDAP fondé par Hitler. Les SA dirigés par Röhm forment la
fraction populiste des troupes du NSDAP. Au cours de l’année 1934, le
chancelier Hitler, démocratiquement élu, se rapproche des milieux d’affaires
dont il a besoin pour financer le réarmement de l’Allemagne. Ces derniers ne
veulentplusdesagressionsdepleineruedontlesSAsontlesacteurs.L’ordreest
nécessaireàlamarchedesaffairesetilconvientdetransférerlerôledebrasarmé
duNSDAPauxSS,forcepolitico-militaireorganiséesurlemodèled’unearmée,
capable de maintenir l’ordre avec discrétion. C’est alors la « nuit des Longs
Couteaux»aucoursdelaquellelesSSd’HeinrichHimmleréliminentplusieurs
centainesdecadresdelaSAàtraverstoutel’Allemagne.UndossiercontreRöhm
est fabriqué par la SS, tendant à prouver qu’il avait reçu des sommes
considérables de la France pour créer des troubles en Allemagne. Devant son
refusdesignerces«aveux»,leprocèsqu’ilétaitprévud’organiserestannulé.Il
est discrètementexécuté dans le cachot oùil est retenu depuis sonarrestation.
Cette émergence d’un régime politique cynique et violent est un modèle
moderne que l’on voit se reproduire périodiquement. L’Italie avait initié ce
schémaavecl’élection«démocratique»deBenitoMussoliniaupostedePremier
ministre.Celle-cifutprécédée,avantmême lacréationdumouvementfasciste,
néen1921,parle«squadrisme».Lemouvementsquadristenaquitaudébutde
l’été 1920. Il est constitué de « faisceaux de combat » dont le modèle et le
recrutementsont prochesdeceux descorps francsallemands.Ils serenforcent
grâce à l’appui logistique et financier fourni par les possédants et les
représentants de l’appareil d’État désireux de réprimer toute tentative de
révolution communiste. Il commence en Vénétie où la « lutte contre le
bolchevisme » servit de prétexte à l’écrasement des socialistes et des minorités
slaves.Ilsepoursuitavecdesaffrontementsarméscontrelemouvementpaysan
des«bracciantie»(lestravailleurssansterre),en1920.Ilpritensuitesapleine
puissanceaveclesactionssanglantesmenéesdansleszonesurbainescontreles
socialistes et anarchistes. Modèle repris par l’Allemagne, le « Duce » (chef),
démocratiquementélu,éliminelesopposants,musellelapresseetimposesaloi
grâceàl’appuifinancierqu’iltrouveauprèsdesmilieuxd’affaires.
LecasduJaponestculturellementdifférent.Cepaysnepartagepaslesidéaux
démocratiques des pays occidentaux. Au sommet de l’État, l’empereur est une
personnesacrée,dontl’autoritéspirituelleleplaceau-dessusdelapopulation,il
dominelespouvoirsexécutif,législatifetjudiciaire.La «diète»assembléeélue
partage le pouvoir législatif avec le gouvernement installé par l’empereur et
ratifieparvotelesloisetlesaccordsinternationaux.L’aristocratiedecouretles
grands propriétaires fonciers perdent leurs pouvoirs au profit de la petite
noblesseguerrière.Cetteconstitution«Meiji»résultedelanécessitéapparueen
1869desortirlepaysdelaféodalitéetd’assurerundéveloppementéconomique
qui passe par des conquêtes territoriales nécessaires à l’ouverture de nouveaux
marchésquipermettentl’expansiondelatoutenouvelleindustriejaponaise.
Lapériode quivade laGrande Guerreàla SecondeGuerre mondialerévèle
l’émergence de trois puissances autoritaires aux pratiques cyniques, fortement
industrialisées,privéesdecoloniesquileurpermettraientdetrouverdesmarchés
pour leurs industries. Elles ont donc toutes trois des objectifs d’expansion
territorialeauxdépensdeleursvoisins.
De leur politique expansionniste naît la Seconde Guerre mondiale, conflit
arméàl’échelleplanétairequiduredu1 erseptembre1939au2septembre1945.
Elle est annoncée par la convergence d’un ensemble de tensions et conflits
régionaux:enAfrique(Secondeguerreitalo-éthiopiennedès1935),enEspagne
où la guerre civile commence le 18 juillet 1936, en Chine où les agressions du
Japon débutent le 7 juillet 1937, et en Europe centrale où l’Allemagne annexe
autoritairementl’Autrichele11mars1938puislesterritoiresdesSudètesprisà
la Tchécoslovaquie le 21 octobre 1938. Le 1er septembre 1939, après un pacte
contrenaturepasséavecl’Unionsoviétique,cesdeuxpuissancessepartagentla
Pologne qu’elles envahissent militairement. Le 3 septembre 1939, le Royaume-
Uni et la France entrent en guerre avec l’appui de leurs empires coloniaux
respectifs.
Associéeàl’AllemagnedanslepartagedelaPologne,l’URSSrejointlecamp
alliésurlefrontest-européenlorsquel’Allemagneenvahitleterritoiredel’URSS
le22juin1941.L’attaquesurprisedelabasenavaleaméricainedePearlHarbor
par les forces japonaises, le 7 décembre 1941, provoque l’entrée en guerre des
États-Unis. Dès lors, le conflit devient mondial, impliquant toutes les grandes
puissances, et la majorité des nations du monde sur la quasi-totalité des
continents.
LaSecondeGuerremondialeplongel’Europeetlemondedanslechaos.Les
troispuissancestotalitairesprofitentdel’affaiblissementdesdémocratiesaprèsla
crise des années Trente : l’Allemagne nazie, l’Italiefasciste, le Japon militariste
quis’estattaquéàlaChinedès1937.
La guerre côté européen débute en septembre 1939 par l’invasion de la
Pologne par les Allemands. Les Français et les Anglais attendent avant
d’intervenirmilitairement.Lagrandeoffensivedel’Allemagnesedérouleensuite
contre les Pays-Bas, la Belgique et la France en mai 1940. Effaré, l’état-major
françaisdécouvrequelesAllemandsnefontpaslaguerredelamanièreprévue.
La ligne Maginot a été conçue pour résister au choc de masses de fantassins
déferlant dans un assaut massif sur un front s’étendant sur des dizaines de
kilomètresdelargeur.Maisl’ennemi seprésentedansdeschars porteursd’une
puissanteartillerie,suivispardestransportsdetroupeblindésquivéhiculentles
fantassinsàl’abridestirsennemis.L’arméefrançaisenedisposed’aucunearme
antichar d’infanterie comparable au « panzerfaust » allemand. Elle doit se
contenterdetroprarescanonsHotchkissde25mmetModèle37de47mm.De
surcroît, l’armée allemande possède la totale maîtrise du ciel, condition
nécessaire à la survie des unités blindées. Après la traversée des Ardennes, le
frontestpercéàSedanetlaligneMaginotestpriseàrevers.Larouteestouverte
versParis.Unepartimportantedelapopulationcivilefrançaise,soitplusdesept
millionsdeFrançais,empruntelesroutesdel’exodeetfuitverslesud(Cahier-
images,Pl.XV,SurlaroutedeBuzançais).Legouvernementfrançaisseréfugieà
Bordeaux. La France, écrasée, se retire des combats. L’armistice est conclu le
16juin1940.Lamétropoleestdiviséeendeuxzones.Lazonenordestoccupée
parlesAllemands.Danslazonesud,ungouvernementdit«État-français»àla
têteduquel est nomméle maréchalPhilippe Pétains’installe àVichy. Il définit
formellement les lois applicables dans cette zone dite « libre », sous la tutelle
omniprésentedesvainqueurs.IlestmisfinàlaTroisièmerépublique.Àl’issue
del’entrevue deMontoire(octobre 1940)Pétainaccepte de« collaborer»avec
Hitler.Danslesilencedeladéfaites’élèvele18juinl’appeldugénéralCharlesde
GaulledepuisLondresafindecontinuerlecombatetrésisteràl’ennemipartous
lesmoyenspossibles.
Labatailled’Angleterrequisedéroulealorsdejuillet1940àmai1941,estune
bataille aérienne qui oppose principalement la chasse britannique aux
bombardiers allemands venus par vagues détruire Coventry et Londres. Cette
opérationdegrandeampleurétaitmenéeparlaLuftwaffepourdétruirelaRoyal
Air Force, annihiler la production aéronautique britannique et anéantir les
infrastructuresaéroportuairesafindepermettreàl’arméeallemanded’envahirle
Royaume-Uni.Un autre objectif était de terroriserla population anglaiseet de
pousser son gouvernement à faire la paix avec l’Allemagne. Malgré leur
infériorité numérique les pilotes britanniques et alliés mettent un terme à cet
engagement en détruisant un nombre considérable d’avions de la Luftwaffe.
Depuisledébutdelaguerre,c’estlapremièrefoisquel’Allemagneestconfrontée
à un échec. Le président Roosevelt soutenu par le vote favorable du Congrès
américain,accepted’assurerlesoutienàl’effortdeguerrebritanniqueparlaloi
prêts-bail de 1941. La guerre s’étend en Méditerranée avec l’intervention
italienne en Lybie et en Tunisie, face aux Anglais installés en Égypte. En
février 1941, un corps expéditionnaire allemand commandé par le maréchal
Rommel vient au secours des Italiens, mis en difficulté. Peu après le pacte
germano-soviétiqueestrompuetl’URSSentreenguerreàlasuitedesattaques
deHitlerdejuin1941.
Leconflitmondialconnaîtensuitetroistournants:untournantgéopolitique
avec les offensives japonaises dans le Pacifique. Un tournant politique avec
l’impact considérable de l’URSS de Staline face à l’envahisseur allemand, un
tournant militaire, par la réussite du débarquement des Américains et des
Anglaislors de lavictoire d’El-Alameinpuis dudébarquement au Marocet en
Algérie. Sur le champ de bataille européen, la bataille décisive est livrée à
Stalingrad en février 1943, enfin en mai 1943 les Anglais et les Américains
gagnentlabatailledel’Atlantiqueenremportantplusieurssuccèscontrelessous-
marinsallemandsetendétruisantlecroiseurScharnhorstaumoisdedécembre.
Enfin un tournant psychologique majeur : ces victoires militaires redonnent
courageaux«résistants»danstouslespaysoccupésparlesAllemands.L’année
1944/1945voitlachutedelapuissanceallemande(capitulationdeBerlin-8mai
1945)puiscelleduJapon,aprèsl’utilisationdesdeuxbombesnucléaireslancéesà
HiroshimaetNagasakipourcedernier.L’utilisationdecesenginsouvrel’èrede
lastratégieanti-citédanslaguerremoderne.
Leshistoriensontdresséle bilandecetteguerretotale.Lepoids nouveaude
l’Étatdansl’économies’estaffirmé.Lesbelligérantsontorganiséuneéconomie
de guerre, institué le rationnement, contrôlé les prix et les salaires. Dans ce
contextel’économisteanglaisBeveridgerédigedès1942unplanquiaboutitàla
notionde«WelfareState»del’après-guerre.Cet«Étatprovidence»estlefruit
d’une réflexion qui inspire l’introduction de la sécurité sociale et des services
annexes dans la plupart des pays belligérants destinés à combattre l’immense
misère provoquée par la guerre dans les classes sociales les plus pauvres. La
guerre a aussi ouvert une nouvelle ère scientifique celle des recherches sur
l’atomeetl’espace.Lasuprématieaméricaines’estdéveloppéeàtraversleprojet
Manhattan qui a pour but de créer une arme nucléaire qui mette le Japon à
genoux. Manhattan nécessite, pour son développement, la création d’outils de
calculauxperformancesinégalées.Onluidoitlaconceptionetlaréalisationdes
premierscalculateursnumériquesassezpuissantspoursimulerledéveloppement
d’une réaction nucléaire. Ce conflit mondial est aussi la première guerre
idéologique. L’idéologie nationale-socialiste s’est construite sur une idéologie
racistehiérarchisantles«races»(sic)enfonctiondecritèresabsurdesjustifiant
lasuprématiedelaracearyenneetlegénocidedesjuifs.LesSoviétiquesautour
deStalineontimposél’installationd’ungouvernementcommunistedanstousles
territoires occupés par l’armée et administré la preuve que l’idéologie
émancipatrice de Marx pouvait servir de base aux pires régimes répressifs. Du
côté des Occidentaux, Roosevelt et Churchill signent la Charte de l’Atlantique
(août1941)quifixelesbutsdelapaixàvenir,fondantcelle-cisurleslibertés,la
souverainetédesnations,lacoopérationéconomiqueetsocialeentrelesnations
et l’établissement d’un « système de sécurité générale ». Peu après, en
janvier 1943, les États-Unis et l’URSS sont signataires de la « Déclaration des
NationsUnies».
LecasdelaFranceetdesapopulationestbienparticulier,danslamesureoù
leszonesnordetsudimposéesparlesaccordsd’armisticeviventsouslesloisdu
gouvernement de Vichy. Mais le pouvoir exécutif est entre les mains de la
Kommandanturallemandeaunordetdel’autoritéfrançaiseausud.Lerégimede
Vichys’est installéà lafaveurde ladéfaite dejuin 1940.L’autorité dePhilippe
Pétain vainqueur à Verdun en 1916 ne fait guère l’objet de discussions et le
désarroi mène l’opinion publique à l’acceptation contrainte des clauses de
l’armistice.LapropagandedeVichymetl’accentsuruneprésumée«révolution
nationale»,quiconduitàmettrefinàlaconstitutiondelaIIIeRépubliqueetla
mise en place d’un État français autoritaire qui s’articule autour des valeurs
traditionnelles de l’extrême droite française. Les valeurs « Travail, Famille,
Patrie » viennent prendre la place de la Liberté de l’Égalité et de la Fraternité
chèresàlaRépubliquedepuis1792.L’exaltationdelavaleurTravail,desvertus
de la paysannerie et des artisans conduit ce gouvernement à interdire les
syndicats et à réinstaller le système des corporations. L’Institut d’études
corporatives et sociales (IECS) est le centre de réflexion et de formation sur le
corporatismeàpartirduquelcetteidéologieestdéveloppée.Ilformenombrede
hauts fonctionnaires pétainistes en vue d’une réorganisation de l’industrie
française pour l’après-guerre dans une optique de planification globale de la
production.
Lapolitique d’inspirationracisteet antisémitedePétain etde sonentourage
est mise en œuvre dès octobre 1940. Les juifs sont exclus de nombreuses
professions.Lapolicefrançaise estmiseà ladispositiondesAllemands pourla
zone occupée, où elle participe aux poursuites engagées à l’encontre des juifs.
Vichy se soumetà une collaboration d’État avec le régime nazi. Laproduction
industriellefrançaiseestmiseàcontributionparlesoccupantsetlesprisonniers
sont astreints au STO (Service du travail obligatoire) en Allemagne. Certaines
personnalitéssont«collaborationnistes»commeJacquesDoriotetMarcelDéat.
Parallèlement se met en place la Résistance française. La Résistance extérieure
installée à Londres réunit environ 7 000 hommes et femmes sous le nom de
«ForcesFrançaisesLibres»(FFL)tandisquelaRésistanceintérieures’organise
dansdegrandesdifficultés:elleesttraquée,àlafois,parl’arméeallemandeetpar
lesautoritésfrançaises.Leclimatestceluid’uneguerrecivile,où,surleterrain,il
fautaffronterlesforcesdel’occupantetcellesdeVichy.LaRésistanceintérieure
peineàsestructurer.Ilya,defait,desmouvementsd’obédiencecommuniste,et
demultiplesréseauxsupportéspardesspécialistesanglaisdel’actionclandestine
etd’autresencoreréunisparunmétieretuneorganisationcommuns.LaSNCF
connaîtdes heures glorieusesau moment du débarquementde Normandie car
sesemployésgagnésàlacausedelaLibérationfontsauterdenombreuxtrains
quitransportentdesrenfortsdestinésauxunitésallemandesquicombattentsur
lemurdel’Atlantique.JeanMoulinréussitenmai1943àréunirleschefsdetous
les mouvements clandestins, les représentants des partis politiques et des
syndicatsdansunConseilNationaldelaRésistance(CNR).CeConseilfinitpar
reconnaître le général de Gaulle comme chef de la France combattante. Cette
légitimitéfutdifficileàacquérir.DeGaullequitteenfinLondrespourAlger.
ÀpartirdelaLibérationetdel’été1944,laFrancesemobilise.Parallèlementà
une vague d’épuration contre Vichy, le gouvernement provisoire de la
République est organisé à Alger autour du général de Gaulle et une nouvelle
unionnationalesemetenplace.
L’après-guerre européen, dès 1945/47, met en évidence des espoirs déçus
malgréun ventderéformes importantes.Deschangementspolitiques sontmis
en œuvre tant à l’ouest qu’à l’est. La crise économique de 1947 montre le
dénuementdel’Europe.Lafraternitédescombattantsnesurvitpasàlavictoire.
L’alliance américano-soviétique est rompue et le monde bipolaire de la guerre
froide se met en place. Les alliances (défensives bien sûr !) OTAN à l’ouest et
PactedeVarsovieàl’estsestructurentdansunclimatd’intensedéfiancevis-à-vis
del’alliéd’hier.
Dupointdevueéconomiquelemondeconnaîtunecroissanceexceptionnelle,
dont les fondements sont les choix monétaires des accords de Bretton Woods
(1944).Ledollardevientlepivotdusystèmemonétairedumonde«libre».Le
FMIestcrééen1947.Lasuppressionprogressivedesbarrièresdouanières,cléde
l’accroissement des échanges commerciaux mondiaux se met en place dans le
cadre du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade -1947, antérieur à
l’OMC).Ducôtédel’Europedel’ouestsixétats,dontlaFranceetlaRépublique
fédérale allemande, mettent en place la CECA (Communauté européenne
Charbon Acier) en 1951, puis la CEE (Communauté économique européenne)
lorsduTraitédeRomeenmars1957.Lespayssocialistess’alignentsurlesvues
deMoscouautourduComecon(ouCAEM)etdesonsystèmedeplanification
de la production. Le paysage démographique dans lequel évoluent ces
organismes est celui d’une explosion de la natalité, prometteuse d’une forte
croissancedelademandedebiensdeconsommation.
À l’ouestune sociétéde consommation semet en placeavec la télévision,la
publicitéomniprésenteetlecrédit,l’automobileenvahitlaviequotidienne.Les
différentschocspétroliersquisesuccèdentàpartirde1973remettentencausece
modèledeconsommation.
ÊTREFEMMESOUSL’OCCUPATIONETLEGOUVERNEMENTDEVICHY
Aprèsladéfaitedel’été40,etl’occupationdelamoitiénorddelaFranceparle
régimegermanique nazi,le gouvernementdeVichy adoptepour lapartielibre
dupays unprogrammedont ladevise« Travail,Famille,Patrie »donnele ton
surlaplaceréservéeauxfemmesdansla«nouvellesociété»qu’ilseproposede
créer.Ellessontenglobéesdanslaculpabilitédeladéfaite:letravaildesfemmes
est condamné, le délaissement de leur foyer et de leurs enfants est reconnu
commeunecausemajeuredeladéfaite!Cegouvernementn’adecessequede
restaurerlahiérarchieentrelessexes,depromouvoirle«caractèresacré»dela
maternité et de lutter contre l’émancipation des femmes. Vichy établit des
mesures relatives à l’enseignement ménager des filles, les mouvements de
jeunesse mettent l’accent sur l’apprentissage des filles, et le gouvernement
apporte son soutien aux mouvements féminins de jeunesse organisés sur un
modèleparamilitaire.
Des mesures incitatives sont prises en faveur de la natalité. Plusieurs
institutionspolitiques sontmises enplaceà ceteffet :un secrétariatd’État àla
familleetàlajeunesse,puisunConseilsupérieurdelafamilleen1943.Lafête
desMèresdevient officielleenmai 1941.Lesfamilles nombreusessontmisesà
l’honneur. La politique de Vichy réprime avortement et contraception. Les
«faiseusesd’anges»sontlourdementréprimées,l’uned’ellesestcondamnéeàla
guillotine et exécutée en 1943. Dans le domaine du travail salarié, tout est fait
pour renvoyer les femmes au foyer. L’administration licencie les femmes
mariées.Lesfemmesdeplusde 50anssontmisesd’officeà laretraite.D’autre
part, en cas d’embauche, la préférence est donnée aux pères de plus de trois
enfantsplutôt qu’aux mères. Onlutte contre l’émancipationdes femmes. Il est
interdit à des couples mariés depuis moins de trois ans de se séparer et
d’abandonner le domicile conjugal. Dans le cas où une femme abandonne le
domicileconjugal,celaestassimiléàunefautepénale!
Lesphotosdiffuséessurdesaffichesetdanslapresseémanentdesservicesde
propagandedel’Étatfrançaismisenplaceenjuin1940parPhilippePétain.C’est
l’unique source auprès de laquelle la presse est autorisée à s’approvisionner.
L’incontournablescène-typeestcelled’unefamilleréunieautourd’unetablebien
garnie,desenfantssouriantsetbiennourrisauprèsd’unemèreattentive,sousla
tutelle d’un père fort et dominateur. Ce mensonge d’État est une contre-vérité
sur la vie dans la zoneoccupée, c’est dire la moitié nord de la France dès l’été
1940etensuitedanslatotalitédupaysaprès1942etjusqu’en1945.
La réalité est loin des images de propagande de Vichy : de nombreuses
femmes, veuves de guerre ou femmes de prisonniers se trouvent seules et
démunies. Elles doivent assumer leur quotidien et celui de leurs enfants, sans
ressources autres que celles de leur travail. Dans les classes sociales modestes,
l’urgencedesfemmesestdetrouverunemploipoursurvivreetfairevivreleurs
proches. Le cas des femmes de prisonniers est particulièrement difficile.
Quelques aides d’État leur sont allouées. Très vite le système de tickets de
rationnementalimentairesemetenplace.Lesarméesoccupantesconfisquentla
productionalimentairepourlatransférerenAllemagne.Parlasuites’yajoutent
les textiles, les vêtements, le cuir, les chaussures puis les objets de première
nécessité, et le charbon. Tout ceci engendre des queues devant les magasins
pendant de longues heures pour espérer trouver les quelques produits restants
avec les tickets de rationnement. Ces derniers sont définis par rapport à une
échelledesâgesetdesactivitésdeshabitants.
Face aux demandes pressantes du IIIe Reich, l’État français, c’est-à-dire le
gouvernement de Vichy, recrute des auxiliaires féminines car on manque de
main-d’œuvre masculine. Cependant Pétain refuse qu’un STO (Service du
TravailObligatoire)soitappliquéauxfemmes,danslecadredumouvementdit
«delaRelève»quiviseàremplacerlestravailleursallemandsmobiliséspardes
travailleursforcésissusdesnationsvaincues.Ilyeutcependant80000femmes
quipartirentenAllemagne,cefurentdes«déportéesdutravail».Lescontours
delacollaborationéconomiquedeVichyrestentflous.Cependantilconvientde
nepasoublierlasituationatrocedes«MalgréNous»,hommes,jeunesfilles,et
femmesmosellansetalsacienstransformésparladéfaiteencitoyensallemands.
Les hommes sont mobilisés dans l’armée allemande et les femmes
réquisitionnéesdeforcepourallertravaillerdanslesusinesallemandes,oudans
les exploitations agricoles. Ces femmes furent gérées et surveillées par la KHD
(Kriegschilfsdienst)etparlaWehrmacht.
Lasolidaritédesfemmessemanifesteaussidansl’aidealimentaireauxenfants
juifs qui n’avaient pu être cachés sous une identité d’emprunt leur permettant
d’avoiraccèsaux ticketsde rationnement,danslescollectes devêtementspour
lesprisonniers,danslesdistributionssecrètesdevivresetl’aideauxmaquisards.
Face aux pénuries qui s’aggravent rapidement, les femmes n’hésitent pas à
descendredans larue. Ellesmanifestentsouvent avecleurs enfants,d’aborden
zone nord occupée, surtout dans le bassin minier, puis le long de la vallée du
Rhône,ensuiteaprès1942enzonesud.Ellesserendentdevantlespréfectureset
les sous-préfectures. À la suite de ces mouvements spontanés, des « comités
populaires»semettentenplace,souventàl’initiativedefemmescommunistes.
Enjuin1942,lescommunistesÉmilienneRoptyetMarthaDerumauxorganisent
les manifestations de soutien des femmes à la grève des mineurs du Pas-de-
Calais.
ÀParis,desfemmesisolées,souventcommunistes,lancentdesopérationsde
Résistance contre les restrictions. Elles essaient d’intervenir dans certaines
épiceries,maissontarrêtéesetvictimesdelarépressionnazie.Certainesd’entre
elles,jusque-làpeupolitisées,réussissentàsefaireadmettredanslesgroupeset
lesréseauxdelaRésistance.
La gestion de la vie quotidienne a pris une dimension démesurée pour les
femmesresponsablesdeleurfamille,deleur«ménage»entre1939et1945.Au-
delàdecessoucisrépétésduquotidien,lesfemmesfurentprésentes,tropsouvent
anonymement aux côtés des hommes dans diverses formes de résistance pour
refuser l’occupation nazie, et maintenir les libertés de la démocratie. Celles-ci
vont de l’action clandestine spontanée (collage d’affiches, graffitis…) à
l’engagement dans des réseaux structurés d’action armée. Pendant une longue
périodequisuitl’après-guerre,leshistoriensn’ontpasétudiélerôlejouéparles
femmes dans la Résistance et leurs noms apparaissaient peu. Depuis 1977, des
avancées historiographiques se sont produites et des oubliées de l’Histoire ont
surgi.Cernerlechampd’actiondesfemmesétaitpeuaisé.Leurparticipationaux
actions de désobéissance civile, à l’organisation d’une résistance caritative au
profitdeceuxquiavaientchoisid’entrerdanslaclandestinitéétaitconnue.Mais
biend’autresactionsrestèrentdansl’ombre,carleurexécutionexigeaitquerien
ne soit jamais écrit et que l’on ignore l’identité véritable de ses camarades de
combat. Le contexte politique de l’époque qui identifiait la femme comme
l’instrumentdeladémographienationaleoffraitaussiinvolontairementunvoile
supplémentairequicouvraitlaclandestinitédel’activitéd’ungrandnombrede
femmesdecetteépoque.
LAPERSÉCUTIONDESFEMMESJUIVES
La loi française du 3 octobre 1940, renforcée par celle du 2 juin 1941
institutionnaliseladéfinitionde« racejuive»déjàétable quelquesannées plus
tôtpar le IIIe Reich.Les interditsd’accès à certainesprofessions sontle fait du
gouvernementdeVichyetmenacentdavantageleshommesquelesfemmesdans
leur application. Mais ces décisions privent vite les foyers de ressources
économiques tandis que le silence s’abat sur eux. Cette invisibilité est
brutalement remise en question par l’obligation du port de l’Étoile jaune. La
décisionconcerned’abordlazoneoccupéeàpartirdu20mai1942,puiss’étendà
toutleterritoirefrançaisaprèsl’invasionnaziedelazonesud(novembre1942).
Le port de l’Étoile jaune est obligatoire pour les adultes hommes et femmes :
seulsles enfantsde moinsde sixans yéchappent. HélèneBerrjeune étudiante
française d’origine juive âgée de 21 ans relate dans son Journal le choc qu’elle
reçut entrant pour la première fois dans la cour de la Sorbonne porteuse de
l’Étoileinfamanteaureversdesaveste.Elleécritle9juin1942:
«JesuisarrivéedanslagrandecourdelaSorbonneàdeuxheurestapantes
[…].J’aisouffertlà,danscettecourensoleilléedelaSorbonne,aumilieude
tous mes camarades. Il me semblait brusquement que je n’étais plus moi-
même,quetoutétaitchangé,quej’étaisdevenueétrangèrecommesij’étaisen
pleindansuncauchemar.Jevoyaisautourdemoidesfiguresconnues,mais
je sentais leur peine et leur stupeur à tous. C’était comme si j’avais une
marquerougesurlefront».
Hélèneetlesmembresdesafamillefurentarrêtésen1944,envoyésàDrancy
etdelààAuschwitz.HélènemourutaucampdeBergen-Belsen.
IrèneNemirovski,écrivainejuiveestarrêtéedansleMorvanoùellesecachait
avecsafamille.
Certainesdecesfemmesd’originejuiveétaientétrangères.LaRésistanceétait
leurseulevoiedesurvie.C’estunedestinéequ’ellesontassuméeavechéroïsme,
enrejoignant larésistancecommunisteFTP (Francs-TireursPartisans),section
MOI (Main-d’Œuvre Immigrée). Ce mouvement connut de sanglantes
destinées:lesfusillésdugroupeManouchianenfaisaienttouspartie(cf.l’Affiche
Rouge).Quel’onsoitjuiveourésistantecommuniste,ou,pireencorelesdeuxà
lafois,unefoisarrêtée,levoyageconduisaitàAuschwitzaprèsunecourteétape
aucampd’internementdeRieucros(prèsdeMende).
ÀParis,lorsdelaterriblerafleduVel’d’Hiv(16-17juillet1942),unnombre
considérable de femmes et d’enfants furent faits prisonniers. Sur plus de
33 000 juifs présents, 8 500 femmes et 4 000 enfants furent raflés. Les familles
furent internées à Pithiviers et à Beaune la Rolande avant d’être envoyées au
campd’Auschwitz.Leshistoriensontpumontreravecl’accèsprogressifautorisé
àcertainessources,queleprocessusdela«Solutionfinale»atouchéhommeset
femmes sans distinction de sexe ni d’âge. Des jeunes filles et des femmes ont
témoignédel’arrivéedanslescamps,delaséparationbrutaledesenfantsdeleurs
parents,puisdeshommesetdesfemmes,del’immédiatedeshumanisation,dela
nudité,desappelsdanslefroidpendantdesheures,dutatouageindélébiled’un
numéro de déportée, de la tonsure de la chevelure… Les femmes mettent en
œuvredeminusculesarmescontreledésespoir,parlasolidaritédansl’adversité,
leschants,lesrécitationsdepoèmes.GermaineTillion,ethnographe,spécialiste
desAurès,arrêtéepourcausedeRésistance(Cahier-images,Pl.XV),composeà
Auschwitzunopérapoursescamarades:«LeVerfûghbarauxenfers»,unesorte
deparodiegrotesqued’Orphéeauxenfers.Lesfemmescachentlesnouveaux-nés
et ontrecours à des trésorsd’imagination pour les alimenter.De l’empathie se
manifeste, des amitiés se nouent, ce dont témoigne Marie-José Chombart de
Lauweétudianteenmédecinearrêtéeetdéportéepourfaitsderésistance.
DESFEMMESDANSLARÉSISTANCE/LAFRANCELIBRE
ETLONDRES
Au début de la Seconde Guerre mondiale, après l’Exode et dès l’appel de
CharlesdeGaullele18juin1940àlaBBC,descitoyennesrefusentladéfaiteet
veulents’engagerpourla victoiredelaFrance. Le«Corpsféminin »estcréé à
Londres en 1940, il est rebaptisé peu après CVF (Corps des Volontaires
Françaises). Incorporant des civiles dans l’armée des FFL il fut mis sous les
ordresdeSimoneMathieu puisàpartirde1942 d’HélèneTerré.Lespremières
patriotes qui avaient réussi à fuir de France par divers itinéraires difficiles ou
celles qui venaient d’Afrique du Nord se présentèrent dans les locaux de la
France Libre à Londres, à Saint-Stephen’s House sur les quais de la Tamise.
Parmiellessetrouvaient quelquesfemmesissuesduSSA (ServiceSanitairedes
Armées).Ellesnesontpasaccueilliesàbrasouverts!Lesservicesdesécuritétant
gaullistequebritanniquesontméfiantsetcraignentqueparmilesvolontairesse
cachent des émissaires de Vichy. Les candidates à l’incorporation doivent
répondre à des questionnaires, leurs réponses sont soumises à enquêtes, avant
que leur candidature soit acceptée et qu’elles soient incorporées sous un
matriculed’identification(série70000).Quelquesfemmesconnurentmêmeun
emprisonnement temporaire avant que leur candidature ne soit acceptée après
enquête.
Combattantes et endurantes, elles le furent de toutes les missions qui leur
furentconfiées,desplushumblesauxplusrisquées.Cesfemmes,desplusjeunes
auxplusâgéesacceptèrentlavieencaserneféminine(42HillStreetpuis,après
un bombardement transfert à Moncorvo House). Elles s’adaptèrent aux tâches
quileur furentassignées: secrétariatauprès desofficiers,traductions, conduite
d’automobilesetdecamions,servicesauxtélégraphesettéléphones,infirmières,
cuisinières,«roofspotters» (guetteusesdenuitsur lestoitslorsdes alertesaux
bombardements).Quelques-unesreçurentunentraînementd’agentsdeliaisonet
deparachutistes.D’aprèslesdossiersconservésparlesservicesdesarchivesdes
armées il y eut six cents femmes enrôlées entre 1940 et 1944 auprès des FFL.
Quelques dizaines d’entre elles furent ensuite envoyées à Alger en 1943/44,
lorsque le GPRF (Gouvernement Provisoire de la République Française) s’y
installa.
La vie au quotidien était spartiate, entrecoupée par les alertes aux
bombardements,commeentémoignelejournalintimedeTéreskaTorrès,jeune
juive âgée d’à peine vingt ans, d’origine polonaise, née en France et venue
rejoindrelesvolontairesàLondres.Quelquesfemmesfurentsélectionnéespour
travailler au BCRA-CE (Bureau central de renseignement et d’action-section
Contre-espionnage) dès 1942. Elles étaient rigoureusement surveillées et
assujettiesausilence.D’autresfemmesvoulurentparticiperaucombatclandestin
delaRésistanceauprèsdessoldatsparachutésenFrance.Unvivierfutconstitué
mais les officiers acceptaient mal de faire confiance aux femmes pour ces
missions périlleuses. Elles reçurent cependant une formation (comme
opérateurs-radio ou comme agents de liaison) dispensée par des instructeurs
britanniques.
LorsdelaLibérationenaoût1944àpartirdeseffectifsdesFFLfutconstituée
uneMMLA(MissionMilitairedeLiaisonAdministrative)établiesurleterritoire
français.Ellefutdotéed’unesectionfémininechargéed’apporteruneassistance
immédiate aux populations civiles dans les zones de guerre. De nouvelles
candidates sont alors admises après interrogatoire devant une commission
d’officiers français et anglais. Les candidates retenues doivent suivre une
formationintensivedesixsemainesàLondres,sanctionnéeparunexamen.Bon
nombre de ces jeunes femmes ont été membres des équipes de secours auprès
des populations de réfugiés errant sur les routes (après les bombardements de
Bayeux,deCaen…).Aprèsl’armisticedu8mai1945laplupartdesfemmesdu
CVFfurentdémobilisées.Cellesquirestaientfurentdisperséesdansdesmissions
enFrance,enAngleterre,enAfriqueduNordetdansl’Allemagneoccupée.Un
noyau de trois cents volontaires reste sous les drapeaux, elles sont vite noyées
danslamassedesAFAT(AuxiliairesFémininesdel’ArméedeTerre)recrutées
pour répondre aux nécessités croissantes des populations libérées, au fil de
l’avancedesarméesalliées.Après1945ellesfurentplusdequinzemille.Àcette
époque on ne songe guère à imposer la présence des femmes dans une armée
traditionnelle.Cependant Hélène Terréavait multiplié les rapportspour tenter
de sauver ce qu’elle avait contribué à bâtir auprès du CVF. Les femmes qui
souhaitentcontinueràtravaillerdansl’arméeyonttouteleurplace.Elleplaide
pourque l’armée entemps de paixdispose d’un« noyau »d’une quinzaine de
milliersdefemmessoldats,spécialistesinstruitesquipourraientêtrerejointesen
casdenouvelleguerreparungrandnombredecitoyennesvolontaires.En1946
une quarantaine d’anciennes du CVF partent avec l’armée en Indochine à
Saïgon.
