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Danslacollection«Biographiesetmytheshistoriques»

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Lesespionsdesamajesté.Unehistoiredel'espionnagebritannique,ÉmilieBERTHILLOT
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ISBN9782340-078710
©EllipsesÉditionMarketingS.A.,2023
8/10ruelaQuintinie75015Paris
ÀJean-Marie
Sansnosdialogues,parfoisvifs,
celivren’auraitpasvulejour!
Mercidececheminementpartagé.
Lesillustrationssontregroupéesdanslecahier-images(Pl.IàXVI)
Lesannexesenfind’ouvrageregroupentlesencadrésn°1àn°7.
CHAPITREPRÉLIMINAIRE

LELEGSDUMOYENÂGE

DESFEMMESSOUVENT«INVISIBILISÉES»

Le temps de l’histoire des femmes commence à une date incertaine car elles
ont été « déshistoricisées », ainsi que l’écrit la sociologue Andrée Michel (en
2003),commesilaconditiondesfemmeséchappaitàleurpropreinfluence.Elles
sontalorsréduitesaurôledesimpleobjetdel’histoireetnesauraientenêtreles
actrices.
Le Moyen Âge, expression des historiens pour désigner cette période qui
s’étiresurprèsdemilleans,etprendfinaveclaRenaissance,commenceavecla
destructiondel’empireromaind’Occidenten476denotreère,nationstructurée
et parfaitement organisée autour de structures politiques adaptées, dont le
fonctionnement est défini par un droit écrit. Une langue commune, le latin,
permetleséchangeséconomiquessurunvasteterritoirequis’étendauxpaysde
l’Europe occidentale actuelle. Le christianisme d’abord ennemi et persécuté est
devenuunereligiond’Étatsousl’empereurThéodose(395).Elles’eststructurée
en une église séculière avec son quadrillage géographique hiérarchisé et ses
communautés monastiques séparées de l’organisation territoriale, mais
rattachéesaupontiferomainàleurplushautniveauhiérarchique.LeMoyenÂge
futunelonguepériodehistoriqueoùlechristianismejouaunrôledéterminant
carilsauvegardalesconnaissanceshéritéesdumonderomainetdescivilisations
quil’environnaient.Etaussiparcequ’ilcontint,malheureusementavecdifficulté,
le déferlement de violence politique et sociale de ces dix siècles. Située entre
l’Antiquité et la Renaissance, la période est subdivisée par commodité par les
historiensentrelehautMoyenÂge(VeàXesiècle),leMoyenÂgeclassique(XIe-
XIIIesiècle)etleMoyenÂgetardif(XIVe-XVesiècle).
LesbarbaresévoquésparlesRomainsdel’Antiquitétardivesontlesétrangers
qui ne parlent ni ne comprennent la langue latine et qui habitent au-delà du
« limes », terme désignant les zones frontières de l’Empire romain. L’Édit de
Caracallaen212,ouConstitutionantonine,avaitaccordélacitoyennetéromaine
àtouthommelibrevivantdansl’Empire.L’empired’Occidentavaitmisenplace
unevie relativement facilegrâce à sonorganisation très évoluée.Les provinces
périphériques s’étaient romanisées et la paix s’était installée durablement.
L’Empirecomprenaitdegrandesvillesoùderichespatriciensavaientédifiéleurs
demeuresprospères.L’écartderichesseentreclassessocialesaiséesetpauvresa
sansdoutejouéendéfaveurdudésircollectifdedéfendrelacivilisationquiétait
lefruitdel’effortcommun.«Lesbarbares»,eux,étaientdeséleveurs,organisés
enclans,quivivaientdeleurstroupeauxqu’ilsdéplaçaientsurdevastesterrains
de parcours au gré des saisons. Parfois en raison d’une croissance
démographique excessive, parfois eux-mêmes poussés vers l’Ouest par des
migrations de peuples nomades venus de l’Asie centrale, ces populations
s’infiltraient sur les terrains de l’Empire. Lorsque la pression démographique
s’accentuait et que les difficultés économiques s’aggravaient, ces barbares
semaientlamort,lepillageetladestructiondesvilles.Lespopulations,outout
dumoinscequienrestait,fuyaientenabandonnantleursterresetleursbiens.La
dépopulation, la désurbanisation et les migrations de l’Antiquité tardive se
poursuivent et les descendants des anciens envahisseurs barbares fondent de
nouveauxroyaumessurlesterritoiresdel’ancienEmpireromaind’Occident.La
partieorientaledel’Empireromainsurvitauxbouleversementsgéopolitiquesde
lapériodeetresteunepuissancedepremierplansouslenomd’Empirebyzantin
et ce jusqu’en 1453. Ce dernier perd cependant une grande partie de ses
territoires au Proche et au Moyen-Orient et en Afrique du Nord au profit des
califatsmusulmansàlafinduVIIeetauVIIIesiècles.
Unefoisinstallés,lesbarbaresouleursdescendantsselivraienteux-mêmesà
des guerres internes pour l’attribution des nouveaux territoires conquis. Ce
processusviolentaboutitàlaconstitutiondesterritoiresféodaux.Pourarriverà
un équilibre malgré les querelles incessantes une élection permettait de choisir
quidansleclanseraitl’arbitresuprême.C’estainsiquelespremiers«rois»firent
leur apparition. D’autres invasions plus tardives, venues du sud cette fois,
modifièrent la géographie de la société médiévale. Les raids de Sarrasins,
fortementimplantésdanslapéninsuleibériqueauhuitièmesièclerelancèrentles
guerres locales. La tradition attribue à l’action de Charles-Martel le
cantonnement de leur zone de nuisance au sud de Poitiers. À la fin du règne
pacificateurde Charlemagne,les mouvementsd’invasionreprirent, venusde la
mer cette fois. Les Vikings (désignés plus tard sous le terme de Normands)
arrivèrent depuis la Scandinavie sur les côtes occidentales. Montés sur leurs
bateaux à fond plat, propulsés à la rame ou par une grande voile carrée, ces
esquifstransportaientvingtàquarantematelotscombattants.Leurconstruction,
très sophistiquée, les rendait à la fois résistants et légers. Leur fond plat leur
permettait dedébarquer directement sur lesplages, ce qui rendait difficileleur
interception. Des régions furent à nouveau dévastées et des populations
décimées.Cequiétaitaudébutunesériederaidsàfinalitédepillagedevintune
formede«colonisation».Laprésencedecesenvahisseursestformaliséeparla
signature du traité de Saint-Clair-sur-Epte, en 911 : le roi des Francs Charles
concèdeauxVikingslecomtédeRouenettoutleterritoireentrel’Epteetlamer,
fondementdufuturduchédeNormandie.
Dans ces temps troublés, le fil de l’histoire s’est parfois interrompu. Les dix
siècles du Moyen Âge ne sont pas documentés de façon régulière. Les grands
voyageurs/chroniqueursdel’Empireétaientuneespècedisparue:«exeunt»les
Salluste, Suétone, Tacite, Tite-Live, et plus tard Eutrope. Ils n’ont d’autres
successeurs que des clercs qui chroniquaient les évènements de l’espace réduit
danslequelilspouvaientsedéplacerensécurité.
Aussi proposons-nous, faute de documentation autre, de faire remonter le
débutdel’histoiredesfemmesfrançaisesàquelqueshéroïnes,sauvéesdel’oubli
parlaplacequeluiaccordèrentlamémoirepopulaireoul’Églisecatholiquedans
seshagiographiesourécitsdeviesdesaints.

GENEVIÈVENÉEÀNANTERRE
Geneviève (419-512), était fille de patriciens qui résidaient au village de
Nanterre,auborddelaSeine.Ellefutcanoniséeparl’Églisecatholiqueromaine
auXVIesièclequienfitlapatronnedeParis.ElleétaitprochedeClotilde,épouse
du roi Clovis qui avait engagé son époux à se convertir à la foi chrétienne.
L’histoiredeGenevièveestconnueparlerécitissudelaplumedeGrégoirede
Tours.Cedernieraffirmeavoirrecueilli,dix-huitansaprèslamortdelasainte
les récits de témoins oculaires de différentes étapes de sa vie. Selon son récit,
rédigéen latin,alors qu’elleétait encoreenfant, sapiété avait étéremarquéeet
encouragéeparl’évêqueGermain.Àlasuitedelamortdesesparents,lajeune
fille quitta Nanterre et vint se réfugier auprès d’une tante qui habitait à Paris,
dansl’îledelaCité.L’auteurluiprêtedesmiraclesaucoursdesonadolescence.
Laforcedesapiétéluiauraitpermisd’obtenirlaguérisondespersonnesatteintes
parlemaldesArdents(foliemortelledéclenchéeparlaconsommationdepain
contenantde l’ergot deseigle). Une chapelleconsacrée à Genevièvefut édifiée,
aprèssa mort, àproximité dusite de la« future »cathédrale NotreDame. Les
maladesatteintsdecemalvenaientyprierpourobtenirleurguérison.
Le texte de Grégoire de Tours, rédigé en latin à la fin du VIe siècle, raconte
aussil’épisodedusiègedeParisparunpartideHunsducland’Attilaremontant
la Seine sur leurs vaisseaux. Les habitants prirent peur, tant la réputation de
sauvagerie de ces barbares avait été confortée par les massacres auxquels ils
s’étaientlivrés. La villeétait coupée deses approvisionnementsalimentaires en
provenance de l’ouest. Un début de panique saisit la population. Geneviève,
puisadanssespropresdenierspourfairevenirduravitaillementenprovenance
de la région orientale de la ville. Puis elle réunit la population parisienne et
affirmaqu’avecl’aideduCiellasituationn’étaitpasdésespérée:
«Queleshommesfuient,s’ilsveulent,s’ilsnesontpluscapablesdesebattre.
NouslesfemmesprieronsDieutantettantqu’Ilentendranossupplications».
Elle organisaalors une prière collectivepour demander àDieu d’éloigner ce
danger.Lavillefutépargnée.
Pourrendregrâceàl’interventiondivine,Genevièvefonda,avecl’appuidela
reine Clotilde, un monastère sur la rive gauche parisienne. Une partie des
bâtimentsducouventaétéconservée.Unetourdel’abbaye,estintégréedansles
bâtimentsdel’actuelLycéeHenriIV,àproximitédel’égliseSt-ÉtienneduMont
etduPanthéon.LadévotionàGenevièveperduraaucoursdestemps.DuMoyen
Âge au XVIIIe siècle, une procession annuelle se déroulait entre la cathédrale
Notre-Dame et la « montagne Sainte-Geneviève » en l’honneur des deux
protecteurs de la ville : Denis, évêque et premier martyr et Geneviève dont la
déterminationavaitrepoussélesHuns.Lesarcophageconservantlescendresde
GenevièvefutplacéavecceluideClovis,dansl’églisedumonastèrequ’elleavait
fondéavecl’aidedeClotilde.LecorpsdeClotildefutinhuméàleurscôtéslorsde
samort.Leursdépouillesfurenttransféréesdansl’égliseSt-ÉtienneduMont,lors
desaconstruction,àl’époquedelaRenaissance(Cahier-images,Pl.I).
La«déshistoricisation »desfemmesest tellementaiguëau MoyenÂgequ’il
faut attendre sept siècles après Geneviève pour qu’une autre figure féminine
apparaisse dans l’Histoire. Encore faut-il, comme pour Geneviève, que cette
figurefémininesoittrèsprochedesplushautsniveauxdupouvoir.

BLANCHEDECASTILLEREINEETRÉGENTE
Blanche de Castille (1188-1252), épouse du roi de France Louis VIII, est la
petite fille d’Aliénor d’Aquitaine, elle-même souveraine d’Angleterre par son
mariage avec le roi Henri II Plantagenet. De son union avec le roi de France
naquirentdouzeenfants.LouisIX(saintLouis)estlequatrièmedelafratrie.Il
fut,aveclesrèglesdelaloisalique,l’ancêtreenlignedirecteoucollatéraledetous
lesroisdeFrancejusqu’en1848.
Selonlavolontédesagrand-mèreAliénord’Aquitaine,pourconsoliderlapaix
entrelaFranceetl’Angleterre,BlancheétaitdestinéeàépouserleprinceLouisde
France,filsdePhilippeAuguste.Ilseditquecechoixfutmotivéparl’intelligence
etlecaractèrebientrempédelafutureépouse.
Elle apporta à son époux un soutien précieux dans l’exercice difficile de ses
fonctions. La souveraineté royale sur les puissants barons des provinces
françaisesest une notionmise enplace par PhilippeAuguste. Sousle règne de
LouisVIII,elleesttropnouvellepournepasêtrefragile.Àlamortdecedernier,
lesbaronssedéchaînent.Lefuturroin’aquedouzeans.Samèreaétédésignée
commerégentepartestamentduroidéfunt.Faceàcepouvoirroyalfragile,les
partisans de la féodalité triomphante se sentent pousser des ailes. Blanche de
Castillefaitl’objet,danssesfonctionsd’autoritécommedanssavieprivée,d’une
campagne de dénigrement féroce. Deux puissants féodaux, Lusignan comte de
Poitou et Mauclerc duc de Bretagne, tentent d’enlever la régente et son fils.
Réfugiés dansla forteresse de Montlhéry, Blanche etson fils Louis sont sauvés
parlapopulationparisiennevenueleschercheretlesescorterjusqu’àParis.Les
baronsinsurgéssontfinalementdéfaitsparl’arméeroyale.BlanchedeCastilleest
parvenueàimposerl’autoritéroyale.Ellepeutseconsacreràpréparersonfilsàla
charge de roi. Elle lui donne les meilleurs précepteurs choisis parmi les ordres
dominicainetfranciscain.
Louisprendlesrênesdupouvoirversl’âgede20ans.Ilgardeauprèsdeluiles
conseilleurs de sa mère qui furent, bien souvent, aussi ceux de son père.
L’influencedeBlanchedeCastilleesttoujourspriseencomptedanslesdécisions
desonfils,maisellechoisitdes’effacerprogressivement.
Elleestconduiteàreprendresaplacederégenteen1248,lorsqueLouisIXpart
pour la septième Croisade en Orient. Lorsqu’il est fait prisonnier, Blanche de
Castille entreprend de réunir les fonds nécessaires au paiement d’une rançon.
Celle-ciestinutile,LouisayantforcélesTempliersàréunirlesfondsnécessaires
surleurspropresbiens.
La fin de Blanche de Castille fut triste. Louis est encore en Orient lorsqu’il
apprendlanouvelledelamortdesamère,en1252.IlneregagnelaFrancequ’en
1254. Blanche de Castille fut inhumée à l’abbaye cistercienne de Maubuisson,
prèsdePontoise.

MARGUERITEPORÈTE:DUBÉGUINAGEAUBÛCHER
MargueritePorète,aucontrairedeGenevièveoudeBlanchedeCastille,n’est
pas une femme proche du pouvoir. Elle est née vers 1250. Elle est la première
femme connue à cause d’une œuvre littéraire et mystique de sa composition,
œuvrequiluivalutd’êtreconsidéréecommehérétiquepuisbrûléeviveenplace
deGrèveen1310.
On connaît surtout de Marguerite son livre et les minutes du procès qui la
condamnaaubûcher.Onsaittoutefoisqu’elleappartenaitaubéguinagedeParis.
IlexistaitàParisautourde1310,danslequartierduMarais,unespacecloset
horsdutemps.Ilréunissaitdesfemmesdansunecommunautédelaïques:elles
vivaientensembleetconsacraientunepartieimportantedeleurtempsàlaprière.
C’étaitlegrandbéguinageroyal,autoriséparsaintLouis.Ellessontdescentaines
defemmesàvivre,étudieroutravaillerauseindelacommunauté.Ellesrefusent
lemariageetlecélibatconsacréetrevendiquentuneformedelibertétellequeles
femmesdecetteépoquepouvaientlaconcevoir.
Ce mouvementdu béguinage est ancien. Il naîtau sein de communautés de
jeunesfillesetdeveuves,vers1200enEuropedunord-ouest.LavilledeBruges
estaucentredesondéveloppement.
Proche de l’ordre mendiant des franciscains ou de l’ordre enseignant des
dominicains, les béguinages sont, pour beaucoup, marqués par l’influence de
mystiquesenmargedel’Église,cequileurvautunecertaineméfiancedelapart
des autorités ecclésiastiques. Les béguines se distinguent du reste de la
populationféminineparleportd’unvêtementetd’unecoiffeparticuliers.Leurs
journées sont rythmées par la prière en commun, les soins aux malades, les
travauxdetissageetdecouture.Pourbeaucoup,cechoixdevieétaitunefaçon
d’éviterunmariageimposéetdegarderleurindépendancetoutenbénéficiantde
lasécuritédelavieauseind’unecommunautéprotectrice.
Margueritebéguineetmystique,estprobablementnéeenHainaut,peut-êtreà
Valenciennes. Elle vint se joindre au grand béguinage royal de Paris. Elle fut
poursuivie pour son ouvrage Le Miroir des âmes simples et anéanties qui
seulementdemeurentenvouloiretdésird’amour,paruvers1290.Sonauteurey
traitedel’amourdivin.Elleécritcetouvragemystique,àlafoisdethéologieetde
poésie,enlanguevernaculaire(enlangued’Oïl),etnonenlatin,pourlerendre
plus accessible à un plus grand nombre. Son récit s’inspire de l’écriture et du
vocabulaire de la littérature courtoise. Son livre comporte 139 chapitres qui
traitentdesétapessurlecheminmenantàDieu,analysantlesétatsdel’âmeetles
expériences de la grâce. Marguerite estime que le dépouillement matériel doit
êtreassociéàlaméditationafindes’anéantirsoi-mêmepourpouvoirpartagerla
vie de la Trinité. Le livre circula. Des copies (calligraphiées à la main, cette
période étant antérieure à la création de la presse à imprimer) furent réalisées
ainsi que des traductions en plusieurs langues. Les autorités ecclésiastiques
s’inquiétèrent. N’était-il pas question de minimiser le rôle des clercs dans le
fonctionnement de la communauté chrétienne ? L’ouvrage fut condamné pour
hérésie par l’évêque de Cambrai qui en fit brûler un exemplaire en place
publique. Malgré cette première condamnation, Marguerite persista. L’affaire
vint alors entre les mains de l’Inquisiteur pour le royaume de France, le
dominicainGuillaumedeParis.Leprocèsdelabéguines’ouvritàParis devant
une commission de théologiens et un groupe de canonistes. Condamnée, elle
meurtsurlebûcheràParisenPlacedeGrèveen1310,cecidanslecontextede
l’exécutiondesTempliersvoulueparleroiPhilippeleBel,petitfilsdeLouisIX.
Peu après, le théologien dominicain Maître Eckhardt dont les écrits faisaient
autorité auprès des universités de Paris et de Cologne, vint à Paris où il prit
connaissancedes écrits de Margueriteet du sort cruel quilui avait été réservé.
Dansses propres enseignements,il repritet transposa lesthèses de Marguerite
autourdel’anéantissementdel’âme,c’est-à-diredudétachementpréliminaireà
touterencontreavecladivinité.

JEANNED’ARCPROPHÉTESSEREBELLE
Ni femme de pouvoir, au rebours de Geneviève et Blanche de Castille, ni
mystiqueréfugiéedanslaprièreetl’écrituretelleMargueritePorète,unefemme
decondition modesteparvient ausommet dupouvoir, dela puissanceetde la
souffrancepour l’amourde son pays.Jeanne d’Arcfut une héroïnerebelle àla
foisàsaconditiondefemmepuisqu’elleportalesarmesetàsaconditionsociale
modestepuisqu’ellefutchefdeguerreetconseillèreduroi. Ellepaya d’unprix
terriblesatransgression.Cettejeunefemmeimpressionnantedefoi,decourage
et d’autorité qui redonna le goût de la victoire à un Dauphin frileux et à son
entourage timoré fut abandonnée à l’ennemi, jugée, condamnée comme
hérétiqueetfinitaubûcher.Cetteépopéedramatiquecontribuaàmettrefinàla
guerredeCentans,conflitnédelaprésence,faceàCharlesVII,d’unprétendant,
héritier du roi d’Angleterre. Jeanne a sauvé l’identité des provinces françaises
menacées par l’intégration au sein du royaume d’Angleterre, dans lequel leurs
cultures se seraient dissoutes. La personnalité et le courage de Jeanne d’Arc
suscitentdesontempsnombrederécitscontradictoires,oùlesinterrogatoiresde
sonprocèstiennentuneplaceprimordiale.Jeannenaîten1412dansunefamille
depetitenoblessedeLorraine.Lespremièresmanifestationsdes«voix»qu’elle
entend lui enjoignent en cette période de guerre d’agir en faveur du dauphin
Charles.Faut-ilvoirencettetoutejeunefille,unedeces«prophétesses»delafin
de l’époque médiévale dont le christianisme exalté l’aurait poussé à agir et à
combattre physiquement ? Partie de Vaucouleurs avec quelques hommes
d’armeselle réussit àobtenir derencontrer le dauphinà Chinon auprintemps
1429.Elleparvintàleconvaincredetenterlaprised’Orléansalorsauxmainsdes
Anglais comme un grand nombre de villes, dont Paris. Victorieuse à Orléans,
Jeanne continue à combattre et à mener ses troupes. Elle réussit à atteindre
ReimsoùelleorganiselacérémoniedusacredeCharlesVII,lelégitimantainsi
comme roi de France. Elle tente de reprendre Paris en 1430, échoue devant la
porte Saint-Honoré. Blessée au cours de l’assaut elle se replie sur Compiègne.
Ellesouffredesesblessures.Physiquementdiminuée,elleperdunepartiedeses
soldats. Elle est faite prisonnière par les Bourguignons qui la « vendent » aux
Anglaisauxquelsilssesontalliés.Désormaissonsortestscellé.Lelongprocès
menéen1431lacondamneaubûcherpourhérésieetrelapse.Elleavaitsubisix
interrogatoires publics en présence d’une quarantaine de juges d’Église et neuf
interrogatoiresdanssaprisonenprésencedel’inquisiteuretdesmenacesdela
torture. Son acte d’accusation comporte soixante-dix articles. Les clercs,
dominicains, étayent leurs accusations d’hérésie sur les « voix » qu’elle dit
entendre et sur le vêtement masculin qu’elle porte. L’accusation de relaps fut
portéecontreelleparcequ’ellerefusaitdereconnaîtreuneoriginediaboliqueaux
voix qu’elle entendait et qu’elle persistait à porter son costume d’homme
symbole de son combat inachevé. Les interrogatoires et débats se déroulèrent
dans un français imprégné de variantes régionales qui nuisaient à la
compréhension des parties. Des clercs étaient chargés de la rédaction des
minutes en langue latine. Les historiens disposent du texte transcrit en latin,
paléographié et traduit en langue française moderne par l’archiviste Jules
Quicheratde1841à1849.LadéterminationdeJeanne,sonbonsensetl’habileté
qu’elleeutd’éluderlesquestionspiègesquiluiétaientposéesparuncollègede
clercspourlafairesecontredireétonnentbeaucoup.Ellerefuseaussidelivrerle
contenu des entretiens secrets qu’elle eut avec le roi. Jules Michelet, quelques
annéesavantlestravauxdeQuicherat,en1839dansson HistoiredeFranceavait
vouluvoirdansledestindeJeannelapremièreincarnationdupeuplefrançais.Il
yeutuneréouvertureduprocèsdeJeanneàlademandedeCharlesVIIen1455
auprès de la Papauté. Après une enquête au cours de laquelle il fut procédé à
l’auditiondetouslesacteursencorevivantsdecedrame,ladécisiondutribunal
aboutit à la réhabilitation de Jeanne et la procédure de 1431 fut annulée pour
causedevicedeforme.

CHRISTINEDEPISANVEUVEETÉCRIVAINEDETALENT
Tout autre fut le cas de Christine de Pisan (1364-1430). Tout oppose son
histoireàcelledeJeanne.Alorsquecettedernière,issued’unmilieumodestene
fitpas d’études,Christineétaitissue dela noblessecultivée. Née àVenisedans
unefamilleuniversitaire,ellevintenFranceàlasuitedesonpère,conseillerdu
roideFranceCharlesV,ets’ymaria.Sonpèreavaitdiscernésestalentsetluifit
donneruneéducationdequalité.Ellepratiquaitlalangueitalienneetlefrançais.
Ellelisaitcorrectementlelatin,choserareensontempspourunefemme,fut-elle
dequalité.
Son époux a été proche de la cour. Veuve jeune avec des enfants, Christine
connaît des difficultés financières mais ne souhaite pas se remarier. Elle dut
affronter les difficultés de son temps comme femme veuve voulant être
indépendantedansunesociétépatriarcale.Ellevécutdesaplumed’écrivaineet
poétesse.Son éruditionla distinguedesécrivains deson époque.Elle élargitsa
culture,litBoèce,philosophechrétiendel’époquedeClovisetadeptedesidées
d’Aristote.Elles’initieauxouvragesd’Histoire.C’estuneautricequicomposeen
françaisdestraitésdepolitique,dephilosophieetdesrecueilsdepoésies.Onlui
doit,entreautres,Centballadesd’amantetdedameet Lacitédesdames.Elleest
peut-êtreuneféministeavantlalettre.Christines’opposeenparticulieràJeande
Meung et à son livre Le Roman de la Rose, et fait le procès en misogynie de
l’ouvrage.
Elles’intéresseà dessujetsconsidéréscommehors dudomainedes femmes,
lorsqu’elleécritLeLivredesfaitsd’armesetdechevalerie.Cependant,elleditelle-
même,biendeshommesdesontempsonttrouvéqu’ellepassaitlesbornes.Le
domainereligieuxluiestmoinsfermédufaitdesaculturelatineetthéologique.
Elle rédige une Oraison à Nostre Dame (1402/1403), les Quinze joyes de Notre
DameetLesheuresdecontemplacionsurlaPassiondeNostreSeigneur.
Ellen’hésitapasnonplusàs’exprimersurlapolitiquedansl’ÉpîtreàlaReine
Isabeau(épousedeCharles VI).Elledénoncependantla guerredeCentans le
délitement du royaume durant le conflit interne entre Armagnacs et
Bourguignons.Ellerédigea,audébutduXVe siècleàlademandeduducPhilippe
de Bourgogne, Le Livre des faits et bonnes mœurs du roi Charles V le sage,
biographie riche en détails sur le règne de son mécène, le roi Charles V. Cet
ouvragea étéutile auxhistoriens.Christine dePisan seretireau monastèrede
Poissyàlafindesavie,oùelleécritun DitiédeJeanned’Arc afindedéfendresa
jeunecontemporaine,emprisonnéepuisjugéeàRouen.

FEMMESDANSLAMÉMOIRENATIONALE:
DESMANUSCRITSÀL’IMPRIMERIE

DurantcettelonguepériodequiprécédalaRenaissanceémergèrentquelques
personnalitésdefemmesfortesau-delàdel’imaginable.Certainesmarquèrentun
moment de l’histoire puis retournèrent à une notoriété restreinte aux cercles
universitairesquiétudientlapériodeoùellesconnurentuneinfluence.D’autres,
a contrario, figurent dans l’histoire officielle et sont les inspiratrices de
mouvements contemporains. On remarquera ainsi que l’Église catholique
contemporaine fait perdurer un culte de sainte Geneviève patronne de Paris.
BlanchedeCastille,quantàelle,trouvesaplacedanslesrécitshagiographiques
del’ÉgliseenraisondelaplaceaccordéeàsonfilsleroisaintLouis.
La place réservée au souvenir de Jeanne d’Arc dans notre histoire
contemporaineestencoreplusconsidérable.Àchaquecrisemajeurequetraverse
la France, on assiste à la renaissance de cultes johanniques, qui prennent une
formepolitiqueoureligieuse.Parmilesnombreusesstatuesdelasainterecensées
surleterritoirenational,unedespluscélèbresestcelledelaplacedesPyramides.
Elle fut commandée au sculpteur Frémiet en 1874 par la troisième république.
Après la fin de l’Empire, le désastre de la guerre contre la Prusse et la terrible
période de la Commune, le gouvernement souhaitait redonner confiance au
peuplefrançaisaprèslesépreuvessubies.L’emplacementchoisifut laplacedes
Pyramides,lieufamilierdesParisiensd’oùelledominelaruedeRivoli.Frémiet
la représenta sur son cheval comme il était d’usage de le faire pour les chefs
militairesvictorieux.Jamaiscelan’avaitétéfaitpourunefemmeetunepluiede
critiquess’abattit sur lemalheureux sculpteur.Heureusement pourlui, la ligne
demétrodelaruedeRivoliétaitencoursdeconstruction.LastatuedeFrémiet
retourna à son atelier. Il avait mis à profitce temps de travaux pour fabriquer
unenouvelleversiondesonœuvre,sur laquelleilavaitcorrigélesdétailsobjet
desplusviolentescritiques.Lastatueactuelleestcetteversionmodifiée.
Autre temps douloureux, où les références johanniques sont à nouveau
sollicitées:lesannéespréludesàlaPremièreGuerremondiale.Depuisladéfaite
de 1870 face aux armées prussiennes, la France est amputée de ses provinces
d’Alsace et de Lorraine. Cette situation est vécue comme une blessure ouverte
parunegrandepartiedelapopulation.Aufildutemps,lalittérature,lestextes
politiques ravivent cette douleur. Maurice Barrés se fait le chantre d’un
nationalismerépublicainattachéauxracines,àlafamilleetàl’armée.Ilentreàla
Ligue des patriotes présidée par Déroulède auquel il succéda. La Ligue est
puissammentantisémiteetanti-dreyfusarde.Onyfêtetouslesanslamémoirede
Jeanned’Arc,modèledenationalismeintransigeantselonsesmembres.Aprèsla
findelaPremièreGuerremondiale,en1920,Barrèsfitadopterunprojetdeloi,
visantàinstituerunefêtenationaledeJeanned’Arc.Autreauteur«johannique»
CharlesPéguyécrit,en1913, LaTapisseriedeNotre-Damequiexaltel’œuvrede
libération de la terre de France de Jehanne et son sacrifice ultime présentés
commelagrandeœuvredeDieu.
OrléansestdepuisleXIX esièclelehautlieudelacélébrationdelamémoirede
l’héroïne.DepuislalibérationdelavilleparJeanned’Arc,unefêteannuelleest
organisée. Un défilé en costume, reconstituant l’entrée de Jeanne et de ses
compagnons dans la ville délivrée est organisé à cet effet par la mairie. Il est
d’usaged’inviterdespersonnagesprestigieux,dontleprésidentdelarépublique.
Unejeunefille,habitantedelavilleestchoisieparmiungroupedecandidates.
EllejouelerôledifficiledeJeannecarelledéfileàchevaletenarmure.Cettefête
est très consensuelle. Les invités de toutes tendances acceptent généralement
l’invitation.Toutefois,legénéraldeGaulleyfitunefoisexceptionenraisondu
climat politique de cette année 1945. Une proximité toute symbolique liait
l’homme du 18 juin 1940 à Jeanne. Même message d’espoir en des temps où
l’espoirétaitmort.Le généralde Gaulles’estemparédumythe deJeannepour
appelerlesFrançaisàrésisteràl’occupant. LechoixdelacroixdeLorrainequi
orneledrapeaudesForcesfrançaiseslibresn’estpaslefruitduhasard.Aucours
dudiscoursdeBrazzaville,ildemandeàlaFranceoccupéed’observer,ensigne
derésistance,uneminutedesilencele11maiàl’occasiondelaFêtenationalede
Jeanne d’Arc qui est devenue une fête officielle « pétainiste ». Plusieurs autres
discoursdeDeGaullecontiennentdesréférencesàJeanne,jusqu’àlavictoiredu
8mai1945 oùellesdisparaissent.Legénéralsouligneque «envingtans d’une
existencetraverséepard’immensesdouleurs,lapatrien’avaitjamaisconnuune
situation semblable ». Le 11 mai 1945 coïncide avec l’anniversaire de la
délivrance d’Orléans, mais il considère que l’ampleur de cet évènement ne
supportepaslacomparaisonaveclavictoiredeJeanne.
Après son retour à la tête du pays, le général se rend, en 1959 aux festivités
d’Orléans. Il accepte, dérogeant en cela à sa règle de conduite habituelle d’être
photographié en compagnie de la jeune fille qui joue le rôle de Jeanne. Le
personnagedeJeanned’Arcreparaîtdanslesconférencesdepressequ’ildonne.
La guerre d’Algérie fait rage et les partis de droite et d’extrême droite se sont
emparésdumythejohanniquequiest appeléausecoursdu«combat contrela
dislocationhistoriquedontlaFranceestmenacée».Danscettelutteidéologique,
lepouvoirenplacenepouvaitlaisserl’exclusivitéauxpropagandistesdel’Algérie
Française.
Plus tard après la signature de la paix de 1962 (Accords d’Évian),
l’affrontement entre récupérateurs avait moins de raisons d’être. La statue de
Frémiet, place des Pyramides est depuis son érection le lieu d’une autre fête
anniversaire à caractère national populistedatée du premier mai depuis que le
Front National en a pris le contrôle. D’année en année les fidèles semblent se
lasseretJeanneaprèsavoirfaituntempsparlerd’elledanslecadredesconflits
entreproetanti-européenspuisàl’occasiondel’électionprésidentiellede2007,
sembledevoirneplusappartenirqu’àl’Histoire.
Cesfemmesquiémergèrentdestempsobscursoùellesvécurentnesontsans
doutepaslesseulesdontlamémoireauraitméritédepasseràlapostérité.S’iln’y
avait pas eu cet éparpillement des langues dont la diversité était un frein à la
circulationdesidées,l’influencede«l’amourcourtois»,celuides LaisdeMarie
de France ou de Tristan et Yseult auraient, au moins dans la haute société,
permisauxfemmesderemettreencauselesrôlesdebiend’échange,dereposdu
guerrier ou de reproductrice qu’elles se voyaient assigner dans l’univers de
l’époque.Lesseigneursdecetempsfaisaientleurcourauxdamesdanslecadre
de la cérémonie quasi militaire qu’était le tournoi. Un vaste terrain muni de
tribunesdestinéesauxnotablesinvitésétaitaménagé.Lapopulationassistaitau
spectaclemasséederrièredesbarrières.Leschevaliersrevêtaientleurharnoisde
guerre : cuirasse, jambières, cotte de maille et heaume. Ceux d’entre eux qui
recherchaientlesfaveursd’unedameajoutaientàleuréquipementunobjetqui
luiavaitétédérobé.Puis,deuxpardeux,àtourderôleonmettaitseschevauxau
grandgalop,lalanceàl’horizontalecherchantàatteindrel’écudontsecouvrait
l’adversaire.Enboutdeterrain,onfaisaitfairevoltefaceàsoncheval(onlefaisait
tourner,d’oùlemottournoi),etonchargeaitànouveaujusqu’àcequel’undes
deux compétiteurs aille mordre la poussière. On imagine que si le vaincu
concourraitpourlecœurd’unedame,sonaffaireétaitcompromise.
Biensouventfrustréesenamour,lesfemmesl’étaientaussidanslaformation
qu’ellesrecevaient.Peud’écolesexistaient.Parfois,uncurédevillageouvraitune
salle où il enseignait les rudiments de la lecture et fort rarement l’écriture aux
enfants des paysans et des artisans. La fréquentation de l’école était souvent
limitéeàlasaisonhivernale,lesenfantsétant employésaux champsle restedu
temps.Lemétierqu’ilsdevaientexercerleurétaitenseignédanslecadrefamilial.
Pointd’écoledanslesmilieuxdominants.Lesgarçonsavaientaffaireaumaître
d’armes et au curé. Les filles apprenaient la couture, la broderie, la lecture,
quelquesprièresenlatinetlesrudimentsdel’écriture,làencoredispensésparun
ecclésiastique.
Dans cetableau sommaire des siècles quiprécédèrent la Renaissance, siècles
oùlerôledelafemmeestminimiséauseind’unesociétémilitaro-agricole,une
inventionmajeureestpasséequasi-inaperçue:lapresseàimprimeràcaractères
mobilesréutilisablesdeGutenberg.Vers1450,Gutenberg,natifdeMayencequi
travailla un temps à Strasbourg, s’associa avec un certain Furst, habile homme
d’affaires pour créer une imprimerie de livres. Cette entreprise se destinait à
exploiter les inventions de Gutenberg qui devaient permettre de tirer de
multiples copies d’un ouvrage écrit. La presse à imprimer préexistait à ces
inventions, mais elle était cantonnée à la fabrication de papiers peints ou de
libellesàfaibletirage.Letexteoul’imageàimprimerétaitgravésuruneplaque
de bois. Cette dernière était encrée avec une encre à l’eau. Puis elle était
appliquéefortementsurlafeuilledepapieràl’aidedelapressexylographique.La
limite du procédé était que le travail du graveur ne concernait que des textes
courts par la difficulté de l’ouvrage et que la correction était impossible. Les
apportsdeGutenbergfurentmultiples.Ilcréaunnouvelalliageàbasedeplomb,
étain et antimoine. Ce métal pouvait se couler dans un moule à relief en acier
duquelonpouvaittirernombredecaractèresidentiques.Ilinventaunenouvelle
encrediteencregrasse,fabriquéeàpartird’huiledelinàlaquelleonincorporait
dela suie issue decombustibles résineux.Elle vint remplacerles encres àl’eau
quisedissolvaientsiunefeuilleimpriméerecevaitunegoutted’eau.Ilaméliora
le système de presse utilisé en xylographie, plaçant le prototype de pages à
imprimersurunchariotcoulissantpermettantdeleglissersousleplateaudela
presse sanseffort et de l’amener à portéede main pour l’encrage entre chaque
feuille.Cetensembledecréationsestàl’originedelatypographie,c’est-à-direde
l’impressionde textesà partirde caractèresmobiles assembléset fixés dansun
«composteur».
Gutenbergseproposaitd’entrerencompétitionaveclemodedefabricationde
livres alors en vigueur dans tout « scriptorium » des monastères. L’usage était
alorsdeprocéderàlarecopiemanuelle.Àtitred’exemple,oncitequeladuréede
recopied’uneBiblepouvaits’étendresurtroisans.Lacompositiond’unouvrage
entypographie étaitégalementlongue. Maislors del’impression,on fabriquait
plusieurs exemplaires du même livre. Gutenberg se fit à la fois éditeur,
imprimeuretlibraire,pourproduireuneBibleenlatin,laVulgateditedesaint
Jérôme.Le tirageétaitmodeste, 180exemplairesvendus parsouscriptionà des
institutionsreligieuses.Gutenbergétaitruiné.Ilabandonnasonimprimerieàses
associés Furst et Schoeffer en dédommagement des dettes contractées à leur
égardet finit son existencedans lagêne. Il fut victimedu manque d’intérêtde
l’Églisepour soninventionmais futvengé àtitre posthumelorsqueLuther, un
siècle plus tard après avoir traduit la Vulgate de saint Jérôme en langue
vernaculaire la fit imprimer à des milliers d’exemplaires qui répandirent la
Réformeàtraverstoutel’Europe.
LesystèmetypographiquedeGutenbergconnutungrandsuccès.Àpartdes
versions en fonte de sa presse, le système demeura immuable pendant près de
quatresiècles.
Unebrillanteinventionquirévolutionnaitlatransmissiondelaconnaissance
etdel’informationetlamémoiredefemmesdecaractèreexceptionnelles,voicile
meilleurdecequeleMoyenÂgeléguaàlaRenaissance.
CHAPITRE1

LAPLACEDESFEMMES
DANSLASOCIÉTÉDELARENAISSANCE

MISOGYNIEORDINAIREETÉMERGENCE
DE«FEMMESFORTES»

«Lesfemmesn’ontpastortquandellesrefusentlesrèglesdeviedumonde,d’autantquecesontles
hommesquilesontfaitessanselles».
MicheldeMontaigne(1533-1592),Essais,LivreIII,chap.5

Quel mot magnifique que celui de Renaissance ! Il est chargé de sens
multiples. Il est naissance d’une monarchie forte, avec l’arrivée au pouvoir de
François Ier. Il signifie l’émergence d’une nation puissante entre deux empires
rivaux : la monarchie anglaise et l’Empire de Charles Quint. Il rappelle aussi,
malheureusement, les guerres d’Italie, menées au nom des droits familiaux
supposésdeCharlesVIII,LouisXII,FrançoisIerpuisd’HenriIIsurlesduchésde
MilanetdeNaples.Surfonddeprétentionshéréditaires(donttoutpayspouvait
setarguerpuisquelesfamillesprincièresd’Europepratiquaientl’endogamie)se
cachait un bras de fer avec le Saint-Empire (empire électif réunissant les
principautésallemandes,lesactuelsPays-Bas)etleroyaumed’Espagne.François,
connut plus d’infortunes que de succès dans ces guerres d’Italie où il fut
confrontéaussiauxtroupespapales,auxtroupesanglaisesetbénéficiadel’appui
desOttomans.DéfaitàPavie,ilestfaitprisonnier.IlfuttransféréenEspagneoù
ilsubitunandecaptivité.

L’ÉDUCATIOND’UNEMÈRECULTIVÉEAIMANTLESARTS:
LEVENTD’ITALIESOUFFLEENSAVOIE
L’éducation reçue par François I er fut très influencée par sa mère Louise de
Savoie,filleduducdeSavoie.LeduchédeSavoieàcetteépoqueinclutlesvilles
suivantes:aunordGenève,ausudNice,àl’ouestChambéry,àl’estTurin.Louise
deSavoies’intéresseàl’artdelaRenaissanceitalienneettransmetcettepassionà
son filsqui maîtrise la langue italienneà la perfection. Aucours de son règne,
François Ier emploie de nombreux agents, chargés d’acquérir et apporter en
France les œuvres de maîtres italiens. On lui doit la création de la collection
d’œuvres d’art des rois de France, aujourd’hui exposée au Louvre. Il s’entoura
aussi d’artistes italiens parmi lesquels on compte Andrea del Sarto, Benvenuto
Cellini,LePrimaticeet,leplusgranddetous,LeonardDeVinci.
Il joueaussi un rôledéterminant dansla diffusion desconnaissances deson
temps.Lesprogrès del’imprimeriefavorisentalorsla publicationd’unnombre
croissantdelivres.Ildécidelacréationd’ungrand«cabinetdelivres»installéau
châteaudeBlois.Cetteinstitutiondevient«BibliothèqueRoyale».Interdiction
est faite de « vendre ou envoyer en pays étranger, aucuns livres ou cahiers en
quelqueslanguesqu’ilssoient»,sansyavoirdéposéunexemplaire.
Princeprotecteurdesartsetdeslettres,ilfutaussiunprincephilosopheàqui
l’ondoitl’émergencedelanotiondeprimautédesloistemporellessurcellesde
l’Église.LeConcordatdeBolognesignésoussonrègnesupprimelanomination
des évêques par le Vatican. Ces derniers sont choisis par le roi de France, la
ratification papalesurvenant après que vérification ait étéfaite que le candidat
répondauxconditionsd’étudesthéologiques,ainsiquedebonnesvieetmœurs.
C’estunemisesoustutelleétatiquedel’église,ouvrantainsilavoieàcequifut,
bienplustardl’émergencedelalaïcitéenFrance.
Bienquedirigéparunprince«éclairé»,lepaysd’alorsestbienloindel’État
contemporain.PlutôtquedeluidonnerlenomdeFrance,ilconviendraitdele
désignercommeréuniondesprovincesfrançaises.LechocdelaRenaissanceest
liéàlaprisedeconscience,parleroiFrançoisIeretsonentourageproche,dela
différence de civilisation existant entre la France et les territoires italiens.
Géographie,climatethistoireontdonnénaissanceàdesculturestrèsdifférentes
desdeuxcôtésdelabarrièredesAlpes.Paysdevastesplaines,laFranceestune
terre de grands domaines fonciers qui sont autant de champs de bataille
potentiels.Ils’yestdéveloppéuneculturemilitaro-féodalequiaperduréjusqu’à
uneépoquetardive.Lesexploitationsagricolesseregroupentautourduchâteau
ou du monastère fortifié où les troupes susceptibles d’en assurer la défense
tiennent garnison. L’Italie présente l’avantage d’un relief montagneux où une
poignéed’hommesdécidéspeuventtenirunearméeenéchec.Làoùlemaintien
del’ordrenécessiteraituneguerre,uneopérationdepolicesuffit.Aussi,bienque
leterritoireitaliensoitdiviséendemultiplesroyaumes,lesconflitsarméssontde
peu d’envergure. De surcroît, l’Italie est dotée d’une vaste façade maritime sur
unemeraisémentnavigablequiluiouvrelesportesducommerceavecleProche
Orient.Depuisdestempstrèsanciens,lesroutescommercialesentrecesrégions
etlerestedel’Europetraversentl’Italie.Lecommerceaveclesrégionslointaines
aouvertlesesprits.Auquotidien,lesobjetsd’artontprislaplacedelacharrueet
del’épée.Unevéritablecultures’estdéveloppéedel’autrecôtédesAlpesetleroi
François, souverain à l’esprit ouvert et sensible fut le premier roi d’Europe à
échanger des ambassadeursavec Soliman le magnifique, souverain de l’Empire
turc.
L’écart, de nature politique, que nous venons de souligner est loin d’être le
seul. La société de l’époque est bien éloignée de celle que nous connaissons. Il
faut d’abord dresser le portrait de ce qu’elle était. Les écarts, considérables par
rapport à la société contemporaine constituent autant de chemins de
progressionsqui,tousfurentembrassésaussiparlesfemmessansquel’histoire,
écritepardeshommes,nementionneleurcontribution.

UNESOCIÉTÉHÉTÉROGÈNEMALGRÉL’IMAGE
DES«TROISORDRES»

Lasociétéfrançaise,àl’avènementdeFrançoisIerresteprofondémentmarquée
par la féodalité. Les principaux groupes sociaux sont issus du traditionnel
découpage en trois « Ordres » ou catégories fondamentales des êtres sociaux :
ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui produisent nourriture et biens
nécessaires à la conservation des corps. La grande masse de la population est
répartie selon ces trois ordres. Une part écrasante de la population appartient,
biensûr,àlatroisièmecatégorie.Ils’agitd’ununiverstotalementpaysan,oùla
population pratique une agriculture de subsistance, avec des surplus minimes
qu’elle verse sous forme d’impôts et taxes diverses au profit des deux autres
ordres. La classe des combattants est une classe possédante. La terre constitue
l’essentieldela possessionetlerang d’uncombattant,d’unaristocrate, dépend
del’étenduedesesterres.Lesterresvoisinessontreliéespardesliensdevassalà
suzerain qui permettent de réunir des forces assez importantes pour défendre
une province entière lorsqu’elle est menacée. Au sein de cet écheveau
d’obligationsréciproques,leroideFranceoccupeunepositionsingulière,selon
unusagepolitiquehéritédePhilippe Auguste.De parl’étenduedesterresqu’il
possède,iln’estpaslepluspuissantseigneurdupays.Sesvassauxenviennentà
luiconcéderunpouvoirpolitiquequin’estpasfondéuniquementsurlataillede
son domaine foncier. Ils voient peut-être en lui un arbitre nécessaire aux
décisions duquel se ranger plutôt que de régler par la force les conflits qui les
opposent. L’ensemble de ceux qui prient constituent l’essentiel de l’effectif des
couvents. Ils appartiennent aussi à une classe possédante, mais possédante, au
travers d’une collectivité, des terres cultivées par leurs paysans. La défense des
domainesfonciersappartenantauxreligieuxestsouventsous-traitéeauseigneur
voisin.Ilspossèdentaussiuneautrerichesse:celledusavoir.Lesbibliothèques
descouventssontsouventtrèsrichesdemanuscritslatins,grecs,parfoisarabes,
quelesreligieuxontapprisàdéchiffreretdontilsfontdescopieséchangéesavec
d’autresmonastères.
Lesortdespopulationsquitravaillentlaterreestpeuenviable.Lespaysansqui
en font partie pratiquent une agriculture d’autosuffisance, paient leurs impôts
taxesetloyerdelaterreennatureetprientlorsquel’hiverarrivepourqu’illeur
reste assez de grain pour semer au printemps. La misère pousse souvent les
enfants de paysans à venir grossir les effectifs des milices féodales. Les disettes
sontfréquentes,lesfaminesparfoisaussiencasd’aléasclimatiques.Lepirequi
puisse arriver à ces pauvres gens est la guerre. Les armées de l’époque
méconnaissent l’utilité des services d’intendance. Hommes et bêtes de la
soldatesquesenourrissentsurleterrain.Illeurarrivemêmedefuirl’ennemien
incendiantlesrécoltesdansl’espoirdel’affamer.

FEMMESSOUMISES:DUMONDERURALAUMONDEURBAIN
La femme dans ce paysage de misère rurale tient la dernière place. Elle est
pauvre parmi les pauvres, celle à laquelle on reproche de n’être pas aussi forte
quel’hommeetdoncpeuutileauxtravauxdeschamps.Reléguéeauxsoinsdela
basse-couretàceuxdelamaisonnée,elleenchaînedesgrossessesnondésirées,
dontchacunepeutluiêtrefatale.
Elle est soumise à l’autorité du chef de famille et subit bien souvent les
décisions de la parentèle du maître. Sa vie est un esclavage qui ne dit pas son
nom.Ellenepeutimagineruneviedifférentecar,leplussouvent,ellenesaitni
lireniécrire.
C’estcequi,aveclamisère,différencielepluslesfemmesdupeupledecelles
quiappartiennentà l’aristocratieou auxordres.Les« damesdequalité» etles
moniales reçoivent une éducation souvent dispensée par des prêtres.
L’apprentissage de la lecture, de l’écriture et de quelques rudiments de latin
prennent placeaux côtés de la musique et des travauxd’aiguille. Pour le reste,
comme les femmes du peuple, elles subissent les choix de leur entourage.
Mariageouentréeaucouventsontdécidésparleschefsdefamille,laplupartdu
tempssurlabasedeleursintérêtspatrimoniauxoupolitiques.
Au cours des combats qu’elles ont conduit et qu’ellesportent encore de nos
jours,lesfemmesdetoutesclassessocialesontluttépourseréapproprierlalibre
disposition de leur être et de leur corps. Ce combat, toujours d’actualité, vise
encorel’égalitédesdroitsentrehommesetfemmes,ainsiquelalibertédeschoix
des femmes quant à leurs liensaffectifs. L’infériorisation de la femme face aux
travauxdes champs dura jusqu’auXIX e siècle.La rupture s’effectualorsque les
travauxproducteursdenourritureoudebienscessèrentderequérirl’utilisation
delaseuleforcehumainecommemoteur.Lamécanisationcomblelefosséqui
sépare la force physique de l’homme de celle de la femme. En ouvrant aux
femmesl’accèsàdestravauxjusque-làréservésauxhommes,elleleuraccordait
une promesse d’indépendance, même si elle permit aussi la création d’autres
formesd’esclavage.
UnedesrareslibertésconcédéesauxfemmesparledroitcoutumierduMoyen
Âge était la possibilité de conserver la gestion des biens qu’elle apportait à la
communautéparvoiedemariage,sousconditionquecetteréservesoitexplicitée
paruncontratnotarié.AucoursduXVIesièclecedroitsembledisparaîtresans
qu’il soit possible de trouver l’origine de cette régression. Ce que l’on sait de
l’époque, par contre, permet de constater la disparition du droit coutumier au
profit du droit écrit produit par les différents parlements du royaume. Ces
derniers avaient coutume de légiférer sous le regard du roi, mais aussi sous
l’influence de groupes de pressions divers parmi lesquels les très puissantes
corporationsquiavaientunemainmisesurl’activitééconomiquedesvilles.Bien
qu’ilyaiteudescorporationsdefemmes,etdescorporationsmixtes,lepouvoir
deréglementationdecesdernièresétaitenmajoritéentrelesmainsdeshommes.
Ilsavaientlepouvoirdedécréterquecertainsmétiersoucertainscommercesne
pouvaient êtreexercés par des femmes, sauf si cesdernières étaient des veuves
d’artisans ou de commerçants. Cependant, la mise en œuvre de telles mesures
nécessitait des validations longues et incertaines auprès de leur parlement de
rattachement. Il est probable, et c’est une hypothèse que nous émettons, qu’ils
ont eu recours à une mesure plus simple pour éliminer artisanes et
commerçantesdansdespériodes,lesguerresdereligionpourleXVIesiècle,où
les commandes se faisaient rares. Une femme pour pouvoir s’installer devait
prouver, comme un homme, le fait qu’elle avait été « reçue » à l’issue d’un
apprentissage, qu’elle était habitante de la ville où elle souhaitait s’installer,
qu’elle avait les moyens de payer ses cotisations à la corporation et qu’elle
possédait la capacité civile nécessaire. Cette capacité civile lui permettait de
signerdescontrats,d’acheterdesmarchandises,d’esterenjusticepourcontester
ou se défendre en cas de non-application d’un contrat. Il lui fallait, de plus,
posséder des biens pour financer l’achat ou la location d’une échoppe ou d’un
magasin ainsi que les installations et outillages nécessaires à l’exercice de sa
profession. Il suffisait de supprimer cette capacité civile pour interdire
l’installationdesfemmescommeartisaneoucommerçante.Etlasuppressiondu
mariageavecséparationdebienspouvaitconvenir.Eneffet,ledroitcoutumier
médiéval,enautorisant,sousréservedecontratnotarié,lesfemmesàconserver
la gestion des biens qu’elles apportaient à la communauté conjugale lui
conservaitsacapacitécivilenécessaireàlagestiondesesbiens,lasuppressionde
ce dispositifôte aux épouses, non seulementleurs biens, mais aussi la capacité
civile. Une femme mariée hors ce type de contrat ne peut ester en justice, par
exemplepourdéfendrelesbiensdelacommunauté.Seulsonmaripeutlefaire.
L’exercice professionnel des femmes est alors limité aux professions non
réglementéesetcesdernièresnesemblentpasréputéespourêtrelucratives.
L’indépendance économique ne saurait réellement être procurée par des
travaux subalternes. Un autre grand combat des femmes, que l’on peut
considérercommequasiparachevéaujourd’huienFrance,estl’accèsdesfemmes
àlaconnaissance.Cefutsansdoutelaplusabstraitedesluttescarlesobstacles
qu’il fallait renverser étaient constitués de préjugés. Si le Moyen Âge tardif se
posait encore parfois la question de l’existence d’une âme chez les femmes, le
dix-neuvième siècle s’interrogeait sur l’égalité des capacités intellectuelles des
deux sexes. L’accès des femmes au savoir est indispensable à la structuration
d’une sociétéde progrès. Pourautant, elles ont comprisqu’elles devaient avoir
aussi accès à l’organisation de cette société à laquelle l’apport de leurs
connaissances était nécessaire. Que ce soit dans le domaine du pouvoir
économique ou dans celui du pouvoir politique, les femmes au cours de cette
périodequis’étenddelaRenaissanceànosjoursontvouluprendreleurpart.
Laréussitedeleurscombatsaétémarquée,avecbienduretardsouvent,par
l’évolution des règles qui régissent la société occidentale. L’histoire de la
législationestunmarqueurcapitaldelaplacepriseparlesfemmesaucôtédes
hommesdanslasociétéfrançaisecontemporaine.Notreregardlorsqu’ilsepose
surcettehistoiresaisitlecheminparcouruet,aussi,l’étenduedeceluiquiresteà
parcourir.
Lesfemmesetleursprochessont,àl’époque,encadrésparlesinstitutionsde
l’Églisecatholiqueromaine.La tramedecetencadrement estconstituéeparles
registresparoissiauxquigardentlatracedel’état-civil:desbaptêmes,mariages
etfunérailles.L’Églisecatholiqueromaineinsistesurlecaractèresacramenteldu
mariage et fixe clairement son indissolubilité au cours du concile de Trente
(1545-1563).Lerituelinsistesurl’échangedesconsentementsentreépouxetsur
laprésencededeuxoutroistémoins,souspeinedenullité.Ladoctrinedulibre
consentementétaitanciennemaisellefutadaptéeauxnécessitésdel’époque.La
placedelafemmedanslasociétéaunegrandeimportancepourl’aristocratieen
ce qu’elle conditionne la transmission du patrimoine. Le libre consentement
serait un danger car il permettrait des mariages sans l’autorisation des parents
avec les risques de mésalliances concomitants. La monarchie réagit contre les
désordrespolitiquesquienrésulteraient.SousFrançoisIer ,en1557,unéditroyal
imposel’assentimentdespèresetmèrespourlesjeunesgensdemoinsdetrente
ans et pour les filles de moins de vingt-cinq ans. Des peines arbitraires sont
encourues par ceux qui désobéiraient. Un autre édit de la même période en
France condamne à mort les femmes et les filles coupables d’infanticides.
L’ordonnance de Blois, promulguée en 1579 par Henri III, ébauche de ce qui
devintplustardledroitcivil,confirmelesdispositionsdel’éditde1557etfixeles
obligationsdel’Églisesurl’enregistrementdesmariages.Pourgardertraceécrite
de la régularité de l’union du couple, le prêtre qui l’a prononcée doit mettre à
jour le registre des mariages et y faire apposer les signatures des époux et des
témoins.HenriIVconfirmeen1606l’ordonnancedeBlois.
Lesréformésontunevisiondifférentedelaquestiondumariage.Lutherdès
1520 met en doute son caractère sacramentel et, par conséquent, son
indissolubilité.Illeconsidèrecommeconsubstantielàlacréationdel’Univers.Le
couple est la cellule où s’accomplit l’œuvre du Dieu créateur, ce qui implique
qu’ilsoitvécudanslafoi.Ilest«uneaffaireextérieure,corporelle,commetoute
autreoccupationtemporelle».
Calvin, juriste de formation, auteur en 1535 de « L’Institution de la religion
chrétienne»qu’ildédiaauroiFrançoisIer,ignorelemariagedanssonexposédes
règlesdelaviechrétienne.CalvinseréfèrecommeLutherautextebibliquedela
Genèsequitraitedeladifférenciationetdelacomplémentaritédel’hommeetde
la femme. Créés à l’image de Dieu, ils sont les deux manifestations
complémentairesdumêmeêtre,lacréaturehumaine.L’uniondecesdeuxêtres
estl’acteparlequelDieuachèvesacréation.Calvinécritquelapassionnesaurait
êtrelamotivationdelaformationducouple,maisquelafoietlerecoursàDieu
guidentlechoixduconjoint.Cependant,aprèssoninstallationàGenève,Calvin
entrepritdepréciserdanssesordonnancesde1561lescompétencesdel’Égliseet
del’Étatdanslalégislationdumariage.
Le«modèledémographiquefrançais»nepeutêtreattribuéauxrèglesétablies
par l’Église catholique, par le pouvoir royal, ou par la contestation des
protestants. Il est marqué par une lente progression : la population représente
18 millions d’habitants au début du XVIe siècle. Il existe cependant des crises
démographiques et de brutales oscillations dues aux famines et aux épidémies,
même si la natalité représente 40 °/°°. La mortalité infantile est forte, celle des
mèresdefamillelorsdel’accouchementoudesessuitesesttragiquementélevée.
La connaissance trop réduite du corps humain et de ses mécanismes amène à
suivrelespréceptes« traditionnels»lorsdesgrossesses.Lespratiquesmisesen
œuvrerelèventdesuperstitions,certainesrésolumentpaïennes,d’autresliéesaux
usagesduchristianisme.
La société rurale est avant tout conçue comme collective, le mariage est en
quelque sorte compris comme une nécessité économique et démographique. Il
est souvent tardif et endogamique. Dans le monde paysan, les jeunes gens se
marientvers27/28 ansetlesjeunes fillesvers25 ans;d’aprèsce quiestrelevé
danslaplupartdesregistresparoissiaux.Cen’estpaslecaspourlesmariagesde
la noblesse et des princes de la famille royale. Le recul constant de l’âge du
mariage, plus élevé que celui des classes populaires, est-il compris comme un
moyenderéduirelenombredegestationsavantl’âgedelaménopause?Dansle
choix établi par les familles, l’endogamie sociale est la règle générale.
L’endogamiegéographiqueestcourante.Ilsemble,cependant,quelapopulation
aitconsciencedesrisques induitsparlaconsanguinité. Lesjeuneshommesqui
habitentdesparoissestroppeupeupléesrecherchentuneépousedansunvillage
plus éloigné. Ce sont alors les lieux où se tiennent les marchés et les fêtes qui
permettentlesrencontreshorsdugroupesocialhabituel.
La sexualité des femmes et des hommes avant le mariage est source
d’arrangementsaveclesrèglessociales.Entrelesnormesmoralesetreligieuseset
la réalité des pratiques, l’écart est parfois grand. La culpabilisation de la chair
n’estpasencoretrèsmarquéeauXVIesiècle,toutaumoinsavantleConcilede
Trente.Ilexistaitdesexutoires,lorsdesfêtestellesquelecarnaval,oùlescouples
se font et se défont sur la durée des réjouissances. D’autres vivent une cour
amoureusedelonguedurée,lacohabitationetlesnaissancesprénuptialesn’étant
pasexclues.Àl’imagedecequiestvécuparcescouples,lapoésieamoureusede
l’époque renverse l’ordre social. L’amant poète fait de sa bien-aimée une
initiatrice dispensatrice de lumière. L’amour devient sacrement et dépasse les
règles imposées par l’Église. Mais on est là dans l’exception à la règle
communément admise. La rencontre entre les jeunes gens peut se faire de
diverses manières, mais toujours sous l’œil des chaperons. La demande en
mariageestunactesocialprécédéparl’acceptationdesdeuxfamilles,acceptation
qu’elles ratifient par la cérémonie des fiançailles. Il existe aussi des mariages
décidéspar les familles afind’organiser les alliances etles héritages à venir.La
réuniondesterresetdestroupeauxpèsentdavantagequel’unionamoureusedes
cœurs. Le moment des noces et de la fête marque une rupture dans le temps
ordinairedutravail.Lacérémoniereligieuseestaccompagnéedesréjouissances
profanes, banquet et danses. Quelques rites « magiques » viennent parfois
émaillerlafête:levoldusoulierdelamariéeoul’affairedelajarretière,lasoupe
(le « chaudeau » ou « la rôtie ») apportée lors de la nuit de noces aux jeunes
époux.