Pourlaplupartdesvolontairesladémobilisationrésonnecomme«unretour
auxnormesdegenre:retouraufoyer,findel’aventure».Lesfemmesviennent
d’obtenirledroitdevoteenFrance!Cependantellesdemeurentassignéesàleurs
rôles traditionnels alors que les honneurs et la gloire militaire demeurent
l’apanage des hommes. Même la mémoire gaulliste fut oublieuse à propos des
membres du CVF (Corps des Volontaires Françaises). Cependant en 1951 un
décretdelaIVeRépubliqueconfirmeque touteslesfemmesengagéesdès 1940
ont bien servi à titre militaire. Il officialise et précise le statut des femmes
militaires en France. La perspective d’une carrière militaire en temps de paix
dans les services auxiliaires leur est ouverte. Il faut encore de longues années
avantqu’ellespuissentfairepartiedesunitéscombattantes.
Ladifficilehistoiredel’incorporationdesvolontairesfrançaisesdanslesFFL
est surtout le reflet des interdits machistes qui avaient cours dans l’armée
françaisedel’époque.LaRésistancedel’intérieurignorecegenredebarrièreset
faitappelàl’énergieetaurefusdeladéfaitedespopulationsféminines.15%des
résistants sont des femmes ainsi que 15 % des déportés politiques. Si on
s’interroge sur la relative faiblesse de cette proportion et sur le fait qu’elle est
moins importante que dans des pays européens voisins, il faut garder en
mémoirequedans notrepays,lesfemmes sonttraitéesenmineuresau seinde
leurcoupleetn’ontpasledroitdevoteauseindelacollectiviténationale.Cela
n’empêche pasnombre d’entre elles dese mettre au service dela Résistance et
d’accepter des charges écrasantes pour certaines. Nombre d’entre elles
participèrent à la création ou prirent l’initiative de la création de réseaux de
renseignement,d’exfiltration,d’assistanceauxprisonniers.
– Lucie Aubrac, co-fondatrice avec son mari de Libération-sud siégeait au
comitédirecteurdumouvement.
– HélèneVianney,néeMordkovitchépousedePhilippeVianneylefondateur
de Défense de la France était membre du comité de rédaction du journal
clandestinpubliéparlemouvement.
– Combat-zone nord recrutait dans les écoles de surintendantes d’usine.
JeanneSivadon,ÉlisabethDussauzeetOdileKienlenfontpartieducomité
directeur.
– LemouvementdeLibérationNationaleestcofondéparBertieAlbrecht,et
devient Combat zone-libre. Arrêtée et torturée par Klaus Barbie, Bertie
Albrecht, vraisemblablement à bout de forces, s’est donné la mort pour
éviterdeparlerdanslaprisondeFresnesenmai1943.Elleestl’unedessix
femmes Compagnon de la Libération. Son tombeau avec celui de Simone
Michel-Lévy est l’un des deux tombeaux de femmes dans la crypte du
Mont-Valérien(MémorialdelaFranceCombattante).
– Denise Cerneau joue un rôle primordial dans l’animation des réseaux de
zonenordetdezoneinterdite.
– LareligieuseHélèneStudler,filledelacharitédeMetzprendl’initiativede
créer un réseau d’évasion. Des milliers de prisonniers de guerre et de
réfractairesauSTOluidoiventlaliberté.Elleorganisel’évasiondeFrançois
Mitterrand et du fondateur du FTP-MOI Boris Holban. Elle participe à
l’évasiondugénéralGiraud.
– Marie-MadeleineFourcade,néeBridou,encadreles3000agentsduréseau
Alliance. 452 d’entre eux ont perdu la vie au cours de leurs périlleuses
missions de renseignement. Après la guerre, elle se consacre à aider les
famillesdecesancienscombattantsdel’ombrevictimesdeleurdevoir.
– L’organisation civile et militaire fondée par les époux Lefaucheux a une
sectionféminine,présidéeparMarie-HélèneLefaucheux,néePostel-Vinay.
Pierre Lefaucheux prend à la fin de la guerre, la direction de la Régie
Renault. Marie-Hélène devient représentante de la France au conseil
économiqueetsocialdel’ONU.Elletrouvelamort,dansl’exercicedel’une
desesmissions,àlasuited’unaccidentd’avion.
– Suzanne Hiltermann-Souloumiac joue un rôle décisif dans la création du
mouvement Dutch Paris. Ce réseau, né aux Pays-Bas a exfiltré
800 personnes de confession juive, 112 aviateurs alliés tombés sur le
territoiredesPays-Basetdesrésistantspoursuivisparlesnazis.
– Germaine Tillion est l’un des principaux cadres de la filière d’évasion de
Paul Hauet qu’elle remplace lorsque celui-ci est arrêté. Son groupe est
connu sous le nom de Réseau du Musée de l’Homme (Cahier-images,
Pl.XV).LescendresdeGermaineTillionontétéinhuméesauPanthéonen
2015.
– Gabrielle Gaillard alias Marie-Odile Laroche fondatrice du réseau Marie-
Odile, réseau d’exfiltration, et de transports d’armes clandestines. Arrêtée
enmai1944,ellemeurtendéportationenmars1945.
– Claude Rodier, ancienne élève de l’École Normale de Sèvres, agrégée de
Physique,cadredesMouvementsUnisdeRésistanced’Auvergne,épousede
Pierre Virlogeux, lui-même commandant du MUR d’Auvergne. Elle est
morteendéportationennovembre1944.
– Andrée de Jongh, de nationalité belge, fondatrice et chef du réseau
d’exfiltrationComète.
– Pearl Witherington, britannique, membre du SOE dont elle dirige, en
FrancelesréseauxSTATIONERetWRESTLER.
– Marie-LouiseDissard,créatriceetchefduréseauFrançoise(211membres),
réseau d’exfiltration vers l’Espagne d’aviateurs britanniques abattus au-
dessusduterritoirefrançais.
– Gabrielle Martinez-Picabia fondatrice et chef du réseau Gloria SMH
(203 membres) rattaché au SOE anglais. Infiltré par l’abbé Robert Alesch,
traître à la solde de l’occupant, le réseau est démantelé par la Gestapo.
Quatre-vingtsmembresduréseausontdéportés.Lamajoritéd’entreeuxne
reviendrontpas.Prévenueàtemps,GabriellefuitàLondresoùellerejointle
BCRAdelaFranceLibre.
– Yvonnede Komornica commandantdu MUR de Vaucluse.Ses troisfilles
s’engagentcomme elledans lemouvement. Elleest arrêtéeet déportéeoù
ellesertdecobayeauxmédecinsSS.Ellesurvitàleursmauvaistraitements
etrentreenFranceoùellereprendsonmodesteemploid’assistantesociale
delamairied’Avignon.
– Simone Michel-Lévy était, au début de la Seconde Guerre mondiale,
employéeàlaDirectionrégionaledestéléphonesdeParis.Ellesetrouveen
unlieustratégiquequivahéberger,àsoninitiativeuncentred’information
clandestin,leréseauActionPTT.
Cederniergèredesactivitésàhautevaleurstratégique:lamiseenplaced’un
réseau de courrier clandestin avec l’Angleterre, la création d’un réseau radio
préparatoireaudébarquementdeNormandie.Sonéquipedétournedumatériel
de télécommunication au profit des organisations résistantes et sabote
l’organisationdesdépartspourleSTO.Elleestarrêtéeparlegestapistefrançais
Masuy, suite à la trahison d’un opérateur radio. Torturée, elle est déportée au
camp de Flössenburg. Elle est affectée dans une fabrique de munitions. Avec
deuxautresdéportées,HélèneLignieretNoémieSuchet,ellessabotentlapresse
surlaquelleellestravaillent.Ellessonttouteslestroisbastonnéespubliquement
avant d’être mises à mort par pendaison le 13 avril 1945, dix jours avant la
libérationducamp.
Ses cendres sont, avec cellesde Bertie Albrecht, déposées au mémorial de la
résistance du Mont-Valérien. Compagnon de la Libération, son action a porté
sur un aspect fondamental des conflits modernes : la guerre des
télécommunications.
Bienquelongue,cettelistenecontientquequelquesnomsdecesfemmesqui,
bien que socialement et politiquement non reconnues comme égales des
hommes, ont pris autant et parfois plus que les hommes part à la lutte pour
libérer la communauté nationale. Mais il faut en ajouter une autre, celle des
femmes qui ont lutté dans les rangs du parti communiste clandestin. Leur
histoireestmoinsbienconnuequecelledesfemmesquiontagidanslesautres
mouvementscar laphilosophie duparti insistesur laprimauté du collectifsur
l’individu.
Enaoût1939,lasignatureduPactegermano-soviétiqueatransforméenparia
leParticommunistefrançais.LegouvernementDaladierlesommededésavouer
lepacteet,devantson refusprononcesadissolutionle26 septembre1939.Les
instructionsenvoyéesparleKremlinordonnentaupartid’adopteruneposition
danslaquellelaresponsabilitédelaguerreincombeàl’AngleterreetàlaFrance
capitalistes autant qu’à l’Allemagne nazie. Les communistes français dont les
représentantsàl’assembléeontvotélescréditsdeguerreviventmalcetabandon
delalutteantinazie.
Georges Politzer philosophe membre du comité central met en place une
presse clandestine qui s’adresse aux intellectuels et sympathisants du parti.
Danielle Casanova, dirigeante des Jeunesses communistes continue
clandestinementsesactivités.OntrouvedansleurentouragelephysicienJacques
Solomon ainsi que l’enseignant et écrivain Jacques Decour. En 1940 sort le
premiernuméro dela revueclandestine L’Université libre.Refletde laposition
difficile des communistes français, l’appel lancé par la revue s’adresse « aux
intellectuels français » les invitant à combattre « la grande offensive de
l’obscurantismecontrelaculturefrançaise».Lesciblesdésignéessont,detoute
évidence,legouvernementdeVichyetlahiérarchiecatholiquequiprêtelamain
auxviséesdecedernier.
Le15mai1941,enréponseàl’invasiondel’URSSparlestroupesallemandes,
L’Humanité,quotidienclandestinduparticommunistefrançais,lanceunappelà
un vaste rassemblement patriotique destiné à lutter contre le nazisme et le
régime de Vichy. L’appel s’adresse à tous les Français désireux de chasser
l’occupant et de retrouver leur condition d’hommes libres, qu’ils soient
communistes ou non. Le parti crée le « Front National », structure d’accueil
destinéeàlesrassembleretàorganiserl’effortcollectifdelutte.Puislepartise
concentresurlaréorganisationdesestroismouvementsarméslesBataillonsde
la jeunesse, l’Organisation spéciale et les groupes spéciaux de la main-d’œuvre
immigrée(MOI).LeFrontNationaldans sapremièreversionrécuselavalidité
de l’appelà la résistance du général de Gaulle.Ce choix politique décrédibilise
l’actionduparticlandestinauprèsdesnombreuxmouvementsquiétaientnésen
zone nord comme en zone sud jusqu’à l’automne 1942. Parmi la presse
clandestine,L’UniversitélibredePolitzerétaitlaseulepublicationrestéecrédible
endehorsdesmilieuxcommunistes.Àlafindel’été1942,le« FrontNational »
serestructuresurunelignepolitiqueplusouverte.Malheureusement,commeon
l’avu plushaut, Politzer,Solomonet JacquesDecour quiviennent decréerles
Lettresfrançaisessontarrêtésetfusillés(voirplushaut)auMont-Valérien.Roger
Ginsburger, sous le pseudonyme de Jacques Villon remplace Politzer dans ses
fonctionsderesponsabledu FrontNationalzoneNord.Ilparticipeàcetitreaux
négociationsquiontconduitàlaparticipationdelaRésistancecommunisteau
CNRà partirdelami-1943. Aprèsavoirpris unepositionhégémoniqueface à
PassyetBrossolettedéléguésduBCRA,ilrevientsurcettepositionetacceptela
parité avec la Résistance gaulliste au sein du CNR. Au printemps 1944, avec
Maurice Kriegel-Valrimont et Jean de Vogüe, il dirige le comité d’action
Militaire(COMAC)duCNR.
Àlafindel’année1941,lePCFaconstituésouslaresponsabilitédeCharles
Tillon un mouvement paramilitaire unique, branche armée du Front National,
sous le nom de Francs-Tireurs Partisans (FTP). Une fois les grandes lignes de
structure du Front National définies, Pierre Villon en zone nord et Madeleine
Braun pour la zone sud s’emploient à développer l’implantation du Front
National. Madeleine Braun a été, après la fin de la Seconde Guerre mondiale,
députée communiste du département de la Seine. Elle est la première femme
vice-présidentede l’AssembléeNationale. En 1944,le rôledifficile qui luia été
confié consiste à composer la délégation Front National de la zone sud en
obtenant que soient élus en nombre égal des représentants des différents
mouvements de résistance, des partis politiques résistants, et des syndicats
ouvriers.LeprésidentducomitédelazonesudestGeorgesBidault,démocrate-
chrétien. Celui de la zone nord est Frédéric Joliot-Curie membre du parti
communiste.
– VincentellaPeriniconnue souslenom deDanielleCasanova estnéedans
une famille d’instituteurs corses. Au terme de ses études secondaires, elle
s’inscrit à l’école dentaire de Paris. Étudiante, elle milite dans le
syndicalisme étudiant qui la conduit à s’inscrire en 1928 aux Jeunesses
communistes.En1930,ellerencontreLaurentCasanovaqu’elleépouse.Elle
est,en1934,laseulefemmeducomitécentraldumouvementdesJeunesses
communistes.Faceàl’augmentationrapidedeseffectifsdumouvement,la
directiondu Parti la charge,en 1936, de créerl’Union des jeunes fillesde
France. Cette organisation s’affiche comme un mouvement pacifiste et
antifasciste. Il est, de fait, rattaché aux JC. Lorsque la guerre éclate, les
effectifs de l’UJFF dépassent 20 000 personnes. Lors de l’interdiction du
PCF en septembre 1939, Danielle Casanova passe dans la clandestinité.
L’UJFFprofitedescoupuresdel’éclairagepublicpourapposersurlesmurs
deParis desmessagessur lalibertéd’expressionet ledroit dutravail.Elle
organise des distributions de L’Humanité devenue journal interdit. Elle
organise plusieurs manifestations de ménagères devant les épiceries.
À partir de 1941, elle participe aux actions armées des jeunesses
communistes.Elleestarrêtéeparlapolicefrançaisele15février1942,alors
qu’elle ravitaillait les Politzer à leur domicile clandestin. Quelqu’un, sans
doutesouslatorture,avaitdonnéleuradresseetdeuxpoliciersattendaient
Danielle Casanova après avoir arrêté les époux Politzer. Incarcérée à la
Santé, elle organise la circulation de l’information grâce à un bulletin
clandestin,cequiluivautlecachot.Récidiviste,elleesttransféréeaufortde
Romainville.Enjanvier1943,elleestenvoyéeaucampd’Auschwitz.Grâceà
son métier de dentiste, elle connaît des conditions de vie un peu moins
sévèresquecellesdesautresdétenues.Malheureusement,letyphusaraison
d’elle.Ellemeurtle9mai1943.
– Charlotte Delbo est une écrivaine, née dans une famille d’immigrants
italiens, membre des jeunesses communistes. Elle est un temps, avant la
guerre,l’assistantedeLouisJouvet.Elles’engageen1941danslaRésistance
avecsonmariGeorgesDudachquiestarrêtéavecelleen1942etfusilléau
Mont-Valérien. Déportée à Auschwitz dans un convoi qui comporte
230femmes,elleestl’unedes49rescapéesdececonvoi.Entre1946et1982,
elle écrit six titres sur la déportation, chacun donnant un éclairage
particulier sur cet enfer sorti de l’imagination nazie. Charlotte Delbo,
rescapéedes camps,veuvede guerre,est etresteune femmeengagée. Elle
prend position contre la guerre menée par la France en Algérie. Elle est
aussi la première à réagir publiquement aux propos négationnistes de
Faurisson (ce dernier niait l’existence des chambres à gaz et l’usage du
ZyklonB).
– CécileRol-TanguynéeLeBihanestlafilled’unouvrierélectricien,membre
delaSFIOpuisduparticommunisteaprèslascissionducongrèsdeTours.
Elleobtientsonbrevetélémentaireàl’âgede16ansetopteensuitepourune
formationprofessionnelledesténodactylographe.En1936,elletravailleau
syndicat des métaux CGT de l’Île-de-France dont le secrétaire est Henri
Tanguy. Elle milite à l’Union des jeunes filles de France. Lorsqu’Henri
Tanguypartpourl’Espagne,elleestsamarrainedeguerre.Elleadhèrealors
au parti communiste. À son retour d’Espagne, elle épouse Henri en
avril1939.Enjuillet1940,elleentredanslaclandestinité.Henrilarejointà
Paris.Elledevient,sousdefaussesidentités,sonagentdeliaison.Lelandau
desadernière-néeluisertàcacherlesdocuments,lesarmesetlesexplosifs
destinés aux FTP. Le 19 août 1944 elle rédige avec Henri l’Appel à
l’insurrection des Parisiens. Le 26, elle assiste à la descente des Champs-
ÉlyséesparlegénéraldeGaulle.Àlademandedecedernier,elleestinvitée
àlarencontreorganiséeàl’HôteldeVilleenremerciementauxmembresde
la Résistance. Après la guerre, Cécile Rol-Tanguy s’investit dans les
organisationsdusouvenirdelaRésistance.Elles’éteintle8mai2019àl’âge
de101ans.
– Madeleine Vincent, fille d’ouvriers agricoles de l’Aisne, commence à
travailler,trèsjeune,commeemployéedebureau.À15ans,elleadhèreaux
jeunesses communistes. À 18 ans, elle s’inscrit au parti communiste. Elle
entre en Résistance en juillet 1940. Son affectation est en zone interdite.
Dénoncée,elleest arrêtéeà Douaialorsqu’elle tentaitde prendreletrain.
D’abord emprisonnée à Loos, elle est envoyée dans les camps de
Ravensbrück, puis de Mauthausen. Libérée en avril 1945 elle est nommée
secrétaire de l’Union des jeunes filles de France. Membre de la direction
fédérale de la Seine en 1953, elle est élue, la même année conseillère
municipaled’Issy-les-Moulineaux.MembredubureaupolitiqueduPCFen
1970, responsable du secteur femmes, elle est l’artisane du ralliement du
partiàlalégalisationdel’IVG.
– OlgaBancicestuneimmigréeroumainejuiveetcommuniste.Plusieursfois
arrêtéeemprisonnéeetmaltraitéeparlaSûretéroumaineelleseréfugieen
Franceen1938.ElleestvolontairedesFTPMOIpendantl’Occupation.Elle
estchargéedel’assemblagedesbombesetdelafabricationdesexplosifs,de
leurtransport,del’acheminementdesarmesetdesenginssurleslieuxdes
opérations et de leur récupération après l’attentat. Elle a participé à une
centained’attaquescontrelesAllemandsmenéesparlegroupeManouchian
(l’AfficheRouge).Elleestarrêtéeennovembre1943avec23membresdes
FTP MOI emprisonnés comme elle à la prison de la Santé en attendant
d’être jugés. Le local où elle conserve les armes et les explosifs est
perquisitionné.Onytrouveunarsenalconséquent.Les23prisonnierssont
condamnésàmortetfusillésle21février1944auMont-Valérien.Olgaest
transféréeen Allemagne.Elleestguillotinéele10mai1944,à laprisonde
Stuttgart.
– FranceBloch-Sarrazinestlafilledel’écrivainJean-RichardBlochetlanièce
d’André Maurois. Après avoir hésité entre des études scientifiques et
littéraires, elle choisit de passer une licence de chimie. Entrée en 1934 au
laboratoire de l’École supérieure de chimie de Paris, elle adhère au parti
communiste et soutient les Républicains espagnols. Lors de l’arrivée au
pouvoirdurégimedeVichy,elleestexclue,entantquejuive,dulaboratoire
où elle travaillait.Elle participe aux premiers groupesdes FTP dirigés par
RaymondLosserand.Ellefabriquedansunlaboratoirerudimentairequ’elle
a installé dans son logement des explosifs qui sont utilisés dans la vague
d’attentats organisés à partir d’août 1941. Elle prend part aux opérations
contre une usine de Saint-Ouen qui travaille pour l’occupant, des
opérations de sabotage de voies ferrées et d’un pylône de
télécommunicationsàOrléans.Lorsd’unrendez-vousavecYvesKermenen
février1942àlastationdemétroQuaidelaRapée,elleestinterpelléepar
deux policiers. Kermen fait feu, elle fuit, mais Kermen est arrêté. Elle a
moinsdechanceenmai1942:elleestarrêtéeavec68camarades.Internéeà
laprisondelaSanté,elleestsoumiseàquatremoisd’interrogatoiresetde
tortures. Elle est jugée et condamnée à la peine de mort par un tribunal
militaire allemand en septembre 1942. La peine de mort n’étant pas
applicablepourles femmesenFrance,onladéporte:elleestguillotinéeà
Hambourgle12février1943.
– Simone Schloss. Militante de l’Union des Jeunes Filles de France avant la
guerre. Elle est arrêtée en mars 1941, alors qu’elle participe à une
distributiondu journalclandestin L’Avant-Garde.Elle purgeune peinede
prison puis reprend la lutte comme agent de liaison des FTP MOI. Elle
transport des tracts, des armes et des explosifs. Arrêtée de nouveau en
février 1942, elle comparait avec 27 autres combattants devant une cour
martialeallemande. Tous les hommesdu groupe sontcondamnés à mort,
lesdeux femmes sontdéportées en Allemagne.Simone Schloss, parceque
juive,estguillotinéele17juillet1942,àlaprisondeCologne.
– Madeleine Marzin est une institutrice, formée à l’école normale de Saint-
Brieuc.En1929,elleestnomméeàParispuisauPlessisRobinson.Elleest
très engagée dans l’action syndicale. Pendant l’Occupation, elle fait partie
des militants communistes chargés de la formation du Front National
universitaire. Le 31 mai 1942, elle dirige avec d’autres femmes, la
manifestationdite«delaruedeBuci».Lebutdecettemanifestationestde
dévaliserunmagasindecomestiblesdeluxepourattirerl’attentionsurles
populationsquimeurentdefaim.Lapoliceintervient.Deuxpolicierssont
abattusparleshommesdugroupedeprotectionaffectéàlamanifestation.
Madeleine est arrêtée. Condamnée à mort puis graciée, elle réussit à
s’échapperaucoursdesontransfertàlaprisondeRennes.Ellecontinuala
lutte dans l’est de la France, puis organisa l’évasion de détenus résistants
emprisonnésàlaSantéetpritpartàl’insurrectiondelapopulationdeParis.
LaRésistance,quellequesoitlamotivationdesfemmesetdeshommesquiy
prirent part, relève d’une prodigieuse abnégation. Les Français ont réussi à
unifierleurseffortspourlalibérationdupaysetàlereconstruireensuitegrâceau
CNR où toutesles tendances politiques étaient réunies.À la lecture des brèves
notices ci-dessus sur les femmes qui ont joué un rôle déterminant, on observe
quelqueslignes de force quidistinguent deux tendances dela Résistance. Celle
quel’onappela(parlasuite)gaullisteparcommoditécaronytrouvaitàcôtédes
fidèlesdugénéraldes royalistes,desorléanistes,desbonapartisteset mêmedes
déçus de Vichy, travaillait majoritairement à l’exfiltration vers Londres et au
renseignement. Ses actions militaires étaient majoritairement tournées vers le
sabotage des moyens de communication et évitaient les actions donnant lieu à
desactionsderépressioncontrelapopulation.Lerenseignementnourrissaitles
opérationsaériennesaudépartduterritoirebritanniquepuispermitdepréparer
ledébarquementdesarméesalliéesenProvencepuisenNormandie.
LaRésistancecommunistesetrouveàdesmilliersdekilomètresdesesbases
arrière qui pourraient apporter une aide à ses opérations. Par nécessité, elle
assuresespropresactionsarméesavectoutcequecelacomportecommerisques
pour la population menacée par les mesures de rétorsion allemandes. Celles-ci
ontétédictéesparunconceptderesponsabilitécollectivequirendtoutFrançais
responsabledesvictimesdesattentatscontrel’arméeallemande.C’estlàlaporte
ouverteà unepolitiquede prised’otages quiest largementutilisée.À partirde
juin 1941, à la suite de l’invasion de l’URSS, l’Allemagne met en place cette
logiquemeurtrièredanslesterritoiresnouvellementenvahisàl’est,puisjusque
dans les territoires de l’ouest où les Allemands jusque-là avaient essayé de
présenterl’imaged’unoccupant«correct».EnFranceoccupée,dejuin1940à
l’été1941,ilyeut120fusillésaprèscondamnationàmortpourcaused’activités
de résistance diverses. Durant l’été 1941, le général Otto von Stülpnagel est
nommé à la tête du commandement de la zone occupée. Il décrète que toute
activité communiste est passible de peine de mort. Deux manifestants
communistessontpassésparlesarmesenapplicationdecetterèglele18août.Le
21,lecolonelFabienabatenreprésaillesl’aspirantdemarineMoseràlastation
Barbès-Rochechouart. Le commandement allemand décrète alors que tout
Français arrêté que ce soit en zone nord ou en zone sud est considéré comme
otage. En cas d’attentat, un nombre d’otages approprié à l’importance de
l’attentatdoitêtrefusillé.C’étaitlàlesprémissesdelaterriblerépressionde1941
décidéeauplushautniveauduReich.SurordredeHitlerlui-même,lemaréchal
Keiteldonnalesordressuivantsàsessubordonnés.Encasderévoltecontreles
forcesd’occupationallemandes,quellequ’ensoitl’origineilyalieudeconclureà
des origines communistes. On peut considérer la mort pour 50 à
100communistescommelechâtiment«convenable»pourlamortd’unsoldat
allemand.Lalistedesqualificationsdespersonnesàretenirenotagefaitmention
des juifs et des personnes « idéologiquement coupables », c’est-à-dire les
communistes.EnriposteauxattentatsdeNantesetdeBordeaux48otagessont
exécutésle22octobre1941.Enreprésaillesdel’exécutionparunmembredel’OS
communiste de l’officier allemand Hans Reimers, 50 otages furent fusillés. Au
total243otagestombentsouslesballesdespelotonsd’exécutionsallemandsde
septembreàdécembre1941.
Dans l’opinion française, les premiers attentats et l’ampleur des représailles
suscitent d’abord effroi et réprobation. Mais l’opinion bascule devant la
démesure et l’arbitraire de la répression. Politiquement les mesures prises par
l’occupant sont contreproductives pour lui-même et pour le régime de Vichy.
L’occupant perd toute image de correction. Vichy met en place des cours
spéciales qui permirent de guillotiner trois communistes. Même au sein des
autorités d’occupation, la Wehrmacht estimecette politique désastreuse.Hitler
s’obstineetcrée,enmars1942,unpostedechefsuprêmedelapoliceenFrance,
postequiestconfiéaugénéralSSOberg.Untempssuspendue,lapolitiquedes
otagesestrepriseàlasuitedel’exécutionparlesFTPMOIdugénéralSSRitter,
le28septembre1943:50otagessontextraitsducampdeRomainvilleetfusillés
auMont-Valérien.
C’estledernieractedelapolitiquederépressionparl’assassinatd’otages.Ce
douloureuxépisodedelarésistancefaitencorel’objetderechercheshistoriques.
Huitcentdix-neufvictimesdececrimesontactuellementrecensées.Ildonneun
éclairage particulier sur la cruauté du sort qui était réservé aux otages, aux
Résistantes(quielles étaientdéportéesavant d’êtreexécutées)et auxRésistants
principalementceuxquisontd’obédiencecommuniste.
LAVIECULTURELLESOUSL’OCCUPATION.
LESPERSONNAGESFÉMININSVUSPARLECINÉMA
ETLETHÉÂTRE
Pendant cette longue période de l’Occupation et de la Résistance, les
professionnels de la culture continuèrent à travailler dans des conditions
difficiles.Théâtresetcinémasfonctionnaientauralenti,contraintsparlesrègles
d’applicationducouvre-feuetlimitésàlapublicationd’œuvrescontrôléesparles
censures tatillonnes de l’occupant allemand pour la zone nord, du régime de
Vichypourlazonesud.
Malgré des restrictions drastiques sur la vente de pellicules, des films furent
tournésenFrancetantenzoneoccupéequ’enzonesud.L’attributiondesvisasde
censure et les conditions de réception critique dans la presse, devaient tenir
compte de l’idéologie de l’époque. Assez curieusement les règles morales
auxquellesdevaientseconformerlesscénariosempruntaientplusàlamoraledes
classes moyennes des années Trente qu’à des idéaux émergents du
«RedressementNational»vouluparleMaréchalPétain.Cedernierédifiaitses
valeurs dans le cadre de l’activité ethnographique du « Musée des Arts et
TraditionsPopulaires»parisien,fondéen1937parGeorges-HenriRivière.Bien
quesituéloindusiègedugouvernementdeVichy,l’espritdestravauxquiysont
réalisésestprochedelapenséeduchefdel’État.LevainqueurdeVerdunaété
définitivement marqué par les hommes qui ont été ses soldats : des paysans,
indissolublement liés à la terre, capables de supporter les pires souffrances
jusqu’à la mort pour obéir aux valeurs qui constituent leur morale simple et
forte. Le laboratoire que sont les ATP inventorie les cultures régionales pour
restaurer la culture populaire du Peuple de France qui s’est vaillamment battu
jusqu’à la victoire lors de la Grande Guerre et qui a plié en 1940 parce que
moralementdétruitparlaculturedesintellectuels,deslibrespenseurs,desjuifs
(sic)… Ces cultures populaires qui font la force de la Patrie sont aussi
respectueuses du Travail, de la Famille patriarcale où la femme récompense le
chef de famille de la protection qu’il lui procure par sa fidélité et par sa
soumission. L’Église catholique, du moins la hiérarchie, se trouve dans une
situation inespérée. L’encadrement des femmes et des jeunes identifiés par le
gouvernementcommepivots du«redressement national»,est undomaineoù
elle excelle. Elle se met à la tâche avec énergie. Dans la population, les
associations d’anciens combattants, les milieux conservateurs les anti-
communistesetlesantisémitesadhèrent.Enjuin1940,lemondeducinémase
réunità Nice,dansles salonsduRuhl etdébat d’unequestionde fond:faut-il
resterdansleSudetinvestirdanslesstudiosdelaVictorineouretournerenzone
occupéeàParis.Pourlesjuifs,laréponseétaitévidentehélas!Ilsnepouvaient
plus exercer leur métier. Le cinéma redémarra en 1941. Bien qu’en activité
réduite, la Victorine est le second groupe de studios français et devance les
studiosmarseillaisdeMarcelPagnol.LesfilmsdefictionréalisésenFrance,entre
1940et1944,sontaunombrede220,contre1300suruneduréeéquivalentede
l’avant-guerre. Aucun des grands thèmes de propagande diffusés par la presse
collaborationniste ou par Radio-Paris n’est présent dans ces œuvres. Ces films
fuientlaréalitédel’époque.Malgrélamultiplicitédesauteursetdesfinanceurs,
les films sont homogènes dans le système de valeurs qu’ils véhiculent. Ils
renvoient presque tous à une France conservatrice, un monde qui était déjà
présentavant1940.Lacensuredelazonenordetcelledelazonesuddiffèrent
par leurs objectifs. Les autorités d’occupation allemandes se soucient peu des
débatsmorauxéventuellementintroduitsparlesœuvressoumisesà lacensure.
L’essentielducontrôleexercéviseàinterdiretouteréférenceauxfaitsdeguerre
et à l’exercice de l’autorité allemande sur la population de la zone occupée. A
contrario, la censure de la zone sud exige une conformité avec les thèmes du
redressement national voulu par Pétain. L’image de la société représentée doit
soulignerl’importancedurespectdel’autoritémasculineetprésenterdeshéros
positifs. Les personnalités déviantes sont punies par le sort. Les femmes libres
sont porteuses d’une mollesse sociale dangereuse qui a conduit à la défaite de
1940.Laquêteduhéros,quecesoitunhomme,uncouple,unefamille,épouse
unelogiquequiseconformeauxvaleursmaîtressessanslesquellesleFrancene
peutretrouversagrandeur:lafidélitéàlacommunauténationale,laluttepourle
bonheur familial. Rien n’est acquis, la lutte contre les tentations déviantes est
nécessaire, le bonheur se mérite. Cette lutte personnelle s’exerce au sein d’une
société bourgeoise purifiée de la corruption de la classe dirigeante de la
IIIe République. Il s’agit d’une bourgeoisie de culture catholique soumise à un
chefdefamillequipensepourlesautres.Lafemmeestcantonnéedansunrôle
biendéfini.Lafemme fataleexistetoujours,maiselleest devenuel’incarnation
dumal.Illuiestopposélemodèledefemmeporteuseduredressementnational:
celle dont la vie est guidée par le sens du devoir et l’acceptation du sacrifice.
Paradoxe peut-être dû à la politique nataliste du maréchal, la fille-mère est
réhabilitée.L’enfant illégitime est reconnuet la mère réintégrée dansla société
grâce au mariage. La lutte des classes n’existe pas, c’est une invention des
ennemisdelaFrancedestinéeàcontrariersonredressement.
L’homogénéitédumodèledanslaproductioncinématographiquedel’époque
ne s’explique pas uniquement par la présence de la censure. Ainsi que nous y
avonsfaitallusionplushaut,aumoinspendantlapériodequisuitl’instauration
du gouvernement de Vichy, les valeurs « maréchalistes » étaient largement
acceptéesdansunegrandepartiedel’opinion.
Pourautant,laproductiondel’époquerenvoieàdesgrandsnomsducinéma,
tantdemetteursenscènequed’acteurs.Parmilespremiers,ontrouvelesnoms
deChristianJacques,GeorgesLacombe,MarcelCarné,MauriceCloche,Roland
Tual, Claude Autant-Lara, Marcel L’Herbier, Marc Allégret, Jacques Becker,
GuillaumeRadot,JeanDelannoy,MarcelPagnol.
Parmi les actrices et acteurs de l’époque, on compte Marie Déat, Odette
Joyeux,MichelinePresle,JeanMarais,Raimu,Fernandel,MichelSimon,Charles
Vanel, Pierre Frenay. Quelques chefs-d’œuvre sont restés de cette époque :
PremierRendez-vous,LemariagedeChiffon,DernierAtout,L’assassinhabiteau
21,Lesvisiteursdusoir,L’éternelretour.
Ladivergencedesobjectifsdescensuresdeszonesnordetsudestégalement
sensible pour les œuvres théâtrales. Encore faut-il distinguer les deux types de
théâtresquicoexistentàl’époque.Toutcommedenosjours,ilexisteunthéâtre
qui se fournit en textes auprès des meilleurs auteurs du moment et dont les
représentationsattirentunpublicrestreintmaishautementcultivé.Ilexisteaussi
un théâtre de divertissement où encore commercial alimenté par des auteurs
animéssurtoutparledésirdefairerireetpardesdirecteursdesallesintéressés
parlenombred’entrées.LacensuredeVichyestsévèreaveccedernierqui,avec
un recours immodéré au thème du ménage à trois, malmène la moralité de la
classe bourgeoise sur laquelle le régime s’appuie. Circonstance aggravante
certains propriétaires de salles, producteurs et auteurs sont juifs et leurs actifs
promisà«l’aryanisation».Laluttepourle«redressementintellectueletmoral»
menée par la censure de Vichy vise le théâtre commercial en ce que son
immoralité désagrège les liens sociaux au sein de la population française. Les
Allemands,parcontre,laissentjouerdespièceslégèresquinemanquentpasde
s’attaquerau moralismedurégime deVichyet favorisentle théâtred’Artdans
l’espoirdevoirnaîtreuneculturefranco-allemandequiemprunteàlasupériorité
reconnue de l’esprit français. La presse collaborationniste produite
principalementenzonenordouvresescolonnesauxgensduthéâtreintellectuel
dont les articles lui servent d’alibi culturel. On y trouve les signatures de
Lenormand, Dullin, Barrault, Gaston Baty, René Rocher. Leur présence dans
cettepresseencouragéeetfinancéeparl’occupantsoulignel’intérêtportéparce
dernier aux débats de l’élite intellectuelle française considérée comme
incontrôlable et capable d’initiatives dangereuses, mais d’une indéniable
supériorité. Cependant la scène, par nature, n’est pas le lieu d’expression des
valeursidéologiquesdugouvernementpasplusquelelieuoùlancerdesappels
ausoulèvement.Lesplusgrandsauteursdramatiquesontréussiàpasseràtravers
les mailles du filet de la censure en princes de l’ambiguïté. Bien que Lucien
RebatetaitinscritAnouilhetMontherlantparmilesmembresdesonAcadémie
delaCollaboration,cesderniersluiéchappentlorsqu’ilsécriventpourlascène.
Lespiècesquifurentreprésentéesàcetteépoquerestentdesréférencesduthéâtre
français.
CetteconjonctureprofiteàAnouilhquilaissepubliersapièceLeocadiadansle
trèscollaborationniste«Jesuispartout».Àcettepièce«rose»,ilenajouteune
seconde LeRendez-vousdeSenlis.Lepublicfaitfêteàl’auteur:sesdeuxpièces
connaissent un grand succès. Suit alors une pièce « noire », Eurydice,
transposition moderniste dépoétisée de la fable mythique. Orphée est un
pitoyablevioloneux,Eurydiceunepiètrecomédiennequ’ilarencontréedansun
buffet de gare. Le cours de leurs amours est interrompu par un accident de la
route au cours duquel elle perd la vie. Refusant de lui survivre, il choisit de la
rejoindredanslamort,gestequilefaitentrerdanslaracedesnoblesetdeshéros.
Lapièceconnaîtundemi-succès.
LesMouchesdeJean-PaulSartresontcrééesàParisenjuin1943.Lethèmede
la pièce est le dévoilement progressif au spectateur de l’utilisation du concept
catholiquederepentancepourculpabiliserunepopulationaccuséed’avoircausé
la défaite de la France et lui faire accepter la potion amère du « Redressement
National » théorisé par le gouvernement de Vichy. L’homme reste
fondamentalementlibres’ilrefusedesesoumettreàunedoctrinemystiquequi
est l’instrument utilisé par une idéologie catholique aliénante. Cette pièce est
suivieduterribleHuis-Closdemai1944.Lespersonnagessontenfermésdansun
salondontilsnepeuventsortir.Ilssevouentunehainecroissanteaufildecette
cohabitationforcée.Ilyalàunebourgeoisebien-pensantequiafaitunmariage
d’argent,aprisdesamantsetrecouruàl’avortement.Unelesbienneviolenteet
anarchisteappelleàlaliquidationviolentedesnotablesaupouvoir.Unpseudo-
pacifiste tourne en dérision la terreur religieuse de l’enfer et l’attente béate du
miraclequimettrauntermeàceterriblehuis-clos.
Les Parents terribles de Cocteau provoquent la colère des fascistes et des
membres du Parti Populaire Français. Des bagarres avec le public éclatent au
cours des représentations et la pièce est applaudie debout, tandis que dans les
loges,lesofficiersallemandsquiassistentàlareprésentationsemblenttotalement
déroutés par ce qui se passe. Ce cas exemplaire de manifestation de la liberté
d’appréciationdupublicdesthéâtresn’estpasunique.Lethéâtreresteunlieuoù
lepublicexprime sonopinionquoi qu’ilencoûte. Montherlant,avecson culte
païenducorps,saconceptionantichrétienneduhérosparutàl’occupantcomme
unauteurnietzschéen,unauteurdel’EuropeNouvelle.AussisapièceLaReine
mortereçut-ellesans difficultél’avaldes censuresdel’occupant allemandetdu
régimedeVichy. L’actiondelapièce estassezsimple.Un roifortâgé apprend
quesonfils,DonPedro,aépousésecrètementparamourunefemmeindignede
sonrangalorsqu’illuidestinaituneinfantedesangnobledontlecaractèrebien
trempéauraitfaitunereineidéale.Ilcondamnesonfilsàlaprisonpourcausede
« médiocrité », et, parce qu’au fond, il lui renvoie une image détestable de sa
proprefaiblesse.InèsdeCastro,l’épousedesonfilsluiavoue qu’elleattendun
enfant.Pousséparsesconseillersquisouhaitentvoirunefamilleforteàlatêtedu
royaume,ilserésoutàlafaireassassiner.Ilnecroitguèreàlaraisond’Étatqui
exige ce crime, mais il le commet parce que faisant partie de l’absurdité de sa
charge. Il estemporté par une crise cardiaque. Son fils luisuccède à la tête du
royaume. Son premier acte est de commander qu’Inès soit sacrée Reine post-
mortem. Autant les partisans du régime virent-ils dans le sacrifice de la
malheureuse Inès le courage du vieux roi prenant des mesures cruelles
nécessairesàla régénérationmoraleduroyaume,autantlesrésistantsvirent-ils
danscepersonnagel’imageduchefdel’Étatindécisetsoumisàlapressiondes
conseillers incompétents qui l’entourent. Le talent ambigu de Montherlant
assura le succès de cette pièce qui cède la place au Soulier de Satin de Paul
Claudelaprèsunecentainedereprésentationsàguichetsfermés.
Dans le cadre très officiel de la Comédie Française, Jean-Louis Barrault le
27 novembre 1943 donne la première représentation du Soulier de Satin de
Claudel devant un parterre où figurent de nombreux officiers allemands.
L’évènementamarquélesespritssurtoutenraisondesconditionsdifficilesque
Jean-Louis Barrault dut surmonter pour pouvoir la faire jouer : restrictions
terribles de toute nature, coupures d’électricité, alertes fréquentes, couvre-feu.
Maiscettereprésentationtémoignaitdelagrandeurdel’artfrançaisetcélébrait
des valeurs de sacrifice et d’espérance particulièrement nécessaires dans le
contexte de l’époque. Les autorités d’occupation interrompirent les
représentationsenmai1944.
Pourconclurecebrefpassagesurlethéâtrefrançaissousl’Occupation,ondira
quelquesmotsdesmultiplespiècesquedesauteursaujourd’huioubliéspourla
plupart à l’exception de Jean Anouilh ont consacrées aux deux archétypes
héroïquesfémininsquesontAntigoneetJeanned’Arc.Lethèmed’Antigoneest
emprunté à Sophocle. Jean Anouilh en donna une réécriture qui fut mise en
scèneparAndréBarsacqetjouéepourlapremièrefoisauthéâtredel’Atelierle
4 février 1944. Antigone est la fille d’Œdipe et de Jocaste qu’il a épousée en
ignorantqu’elleestsapropremère.Lorsquel’incesteestdécouvert,Œdipes’est
exilé et Jocaste s’est donné la mort. Les deux frères d’Antigone, Etéocle et
PolynicesesontentretuéspourlasuccessiondeleursparentsautrônedeThèbes.
Créon,frère deJocaste montesur letrôneet interdit,sous peined’être enterré
vivant, que l’on donne une sépulture à la dépouille de Polynice qui a
traitreusement éliminé son frère. Antigone est surprise par les gardes de son
onclealorsqu’ellechercheàdonnerunesépultureaucorpsdePolynice.Créon
estobligéd’appliquerlasentencedemortàAntigone.Aumomentoùletombeau
vaêtrescellé,CréonapprendquesonfilsHémon,fiancéd’Antigones’estlaissé
enfermer auprès de celle qu’il aime. Lorsque le tombeau est rouvert, Antigone
s’estpendueavecsaceinture.Hémon,aprèsavoircrachéauvisagedesonpère,
sedonnelamort.Eurydice,l’épousedeCréon,dévastéeparlamortdesonfils,se
donnelamortàsontour.
L’Antigone d’Anouilh est vue par certains comme l’allégorie de la nécessaire
rébellion contre l’ordre injuste, fut-ce au prix de la mort. Il est également
significatif que ce choix soit celui d’une femme, soulignant ainsi le caractère
infâmedesaccusationsportéesparlerégimedeVichysurlesfemmesdeFrance
ditesresponsablesdeladéfaitede1940.
L’autre héroïne féminine est, bien sûr, Jeanne d’Arc. De multiples pièces
johanniques ont vu le jour et ont été montées pendant cette période.
Généralement, Jeanne est représentée dans la période de sa captivité sous les
traitsd’unejeunefilleenpleinepossessiondesesmoyensmalgréletragiquede
sa situation. Elle répond avec audace et mépris aux juges qui s’acharnent à
trouverdesargumentspourjustifiersamiseàmortdontilsontdéjàdécidé.Ce
genred’œuvreatoutechancedepasserlecapdelacensurepuisqueJeanneest
l’ennemiedesAnglaisdétestésàlafoisparl’occupantallemandetparlerégime
de Vichy. Elle est assurée aussi de rencontrer un succès auprès du public car
Jeanne y brocarde la bêtise de l’occupant. qui plus est, faire d’une femme
l’héroïnecentraleestunegifleàlapolitiquederedressementnational.
La littérature et la poésie de l’époque sont plus franchement marquées dans
leurchoixquelecinémaoulethéâtre.Àcetteparticularité,ilyauneexplication
simple: l’éditiondes textescritiquesenvers l’occupantou enverslepouvoir de
Vichy se fait dans des officines clandestines comme les éditions de Minuit, ou
bien à Londres, puis à Alger, ou bien encore dans un territoire favorable à la
France Libre. D’ailleurs ces maisons d’édition qui échappent au contrôle de
l’occupant ont leur pendant sur le territoire français au service de la
collaboration. Les Éditions du Livre moderne dirigées par Jean de la Hire, de
triste mémoire, sont d’ailleurs dirigées de fait par des officiers allemands de la
«PropagandaStaffel».LaHiretirepartidesapositiondanslamaisond’édition
pourfairepubliersespropresouvrages.Dès1940,paraîtlaliste«OttoAbetz»,
dunomdel’ambassadeurd’Allemagne,quilistelesouvragesetauteursinterdits.
Ceux-ci sont interdits de vente dans les librairies et de consultation dans les
bibliothèques.LalisteOttoestenrichieaugrédesévènements.Aumomentdela
rupture germano soviétique, la plupart des auteurs russes et les marxistes
viennents’yajouter.La littératuresousl’occupation,c’estl’oppositionentre les
grands noms de la Résistance, Pierre Seghers, Emmanuel Mounier, Pierre
Emmanuel, Paul Éluard, Max-Pol Fouchet, Elsa Triolet, Marguerite Duras,
Aragon,JeanBruller(aliasVercors)etd’autresencoreàceuxdelaCollaboration
Céline,Brasillach,DrieuLaRochelle,Jouhandeau,AlphonsedeChateaubriand.
Les collaborationnistes prennent avec l’aide des Allemands le contrôle des
éditeursfrançais.Leséditionsclandestinessauventl’honneurdelaprofession.:
leséditionsdeMinuitdirigéeparVercors(JeanBruller),Seghersinstallédansla
zone sud publient les poètes de la Résistance. En Suisse, aux États-Unis sont
publiées maintes œuvres interdites. En 1943 paraissent Desnos, Elsa Triolet,
Cocteau, Queneau, Aragon, Sartre, Marguerite Duras, Simone de Beauvoir. La
Résistance, c’est le retour des femmes au premier rang de la pensée et de la
culture.C’estlecrid’espoirdespoètes:«Liberté»dePaulÉluard,«LaRoseetle
Réséda » de Louis Aragon et les « Chantefables » de Robert Desnos que le
malheureux poète ne vit jamais en version éditée car il est mort en camp de
concentration avant la parution de son œuvre. C’est aussi la revue Les Lettres
françaises dont les trois fondateurs, Jacques Decour, Georges Politzer, Jacques
Solomonnevirentjamaislepremiernuméroimprimé,carilsontétéfusillésau
Mont-Valérienaprèsleurarrestationen1942.
Le chant des partisans fut composé par Anna Marly, jeune artiste d’origine
russequiarejointLondresen1940,elleyrencontreJosephKessel.
«Ami,entends-tulevolnoirdescorbeauxsurnosplaines?
Ami,entends-tulescrissourdsdupaysqu’onenchaîne?
Ohé,partisans,ouvriersetpaysans,c’estl’alarme
Cesoirl’ennemiconnaîtraleprixdusangetleslarmes[…]
Ami,situtombesunamisortdel’ombreàtaplace»
L’ACCÈSDESFEMMESAUPOUVOIR–
LEDROITDEVOTE1944
L’accès des femmes au droit de vote, tant de fois proposé et tant de fois
repoussédepuisleXIXesiècleestundesacquisduconflitde1939/45.Legénéral
CharlesdeGaulle,àLondres,avaitannoncédansl’undesjournauxclandestins
de la France Libre que dès la fin du conflit « tous les hommes et toutes les
femmes » éliraient une Assemblée nationale Constituante. Aucune allusion
n’était faite au long combat antérieur des suffragistes en France, tellement les
auteursdeceprojetleconsidéraientcommeuneinstitutionconsubstantielleàla
réinstallation de la démocratie apportée par la victoire sur l’ennemi ! En
juin 1943, à la demande du général de Gaulle, le CFLN (Comité Français de
Libération Nationale) introduit un début de mixité à l’Assemblée provisoire
d’Algerennommantdeuxdéléguéesféminines:LucieAubracetMartheSimard.
LucieAubrac,hauteresponsabledelarésistanceintérieure,nepeutserendresur
place. Cette assemblée provisoire annonce le proche retour à la liberté et la
renaissancedelafuturerépubliquefrançaise.Cependantlesconflitsconcernant
le«suffragisme»nesontpasterminés.Lacommissionderéformedel’Étatqui
doit rédiger le texte du projet de la nouvelle constitution n’est pas encore
installée.
Le 8 janvier 1944 est proposé le principe d’un droit de vote des femmes
restreintauxélectionsmunicipales,sousconditionque80%ducorpsélectoral
soitprésent.Lesauteursdelapropositionsouhaitentqueleretourdeshommes
prisonniers soit un préalable à l’exercice de ce droit. Ce projet est rejeté. Le
communiste Fernand Grenier, représentant des FTP et du parti communiste
auprèsdugénéraldeGaulle,proposealorsunamendementenfaveurdel’accès
completdes femmes audroit de vote.Le 21 avril 1944,les femmes deviennent
électriceset éligiblesdansles mêmesconditionsque leshommes, amendement
votépar51voixcontre16.
PENDANTLESDÉBUTSDESTRENTEGLORIEUSES
UNLIVREQUIPROPOSEDELIBÉRERLESCORPS:
SIMONEDEBEAUVOIREN1949LEDEUXIÈMESEXE
L’accèsaudroitdevoteetàl’éligibilitéen1944auraitpuchangerlasituation
desfemmesdanslasociété.Iln’enfutriencarlarésistancepatriarcaledecertains
hommes s’exerce en vue de conserver leur hégémonie dans la vie politique,
économiqueetsociale.
Àcetteépoque(1949)paraîtauxéditionsGallimardl’ouvragerédigéparune
philosophe déjà reconnue, Simone de Beauvoir : Le Deuxième Sexe. Il marque
une rupture sociétale majeure. Le sujet évoqué dans l’ouvrage n’est certes pas
neuf puisque l’auteure traite de la domination masculine. Mais elle ignore
l’aspectlégislatifdecettedominationautantquel’inégalitédesdroitsauseindu
couple. La philosophe estime que « la femme est un produit élaboré par la
civilisation».Decefait,unesociétéorganiséeparetpourleshommesréduitla
femme à sa capacité de procréation et bride sa liberté et par là même ses
potentialités.SesréflexionsmènentSimonedeBeauvoiràconclure:«Onnenaît
pas femme, on le devient ». Les femmes certes le sont par leur structure
biologiquemaisilconvientdenepasconfondrelesexeetlegenre.
L’auteureétablitunenouvellehiérarchiedeladifférencedessexesetobserve
que dès les débuts de l’humanité, les mâles ont profité de leurs avantages
biologiquespourétablirleurautoritésurlaforcephysique.Lesfemmesdufaitde
leur nature ont engendré et allaité leurs enfants. Il s’agit là de fonctions
naturelles,maiscenesontpasdesactivitésdanslesquelleslesfemmespuissent
affirmerunengagementpersonnel!SimonedeBeauvoirestimequelacondition
de mère au foyer rejaillit de façon négative sur ses enfants et empêche tout
épanouissementdecelle-ci.
Lesidéesdel’auteuresonten1949toutàfaitencontradictionavecl’espritdu
Baby-boom reflet d’une vision optimiste des conditions de vie futures et sur
l’encouragementofficieldel’époquepourlamaternitéliéàlacraintedemanquer
de main-d’œuvre pour le développement de l’industrie nationale. Simone de
Beauvoir doit faire face aux critiques car elle continue par ses ouvrages et ses
articles à franchir les interdits et à traiter de sujets tabous, dont l’avortement
alors illégal, ou encore d’aborder le lesbianisme. L’auteure estime que
l’émancipationfémininepasseparl’accèsaucontrôledelafécondité.Leconcert
d’injures àson égard doit être replacé dans lecontexte de l’époque, celui de la
guerrefroideetdel’influencestalinienneauseinduPartiCommunistefrançais.
Ce dernier est un ennemi acharné de l’existentialisme de Jean-Paul Sartre,
compagnonde SimonedeBeauvoir. Lesattaques sontsurtoutmasculines mais
viennents’yajouterdescritiquesacerbesdefemmescommunistes.Cesdernières
dénoncent l’idée d’émancipation personnelle qu’elles vivent comme une
« trahison de classe ». Il s’agit d’une certaine manière de condamner une
philosophie«bourgeoise»,produitd’uneunesociétécapitalistedécadente(sic).
On assiste à une convergence de circonstance dans la détestation exprimée
contrel’émancipationsexuelleféminineparlebiaisducontrôledela fécondité
dans les colonnes du Figaro, sous la plume de François Mauriac. Cette sorte
d’hostilité violente poussa quelques jeunes membres du catholicisme libéral
comme Jean-Marie Domenach à saluer le mouvement menant à l’étude des
questionssexuelles.
Simone de Beauvoir fait des conférences publiques sur le thème de son
ouvrage. Le nombre des lectrices augmente et parmi celles-ci Françoise
d’Eaubonne,écrivaine,quis’engagedanslacauseféministeetpublieen1951Le
Complexe de Diane. Dans cet ouvrage elle questionne à partir de la place du
genre dans les mythes grecs les raisons de l’exclusion des femmes du champ
politique.
Le brûlot de Simone de Beauvoir n’avait guère été apprécié dans les
associationsféministesdel’époquesurcetypedesujet.Le DeuxièmeSexeestun
livred’unelecturepeuaisée.Ilestdifficiled’évaluers’ileutunimpactimmédiat
sur le lectorat féminin, même si un grand nombre de comptes rendus furent
publiésdanslapresseetdansdesrevues.
PourleslectricesdelagénérationdeSimonedeBeauvoir,ilestprobableque
l’ouvragen’estpasuneinvitationàl’émancipation.Ilarrivetroptarddansleur
vie,déjàengagéeauprèsdeleurcompagnonoumarietdeleursenfants.Sinous
feuilletons la presse féminine de cette époque du début des Trente Glorieuses,
l’influencedesécrits deSimonede Beauvoirn’apas pénétrélesrédactions.Les
magazinesféminins traitent du quotidien utilecomme Modes et travaux, voire
del’élégancefémininecommeModedeParis.LemagazineElleestfondéen1945
par Hélène Gordon-Lazareff et Marie Claire créé en 1938 est relancé en 1954.
À l’exception de Marie Claire qui vise un public grand-bourgeois, tous
s’adressentauxfemmesdeclassesmoyennes.Lesmagazinespopulaires,romans-
feuilletonsetromans-photos,tel Nousdeuxcrééen1947,fontrêverlesfemmes
surlethèmedu«beaumariage»etnes’intéressentnullementaucontrôledela
fécondité.
LAMÉDIATISATIONDELAQUESTIONDUCONTRÔLE
DESNAISSANCESETDEL’AVORTEMENT
L’intérêt de Simone de Beauvoir pour le contrôle de la fécondité devait
fatalement ouvrir un jour la porte à celles et ceux qui espéraient pouvoir le
mettreenpratique.L’histoiredu«Planningfamilial»estportéepardesacteurs,
desmédecins,dessociologues,dessages-femmes,desconseillèresconjugalesqui
luttèrent pour obtenir la légalisation de la contraception et de l’avortement.
D’autres actrices et acteurs externes au mouvement contribuèrent par leurs
entreprises militantes au succès que l’on sait. Leurs actions les plus
déterminantessefirentdanslesdomainesdelacultureetdelacommunication.
LedocteurAndréSoubiranécrivitunromanLeJournald’unefemmeenblancen
1963.Cetauteurdéjàconnudugrandpublicamisenscènelesdégâtscauséspar
les avortements clandestins et la souffrance de femmes privées de la liberté de
choix.Un film éponymefut réalisé parClaude-Autant-Laraen 1965 etfinancé
pourpartieparlasociétéGaumont,quiréussitàobtenirunvisadedistribution
grâceàsaconnaissancedesmécanismesdelacommissiondecensure.Cefilmfut
plustarddiffuséàlatélévisionen1973danslecadredel’émission«Lesdossiers
del’écran».Ilyeutunautremomentmédiatiquelorsdelaréalisationdufilm
documentaire Histoiresd’A.CefilmréaliséparlescinéastesCharlesBelmontet
Marielle Issartel en 1973 était une commande du GIS (Groupe information
santé) qui rassemblait quelques médecins. Le film fut en partie financé par le
Planningfamilial,ilavaitunobjectifpédagogique:défendrelacontraceptionet
l’avortement. Ce film fut interdit de projection en raison de la scène
d’avortementqu’ilcomportait.Ilcirculadèslorsclandestinementdansplusieurs
villes,dansdesusines,desentreprises,certainslycéesetquelquesuniversités.Il
suscitalescandale.L’interdictionfutlevéeen1975maislefilmfutinterditaux
moins de18 ans. Les relaisculturels ont indirectementpopularisé lesluttes du
Planningfamilialenleurdonnantuneaudienceélargie.
«VERSUNEMATERNITÉDÉSIRÉEETCONTRÔLÉE»
L’émancipationdes femmesnécessitede contrôlerlesnaissances, d’êtrelibre
dechoisir parsoi-même.Les femmesdel’époque sontencoresous latutelle et
l’autoritéducorpsmédical,essentiellementmasculinetdontlesidéesàcesujet
sontconservatricesvoirerétrogrades.L’avortementesttoujoursillégalenFrance,
laloin’apaschangédepuislesannéesvingt.Uneétudianteenmédecine,Marie-
AndréeLagroua(néeen1916),devenueinternedansunservicedechirurgie,est
choquéed’observer.commentlesmédecinspratiquentles«curtages»àlasuite
de complications liées à des avortements clandestins. M-Andrée Lagroua
devenue gynécologue épouse un médecin réputé Benjamin Weill-Hallé, qu’elle
accompagneauxÉtats-Unis.LàelleassisteàlaconsultationdeMargaretSanger,
fondatricedel’«AmericanBirthControl».ÀsonretourenFranceMarie-Andrée
Lagroua-Weills’intéresseàl’utilisationdudiaphragme,cequil’amèneàréfléchir
àlasituationdifficiledesfemmesenFrance.Ellepublieunarticletrèsremarqué
danslaprofession«Lecontrôledesnaissancesàl’étrangeretlaloifrançaisede
1920 » dans la revue La Semaine des Hôpitaux. La gynécologue dénonce
clairement le déni en France du recours à la contraception pour choisir et
espacerlesnaissances.Ellerévèlequelacontraceptionestparfoisutiliséedansles
milieux évolués mais par l’achat de produits à l’étranger (ils sont interdits à la
vente en France), tandis que les milieux populaires n’y ont aucun accès. Elle
s’inquiètedudangerdesavortementsclandestins,desconséquencessurlasanté
des femmes, de l’angoisse de la vie quotidienne des femmes dans les couples.
ÀcetteépoqueonconnaîtlaméthodeOgino;ils’agitdeprocéderàdesrelevés
réguliersdetempératureenobservantlacorrélationavecl’ovulationpendantle
cyclemensuel.Cetteméthode,trèscontraignante,n’estquepartiellementfiable.
En France les catholiques y ont parfois recours, sachant que le pape Pie XII a
donnésonautorisationmoraleen1951.
Marie-AndréeLagroua-Weillestimequ’ilfautfairebougerleslignesautourde
la médiatisation des conséquences de la loi de 1920 lorsqu’éclate l’affaire des
épouxBac.Lamortdeleurnourrissonestdueàladépressiondelajeunemèrede
famille accablée par cette nouvelle naissance non désirée. La gynécologue veut
lancer sur la place publique une prise de conscience sur ces grossesses non
choisies et les drames qu’elles provoquent pour les femmes, les couples, la
société.Lorsd’unedesesconférencessurl’absenced’accèsàlacontraception,en
mars1955,Marie-AndréeLagroua-Weillfaitlaconnaissanced’EvelyneSullerot,
sociologue et mère de famille. Elles commencent toutes deux une coopération
quiapourbutd’intéresserlapressegénéralisteàcesujet.Avecl’aidedeJacques
Derogy,journaliste,ancienrésistantcommuniste,uneenquêteestlancéedansle
lectorat et, ensuite, un débat auprès des femmes. Enfin en 1956 une étude est
publiée: Desenfantsmalgrénous.Ledrameintimedescouples.Lelivrepropose
d’éviter les drames de l’avortement, des infanticides et de mettre en place des
moyenscontraceptifsdefaçonlégale.ÀcetteépoqueonévalueenFranceàplus
de 600 000le nombre des avortements paran et à près de 20 000les décès de
femmesdanscescirconstances.
En1956lesdéputésdugroupedesRP(RépublicainsPopulaires)déposentune
propositiondeloienfaveurd’uneprophylaxieanticonceptionnelleafindelutter
contre « la multiplication des avortements criminels ». Ils exposent que la
répressionn’estpasunesolution.Malgrélesoppositionstantdescatholiquesque
descommunistes,unepremièremodificationestapportéeàlaloi,elleaboutiten
mai 1955 à l’autorisation de l’avortement thérapeutique. Évelyne Sullerot et
Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé créent alors l’association « La Maternité
Heureuse»(Cahier-images,Pl.XVI).Leconseild’administrationenestféminin.
Danslecontextedel’époquel’associationneselancepasofficiellementdansun
programme de limitation des naissances. Elle commence par promouvoir
l’améliorationpsychologiquedesrelationsdecouples,lasantédesmèresetdes
enfants. Les conseils donnés aux couples ont pour but d’éviter le recours aux
avortementsclandestins.Lesdeuxfondatricessontrejointespardesmédecinsdu
groupe«Littré».Cesontdespraticiensfrancs-maçonsfrançaisetbelgesquisont
favorables à la contraception. Parmi eux se trouve une personnalité
exceptionnelle, le docteur Pierre Simon, gynécologue-obstétricien, né en 1929
(Cahier-images,Pl.XVI).
La « Maternité heureuse » continue son action à petits pas malgré la
condamnationdel’Ordredesmédecins.CatherineValabrèguedevienten1959la
secrétaire générale de l’association. En 1958 la Maternité heureuse adhère à
l’IPPF (International Planning Parenthood Federation) même si l’esprit
malthusienquiydominen’estpasofficiellementapprouvé!
En 1960 L’association Maternité heureuse prend le nom de « Mouvement
Françaispourleplanningfamilial»(MFPF).LecontexteaévoluéetàGrenoble
legynécologueHenriFabre,ancienrésistantcommuniste,organiseun«Centre
d’études médicales pour l’orthogénie ». Le but est de former des personnels
médicaux qui puissent ensuite prescrire des moyens contraceptifs fiables et
agréés. Cependant la loi de 1920 n’a pas été abolie et elle interdit toute forme
d’informationvoiredepublicationssurlesmoyenscontraceptifs.Pourréussirà
s’informer,desfemmesadhèrentàl’AssociationduPlanningfamilialetpeuvent
ainsiobtenirdesconseilsutilesetacheterdesdiaphragmespuisdesstériletsqui
apparaissent plus tard. Mais ces produits sont encore interdits en France à
l’importation(en raison dela loi de1923). L’associationdu Planning achèteet
faitacheminercesproduitsdiscrètementdepuisl’étranger.SimoneIff,néeBaleft
militante dans le mouvement féministe protestant « Jeunes femmes » est très
activeauPlanningfamilial.Enfinenoctobre1961,lepremiercentredePlanning
familialestouvertàParis.Ilseprésentesousunbutéducatif,cequiluipermetde
recevoirungrandnombredevisites,delettres,d’appelstéléphoniques.Simone
Iff témoigne de la difficulté à traiter de sujets interdits par la loi dans le cadre
d’unestructurequiauneexistencelégale.Elledistribueainsideprécieuxconseils
sur la contraception aux femmes qui viennent la consulter mais doit veiller à
enfermer les dossiers de ces femmes dans un placard secret en raison des
fréquents contrôles opérés par le commissariat du quartier. Cette semi-
clandestinitédurejusqu’en1967,dateàlaquellel’amendementNeuwirthàlaloi
de 1920, autorise les dispositifs contraceptifs. La loi punit toujours aussi
sévèrement l’avortement pour lequel les coupables présumées sont déférées en
correctionnelle. Simone Iff entre en rébellion contre les médecins du conseil
d’administration du Planning Familial. Comme de nombreuses femmes, elle
souhaitequelaloiautorisecontraceptionetavortementlibres,remboursésparla
SécuritéSociale.ElleorganiseleMouvementdes343plusconnussouslenomde
« Mouvement des 343 Salopes », 343 femmes ont signé un article dans lequel
elles revendiquent avoir pu se faire avorter dans des pays voisins où cette
interventionestautoriséeparlaloi.Ellesaffirmentavoirpulefaireenraisondes
moyens financiers dont elles disposent et demandent que la loi française soit
modifiée pour que toutes puissent bénéficier, comme elles, de l’accès à
l’avortement.
LESFEMMESVEULENTTENTERDECONCILIER
VIEFAMILIALEETVIEPROFESSIONNELLE
Lesfemmesaufoyerdésignéescomme«sansprofession»surlesformulaires
administratifs restent au bas de l’échelle sociale. Qu’elles soient femmes
d’intérieur de milieu aisé ou femmes dans des foyers aux conditions
économiquesmodestes,cettedésignationestunedesraresquileursoitappliquée
dans le strict respect des principes de l’égalité républicaine. Leur « absence de
profession » est un univers de tâches domestiques, où la monotonie des jours
leur est pesante. Celles qui ont une activité professionnelle et une famille à
prendre en charge n’ont pas assez de temps libre pour s’investir dans la vie
associative ou politique. Cependant la situation se modifie pour la génération
suivante. La mixité de l’enseignement commence en 1957, l’obligation scolaire
concerne les élèves jusqu’à l’âge de 16 ans. L’examen d’entrée en sixième a été
supprimé.ParmilespremierseffetsonnotedanslesrésultatsduBaccalauréatde
1963queletauxderéussitedesfilles(14,3%)estsupérieuràceluidesgarçons
(13,4%).DansledomainedesÉtudessupérieureslaproportiond’étudiantesest
stationnaire.Lesassignations degenrenefavorisent paslavolonté desfillesde
continuer leurs études et d’aboutir à une formation, à un métier. Lorsque les
marisoulescompagnonsnes’yopposentpasfermement,lesfemmestitulaires
d’undiplômetententd’obteniruntempspartielprofessionnelpouraméliorerles
financesdelaviefamiliale.
Dans cette situation pesante, les femmes n’ont guère le temps de s’investir
dans la vie publique et la vie politique. La conséquence en apparaît dans les
résultatsauxélectionslégislatives.Onobserveunreculdunombredesdéputées
au fil du temps tout au long de la IVe République, d’autant que la misogynie
ambiante ne connaît guère de déclin ! Dans un contexte d’éloignement
systématiquedesfemmesde laviepolitique,on nes’étonneguère quecelles-ci
soientrestéessilencieusespendantlaguerred’Indochine(1945/1954)etlorsdes
débutsdelaguerred’Algérie(1954).Ilyeutcependantdesprisesdeconscience
fémininespendantlaguerred’Algérie.ChristineZuberétaitétudianteàl’ENSen
1954. Elle comprit les enjeux politiques cachés derrière le discours officiel en
discutant avec ses camarades et avec des étudiants algériens. Christine Zuber
choisitl’engagementmilitantcontrelaguerred’Algérieetcontrelatorture.Elle
rejointen1960leréseau«HenriCuriel».Elleestarrêtéepouravoirhébergéun
militant clandestin algérien. Dans sa prison elle organise l’évasion de six
codétenues. Parmi les militantes pour la libération de l’Algérie il y a aussi des
« porteuses de valises », comme Andrée Michel, sociologue née en 1920. Elle
publia des articles en faveur de la décolonisation de l’Algérie. Les femmes
musulmanes algériennes sont alors invisibles dans le débat politique et social.
Elles sont au nombre de quatre millions. Le gouvernement français leur fait
espérer un statut de citoyenne identique à celui des femmes de la métropole.