VIVREAUVILLAGEAURYTHMEDESSAISONS
ETDESFÊTESRELIGIEUSES

La vie au village suit le rythme d’un calendrier influencé par les pratiques
religieuses.L’annéecommenceaujourdeNoël(25décembre),fêtequiclôturela
périodereligieusederecueillementprescriteparl’Églisesouslenomd’Avent.Ce
tempsmarqueaussilafindesgrostravauxagricoles.
VoirEncadrén°1
Calendrieragro-liturgiqueetrythmesdeviedanslasociétérurale
delaFrancedel’Ouest(XVIe-XVIIIesiècle)

Vientensuitel’Épiphanie(fêtedesroismages)quimarquaitlafindesfestivités
de la nativité et le début d’une autre période de festivités (dans certaines
provinces),nomméecarnaval.Aucoursdeces«joursgras»ontuaitleporcet
cuisinaitsaviande.LafêteseterminaitleMardigras.Onentraitalorsdansune
périodedepénurie,sanctionnéeparl’ÉglisesouslenomdeCarême,laquellese
prolongejusqu’àPâques.Cettepériodedepénitenceetdejeûneaprèslestemps
defêtesoùrègneunerelativeabondancealimentairereflètelacraintedepénurie,
quivacroissantelorsqu’onapprochedela«soudure»auprintemps.Lesjours
duretourauxchampssontsouventmalvécusentrel’épuisementdesréservesde
l’année passée et l’attente des récoltes de l’été. Les femmes assument la
responsabilitédegérerlesbiensalimentairesdufoyeretsurveillentleniveaudes
réserves.
Le rythme du calendrier est immuabled’une année sur l’autre. Paysannes et
paysans se plient au rythme de cette vie marquée par les saisons. On pourrait
résumerleurvieenuntempsdevieàl’extérieur(marsàoctobre)etuntempsde
vieàl’intérieurdesmaisons(novembreàfinfévrier)oùlestravauxd’entretiense
substituent auxtravaux champêtres. Cedernier est tout aussi importantque le
tempsdevieàl’extérieur.Lapopulationpaysanneentretientelle-même,souvent
avecl’aidedesesvoisins,sonhabitatetsesbâtimentsd’exploitation.
Les habitats des terroirs français sont variés. Les habitants des plaines
céréalièresstructurentleursconstructionsenvillages-rue.Ailleurs,aucontraire,
l’habitat est dispersé. Cependant chaque demeure rurale comporte trois
éléments : le manse (composé de la maison d’habitation, de la cour et des
bâtiments du jardin et du potager), les labours (espace cultivable en rotation
incluantunejachère)etle«saltus»(espacesauvagecomportantlesréservesde
forêtetlesétangs).Lesdroitsetchargesassociésàcesespacesfoncierssontgérés
par le pouvoir royal, le pouvoir seigneurial local et la tutelle de la paroisse. La
communauté villageoise est représentée par une assemblée des habitants,
composée en général des principaux chefs de famille. Les femmes n’y sont
admisesqu’unefoisdevenuesveuves.
La sociabilité recouvre les relations entrecroisées entre des individus et des
groupes d’individus. Pour vivre et se supporter au quotidien, des codes de
comportementsemettentenplaceetvarientpeu.Autourdechaquemaisonde
familles’organisentdesespacesoùl’onpeutserencontrer.Lesfemmessevoient
plutôtàlafontaineetaulavoirparfoisaufourbanaloùl’onvientfairecuireson
pain.Ellesyabordentdessujetsquineconcernentpasleshommes,yéchangent
dessecrets.Sansdouteyvéhiculent-ellesdeslégendes,voiredespeurscollectives,
maisaussidesrecettesmédicinales.Unautretempsdelaviepaysannejoueun
rôle important pour les femmes ce sont les veillées de novembre à mars : ces
réunionsdépassent le cadre dela maison familiale.Les femmes filent,cousent,
chantent. Ces réunions peuvent être mixtes et permettent aux jeunes gens et
jeunes filles de se rencontrer avant l’âge du mariage. Les autres lieux de
sociabilité sont la place du village, l’église paroissiale et le cimetière, lors des
célébrationsdelaToussaintpuisdesdéfunts.Partoutlesfemmessontprésentes
etactives.Onlesvoit,parcontrerarement,àlataverne,oùellesviennentparfois
écouterunconteur,oubienconclurequelqueaffairenotarialeavecleurépoux.
Lefoyerdomestiqueestleurlieud’activitéessentielainsiquelejardinpotager
etlepoulailler.Lesjeunesenfantss’éduquentenobservantletravaildeleurmère,
deleurstantesdeleurssœurs.C’estlelieuoùlesjeunesfillesdoiventapprendre
leur futur rôle social d’épouse et de mère. Les jeunes filles sont étroitement
surveillées dès l’adolescence. Elles sont exclues des « royaumes (ou
«bachelleries»)dejeunesse»etdetoutesfêtesréservéesauxgarçonspubères.
Audébutdumoisdemaionplantedesarbustesdevantlesmaisonsdesfillesà
marier.Le 24juinavec lesfeux delaSaint-Jean, lacommunautérurale renoue
avec des fêtes agraires païennes autour des rites de fécondité. C’est aussi la
période où on signe les contrats, pour les travaux à venir, les moissons, les
battages,lesvendanges,lesréparationsdesbâtimentsagricoles.

PERSÉCUTERLESFEMMES.RECHERCHERLESSORCIÈRES!
Mais,enFrancecommedansd’autrespaysd’Europecommesilaviemisérable
desfemmesdelapaysannerienesuffisaitpas,ellessubissentaussilesphantasmes
des obsédés de la sorcellerie. Les persécutions organisées par ces derniers
n’avaient pas exclusivement les femmes pour objectif, mais les archives des
procèsensorcellerietémoignentd’unacharnementpresqueexclusivementdirigé
contrelesfemmes.Lamassedesincompréhensionsdutempsalimentaitlebesoin
d’explications simples aux maux de la vie quotidienne. Les incendies dans les
granges, le bétail qui tombait malade, la foudre qui détruisait le manse, autant
d’évènements que l’on pouvait attribuer à la malveillance d’une femme qui
entretenait des rapports avec les puissances obscures. Les femmes sont les
premièressuspectespuisqu’ellesseulesétaientlesactricesduplusgrandmystère,
de la chose la plus incompréhensible : le don de la vie. Les sorcières sont, de
surcroît soupçonnées de ce que l’on appellerait de nos jours « violences en
réunion » au cours de leurs « sabbats » où, selon l’imaginaire collectif, elles se
rendaientàchevalsurunbalai.Ellesavaientcommerceaveclediable.LesXVIe
et XVIIe siècles ont connu les vagues de persécutions les plus intenses. Le
paroxysmeest atteintauXVIesiècle, lorsquelestribunaux civilssupplantent le
monopole d’Église qu’était l’Inquisition. Parallèlement à ces répressions, se
développe une littérature inquisitoriale (près de 2 000 œuvres recensées)
dénonçant les pouvoirs maléfiques des sorcières, dangereuses car elles « sont
encoreplusexécrablesencequ’ellesapprennentdelabouchedeSatanmesmece
que les magiciens apprennent dans les livres ». Les sorciers, ici désignés sous le
nomdemagiciens,sontrangésdansunecatégoried’êtresmoinsmaléfiquesque
les sorcières. Il faut dire que leurs travaux étaient souvent axés sur la
transmutation des métaux avec l’espoir, toujours déçu jusqu’à nos jours, de
changer le plomb en or ! Parmi ces œuvres, figure Le Marteau des sorcières
(1487), premier traité inquisitorial sur les manifestations de la sorcellerie et la
manière dont devait être conduit le procès en sorcellerie. L’ouvrage, bien que
condamnéparl’Églisefututiliséparl’Inquisitiontoutaulongdelapériodeoù
elle requit contre sorciers et sorcières. Les auteurs, Jacob Sprenger et Henri
Institorisguidentl’inquisiteurchargédudossierdanslarecherchedespreuvesde
culpabilité.Cesdeuxdominicainssontimprégnésdesidéesissuesdelatradition
antiféministe de l’Ancien Testament, reprises dans des textes de l’Antiquité
classique.L’inférioritémoraledelafemmed’aprèsletextedelaGenèse(chap.2),
estdémontréeparl’œuvredeséductionconduiteparÈveauprèsd’Adamqu’elle
mena au péché. La femme, quoique nécessaire à l’acte de reproduction, reste
dangereuse par sa sexualité. Les deux auteurs relèvent aussi la faiblesse de la
femme,faiblessequisetraduitparsacrédulitéàl’égarddudiableetsongoûtdu
partagedepratiquesmagiquesavecd’autresfemmes.Ilssoulignentaussiquela
femme sorcière peut ôter par maléfice à tout homme sa capacité génitale.
Rarementacquittés,lesprévenusetprévenuesétaientgénéralementcondamnés
aubûcher.Unetoutepetiteminoritéd’entreellespouvaitêtreconsidéréecomme
étant d’authentiques criminelles coupables d’homicides, ou des malades
mentales. La grande majorité était au contraire de tous âges et de toutes
conditions, et de diverses confessions religieuses, souvent sages-femmes ou
guérisseuses. Leurs remèdes se fondaient sur une pharmacopée traditionnelle,
breuvages, infusions ou décoctions de racines et d’herbes, les « simples ». La
population,essentiellementrurale,n’avaitguèred’autrerecourspoursesoigner.
Il suffisait d’une prescription inefficace, d’un accouchement ayant tourné à la
catastrophe,pourseretrouveraccuséedesorcellerie.
CertainsjuristeséminentsparmilesquelsJeanBodinenviennentàrédigerdes
ouvrages comme la Démonomanie des sorciers en 1580, sorte de manuel qui
codifielesactesdesorcellerieousupposéstelset fixelesprocéduresjudiciaires
qui doivent être exercées à l’encontre de leurs auteurs. Pourtant la sorcellerie
n’estpasunphénomènenouveau!Cetypedeprocèsapparaîtsemble-t-ilàlafin
duMoyenÂge,aprèsladisparitiondesdernièresexécutionsmisesenœuvrepar
l’Inquisition pour hérésie. Les persécutions contre les sorcières commencent
aprèslaruptureentrecatholiquesetréformés,surtoutaprèslesmassacresdela
St-Barthélemy de 1572. Pourquoi l’image du démon réapparaît-elle ? L’Église
post-tridentine (postérieure au concile de Trente) veut chasser les
représentationspaïennes figuréesdans l’artde laRenaissance etdans lestextes
inspirés par l’humanisme. Faut-il restaurer l’image d’un Dieu vengeur et
recherchertouslesaspectsd’agissementdu«Malin»?Uneordonnanceroyale
de 1580 facilite les poursuites contre les sorciers et contre diverses formes de
superstitions. Historiens et historiennes ont observé que la géographie de la
chasseauxsorcièresrecouvreenpartiecelledesrévoltespaysannes.Lesrégions
périphériques du royaume sont davantage impliquées par les tentatives de
résistance au pouvoir politique et religieux (le Nord, la Lorraine, le
Languedoc…) et poursuites pour sorcellerie fréquentes. La sorcellerie est
devenue un crime de lèse-majesté qui mène au bûcher et c’est la juridiction
royalequidoitagir.Lesparlementsdoiventtrancherenappelsinécessaire.Les
magistrats civils chargés de juger conduisent une lutte sans merci contre toute
personne soupçonnée de crimes « sataniques ». Les procédures des procès en
sorcellerie vont jusqu’à la pratique de la torture, voire de la recherche de
« marque » satanique sur le corps de la sorcière. L’aveu est indispensable. Le
phénomène des sorcières concerne essentiellement le monde rural en cours de
transformation:concentrationdesterres,suppressionouamoindrissementdes
contraintes collectives, appauvrissements des plus précaires. Parmi les femmes
accuséesils’agitsurtoutdespersonnesâgées,veuves,isoléespourtantintégrées
dans les communautés villageoises. En fait dans leurs activités principales elles
soignent les malades et connaissent les vertus médicinales des plantes, on les
consultepourlesphiltresamoureuxoupoursevengerd’unvoisin,pouraiderà
un accouchement difficile… Pourquoi tout à coup ces femmes sont-elles
accusées d’avoir fait un pacte avec le diable ? Comment se fait-il que des
magistrats issus des élites acceptent d’appliquer des procédures obscurantistes
contraires aux principes les plus élémentaires du droit. Leur conscience leur
dicte-t-ellequetoutmoyenestbonpouréradiquerlessuperstitionsettraditions
rurales qui sont un frein à l’évolution du pays ? Les sorcières furent-elles les
victimesexpiatoiresd’unaffrontemententrelamodernisationdelasociétéetles
résistancespaysannes.Commentempêcher«lamagie»d’êtreencorepratiquée
danslesvillages?Lespaysansont-ilseux-mêmesacceptédelaissersacrifierdes
sorcièrespourseprotégerettracerunenouvellefrontièreentrelesacréadmiset
lesancienneshabitudespaïennes?
Au XIXe  siècle, en 1862, l’historien Jules Michelet avait rédigé un ouvrage
intituléLaSorcière,oùilqualifiecetypedefemmed’«uniquemédecindupeuple
pendant mille ans ». Il s’était élevé, dans cet ouvrage, contre la tradition
historiquequiavaitjetél’opprobresurelles.L’examendesarchivesdesprocèsen
sorcelleriel’avaitamenéàconclurequelasorcièreétaitplutôtunevictimequ’une
criminelle.

LESFEMMESDANSLEMONDEURBAIN:
TRAVAIL,SOCIABILITÉ

LeXVIe siècle,danstoutel’Europeestunsiècledeprospérité,aumoinspour
les classes dirigeantes. À l’exception de la période des guerres de religion
concomitantesavecl’émergenceduprotestantisme(1562-1598),cetteprospérité
a pour conséquence le développement des villes. Paris comptait
150000 habitants en1500. En 1560,on dénombrait 300000 Parisiens. Laville
devenaitunevilleouverteparoppositionàlavilleféodalefermée,repliéeàl’abri
desesmurailles,surveilléeenpermanenceparuncontingentarmé,qu’elleavait
étéaucoursdessièclesprécédents.Bienqu’ellesfussentdetrèsmauvaisequalité,
les routes de France convergeaient déjà vers Paris. L’allégement des formalités
nécessairesàl’entréedanslacité,ladisparitiondesfortificationspermettaientde
selivreraucommerceavecdesvolumesinconnusjusque-là.L’accèsparlaSeine
à la façade maritime Atlantique ouvrait les portes des pays de l’Europe de
l’Ouest. Paris est une ville « fiévreuse », dangereuse. L’approvisionnement en
nourritureparlacouronnedescampagnesquil’entoureestfragile.Elleestune
citépleinederumeurs,selonlesrécitsdubourgeoisdeParisPierredel’Estoile.
Lemaintiendel’ordreyestunepréoccupationconstante.
La vie quotidienne y est inconfortable. Plusieurs types d’habitat coexistent :
avec un ou plusieurs corps de logis, avec ou sans cour, avec ou sans étable ou
écurie. La concentration de la population et l’absence de moyens de transport
conduitàbâtir enhauteuret exigu.Dansle centredela ville,lesmaisons sont
édifiéesleplussouventenboisetentorchis,surdeuxàtroisétages,complétées
par un grenier et une cave. Elles sont serrées sur d’étroites parcelles. La
dispositiondespièces,sanscouloirnefaciliteguère l’intimitédansunefamille.
Lesnotionsdespécialisationdespiècesetd’appartementfamilialn’existentpas.
Enfants et domestiques partagentla vie intime du couple parental. Souvent les
différentespiècesd’unemaison sontlouéesà despersonnesn’ayantaucun lien
de parenté, ni d’activité commune. L’adaptation à ce mode de vie pour des
paysansetdespaysannesvenuschercherdutravailenvilleestparticulièrement
difficile.
Entre paysans et citadins prédominent, semble-t-il, la méconnaissance et la
méfiance.Auseindelavillesontinstalléslesreprésentantsd’uneadministration
royale qui étend chaque année davantage son pouvoir sur les campagnes. Les
paysansviventuneprisedeconsciencefaited’humiliationetdefrustrationfaceà
l’efficacitécroissantedeslevéesd’impôts.Lesofficiersquiy procèdentsont des
urbainsetlemondedelaterrevoueauxurbainsunedétestationinjustecertes,
maisprévisible,àtoutcequivientdelaville.
Lemodedeviedesfemmesenvilleestmoinsdifficilequ’àlacampagnepour
cellesquiexercentunmétierqualifié.Lesvilleséchappentenpartieausystème
seigneurialquiencadrelescampagnesetàlamonoactivitéterriennequiestaux
racinesdelaféodalité.Lesroiscapétiens,depuisdestempsanciens,pratiquentle
systèmedes «bonnes villes »,statut deprotection etde bénéficede franchises,
assortis de l’obligation de contribuer au « ban » royal en fournissant un
contingent d’hommes d’armes qui viennent se joindre aux effectifs de l’armée
royale.LamultiplicationetlacroissancedémographiquedesvillesauXVIesiècle
apermisauxroisdeFrancedes’affranchirprogressivementdusystèmeféodalen
seconstituantunearméequileurestpropre.Ilsnesontalorspluscontraintsde
réclameràleursvassauxlamiseàdispositiondeleurstroupesencasdeconflit.Il
leurdevientmêmepossibledelesaffrontermilitairementencasdedésaccord.Le
roi négocie l’exercice du pouvoir avec les élites des « bonnes villes ». L’élite
municipale comporte le maire, les échevins (ou « consuls » dans le midi de la
France), les membres des conseils. Les femmes ne sont pas concernées par la
gouvernance de la ville. Elles apparaissent cependant en bonne place lors des
célébrations désignées sous le nom « d’entrée du roi dans la ville », où le
souverainetsonépouselareinesonthonorésetsevoientrappelerparleconseil
lesdevoirsdupouvoircentralvis-à-visdelaville.«L’entréejoyeused’HenriIIà
Rouen»enoctobre1550afaitl’objetd’unedescriptionminutieuseparunauteur
anonyme. Fêtes, cortèges et bals se succédèrent. La reconstitution d’un village
brésilienétaitinscriteauprogrammeavecunecinquantainede«vraissauvages»
et plusieurs centaines de matelots qui connaissaient le Brésil pour y avoir été,
déguisés eux aussi en sauvages. La végétation avait été peinte en rouge pour
figurer les forêts d’Amazonie ! En dehors de ce type de manifestation liée au
couronnementduroi,le calendrierannueldesfêtes urbainessuit lerythmedu
calendrierliturgique.Mais ellessont généralementimprégnéesdu mêmeesprit
carnavalesque. Elles peuvent avoir des conséquences inquiétantes pour les
femmes, car la violence et les débordements y sont fréquents. Confréries et
corporations (plus exactement c’est le terme de jurandes qui doit être utilisé)
célèbrentleurfêteannuelle. Lesfêtesurbainesmêlentàplaisirsujetsreligieuxou
liés à la liturgie et fêtes païennes. Ces réjouissances comportent aussi des jeux
souvent menés parla jeunesse, sur le thème de l’inversiondes rôles. Le maître
devient serviteur. Le serviteur devenu maître exige de lui qu’il lui rende des
servicesridiculesouhumiliants.Lesfemmes,parprudencesetiennentàl’écart.
Difficilement concevable dans un cadre rural, le libertinage se répand dans les
villes. « Les quinze joies du mariage », multiples versions, auteur anonyme,
paraphrase un texte de dévotion populaire « Les quinze joies de la Vierge ».
L’institution du mariage y est brocardée. D’affreux malheurs surviennent à
l’hommeprisdansla«nasse»dumariage,présentécommelasourcedetousles
maux domestiques, érotiqueset autres, et surtout comme l’origine du malheur
suprêmedetoutêtrehumain:lapertedelaliberté.Letonestnettementlibertin,
misogyne et antiféministe. Machinationset ruses féminines font le malheurde
l’homme. Le mari est présenté comme un balourd sans imagination,
« métamorphosé en âne sans qu’il soit besoin d’aucun enchantement ». Le
libertinageesttolérédanstouteslescouchessocialesdelapopulationurbaine.La
contraception est inconnue et les naissances illicites assez nombreuses.
D’étranges « royaumes de jeunesse », hérités des traditions féodales réunissent
desjeunesgensquis’adonnentàl’ivrognerieetàladébauche.Combatscollectifs
etviolsenréunionfontoccasionnellementpartiedeleurbrutaleconvivialité.

LESÉLITESURBAINES
Lesélitesurbainesdetoutesconfessionscherchentàcadrercesmanifestations.
Cecontrôledelajeunesses’exercedifficilementpendantlapériodedesguerres
dereligionquiopposentcatholiquesetprotestantsde1562à1598.Àlafindeces
dernières, la montée en puissance du pouvoir central consacre le déclin des
culturescarnavalesques.
Pariscependants’agrandit«horslesmurs».Jusque-làcantonnéautravail«en
chambre»sonartisanatpeupledésormaisdenouvellesmanufacturesdestinéesà
satisfaire les volumineux besoins d’une classe dirigeante qui découvrait un
nouvelartdevivre.Lerassemblementd’artisansauxsavoirsfairediversausein
d’une structure capable de démarcher de grands clients et de négocier avec
fermetéauprèsdesesfournisseursestuneavancéesociale.Onpourraitparlerde
début d’une « révolution » manufacturière comme, plus tard, on utilise
l’expressionderévolutionindustrielleauXIXe siècle.Cetteamorcederévolution
seproduitnaturellementauseindesgrandesvillesoùsontexercésl’ensembledes
métiersnécessairesàunefabricationmanufacturièreintégrée.Deplus,letrainde
vie de la haute société crée une demande accrue de personnel domestique. Et
enfin, l’évolution économique du pays a pour conséquence l’apparition encore
timided’uneclasse«intermédiaire»éduquée.Lesconséquencessontmultiples:
en premier lieu, l’évolution démographique de la ville de Paris, comme celle
d’autresvilles,indiqueclairementquelescampagnescommencentàseviderde
leur population au profit des villes. L’apparition de « classes moyennes », par
naturecitadinesconstitueunréservoirdeclientsauxquelsleroidécidedevendre
des charges et des offices, créant ainsi une fonction « publique » entièrement
privée ! Le trésor royal s’enrichit et les titulaires de charges aussi, aux frais du
tiers état cette fois. Les femmes sont exclues des charges et offices au motif
«qu’ellesnesontpasassezinstruites».

FILLESETFEMMESAUTRAVAILENVILLE:QUELSMÉTIERS?
Queltravaillesfemmestrouvent-ellesenville?Unejeunefillequin’aaucun
espoird’emploidanssonvillageestcontraintedes’exilerenville.Toutd’abord
au bourg le plus proche, gros de 4 000 à 5 000 habitants. Elle peut espérer s’y
placercommedomestique,unrudetravailprochedeceluiqu’elleaconnudans
son village : nettoyer toute la maison du grenier à la cave, faire le marché,
s’occuperdelacuisine,travailleraulavoir.Danslemêmetemps,laprospéritéde
lapopulationdesgrandesvillesaugmentelademandeenpersonneldomestique.
Cellesdesjeunesfillesquirépondentàcetypededemandenes’aventurentpas
auhasard,elless’appuientsurleursrelationsfamilialesoudevoisinage.Parfois
ellessuiventunmouvementmigratoire organisé,rejoignant desmembresdela
familleouduvillagedéjàétablisdanslavillededestination.Cettemain-d’œuvre
estabondanteetrestalongtempsbonmarché.Danslesmaisonnéesauxrevenus
élevés,les domestiques ont des tâchesstructurées et le serviceà la personne se
décline en de multiples métiers. Dans les familles plus modestes on recrute
seulement une servante qui est une « bonne à tout faire ». Les commerçants
engagentaussidupersonnelfémininpourassurerlesfonctionsdevendeuses.Les
aubergistesetlescommercesdeboucheontbesoindeservantes,decuisinières,
de lingères. Dans toutes ces organisations les employeurs veulent avoir des
garanties sur les personnes embauchées d’où l’importance des réseaux
relationnels.Lecasleplusrépanduestceluidesaristocratesquichoisissentpour
lavilledesdomestiquesrecrutéessurleursdomainesruraux.Certainesdamesde
lanoblessesontlesmarrainesdebaptêmedefillesdesvillagesdeleurdomaine
seigneurial.L’usageveutqu’ellesleuraccordentaideetprotectionetqu’ellesles
aidentàtrouverunemploi.
Dans les zones de développement des manufactures liées à la mode, un
personnel féminin nombreux et qualifié est indispensable. En région lyonnaise
lesfilaturesettissagesdesoierecrutentunpersonnelfémininbienformécarle
matériau est cher et délicat. Les femmes sont embauchées pour dévider les
coconsau-dessusdescuvesd’eaubouillante,tordrelefilenroulerlesnavetteset
tirerlefilsurlesmétiers.Lamain-d’œuvreprovientdesvillagesdesalentours,du
ForezauDauphiné.Lesouvrièressontsouventdejeunesadolescentesdemoins
dequatorzeans.Cetravailresteprécaire,caràlamoindrecriseéconomiqueon
renvoielesjeunesfillesdansleurvillage!
Pluscomplexeslesmétiersdeladentellesonttotalemententrelesmainsdes
femmes.Laproductionsefaitencoreenchambre.L’achatdufilbrutetlavente
du produit fini à un grossiste, sont assurés par une donneuse d’ordres qui
alimente plusieurs ouvrières, dans les Flandres, de Valenciennes à Calais, mais
aussiauPuyenVelay.Ladentelleestundesproduitslespluschersdumarché
destextiles.EnFlandre,onenseignegratuitementdanslescouventslemétierde
dentellière aux filles très jeunes, car l’apprentissage du métier est de longue
durée. Elles tentent, une fois devenues professionnelles, de se constituer un
pécule. Après leur mariage elles peuvent travailler en indépendantes ou bien
continuerdansundesateliersducouventquijouealorslerôledemanufacture.
Ilexisteaussidesassociationsdefemmespieuses,«lesBéates»,quiorganisent
des ateliers et des dortoirs subventionnés par des donations pour recueillir ces
dentellières et négocier la vente des dentelles aux marchands grossistes. Les
jeunescitadinesquitravaillentdanslesmétiersdutextilepeuventcontinuerleur
carrièredansl’artisanatduvêtement,commecouturières,fabricantesdemantes,
chapelières,gantièresouencorebrodeuses.
Toutescependantn’ontpaslachanced’avoirapprisunmétierdelamode.De
façon plus modeste elles se cantonnent aux petits métiers ambulants non
réglementés, laveuse, vendeuse, marchande de rue. Ce sont les règles des
corporations et jurandes qui définissent les métiers ou commerces accessibles
aux femmes, dans la plupart des villes. Les artisans membres des corporations
craignentlaconcurrencedesfemmes,siellesacceptentparexempledetravailler
pour un moindre salaire. Quand il y a beaucoup de travail et moins de main-
d’œuvre les règles s’assouplissent parfois. On dispose de peu de sources sur la
manièredontlesjeunesfillesapprenaientunmétier.Sansdoutedansunefamille
modestelamère,artisaneapprendsonmétieràsesfilles,parexemplesielleest
lingère, blanchisseuse, repasseuse. Celles qui cherchent un contrat
d’apprentissagesontleplussouventdesorphelines,sortantd’uneinstitution.Ila
été retrouvé quelques contrats de ce type. Ils présentent souvent un caractère
léoninettémoignentdelaprécaritédecesjeunesorphelines.
Le mode de participation des citadines à l’économie familiale varie selon les
lieux,villesetlestypesdemétiers.Danscertainesentreprisesfamilialeslafemme
joue un rôle complémentaire à celui de son mari, ce qui lui permet parfois
d’acquérir un peu d’indépendance. Une entreprise comme un magasin de
vêtements, ou une imprimerie permettent à l’épouse d’être organisatrice de
l’activité,voiredegérerlacomptabilité.Lorsqu’unefemmed’entrepreneuroude
maître-artisandevientveuvesasituationestdifficile.Elledoitassurerlasuitede
l’éducationdesesenfants,lacorporationluilaisseengénéralcontinuerl’activité
de son mari mais elle doit faire face aux charges et aux dettes éventuelles. Elle
peutconserverquelquesapprentis,maissilaclientèleseraréfie,elleseretrouve
vitefaceàl’obligationdefermerboutique.
Il est difficile de mobiliserles sources car la femme adulte n’est mentionnée
qu’àtraverssesliens matrimoniaux(épouseouveuve deX).Letravail féminin
estpeu visible, caril estplutôt tourné versl’intérieur dela cellulefamiliale, au
contraire du travail masculin ouvert sur l’extérieur. Bon nombre de femmes
travaillent dans le petit et le grand commerce cependant et dans la vente de
produits et d’objets courants. Les paysannes viennent au bourg ou à la ville la
plusprochepourvendreunepartiedeleurproductiondupoulailler,dupotager,
du verger voire leurs travaux de tissage ou de confection. Certaines femmes
tiennent des échoppes ou des boutiques, les boulangères, par exemple, ne sont
pasrares.EnvilleentreleXVIeetleXVIIesièclequelquescasmontrentquedes
femmes ont exercé la profession de libraire-imprimeur. Des épouses de
négociantstraitent,pourlecomptedel’entreprisefamiliale,desaffairesàParis,à
Lyon,etaussidanslesvillesportuairescommeBordeaux,Marseille,Saint-Malo.
Sitouslessecteursd’activitéssontinégalement féminiséscertainsdomaines du
commerceurbainsontfortementféminisés:l’alimentationetletextile.
Lesfemmesinterviennentdanslafabricationetlacommercialisationdutextile
et dans les activités de la blanchisserie. Marchandes de draps et de vêtements,
fabricantes et commerçantes en dentelles, mercerie, linge de corps et chemises
sont mentionnées dans les sources disponibles. Si l’activité de certaines est
mentionnée comme celle de « ravaudeuses », d’autres sont de prospères
marchandesdemodedanslesgrandesvilles.
Dans le domaine de l’alimentation, les femmes sont omniprésentes sur les
marchés:lespluscélèbresdecesmarchandesétantles«damesdesHalles»de
Paris.
L’accès des femmes au travail sous l’Ancien Régime est soumis pour de
nombreuses activités artisanales et commerciales à la savante complexité de
l’organisation corporatiste.Les métiers jurés (appelés corporationsou jurandes
selon que l’entrée dans le corps était assortie ou non d’une prestation de
serment)sontstructurésencorporationsréservéesauxhommes,encorporations
peu nombreuses réservées aux femmes et en corporations rares ouvertes aux
hommes et aux femmes. Ces règles s’appliquent à l’artisanat et au commerce,
comme, de nos jours, les règles des chambres des métiers et des chambres de
commerce.Ladifférenceestquelesrèglessontpropresàuneville,différentesde
cellesquisontadmisesdansuneautreville.Ellessontsoumisesàl’approbation
du roi qui perçoit une partie des droits versés annuellement par les inscrits à
touteslescorporationsduroyaume.Nuln’aledroitd’exercerunmétierartisanal
oud’ouvriruncommercefaisantpartiedelalistedescorporationsdelaville,s’il
n’aété«reçu»,selonl’expressionenvigueur,danslacorporationcorrespondant
aumétierouaucommercequ’ilsouhaiteexercer.Êtrereçusupposequel’onait
été apprenti, puis compagnon, puis maître, dans la profession exercée.
L’acceptationdanschacundecesgradesestprononcéeparunjurycomposédes
maîtresartisansdelacorporation. Rappelonsiciquepourlesfemmess’exercede
plus la contrainte supplémentaire de la capacité civile qui est ou non accordée
auxfemmesmariéesenfonctiondesrèglesquirégissentl’institutiondumariage.
QUELQUESFEMMESEXERCENTDANSLESMÉTIERS
DEL’IMPRIMERIE-LIBRAIRIE

Defaçonsurprenante,ontrouveparfoisàcetteépoqueplusieurscommerces
féminins, groupés en un lieu prestigieux, travaillant dans une activité « de
pointe».RueSaint-Jacques,àParis,auXVIe sièclesetrouvaienttroislibrairies-
imprimeries dirigées par des femmes : le Soleil d’Or, la Licorne et l’éléphant.
MadeleineBourssette dirigeait l’Éléphant depuisla mort de son mari,François
Regnault.EllepublialespoèmesdeMargueritedeNavarreetdeClémentMarot.
Sa fille, Barbe Regnault continua les activités de l’Éléphant, puis sa petite fille
MadeleineBerthelin.Lemétierquepratiquèrentcestroisfemmesetlechoixdes
auteurs qu’elles éditèrent suggèrent qu’elles avaient atteint le sommet de la
culture de l’époque, alors que l’accès à la connaissance était particulièrement
difficilepourlesfemmes.
Paradoxalement, les femmes bénéficient dans leur conquête du savoir, au
moinspourcellesdelaclasse«moyenne»delapetitebourgeoisie,desquerelles
religieuses qui opposent catholiques et réformés. En 1517, Martin Luther, de
l’ordre des Augustins, publie ses « 95 Thèses ». Affichées à l’université de
Wittembergellescréentunchocetrencontrentungrandsuccès,d’aborddansles
États allemands fédérés au sein du Saint-Empire. Martin Luther traduit la
Vulgate(versionenlanguelatinedelaBible)desaintJérômedulatinenlangue
vernaculaire.C’est sans doute le premier succèsde l’imprimerie. Les tirages de
l’époque étaient réduits, les presses de l’époque produisant lentement, mais
chaquelivrecirculeentrelesmainsdelecteurs,clercscertesmaisaussidelaïcs.
Auxyeuxdel’Églisecatholiqueromaine,ledangerestconsidérable.Eneffet,les
fidèles ignorent le latin, mais savent lire pour une petite part d’entre eux. Cet
accèsnouveauauxtextessacrésfaitquelesinterprétationsdesclercs,quijusque-
làfaisaientautorité,peuventêtreremisesencause.
LeconciledeTrenteconvoquéparlepapePaulIIIen1542,travailleparétapes
successives jusqu’en 1563 à formuler une réponse aux demandes exigées par
MartinLutheretJeanCalvindanslecadredelaréformeprotestante.LaContre-
réformeenestissue.Elleestfondéesuruneappréhensionnouvelledurôledes
fidèlesauseindel’Égliseoùcesderniersdoiventrecevoiruneformationquileur
permette de défendre leur foi contre les arguments des réformés. L’ordre des
Jésuites, fondé en 1534 par Ignace de Loyola, ainsi que, plus tard, celui des
Oratoriens fondé par Pierre de Bérulle en 1611, doivent dans ce but créer des
collèges réservés à l’enseignement des garçons. L’ordre féminin des Ursulines
voit le jour en 1535, fondé en Italie par Angèle Merici, il se développe
rapidement en France. Il est le premier parmi de nombreuses organisations
religieusesfrançaisesàorganiserdescollègesdefillesinspiréspartiellementpar
lemodèlejésuite.
Leur contribution tant pratique que théorique est à l’origine d’un nouveau
type d’enseignement, qui, en puisant son inspiration dans les principes
pédagogiquespropresauxgarçonsdéveloppésparlesjésuitesoulesoratoriens,
transpose concrètement aux filles le modèle du collège d’humanités, en
l’adaptant à leur spécificité. Les classes pauvres restent à l’écart de ce type
d’enseignement qui est payant. Par contre, comme pour l’enseignement
primaire, la haute société conserve le principe du recours au préceptorat. Les
jeunes filles de la classe moyenne connaissent quant à elles un changement
majeurdansl’éducationqu’ellesreçoivent.Cetaccèsnouveauausavoirn’estpas
l’apanage des jeunes filles issues de familles catholiques. Il se crée également
nombredecollègesdestinésauxfillesdefamillesprotestantes.L’éditdeNantes,
en1598,accordeauxprotestantsledroitd’avoirdescollèges,maisenprécisant
que leur droit d’établissement serait vérifié, et qu’ils ne pourraient exister que
dans les villes et lieux d’exercice du culte réformé. L’enseignement secondaire
devient ainsi l’enjeu d’une véritable compétition entre les deux confessions
chrétiennesdanslespremièresdécenniesduXVIIe siècle.

LESFEMMESDELANOBLESSEACCOMPAGNENT
LACOURITINÉRANTE

Si,aucoursdecetteépoque,lesfemmesdesclasses«intermédiaires»,soitla
petitebourgeoisieetlanoblessepauvre,accèdentàl’éducation,lesfemmesdela
plushauteextractionaccèdentàlacour.L’entourageduroi,cen’estplusdepuis
longtemps « la Table Ronde » du roi Arthur où siégeaient les plus valeureux
chevaliers au cœur pur. La cour n’est pas un camp militaire où s’élaborent les
stratégiesdeconquêtesviriles,maisunlieupolitiqueoùonanalyselesstratégies
d’influenceetlesmesurespolitiquesacceptablesparlesgroupesdepressiondu
royaume.C’estunlieudevie oùlenomadismeseplieauxgoûtsdu souverain.
François Ier concrétisa sa curiosité pour les arts et pour le faste en faisant
construire ou remanier plus de onze châteaux. Ces somptueux édifices font
éclore le style architectural de la Renaissance française où les éléments de
l’architecturemédiévalesontréinterprétésenélémentsdécoratifs,oùlechâteau
devient un lieu de fêtes plutôt qu’un espace de repli défensif. Chambord,
Fontainebleau sont les plus impressionnants. Une partie de la cour carrée du
Louvre est aussi son œuvre. Saint-Germain-en-Laye fut remanié sous sa
direction. Il fit édifier à Neuilly le château de Madrid aujourd’hui disparu, et
d’autresencore.Augrédessaisonsoudesonbonplaisir,Françoissedéplacede
villesenchâteauoùsacourlesuit.CommeenItalieduQuattrocento,lacourest
devenueunélément fondamentaldela viedel’État. C’estle cœurpolitiquedu
pays, mais aussi un lieu de vie raffinée où se développent les arts, où de
somptueuses fêtes sont données (Cahier-images, Pl. II). Culture et civilité s’y
enracinent.Seulelapratiquedelachasse,lorsqu’onestàChambord,rappelleles
distractions des temps anciens. Le mode de vie de la cour et la place que les
femmesyoccupentdevientunmodèlepourlescouchessupérieuresdelasociété.
Les femmes de l’aristocratie font partie de la cour. Elles suivent au gré des
saisons le roi et ses officiers en val de Loire, du printemps à l’automne. Elles
suiventlachasseroyaleduhautdesterrassesduchâteaudeChambord.Quelques
bellestapisseriestraduisentcesmigrationssaisonnièresd’uneluxueusecaravane.
La traversée des villes est l’occasion d’« entrées triomphales » où les corps
constituésviennenttémoignerdeleurattachementau souverain.Labeautédes
femmesdelacouretlasplendeurdeleurstenuesajoutentàl’éblouissementdela
fête.
SuccesseurdeFrançoisIer,leroiHenriIIréorganiselacouretsesfastesautour
de sa maîtresse, Diane de Poitiers. Les courtisans du roi défunt disparaissent,
remplacés par un parti de favoris du roi autour du connétable Anne de
MontmorencyetunparticonstituédesamisdeDiane.LesGuisefontpartiede
ces derniers. Le duc René II de Lorraine a légué toutes les possessions
«françaises»delaMaisondeLorraine,dontGuise,situéeenPicardieàClaude
deLorraine-Guisesonfils.Cedernierestnaturaliséfrançaisetcrééducetpair
parleroiFrançoisIer.IlestlepremierducdeGuise.
SafilleMariedeGuiseépouseleroiJacquesVd’Écosseetfutrégented’Écosse
durantlaminoritédeleurfilleMarieStuartCettejeuneprincessefutélevéeàla
cour de France, elle en resta fort influencée devenue adulte, dans sa culture
personnelle.
La Maison de Guise jouit d’un statut particulier à la cour de France,
intermédiaire entre celui des princes du sang et celui des ducs et pairs. Sa
positionàlacouroscille,selonl’époque,entreunetrèsgrandeproximitéavecle
roideFranceetunehostilitémarquéeàsonégard.L’entréedesGuiseàlacour
estunsigneavant-coureurdesguerresdereligion.
Lacourdevientunlieudeluttesd’influenceentrecesdeuxgrandesclientèles
nobiliairescatholiqueetprotestante,conflitsauxquelslesfemmessontentraînées
danslesillagedeleursépouxoudeleursprotecteurs.MadamedelaFayettedans
sonouvrage LaPrincessedeClèvespubliéen1678,adonnéuneimagefidèledu
rôle des femmes dans cette cour brillante, rythmée par de nombreuses fêtes et
bals.Lafintragique duroiHenriIIest connue.Admirateurdelachevalerie,il
avaitrestauré la pratiquedes tournois quilui fut fatale.Au cours d’untournoi
organisérueSaint-AntoineàParis,illanceundéfiàMontgomery,lecapitainede
sagardeécossaise.Cedernieressayed’éluder,envain.Alorsilchargefaceàson
roi.Lesdeuxchevauxchargent,séparésseulementparlalice.Lechocalieuau
grandgalop.Montgomeryfrappedesalancel’écudesonadversaire.Elleéclate
souslechocetlemoignonpénètresouslavisièreduheaume,etblessantlecrâne
du roi qui meurt dix jours plus tard dans d’atroces souffrances. Cette tragédie
porte sur le trône François II, un frêle garçon de 15 ans, fils premier né de
CatherinedeMédicis.LesGuisesontnommésauxcommandesdel’Étatetcette
nominationesttrèsmalvécueparlesprincesdusangquilesconsidèrentcomme
desétrangers.Lesprotestants,eux,lesconsidèrentcommedesennemisenraison
deleurcatholicismeintransigeant.Laconspirationd’Amboisesenouecontreles
Guise.Detouteslesprovincesarriventdeshuguenotsenarmesquiconvergent
sur la ville avec le projet d’investir le château, de se saisir des Guise et de les
mettre à mort.Mal organisés les conjurés échouent.La répression est violente.
Milledeuxcentspersonnestrouventla mortetdesmillierssontemprisonnées.
Lacruautédecetterépressionestlesignedelafaiblessedupouvoir.L’heureuse
interventionde Catherine de Médicispermet de revenirà une politiquemoins
violente.EllechercheàobtenirduPapeunconcilequipermettraitderapprocher
protestants et catholiques. Mais le Pape s’y refuse tandis que les protestants,
assimilant les mesures d’amnistie à l’expression de la faiblesse du pouvoir
bafouent l’interdiction de réunion et rassemblent des armes et des fonds.
Certaines villes protestantes prennent leur indépendance vis-à-vis du pouvoir
royal.Laréactionduroiestempreintededétermination.Leseffectifsdel’armée
sontredistribuésdanslesprovincesagitées.L’ordresemblerevenirpeuàpeu.Le
lienentrecatholiqueetprotestantsn’estpastotalementrompu.En1563,Condé
anomméJeandeParthenaycommegouverneurdelavilledeLyonquiachoisila
Réforme. Ce dernier proclame la liberté de culte pour tous au sein de la ville.
ParthenayquialongtempsfaitpartiedesprochesdeCatherinedeMédiciseta
tentédelaconvaincred’adopterlareligionréforméeluiécritqu’ilgardelaville
de Lyon dans la fidélité au souverain. Les catholiques extrémistes sous le
commandement du duc de Nemours mettent quand même le siège devant la
ville.Uncomplotcatholiqueestourdidanslebutd’enleverlafemmeetlafilledu
gouverneuret deles emmenerdevantla villeà lavue deJean deParthenay en
menaçant de les mettre à mort s’il ne capitule pas. Henriette d’Aubeterre, son
épouse,lui écrit de lalaisser périr plutôtque de trahirleur cause sijamais elle
étaitfaiteprisonnière.

TENSIONSPOLITIQUESETGUERRESDERELIGION.
AUTOURDECATHERINEDEMÉDICISETDESESFILS
Danslemêmetemps,lestensionsenpolitiqueextérieureatteignentunniveau
alarmant.François II estl’époux deMarie Stuart,fille de Mariede Guise etde
JacquesVd’Écosse.Elleestreined’Écosseentitredepuislamortdesonpère,sa
mère Marie de Guise assurant la régence. Par une maladresse inconcevable,
François II fait réaliser un sceau qui témoigne sa prétention à la royauté de
France, mais aussi d’Écosse et d’Angleterre. Un parti de nobles écossais se
soulèveetacculeMariedeGuiseetsonentouragedeconseillersfrançaisdansla
forteressed’Édimbourg.FrançoisIIenvoiedestroupesquiparviennentàrompre
lesiège.MaislaFranceesttellementaffaiblieparlesluttesinternesqu’elledoit
retirersestroupes.Àlasuitedecesévènements,leroitombegravementmalade,
et malgré les soins que lui prodigue Ambroise Paré, il meurt en 1560 sans
descendance.SonfrèrecadetCharles,âgédedixans,luisuccède,souslenomde
Charles IX. Le 21 décembre, le Conseil privé nomme Catherine de Médicis
«gouvernantedeFrance»(Cahier-images,Pl.I).LesGuiseseretirentdelacour.
Marie Stuart, veuve de François II, retourne en Écosse. À la fin du règne de
FrançoisII,lesFrançaisontévacuél’Écosse,laCorse,laToscane,laSavoieetla
quasi-totalitéduPiémont.
Aprèslerègnededix-septmoisdesonfrèreFrançoisII,CharlesIXquiluia
succédé à l’âge de 10 ans, meurt en 1574, sans enfant mâle légitime à près de
24 ans. Catherine de Médicis, leur mère est à nouveau directement impliquée
danslegouvernementduroyaume.
Sous son règne, le Royaume est déchiré par les guerres de Religion, malgré
tous les efforts déployés par sa mère pour les empêcher. Après plusieurs
tentatives de réconciliation, son règne déboucha sur le massacre de la Saint-
Barthélemy.Ilestdifficiled’imaginerconflitsplusfratricidequecesguerres.Lors
dusacredeCharlesIX,en1561,CharlesdeBourbon,premierprincedusangest
nommé lieutenant général du royaume et il est susceptible, à ce titre, de
remplacer le souverain en cas de crise dans le royaume. Il est en même temps
l’époux de la reine de Navarre, Jeanne d’Albret, fervente protestante et mère
d’Henri de Navarre leur fils qui a choisi la religion de sa mère. Charles de
Bourbonsiègeauconseilprivéduroi,enremplacementducardinaldeLorraine
chef de file des ultras catholiques. Le prince de Condé, frère de Charles de
Bourbonetreconnuparlesprotestantscommeleurchefmilitaire.Catherinede
Médicisdéploiedeseffortsconsidérablespourquelesliensdusangparlentplus
hautsqueleschoixconfessionnels.Elleentreprendcourageusementuntourdes
villesdeFrancepourfairereconnaîtreetacclamerlenouveauroialorsquesur
tout le territoire se multiplient, à l’initiative des « huguenots » comme des
«papistes»,desmassacresoùlastupiditén’ad’égalequelacruauté.Lecortège
royalestaccueillidiversementdanslesdifférentesvilles,selonlaconfessiondes
habitants. Anecdote de la petite histoire, mais innovation politique durable,
Charles IX, lors de son passage au château de Roussillon signe l’édit éponyme
dont un article définit le 1 er janvier comme le début de l’année civile dans le
royaume.LesvillesprotestantesdeGascogneluiréserventunaccueilfroidmais
empreint de respect. À Montauban, il faut négocier le désarmement de la ville
assiégée par le maréchal de Montluc avant que le roi ne puisse y pénétrer.
À La Rochelle (dernière entrée d’un roi de France avant le siège de 1627), les
protestantsmanifestentleurmécontentement.ÀOrléans,leconvoiestaccueilli
paruneémeuteprotestantedanscettevillequiaétélequartiergénéraldeCondé
pendantlapremièreguerredereligion.Lasecondeguerreéclateen1567lorsque
leprincedeCondétented’enleverleroietlarégentedansuneopérationquifut
appelée la « surprise de Meaux ». Condé connaît un échec et regroupe ses
partisansarmésàSaint-Denisd’oùilmenaceParis.Lescombatslesopposentaux
arméesduroicommandéesparleconnétableAnnedeMontmorencyquitrouve
la mort dans les affrontements. L’armée royale tient bon. La suite des
affrontementssedérouleentreLoireetMeuseaucoursdestentativesdejonction
entrelesarméesprotestantesdeCondéetcellesdeColigny.Lanégociationdela
paix de Longjumeau aboutit à la remise en place des accords qui avaient été
conclusaprèsl’affaired’Amboise.
Quelques mois après la signature de l’accord de Longjumeau, une initiative
catholiquerelancelesaffrontements.Unetentatived’enlèvementdeCondéetde
Coligny échoue. Mais les chefs protestants se replient sur La Rochelle où ils
peuventrecevoirlesoutienmilitaireduprinced’OrangeNassau«Stathouder»
des Pays-Bas et le soutien financier de l’Angleterre. L’armée royale est sous le
commandement du duc d’Anjou, frère du roi et futur Henri III. Guillaume
d’Orange est obligé de rebrousser chemin. À Jarnac, le duc d’Anjou affronte à
nouveaulesprotestantsdansunebatailleouCondétrouvelamort.Désormais,
Coligny prend la direction des armées protestantes. Le duc d’Anjou écrase ses
arméesàMoncontour.L’éditdeSt-Germainde1570accordeauxprotestantsle
droitdepratiquerleurcultedanslesfaubourgsdesvillesetleuraccordequatre
placesdesûreté:LaRochelle,Cognac,MontaubanetLaCharitésurLoire.
On aurait pu espérer que la folie meurtrière s’éteigne à la suite de la
promulgationdecetédit.Maispendantlesfestivitésdumariagede Marguerite
deValois,filledeCatherinede Médicis,avec leroideNavarrefuturHenriIV,
l’amiraldeColignyestvictimed’unetentatived’assassinat.Lesprotestantsvenus
engrandnombreàParispourlemariageréclamentvengeance.L’enchaînement
desévènementsparlasuiteestrestéobscur.Sansdoutedésireuxd’anticiperles
représaillesdu parti « huguenot »,les chefs « papistes »,dont le duc de Guise,
décidentd’assassinerleschefsprotestants.C’estainsiquecommencelemassacre
de la Saint-Barthélemy, à Paris, dans la nuit du 23 au 24 août 1572. De là, le
massacresepropagedansungrandnombredevillesdeFrance.Lescatholiques
perdent tout contrôle et tuent leurs voisins protestants par crainte de
représailles ? Du massacre, on passe à la guerre qui se déroule essentiellement
entre l’armée royale et les villes de La Rochelle d’une part et Sancerre d’autre
part.L’épuisementfinancierdesdeuxcampsmetuntermeauxopérations.Parle
traitédeBoulogne,CharlesIXremetenvigueurlesclausesd’Amboiseetenlève
auxprotestantsCognacetLaRochelle.MaislesprotestantsduSuddelaFrance
rejettentl’éditroyaletrestentenarmes.Lafragileconfiancequiavaitpuexisterà
certaines périodes entre le pouvoir central catholique et les communautés
protestantes est rompue. Il s’est créé en France une sorte de république
protestanteaveccommecapitalesNîmesetMontaubanetungrandport,celuide
La Rochelle. En 1574, les protestants se choisissent un gouverneur général et
protecteurdesÉglisesréforméesenlapersonneduprinceHenriIer deCondé.
LasantéduroiCharlesIXatoujoursétédélicate.Underniercomplotajoute
une note finale aux souffrances endurées au cours de son règne. Un parti
composédegrandspersonnagesfrustrésden’avoirpasététraitésselonleurrang
ni selon leurs mérites et d’intellectuels qui théorisaient sur les formes de
constitutionquidevraientêtreappliquéesaugouvernementdelaFrances’était
constitué.Onlesdésignaitsouslenomde«partidesMalcontents».Parmiles
hautspersonnagesquiyadhérent,onnotelaprésencedeFrançoisd’Alençon,le
frère cadet du roi. Le roi de Navarre et le prince de Condé, qui ont abjuré la
religion protestante sous la contrainte en font partie, ainsi que le connétable
FrançoisdeMontmorencyquis’estretirésursesterres.CatherinedeMédiciset
CharlesIXtraitentavecindulgencelesprincesmécontents.LeprincedeCondé
estnommégouverneurdePicardie.MontmorencyentreauConseilduroi.Mais
en 1574, un incident, lié à une altercation, fait basculer le fragile édifice du
compromis.Les frèrescadets deMontmorency imaginentd’exfiltrerde lacour
les princes du parti des Malcontents où ils font l’objet d’une surveillance. Ils
arriventàStGermainenLaye,àlatêted’ungroupedecavaliersarmésdansle
butdeprotégerleurfuite.Maislesprincesnesontpasprêts.Parcontre,laCour
effrayée,s’enfuitàParis.LeroiCharlesIX,gravementmaladeesttransportéàla
forteressedeVincennes.
Leducd’AlençonetleroideNavarreconfessentleurprojetavortéàlareine
mère. Celle-ci appelle Charles IX à se montrer clément. Ce dernier rappelle
MontmorencyauconseiletpardonneàsonfrèreFrançoisd’Alençon.
Danscecontexteincertain,CharlesIXmeurtàVincennesen1574.Sonfrère,
leducd’Anjou,quiétaitpartipourCracovieenautomne1573àlasuitedeson
élection comme roi de Pologne, délaisse la couronne polonaise et rentre en
France où il est sacréroi sous le nom d’Henri III. en 1575. La même année,il
épouse Louise de Vaudémont-Nomény, princesse de Lorraine. Il n’a pas
d’héritierissudecemariage.
Le futur Henri III, avait reçu le titre de duc d’Anjou le jour de la mort du
connétable Anne de Montmorency lieutenant général du royaume auquel il
succèdedansla fonction.Iln’a queseizeans maisil s’investitpersonnellement
danslescombatsdesdeuxièmeettroisièmeguerresdereligion.Ils’étaitillustré,
en1569, danslabataille deJarnacoù LouisdeCondé avaitconnu ladéfaiteet
étaitmort.
AumomentdelaSaint-Barthélemyleducd’Anjouaapprouvél’actioncontre
les protestants sans toutefois y avoir pris part personnellement. Dans les
massacresquisuivirent,sonennemideMoncontour,l’amiraldeColignyperdit
lavie.
Le conflit rebondit en faveur des révoltés quand, un an plus tard, François
d’Alençon s’enfuit de la cour et prend la tête d’une armée de Malcontents. Ce
mouvementpasseàlarévoltearméeetfaitallianceaveclesprotestants.
La supériorité numérique des troupes coalisées contraignent Henri III à
s’incliner.UnepaixfragileestsignéeàÉtigny,fiefd’unpartisandeCatherinede
Médicis qui l’accueille à cette occasion sur ses terres. En mai 1576, le roi
confirme les termes de l’accord de paix par l’édit de Beaulieu qui répond
favorablementauxrevendicationsdesMalcontents.Ilaccordeauxprotestantsla
libertédeculteetdesplacesdesûretédontlesgarnisonsleursontfavorables.Il
créedesparlementsoùlesprotestantsetlescatholiquessontreprésentésàparts
égales.Lesdispositionsdecetéditsontlesracinesdecellesdel’éditdeNantesde
1598. Pour satisfaire les revendications des Malcontents, le roi s’engage à
convoquer lesÉtats généraux où les troisétats – noblesse, clergé ettiers état –
sont représentés. François d’Alençon reçoit le duché d’Anjou en apanage et le
princeallemandJeanCasimirrepartavecuneindemnitécolossale.
Catholiquesextrémistes,lesLigueurss’insurgentcontrelesdispositionsdela
paixde Beaulieu qu’ilstrouvent trop favorablesaux protestants.Ils constituent
desgroupesarmésunisentreeuxpardesengagementsd’assistancemutuelleetse
préparent à la guerre. Leur zone d’influence couvre la moitié nord du pays y
comprisla Bretagne.Leroi apparaîtde plusenplus isolé,entre lescatholiques
extrémistes, les protestants, et un groupe de « Politiques » ex-Malcontents qui
s’estréuniautourdelapenséedeJeanBodin.Économisteetpolitologue,Bodin
estpartisandelatoléranceetsoutientunethéoriedelasouveraineté«quifonde
en droit l’autonomie de l’État par rapport au problème confessionnel, et rend
légitime la liberté de conscience et de culte ». La réunion des états généraux à
Blois n’apporteaucune amélioration à la situationet la guerre recommence en
mai 1577. Les Politiques, soucieux de l’unité du royaume, rejoignent l’armée
royale.Françoisd’Alençon,ducd’Anjou,dirigelesopérations.Aprèsderapides
sièges,ilprend lesvillesdela CharitésurLoire,enmai, puiscelled’Issoire,en
juin.CharlesdeLorraine,ducdeMayenne,issudelafamilledeGuiseopèreen
Poitou. Charles de Montmorency (fils du connétable Anne de Montmorency),
duc de Damville assiège Montpellier. Encore une fois, aucun parti n’est en
mesuredel’emporter.LapaixdeBergerac,concrétiséeavecl’éditdePoitiers,met
unterme provisoireau conflit.Elle restreint lesconditions duculte protestant,
limitéàuneseulevilleparbailliageetseulementdanslesfaubourgs.
Catherine de Médicis entreprend, dans un but de pacification, un nouveau
voyage dans tout le royaume. Elle négocie avec les différents partis, avec les
gouverneurs des provinces, et avec les grandes familles du royaume en vue
d’établirunepaixqu’elleespèredéfinitive.Le28février1579,ellesigneaunom
duroiletraitédeNérac,quidonneauxprotestantsquinzeplacesdesûretépour
six mois. Six mois plus tard, au motif que leur sécurité n’est pas assurée, les
protestantsrefusentderendrelesplaces.