Cettestratégieestmiseenplaceafindedésamorcerlaparticipationdesfemmes
comme infirmières ou comme combattantes au sein de l’armée de Libération
NationaleduFLN.Lespluspolitiséesmènentdesactionsterroristesurbaines.Le
gouvernement français entreprend alors de convaincre les 96 % de femmes
analphabètes que l’Algérie Française peut leur accorder l’émancipation par
l’éducation, l’école et la suppression de la polygamie et des mariages forcés, et
enfin alléger l’obligation du port du voile. Le gouvernement Debré décide
d’adresserunsignalpolitiqueauxAlgériensennommantladéputéeNafissaSid
Cara comme secrétaire d’État chargée des questions sociales en Algérie et de
l’évolutiondustatutpersonneldedroitmusulman.Cettestratégiedesdébutsde
la Ve République mit en difficulté les représentants du FLN, car ces derniers
étaientfortattachésauxusagesdupatriarcatetàlasubordinationdesfemmes.
C’estdanscecontextequ’éclatal’affaireDjamilaBoupacha.Lajeunefemmeavait
été arrêtée et accusée d’avoir participé à un attentat au café de l’université
d’Alger.Ellenie,estemprisonnée,etaccusealorslesmilitairesfrançaisdel’avoir
torturée et violée. Djamila Boupacha prend pour avocate Gisèle Halimi. Cette
dernière,jeunefranco-tunisienne,encorepeuconnue,estinscriteauBarreaude
Parisdepuis1956.Elleasumettreenlumièredansceprocèsladimensionsexuée
et sexuelle. Elle consolida la défense de Djamila en organisant un comité de
soutien auquel participèrent des personnalités telles Simone de Beauvoir,
Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion. Cette dernière était
ethnologue et aussi spécialiste de l’Algérie. Gisèle Halimi insista dans sa
plaidoirie sur le fait que les tortionnaires et violeurs de Djamila Boupacha ont
appliqué les règles non écrites de la domination coloniale qui autorise le mâle
colonisateur à exercer une domination masculine discrétionnaire face au sexe
féminincolonisé,auméprisdesvaleursfondamentalesdelaRépublique.Djamila
Boupacha est condamnée à mort en juin 1960. Elle est ensuite graciée lors de
l’armisticede1962.Cependantsestortionnairesnefurentjamaispoursuivis,ce
qui donne une idée de la force et de l’universalité de règles de la domination
coloniale!
LESFILLESDU«BABY-BOOM»
Commentlagénérationdes«fillesduBaby-Boom»c’est-à-diredesfillesnées
entre 1945 et 1955, vivaient-elles leur quotidien au sein de cet univers de
mensongepolitiqueetdeviolencephysique?
La jeunessede l’époqueconstitue un groupedémographique nombreux,aux
aspirationsenruptureparrapportàcellesdelagénérationprécédente.Untiers
de la population française a moins de vingt ans en 1960. Cette génération,
héritièredesvaleurspatriotiquesetnationalistesquiétaientcellesdesesparents
estmoralementeffondréeparlamanipulationquienestfaitedanslescampsde
l’arméefrançaiseenAlgérieoùilsseretrouventcontreleurvolonté.
L’intérêt des femmes pour la vie publique et les changements sociaux se
manifeste, entre autres réalisations, par la création en 1961 du MDF
(MouvementDémocratiquedesFemmes)quidéfenddespositionssocialisteset
féministes.FontpartiedesfondatricesColetteAubry,Marie-ThérèseEyquemà
l’origine de la création du mouvement, Évelyne Sullerot, Marguerite Thibert,
GisèleHalimi, YvetteRoudy.Les adhérentessont,pour laplupart,présentes et
actives dans le monde économique. Certaines disposent d’un salaire et
s’intéressentàl’évolutionduvoteféminin.Cellesdesadhérentesquiontlestatut
defemmeaufoyertravaillentactivementàleurentréedanslemondedutravail.
Femmesdecommunication,ellestravaillentàdenombreuxsujetsd’émissionsde
radio puisde la télévisionnaissante, consacrées auxobjectifs et actions deleur
mouvement.
Les contenus de la presse féminine écrite, ainsi que ceux des émissions
télévisuelles consacrées aux femmes sont un révélateur de la pensée féminine
dominante à l’époque, pensée qui est encore bien loin des préoccupations du
MDF. Les journaux féminins qui rencontrent un succès de lectorat à l’époque
sont Le Petit Écho de la Mode (devenu dans les années 70 Femmes
d’Aujourd’hui), Modesettravaux, Elleet,pourunpublicplussociologiquement
restreint, Marie-Claire. Dans l’hebdomadaire Elle, existe à cette époque une
rubriqueducourrierducœur.TenueparMarcelleSégal,ellerencontreunréel
succès,mêmesisesconseilsgardentuntonmoralisant.Lajournalistecondamne
les « amours adultères » et les « briseuses de ménage » (sic). Elle console les
épousesmalheureusesàquielleconseillelapatience,ladouceur.Aufildutemps,
Marcelle Ségal en vint à défendre dans le journal l’accès au divorce par
consentementmutuel,cequin’étaitpasdansl’espritdutemps.
L’émissionféminineradiodeMénieGrégoirevoitlejour,àpartirde1967,sur
RTL.MénieGrégoires’adresseauxfemmesquisouhaitentsortirduconfinement
qui leur est imposé par leur rôle de femme au foyer. Les lettres reçues par la
journaliste traduisent de manière récurrente le mal-être des femmes au foyer.
Cescourrierspermettentàlajournalistedetraiterlessujetsdominantsévoqués
parsonpublic,puisdelestraiterendirectàl’antenneaprèsavoirappeléunede
sescorrespondantes.Lemal-êtredecesfemmes,leurssouffrancessecristallisent
autourdedeuxaxes.Ilyalemanquedeconsidérationqueleurtémoignentleur
mari, leur famille, les voisins… : que sont-elles de plus qu’une aide-ménagère
avec laquelle le maître de maison a le droit de faire l’amour ? Et puis, il y a,
justement le sexe. L’émission est antérieure à loi Neuwirth, les dispositifs
contraceptifssontinterditsetnombredemarisnesesatisfontpasdel’abstinence
périodiqueorganiséeparlaméthodeOgino.CetteémissiondeRTLquialieuen
débutd’après-midiestsurtoutécoutéepardesauditricesfemmesaufoyer.Elle
leur donne espoir face à la résignation et à la soumission d’usage dans leur
situation sociale. Des connaissances vulgarisées permettent à ces femmes de
prendre conscience de leurs droits et d’imaginer des changements dans leur
mode de vie. Après l’élection de Charles de Gaulle à la présidence de la
République en 1965, le gouvernement finit par accepter de soutenir en 1967
l’accèsàlacontraceptionproposéeparLucienNeuwirthetappliquéàpartirde
1972.
Un autre aspect de la pensée féminine dominante apparaît avec l’émission
télévisuelled’ElianeVictoràpartirde1964.Lajournalistetraitedel’insertiondes
femmesdanslemondedutravail.Elleobserveleseffetsdecetteouvertureàla
vieactivesurla viesociale,surlavie defamille.Elleabordeaussiles injustices
salarialesgenrées.
La littérature de l’époque, destinée à un public ciblé, compte quelques
ouvragesquiont faitdate : LaCondition delaFrançaise d’aujourd’huiparuen
1964,aété rédigéparAndréeMichel etGermaineTexier.L’annéesuivante, en
1965, Évelyne Sullerot publie Demain les Femmes. Ces deux ouvrages sont des
références sur l’ambition des femmes de cette époque d’avoir une activité
professionnellequileurpermettedeseréaliser.
Pendantcetemps,commentlesfillesdu«baby-boom»ont-ellesévolué?Elles
rêventd’unavenirprofessionnel.Cellesquiontfaitdesétudescourtessedirigent
vers des professions du domaine des services : coiffeuse, secrétaire, vendeuse.
D’autres, impressionnées sans doute par une lecture excessive de la presse du
cœur s’imaginent réussir comme infirmières avec ensuite à la clef un mariage
avecunmédecin.
Dansledomainedesicônesdumondeartistique,certainesdecesjeunesfilles
s’identifientàlachanteuseSheila(néeen1945),modèlesympathiqueenaccord
avec les valeurs du temps. Un petit nombre s’intéresse à la chanteuse-
compositriceFrançoiseHardy(néeen1944)età sessujetsteintésdenostalgie.
D’autress’imaginenttrouverunmodèledepersonnalitérévoltéesouslestraitsde
l’actriceBrigitteBardotdontlacarrièrenaissantedoitplusàsaplastiquequ’àses
convictions.Uneémissionderadio« MademoiselleÂgetendre»(MAT)associée
à un journal éponyme, destinéeaux « filles dans le vent » s’adresse à partir de
1962 à une population qui a en commun d’appartenir à une génération,
nombreuse qui connaît des disponibilités économiques historiquement
importantes. Avec MAT et « Salut les copains », destiné aux garçons, Daniel
Filippachi cherche à identifier et répondre aux goûts de ces jeunes
consommateurs en matière de mode et de musique. Le ton général de ces
publicationsestdanslestyleunavenirradieuxvousattend!Ilyabienquelques
problèmesdanslavie,c’estjusteunequestiond’adaptation.
LEPRINTEMPSDEMAI1968:ESPOIRMAISDÉCEPTIONPOURLESFEMMES
Entre1967et1968larévolutionestudiantineseprépare.Ilestquestiondese
débarrasserdu«vieuxmonde»etlesaffichesdespremiersappelsàmanifester
enmars1968proclament«l’interdictiond’interdire».Lesfillesmanifestentleur
volonté de révolte mais elles échouent à trouver un rôle égalitaire car les
assignationsdegenren’ontpuêtredétruites.Cantonnéesàdesrôlessecondaires,
ellesparticipentsansavoirdechoixquantauxactions.Larévolutionespéréeest
menée par des étudiants pour qui ce mouvement doit se réaliser avant la
libérationdesfemmes.
SelonAnneZelensky,ancienneélèvedel’ENS,alorsenseignante,lesfemmes
ont été les oubliées de mai 1968. Yvette Roudy vient de traduire l’ouvrage
américaindeBettyFriedan: LaFemmemystifiée(1964).Zelensky,Roudy,avec
Jacqueline Feldman, physicienne au CNRS et militante féministe fondent en
1967«Féminin,Masculin,Avenir»dontlebutestdemodifier,danslamixitéles
rapportsdesexe.Forceestdeconstaterque,malgrél’opportunitédelacréation
de leur mouvement, leurs idées avaient peu diffusé car, dans les médias, les
visages de jeunes des assemblées décisionnelles du mouvement sont en grande
majorité masculins. Cependant, sur les photos de manifestations ou de
barricadesparisiennespubliéesparlesmêmesmédiaslesvisagesdesrebellessont
autantceuxd’étudiantesqued’étudiants(Cahier-images,Pl.XVI).
Dans les usines, les femmes participent aux grèves et assemblées générales.
Cependant la CGT estime que, l’égalité entre ouvriers et ouvrières affichée en
tant que but des luttes syndicales, n’est pas prioritaire. Pour la majorité des
syndiqués, lachute du capitalisme est l’objectif immédiat,la cause des femmes
peut attendre. Dans le monde du travail comme dans l’aile contestataire de la
mouvance intellectuelle, les hommes peinent à percevoir les inégalités sociales
spécifiques dont souffrent les femmes. De cette incapacité masculine, il ressort
peuàpeuaprès1968quel’émancipationdesfemmesdoitsefaireparl’actiondes
femmeselles-mêmes.Le mouvementMDFavait toutelégitimitépourconduire
lemouvementderevendicationféminineàceciprèsqu’ils’étaitfixéd’aideràla
venue au pouvoir d’un gouvernement de gauche capable de conforter les
conquêtes féminines récentes tels les droits civil (égalité des droits dans le
couple)et politique (droit de voteet d’éligibilité) desfemmes, mais aussi, sous
l’influence de ses membres qui militaient également au Planning Familial,
d’assurer l’ouverture de nouveaux droits nécessaires et à la régulation des
naissances et à la contraception. On considère généralement que l’acte de
naissanceduMLF(MouvementdeLibérationdesFemmes)aétéécritauseindu
MDF par les militantes Anne Zelensky et Jacqueline Feldman, créatrices du
cercle de réflexion « Féminin, Masculin, Avenir ». Ce dernier tient une
importanteréuniondanslaSorbonneoccupéede1968.Ilchangedenatureetde
nom en 1970, en devenant non mixte, et en se renommant « Féminisme,
Marxisme,Action».L’écrivaineMoniqueWittigetAntoinetteFouqueainsique
d’autres femmes de leur entourage travaillent sur la sexualité féminine et sur
l’articulationdelaluttedesfemmesauxluttesanti-colonialistesetauxluttesde
classe.Ellessignentlepremiertexteféministefrançaisdecettepériodepubliépar
l’Idiot International. Le MLF entre dans la vie médiatique de la nation par un
meeting public tenu à l’université de Vincennes juste avant la première action
médiatisée du 26 août 1970 : le dépôt d’une gerbe sous l’Arc de Triomphe
destinéeàhonorerlamémoirede«lafemmedusoldatinconnu»!Lesinitiatives
duMLF,souventmarquéesparl’influencedesouvragesdeSimonedeBeauvoir
veulententoutcasthéoriserelles-mêmesleursituationetchoisirleursmoyens
de lutte. Le MLF s’organise, il n’est pas mixte. Ce mouvement refuse toute
hiérarchisation bureaucratique. Il reconnaît la sororité et la nécessité de
commencerparsemettred’accordsurlamaîtrisedelafécondité.L’undeslogans
despublicationsféministesdel’époqueest«Moncorpsestàmoi».Àl’intérieur
duMLFdesoppositions,destensionssefontjour.Ilestencoredifficiledecerner
les étapes historiques. On pourrait distinguer deux tendances distinctes. La
première est la tendance psychanalyste politique qui met au premier plan un
féminisme libéré avec l’aide de la psychanalyse. Cette tendance crée avec
Antoinette Fouque l’essence féminin-maternité. La deuxième est celle des
féministes révolutionnaires avec Anne Zelensky. Elle se rapproche des
AméricainesetducourantissudesidéesdeSimonedeBeauvoir.Danscegroupe
le féminisme est défini comme le fait de se battre pour des revendications
essentiellementfémininesetpourl’autonomiedesfemmes.
FrançoisePicqdanssesouvragesde1999etde2011aproposéunepremière
analyse de ces années autour du MLF. Elle note que malgré les désaccords de
fond, il y eut certaines actions communes. Cependant la tendance « lutte des
classes»avoulurelierlalibérationféminineàcelleduprolétariat.LeMLFrejette
lesfemmesquin’ontpasfaitlesmêmeschoixquelemouvement.
ParmilesactionsconnuesduMLF,onnotelarevendicationdelalibertédela
contraception,delalibertédel’avortement,delalibertédecirculerdanslaruede
jourcommedenuitsansrisquerdesagressionssexuelles,delalibertédechoisir
savieprofessionnelle,delalibertédechoisirsavieprivéeetsasexualité.Ilétait
aussiquestiondefairesortirdel’isolementetdusilenceleshomosexuelles.Ainsi
en1971naîtlegroupedes«GouinesRouges»quirevendiquentlalibertétotale
de se réaliser comme êtres humains. Les femmes veulent briser toutes les
entraves. Briser le refoulé va de pair avec la prise en compte d’une identité
nouvelle, le lesbianisme. Christine Bard le définit dans son article du
DictionnairedesFéministes(2017).
Cesmouvementss’appuientsurunepresseféministe,dansdesslogans,dans
destracts. Ilsintègrent tous lesstyles d’écriture,les dessins,le langagevulgaire
des«machos »,mêmele styledeleurschansons. LeManifestedes343 lancéà
l’initiative de Simone Iff est publié en avril 1971 par le magazine Le Nouvel
Observateur.Ce texteaété impulséparAnne ZelenskyetSimone deBeauvoir.
Les signataires y déclarent avoir avorté en contournant la loi française. On lit
«UnmillierdefemmessefontavorterchaqueannéeenFrance.Elleslefontdans
des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont
condamnées[…] »Le manifestes’achève parla demandedel’avortement libre.
Afinde contrecarreruneéventuelle répliquejudiciairevis-à-vis dessignataires,
l’avocateGisèleHalimifondel’association« Choisir»quiportelaresponsabilité
dutexte.
Toute la mouvance féministe, malgré ses dissensions internes, ne concerne
guère qu’une élite intellectuelle, de diplômées, d’artistes. Ces dimensions
politiqueslaissentàl’écartunegrandepartdelapopulationfémininedesvilleset
descampagnes.Desfemmesviolées,avortéesrestentaveclepoidsdusilenceet
de la solitude, il s’agit d’un anonymat de masse que personne n’écoute ni ne
soutient. Un fait divers frappe les esprits à travers le relais des medias lorsque
l’avocateGisèleHalimiprendladéfensedudossierdeMarie-ClaireChevallieren
1972.Cettejeunelycéennede17ansvioléeestenceinte.Avecl’aidedesamèreet
de trois femmes elle a trouvé une solution pour un avortement clandestin. Le
procèssedérouleàBobigny,GisèleHalimiexposeàlafindesaplaidoirie:«C’est
la loi qu’il faut mettre en accusation » car elle est « objectivement mauvaise,
immoraleetcaduque».Destractsfurentpubliésenoctobre1972parleMLFet
parl’association« Choisir »poursoutenirladéfensedeM.-Cl.Chevallieretde
ses « complices ». L’accusée fut relaxée. Il y eut ensuite deux accusées
condamnées à un an de prison avec sursis pour l’avorteuse et une amende de
500 F avec sursis pour la mère de M.-Cl. Chevallier. Ce procès de Bobigny
marqualesesprits.Lapressedemeurapartagéemaiscelapermitaussidemettre
enévidenceen1972l’absencededécretd’applicationdelaloiNeuwirthde1967
(surl’accèsàlapilulecontraceptive).
SIMONEVEILETLALOIDE1974
Uneréformerelativeàlalégalisationdel’avortementestdésormaisimpossible
à refuser. Au début du mandat du président de la République, Valéry Giscard
d’Estaingen1974,lapréparationdecetteloin’estpasconfiéeàFrançoiseGiroud
alorspremièresecrétaireauprèsduPremierministre(JacquesChirac)etchargée
dela conditionféminine, maisàSimone Veil,ministre dela Santé.Sansdoute
s’agissait-il pour le président de dissocier le projet de celui de la liberté des
femmes.Ilfallaitmontrerunecertainehabiletéfaceàuneopinionpubliqueetà
desdéputésencoreréticentssurcesujetdel’avortement.
Le dossier fut soigneusement préparé par Simone Veil (1927-2017),
magistrate.Afindefaireaboutirceprojetdedépénalisationdel’avortement,elle
mit l’accent sur la question de la santé publique et non pas sur la notion de
libertépersonnelledesfemmes.
Dansunclimatdefortestensionsetaprèsvingt-cinqheuresdedébatsanimés
par plus de 70 orateurs, la loi est finalement adoptée par l’Assemblée le
29novembre1974par284voixcontre189,grâceàlaquasi-totalitédesvotesdes
députésdespartisdelagaucheetducentre,etmalgrél’oppositiondelamajeure
partiedesdéputésdeladroite.
Après une navette législative auprès du Sénat, les deux chambres adoptent
cetteloiendeuxièmelecture.Elleestensuitepromulguéele17janvier1975.Son
entrée en vigueur est prévue initialement pour une période de 5 ans, à titre
expérimental.Elleestreconduitesanslimitedetempsparlaloidu31décembre
1979.
LaloiVeildépénalisel’«interruptionvolontairedegrossessepratiquéeavant
lafindeladixièmesemaine»(IVG),quipeutalorsêtrepratiquéesouscertaines
conditionscumulatives:
– situationdedétresse
– délaidegrossesseinférieurouégalà10semaines
– intervention réalisée par un médecin dans un établissement
d’hospitalisation
– réalisation de démarches obligatoires destinées à l’information et à la
réflexiondelafemmeenceinte:deuxconsultationsmédicales(avecundélai
deréflexiond’unesemaineentrelesdeux),oùlesrisquesetlesalternatives
sontprésentésparlesmédecins,etuneconsultationpsycho-sociale.
La volonté de la femme doit être confirmée par écrit. Il est précisé que le
médecin et lepersonnel de santé disposent d’une clausede conscience ; aucun
n’esttenudeconcouriràuneinterruptiondegrossesse.
La loi Veil légalise également pour une durée de cinq ans l’« interruption
volontaire de grossesse pour motif thérapeutique » (dite IMG), qui peut alors
être pratiquée sous certaines conditions, liées au danger pour la santé de la
femmeetdel’enfantànaître.L’interventionestpratiquéedansunétablissement
d’hospitalisation.
LaLoiVeildu12janvier1975complèteuneautreloiinitiéeparSimoneVeil
et promulguée au même moment, la loi du 4 décembre 1974, qui autorise les
centresde planning familialà délivrer auxmineures àtitre gratuit etanonyme
descontraceptifssurprescriptionmédicale,sanslimited’âge.LaloiNeuwirthsur
lacontraception,promulguéeen1967,neconcernaitquelesfemmesmajeures(à
l’époqueâgéesdeplusde21ans).
Parlasuite,leremboursementdel’IVGparlaSécuritésocialeestvotéen1982.
La loi du 4 juillet 2001 modifie les dispositions de l’IVG, notamment en
allongeantde10à12semainesdegrossesseledélai,endispensantlesmineures
d’autorisation obligatoire de leurs parents et en facilitant l’avortement
médicamenteux.
Le vote de la loi Veil a marqué l’aboutissementde plusieurs années de forte
mobilisation qui ont mis en lumière l’impact du mouvement féministe. Les
questions de contraception et d’avortement ont fait connaître d’autres
revendications féministes. La seconde moitié de la décennie soixante-dix est
marquée par une multiplication des groupes disséminés dans plusieurs types
d’espacesetunediversificationdesmodesd’action. Lalibredispositiondeleur
corpsresteaucentredesrevendicationsdesfemmes.
CHAPITRE7
LESFEMMESDE1975ÀNOSJOURS
LALUTTECONTRELESVIOLENCES
ETLADIFFUSIOND’UNECULTUREFÉMINISTEPARLES
MEDIAS.
LESFEMMESDANSLAVIEPUBLIQUE
UNRAPPORTDEL’INSEEETUNBILAN
Le rapport annuel « France, portrait social » de l’INSEE de 2020 rappelle
l’évolutionducontextesocio-économiquedupaysdesannées1970nosjours,au
cours des mandats présidentiels de Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy,
Hollande,Macron.
En 2019, la France métropolitaine compte 65 millions d’habitants contre
53 millions en 1975, soit 12 millions de plus. Les femmes représentent 51,6 %
danscettepopulation.
Lesgrandeslignesàretenirdecerapportsont:
– Maternitédeplusenplustardive.«Lesfemmesdonnentnaissanceàleurs
enfantsdeplusenplustard»,rapportel’Insee.L’âgemoyenàlamaternité,
tousrangsdenaissanceconfondus,étaitde26,7ansenFranceen1975.En
raison de la démocratisation de l’enseignement supérieur et de
l’allongementdeladuréedesétudes,de plusen plusdefemmesretardent
l’arrivéedeleurpremierenfant.
– Baisse du niveau de vie des familles monoparentales. En France, en 2011,
210000famillessontdevenuesmonoparentalesàlasuitedeséparationsde
couplesayantaumoinsunenfantmineur,dontlamoitiéaprèsunerupture
d’union libre. « Ces ruptures ont des conséquences importantes sur les
niveaux de viedes familles », indique l’Insee. Ainsi, la moitié desfemmes
qui ont rompu une union en 2011 et qui ont la garde de leurs enfants
connaissentunebaissedeleurniveaudevieaumoinségaleà20%l’année
de leur séparation, un chiffre qui varie peu selon leur statut conjugal
d’origine(mariage,Pacsouunionlibre).
– Mortalitéinfantilediviséeparquatre.Enquaranteans,lamortalitéinfantile
enFranceareculé.Elleestpasséede13,8‰à3,6‰entre1975et2005et
s’élève à 3,8 ‰ en 2018. Les progrès dans la lutte contre les maladies
infectieuses et le meilleur suivi médical des grossesses ont permis
d’atteindreceniveaudemortalitéinfantiletrèsfaible.
– Tauxdelapopulationimmigréerapportéàlapopulationtotale:9,7%dela
population. Ce chiffre représente 2,3 points de plus qu’en 1975. « Les
origines de l’immigration se sont diversifiées, avec l’émergence de flux en
provenanced’Afriquesubsaharienneetd’Asie»,soulignelerapport.Entre
1975 et 2015, le solde migratoire de la France s’établit en moyenne à +
61 000 personnes par an. Depuis les années 70, la proportion de femmes
immigrantenFrance,n’aeudecesse d’augmenter,pourdépasseren 2008
celle des hommes. Elles représentent aujourd’hui 51,8 % des nouveaux
entrants. Un nombre croissant concerne des femmes célibataires venant
poursuivreleursétudesenFrance.
– Souhait de transformation de la société dans l’opinion publique en
augmentation. Il y a quarante ans, 76 % des Français estimaient que la
sociétéavaitbesoindesetransformer.Aujourd’huiilssontdésormais83%
àlepenser,soitunehaussede7points.
– Famille de moins en moins considérée comme source essentielle de bien-
être.En2019,59%desFrançaissouscriventàl’idéequelafamilleest«le
seul endroit où l’on se sente bien et détendu ». Ils étaient 70 % en 1979.
«Lesannées1990marquentledébutdecetteprisededistancedel’opinion
avecl’idéequelafamilleestleseulendroitoùl’onsesentbienetdétendu»
(INSEE).
– Plafond de verre ? Les femmes sont bien plus souvent en mobilité
ascendanteparrapportàleurmèreen2015qu’en1977,etcequellequesoit
leuroriginesociale,révèlelerapportdel’Insee.
Cette période est également marquée par des changements majeurs dans les
règles sociétales. La législation s’adapte sous la pression de la demande de la
population.Cefut,en1999,l’adoptionduPACS,pactecivildesolidaritéquiest
un contrat conclu entre 2 personnes majeures, de sexe différent ou de même
sexe.Ilpermetd’organiseruneviecommunerégiepourpartieparlesrèglesqui
s’appliquentàcellesd’uncouple.Ilaétéinstituéparlaloidu15novembre1999.
Saconclusionnécessitelarédactiond’uneconventiondevantêtreenregistréeau
greffedutribunald’instancedulieuderésidencecommunedespartenaires.
Puis vient la loi du 17 mai 2013 sur le mariage pour tous. La France est
devenuele9 epayseuropéenàautoriserlemariagehomosexuel.Cetteloiaouvert
de nouveaux droits pour le mariage, l’adoption et la succession, au nom des
principesd’égalitéetdepartagedeslibertés.
Enparallèleàl’évolutiondesmentalitésquiaimposélasignaturedecesdeux
lois,unecultureféministediversifiéesediffusedanslasociétéàpartirdumilieu
desannées1970.
Desgroupesdefemmessemultiplient dansdivers arrondissementsde Paris.
Certains d’entre eux se constituent dans le cadre plus général de « la lutte de
classes » : le cercle Élisabeth Dmitriev, fondé en 1971, est issu de l’Alliance
marxiste révolutionnaire. Des femmes travailleuses en lutte fondent le groupe
des« Pétroleuses»de laLiguecommuniste révolutionnaire(LCR).À partirde
cesgroupes,desmilitantesféministesportentunregardcritiquesurlesrapports
de pouvoir dans les organisations d’extrême gauche auxquelles elles
appartiennent. Lutte ouvrière accepte ainsi de présenter pour la première fois
unecandidaturefémininelorsdesélectionsprésidentiellesde1974avecArlette
Laguiller.Lesidéesféministescirculentdanslespartisdelagauchetraditionnelle
etdanslessyndicats.LepartisocialisteestrefondéàÉpinayen1971autourde
FrançoisMitterrandeten1977ilcréeunsecrétariatnationalchargédesDroits
desfemmes, confié àYvette Roudy. En1978 le PS présentele socialismeet les
droits des femmes comme indissociables. Quelques militantes, Édith Lhuillier,
Cécile Goldet et Françoise Gaspard rédigent un texte demandant que 50 % de
femmes soient présentes sur les listes du PS pour les élections européennes de
1979.LaFranceatteint22%defemmeséluesparmilescandidatsprésentés.Ce
chiffredittoutlecheminqu’ilresteàfairepouratteindrelaparité.LePSU,dont
l’existenceestantérieureàcelleduPS,nédurassemblementdesforcesdegauche
hostilesàlaguerred’AlgérieetàlapolitiquedelavieilleSFIOquiaconduitla
répression sur ce territoire colonial, recrutait nombre de militantes également
activesdanslescourantsféministes.En1974,aprèsqu’unemajoritédesmilitants
du PSU a décidé de rejoindre le PS, Huguette Bouchardeau est élue première
secrétaire, ce qui est une nouveauté dans l’histoire politique de la France. La
proportiondefemmeséluesaubureaufédéralaugmente,ainsiquelesadhésions
féminines.Mais,pourautant,lePSUnedevientpasunpartifortementféminisé
et puissant. Devant la faiblesse de son audience, il s’auto-dissout en 1980.
PendantlamêmepériodeleParticommunistesedoitd’accepterlacréationde
groupes-femmes, mais il est difficile à celles-ci de se faire entendre dans les
colonnes du journal L’Humanité. Du côté des syndicalistes, l’exemple
exceptionneldeprisedeparoleparlesfemmesestceluidel’entreprisehorlogère
LIP de Besançon. Avec Monique Pion, travailleuse dans cette entreprise qui
témoigna des difficultés des femmes dans le cadre syndical, un groupe
d’ouvrièresréalisalabrochure«Lip auféminin»diffuséeà9 000exemplaires,
tandisqu’àl’usinedeCerizay,danslesDeux-Sèvres,quatre-vingt-seizeouvrières
se mettent à fabriquer des chemisiers qu’elles nomment PIL. Ces femmes ont
réfléchiausortdecellesquiétaientcheffesdefamille,demandantd’accéderàdes
postesplusélevésdanslahiérarchieetsollicitantdebénéficierd’uneformation.
Elles abordèrent les questions d’accès à la santé, à la maternité, à la
contraception,àl’éducationdeleursenfants.
ÀcetteépoquelaCGTcontinuedecampersursespositionstraditionnelles,de
caractère« maternaliste».Un changementde tonà laCGT semanifesta après
1977lorsdelaVIeconférencesurlesfemmessalariées.Cependantlespratiques
des dirigeants de l’Union départementale CGT du département du Rhône
n’évoluentguère.EllessontdénoncéesparGeorgetteVacher,ancienneouvrière
del’entrepriseCalor,responsablecégétistedesfemmestravailleuses.Ardenteau
combatpourlesfemmes,elleestlicenciéeparsonentreprise,puisdémisedeses
responsabilitésdepermanentesyndicaleparladirectioncégétisterégionale.Elle
se suicide en octobre 1981. Ce drame est un exemple parmi d’autres de la
difficultédespartispolitiquesdegaucheainsiquedessyndicatsàarbitrerlalutte
entre leur idéologie affichée et la protection et les intérêts des individus qui
constituentleurstructurehiérarchique.Ilssont,enfait,enconcurrencedepuisla
findeladécennie1970avecleMLFquiignoreceproblèmeinterneetlutteàla
foispourl’égalitéetpourlafindupatriarcat.
LESMÉDIASETLESFEMMES
Danslemouvementdelibérationdesfemmes,lesmédiascommencentàjouer
unrôle.Onassisteàunevéritablefloraisondelapresseféministe:d’abordparla
multiplication de brochures souvent artisanales produites par divers
mouvements de femmes. Progressivementnaissent ensuite des journaux et des
magazines qui se distinguent à la fois de la presse syndicale et de la presse
féminineclassique.Lesauteuresdecespublicationssontdesprofessionnellesdes
médias.Histoired’Ellesparaîtàpartirde1977commemensuel.LesÉditionsdes
femmes publient Le Quotidien des femmes de 1974 à 1976 avec un tirage à
60 000exemplaires. Des femmes en mouvementpublie les travaux d’Antoinette
Fouque, créatrice du courant Psychanalyse et Politique. Une autre maison
d’éditionTierceselanceaussien1977.Toutescespublicationsontpourobjetde
proposerun regard alternatifsur le mondeen tenant compted’une dimension
culturelle féministe incontournable. Parallèlement les idées féministes se
diffusent dans les médias de masse comme Marie-Claire qui en janvier 1976
ajouteàsapublicationun Cahier-femmesquiabordelesquestionspolitiqueset
sociales sans omettre d’épingler les publicités sexistes. En 1978 est lancé un
nouveau mensuel F-magazine auquel participe Claude Servan-Schreiber. Il est
publié par le groupe l’Expansion et dure jusqu’en 1981. Il est animé par une
directiontotalementféminine.
L’année 1979 marque un tournant. La loi Veil de 1975 n’avait été votée que
pour une période intérimaire de cinq ans. Elle doit être discutée à nouveau à
l’Assembléenationaleenvuedesapérennisation.Lesmobilisationsféministesse
mettentenœuvre.Unegrandemanifestationsedérouleenoctobre1979etson
mot d’ordre est « l’avortement c’est notre droit ! ». Cependant les divisions se
cristallisent entre les courants féministes. Deux associations se créent alors : le
Mouvementdelibérationdesfemmes-Psychanalyseetpolitiquedanslesillage
d’AntoinetteFouque –et leMouvement delibérationdes femmes– MLF.Des
conflitséclatententrele«MLFdéposé»etle«MLFnondéposé».Ledépôtdu
nom de l’association par le cercle des proches de Fouque est vécu comme une
dépossessionparlesmilitantesdelapremièreheuredeleursactionsfondatrices
desdébutsduMLF.Cecontextederuptureprovoqueunretoursurl’histoireet
lalégitimité de cellesqui s’enréclament. Unarticle de pressede 1980signé de
Christine Delphy, chercheuse au CNRS, inaugure le sujet. Il est suivi par la
publicationde plusieurs ouvragesqui sont autantde témoignagessur l’histoire
foisonnante des débuts du mouvement. Certaines militantes tout en
reconnaissantlarichessedelalibertédepenséequirègneauseindumouvement
craignent que son existence ne soit menacée par cette appropriation abusive,
voirepardesrécupérationspolitiquesqu’elleestsusceptibled’entraîner.
Parmi les courants de pensée qui accompagnèrent la deuxième vague du
féminisme,néeenFrancedanslesannées1970,danslesillagedesévènementsde
mai1968certainsdépassentlestatutdecourantrevendicatifpouratteindreàune
réflexion sociétale dans sa globalité. Le bimestriel Sorcières sous-titré « Les
femmes vivent », littéraire, artistique et féministe appartient à ce courant de
réflexion. Créé par Xavière Gauthier en 1975, publié jusqu’en 1982, par les
ÉditionsAlbatros,puisparStock,ilsouhaiteouvrirunespacedelibertédeparole
àl’expressiondesfemmes.Lapublicationmêletexteetgraphisme.Lechoixdu
titre«sorcières»estliéàlarelectureparX.Gauthierdel’ouvragehistoriquede
MicheletLaSorcière(1862),quiproposeunevisiondupersonnagedelasorcière
comme celui d’une femme rebelle, socialement isolée, qui développe une
intelligencedelanature.Decetterelationprivilégiéeaveclevivant,elletireun
pouvoirdeguérison.Elleprésideàlaviemaisaussiàlasexualité.Sapuissance
est subversive dans la société d’Ancien Régime et c’est à ce titre qu’elle est
pourchasséeetpersécutée.