HENRIDENAVARRE,FILSDEJEANNED’ALBRET
Henri de Navarre à la tête d’un parti de protestants prend Cahors, ville
catholiquedéfendueparunegarnisonauxeffectifsplusnombreuxqueceuxdes
assaillants. La paix de Fleix (près de Bergerac) accorde le maintien de quinze
places de sûreté pour six ans aux protestants. Cette guerre est parfois appelée
guerredesAmoureuxenraisondesfêtesgalantesduchâteaudeNérac,oùHenri
deNavarreetsafemmeMargueritedeValois(lareineMargot)avaientréuniune
courcomposéedejeunesseigneursqueleursgalanteriesavaientfaitsurnommer
lesAmoureux.
Durant les guerres, l’autorité royale s’érode au profit des gouverneurs des
provinces. Côté protestant, Henri, roi de Navarre, seigneur en Rouergue et en
QuercyestenplusgouverneurdeGuyenne.CondéestgouverneurdePicardie.
Côtécatholique,lepartidesGuisecontrôlelesgouvernementsdelaBretagne,de
la Bourgogne, de la Champagne, et de la Normandie. Dans certaines régions,
dontlaProvence,lesdeuxpartissepartagentlepouvoir.
Enjuin1584,leducd’Anjou,Françoisd’Alençon,frèrecadetduroiethéritier
présomptif du trône meurt sans descendance. Henri III n’a pas lui-même
d’enfantetilestdouteuxqu’iln’enaitjamais.LadynastieValoisestmenacéede
disparaître. Depuis la fin de la dynastie capétienne, la règle de succession en
vigueurenFranceestcelledelaprimogénituremâlequiexclutlesfillesetleurs
descendantsdetouteprétentionautrône.
L’application de cette règle successorale a pour effet que le premier dans
l’ordrede successionn’est autrequ’Henri deNavarre,chef duparti protestant.
Mais les catholiques ne veulent en aucun cas d’un souverain protestant qui
risquerait d’imposer sa confession religieuse à tout le royaume. Le 17 janvier
1585,lesGuisesignentalorsaveclesEspagnolsletraitédeJoinvilleparlequelil
estconvenuquelesuccesseurd’HenriIIIseraitlecardinalCharlesdeBourbon,
oncle du futur Henri IV. Pour garantir la légitimation de ce candidat à la
succession au trône, Philippe II s’engage à verser les 50 000 écus par mois
nécessairesàlasoldedessoldatsdelaLigue.Auprintemps1585,laLigueprend
le contrôle de nombreuses villes. Pour donner des gages à ce parti, Henri III
publie l’édit de Nemours le 18 juillet 1585 qui interdit le culte protestant et
déchoit Henri de Navarre et Condé de leurs droits. Il reçoit l’appui du pape
SixteVquiluirappellequeleroideNavarreesthérétiqueetrelapse.
La guerre repend. Henri de Navarre inflige cependant de lourdes pertes aux
royaux dirigés par Joyeuse lors de la bataille de Coutras le 22 octobre 1587.
HenriIerducdeGuisebatlesreîtresprotestantsallemandsdurantlabataillede
Vimory(prèsdeMontargis),puisàlabatailled’Auneauenlamêmeannée.
GuisesefaitacclamerparlepeupledeParisquil’accueilleentriomphateur.Le
roiHenriIII,doitquitterlacapitalelorsdelajournéedesBarricadesdu12mai
1588.La ville estacquise à laLigue et àde Guise sonchef. Le roiprofite de la
réuniondesétatsgénérauxquisetientauchâteaudeBloispourfaireassassiner
le duc de Guise et son frère le cardinal Louis de Lorraine en décembre 1588.
Aprèscesdeuxmeurtres,HenriIII,bienmalinspiré,seseraitécrié:«Àprésent,
jesuisroi!».
À la nouvelle de l’assassinat deschefs de la Ligue, cette dernière rompt tout
contactavecleroidéclarétyranettraîtreàlacausecatholique.LeducCharlesde
Mayenne, frère des deux victimes et nouveau chef de la Ligue, prend alors le
contrôlede Paris. Enfévrier 1589,s’installe à Parisun conseilgénéral d’Union
auquelserallientplusieursgouverneurs.Lesdocteursdelafacultédethéologie
de Paris déclarent les sujets français déliés de leur serment de fidélité au roi.
Henri III n’a plus d’autre solution pour sauver son trône que de s’allier aux
protestantsduroideNavarre.Réconciliés,ilsjoignentleursforcespourassiéger
Paris. Henri III est assassiné à Saint-Cloud le 1er août 1589 par le dominicain
Jacques Clément. Ce crime fait d’Henri de Navarre, chef des protestants, le
nouveau prétendant au trône de France. Les Politiques, catholiques comme
protestants, reconnaissent la légitimité du nouveau roi. De plus, dès le 4 août,
HenriIV,influencéencesensparMicheldeMontaigne,proclamesonintention
desefaireinstruiredanslaconfessioncatholique.Lesprotestantsintransigeants
quittent alors le nouveau roi. Ils craignent que son éventuelle conversion ne
débouchesurunerestaurationdelacatholicitédupouvoiretnecréeunstatutde
sujetsauxdroitsinférieurspourlesprotestants.
LaLigue,quitienttoutelaFranceduNordetpeutcomptersurlesoutiende
Philippe II d’Espagne, refuse de reconnaître un roi protestant, même converti.
Dèslemoisd’août1589,lesligueursparisiensproclamentlecardinaldeBourbon
commenouveauroideFrance.Maiscelui-cimeurtenmai1590,laissantunvide
politiqueparmilesligueurs.Dessoldatsespagnolss’installentenBretagneeten
Languedoc. Philippe II donne l’ordre aux troupes d’Alexandre Farnèse
stationnées aux Pays-Bas de se rendre en France. Le duc de Savoie intervient
contre les protestants en Provence et en Dauphiné. Du côté des protestants,
ÉlisabethIred’Angleterreenvoiedesfondsetlesprincesallemands,destroupes.
En1589et1590,HenrideNavarremultiplielesopérationsprèsdePariseten
Normandie.Aprèslavictoired’Arques,iltenteànouveaulesiègedeParis.Au
boutdeplusieurssemaines,Henrisevoitcontraintdeleverlecamp,àcausede
l’armée espagnole envoyée par Alexandre Farnèse depuis les Pays-Bas pour
débloquer Paris. Dans la nuit du 20 au 21 janvier 1591, il tente à nouveau
d’investir Paris par la ruse en envoyant ses hommes de troupe déguisés en
marchandsdefarine.Cettetentativesesoldeparunnouveléchecetgardelenom
de«JournéedesFarines».
HenriassiègeRouen,envoieunearméetenirouvertelarouteverslesPays-Bas
protestantsetuneautreempêcherleducdeMercœurgouverneurdeBretagnede
menacer l’ouest de Paris. Sur le front sud, le duc de Montmorency parvient à
battrelafamilledeJoyeuseàlaquellelesMontmorencydisputentleLanguedocet
menacedésormaislavilledeTouloused’appartenanceligueuse.
En1593,lesétatsgénérauxdelaLigueseréunissentàParis.Ilsdemandentun
souverain catholique. Henri IV comprend de son côté qu’il ne sera jamais
acceptés’ilresteprotestant.DesnégociationsontlieuàSuresnesentrefinavrilet
finmai1593.Ilannoncesaconversionaucatholicismeetabjureàlacathédrale
deSaint-Denisle25juillet1593.CetteconversionluiouvrelesportesdeParisen
1594.IlestsacréàChartresle27février1594,lavilledeReimsétanttenueparles
Ligueurs. Le 7 décembre 1595, le pape reconnaît la légitimité de la succession.
Lesralliementsauroilégitimes’accélèrent.
Durablement installé dans sa capitale, Henri IV peut songer à finir la
reconquêtedesonroyaume.Ildéclareformellementlaguerreàl’Espagne.Ilse
porte, à la tête de l’armée royale au-devant des 13 000 soldats espagnols et
ligueursIllesmetendéroute,le5juin1595,àlabatailledeFontaine-Française.
CharlesIIdeLorraine,ducdeMayenneunefoisvaincu,laLiguenobiliairecesse
peuàpeud’exister.En1596,lejeuneducCharlesIerdeLorraine-Guisequis’est
rallié au roi assiège la ville de Marseille. Henri IV peut faire son entrée royale
danslavilledeLyonquil’accueillechaleureusement.Mayenneetlecardinalde
Joyeuse fontleur soumission au roi. Seul le gouverneurde Bretagne, le duc de
Mercœur conserve sa ligne de conduite ligueuseet reçoit le renfort de troupes
espagnolesenvoyéesparPhilippeII.

ITALIANISATIONET«FÉMINISATION»DELACOUR
ETDESESUSAGES

L’esprit du temps peut nous sembler surprenant. Dans ce pays en guerre,
ravagéparlescombatsentrefactions,combatsponctuésd’atrocesmassacres,se
développeunecourdeFranceetmêmedescourssil’oninclutcellesdesducset
princes ; les femmes y ont une place de choix. Sans doute faut-il voir là
l’influence italienne sur l’aristocratie française. Il existait en Italie depuis le
«Quattrocento»,sousl’influencedepenseursdontleplusconnuestMachiavel
unmodèledephilosophiedupouvoirquiagagnélaFranceàtraverslesguerres
d’Italieetàtraversl’arrivéeàlacourduroid’artistesetpenseursItaliensdansle
sillagedeCatherinedeMédicis,épousedeHenriII.Leshumanistesdeviennent
dans le courant du XVIe siècle les conseillers des princes italiens. Machiavel a
servilesintérêtsdeFlorenceauprèsdesMédicisenintégrantlaChancellerieet
enécrivantlesouvragesderéférence,telsque LePrinceetl’ArtdelaGuerre,sur
l’art de la bonne gouvernance auxquels fait écho, en France, l’Institution du
PrincedeGuillaumeBudé.
Le prince italien de la Renaissance se doit d’être un personnage cynique et
manipulateur,capabled’utiliserlaviolencesielles’avèreêtreunmoyendebonne
politique. Il s’entoure d’une cour composée d’aristocrates d’humanistes et
d’artistes. La magnificence de la vie courtisane est la mise en scène de son
pouvoir.Iln’estpluslemaîtredeguerremédiévalexpertdanslemaniementdes
armes et apparaît plus souvent en costume d’apparat qu’en armure. Les armes
ont changé, la lourde épée maniée à deux mains, les masses d’armes et les
cuirassesontfait placeà la«fine lame» dontlemaniement estle domainede
prédilectiondesbretteursprofessionnels.C’estl’époquedu«coupdeJarnac»où
le savoir-faire dans le maniement des armes amène les princes à former des
arméesdeprofessionnels.L’émerveillementdelapopulationparlasplendeurdes
demeuresprincières,larichessedescollections,lasomptuositédescostumessont
lespiècesessentiellesàlaconstructiondel’imagedesdétenteursdupouvoir.
Roi et princes français de la Renaissance ont compris ce message et, de
François Ier à Henri IV, ont modelé leur cour en suivant une inspiration
italienne.
Cette « italianisation » a atteint son apogée sous Henri III. Le roi a épousé
Louise de Vaudémont une cousine des Guise. Cet univers est brillant, très
féminiséetouvertàl’artetàlacultureitalienne.Lacoursedéplaceduchâteau
de Fontainebleau, au palais du Louvre, au château de Madrid à Neuilly, ou
encore à Saint-Germain-en-Laye. Au printemps et en été elle migre en val de
Loire,àBloispuisàChambord.En1564,CatherinedeMédicisfaitconstruirele
palais des Tuileries pour y installer la résidence royale à Paris. Édifié entre les
actuels pavillons de Flore et de Marsan du Louvre, il se trouve dans l’axe des
futursChamps-Élysées.LejardindesTuileries,surlepérimètreactuel,estcrééà
cetteépoquesouslaformed’unimmensejardinàl’italienne.
Sous le règne d’Henri IV la cour est moins fastueuse et respecte moins
l’étiquettemiseenplacesousHenriIII.Uncérémonialprécisestédictédès1585.
Ilrèglelerythmedeviedesfemmesetdeshommesagréésàlacoursansomettre
laquestionduportdesvêtementsadaptés.Danssonouvragedésormaisclassique
LaCivilisationdesmœurs(1939),NorbertEliasaanalyséleprocessuscivilisateur
quisemitenplacedansleroyaumedeFrance.Laviedeshommesetdesfemmes
à la cour fut marquéepar la gestion des pulsions violentes, héritées d’un autre
âge. L’aménagement des demeures seigneuriales est organisé en espaces
appropriés aux différentes nécessités du quotidien. La promiscuité médiévale
disparaîtetlaisselaplaceàunecertainepudeurdanslavieintimeetlesrelations
sexuelles. La cour se civilise avec l’entrée des femmes dans l’entourage des
princes.Cemodedevierelativementpolicésediffusedanslesélitesbourgeoisies
quitravaillentauservicedesprinces.
Lyon,prochedelafrontièredelaSavoie,citécosmopoliteattirantlesartistes
italiens,joueunrôledécisifdanscetteévolutiondesmœurs.Demultiplesateliers
d’imprimeries’ysontinstallésdès1473.Uneécoledepoésies’ydéveloppeautour
de Maurice Scève, qui exalte sa passion pour la belle Pernette, savante mais
mariée.ÀLyonencorevitLouiseLabéquiécritdespoèmesettientsalon.Dela
maigre documentation sur sa personne ressort une image de femme libre
d’esprit,pratiquantl’équitation,habileàtirerl’épée,chantantlesamoursqu’elles
fussent ou non hétérosexuelles. Avec Maurice Scève et Pernette du Guillet,
LouiseLabéappartientàunesupposée«écolelyonnaise»aupointquecertains
lasoupçonnentd’êtreunecréaturedepapier.Lavilleestunpôleculturelgrâceà
larenomméedesessalons,del’imprimerielyonnaiseetduCollègedeLaTrinité,
fréquentépardesintellectuelsetécrivainscontemporainscommeÉtienneDolet,
RabelaisouMarot.
Lescourantsartistiquesdutempsnaissentautourdel’écoledeFontainebleau,
elle-même liée aux artistes auxquels a été confiée la décoration du château. Le
Rosso et Primatice ont entrepris un vaste programme de peintures et se sont
entourésàceteffetdejeunespeintresfrançais.Dansledomainedelasculpture,
Jean Goujon s’inspire de modèles antiques et propose des œuvres au caractère
marquécommelaFontainedesInnocentsàParisoulatribunedesCaryatidesau
Louvre. Sous Henri II, les travaux de Fontainebleau continuent. L’architecte
PhilibertDelormeprendenchargelechantier.Onluidoitégalementlecélèbre
châteaud’AnetoffertparHenriIIàsafavoriteDianedePoitiers.Danscenouvel
art de vivre,la disposition des appartements,distingue entre pièces à caractère
public,sallesdespectacles,debal,decérémoniesetappartementsprivés,lieuxde
la vie quotidienne et cabinets de travail, salles de réunion pour les conseils
restreints.Ledécorintérieurvoitlamultiplicationdesmeublesetdessecrétaires
ornés de marqueteries à l’italienne, les tapisseries s’ornent de motifs
mythologiquesetlestableauxsemultiplient.Lecadredeviefleuritcommesila
viequ’onymèneétaitdouceetsedéroulaitpaisiblement.Etpourtant,lesguerres
de religion, les guerres de succession font rage et se répercutent à la cour. Les
seigneurs de haut rang, roi, princes et ducs ont des gardes personnels qui les
protègentjouretnuitetlesaccompagnentdanstousleursdéplacements.Malgré
cela, le duc de Guise et le cardinal de Lorraine tombèrent sous les coups des
assassinsmandatésparleroiHenriIII.Lui-même,pourn’êtrepasrestéauprès
des hommes chargés de le protéger, tomba sous les coups du moine Jacques
Clément.
« La guerren’est que le prolongementde la politique par d’autresmoyens »
Clausewitzécrivitceprincipesurlepapiertroissièclesplustard,en1832.Ilfaut
rendreauxpuissantsdelaRenaissancequel’idéecommençaitàfairesonchemin
dans leurs esprits. Il est remarquable que la diminution de l’appétence des
hommes pour la guerre s’accompagne de l’entrée en politique des femmes
prochesdescerclesdupouvoir.
Politiqueetmécénatdesreines,desrégentesetdesmaîtressesdesrois.Quels
sontlespouvoirsdesfemmes?
Laloiélaborée,selonlesrecherchesdeshistoriens,entreledébutduIVeetle
VIe  siècle, pour le peuple des Francs dits « saliens », dont Clovis fut l’un des
premiersrois,fixaitlesrèglesdeviedecespopulations.Cecode,rédigéenlatin,
privilégielasuccessiondynastiquedepèreenfils.Cetteloifutmêmeréécriteau
fil du temps et réinterprétée afin d’écarter totalement toute succession par les
femmesdansladynastiedesCapétiensdirectspuisdesCapétiens-Valoisetenfin
des Bourbons. Les femmes n’existent juridiquement pas dans la chaîne des
successions dynastiques. Seul le roi est sacré à Reims. La reine peut recevoir à
Saint-Denisuneonctionsainte,gagedefertilité.Lareinereçoitaussiunanneau
symbolique,figurantlaTrinité,symboledesesdevoirs:laluttecontrel’hérésieet
laprotectiondespauvres.Encasdenécessitélareinepeutêtredésignéecomme
régente.

DEUXRÉGENTESFACEAUXCRISESDUROYAUME
AucoursduXVIe siècle,demultiplesrégencesfurentexercéesparlesreinesen
titre:
– 1515 : régence de Louise de Savoie, mère de François Ier, pour cause
d’absencedecedernierpartiencampagnemilitaireenItalie.
– 1524-1526: régence deLouise deSavoie, mèrede François Ier,pour cause
d’absencedecedernier,prisonnierenEspagne.
– 1552 : première régence de la reine Catherine de Médicis, épouse du roi
HenriII,pourabsencedueau«voyaged’Allemagne»,expéditionmilitaire
quiaboutitaurattachementauroyaumedeMetz,Toul,Verdun.
– 1560-1563: deuxième régence dela reine Catherinede Médicis, veuvedu
roiHenriIIet mèreduroiCharlesIX,pourcause deminoritédecelui-ci
(Cahier-images,Pl.I).
– 1574 : troisième régence de la reine Catherine de Médicis, mère du roi
HenriIII,pourcaused’absencedecelui-ci,jusqu’àsonretourdePologne,
dontilavaitétééluroi.
LouisedeSavoie,mèredeFrançoisIer estveuveàdix-neufans.Elleseconsacre
àl’éducationdesesenfants,MargueriteetFrançoistousdeuxconfiésauxsoins
des mêmes précepteurs. Elle leur achète les copies de nombreux manuscrits
destinésàleuréducation.
Louise est âgée de trente-huit ans, lorsque le roi Louis XII meurt sans
descendance, en janvier 1515. François, au premier rang dans la liste de
succession,héritedutrônedeFrance.
L’influencedeLouiseauprèsdesonfilsestconsidérable.Ellefaitetdéfaitson
entourage politique. Duprat lui doit son élévation au rang de chancelier,
SemblançayetleconnétabledeBourbonleurdisgrâce.Elleestdeuxfoisrégente
deFrancependantlescampagnesitaliennesdesonfils:en1515,lorsqu’ilpartit
affronterlesSuissesàlabatailledeMarignan,puisànouveauen1525-1526.La
régencedeLouisedeSavoieestl’exercicetotaldupouvoirroyaldansunclimat
degrandesdifficultés,aprèslacaptureduroilorsdelabatailledePavie.Dufait
desonexpérience,ellepeutassurerlacontinuitédelapolitiquedecentralisation
du royaume qu’elle a conçue avec Duprat et se livre, malgré la fragilité de la
position du royaume, à une contre-offensive diplomatique contre l’empereur
Charles Quint. Elle fait alliance avec l’Angleterre de Henri VIII et l’Empire
ottomandeSolimanleMagnifique.Fortedecesalliances,elleobtientdeCharles
QuintlalibérationduroiFrançoisIeren1526contreladétentiondesespetits-fils
aînésFrançois etHenri. Elleest àl’initiative dela négociationavec Marguerite
d’Autriche, gouvernante des Pays-Bas des Habsbourg, sa belle-sœur, tante de
CharlesQuint,négociationquiaboutitàlapaixdesDames,signéeàCambraile
5 août 1529. Cette parenthèse dans l’affrontement entre le roi de France et
l’empereur est un succès diplomatique considérable. D’abord, le roi de France
peutgarderlaBourgogne.Ensuite,ilretrouvesesfilsqu’ilavaitdûlaissercomme
otages en Espagne pour pouvoir lui-même sortir des prisons impériales où il
séjournaitdepuisledésastredePavie.C’estàsamèrequeFrançoisdoitcegrand
succès. Une anecdote révèle pourtant combien certains courtisans ne sont pas
capablesd’envisagerqu’unefemmepuisseêtredotéedetelstalents:JohnClerk,
évêque de Bath and Wells et ambassadeur d’Henry VIII à la cour de France,
estimeeneffetjudicieuxdeconseilleràLouisedeSavoied’exploiterlefaitqu’elle
est une femme et de « supplier à genoux l’empereur » de libérer ses petits-
enfants.Ilatoutefoislafinessedesentirqu’«ellenel’apastrèsbienpris».
HéritièredeSuzannedeBourbon,dontelleestcousinegermaine,elleentreen
conflit avec Charles III, le connétable de Bourbon, lui aussi héritier de son
épousedontiln’apasd’enfantvivant.Onconnaîtlasuiteetledénouement:la
trahison du connétable qui s’enfuit de France et se met au service de Charles
Quint en 1523. Elle a, de cette façon, contribué à l’abaissement du dernier des
grandsféodaux deFrance. La disgrâcede Semblançayet samise en accusation
devantleParlementdeParisneluisontpasattribuablesaveccertitude.Leroiet
sa mère ont cependant trouvé un tel profit à l’issue de la condamnation et de
l’exécution de ce dernier qu’il est difficile d’imaginer qu’ils n’aient
instrumentalisé les acteurs de ce drame. Semblançay était à la fois chargé des
financesdeLouiseet desfinancesduroyaume.Dans cettedernièrefonction,il
devait emprunter des sommes considérables pour couvrir les dépenses des
guerresetlesdépensesd’apparatdelacour.Ilexerçaitcemétierdebanquiersans
que les règles de cette profession soient clairement établies. Sa fortune
personnelle servait de garantie auprès des créanciers. De plus, il puisait dans
l’immense fortune de Louise qui était devenue ainsi la première créancière du
royaume. À l’extérieur du cercle royal, il empruntait contre intérêts, alors que
lorsqu’il prêtait au roi, il lui étaitinterdit de pratiquer l’intéressement. Pour se
défrayer,ilpratiquaitl’escomptesurlestraitesqueleroyaumepossédaitsurdes
tiers. Il semble que l’origine de ses problèmes se trouve dans la défaite de la
bataille de La Bicoque qui entraîna la perte du Milanais. Odon de Foix qui
dirigeaitl’arméedeFranceseplaintdecequesesmercenairesn’avaientpasété
payés, faute de l’argent que devait lui envoyer Semblançay. Une partie d’entre
eux, soutient-il, refusa de se battre. Semblançay se défend en disant qu’il a été
obligé par Louise de Savoie de lui remettre la somme disponible à cet effet en
remboursementd’unepartiedeladettequ’illuiafaitcontracteraubénéficedu
royaumedeFrance.Lesminutesduprocèsn’ontpasétéretrouvées.Parcontreil
existeunelettreparlaquelleleroigarantitl’héritagedesesenfants.Semblançay
estcondamnéàmort.Leroirejettesonappel.L’exécutionàlieuenjuillet1527.
Apparemment, Louise de Savoie est rentrée dans ses fonds. Le roi n’a plus de
dettes puisque Semblançay garantissait ses emprunts sur ses biens personnels.
L’opérationauraitalorseupourbutdefaireporterlesdettesduroyaumesurles
prêteursdeSemblançay.
Louise de Savoie, comme sa fille, Marguerite d’Angoulême, protège les
premiersRéformateursdontJacquesLefèvred’Étaplesetlesmembresducénacle
deMeaux:leprotestantismeserépandrapidementdansleurentourage.
LouisedeSavoiemeurtle22septembre1531,dessuitesdesesmaladies,alors
qu’elleserendaitdanssonchâteaudeRomorantinavecsafille,pourfuirlapeste
qui sévissait à Fontainebleau. François, qui apprend le décès le lendemain
23septembre,ordonnepoursamèredesobsèquesdignesdu«roi».Lecorpsde
LouisedeSavoiefuttransportéàSaint-Maur-des-fossés,pourêtreembauméau
couventdeSaint-Antoinedeschamps.Unconvoiofficielfutorganisé,lecercueil
était recouvert d’un drap d’or brodé de motifs d’hermine, il était surmonté de
l’effigie en cire de Louise, coiffée de la couronne ducale et, elle portait un
manteau ducal et tenait un sceptre en main. Le convoi traversa Paris suivi des
corps constitués selon leur rang hiérarchique. Une cérémonie se déroula à la
cathédrale Notre-Dame de Paris, le lendemain l’inhumation eut lieu dans la
cryptedelabasiliqueSaint-Denis,selonlecérémonialdécidéparFrançoisIer .
ClémentMarotdépeintLouisedeSavoiecommeunesaintequiaréforméla
courdeFranceetluiaenfindonnédebonnesmœurs,àtelpointquesontrépas
laisse le pays et la nature sans vie, les nymphes et les dieux accourent et
gémissent. Il la dépeint comme évangélique dans sa conception de la vie.
Devons-noussuivreMarotoùapprécierLouisedeSavoiecommeuneadeptede
Machiavel qui s’autorisel’usage de la violence lorsqu’elle permet d’exercerune
politique efficace ? Dans l’état des sources actuellement connues, il n’est guère
aisédetrancher.
Catherinede Médicis,princesse italienneoriginairede Florence,fut l’épouse
duroiHenriII.ElleaencommunavecLouisedeSavoied’avoirexercéplusieurs
régences au cours desquelles elle a pleinement agi en tant que dépositaire de
l’autorité royale. Sa jeunesse est marquée par un violent conflit armé entre le
Pape et l’Empire. Sa mère et son père sont morts alors qu’elle était très jeune.
Cettepériodedevacancedupouvoirsuscitedesespoirschezlesrépublicainsde
Florencequisesoulèvent.Catherinenedoitsasurviequ’àlaprotectiondeson
cousin le pape Clément VII (Julesde Médicis). Elle reçoit, dans l’entourage de
sonprotecteur,uneéducationraffinée.Entantqu’uniquehéritièredelabranche
aînéedesMédicis(familledominantalorsFlorence)etavecuncousinPape(àla
têtedesÉtatspontificaux),CatherinereprésenteunpartiutilepourFrançoisIer
dans le contexte des Guerres d’Italie. Cependant, il préfère marier Catherine à
sonfilscadetHenri,nondestinéàrégner,seréservantdetrouverunefillederoi
oud’empereurpourledauphinsonfilsaînéFrançois.
CatherinequitteFlorenceenseptembre1533etrejointlaFranceàborddela
galèredupape.Elleapporteavecelleunedotde100000écusd’argentet28000
écusdebijoux.Ilavaitétéconvenudanslecontratquelepapeprocureraitune
dotassezimportantepourcomblerletroudesfinancesroyales.Lemariagealieu
àMarseille,le28octobre1533,enprésenceduPape.Lecontratdemariageest
signéaprèsuntraitéd’alliance,quiprévoitquelepapeaideleroiFrançoisIerà
reconquérirlesduchésdeMilanetdeGênes.
Letraitéd’alliancepasplusquelecontratdemariageneproduirontleseffets
escomptés.ClémentVIImeurtl’annéesuivante.LepapePaulIII,sonsuccesseur,
romptletraitéd’allianceetrefusedepayerladot.LecommentairedeFrançoisIer
estjustebien quecavalier:« J’aieula filletoutenue» seserait-ilexclamé.Au
débutdesonmariage,Catherinefaituneentréetimideàlacour.Elleatoutjuste
quinzeans,etnemaîtrisepasencorelefrançais.Bienqu’ellesoitappréciéepour
sa gentillesse et son intelligence, la jeune femme pâtit de la conception des
aristocratesfrançais pourqui l’exercice d’uneactivité bancaire oucommerciale
estperçucommeunedéchéance.Safamilleestperçuecommeroturière.Quantà
sonmari,ilestplusintéresséparsonamieetconfidenteDianedePoitiers,bien
qu’ellesoitâgéedevingtansdeplusquelui.
Le10août1536,ledestindeCatherinebascule.LefilsaînédeFrançoisIer,le
dauphinFrançois,meurtsoudainement,faisantdel’épouxdeCatherinel’héritier
du trône. Catherine devient dauphine de Viennois et duchesse de Bretagne
(1536-1547).ElleprendprogressivementsaplaceàlaCour.
MaisCatherineetHenrin’onttoujourspasd’héritier(ilsmirentdixansàen
avoir un). Pour Catherine, la menace de répudiation plane dès 1538. Mais elle
reçoitl’appuiinattendudeDianedePoitiers,saproprecousineetcelled’Henri.
EllelaisseHenriarborerpartoutlescouleursdeDiane.
Elle bénéficie de l’amitié du roi son beau-père qui apprécie sa culture et sa
vivacitéd’esprit.Elleaencommunavecsabelle-sœurMargueritedugoûtpour
les arts et lettres, Catherine devient son amie. Avec la reine de Navarre,
Marguerite d’Angoulême, elles participent à l’élévation culturelle de la cour,
notammentparleurscompositionslittéraires.
Alors qu’elle craint de plus en plus d’être répudiée après dix années
d’apparenteinfertilité,ellemetaumondeunfilsen1544:François,lefuturroi
François II et futur époux de la reine d’Écosse Marie Stuart. Sa naissance est
suivieparcelled’unefille,Élisabeth(futureépousedePhilippeIId’Espagne),qui
confortelapositiondeCatherineàlacour.ÀlamortdeFrançoisIer,le31mars
1547,sonépouxdevientroisouslenomd’HenriII.Ennovembre,Catherinemet
aumondesontroisièmeenfant,unefille,prénomméeClaudeenhommageàla
mèredu roi, futureduchesse de Lorraine.Elle met aumonde dix enfantsdont
septsurvivent.Parmieux,lesfutursroisCharlesIXetHenriIII,Margueritede
France,future reinede Navarreparson mariageavec HenriIV, etFrançois de
France, futur duc d’Anjou, un temps en révolte contre l’autorité royale avec le
partidesMalcontents.
Reine de France depuis qu’elle a reçu l’onction à Saint-Denis en 1549,
Catherine s’entoure de conseillers de son choix. Elle accueille des Toscans
opposés à son lointain cousin Cosme Ier de Médicis qui dirige Florence et la
Toscanedemanièreautoritaireetsemontrefavorableàlacausedel’empereur.
Ces réfugiés politiques issus d’une brillante intelligentzia rendirent de grands
services au sein des armées royales et furent d’habiles conseillers politiques.
Malgré ou à cause de leurs qualités, ils sont dénigrés par les aristocrates de
souchefrançaise.
CatherinedeMédicis avécu uneépoqueterriblemarquée parlesguerres de
religion.Deson épouxHenriII, mortdansun accidentsurvenuaucours d’un
tournoi, à son dernier fils Henri III assassiné par un moine ligueur, elle a vu
disparaître aussi ses deux fils les rois François II et Charles IX. Outre les trois
régencesformellesqu’elleaexercées,elleaassurélacontinuitédupouvoirroyal
depuis1549,dateoùellereçoitl’onctiondereinedeFrancejusqu’àsamorten
1589.ElleappuyaunemonarchiecatholiquetoléranteetgallicanefaceàlaLigue
catholique intolérante inféodée à la famille de Guise et contre les huguenots.
Devenue veuve et après plusieurs échecs dans sa politique courageuse de
pacificationentrecatholiquesetréformés,ellefitédifierunsplendidetombeauà
sonépoux.Cependantunouvrageparuen1575(aprèsl’horriblemassacredela
St-Barthélemy)Discoursmerveilleuxdelavie,actions,déportementsdeCatherine
deMédicisfutprobablementàl’originedela«légendenoire»deCatherinede
Médicis.Cettedernièrefutenrichieparladécouvertedusecrétaire«àsystème»
qu’elle avait fait installer, sans doute pour protéger son courrier, dans ses
appartementsduchâteaudeBlois.LeXIXe siècle romantiquesepritdepassion
pourl’étudedel’histoiremédiévaleetdelaRenaissance.Lespersonnagesdecette
époque firent leur entrée dans la littérature, la sculpture, la peinture et, même
l’architecture avec les bâtiments néo-gothiques et néo-renaissance. Un tableau
d’ÉdouardDebat-Ponsanintitulé«UnmatindevantlaporteduLouvre»(1880),
musée d’art Roger-Quilliot à Clermont-Ferrand, représente Catherine de
Médicisfigée dans uneattitude hautaine, suivied’une cour brillantedevant les
cadavres dépouillés amassés à la porte du Louvre. Alexandre Dumas n’est pas
plusindulgent dans leportrait d’uneCatherine de Médicismachiavélique qu’il
dressedanssonroman LaReineMargot(en1845).Letraitementdupersonnage
durôle-titreestpireencorequiajoutelalubricitéàlaperversité.
Les travaux de Denis Crouzet en 2005 sur la correspondance de Catherine
donnentuneimagetotalementdifférentedesapersonnalitéetdesintentionsqui
l’animaientlorsdesesnégociationsdiplomatiques.Soncourrier,trèsabondant,
secomposedetextesdepropositionsd’accordetd’ordresqu’elledonneauxchefs
militaires et gouverneurs de duchés. Ses instructions sont, invariablement
d’éviterlesviolencesetderechercherle«vivreensemble».
Elle a par ailleurs fait preuve d’un immense courage lorsqu’en 1564 elle a
entreprisuntourdeFrancede28moispourprésentersonfils,leroiCharlesIXà
la population et aux corps constitués, à travers le territoire qui fourmillait de
bandesarmées.
En1578, elleentreprendunnouveau tourdeFrance quicommencepar une
tentative de réconciliation entre son fils François d’Alençon et Henri III. Elle
visiteensuiteleLanguedocoùellerencontreleschefsprotestants,puisserenden
Navarre pour tenter une réconciliation entre Marguerite sa fille et l’époux de
celle-cilefuturroiHenriIV,toujoursdansunclimatdepaixarmée.Enfin,lors
de la journée des barricades, en 1588, elle n’a pas peur d’affronter la rébellion
parisienneconduiteparleducdeGuise,enparcourantlesruesdeParisàpiedet
ensefrayantuncheminparmilesbarricades.Parsoncombat,enversetcontre
tous, pour la concorde, Catherine de Médicis est, aux yeux des historiens
contemporainsunepersonnehorsducommunquiimposelerespect.

«LAMARGUERITEDESMARGUERITES»HUMANISTE
ETÉCRIVAINENÉEÀANGOULÊME

Marguerite de Valois-Angoulême (1492-1549), sœur de François Ier est à la


fois une femme de lettres, une philosophe et reine de Navarre. Marguerite et
FrançoissontlesenfantsdeLouisedeSavoiequileurfitdonneruneexcellente
éducation.Commesonfrère,elleeutdesmaîtresetpédagoguesdequalité.Elle
bénéficia de l’accès à La bibliothèque du château de Blois, organisée par
Guillaume Budé, qui est riche des livres rapportés d’Italie par Charles VIII et
LouisXII,queLouisecomplétapardesachatspersonnels.
Duchesse d’Alençon par son premier mariage en 1509, elle devient reine de
Navarreparsonsecondmariageen1528.Elleexercependantlapremièremoitié
duXVIesiècleuneinfluenceprofondeendiplomatie.Femmed’influenceparsa
grandeproximitéavecleroi,sonfrère,ellemanifesteuncertainintérêtpourles
idées nouvelles et pour les arts encourageant les travaux des artistes pour le
comptedelaCourdeFranceetdelacourdeNérac.Elleprotègenotammentles
écrivainsRabelaisetBonaventuredesPériers.Elleestaussiunefemmedelettres
reconnue, autrice du recueil de nouvelles connu aujourd’hui sous le titre
d’Heptaméron.
De1521à1524,ellecorrespondavecl’évêquedeMeaux,Briçonnet,membre
influentducourantDevotiomoderna. Elleprotègececénacledontlesmembres,
insatisfaits du caractère ritualisé du culte catholique sont attirés par une
spiritualitépersonnelleassezprochede cellequiestpréconiséepar laRéforme.
Lefèvre d’Étaples, professeur de philosophie à la Sorbonne ayant publié « Les
troisMarie»oùildémontrelafaussetéd’unecroyancepopulaireentérinéepar
l’Égliseàpartirdestextesanciens,ilestcondamnéparlaSorbonne.Leroivientà
son secours. Mais il récidive en publiant une analyse critique de la Vulgate à
partir de la version originale en langue grecque. Cette fois, il fait peser sur le
cénaclelesoupçond’hérésie.En1522,lasignaturedelapaixentrelaFranceetle
Saint-Siègeobligele cénacleàs’auto-dissoudre.Mais lepireest encoreàvenir.
L’affaire dite des placards en 1534 rend encore plus délicate la position de
Marguerite.Untexted’inspirationprotestantecritiquantlesacrementcatholique
delacommunionest«placardé»surlaportedelachambreroyaleàAmboise.
François Ier ressent cet acte comme un crime de lèse-majesté. Une enquête est
ouverte. Six condamnations au bûcher sont prononcées. François I er subit les
pressionsdesonentouragevis-à-visdesprotestants.Margueritegardesaliberté
depensée,maiselleestcontrainteàlaplusgrandediscrétionsurlesujetdelafoi.
En 1525, Marguerite, fait ses premières armes de diplomate au service du
royaume. Son frère François I er est battu à Pavie et fait prisonnier. Son époux,
Charlesd’Alençon,réussità prendrelafuiteaprès labatailleetà larejoindreà
Lyon, mais il meurt en avril 1525. La régente, Louise de Savoie, mandate
Margueritepournégocieravecl’empereurCharlesQuintlalibérationduroide
France. Le voyage est long, périlleux, éprouvant avant d’atteindre Madrid,
Margueriteécritplusieurslettresà sonfrèrecaptif.Envoici unpassage«Quoi
que ce puisse être, jusqu’à mettre au vent la cendre de mes os pour vous faire
service,riennemeseraniétrangenidifficile,nipénible,maisconsolation,repos
etbonheur»Margueriteestreçueparl’empereur,ellearriveentenuededeuilen
«dameblanche»selonl’étiquette.Elledoitséjourneràlaforteressedel’Alcazar.
EllemanifestesahâtedevoirsonfrèreFrançoisgravementmalade.Elleprenden
main la situation, fait donner les soins médicaux et appeler un prêter pour
donnerlesacrementdesmaladesetlacommunion.LesentretiensdeMarguerite
avec l’empereuret son chancelier, Mercurin de Gattinara, sont difficiles. Ilsne
veulentpasentendreparlerderançon:cequ’ilsexigent,c’estlarétrocessiondela
Bourgogne,dontCharlesQuintestthéoriquementhéritierparsagrand-mère.La
mission de Marguerite échoue donc, mais elle a permis d’apporter au roi
FrançoisIerunprécieuxréconfort.Unanplustard,le17mars1526,ilobtientsa
libération de prison en signant le Traité de Madrid. François Ier est contraint
d’accepter les conditions de l’empereur. Il lui cède le duché de Bourgogne, le
comté de Charolais, renonce à toute revendication sur Naples, Gênes, Asti, le
Milanais, les Flandres et l’Artois. Il doit réhabiliter Charles de Bourbon qui l’a
trahiets’estmisauservicedel’empereur,luirestituersesbiens,leursofficesetle
dédommager des pertes subies. Au titre de garantie de la bonne exécution du
traité,ildoitlivrercommeotagessonfilsaîné,ledauphinFrançoisetsonsecond
fils, le futur Henri II. L’humiliation est terrible. À son retour en France,
François Ier rejette le traité et reprend la lutte contre Charles Quint. Quelques
moisplustard,iladhèreàlaLiguedeCognacquimarqueledébutdelaseptième
guerre d’Italie. La paix des Dames en 1529 met fin à la deuxième guerre entre
FrançoisIeretCharlesQuint.
Devenue veuve de son premier époux le duc d’Alençon, Marguerite s’est
remariéeen1527 avecHenri d’Albretroide Navarre.Elleest doncreine, mais
d’unroyaumedeNavarreamputédesapartiesud,situéeau-delàdesPyrénées,
quesonpuissantvoisinespagnolFerdinandIId’Aragonaannexéeen1512.
Un portrait de Marguerite d’Angoulême fut réalisé par Jean Clouet. Il est
conservéàlaWaltersGalleryofArtdeLiverpool.Ildateraitdel’époquedeson
mariage avec Henri d’Albret en 1528. Cette peinture présente le visage d’une
jeune femme élégante sur un fond pourpre damassé. Elle esquisse un sourire
imperceptible. Elle est vêtue de noir, d’étoffes luxueuses, probablement
italiennes,uncorseletserréetdesmanchesàcrevésbouillonnantesdesatinblanc
brodé. Marguerite porte des bijoux recherchés dont un pendentif en forme de
croix orné de trois perles dites « Margarita ». Sur sa coiffe noire figure une
broche d’argent ornée d’un Cupidon (allusion à son récent mariage). La
cheveluredeMargueriteestmaintenueparunerésilleperléefaited’untissagede
filsd’oretd’argent.Nousydistinguonsunmotifde«marguerite»(commeon
disaitauXVIesiècle,cequidenosjoursestdésignéparleterme«pâquerettes»)
Une sorte de béret plat en velours couronne la chevelure et s’emboîte sur la
résilleprécieuse.Delamaindroitedelaprincesseprésenteuneperrucheverteà
collier.Quepouvaitsignifierceportrait«officiel»?
Cetoiseausurcetypedeportraitofficielattiraitl’attentiondescontemporains
sur les psittacidés qui sont à la mode à la cour, leur plumage chatoyant est
apprécié de même que leur rareté et leur caractère exotique. Une tradition
littéraireremontantparlestroubadoursjusqu’àl’Antiquitéenavaitfaitl’animal
de compagnie des dames de la noblesse. Un poème d’Ovide, apprécié à la
Renaissance,énoncequeleplumagedecetoiseauestplusbeauquel’émeraude,
etlacouleurdesonbecpeutledisputeràlateintedelapourpre.Margueriteen
faisantcommandedecetypedeportraitvoulaitpeut-êtredonneruneidéed’elle-
même ? Par les jeux de mots cachés en usage à cette époque, le choix de la
perruche(dontlenomancienétaitlapie)auraitvoulusignifierparmétaphore
qu’ellesedésignaitcommeprincesse(unoiseauexotique,rare),commepoétesse
(unoiseauréputéloquace)etcommeépouse(allusionàlafidélitédecetoiseau).
Marguerite accouche en 1528 d’une fille, Jeanne d’Albret, qui est l’avant-
dernièrereinedeNavarreetlamèredufuturHenriIV.Cettepériodeheureuse
de sa vie ne dure malheureusement pas longtemps. La perte d’être chers
assombritsonexistence:en1530,sonfilsJeanmeurtàl’âgedesixmois.En1531
elleperdsamèrebienaimée,LouisedeSavoie.
Lesantagonismesreligieuxcontrelesquelselleasisouventluttés’accroissent:
la Sorbonne réagitau prêche de Gérard Roussel, un protégéde Marguerite, en
condamnant« Le Miroir del’âme pécheresse» dont elle estl’autrice. En 1534,
l’affaire des Placards amène le roi, son propre frère, à sévir contre les
réformateursqueMargueriteprotège.Parprudence,elleregagnealorssesÉtats
dusud-ouest.
Marguerite se concentre sur son royaume de Navarre. C’est un royaume
compliquécarilsecomposedezonesdisjointessurleterritoiredelaFrance.Elle
est reine de Navarre, duchesse de Vendôme et d’Albret, comtesse de Périgord,
d’Armagnac, de Foix et de Bigorre, vicomtesse de Limoges et de Béarn. La
Haute-Navarre, qui correspond à la province autonome basque d’Espagne
actuelle,futconquiseen1512 parleroyaumed’Aragonet futannexéeen1516
dans l’actuel royaume d’Espagne et l’autre partie (Basse-Navarre), restée à la
familled’Albret.
Margueritetentelavoiedelaconciliationavecl’empereurCharlesQuintpour
récupérer les territoires navarrais au sud des Pyrénées : les conférences se
succèdent à Nice et à Aigues-Mortes, les gestes de bonne volonté, les projets
d’union de sa filleJeanne avec l’infant futur Philippe II. Malgré toute l’énergie
qu’elledéployadanscebut,elleneputparveniràfléchirl’empereur.
MargueriteprotégealesécrivainscommeClémentMarotetFrançoisRabelais.
Elledevientlaprotectricedesartsetlettres.Sonœuvrecomportedespoésies,des
piècesdethéâtred’inspirationreligieusequifurentparfoisreprésentéesdevantla
couretl’Heptaméron.
L’Heptaméron appartient à un genre littéraire disparu. Il est bâti sur un
modèleinspiréduDécamérondeBoccace,trèsenvogueàlacourdeFrançoisIer.
Dans l’ouvrage du Quattrocento, sept personnages ont fui la peste qui ravage
Florenceetpourégayerletempsdeleurretraitedansunrefugecampagnardse
racontent pendant dix jours des anecdotes. L’Heptaméron de Marguerite est
l’ensemble de nouvelles et débats de dix « devisants », cinq hommes et cinq
femmes,bloquésunel’abbayedelavalléedeCauteretsalorsqueleGavefurieux,
gonflé par un violent orage, a détruit l’unique pont d’accès. Pendant le temps
nécessaire à sa réparation, les narrateurs, pendant sept jours (il y aurait dû en
avoir huit. Le huitième jour ne s’est pas « levé » en raison de la mort de
Marguerite)racontentdesanecdotesetdébattentsurlesleçonsmoralesquel’on
peutentirer.
Ce texte reflète fortement la personnalité de Marguerite. Elle excelle dans le
débat d’idées et l’action : réflexion récurrente sur la place faite aux femmes et
l’imagequ’onendonne,néo-platonisme,évangélismesurtout,sontlefonddesa
pensée.Dansl’époqueagitéequ’elletraverse,ellesaitrégner,débattre,semontrer
diplomate,maisaussicourageuse,sans riencéderdesa hautemoralitéetde sa
foi.Entre catholicisme etprotestantisme naissant,elle navigueavec éléganceet
détermination, appelant de ses vœux une réforme de l’Église au point d’être
inquiétée,etpourtantelleestsœurderoi.

FEMMESCULTIVÉESMÉCÈNESOUÉRUDITES
LapersonnedeDianedePoitiersetsonhistoiresontbiendifférentes.Néeen
1499 elle était en fait originaire d’une famille provençale. Fort jeune on lui fit
épouseràlacourLouisdeBrézé,petit-filsdeCharlesVIIetdesafavoriteAgnès
Sorel.QuelquesannéesplustardDianedevintdamed’honneurdelamèreduroi
FrançoisIer ,LouisedeSavoie,etpréceptricedesfilsduroi,dontlefuturHenriII.
Devenue veuve, Diane se battit pour défendre son patrimoine et celui de ses
filles. Elle devint la maîtresse du jeune roi Henri II et resta son amie proche
pendantvingtans.LeroiluioffritlechâteaudeChenonceauetluifitaccorderle
titre de Duchesse de Valentinois afin de confirmer son rang à la cour. Diane
connutlapérilleusedistinctiond’êtrenomméeparmilesdamesd’honneurdela
reine Catherine de Médicis. Le pouvoir exercé par Diane fut celui de proche
conseillèreduroidansl’organisationdelasplendeurdesonimage.Àcetitreelle
est avant tout une mécène. Elle fait travailler plusieurs peintres et sculpteurs
italiens dont Le Primatice et Benvenuto Cellini. En sa qualité de favorite, elle
engagea l’architecte Philibert Delorme, auquel elle confia les travaux de son
château d’Anet (Eure et Loir, non loin de Dreux). Ce magnifique château fut
conçuselonlestyledelaRenaissanceavecuneforteinfluenceitalianisante.Pour
ledécoretlemobilierladuchessefittravaillerbonnombredegrandsartistesde
l’époque. Un des dessins du Primatice annoté figure Phèdre et Hippolyte
(conservéauMusée duLouvre).Lemaître verrierNicolasBeaurainauquel elle
avait commandé des grisailles mythologiques pour son château d’Anet réalisa
ensuitelesvitrauxdelaSainte-ChapelleduchâteaudeVincennes.Ellefitappel
auspécialistedesémauxLéonardLimosinauquelHenriIIcommandaunesuite
d’émaux destinés à la décoration de la Sainte-Chapelle. Diane fit nommer
PhilibertDelorme surintendantdes bâtimentsroyaux.La favoriteprotégea àla
courleshommesdelettresPierredeRonsardet JoachimduBellay.Cedernier
loualabeautédusited’Anetetdesesjardinsàl’italienne.
CatherinedeParthenayestnéeen1554auParc-MouchampsenVendée,dans
unefamillecalviniste.Versl’âgedeonzeans,ellereçutlesleçonsdel’avocatet
mathématicien François Viète, secrétaire auprès de son père Jean V de
Parthenay-Lévêque, seigneur de Soubise et de sa mère Antoinette d’Aubeterre,
dont on a vu qu’ils étaient des gens de caractère. Son éducation est
exceptionnelle.Elleappritlelatin,legrecetl’hébreu.Elleallial’éruditionàlafoi.
Poétesse,dramaturgeetmécène,elleestmariéeàquatorzeansaubaronCharles
de Quellenec. Elle lui intente plus tard (avec sa mère) un procès pour
empêchement dirimant demeuré célèbre. Cependant, à la mort de son mari,
assassinélorsdelaSaint-Barthélemy,ellecomposeuneélégieàsagloireetàcelle
de l’amiral de Coligny. Peu après, elle fait jouer dans La Rochelle assiégée une
tragédie,«Holopherne»,dontilnerestequepeudetraces.
Douée pour les mathématiques et pour la littérature, elle est mariée en
secondes noces au vicomte René II de Rohan, dont elle eut six enfants. Veuve
unesecondefois,elleseconsacreàl’éducationdesesfilsHenrietBenjamin,et
desesfilles,Anne,CatherineetFrançoisedeRohan,danssonchâteaudeBlain,
puis au parc-Mouchamps. Connue au grand siècle comme la mère des Rohan,
ellereprochesonabjurationàHenriIVdansunpamphletpubliéanonymement
maisquiluiestunanimementattribué.Quelquesannéesplustard,elledéplorasa
mortdansuntrèsbeaupoème.TallementdesRéauxenalaisséleportraitd’une
femme lunatiqueet quelque peudécalée. Vers lafin de sa vie,elle combat aux
côtés de ses enfants pour faire respecter l’esprit de l’Édit de Nantes, mais son
partiestvaincuàLaRochelle,aprèsunsiègehéroïque,oùl’onditquelorsdela
famine, elle et sa fille Anne mangèrent le cuirdes chevaux. Emprisonnée, puis
exiléesursesterressurordredeLouisXIII,ellemeurttroisansplustardsurles
lieuxdesanaissance,âgéedesoixante-dix-septans.
OnlanommeselonlesépoquesdesavielabaronneduPonsoulamèredes
Rohan.

JEANNED’ALBRET:ACTRICETENACEDUPARTIRÉFORMÉ
Jeanned’Albretnéeen1528estlafilledeMarguerited’Angoulêmeetduroide
Navarre,Henrid’Albret.NièceduroideFrance,FrançoisIer,ellefutélevéesous
sonautoritéàlaCour.ElleépousaAntoinedeBourbon,princedusang(Cahier-
images,Pl.II).
Jeanneavaitmontré,d’abordavecprudence,sasympathiepourlaconfession
réformée. C’est au cours de l’année 1560 qu’elle choisit le clan des Réformés.
C’estpeut-êtresousl’influencedeThéodoredeBèzearrivéàsacour,auchâteau
deNérac.Sarupturedéfinitiveaveclecatholicismedevientofficielle.Àlamême
époque, son époux Antoine réside à la cour de France à Paris. Le couple est
séparéetAntoineresteauprèsdescatholiques.
Parune ordonnancede juillet1561, Jeanneautorise lapratique calvinisteau
royaume deBéarn.Aprèslamortd’AntoinedeBourbon,en1562,Jeannemeten
place des mesures qui facilitent l’implantation de la Réforme en Béarn. Parmi
elles,onnotelapublicationduCatéchismedeCalvinendialectebéarnais(1563),
la fondation d’une académie protestante à Orthez (1566), la rédaction de
nouvelles Ordonnances ecclésiastiques (1571), la traduction en Béarnais du
Psautier de Clément Marot et la traduction en Basque du Nouveau-Testament
(1571).
Du pointde vue politique,Jeanne devient le chefdu parti réformé.En 1568
elleprendlatêtedumouvementprotestantàsesrisquesetpérils,emmenantle
prince Henri de Navarre son fils âgé de quinze ans, à La Rochelle. Jeanne
administre la ville à l’exception des affaires militaires. Elle se charge de
communiqueraveclesprincesétrangersalliés,dontelleveutconserverlesoutien
aprèslamortdeCondéen1569.
Jeanne d’Albret entreprend des négociations difficiles à Paris, pour unir son
fils Henri à Marguerite de France, fille de Catherine de Médicis. Elle doit
cependant accepter une condition : Marguerite ne doit pas se convertir à la
religionréformée.Lemariagedoitavoirlieuenaoût1572.JeannearriveàParis
le 16 mai et s’installe à l’hôtel Guillard, mis à sa disposition par le prince de
Condé,pourles préparatifsdumariage.Jeanne déjàmalade,meurten juindes
conséquences d’une tuberculose. Le parti huguenot en est affaibli. Le prince
Henri de Navarre épouse Marguerite (La Reine Margot dans le roman
d’AlexandreDumaséditéen1845)enaoûtdevantlacathédraleNotreDamede
Paris peu avant le massacre de la Saint-Barthélemy qui éclate quelques jours
après,le24août.
Aprèsleretouràlapaixen1598,HenriIVépouseMariedeMédicis.
Lorsqu’HenriIVestsurlepointdereprendrelaguerrecontrelesEspagnols,
en 1610, il faitcouronner Marie de Médicis pour lui accorderune fonction de
Régente, le dauphin Louis étant encore trop jeune pour régner. Quelques
semaines après, Henri IV est assassiné à Paris. La reine a toute autorité pour
convoquerles étatsgénérauxen 1614et fairereconnaîtrela royautédeson fils
faceauxparlements.
CHAPITRE2

LESFEMMESAUXVIIESIÈCLE

DUBAROQUE ÀL’ÂGECLASSIQUE.
OSERPENSER,OSERAGIR,OSERÉCRIRE!

UNSIÈCLEDEFEU,DEGUERRES,DEGLOIRE,
D’HÉGÉMONIEFRANÇAISEENEUROPE

L’Histoire de la France au XVIIe siècle est marquée par l’apogée du pouvoir
royal, qui devient absolu. Après la paix des Pyrénées (1659), le royaume de
Francedevientunepuissancedont lerayonnements’étendàune grandepartie
de l’Europe. Les rois Louis XIII et surtout Louis XIV éliminent les dernières
tracesdespratiquesféodalesdans lesystèmepolitiquefrançais.Les aristocrates
delacoursontprogressivementécartésdesfonctionspolitiquesetreplacésdans
l’armée.Mais ils perdentla propriétédes régimentsde cettearmée qui devient
arméeroyalesouslecontrôleduministredelaGuerrenomméselonlechoixdu
roi. Les grands seigneurs du royaume dont les domaines relevaient de deux
suzerains, rois de deux nations différentes bien souvent ennemies se voient
contraintsdecéderleursterresrelevantduroyaumedeFranceauroideFrance
en contrepartie de pensions, de charges ou sous la pression de la force. Sous
l’influence de Vauban – selon la théorie dite à postériori du « pré carré » –
LouisXIV,chercheàdonnerauroyaumedeFrancedesfrontièresquienfontun
espacecontinu,bornépardesfrontièresnaturelles.Ilseheurteaunordetausud
auxpossessionsespagnoles,àl’estauSaint-EmpiredesHabsbourg.Lesfrontières
maritimesdesfaçadesouestetsudsontdéfenduesefficacementparunemarine
deguerremoderniséeetrééquipée.Àl’issuedurègnedeLouisXIV,laFranceest
devenue une nation puissante, hélas au prix de guerres épuisantes qui laissent
une dette considérable, laquelle est une des causes déterminantes de la
Révolutionàveniren1789.
LaculturefrançaiserayonneenEurope.Lepouvoirayantprisconsciencede
l’importance du prestige des arts et des sciences a donné naissance aux
Académies toujours actives de nos jours. L’Institut de France est créé, sous le
règne de Louis XIII, par Richelieu en 1635. Il regroupe trois académies : la
littérature, les arts, les sciences. Le français est confirmé comme la langue des
grands écrivains (Corneille, Malherbe, Racine, Molière…). La peinture, la
sculpture,l’architecture,etlamusiquesontflorissantes.Lesscientifiquesfrançais
tiennent une place déterminante en Europe (astronomie, mathématiques,
physique,optique),avecFermat,Pascal,Descartes…
Les évènements marquants du siècle, sommairement décrits ci-après
permettront de se repérer dans la chronologie des faits qui ont marqué
l’évolutiondelaconditionféminineaucoursdusiècle.
Lesiècles’ouvresurl’assassinatd’HenriIV,en1610.Leroiquimitunterme
auxsanglantes guerresde religion parl’Édit deNantes de 1598tombe sousles
coupsd’unfoumystiquecatholique,poussésecrètementparlesreprésentantsde
LaLigue.Illaisseàsessuccesseursunrégimedepaixarméeentreprotestantset
catholiques, chacun des deux partis possédant des places fortes armées par ses
partisans.
HenriIVarestaurél’Étatets’estattachéàlaremiseenmarched’uneFrance,
ravagée par plus de trente ans de guerre civile. Lui-même converti du
protestantismeaucatholicisme,ilchoisitleshommesquil’aidentdanssatâche
pour leur valeur, qu’ils soient protestants ou catholiques. Le duc de Sully,
protestant,estsonprincipalministre,Laffemas,protestantestresponsabledela
relanceducommerce.Villeroy,catholique,estchargédesAffairesétrangères.
En1601,unaffrontementdecourteduréeavecleduchédeSavoiepermetde
rattacherauroyaumedeFrancelaBresse,lepaysdeGexetdeBugey,leduché
recevantlemarquisatdeSalucesenéchange.Touslesroisetprincescherchentà
créer une unité du territoire qu’ils gouvernent en supprimant les doubles
suzerainetés.
En1610,HenriIV,disposantd’unearméeentièrementréorganiséeparleduc
de Sully, décide de lancer la guerre contre les Habsbourg dont les armées
occupaientleduchédeClèvesetJuliersdepuisledébutdel’année.Ceduchéest
situésurlarivedroiteduRhinauNordEst.LeroyaumedeFranceenestséparé
parlesPays-BasespagnolsetlesProvincesUnies.Maistoutestbonquinuitaux
Habsbourg.L’assassinatd’HenriIVmetuntermeàl’implicationduroyaume:le
royaumedeFranceseretiredecettequerelle.
Louis XIII est roi de France et de Navarre de 1610 à 1643. Son règne,
commence par la régence exercée par sa mère Marie de Médicis. Par la suite,
l’action du cardinal de Richelieu, principal ministre d’État, est caractérisée par
l’affaiblissementdel’aristocratieetdesprotestants,laluttecontrelesHabsbourg
d’Autricheetla dominationmilitairefrançaiseenEurope pendantlaguerrede
TrenteAns.Mariéavecl’infanteAnned’Autriche,leroiatardivementdeuxfils:
lefuturLouisXIV,etPhilippe,ducd’Anjoufondateurdelamaisond’Orléans.
Louis XIII est sacré le 17 octobre 1610 à Reims à l’âge de huit ans et demi.
Marie de Médicis, sa mère, assure la régence. En 1614, à sa majorité, Marie
déclare que Louis est trop faible pour assumer les devoirs de sa charge. Elle
l’écarte du Conseil et laisse gouverner ses favoris italiens Concino Concini et
Léonora Galigaï, rapaces et incompétents. Louis XIII, en avril 1617, ordonne
l’assassinatdufavoridesamère,ConcinoConcini,etfaitexécuterlaGaligaï,sa
femme,sousaccusationdesorcellerie.IlexileMariedeMédicisàBloisetprend
sa place de roi. En avril 1624, Richelieu, après avoir réussi une opération de
réconciliationentreleroietsamère,surrecommandationdeMariedeMédicis,
entre au Conseil du roi. Cette nomination marque un tournant décisif dans le
règne de Louis XIII. Depuis 1620, il s’en prend aux privilèges politiques et
militairesdontbénéficientlesprotestantsenapplicationdel’ÉditdeNantes.De
1620 à 1628 (siège de La Rochelle), il détruit les fortifications de leurs places-
fortes.Danscettelutte,Richelieucombatessentiellementpourassurerl’autorité
del’État.MêmelesiègedeLaRochellen’estsansdoutepassouhaitéjusqu’àce
queleprincedeRohandéclencheleshostilités.Laredditiondecetteville,après
untrèslongsiègequiprendfinen1628,estsuiviedelapromulgationdel’éditde
grâced’Alès(juin1629),quisupprimetouteinfrastructuremilitaireprotestante,
maismaintientlalibertédecultedanstoutleRoyaumesaufàParis.
Deuxpartiss’affrontentautourdelapolitiqueconduiteparleroi:celuidela
raisond’ÉtatdeRichelieu,celuiduclandeMariedeMédicis.Cedernierréclame
unepolitiqueenfaveurdes Habsbourgpourfairetriompherlecatholicismeen
Europe. Se ranger aux choix du cardinal, c’est placer les intérêts de l’État au-
dessusdeceuxdelareligion.
Louis XIII doit mater plusieurs révoltes organisées par son frère et héritier,
Gastond’Orléans,etfaireenfermernombredesesdemi-frèrescommeleducde
Vendôme.
Ilveutaussirabaisserl’orgueildesGrandsduRoyaumeetsemontreinflexible
à plusieurs reprises, ordonnant l’exécution du comte de Montmorency-
Bouteville pour avoir violé l’interdiction des duels, celle du comte de Chalais,
ainsiquecelleduducdeMontmorencypourtantacteurmajeurdelavictoirede
LaRochellepourconnivencecoupableavecGastond’Orléans.
Briserl’encerclementespagnolestletroisièmeaxedelapolitiquequemènent
LouisXIIIetRichelieu.LeroyaumedeFranceestencerclésursesfrontièresSud,
Est,Nord,parlespossessionsdesHabsbourg,ceuxd’Espagneetceuxd’Autriche
(Espagne, Italie, Saint-Empire, Pays-Bas). Mais la France redoute la politique
« impérialiste » des Habsbourg, notamment en Allemagne, et se fait défenseur
des « libertés germaniques » en profitant du basculement de certaines
principautés membres du Saint-Empire devenues protestantes. Les Habsbourg
sontendifficultédansl’EmpirefaceauxprotestantslorsdelaguerredeTrente
Ans.Cette guerreest unconflit entreles Habsbourgdu Saint-Empireunis aux
Habsbourg d’Espagneencouragés par le pape, etles états protestants du Saint-
Empire auxquels se sont joints les Provinces unies et les États scandinaves
également protestants. La France, bien que catholique, vient se joindre à ces
dernierscarelletrouvelàl’opportunitédedesserrerl’étreintedesesvoisins.
Jusqu’à la fin de son règne, Louis XIII est engagé dans une terrible série de
guerres.IloccupeainsilaCatalognerévoltéedanslaguerredesfaucheurs(1641).
Aprèscesquelquesannéesdifficiles,l’arméefrançaisevientpeuàpeuàboutde
l’arméeespagnole.

ANNED’AUTRICHEDEVIENTRÉGENTE
Après la mort du cardinal, en décembre 1642, le roi fait entrer au conseil
d’État un des proches collaborateurs de Richelieu, le Cardinal Mazarin, qui
devientvitePremierministredefait.LeroinesurvitpaslongtempsàRichelieu.
Ilmeurtle14mai1643,àl’âgede41ans.
Louis XIV, qui doitaccéder au trône n’a pas encore 5 ans. Anne d’Autriche
assume une vengeance posthume. Elle obtient du Parlement qu’il annule les
clauses du testament de Louis XIII qui limitent son rôle politique, et se fait
reconnaîtrecommerégenteàpartentière.EllenommelecardinaldeMazarinau
rangdechef duConseil,lui donnantlapremière placeaugouvernement, juste
au-dessusdeGastond’Orléansquiestlieutenantgénéralduroyaume.Sagrande
expériencedesaffairesdel’Europe,sonhabiletédediplomate,sonappartenance
auSacréCollègequiélitlepapeluiassurentleprestigeetlerespectindispensable
àsanouvellefonction.
La compagnie du Saint-Sacrement lui est hostile : ce grand parti dévot de
noblesultramontainsconsidèrequel’autoritédupapeestau-dessusdecelledu
roi.Cesontaussidesdéçusdudéclindel’influencedelanoblesseetdespartisans
d’uneallianceavecl’Espagne.
Ils sont de tous les complots anti Mazarin dont la cabale des Importants.
Mazarinsévitenéloignantlescomploteurssurleursterres.
À partir de 1643, Mazarin connaît encore 16 ans de combats armés,
notammentcontrel’EmpiredesHabsbourg.Ilpeutcomptersurl’appuipolitique
de la régente Anne d’Autriche et sur de grands capitaines : le marquis de
Turenne, le jeune duc d’Enghien (futur Grand Condé), Maillé-Brézé, ou Carl
Gustaf Wrangel, chef des armées suédoises. La France remporte la bataille de
Rocroien1643,remportelesiègedelaplacedeFribourg-en-Brisgauen1644et
deNördlingenen1645.En1648,lesarméesfrançaiseetsuédoisegagnentcontre
les Bavarois et les Impériaux la bataille de Zusmarshausen. La même année,
CondévainclesEspagnolsàLens.Inévitablementlecoûtdelaguerresetraduit
parunaccroissementdelapressionfiscale.
Mazarinetlarégentesongentàfairepayerlapopulationdelacapitaleoùsont
concentrésbeaucoupderichessujets.Denouveauximpôtssurlebâtisontcréés,
ainsi que des taxes d’entrée de marchandises dans Paris. La population s’agite.
Mazarin fait procéder à des arrestations et nomme l’Italien Particelli d’Emery
surintendant des finances. La création de nouvelles taxes et le retour aux
empruntsforcésdéclenchentaussiuneprotestationgénéraledesofficiersduroi,
contraints de faire appliquer ces mesures impopulaires, au risque de leur vie
parfois. Ce sont les prémisses de La Fronde, période de convergence de
mécontentements divers qui dure de 1648 à 1653, pendant la minorité de
LouisXIV.
Elle commence par une agitation des parlements, entre janvier et
décembre 1648. En 1648, Particelli augmente les taxes sur les propriétaires
parisiens,imposelacréationdedouzechargesdemaîtresdesrequêtes,augmente
laPaulette,redevancenécessairepourpouvoirtransmettreunechargedepèreen
fils. Toutes ces mesures, qui requièrent l’approbation parlementaire, sont
contestées. Cette contestation parlementaire s’ajoute aux révoltes des
propriétairesdelacapitale,desconsommateursquisubissentl’augmentationdes
taxesetdesofficiersduroi,ceux-làmêmesquidoiventfaireappliquerlaloi.
LeparlementdeParisprendlatêtedumouvementprotestataireetdresseun
projetd’arrêtparlequelildemandelasuppressiondetouslesnouveauximpôts
ettaxes,l’abandondelacréationdenouvellescharges,etenplusuneréduction
de la taille de 25 %… Particelli est renvoyé et les mesures proposées par le
parlementsontacceptées.
En Europe, la guerre de Trente Ans continue. Mazarin fait arrêter deux
meneurs de l’épisode parlementaire de la Fronde. Le parlement de Paris se
soulève, la ville se couvre de barricades (le 26 août 1648). Les meneurs arrêtés
sontrelâchés.
Leshostilitésextérieuresse terminentenfin,le24 octobre1648.Lasignature
destraitésdeWestphaliemetfinàlaguerreetauxnégociationsentaméesquatre
ans plus tôt. Dans le Saint-Empire, le calvinisme est maintenant reconnu au
même titre que le catholicisme ou le luthéranisme, la liberté de culte est
reconnue, quelle que soit la religion du prince régnant. Le Brandebourg et la
Suède agrandissent leurs territoires. Le Saint-Empire est affaibli, « l’équilibre
européen»estrestauré,laFranceaccroîtsonterritoire:lestroisévêchés,Metz,
Toul,Verdunetunepetitepartiedel’Alsacepassentsoussoncontrôle.Elleest
également protégée sur sa frontière est par la création d’un État indépendant
regroupantlescantonssuisses.
L’Espagne refuse la clause d’indépendance des Pays-Bas espagnols contenue
dans le traité et poursuit, seule, le conflit contre la France. Sa défaite à Lens
n’arrêtepasleroiPhilippeIVquicomptesurlestroublesintérieursdelaFronde
pourprendresarevanche.
LarégenteetMazarindécidentdemettreuntermeàlafrondeparlementaire.
La reine, ses deux enfants et Mazarin quittent Paris pour Saint-Germain-en-
Laye.Mazarinmandate Condéetson arméepourconduirele siègedeParis. Il
disposeautotalde8000à10000hommes.
Le Parlement de Paris confie le commandement des troupes qui défendent
ParisauprincedeConti,frèredeCondé(11janvier1649).
D’abord battus, les frondeurs reçoivent le soutien de Turenne qui tente
d’entraîneràsonservicehuitrégimentsdel’arméed’Allemagne.Mazarinachète
àgrandsfraislafidélitédesofficiersdecesrégimentsetTurennedécidealorsde
s’exiler.Le7mars1649,ilestdéclarécoupabledecrimedelèse-majesté.
Suite à cette défection, les frondeurs les plus modérés tels que le premier
présidentduParlement,MathieuMolé,supplientAnned’Autrichedenégocier.
Uncompromisestsignéle11mars1649(paixdeRueil),suividelapaixdeSaint-
Germain(1eravril1649).Touslesfauteursdetroublessontamnistiés,ycompris
Turenne.Le18août,leroifaitsonentréedansParis.
Lapaixcivileestànouveautroublée,cettefoisparlafrondedesPrinces(1650-
1651). Certains princes, comme Condé, estiment que leurs mérites sont mal
récompensés par les clauses de l’accord de Saint-Germain, et reprennent les
armes. La régente et Mazarin tentent alors un coup de force et font arrêter
Condé,Conti etLongueville.Leursamis serebellentet Mazarinlui-mêmedoit
allerlibérerlestroisprisonniers.Lescritiquesreprennentetlecardinalestobligé
de fuir pendant presque un an sur les terres accueillantes de l’électeur de
Cologne. Il espère que « l’union des Frondes » va s’essouffler avec le temps, à
raison : les différents membres du groupe rebelle s’aperçoivent qu’ils ne
partagent pas les mêmes objectifs, et grâce aux nombreuses manœuvres de la
régente,legroupefinitparsediviser.
Anne d’Autriche promet aux derniers opposants une réunion des états
généraux,maislafixeau8septembre1651.Le5septembre,LouisXIVatteintsa
majorité.Ses13anssontfêtésmajestueusement,etleroin’estpasengagéparla
promessedel’ex-régente.Condé,dontlecrimeestmaintenantuncrimedelèse-
majestéestenfuite.
Entre1648 et 1652,la France connaîtune crise économiquegravissime, une
famineetsoncorollairelapeste.Leroi,aidédeTurenne,fraîchementralliéàlui,
décide en 1652, de reprendre la capitale encore hors contrôle, mais échoue
devant l’armée de Condé. Ce dernier arrive à Paris. Trois mois plus tard, les
arméesduroilancentuneattaquesanglante,maiscelledeCondél’emportegrâce
à l’aide notamment de la Grande Mademoiselle, fille de Gaston d’Orléans,
princesselaplusrichedeFrance.DanslestroupesdeCondé,unpeuplustard,
ontlieudesmassacresàl’encontredeceuxqu’onsoupçonneden’êtrepasfidèles
auprince.
Devant une nouvelle crise, Mazarin entame un second exil. Condé, finit par
abandonnerlacapitalefin1652etpartpourBruxelles.Leroireprendlavillele
21octobre1652.LouisXIVprononceuneamnistiepourtous,saufpourCondé.
Ledomainedecompétencedesparlementsestredéfini.Lesaffairespolitiquesen
sontexclues.Gastond’Orléansserend,etleroil’exileàBlois.Gondiestarrêté,et
Mazarin est rappelé à Paris. La monarchie réduit les fonctions dévolues aux
aristocratesauprofitdesofficierset,bientôt,descommissaires.
LapaixestrétablieàParisenoctobre1652.Mazarinrentrele3février1653.
S’ouvre alors une période de paix. Le Conseil des affaires (Conseil étroit) est
remanié en partie, le fidèle Le Tellier est maintenu au secrétariat d’État à la
guerre,etdeuxsurintendantsdesfinancessepartagentlestâchessurlemodeci-
après : Servien en ordonnateur des dépenses et Fouquet pour le calcul et la
collectedesimpôtsettaxes.
Tout n’est pas toujours simple pour les intendants, progressivement rétablis
danslesprovincesenqualitédecommissaires,maislacontestationnerevêtplus
lesformesviolentesdelarévoltearmée.Lesconditionsclimatiquesfavorablesà
desrécoltesabondantes,lecantonnementdesarméesauxfrontières,contribuent
à une renaissance de la prospérité jusqu’en 1661-1662. Puis, à nouveau, une
sévèrecrisedesubsistancefrappeleroyaume.
La querelle janséniste, elle, a débuté pendant l’entre-deux Frondes, en 1649.
Elle est née d’une querelle théologique en Sorbonne. Les jansénistes qui ne
veulentpastrancherentrelepouvoirspirituelduPapeetlepouvoirtemporeldu
roi,sontsoutenusparcertainsfrondeurscommeMadamedeLongueville.Leroi,
lui,veutsimplementréduirelenombredeceuxquisepermettentdevivreune
religionhorsdescodesetdestextes,c’est-à-diresupprimerlesdéviances,qu’elles
soientjansénistesounon.
Pendant toutes ces années, la guerre civile tisse sa toile au sein de la guerre
étrangèrecontrel’Espagnequicontinue,danslesprovincesduNord.En1652,le
princedeCondéestpasséducôtéespagnol,rejointparsafemmeetsonfilsen
1653. Turenne, revenu au service du roi en 1652, se retrouve donc opposé à
Condé. Turenne bat Condé à Arras en 1654. Puis Condé bat Turenne à
Valenciennesen1656.
Surmer,lesflottesduroyaumedeFrancesepartagentladominationdesmers
aveccellesdesPays-Bas,etdel’Angleterre.Ilestdepremièreimportancepourla
Francedes’allieraveccesdeuxpuissances.En1657,Mazarinobtientlasignature
d’uneallianceavecCromwell(leLordProtecteuranglais,aupouvoirpendantle
Protectorat) qui permet à Turenne d’enlever la ville de Dunkerque. Celle-ci
arrachée aux Espagnols par Condé, alors au service de Louis XIV en 1646 est
repriseparlesEspagnolsen1652,àlafaveurdestroublesdelafronde.Le25juin
1658,Dunkerque,espagnolelematinetfrançaiseàmidi,estfinalementanglaise
lesoir,puisqueLouisXIVlaremetlejourmêmeauxAnglaisenaccordavecle
traité franco-anglais. Turenne a remporté une victoire terrestre déterminante,
tandis que la flotte anglaise assurait le blocus maritime de la ville. Charles II
d’AngleterrerevendDunkerqueàLouisXIVen1662.Leroyaumed’Espagneest
épuisé par cette guerre qui fait suite à la guerre de Trente Ans. Philippe IV
n’arriveplusàreconstruiresesarmées.Ilconsentàtraiter.
LapaixdesPyrénéesestsignéele7novembre1659.LaFranceobtientl’Artois
etleLuxembourgauNord,leRoussillonauSud.Condéestamnistiéetrécupère
toutesseschargesàlacour.Ilpréfèrecependantrestersursesterres.CharlesIV
deLorraineestrétablidanssonduché.UneunionestdécidéeentreLouisXIVet
lafilleaînéeduroid’Espagne,Marie-Thérèsed’Autriche,infanted’Espagne.On
espère par cette alliance limiter les conflits entre les deux puissances
européennes.
Ce traité est l’œuvre de Mazarin. Philippe IV d’Espagne veut que Marie-
Thérèse renonce à ses droits à la couronne d’Espagne par son mariage avec
LouisXIV.Mazarinyconsentmaisàconditionquel’Espagneverseunedoten
compensationàlaFrance.ConformémentauxattentesdeMazarin,ladotn’est
jamaisversée,cequirendlarenonciationdeMarie-Thérèsecaduque.LouisXIV
etsesdescendantsconserventtouslesdroitsàlacouronned’Espagne.LeTraité
desPyrénéesmarqueledébutdelaprépondérancefrançaiseenEurope.
Mazarin s’éteint le 9 mars 1661. En 18 ans de pouvoir, il a tenu tête aux
Habsbourg, résisté aux ambitions des frondeurs, constitué autour du roi le
Conseild’enhaut,quiresteinchangé(Fouquetmisàpart,quitombeendisgrâce
en 1661) pendant une grande partie du règne de Louis XIV. Il a terminé avec
succès la grande guerre espagnole, reconstruit la prospérité des provinces
éprouvéesparlesguerres,etparticipéàcréerunÉtatmoderne.

MARS1661ETLERÈGNEPERSONNEL DELOUISXIV.L’ABSOLUTISMESEPROFILE
Le10mars1661,lelendemaindelamortdeMazarin,LouisXIVquiaalors
22 ans, annonce qu’il gouvernera avec un Conseil étroit. Il ne nomme pas de
remplaçantaupostedeMazarin,récupèreunepartiedespouvoirsquiluiétaient
délégués (signatures de textes, nominations, promotions), se met à assister
régulièrementauxréunionspolitiques… Ilinaugureen 1661ungouvernement
personnel.
Durantles11premièresannéesdugouvernementpersonneldeLouisXIV,la
politiquegénéraleduroyaumeestunepolitiquedepaixetdegrandesréformes
quimarquentlongtempsleroyaume.LouisXIVenestbienentendul’initiateur,
mais Colbert également. Ce dernier entre au Conseil d’en haut en 1661 où il
remplaceFouquet,disgracié,commecontrôleurdesfinances.Ilcumulenombre
de fonctions : chargé du département des Bois fournisseur des matériaux
nécessaire à la construction de vaisseaux de guerre, nommé surintendant des
bâtiments en 1664, contrôleur général des finances et, en 1669, il reprend la
chargedesecrétairedelamaisonduroi,puislamêmeannéelagouvernancede
la marine. Il est un personnage important mais n’atteint jamais le statut de
principalministrequ’avaientexercéRichelieuouMazarin.
Entre 1660 et 1665, la réforme fiscale de Colbert fait passer la taille de
40millionsdelivresà35millionsdelivres.Cettediminutiondel’impôtdutiers
étatdoitêtrecompensée.Lesimpôtsindirectssontmajorés.Unefermegénérale
est créée en 1681 pour les percevoir : elle regroupe les aides, les gabelles, les
domaines,lestraitesetlestaxesintérieures.
Des taxes indirectes nouvelles sont créées : sur la consommation de tabac,
l’achatdevaisselleetuneobligationd’utilisationdutimbrepayant.L’application,
sans leur accord, à des villes, jusque-là exemptées, provoque des révoltes. Les
émeutes, comme les condamnations qui les suivent font plusieurs dizaines de
morts.Lesbureauxdepapiertimbrésont,dansunpremiertemps,souventvisés,
puislespaysansparmilliersviennentprotestercontrelespressionsénormesque
font peser sur eux les droits seigneuriaux auxquels viennent s’ajouter les
nouveaux impôts royaux. Plusieurs aristocrates subissent l’attaque de leurs
châteaux.En1676,larébellionestmatée.
En 1664, toujours pour élargir le périmètre de la population imposable,
Colbert lance une chasse à ceux qui prétendent abusivement être nobles et
échappentainsiauximpôtsdesroturiers.Latâches’avèrecompliquéeenraison
desfauxengénéalogieetdesmariagesanoblissant.
Colbert reste 22 ans au pouvoir. Il tente toutes ces années, de transformer
l’administration du royaume, régi par une constellation de textes hérités des
usages féodaux locaux, par une refonte et une mise à jour en profondeur de
textesfixantlalégislationetlescodesdeprocéduresapplicablesàl’ensembledu
royaume.
La diplomatie aussiest entrée dans la modernité. La marque de Mazarinest
impriméesurcetteévolution.Unambassadeurdoitséduireplutôtquefairepeur.
La tradition voulait que les missions d’ambassadeurs auprès des nations
étrangèressoient confiées à desaristocrates de haut rangauréolés de brillantes
victoiresdansdesconflitsinternationaux.Elledevientprogressivementlefaitde
grands commis spécialisés. Ils sont entourés de personnel diplomatique
connaisseur des pays avec lesquels ils traitent, d’espions stipendiés, d’agents
d’influenceetdisposentdebudgetsconsidérables.Mais lesgrandsnégociateurs
duXVIIesièclesontdetouteévidenceMazarin,puisLouisXIVlui-même.
L’arméedevientl’arméeduroyaume,entretenueparlebudgetdusouverain.
Ellecessed’êtreconstituéederégimentspropriétédesgrandsprinces,prêtésau
roi par leur suzerain selon les règles médiévales. Le Tellier jusqu’en 1672, puis
Louvois jusqu’en 1691, créent une véritable armée moderne. Pour grossir les
rangsfrançais,Louvoiscréeen1668unearméederéserve,composéd’unhomme
parparoisse,d’aborddésignépuisàpartirde1691,tiréausort.Petitàpetit,on
passeaussid’uneguerredemouvement,àuneguerredesiège.Pourenfiniravec
toutes les difficultés de logement des soldats, Louvois et Vauban entament le
travail de longue haleine de construction de nombreuses casernes. L’hôtel des
Invalides, destiné à l’accueil des blessés et l’hébergement des mutilés, est
construit en 1674, sous la direction de l’architecte Libéral Bruant. Un génial
modèle de place forte qui change le visage de la guerre est conçu par Vauban.
Doté d’une formidable résilience en cas d’attaque, il est en avance par rapport
auxprogrèsdel’artillerie.Vaubans’emploieinlassablementàdressercitadelles,
fortifications et villes-nouvelles, pour faire du royaume une sorte de bastion
inexpugnable:lepré-carré.
La marine de guerre a été complètement négligée sous Henri IV. Mazarin,
comme Richelieu sont conscients de la nécessité d’assurer la défense des deux
frontièresmaritimesduroyaume.Lasituationpolitiqueintérieureetextérieure
delaFranceneleurlaissepasassezdetempspourseconsacreràcettequestion.
Colbertenrevanche,avecsonfilslemarquisdeSeignelay,àpartirde1676,dote
laFranced’unevéritablemarinedeguerre.Lesarsenauxroyauxsontinstallésà
Dunkerque,LeHavre,Brest,LorientetRochefort,MarseilleetToulon.
Pourpallierleproblèmedurecrutement,Colbertmetenplace,pourlesgens
de mer, un service militaire rotatif à bord des navires de guerre, le système de
classes, future Inscription maritime. En compensation de cette obligation
astreignante,Colbertcréeunsystèmederetraiteetdeprévoyance,et,pourceux
desmarinsquiviennentdel’étranger,l’accèsàlanationalitéfrançaise.
Colberts’illustredansledomaineéconomiqueaupointdelaissersonnom,le
colbertisme,à une doctrine de l’intervention économiquedu pouvoir politique
quitrouve encoredes défenseursde nosjours. Lesiècle deColbert estmarqué
par la révolution manufacturière qui, avant la révolution industrielle, met en
évidencelesméritesdelaconcentrationetdelastructurationdessavoir-faireau
seind’uneorganisationquioptimiselesconditionsdeproductionetdediffusion
desproduits.Lerôledel’Étatconsisteàfinancerlaconstitutiondemanufactures
dontlesproduitscorrespondentàlastratégienationaleetquisontprotégéspar
des barrières douanières contre des productions étrangères concurrentes. Le
bien-êtreduroyaumeexigeunebalancecommercialebénéficiaire.Lesracinesde
laprospéritédusecteurfrançaisactuelduluxedatentdecetteépoque.
En1661,laFrancesembleavoirréunilesconditionspourconnaîtreuneèrede
paix.MaisaucoursdelapériodederègnepersonneldeLouisXIV,leroyaumea
connu37ansdeguerre.LapaixaveclesHabsbourgd’Allemagnesignéeparles
traitésdeWestphalie,etcellesignéeaveclesEspagnolsparletraitédesPyrénées,
ont affaibli l’encerclement du royaume par les Habsbourg. Elles ne l’ont pas
brisé. Au Nord et à l’Est les territoires frontaliers sont composés de territoires
discontinusséparéspardesplacesfortestenuespardesnationsétrangères.Pour
assureruneceinturedeferautourduroyaumelacontinuitédesterresdansces
régions du Nord et de l’Est s’impose. Elle se fait parfois par échange de places
aveclevoisin.Maisendernierressort,leroidoitrecourirànouveauàlaguerre.
Àcetteépoque,PhilippeIVd’Espagneestâgé.Leproblèmedesasuccessionse
pose.SonsuccesseuretfilsCharlesIId’Espagneestenmauvaisesantéetn’apas
de descendance. L’une des filles de Philippe IV est mariée à Louis XIV roi de
France,l’autreàLéopoldIIempereurdesHabsbourgenAutriche.Aumoment
deladisparitiondeCharlesII,l’Espagnequineconnaîtpaslaloisalique,apour
souverain l’époux de l’une des filles ou un descendant de ces dernières. Une
intenseactivitédiplomatiquedesdeuxpartisprépare,duvivantdeCharlesII,sa
succession.LouisXIVs’empressedepublierdesarticlesoùilespèreconvaincre
l’opinionetlegouvernementqueleroyaumerevientàsafemme,doncàlui.Mais
les Espagnols répliquent et démontent ses propos. Tout cela à la mort de
PhilippeIVmaisavant cellede sonfilsCharlesIIqui assisteenspectateuraux
spéculationssursamort!Cedernierdisparaîtennovembre1700.Ildésignepar
testamentleducd’Anjou,petit-filsdeLouisXIVcommehéritierdelacouronne
souslenomdePhilippeV,sousréservequeleroyaumed’Espagnenefassepas
l’objet d’un partage négocié entre la maison de France et celle des Habsbourg
d’Autriche. Ces derniers n’acceptent pas de renoncer à leurs droits sur la
successiond’Espagneetlaguerredevientinévitable.
Dernière grande guerre de Louis XIV, elle permit à la France d’installer un
monarquefrançaissurletrôned’Espagne,ledeuxièmefilsduDauphinetpetit-
filsdeLouisXIV.Ilrenoncepourluietpoursadescendance,àtouteprétention
sur le trône de France. Ainsi est née la dynastie des Bourbons d’Espagne, qui
règnejusqu’ànosjours.
Cetteguerredurade1701à1714.Elleimpliquapresquetouteslespuissances
européennes.
Lestraitésd’Utrecht(1713),deRastatt(1714)etdeBaden(1714)mirentfinau
conflit.
D’importantschangementsterritoriauxsontactésdanslecadredecestraités,
que ce soit à l’issue de batailles victorieuses ou en récompense des alliances
militairescontractées.
L’Espagne cède les Pays-Bas espagnols, le royaume de Naples, le duché de
MilanetlaSardaigneàlamonarchiehabsbourgeoised’Autriche,leroyaumede
SicileauduchédeSavoie,GibraltaretMinorqueàlaGrande-Bretagne.LaFrance
reconnaît la souveraineté britannique sur la Terre de Rupert, Terre-Neuve et
l’Acadie.

FEMMES,HOSPICESETENCADREMENT
DESPOPULATIONSPRÉCAIRES

Le premier hôpital général est créé à Lyon en 1614. Il s’inspire d’un projet
d’enfermementdes pauvresde Parisdéfini sous Mariede Médicispeu après la
mortduroi.HenriIVavaitfaitbâtirlepremierhôpitaldeParis:l’hôpitalSaint-
Louis. La finalité de cette institution était triple : secourir et évangéliser les
pauvresetlesmettreautravaildansdesateliers.Parlasuitecemodèleinspiraà
Paris l’édit de 1657 qui institue un « hôpital général pour l’enfermement des
pauvres».L’interventiondel’Étatmarqueundébutdelaïcisationdutraitement
delapauvreté,alorsconfiéjusque-lààl’Église.Maiscetteapprochenouvelleest
aussi un dispositif de police dans un esprit analogue à celui qui conduisit, en
Angleterre,àlacréationdes«workhouses».L’Étatsedotedelieuxdeprivation
delibertéquipermettentdecontrôlerunepopulationsanstoitniressourcesqui
vagabondeensituationdesurvieprécaire.Cespopulationsmisérablesprésentent
un danger pour le pouvoir en raison des exactions qu’elles commettent pour
assurer leur survie et parce qu’elles fournissent des contingents d’émeutiers en
casdetroubles.
Ce siècle glorieux de guerres souvent victorieuses, de cours brillantes aux
complotsmeurtriers,etdefêtesfastueusesasonterriblerevers.Lespopulations
des campagnes font les frais des affrontements de toutes sortes. Guerres de
religioninterneouguerresétrangèresdestinéesàétablirleterritoireduroyaume
dansdesfrontièresdéfendables,lepeuplepaysanpayeleprixfort.Lesarméeslui
prennent ses fils, transforment ses champs nourriciers en champs de bataille,
détruisentsesmaisonsetsesrécoltes,violentsesfemmesetsesfillesetpendent
leshommes pour lemoindre acte de rébellion.Puis ellesrelâchent des flotsde
miséreux privés de solde, handicapés des blessures reçues, incapables de se
défairedes habitudesde violencequ’ilsont contractéesà laguerre, réduitsà la
mendicitéouauvol.Lepouvoirroyal,faceàcettepopulationdangereuse,utilise
sacapacitédecoercition.
L’approchedelamisèreparVincentdePaulestàl’opposédecelledupouvoir.
VincentdePaul,issud’unefamilledepaysansmodestes,entréauséminaireplus
pourvenirenaideàsafamillequ’attiréparuneindiscutablevocation,futcuréde
Clichy.Unépisodedesavie,nondocumentéledonnepouravoirétéréduiten
esclavage par les Barbaresques lors d’une de leurs attaques sur le littoral
marseillais. Il se serait enfui avec son geôlier après l’avoir converti. Ce qui est
certain c’est qu’en 1610, sur recommandation du Saint-Siège, il fut nommé
aumônierde la reineMarguerite deFrance (lareine Margot), premièreépouse
d’HenriIV.PuislamaisondePhilippe-EmmanueldeGondi,généraldesgalères
de France, s’attache ses services. On sait que les galères de France, organisme
indépendant de la marine de guerre qui travaille cependant pour elle, se
fournissent en main-d’œuvre dans les prisons du royaume. La condamnation
aux galères est un moyen fort utile pour se débarrasser d’éléments dangereux
tout en fournissant une main-d’œuvre gratuite au service du roi. Ce genre de
navirestrouvesonutilitédanssagrandemanœuvrabilitéenl’absencedeventet
sa rapidité. Il est très utilisé dans les cérémonies d’apparat, plus rarement
pendantlesguerressicen’estenMéditerranéeoùlesbarbaresquess’enservent
dans un but de piraterie. Vincent de Paul, nommé aumônier des galères est
confrontéà l’épouvantable misèredes équipagesqui travaillent sousle fouet et
meurent dans des conditions d’insalubrité effroyables. Madame de Gondi,
l’emmèneenPicardiepoursesœuvresdecharité,oùildécouvreaussilamisère
despaysans.
Vincent de Paul est bouleversé par les spectacles de souffrance sociale qui
laissent la plupart de ses contemporains indifférents (Cahier-images, Pl. III).
Danslelangagedutemps,ondiraitquesonâmebrûledecharité.On pourrait
aussi bien dire dans un langage plus contemporain qu’il est capable d’une
empathieprofondepourtousleshumainsqu’ilcroise,qu’ilestd’unegénérosité
sans bornes et qu’il préfigure le courant humanitaire. Sensible à toutes les
souffranceshumaines,ilaccompagneleroiLouisXIIIdanssonagonie.
Sa rencontre puis son amitié avec Louise de Marillac est le point de départ
d’un mouvementchrétien d’exception quiplace la charité aupremier rang des
vertus. Louise de Marillac est la fille d’un homme de petite noblesse qui la
reconnaîtpoursonenfant«naturelle».Iln’yaaucunementiondel’identitéde
samèresursonactedenaissance.Elleestdoncuneenfantbâtardequesonpère
metenpensionaumonastèreroyalSaint-LouisdePoissyoùelleétudiesousla
directiondesatante,mèreLouisedeMarillacquiluidonneuneéducationdéjà
empreinte de valeurs humanistes. À la mort de son père, Louise est prise en
chargeparsononcleMicheldeMarillac,dévotnotoirequiestnommégardedes
Sceaux en 1626. Ce dernier destine sa nièce au mariage bien qu’elle souhaite
consacrersavieàDieu.ElleépouseMichelLeGras,undessecrétairesdeMarie
de Médicis, selon le choix de son oncle. Malgré le caractère arrangé de son
mariage, elle trouve le bonheur dans cette union qui lui apporte un fils.
Malheureusement,cebonheurconjugalestdecourtedurée.Latuberculosedont
MichelLeGrasestatteintymetrapidementunterme.Ellevitdouloureusement
l’épreuve du veuvage et s’interroge sur la « faute » qu’elle aurait commise en
choisissantlemariageplutôtquelecouvent.Elletrouveunréconfortauprèsde
VincentdePaul.Cedernierprêche,aucoursdesmissionsqu’ilconduitdansles
terresdesConti,deseconsacrerau salutdes pauvresavant decultiversapiété
personnelle. À l’issue de ces missions se créent des confréries de Charité qui
réunissent des dames de la noblesse ou de la bourgeoisie qui consacrent une
partiedeleurtempsetdeleursrevenusausoulagementdelamisèredutemps.
L’esprit du mouvement est porté à la fois par le concile de Trente et par
l’éloquence de Vincent de Paul. Sa limite tient au caractère partiel de
l’implicationdesfemmesqui yparticipent,lesquellesgardent enpartieleur vie
confortable.L’engagementdeLouisedeMarillacauxcôtésdeMonsieurVincent
estbeaucoupplusprofond.Elledécideen1633,deréunirsoussontoitdesjeunes
fillespourlesformerauxactionsdecharitéenverslespauvres.C’estledébutde
la compagnie des Filles de la Charité. Elles constituèrent la première
congrégationféminineàobtenird’échapperàlarègledelaclôture.Le25mars
1642, Louise et quatre des premières sœurs font vœu de s’offrir totalement au
serviceduChristenlapersonnedespauvres.Lapremièredesfillesdelacharité
victimedesondévouement,MargueriteNaseau,jeunepaysannedeSuresnesest
morte après avoir contracté la peste auprès des malades qu’elle soignait.
Monsieur Vincent confie la direction de la congrégation à Louise de Marillac.
Ensemble,ils répondent auxappels desplus démunis deleur temps, grâceà la
nouvelle compagnie qu’ils ont établie : éducation des enfants abandonnés,
secoursapportésauxvictimesdelaguerredeTrenteansetdelaFronde,soins
aux malades à domicile ou dans les hôpitaux, service des galériens et des
personnes handicapées, instruction des filles du peuple, participation à la
créationdel’hospiceduSaint-NomdeJésusetdel’hôpitalgénéraldeParis.Rien
n’arrêtelagénérositéetlecouragedecessœursnoncloitrées.Peuàpeu,Louise
de Marillac installe de nouvelles communautés partout où cela est nécessaire,
dansprèsde trentevillesde France,ainsiqu’en Pologne.MonsieurVincent,et
Louise de Marillac sont décédés en 1660, à quelques mois d’intervalle. La
compagniedes filles de laCharité, après lacanonisation de MonsieurVincent,
prit alors le nom de compagnie des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. Le
développementdel’œuvrecontinuaaprèsladisparitiondesfondateurs.Elleest
présente sur les cinq continents, dans 92 pays. Avec plus de 15 000 sœurs en
2016,c’estlacongrégationlaplusimportantedel’Églisecatholique.Lasilhouette
delareligieusedel’ordredeSaint-Vincent-de-Paul,porteused’unelonguerobe
bleueetdecettecoiffesiparticulièrequifaitsongerauvold’ungrandoiseauest,
jusquevers1920indissociabledesimagesd’hôpitauxoumaisonsderetraitedans
denombreuxpays.C’estlaprofessionnalisationdusecteurparamédicalquieut
progressivement raison de ce cliché. Il reste que grâce à la création de cette
congrégation, des femmes du peuple se sont levées et ont donné leur vie pour
venirausecoursdelamisèredupeuple.
LepeupledeFranceavaitgrandbesoindeleurprésence.Lagrandefaminede
1662 détruisit les familles et fit un grand nombre d’orphelins. Le nombre de
victimes fut tellement important que la démographie du pays connut un net
fléchissement.Parlasuite,uneséried’annéesfavorablespermitàlapopulation
de franchir le cap des vingt millions d’habitants. Cette situation fut rendue
possibleprobablementparlemaintienduprixdescéréalesàunniveaupeuélevé
de 1662 à 1688. Mais les veuves de la grande famine se retrouvaient dans une
situation épouvantable lorsqu’arrivait la date de renouvellement des baux qui
permettaitauxpropriétaires(tousles3,6ou9ans)derenégocierlestermesdu
contrat entre le propriétaire et leur métayer ou leur fermier. Elles devaient
chercher de l’aide dans leur famille pour se défendre contre les hausses
auxquelles elles ne pouvaient faire face. Les saisies n’étaient pas rares. La
situationdesfamillescomposéesdemanouvriers(paysanssansterresemployés
danslesexploitationscontrerémunération)etdeleursfemmesn’étaitguèreplus
enviable. Vauban dans son mémoire « Projet de Dîme royale » qui lui valut la
disgrâceroyaleen1707 examinelasituationde cestravailleursdescampagnes.
Ils survivent de différents travaux agricoles qui leur apportaient des emplois à
temps partiel. Vauban mentionne que la femme du manouvrier doit, dans les
tempsdechômage,contribueraurevenupar«letravaildesaquenouille,parla
couture, par le tricotage de quelques paires de bas, ou par la façon d’un peu de
dentelleselonlePays;parlacultureaussid’unpetitjardin;parlanourriturede
quelquesvolailles,etpeut-êtred’unevache,d’uncochonoud’unechèvrepourles
plus accommodez, qui donneront un peu de lait ; au moyen de quoi il puisse
acheterquelquemorceaudelard,et unpeudebeurreetd’huilepour sefairedu
potage.Et,sionyajoutelaculturedequelquepetitepiècedeterre,ilseradifficile
qu’il puisse subsister ou du moins il sera réduit lui et sa famille à faire une très
misérablechère(sic).Etsi,aulieudedeuxenfantsilenaquatre,ceseraencorepis
jusqu’à ce qu’ils soient en âge de gagner leur vie. … » Vauban insiste sur la
précaritédecestypesdefamillefaceauximpôtsetauxtaxesquilesécrasenttout
aulongdel’année.Onpourraitrapprochercesremarquesdediversesfablesde
LaFontainefaisantréférenceaumondepaysan,neserait-ceque«Lalaitièreetle
potaulait…»maisaussisesouvenirdes«ContesdemaMèreL’Oie»rédigés
parPerrault.DanslerécitduPetitPoucet,issud’unetraditionorale,lesparents
face à la disette essaient d’égarer leurs enfants dans la forêt plutôt que d’avoir
recoursdirectementàl’infanticide!Autantquelesloupss’enchargent.Ilexiste,
vers1680,destémoignagesd’arrivéedeloupsanthropophagesdansdesvillages
aussi proches de Paris que Chartres et Gallardon. Des femmes et des enfants
furentdévorés,alorsqu’ilsserendaientauxchampsougardaientlestroupeaux.
Audiredecertainscontemporainsla multiplicitédes cadavresabandonnéspar
faitdeguerreavaitdonnéauxloupslegoûtdelachairhumaine.Unenouvelle
crise vint frapper la population paysanne en 1692/1693. Une série d’épisodes
climatiques catastrophiques (été pourri puis sécheresse) détruisit une part
importante des récoltes. La surmortalité due à cette crise a été estimée par les
historiensà2,8millionsdepersonnes.
Des familles furent décimées et la sous-alimentation devint chronique. Le
caractère dramatique de la crise culmina dans les régions où la paysannerie
pratiquait la monoculture céréalière. Une seconde crise intervint en 1709 au
cours d’un hiver rigoureux et long. Toutes les provinces furent touchées et les
températures descendirent à 20 degrés en dessous de zéro. Bon nombre
d’animauxmoururentfautedefourrage.Cettecatastropheaugmentalamortalité
annuelle de 630 000 personnes. La révolte gronda car dans ces périodes la
populationruraleaccusalegouvernementd’accaparerlesgrainspourlesbesoins
de l’armée et d’ignorer les souffrances de la population causées par les guerres
incessantes.

«FEMMESDANGEREUSES»,FEMMESEXCLUES:
DESPROSTITUÉESAUXMYSTIQUES

LasociétéduXVIIe siècleidentifieles«femmesdangereuses»qu’elleexclut,
parfoissurlabasedesoupçonsinfondés.L’affairedespoisonsquimitencause
LaBrinvilliersfutconsignéedansunrécitdeMmedeSévigné.
LamarquisedeBrinvilliers,aprèsuneenfancemalheureuse,émailléedeviols
et d’incestes, aurait été mariée avec un membre de la noblesse de Robe. Elle
auraitensuitetrompésonépouxàplusieursreprises.Ellesemitàs’intéresseraux
poisonsparl’intermédiaired’unamantGodindeSainte-Croix.Lamarquisefinit
partuersonpèreetplusieursmembresdesafamilledansl’espoirderécupérerà
son profit la totalité de l’héritage paternel. Elle fut arrêtée, mise à la question,
jugée,condamnée puis exécutéepar décapitation en 1676.Madame de Sévigné
narrecetévènement.Lesrumeursdel’époquelaissèrentdirequelespoisonsde
la Brinvilliers auraient été utilisés pour faire mourir à la cour la princesse
Henrietted’Angleterre.
Les prostituées vivaient en nombre dans la capitale. Depuis Henri II, la
prostitutionn’estplus,considéréecommeunesortedeservicepublicquilimitait
lesviols,l’homosexualitéetl’adultère.Le«maldeNaples»,lasyphilis,progresse
après le retour des soldats des guerres d’Italie et la prostitution en assure la
progression.
Quelques établissements de tolérance fonctionnent toujours, sous le couvert
d’une activité légale. Une surveillance sanitaire sommaire y est assurée par les
tenanciers soucieux de la satisfaction de leur clientèle. La grande majorité des
filles travaillent dans la rue sous la férule des maquereaux. Elles viennent de
famillescampagnardespauvreschasséesparlamisèreetparfoismêmevendues
aux souteneurspar leurs propres familles.Elles opèrent de jour,se mêlant à la
fouleauxTuileries,souslesarcadesdelaplaceRoyale,dansleMarais,prèsdes
églisesetmêmedespalaisroyaux.
Certainsproxénètesévitentlesdangersduracolagepublicsoumisauxrisques
desprovocationspolicièresetfonttravaillerleursprostituéessurrendez-vous.
À la fin du XVIIe siècle, la prostitution, toutes formes comprises, a pris une
ampleur incontrôlable, en particulier à Paris. La Reynie, lieutenant de police
depuis1667,demandeàLouisXIVlaréouverturedes«bordeaux»,danslesquels
lecontrôlepolicierpeutfacilements’exercer.Leroirefusepréférantresterdans
lalogiqued’enfermement,déjàappliquéeauxpauvresetauxmendiantsàpartir
de 1656, avec la création des hôpitaux généraux. Il l’étend aux prostituées en
1684grâceà deuxordonnances.Lapremière,datéedu 20avril,créeledélit de
prostitution, qui n’existait pas jusque-là. Sont associées à ce délit les peines de
prison, et d’enfermement dans les hôpitaux généraux. Filles publiques et
maquerelles sont enfermées dans la maison de force de l’hôpital général de la
Salpêtrière,àParis,«lorsqu’ellesyserontconduitesparl’ordredeSaMajesté»,
c’est-à-direparlettrede cachet,«ouen vertudesjugementsqui serontrendus
pourceteffetauChâtelet,parlelieutenantdepolice».
L’enfermementsanctionnelesfemmesquirefusentdeseplierauxcanonsde
lamoralereligieuseetdelamoralesexuelle.Ellesfontlesfraisdel’influencede
l’austère Mme de Maintenon sur Louis XIV vieillissant qui, à partir de 1682-
1683, met un termeà une longue vie d’aventures et de liberté sexuellepour se
tournerversladévotion.Lesprostituéessontemprisonnéesdansdesmaisonsde
forceàPariscommeenprovince.Ellesysubissentunepeinedepénitenceetde
correction par le travail, dans la discipline et l’observation des règles de piété.
Ellesdoiventexpierleurcrimeenverslemariage,lafamilleetl’ordrepubliccar
ellesattaquentlesbonnesmœursetlatranquillitépublique.Lespectacledeleur
débauche risque de contaminer la société tout comme leurs maladies
sexuellementtransmissibles.
La maison de force de la Salpêtrière, vaste et lugubre bâtiment carré, est
organiséeendifférentsquartiersoùlesinternéessontrépartiesenfonctiondela
nature de leur délit. Les « filles et femmes publiques » sont au Commun. Les
«fillesdébauchées»,moinscoupablesquelespremièresetpouvantreveniràla
vertu, sont à la Correction. La Grande Force est réservée aux prisonnières de
marque payant une pension. La Prison est destinée aux détenues par ordre du
roi:voleusesmarquéesparunVouunefleurdelysetcriminellescondamnéesà
vie.
Les«fillesdébauchées»prisonnièresàlaCorrection,lesontàlademandede
leur famille, en application de la seconde ordonnance royale de 1684. Celle-ci
permetauxparentspauvresdefaireenfermerdansleshôpitauxgénérauxleurs
enfants«libertins,débauchésouparesseux»pouryêtrecorrigésparletravail.
AuCommun la«correction »desinternées passeaussiparune rééducation
religieuse : elles doivent prier matin et soir. Elles écoutent la lecture du
catéchismependantletravailetlesrepas.L’assistanceàlamessedesdimanches
et joursde fêtes estobligatoire. Leur enfermementdure le temps voulupar les
administrateursdel’hôpital–detroismoisàunanenmoyenne.Ilsdécidentou
non de leur libération en fonction de leurs marques de repentir et
d’amendement.
Lesmaisonsdeforceconstituentlaréponsedupouvoirroyalàladélinquance
féminine.Pourautant,lesinitiativesprivéesdanscedomainesontégalementles
bienvenues.Lacongrégationreligieuse«LeBonPasteur»estconsidéréecomme
un modèle du genre. Fondée en 1686 par Marie-Madeleine de Ciz, veuve
d’Adrien de Combé, protestante convertie, et des courtisanes repenties, elle
obtient la protection royale en 1688. Elle est renommée par la suite
«CommunautédesfillesduBonPasteur»,dirigéepardesreligieusesvouéesàla
rédemptiondesfillesperdues.Têtesrasées,lespiedschaussésdesocquesdebois,
vêtues d’une robe de bure grossière et de bas de laine, les cent vingt
pensionnaires y sont soumises à une règle de fer. Levées à 5 heures du matin,
ellesprientjusqu’à7heures30,puistravaillentensilencetoutelajournéejusqu’à
22heures.Lesseulesinterruptionssontréservéesauxmesses,auxrepasassortis
de lectures pieuses et aux trois examens de conscience quotidiens où elles
doivents’accuserdeleurspéchésdevanttoutelacommunautéetserepentir.Les
dînerssontaustères:potage,pain,eauetunpeudeviandeparfois.Mêmesice
n’estpasunemaisondeforce,celayressemblefortement.Lamaisonprincipale
setrouveàParis.Lacongrégationcrééeégalementdesmaisonsenprovince:Aix,
Dijon, Avignon, Toulouse, Besançon, Montpellier et Rennes. Elle fonctionne
jusqu’en 1790, date à laquelle la République confisque les biens de la
communauté et où les religieuses sont dispersées. L’emplacement à Paris est
aujourd’huioccupéparlaMaisondessciencesdel’homme.
Parmi les femmes perçues comme asociales, le royaume de France range les
mystiques.C’estassezsurprenantànosyeux.Nousvivonsdansunpayslaïcoù
les choix philosophiques ou religieux de chacun sont libres. Ce choix a été
confirméparlarépubliqueen1905.
DanslaFranceduXVIIesiècle,selonlathéoriedelaroyautédedroitdivin,les
roisdeFrancereçoiventleurautoritédirectementdeDieu.Detellesortequece
pouvoirdivinnesauraitêtrelimiténiparuneautoritémorale,niparuncontrat
social avec le peuple. C’est sur cette notion que se fonde l’absolutisme
monarchique. L’autre émanation de Dieu sur terre, l’Église doit donc être le
support du trône. Bossuet a théorisé l’absolutisme monarchique et le lien avec
l’Églisequiendécoule.Ilestlemoteurprincipaldeladéclarationsurlerôlede
l’ÉglisedeFranceetsadépendanceaupouvoirroyal.IlrédigelesQuatrearticles
de 1682 qui sont demeurés une loi de l’État et qui ont donné lieu à de vives
discussions avec la papauté. Cette loi de l’État restreint l’autorité du pape au
domainespiritueletréserveauroil’autoritésurlesdécisionstemporellesausein
de l’Église de France. On comprend mieux alors les positions adoptées par le
pouvoirroyalaucoursduXVIIesièclevis-à-visdetouteformedespiritualitéqui
s’exprime en dehors des règles de l’Église de France ou hors de cette dernière.
Adopter une telle spiritualité, c’est s’identifier comme un sujet qui n’est pas
totalementfidèleauroi.Lorsquecetteinfidélitéestlefaitd’ungrandnombrede
personnes, le trône est menacé et la guerre inévitable. Même les mouvements
religieux qui touchent une population de peu d’importance numérique sont
persécutés:croireàcôtédeladoctrinedel’Égliseestaussiundélitvis-à-visdela
loidupouvoirroyal.
Ce fut le malheur des femmes mystiques dans la France de cette époque.
Innocemment, elles veulent se vouer à l’amour du Christ dans le même esprit
quelesviergesdespremierstempsduchristianisme.L’imagenuptialedel’union
de ces femmes avec le Christ s’accordaitaux modèles culturels occidentaux du
temps.Danscedifficilecheminquimèneàcetamourmystique,lamortification
estuneétapeincontournable.Parmiplusieurscourantsmystiquesdel’époque,le
quiétismeaeud’asseznombreuxadeptes.IlfutinitiéparMadameGuyonautour
deladoctrinedu«puramour».Cetteexpériencepourtantsoutenueparl’évêque
Fénelon fut condamnée en 1695 car jugée incompatible avec « la pratique des
vertusthéologalesetmorales».LesécritsdeMmeGuyonfurentcondamnés.Elle
fut arrêtée et emprisonnée à Vincennes. Bossuet la persécuta, lui fit subir des
interrogatoires sur la doctrine chrétienne. Elle a laissé un récit de sa captivité.
Bossuet, voulant se rendre « maître de l’affaire », est devenu le « plus grand
adversaire»demadameGuyon.Ilvoitdanslequiétismeunesortededéisme.Il
craintquelacommunicationdirecteavecDieuneconduiselesfidèlesàsepasser
delapratiquereligieuse,del’autoritédesdogmesetdecelleduclergé.Fénelon,
manœuvrediscrètementdesoncôtépourdéfendremadameGuyon.Ilapparaît
qu’elleavaitosécomposerdescommentairessurles ÉcrituresSaintes.Etcomme
c’étaitunelaïqueiln’étaitpasadmissiblequ’elleaitempiétésurlesprérogatives
d’enseignement du clergé ! Mme Guyon est enfin libérée en 1703. Elle réussit
cependant à fonder une sorte de confrérie du « Pur amour » qui regroupe
quelquescommunautés.
Parmilesfemmesetleshommes«socialementsoupçonnables»figurent,bien
évidemment, ceux et celles qui appartiennent à l’une des deux confessions
protestantes.ÀlasuitedelaRévocationdel’ÉditdeNantesen1685,lesréformés
quinevoulurentpasabjurerdurentquitterleterritoireduroyaumedeFrance.
FortementinfluencéparlesvuesdeMadamedeMaintenonetcellesdu«parti
dévot»,lecontextepolitiquedelafinderègnevireàl’absolutismedévot.Ilyaeu
un cheminement progressif de l’application à minima de l’Édit de Nantes vers
une intolérance contre les réformés, hommes et femmes. À partir de 1679 les
réformés sont exclus de tous les offices royaux, ce qui entraîne de lourdes
conséquences pour les moyens d’existence de nombreuses familles
aristocratiquesprotestantes,cequiconduisitnombred’entreellesàaccepterune
conversionforcée. En1681 Marillac,intendant duPoitou, régiontrès marquée
par la réforme, expérimenta la première dragonnade pour forcer à l’abjuration
les familles de la « Religion Prétendument Réformée » (RPR). Alors que des
casernesétaientdisponiblespourlelogementdessoldats,l’intendantarecoursà
lapratiqueanciennequiluipermetd’obligerlapopulationàhébergerdessoldats
dans ses foyers. Louvois, le ministre de la Guerre, envoie un régiment de
cavalerie prendre ses quartiers dans la province. Marillac les loge chez les
réformésenleurpermettantdepilleretderuinerleurshébergeurs.Lesdragons
investissentd’abordlatabledeleurshôtespuiss’emparentdeleurséconomies.
Une fois ces dernières accaparées, les soldats vendent les meubles de valeur et
brûlentlesautres.Sil’hôtes’obstineànepasseconvertir,ilestbrutalisé,puisles
femmes et les filles de la maison subissent les derniers outrages. Ces
malheureusesconnaissentundestinpireencorequeceluideshommes.
En quelques mois, les curés enregistrent 38 000 conversions. Les habitants
s’enfuient vers l’Angleterre, la Hollande. La nouvelle suscite l’indignation de
l’Europeprotestante.LessoldatssontrappelésetMarillacestrévoquépouravoir
ruiné le Poitou. Toutefois cette première expérience a convaincu le Roi et son
entourage.Lesdragonnadessontappliquéesdanstouteslesprovincesfrançaises,
à tour de rôle. Vauban, fort inquiet des conséquences économiques de ces
exactions,rédigeunMémoireàl’attentionduroi.Iltented’attirersonattention
en 1689 sur le sort des huguenots. Il estime le départ vers l’exil à
200 000 personnes sur une communauté qui comportait 800 000 âmes. Une
grande révolte éclate dans les Cévennes, celle des Camisards en 1702. Cette
insurrectiondureplusieursannées.Lesfemmesyparticipentactivement.Leroi
fitenvoyer25000soldatspourlaréprimer.
D’autres restent après une conversion de façade. Ils connaissent des
persécutions,desdénonciations.Parmieuxdesfemmesrésistentetsubissentla
prison.Ce type de persécutioncontinua auXVIII e siècle.Marie Durand,jeune
fille calviniste du Vivarais arrêtée en 1730 résiste à l’intolérance religieuse et
refused’abjurersafoi.ElleestenferméedanslaTourdeConstance,prèsd’Arles,
pendant quarante ans. Cette résistance s’incarne aussi dans les assemblées au
désert où femmes et hommes se rassemblent dans des lieux retirés en pleine
natureoudansdescachessecrètespourprierensemblemalgrélesdangers.Cette
pratiqueestcourantedanslesCévennes,etdanslarégiondeMontpellier.Elleest
aussienusagedansd’autresrégionsduroyaume:lesud-ouestengénéraletplus
particulièrement en Charente et en Saintonge. Dans toutes ces régions, les
pasteurssontentrésenclandestinitéetsillonnentlescampagnesauservicedela
foiprotestante.
La répression des déviances religieuses s’illustre encore avec la lutte du
pouvoir royal contre le jansénisme. Doctrine théologique à l’origine, il inspira
d’abordunmouvementàcaractèrereligieuxquitouchacertainescommunautés
monastiques.S’iltiresonnomdeCorneliusJansenévêqued’Ypresquilethéorisa
danssesécrits,il puisesessourcesdans desdébatsplusanciens.Il portesurla
perceptionAugustiniennedelarelationentregrâcedivine(queDieuaccordeaux
hommes) et liberté humaine dans le processus du salut. Puis il touche des
milieuxcultivésférusdethéologieetdephilosophiequipublièrentdesouvrages
quien sontinspirés,ainsi quedesmembres dela noblessederobe. Apparuau
cours des années de Fronde il se développe aux XVIIe et XVIIIe siècles,
principalement en France, en réaction à certaines évolutions de l’Église
catholique et à l’absolutisme royal. Les jésuites, ordre beaucoup plus porté sur
l’évangélisationquesurlesdébatsthéologiquesselancentdanslacontradiction
des thèses jansénistes et font remonter le débat jusqu’au siège pontifical. Le
cardinalMazarin,pourmettreuntermeàcettepolémiquequimetendangerla
doctrinedelamonarchieabsolue,convoqueen1654puisen1655lesévêqueset
leurfaitsigneruntexteprécisantqueladoctrinedeJanseniusestcondamnable.
Ilrecommandeauxévêques,plutôtréticentslasignatured’untelformulairepar
tous les ecclésiastiques. Le roi, lui, l’imposa au clergé. Le texte comportait une
soumission à une des constitutions du Pape et à la condamnation des cinq
propositionsdeCornéliusJansenius.C’estàcetteétapeduconflitquel’abbayede
Port-Royal des Champs fut prise dans la tourmente. Cette abbaye cistercienne
était dirigée par Mère Angélique Arnaud qui, à partir de 1608, a entrepris de
réformer l’observance de la règle au sein de la communauté (Cahier-images,
Pl.IV).En1626,cettedernière,pourrépondreaunombredesvocationsqu’elle
suscite, acquiert l’hôtel de Clagny, qui est remanié et complété de bâtiments
destinés àle rendre propre à accueillirune communauté religieuse.Une partie
d’entre eux héberge actuellement la Maternité Port-Royal à Paris. Angélique
Arnaud s’y installe avec une partie des sœurs de la communauté en 1648. Elle
meurten 1661.Progressivement,Port-Royaldes Champsinsalubre àcausedes
marécages qui l’entourent se vide. Les religieuses migrent vers Port-Royal de
Paris.
La ferme du lieudit Les Granges située sur les propriétés de Port-Royal des
Champs accueilledepuis quelques années déjà une communauté d’intellectuels
désireuxdemenerunevied’étudeetdeprièreenunlieuretiré.L’abbédeSaint-
Cyranleurrendvisiteetguideleurrecherchespirituelle.Ilssontconnussousle
nomdeSolitairesdePort-Royal.
L’abbayedePort-Royal,estassimiléeàunfoyerdejansénismepourplusieurs
raisons.AngéliqueArnaudestlasœurd’AntoineArnaud,ditLegrandArnaud,
théologienjansénisteinfluent.Ledirecteurdeconscienced’AngéliqueArnaudet
de sasœur Agnès quia été sa coadjutriceest l’abbé de Saint-Cyran,également
janséniste. Les Solitairesvivent une recherche spirituelle teintée de jansénisme.
Leur mode vie et le contenu de leurs travaux attirent un certain nombre
d’anciensfrondeurs,dontdeuxdeleurschefsdefile,laduchessedeLongueville
etleprincedeConti.LacommunautédePort-Royalbénéficiedelaprotectionde
cespersonnagesd’origineprincière(ilssontsœuretfrèreduGrandCondé)mais
cetteprotectionattireévidemmentlasuspiciondupouvoirroyal.
Mazarinneparvientcependantpasàlutterefficacementcontrelejansénisme.
LouisXIV,quiserévèlesonplusduropposant,etcecidèssonarrivéeeffective
aupouvoirenmars1660.LesPetitesécolesdePort-Royalsontainsidispersées.
Lasignaturedu«Formulaire»,estimposéeauxreligieusesdePort-Royalquise
divisentquantàl’attitudeàadopter.
DèslamortdeMazarin,le9mars1661,LouisXIVordonneladispersiondes
novices et des pensionnaires des monastères de Port-Royal des Champs. Il
interditàlacommunautédePort-Royalderecevoirdésormaisdesnovicesetdes
pensionnaires,cequicondamne,àterme,sasurvie.
La crise se réveille en 1664. L’archevêque de Paris, Hardouin de Péréfixe de
Beaumont, demande à nouveau aux religieuses de signer le « Formulaire ».
Malgré une visite de l’archevêque à l’abbaye de Port-Royal des Champs, les
religieusesrefusenttoujoursdesigner.
Péréfixe décide d’exiler par la force seize religieuses de Port-Royal de Paris
dansdifférentscouventsdelacapitale.Àlami-novembre,ilserendànouveau
aux Champs. Les religieuses non signataires sont privées de sacrements et de
leurs confesseurs habituels. En 1707, Louis XIV confisque leurs revenus.
L’abbayenepeutplusvivrenirecruter.Safermeturenetientplusqu’àunfil.
LesreligieusesdePort-RoyaldeParis,prieureentête,signentpourlaplupart
le « Formulaire » dans le courant de l’année 1665. Les religieuses réfractaires,
accompagnées des seize religieuses qui avaient été dispersées dans d’autres
communautés parisiennes, sont envoyées à Port-Royal des Champs. Le
monastèrecomptealorsquatre-vingt-seizereligieuses,surveilléesenpermanence
par quatre gardes, qui leur imposent brimades et interdictions. L’abbesse de
Port-Royal des Champs n’est plus reconnue en tant que telle : l’archevêque ne
reconnaîtcommelégitimeabbessequecelledeParis.Lesreligieusessontcoupées
dumondejusqu’àl’accordquiintervientaucoursdel’été1668.
L’évêquedeMeaux,accompagnésecrètementparAntoineArnauldetLouis-
Isaac Lemaistre de Sacy se rend à Port-Royal des Champs, en mission de
conciliation.Ilparvientàconvaincrelesreligieusesdesignerle«Formulaire»,
objet de la requête de Péréfixe. Elles acceptent à contrecœur. À nouveau elles
peuvent recevoir les sacrements et accueillir pensionnaires et novices. Le
monastèredePort-RoyaldeParisresteséparédeceluidesChamps.
LesSolitairesetlesamisdePort-Royal,reviennentauxGrangesouàl’abbaye.
Lestravauxdeconstructiondesquatregaleriesducloîtresontrepris,jusqu’àleur
achèvementen1671.
MaiscequelesreligieusesdePort-Royalontprispourunepaixdurablen’est
qu’unarmistice.Enmai1679lenouvelarchevêquedeParis,FrançoisHarlayde
Champvallon, fait une visite aux Champs. Il apprend à l’abbesse que le roi a
décidé,ànouveau,d’interromprelerecrutementdenovices,delimiterlenombre
deprofessesdechœuràcinquante,aulieudessoixante-douzealorsprésentes,et
de renvoyer postulantes et pensionnaires. Les Solitaires doivent également
quitterleslieux.
En1707,lebénéficedesrevenusdesterresappartenantàl’abbayedesChamps
estrattachéàl’abbayedeParis.Lesreligieusessontexcommuniées.En1708,une
bullepontificaleordonnelasuppressiondel’abbayedePort-RoyaldesChamps.
En1710,leconseild’Étatordonneladémolitiondel’abbaye.Uncertainnombre
deprochesviennentreleverlescorpsdereligieusesdéfuntesappartenantàleurs
familles. Les contenus des autres sépultures sont déversés dans une fosse
communeanonymeàSaint-Lambert-des-Bois.