Lesnuméros de Sorcièressont thématiques.La composition évoluevers une
formulecentréesurlacréationauféminin,toutenrespectantl’espritmilitantet
politiquedesdébuts.Parmilesautricescertainesétaientdéjàconnuespourleur
productionlittéraire(MargueriteDuras,HélèneCixous,JuliaKristeva),d’autres
étaientdesécrivainesencoreendébutdecarrière(NancyHuston,LeïlaSebbar).
La réception de la revue, à ses débuts, fut souvent élogieuse. Claude Mauriac
écrivit en 1976 dans le Figaro « La vraie sorcellerie dans ces textes est celle du
talent».
Lesautricess’intéressaientàlaquestiondel’existenced’uneécriture-féminine.
Xavière Gauthier note dans l’un des numéros de 1977 « L’écriture, les lignes
d’écriture.Toutlechampenestoccupédepuistoujoursparlemasculin,occupé-
investi, les hommes ont pris position là. Ils campent ; il ne s’agit pas de livrer
bataille pour les en déloger. Savoir s’il y a de la place ailleurs. Une autre place
[…]Jesuggéraisquelefémininpouvaitseloger“àcôté”:danslamarge,dansle
horstexte,“entre”:entreleslignes,entrelesmots,dans“l’inter-dit”».Elleinsiste
sur le lien entre l’écriture et le corps, sur la relation entre la création et la
différencedessexes.
Le premier numéro fut consacré à la nourriture. Comment passer de
l’alimentationaliénanteàlanourriturelibératrice.Cettethématiqueestévoquée
à partir de points de vue de femmes, très hétérogènes et émancipateurs. La
nourriture n’apparaît plus comme une contrainte mais plutôt comme une
créationquipermetd’expérimenter,deseconnaître.
Lavidéoestunnouveloutilquelesféministesdelapériode1968mettenten
œuvre.Cetoutilpermetauxfemmes,sanstenircomptedespratiquesartistiques
antérieures dans d’autres moyens cinématographiques de se représenter en
action, de s’emparer de cette forme de pouvoir. Carole Roussopoulos est
journaliste à Vogue en 1967, elle s’arme d’une vidéo Sony en 1969 et se lance
dansletournagedefilms.EllerencontredesmembresduMLFetfilmeunegrève
defemmesouvrièresdutextileàTroyesen1971.Lavidéocommeinstrumentde
combatpermetdemettrel’accentsurl’instantanédesparolesdefemmes,surles
subversifetd’avoiraccèsàdestranchesdeviedepersonnesanonymes.Lavidéo
permet de documenter les actions en cours. Ce moyen qui met l’accent sur
l’instantanés’opposeauximagesofficiellesetcensuréesdesémissionsdel’ORTF.
ParmilesnombreuxfilmsdeCaroleRoussopoulos,unreportagesurlesgrévistes
de l’entreprise Lip en 1973 ; la vidéo féministe sort du cadre national pour
s’intéresser à des sujets commele projet de filmer le Mouvementde libération
des femmes iraniennes, année zéro : il montre le 8 mars 1979 à Téhéran la
manifestationorganiséecontreleportdutchadorimposéparKhomeiny.Cefilm
futàl’originedelacréationdugroupe«Lesfemmesfilment».Parlasuitedes
«filmsdefemmes»sontprésentésàSceaux(àpartirde1979)puisàCréteil(à
partir de 1985). Quelques réalisatrices de cinéma comme Agnès Varda
accompagnent ce mouvement. En 1977 la cinéaste tourne « L’une chante et
l’autrepas »qui traitede laquestion dela contraceptionet del’avortement en
suivantleparcoursdedeuxamies.
L’actriceDelphineSeyrig(disparueen1990)participeaugroupe«LesMuses
s’amusent»etréaliseSoisbelleettais-toiafindedonnerlaparoleauxartistessur
dessujetsfaisantobjetdediscussionetdejeuxdelangage.
L’INSTITUTIONNALISATIONDUFÉMINISME:
1981–FRANÇOISMITTERRANDPRÉSIDENT
ETRÔLEDELAMINISTREYVETTEROUDY
Le président Mitterrand prononça une allocution devant 450 femmes de
milieux socio-professionnelsdivers au Palais de l’Élysée le 8 mars 1982, moins
d’unanaprèssonélection.Suruneinitiatived’YvetteRoudy,ilmarquaitainsila
reconnaissanceparlaFrancedu8marscommejournéenationaledelafemme,
ce queplusieurs autrespays avaient déjàfait. Le texte deson allocution insiste
surlanécessitéderenforcerlesdroitsdesfemmesetdelesfairepasserdansles
faits.Parmilesobjectifsqu’ilénonce,ilproposeuneexigenced’autonomie,une
exigence d’égalité, une exigence de dignité. Il rappelle qu’à la date de 1982 la
Francen’apasencoreratifiélaconventionONUcontrelesdiscriminationsdont
les femmes sont victimes (CEDAW ou CEDEF en Français). La France a
finalementratifiécetteconventionen1983.
MitterrandensaqualitédePremiersecrétaireduPartiSocialisteaestimédans
les années soixante-dix que les femmes doivent être appelées à jouer un rôle
important dans la vie de la cité. Cet objectif figure dans les programmes de
candidaturedesestroiscampagnesprésidentiellesen1965,1974puisen1981.Le
présidents’estintéresséenpremierlieuaurôledesfemmessalariéesdescouches
moyennes de la société. Par la suite il s’adresse également aux aspirations des
couches populaires féminines. Pendant la décennie soixante-dix l’électorat
féminin s’étoffe auprès du parti socialiste. Les femmes réclament de devenir
citoyennes à part entière. En 1981, six femmes font partie du premier
gouvernement issu de son élection à la Présidence, gouvernement présidé par
PierreMauroy.
Parmi les mesures annoncées par Mitterrand en 1982, après de nombreux
débats,souslapressiondesféministes,lesdéputésvotentlaloidu31décembre
1982 qui institue le remboursement de l’IVG. Puis Yvette Roudy obtient, le
13juillet1983,levotedutextequ’elleafaitpréparersurl’égalitéprofessionnelle
entre les femmes et les hommes. Le texte prévoit la création d’un « Conseil
Supérieur de l’Égalité Professionnelle », auquel les entreprises de plus de
50personnessignatairesd’un engagementavec l’Étatsoumettentannuellement
lebilancomparatifdelasituationdessalariéshommesetfemmes.
Freinéesdansledomaineprofessionnel,lesfemmessontencorebloquéesdans
ledomainepolitique.Àl’initiativedel’avocateGisèleHalimi,legroupesocialiste
propose au vote de l’assemblée un amendement au projet de loi d’élections
municipalesdejuillet1982,amendementquilimiteà75%lapartdecandidats
dumêmesexesurleslistesmunicipales(pourlesvillesdetrentemillehabitants
et plus). Le texte est accepté par l’Assemblée et par le Sénat. Cependant en
novembre1982leConseilConstitutionnelinvalidecettemesured’actionpositive
aumotifquecetteloiestcontraireauprincipeconstitutionneld’égalitépuisqu’il
introduit une distinction entre candidats en raison de leur sexe (sic). La
juridiction suprême s’appuie sur l’article 3 de la constitution de 1958 et sur
l’article6delaDéclarationdesDroitsdel’Hommede1789.L’universalismede
1789,reprisparlaconstitutionde1958interditl’exercicedetoutediscrimination
positive. La position du Conseil constitutionnel est soutenue par François
Mitterrand.Cependantauniveaueuropéenl’idéedeparitéestmiseenreliefpar
leConseildel’Europeen1989.Intellectuellesetmilitantesdeplusieurspartisde
gaucheetmouvementsféministesfrançaistravaillentsurleconceptde«parité»
plusnovateurplussignificatifqueceluide«quota».Dansl’opinionpubliqueles
esprits sont marqués par la publication de deux ouvrages. En 1992 paraît Au
pouvoir, citoyennes ! de Françoise Gaspard et Claude Servan-Schreiber qui
montrechiffresàl’appuique,malgréleprinciped’égalité,lesfemmessontsous-
représentéesdanslesassembléespolitiques.Celaestlégalmaisinéquitableetla
parité serait, selon les auteures, la voie la plus efficace pour accéder à l’égalité.
L’ouvrage Femmes moitié de la terre, moitié du pouvoir publié en 1994 par
l’Association«Choisirlacausedesfemmes»deGisèleHalimiestunPlaidoyer
pourunedémocratieparitaire(1993).Elleécrit:«Unedémocratieoùlamoitiéde
l’humanitéestgouvernéeparl’autren’estqu’unecaricaturededémocratie,unÉtat
dedroitoùl’alternativeestd’acquiesceroudesedésintéresser.Danstouslescasde
sesoumettre.»
LE«MANIFESTEDESDIXPOURLAPARITÉ»LESPREMIÈRESÉTAPES
Le«ManifestedesDixpourlaParité»estpubliéen1996pardixanciennes
ministresdeGaucheet deDroite(journal L’Express,6 juin1996).Dansl’ordre
alphabétique les signataires sont Michèle Barzach, Frédérique Bredin, Édith
Cresson, Hélène Gisserot, Catherine Lalumière, Véronique Neiertz, Monique
Pelletier, Yvette Roudy, Catherine Tasca, Simone Veil. La suite de ce débat
autourdelaparitédemeurehouleuse.ÉlisabethBadinters’estexpriméedansun
article du journal Le Monde. Elleécrit : « Constatant l’échec de la république à
intégrerlesfemmesdansl’activitépolitique,lesparitairesneproposentrienmoins
que de changer de système politique et d’imposer la démocratie communautaire
desquotasimportéedesÉtats-Unis»(12juin1996).
Progressivementl’idéeparitaireafaitsoncheminetelles’estimposéecomme
recourspourforcerlarésistancedespartisàassurerunemeilleurereprésentation
desfemmesdanslaviepublique.Lecontexteinternationalaaussipeséàtravers
l’ONU, Le Conseil de l’Europe et les instances de l’Union européenne : une
forme de légitimation est née autour d’actions positives. La culture juridique
traditionnellefrançaiseadûcéderlepasàlaréalitédusiècle.
C’est pendant le second septennat de François Mitterrand que la montée en
puissance des femmes se fait jour dans le gouvernement. Les femmes
représententalors15%des membresdu gouvernementetleprésidentnomme
pour la première fois une femme comme Premier ministre. Édith Cresson en
mai1991,succèdeàMichelRocard.Elleaprécédemmentexercédiversmandats
locaux et elle a déjà été quatre fois ministre. Son gouvernement comporte six
femmes dont trois secrétaires d’État et trois ministres de plein exercice. En
quelques mois son impopularité atteignit des sommets, dans un contexte
d’hostilité générale à la politique mise en place par le PS. Elle fit l’objet de
campagnes de presse misogynes. Le gouvernement qui lui succède, celui de
Pierre Bérégovoy en 1992 comporte sept femmes dont trois ministres de plein
exercice. Martine Aubry, fille de Jacques Delors a été pendant ces deux
gouvernements ministre du Travail, de l’emploi et de la formation
professionnelle.Auseindesgouvernementsdel’époqueMitterrand,desfemmes
se voient confier les dossiers délicats des relations avec la Communauté
européenne. Édith Cresson est en 1988 ministre des Affaires européennes.
Élisabeth Guigou lui succède en 1990. Le ministère de l’Environnement est
confiéàSégolèneRoyalen1992.PendantledeuxièmeseptennatdeMitterrand,
le poids des anciennes élèves de l’ENA grandit mais au détriment de celui des
militantes. Leur parcours passe généralement par les cabinets ministériels où
elles travaillent plusieurs années avant d’être distinguées comme ministres.
ÉlisabethGuigou,ancienneélèvedel’ENA,atravailléaucabinetduministredes
Finances. Nommée ensuite ministre déléguée aux Affaires européennes, elle
assurelapromotionduprojetdutraitédeMaastrichtlorsdelapréparationdu
référendumen1992.
VERSLAPARITÉHOMMES-FEMMESLALOIDE2000
ETSESSUITES
En qualité de garde des Sceaux et ministre de la Justice Élisabeth Guigou
présenteen décembre 1998, pendantle mandat présidentielde Jacques Chirac,
un projet de loi constitutionnelle sur l’égalité Hommes-Femmes. Ce projet
impliquelamodificationdel’article3duTitre1delaConstitutionde1958:«De
la souveraineté ». Dans son discours de présentation du projet à la Chambre,
Madame Guigou fait appel à la mémoire d’Olympe de Gouges, militante des
droits des femmes pendant la Révolution et à celle de Condorcet, premier
hommeà avoirdéfendu publiquementl’accès desfemmes à lacitoyenneté età
une forme de parité dans l’éducation. Puis elle en appelle à la mémoire des
Résistantesetà«touteslesfemmesconnuesouanonymesdansleurhéroïsmeàqui
nous devons le droit de vote… ». Mme Guigou est aussi l’auteure de plusieurs
ouvrages dont Être femme en politique (1997), par lequel, elle est l’une des
premières à dénoncer le sexisme de l’univers politique français. Cet ouvrage
autobiographique raconte comment une femme qui réussit dans ses fonctions
politiques doit toujours prouver que sa nomination n’est pas due au genre de
compromissionsquel’onimagine!
Leprojetde1998aboutitle6juin2000:laloiditedeparitéhommes-femmes
est votée. Elle tend à favoriser la parité entre femmes et hommes dans la vie
publique.Lelibellédutexteresteprudent.Ilprésentelaloicomme:«tendantà
favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et
fonctionsélectives».Letextemetenplacedeuxmécanismes.Lorsdesscrutinsde
liste, cette loi oblige les partis à présenter, en alternance de rang 50 % de
candidats de chaque sexe, à l’unité près. Dans le cas du scrutin majoritaire
uninominal des législatives, cette loi établit une retenue sur les dotations
publiquesdespartisquin’auraientpasinvestienqualitédecandidatsautantde
femmes que d’hommes (à 2 % près). Ces deux mécanismes sont de nature
différente, le premier est coercitif, le second est incitatif. Cependant pour les
autresélectionssedéroulantauscrutinuninominalouplurinominalmajoritaires
(c’est-à-direl’électiondesconseillersdépartementauxetcelledessénateursdans
lesdépartementspeupeuplés)cetteloineseprononcepas.Quelquestextessont
venuscompléterlesdécisionsde2000pourexercerdavantagedecontrainte.La
loidu11avril2003étendauxlistesrégionalesleprincipedel’alternancestricte.
Laloidu31janvier2007introduitquatrenouveautés.
– Uneaugmentationdesretenuessurlesdotationsfinancièrespourlespartis
quinerespectentpaslaparitédesinvestituresauxlégislatives.
– Paritédanslesbureauxexécutifsdesrégionsetdesvilles(detroismillecinq
centshabitantsetplus).
– Pourlesvilleslaloiobligeàunealternancestrictedescandidatsdechaque
sexe(etnonpluspartranchesdesix)surleslistesmunicipales.
– La loi crée un poste de remplaçant pour les conseillers départementaux
imposantun«ticket»femme-homme.
Parlasuite,laloidu17mai2013abaisseleniveauapplicableàlacontrainte
paritaireauxcommunesdemillehabitantsetplusetétendl’obligationdelistes
paritairespourlesintercommunalitésdecescommunes.
La loi du 4 août 2014 prévoit le doublement des pénalités à l’encontre des
partisnerespectantpaslaparité.
Lors de la révision constitutionnelle de juillet 2008 à propos de la vie
professionnelleetsocialelesmesuresparitairesavaientétéactéesdansl’Article1
duPréambuledelaConstitutionde1958:«Laloifavorisel’égalaccèsdesfemmes
et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ainsi qu’aux
responsabilitésprofessionnellesetsociales».
DESFEMMESCANDIDATESÀL’ÉLECTIONPRÉSIDENTIELLE1974-2007:POURQUOI
PAS!
Unnouveausujetapparaîtceluidel’accèsdesfemmesàl’électionsuprêmede
laVeRépublique:laPrésidentielle.L’Article3delaloidu6novembre1962fixe
les conditions dans lesquelles un candidat peut se présenter à l’élection
présidentielle : toute personne présentée à titre individuel ou par un parti
politiquedoitêtreparrainée,au moins,parcentcitoyensquisontmembresdu
Parlement, ou du conseil économique et social ou conseillers généraux ou
maires. Cette règle est durcie après l’élection de 1974 par le Conseil
Constitutionnel qui porte à 500 le nombre de parrainages nécessaires. La
première candidate féminine qui se présente est Arlette Laguiller de « Lutte
ouvrière », en 1974. À la Présidentielle suivante, en 1981, trois candidates se
présentent. Puis en 2002 et en 2007 quatre candidates. Les candidatures
féminines les plus nombreuses sont celles de femmes appartenant à des petits
partisd’extrêmegauchequiutilisentlaPrésidentiellecommeunmoyend’accès
gratuitauxgrands médiasnationaux,accès queneleur permettraientpasleurs
moyensfinanciersréduits.Àl’extrêmedroite,MarineLePenestlacandidatedu
FrontNationalen2012,2017et 2022.Laprésidentiellede2007estparticulière
puisquedeuxpartisdegouvernement,tousdeuxsituésàgauche,choisissentl’un
etl’autreunecandidateféminine.Marie-GeorgeBuffetseprésentepourleparti
CommunisteetSégolèneRoyalpourlepartiSocialiste.LePSchoisitMmeRoyal
à l’issue d’une procédure de primaires fermée. Elle est désignée par 60 % des
adhérentssocialistesfaceàDominiqueStrauss-KahnetàLaurentFabius.Àcette
époqueSégolèneRoyalestprésidentedelarégionPoitou-Charentes,cedontelle
atiréunecertainepopularité.Danssondiscoursd’investitureennovembre2006
àLaMutualité,ellen’hésitepasàexposersonpointdevuegenré:
« Pour moi qui suis venue au socialisme par le féminisme et par la révolte
contre laplace subalterne assignée auxfemmes, comment ne pas voiren ce
jourunsymbole,aulendemaindelamanifestationdesfemmescontretoutes
les violences qui leur sont faites […] la lutte des femmes nous a donné des
figureséclatantes.Ilyaeulepanached’OlympedeGouges,quieutledroitde
monteràl’échafaudmaisjamaisceluidevoter.IlyaeuLouiseMichel,Rosa
Luxembourg, Marie Curie. Il y a eu la bataille du droit de vote et celle de
l’égalitécivilegagnéestardivement…»
Lors du premier tour des élections présidentielles de 2007 Ségolène Royal
recueille25,8%dessuffragesexprimés.EllearriveensecondeplaceaprèsNicolas
Sarkozy, mais à l’issue du second tour Mme Royal ne réunit que 46,9 % des
suffrages exprimés. Peut-être n’a-t-elle pas su mettre au rang prioritaire les
attentesdesjeunesfemmesducorpsélectoral,les18/24ans,commel’ontlaissé
entendrecertainssondages.
Une autre opposition entre candidat masculin et candidate féminine à la
présidence s’est déroulée en 2017, Marine Le Pen, candidate de la formation
d’extrême droite Front National, se présente face à Emmanuel Macron (En
Marche).MarineLePenobtient21,3%dessuffragesexprimésaupremiertouret
réussit àse qualifier pour le deuxièmetour. Mme Le Pen a tentéd’utiliser son
identité degenre pour chercher desvoix du côté des électrices.Dans les sujets
abordésparsonprogrammeelleproposaitd’êtreàl’écoutedesfemmesdontla
situation économique étaitfragilisée par la mondialisation, elle mettait l’accent
d’autre part sur les services publics, les crèches et une certaine lecture de la
laïcité.ElleestbattueparEmmanuelMacronavec66,10%contre33,90%.Cette
opposition des deux candidats est rejouée lors de la Présidentielle de 2022.
MarineLePenest,unenouvellefoisbattueausecondtourpar58,55%desvoixà
EmmanuelMacroncontre41,45%.
COMMENTLEGOUVERNEMENTSOCIALISTEA-T-ILFAITÉVOLUERLAPARITÉ?
Lionel Jospin est Premier ministre de la cohabitation pendant le premier
mandat présidentiel de Jacques Chirac. Il se trouve à la tête d’une gauche
plurielleets’appuiesurunnombrecroissantdefemmesdanssongouvernement.
En 1997, les femmes forment 30 % de ses effectifs gouvernementaux. Cinq
femmessontministresdepleinexercice.MartineAubryestministredel’Emploi
etdelaSolidarité,ÉlisabethGuigouestgardedesSceaux,CatherineTrautmann
est ministre de la Culture et de la Communication, Dominique Voynet est
ministre del’Aménagement du territoire et del’Environnement, Marie-George
Buffet est ministre de la Jeunesse et des Sports. Ségolène Royal est ministre
déléguéeà l’Enseignement scolaire.Observons que c’està cette périodeque les
femmesministresobtiennentd’êtreappelées«Madamelaministre»!
LesecondmandatdeJacquesChirac(2002/2007)semblecorrespondreàune
phase d’acceptationtardive par la droite du pouvoirpolitique des femmes. Les
différents Premiers Ministres de ce quinquennat confièrent des responsabilités
ministérielles importantes à des femmes. Le premier gouvernement de Jean-
PierreRaffarincomporte6femmessur27et,parmielles,MichèleAlliot-Marie
devientministredelaDéfense.
Lors de la campagne présidentielle de 2007 la majorité des candidats
promettent d’instaurer la parité gouvernementale. Force est d’observer que
Nicolas Sarkozy une fois élu ne tint pas ses promesses. Cependant dans le
gouvernementmisenplaceparlePremierministreFrançoisFillon,lesfemmes
composentuntiersdeseffectifs.DansledeuxièmegouvernementFillonaprèsles
législativesde2007,septfemmesdétiennentdesministèresdontRachidaDatià
la justice, Michèle Alliot-Marie à l’Intérieur et Christine Lagarde à l’économie,
aux finances et à l’emploi. Les femmes ont progressé dans l’exercice des
ministères régaliens. Dans la nouvelle génération des femmes politiques
apparaissent : Valérie Pécresse, Nathalie Kosciusko-Morizet, puis quelques
femmes issues de l’immigration : Rachida Dati, Fadela Amara et Rama Yade.
Certainesdecesfemmessontdesnovicesenpolitiqueetsontissuesdelasociété
civile. C’est le cas de Christine Lagarde, juriste de formation qui dirigeait un
cabinetd’avocats d’affairesetqui bénéficiade sonexpérience deministre pour
ensuitepartirsurlascèneinternationalecommedirectriceduFMI.
Lorsdel’alternancede2012,leprésidentdelaRépubliqueFrançoisHollande,
choisit pour Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Ce dernier forme un
gouvernementparfaitementparitaire:neufhommesetneuffemmesministreset
huit hommes et huit femmes ministres délégués. Ces femmes sont déjà des
professionnellesdelapolitiquedotéesd’uneexpérienceparlementaire:dixsont
députées,uneestsénatrice.Larenaissanced’unministèredesDroitsdesfemmes
estappréciée.CeposteestconfiéàNajatVallaud-Belkacem.UnHautconseilà
l’égalitéentrelesfemmesetleshommesestcréé.Ilfaitsuiteàl’observatoiredela
parité entre les femmes et les hommes avec des attributions élargies. Notons
cependant que les principaux ministères régaliens sont dévolus aux hommes à
l’exception de la justice confiée à Christiane Taubira. Najat Vallaud-Belkacem
fait une ascension rapide passant du ministère des Droits des femmes au
ministèredel’Éducationnationaleen2014.C’estlapremièrefemmeàoccuperce
postedansl’histoiredelaRépublique.
Lors de l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République en
2017, la parité est respectée au gouvernement d’Édouard Philippe : quinze
femmes sur vingt-neuf membres. Sur les seize ministres de plein exercice huit
sont des femmes. Deux femmes obtiennent des portefeuilles régaliens : Nicole
BeloubetàlajusticeetFlorenceParlyauxarmées.LaministreduTravailquiest
chargée de la réforme du Code du travail est Muriel Pénicaud, ancienne
Directrice généraledes Ressources Humaines dans le groupeDanone. Quant à
l’égalitéentrelesfemmesetleshommes,cettecausen’héritequed’unsecrétariat
d’ÉtatconfiéàMarlèneSchiappa.
Le gouvernement de Jean Castex en juillet 2020 applique la parité : huit
femmesparmilesseizeministres,maisunseulposterégalienestaccordéàune
femme.D’autrepartClaireLandetdevientsecrétairegénéraledugouvernement,
c’est la première femme nommée à ce poste depuis sa création en 1935. Le
Conseilconstitutionnel seféminiseun peu,lui aussi.Quatre femmesy siègent.
La dernière arrivée est Dominique Lottin, magistrate nommée en 2017 par le
présidentduSénat.
Si les assemblées se sont peu à peu féminisées, l’accès à la députation reste
difficile pour les femmes. La loi de 2000 sur la parité s’est mise en place très
lentement. C’est seulement après 2012, élections remportées par la Gauche,
qu’on observe une progression sensible du nombre de femmes dans les
assemblées : avec 155 députées élues, dont 140 socialistes, la féminisation du
Parlementatteintlaproportionélevéepourl’époquede26,86%.
Les élections législatives de 2017 ont un caractère disruptif. La part des
femmesdanslareprésentationnationaleatteintpresqueles39%.LaRépublique
enmarche(LRM)etleMoDemontrespectélaparitéabsoluedescandidatures.
Désormais le Bureau de l’Assemblée Nationale comporte près de 41 % de
femmes.Depuisleslégislativesde2022,pourlapremièrefoisunefemme,Yaël
Braun-Pivet,présidel’AssembléeNationale.
Le blocage des femmes à l’entrée du Sénat a été particulièrement difficile à
lever.Avantlaloisurlaparitéen2000lapartdesfemmesauSénatétaitde5,9%.
LapartdeséluesauSénatafranchilecapde46%en2020.
L’accès des femmes aux conseils départementaux (c’est-à-dire aux anciens
conseils généraux) a été également difficile. En 2011 les assemblées
départementalessontpour85%danslamaindeshommes.Laloidemai2013a
changéladonne,ellearemplacélescrutinuninominalparlescrutinbinominal
majoritairepourélirelesconseillersdépartementaux.Cependantdanslepouvoir
départemental la domination masculine demeure : 91 hommes présidents sur
101conseils.
Si l’on observe les pouvoirs locaux, après les municipales de 2020, plus on
monte dans la hiérarchie des villes plus la présence des femmes se raréfie :
rappelons que seules les communes de moins de 1 000 habitants échappent à
l’obligationdelaparitédeslistessoumisesauxélecteurs.Aussidepuis2021,les
conseils municipaux comptent 42,4 % de femmes. Cette quasi-parité ne se
retrouve pas au niveau des fonctions exécutives : seulement 19,8 % des maires
sont des femmes. On trouve souvent les femmes-maires à la tête de petites
communes, à l’exception de Paris et Marseille dirigées respectivement par
MadameHidalgoetMadameRubirolla(peudetemps,pourcausedesoucisde
santé).
L’emprisemasculinesurlepouvoirpolitiqueadurépluslongtempsenFrance,
que dans d’autres pays européens. La Ve République s’est construite sur le
caractère oligarchique du recrutement politique menant indirectement à
l’éviction des femmes. La réforme paritaire de 2000 porte lentement ses fruits
maiscecombatestloind’êtreachevépourlesfemmes.
LEMOUVEMENTFÉMINISTEDESANNÉES1990
Après que le bilan ait été fait sur cette période d’institutionnalisation du
féminisme, le mouvement féministe se mobilise à nouveau. Des menaces et
tentatives de régression pèsent sur les acquis des décennies précédentes. Des
commandos anti-IVG assaillent Tenon et d’autres hôpitaux parisiens où les
services d’obstétrique sont connus pour être favorables à l’IVG. En 1990 la
coordinationdesassociationspourledroitàl’avortement(CADAC)estcrééeà
Paris. Elle milite, à partir de 1992 pour la loi sur le délit d’entorse à l’IVG,
promulguée en janvier 1993. En 1996, l’inquiétude des femmes mène à la
naissance du Collectif nationalpour les droits des femmes (ou CNDF) dont le
but est de coordonner l’action des associations féministes, et des « groupes de
femmes»quisesontconstituésdansdespartispolitiquesetdansdessyndicats.
Chez les militantes de la CADAC, on compte des féministes de longue date
dont Maya Surduts (1937-2016) et Suzy Rojtman (née en 1953). À la même
périodeFlorenceMontreynaud(néeen1948)publiele8mars1999leManifeste
des«Chiennesdegarde».ElleaétéunedesparticipantesengagéesauPlanning
familialetauMLF,puiss’estinvestiedansl’associationdesfemmesjournalistes
crééeen1981.Elleestl’autriced’unouvrageremarquéLeXXesiècledesfemmes
paruchezNathanen1989.LeManifestedesChiennesdegardeestrédigéàune
époque où les insultes sexistes se multiplient dans la vie politique et dans les
médias:
« Nous, chiennes de garde, nous montrerons les crocs. Adresser une injure
sexiste à une femme politique, c’est insulter toutes les femmes. Nous nous
engageonsàmanifesternotresoutienàtouteslesfemmespubliquesattaquées
entantquefemmes…»
Leterme«Chiennesdegarde»afaitjaser!Ildésignedanslemondeanglo-
saxon une personne ou une organisation chargée de surveiller le respect des
règles et des lois. Les chiennes de garde, à leurs débuts, sont raillées par les
médiasetlaTV:peuimporte,ellesagissent.
Des initiatives voient le jour dans le milieu féministe, en 1992, où paraît le
journal parodique Marie pas claire, dont la diffusion, au demeurant modeste,
cesseen1999.Cesjeunesféministesmanientl’humour,lacaricatureetmêmela
BD. Caroline Fourest (née en 1975), journaliste de profession, fonde la revue
Pro-choixen1997.ElleestnomméeprésidenteducentregayetlesbiendeParis
en1999lorsdesdébatsquiprécédèrentlevotedelaloisurlePACS.
En1999estfondéel’associationMix-Cité(activejusqu’en2013).Sonobjectif
estdeluttercontrelesexisme.LaprésidenceestassuméeparClémentineAutain
et Thomas Lancelot. L’esprit du mouvement est de traiter du sexisme dans un
cadre réunissant femmes et hommes, car les relations stéréotypées issues du
patriarcat appauvrissent aussi bien la réflexion des hommes que celle des
femmes.
Les jeunes féministes créent de nouvelles structures pour agir, soit par
méconnaissance des structures déjà existantes, soit par volonté de se retrouver
entreacteursdelamêmegénération.Destensionssefontjouraveclesféministes
historiques. La nouvelle génération ne rejette pas l’héritage des militantes plus
âgées,maislesméthodesd’actionontévolué.Lesparcoursdeviedesmilitantes
denouvellegénérationsontsouventplusdifficilesetplusmarquésàgaucheque
ceux qu’ont connus les militantes précédentes ! Figure caractéristique de ces
nouvelles militantes, Clémentine Autain étudiante militante à l’UNEF et à
l’Union des étudiantes communistes fait ses études d’Histoire à l’université
ParisVIII-Vincennes.Ellefaitpartieducollectifféministecontreleviolcrééen
1985.
LESFRACTURESAPRÈS2000,LESCONTROVERSES
Lescombatsféministesseréarticulentautourdenouveauxenjeuxpolitiques.
Lesattentatsdu11septembre2001àNewYork,l’arrivéeducandidatJean-Marie
Le Pen du Front National au deuxième tour des élections présidentielles
françaises de 2002, la volonté d’articuler la lutte des droits des femmes avec la
lutte contre d’autres inégalités s’imposent. La démocratisation de l’accès aux
ordinateurs et à internet alimente de nouvelles revendications ou donne de
l’ampleuràleurdiffusion.
L’évolutionmajeuredela luttedesféministesest l’intégrationduconceptde
genre. Le concept de genre avait été formalisé par l’historienne Joan Scott en
1984 aux États-Unis et s’était ensuite diffusé peu à peu en Europe. Le genre,
constructionsocialeetculturelledelaféminitéetlamasculinitéàpartirdusexe,
a été défini par Joan Scott comme : « … un élément constitutif des rapports
sociauxfondé sur des différencesperçues entre lessexes et le genreest une façon
premièredesignifierdesrapportsdepouvoir».Lemotetleconcepteurentdumal
àêtreacceptésetcomprisenFrance,commelerappelaitl’historienneFrançoise
Thébaud dans son ouvrage Écrire l’histoire des femmes et du genre (éd. ENS,
Lyon,1998etréédition2007).
La venue sur scène aux États-Unis de chercheurs et chercheuses d’origine
africaine et/ou caribéenne a contribué à modifier la manière de concevoir les
rapportsentrelessexes.Laconstructiondugenredanslessociétésauxquellesils
appartiennent se différencie des constructions en usage dans les sociétés
Blanches occidentales. Prolongeant cette analyse des différences sociales et
culturellesdugenre,ungroupeféministelesbienavoululuttercontretoutesles
formes d’oppression, de race, de classe, de sexe. Il a cherché à comprendre les
effetsproduitsparlesimbricationsentreplusieurstypesd’oppression.Leterme
utiliséà ceteffet est« intersectionnalité». Àpartir delà sesont développésde
nouveauxchampsd’étude:«gaysandlesbianstudies».
Les«queerstudies»remettentencauselanormehétérosexuellequin’aurait
de sens que comme norme sociale historique. L’ouvrage principal sur ce sujet,
paruauxÉtats-Unisen1990estceluiJudithButler:Troubledanslegenre.Pour
unféminismedelasubversion.Latraductionfrançaiseaétépubliéeen2005(aux
éd.deLadécouverte).JudithButler(néeen1956)estphilosophedeformation.
Elleaestimédanssestravauxderecherchequelesexeestunedonnéeconstruite
etquec’estlegenrequicréelesexe.Cesrecherchesontcontribuéindirectement
àdévelopperenFranceunesociologieetunehistoiredessexualitésenremettant
en lumière les pratiques transgenres. Un autre courant plus tardif des queer
studies s’est manifesté en France : il s’agit de recherches postcoloniales. Ce
courantd’étudesprendsesracinesdansl’histoiredel’impérialismeaméricainet
descolonialismeseuropéens.EnFrance,les queerstudiesontétéaniméesparles
travaux et les rencontres organisées par Marie-Hélène Bourcier (devenue Sam
Bourcier). Le séminaire Zoo, « Identités et sexualités, performance et
performativité » avait pour objet de développer des études gays, lesbiennes et
queerauseindel’université.Lesrencontresdu«Zoo»ontpermislapublication
d’ouvragesàpartirde2001.BeatrizPreciado(devenuePaulB.Preciadoaprèssa
transition)apubliél’ouvrage TestoJunkie.Sexe,drogueetbiopolitiqueen2008.
Le féminisme Queer se présente selon un positionnement militant. Le collectif
« Les panthères roses » à Paris en 2003 s’affirme contre l’hétéro-patriarcat et
contrelapolitiquenéolibérale.
Lesapprochesthéoriquesdesétudessurlegenresontfondéessurlavolontéde
contesterlaprimautédel’existenced’unenature.L’Églisecatholiqueréagit,dès
la fin des années 1980, à ce courant de pensée par de nouvelles approches
théologiquessurlerôledesfemmesdanslasociété.LepapeJean-PaulIIrédige
en1988unelettreapostolique«MulierisDignitatem»quiromptavecl’approche
traditionnelle de la place des femmes dans la religion catholique. Sur le long
terme,l’ambitionduVaticann’estpasseulementd’édicterunelignedeconduite
pour les chrétiens mais vraisemblablement d’exercer des pressions morales sur
lesopinionspubliquesenOccident.
Le projet de Pacs est une conséquence directe des débats provoqués par le
féminisme queer. Les « catholiques identitaires » se sont mobilisés contre ce
projet.Malgréleurmobilisation,leprojetfutvotéparleParlementen1999.
Leministèredel’Éducationnationaleen2013/2014(ministreVincentPeillon)
introduit le projet des ABCD de l’égalité à titre expérimental dans quelques
écolesmaternellesetélémentairesdansplusieursacadémies.L’objectifduprojet
estdesoumettreàlaréflexiondesenfantslapossibilitéd’unmodèlederelations
entremasculinetféminindifférentdumodepatriarcalqu’ilsontsouslesyeux.
Unecampagnemalveillanteestlancéesurlesréseauxsociauxpardesgroupesde
parents issus des milieux conservateurs et extrémistes prétendant que le
ministèreavaitvouluintroduireàl’écolela«théoriedugenre»(sic)etdonner
auxenfantsunevisioncritiquedel’hétérosexualité.Unemobilisationorchestrée
parlapressededroiteetlespartisd’extrême-droiteaboutitàlasuppressiondu
projet.
1989-2004.DEL’AFFAIREDU«VOILE»AUCOLLÈGE
ÀLAQUESTIONDU«FOULARD»DANSL’ISLAM
La fragmentation idéologique des courants féministes, dans la mesure où ils
exercent des pressions pour le respect des différences de genre ouvrent
involontairementla porteaux demandescommunautaristes.Le développement
del’affaireditedu«voile»quidébuteen1989a-t-ilétéparadoxalementfavorisé
par le courant de réévaluation des rôles de la femme au sein de la société qui
naissait à l’époque dans certains milieux féministes ? Des jeunes filles
collégiennesdeculturemusulmanescolariséesdansuncollègepublicdeCreil,au
norddel’agglomérationparisienne,semettentàportersystématiquement«un
foulard » sur le chemin et dans l’établissement où elles sont scolarisées. Des
adultes, des professeur.e.s attaché.e.s au respect de la laïcité républicaine dans
l’espacepublicmanifestèrentleurinquiétude.Onrecherchalesoriginesdecette
pratique. L’affaire des foulards fut amplifiée par les médias et devint celle du
«voileislamique».Lesféministessesontvitediviséessurlapositionàadopter
suruntelsujet.Pourungrandnombredeféministes«universalistes»,leportdu
foulardouduvoileapparaîtcommeunsigned’aliénation,voireunsymbolede
soumissionsexistedanslaculturedel’Islametn’apassaplaceenFrancedansun
Étatrépublicain. Desprofesseur.e.sde polytechniquelancent unappel dansun
article du Nouvel Observateur pour la défense de la laïcité. L’avocate Gisèle
HalimiorganiseunmeetingàParisàlasalledelaMutualitépourlerespectdela
laïcité et de la dignité des femmes. Les principales personnalitésdu PS suivent
cettevoie.Cependantdesdissidentsestimentquel’attitudedecesjeunesfillesde
Creil doit être tolérée afin de ne pas rompre avec leur présence à l’école
républicaineauxcôtésdeleurscamarades.L’affairedufoulardprendensuiteune
tournure différente : celle d’un combat contre « l’islamisme » (sic) et
l’immigration. Les médias, dont la TV, s’emparent du sujet. Des incidents se
déclarentdansquelquesétablissements.Fauted’unedoctrine gouvernementale,
ils reçoivent des traitements aléatoires de la part des autorités administratives
locales. Le gouvernement de Lionel Jospin fait appel au Conseil d’État qui
confirme«lalibertéd’expressionetdemanifestationdecroyancesreligieuses»,
maisprécisequecelanedoitpasentraînerdeperturbationsdansledéroulement
des activités d’enseignement. À la rentrée de septembre 1994 le ministre de
l’Éducation nationale, François Bayrou, adresse une circulaire aux chefs
d’établissements pour modifier le règlement intérieur et condamner tout
«prosélytisme»etleportde«signesreligieuxostentatoires».Unemédiatriceest
nomméeparleministèrepourintervenirauprèsdesjeunesfillesconcernéesdans
les diverses académies où cette question se poserait afin de dialoguer avec les
élèves. Peu après la circulaire du ministre est cassée par le Conseil d’État ; ce
dernier laisse aux chefs d’établissement le soin d’apprécier dans chaque cas la
situationlocalepourtrouverunesolutiondialoguée.Danscecontextel’attentat
terroristedeNewYorkle11septembre2001relanceledébatgénéralsurlaplace
del’Islamdanslespaysdecultureoccidentaleetlaïque.
En2003,ducôtédesintellectuelsunrapprochements’esquisseentreÉlisabeth
Badinter, philosopheet Fadela Amara,fondatrice de l’association « Niputes ni
soumises»(NPNS).NPNSdénoncelespressionsquesubissentlesjeunesfemmes
deculturemusulmanedansles«quartiers»enraisondel’intégrismeislamique
de leur environnement. L’idée d’une loi pour régler ce conflit fait son chemin,
tandisquediversincidents continuentd’émaillerlaviescolaire,plutôt dansles
banlieuessensibles,oùlapopulationdeculturemusulmaneestplusnombreuse.
Unrapportofficielestcommandéparlegouvernement.Ilestétablietpubliépar
lacommissionStasi(mars2004).Unecirculaireestalorsmiseenapplicationpar
l’Éducation Nationale en mai 2004 : elle préconise l’interdiction des « signes
ostentatoires » qui manifesteraient une appartenance religieuse quelle qu’elle
soit.
Cettequestionsurleportdesignesextérieursd’appartenancereligieusedans
lesétablissementsd’enseignementa,fatalement,relancélaquestionduportdes
mêmessignesdansl’espacepublic.Surcettequestionlesféministessontdivisées.
Certaines réclament une laïcité « intransigeante » au nom d’un féminisme
universalisteetrépublicain.D’autresseréclamentd’une«laïcitédeneutralité»et
adoptentunepositionniloi,nivoile!Enfinunetroisièmetendancedéfendune
« laïcité inclusive » : il s’agit là de personnes et de collectifs qui défendent les
droitsdesfemmesengénéral,dontceluidepratiquerleurreligioncommeellesle
veulentsurleterritoirefrançais.
Survient alors, en octobre 2002, le meurtre d’une jeune fille de culture
musulmane Sohane Benziane, brûlée vive par un jeune homme à Vitry-sur-
Seine.Duconstatdel’actedebarbarieàlacompréhensiondesamotivationon
en vient à une réinterprétation proposée par Fadela Amara : celle d’un crime
sexiste. L’association NPNS entend mener une lutte féministe contre
« l’obscurantisme islamique et l’intégrisme religieux » dont sont victimes les
femmes des « quartiers populaires ». Ce mouvement prend de l’ampleur,il est
relayé par les médias lors de la manifestation du 8 mars 2005, journée
internationaledesfemmes.PendantcettepériodelasociologueChristineDelphy
avaitinitiédès2004lecollectif«Féministespourl’égalité»afindeluttercontre
tous les types de discriminations et accorder le libre choix aux femmes
musulmanesdeporterounonlevoiledansl’espacepublic.
PendantlaprésidencedeNicolasSarkozy,laloivotéeenoctobre2010interdit
toute dissimulation du visage dans l’espace public. En 2011 la directive du
ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel, interdit aux mères de famille
portantlefoulardd’accompagnerlessortiesscolairesdeleursenfants.
Progressivement,lesféministessocialistesprennentpartaudébat.Certainesse
revendiquent comme musulmanes laïques de France, comme d’autres se
considèrentcommejuiveslaïques.LaviolencedesattentatsislamistesenFrance
a exacerbé les débats. Une nouvelle génération d’activistes féministes
musulmanes se présente sur la scène publique. L’association Lallab (fondée en
2016) défend les droits des musulmanes qui sont à la croisée de plusieurs
oppressions:lesexisme,leracismeetl’islamophobie.Elleasoutenulapremière
femme qui a porté plainte pour violence sexuelle contre le prédicateur Tariq
Ramadan.
Autrethèmemajeurdesluttesféministes:laprostitution.Lamarchandisation
du corps féminin est un thème de lutte central parce qu’elle contredit une
revendicationfondamentaledumouvement:«moncorpsm’appartient».
En France laprostitution est encadrée, depuis 1946, parla loi dite « Marthe
Richard».Celle-ciinterditlesmaisonsdetoléranceetrenforcelaluttecontrele
proxénétisme.L’espritdutexteestderendreleurlibertéauxfemmesvictimesdes
tenanciers d’établissements ou de proxénètes si elles exercent dans la rue. La
réalitéestmoinsidylliqueetprofitesurtoutaucrimeorganisé.Àpartirdudébut
desannéessoixantelaFrances’estralliéeauxthèsesabolitionnistesetaaccepté
de ratifier la convention de l’ONU de 1949. La sexualité vénale est alors
considéréecommeuneactivitéprivée.Seulleracolagedesclientsestpoursuivi.
Desassociationsprivéescomme l’Amicaledunid, fondéeaulendemainde1945,
s’occupent du traitement des effets sociaux de la prostitution. Un mouvement
collectifdeprostituéesetdeféministeslyonnaisessedéveloppeàpartirde1975,
l’église Saint-Nizier est investie par cent à deux cents « travailleuses du sexe ».
Leursrevendicationssontmultiples.Ellesportentaussibiensurleursdifficultés
de mères célibataires pour s’occuper de leurs enfants que sur l’arbitraire des
policiers dont certains « taxent » les femmes qui vendent leur corps. Elles
protestentcontrelepeud’empressementdelapoliceàrechercherlesauteursdes
crimes dont trois d’entre elles ont été les victimes. Malheureusement, aucun
dialoguenes’engageaveclespouvoirspublics.Lapoliceintervientbrutalement
pour faire évacuer l’église. Les prostituées ne réussissent pas à se doter d’une
organisation durable et leur mouvement s’essouffle même si certaines d’entre
ellesessaientdefaireconnaîtreleursituationàtraverslapresse.Pourplusieurs
courants féministes en France, il n’est pas tolérable de dissocier « exploitation
sexuelleetexploitationéconomique».En1984GayleRubinpublielelivrePenser
le sexe. Pour une théorie radicale de la sexualité. Elle s’oppose aux idées des
féministesabolitionnistes.Certainsdiscourssurlaprostitutionsontassimilésàla
libération sexuelle et se diffusent sur une trentaine d’années. Oui mais quel
contrôlesanitaireface auSIDA? CertainsdéputésdeDroite n’ontpashésité à
parlerdelaréouverturedes«Maisonscloses»pourl’exercicedelaprostitution
dansuncadresanitairestrict.
Lepartisocialistedéposeunepropositiondeloienoctobre2013,danslebut
«defaireprendreconsciencequelaprostitutionestdansl’immensemajoritédes
cas une violence à l’égard de personnes démunies et une exploitation des plus
faibles par des proxénètes… ». Ce texte s’appuie sur les travaux de la Mission
d’informationdel’AssembléeNationalesurlaprostitutionenFrance.Surleplan
pratique, cette dernière propose de renforcer la lutte contre les réseaux qui
utilisentInternet.
Laloicontrelamarchandisationducorpsàdesfinssexuellesaétéadoptéeen
avril2016,maiselleaaboliledélitderacolage,remplacéparlaverbalisationdu
client.LeStrass,Syndicatdutravailsexuel(Strass),crééen2009,resteendehors
du débat. Sa position n’est ni abolitionniste ni réglementariste. Sa position est
fondée sur le droit de chacun à disposer librement de son corps. Il intègre la
situation particulière des migrantes. Le Strass a présenté un recours devant le
Conseil Constitutionnel contre les mesures de pénalisation du client de la loi
d’avril2016.LeConseilConstitutionnelen2019n’apasinvalidélapénalisation
duclient.Danscecontextedestravailleursettravailleusesdusexeexerçantsurle
territoire français ont saisi la Cour européenne des Droits de l’Homme en
décembre 2019 et ils/elles ont été soutenus par dix-neuf associations, dont
quelques-unes féministes, qui défendent la santé et les droits des personnes
concernéespar«lecommercedusexe».Pendantladécennie80estapparuen
France, en provenance des États-Unis un mouvement féministe « prosexe ». Il
estimequ’ilfautcesserde«victimiser»lesprostituéesetqu’ilestnécessairede
légaliser la prostitution. Le féminisme abolitionniste se bat contre ce courant
prosexe. Les féministes prosexes revendiquent aussi un autre droit celui de la
pornographieféministe.CemouvementestaussivenudesÉtats-Unis.Ilestime
que les femmes doivent prendre le pouvoir sur leurs sexualités et sur les
représentationsdecelles-ci.Cemouvements’estdéveloppéenparallèleavecles
productions Queer de films pornographiques circulant sur Internet avec pour
ambitiond’intégrerlesdifférencesderace,desexe,degenre(féminin,masculin,
trans). Dans le même esprit prosexe l’écrivaine Virginie Despentes a rédigé
Baise-moi(1993)etenatiréunfilmen2000.Cedernierasuscitéunepolémique
enraisondelaviolencedesimagesetdesscènesdesexenonsimulées.En2006la
même écrivaine a publié une sorte d’autobiographie King Kong Théorie : elle
prétend qu’il s’agit d’un manifeste pour un nouveau féminisme, il engloberait
« les moches, les vieilles, les frigides, les imbaisables… » (sic). Ce livre aborde
aussilaquestiondelaprostitution,lapornographie,sansomettreletraumatisme
duviol.VirginieDespentesévoque,aprèsavoirsubiunviol,sonparcoursdansla
prostitution, la pornographie comme des éléments sur le chemin de sa
«reconstruction»personnelle.
QU’ENEST-ILDES«NOUVEAUX»FÉMINISMES
DEPUISLADÉCENNIE2010?
LACONSTITUTIONDELAVERÉPUBLIQUEETL’ESPOIR
DEL’INSCRIPTIONDUDROITÀL’AVORTEMENTDANSLALOI
Aprèsunlongcheminement,lesdéputésontadoptéle24novembre2022par
337voixcontre32unepropositiondeloiportéeparlagaucheetsoutenueparla
majorité présidentielle, visant à inscrire le droit à l’avortement dans la
Constitution.Letexteproposed’inséreràl’article66delaConstitutionde1958:
«Laloi garantitl’effectivitéetl’égal accèsaudroità l’interruptionvolontairede
grossesse ». Il convient ensuite d’obtenir l’accord du Sénat, indispensable pour
uneréformeconstitutionnelle.Elledoitêtrevotéedanslesmêmestermesparles
deuxassemblées,puisêtresoumiseàunréférendum.
LeHautconseilàl’égalitéentrelesfemmesetleshommes(HCE)s’estexprimé
dansuncommuniquédepresse«IVG:levotehistoriquedel’Assembléenationale
reflètel’attachementdelapopulationfrançaiseàcedroitfondamental2».
VoirEncadrén°7
NometidentitédesfemmesmariéesenFranceaudébutduXXIesiècleetnomdeleursenfants
2. Le contexte international a marqué les esprits lorsqu’en juin 2022 la Cour Suprême des États-Unis a
abrogél’arrêt RoevsWadede1973donnantdésormaisauxétatsfédéréslacompétencedelégiférersur
l’avortement.Danslasituationde2022,bonnombred’États,sousl’influencedupartirépublicain,sont
favorablesàlasuppressiondel’accèsàl’avortement.IlconvientaussidenotercommelefaitleHCEque
des dangers se profilent sur ce sujet dans l’Union européenne à travers l’attitude de régression dans
certainsétatsmembres,dontlaPologne.
CONCLUSION
DUPASSÉAUPRÉSENT.
ITINÉRANCES…
À nos lectrices et lecteurs, ces quelques pages de conclusionqui retracent le
longcombat menépar lesfemmes pourla juste reconnaissancedela place qui
doitêtrelaleurauseindelasociété.Cettejusteluttecontinuedenosjours,après
les évolutions majeures survenues après la Seconde Guerre mondiale. Il ne
viendrait à l’idée de personne de nier que dans une société où les femmes
assument des responsabilités élargies, les relations sociales gagnent en intérêt,
quel’exclusiontendàreculeretquelaviolencedesconflitstendàs’apaiser.Au
cours de ce long cheminement à travers les siècles, les conquêtes sociales
successivesdesfemmes ontmisen évidencelaprimautéde l’intelligencesurla
force physique et la supériorité des résultatsobtenus par la négociation sur les
fruitsempoisonnésdel’affrontementviolent.Peut-êtreaussipeut-onreconnaître
dans cette histoire des femmes la conquête de certaines clés du bonheur qui
faisaientdéfautàl’humanité.Nousestimonsquel’onsedoitdelesenremercier.
Rappelons-nousici,combienlecheminfutlongpourquelestatutdelafemme
passedereproductriceàceluidepartenairedel’hommeetdegestionnairedesa
proprevie.
Au début de cet ouvrage, nous avons évoqué brièvement comment le statut
privilégiédontjouissaientlesfemmesauseindel’EmpireromainenOccidentfut
balayé,avec les structurespolitiques et économiques,au Ve sièclede notre ère,
par les infiltrations et l’installation d’étrangers, venus des marges du limes, les
«barbares».Lesfemmesentrentalorsdansunelonguenuitquidurajusqu’àla
fin du Moyen Âge, au quinzième siècle. Les chroniques des clercs de la
chrétienté, qui tiennent lieu d’histoire de l’époque, ne mentionnent jamais les
faitsetgestesdefemmesdecettelongueépoque,sicen’estcelles«touchéespar
ledoigtdeDieu».SainteGenevièveetlareineClotildeémergentdansl’histoire
de l’époque mérovingienne, car elles sont à l’origine de la conversion du roi
Clovis et de ses proches au christianisme. Plus tard au XIII e siècle, le rôle de
Blanche deCastille mère etrégente de son fils leroi Louis IX (saintLouis) est
chroniquécarsonenseignementconduisitsonfils,àlasainteté.Quelquesautres
femmesontétécélébréesparlestextesdel’époqueenraisondeleurérudition:
Christine de Pisan auteure d’ouvrages d’érudition théologique, Marguerite
Porètepoètemystique.Enfin,Jeanned’Arcprophétessecombattanteinspiréequi
donna sa vie pour la libération de son pays. Ce sont les seules femmes qui
«existent»enFrancependantlalongueépoquemédiévale,soitprèsdemilleans.
Les autres femmes furent, privées d’accès à l’instruction, privées de droits,
privéesdeleurcorps,privéesd’existencemémorielle.
Ausortirdelalonguenuitdumédiéval,avecl’humanismedelaRenaissance,
etlanaissancedel’imprimerie,lasociétés’ouvritàl’idéequelapossessiondela
terre ne représentait pas l’ultime bien qui méritât que l’on s’entretue et prit
consciencedecequ’étaientl’artetlaculture.Lesguerres(encore!)d’Italiefurent
lepointdedépartdecetteprisedeconscience.Uneélitefortunéeeutlesmoyens
desatisfairecettenouvellemodeetlesfemmesappartenantàcettesociétéyont
trouvéunterraind’excellencequileurapermisderévélerleursqualités.Louise
de Savoie, veuve et mère du futur roi François I er donne une éducation
exceptionnelle à ses enfants, François et Marguerite de Valois-Angoulême
(futurereinedeNavarre).Leursjeunesespritssontnourrisparladécouvertedes
ouvrageséclectiquesdelabibliothèqueroyaledeBlois.Maisbienquelasociété
de l’époque soit marquée par les arts venus d’Italie, la structure des groupes
sociauxresteencorecelledelaféodalité.émanationdelachrétientéoccidentale,
les trois ordres (ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui travaillent)
constituent une structure où les femmes actives demeurent invisibilisées.
Quelques«damesdequalité»,quelquesmonialesontaccèsausavoiretauxarts
bienquecelasoitleprivilègedecellesquisontprochesdesprinces.Quantàla
possessionetlagestiondesbiensmatériels,lesdroitsdesfemmessontdéfinispar
des règles patrimoniales anciennes qui varient d’une province à l’autre. Ces
règlesonttoutefoisunpointcommun:lesfemmesnegèrentrien,pasmêmece
qu’ellesontapportéendot.Leurmariageestlefruitd’uncontratnégociéparleur
famille. Les femmes n’appartiennent pas à l’histoire, si ce n’est celles qui sont
prochesdesprinces.C’estainsiquenousconnaissonslapersonnalitéfascinante
et la destinée de Marguerite de Valois-Angoulême : proche des humanistes
réforméscombattustardivementparson frèreleroiFrançoisI er,ellelaissaune
œuvrelittérairepoétiqueetdiversifiée.ElleépousaAntoinedeBourbon,mariage
quifitd’elle lareinedeNavarre. D’autresfigures,encore,ontmarqué lesiècle.
DianedePoitiers,favoriteduroiHenriII,futunemécèneinfluente.Catherine
de Parthenay érudite protestanteet dramaturge fut l’épouse en secondes noces
d’Henri II de Rohan et fut faite prisonnière avec les derniers défenseurs de
LaRochelle.Enfin,Jeanned’AlbretfilledeMargueritedeValois-Angoulêmeet
d’Antoine de Bourbon, devint reine de Navarre. Elle développa la pratique
calviniste sur ses terres, pratique dans laquelle elle éduqua son fils le futur roi
HenriIV.
AuXVII esièclelesfemmestraversentunsiècledefeu,deguerres,degloireet
d’hégémonie masculine contestée. Si une femme de la Renaissance devait être
proche des Princes pour pouvoir espérer exister, ce nouveau siècle change les
règles : on peut désormais « exister en tant que femme », sous réserve
d’appartenir à une modeste aristocratie au moins. Cette époque passe de la
culture baroque au classicisme. La période, politiquement agitée en raison de
l’extensionduprotestantismeetdel’hostilitédesétatsvoisinsquineveulentpas
d’une France trop puissante en Europe connaît deux régences an cours
desquelleslepouvoirsuprêmereposeentrelesmainsd’unefemme:larégencede
Marie de Médicis après l’assassinat du roi Henri IV et la régence d’Anne
d’Autriche à la mort du roi Louis XIII. Dans ce contexte, quelques femmes de
l’élitesocialeosentpenser,agir,écrireetpublier,parfois,leursœuvres.Lerègne
deLouisXIIIavaitmisenplacel’exercicedelaraisond’Étataveclapersonnedu
ministre Richelieu,la régence d’Anned’Autriche connut avec Mazarin,la lutte
contrelaFronde.LouisXIVcommencesonrègnepersonnelen1661etn’eutde
cesse,avecl’appuideBossuetqued’affirmerlamonarchieabsoluedeDroitdivin.
Faitnouveau: devantlaterriblemisère provoquéeparlesguerres continuelles,
desfemmess’engagentauprèsdespauvresetdesmalades.LouisedeMarillacet
quelquesfemmes courageusesviennent épauler l’actionde Vincent dePaul, en
créantl’ordredes«Fillesdelacharité»connuplustardsouslenomde«sœurs
deSaint-Vincent-de-Paul».
Une législation applicable à l’ensemble des provinces du royaume se met
lentement en place. Les nécessités économiques amènent le roi et son
administrationàsubstituerauxusageslocauxdesrèglesécritescommunes.Ces
transformationsontdeseffetssurlecontratdemariage,leshéritagesetlestatut
desfillesetdesfemmes.Toutetransmissiond’unpatrimoinerequiertdesactes
notariésencadrantlespratiquesfamiliales.Maislemariageresteuncontratscellé
parlesacrementchrétienetiln’estpaspossibledelerompre.Dansderarescas
complexes les femmes peuvent tout au plus réclamer une séparation de corps
maisellesnepeuventrécupérerl’utilisationdeleurdot.Lesfemmesnedisposent
d’aucun droit civil, elles ne peuvent ester en justice ni être témoin devant un
tribunal ! Dans la France d’Ancien Régime coexistaient cependant des
différencesrégionales dansle système deshéritages, mais lesfemmes étaientle
plussouventléséesoutenuesàl’écartdesdécisionsdegestionpatrimoniale.
L’inégalitéentrehommeset femmesconcernemêmeledomainede lasanté.
Faceauxmédecins,auxchirurgiens,(toujoursdeshommes)l’expressiondeleurs
discours sur leurs maladies n’est pas entendue. Rien n’est connu de leurs
sensations aux époques de la vie, enfance, puberté, sexualité, grossesse,
accouchement, ménopause. La perception des médecins reste un héritage des
connaissances confuses de l’Antiquité et des progrès effectués sous la
Renaissance en anatomie. Dans le domaine de l’accouchement, le savoir-faire
essentielestceluidesmatronesetdessages-femmes.Danslaplupartdestraités
del’époque,lesobstétriciensconsidèrentlagrossessecommeunétatpathogène.
Letauxdemortalitédesmèresresteélevé,livrantàlasociétéungrandnombre
d’enfantsorphelinsetdejeunesveufs.
L’accès des filles et des femmes au savoir connaît une avancée certaine au
XVIIe ,endépitdesinégalitéssocialessurcesujet.L’enseignementtransmisdans
les milieux de la bourgeoisie modeste concerne surtout la manière de gérer la
maisonnée, les enfants, la domesticité, les livres de compte, sans oublier la
pratiquedestravauxd’aiguilleetl’entretiendesvêtements.
Les salons littéraires sont, pour une élite restreinte, une exception de
sociabilité.Desfemmesdel’élitenobiliaireetparfoisdelabourgeoisiedeRobe
peuvent recevoir des amis, des écrivains, des musiciens dans leur propre
demeure. À Paris, ce fut le cas pour Catherine de Rambouillet dès l’époque
d’HenriIVetdeLouisXIII.Cespratiquesinitientlesréunionsdesprécieuseset
leur volonté d’écrire voire de publier des ouvrages, fut-ce sous le sceau de
l’anonymat.EnsontissuslesromansdeMadeleinedeScudéryoudeMadamede
La Fayette. Les salons ont aussi pour objet de parler aux hommes et de
«débrutaliser»lespassions.Cesfemmessouhaitentlesguiderdanslessentiers
delaCartedeTendreàlarecherchedecheminementsamoureuxapaisés.
Le XVII e, enfin, fut l’époque où quelques femmes accédèrent à un domaine
jusque-là non exploré de la création artistique : on recense à cette époque
quelquesfemmespeintresetquelquescompositrices.
LeXVIIIe siècleestceluidesremisesenquestion.LesLumières etl’élandonné
par la philosophie furent un espoir pour les femmes, mais un rendez-vous
manqué. La findu règne de Louis XIV en 1715 etles débuts de la Régence de
Philipped’Orléanslaissentaugurerdemouvementsmodernesetnovateursdans
uncontexte globaleuropéen.Le règnepersonnel deLouisXV àpartir de1723
laissaitaussiespérerdesréformesdepolitiqueéconomique.Maisàpartirde1774
commence une période marquée par cet espoir déçu et par l’endettement du
royaume.Émeutesfrumentairesetrebellionscontrelalevéeexcessivedesimpôts
surlessujetsdutiersétatsesuccèdent.Lesfemmessontaupremierplandansces
circonstances:aprèslesgrèvesdesfarinesetl’augmentationconsidérableduprix
du pain, elles sont présentes et actives lors des violences urbaines et lors de
certainesémeutesfrumentaires.
Dans quelques grandes villes et surtout à Paris des femmes aristocrates et
roturièresontamplifiélatraditiondessalonslittérairesdusiècleprécédent.On
nommeces lieuxde convivialité« bureauxd’esprit» ;les femmesy organisent
réunions et mondanités en dehors de la cour et de ses usages. Les salons
reçoivent des philosophes, des écrivains, les encyclopédistes, des artistes. Des
personnalitésdelanoblesseycôtoientlagrandebourgeoisieetlafinance.Ony
pratiquelesjeuxdesociété,lethéâtreamateur,lechant,lamusique.Desliensse
tissentparfoisdesalonsensalons.Laconversationmondainenerépugnepasà
l’intérêt pour les découvertes scientifiques et même pour la politique et la
diplomatie comme semblele montrer la correspondance de Madame Geoffrin,
tandisquelebadinagepoétiquedel’époquedesprécieusesesttoujoursd’usage.
À la veille de la Révolution de 1789, quelques salons deviennent des lieux
propices aux discours politiques et polémiques, comme celui de Sophie de
Grouchy épouse de Nicolas de Condorcet. On y reçoit des « insurgents »
américainsrévoltéscontrel’Angleterre.Plustard,lesalondeManonRolandest
fréquentéparlesdéputésgirondins.OlympedeGouges;issuedelabourgeoisie
provinciale rédige à Paris des pamphlets mais aussi des pièces de théâtre et
s’inquiètedurôlequelesfemmesdevraientjouerdanslacité.
L’éducation des filles est un sujet qui passionne les contemporains et ouvre
bien des débats contradictoires. Bon nombre d’ouvrages pédagogiques sont
publiés,laplupartpardeshommes!LetextedeJean-JacquesRousseau,L’Émile
oudel’éducationen1762neproposepourlajeuneSophiequelesenseignements
qui feront d’elle une épouse et une mère dévouée et irréprochable. Quelques
femmes se risquent comme Madame de Miremont à publier un traité
d’éducation qui élargirait les connaissances à prodiguer aux filles tout en
accordant à la mère une place essentielle dans cette éducation. Il n’est pas
d’exemple d’une éducation féminine donnant accès au domaine scientifique :
ÉmilieduChâteletuniquemathématiciennederenomdel’époqueettraductrice
de Newton était totalement autodidacte. Un peu plus tard Sophie Germain se
trouvadanslamêmesituationpourmenersesrecherchesenmathématiques.
La pratique des arts est encouragée à la Cour par la reine Marie Leczynska
maisaussiparlafavoriteduroiLouisXV,MadamedePompadour.L’accèsdes
femmesauxpratiquesartistiquesàtitreprofessionnelsefaitencoredifficilement,
maisellescommencentàêtreadmisesàl’AcadémieSaint-Lucpourypratiquer,
comme les hommes, la peinture et la sculpture, même si on tente de les
cantonneràcertainssujetsmineurs.Àcetteépoquederaresfemmestententde
s’insérerdansunmétiermasculin.OlympedeGougesparvintàexercerceluide
journaliste,sesengagementslamenèrentàlaguillotine.
Malgrécequel’onpourraitqualifierdepercéesindividuellesréussies,legenre
fémininn’existepasauxyeuxdeshommes.LorsdelarédactiondesCahiersde
doléances en 1788/89 pour la préparation des États généraux à Versailles, les
femmes n’ont guère été conviées à exprimer leurs revendications et la
DéclarationdesDroitsdel’Hommeetducitoyendu26août1789,textequise
veut universel, oublie de mentionner les droits de la citoyenne. Toutefois,
pendantlespremièresannéesdelaRévolutionetjusqu’en1793lesfemmessont
présentes dans les réunions des clubs, énoncent leurs revendications, viennent
écouterlesdébatspublicsàl’Assemblée.Ellessontsouventfavorablesauxidées
nouvellespourl’égalité,l’éducationdesfilles,ledroitaumariaged’amouretnon
aumariagecontraint,maisaussiàlapossibilitédedivorcerquileurestaccordée
en1792.
Le début du XIXe siècle commence par une régression de la situation des
femmesliéeàlamontéeenpuissancedel’Empirenapoléonien.Leurvied’épouse
estencadréeparlesrèglesrigoureusesduCodecivil(1804)quilimiteledroitau
divorce. Cette époque est marquée par la naissance du courant romantique en
Europe.EnFranceilestillustrépardeuxfemmesd’exceptionLouise-Germaine
deStaël(néeNeckeren1766),puisGeorgeSand(néeAuroreDupindeFrancueil
en1804).LesécritspolitiquesantinapoléoniensdeMmedeStaëlluivalentl’exil
en Suisse à Coppet sur ordre de Napoléon Ier lui-même. George Sand se fait
connaîtredanslapressedès1831parlapublicationd’unromanàcaractèresocial
Indianaqui critiquelasituation dedépendanceéconomique desfemmesà son
époque,etdénoncelesconditionsdumariageencadréparlesexigencesduCode
civil et la pression familiale. George Sand se lance ensuite dans des écrits
politiquesen1848.
Faitnouveau,lesaffrontementssanglantsdesRévolutionsde1830,de1848et
laCommunede1871mobilisèrentessentiellementdesfemmesappartenantaux
couchespauvresdelasociétédontcertainesadhéraientàdescourantspolitiques
théorisés. Ces femmes des classes populaires se révoltèrent souvent contre le
doubleasservissementquiétaitleleur(asservissementconjugal,asservissement
professionnel).Les mouvementsdusaint-simonismeetdu Fouriérisme,malgré
un parfum phalanstérien ou sectaire motivent des femmes dans l’espoir
d’accéder à l’égalité avec les hommes et dans l’espoir d’une certaine justice
sociale.FloraTristanouvrièresocialisteutopiste,tentedemobiliserdesfemmes
dansle cadred’une« Unionouvrière» àParis. StSimoniennes,Fouriéristes et
membres de l’Union composent les contingents de femmes insurgées lors des
révolutionsde1830et1848.C’estaussil’époqueoùlasociétés’industrialise,ilest
alors question de formation professionnelle pour les jeunes filles, pour leur
permettre de s’insérer dans les nouveaux métiers de service nécessaire au
fonctionnementdela sociétéindustrielleémergente. Dupointde vuepolitique
lorsdelaRévolutionde1848,desfemmesrevendiquentledroitdevote:illeur
estrefuséetlaDeuxièmeRépubliquemetenplacelesuffrageuniverselmasculin.
Uneautreformedecontestationféministevoitlejouraveclanaissancedeclasses
moyennes nées de l’industrialisation de la société. Ces classes sociales ont
assimilél’importancedel’éducationetl’importancedel’exercicedudroitdevote
dans leur accès à la prospérité. Dans ce contexte des journaux sont rédigés et
publiéspardesfemmescommeEugénieNiboyetafindefairereconnaîtreleurs
revendications.SousNapoléonIII,lesfemmescontinuentàlutterespérantune
amélioration de l’enseignement accordé aux filles. Maria Deraismes participe
avec un ami Léon Richer à la fondation de l’association pour le Droit des
Femmes.Cenouveaumouvementdéfendl’éducationdesfemmesdansuncadre
laïquequ’ilconsidèrecommeunpréalableàl’attributiondedroitsciviquesàune
population féminine fortement marquée par l’autorité de l’Église catholique.