STATUTJURIDIQUEDESFEMMES:MARIAGE,DOT,HÉRITAGE
Une législation applicable à l’ensemble du royaume se met en place
progressivementau coursdu XVIIe siècle.Celle-ci doitse substitueraux droits
locaux issus de la tradition orale dans les provinces du nord, ainsi qu’au droit
écrit coutumier des provinces méridionales, souvent hérité du droit romain.
L’écriture de la législation du royaume est inspirée par deux facteurs : la
redécouverte de l’Antiquité et du droit romain par le siècle précédent et le
pouvoir absolu, fruit del’esprit politique du temps. Malheureusement pour les
femmes,ledroitromainconçoitlafemmecommeuneéternellemineure,qu’elle
soitcélibataire,mariée,ouveuve.Ellen’apasdedroitspolitiques,nepeutester
en justice et ne peut être témoin devant un tribunal. Elle n’existe socialement
qu’à travers un droit de possession spécifique à sa condition. Cette spécificité
apparaîtdanslesrèglesquirégissentlemariage.Ladotdelafiancéeconstitueun
élément essentiel des négociations matrimoniales. Dans les milieux les plus
favorisés,ilestpossiblequ’unejeunefille,toutenapportantunedotàsonépoux,
conserve une fortune personnelle. Ces biens « paraphernaux » doivent faire
l’objetd’unactenotarié,cariln’existepasdetextetraitantdeleurexistencedans
lalégislationduroyaume.
Lemariageconclu,lesrelationsentrelesbiensdumarietceuxdesonépouse
dépendentdurégimematrimonialadopté,demêmequelamanièredontilsles
léguerontàleursenfants.Dotethéritagesontdoncétroitementliés.Ladotreçue
par une jeune fille qui se marie est une avance sur son héritage futur. La
disparitiondel’undesépouxouvreunnouveaucyclederedistributiondesbiens
ducouplesaufàcequedesdispositionsspécifiquesaientétéprisespartestament
passédevantnotaire.Lorsquec’estlemariquimeurtlepremier,ledevenirdesa
veuve pose une série de problèmes spécifiques liés au statut des femmes. Ses
conditions de survie ou le maintien de son niveau de vie, son rôle de chef de
famille,l’éventualitédesonremariagesusceptibledefavoriserlatransmissiondu
patrimoine à une nouvelle famille, constituent autant de difficultés qui sont
envisagées avant même la conclusion du mariage. Ces différents aspects de la
question, transmission, dot, veuvage, voient s’affronter deux logiques, l’une
privilégiantlesliensdeparenté,etl’autrelacommunautéqueformeleménage.
La place reconnue aux femmes diffère selon la préférence donnée à l’un ou
l’autreàcesmomentsclésducyclefamilial.
Les familles ont abondamment recours au notaire, pour établir contrats,
accordsettestamentsetpourmettreensuitecestextesdedroitprivéenaccord
aveclesnouveauxarticlesdudroitduroyaume.Lepatrimoinefoncierconstitue
duhautaubasdel’échellesocialelapréoccupationpremièredesfamilles,dans
une société marquée par la prééminence d’une noblesse fortement renouvelée
parl’accroissementdeseffectifsdelanoblessederobeetlepoidsconsidérablede
lapopulationpaysanne.Maisilexisteaussidessecteursminoritaires,concernant
unefaiblemais dynamiquepartiedelapopulation, bourgeoisiemanufacturière
ou commerçante, pour laquelle le patrimoine mobilier joue un rôle beaucoup
plusdéterminant.
Nousavonsvu,plus haut,quelesiècleprécédent,marqué parl’influencedu
courant humaniste et la redécouverte du droit romain, avait favorisé une
perceptionsocialedéfavorabledelafemme.Lalégislationroyalesurlemariage
quisedéveloppedepuislemilieuduXVIesièclerenforcelecontrôledesfamilles,
et surtout du père, sur les choix matrimoniaux des enfants. De même que les
théoriciensdudroitpublicinsistentsurlapuissanceduroi,ceuxdudroitprivé
affirment l’autorité du père sur ses enfants, du mari sur sa femme. Pour les
juristesduXVIIe siècle,lafemmemariéeestplacéesouslapuissancemaritale.Le
liendumariageestsacramenteletnepeutdoncêtrerompu.Seuleuneséparation
corps et de biens peut être obtenue devant un tribunal. Au-delà, la femme est
privéedecapacitéjuridique,etconsidéréecommeunemineure,cequin’étaitpas
lecasàlafinduMoyenÂge.Cetteperceptiondesaféminitéluiinterdittoutacte
juridique sans l’autorisation de son mari, ou, à défaut, d’un juge. Par voie de
conséquence,lesépouses nesont pasmaîtressesde leursbiens apportésendot
qu’ellesnepeuventvendreouengagersansl’autorisationdeleurmari,souspeine
de nullité de l’acte.Il existe des coutumes dans lesquelles, elles ne peuventpas
mêmedisposerdecesbienspartestamentsanscetteautorisation.Auquotidien,
l’administration du patrimoine du couple, quelle qu’en soit l’origine, relève de
l’activité du mari, qui peut seul mettre en location un bien foncier ou en
percevoirlesrevenus.Paradoxalement,unefemmemariéequidisposedebiens
paraphernauxdisposededeuxidentitésdifférentesauxyeuxdelajustice.Pourla
gestiondesbiensqu’elleaapportésendot,ellenepeutesterenjustice,pourses
biensparaphernaux,ellepossèdelacapacitéjuridique.Lasuppressionaudébut
du siècle du « Velléien », qui interdisait à la femme de s’obliger pour autrui,
constitue une mince avancée. La situation de la veuve offre un contraste
saisissant.Celle-cirecouvreeneffettoutesacapacitéjuridiqueàpartirdudécès
desonmari,etreprendlamaîtrisedesonpatrimoine.Sonrôledemèreluiest
généralementpleinementreconnuetdansl’immensemajoritédescasellereçoit
latutelledesesenfantsmineurs,cequilaconduitàagirenleurnom.Siellese
remarie, ces droits de gestion de son patrimoine et de gestion au nom de ses
enfants mineurs disparaissent au profit de son nouvel époux, ce qui la rend
suspectedenepasêtrefidèleàl’intérêtdesenfantsdesonpremiermariage.La
grandemajoritédesfemmes,àl’exceptiondesveuvesetderarescélibataires,est
doncplacéesousl’autoritéd’unhomme,pèreoumari.
Cet ensemble de caractéristiques rapproche beaucoup la France des pays
voisins,demêmequeladiversitédudroitprivé,plusmarquéeencorequ’ailleurs.
Leroyaumesediviseenzonesbiendifférenciées,danslesquelleslafamillen’est
pasrégieselonlesmêmesrègles.L’essordel’absolutismeauXVIIe sièclen’apas
de prise sur ce phénomène de très longue durée. Ni l’affirmation de la
prééminence politique du monarque, ni le renforcement de l’appareil
administratif, ni le développement d’une législation royale sur le mariage,
n’empêchent le maintien d’une très grande hétérogénéité. Aux yeux des
contemporains,elleapparaîttrèsnettementàtraversleprismejuridique.Plusde
trois cents coutumes générales et particulières, souvent rédigées au siècle
précédent,separtagentdemanièretrèsinégaleleterritoire.Lesagrandissements
successifs du royaume enrichissent encore un peu plus une carte d’une très
grandecomplexité.Qu’ils’agissedessuccessionsoudesrégimesmatrimoniaux,
lessolutionslesplusdiversesfoisonnent,obéissantàdeslogiquesdifférentesles
unes des autres, se contredisant souvent. Face à cet émiettement, les juristes
insistentsurleclivagestructurantentrelespaysdedroitécritausud,fidèlesau
droitromain,etlespaysdecoutume,aunord,oùprévautl’héritagemédiéval.Le
pouvoir royal n’a pas produit de loi sur le mariage ou sur les successions qui
encadreraitlavaliditédescontratspassésdevantnotaire.Cerôleaétélaisséaux
droits coutumiers écrits ou oraux utilisés dans les provinces. Les différents
parlements appliquent des jurisprudences dictées par ces coutumes lorsqu’ils
doivent juger de conflits familiaux ou successoraux. Trois familles de systèmes
d’organisationfamiliale, dans le cadredes sociétés rurales, sedessinent dans la
géographie régionale du royaume : système à maison, système à parentèle,
système à lignage selon la typologie utilisée par Georges Augustins (Juriste,
CNRS, 1999).Ils obéissent à des logiquesdifférentes et ne reposentpas sur les
mêmesvaleurs.
LesystèmeàmaisonpratiquédansleLanguedocestunexempledespratiques
dudroitfamilialdumididelaFranceauXVIIesiècle.Lesfamilles,quelquesoit
leurniveausocio-économique,pratiquentenmatièresuccessoralelesystèmede
l’héritier universel. À chaque génération, un enfant est désigné par le père
commehéritier,sesfrèresetsœursnerecevantqu’unepartréduitedesesbiens,
correspondantàleurlégitime,lafractiondesuccessionrevenantobligatoireaux
membres de la famille. Le but est de protéger le patrimoine familial,
essentiellementfoncier,pourletransmettreentier,oumieuxencoreagrandi,àla
génération suivante. Les filles doivent donc en général se contenter d’une dot,
qu’ellesamènentdanslamaisondeleurépoux.Quanduncadetetunecadette
fondent un foyer, ils vont s’établir ailleurs. Dans l’immense majorité des cas
l’aînédesfilsestl’héritierdésigné.Cemodedetransmissiontraduitlesoucide
pérenniser la maison, quitte à sacrifier les cadets lorsqu’ils ne peuvent être
dédommagés correctement. La même logique de préservation de la maison se
trouveaffirmée,avecplusdeforceencore,danslequartsud-ouestdupays.
Lesystème àmaisoncouvre eneffetune largepartie suddela France.Dans
toutecettevastezone,latransmissionentregénérationsprivilégieleprincipede
résidencecontreleprincipedeparenté.Pouréviterlemorcellement,lesfamilles
pratiquent l’héritage préciputaire, qui permet de favoriser un enfant, parfois
deux,audétrimentdesautres.L’appartenanceàunemêmelignée,ouvretrèspeu
de droits, les exclus ne pouvant revendiquer que de maigres compensations
financières. Ce système fondamentalement inégalitaire couvre deux domaines
juridiquementtrès différents.À l’est,comme enProvence ouen Languedoc, le
pèredefamille,disposed’uneautoritéautocratique.Ildésignesonsuccesseur,et
peutmêmerevenirsursonchoixinitial.Salibertétestamentaireestpresquesans
limite, puisque tout testament doit comporter l’institution d’un héritier
universel. L’acte doit énumérer, tous les enfants du testateur, auxquels il doit
faire un legs dont la valeur ne peut être inférieure à celle de leur légitime. Le
montant de cette dernière est modeste. Pour une famille de deux enfants, elle
n’estqued’unsixième,pourunefamilledetroisenfants,d’unneuvième.Rien,en
droit, n’oblige le testateur à choisir un fils plutôt qu’une fille, un aîné plutôt
qu’uncadet.Ilpeutmêmearriverqueleconjointsurvivantsoitinstituéhéritier
universel.Ladésignationdusuccesseurn’estpasobligatoirementtestamentaire.
Ellepeutsefairelorsdumariagedel’héritier.Lecontratrédigéàcetteoccasion
comporte alors une donationeffectuée par le père, généralement accompagnée
d’uneclausedeco-résidenceetdedifférentesdispositionsprotégeantlesintérêts
matérielsdupèreetsonautorité.
Plusàl’ouest,enAquitaineoudanslesPyrénées,ellessontmoinsmarquées,
car il existeune mosaïque de coutumes quirégissent les régimes successoraux.
L’héritagepréciputaireen estlamarquedominante,en particulierdanslazone
pyrénéenne.La coutumelocale imposeune transmission desbiens quisuive le
principed’aînesse.EnBéarnparexemple,rattachéaudomaineroyalaudébutdu
siècle,c’estl’aînédesgarçonsquisuccède,lescadetsrecevantuneportionfixée
par le père. Les pratiques coutumières sont particulièrement dures aux cadets
dans ces zones pauvres de montagne, qui n’acceptent pas l’existence d’une
légitimité.
De même qu’il suit des règles d’héritage préciputaires, le système à maison
repose en matière matrimoniale sur le régime dotal, dans le sud de la France.
À son mariage, la femme apporte une dot, en principe inaliénable bien qu’elle
n’enpossèdepaslagestion,quiconstituesonapport.Ellepeutêtreaccompagnée
danslesmilieuxlesplusaisésdebienspropres,lesbiensparaphernaux.Iln’ya
donc pas fusion des patrimoines, masculin et féminin, puisque aucune
communautédebiensentreépouxn’estprévue.Aumomentdumariage,ladot
estdélivrée au mari,qui en assurela gestion pendantla duréede l’union. Àla
mortdel’épouse,sadotesttransmiseàsesenfants,àlaparentédel’épousesielle
n’apaseud’enfant.Commeladotd’unefillecorrespondàsapartsuccessorale
qui sort de sa maison d’origine, elle est de préférence composée de biens
mobiliers,pournepasémietterlepatrimoinefoncier.
Le mouvement de la dot, sortant d’une maison pour entrer dans une autre,
accompagneledéplacementphysiquedel’épousequittantlamaisondesonpère
pour s’installer dans celle de son mari ou bien souvent de son beau-père. Le
successeur,généralement l’aîné et souventle premier marié, vit habituellement
avecsafemmeetsesenfantsdanslamaisondontilestl’héritier,encompagnie
desesparents,avecsesfrèresetsœursplusjeunesencorecélibataires.Aufildu
temps, les décès des parents, les départs des frères et sœurs, réduisent la
composition du ménage à sa forme conjugale. L’épouse devient seulement la
maîtressedelamaison,quandlagénérationprécédente,disparueoutropfaible,
alaissélaplacelibre.L’emplacementdulitconjugal,ladétentiondesclés,sont
autantdesignesvisiblesdesrapportsdepouvoirdanslefoyer.
Ceux-ci sont remis en question au décès du mari, tandis que se mettent en
place les dispositifs visant à protéger les intérêts de la veuve. Dans le cadre du
régime dotal, elle a le droit de reprendre sa dot, inaliénable. Les contrats de
mariageassurentfréquemmentauxveuves,bienplussouventqu’auxveufs,des
droitsdesurvie.Lapiècemaîtresseenestl’augmentdedot,prissurlesbiensdu
mari,etversésouslaformed’unesommed’argentouplussouventd’unerente
viagère. Son montant est souventfixé en fonction de celui de sa dot, et s’élève
fréquemmentàlamoitiéouautiers.
Larestitutiondeladotposedesérieusesdifficultésàlafamilledesparentsdu
mari,danslamesureoùellen’estpasthésauriséemaisutilisée.Lesortdelaveuve
est donc fréquemment réglé par les dernières volontés de son mari. Il peut
prévoir le versement d’une pension viagère ou plus souvent lui laisser la
jouissancedetoutoupartiedesesbiens.Lorsquelecouplen’apasd’enfants,ou
queceux-cisontencorejeunes,cequiestunesituationfréquenteauXVIIesiècle,
ilpeutfairedesonépousesonhéritièreuniverselle,sansqu’ellesoitpourautant
destinatairefinaledupatrimoine,quidoitreveniràunenfant,depréférenceun
fils,ouàunprochedesonmarisiellen’apaseud’enfantaveccedernier.Quand
les enfants sont très jeunes, le mari peut éventuellement laisser à sa femme le
choixdedésignerelle-mêmesonhéritier.
Lesystèmeàparentèlerelèveprincipalementdelacoutumedubassinparisien.
Les actes notariés et archives judiciaires de l’époque renvoient l’image d’une
société rurale attachée à des valeurs d’égalité, à l’opposé de la hiérarchie qui
structure le système à maison. La coutume prévoit que les familles partagent
égalementleursbiensentretouslesenfants.Onétablitdespartsdevaleurégale
puiscesdernièressonttiréesausortentreleshéritiers.Lacoutumeapplicableest
lacoutumedeParisréforméeauXVIe siècle,quipermet,outrecettedisposition
debase,d’avantagercertainsenfantspartestamentouàceux-ciderenonceràla
succession pour conserver ce qu’ils ont reçu en dot. Ces possibilités sont peu
utilisées. Tous, héritiers et héritières, filles et garçons, au moment de leur
mariage vont s’établir en dehors du foyer parental. Pour acquérir son
indépendance économique, le nouveau ménage utilise indistinctement les
apportsdumarietdelafemme.Ilssontconstituésdeleurpartsuccessoraleou,
quandlesparentssontencoreenvie,d’uneavanced’hoirie,représentantenviron
la moitié de leur future succession et composée surtout de biens mobiliers. La
conséquence néfaste de cette pratique est qu’elle ne règle pas le sort des
personnes âgées, aucun héritier n’étant désigné pour les prendre en charge en
contrepartied’unavantagesuccessoral.
Lessystèmes àparentèlesont largementimplantés dansla moitiénord dela
France.Cerégimecoutumierimposedesrèglesdetransmissiondifférentesselon
la nature et l’origine des biens : biens propres, acquêts et meubles, biens
immobiliers.Sileurdétenteurdisposed’unecertainelibertéàl’égarddesacquêts
etdesmeubles,lesbienspropres,parvenusdanslacommunautédesparentsau
moment du mariage, sont largement protégés. Si les enfants sont issus de
plusieurslits,laplusgrandepartiedesbiensapportéeparchacunedesmèresest
répartieentrelesenfantsissusdesonlignage.Cequiprimen’estpaslavolonté
demaintenirintactunpatrimoine,maisdeleconserverautantquepossibleau
seind’unemêmelignée.Leconjointnepeutjamaishériter,lesbienspropresdu
défunt revenant, en l’absence d’enfants, à des parents du défunt même très
éloignés.Lesdonationsauseinducouple,quipermettraientdetournerlarègle,
sontétroitementcontrôlées.
Deux tendancesantagonistes, qui révèlentdeux perceptions différentesde la
famille,organisentunetypologiedescoutumes.Lesunes,privilégiantlesliensdu
sang,promeuventl’égalitéabsolueentreenfants,tellegroupedescoutumesde
l’Ouest, qui s’inscrivent donc pleinement dans un système de parentèle. Les
enfants doivent rapporter nécessairement au moment de la succession tous les
biens déjà reçus de leurs parents, pour que le partage successoral s’effectue de
manièrestrictementégalitaire.Lesautres,telleslescoutumesduCentre,del’Est
ou du Nord, permettent au contraire d’avantager par un préciput certains
enfants. Si pour certaines coutumes, l’influence du droit romain s’exerce
fortement, pour d’autres comme les coutumes du Nord, ces choix expriment
surtoutl’attachementauménageaudétrimentdeceuxquiensontpartis.Enfin
entre les deux, existent les coutumes d’option, qui comme les coutumes du
groupe orléano-parisien, cherchent à établir un compromis entre ces deux
aspirations contradictoires. Elles permettent à un enfant de choisir entre
rapporteraupartagelesbiensdéjàreçusourenonceràlasuccessionetconserver
cequ’ilaobtenu.
Danslavieducouple,lafemmesetrouveécartéedelagestiondesbiens.La
survenueduveuvagelaprojettedansl’inconnu.Pourpallierlesrisquesinhérents
à cette rupture, les droits coutumiers prévoient des dispositifs en faveur des
veuves.
Audécèsdeleurépoux,ellespartagentparmoitiélesbienscommunsavecles
héritiers. Elles bénéficient aussi d’un douaire, coutumier ou conventionnel qui
ressembleàl’augmentdedotdurégimedotal.Ilconsisteenunusufruitsurune
partie des biens du mari, le tiers dans l’Ouest, la moitié à Paris. Comme
l’augment de dot, il procède du constat que la veuve, par les soins qu’elle a
apportésàlagestionduménageaparticipéàl’augmentationouàlasauvegarde
desesavoirs.Àl’inversedesstipulationsquecontiennentcertainstestamentsdu
Midi,lesmarisnepeuventimposeràleurépousederesterveuvepourbénéficier
de leur douaire. Les remariages de veuves douairières sont donc une pratique
courante dans les familles du Bassin parisien, dans les conditions
démographiquesduXVIIe siècle.
Danslessystèmesàparentèle,les femmes,entantquefilles,sœurs, épouses,
mèresetveuves,ontunrôlebeaucoupplusimportantdanslatransmissiondes
patrimoinesquedanslesystèmeàmaisonduMidi.
Le système lignager est un reflet des liens de parenté au sein des familles
aristocratiques du royaume. La prise en compte du critère de genre privilégie
danscesystèmelaparentémasculineaudétrimentdelalignéeféminine.Sang,
biens et nom ne se transmettent que par les hommes. Dans la France du
XVIIe siècle,c’estenNormandieques’exprimeleplusfortementcemodèle.Une
égalitérigoureuserègneentrefrèresaumomentdupartage,alorsquelessœurs
sont exclues de la succession. La contrepartie de cette renonciation repose sur
leurdot,quileurestdueparleurpèreouleursfrères,etquiestrigoureusement
inaliénable. Elle est aussi constituée préférentiellement de biens mobiliers, les
fillesnepouvant obtenirplusdutiers deshéritagesen présencedegarçons.La
séparationdespatrimoinesauseinducoupleetl’inaliénabilitédeladotsontla
règle. Ces dispositions ont pour fonction d’empêcher que les biens du lignage
soienttransmisparlesfemmesàlafamilledumari.Cetterègleestcellequiest
applicable aux familles roturières. Les famillesaristocratiques, toutes Provinces
confondues y ajoutent la règle du droit d’aînesse qui permet d’éviter le
démembrement du fief familial et de le garder dans la lignée patrilinéaire tant
qu’il y a un héritier mâle. Le modèle social que représente la noblesse
traditionnelle se diffuse au cours du XVIIe siècle à des couches issues de la
bourgeoisiemarchandeetofficière.Lemodedetransmissiondelafortuneoude
l’office n’est pas celui du droit d’aînesse, le père de famille choisissant pour
héritier celui de ses fils présumé le plus capable de lui succéder. Le cas des
officiersestparticulier,puisqueledétenteurd’unofficedoitnécessairementêtre
unhommepourpouvoirexercerlesfonctionsquiysontattachées.
La diversité juridique, les différences sociales, l’hétérogénéité des pratiques
familialesdessinentdanslaFranceduXVIIesiècleunpaysageinfinimentvarié.
Laplacedesfemmesdanslessystèmessuccessorauxn’yapparaîtpasdemanière
univoqueetgarde,dansl’étatactueldesconnaissances,delargespartsd’ombre.
Faceauxhommes,ellesnesontjamaistotalementexcluesdel’accèsàlapropriété
ni des processus de transmission, mais elles restent très majoritairement sans
doute à une place secondaire. Les systèmes qui ont été décrits, dans lesquels
héritage, mariage, veuvage sont appréhendés différemment, leur sont plus ou
moinsdéfavorables,lesystèmeàparentèleétantlemoinsdiscriminant.
À l’intérieur de chacun d’entre eux, la préférencemasculine peut s’exprimer
avec plus ou moins de force, ce qui entraîne des différences marquées, d’une
régionàl’autre,d’unmilieuàl’autre,d’unefamilleàl’autre,quenousrepérons
malpourcettepériode.LeXVIIe sièclesecaractérise,noussemble-t-il,parune
tensionentredesévolutionscontradictoires.D’uncôté,lesjuristesrenforcentle
statutde mineurede la femme,la rendanttoujours plusincapable degérer ses
biens, la plaçant plus étroitement sous l’autorité de son mari. De l’autre, les
contraintesdémographiquesquipèsentlourdementsurlesFrançaismultiplient
lessituationsoùlesfemmesseretrouventdefaitgérantoupossédantdesbiens:
fillessansfrèresdevenushéritières,veuvessansmari,nomméestutricesdeleurs
enfants et maîtresses d’un douaire, épouses remariées. Or posséder un
patrimoine,c’estdétenirunrangetunpouvoirrevendiquésparleshommes.De
cet écart entre l’affirmation d’un ordre idéal masculin et des réalités bien plus
fémininespeuventsurgiralorsdesconflitsetdesmanifestationsdeviolence.
VoirEncadrén°2
Laviequotidienneetlesobligationsdesépousesdeministres
sousLouisXIV

DISPOSERDESONCORPS.
LESFEMMESFACEAUXCONNAISSANCESDESMÉDECINS.
OBSTÉTRIQUE,MATERNITÉ,SURMORTALITÉ
LeregardmédicalsurlesfemmesavaitlaisséauXVIesièclel’idéed’unenature
imparfaite.LeTiers-LivredeRabelais,n’oublionspasqu’ilfutmédecin,estune
caricaturededébatscholastiqueavecthèseantithèseetsynthèsesurl’opportunité
dumariageaurisqueducocuage.Laperceptiondelafemmeparlesparticipants
àlacontroverseestbienprochedelamaximegravée,parFrançoisIer,dit-onsur
unevitreduchâteaudeChambord:«souventfemmevarie,bienfolestquis’y
fie».L’imaged’uneféminitéfragile,inconstante,imparfaiteremonteàAristote.
LesécritsdeGalien,médecingrecduIIesiècleapr.J.-C.,auteurdelathéoriedes
humeurslaissentprésagerqu’ilpartagelepointdevued’Aristote.Àsesyeux,la
femme est « froide et humide », inférieure à l’homme, dans la mesure où ce
dernierest«chaudet sec»(« De UsusPartium »).Quelquesautresauteursde
l’Antiquitéromaine,parmilesquelsPlinel’Ancien,ajoutentmêmequelafemme,
en raison de la menstruation, présente un caractère venimeux. Pendant fort
longtempslatraditionpopulaireestimequelesrèglesontunpouvoirputréfiant.
Bien queces idées perdurentau XVII e siècle,le domaine del’accouchement se
rationaliseprogressivement.Lessages-femmesaucoursdusiècleprécédentn’ont
pour tout bagage que leur expérience personnelle de matrones jusqu’à un édit
royalde1560 quilesoblige àsuivreuneformation sanctionnéeparunjury de
chirurgiens jurés. La question de l’accouchement est un domaine réservé aux
sages-femmes, jusqu’à, dit-on, la décision de Louis XIV en 1663 imposant la
présenced’unchirurgienspécialisé,JulienClément,lorsdel’accouchementdesa
favorite, Louise de Lavallière. Clément écrit en 1668 un ouvrage qui fait
référence, Traité des femmes grosses et accouchées. Trente ans plus tard, il
collationne les interventions qui ont forgé son expérience dans un ouvrage
intitulé Observations.IlestsouventappelésurParis,VersaillesetSaint-Germain
danslescasdifficiles.Maisl’exercicedusavoir-faireprécieuxqu’ilaaccumulése
heurtesouventàladéontologied’Église.L’opiniondesmédecinsetdesreligieux
est, qu’en cas de péril en cours d’accouchement, il faut sauver l’enfant (pour
pouvoirlebaptiser),auxdépensdelaviedelamère.Nombredemédecinsaussi
sonthostilesàlacésariennejugéetropincertaine.
Lestravauxd’anatomieontcependantprogresséet,danslesamphithéâtresdes
facultés de médecine, les recherches en obstétrique et en gynécologie ont
continué sur la lancée d’Ambroise Paré. Malgré les efforts de médecins
praticiens, la question des règles et des raisons de l’écoulement de ce flux
mensuel reste inexpliquée. Ceci n’empêche pas les débats passionnés sur les
causesdelastérilitédesfemmes!LouysdeSerresen1625danssontraitéNature,
causes signes et curation des empeschements de la conception, de stérilité des
femmesexposequelesdeuxsexespeuventêtresujetsàstérilité.Cependantdans
lescroyancespopulairesdèsqu’unefemmenedonnepasnaissanceàunenfant
aprèsquelquesmoisdemariage,l’hommel’accusedestérilité,idéequepartagent
souventlesmédecins.Pourtant,LouiseBoursiersage-femmequimitaumonde
lesenfantsdelareineMariedeMédicisadmonestelesfemmesquisevoyantsans
espoirdegrossesseaccusentleurépouxdanssonouvrageObservationsdiverses
surlastérilité,pertedefruict,fécondité,accouchementsetmaladiesdesfemmeset
enfants nouveaux naiz. Les travaux sur la fonction des ovaires réalisés par le
médecin Jean Liébaut sont encore entachés d’erreurs anatomiques qui ne sont
corrigéesqu’àlafinduXVIIe .Malgrécetteavancée,laprésencedecetorganeest
encore pour nombre de médecins la cause de ses aptitudes physiologiques
inférieures à celles de l’homme et la cause d’une prétendue vulnérabilité
psychologique. La plupart des ouvrages de gynécologie et d’obstétrique de
l’époqueénoncentquelafemmeestunêtrevalétudinaireetqu’onpeutessayer
de la soulager dans ses maux, mais qu’elle doit accepter sa condition d’être
défavorisée par rapport au sexe masculin. Le Médecin charitable, ouvrage d’un
certain Philippe Guibert, énonce comme une évidence que la matrice serait la
causede la plupartdes maladiesde femmes! Plus tardau XVIII eles matrones
conserventcetteconvictionmêmesilesenseignementsetlesécritsdeMadame
LeBoursierduCoudrayontpermisdemieuxformerlesnouvellessages-femmes.
Au-delàdeconnaissancesinexactes,voiremédiocresetdecroyancespopulaires
irrationnelles, certains médecins se sont posé la question de la vie intime et
sexuelledescouples.Malgrélesinterditsdelamorale,AmbroiseParé,ausiècle
précédent, a abordé la question des conseils qu’il serait utile de donner aux
hommes. Il observe que ceux-ci ignorent bien souvent la sensualité de leur
épouse. La fonction du médecin reste délicate, car il peut être appelé comme
conseillerdelafamille,commeexpertauprèsdestribunaux,parexempleencas
deplaintepourviolouencasdedemandedeséparationdecorpsentrelesépoux
(le mariage reste indissoluble car sacramentel). Il arrive aussi que le médecin
devienneunalliédelafemmelorsqu’elleestenbutteauxpréjugésdesonmilieu
social.

LAMATERNITÉSUBIE,LAMORTALITÉDESFEMMES
En général la grossesse est comprise par les médecins comme un état
pathogène,mêmesiellesedéroulefavorablement.Lesobstétricienséprouventde
la compassion face aux souffrances des femmes et s’efforcent de répondre aux
angoisses de leurs parturientes. Le discours médical est alors en conflit avec la
doxachrétiennequicondamnelafemmeàaccoucherdansladouleur.Lapériode
des relevailles est souvent mal vécue par l’époux et la femme demande des
conseils au médecin et pas seulement aux matrones pour retrouver un corps
désirable.
Contraceptionetavortementsont,pourcetteépoque,dessujetsinterdits.Les
hommes de l’art, dans les traités d’obstétrique qu’ils écrivent, contournent le
sujet ou condamnent les interruptions provoquées de la grossesse. Bien qu’ils
évoquentdesraisonsdemoralitéquecesoitparconvictionouparcraintedela
censure, leur refus est principalement lié aux hémorragies difficiles à juguler
provoquéesparcetteintervention.Cependant,quelquesraresmédecinscomme
Louys Guyon n’hésitent pas à aborder la légitimité de l’avortement
thérapeutique. L’obstétricien François Mauriceau estime qu’en cas de danger
pour la vie de la mère, c’est au chirurgien après diagnostic d’aider la mère à
avorter,surtoutencasd’enfantdifformeousupposétel.Lechirurgienpeutaussi
en casd’extrême nécessité pratiquerune césarienne. À la findu XVIe François
Rousset, chirurgien à Montpellier rédigea un traité sur l’enfantement par
césarienne et exposa qu’on pouvait extraire le nouveau-né après une incision
latérale du ventre et de la matrice et que cela n’interdisait pas les grossesses
futures. Cet ouvrage déclenche une polémique en raison des risques de cette
intervention et de la survie non garantie de la mère. Il faut bien admettre que
cette technique n’était jusqu’au dix-neuvième siècle applicable qu’a
l’accouchementdefemmesdéjàdécédées.Lestentativessurdesfemmesvivantes
seterminaientparuntauxdedécèsde100%.IlsembleraitqueRoussetaitécrit
sur cette technique chirurgicale sans l’avoir jamais pratiquée. Utilisée
courammentdenosjours,ellen’estd’ailleurssûrequedepuisladécouvertedes
antibiotiques.Cependant,ilsetrouvacertainesfemmesauXVIIesièclequifaceà
la proposition qui leur était faite de sacrifier l’embryon qu’elles portaient
réclamaient le recours à l’opération. Il semblerait que leur démarche était
inspirée par une forme de revendication égalitariste qui exigeait qu’elles
affrontent la mort comme l’homme l’affronte lorsqu’il est emporté dans la
tourmentedelaguerre.
Les ouvrages d’obstétrique abordent aussi la question de l’allaitement
maternel. Les obstétriciens qui écrivent sur le sujet y sont favorables et
conseillentd’éviterl’allaitementparunenourricemercenaire.Lamèrequiallaite
peutalorss’imposerunehygiènealimentaireetunrythmedevieraisonnable.
Le moment de l’accouchement et des relevailles sont un domaine où
n’interviennent pas que les médecins. Le Concile de Trente a redéfini
l’intervention du prêtre au cours de cette période de la vie d’une femme. Au
XVIIe  siècle, une « pastorale de la peur » (c’est l’expression de l’historien Jean
Delumeau) impose aux femmes l’idée que leur rédemption dépend de leur
acceptation du sacrifice maternel. L’opprobre que la faute d’Ève fait peser sur
touteslesfemmesnepeutêtrerachetéquedansuneacceptationdesdouleurset
decraintedelamortinévitablesdelamaternité.
À lafin du XVII e siècle,en 1685, Nicolas Venette,médecin et « sexologue»
avantlalettrepublialeTableaudel’amourconjugal,oul’Histoirecomplètedela
générationdel’homme,ouvragequifitgrandbruit.Faceauxenjeuxidéologiques
et religieux, il remet au premier plan, l’importance de l’amour physique entre
époux. On pourrait, à juste titre, le considérer comme le premier traité de
sexologieen Occident. L’auteury décritle fonctionnementdes organes sexuels
del’hommeetdelafemme.Ilestimequ’enfairebonusageestnécessairepour
« une amoureuse complaisance entre les personnes mariées ». Il se fait aussi le
conseillerdesfemmesafinqu’ellesn’oublientpasdeserendredésirablesàleur
époux,après les grossesses.Afin de nepas être tropcombattu par leshommes
d’Église, Venette avait pris soin de rédiger une préface prudente s’affirmant
commealliédesthéologiensetdesjuristesetfortrespectueuxdesrèglesmorales
dumariage!Voilàquiévitaàcetouvragelesrigueursdelacensure.

ACCÈSDESFEMMESAUSAVOIR:DISCRIMINATION,DIFFICULTÉSETEXCEPTIONS
Lesprémissesdel’accèsàlaconnaissancesontuneavancéeimportantedela
conditiondesfemmesauXVIIe.Entrelasituationdesquelquesfemmesd’Église
auxquelleslesclercsouvrentlesbibliothèquesdesinstitutionsetla situationde
cellesquisontprivéesdeconnaissancesenraisondeleurappartenancesociale,il
s’ouvre des nouveaux espaces de liberté. Celles, nombreuses, auxquelles une
fréquentation épisodique des cours bénévolement délivrés parfois par les curés
dans leur paroisse n’a pas permis de lire vraiment, mais sont capables de
déchiffrerquelquesmotsontaccèsauxouvragesdiffuséssurlesmarchésparles
colporteurs. La bibliothèque bleue publiée à Troyes est une innovation de
l’imprimeur Nicolas Oudot. Ces opuscules imprimés à moindres frais,
abondammentillustrésdegravuresaccompagnéesdetextesbrefs,brochéessous
unecouverturebleuecirculentsurlesroutesdeFrance.Ilsabordenttoutessortes
de sujets, certains concernent la piété, d’autres des romans de chevalerie en
images. On trouve aussi des jeux de société, des récits d’amour courtois, et les
incontournablesalmanachs.Ilamêmeétérecenséunmanueldestinéàaiderles
victimesdelachasseauxfauxnobleslancéeparColbert.Labibliothèquebleuede
Troyesapporteauxpaysansisolésdansleurscampagnesdesinformationssurles
pratiques de leur métier, les recettes de cuisine, des pratiques de médecine
populaire et de quoi se distraire lorsqu’ils disposent d’un peu de temps libre.
L’historienRobertMandrouquis’estintéresséàcettelittératureen1964,arelevé
l’importanceprépondérantedelareligion,delamorale,delapiétédanslessujets
traités. Les avancées doctrinales issues du concile de Trente purent ainsi se
diffuserauprèsdesfemmes,responsables del’éducationreligieuseetmorale de
leursenfants.Endépitdecetaspect,labibliothèquebleuepermitauxpaysanset
paysannesdepasserdudéchiffrementdestextesbrefsliésauximagesàlalecture
detextessimplesmaisstructurés,leurouvrantainsiunpremierespacementalde
libertés.
Endépitdecemodesteprogrèsdesclassespauvresenmatièred’éducation,les
inégalités socialesdans ce domaine semaintiennent, car l’éducation desjeunes
filles des classes favorisées progresse également. À part les enfants issus de
famillesprincièresoudehautenoblessequibénéficientdessoinsdeprécepteurs
particuliers,lamajoritédesjeunesfillesdel’aristocratieesttoujoursconfiéeaux
couvents où l’on se préoccupe un peu d’enseignement mais, plus encore,
d’éducationenvuedelapréparationaumariageouaunoviciat.Lecasparticulier
de la création de la Maison d’éducation de Saint-Cyr par Mme de Maintenon
constituel’exceptiond’envergureàcetterègle.
AuXVII ecommeauXVI e siècle,l’enseignementdanslescollègesneconcerne
quelesgarçons.Leréseaudescollègess’agranditenFrance,principalementdans
lesgrandesvilles,surtoutsousl’impulsiondesJésuitesjusqu’àleurexpulsiondu
royaume de France en 1675. Les collèges élargissent l’offre d’enseignement
jusque-làcantonnéeàlatrèsancienneinstitutiondesécolesdecharitéréservées
auxorphelins,auxséminairesetà quelquesrarespensionsprivées.Lesgarçons
de l’élite sociale ont accès à la lecture, à l’écriture, à l’arithmétique et aux
connaissancesqui,aprèsqu’ilsaientrejointlefoyerparental,leurpermettentde
se former aux activités qu’on y exerce. Cet enseignement leur permet aussi
d’entreràl’universitéquiformeessentiellementdesclercs.Lelivre,réceptacledu
savoir et outil de transmission des connaissances, est contrôlé. C’est une
marchandise qui ne peut rejoindre les étals, qu’après avoir été soumise à la
doublecensuredupouvoirroyaletdesautoritésecclésiastiques.L’éducationdes
garçons passe aussi par le dressage du corps et de ses sensations. Un code de
civilitéetde«bonnesmanières»estinculquédèsl’enfance,dansunecontrainte
quotidienne qui se poursuit au collège. Mais tout ceci ne concerne en rien
l’éducationdesfilles.Cesinstitutionsleursontinterdites.
Lesfillesdes classesmoyennes reçoiventl’essentieldeleuréducation dansle
cadre familial. Malheureusement les historiens détiennent peu d’informations
sur le contenu de ce qui est transmis aux filles. C’est parfois au détour des
correspondances et de quelques livres de Raison, conservés dans les familles,
qu’ilestpossibledeglanerçàetlàquelquesallusions.Unlivrederaison,journal
de bord familial, est un objet caractéristique des familles qui accumulent
quelques richesseset ont besoin d’enregistrer lesévènements qui justifient une
répartitionfuture de celles-ci entreleurs enfants. Aussi ytrouve-t-on aussi des
recommandationssurcomments’exerceràleurbonnegestionlaquellepassepar
unebonneéducation.Lesfilles,danscesfamilles,apprennentlesgestesetsavoirs
nécessaires à une bonne organisation du quotidien : la cuisine, les soins aux
enfantslesplusjeunes,l’entretiendulingeetdesvêtementsdelafamille,savoir
manierlefil,lesaiguilles,lestissus,voilàlessujetsabordés.
Un autre lieu d’éducation des filles est le couvent : une part importante des
revenus des couvents provient de leur activité d’enseignement. Celle-ci s’est
construiteàpartirdel’enseignementdispenséauxnovicesdelacongrégationqui
aétéadaptéetouvertauxjeunesfillesissuesdel’élitesociale,noblesseouhaute
bourgeoisie.AudébutduXVIIesiècle,l’enseignementfaitpartiede lavocation
de certaines congrégations féminines, telles les Ursulines. Quelle que soit la
congrégationretenue,lesparentsyplacentleurfillepouruneduréedequelques
années, non pour préparer une entrée dans la vie religieuse, mais pour leur
donner la culture, le maintien et la tenue nécessaire à l’entrée des jeunes filles
danslemondeavantlemariage.L’enseignementprodiguéaucouventestparfois
ouvert sur l’extérieur. Les parents des élèves de classes aisées veulent souvent
ajouterdesélémentssupplémentairesàl’enseignementaccordéàleursfilles.En
ce cas certains couvents acceptent de recourir pour ces élèves, moyennant des
fraissupplémentaires,àdesprofesseursdedanse,dechant,declavecin,deharpe,
de mandoline et dans certains cas de géographie et de dessin. Certains
professeurs étrangers à l’institution viennent y donner ces cours d’arts
d’agrément. En fait l’attribution d’une mission pédagogique au couvent est un
des résultats du Concile de Trente et de la contre-réforme catholique. Les
Ursulinesdontl’ordrefutfondéenItalieparAngèleMerici,sedistinguentence
quecettemissionestlamissionessentielledel’ordre.Lefonctionnementdeces
établissements d’enseignement est fortement inspiré de celui des collèges de
jésuitesdestinésauxgarçons.LesUrsulinesorganisentlesclassesd’élèvesentrois
niveaux:petites,moyennesetgrandes.Elleshébergentjusqu’àunecentainede
fillesdansuncouvent.Illeurfautalorsfairefonctionnerl’internatetsesservices.
Il convient d’investir en locaux adaptés et en personnel compétent. Malgré le
besoin considérable en capitaux que ce soit en investissement ou en
fonctionnement ces établissements (comme ceux des jésuites) connaissent un
développementtrèsrapide.Parfoislefinancementdecesinstallationsnouvelles
est le fait de princes de l’Église. Mais il est frappant de constater que les
donationssontsurtoutle faitdedévotslaïquesinspirés, sansdoute,parl’appel
aux responsabilités des fidèles initié par le concile de Trente. On peut faire
l’hypothèse que cette population est consciente d’une accélération du
changementdelasociétéquinécessiteunmeilleuraccèsàlaconnaissanceetune
meilleure préparation spirituelle pour leurs enfants et qu’elle construit la
légitimation de ses investissements dans les affaires de la foi sur un sentiment
élitaire. Habitée par son engagement à réformer la société tout entière, son
élévationdanslahiérarchiesocialeestassimiléeàunemesured’ordrespirituel,
justifiée par la piété des œuvres au financement desquelles elle contribue. Ce
sentiment élitaire conduit aussi à une compétition de grandeur avec les autres
membresdecettenébuleusedévoteetfavoriseuneformedesurenchère.
Lecontenudesconnaissancesdispenséesauxfillescomporteengénéraltrois
pôles : un corpus moral et religieux, lecture-écriture et arithmétique et enfin
développement de l’habileté manuelle : maniement du fil, des aiguilles, et du
métieràtisserpourcertaines.Lapartieduprogrammesurlaquelleondemande
aux maîtresses d’école de mettre l’accent, qu’elles soient religieuses ou laïques,
concerne la religion et l’exercice de la piété. Souvent, les premiers livres de
lecturesontdesmanuelsdeprière.Unoutilclassiquedecetenseignementapour
titre « Conduite chrétienne ou Formulairede prières à l’usage des pensionnaires
desreligieusesUrsulines».
Dans les différents établissements où les jeunes filles recevaient un
enseignement, certains adoptent des dispositions innovantes. La pédagogie de
Port-Royalpréconisevers1650decommencerl’apprentissagedelalectureparle
françaisetnonparlelatin.Peuàpeuonenvintàabandonnerl’enseignementdu
latin pour les filles. L’enseignement de l’écriture n’est pas toujours approfondi
parce que pas forcément considéré comme utile aux filles. Les enseignantes
insistentsurlegoûtdutravail.Lesfillettesdoiventpratiquerpendantdelongues
heures,avecrégularitéetaisancelacouture,labroderie,letissageéventuellement
sansoublier,letricot,leraccommodage,latapisserie,ladentelle.Chezlesjeunes
fillesdeclassesaisées,lestravauxd’aiguilledoiventconstituerunmoyendelutte
contre l’oisiveté, jugée propice aux divagations suspectes de l’esprit. Les jeunes
fillesdeclassesmodestestrouventdanslestravauxd’aiguillel’accèsàunmétier,
ainsi qu’à une condition honnête. Les sœurs de Saint-Maur, dans leur action
charitable et éducative auprès des plus démunies, proposent un avenir
d’ouvrières à leurs protégées sans leur donner l’espoir d’acquérir un jour un
brevetouunemaîtrise.
Les historiens qui s’intéressent à l’évolution des savoirs en France à cette
époque ont observé que l’alphabétisation des filles progresse et qu’elle est plus
étenduedanslesrégionsdunordetdunord-estdupays(engrosau-dessusd’une
ligneimaginairequiiraitdelaNormandieàGenève).
Ilest,dansledomainedel’enseignementquel’onprodiguaitauXVII esiècle,
uncastrèsparticulier.ParlavolontédeMadamedeMaintenon,l’écoledeSaint-
CyrestfondéeàquelqueslieuesdeVersailles.Le15août1684,enGrandConseil,
Louis XIV décrète la fondation « d’une maison et communauté où un nombre
considérabledejeunesfilles,issuesdefamillesnoblesetparticulièrementdespères
mortsdansleservice[…]soiententretenuesgratuitement[…]etreçoiventtoutes
lesinstructionsquipeuventconveniràleurnaissanceetàleursexe[…]ensorte
qu’aprèsavoirétéélevéesdanscettecommunauté,cellesquiensortirontpuissent
porterdanstouteslesprovincesdenotreroyaumedesexemplesdemodestieetde
vertu[…]».
Le domaine de Saint-Cyr est attribué en 1685. Les travaux sont dirigés par
Jules Hardouin-Mansart qui réalise une école fonctionnelle et non pas un
couvent. En juin 1686, après quinze mois de travaux, Louis XIV fait don du
domaineàlaMaisonroyaledeSaint-LouisfondéeparMadamedeMaintenon.
Les objectifs concernent la formation pour une élite de jeunes filles pauvres
mais issues de la noblesse. L’État gère cette institution où furent reçues
pensionnaires des filles de sept à dix ans et qui restaient jusqu’à l’âge de vingt
ans.Unenseignementgénéralyestdonnédemêmequelamusique,etlethéâtre.
Lamaisonpeutaccueillir250«DemoisellesdeSaint-Cyr».Ellessontsousla
responsabilitéde36dameséducatricesou«professes»et24sœurs«converses»
assurantlestâchesdomestiques,auxquelless’ajoutentdesprêtresetdupersonnel
laïc.
Les demoiselles portent en guise d’uniforme une robe d’étamine brune
rappelant par leur coupe les robes de cour, nouée de rubans dont la couleur
indiquaitlaclassedel’élève.
Lerèglement,dénomméselonl’usagedel’époque«lesConstitutions»,précise
danssonarticle54«Cequ’ilfautapprendreauxdemoiselles»:
«PremièrementàconnoistreDieuetlareligion[…]Illeurfautinspirerune
grande horreur du vice et un grand amour pour la vertu […]. Il faut leur
apprendrelesdevoirsd’unehonnêtefemmedanssonménage,àl’égarddeson
mari,desesenfantsetdesesdomestiques[…].Onleurapprendraàsetenir
de bonne grâce […] on leur apprendra parfaitement à lire, à écrire
l’orthographe,l’arithmétique[…]».
LesdemoisellesétaientélèvesàSaint-Cyrjusqu’àl’âgede20ans,saufencasde
renvoi, de mariage ou de « circonstances familiales exceptionnelles ».
Lorsqu’elles quittent l’établissement, elles reçoivent une dot suffisant à leur
assurer un mariage convenable ou à leur permettre d’entrer au couvent. Dans
son projet pédagogique Mme de Maintenon fut fortement influencée par
Fénelon,précepteurduDucdeBourgogne,théologien,pédagogueetarchevêque
deCambrai.
Danschaqueclasseonenseigneunprogrammeappropriéàl’âgedesélèves:
les plus jeunes apprennent la lecture, l’écriture et le calcul, reçoivent leurs
premières leçons de catéchisme et des rudiments d’histoire religieuse et des
rudimentsdelatin.Plustardellescontinuentcesmatièresetyajoutentl’histoire
et la géographie. Les jeunes filles apprennent également le dessin, le chant, la
danse,lethéâtreetlamusique.Lesplusâgéessontinitiéesàlaconnaissancedes
blasons (l’héraldique), à l’histoire de l’Église et reçoivent des cours de
philosophie morale. Les maîtresses insistaient sur la vertu de courage et sur la
pratiquedel’obéissance.
Touteslesjournéesdespensionnairessedéroulentselonunemploidutemps
soigneusementfixé:ellesselèventà6heuresdumatinetserendentenclasseà
7 heures pour les premières prières avant de prendre leur repas du matin au
réfectoire. Elles étudient ensuite de 8 heures à midi, puis vont « dîner ». La
récréation dure jusqu’à 14 heures, puis elles reprennent les cours jusqu’à
18 heures. Elles vont souper, pour finalement se coucher à 21 heures. Chaque
momentdelajournéeestponctuéd’uneprière.Cependantcetemploidutemps
ne comporte pas les prières de Matines, contrairement à la pratique en usage
danslescouvents.
L’aide aux tâches domestiques de la Maison royale fait partie de l’éducation
desélèves.Lesplusâgéesdoiventaiderauréfectoireouàl’infirmerie,oucoudre
desrobesetdulingedestinéesàleurscamaradesouauxdameséducatrices.
Les récréations sont une activité importante, et Madame de Maintenon
encouragelesélèvesàlesemployeràdesjeuxd’espritcommeleséchecsoules
dames.Enrevanche,lesjeuxdecartessontinterdits.
À partir de 1698, Madame de Maintenon apporte à l’enseignement de la
Maisonroyaleunemodificationinédite:chaqueclassen’estplusplacéesousla
direction de ses maîtresses, mais divisée en « familles » de huit à dix élèves,
possédantchacuneleur«mère»,généralementl’élèvelaplusâgéedugroupe,et
placéesouslaresponsabilitéd’unedesmaîtressesdelaclasse.
ÀlademandedeMadamedeMaintenon,Racinecomposeen1690unepièce
dethéâtreàsujetreligieux,pourlespensionnaires:Esther.Représentéedevantle
Roi et une partie de la Cour, portée par l’enthousiasme des élèves la
représentation remporte un triomphe. Mme de Maintenon fut cependant
inquiétéeparl’intérêt descourtisanspour lesjeunesfilles quiparticipaientà la
représentation et par l’orgueil que celles-ci tirèrent de leur succès. Racine
composa une autre pièce en 1691 : Athalie. Celle-ci est mise en scène et
représentée devant un public plus réduit et ne rencontra pas le même succès
qu’Esther.
Malgrécela,Racinecontinueàcomposer,enfaveurdecespensionnaires,des
cantiquesenfrançais.Jean-BaptisteMoreauavaitéténommémaîtredemusique
de cette maison. En collaboration avec Racine, il écrit une musique
d’accompagnement pour Esther, Athalie ainsi qu’en 1694 pour certains
cantiques.PlusieursautresmusicienscélèbrescomposentdespartitionspourSt-
Cyr:GuillaumeNivers,Louis-NicolasClérambault.
D’anciennesdemoisellesdeSaint-Cyrayantàcœurdetransmettrel’éducation
qu’elles avaient reçue, au fur et à mesure qu’elles entrent dans des couvents, y
diffusent la pédagogie de la Maison royale, ce qui modifia progressivement les
méthodespédagogiquesdetouslescouventsderenom,quiprirentdavantageen
compte l’instruction et le bien-être de leurs élèves, et non plus l’éducation
religieuse avant tout. La Maison Royale a survécu à la mort de Mme de
Maintenon en 1719, jusqu’à sa fermeture par l’assemblée nationale en 1792.
Napoléon installa dans ses bâtiments son École Spéciale Militaire. Aujourd’hui
une partie des bâtiments, réchappés aux destructions de Seconde Guerre
mondialeetrestaurés,abritelelycéemilitairedeSaint-Cyr.