C’estundescourantsféministesissusdesclassesmoyennesdelapopulation.Il
joue un rôle politique croissant jusque dans les premières années du siècle
suivantet aboutitaux loisde séparationde l’Étatet desÉglises en1905. Parla
suite, on peut considérer qu’il fut l’ancêtre du courant politique radical de la
IIIe et IVe République. Lors de la guerre contre les Prussiens en 1870/71 la
résistance des Parisiens pendant le siège de l’hiver mène à la révolte de la
Communeenmars1871.Desfemmesdéterminéesyjouentunrôleàtraversdes
actions, des associations, des journaux, la participation aux combats sur les
barricadesetcejusqu’àlasemainesanglantedemai.Uncertainnombredeces
militantessontarrêtées,jugées,déportées.Leprolétariatfémininaétédurement
touché. La Commune de Paris et sa sanglante répression écrivent en lettres de
sang l’histoire d’une expérience anarchiste avortée. Dans les souffrances de la
Commune naissent des mouvements de femmes prolétaires qui associent la
conquêtedeleurslibertésàladestructiondel’ordresocial:libertéfaceàl’ordre
économique, destruction de la domination patriarcale. C’est l’époque de la
théorisationdel’évolutiondessociétés:communismedeMarxetanarchismede
Bakounine. Dans les années 1878, le mouvement de Léon Richer et Maria
Deraismessubitunescission,enraisondesapositionsurlaquestiondel’accès
desfemmesaudroitdevote.HubertineAuclert,cheffedefiledesscissionnistes,
créelejournalLaCitoyenneetparticipeauCongrèsduDroitdesfemmesréunià
Parisen1889.Sonmouvementsuffragisteestàl’originedesdiversmouvements
de revendication du droit de vote qui ne connurent le succès final qu’après la
SecondeGuerremondiale,àlasuitedel’engagementdenombreusesfemmesaux
côtésdesmouvementsdelibération.MargueriteDurandaprèsunebrèvecarrière
decomédienne,créelejournal LaFrondeen1897,rédigé,fabriquéetéditépar
des femmes. Le journal offre une tribune largement ouverte aux militantes du
droit de vote féminin. La célèbre journaliste Séverine coopéra au journal La
Fronde,ainsiqueJeanneChauvin,premièrefemmedocteureendroit,inscriteau
barreau de Paris,qui rédigea un texte de loi accordant aux femmesle droit de
témoignerdevantuntribunal,puis,en1900,unprojetdeloisurlapropriétéetla
libredispositiondeleursalairepourlesfemmesmariées.Tribuneducourantdes
« suffragettes» initié par HubertineAuclert, le journal s’illustraaussi par cette
action efficace qui aboutit à l’attribution des droits civils aux femmes qui en
étaientjusque-làprivées.
Le travail intense des associations féministes émanant des classes moyennes
avaittrouvé unappui à l’Assembléenationale auprèsdu courantfavorable àla
laïcitéet àunenseignement aussilargepour lesfillesque pourlesgarçons. En
1867, le ministre Victor Duruy s’était montré soucieux de promouvoir
l’enseignementféminin.PlustardCamilleSée,députédelaGaucherépublicaine,
proposeuneloisurl’enseignementsecondairedejeunesfilles.Ceprojetaboutit
en1880aprèsacceptationduSénatàlasuitededébatshouleux.L’œuvredeJules
Ferry de 1880 à 1882 défend la laïcité de l’enseignement, sa gratuité et
l’obligation de l’école primaire pour filles et garçons. Dans le domaine de
l’accueil et de l’enseignement pour les jeunes enfants, la transformation des
«sallesd’asile»enécolematernelleavaitétéinitiéeparMariePape-Carpantier
en1849àParis,etcontinuéeparPaulineReclus-Kergomardaprès1879.
Ledébutduvingtièmesiècleestcapitalpourlesortdesfemmes.Laloisurla
séparationdel’ÉtatetdesÉglisesen1905metfinaurégimeconcordatairehérité
de l’époque napoléonienne et interdit l’activité d’enseignement aux
congrégationsnonautorisées.Laréformedel’enseignement,salaïcisationetson
ouverture aux femmes ont remanié en profondeur la société française.
L’enseignementartistiqueconnaîtaussideschangements,quelquesateliersd’art
sont ouverts aux jeunes filles. Des artistes féminines font des carrières
exceptionnelles,RosaBonheurpeintreanimalier,CamilleClaudelsculptrice,Lili
Boulangermusiciennes-compositrice.
Lesfemmesde1914à1939furentdeshéroïnes,invisiblesleplussouvent,mais
activesendenombreuxdomainesdel’histoiredupays.Lorsdelamobilisation
générale à l’été 14, le gouvernement fait appel au patriotisme des femmes. Le
discoursdu ministre René Vivianiest le point de départde l’installation d’une
économiedeguerredanslaquellelesfemmesdoiventprendreenchargetoutle
travailqueleshommesmobilisésnepeuventplusassurer.Ellesdoiventàlafois
travaillerlaterrepournourrirlepaysetfairetournerlesusinesd’armement!Il
leurestaussidemandédepourvoirlespostesd’infirmièresquidoiventprendre
encharge unnombre élevéde blessés,souventdans desconditions difficileset
sans formation professionnelle suffisante. Les religieuses reprennent du service
dans les hôpitaux. Malgré la misogynie ordinaire et la méfiance des autorités,
quelques femmes s’imposent aux autorités de santé militaire. Ce fut le cas de
NicoleGirard-Manginchirurgienneauxarmées,nomméeaufrontàVerdun,de
Suzanne Noël chirurgienne réparatrice à partir de 1916, de Marie Curie, Prix
NobeldePhysique,créatriceetdirigeantedesunitésd’ambulancesradiologiques
qui travaillent au plus près du front. Là où les femmes vont surprendre plus
encore,c’estdanslesactivitésdeguerresecrètequ’ellesconduisentdansleszones
occupées du Nord et de l’Est de la France ainsi que celles de Belgique. Leurs
activitésprincipalessont lespassages clandestinsà traversdeslignes desoldats
coupés de leursunités qui veulent retourner au front,le renseignement sur les
dispositifsdel’ennemietladiffusiondelapresseclandestinequicontrecarrela
propagande ennemie. Louise de Bettignies arrêtée, malmenée, morte en prison
estunefiguresymboliquedecesorganisationsquiseconstruisentspontanément
à l’initiative d’une femme qui choisit de risquer sa vie pour la libération de sa
patrie.QuelquesaviatricesjouentunrôleessentielcommeMarieMarvingt.
Les femmes en France dans l’après-guerre connaissent, plus que jamais, des
situationssocialementclivées.Ledroitdevoteleuraétérefuséparlessénateurs
malgrél’attitudeciviquequifutlaleurtoutaulongduconflit.Lesmouvements
féministescontinuentdedénoncerl’exploitationdesfemmesdanslemondedu
travailquiperduremalgrélafindelaguerre.Après1919,l’Unionsacréeautant
quel’Églisecatholique,effaréesparledécomptedeshommestombésaufrontou
lourdementmutilés,estimentnécessaireleretourdesfemmesaufoyeretàleur
fonction reproductrice. Les lois dites « scélérates » de 1920 et 1923 interdisent
l’information sur les procédés contraceptifs et défèrent les inculpées
d’avortement vers des tribunaux exclusivement composés de magistrats
professionnels.LouiseBodin,journalisteféministeprotestedans L’Humanité au
sujetduvotedecesdeuxlois.Maisendépitdespressionsexercéespourleretour
au foyer, dans l’après-guerre le taux d’activité professionnelle des femmes
progresse,surtoutdanslesecteurtertiaire.
Àpartirde1920jusqu’àlacrisedesannées1930,uneprospéritééconomique
insolente crée une atmosphère ludique dans laquelle s’exprime la joie d’avoir
survécu à la guerre. Une véritable révolution bouleverse les arts, la mode, les
distractions, les voyageset même les sexualités. Le nouvel art de vivre féminin
envoieauxhommesunmessagesubliminaldestinéàleurfairecomprendrequ’ils
nesontpasabsolumentindispensablesaubonheurdelafemme.
Mais la crise économique des années trente éteint les lumièresde la fête. La
pression contre le travail féminin se renforce à nouveau. On observe que les
salaires féminins continuent d’être très inférieurs à ceux des hommes ce qui
confortelapositiondupouvoirmasculindanslesbudgetsdes«ménages».En
1936,ledroitdevotedesfemmesnefiguretoujourspasauprogrammeduFront
Populaire.CependantLéonBlumachoisitroisfemmescommesous-secrétaires
d’État dans son gouvernement. Dans le domaine littéraire, le Prix Fémina
continue son action pour faire connaître des autrices, et se crédibilise face au
«machisme»desmembresduPrixGoncourt.Lesfemmesprennentpieddans
lesétudessupérieures:leconcoursd’entréeàl’ENSUlm,leurestenfinouverten
1924.Parallèlementlapressefémininesedéveloppe.
L’Europeetlemondeplongentànouveaudanslechaos:laDeuxièmeGuerre
mondialesèmelamortetladésolationavecuneampleurplusgrandeencoreque
laprécédente.LaFrance vaincuesevoitcontraintede signerl’armisticeavecle
IIIe Reich. Le pays est occupé dans la zone nord, tandis que l’État français se
replieausudàVichysouslatutelledumaréchalPétain.Cegouvernement,àla
solde du nazisme, englobe les femmes dans la culpabilité de la défaite ! Des
mesuresincitativessontmisesenplaceenfaveurdelanatalitéetl’avortementest
lourdement réprimé. Les femmes assument difficilement les restrictions du
quotidien, l’accès au travail salarié féminin est remis en question. Elles sont
présentes très tôt dans toutes les formes de Résistance, tant en zone occupée
qu’enzonelibre.CertainesrejoignentlaFranceLibreàLondres.DesRésistantes
coopèrentàlaformationderéseauxclandestins.Bonnombred’entreellesfurent
arrêtées, torturées, finirent leur existence dans les camps de déportation ou
d’extermination.L’actiondescommunistesfutconsidérabledanslesFTP.
Lavieintellectuellesousl’occupationnazieesttoutefoismarquéemalgrétout
par une production cinématographique et théâtrale de qualité, même s’il faut
contourner habilement les censures allemande en zone occupée et
gouvernementaleenzonesoi-disantlibre.Lesspectaclesrenvoientàunevision
d’uneFranceconservatrice,oùlerôledesfemmesdanslasociétéestcirconscrit
auxstéréotypeslesplusconservateurs.Lepersonnagedela«femmefatale»est
quasil’incarnationdumal!
Lareconnaissance dela capacitédes femmesà conduirel’effort deguerre se
traduitparleuraccèsauxstructuresdupouvoirpolitiquedansl’après-guerre.Le
droitdevoteleurestenfinaccordéen1944.Enoctobre1945,alieulepremier
vote des femmes dans un scrutin national (référendum et Assemblée
constituante) : 33 femmes sont élues membres de l’Assemblée nationale
constituante.
Puisaudébut desTrenteGlorieuses,en 1949,paraîtl’ouvrage deSimonede
Beauvoir LeDeuxièmeSexe.Philosophedeformation,l’autrices’inscritenfaux
contrelecourantnatalistecompensateurdesperteshumainesdelaguerre.Elle
proclame la priorité de l’émancipation des femmes sur la reconstitution des
effectifsdel’infanterie.Laquestionducontrôledesnaissancesetdel’avortement
est abordée ouvertement. Il est reconnu que l’émancipation des femmes doit
passerparlecontrôledesnaissances.Leplanningfamilialcommencesesactions
en1956souslenomde«Maternitéheureuse»afind’aiderlesfemmesàespacer
les naissances. La jeunesse de l’époque constitue un groupe démographique
nombreux aux aspirations de rupture vis-à-vis de la génération précédente. Le
printempsde mai1968 révèleespoirpuis déceptionpour lesjeunesfilles etles
femmes. Toutefois les dissensions internes dans la mouvance féministe, ne
concernentguèrequ’uneéliteintellectuelledediplômées,d’artistesquilaissentà
l’écart une grande part de la population féminine des villes et surtout des
campagnes.Uneréformerelativeàlalégislationdel’avortementdevientdifficile
àrefuser.L’autorisationd’accèsàlacontraceptionaétéobtenueparlevotedela
loiNeuwirthde1967.Soncomplémentindissociable,l’interruptionvolontairede
grossesse, est autorisée par à la loi de 1974 fruit de la lutte acharnée, dans un
contextehostile,delaministredelaSanté,SimoneVeil.
Après 1975 l’évolution des mentalités a permis à une culture féministe
diversifiée de se diffuserpeu à peu dans la société. Les idées circulentdans les
partisdelaGauchetraditionnelleetplusdifficilementauseindessyndicats.Des
voixs’élèventpourdemanderdavantagedecandidaturesfémininessurleslistes
électorales et de façon systématique. La presse féministe se développe et se
diversifie:desprofessionnellesdesmediascréentunenouvellepresseféminine
dynamiquequivientbousculerdesmediasfémininsdemassedéjàanciensdans
le paysage de la communication. Une deuxième vague naît en France dans les
années 1970, elle a pour objet une réflexion sociétale genrée dans sa globalité.
C’estune époqueoùles femmess’intéressent àlaquestion del’existence d’une
écriture-féminine. La vidéo devient un nouvel outil d’expression des
revendications féministes. C’est pendant le premier septennat de François
Mitterrand que le féminisme semble s’institutionnaliser. Le gouvernement de
l’époquesedoted’unministèredes«droitsdelafemme»dontYvetteRoudyest
chargée.L’avocateGisèleHalimisoutientunprojetdeloisurunediscrimination
positive dans le cadre de la loi sur les listes de candidats lors des élections
municipales.CeprojetestrefuséparleConseilconstitutionnel:introduisantun
critère de genre dans la législation, il enfreint le principe d’égalité entre les
citoyens.Il apparaît cependantqu’au niveau européenl’idée de paritéentre les
femmesetleshommesfaitsonchemin.DanscecontexteleManifestedesDix,
signéen1996pardixanciennesministressoulignelanécessitédelaparitépour
unemeilleure gestion politiqueet économiquede la France.Lors du deuxième
septennat de Mitterrand, Édith Cresson devient Premier(e) ministre et les
femmes font une percée dans des ministères où elles doivent traiter de sujets
sensibles. La réforme paritaire ne se met en place qu’en 2000, mais bien avant
cettepériodedesfemmesn’hésitentpasàseprésentercommecandidateslorsdes
élections présidentielles entre 1974 et 2007. Les assemblées se sont peu à peu
féminisées, mais l’accès à la mandature reste difficile au sénat et dans une
moindremesurepourlesprésidencesdesconseilsdépartementaux.
Dansladécennie1990,nouvellemobilisationsurlaquestiondel’avortement
et de l’IVG. De jeunes féministes créent de nouvelles structures qui font appel
aux applications des réseaux numériques pour obtenir une prolongation des
délaisdel’IVG.Fracturesetcontroversessefontjourauseindescourantsaprès
2000. Alors qu’ils ont connu d’importants succès sur le plan politique, que la
conquête du pouvoir économique s’opère efficacement et silencieusement au
sein des entreprises, des combats se réarticulent autour de nouveaux enjeux
politiquesetsociétaux.Ils’agitd’intégrerleconceptde«genre»(formalisépar
l’historienne Joan Scott en 1984 aux États-Unis). De ce concept émergent de
nouveaux champs d’étude et de revendication avec les « queer studies ». Des
fracturesd’uneautrenaturenaissentàl’intérieurdescourantsféministes,lorsde
l’affaire du « voile » dans un collège de Creil en 1989 ce qui déchaîne des
discussionsautourdel’applicationdelalaïcitédansl’espacescolaireetpublic.Le
courant féministe français est victime de la culture d’origine de ses militantes.
Cellesquienfontpartiemaissontétrangèresàcetteculture,dansunedémarche
très«woke»critiquentl’universalismedesvaleursdeleursconsœursetlavision
« laïque » qu’elles posent sur des habitudes vestimentaires liées à une culture
différentedelaleur.Unautrethèmemajeurdedébatsconcernelaprostitutionet
les positions du Strass (syndicat des travailleurs du sexe), vis-à-vis de la loi de
2016. Face au courant prosexe venu du monde anglo-saxon la mouvance
abolitionnisteféministecontinuedesebattre.
De«nouveauxféminismes»sesontdéveloppésdepuisladécennie2010.Des
groupusculesscénarisentleursactionsafindelesfairecirculerenimagessurles
réseaux,parprocessusde«viralité».Onassisteàunemontéeenpuissancedu
courantféministeintersectionneletàunecertainepolitisationdecedernierqui
concerne les femmes subissant de multiples discriminations en raison, par
exemple de leur genre, de leur couleur, de leur culture. Tous mouvements
confondus,lesféministessetrouventconfrontéesen2017àunévènementnéaux
États-Unis,l’affaireWeinsteinquiestàl’originedumouvement#MeToo.Affaire
de harcèlement sexuel, elle concerne toutes les femmes. Mais les appels à la
dénonciation ouvrent un champ à des auteurs d’actions nauséabondes. Les
technologiesnumériquesse sontinsérées danslavie desFrançais spécialement
auprès des jeunes générations. Force est de constater qu’à l’intérieur de ces
moyens numériques un continuum de violence s’est aussi infiltré, le
cybersexisme.
Les débats juridiques autour des violences sexistes et sexuelles montrent la
difficulté de la justice pour prendre en charge ces types de violence. La jeune
génération sensible aux revendications féministes dénonce aussi le crime de
féminicide. La fin de la décennie 2010 est marquée par l’évolution de
mouvementsféministessurdesvoiesbiendifférentesdansleursactionsetdans
leur esprit. Les médias sont amenés à dénoncer des affaires de harcèlement,
d’agressionsetdeviolsdanslesmilieuxdelaTV,ducinémaetduthéâtre.Cette
volontéde dénoncer résonnedans un contexte mondialde violences tantdans
lesactesdeguerrequedanslespaysdontlesgouvernementsbrimentlaliberté,la
vie quotidienne des filles et des femmes et tentent même de les empêcher
d’accéder à l’enseignement, ce qui les prive de tout espoir d’émancipation
économiqueetbienentendudelibertédeconscience.
Quelquesoitl’avenirimmédiatenFrance,enEuropeetdanslemonde,ilest
clair que les femmes qui représentent la moitié de la population de la planète
n’entendentpasrenoncerà combattrepourleurliberté,cellede l’espritetcelle
ducorps,pourl’égalitéciviqueetpourl’émancipationéconomique.Cecombat
peutcontinuerde prendredesvoiesqui semblentdivergentes,l’essentielest de
nerienlâcher.Laténacitéresteàl’ordredujourdemêmequelasolidaritéentre
lesfemmes,la«sororité»quiestleparallèledelafraternité.Letermeadelphité
s’appliqueàtoutesolidaritéentrelesêtreshumains.Enmêmetemps,danstoutes
lesquestionsrelativesàl’éducation,delamaternelleàl’universitésansomettre
l’enseignementtechniqueetprofessionnel,ilestindispensabled’approfondirles
effortspourquelesgarçonsetlesfillesreçoiventconjointementuneformation
solide pour accéder à la citoyenneté, dans l’esprit du « vivre ensemble » et du
respectdelalaïcité,quiillustrel’originalitédelaculturerépublicainefrançaise.
Riennesefaitsanspassion.
Dansun monde quiconnaît tensions internationaleset guerres,mutations à
l’échellede la planète, gravesinquiétudes sur les conséquencesdu dérèglement
climatique, sur l’accès à l’eau, sur la gestion des sources énergétiques
renouvelables, citoyens et citoyennes ont leur responsabilité pour édifier une
sociétéjusteoùfemmesethommesveulentvivreetfairerayonnerlapaixsociale.
Sérignac,novembre2022
ANNEXES
ENCADRÉN°1
CALENDRIERAGRO-LITURGIQUEETRYTHMESDEVIE
DANSLASOCIÉTÉRURALEDELAFRANCEDEL’OUEST
(XVI AUXVIII SIÈCLE)
E E
NB:L’annéeliturgiquecommenceavecl’AventetlapréparationdeNoël.Les
célébrationsdu«mardigras»,dumercredidescendres,dePâques(célébration
delaRésurrectionduChrist),l’Ascension,delaPentecôtesontmobiles.Ladate
dePâquesvariechaqueannée.Elleestsituéed’aprèsl’indicte(entrele25marset
le25avril).
LeCarêmeestuntempsdepénitence,onnecélèbrepasdemariages.Laprière
dédiéeauxdéfuntsestle2novembre.Lafêtedel’assomptiondeMariele15août
revêt une solennité particulière à partir du vœu de Louis XIII (1638 – Le
royaumeestalorsconsacréàlaVierge–aprèslanaissancedudauphin)
LaStMichelestladatetraditionnelledepaiementdesbaux(métayageet/ou
fermage).LaSteCatherineesttraditionnellementladatelimitedeplantationdes
arbres.
ENCADRÉN°2
LAVIEQUOTIDIENNEETLESOBLIGATIONSDESÉPOUSESDE
MINISTRESSOUSLOUISXIV
Est-il possible d’appréhender qui furent et ce qui firent les épouses de
ministresàtraversdessourcesquisontessentiellementrédigéespardeshommes
et sur des sujets politiques, diplomatiques ? Il convient de lire entre les lignes
pour trouver les femmes et de rechercher des indications dans les
correspondances, les contrats de mariage et les documents notariés lors des
décès. Chacune de ces femmes a vécu dans l’intimité d’un homme de
gouvernement.
L’âge moyen du mariage au XVIIe siècle était pour les femmes 26 ans, mais
pour les femmes de ministres 19 ans. Il faut tenir compte des veuvages et des
remariages,encecasl’épouseestfortjeuneetl’épouxadépasséles40ans.Les
logiques matrimoniales sont celle du groupe social auquel les époux
appartiennentouveulents’agréger,lavolontédedonnerunedescendanceestun
soucimajeurducouple.
LESÉPOUSESSONTDESCOMPAGNES
Lemariagedanslaculturechrétiennerelèveàlafoisdel’unionsacramentelle
entre deux époux mais aussi de l’alliance sociale entre deux personnes et leurs
familles.Celien indissolubleestaccompagné deladomination masculinedans
uncadrejuridique.Lavieducoupleapourbutlaprocréationetlatransmission
dupatrimoine.Lesépousesdeministressontinvitéesàsuivreleurmaridansles
lieuxd’exercicedeleurchargeoucommission.Cequientraîneungrandnombre
devoyagesetdéplacementsetunmodedeviebieninconfortable.
LESÉPOUSESSONTDESGESTIONNAIRES
Lemariestcertesjuridiquementlepremiergestionnairedesbiensducoupleet
de la famille en raison de l’incapacité juridique de l’épouse. Mais dans les
situationsdifficilesl’épousedoitprendrelerelaisdelagestionencecasellepeut
être épaulée, encadrée par des procureurs ou des intendants au service de son
mari. Cette situation se confirme lors du veuvage, l’épouse devant défendre
l’avenirdeses enfantsenincluant lesstratégiesmatrimoniales.Dans lescasles
plussimplesl’épouxpeutsigneruneprocurationàsafemmepourlesventesde
biens. Les procurations sont passées devant notaire et dans des conditions
strictes, c’est une forme de transfert juridique et économique de l’époux à sa
femme. La structure de la procuration est codifiée et la présence de témoins
indispensable.
LESÉPOUSESSONTAUSSIDESMÈRES
Devenirmèreétaitunimpérieuxdevoirdanslasociétéd’AncienRégime.Les
mentalités sont pétriesde craintes et d’angoisse face à la grossesse.Or le souci
lignagerestessentiel.Lamèreétaitresponsabledel’éducationdesaprogéniture.
Danscertainessituationsfamiliales,lesépousesdoiventdevenirtutricesdeleurs
enfants. À la cour, une mère de ministre se doit de faire fructifier les atouts
familiaux
CERTAINESDESÉPOUSESSONTDESFEMMESVIVANTÀLACOURDEVERSAILLES
Obtenir un logement à la cour, ne concerne que les familles dont le service
auprès du roi comporte des obligations particulières.. Dans certains cas le
ministrereçoit unlogementqui luipermet devivre surplaceavec sonépouse.
L’étude topographique des appartements ministériels a permis d’observer une
divisionsexuéedel’espace.Ladimensiondesappartementsestliéeàlaposition
hiérarchiqueduministre etde safamille.Le protocoledecour estcomposéde
diversescérémoniesetlesépousesdeministresdoiventseplierauxobligations.
Bon nombrede ces femmes sont issuesplutôt de la noblesse de Robeou de la
hautebourgeoisiefinancièreellesontledevoirdenouerquelquesrelationsàla
cour et des amitiés auprès des femmes de la noblesse d’épée. A cet effet la
pratiquedujeudesociétéestindispensable(jeuxdecartes,jeuxdehasardsans
oublierlesloteriesetlesjeuxdanslesjardins).
LESÉPOUSESSONTDESFEMMESAUSERVICEDELACOUR
Les familles de ministres doivent accepter une participation active au
quotidiencurialtantàMarlyqu’àVersailles.Ellesorganisentparfoisdesbalsde
grandeampleur.Ellesveillentàinviterdescourtisansmaisaussidesmembresde
lafamille royale. Desfemmes deministres peuventêtre conviées auxtables du
roi et aux soirées en appartements. Elles doivent aussi assumer des
responsabilités auprès des enfants royaux. Il est parfois question de faire la
layettedesprincesetprincessesàsavoirêtreresponsabledesvêtementsetdetout
lenécessairedutrousseaudel’enfantycomprisdesonmobilier
L
LESÉPOUSESSONTDESFEMMESPIEUSESETCHARITABLES
La spiritualité et les pratiques religieuses des épouses de ministres naissent
danslecontextesingulierdelaContre-réforme,sonfoisonnementthéologique,
sonintérêtpourlalecturedesPèresdel’Eglise,maisaussiuneardenteangoisse
eschatologique à propos de la question du Salut. L’héritage janséniste est très
marqué.Quellesétaientlessensibilitéspersonnellesdecesépousesdeministres?
Les couples dans les familles de ministres peuvent exercer conjointement les
œuvrescaritatives.Lesfemmesdoiventagirdeleurvivantafindebienpréparer
leur mort. Les inventaires après décès livrent les échos matériels de la foi
individuelle.Ilexistedesfondationsreconnuesparlespratiquestestamentaires.
Desdonsetdesrentespeuventêtreaccordésàdesparoisses,àdesmonastères.
Afin d’être guidéesdans les pratiques chrétiennes, certaines épousesont choisi
undirecteurdeconscience.Cederniermetsouventl’accentsurlanécessitédela
solitudeetdesretraites,surlesprières,commelelaissententendreleséchanges
de correspondance. D’autre part des femmes de ministres sont amenées à
prendreenchargelesmalades,lesenfantstrouvésetlespauvres.Ellesviennent
en aide à l’organisation prévue par certains ordres religieux. Les institutions
charitablesstructurentl’espaceurbainparleursconstructionsspécifiques.
Lesfemmessontexcluesdelasphèrepolitiqueetnepeuventaccéderàaucune
charge publique. De ce fait les épouses de ministres se sont engagées dans des
domaines particuliers pour y exercer des activités, des responsabilités. D’abord
dans la maternité et l’éducation de leurs enfants certes, mais aussi dans des
œuvres caritatives, sans omettre d’autres domaines comme l’hospitalité et
l’entretien de réseaux de sociabilité. Pendant le règne de Louis XIV, force est
d’observer que les épouses de ministres forment deux groupes sociologiques
différents,selonletypedenoblesseàlaquelleellessontrattachées.Lesministres
épousent le plussouvent des filles de la noblesse de robe, mais à lagénération
suivante, les fils survivanciers (c’est-à-dire dans la même charge) bénéficient
d’alliancessouventprestigieuses,avecdesmariagesauprèsdefillesdelanoblesse
d’épée.
Cf.PaulineFerrier-Viaud,Épousesdeministres.Unehistoiresocialedupouvoir
féminin au temps de Louis XIV, Paris, Champ Vallon, 2022. Le groupe étudié
comporte27femmesnéesentre1597et1689.
ENCADRÉN°3
LESPERSONNAGESFÉMININSDANSLETHÉÂTREDUXVII SIÈCLE E
TRAGÉDIES:CORNEILLEETRACINE
LeshéroïneschezCorneille:lagloire,l’honneuretl’amour
– Chimène(LeCid-1635): L’héroïnesedésespèreaprèslamortdesonpère
maisne peut s‘empêcherde continuerà aimer DonRodrigue, leCid. Son
devoir et son honneur l’obligent à aller demander vengeance au roi de
Castille.
– Camille et Sabine (Horace-1640) : Les sœurs d’Horace et de Curiace sont
descitoyennesromaines.L’affrontementdesfrèresestliéàlaraisond’État.
CamilleenmeurtetSabinesurvitauconflitfamilial.
– Émilie (Cinna ou la clémence d’Auguste-1641) : Elle est l’instigatrice de la
conjuration contre Auguste, et veut venger la mémoire de son père. La
conjurationestdécouverte;laclémencedel’empereurprovoquelerepentir
d’Émilie.
– Pauline(Polyeucte-1643):Elleestlafilledugouverneurd’Arménie,l’époux
quiluiaétédestinéestchrétien,ellel’admiretandisqu’ilvaaumartyreet
sonamours’accroît.
Les héroïnes chez Racine : l’amour et la passion, quels « mots » pour
dompterlessentiments?
– Andromaque (1667) : Des amours contrariés en chaîne. Andromaque et
Hermione face à Pyrrhus. Hermione s’appuie sur Oreste pour réaliser sa
vengeance
– Bérénice (1670) : Une longue élégie de Bérénice occupe toute la durée de
l’intriguecarl’héroïnesaitqu’ellen’épouserapasTitusmalgréleurpassion
réciproque
– Iphigénie (1674) : L’héroïne est sacrifiée aux volontés des dieux pour le
départdelaflottegrecque
– Phèdre(1677):Elleestl’épousedeThésée,ensonabsenceelles’estéprisede
sonbeau-filsHippolyte.Sapassionetsajalousiel’aveuglent.Hippolytequi
aimaitAricie,estmenéautrépas.Phèdreavouesonforfaitetsesuicide.
– Esther(1689):Unereinecourageusequidéfendsonpeuplecontreuntyran
– Athalie(1691):Unefemmetyrannique,veuveduroideJuda,aabandonné
lareligionjuiveetsuitlecultedeBaal.
COMÉDIES:MOLIÈRE
Femmes,mariage,belesprit,humour,raillerieetinsolence…
– Les Précieuses ridicules (1659) : Cathos et Madelon deux bourgeoises qui
veulentcopierle«beaulangage»desfemmesdessalons
– Tartuffe ou l’imposteur (1669) : La servante Dorine a une langue bien
pendueets’opposeàsonmaître
– Lemaladeimaginaire(1673):Toinette,servantes’adresseaveceffronterieet
insolenceàsonmaître
– LeBourgeoisgentilhomme(1670):Uneoppositionentreunebourgeoiseet
unemarquise.Uneservantequientientpourlebonsens!
– Lesfemmessavantes(1672):Henriette,ArmandeetBélise:faut-ilêtreune
femme docteure et grammairienne pour être une femme accomplie ?
Chrysale esquisse le portrait de la femme « ménagère » et maitresse de
maisonquireprésentesonidéal
– L’École des femmes (1663) : La candeur de la jeune Agnès éclate face à la
jalousied’Arnolphe
– Le Misanthrope (1666) : Célimène, femme spirituelle et volage, aime les
admirateurs,elleméprisel’amoursincèred’Alceste
NB : un développement à propos de ces personnages féminins est proposé
dans l’ouvrage de Marie-Joëlle Guillaume, Le Grand Siècle des femmes, Perrin,
2022,4epartie.
ENCADRÉN°4
LAFRÉQUENTATIONDESSALONSPARISIENSAUXVIII SIÈCLE E
Certaines femmes ouvrent des « bureaux d’esprit » dits plus tard « salons ».
Quivachezqui?Quelquesexemples:
Écrivains,scientiques,
philosophes
etartistes
Fontenelle Voltaire Montesquieu Rousseau
Nomdesfemmes
ouvrantunsalon
MmedeLambert X X
MmeGeoffrinnéeRodet X X X X
MmedeTencin X X
MmeduDeffand X X X X
JuliedeLespinasse
Écrivains,scientiques,
philosophes
etartistes
Diderot d’Alembert Marivaux Condorcet
Nomdesfemmes
ouvrantunsalon
MmedeLambert X
MmeGeoffrinnéeRodet X X X
MmedeTencin X
MmeduDeffand X X X
JuliedeLespinasse X X X X
ENCADRÉN°5
ENGAGEMENTSDEFEMMESDE1830À1914(ASSOCIATIONS,
PUBLICATIONS,CONGRÈS)
Autresévènements
Lessujetsconcernant
Congrésetréunions
Date Associations Publications l’instructiondesfilles
publiques
sontprécédésd’un*
(astérisque)
JournalLagazette RévolutiondeJuillet
desfemmes etinstallation
1830
(d’obédience delamonarchie
saint-simonienne) deLouis-PhilippeIer.
Révoltedescanuts
àLyon(hommes
etfemmes).Et
1831
engagements
defemmesSaint-
simoniennes
Journal:Lafemme
libre-Apostolat
desfemmes.
1832
JeanneDeroin.
RomandeGeorge
Sand:Indiana
FloraTristan.Son *LoiGuizot-Écoles
livre primairespourfilles
autobiographique: etgarçons(accès
1833 Pérégrinations facultatif)ouvertes
d’uneParia danslescommunes
quienontlapossibilité
financière.
Journal: Nouvellerévolte
L’Athénée descanutsàLyon
desfemmes. (femmesethommes).
d’EugénieNiboyet Barricades-répression
1834 àLyon sanglante.Leslois
d’avrilrestreignent
d’avrilrestreignent
lalibertéd’association.
Mouvements
républicainsàParis
LaGazette
desfemmes-
1836 Journal
delégislation
etdejurisprudence
*PremièreÉcole
1838 normaledejeunes
filles
L’UnionOuvrièreinitiée FloraTristan
parFloraTristan rédigeuntexte
autobiographique
L’émancipation
1843
delafemme
ouleTestament
delaparia.Publié
en1844.
Contratd’Union *MariePape-
d’associationsparJeanne Carpantier,pédagogue
DeroinetPaulineRoland. transormelemodèle
des«sallesd’asile»
1849
1849
enécolematernelle
àParisetouvre
unefromationpour
lesmaîtresses.
Arrestation
desdirigeantes
del’Union
d’associations(Deroin
etRoland).La
Républiquedécrète
1850 l’ouvertureobligatoire
d’Écolesdefillesdans
lescommunesdeplus
de800habitants-
Autredécision/Loi
Fallouxsurlaliberté
del’enseignement.
Publication 2déc.Coupd’État-
del’Almanach Plébiscitepuis
desfemmes Rétablissement
parJeanneDeroin. del’Empirepar
DelphineGay NapoléonIIIen1852
1851 époused’Émile
deGirardinpublie
deschroniques
danslejournalLe
Tempsédité
parsonmari
Début
1855 desconférences
deMariaDeraismes
LesuccèsdeJulie-
VictoireDaubié
aubaccalauréat
1861
estrelayé
parlapresse
féministe
ElisaLemonnier,déjà ClémenceRoyer,
militante,fondeuneécole féministetraduit
1862
professionnellepour l’œuvre
1862
professionnellepour l’œuvre
lesjeunesfillespauvres deDarwin.