ACCÈSAUPOUVOIR:FEMMESÉCRIVAINESETREBELLES
Il n’y a guère d’espace où les femmes puissent parler, se faire entendre. Le
salonconstitueuneexception.Lemotlui-mêmeapparaîtplustard,maislelieu
existe,enceXVIIe siècle.Sonapparitionpermetlanaissanced’unevieculturelle
source de progrès hors du milieu des classes dirigeantes. Depuis le siècle
précédent,reineset princessesontdes cerclesau palaisoùelles peuventréunir
des femmes et des hommes et aborder tous sujets de conversation qui les
distraientdusoucidel’exercicedupouvoir.Leshumanistes,versésdansl’étude
desauteursdel’AntiquitésesontconstituésencénaclessouslaRenaissanceoù
ilscomparentetconfortentlesconnaissancesqu’ilsontpuiséesdanscessources.
Ce mouvement se manifeste sur l’ensemble du territoire. La Navarre abrite la
cour deMarguerite d’Angoulême qui est uncénacle littéraire dont les activités
ontconnu unretentissementdans toutle royaumede France.L’apparitiondes
ancêtres des salons au XVIIe siècle où l’on pratique « l’honnête conversation »
entre femmes et hommes est un phénomène français, qui n’a pas d’équivalent
dans les pays voisins. La chose mérite que nous nous y arrêtions. Que des
personnesdesdeuxsexes,puissentseréunirdansunmêmelieupourleplaisirde
laconversationsansquecelle-cinesoitdestinéeàfinalitéslicencieusesestsigne
d’unprogrèsdecivilisation.En Francelamondanitéestpossibleet lesfemmes
des classes aisées exercent une certaine pédagogie dans l’art et la manière
d’ouvrirleurssalons.AudébutduXVIIesiècleaprèsplusdetrenteansdeguerres
de religion, en d’autres termes de guerre civile, les relations sociales étaient
brisées,lamoraleétaitaffaiblieetl’ignorancerégnaitpartout.La sociabilitédes
salonsdonnealorsauxfemmeslesmoyensd’uneluttecontrelecynismeaffiché
par les princes, la violence pratiquée par les reîtres, la grossièreté à l’égard
d’autrui.Danscetexercicederencontresetdeconversations,lesfemmesquise
réunissentparlentdelittérature,de théâtre,depoésie,sujetsde fictionquileur
sont autorisés. On lit « L’Astrée » d’Honoré d’Urfé, on rêve de libre choix en
matièred’amouretdenéo-platonisme.Lesfemmesenseignentauxhommesqui
partagent leurs échanges comment pratiquer un « commerce » agréable. Elles
sontdes«maîtresses»surunmodejusque-làinconnu.Lesfemmesapprennent
auxhommesàplaire,etquelquesmanièresdélicatesdesecomporter.Lessalons
ontajoutéàlacivilité,unpeudegalanterie.
Les premières hôtesses qui ouvrent leur salon sont des femmes de l’élite
parisienne,lanaissance,lafortuneetlalibéralitédeleursépouxleurpermettent
detenircesréunions.Descélibataires,libéréesdelatutelledeleursparents,telle
Madeleine de Scudéry peuvent aussi tenir un salon. Toutes ont acquis un
minimumdeculture.Certaines,pluschanceusesque d’autres,savent lelatinet
accèdentainsiàlalittératuresavantedel’époque.Lesfillesetfemmesdemilieu
réforméont,elles,lachancelorsqu’ellesappartiennentàunefamilledepasteur
depouvoiraccéderàsabibliothèquegénéralementbienfournieenouvragesde
rhétoriqueetdethéologieenlanguefrançaise.
La première génération de femmes recevant dans leur maison est
contemporainedurègned’HenriIV.ÀParis,CatherinedeRambouillet,néede
Vivonne,futla premièreàrecevoirdes amisdanssonhôtel particulier,proche
du palais du Louvre. Cette jeune femme avait reçu par les soins de sa mère,
d’origineitalienne,uneexcellenteculturebilingue.Elleappritaussil’espagnol.La
marquisedeRambouilletalachanced’avoiràsescôtésunépouxbienveillantqui
lui donne toute liberté d’organiser et de transformer l’architecture et le décor
intérieur de leur habitation. Catherine trace les plans de l’édifice, agrandit le
bâtiment, y fait construire un escalier latéral de façon à dégager l’enfilade des
salles. À l’étage elle fait aménager l’alcôve et la ruelle. Ce dernier espace qui
s’étend entre le lit et le mur latéral de la pièce est un lieu d’accueil pour les
intimes.Danscettechambreonadjointdescoffres,desarmoires,desrayonnages
pour les livres. De santé fragile, Catherine réagissait mal aux écarts de
température. Elle évitait de sortir et recevait ses amis dans cet appartement.
Comme elle sortait peu, elle se créa un univers à son image dans cet espace
intime : objets précieux posés sur les meubles et les étagères (vases vénitiens,
porcelainesde chine,marbresantiques) etdécorde fleursfraîches àprofusion.
Elledisposepartoutdesmiroirséclairéspardeslustresdecristal.Laflammedes
bougies ajoute une lumière fantasque à la pénombre de la nuit tombée. Elle a
aussi choisi d’orienter ses fenêtres non sur la rue mais sur le jardin intérieur
qu’elle dessina. Le décor de sa chambre, au lieu des tristes et sombres lambris
usuels,faitappelàdestextilesdecouleursvivespourlesmurs.Lacouleurqu’elle
préfère est le bleu azur, d’où le nom devenu célèbre de « chambre bleue ».
Quelquestableauxd’artistesbienchoisiscomplètentledécor.
Dans cet environnement élégant de qualité, Catherine de Rambouillet reçoit
ses amis parmi lesquels elle compte le poète Malherbe qui lui donne le nom
d’Arthénice,anagrammedesonprénom.Hommesdelettresetpoètesviennent
dans ce salon lire leurs œuvres : ils sont bien considérés à la condition qu’ils
respectentlesrèglesdelabienséance.Corneillevientfairelapremièrelecturede
satragédie« Polyeucte».Ilestdebontonderespecterlecharmedel’endroit,en
usantd’unlangaged’oùsontbannistrivialitésetgrossièretés.C’estàcettemême
époque que Richelieu impose une censure au théâtre pour éliminer les
expressions qui se rapportent aux farces jouées par les théâtres populaires
itinérants et à leurs grossièretés de langage. Dans les salons peu à peu les
expressionsquiévoquentl’amoursedoiventd’enresteràl’abstractionetd’éviter
toutesensualité.Lespoètessemettentàl’unissondansl’écrituredumadrigal.
Ces femmes de l’élite, qui sont ensuite désignées comme « précieuses », ont
aussilavolontédesavoir,d’apprendredenouvelleschosesetdes’intéresseraux
sciences.Ellesn’ontpasaccèsàl’universitéaussilessalonsetlespersonnesqu’on
yinvitesont-ellesdesressourcesdeconnaissancesetd’échanges.Onrencontre,
dans les réunions qu’elles organisent, des physiciens, des médecins, des
astronomes. Les précieuses apparaissent pendant l’époque de la Fronde
(1654/1659)maislessalonsontfaillidisparaîtreaprèscesannéesdeguerrecivile.
Quelques femmes ont soutenu la fronde des princes comme la Grande
mademoiselle.Encorefaut-ilréhabiliterl’imagedecertainesfemmesquisesont
jetéesauxcôtésdeshommesdanscetteactioncontrel’Étatetlamonarchie.
LaGrandeMademoiselle,duchessedeMontpensiernéeen1627estlafillede
Gastond’Orléans,frèreduroi.Elleestuneactricemajeuredestroublesdecette
période.Enjuillet1652,lorsducombatdufaubourgSaint-Antoine,ellefaittirer
lecanondeLaBastillesurlestroupesroyalesquis’opposentàl’arméeduPrince
de Condé. Quelle raison particulière a-t-elle d’agir ainsi ? On a évoqué un
penchant amoureux envers le prince de Condé. Y a-t-il d’autres moyens de
comprendre les volontés d’une femme de la noblesse vis-à-vis de l’autorité de
MazarinetdujeuneLouisXIVàl’époquedelarégence?Lesblessuresd’amour-
propre de la noblesse, princes et princesses par rapport à la progression de
l’autoritéroyalequi lesdépouille deleur pouvoirpolitiquesont-elles lacause ?
L’iconographie de l’époque représente la Grande Mademoiselle combattante, à
cheval, signe que sa révolte a été admise comme légitime bien qu’inacceptable
parlepouvoirroyal.
Les femmes instrumentalisent les salons afin d’y affirmer leur droit à la
considération, mais aussi leur indépendance et leur goût du savoir. Elles
recrutentdansdesmilieuxpluslargesqueceluidelanoblesse,etinsistentsurle
refusd’un mariagequi neseraitpas d’inclination.La maternitéleurparaît être
bien aliénante. C’est l’époque ou Madeleine de Scudéry écrit le roman-fleuve
Artamène ou le Grand Cyrus. Les personnages de ce roman à clé ont
apparemment une correspondance avec des personnages réels du temps de
l’auteure.Leursdébatsconcernenttouslestraitsdelapsychologieamoureuse.La
CartedeTendreenestissue.
Lesprécieusesontchassélesmots«obscènes»,ellesontcherchédestermes
élégants,enontaussiinventé.Maisilseraitinjusted’imaginerleursdialoguesà
l’identiquedeceuxdelapiècedeMolièreLesPrécieusesridicules(1659).Sonbut
n’était-il pas de faire rire le public ? Dans les Femmes savantes (1672) Molière
caricatureaussileurcuriositépourlaconnaissancedessciences.C’étaitpourelles
un atout nécessaire à leur émancipation, aussi leur fallait-il passer par
l’acquisitiondusavoir!
Aprèsl’art dela conversationlesfemmes s’attaquentà l’écriture:elles osent
créer.Orbiendesgenreslittérairesrestaienthorsdeportéedeces«débutantes».
Il faut oser écrire, n’avoir personne à ménager, pas de situation sociale à
sauvegarder. En dehors des manuels de dévotion, que pouvaient écrire les
femmes?Deslettrescertesmaisquin’étaientpasdestinéesàpublication.Pour
une femme il n’était guère admissible de voir son nom dans une publication.
MadeleinedeScudéryécrivitsespremiersouvragessouslenomdesonfrère.Des
femmesauteuressecachèrentsousdesnomsd’emprunt,ouchoisirentderester
dans l’anonymat, comme ce fut le cas pour Madame de La Fayette. D’autres
femmes se découragèrent d’écrire, tant les charges familiales, les enfants, les
maladiesduesauxgrossessesrépétéeslesépuisèrent.
Il y eut trois générations de précieuses. À partir de 1608, Catherine de
Rambouillet,dansla«chambrebleue»tientunsalonlittéraireàParis.Salontrès
brillant,oùlesinvitésrencontrentsafilleJulie(1607-1671),enl’honneurdequi
fut composée « La Guirlande de Julie », jusqu’au mariage de cette dernière.
Àpartirdecettedate,lesaloncommençaàdécliner,etlamortdupoèteVincent
Voitureen1648provoquasafin.
Son salon a exercé une grande influence sur la langue française et sur la
littérature du temps. Les réunions de la « chambre bleue » ont joué un rôle
importantdanslerenouvellementduvocabulairefrançais.
De 1620à 1625 le salonle plus en vogue estcelui de Madame deSablé. Les
habitués en sont Madame de Clermont, Madame Paulet, cantatrice et
musicienneaucharmeéblouissantetlesprécieuxMonsieurVaugelas,auteurde
«Remarquessurlalanguefrançoise,utilesàceuxquiveulentbienparleretbien
écrire » chargé du dictionnaire de l’Académie, Monsieur Segrais académicien
français. Avec son amie la comtesse de Maure future duchesse d’Uzès, elle
s’établit Place Royale, à Paris, où elle ouvre un salon littéraire qui permit au
moraliste François de La Rochefoucauld de créer un nouveau genre littéraire
illustré par ses Maximes. Elle-même en composa avant même celles de La
Rochefoucauld.
De1625à1648:MadeleinedeScudéry,surnomméeSapho,d’aprèslapoétesse
Sappho,estunehabituéedel’hôtel deRambouilletavantd’ouvriren1652,son
propresalonlittéraire,quiseréunitdansLeMarais,d’abordrueduTemple,puis
rue de Beauce. La plupart des célébrités de l’époque, Madame de La Fayette,
Madame deSévigné, et les Montausier, La Rochefoucauld,Conrart, Chapelain,
PomponneetPellissonhonorèrentrégulièrementles«samedisdeMademoiselle
deScudéry»deleursconversationséruditesetgalantes.
De1648à1665:aprèsavoirfréquenté,danssajeunesse,la«chambrebleue»,
Madame de Lafayette, née Marie-Madeleine Pioche de La Vergne ouvre avec
succès son propre salon littéraire dans son somptueux hôtel particulier rue de
Vaugirard(Cahier-images,Pl.III).MadamedeSévigné,entretientavecMadame
de Lafayette et le duc Françoisde La Rochefoucauld une amitié littéraire et de
cœur. Sa correspondance est notée « du faubourg » lorsqu’elle provient de la
demeuredeMadamedeLafayette,ou«ducabinet»lorsqu’ellessontécriteschez
leducdeLaRochefoucauld.MadamedeSévignéaffectionnaitparticulièrement
lefaitque,danslasociétédesesdeuxamis,onappréciebeaucoupsafille.
AvecleducdeLaRochefoucauld,ellediscutedemaximes,carelleaprisgoût
d’en composer elle-même. Chez le duc de La Rochefoucauld, ils lisent en petit
comité les fables et les contes de La Fontaine très appréciés par Madame de
Sévigné.
N’endéplaiseà Molière,lapréciosité esttoutsauf ridicule! Sonraffinement
est une rébellion contre le machisme d’une société qui se complaît dans la
fourberie et la violence. Chassées du champ politique après la répression de la
«Fronde»,lesprécieusesexercentleurlibertédepenséedanslessalons.

L’ARTDELACONVERSATIONETDEL’ÉCOUTE
Lapratiquedel’artdelaconversationcommenceparl’écoutedesautres:«on
ne cherche pas à avoir raison ni à écraser l’adversaire ». Elles préconisent la
maîtrise de soi, « l’esprit de joie » et « la paix civile ». Leurs valeurs sont la
bienveillance,lacourtoisieetlatolérance.
Elles appellent de leurs vœux une société où règne l’égalité entre femmes et
hommes. Mariages arrangés et maternités forcées sont voués à l’exécration. La
possibilitédumatronymatdanslemariageetl’acceptationdel’unionlibrefont
partiedeleurvisiond’unesociétélibre.Enréactionaumachiavélismequirègne
àlaCour,lesprécieusesmettentaupremierplandeleursexigences,vis-à-visde
leursinvitésfemmeset hommes,lasincéritédes sentiments.Dansl’ouvragede
MadeleinedeScudéry,Clélie,en1654,l’autriceaélaboréenaccompagnementde
sonrécit LaCartede Tendre.Elle créeunereprésentation topographiquedela
conduite et de la pratique amoureuses. Il s’agit d’aller de la ville de Nouvelle-
Amitié à la ville de Tendre. À partir de la rencontre initiale, trois voies sont
offertes : la plus rapide, au milieu, conduit au désastre ; celles qui, de part et
d’autre,l’encadrent,assurentlasoliditédes lendemains(sil’onnes’échoue pas
sur l’écueil Orgueil). Entre la Mer d’Inimitié et le Lac d’Indifférence, le fleuve
Inclination mène tout droit à la Mer dangereuse et aux Terres inconnues. Les
précieusesestimentquelescomportementsamoureuxfaçonnentlasociété.Dans
lesréunionsdecessalons,ilssontsujetsàdébats:«lescasd’amour….»quisont
un lointain écho des Cours d’amour du Moyen Âge. Elles estiment que l’art
d’aimerestunartdeparler.Ellesévoquentaussilefaitquel’artdeparlerestun
artdevivreensemble.
Le salon de Madame de La Fayette devient, dans le quartier de Vaugirard,
aprèsledéclindeceluideMadamedeRambouillet,unlieuprivilégiéd’échanges
desprécieuses.
Marie-MadeleinePiochedelaVergneestnéeàParisen1634.Elleestlafille
d’Aymar de La Vergne, et de Marie de Péna, elle-même issue d’une ancienne
lignée de Provence. Dans cette famille l’amour des lettres et la culture se
transmettent par tradition. M. de la Vergne dirige lui-même l’éducation de sa
fille.Ilignorelespréjugésdel’époque,etfaitétudieràsafillelegrecetlelatin.
GillesMénageetVincentdeSegraisfurentsesprécepteurs.En1655ellesemarie
aveclecomteFrançoisdeLaFayette.Elles’établitàParisen1659.MadamedeLa
Fayetteouvre sonsalonlittéraire ruede Vaugirarddansl’esprit decequi avait
fait la renommée du salon de Mme de Rambouillet. Elle devient la dame
d’honneurd’Henrietted’Angleterreàlacour(celle-ciestlapremièreépousede
Philippe deFrance, duc d’Orléans). Madamede la Fayette est l’amieintime de
MmedeSévignéetdeFrançoisdeLaRochefoucauld.
Commeécrivaine,madamede LaFayetteestconnue pardeuxouvrages: La
Princesse de Montpensier en 1662 et La Princesse de Clèves en 1678. L’autrice
décrit dans la Princesse de Clèves la situation et l’atmosphère de la cour
itinéranted’HenriII:
« L’ambition et la galanterie étaient l’âme de cette cour, et occupaient
également les hommes et les femmes. Il y avait tant d’intérêts et tant de
cabales différentes, et les dames y avaient tant de part que l’amour était
toujoursmêléauxaffairesetlesaffairesàl’amour.Personnen’étaittranquille
ni indifférent : on songeait à s’élever, à plaire, à servir ou à nuire. On ne
connaissaitnil’ennui,nil’oisiveté,etonétaittoujourspréoccupédesplaisirs
oudesintrigues».
L’espritdessalonsaeuuneinfluencesuruneélitemasculinedontfaitpartie
FrançoisPoullaindeLaBarre.Cephilosophe,acquisàladoctrinedeDescartes,
suivit un cursus de théologie. Consacré prêtre, il se convertit au calvinisme et
passeenSuisseaumomentdelarévocationdel’éditdeNantes.En1673,ilfait
paraîtreanonymementDel’égalitédesdeuxsexes,discoursphysiqueetmoraloù
l’onvoitl’importancedesedéfairedespréjugez,oùildémontrequel’inégalitéde
traitementquesubissentlesfemmesn’apasdefondementnaturel,maisprocède
d’un préjugé culturel. Il préconise que les femmes reçoivent une véritable
éducation mais aussi de leur ouvrir toutes les carrières, y compris les carrières
scientifiques.

ENDEHORSDESSALONS,DESFEMMESÉDITRICES
ETJOURNALISTESSONT-ELLESCONNUESÀCETTEÉPOQUE?

En France, en 1631 le premier journal, la Gazette, est créé à Paris. Son
fondateur, Théophraste Renaudot, a signé avec le pouvoir royal un accord de
privilège à monopole. Ce dernier lui permet, en exclusivité, de publier, sous
réservedesesoumettreàlacensuredupouvoirroyal.Cetyped’accordimpose
donc d’imprimer hors du royaume toutes les publications similaires
concurrentes.Ledynamismedel’éditionnéerlandaiseetl’accueilfavorabledont
bénéficient aux Provinces-Unies les protestants français exilés à la suite de la
révocation de l’édit de Nantes provoquent une multiplication des gazettes de
languefrançaisepubliéesauxProvinces-Uniesàpartirdesannées1680.Unedes
premières journalistes françaises connue est Anne-Marguerite Petit Dunoyer
(néeen1663),protestantevenuedeNîmesquiromptavecsonmariets’installe
auxProvinces-Uniesoùelleélèvedifficilementsesfilles.Aprèsdiversreversde
fortune elle devint rédactrice du journal La Quintessence des nouvelles,
historiques,critiques,politiques,morales etgalantes,en1711.La publicationbi-
hebdomadaire,traitaitdiverstypesdesujetssansomettredesrécitsde fictions.
Ses deux objectifs étaient d’informer et de distraire mais aussi de donner des
nouvellesde«lacour».
Hormiscesjournauxcontestatairesimprimésàl’étranger,pendantlafronde,
quelques écrivaines participent à des publications contestataires du pouvoir
royal. Parmi les titres qui ont fait l’objet d’archives, on connaît La Gazette des
Halles, Le Babillard et la Gazette de la Place Maubert. Ces publications
s’adressent à un large public,très populaire et au monde des commerçants. Ils
disparurentlorsquel’échecdesdiversépisodesdelafrondefutconsommé.

DESFEMMESDEPOUVOIR:POLITIQUE,MÉCÉNAT,INSTITUTIONSRELIGIEUSES
LeXVIIe,commelessièclesquileprécédèrent,connutdesreinesouprincesses
du sang qui jouèrent un rôle de premier plan dans la vie du pays. Ce siècle
connutdeuxrégences:celledeMariedeMédicisàlasuitedel’assassinatduroi
HenriIV(1610-1614),puiscelled’Anned’AutricheàlamortduroiLouisXIII
(1643-1651).
C’est à la veille du départ d’Henri IV en mai 1610 pour la guerre contre les
EspagnolsqueMariedeMédicissonépouseobtientd’êtrecouronnéereineenla
basilique Saint-Denis. Cette reconnaissance lui donne toute légitimité pour
veiller à l’éducation de son fils aîné le dauphin Louis futur Louis XIII, âgé de
9 ans. Peu après intervient l’assassinat d’Henri IV par Ravaillac et les
contemporains ne manquèrent pas de porter leurs soupçons sur la reine
imaginant qu’elle aurait pu participer à un complot destiné à lui permettre de
s’emparerdupouvoirsuprême.Devenuerégente,MariedeMédicisnegardeque
quelquetempslesconseillersduroi.Sasituationestfragilefaceàlanoblessedu
royaume. Elle choisit une politique de rapprochement avec le royaume
d’EspagnecequiinquiètelesprotestantsduroyaumeàquiHenriIVavaitgaranti
lapaix civilepar l’Éditde Nantesde 1598.La régentes’appuiesur desproches
venus d’Italie ce que n’apprécient pas les princes du sang, dont la famille de
Condé.LareineconvoquelesétatsgénérauxàParisen1614.L’étatdesfinances
du royaume nécessite que des décisions soient prises à la veille de la majorité
officielle de son fils. Le prince de Condé tente sans succès d’organiser
l’oppositionaupouvoirdelarégente.LouisXIIIdevenuroigardesamèredans
le conseildu roi. Elle en prend latête. En novembre 1615 a lieule mariage de
LouisXIIIavecAnned’Autriche.DanscecontexteleprincedeCondéréussità
entrer au Conseil du roi mais peu après il menace à nouveau de soulever la
noblessecontrelepouvoirroyaletlaRégentelefaitemprisonner.Peuaprèselle
faitnommerRichelieusecrétaired’ÉtatpourlaguerreetlesAffairesÉtrangères.
LouisXIIIfinitparécartersamèredupouvoirlorsd’uncoupd’Étaten1617.La
régenteestexilée àBlois.Ellene renoncepaset seménageleconcours duduc
d’Épernon pour s’échapper de Blois, aller se réfugier à Angoulême où elle
provoqueunsoulèvementcontreleroi.Unenégociationentreleroietsamère
est organisée par l’entremise de Richelieu qui aboutit à un armistice de courte
durée. À nouveau, Marie de Médicis tente de soulever les princes contre
Louis XIII. Après un temps d’exil la reine obtient de revenir à Paris et avec
l’appui de Richelieu elle se réconcilie avec le roi. Voyant la puissance
grandissanteduministreauprèsdusouverain,elletentedel’évincersanssuccès.
AprèslajournéedesDupes(novembre1630),MariedeMédicisestcontraintede
seretirerdelascènedupouvoir.Leroil’exileauchâteaudeCompiègne.Delà
ellefuitàBruxellesettentedeserapprocherdelacourdesPays-Basespagnols.
Elle se rend ensuite auprès de ses filles en Angleterre puis en Allemagne dans
l’espoirde trouverdesappuis politiques.Réfugiéeà Cologne,dansune maison
prêtéeparlepeintrePierre-PaulRubens,Mariemalademeurtenjuillet1642.Sa
dépouilleesttransféréeàlabasiliqueSaint-Denis.
La régente avait exercé un mécénatartistique ambitieux et avait mis sous sa
protection des artistes, architectes, sculpteurs, peintres et des lettrés. Elle avait
fait décorer ses appartements au château de Fontainebleau, commandant au
peintre d’Anvers Ambroise Dubois des peintures sur le thème des Éthiopiques
d’Héliodore et d’autres évocations mythologiques pour la galerie du château.
ÀParisaupalaisduLouvrelareineavaitfaitdécorerunvasteappartementpar
des peintures sur le thème de la Jérusalem délivrée d’après le récit du Tasse.
MariedeMédicisorganiseunvastechantieràParis:laconstructiondupalaisdu
Luxembourg dont les plans sont dessinés par l’architecte Salomon de Brosse.
L’influence italienne y est marquée : le lanternon central entouré de deux
pavillons est inspiré du Palais Pitti de Florence. La régente fait venir à Paris
plusieurs artistes pour la réalisation des peintures du Palais du Luxembourg.
GuidoRenietGiovanniBaglioneexécutentdescommandesdetableauxreligieux
etdetableauxauxthèmesmythologiques.EllecommandeàRubensuncyclede
peinturesursavie(cetensembleestactuellementconservéaumuséeduLouvre).
LessculpteursGuillaumeBerthelotetChristopheCochetœuvrentaupalais,des
peintresparticipentauxdécors:PhilippedeChampaigne,SimonVouetrevenu
de Rome. La régente fait aménager un vaste jardin autour du Palais du
Luxembourg,ilestdessinéàl’italienne,inspirédesjardinsBoboli,agrémentéde
fontaines,d’unegrotteetplantédedeuxmilleormes.
LareineAnned’Autrichedevientrégenteenmai1643,leroiLouisXIIIvient
demouriretlecardinaldeRichelieuavaitdisparuendécembre1642.Leroiavait
organisé au préalable par testament un Conseil de régence qui comportait
«Monsieur»,GastondeFrance(frèreduroi)etHenrideCondé,premierprince
du sang. Ils devaient être assistés de plusieurs ministres dont Mazarin et le
chancelier Séguier. Quelques jours après le décès du roi Anne d’Autriche
appuyée par le chancelier convoque le Parlement de Paris et fait casser le
testament de Louis XIII, car il limitait ses prérogatives en tant que régente
pendantlaminoritédesonfilsLouis.
La Régente part s’installer au Palais Cardinal pour profiter des jardins
aménagés (cet édifice devient par la suite le Palais Royal). Anne d’Autriche
nomme pour ministre Mazarin et elle décide de poursuivre la guerre contre
l’Espagne. Plusieurs cabales se succèdent contre la régente. Cependant elle fait
confiance à la politique étrangère de Mazarin dirigée contre la puissance de la
Maison d’Autriche. Elle confie à Mazarin l’éducation politique et militaire du
futur Louis XIV. Les mécontentements et les révoltes se succèdent dès 1649.
DevantledangerimminentAnned’AutricheetledauphinLouisquittentPariset
se réfugient au château de Saint-Germain-en-Laye. Le prince de Condé et son
arméesontchargésd’investirla capitale.L’apaisementest obtenudifficilement,
mais la révolte des princes n’a pas fini de gronder. La régente continue de
soutenir son ministre Mazarin en dépit de la campagne de pamphlets à son
égard.
Enseptembre1651ledauphinLouisatteintl’âgedetreizeans,lamajoritélui
est reconnue et la reine remet les pouvoirs régaliens à son fils. Ce dernier lui
demandede rester au Conseil.La reine quitte la viepolitique après la mortde
Mazarinen1661.Anned’Autricheseretirealorsassezsouventàl’abbayeduVal-
de-Grâce.Ellemeurten1666.DescontemporainscommeMadeleinedeScudéry
exprimèrentleuradmirationpoursonactionetsoncouragependantlarégence
etfaceàlafronde.
Un autre contemporain François de La Rochefoucauld fait référence à la
beauté de la reine. Il avait assisté à la rencontre d’Anne d’Autriche, dans un
contexte diplomatiqueen 1625, avec leduc de Buckingham en Francelors des
préparatifsdumariaged’HenriettedeFranceavecleroiCharlesIerd’Angleterre.
LemémorialisteécrivitàMmedeChevreuseàproposdel’ambassadeuranglais
quelareine«luiparutencoreplusaimablequesonimaginationneluiavaitpu
représenter,etilparutà lareinel’hommedumondele plusdignedel’aimer.Ils
employèrent la première audience de cérémonie à parler d’affaires qui les
toucheraientplusvivementquecellesdesdeuxcouronnes».Lesrumeursallèrent
bontrainàlacour.AuXIXesièclel’écrivainAlexandreDumasmitenscènecet
amour secret dans son roman Les Trois Mousquetaires et bâtit l’épisode des
ferretsdediamantsdelareinedonnésàBuckingham.

L’ÉGLISECONFIECERTAINESRESPONSABILITÉSCARITATIVESÀQUELQUESFEMMES
DEL’ÉLITE

Ces deux reines du XVIIe siècle ont tenu entre leurs mains le destin du
royaume pendant des années difficiles. Leur talent politique n’atteint pas le
niveaudeceluideCatherinedeMédicis,maisonleurdoitd’avoirsudistinguer
chezRichelieu,puischezMazarinlescompétencesindispensablesàlaconduite
d’unepolitiquenécessitantfermetéetsubtilité.L’Églisesemontreaussicapable
de confier de hautes responsabilités à quelques femmes de qualité. Les ordres
religieuxont,àcetteépoque,uneplacesocialedéterminante.Lescommunautés
de sœurs accueillent tous les ans des filles de familles aristocratiques qui, ne
pouvant prétendre à un mariage flatteur pour leur famille entrent en noviciat,
puis prononcent les vœux qui les font entrer définitivement dans la vie
contemplative dans l’observance des vertus théologales chrétiennes : foi,
espérance et charité. Cette dernière a été codifiée au XIIe  siècle : nourrir les
affamés,désaltérerlesassoiffés,vêtirlesdémunis,soignerlesmalades,visiterles
prisonniers, enterrer les morts. Ces six formes de don charitable sont une
obligationpourtousleschrétiens.Certainsordresreligieuxseulementinscrivent
cesdevoirsdansleursrègles.LesdébatsduConciledeTrente,àlademandedes
protestants, ont concerné pour partie la question du salut et de la grâce.
L’homme est-il sauvé par la grâce de Dieu s’il secourt charitablement son
prochain ? Défiée par les protestants sur un terrain d’action potentielle qu’elle
avaitcrééetlaisséenfriches,l’Églises’intéresseànouveauausujetdelacharité
quel’ondoitexercerauprofitdesplusdémunis.Celaexpliquequ’àcetteépoque
où les guerres incessantes ajoutées à une injustice sociale millénaire ont créé
beaucoupdedémunis,deuxordrescaritatifsaientfaitleurapparitionetsesoient
développés rapidement. Plus remarquable encore, ils doivent leur
développement à deux femmes que l’Église canonisa par la suite : Louise de
MarillacetJeannedeChantal.Deuxhommesfurentinitialementleursmentors
spirituels. Vincent de Paul pour Louise de Marillac, François de Sales pour
JeannedeChantal,saventvoirencesdeuxfemmeslaforceprodigieusequeleur
donnent lafoi et l’autorité qu’elles-mêmesne se seraientpas crues capables de
déployer.
LouisedeMarillac,ainsiquenousl’avonsvuplushaut,estuneenfantbâtarde
que son pèremet en pension au monastère royal Saint-Louisde Poissy où elle
étudiesousladirectiondesatantequiluidonneuneéducationdéjàempreinte
de valeurs humanistes. À la mort de son père, Louise est confiée à son oncle
MicheldeMarillac,gardedesSceaux.IlladonneenmariageàMichelLeGras.
Devenueveuve,ellerencontreVincentdePaul,alorsengagédansdesmissions
oùilprêchel’engagementauprèsdespauvres.Àl’issuedecesmissionssecréent
des confréries de Charité qui réunissent des dames de la noblesse ou de la
bourgeoisie qui consacrent une partie de leur temps et de leurs revenus au
soulagementdelamisèredutemps.L’efficacitédel’actiondecesconfrériesest
limitéeparlapartialitédel’engagementdecesfemmes.LouisedeMarillacdécide
en1633,deréunirsoussontoitdesjeunesfillespourlesformerauxactionsde
charitéenverslespauvresauxquellesellesconsacrerontleurvie.C’estledébutde
lacompagniedesFillesdelaCharité,premièrecongrégationféminineàobtenir
d’échapper à la règle de la clôture. Monsieur Vincent confie la direction de la
congrégation à Louise de Marillac. Elle installe de nouvelles communautés
partout où cela est nécessaire, dans près de trente villes de France, ainsi qu’en
Pologne. Le développement de l’œuvre continua après la disparition des
fondateurs.
Jeanne de Chantal, comme Louise de Marillac a été mariée. Jeune veuve de
28 ans et mère de quatre enfants, elle rencontre à Dijon l’évêque de Genève,
François de Sales. La richesse et la fréquence de leurs échanges la poussent à
venir s’installer près de lui. À sa demande, elle accepte de diriger un groupe
ouvert à toutes les femmes, même à celles qui, pour des raisons d’âge ou
d’infirmitéétaientrefuséesdanslesordresmonastiques.FrançoisdeSaleschoisit
le nom de « Visitation » pour deux raisons. L’humilité de Marie qui, lors de
l’épisodeévangéliquedelaVisitation,oùlaViergeMarie,enceinteduChrists’en
va aider sa cousine Élisabeth âgée et enceinte de Jean-Baptiste. La seconde est
quelafêtedelaVisitation(le2juilletàl’époque)«étaitpeusolennisée».
Le premiergroupe formé enjuin 1610 s’installe àAnnecy, dans les Étatsdu
duc de Savoie, dans une petite maison des faubourgs, dite la « maison de la
Galerie». La Communautéquitte en1611 la «maison de laGalerie »devenue
troppetitepouraccueillirplusdequatorzepersonnes.JeannedeChantaldécide
d’acquérirlamaisonNycollinvoisinedecelle-ci.Cependanttrèsvitel’affluence
des vocations conduit Jeanne de Chantal à chercher à ouvrir un deuxième
couvent.En1613estposéelapremièrepierred’unmonastèrenouveauàAnnecy.
Certainsauteursontsupposéquelesreligieusessont«visitandines»carlarègle
deleurcommunautéprévoitqu’ellesvisitentlesmaladesetlespauvrespourles
réconforter.
L’ordredelaVisitation,consacréd’abordàlavisiteetauxsoinsdesmalades
puis à la contemplation, comporte au décès de sa fondatrice en 1641, 87
monastèresdanstoutel’Europe.Aujourd’hui,ilregroupe3500visitandinesdans
135couventsrépartisàtraverslemonde.
Auseindel’Église,lesdeuxgrandesfondatricesd’ordrecharitablesnefurent
paslesseulesfemmesauxquellesdesresponsabilitésétenduesfurentconfiées.Les
abbessesdesordresimportantsdéjàenplaceétaient,commelesévêques,choisies
par le roi et confirmées par le Pape dans leurs fonctions. Ce choix prend une
importance particulière en cette période de contre-réforme. Beaucoup de
monastèressont la cible descritiques des protestantsen raison de la vielégère
sinondissoluequ’onymèneetilestessentielqu’ilss’amendent.LeroiLouisXIV
nommeen1670Marie-MadeleineGabrielledeRochechouartdeMortemartàcet
effet,àlatêtedel’abbayedeFontevraudetàlatêtedel’ordrequiyesthébergé.
Cet ordre, a essaimé et comporte plusieurs prieurés en France et même dans
certains pays étrangers. L’ordrea la particularité d’être mixte et dirigé par une
abbesse.SœurdeMmedeMontespan,Gabrielleavaitvécusonenfanceàlacour
et elle avait reçu une excellente éducation. Elle se passionnait pour les langues
anciennes et les langues contemporaines et sa vivacité d’esprit fut remarquée.
Elle orienta ensuite ses études vers la théologie, vers les textes des Pères de
l’Église et la connaissance des conciles. Elle décide de quitter la cour et de
consacrer sa vie à Dieu en prenant le voile en 1664. Louis XIV la nomme,
supérieuregénéraledel’abbayeroyaledeFontevraud,prochedeSaumur,oùelle
devaitprendreladirection delacommunautédes moinesenmême tempsque
celledelacommunautédesreligieuses.Elleremplitavecconscienceethumilité
les devoirs de sa charge. Son autorité s’exerçait sur l’abbaye-mère et sur la
cinquantaine de prieurés qui en dépendaient. Ceci incluait une gestion
économique de ce vaste ensemble patrimonial et des terres qui y étaient
attachées. Cependant Marie-Madeleine Gabrielle n’oublia pas ses études et
transforma Fontevraud en foyer de rayonnement intellectuel et culturel. Elle
traduisit les trois premiers livres de L’Iliade d’Homère et, avec Racine, Le
BanquetdePlaton.ElleentretenaitunecorrespondancerégulièreavecLouisXIV
qui l’avait surnommée« la perle des abbesses ». Il luigarda toute sa confiance
même après la disgrâce de Madame de Montespan. Gabrielle dirigea l’abbaye
jusqu’àsamortetfutinhuméeàFontevraud.
S’ilyaeudepuissantesabbessesreconnuesparlepouvoir,ilyenad’autres
quilecombattirentfarouchement,enparticulieraucoursdelapénibleaffairede
Port-Royal. Mère Agnès Arnauld à Port-Royal des Champs, abbesse de
l’isolement,delaméditationetdelaprièresuccèdeàsasœurAngéliquecomme
abbesse en 1658, lorsque celle-ci, épuisée par ses années d’orgueilleux défi au
pouvoirroyal,abandonnalafonctiond’abbesseetmeurten1661.Ellefutàlatête
du mouvement de refus de signature du « formulaire » de condamnation du
jansénisme que le pouvoir royal et le Pape demandent aux sœurs. Ce conflit
remonteàlafindelafronde.CertainsfrondeursdontladuchessedeLongueville
accordaientleurprotectionauxjansénistes.

ACCÉDERÀLACRÉATIONETAUXARTS
Siècle brillant pour le développement des arts, le XVIIe a consacré de
nombreuxtalents masculins.Peu de sourcesont été conservéessur desartistes
fémininesquiauraient,ellesaussi,méritéd’entrerdansl’histoire.Deuxfemmes
cependant ont laissé une trace de leur engagement et de leur talent exercé au
coursdusiècle.
La musicienne Élisabeth Jacquet est née en 1665 à Paris, où son père était
facteur de clavecins. Sensibilisé par les excellentes dispositions dont elle faisait
preuve,il luidonnaune éducationmusicalede qualité.Enfantprodige, ellefut
présentéeàlacouroùellejouasespremièrescompositionsmusicalesauclavecin.
Élisabeth épousa Marin de la Guerre, organiste à la paroisse Saint-Séverin de
Paris. Très tôt Élisabeth se distingua comme compositrice, claveciniste et
organiste. Elle est régulièrement invitée à se produire devant la cour de
LouisXIVoùsescompositionssontappréciées.Élisabethcomposadelamusique
profane et de la musique religieuse. Elle écrit des sonates pour clavecin, des
motetsmaisaussiunopéra-balletetinnovaenécrivantunecantate.Sonstylefut
influencé par le goût italien. La réussite de sa carrière est un cas exceptionnel
pourunefemme decetteépoquedans cedomaineartistique.Élisabeth Jacquet
de La Guerre est considérée comme l’une des premières femmes en France à
avoir composé un opéra-ballet, elle est reconnue pour ses compositions au
clavecin. Novatrice encore, comme dans la cantate, Élisabeth Jacquet de La
GuerrecompteparmilestoutpremierscompositeursdesonatesenFranceaux
côtésdesoncousinFrançoisCouperin,detroisanssoncadet.L’injusticequilui
est faite doit beaucoup à son instrument de prédilection, le clavecin dont le
destin fut brisé par la Révolution, puis par l’apparition du pianoforte puis du
pianoquiapportèrentunenouvelledimensionàlamaîtrisedelamusique.
À partirdu milieudu XVIIe  siècle,la reconnaissancede l’exercicedu métier
d’artistepasse,en France,parl’agrément àl’Académieroyale depeintureet de
sculpture, qui permet d’exposer au Salon, passage obligé de la reconnaissance
publique.
Cependant les femmes artistes ne sont pas autorisées à choisir des sujets
d’Histoire réservés aux hommes. Aussi, les femmes sont-elles cantonnées aux
artsd’agrément,lapeinturedefleursetlanaturemorte,etaumieuxauxgenres
ditsmineursduportraitetdelascènedegenre.Lesrarescasconnusconcernent
des filles, sœurs ou épouses d’artistes : en 1663, la première femme peintre
admiseàl’AcadémieestCatherineDuchemin(1630-1698),peintredefleurs,elle
futl’épousedusculpteurFrançoisGirardonquiétaitauserviceduroiLouisXIV.

«COUVREZCESEINQUEJENESAURAISVOIR!»
TARTUFFEFACEÀDORINE
LespersonnagesfémininsdanslethéâtredeMolièremettentsouventl’accent
surlesmœursdelasociétésousLouisXIV,sansomettrel’hypocrisiedupartides
«dévots»dontTartuffeestlacaricature.Lethéâtredecetteépoquerévèlepeude
choses de la vie quotidienne des comédiennes attachées soit aux troupes
ambulantes,soitauxcompagniesquiexercentdansdessallespermanentesselon
des privilèges liés à la ville concernée. Des contrats lient les acteurs et actrices
pour des durées données qui commencent souvent à la période du Carême et
pourl’annéeàvenir.Lescomédiensambulantsjouentsouventsurlepavéousur
destréteaux.
L’ouvrage de Scarron, Le Roman comique (1651) propose un récit en partie
burlesqueetbaroquesurlaviedescomédiensetcomédiennesdanslestroupes
itinérantes. Ce texte inspira Théophile Gautier pour la rédaction du roman Le
CapitaineFracasseen1863,maisdontl’actionsedéroulesousLouisXIII.
Peu à peu un rythme et des dates des spectacles de théâtre sont fixés à
l’occasiondesfoires.ÀParisilexistedeuxfoiresprincipalesdansl’année:lafoire
Saint-Germain(rivegauche,surdesterrainsdel’abbaye)–defévrieràPâques–
etlafoireSaintLaurent(rivedroite,surdesterrainsdesLazaristes,dansl’actuel
Xearrondissementprochedelagaredel’Est)–enétéetjusqu’enseptembre.Ces
foiressontdeslieuxdecommerce,marchandsetmarchandesvenusdetoutParis
etde la provincelouaient une boutiqueen bois ettoiles contre uneredevance.
Certaines des loges construites au-dessus des boutiques ou auprès des théâtres
éphémères étaient souvent utilisées comme lieux de débauche. Scarron note à
proposdelafoireSaint-Germain:«Foireoùl’onvendmoinsd’affiquetsquel’on
venddechairhumaine».Lesspectaclessedéveloppèrentdanscesfoiressuscitant
desconflitsentre lestroupeset provoquantparfoisdesprocès !Unefusion fut
réaliséeàParisparordonnanceduroien1680,entredeuxtroupesrégulières,la
troupe de l’hôtel de Bourgogne et la troupe de l’hôtel Guénégaud (troupe de
Molière,aprèssondécèsellefutdirigéeparLaGrange).Ilexistaitaussidessalles
privées,despersonnesaiséesrecevaientchezelles,dansleursalonetdonnaient
desspectacles.
Quelquescomédiennesdugrandsiècleontlaissédestraces.MadeleineBéjart
née en 1618 participa aux côtés de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière à la
fondation de l’Illustre Théâtre, en 1643. Elle fut la compagne de Molière et
appartint à toutes les troupes qu’il anima ou dirigea, et créa certains des
principauxrôlesfémininsdescomédiesqu’ilcomposa.GeorgesdeScudéry, un
contemporain,faitd’elleunportrait:
«Elleétaitbelle,elleétaitgalante,elleavaitbeaucoupd’esprit,ellechantait
bien;elledansaitbien;ellejouaitdetoutessortesd’instruments;elleécrivait
fortjolimentenversetenproseetsaconversationétaitfortdivertissante.Elle
étaitdeplusunedesmeilleuresactricesdesonsiècleetsonrécitavaittantde
charmes qu’elle inspirait véritablement toutes les feintes passions qu’on lui
voyaitreprésentersurleThéâtre.Cetteaimablecomédiennes’appelaitIébar»
(anagrammedeBéjart).
M lleDuParccomédiennefrançaise,néeen1633,rencontraMolièreàLyonet
fitpartiedesatroupede1653à1667,avantdepasseràl’HôteldeBourgogneoù
elle créa le rôle-titre de la tragédie de Jean Racine : Andromaque. Marie
Desmares,ditelaChampmeslé,néeen1642,intégral’HôteldeBourgogneetse
fit remarquer dans des rôles de tragédie. Racine écrivit pour cette actrice
plusieurs grands rôles féminins : elle joua Roxane dans Bajazet, Monime dans
Mithridate,lerôle-titredansIphigénie(1674)etPhèdredansPhèdreetHippolyte,
quifutsemble-t-ilsonplusgrandsuccès.Boileaul’aimmortaliséeparquelques
vers:
«JamaisIphigénieenAulideimmolée,
N’acoûtétantdepleursàlaGrèceassemblée
Quedansl’heureuxspectacleànosyeuxétalé,
EnafaitsoussonnomverserlaChampmeslé».
Le talent des comédiennes et des comédiens n’empêchait pas l’Église de les
écarter de la vie de la société par l’excommunication et de leur refuser une
sépulturechrétiennecommeàtoutlepersonnelduthéâtre!Richelieucependant
s’étaitmontréfavorableauxspectaclesdethéâtre,maislasituationsedurcitsous
Louis XIV, lorsque Bossuet publia en 1694 des « Maximes et réflexions sur la
comédie », son hostilité eut une influence sur la pratique de la plupart des
évêques dans leur diocèse. La Bruyère notait avec un trait d’humour qu’il lui
semblait«bizarre»devoir« unefouledechrétiensdel’unetl’autresexequise
rassemblent à certains jours dans une salle pour y applaudir à une troupe
d’excommuniés ! » La situation évolua en s’assouplissant dans le courant du
XVIIIesiècle,maislaquestiondesfunéraillesdemeuraitsouventunobstacle,sile
comédien ou la comédienne n’avait pas fait un acte de renonciation à sa
profession.
VoirEncadrén°2
Femmesdeministres,viequotidienneetobligations
VoirEncadrén°3
LespersonnagesfémininsdanslethéâtreduXVIIesiècle
CHAPITRE3

LESFEMMESAUXVIIIESIÈCLE:
LETEMPSDESREMISESENQUESTION

LES«LUMIÈRES»ETLERENDEZ-VOUSMANQUÉAVEC
LESFEMMES.LARÉVOLUTIONDE1789,RUPTURESET
ESPOIRS

«Ilestnécessairequelesfemmespartagentl’instructiondonnéeauxhommes[…]Parcequeledéfaut
d’instructiondesfemmesintroduiraitdanslesfamillesuneinégalitécontraireàleurbonheur.D’ailleurs
onnepourraitl’établirpourleshommesseulssansintroduireuneinégalitémarquée,nonseulemententre
lemarietlafemmemaisentrelefrèreetlasœuretmêmeentrelefilsetlamère;or,rienneseraitplus
contraireàlapuretéetaubonheurdesmœursdomestiques.L’égalitéestpartout,maissurtoutdansles
familles,lepremierélémentdelafélicité,delapaixetdesvertus.Quelleautoritépourraitavoirla
tendressematernelle,sil’ignorancedévouaitlesmèresàdevenirpourleursenfantsunobjetridiculeoude
mépris?»
NicolasdeCondorcet,inCinqmémoiressurl’instructionpublique,1791

En 1715 après la mort de Louis XIV le royaume comporte 28 millions
d’habitants,lamonarchieabsolues’achèvesurunalourdissementdelasituation
politiqueintérieureetextérieure.
Face aux dépenses successives des guerres dont celle de la succession
d’Espagne,desimpôtsnouveauxontétécréés:lacapitation(impôtsurlerevenu
qui touche toute la population fixé en fonction du revenu estimé de chaque
individu)en1695etleDixièmeen1710(quiportesurtouslesrevenusmobiliers
et immobiliers et aussi sur les offices. C’est un impôt sur les revenus de la
fortune).Cependantune partiedes privilégiés,pardivers typesde manœuvres,
réussissent à échapper à l’impôt.Le royaume est frappé par une grave crise de
subsistancesen1709/1710àlasuited’unhiverparticulièrementrigoureux.Une
autre tragédie de ce type avait pesé sur la population en 1693/1694 faisant des
milliers de victimes avec la disette puis la famine qui provoquent une forte
mortalité.Cettelonguepériodeestaussimarquéeparunecrisemonétaire,l’État
pratiquedesmutationsdelamonnaieenretirantcelle-cidelacirculationeten
diffusant de nouvelles pièces de même valeur nominale mais dont le poids de
métalestdiminué.Lalivretournoisquicirculeperduntiersdesavaleurmétal
entre1686et1710.