Condamnation
dutravaildesfemmes
parlasectionfrançaise
duCongrèsdeGenève
1864 delaIre Internationale.
EnFrancesuppression
duLivretouvrier
etproclamation
delaliberté
d’association.
*LoiVictorDuruy
1867 surl’Enseignement
féminin.
FondationdelaLigue OuvragedePaule
desfemmes,sociétépour Minck:L’ouvrière
1869 larevendicationdesdroits
civilsdelafemmeparLéon
RicheretMariaDeraismes.
l’émancipationprogressive parlegouvernement
desfemmes(JulieV. deThiers
Daubié) etdesVersaillais.
Arrestations,
jugements,exil.
Hommesetfemmes
(dontLouiseMichel)
FondationdelaSASF Lois
(Sociétépourl’amélioration constitutionnelles
dusortdesfemmes) établissant
quiremplacel’Association laIIIe République
1875 pourleDroitdesfemmes; (amendement
HubertineAuclert Wallon).Première
yparticipe. femmereçueMédecin
parlafaculté,
MadeleineBrès
LeCongrèsouvrier
deParisproclame
1876 quelaplace
desfemmes
estaufoyer
HubertineAuclert
lanceunappelpublic
auxfemmes
1877
deFrancepour
qu’ellesrevendiquent
leursdroits
Congrès Congrèsouvrier
International àLyondénonçant
duDroitdesFemmes lesconditions
1878 àParis(organisé detravaildesfemmes
parHubertine etl’usagedesmachines
Auclert) àcoudre.
HubertineAuclert Fondation
faitvoterauCongrès d’unsyndicat
faitvoterauCongrès d’unsyndicat
1879 ouvrierdeMarseille enseignantpour
leprincipedel’égalité lesfemmes(Aline
dessexes. Valette)
FondationdelaLFDF *Ouvertured’écoles
parLéonRicher maternellesetd’autre
partdespremiers
lycéespublics
1882 deJeunesfilles.
*PremièreFemme
reçueExterne
desHôpitauxdeParis.
L’AssociationduDroit *Premièresfemmes
desFemmesdevient reçuesauxconcours
1883 «LeSuffragedesFemmes» del’Agrégation(deux
agrégationsspécifiques
pourlesfemmes)
LoiWaleck-Rousseau
instaurantlaliberté
syndicale.LoiNaquet
rétablissantledivorce.
1884 D’autrepartl’État
autoriselesfemmes
às’affilieràunecaisse
deretraitesans
autorisationpréalable
deleurmari.
1886 CréationdelaSASFRD
FondationdelaLigue Larevue
InternationaledeFemmes scientifique
1888 etdel’UnionInternationale desfemmescréée
desFemmesparLouise parCélineRenouz
Michel
Liguedel’Affranchissement
1890 desfemmes(avecAstié
deVolsayre)
Fédérationfrançaise LeJournal
desSociétésFéministes.La desfemmes
Solidaritédesfemmes parMariaMartin
1891
associationcréée
parEugéniePotonié
etPierreetMariaMartin
Congrèsgénéral Premièreapparition
desSociétés duqualificatif
féministesenFrance «Féministe»dans
(Paris) lapressegénéraliste.
Loisurletravail:
interdictiondutravail
denuitpour
1892 lesfemmes.Loi
surlerepos
hebdomadaire
obligatoireetlerespect
desfêteslégales(après
influence
duchristianisme
social)
CréationparHubertine
AuclertdelaSociété
1894 desTuteurspouraider
financièrementlesfilles-
mères
Grèvede108jours
desouvrièresdel’usine
decorsetsdeLimoges.
1895 Enmai,pétition
féministeenfaveur
delarecherche
enpaternité
AssociationUnion Loisurlesconditions
nationalistefrançaisecontre detravail
le«périljuif»(NB: desemployées
Naissancedusyndicat
desfemmes
sténodactylographes
1899 Naissancedusyndicat
desfemmestypotes.
ÉlectoratauConseil
supérieurdesfemmes
Juin-Congrès *Droitaccordé
International auxfemmes
desœuvres des’inscrireàl’École
etinstitutions desBeaux-Arts
féminines.Sarah
Monod.Septembre-
1900 Congrès
International
delacondition
etdesdroits
desfemmes.Marie
PognonetMarguerite
Durand-Paris
Unionfraternelle AnnadeNoailles
desFemmes(Marbel) publie«Lecœur
1901
CNFF-sectionfrançaise innombrable»
deCIF poésie
LoiEngerand
organisant
organisant
l’enseignement
delaDentelle.
Éligibilitédesfemmes
1903 auConseilsupérieur
duTravail.*Première
femmeDocteur
enSciencesPhysique:
MarieCurie,
néeSlodowska
Naissance Admissiondesfemmes
dujournal danslescommissions
L’Entente communales
parOddo-Deflon. d’assistance.Grève
Roman desouvrières
1905
deMarcelle deLimoges.Droit
Tinayre:La accordéauxfemmes
Rebelle mariéesd’ester
enjustice.
desfemmes.
JournalLa Congrès
Suffragistepar International
1908 leDocteur desDroitscivils
Madeleine etduSuffrage
Pelletier desfemmes
UFSFavecJeanneSchmahl LoiEngerand:
etJaneMisme.Liguecontre institutiond’uncongé
lecrimed’avortement (nonobligatoire)
(CNFF,Maried’Abbadie d’unmoisavant
d’Arrast).Liguenationaliste l’accouchement
1909 pourl’extensionauxfemmes etd’unmoisaprès.Le
dusuffrageuniversel(Nelly contratdelouage
Roussel) deservices
delafemmenepeut
êtrerompupendant
cettepériode.
Bulletindel’UFSF FondationdelaLigue
d’Électeurspour
lesuffragedesfemmes
(LESF)parFerdinand
1911 BuissonetJustin
Godard.Loi
supprimantlapeine
demortpour
infanticide
Loiinstituant
larecherche
1912
enpaternité
desenfantsnaturels
deMadeleine duministreViviani
Pelletier25août: auxfemmes
Appelpatriotique françaisesafin
duCNFF d’assurerletravail
1914
etdel’UFSF àlaplacedeshommes
etduquotidien«Le mobilisésaufront
Journal».En
maiunvoteblanc
estorganisépar«Le
Journal»
surlesuffrage
féminin.5juillet
Manifestation
suffragiste
ethommage
àCondorcetàParis
ENCADRÉN°6
FEMMESETALLÉGORIESDELARÉPUBLIQUEDE1789À1914
Larépubliqueestunrégimetoutnouveau,quinaîtdanslaviolenceàlafinde
l’AncienRégime.LaDéclarationdesDroitsdel’Hommeetducitoyendu26août
1789 met en place des principes « liberté, égalité ou la mort » et plus tard
«liberté,égalité,fraternité»aveclaConstitutiondelapremièreRépubliqueen
septembre1792.
La rupture est totale avec l’iconographie de la monarchie absolue, qui ne
prenaitencomptequelesseulsfaitsetgestesduroi.
Que voulait-on représenter avec la notion de « république » ? Les points de
repèreétaientsoitceuxdelarépubliqueromainedel’antiquitésoitl’imagedela
RépubliquedeVenise,la« Sérénissime», soitencorecelledesProvincesUnies
auxPaysBas,oubienlarépubliquedeGenève,hautlieudelaréformecalviniste
et des institutions qui y étaient liées. L’iconographie comme la devise d’une
Républiquesymbolisentlesvaleursquiunissentlapopulationdelapatrie.
EnFrance,laRépubliques’estinstalléeentrele10août1792,proclamationde
la déchéance du roi Louis XVI et le 21 septembre 1792, la victoire contre la
coalitionaustro-prussienneàValmy.Enquittantbrutalementunemonarchiede
droit divin, comment l’image de la République, et son pouvoir collégial se
mettent-ilsenplace?Dansunpremiertempsdesimagesfigurentla«Liberté»
parfoisavecuncostumeinspirédel’antiquitéromaine.Cettelibertéestcasquée
et elle tient une épée et un bouclier, signe de l’hostilité qui accompagne sa
naissance. Dans d’autres cas, des tableaux représentent une république
symbolisée par une femme portant un costume d’inspiration romaine, coiffée
d’un bonnet phrygien,attribut des esclaves affranchis de l’Empire romain.Elle
est armée d’une pique et pose la main sur un faisceau d’armes qui ressemble
beaucoup à celui des Licteurs de la république romaine qui escortent les
magistrats romains. Il arrive que la représentation de la Liberté soit associée à
cellesdelaVéritéetdel’Abondance.
Le coup d’État du 18 Brumaire vide cette symbolique de son sens ;
l’iconographie révolutionnaire est maintenue malgré la disparition des libertés.
La naissance de l’Empire lui porte un coup fatal.La dame au bonnet phrygien
disparaîtauprofitdumonogrammeNentouréd’unecouronnedelauriersd’or,
symbole du pouvoir personnel de Napoléon. L’égalité et la fraternité
disparaissentauprofitdel’abeille,symboledel’effortexigédelapopulation.
Leretourdelamonarchieen1815aboutitausoulèvementde1830.Bienque
de nombreux républicains y aient participé, une royauté constitutionnelle est
issuedecetterévolte.MaisDelacroixdanssonmagnifique«LaLibertéguidantle
peuple» placeenpremier l’allégoriefémininecoifféedubonnetphrygienchère
aux républicains de 1789. Elle brandit un drapeau tricolore, nouvel emblème
nationaletporteunebaïonnetteaupoing.Lescombattantsquil’entourentsont
desartisans,despetitscommerçants,desétudiants,etdenombreuxouvriers.
D’une révolution, l’autre : nouveau soulèvement en 1848 beaucoup plus
violent. Cette fois la province suit le mouvement parisien. Les journaux
républicains contribuent au désir de Liberté et de République. Hippolyte
Flandrin peint plusieurs tableaux dans un style néo-classique. L’un figure la
Fraternitésouslestraitsd’unefemmedéboutsurunsoclequisembleémergerde
la surface arrondie de la terre. Elle est vêtue d’une longue tunique blanche à
l’antique,le personnagebrandit un rameaud’olivier dela main droiteet, dela
main gauche, elle tient une hampe surmontée d’un grand drapeau tricolore
flottantauventainsiqu’unbouclierornéd’unsoleil.Elleposesonavant-brassur
un faisceau de licteurs. Peu avare de symboles, le peintre l’a gratifiée de deux
grandes ailes au plumage blanc nacré. La femme écrase sous ses pieds nus un
serpent.Faut-ilvoiruneallusionàlaViergeMariedécritedansl’Apocalypsede
saintJean(Chapitre12)?Certainsontfaitcerapprochement.D’autresartistesde
1848 : Jules-Claude Ziegler, toujours la femme vêtue à l’antique munie de
grandes ailes blanches. Mais cette fois un lion (dompté, bien sûr) remplace le
serpent et l’attirailguerrier est remplacé par la gerbe del’abondance. Mais elle
porte une couronne de feuilles de chêne, réminiscence de ses victoires sur ses
ennemis.HonoréDaumierlui-mêmeselivraàl’exercice.IlnouslivrelaLiberté
sous la forme d’une matrone assise à la poitrine puissante qui nourrit deux
bambinsnus.Àsespiedsunautreenfantestabsorbédanslalectured’unlivre,
symbole de l’accès à l’éducation. Pour que nul ne se trompe sur le caractère
républicain decette représentation, le personnagecentral empoigne le drapeau
tricoloredanssamaindroite.
Les sculpteurs ne furent pas en reste. Comme leurs camarades peintres, ils
bénéficièrent de commandes de l’État. La République de l’artiste Jean-François
Soitouxprésenteunefemmedeboutvêtueàl’antiqued’unelonguetunique,elle
estcouronnéederameauxdechêne.Elletientàdroitel’épée,lapointeverslesol
et à gauche elle prend appui sur un faisceau de licteurs. Lors d’un concours
organisé en 1848 par la deuxième République, la statue de bronze réalisée par
AlbertBarreobtintledeuxièmeprix.Cetterépubliqueétaitauréoléedesrayons
solaires (symbole de l’apport des Lumières), elle s’appuie sur un faisceau de
licteursetdel’autrecôtésamaintendueverslesolmontreuneruched’abeilles
poséesurtroisvolumes,surchacunestinscritundesmotsdeladevise«Liberté,
Égalité,Fraternité».CettestatueestconservéeàParis,auSénat.
Parlasuite,autourdescélébrationsducentenairedelaRévolutionen1889,les
commandesd’ÉtatsemultiplientdansdiversesvillesdeFrance,desstatues,des
bustes. À Paris, sur la place de la République est érigée la haute statue de la
république réalisée par Léopold et François Morice (commande de 1883).
Debout,la République brandit unrameau de laurier,elle est coifféedu bonnet
phrygien rehaussé d’une couronne de feuillage de chêne. Elle s’appuie sur un
bouclier.Lesoclecomported’autresallégoriesféminines(lesvilles)etunlionde
bronze. Sur la place de la Nation, Jules Dalou a exécuté « Le Triomphe de la
république » (1889). La femme figurée debout est dans l’attitude de la marche
apparente,ellefouleunglobeterrestreposésurunsoclereprésentantunattelage
tiré par un lion, entouré de personnages allégoriques. Cette image de la
république triomphante est coiffée du bonnet phrygien. Elle maintient un
faisceaudelicteurdesamaingauche.
Lemuséeàl’intérieurduSénatcomporteuneimportantecollectiondebustes,
statuettes et médailles figurant la république dont certains sont des objets
populairesenboiscoloré,sansoublierlesassiettesdefaïencecommémoratives.
Quantauxpiècesdemonnaie,lesouvenirs’estconservéfortlongtempsdansle
Franc depuis la figuration de la semeuse, gravée sur le motif d’Oscar Roty en
1909. Cette femme tient la besace habituellement dévolue au semeur (rôle
masculintraditionnel).Elleestcoifféed’unbonnetphrygiendonts’échappentde
longscheveux.Soncostumeesttoujoursundrapéàl’antique.Àl’arrière-plandu
champselèveunsoleilrayonnant.C’estlevisagedelasemeusequifutrepriset
réinterprété fort longtemps sur les timbres-poste de diverses périodes. Une
MariannespécifiquefutdessinéelorsdubicentenairedelaRévolutionen1989.
Ilexisted’autresallégoriesdelaMarianneoudelaRépubliquemaisdansun
contexte de représentations caricaturales dans la presse, sur des affiches. Cet
usage est attesté dès l’époque de la Commune de 1871 : la Commune et la
pétroleusesontconfondues.Ellesontlevisaged’unefemmeaubonnetphrygien
auvisagedehainequitientunarrosoirdepétroleetunetorchepourmettrele
feuparvengeanceauxbâtimentsdeParis.Dès1873danslejournalsatirique«Le
Grelot»,ledessinateurmetenscènedeuxrépubliquesquis’opposent:l’uneest
figuréecommeunefemmepaysannedontleprofilestceluiduministreThiers,
l’autreestunefemmeàlajuperougemarquée1793,cheveuxauvent,elleporte
unearme.Lesdeuxs’affrontent,faceàface.
Après la Libération en 1944, se multiplièrent des images de la république
renaissantedesescendres,etlorsdelacélébrationducentenairedelaloideJules
Ferry sur l’école gratuite, laïque et obligatoire, des affiches de la République
circulèrentdontcelledessinéeparJeanEiffel.
ENCADRÉN°7
NOMETIDENTITÉDESFEMMESMARIÉESENFRANCEAUDÉBUT
DUXXI SIÈCLEETNOMDELEURSENFANTS
E
RAPPEL-L’ÂGELÉGALDUMARIAGEENFRANCESELONLECODECIVIL
En2005,l’âgeminimumlégalpourautoriserlemariagedesjeunesfemmesest
passéde15à18ans.DansleCodecivilnapoléonien,envigueurdepuis1804,l’âge
minimumdumariageétaitde18ansrévoluspourleshommesmaisdetroisans
plusjeunepourlesfemmes.
UNEFEMMEMARIÉEFACEÀLAQUESTIONDELAPRÉSERVATIONDUNOMDENAISSANCEOU
«NOMDEJEUNEFILLE»(FORMULATIONANCIENNEDEVENUECADUQUE)
Ensemariant,unefemmeconservesonnomdefamille:nomquifiguresur
l’actedenaissance(appeléaussinomdenaissanceounompatronymique).
Ellen’aaucunedémarcheàfaire.
Toutefois,lemariagepermetàchaqueépouxd’utiliserlenomdel’autreépoux
ouundouble-nom:ils’agitd’un«nomd’usage».Cettedémarcheestvolontaire.
Cenomestfacultatif.
Dans tous les cas, chaque époux conserve le nom inscrit sur son acte de
naissance(nomdefamille).Cenomrestetoujoursinscritsursespapiers(carte
nationaled’identité,passeport,permisdeconduire…).
LESENFANTSETLENOMDEFAMILLE
La loi relative à la dévolution du nom de famille est une loi française
promulguéele18juin2003,disposantqu’unenfantnéaprèsle1erjanvier2005
peutportersoitlenomdupèrecommeauparavantdepuislaloidu6fructidor
AnII (23 août1794, sousla Convention),soit le nomde lamère soit lesdeux
dansl’ordrechoisipareux.
Pourlesenfantsnésavantle1er janvier2005,laloin’apasmodifiélesrègles
jusque-làapplicables,àsavoirquel’enfantporte:
– lenomdesonpère,lorsquelesparentssontmariés;
– le nom de celui qui a reconnu l’enfant en premier dans les autres cas, ou
bienlenomdupèresilesparentsl’ontreconnuenmêmetemps.
Toutefois,ilestpermis,àtitred’usage,d’ajouterlenomdusecondparent(cf.
CodeCivil(sectionIV-article43/versiondu1/07/1986abrogéeparlaloidu2
mars2002).
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SimoneVeil,Unevie,Paris,Livredepoche,2009.
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pouvoir,1789-1804,Paris,Perrin,2016.
GeorgesVigarello,Histoireduviol,XVIe-XXe,Paris,Seuil,1998.
ThierryWanegffelen,Lepouvoircontesté.Souverainesd’EuropeàlaRenaissance,
Paris,Payot,2008.
ArletteZylberberg-Hocquard,Femmesetféminismesdanslemouvementouvrier
français,Paris,éd.Ouvrières,1981.
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Maurice Agulhon, « Un usage de la femme au XIXe siècle : l’allégorie de la
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Laure Bouglé-Bal, Hélène Boucher : entre réalité d’un parcours et construction
d’unemythologie. Vieet mortd’une aviatricedel’entre-deux-guerres inrevue
Nacelles.Passéetprésentedel’aéronautiqueetduspatial,n°12–thématique
« Des Airs genrés ? Aéronautique et genre. » (printemps 2022), Toulouse,
Presses universitaires du midi. Consultable sur : https://revues.univ-
tlse2.fr/pum/nacelles/index.php?id=1603
Clio, Femmes, Genre, Histoire, revue française semestrielle, depuis 1995. Éd.
Belin. Les articles ne concernent pas que la France. Ils sont accessibles en
versionnumériséeviaCairn.Quelquesnumérosdont:-1|1995Résistanceset
LibérationsFrance1940-1945-13|2001
Intellectuelles-15|2002Chrétiennes-21|2005Maternités-29|2009
68, révolutions dans le genre ? -38 | 2013 Ouvrières, ouvriers -45 | 2017 Le
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Martine Cocaud et Jacqueline Sainclivier, « Femmes et engagement dans le
monderural(XIX-XXe siècles):jalonspourunehistoire», Ruralia[Enligne],
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MarlèneCoulomb-Gully,«Femmesàlaune:20ansde20heuresou“lavoixde
laFrance”(1982-2002)»inLetempsdesmédias,n°12,2009,p.125-140.
DeniseNoël,LesfemmespeintresdanslasecondemoitiéduXIXesiècleinrevue
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MireilleTouzery,«ÉmilieDuChâtelet,unpasseurscientifiqueauXVIIIe siècle»,
Larevuepourl’histoireduCNRS[Enligne],21|2008,misenlignele3juillet
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pourlesfemmes?Legenredelaconstructioneuropéenne,Paris,Publicationsde
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BéatriceDidier,AntoinetteFouque,MireilleCalle-Gruber,LeDictionnaire
universeldescréatrices,Paris,Leséditionsdesfemmes,2013,3vol.(disponible
aussiene-booketversionnumérique).
Encyclopédiepourunehistoirenouvelledel’Europe,«GenreetEurope»,LabEx,
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JulieLeGacetFabriceVirgili(ouvragecollectif),L’EuropedesFemmes,XVIIIe-
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FlorenceRochefort,Histoiremondialedesféminismes,Paris,PUF,coll.Quesais-
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« Madame de Staël et l’Europe » : catalogue de l’exposition de 1966 à la
Bibliothèque Nationale de France
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5844439h
NB:aprèslaremisedenotremanuscritennovembre2022,nousavonsconsulté
desouvragesparusàlafindel’année.
Pascal Picq, Comment la modernité ostracisa les femmes. Histoire d’un combat
anthropologique sans fin, Paris, éd. Odile Jacob, 2022. L’auteur
paléoanthropologue interroge le passé proche et familier de la modernité
depuisleXVIe siècle.
Séverine, L’insurgée,choix des textes de la journaliste (1855-1929), présentation
par Paul Couturiau, et textes commentéspar Laurence Ducoussau-Lacaze et
Sophie Muscianese, Montreuil, éd. L’Échappée, collection Lampe-Tempête
dirigéeparJacquesBaujard,2022.
SITOGRAPHIE
Archives du féminisme – Université d’Angers est une association loi de 1901
fondée en 2000 par l’historienne Christine Bard et ayant pour objectif
principal de préserver les sources de l’histoire des féminismes. La collection
associée Archives du féminisme, publiée par les Presses universitaires de
Rennes, favorise la diffusion de travaux de recherche portant sur les
mouvementsd’émancipationdesfemmes.
www.archivesdufeminisme.fr
Mnémosyneestuneassociationpourledéveloppementdel’histoiredesfemmes
et du genre, créée en 2000 à l’initiative de la revue Clio. Femmes, genre,
histoire.www.mnemosyne.asso.fr
Centre Hubertine Auclert, géré par la région Île-de-France, présente des
ressources directement accessibles sur l’égalité femmes-hommes et à usage
généraletpédagogiquesurlesviolencesfaitesauxfillesetauxfemmes,surle
cybersexisme.Il propose aussides formations pour lespersonnels concernés
enÎle-de-France.https://www.iledefrance.fr/centre-hubertine-auclert
LaClef-Coordinationfrançaisedulobbyeuropéendesfemmes(associationcréée
en1991).https://www.clef-femmes.fr
Association FDFA. Femmes pour le dire, femmes pour agir. Son projet est de
promouvoirlaplacedesfemmeshandicapéesdanslasociétéetdeluttercontre
lesviolencesetlesmaltraitances.https://www.fdfa.fr
Association REFH (Réussir l’égalité Femmes-Hommes) www.reussirlegalitefh.fr
intervientet/ouaccompagnelesprofesseursdanslesétablissementsscolaires.
Elleproposedesaidessurl’histoiredesfemmes,Elleprésentedesinformations
surlaconventionCEDAW(ONU–ratifiéeparlaFranceen1983)auprèsdes
professeur.e.s.
BIBLIOTHÈQUESPÉCIALISÉE
Bibliothèque Marguerite Durand, Histoire des femmes et féminisme,
79 Rue Nationale, 75013 Paris (dans les locaux de la médiathèque J.-
P. Melville). Consultation sur place, et documents numérisés. Catalogue
disponible sur http://bibliotheques-specialisees.paris.fr et contact
bmd@paris.fr
TABLEDESMATIÈRES
CHAPITREPRÉLIMINAIRE.LELEGSDUMOYENÂGE
DES FEMMES SOUVENT«INVISIBILISÉES»
GenevièvenéeàNanterre
BlanchedeCastillereineetrégente
MargueritePorète:dubéguinageaubûcher
Jeanned’Arcprophétesserebelle
ChristinedePisanveuveetécrivainedetalent
Femmesdanslamémoirenationale:desmanuscritsàl’imprimerie
CHAPITRE1.LAPLACEDESFEMMESDANSLASOCIÉTÉDELARENAISSANCE
MISOGYNIEORDINAIREETÉMERGENCEDE«FEMMESFORTES»
L’éducationd’unemèrecultivéeaimantlesarts:leventd’ItaliesouffleenSavoie
Unesociétéhétérogènemalgrél’imagedes«troisordres»
Femmessoumises:dumonderuralaumondeurbain
Vivreauvillageaurythmedessaisonsetdesfêtesreligieuses
Persécuterlesfemmes.Rechercherlessorcières!
Lesfemmesdanslemondeurbain:travail,sociabilité
Lesélitesurbaines
Fillesetfemmesautravailenville:quelsmétiers?
Quelquesfemmesexercentdanslesmétiersdel’imprimerie-librairie
Lesfemmesdelanoblesseaccompagnentlacouritinérante
Tensionspolitiquesetguerresdereligion.AutourdeCatherinedeMédicisetdesesfils
HenrideNavarre,filsdeJeanned’Albret
Italianisationet«féminisation»delacouretdesesusages
Deuxrégentesfaceauxcrisesduroyaume
«LaMargueritedesmarguerites»humanisteetécrivainenéeàAngoulême
Femmescultivéesmécènesouérudites
Jeanned’Albret:actricetenacedupartiréformé
CHAPITRE2.LESFEMMESAUXVIIE SIÈCLE
DUBAROQUEÀL’ÂGECLASSIQUE.OSERPENSER,OSERAGIR,OSERÉCRIRE!
Unsiècledefeu,deguerres,degloire,d’hégémoniefrançaiseenEurope
Anned’Autrichedevientrégente
Mars1661etlerègnepersonneldeLouisXIV.L’absolutismeseprofile
Femmes,hospicesetencadrementdespopulationsprécaires
«Femmesdangereuses»,femmesexclues:desprostituéesauxmystiques
Statutjuridiquedesfemmes:mariage,dot,héritage
Disposerdesoncorps.Lesfemmesfaceauxconnaissancesdesmédecins.Obstétrique,maternité,
surmortalité
Lamaternitésubie,lamortalitédesfemmes
Accèsdesfemmesausavoir:discrimination,difficultésetexceptions
Accèsaupouvoir:femmesécrivainesetrebelles
L’artdelaconversationetdel’écoute
Endehorsdessalons,desfemmeséditricesetjournalistessont-ellesconnuesàcetteépoque?
Desfemmesdepouvoir:politique,mécénat,institutionsreligieuses
L’Égliseconfiecertainesresponsabilitéscaritativesàquelquesfemmesdel’élite
Accéderàlacréationetauxarts
«Couvrezceseinquejenesauraisvoir!»TartuffefaceàDorine
CHAPITRE3.LESFEMMESAUXVIII ESIÈCLE:LETEMPSDESREMISESENQUESTION
LES«LUMIÈRES»ETLERENDEZ-VOUSMANQUÉAVECLESFEMMES.LARÉVOLUTION
DE1789,RUPTURESETESPOIRS
L’automnedelasociétédestroisordres:premièresfissures
1774–LouisXVIdevientroi.SonépouselajeuneMarie-Antoinetten’aaucuneexpérience
politique
Lequotidiendesfemmes:interdépendanceville-campagne
Femmeset«bureauxd’esprit»:deslieuxmixtesdeconvivialitéetderéflexion
L’amourduthéâtreetdel’opéra
Lessalons:desateliersd’écriturescroiséesetdelecturespubliques
Correspondancesfémininesetintrigues
Dessalonspolitiquesàlaveillede
Femmes,enfants,éducation,dansunroyaumede28millionsd’habitants
Desfemmesd’exceptionaccèdentauxconnaissancesscientifiquesauprixdebiendesobstacles
Desfemmesmécènesauxcheffesd’entreprisesetaux«journalistes»
Àlaveillede1789etdelaréuniondesÉtatsgénéraux
FemmesartistesauXVIIIe:quelquesopportunités
LesÉtatsgénérauxetlesrevendicationsdesfemmes
Lesfemmesdanslatourmenteetl’instabilitépolitique,économique,militaire
LesfemmesdelaContre-Révolution
Trois«féministes»implicitesaucœurrépublicain
Larupturede1789/1799:conséquencesetespoirsdéçus
CHAPITRE4.LESFEMMESAUXIX ESIÈCLE
DUCODECIVILNAPOLÉONIEN(1804)JUSQU’ÀLAVEILLEDELAGUERREDE
Naissancedel’espritromantique
Louise-GermainedeStaël:uneopposanteaudespotismepolitiquedeNapoléon
GeorgeSand,nomdeplumed’AuroreDupindeFrancueil:écritureetémancipation
Lesfemmes,laRévolutiondejuillet1830etlesaint-simonisme
Deschangementsdanslasociété.Laplacedesfemmesdanslemondedutravail
LeschangementsissusdelaRévolutiondefévrier1848.LesfemmesetlaDeuxièmeRépublique.
L’Éveildesassociationsetdelapresseféminine
Aprèslecoupd’ÉtatdeNapoléonendécembre1851,desouvragesdefemmessontpubliéssur
l’éducationetl’égalitédessexes
Autourd’AndréLéo,deJulie-VictoireDaubiéetdeMariaDeraismes
DesfemmesengagéesdanslaCommuneinsurrectionnelledeParis.Marsàmai
Lesfemmesde1871:desbarricadesàlarépressionetàladéportation.LouiseMicheletles
militantes
1878:uncongrèssurledroitdesfemmes
HubertineAuclertmilitantepersévéranteetacharnéedesdroitsdesfemmes
MargueriteDurandetlapresseféministe,lejournalLaFronde
Séverine,unejournalisteféministeforméeàlapresseparJulesVallès
JeanneSchmahletlecombatpourl’émancipationéconomiquedesfemmesmariées
Uncourantféministesousinfluencecatholique
SarahMonodetJulieSiegfried:desféministesdanslecadreprotestant
Desfemmesdansuncourantsocialiste:MadeleinePelletieretGabrielleDuchêne
Avril1915,lecongrèsdeLaHayeetlesespoirsdesfemmespacifistes
Femmesetcourantdelaïcisationautourdel’éducation.LadéterminationdeJulesFerryetde
CamilleSée
Des«sallesd’asile»auxpremièresécolesmaternellespubliques.LesinnovationsdeMariePape-
Carpantier,pédagogue
Enjeuxautourdescongrégationséducativesetpréparationdelaloide1905relativeàlaséparation
del’ÉtatetdesÉglises
Desréformesautourdel’enseignementartistiqueetdel’accèsdesfemmes
CHAPITRE5.LESFEMMESDE1914À1939–HÉROÏNESINVISIBLES?
PREMIÈREGUERREMONDIALEETPARADOXESDURETOURÀLAPAIX
Desinitiativestransnationalesdefemmespacifistes
Été14:discoursdeVivianiauxfemmespourladéfensedelapatrie
Lequotidiendesfemmes14-18:dudéfiéconomiqueàl’héroïsmesilencieux
Femmesmobiliséespourlaproductionindustrielle
Quelestletravaildes«munitionnettes»?
Femmesinfirmières:les«angesblancs»
L’aideauxpopulationsciviles:lesAméricainesduCARD
Femmeschirurgiennesetactionssurlefront
Desinfirmièresdechoc,maissouventsansdiplômes
Femmesdel’ombre:résistantesetespionnes.Aiderlesalliés
Lesfemmesàl’époquedesAnnéesfolles:selibérerdescontraintes
Lesfemmesdanslemondedutravail:diversificationdesemplois
L’évolutiondesmœurs,«lagarçonne»(1922),l’androgynie
Lacriseéconomiquedesannéestrenteetsonimpactsurletravaildesfemmes
Famille,démographie,mariage,avortementet«loisscélérates»
Lesfemmesetlemondepolitique
Lesfemmesdanslesartsetlalittérature
CHAPITRE6.LESFEMMESDE1939À1974
FEMMESCITOYENNES«SANSCITOYENNETÉ»DANSLAGUERRE.DELARÉSISTANCEÀ
L’ACCÈSAUDROITDEVOTE.L’ÉMANCIPATIONDUCORPSETLACONTRACEPTION
Êtrefemmesousl’OccupationetlegouvernementdeVichy
Lapersécutiondesfemmesjuives
DesfemmesdanslaRésistance/LaFranceLibreetLondres
Lavieculturellesousl’Occupation.Lespersonnagesfémininsvusparlecinémaetlethéâtre
L’accèsdesfemmesaupouvoir–ledroitdevote
PendantlesdébutsdesTrenteGlorieusesunlivrequiproposedelibérerlescorps:Simonede
Beauvoiren1949LeDeuxièmeSexe
Lamédiatisationdelaquestionducontrôledesnaissancesetdel’avortement
«Versunematernitédésiréeetcontrôlée»
Lesfemmesveulenttenterdeconcilierviefamilialeetvieprofessionnelle
Lesfillesdu«Baby-boom»
Leprintempsdemai1968:espoirmaisdéceptionpourlesfemmes
SimoneVeiletlaloide
CHAPITRE7.LESFEMMESDE1975ÀNOSJOURS
LALUTTECONTRELESVIOLENCESETLADIFFUSIOND’UNECULTUREFÉMINISTEPAR
LESMEDIAS.LESFEMMESDANSLAVIEPUBLIQUE
Unrapportdel’INSEEetunbilan
Lesmédiasetlesfemmes
L’institutionnalisationduféminisme:1981–FrançoisMitterrandprésidentetrôledelaministre
YvetteRoudy
Le«ManifestedesDixpourlaparité»lespremièresétapes
Verslaparitéhommes-femmeslaloide2000etsessuites
Desfemmescandidatesàl’électionprésidentielle1974-2007:pourquoipas!
Commentlegouvernementsocialistea-t-ilfaitévoluerlaparité?
Lemouvementféministedesannées
Lesfracturesaprès2000,lescontroverses
1989-2004.Del’affairedu«voile»aucollègeàlaquestiondu«foulard»dansl’islam
Qu’enest-ildes«nouveaux»féminismesdepuisladécennie2010?
LaconstitutiondelaVeRépubliqueetl’espoirdel’inscriptiondudroitàl’avortementdanslaloi
CONCLUSION.DUPASSÉAUPRÉSENT.ITINÉRANCES…
ANNEXES
Encadrén°1.Calendrieragro-liturgiqueetrythmesdevie
Encadrén°2.LaviequotidienneetlesobligationsdesépousesdeministressousLouisXIV
Encadrén°3.Lespersonnagesfémininsdanslethéâtreduxviiesiècle
Encadrén°4.Lafréquentationdessalonsparisiensauxviiie siècle
Encadrén°5.Engagementsdefemmesde1830à1914(associations,publications,congrès)
Encadrén°6.FemmesetallégoriesdelaRépubliquede1789à
Encadrén°7.NometidentitédesfemmesmariéesenFranceaudébutduxxie siècle
etnomdeleursenfants
BIBLIOGRAPHIE