L’AUTOMNEDELASOCIÉTÉDESTROISORDRES:
PREMIÈRESFISSURES

Lesrègleshiérarchiquesetle fonctionnementdelasociétéaristocratiqueont
étéfixésetencadrésparLouisXIVdansl’organisationdelacourdeVersailles.
Montesquieu observe dans son ouvrage Les Lettres persanes (1721), critique
déguiséedelamonarchieabsolue:«Leprinceimprimelecaractèredesonesprità
lacour,lacouràlaville,lavilleauxprovinces»(L.XCIX).
LouisXIV dans lesdernières annéesde son règnelutte contrele jansénisme
qui,au-delà d’un sujetpropre au christianisme,a revêtuun caractère politique
malgrésacondamnationpar labulledu Pape(Unigenitusen1713). Cettecrise
déstabilisel’ÉglisedeFrance.
À la mort de Louis XIV en 1715, le pouvoir est confié au Régent Philippe
d’Orléans qui doit prendre en main le sort du royaume en attendant que
l’arrière-petit-filsduroi,ledauphinLouis,orphelin(futurLouisXV)néen1710
puisseaccéderaupouvoir.Lerégentfaitpreuvedepragmatismeetd’habileté.Il
organiselapolysynodie:cemodedegouvernementcomporteseptconseilsqui
assistentlerégentetformentdesministèrescollégiaux.Pendantcetempslefutur
Louis XV bénéficie de l’éducation qui lui est donnée par son précepteur, le
cardinaldeFleury.LeRégenttentedesortirdelacrisefinancièreduroyaumeet
s’appuiesurlesidéesdel’écossaisJohnLaw.LabanqueetlacompagniedesIndes
que crée ce dernier s’effondrent en 1720, après avoir connu un grand succès.
JohnLawconsidèrequelaquantitéd’ordisponibledansleroyaumen’estpasune
richesse en soi, mais un instrument au service du commerce. Précurseur de la
financemoderne,ilpréconiseunemonnaiepapierdontlevolumeestajustésur
lavaleurdelamassedecontratscommerciauxencours.L’idéeestpertinentecar
le volume de la monnaie métal est lié à la production des mines de métaux
précieux. Quand celle-ci est trop faible pour un commerce en cours de
développement rapide, on entre dans une crise des paiements et un envol des
tauxd’intérêtdel’empruntquisusciteunfreinagedel’économie.Danslemême
tempsLawcréelaCompagniedesIndesetlafinance,làencore,pardupapier,
nonplusdesbilletsdebanquecettefois,maisdesactions.Ilal’imprudencede
mettre en route simultanément la banque et la compagnie. Avant que cette
dernière n’ait eu le temps d’engranger les profits de son activité, un vent de
paniquepousseles clientsdela banqueàdemander l’échangedeleur monnaie
papiercontredelamonnaieor.Lenuméraireordelabanqueaétéabsorbépar
lesfraisdecréationde lacompagnie.Lawestobligédereconnaître qu’ilesten
défautdepaiement:lesystèmeestenétatdebanqueroute.
Le fonctionnement de la polysynodie ne donne pas satisfaction et reçoit les
critiques du parlement de Paris. À la même période une tentative de complot
émanantd’ungrouped’aristocrates,viseàéliminerdupouvoirleRégent.Dansle
domaine de la politique extérieure, la paix d’Utrecht est signée tandis qu’un
rapprochement avec le royaume d’Angleterre est esquissé. Le très jeune roi
LouisXVarriveaupouvoiren1723,samajoritéofficielleaétéproclaméeàl’âge
detreizeans,lorsdu«litdejustice»duParlementdeParis.
Lesouverainrestesousl’influenceducardinalFleury.Cedernierdoitmettre
un terme aux troubles provoqués par les jansénistes. L’affaire n’est pas simple
d’autant que beaucoup de prêtres des quartiers centraux de Paris sont des
«sympathisants»jansénistesetqu’ils onttransmisàlapopulationlocalela foi
danslesdogmesdecemouvement,enparticulierlacroyancedanslesmiracles,
signesdelavolontédivine.Undiacredecettemouvance,lediacrePârismeurten
1727. On l’enterre au cimetière St-Médard où sa tombe devient un lieu de
pèlerinages.Aucoursdecesderniers,desmanifestationsexaltéesdelafoisont
source d’agitation convulsionnaire. Dans cet environnement passionnel, des
miracles présumés se déroulent sur la tombe du diacre Pâris. Le phénomène
prendunetelleampleurquelesautoritésreligieusess’émeuvent,puislepouvoir
politique.Lemouvementestinterdit,ilentredanslaclandestinitémaiss’étendà
plusieursvillesdeprovince.
Dans le domaine de la politique extérieure le décès du roi de Pologne et
électeurdeSaxeAugusteIIen1733amèneleroyaumedeFranceàsedéclarerau
sujet de ce trône électif vacant, afin de contrecarrer l’influence russe. Cette
questionsuscitelesintérêtsdeplusieursétatseuropéens.LouisXV,âgédequinze
ans,aépouséMarieLeszczynska,en1725.ElleestlafilledeStanislasLeszczynski
roidePolognede 1704à1709.La royautéde Pologneestuneroyautéélective.
Deuxcandidatss’opposentpoursuccéderauroiAugusteII:sonfils,FrédéricII-
Auguste, devenu électeur de Saxe par hérédité, et Stanislas Leszczynski. Le
premierestsoutenuparlaRussieetl’Autriche,lesecondparlaFrance.Stanislas
Leszczynski est vaincu lors du siège de Dantzig par l’armée russe en 1734. Il
renonceformellementautrônedePologneen1736.
En 1740, avec la mort de l’empereur Charles VI archiduc d’Autriche, la
succession d’Autriche est ouverte. Charles VI a deux filles. Il règne sur les
possessions de la famille Habsbourg : l’archiduché d’Autriche, le royaume de
Hongrie,leroyaumedeBohême,lesPays-Bas(pourlapartieméridionaleissue
de l’héritage espagnol) et certains territoires italiens. Il est élu, comme cela est
d’usagedepuisplusieurssiècles,empereurduSaint-Empireromaingermanique.
Il est le second filsde Léopold Ier qui avait pris des dispositionstestamentaires
faisantdeluil’héritierdugrand-duchéetprévoyantques’iln’avaitpasd’enfant
mâle, les filles du frère aîné de Charles recevraient la succession par ordre
d’aînesse.Aprèslamortdesonpère,CharlesVIpassedixansdesavieànégocier
avecsesvoisinseuropéensuntraité,la«Pragmatiquesanction»,quimodifiele
testament de son père et fait de ses propres filles ses héritières potentielles. Sa
démarchedenégociationestdifficileàcomprendresionometlefaitquetoutes
lesfamillesrégnantesétant liéesparmariage, lesétatsvoisinspouvaient arguer
deliensdeparentépourprétendreàunesuccessionouverteàlatêted’unÉtat,
saufàcequeledéfuntsouverainaitunhéritiermâle.LaFranceavaitsigné,elle
avait reçu en remerciement de son acceptation le duché de Lorraine. Lorsque
Charles VI meurt en 1740, les états signataires de la « Pragmatique sanction »
oublientleursignature!L’Autricheestaffaiblie:lescaissesdutrésorsontvides
et l’armée est désorganisée. La nouvelle archiduchesse Marie-Thérèse, âgée de
23ans,estinexpérimentée.Lespayseuropéensquientourentlespossessionsde
l’archiduchéprofitentdecettefaiblessepourtenterdes’emparerd’unepartiede
ses territoires. L’archiduchesse veut aussi faire élire son époux, François de
Lorraine,àlatêtedel’Empireetpourcelaonattendqu’elle«achète»desvotes.
C’estjustementlaPrussequiouvreleconflitendemandantlaSilésieenéchange
d’un vote favorable. Comme l’archiduchesse hésite, la Prusse occupe
militairement la région. La France trouve un biais diplomatique. Elle ne
revendique aucune concession territoriale, mais elle soutient la candidature de
l’électeur de Bavière au titre d’empereur et se retrouve, de fait associée aux
prétentions territoriales de ce dernier. En 1741, un traité d’alliance contre
l’Autriche réunit la Bavière, la France, l’Espagne, la Prusse, l’électeur de Saxe,
l’électeur Palatin, l’électeur de Cologne. Des troupes françaises envoyées en
AllemagneetBohêmesontmisesàladispositiondel’électeurdeBavière.
L’AutrichereçoitlesoutiendelaGrande-Bretagne,desProvinces-Uniesetde
laRussie.LaGrande-BretagneetlesProvinces-Uniessontsurtoutmotivéespar
leur aversion pour le royaume de France. Pendant huit années, le centre de
l’Europe est le siège de multiples batailles au cours desquelles des territoires
changentplusieursfoisdemains. Lestroupesfrançaisesparticipentàcesluttes
souslecommandementdesBavarois.
En1744, le conflitse déplace.La Francedéclare la guerreà l’Angleterreet à
l’Autriche. La cible est cette fois les Pays-Bas autrichiens qui, après avoir
appartenuauxHabsbourgd’EspagnesontpasséssouslecontrôledesHabsbourg
d’Autriche. Louis XV est vainqueur à Fontenoy (1745). En 1746, il entre dans
Bruxelles. Sous les ordres de Maurice de Saxe, la conquête des Pays-Bas
autrichienscontinue,jusqu’auxfrontièresdesProvincesUnies.Lesecondtraité
d’Aix-la-Chapelle, conclu en octobre 1748 met fin à la guerre de Succession
d’Autriche.LaFrancerendàl’AutrichelesPays-Basautrichiens.
Autermedecettelongueguerredehuitans,laviedelacouràVersaillesest
cependantmarquéeparunamplemécénatartistique.LouisXVfaitrecevoiràla
cour Mme d’Étiolles marquise de Pompadour, femme cultivée qui exerce une
forteinfluencependantunevingtained’annéesetappuielesactivitésdesartistes
àlacour.C’estl’époqueoùLouisXVs’appuie,danssongouvernement,surson
secrétaired’Étatàlaguerre,Marc-Pierred’Argenson.Issudelanoblessederobe,
il a été le lieutenant général de police du Régent. À la mort de ce dernier,
d’ArgensonentredanslescommissionsduConseiloùilparticipeàlarédaction
des ordonnances civiles du chancelier d’Aguesseau. Le cardinal de Fleury le
nommedirecteurdelaLibrairie,puisprésidentduGrandConseil(1738-1740),
et intendant de Paris (1741). Il est nommé ministre d’État en 1742, puis
secrétaired’ÉtatdelaGuerreen 1743,puissurintendantdespostesetrelais de
France en 1744. L’armée lui doit les réformes majeures qui lui ont permis de
s’illustrerdanslesguerresquiontprécédélapaixd’Aix-la-Chapellede1748.On
doitàsapassionpourl’arméelacréationdel’Écolemilitaire,etduChamp-de-
Mars.En1749,aurenvoideMaurepas,ilsevoitconfierenoutrelagestiondela
villedeParis.IlfaitdresserlesplansdesChamps-ÉlyséesetdelaplaceLouisXV.
Ilconnaît,en1757,ladisgrâcequileconduitàl’exildanssonchâteaudesOrmes.
LapolitiqueextérieuremènelaFranceànouveaudansunconflitinternational
lorsdelaguerredeSeptans,de1756à1763.Lesenjeuxconcernentdesconflits
européens dans l’espace germanique mais aussi dans les colonies françaises et
anglaises en Amérique du Nord, ainsi qu’en Inde. Alors que la guerre de
Succession d’Autriche, opposait principalement l’Autriche alliée à la Grande-
BretagneetlaPrussealliéeauroyaumedeFrance,laguerredeSeptAnsoppose
laFrancealliéeàl’AutricheetlaGrande-BretagnealliéeàlaPrusse.D’autrespays
européens participent également à cette guerre : l’Empire russe aux côtés de
l’Autriche et le royaume d’Espagne aux côtés de la France. La Prusse et la
Grande-Bretagne sont les principales bénéficiaires du conflit. En Amérique du
Nord et en Inde, il fait presque entièrement disparaître le premier Empire
colonial français, principalement au profit de la Grande-Bretagne. La Prusse
remporte la victoire de Rossbach sur la France et de Leuthen sur l’Autriche
(1757).L’ancienneprééminencedel’AutrichesurleSaint-Empireestdésormais
menacéeparlaPrusse.LeducdeChoiseuldevientsecrétaired’Étatauxaffaires
étrangèreslorsqu’onenvientànégocierlapaixlorsdutraitédeParisen1763.La
FrancecèdeunegrandepartiedelaLouisiane,lariveouestduMississipi,àl’allié
espagnol,car elle n’a plusla capacité à ladéfendre contre les Britanniques.Au
nordducontinent,malgréunerésistancehéroïquecontrelesAnglais,Acadiens,
Québécoisettribusindiennesalliéessontvictimesdeleurinférioriténumérique.
LeCanadaestperdu.
Dansledomaineintérieur,lerègnedeLouisXVestmarquépardesréformes
innovatrices, déterminantes quant à l’impulsion qu’elles donnent à l’économie
du pays. Parmi celles-ci, la création du corps des Ponts et chaussées tient une
place de choix. Les ingénieurs formés sont des experts qualifiés. C’est aussi
l’époqueoùonsesouciedel’économiepolitiqueaveclapublicationdestravaux
de Vincent de Gournay puis de François Quesnay. De Gournay, commerçant
international malouin peut être considéré comme le créateur du mouvement
libéral français. Cependant, il considérait, comme les mercantilistes que la
richessedelanationprovenaitd’unebalanceducommerceextérieurepositiveet
que les activités exportatrices devaient être protégées par des droits de douane
sur les produits importés concurrents des leurs. Il inspire directement Turgot,
QuesnayouencoreTrudaineetMalesherbes,Silhouette,Bertin.Àcetteépoque
l’agriculture demeure la principale richesse du pays et emploie la plus grande
partie de la population. Cela, sans doute, explique la naissance vers 1750 du
mouvement physiocrate à l’origine duquel se trouve François Quesnay. Tout
commelesmercantilistes,les physiocratessontnoninterventionnistes.Mais ils
considèrent par contre que la classe paysanne est la seule classe sociale
productiveetquelarichesseproduiteparlanationestlasommedesproduitsde
lapopulationpaysanne.Laclassedespropriétairesdelaterrecapteunepartiedu
produitdutravaildes paysans.Les autresclassesdites«stériles »transforment
lesproduitsdelaterreetcetteactivitén’estpascenséecréerdelavaleur.Faceàla
partcroissantedelavaleurcaptéeparlespropriétairesetparl’impôtd’Étatune
réformefiscale est nécessaire.Plus tard,Turgot se livreà desexpérimentations
inspiréesparladoctrinedesphysiocrates.Ellessontréaliséeslorsqu’ilestnommé
contrôleur général des finances du roi Louis XVI. Cette période est aussi
marquée par un affaiblissement de l’autorité royale souligné par des crises
internesetpolitiquescommecellequiamène,aprèsl’affaireLavalette,àexpulser
les Jésuites de France en 1762 et à supprimer les collèges qu’ils dirigent sur le
territoire. Lavalette, qui est membre de l’ordre, est procureur (c’est-à-dire
contrôleur des finances de l’ordre) en Martinique. Pour assurer des rentrées
d’argent, il fonde une compagnie commerciale qui, après un certain succès,
connaît la banqueroute. Lavalette quitte l’ordre des Jésuites. Sous prétexte que
Lavaletten’enfait pluspartie,lacompagnie deJésusrefuse dedésintéresserles
victimes de la compagnie commerciale qu’il a créée. Le scandale est énorme :
approuvéparleParlementdeParis,leroidécidel’expulsiondelacompagniede
Jésus. Maupéou qui avait intrigué avec Madame Du Barry, maîtresse du roi
vieillissantpourobtenirladisgrâcedeChoiseul,estnomméchancelier.En1771
ce dernier tente une réforme de la justice. Son influence à la fin du règne est
prépondérante.Ilestleplusinfluentdesministresd’État.

1774–LOUISXVIDEVIENTROI.SONÉPOUSELAJEUNEMARIE-ANTOINETTE
N’AAUCUNEEXPÉRIENCEPOLITIQUE

LouisXV meurten 1774.Louis XVIâgé de vingtans arriveau pouvoir.Il a


épousé en 1770 l’archiduchesse d’Autriche, Marie-Antoinette. Le ministre
Turgotdevientcontrôleurgénéraldesfinancesetsouhaitemettreenapplication
lesidéesdesphysiocrates.Ilestdéfavorableàlapolitiquedesempruntsenraison
dusurendettementdel’État.Maislabanquerouteestproche!Neckerbanquier
d’origine suisse arrive au pouvoir en 1776 en qualité de directeur général des
finances. Il s’efforce d’améliorer le rendement du Vingtième, impôt sur les
revenusducapitalquiaremplacéleDixièmeinstituépourassurelefinancement
de la guerre de succession d’Espagne de Louis XIV. Necker n’est pas qu’un
financier. Il perçoit les limites du système décisionnel propre à la royauté de
droit divin et estime qu’il convient d’associer la Nation au gouvernement du
royaume. Pour lever les obstacles à la mise en place de réformes, il souhaite
s’appuyer sur les notables des provinces, et obtient l’institution d’assemblées
provinciales qui ont autorité dans le domaine économique et politique, aux
dépensdesparlementsqui,jusque-là,étaienttout-puissantsenlamatière.Dans
ce contexte un élément de la politique extérieure, le soulèvement des Treize
ColoniesaméricainescontrelesAnglais,amèneLouisXVIàseposerlaquestion
sur l’opportunité d’une intervention et sur la manière de se procurer les
financements nécessaires. Necker a une idée lourde de conséquences. Il
préconisedenepasaugmenterlapressionfiscaleetderecouriràl’empruntsous
uneformeencorejamaisutilisée.Ilemprunteavecremboursementviager.Cela
ressembleraitàl’assuranceviecontemporaine,maisavecdestauxnettementplus
élevés. La dette doit s’éteindre avec la disparition des débiteurs.
Malheureusement,lestablesdevieutiliséessonttropoptimistes.L’espérancede
vie augmente à cette époque et le montant de remboursements avec elle pour
atteindre un niveau beaucoup plus important que prévu. L’argent recueilli par
l’empruntpermetd’envoyerenAmériqueduNorduncorpsexpéditionnairequi
luttecontrelesAnglaislorsdusoulèvementdeleurstreizecolonies.Lesinsurgés
américainssontvainqueursetlanaissancedesÉtats-Unisestproclaméelorsdu
traité de Versailles de 1783. L’épisode est glorieux pour la monarchie mais la
France ruinée n’obtient, en dehors de l’ouverture des États-Unis à son
commerce, que la pleine souveraineté sur Dunkerque et la restitution de ses
comptoirs de l’Inde. Necker a perdu son poste en 1781, victime de l’emprunt,
maisaussi des princesqui luireprochent laréduction desdépenses de lacour,
des parlements qui ont perdu de l’influence avec la création des assemblées
provincialesetdelaFermegénéraleàlaquellelamonarchiesoustraite,delongue
date, la collecte des impôts et taxes moyennant une redevance que Necker
souhaiteréduire.Lasuitedurègnemontrelafragilitédupouvoirroyalfaceaux
financesetàl’endettementdupays.Calonne,réputépoursonentregentdansle
milieu bancaire, est nommé contrôleur général des finances en 1783. Il adopte
une politique d’argent facile opposée à la politique de restriction des dépenses
pratiquée par son prédécesseur. Paraître riche lui semble être la clé de la
restauration dela confiance. Son échec amène à la nomination de Loménie de
Brienneen1787.C’estaussil’époqueoùLouisXVIdansunespritd’apaisement
promulgue l’Édit de Tolérance à l’égard des Protestants. Il permet leur retour
dansleroyaume,cequi étaitrestéimpossibledepuislaRévocationdel’Éditde
NantessousLouisXIVen1685.Ladernièrephasedurègneestmarquéeparla
révoltedesparlementsfaceauxtentativesdelimitationdeleursattributions.La
journéedesTuilesàGrenobleen1788estprovoquéeparladécisiondugardedes
Sceaux de retirer son droit de remontrances au Parlement de Paris. Le
mécontentement populaire prend de l’ampleur à la suite d’une série de
mauvaises récoltes causées par les intempéries de 1788. Le prix du blé puis du
pain augmentent de façon inquiétante. La disette s’annonce. Le niveau de
l’endettement du royaume et l’échec des tentatives de réformes amènent
Louis XVI à prendre la décision de réunir les états généraux à Versailles au
printemps 1789. La rédaction des Cahiers de Doléances, préparés dans chaque
province par les membres des baillages de chacun des trois ordres – clergé,
noblesseettiersétat–constituelaphasepréparatoiredel’opération.Ladécision
courageuseduroimèneàunesituationinéditederemiseenquestionbrutalede
lamonarchieetdesesinstitutionstraditionnelles.

LEQUOTIDIENDESFEMMES:
INTERDÉPENDANCEVILLE-CAMPAGNE

Cetengagementderuptureavecl’exercicedupouvoirauquotidiens’adresseà
unpeuplede28millionsd’habitants.Moinsd’unFrançaissurcinqestcitadin.La
croissanceurbaine est trèsvariable d’une villeà l’autre. En dehorsde quelques
grandesvillesfortactivesoùl’urbanismeaprofitédel’enrichissementdesclasses
sociales élevées, la majorité des espaces urbains est constituée de bourgs et de
petitesvillesdontlaprincipaleraisond’êtreestl’existencedemarchésetdefoires
périodiques.Lesrègles socialess’adaptentprogressivementà l’augmentationde
lacirculationdesbiens.En1767unarrêtduconseilduroiautorisel’exercicedu
commerce de gros aux membres de la noblesse et ouvre chaque année la
perspective d’anoblissement à deux négociants qui se sont particulièrement
distinguésdanscetteactivité.Àcetteépoquenaissentlespremières«dynasties»
familialesentrepreneuriales.
Lesémeutesfrumentairesetlesrebellionscontrelalevéeexcessivedesimpôts
s’étaient accrues après 1750. Les historiens ont relevé au XVIIIe  siècle 8 528
soulèvementsdont 1 497causées par lapénurie des subsistances.Dans ceux-ci
les femmes jouent un rôle de premier plan. Les émeutes liées aux difficultés
d’approvisionnementet aux augmentationsde prix provoquéespar larareté se
multiplientaprès1770.La«guerredesfarines»commenceaudébutdurègnede
LouisXVI.Lespectredelafamineestbienprésent.Lesémeutesdesubsistances
s’appliquentàplusieurssujets:soitcontreledépartdesgrains(descampagnes
pourallerapprovisionnerlesvilles),soitcontrelachertédesgrains,soitencore
contre l’accaparement de ceux-ci par des intermédiaires qui constituent des
stocks pour que les prix augmentent et revendent ensuite avec de confortables
marges.Laguerredesfarinesdésigneunevagued’émeutesde1775causéespar
l’augmentationduprixdesfarinesetenconséquencel’augmentationduprixdu
pain. Elles touchèrent surtout la partie septentrionale du royaume et le bassin
parisien. Le « laissez faire, laissez passer, le monde va de lui-même » de De
Gournay et de ses disciples physiocrates ne convient pas à l’époque. Dans une
situation de crise causée par des récoltes insuffisantes, il eut été plus sage
d’interdirelaventeàl’exportation.Cesémeutessontlesigned’uneaspirationà
une justice alimentaire, redistributive, qui repose sans doute sur une forte
demande de régulation et d’encadrement. Les femmes jouent un rôle majeur
dansledéclenchementdecesviolencesurbaines.Lesémeutesfrumentairessont
partiellementconnuesparlessourcesjudiciaires.
Femmes des villes et femmes des campagnes ont des modes de vie très
différents mais interdépendants. Il serait inapproprié de dissocier ville et
campagneenvironnante.Lesbourgeoisetleursfamillessepréoccupentbeaucoup
des campagnes proches. Certains ont des propriétés péri-urbaines comme cela
est déjà et le cas pour les membres de la noblesse de robe. Le mouvement
manufacturier et le travail à domicile ont créé un réseau de relations et
d’interdépendance entre ville et campagne. Il existe une circulation de main-
d’œuvre,demarchandsetdedonneursd’ordreentrelacampagneetlavilleoula
petitebourgade. Ils’agitde fairefabriquer dansles campagnesetde vendreen
villedesproduitsfinisousemi-finis.Dansledomainedesmétiersféminins,que
ce soit en mode travail à domicile ou dans des structures manufacturières, on
trouvedesateliersdetissage,decoutureetdebroderie(Cahier-images,Pl.V).Le
métierde filassièrequi consisteà traiterles tigesde linou dechanvre pouren
extraire les fibres puis en faire du fil est très répandu. La corporation des
filassiéres est, numériquement, l’une des plus importantes de l’époque. Les
bouquetières chapelières en fleurs et leurs fournisseurs, les jardiniers fleuristes
représententaussi des populationsdont les métierss’exercent à lafois en zone
urbaineetdanslescampagnes.Ilexistetoujours,commeausiècleprécédent,de
petits métiers des rues, dont témoignent gravures et eaux-fortes. Parmi ceux
exercés par les femmes, citons : la porteuse de bouquets, la vendeuse de pois
écossés, la vendeuse de groseilles à maquereaux, la vendeuse de paniers et
corbeilles, la vendeuse de rubans et de bonnets… (cf. iconographie pour
exemplesetcrisdeParis(Cahier-images,Pl.III),voiraussiimagesdesmétiersde
Bordeaux). La participation des femmes peut aussi concerner, aux côtés des
hommes,desactivitéstemporairescommelesmoissonsetlesvendanges.
Les témoignages des femmes des propriétaires laboureurs ou paysans aisés,
qui, parfois, exploitent aussi des terres en fermage, sont de précieuses sources
d’information.Leurs épouxontsouvent recueilliles doléanceslocales,puis ont
étédésignéscommereprésentantsdutiersétatcarilssaventlireetécrire.Leurs
épousesrestéessurlesterrescontinuentl’exploitationetéchangentparcourrier
avecleursmaris,bloquésàVersaillesparlatenuedesÉtatsgénéraux.Àlaveille
de1789AngéliqueLepoutreetsonépouxéchangentpendantuneannéeentière
informations et conseils sur les travaux dans leur exploitation des Wattines (à
20kmdeLille).Lecoupleacinqenfantsde7à17ans.Pierre-François,lemari,a
été élu représentant du tiers état de l’Artois. Il vient à Versailles puis à Paris
(commedéputéàl’AssembléeConstituante)oùilresteduprintemps1789àcelui
de 1790. Son épouse lui écrit très régulièrement pour l’informer de la manière
dontellegèrelamaisonnée,lesdomestiques,lesvaletsdeferme,lestravaux,les
récoltes, les achats et ventes en ville mais aussi l’éducation des enfants et les
relationsaveclevoisinage.

FEMMESET«BUREAUXD’ESPRIT»:DESLIEUXMIXTES
DECONVIVIALITÉETDERÉFLEXION

Au XVIII e siècle, une tradition s’était maintenue dans et autour des familles
«précieuses ». Desfemmes aristocratesou roturières,héritières spirituellesdes
valeurs des précieuses, continuent de tenir salon, créent de nouveaux lieux de
sociabilité qui reçoivent le nom de « sociétés », ou de « clubs », ou bien de
« bureaux d’esprit » mixtes ou non. Ces lieux sont animés de débats qui, plus
tard,débouchentsurlespremièresmanifestationsrévolutionnaires.
Unesociabiliténouvelles’installesousuneformeplurielle.Ilexisteunegrande
diversité de fonctionnement entre les salons.Certaines hôtesses constituent un
cerclefixed’intimesdansunsoucideconfidentialité.Chezd’autres,ilexisteun
premier cercle, mais on peut être reçu sur recommandation d’un personnage
appartenantàcecénacle.
L’espace géographique du salon ou de ses avatars est un lieu domestique
animéparunefemme.Onydonnedesdînerset/oudessoupers,unjourfixeou
non.Ilconvientd’yrespecterdesrèglesdelacivilité.Lasociabilitéestmixte,on
peut y pratiquer, outre la conversation, les plaisirs de la musique et des jeux
d’argentleplussouvent.
DèslesdébutsduXVIIIesiècle:dessalonsmondainss’organisentendehors
de la cour. À la fin du règne de Louis XIV, sous l’influence de Madame de
Maintenonlacourdevenueaustèreàperdutoutintérêtdepuisqu’ensontbannis
bals,musiqueprofane,théâtre,opéras,jeuxd’argent.Princesetaristocratesont
adoptéd’autreslieuxdeconvivialité.
LaDuchesseduMaine,petitefilledugrandCondé,etsonépouxreçoiventdes
amis au château de Sceaux dès avant 1715 et y mettent en place un salon où
viennent régulièrement amis et artistes. Anne Louise Bénédicte de Bourbon,
duchesseduMaineavaitépouséundesbâtardslégitimésduroiLouisXIVetde
Madame de Montespan. La duchesse du Maine était cultivée, dynamique,
originale,audacieuseetmalvue àlacour.Elle insistaauprèsdesonmari pour
acheter le château et le domaine de Sceaux. Elle y fit des installations fort
coûteuses afin d’y recevoir des amis. Elle était passionnée de théâtre, d’opéra.
Pour se distraire, elle avait créé autour d’elle une petite académie de poètes et
d’artistes qui se déclaraient de « l’ordre de la mouche à miel », façon de se
moquer des académiciens et des personnes pourvues de titres savants ! Au
momentdelaRégence,ellen’eutdecessequedetenterderetrouverdupouvoir
auprès des princes du sang. Elle tenta de déstabiliser le Régent, Philippe
d’Orléans en ourdissant une conspiration dite de Cellamare. Ce dernier était
l’ambassadeur d’Espagne. L’objectif était d’écarter le Régent et de placer
PhilippeVd’EspagnesurletrônedeFrance.Laconspirationéchouacequicausa
l’éloignementdéfinitifdeladuchesseetdesonmari.L’atmosphèredelacourde
Sceauxetleseffortsdelaconjurationontétéabordésavechabiletédansleroman
historiqued’AlexandreDumasLeChevalierd’Harmental(1842).
LerégentPhilipped’OrléansaquittéVersaillesetlacours’estinstalléeàParis.
LequartierduPalaisroyals’animeetdiverssalonsdefemmesdelanoblesses’y
organisent pour recevoir régulièrement amis et connaissances, écrivains,
philosophes,musiciens,dramaturges,diplomates…
LesalonleplusancienetleplusréputéestceluideMmedeLambertde1710à
1733(Cahier-images,Pl.V).Ilamarquél’espritdelaRégence.PlustardMmede
Tencintientsalonde1726-1749.Unefemmedelahautebourgeoisiequiadéjà
fréquenté les salons, ouvre un « bureau d’esprit » en 1730. Il s’agit de
MmeGeoffrin,épousefortriched’undesdirecteursdelamanufacturedeglaces
de Saint-Gobain. Elle tient régulièrement chaque semaine son salon en
compagniedesafilleMmedelaFerté-Imbault,jusqu’en1777.MadameGeoffrin
familièredessalonsdelanoblesse,saitrecevoirets’entourer.Femmedeculture
maissurtoutexcellentefemmed’affaires,elleréussit,aprèsledécèsdesonépoux,
àgérersafortuneetcelle desafille.L’unedesescontemporaines,Madamedu
Deffand, tient de 1747 à 1780 un salon littéraire et philosophique fort réputé.
Puissonsalonsetrouveplustardconcurrencéparceluiqu’avaitouvertsanièce
etanciennelectrice:JuliedeLespinasse.Cettedernièreouvreunbureaud’esprit
modeste en 1764 et le tient jusqu’en 1776. On compte d’Alembert parmi les
intimesdecedernier.
VoirEncadrén°4
LafréquentationdessalonsparisiensauXVIIIe siècle

D’autresfemmesreçoiventdesamismaissanstenirunsalonrégulier.C’estle
cas de Madame du Châtelet jusqu’en 1749, qui fut amie de Voltaire et sa
compagnequelquesannées.ÉmilieduChâteletavaitétudiéets’étaitforméeseule
ensciences(Cahier-images,Pl.VI).Ellese plongeadans l’étudedes travauxde
NewtonetenfutlapremièretraductriceenFrance.
Louised’Épinayreçutdesamisassezsouventetséparéedesonépouxélevases
enfantsavecsoin,écrivantdestraitésetavisdepédagogieàceteffetàpartirde
1770. Elle fut l’amie d’un des frères Grimm qui l’encouragea dans ses travaux
d’écrivaine.
Au quartier du Marais, rue Michel Lecomte, dans son hôtel particulier,
Suzanne Necker épouse du banquier suisse, devenu plus tard ministre des
FinancesdeLouisXVI,donnauneexcellenteéducationàsafilleetlafitsouvent
assisterauxréunionsdesonsalon.LajeuneLouise-Germaineétaitfortappréciée
poursavivacitéd’espritetsaculture.ÀlaveilledelaRévolutionelleépousale
baron de Staël-Holstein et continua les activités mondaines de sa mère. Son
talentd’écrivaineetsesidéeslibéralesamenèrentNapoléon-Bonaparteàl’exiler
loindeParis.
Les premiers écrivains invités dans ces espaces de convivialité sont Voltaire
Fontenelle et Montesquieu. Ils fréquentent plusieurs salons dont celui de
Madame Geoffrin. Cette dernière accorda une aide appuyée à Montesquieu,
barondeSecondat,magistratduParlementdeBordeauxquis’estfaitconnaître
par ses Lettres persanes. Les lectures qu’il en fait et les discussions qu’il a dans
cetteassemblée parisiennelui permettentde préparerl’écriturede sonouvrage
deréférence L’EspritdesLoisparuen1748.C’estaussiauxréunionsorganisées
par Madame Geoffrin qu’il a réussi à contourner la censure sur certains sujets
liésàl’exercicedelamonarchieenFrance.
LesEncyclopédistesaussidoiventbeaucoupauxfemmesdel’ombrequesont
les«salonnières»parisiennes.Unambitieuxprojetdetraductionetd’adaptation
delaCyclopediadeChambersparueenAngleterreen1745,échoue.JeanleRond
d’Alembert qui a fait partie des auteurs sollicités s’associe à Diderot pour
ébaucherunambitieuxprojetdedictionnaireuniverselraisonnédessciences,des
arts et des métiers. Le propos est de dresser une table générale des objets des
connaissanceshumaines.Diderotsouhaiteaccorderuneplaceexceptionnelleaux
illustrationsetauxplanchesexplicativesdesarticlesrédigés.Ilfautensuiteréunir
les collaborateurs prêts à s’engager dans cette œuvre qui embrasse toutes les
disciplines.Ilyeut17volumespubliésde1751à1765.ÀcetteépoqueDiderotet
d’Alembert sont déjà bien connus dans les salons parisiens, mais les attaques
fusent de toutes parts et la censure s’abat sur les rédacteurs de l’Encyclopédie.
CependantilsontreçulessoutiensactifsdeMmeGeoffrin,dequelqueshôtesses
de divers salons. Ils bénéficièrent de la bienveillance de la Marquise de
Pompadourautrefemmedel’ombredel’époque.Malesherbesplacéàlatêtede
la « Librairie » du roi et donc de la censure royale plaide la cause de
l’« Encyclopédie ». Son père, Lamoignon, chancelier de France, proche des
philosophes, contribue à la défense de l’ouvrage. Un portrait de madame de
Pompadour dont l’auteur est Quentin de la Tour résume les luttes politiques
qu’elle arbitra et son influence décisive sur la production scientifique
intellectuelleetartistiquede sontemps:la marquiseestprésentéeappuyéesur
unbureauoùlesvolumesdel’Encyclopédiesontbienvisiblesàcôtédel’Espritdes
Lois,departitionsdemusique,d’unemandolineetd’unglobeterrestre(Musée
duLouvren°inventaire27614).
Diderot, dans les cercles où il est reçu, remet en cause l’autorité royale ou
religieuse au regard des principes de liberté. La raison doit en assurer le plein
exercice.Cedébatd’idéesestlefondementdel’article«Autoritépolitique»dans
l’Encyclopédie. Helvétius qui fréquente les mêmes cercles est fermier général,
fondateurd’unelogemaçonniqueetassureunsoutienfinancieràlapublication
de l’Encyclopédie. D’Alembert, Jaucourt et un grand nombre d’autres
collaborateursassurentlarédactiondesarticlestraitantdesujetsàlapointedes
connaissances en mathématiques, en droit, en agriculture, en fabrications
manufacturièresouencoreenmusique.
Les sujets de conversation des assemblées salonnières sont très variés. On y
parle souvent politique : fonctionnement des institutions, monarchie absolue,
conséquencesdel’exildesréformés.Voltaire,fortdesdiscussionsqu’ileutavec
les invités des « bureaux d’esprit » qu’il fréquente entreprend de lutter contre
l’intolérancelorsdel’affaireCalasen1763.Aprèscetteexpérienced’uneaffaire
où les préjugés antiprotestants avaient conduit à condamner un innocent, le
philosopherédigeun«TraitésurlaTolérance».
Respectueusesde latradition instituéepar lesprécieuses duXVIIesiècle, ces
assembléessontouvertesaucosmopolitisme.Lesvoyagesetlesdéplacementsse
multiplient en Europe, à cette époque. Les étrangers qui ont l’occasion de
séjourner à Paris, diplomates et jeunes gens de la noblesse faisant le « Grand
Tour », obligation des jeunes gens appartenant aux classes les plus riches de
l’aristocratie, sollicitent par des recommandations d’être reçus dans ces salons.
Encorefallait-ilquecesvisiteurssachentfairepreuvedecourtoisieetconnaissent
lesrèglesdusavoir-vivre.Enclaironaimelesrèglesdel’entre-soietleshôtesses
veillentàcequ’ellessoientappliquées.
Quefaisaientlesparticipantsdanscesréunionsoùilspassaientlesaprès-midi,
les soirées et parfois les nuits ? L’art de la conversation n’est pas l’occupation
exclusive.Dansunesociétéoùunecertaineclassesocialeestvouéeàl’oisiveté,les
réunions, les invitations sont une source de distraction. Il semble que pour
certainesfemmescommeMadamedeTencinilyaitunefrénésiedesociabilité
destinéeàtromperl’ennuietlamonotoniedesjours.S’amuser,sedistrairesont
aussi des mots essentiels de la mondanité du XVIIIe siècle. Un rôle important
peutêtreaccordéauxplaisirsdelatable.Ondîne,c’est-à-direquel’onprendune
collation au milieu de la journée, ou bien l’on soupe c’est-à-dire que l’on se
restaure,avantouaprèslethéâtre.Semettreàtablen’étaitenrienuneobligation.
Certainsinvitésprofitaientdesplaisirsdelatable,d’autresdiscutaient,d’autres
jouaient, d’autres encore faisaient ou écoutaient de la musique… Mme du
Deffand, dans sa correspondance relate l’ambiance d’une de ces soirées : une
vingtainedepersonnessontinvitéeschezellelesoir.Unedizainesemetàtable.
Desfauteuilsdisposésaucoindufeuaccueillentlespersonnesquiconversentou
écoutentlalectured’untexte,tandisquelesjoueurssetiennentàl’écartdansun
angle de la pièce. La haute société se plaît à dîner entre deux heures et quatre
heuresdel’après-midi,etlesoupersedérouleaprèsneufoudixheuresdusoir.
Le nombre d’invités au souper est un marqueur social de solennité. Il advient
aussiquel’amphitryonneproposedesrepasgastronomiquesoriginaux.Madame
Vigée-Lebrunmerveilleuseportraitistedetouteslescoursd’Europe,aprèsavoir
lu l’ouvrage Voyage en Grèce du jeune Anacharsis de l’abbé Barthélemy, fait
serviràsesinvitésunsoupergrec.Cedernierestcomposéd’unepoularde,d’une
anguille à la grecque, d’un gâteau au miel et aux raisins de Corinthe, le tout
accompagnédevindeChypre.Lesinvitéesfémininesdoiventvenirhabilléesen
athéniennes!ChezMmeGeoffrinonfaitplussimple.L’usageestdeservirune
excellenteomeletteauxépinardsquidevientlégendaire!
Lerôleducaféestessentieldanslessalonsmondains.Lapréparationdecette
boisson recherchée devient presque un symbole d’hospitalité, hérité de l’esprit
italien.Lamodeduthéserépandverslafindusiècle,maislesinvitésleboivent
plutôt enfin d’après-midi. On està une époque où lemodèle anglais s’impose
commeilressortdutableaud’OllivierfigurantlethéservichezleprincedeConti
(1777,Muséedu Louvre,n° inv.7007).Le chocolatétaitplutôt uneboissonde
l’intimité commeen témoignent quelques tableauxde Boucher oude Chardin.
Lesrepasétaientarrosésdevinsexcellents,particulièrementchezlesfinanciers.
Leraffinementgastronomiqueestassociéàl’idéedeluxe.Lechampagneestune
nouveauté du siècle des Lumières, il est apprécié lors des conversations, il est
aussisymboledegaietécommelenoteDiderot.Leshôtessesavaientgrandsouci
debienrecevoirlescommensaux.IlsemblebienqueSuzanneNecker,femmedu
banquiergenevois,plusieursfoisintendantdesfinancesduroi,attiraitdansson
salongrâceà sonespritmais aussigrâceà soncuisinier,disaient lesmauvaises
langues et les jalouses comme Madame de La Tour du Pin ! A contrario, dans
certains«bureauxd’esprit»l’hôtesseseflattequ’onsoupemédiocrementafinde
mettreaupremierplanl’intérêtintellectuelquelesinvitéstrouventàvenirchez
elle.L’artdeparleretl’artculinairesontliésdansl’expressiondel’artdevivre.
Les activités des salons comportaient aussi les tables de jeu. Le jeu d’argent
étaitune pratique courantedans les réunionsprivées, dansles tripots, dansles
foires. Les jeux de cartes et de dés comportaient des mises en argent. Certains
hommesmaisaussidesfemmesavaientlafureurdujeu.Lessommesmiséessont
parfoistrèsimportantes!Lejeuestunfacteurdesociabilitémaisc’estaussiun
sujetdedisputes.Ceuxetcellesquin’aimentpaslesjeuxdecartesontbeaucoup
demalàyéchapperlorsdessoirées.Le«Pharaon»esttrèsappréciéàlacour,
maisonygagneouonyperddegrossessommes.
Lessalonssontaussiunlieudelibertinage,enraisondeleurmixité.Ilsservent
aussi la « bonne cause » car ils peuvent être favorables aux stratégies
matrimoniales.Germaine Necker, partiintéressant s’il en estrencontre dans le
salon de sa mère le diplomate suédois de Staël-Holstein qui lui fait la cour
pendant plusieurs années, en fréquentant les dîners, soupers, soirées que
donnaient ses parents. Avec l’aide d’une amie de la famille, la comtesse de
Boufflers, après avoir gravi les échelons jusqu’à remplacer l’ambassadeur,
Monsieur de Staël finit par épouser Mademoiselle Necker ! Certains mariages
mobilisent l’attention et les interventions de plusieurs maîtresses de maison.
Madame de Graffigny qui veut marier sa nièce Catherine de Ligniville avec
HelvétiussefaitinviteravecsaniècechezMademoiselleQuinault,actricecélèbre
pourlebrillantdesonsalon,etdemandeàcelle-cid’inviteràlafoisHelvétiuset
Marivaux.MmeGeoffrinquiviselaréussitede lamêmeaffaireestvexéedese
voir écartée de l’affaire, car elle se vantait de disposer d’un réseau de relations
hors pair. Il semble bien que les salons philosophiques autant que les salons
mondains servaient de terrain aux jeux de séduction. À travers des
correspondances et même des rapports de police on comprend que les uns
commelesautressontdeslieuxprivilégiésd’intriguesamoureuses.
Legoûtdutempspourlagalanteriesetraduitégalementparlaparutiondes
premiers romans libertins, une nouveauté dans un style mis à la mode par
Crébillon. L’écriture de ce genre d’ouvrage épouse une forme narrative et se
focalise sur le processus de séduction et la force de persuasion du langage. La
dimension sociale de la séduction est au centre de l’ouvrage de Choderlos de
LaclosLesLiaisonsdangereuses(1782).Elleest,pourleshommesunartdeplaire
etdevaincre,pourlesfemmesceluidecéderavecgrâce!Cesreprésentationsde
la mondanité et des libertins restèrent durablement associées à la sociabilité
parisienne du XVIIIe siècle. Il existait cependant un écart entre Paris et la
province,oùlesfemmesfaisaientencorepreuved’unecertainepruderie.

L’AMOURDUTHÉÂTREETDEL’OPÉRA
Parmi les spectacles de société, le théâtre joue un rôle de premier plan. La
société parisienne des aristocrates et de la grande bourgeoisie fréquente avec
assiduité divers spectacles, de la Comédie Française à l’Opéra, sans oublier les
théâtresdefoiresetdesboulevards.Lesgensdumondeprennentplaisiràjouer
eux-mêmeslacomédiedansleurssalonsetavecleursinvités.Parfoisilsinvitent
pourlesaiderdescomédiensetdeschanteursprofessionnels.Quiadoncdonné
cette impulsion au théâtre d’amateurs ? Certains historiens font référence au
goûtdemadamedePompadourqui,dès1748,jouaitavecsesami(e)sdespièces
dethéâtre. Endehorsde Parisdes membresde lanoblesseet desgens derobe
fontinstallerdansleurmanoirdecampagnedessallesmuniesd’unescènepour
jouer du théâtre entre amis. On peut attribuer à cette mode des origines
multiples. Il est possible que ce soit une imitation des pratiques de la cour de
Versailles,oubienl’influencedesannéesd’éducationducollègeoùonjouaitles
pièces des grands auteurs pour mieux en appréhender le sens. Cela peut être
aussiunemanièredereproduireleplaisiréprouvéauspectacledesthéâtresdes
foires. Deux grandes foires parisiennes annuelles, la foire Saint-Germain (rive
gauche) et la foire Saint-Laurent (rive droite) attiraient nombre de théâtres
ambulants qui dressaient leurs tréteaux parmi les déballages de marchandises
proposées à la clientèle. Dans des temps anciens s’y produisaient des
marionnettistes et des danseurs de corde. Lorsque les théâtres ambulants
investissentl’endroit,ilsse heurtentauxprivilègesdel’Opérasur lechantetla
danse, aux privilèges du théâtre de langue italienne de l’hôtel de Bourgogne et
auxprivilègesdelaComédiefrançaisepourlethéâtredelanguefrançaise.C’est
unthéâtrepopulairecontestataireetcréatifquelesspectateursdelafoireSaint-
GermainoudelafoireSaint-Laurentvenaientdécouvrir.Deuxinventionssont
restées dans les mémoires. Il y eut les pièces écrites en une langue inventée,
transparente pour des spectateurs de langue française, sorte de bas latin qui
échappaitdoncauxinterdits.Puiscefurentlespiècesàécriteaux.Lesacteursse
livrent à une pantomime muette. Des écriteaux sur lesquels sont écrites les
répliques de chaque personnage descendent des cintres. S’il y a des chants, le
livret est affiché par la même voie et ce sont les spectateurs qui chantent. Les
troupes qui se livraient à ces exercices originaux préfigurent les créations de
l’Opéra-comique.Ellessontaussi,probablement,àlaracinedecetengouement
pour lethéâtre intime qui connut tant de succèschez Madame de Pompadour
comme,plustard,auprèsdelareineMarie-AntoinetteàTrianon.
Unautreaspectessentieldesdivertissementsestlamusique.Lesmembresde
lanoblesseentretiennentsouventunorchestreprofessionnelàl’année.Ilexiste
desconcertshebdomadairesdonnésdansdessalonscélèbres,celuidufinancier
PierreCrozat,celuidelamarquisedeBrie,celuid’AlexandredeLaPopelinière
qui favorisa la carrière de Rameau, ou encore celui du prince de Conti. Les
orchestrespermanentscomportentengénéralunequinzainedemusiciens,dont
certains,parfois,fortrenommés.Quantauxmusiciensetmusiciennesamateurs,
ilsjouentlorsdessoiréesdanslessalons,danslecadredeconcertsprivés.Bon
nombredecesamateursjouentduclavecin,dupianoforte,delavioledegambe,
de laflûte et leschanteuses de qualitésont nombreuses. Pourrépondre à cette
demande la productionet l’édition de partitions de musique s’accroît très vite.
Les passionnés achètent aussi des transcriptions d’airs d’opéras dans des
arrangements simplifiés. Les concerts dans les salons parisiens ressemblent
souvent à des soirées de l’opéra-comique. On publia même de petits ouvrages
comme celui de Monsieur Paulmy d’Argenson Manuel des sociétés qui font
amusement de jouer la comédie. L’auteur y donne une liste de partitions
d’opéras-comiquesàlamodeetdepiècesàariettesetdesconseilsafindechoisir
cellesquinesontpastropdifficilestechniquementmaisquisontpropresà«faire
briller les voix des dames ». Ces types de guides furent utilisés par les sociétés
provincialesquivoulaientimiterlamodeparisienne.Certainesaristocratesfirent
construire des salles de théâtre dans leurs châteaux, Madame la marquise de
Mauconseil à Bagatelle, Madame d’Épinay à La Chevrette. L’architecte Nicolas
Ledouxconstruisitpourl’actriceetcourtisaneLaGuimardungrandthéâtreen
1772àLaChausséed’Antin.Pourlapratiquedelamusiquecertainsinvestissent
dans une salle agencée à cet effet. Une charmante gravure de Dequevauviller,
d’après Lavreince « L’assemblée au concert » représente le salon de musique
ovale de Madame Brillon de Jouy. Elle et ses amies y jouent de la musique au
coursde réunions auxquellesdes musiciensprofessionnelsviennent se joindre.
L’accueil des professionnels peut donner lieu à des soirées d’exception comme
celles qui marquèrent la tournée du jeune Wolfgang Mozart, enfant prodige, à
Paris en 1763. Quelques musiciennes amateurs se sont fait une réputation
d’artistestalentueuses,telleMadamedeGenlisharpistequi,plustard,estretenue
commegouvernantedesenfantsduducdeChartres.
CertainsserendentàParisavecl’espoirdetrouverunauditoiredanslemonde
dessalonspourmonnayerensuiteleurcélébrité.C’estladémarcheadoptéeparle
«docteur»FranzMesmerquiveutpopularisersathéoriedumagnétismeanimal
danslesannées1780.Ilestdifficilededémêlerlesliensentrecuriosité,scienceet
sociabilité. Le salon de la duchesse d’Enville La Rochefoucauld est souvent
présenté comme un lieu où les scientifiques qui sont reçus peuvent discuter
librementdeleurs expériences.Laduchessese passionnepourles sciences,elle
étudie la géométrie, possède une belle collection de minéraux, entretient une
correspondance avec plusieurs scientifiques. Messmer correspond avec elle.
Grâceàl’entregentdeladuchesse,ilestbientôtconnudutoutParisets’engage
dans une aventure thérapeutique à honoraires très élevés. Sa théorie du
magnétisme animal, on est au tout début de la découverte de l’électricité, est
baséesursonintuitiondel’existenced’unfluideanimalinvisible,transmissible
d’unêtrevivantàunautre.Lasantédel’hommeestliéeàlabonnerépartitionde
ce fluide dans le corps. Il a inventé un appareil spectaculaire, le baquet de
Messmer dont la structure est une préfiguration (involontaire) de celle d’un
accumulateur.Leditbaquet,remplid’eauetdeverrepilé,esthérissédetigesde
fer que les patients doivent appliquer sur l’endroit où ils ressentent une
souffrance. Les thérapies sont collectives. Elles se font sous la direction du
docteur. Elles déclenchent des crises d’hystéries chez de nombreux patients,
interprétéescommedessignesdeguérison.LetoutParissediviseendeuxclans
composés de ceux qui considèrent Messmer comme un escroc et ceux qui le
considèrentcommeungrandmédecin.L’ampleurduphénomèneesttellequele
roi constitue deux commissions de contrôle. L’une est une émanation de la
Société royale de Médecine, l’autre est composée des plus grands savants de
l’Académiedessciencesetdel’Académiedemédecine.Cettedernièreconclutà
l’absencederéalitédufluideanimal.LaSociétéroyaledeMédecineacceptel’idée
que des cas de guérison puissent être observés, mais les attribue à une action
bénéfiquedel’imaginationdupatient.Il estintéressantdeconsidérerquecette
vision de l’expérience mesmérienne en fait une préfiguration des thérapies de
groupe.
L’expression « salon littéraire » est une notion historiographique difficile à
cerner car la sociabilité s’y exerce à travers la conversation. L’histoire d’un
phénomène qui se développe par l’oralité pose un problème de sources. Les
historienspeuventessayerdelireenfiligranecequisedisaitàtraverslalecture
desromanscontemporainset deséchangesépistoliers.Mais l’écritdel’époque,
mêmeprivé,doitêtreutiliséavecprécaution.Desindiceslaissententrevoirqu’il
régnaitdanscessociétésdeprivilégiésunespritfrondeurquisetraduisaitparun
goût, parfois immodéré, pour le mot d’esprit. Il existe des comptes rendus
posthumes,detraitsd’espritsquiauraientpuvaloiràleursauteursunelettrede
cachet. Ils tournent en ridicule des personnes connues, mais aussi des choix
politiquesdelacouronneet,àl’approchedelaRévolution,l’inadaptationdela
royautéabsolueetsa difficultéàseremettreen question.Lestraitsd’esprit des
salons doivent faire rire parfois même allant jusqu’à la raillerie grinçante.
Certainsprennentlaformed’épigrammespuisdescendentdanslaruevéhiculés
pardeslibellesoutranscritsenchansons.
L’artdelaconversationemprunteparfoisàceluiduspectaclepourrejoindre
celui du conteur. Chez Madame Geoffrin l’abbé Galiani, enchantait l’auditoire
par la pantomime napolitaine, dont il agrémentait ses récits. Pour Madame
Necker, mère de Madame de Staël, la conversation est aussi une forme de
spectacle. Elle rapproche cela de l’art dramatique et reprend à son compte
l’observationdeDiderotsurladistanceentrelecomédienetsonsujet,sourcede
la maîtrise de ses motions et de sa gestuelle. La conversation prend alors une
dimensionthéâtrale.
Laconversationmondaineprendparfoisuntourquilarapprochelàdel’éloge
courtisan.Ilestdebontondelouerlamaîtressedemaisonquivousinvite,c’est
une manière de participer à la galanterie alors en usage et de le faire en
respectant la hiérarchie dans l’expression des louanges choisies. Pour bien
manierlalouangeilfautconnaîtrel’usagedumonde,lesrangsàrespecter.Sil’on
est étranger, il convient d’écouter et d’apprendre auprès de ceux et celles qui
saventafindenepasfairedefauxpas!MadameGeoffrinéduquelejeuneprince
StanislasPoniatowski,futurroidePologne,lorsdesonséjourparisienetelles’en
flatte. La sociabilité mondaine est également étroitement liée aux pratiques
épistolaires. Les lettres sont utiles pour maintenir des liens interpersonnels en
périoded’éloignementoudemaladie.Certaineslettresnourrissentaussid’autres
conversations de salons à propos des absents. Ces correspondances circulent,
certainessontdestextescollectifs.D’autressontcopiéesetdesextraitsensontlus
à haute voixdans des assemblées salonnières.D’Alembert co-écrit parfois avec
JuliedeLespinasse,laduchessedeChoiseulfaitdemêmeavecl’abbéBarthélemy
depuis sa propriété de Chanteloup (proche d’Amboise) à des amis parisiens.
Madame d’Épinay écrit à l’abbé Galiani à propos des conversations échangées
danslessalonsparisiensoùilsavaientdesconnaissancescommunes.

LESSALONS:DESATELIERSD’ÉCRITURESCROISÉES
ETDELECTURESPUBLIQUES

Parfois à l’issue de diverses réunions, les membres d’un cercle salonnier
décident d’écrire ensemble un ouvrage, un recueil de textes, des poèmes, ou
encore une comédie pour la jouer avec des amis. C’est aussi une possibilité de
faire connaître dans un cercle restreint des textes qu’il n’est pas possible de
publier.En1751MadamedeGraffignyestravied’avoirobtenud’Helvétiusqu’il
vienneliredanssonsalonpoursesinvitéessonpoèmeDuBonheur,alorsqu’elle
l’avait entendu chez Melle Quinault. Le poème ne fut publié qu’en 1771. Ces
lecturesdesalonmontrentque,parmilesélitesurbaines,lalectureàhautevoix
voire la déclamation,sont encore appréciées. La marquise de Vaupalièreinvite
une soixantaine d’amis et connaissances pour écouter dans son salon
Beaumarchaisliresapiècedethéâtre LeMariagedeFigaro.Encorefaut-ilavoir
d’excellentesqualitésdelecteur,commed’AlembertdontMadameNeckerécrit
dansseslettresquesadictionestexcellente.Ilyachezcertainesfemmesledésir
d’excellerdanscetart.LacomtessedeChauvelinprenddesleçonsdedictionet
de déclamation auprès de la comédienne, Mademoiselle Clairon. Lecture et
théâtre de société ont parfois des inconvénients de même nature quant à la
difficultéderetenirl’attentiondesauditeurs!JuliedeLespinasseracontequ’elle
avait invité Marmontel à venir faire chez elle la lecture de son dernier opéra-
comique.Elleavouequ’avantlafindupremieractesonesprits’étaitenvolédans
desrêveriesetqu’ellen’avaitrienretenudel’histoirenidurôledespersonnages.
Celanel’empêchepasdeféliciterchaleureusementl’auteur.Juliede Lespinasse
écrit elle-même des textes dont on donne lecture dans les sociétés qu’elle
fréquente. Ce sont souvent des pièces courtes teintées de l’atmosphère des
romansanglaisdel’époque.Onyrelèveainsideslouangessurlabienfaisancede
MadameGeoffrinquiaétéuntempssonmentor.
Lapoésieestunautremarqueurdespassionsdecettesociétémondaine.Ilest
bien vu de composer des vers et de les lire à haute voix à des amis et
connaissances. Lesévènements politiques ou de la vie desociété courante sont
desoccasionsd’écrireetdemettreenmusiquequelquespoèmessurdesairsdéjà
connusetfortàlamode.Enavril1773,MmeduDeffandadresseàChanteloupà
laduchessedeChoiseulunechansoncomposéeparlacomtessedeBoufflersque
voici:
«Dimanchej’étaisaimable,Lundijefusautrement,
Mardijeprisl’aircapable,Mercredijefisl’enfant;
Jeudijefusraisonnable,Vendredijeprisunamant,
Samedijefuscoupable,Dimanche,ilfutinconstant»
Elle eut du succès dans les salons parisiens. Parfois, il est de bon ton
d’accompagneruncadeaupourunefêted’unpoèmecomposéàceteffet.
Danscettesociabilitémondaineons’amusaitaussiàfairedesbouts-rimés,jeu
qui consiste à écrire un sonnet à partir de rimes imposées. Madame Suzanne
Neckers’yprêtaitavecdesconcurrentsinvités.Ondonneunelistederimes,avec
lesquelleslesconcurrentsdoiventfairel’élogedelamaîtressedemaison.Onpeut
sefaireuneidéedeladifficultédelatâcheàlalecturedelalisteci-après,imposée
dans une réunion qui eut lieu chez Madame Necker : « pantoufle, souffle, rat,
mat,écrevisse,coulisses,haricots, visigot(sic),corniche,fiche, carafon,typhon,
seigle, règle ». Les charades, exercice auquel excellait Diderot, faisaient aussi
partie de ces jeux de société. Les concours de listes de synonymes, où chacun
tentederéaliserunelistepluslonguequecellesdesesconcurrents,rencontrent
égalementuncertainsuccès.JuliedeLespinassepratiquaitsouventcejeu,mais
elle était attachée au « bon ton » langagier ! Madame de Staël faisait aussi cet
exerciceludiquequis’apparenteaubadinageetàlapréciosité.
Le badinage était roi chez la marquise de la Ferté-Imbault, fille de
Mme Geoffrin. Cette jeune femme devenue veuve peu de temps après son
mariage a fui le salon de sa mère et les philosophes qui le fréquentent. Elle
préfèreserapprocherdessociétésaristocratiquesquesonmariageluiarendues
accessibles : les Pontchartrain, les Condé, les Chevreuse, la duchesse de
Brancas…Unsoirde1771elleinviteàl’undesesdînersdulundi,desamiset
connaissancesetquelques étrangerscommele comteet lacomtesseStroganov.
L’hôtesseveutremédieraux idéestristesliéesàla discussiondelapolitique du
ministreMaupeoucontrelesparlements.Pourpasseràdesidéespluslégères,on
écrit des chansons facétieuses, attribuées à l’ordre de chevalerie parodique et
mixte des Lanturelus. Plusieurs soirées sont consacrées à ce divertissement, on
composa collectivement des vers, des couplets de chansons. La marquise de la
Ferté-Imbault est nommée reine des Lanturelus. Hostile aux Encyclopédistes
amis de sa mère, elle a fermé sa porte à Messieurs D’Alembert, Marmontel et
autres, tous anciens amis de sa mère. Elle a choisi la défense de la foi, les
philosophes de l’Antiquité, les philosophes chrétiens du siècle précédent,
Montaigne, Descartes, Malebranche, Pascal. Son salon antiphilosophique ou
encoredebadinagelarendcélèbreauprèsdelahautearistocratie.Cessoiréesdes
Lanturelus continuèrent plusieurs années toujours dans un cercle d’initié(e)s.
Ainsien1786MadamedeStaëldemandaàêtremembredecegroupe,nonpas
en raison de convictions partagées mais toujours dans le registre des jeux
mondains.
La personnalité de Madame de Tencin illustre assez bien une facette
particulière du rôle que peuvent tenir les femmes dans le fonctionnement des
«bureauxd’esprit».AlexandrineSophieGuérindeTencin,naquitàGrenobleen
1682.Sa famille lamet fort jeuneau couvent etelle y restecontre son gré.Ses
vœuxluisontextorquésen1698.Elledoitlutterjusqu’en1712pourobtenird’en
êtrerelevée.Elleréussitàs’installeràParisen1711etàpénétrerlesmilieuxdu
pouvoir grâce à l’appui du cardinal Dubois, son amant. Quelques années plus
tard elle ouvre un « bureau d’esprit » fort réputé mais surnommé par ses
détracteurs«laménagerie»!Onyparlebeaucouppolitiqueetfinance,surtoutà
l’époquedelaspéculationdeLaw.MadamedeTencins’enrichitenrevendantà
tempslestitresacquisauprèsdecedernier.Lesalonprendensuiteunetournure
littéraire. Bon nombre d’écrivains le fréquentent : Fontenelle, Marivaux, l’abbé
PrévostpuisMarmontel,Helvétius,Montesquieu.Etc’estlàqueMmeGeoffrin,
membredelabourgeoisieetdunégoceréussitàs’introduire.MadamedeTencin
publie aussi avec succès quelques romans dont les Mémoires du comte de
Comminge. Elle avait également un goût prononcé pour le théâtre et pour
l’opéra.
Dans ses Mémoires, Jean-François Marmontel évoque l’atmosphère du salon
deMmeGeoffrinetdepersonnalitésfortdiversesqu’onyrencontrait.
«Assezrichepourfairedesamaisonlerendez-vousdeslettresetdesartset
voyant que c’était pour elle un moyen de se donner dans sa vieillesse une
amusantesociétéetuneexistencehonorable,MmeGeoffrinavaitfondéchez
elledeuxdîners,l’unlelundipourlesartistes,l’autrelemercredipourlesgens
delettres,et,unechoseassezremarquable,c’estque,sansaucuneteintureni
desartsnideslettres,cettefemmequi,desavie,n’avaitrienlunirienappris
qu’àla volée,setrouvant aumilieude l’uneou l’autresociété,ne leurétait
pointétrangère».
Marmontel note encore que Mme Geoffrin se sent à l’aise mais qu’elle a la
prudence de ne pas monopoliser la parole, d’accorder la parole aux personnes
instruitesetd’écouteravecattentionetbienveillance.Elleestimpatiented’aider
sesamisendifficulté.

CORRESPONDANCESFÉMININESETINTRIGUES
Que les femmes soient hôtesses, qu’elles participent aux débats, les hommes
peuventletolérer,maisqu’ellesveuillents’exprimercommeécrivaines,celareste
difficilementpensable.Leshommespeuventleurconcéderunsavoir-fairedans
un genre littéraire mineur, celui de la correspondance. Celles qui voulurent
s’aventurerdansd’autresproductionslittérairesfurentpourlemoinshumiliées,
voireridiculisées,commeMadamedeGraffigny(«Lettresd’unePéruvienne»),
MadameduBocage,MadamedeBeauharnais.
Des luttes politiques qui font trembler la monarchie à la fin de l’Ancien
Régime,on trouvequelqueséchos dansles correspondancesentremembres de
sociétéssalonnièresquirelatenttelouteléchangelorsdeconversations.Onsait
aussi que les épigrammes, libelles et chansons politiques ne sont pas que des
divertissements.CestextescirculaientdanslesquartiersdeParisetgagnaientla
province. Certains cercles sont proches de la cour. C’est le cas de celui de
Madame du Deffand en raison de ses relations avec la duchesse de Choiseul.
MadameduDeffandprendpartipourleducdeChoiseullorsducomplotourdi
parMaupeoupourobtenirsadisgrâce.Unsouperamicalpeutsetransformeren
affrontementpolitique.Monsieurde Choiseuldoitquitterle postedeprincipal
ministreduroiets’exileràChanteloup.Leducd’Aiguillonleremplaçaauposte
de secrétaire d’État aux affaires étrangères. Mme du Deffand ne voulut plus
fréquenterlesalondeladuchessed’Aiguillon.
Certainssalonsdeviennentdeslieuxpropicesàl’actionpolitique.Lesalonde
MmedeTencinestconnupouravoirétéunfoyerd’intriguesquiontcontribuéà
l’ascensiondelacoterieducardinalDubois,avant1730.
Encores’agit-ild’épisodesmineursparrapportauxévènementsquichangent
lesliensentresalonsetpouvoirpolitiqueàlafindusiècle.Lestensionssociales,
prémissesdelaRévolutionmodifientl’attitudedessociétéssalonnièresvis-à-vis
dela cour.Celle de MadameCassini estconservatrice. Elletient unsalon chez
elle, rue de Babylone. Elle y fait jouer la pièce Mélanie, ou la Religieuse de La
Harpe,alors quela pièceavait étéinterditepar l’archevêquede Paris.Dans ses
salons,oncolportelesnouvellesmaissurtout,onintriguepourfaireoudéfaire
un homme en place, diminuer une influence ou ruiner une réputation. Elle-
même est ouvertement contre-révolutionnaire. Impliquée dans plusieurs
complotsroyalistes,elleémigreàLondresen1792.
Lacarrièredeshommescélèbrespasseparfoisparlesrencontresqu’ilsfirent
dans les milieux salonniers. Un jeune séminariste en rupture de ban, le futur
abbé puis cardinal de Bernis, personnage qui fut l’artisan du renversement
d’alliancequiprécédalaguerredeSeptansetl’influentreprésentantdelaFrance
auprèsdelapapauté,fréquentalessalonsdeMadameGeoffrin,delacomtessede
PontchartrainpuisceluideMadameLeNormantd’Étiolles(futuremarquisede
Pompadour).Cadetdefamilledestinéauservicedel’Église,ilarrivaàParispetit
poèteamateur.Aprèsavoirfréquentélesmeilleurssalonsdelacapitale,ildevient
ministre des Affaires étrangères, puis l’un des plus puissants diplomates de
Francejusqu’àlaRévolution.

DESSALONSPOLITIQUESÀLAVEILLEDE1789
S’ilexisteunsalonpolitiqueàlaveilledelaRévolutionde1789,c’estbiencelui
des Necker, Leur hôtel particulier (hôtel d’Halwill) se trouve au Marais, rue
Michel Lecomte. Le salon de Suzanne Necker fut un appui certain pour la
politique et l’accession au pouvoir de son mari. On y reçoit la duchesse de
Luxembourg, la comtesse de Boufflers, les Beauvau, Mme du Deffand et des
diplomates mais aussi des hommes de lettres comme Morellet. Le salon de
Mme Necker permit à ce banquier genevois et protestant d’entrer dans la
« bonne société » mondaine et d’y trouver des relais, tant son épouse avait de
talents pour fréquenter des groupes différents. Necker bénéficia des appuis de
MadameduDeffand,deMmedelaFerté-Imbault.MmeNeckersutapporterà
sonmaril’appuideshommesdelettres.L’opinionpubliqueseconstruisitainsi,
indirectement,enfaveurdeNecker.Ilréussitaussiparcebiaisàfaireconnaître
son mémoire sur la Législation du commerce des grains. Necker échoue à
assainirlesfinancesduroyaumeIltentedes«coups»audacieuxetilestdesservi
parlachance.Peut-êtrea-t-ilétéunedesdernièrescartesdelaroyauté?
Onnesaurait,nonplus,négligerlaprésencemassivedesdiplomatesdansles
sociétés salonnières. La sociabilité fait partie du métier d’ambassadeur. Sous
couleurde«divertissementmondain»lesambassadeursétrangersfontleurmiel
des idées qui circulent dans ces milieux proches du pouvoir. Ce travail est
particulièrementnécessaireaumomentdelapréparationdesguerres.Leprojet
d’aide aux insurgés américains de Lafayette et Rochambeau au temps où le
pouvoirs’interrogeaitsurl’opportunitéd’uneinterventionaéveillél’attentionde
tousceuxquiavaientdessympathiesbritanniques.Ilestderèglequ’enpériode
d’incertitude politique, les salons soient les lieux où on espère glaner les
informations fiables et indispensables. Les rumeurs sur la guerre de
l’IndépendanceaméricainecirculentdanslessociétésreçuestantchezMadame
NeckerquechezSophiedeGrouchy,jeuneépousedeCondorcet.
Le phénomène salonnier peut paraître déroutant, tellement la diversité de
fonctionnementde ces assembléespeut cacherce qu’elles ontde commun. Les
raisons de son existence vont du simple désir de s’amuser ou de se cultiver à
l’organisationdecomplotsdestinésàfairetomberendisgrâceunepersonnalité
connue au profit d’une autre présentée comme plus compétente. Parmi ces
raisons,ilyeneutdeplusnobles,commeledésird’unesociétéplusjusteetplus
ouverteauprogrèsquecelledelamonarchieabsolue.Danscedomaineuneplace
particulièreesttenueparlessalonsdeMadameNeckeretdeSophiedeGrouchy.
Ontrouveral’étudedecedernierdanslasecondepartiedecechapitreconsacréà
lapérioderévolutionnaire.Cesdeuxassembléessalonnièresontétéfréquentées
pardes«passeurs»,personnagesauxquelsleurouvertured’espritpermettaitde
comprendre les arguments de parties en conflit et d’imaginer des solutions
permettantuneconciliationaminima.
On retiendra surtout que, toutes natures de salons confondues, les hôtesses
ontvidélacourd’unegrandepartiedesesfonctionsqu’ellessoientludiquesou
politiques.Lepouvoird’influencequi aétéjusque-làle privilègedesprincesses
du sang et des maîtresses royales est passé entre les mains d’une classe
intermédiaireàlaquelleappartiennentaussibiendesduchessesquedesfemmes
delanoblesse derobeet degrandesbourgeoises.Il seraitvainde croirequele
succèsdecesfemmessoitdûàunequelconqueloiouchangementdementalité
deshommesconcernantlaplacedelafemmedanslasociété.Ellesneledoivent
qu’àleuraudaceetàleurintelligence.
Leslieuxcommunsdel’époquesurlanaturedesfemmessontunressassement
deceuxquiavaientcoursdanslessièclesprécédents.Littérature,philosophieet
médecineontcroiséleursapprochespourdéfinirunarchétype«scientifique»de
féminité : « constitution délicate », « tendresse excessive », « raison limitée »,
« nerfs fragiles »… La soi-disant infériorité intellectuelle et physiologique de la
femmejustifiequ’ellesoitprivéededroitscivilsetpolitiques.Diderot,dansson
essaide1772«SurlesFemmes»,notequel’exaltationdelabeautéféminineetla
célébrationdusentimentamoureuxnesontquel’enversdel’enfermementdela
femmedanssoninférioritéphysique.
Leur vocation naturelle se réduit à une activité domestique, extérieure à la
société civile. Mères ou ménagères, elles sont loin des fonctions sociales que
certainesdésirent.Lafemmeestleprincipespirituel(l’âme)dufoyer,l’homme
en est le principe juridique. Le cantonnement de la femme s’accentue lorsque
l’hommeestreconnuaveclaRévolution,commeunsujetautonome,participant
directementàlasouverainetépolitique.
Les partisans de l’égalité politique, on l’aura noté, ne sont pas nombreux
pendantleXVIIIesiècle.Aussin’est-ilpassurprenantquelestatutjuridiquedela
femmeàcetteépoque,n’évoluequ’àlafindelaRévolution.

FEMMES,ENFANTS,ÉDUCATION,DANSUNROYAUME
DE28MILLIONSD’HABITANTS

Lavisiondelafemmequiestcelledel’époquesetraduitdansladémographie.
Le royaume compte 28 millions d’habitants. Les quelques données
démographiquesconnuespermettentd’estimeruntauxdenatalitéde35à38°/°
°.L’âgedumariageestde26à28anspourlesfemmes,autourde28anspourles
hommes.L’espérancedeviemoyenneàcetteépoqueestde40à45ans.Ladurée
moyenned’existenced’uncouple,horsséparation,n’excédaitpas15ans.Après
lapremièrenaissance,l’intervalleentregrossessesn’excédaitpas2ans.Lamise
ennourricedesenfantsestunusagefréquentchezlesurbainsquiontrecoursà
l’« allaitement-mercenaire » selon l’expression de l’historien Emmanuel Leroy-
Ladurie. Bourgeoises et femmes d’artisans envoient leurs enfants en nourrice
dans les petites bourgades ou dans les villages de la région. Cet usage s’est
particulièrementdéveloppéenFrance(Cahier-images,Pl.IV).Lamédiocritédes
soins donnés aux enfants est cause de nombreuses maladies infantiles à l’issue
parfoistragique.Lesfemmesdelaplushautesociétéontsansdouteaccèsàdes
moyens dela limitation desnaissances car on observeque les famillesde cette
classesociale sontsouventréduites àdeux enfantscontrecinq àl’époque dela
génération précédente. Les jeunes gens de l’aristocratie sont souvent mariés
avant 20 ans, contrairement aux usages des milieux populaires. Le
rapprochement de ces deux constats laisse soupçonner l’utilisation discrète de
processus contraceptifs contraires aux vues de l’Église. Dans la noblesse
nouvellementautoriséeauxactivitésdecommercepardécretroyal,cesmodesde
contraception gagnent du terrain, dans le but d’éviter la dispersion du
patrimoinefamilial.
Le goût pour le libertinage multiplie les naissances illégitimes avec leur
corollaired’abandonsd’enfants.MadamedeTencinabandonnesonfilsJeanLe
Rondd’Alembert,J.-J.Rousseauabandonnalestroisfillesqueluiavaitdonnées
sacompagneThérèseLevasseur.LesHospicesdesenfantstrouvés,œuvretenue
parlesfilles delaCharité (sœursdeSaint-Vincent-de-Paul),s’agrandissentpar
deuxfois en 1750,puis en1780. L’établissementqui donnesur le parvisNotre
Dame dispose d’une ouverture munie d’un tour en bois. Cet appareil se
manœuvreindifféremmentdel’intérieuroudel’extérieurdubâtiment.L’enfant
y est déposé discrètement la nuit, on pousse le tour et l’enfant est retrouvé au
matin dans la partie intérieure de l’édifice. Certaines mères abandonnent
directement leurs enfants dans les églises, dans un geste qui traduit une
confiance dans la protection divine. Cependant, si le nombre d’enfants
illégitimes abandonnés s’accroît au XVIIIe siècle, le nombre d’infanticides
décroît, sans doute sous l’effet d’une certaine humanisation des mœurs.
L’abandond’enfantslégitimesestaussiunepratiqueliéeàlamisèrequifaitson
apparition dans les périodes de famine. Madame de Fougeret, fille d’un
administrateurdeshôpitauxfondeen1784,àl’attentiondecesenfantsqueleurs
famillesnepeuventplusnourrir,laSociétédecharitématernelle.Soninitiative
estsoutenueparlareineMarie-Antoinette.Onaccordeauxmèresdessecoursen
argentetennature(vêtements,nourriture…),maisladétressedesfilles-mèresne
provoque aucune empathie. Elles restent stigmatisées dans la société qui les
entoure. Les institutions charitables qui recueillent les enfants abandonnés
recherchent en permanence des nourrices dans les campagnes environnantes,
maisnepeuventpastoujourstrouveruneréponseàtemps.Ilsembleraitqu’un
tiersdesabandonnésmeurentdanslesjourssuivantl’abandon.
Les survivants, lorsqu’ils sont âgés de quelques années sont adressés aux
orphelinatsoùilsontlestatutd’internesetsontsoumisàdesrèglesédictéespar
lebureaudespauvresdanschaquegrandeville.Dèsleplusjeuneâge,ilsdoivent
fréquenter quotidiennement des ateliers en vue de l’apprentissage d’un métier.
Une éducation religieuse leur est donnée. Le personnel est principalement
composédegouvernantes,dontcertainessontdesreligieuses.
Maternité et santé féminine ne font pas partie des interventions étatiques.
Cependant L’État et les élites éclairées sont intéressés par toutes les initiatives
concernant un problème grave de santé publique : la mortalité féminine et la
mortalité des nourrissons dans les jours qui suivent la naissance. Madame du
Coudray,sage-femmeàParisoùellepratiquejusqu’en1755,rédigeauncourssur
l’accouchement,fruitd’untravailextraordinaireetd’unepratiquedequalitéqui
luiassurauneréputationetdessoutiens.ElleserenditenAuvergneàlademande
d’unseigneur localpourformer dessages-femmes.Pourexposer lesmeilleures
méthodesàappliquerenfonctiondelapositiondufœtus,elleréalisaunesorte
demachineentissurembourrécomposéed’unmannequindebassindefemme
et d’un mannequin de nourrisson qui prend place à l’intérieur. Dès 1759 son
enseignement est reconnu et un brevet royal l’autorise à enseigner l’art de
l’accouchement dans tout le royaume. Elle sillonne un grand nombre de
provinces pendant plusieurs années. Son projet pédagogique comporte deux
mois de cours, à la suite desquels les jeunes sages-femmes complètent leur
formation auprèsd’un chirurgien obstétricien pendant deux semainesenviron.
De nombreux chirurgiens deviennent, à leur tour, des démonstrateurs de la
méthode de Madame du Coudray. Le sujet de l’accouchement, grâce à son
impulsion,progressedanslespublicationsmédicales.LechirurgienDesfarges,en
1786,rédigeunMémoiresurlanécessitédefaireinstruirelessages-femmesdela
campagneetlesmoyenslesplusfacilesdelefairedanslagénéralitédeLimoges.Ce
soucidesantépubliqueetdeluttecontrelamortalitédesnouveau-nésetdeleur
mère,inciteen1786lecontrôleurgénéraldesfinancesCalonneàfaireexécuter
parlesintendantsuneenquêtesurl’encadrementmédicalduroyaume(incluant
médecins,chirurgiens,sages-femmes)souslasurveillancedelaSociétéroyalede
Médecine.Lesrésultatsfurentanalysésetlesmédecinsdumondeurbainjetèrent
lasuspicionsurletravailetlesconnaissancesdessages-femmesetmatronesdu
monde rural. Les méthodes de Mme du Coudray furent répandues grâce à un
enseignement de proximité dans le cadre rural pour ne pas décourager les
vocationslocales. Certaines formationssont même itinérantes,dans l’espoir de
réduire le coût. Tous les efforts de formation médicale dans le domaine de
l’accouchementportentlentementleursfruitsaprèslaRévolution.
Éducationetpédagogie del’enseignementdestiné auxfemmes,comme nous
l’avons abordé au précédentchapitre ont occupé bon nombre de beaux esprits
dans la lignée des décisions du Concile de Trente et ensuite pendant le
XVIIe siècle.L’abbéClaudeFleuryen1685publieparmilesderniersouvragesde
pédagogiedelafinduXVIIeleTraitéduchoixetlaméthodedesétudes.Ilestime
que les femmes méritent que l’on soigne leur instruction car elles font preuve
d’application,decourage,devivacitéd’esprit,dedouceuretdemodestie.Fleury
propose de faire enseigner aux filles la religion (en s’écartant de toute
superstition),lalecture,l’écriture,unpeuderédactionpourlessujetsusuels,de
l’arithmétiquepratique,des sciencesménagères,de lajurisprudence. Lesloisirs
ne doivent pas donner lieu à la lecture de romans ni à des sujets frivoles (la
mode, les rubans, les coiffures…). En 1687 Fénelon publie un traité de
L’Éducation des filles. Plus libéral que son prédécesseur, il estime que les filles
peuventaussiétudierl’histoire,unpeudelatin,demusiqueetdepeinture,àla
conditiondenerienexagéreretderesterdansunedirectionquipréparelajeune
fille à son rôle social et familial selon son rang. Madame de Maintenon, nous
l’avonsvus’étaitinspirée decesprincipeslors delafondationde laMaisonde
Saint-Cyren1686.
Pendant le XVIIIe siècle éducation et pédagogie restent des sujets qui
passionnent. L’abbé de Saint-Pierre rédige en 1730 un ouvrage intitulé Projet
pourperfectionnerl’éducationdesfilles.Ilconçoitunprojetinnovantdanslequel
une sorte de bureau de l’enseignement réglementerait le contenu des
programmes et superviserait les enseignements dans les collèges tant pour les
fillesquepourlesgarçons.Ilproposepourlesfillesunescolaritéquidureraitde
5 à 18 ans organisée par niveau de classes. Chaque classe comporterait 3
maîtresses et 15 élèves. À côté des internats, l’auteur propose d’organiser des
externats gratuits. Vers 1760, la question de la pédagogie passionne encore
davantagelesélitesetformelesujetdediscussionsdanslessalonslittéraires.En
1762 Jean-Jacques Rousseau publie son célèbre L’Émile ou de l’éducation. Au
LivreVdel’ouvragelejeuneÉmilerencontreSophieetfaitleprojetdefonder
une famille. De manière très décevante, l’éducation de Sophie est entièrement
vouéeàsafonctiond’épouseetdemère.
Lelivreestvitel’objetdecritiquesacerbesdelaSorbonne,puisdesparlements
pourcaused’irréligion.Àcettemêmepériodesesituel’expulsiondesJésuitesde
Franceetdecefaitladésorganisationoulafermeturedebonnombredecollèges
qu’ils dirigeaient. Peut-être les catholiques craignent-ils qu’un mouvement se
dessineenvuederemplacerlescollègesdesJésuitespardesinstitutionslaïques
imprégnéesdel’espritdesphilosophes.
Selonuncourantdepensée quiaperduréetperduredansle temps,certains
pédagoguessontplutôtfavorablesàl’enseignementdanslemilieufamilial,s’ilest
aisé et cultivé. Le sujet de l’éducation des filles est très inspirant. Madame de
Miremont publie entre 1779 et 1789 un Traité de l’éducation des femmes qui
couvreseptvolumes!Lesfillesseraientaccueilliesdansunespaced’éducationde
septàdix-huitans.Elleproposededécouperladuréedesétudesendeuxcycles.
Lecontenudesétudescomportelareligion,lamusique,ladanse,maisaussiles
languesvivantes,lalittérature,l’histoire,lagéographiesansoublierlagrammaire
et l’orthographe de la langue française. L’auteure insiste sur la qualité de la
formation des professeures. Parmi les personnes qui suivent les préceptes de
Jean-Jacques Rousseau on note le cas de Madame d’Épinay pour ses propres
enfants,cequil’amèneàpublieren1774unouvragederemarquespédagogiques
Les Conversations d’Émilie. J.-J. Rousseau a lui-même développé l’idée qu’une
fille doit être éduquée afin de devenir la compagne d’Émile dont il a tracé le
cheminement. Elle se nomme « Sophie », il consacre un développement (le 5e
livredel’ouvragel’Émile)quiviseàmontrerquetoutefemmedoitêtreéduquée
afin de devenir la compagne agréable de l’époux et une mère dévouée à ses
enfants.
Quecesoitdanslanoblesse,oudanslabourgeoisiecultivée,onnotequebon
nombre de parents qui disposent de moyens financiers préfèrent garder leurs
fillesàlamaisonetfairevenirdesprécepteursdel’extérieur.Ilsseréserventde
définir eux-mêmes la teneur du programme d’enseignement. C’est ce type
d’éducationquereçutManonPhilipon,futureépousedurévolutionnaireRoland
et égérie des Girondins. Une fois ses études faites à la maison ses parents
l’envoient quelque temps au couvent où elle continue à se perfectionner en
musiqueetendessin(Cahier-images,Pl.VI).

DESFEMMESD’EXCEPTIONACCÈDENT
AUXCONNAISSANCESSCIENTIFIQUES
AUPRIXDEBIENDESOBSTACLES

Dans cette période du XVIIIe des femmes ont brisé de tabou selon lequel la
connaissance desdisciplines scientifiques ne convenait qu’auxhommes. Émilie
du Châtelet, (1706-1749) reçut de ses parents une éducation soignée et
approfondie,raredanslesmilieuxdelanoblesse.Sesparentstenaientunsalon
littéraire à Paris et recevaient Fontenelle homme de lettres dont on louait le
talentdansledomainedelavulgarisationscientifique.Émilie,trèsjeuneprésenta
desdispositionspour lesétudes,le latin,le grec.Elleapprit l’allemand.Ellefut
initiée à la musique et au chant. La curiosité scientifique qui avait été éveillée
dans son esprit la conduit à l’étude des mathématiques et de la physique. Elle
traduisitl’œuvredeNewton(Cahier-images,Pl.VI).
Elle fait la connaissance de Voltaire en 1734, et l’invite en son château de
Cirey.Il futson compagnonpendantune quinzained’années etl’encourageaà
approfondirsestravauxenphysique.ElleétudieLeibniz,rencontreMonsieurde
Maupertuis, mathématicien, physicien, astronome et naturaliste français qui
contribua notammentà la diffusion des théoriesde Newton hors d’Angleterre.
Elle fait la connaissance de Réaumur, l’inventeur de la thermométrie et grand
connaisseur des techniques ainsi que des sciences du vivant, elle sollicite les
conseilsde Buffon.À lacour, Émiliefut l’invitéede laduchessedu Mainelors
desfêtesauchâteaudeSceaux.Sarenomméevaau-delàdesfrontières.Émiliefut
élueàl’AcadémiedessciencesdeBologne.
SophieGermain(1776-1831)estégalementunemathématicienne.Néedansla
bourgeoisiecommerçanteetaiséedeParis,d’unpèrequifutdéputédutiersétat
en 1789. Toute jeune elle apprend seule le latin et le grec puis s’intéresse aux
sciences, aux travaux de Newton. Elle est aussi passionnée par les
mathématiques,ellecommuniqueavecLagrangemaisellenepeutallerétudierà
l’École polytechnique, créée sous la Révolution mais non accessible aux filles.
Afin de continuer seule à étudier puis à correspondre avec de célèbres
mathématiciensdesontempsdontJosephFourier,BaderetGauss,ellesedécide
à signer tous ses courriers d’un nom d’emprunt masculin, Antoine Auguste
Leblanc, afin que ses travaux soient pris au sérieux. Sa famille la soutient
financièrementcequiluipermetd’avancerdanssesrecherches.Elles’épuiseles
dernières années à rédiger et publier ses dernières recherches avant de mourir
d’uncancerdusein.

DESFEMMESMÉCÈNESAUXCHEFFESD’ENTREPRISES
ETAUX«JOURNALISTES»

Issud’unepratiquequiremontaità laRenaissancele mécénatestuneforme


visibledupouvoirdévoluauxreines,princessesdusangetmaîtressesroyalesde
lamonarchie.MarieLeczynska,épousedeLouisXVaungoûtprononcépourla
musique.Elledonnerégulièrementdesconcertsdestinésàdesgroupesd’intimes.
Toutes ses filles apprirent la musique auprès de maîtres réputés. La reine
pratiquaitaussilapeinture,etl’aquarelle.Ellecontribue,avecsabelle-filleMarie-
JosèphedeSaxe,àfaireveniràVersaillesdesartistesderenom,comme,en1737,
lecastratFarinelliquiluidonnedescoursdechant,ou,en1764,lejeuneprodige
Wolfang-AmadeusMozart.Lareineappréciaitaussilesopéras.
Marie Leczynska confia en 1767 à l’architecte lorrain Richard Mique la
constructiond’uncouventdédiéàl’éducationdesjeunesfillessousladirection
dessœurs augustines,à Versailles.Laconstruction dela chapelleest encoreen
cours à la mort de la reine. L’édifice adopte le plan d’une croix grecque, il est
coiffé d’un dôme porté par quatre demi-coupoles, le tout couvert d’ardoises,
CetteconceptionarchitecturalerappellelaVillaRotondaconstruiteparPalladio
enVénétie(cetédificeestdevenudepuislafinduXIXe sièclelelycéeHoche).
LamarquisedePompadour,favoriteentitredeLouisXV,estparticulièrement
favorableauxphilosophesetauxintellectuels.Grâceàelle,lesécrivainsontainsi
puavoirunerelativelibertéderépandredesidéescontestatairesenfaisantl’éloge
dusystèmepolitiqueanglaisetenappuyantl’idéed’unemonarchieéclairée.Elle
favorise,entreautres,lapublicationdesdeuxpremiersvolumesdel’Encyclopédie
deDiderotetd’Alembertquivenaitpourtantd’êtrecondamnéeparleParlement
deParis.
Madame de Pompadour prit aussi la défense de Montesquieu face aux
critiquesdont il fut lacible, lors dela parution deson livre Del’Esprit des lois
publié en 1748. La marquise a pour médecin personnel le docteur François
QuesnaychefdefiledesPhysiocratesmouvementéconomistequiconsidèreque
la richesse d’une nation est le fruit exclusif du travail de la terre. L’économie
politique fait alors ses débuts sous l’Ancien Régime, avant la naissance de
l’industrialisation.LamarquisedePompadourestaussilaprotectricedesdébuts
decemouvementphysiocratique.
Par ses commandes, elle fait travailler de nombreux artistes et artisans. Elle
s’intéresse à la manufacture de porcelaine de Vincennes et organise son
réaménagement à Sèvres au bord de la Seine, non loin de Saint-Cloud et du
châteauqu’ellepossédaitàBellevue.L’undesobjectifsétaitderivaliseravecles
porcelaines du Japon et de Chine dont les qualités sont copiées par les
manufactures de Saxe et de Meissen. C’est un enjeu quasi économique pour
aboutiràlaproductiondeporcelainedureavecdesubtilsmélangesdekaolinde
différentesorigines.Ellemetàl’honneurdesartistesdeSèvres,telsJean-Jacques
Bachelier et Étienne Falconnet. Ils ont réalisé de nouvelles nuances de ces
couleursdifficilesàmaniercarellesvirentàlacuisson:lejaunejonquille,lebleu
deSèvresoulerose«lilas»appelé«rosePompadour».Lesmotifsen«fleursen
naturel»plaisentpourleurdélicatesse.Lamarquiseexerceunvéritablemécénat
auprès des peintres et des artistes des arts-décoratifs et de l’ameublement. Elle
encourage les peintres Boucher, Nattier, Quentin de La Tour, Van Loo, le
graveurCochin,l’ébéniste Oeben,lesculpteurPigalle etlemaître-gainier Jean-
Claude Galluchat qui a inventé l’utilisation d’un cuir dit de poisson,
agréablementteintépourréaliserdescoffrets.Lamarquises’intéresseaussiàla
constructiondemonumentsurbainscommelaPlaceLouisXV(actuelleplacede
laConcorde)etdedemeurespersonnellescommelePetitTrianon.Soninfluence
s’étenditaussiauprojetdefinancementpourlaréalisationdel’Écolemilitaireà
Paris,procheduChampdeMarsauxcôtésdesonamilefinancierJosephParis
Duverney.
PlustardlareineMarie-Antoinettefavoriselestravauxdesarchitectesetdes
décorateursquiremanientlechâteaudeVersailles.Ellereçoit,enprésent,lepetit
TrianonquiavaitétéédifiépourMadamedePompadour.Lareinefaitconstruire
lehameaupourvenirs’ydélasseravecsesamis.Elleappréciaitdejouerunrôle
authéâtre,dechanteretdejouerdelaharpe.
Les femmes à cette époque ont élargi la place dans un métier qu’elles ont
conquis pour la première fois au siècle précédent à l’occasion de la fronde : le
journalisme.LespremiersécritsjournalistiquesdefemmesdatentdelaFronde,
peu après les premiers succès de la Gazette en 1631. Certains écrits de presse
féminins voient le jour, dont La Gazette des Halles. La première journaliste
françaiserevendiquéedontlenomsoitconnuestMarieJeannel’Héritier,active
en1703.EllepubliaL’Éruditionenjouéeounouvellessatiriquesetgalantesécrites
à une dame française qui est à Madrid (sic). Ce fut une première tentative
fémininedansledomainedufeuilletonetdelacritiquelittéraire.
Anne-Marguerite Petit Dunoyer, protestante issue de Nîmes et partie
s’installerenHollandeestuneautrejournalistedontl’histoirearetenulenom.
Aprèsdesannéesdifficiles,elleconnutlesuccèsettrouvaunestabilitématérielle
avecsanominationaupostederédactriceenchefdujournalLaQuintessencedes
nouvelles de 1711 à 1719. Cette publication est postérieure à la Révocation de
l’ÉditdeNantes,elleestnovatriceetonytrouvel’expressiondegenreslittéraires
fortsdivers.MadameDunoyera pourmissiondedistraireson lectoratetaussi
d’enrichircertainesinformationspourreleverlaplatitudeducompterendubrut.
Cependant elle n’écrit pas spécialement à l’intention des femmes. Un autre
journalrédigéparMademoiselleBarbier,àpartirde1714,Lessaisonslittéraires,
faisait preuve de quelques sympathies féministes non élitistes. Le Nouveau
Magasin Français, journal de Madame Leprince de Beaumont s’adresse à un
publicmixte.LeJournaldesdamespubliéde1759à1778marqueunchangement
d’orientationdans ce typede publication.Il fut dirigésuccessivement partrois
femmes, puis par Louis-Sébastien Mercier. Le contenu de la publication est
marquéparlesidéesprérévolutionnaires.Letiragedujournaloscilleentre300et
1 000 abonné(e)s. Malgré leurs efforts, les rédactrices n’ont pas réussi à attirer
massivementunpublicfémininassezpassifethabituéàêtresoumisàlavolonté
d’une sociétémasculine. En 1761, Madame de Beaumer journalisteprotestante
éditricedu Journaldesdamesaffichedespositionsouvertementféministes.Elle
défendles opprimés, prônela tolérancereligieuse, la franc-maçonnerie,la paix
internationaleetl’égalitédetousdevantlaloi.Elleeutàluttercontrelescenseurs
principalement parce qu’elle traite de l’assujettissement des femmes, et veut
pousser les femmes à faire preuve d’audace. Ses idées personnelles, sont
marquéesparlafranc-maçonnerie.ElleestmembredelalogemixtedelaHaye.
Àlasuitededéboiresfinanciers,elledoitseréfugierenHollande.Puis,aprèsun
séjouràLondres,elletenteunretoursurlascèneparisienne,ànouveauprêteà
s’exposer à la censure. Ayant échoué elle se replie à nouveau en Hollande,
laissantlasuccessiondujournalàMadamedeMaisonneuve.Cettepersonnalité
connaîtlesmilieuxfinanciersparisiensetréussitàélargirlecercledesabonnées
et, même, à bénéficier des aides royales. Le journal accumula des bénéfices, sa
rédactricesutresterdansles«limitesdelabienséance»,maissurcertainssujets
sa publication se trouve être en concurrence avec celle du Mercure de France.
Madame de Maisonneuve confia le journal à un collaborateur. Les difficultés
politiques lors de la réforme de Maupeou fragilisent le titre. La dernière
rédactrice fut Mme de Montanclos (dite Baronne de Princen, du nom de son
premierépoux)après1774.Cettedernièreconnaissaitbienlescerclesdelacour,
elle dédia sa publication à la dauphine Marie-Antoinette. Mme de Montanclos
modifie les centres d’intérêt du journal. Elle consacre une large place à
l’éducation des enfants, et à l’importance de la présence maternelle auprès de
l’enfant.Mais, au-delàdes idéesrousseauistes qu’elleexpose, ellen’hésite pasà
proclamerquelesfemmesdoiventpouvoirexercerunmétiersicelaenrichitleur
vieetcontribueàleuréquilibre.Ellereçoitl’appuideLouis-SébastienMercierà
qui elle finit par vendre le journal. Auparavant elle a eu l’audace de traiter de
sujets très sensibles aux yeux du pouvoir comme la famine, et l’éloge des
décisionsdeTurgot.Parlasuiteilyeutpeudenouvellesjournalistesquitentent
l’aventuredepublieretlarupturedueàlaRévolutionde1789nefacilitepasde
nouvelles tentatives. Ces journalistes femmes ont cependant réussi à créer et
entretenir des relations confraternelles avec des journalistes masculins. D’un
point de vue pratique, il est utile de se rappeler que toutes ces femmes,
lorsqu’ellessont enpuissance demari nepeuvent,sauf créationdevant notaire
d’un patrimoine paraphernal, disposer librement de leurs biens pour investir
dans leur entreprise de presse. Sauf à disposer d’un patrimoine de ce type, ces
audacieusesdoiventrestersouslecontrôlejuridiqueetfinancierdeleursépoux.
Illeurfautconvaincrecesderniersdubien-fondédeleursprojetspouravancer
dansleursinitiativesprofessionnelles.
Marguerite-Elisabeth Aumerle est une femme d’affaires née à Paris en 1727.
ElleépouseGuillaumeBlakeyen1746.PendantseizeansMargueriteestassociée
auxaffairesdecetinventeuranglaisinstalléàParisdontelleestlacollaboratrice,
effacéesemble-t-il,jusqu’àcequ’elledemandeetobtienneen1762laséparation
debiens.Désormaiselledoitgérerseulesonaffaire,un«établissementanglais»
de quincaillerie. Elle obtient pour cela un privilège en 1764. Malheureusement
sonmarijouesurleslimitesflouesentrebienspersonnelsdesafemmeetbiens
ducouple.Ilporteplaintecontreelleen1771pourbanqueroutefrauduleuseet
obtientunecondamnationàlasuitedelaquelleelleestincarcérée.Elleparvientà
mobiliser ses relations, et elle est innocentée en appel. Elle demande alors la
séparation de corps. Le divorce n’existe pas encore à cette époque. Marguerite
relance un nouveau commerce, de produits anglais de semi-luxe ce qui lui
permet d’élargir sa clientèle de l’aristocratie à la bourgeoisie. Marguerite-
ElisabethAumerlecréeprogressivementunréseaud’associésàParisàGenève,à
Londres,àBarceloneet,même,àSaint-Domingue.Laréputationdecettefemme
d’affairesetlesrecommandationsdontellebénéficiedanslesmilieuxmarchands
luipermettentdevalorisersescompétencescommerciales.Marguerite-Elisabeth
Aumerleasus’adapteràunmilieuprofessionnelmasculin,enadopterlescodes
et les utiliser au bénéfice de sa propre stratégie commerciale. Comme il est
difficile pour une femme seule de peser au sein de la profession, Marguerite
s’associeau sieur d’Epineville, connaisseurreconnu du commerceanglais. Il se
peut aussi que cet associé ait permis à la commerçante de contourner les
contraintes imposées par les corporations aux femmes séparées de biens et de
corps.
Le cas d’Olympe de Gouges est celui d’une femme qui tente de vivre de ses
publications (des pièces de théâtre aux pamphlets…). Olympe Gouze de son
nomexactsurlesregistresdebaptêmedeMontaubanestnéeen1748.Larumeur
publique fait d’elle une fille naturelle de l’écrivain Lefranc de Pompignan.
OlympeaàpeineseizeansquandonlamarieàLouis-YvesAubrydontelleaun
fils nommé Pierre. Devenue veuve à dix-huit ans, elle prend grand soin de
l’éducationdesonfilsetrefusedeseremarier.EllevientàParisetychercheun
protecteurqu’elletrouveenlapersonnedeJacquesBiétrixdeVillarsdeRozières.
Elle vit avec lui, jusqu’au début de la Révolution mais refuse de l’épouser.
Quelques rentes issues de son héritage familial lui permettent de vivre très
modestement.Ellefréquentequelquessalonsparmilesquelsceluidelamarquise
de Montesson,qui recevait aussi desartistes de la ComédieFrançaise. Olympe
fait ainsi la connaissance de Mme de Genlis, nièce de la marquise, qui
l’encouragedanssesdébutsd’écrivaine.Sesrencontresavecdespersonnalitésdu
théâtre,dontMademoiselleGuimard,luidonnentl’idéed’écriredespiècespuis
demonterunecompagnienomadevers1780,laquellesedéplaçaitdansdiverses
maisons parisiennes pour jouer la comédie. Sans tenir vraiment un salon,
Olympe reçoit chez elle de nombreux amis. Elle s’entoure de journalistes,
d’auteurs dramatiques ou de philosophes parmi lesquels Louis-Sébastien
Mercier, révolutionnaire Girondin. Elle vient en voisine à Auteuil au salon de
MmeHelvétius,oùelleselieavecnombred’amisdontlechevalierdeCubières,
probablemembredelaFranc-maçonnerie.En1784,Olympeimagineécrireune
suiteauxaventuresdeFigaroetrédigeunepièceLesAmoursdeChérubin,qu’elle
donne à lire aux comédiens du Théâtre italien. À la suite de cette lecture, ils
souhaitentlamonter.Beaumarchaissemetencolère.Heureusement,Olympese
passionna pour d’autres sujets et écrivit une autre pièce de théâtre Zamore et
Mirzaoul’heureuxnaufrageoùelleabordelaquestiondel’esclavage,etdénonce
dansuneintriguefortromanesquelaconditionatrocedesnoirsd’Amérique.La
pièce est donnée anonymement en lecture aux Comédiens du Théâtre français
sous la dénomination de « drame indien » (sic). Après quelques mois, aucune
réponsen’étantparvenue,MadamedeMontesson,sonamie,ayantluetapprécié
cette pièce au caractère militant, demande au comité du théâtre d’en faire une
lecture officielle. Après cet épisode, en juin 1785 la pièce est acceptée après
quelquescorrections.C’estundébutdevictoire.Enhardieparcedébutdesuccès,
OlympeécritetproposeuneautrepiècetrèscourteLucindeetCardénionoule
folamourqu’ellepropose,avecnaïveté,àlaComédieItalienne.Ellecommetune
erreurfondamentale,carlesacteursdedeuxthéâtresrefusentdejouerlesœuvres
d’auteursprogrammésparlethéâtreconcurrent!Voyantladifficultédepercer
pourfairecarrièreàParisdanslethéâtre,Olympesetournaverslesacadémies
littéraires de province. Certaines acceptent la présence de femmes dans leurs
rangs:MadameManonRolandestreçueàBesançon,LouisedeKéralioàArras,
Fanny Beauharnais à Lyon. Olympe tente une tournée en province pour faire
connaîtresesécrits,hélassansgrandsuccès.EllerentreàParisen1787.Elleécrit
La Servante de Molière, pièce qui retrace l’histoire de Molière. Elle rassemble
plusieurs de ses écrits et les fait publier en y ajoutant une dédicace au Duc
d’Orléans.
OlympedeGougescontinuedes’intéresseràl’abolitiondel’esclavageetentre
au club des Amis des Noirs du Girondin Brissot. Peu de femmes y étaient
acceptées.Aprèstouteunesériedepéripétiescomplexes,lapièceZamoretMirza
quitraitedel’esclavageestenfinjouéeàlaComédieFrançaise(devenueaudébut
de la Révolution : Théâtre de la Nation), le 28 décembre 1789. Le journal Le
Moniteurdulendemaindécritlesréactionsdelasalle.Pendantlareprésentation
unvacarmeinfernalestprovoquéparceuxquiapprouventetapplaudissentaussi
bienqueparlesopposantsquisifflentettapentdespieds!Sensibleauxcritiques,
Olympe apporte des modifications à sa pièce, mais les comédiens refusent de
jouerlapièceunesecondefoiscontrairementauxobligationsqueleurimposele
règlementduthéâtre.Onlajouequandmêmequelquesjoursplustard,maisla
recetten’atteignantpasleminimumrequiselleestretiréed’officedurépertoire
tout en devenant propriété du théâtre, ce qui empêche son auteure de la faire
jouerailleurs.
Olympe de Gouges quitte le domaine du théâtre et revient à la politique.
Révoltée par les injustices de la société, elle espère en des réformes de la
monarchie. Elle a lu et admiré le Contrat social de J.-J. Rousseau. En
novembre1788,OlympepublieunarticledansleJournalgénéraldeFrancesous
letitre« Lettreaupeupleouprojetd’unecaissepatriotique,parunecitoyenne».
C’est unappel à la création d’unimpôt volontaire patriotique pourrésorber le
déficit de l’État. Elle fait paraître peu après un article intitulé « Remarques
patriotiques », qui propose un programme de réformes sociales. Olympe ne
remet pas en cause la monarchie mais espère que le roi choisisseses ministres
avec plus de discernement. Sensible à la misère d’une partie importante de la
population,elleproposeque,pendantl’hiver,onouvredesgîtesd’accueildestiné
aux ouvriers et artisans sans travail, ainsi qu’aux vieillards et aux enfants sans
ressources.EllepublielesSongesdel’auteur,rêverieutopisteoùelleimagineune
villeidéale,unParistransformépourlebonheurdetousseshabitants.

ÀLAVEILLEDE1789ETDELARÉUNION
DESÉTATSGÉNÉRAUX
Peuavantla RéuniondesÉtatsgénérauxdu printemps1789,Olymperédige
un« DialogueallégoriqueentrelaFranceetlavérité,dédiéauxÉtatsgénéraux».
Danslessemainesetlesmoisquisuivirentellepubliediverstextessurlesdroits
desfemmesetsurlanécessitédeleurparticipationàl’organisationdelaviedela
nation.UnedesesbrochuresapourtitreActionhéroïqued’uneFrançaiseoula
FrancesauvéeparlesFemmes.Elleyracontel’actiond’ungroupedecitoyennes
quiétaientvenuesremettreàl’AssembléeNationaleleurséconomiespourlebien
de la patrie. Olympe adressa un exemplaire à Mirabeau qui la félicita. À cette
époqueellefréquenteencoreplusieurssalonsparisiens,bienquelesclubssoient
devenusleslieuxprivilégiésdesdébatspolitiquesetdesociété.Ellerencontreles
Condorcetetleursamisdanslamaisondecampagned’Auteuil.Onycroisaitdes
voyageursétrangersetc’estsansdouteàcetteépoquequ’elleeutconnaissancedu
texte de Mary Woolstonecraft « The Vindication of the Rights of Women »
(Défense des Droits des femmes). En 1790 Olympe adhère, comme les époux
Condorcet,auClubdelaRévolution.Leclubestinstalléaucentredesjardinsdu
PalaisRoyal.Ils’ytient desréunionssavantesetphilosophiquesappréciéesdes
meilleursespritsdel’époque.
Sophie de Grouchy et Nicolas de Condorcet, son mari, reçoivent aussi leurs
amisà Paris,àl’Hôtel delaMonnaie. Onycroise BenjaminFranklin,Thomas
Jeffersonetd’autresAméricainsencore,tousimpliquésdanslemouvementqui
aboutit à la Guerre d’indépendance. Leurs idées sur la démocratie et la liberté
sontavanttoutuniversalistes.Dansleurentourage,ondiscuteaussidel’abolition
del’esclavagedanslesîlesàsucreetlesespacescoloniaux.Lesdroitspolitiques
desfemmessontdébattus.Dès1787,Condorcetadéjàdéfenduledroitpolitique
des femmes et a dénoncé leur exclusion, estimant après 1789 que c’est une
violation de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen. Nicolas
Condorcet et Sophie de Grouchy défendent également le droit à l’éducation
égalitaireetgratuitedesgarçonsetdesfilles.L’égalitésupposepourlesfemmesle
choix de leur conjoint et le droit au divorce. Ils suggéraient pour le futur des
droitsciviquesdesfemmes:ledroitdevoteetledroitd’éligibilité.
SelonlesvaleursdesLumières,laraisonestleseulguidedujugementetdela
morale,l’espritd’examendoitêtrepratiquéenpréalableaujugement,l’égalitéet
lalibertésontindispensables,ledroitaubonheurindividuelestproclamé.
Cependantunepierred’achoppementpersiste:lesfemmesdemeurentexclues
des valeurs des Lumières, malgré leur rôle essentiel dans les « journées
révolutionnaires» etsont absentesdes assembléessuccessives (laConstituante,
puislaLégislative,etensuitelaConvention).

FEMMESARTISTESAUXVIIIE:QUELQUESOPPORTUNITÉS
Femmesethommes,aumilieuduXVIIIesiècle,doivent,pourêtreconsidérés
commeartistes,êtremembresdel’Académieroyaledepeintureetdesculpture
(crééeauXVIIe)oudelamaîtrise(ouguildenéeauXIV esiècle)despeintreset
sculpteurs. En 1705 la maîtrise obtient l’autorisation d’ouvrir une école dite
AcadémiedeSaint-Lucoùlesfils,apprentisetcompagnonsdesmaîtrespeintres
bénéficient d’un enseignement reconnu. Cette nouvelle communauté obtient
l’octroi d’avantages qui la rapprochent de l’Académie royale, dont le droit de
participeràdesexpositions.Auseindelamaîtrisedespeintresetsculpteurs,les
femmes bénéficient de droits que l’on peut qualifier de mineurs par rapport à
ceuxdontbénéficientleshommes.Parexemple,unefilledemaîtreartistepeut,
sans dérogation, succéder à son père dans la direction de son atelier. Dans le
règlement rédigé vers 1760 par le marquis de Paulmy d’Argenson pour
l’AcadémiedeSaint-Luc,unarticleprécisequelesfemmespeuventconcourirà
partirde18anspourl’accèsàcetteinstitution,danslalimitededeuxparan.Les
femmes peuvent être reçues à l’Académie Saint-Luc quelle que soit leur
situation : célibataire, mariée, veuve, fille de maître ou non. Dans les sources
conservées, on dispose de la Liste générale de tous les maîtres peintres de la
création jusqu’en 1764 : ce recensement indique 901 hommes et 199 femmes,
dont102 veuvesayantrepris àleurcompte l’atelierdeleur mari.Cetteliste ne
tientpas comptede ceux etcelles quitravaillent dansles ateliersaux côtésdes
maîtres.Dansunatelierfamilialilestcourantquelesfillesetlesfemmessoient
chargéesdelapréparationdestoiles,delapeinturedesfondsetdesarrière-plans,
de la restauration de tableaux, des premières esquisses. Leur participation à la
réalisation d’une œuvre du maître et de son atelier est anonyme. On sait que
l’épouse du peintre Maurice Quentin-Delatour et celle de Jean-Honoré
Fragonard participaient aux œuvres de leur mari. Des femmes comme Jeanne
Bureau, épouse du peintre François Boucher, sont miniaturistes. Certaines
« dynasties » d’artistes sont reliées entre elles par l’exercice de métiers d’arts
complémentaires. Le peintre Jean-Baptiste Oudry était le fils d’un peintre et
marchand de tableaux. Sa mère Nicole Papillon était issue d’une famille de
graveurs. Oudry épousa une de ses élèves Marie-Marguerite Froissé, fille d’un
miroitier.Àlagénérationsuivantel’unedeleursfillesépousalepeintreAntoine
Boizot,lui-mêmefilsd’unsculpteurreconnuetd’unegraveuse.
Était-ilpossiblepourunefemmedes’éleverau-dessusdustatutdepetitemain
ou d’artisane d’art et de faire une carrière d’artiste ? Les cas sont rares. On
connaît Marie Jacob Van Merle, épouse Godefroid, peintre et restauratrice de
tableaux, et aussi Françoise Madeleine Basseporte, graveuse et peintre de
botanique. Madame Godefroid devenue veuve reprendl’atelier de son époux à
ParisdanslecloîtredeSt-Germainl’Auxerrois.Elleparvientàutiliserlesréseaux
sociaux de son époux proche de la cour et dès 1743 elle travaille pour les
collectionsroyales.ElleentreenconcurrenceavecRobert Picaultquidétientle
poste très convoité de restaurateur royal. Elle crée de nouvelles méthodes de
restauration des peintures anciennes, dont la « transposition d’épargne » qui
consisteàdétacherun fragmentenmauvais étatetàle transférersurunetoile
neuveenyincorporantuneffetdeglacis.Laqualitédel’exercicedesonartlui
apporte une clientèlenombreuse. Elle finit sa carrière en ayant faitfortune. Le
cas de Madeleine Basseporte est moins bien connu. Elle ne semble pas s’être
enrichie,bienqu’elleaitfréquentédespersonnalitésdelacourdeLouisXV.Elle
enseigneauxfillesdusouverainl’artdelapeinturedesfleurs.Onsaitque,pour
se perfectionner dans l’exercice de son art, elle entretient une correspondance
régulièreaveclenaturalisteBuffon.Elleformaaussiquelquesjeunesartistes.
Globalementilestdifficileauxfemmesartistesdesefaireconnaîtresiellesne
peuventparticiperàdesexpositionsofficielles,oùleursœuvressontprésentées.
Entre 1783 et 1789, quelques femmes essaient d’être reçues à l’Académie
royale de peinture et de sculpture. Adélaïde Labille-Guiard présente sa
candidature en 1783. Cette jeune femme est déjà connue, elle est la fille d’un
marchandmercieraisé,sonpèreestunamidusculpteurPajou.Adélaïdeestdéjà
une portraitiste de talent. Elle se trouve en concurrence avec Élisabeth Vigée-
Lebrun, un peu plus jeune qu’elle, mais connue à la cour. Chacune dispose
d’appuis et de réseaux sociaux différents. Mais, au regard des règles de
l’Académie,ilestimpossiblederecevoirdeuxfemmeslamêmeannée.Certains
sonthostilesàlacandidaturedeMmeVigée-Lebrundontlemariestnégociant
detableaux.Unautrearticledurèglementprécisequesesmembresnedoivent
pastenircommercedeleurart.CependantAdélaïdeéchoue,carlareineMarie-
AntoinetteintervientenfaveurdeMmeVigée-Lebrun.Cetteadmissionnécessite
qu’une«dispense»luisoiraccordéepourqu’ellesoitadmisemalgrél’activitéde
négocedesonmari.L’Académieserefusaàplierdevantlavolontédelacouret
Adélaîde Labille-Guiard fut reçue par 29 voix sur 32 votants. Cette année-là à
titre exceptionnel deux femmes artistes peintres furent reçues. Voilà une
situationqueCharlesd’Angivillier,directeurgénéraldesBâtiments,Arts,Jardins
etManufacturesduroinesouhaitaitsûrementpasvoirsereproduire.
Cesdeuxartistessubissentlescritiquesusuellescontrelesfemmesquientrent
dans un milieu habituellement masculin. Élisabeth Vigée-Lebrun, subit des
critiques sur sa vie privée en raison de ses relations avec la cour. On l’accuse
d’avoirétélamaîtressedeCalonnedontellefitleportrait,ouencoredemener
un train de vie excessif. Adélaîde Labille-Guiart est accusée de ne pas être
l’auteure de ses tableaux. Elle est victime de pamphlets diffamatoires sur ses
mœurs.
À cette même époque, au milieu des années 1780, s’ouvrent les premiers
ateliers féminins. David, en dehors de quelques cours particuliers amicaux
délivrésàtitregracieux,accueilledesjeunesfillesdanssonatelierduLouvreet
de leur enseigne la peinture. Bien avant lui, Jean-Baptiste Greuze a, malgré les
interdictions de l’Académie, ouvert son atelier aux femmes, avec cette
particularitédes’interdirederecevoirdesfillesdefamillesd’artistes.Cesjeunes
aspirantes viennent travailler plusieurs jours en semaine et souvent plusieurs
années pour se former. Cependant, lorsqu’Adélaïde Labille-Guiart demande à
ouvrir au Louvre un atelier destiné à recevoir des élèves filles, M. d’Angiviller
oppose un refus.Dans le même temps, tardif gardien du temple,il demande à
David de renvoyer les élèves féminines de son atelier au Louvre. Victime
collatérale de la pruderie du directeur général des Bâtiments, Arts, Jardins et
Manufactures du roi, le peintre Joseph-Benoit Suvée se voit obligé de fermer
l’atelierduLouvre,oùildélivreunenseignementréservéauxfemmes.
Undernierdébatéclateen1785,aumomentdel’Exposition«delajeunesse».
Il apparaît que parmi les exposants le nombre d’exposantes a augmenté. Cette
manifestationsetientàParisplaceDauphine,enjuinlorsdelaFête-Dieu.Elle
attirebeaucoupdevisiteurs.Cetteannée-làneuffemmesyparticipent,voilàqui
étonnelescontemporains.Àcegenred’expositionlesjeunespeintresprésentent
souvent des autoportraits, comme celui de Gabrielle Capet ou de Marie-
Guillemine Laville-Leroux. Est-il bien raisonnable que des jeunes femmes
s’exposentainsienpublic?CertainscritiquescommeFontenayestimentqueles
parentsnedoiventpaslaisserlesjeunesfillesselancerdanscetteprofessionfort
incertaine et il estime que les professeurs de peintures ne devraient pas ouvrir
leursateliersauxfemmes.Cettepolémiquefitlesdélicesdelapressedel’époque.

LESÉTATSGÉNÉRAUXETLESREVENDICATIONS
DESFEMMES

L’ouverturedesÉtatsgénérauxsurordreduroiLouisXVIsefaitle5mai1789
àVersaillesenl’HôteldesMenus-Plaisirs.1139députésdestroisordresontété
élusetilyaeu40000Cahiersdedoléancesdûmentrédigésàl’amont.Aprèsle
discoursd’ouverture duroi, ilest convenuque les députésde chacundes trois
ordres se réunissent pour débattre séparément, chacun avec son ordre
d’appartenance.Aprèsquelquessemaines,lesmembresdutiersétatsortentdela
légalité et se réunissent dans la salle du jeu de paume (située à l’extérieur du
périmètreduchâteau).Là,le29juin1789ilsprêtentsermentdenepasseséparer
avant d’avoir donné une constitution à la France. L’Assemblée nationale est
proclamée. Le conflit avec le roi est suivi du renvoi de Necker. L’insurrection
grondeàParis,elleéclatele14juillet.LaforteressedelaBastilleestprise,mais
c’est avant tout le symbole de l’autorité de la monarchie qui s’écroule, le lieu
symbolique de l’arbitraire qui permet au roi de priver de liberté qui bon lui
semble. La « Grande peur » et les rumeurs agitent les paysans des campagnes.
Dans la nuit du 4 août les députés de l’Assemblée nationale proclament
l’abolition des droits seigneuriaux dénommés privilèges. Le 26 août 1789 les
députés proclament « la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen ».
L’aggravation de la crise économique provoque les journées d’Octobre. Les
femmesdela HalledeParis serendenten armesàVersaillesréclamer dupain
(Cahier-images,Pl.VI).LafouleramèneàParisleroietsafamille.L’assemblée
seproclameConstituante,cequisignifiequ’elles’attribuelepouvoirderédiger
les textes qui définissent le fonctionnement du gouvernement. Des clubs
politiquess’ouvrentàParis,lalibertédelapresseestmiseenplace,lesjournaux
et gazettes se multiplient. La Constituante organise un nouveau régime celui
d’unemonarchieconstitutionnelleassociantlaNationetleroi.Lestextesqu’elle
promulgueformentlaConstitutionde1791.Maislafuiteduroiavecsafamille,
leur arrestation à Varenne compromettent l’existence de cette royauté
constitutionnelle.LeclubdesCordeliersréclamel’instaurationdelaRépublique
lorsd’unemanifestationpopulaireauchampdeMars.LaConstituantefaittirer
surlafoule.L’AssembléeLégislativeestélueausuffragemasculincensitaireentre
le29aoûtetle5septembre1791,enapplicationdelaConstitutionde1791.Elle
devientlegouvernementdefaitdelaFranceetdoitfairefaceàlasuitedelacrise
économiqueetrépondreàladéclarationdeguerredel’Autricheetdescoalisés
au printemps 1792. La famille royale est installée aux Tuileries. Le roi est
déconsidéré. Bien que détenteur théorique du pouvoir exécutif, il n’existe que
parlavolontédel’AssembléeLégislativeetaumodedescrutinquiapermisd’y
élire une majorité de partisans de la royauté constitutionnelle. Le 11 juillet, le
général Lafayettequitte son poste au frontet tente devant l’Assembléede faire
prendredes mesures pourrétablir les pouvoirsdu roi, envain. Le 11 juillet,la
Patrieestdéclaréeendanger.LesfemmessontexcluesdesclubsdesCordelierset
desJacobins,ellescréentdoncleurspropresclubsetsociétés(OlympedeGouges
en 1790, Théroigne de Méricourt, Etta Palm fonde en 1791 la « Société
patriotique et de bienfaisance des amies de la vérité »). Entre 1789 et 1793, les
sourcespermettentd’identifier56clubsfémininsàParisetenprovince.Certains
de ces clubs sont souventd’origine philanthropique, parfois ils permettent aux
femmesunapprentissagedelaprisedeparoleenpublic.
Le droit des femmes au port des armes fait partie de leurs revendications.
Devantlamenacequipèsesurleurpatrie,cescitoyennesdemandentàprendre
leur part à sa défense. Pauline Léon présente sans succès à l’Assemblée une
pétition signée de 319 femmes qui sollicitent d’organiser une garde nationale
fémininearmée.L’égalitéentrehommesetfemmesnefranchitpaslesportesde
l’assemblée, cette revendication qui figure, dès 1788, dans les colonnes des
journaux révolutionnaires et féministes. Dans Le Tocsin, on lit : « Les femmes
sontletiersétatdutiersétat».
QuellessontlesvaleursdéfenduesparlesfemmesfavorablesàlaRévolutionet
auxidéesnouvelles:l’égalité,l’éducationdesfilles,ledroitaumariaged’amour
etledroitaudivorce.
Les femmes revendiquent aussi : les droits civiques, le droit à l’héritage,
l’abolitiondel’esclavageetenfinl’abolitiondelapeinedemort.Ellesn’oublient
pas,nonplus,derevendiquerledroitaubonheur.
Maislesvaleurspatriarcalesetl’emportent.Leconceptd’universalités’arrêteà
laporte dela maisonoùla femmedoit restercantonnée.L’égalité neconcerne
que les hommes. La liberté ne concerne pas les femmes : elles conservent un
statutd’inférioritécommelesenfantsoulesmaladesmentaux.
Des armes sont distribuées à la population. L’insurrection populaire du
10 août 1792, soigneusement préparée, promulgue la Commune
insurrectionnelledeParis. LesTuileries sontprisesd’assaut, ladéchéance dela
monarchieestprononcée.L’AssembléeLégislativeentérineetappelleàl’élection
d’une Convention qui doit écrire une nouvelle Constitution, républicaine cette
fois.LacommunedeParisquiajouéunrôlemajeurdansl’évènementsedéclare
Commune insurrectionnelle. Son pouvoir du moment est considérable : elle
purgeleslistesdescandidatsàlanouvelleassembléeconstituanteennevalidant
que ceux qui sont favorables à la république. Elle fait pression sur l’Assemblée
législative finissante pour accélérer les procès des coupables du massacre du
10 août. Elle impose le transfert de la famille royale au Temple, effectué le
13août,etfinitparobtenirle17aoûtlacréationd’untribunalextraordinaireélu
parlessections.Du2au7septembre,enréactionàlapousséedesarméesaustro-
prussiennes et leurs bataillons d’émigrés qu’ils croient renseignés par des
informateurs clandestins parisiens les sans-culottes, parmi lesquels des
Hébertistes, massacrent les détenus des prisons qu’ils soient royalistes de droit
commun ou religieux. On estime le nombre de victimes à 1 200 morts. Les
électionsàlaConventionsedéroulentdanscetemps.Lanouvelledusuccèsdela
batailledeValmyparvientenseptembre.Elleestsuiviedelaproclamationdela
république(etdel’AnIdunouveaucalendrier).LaConventionissuedusuffrage
universelmasculinestreprésentativedelasociétédel’époque:lesGirondins(la
droite modérée), les députés du « Marais » (ou Plaine) et les Montagnards (la
Gauche).
AufildesmoislaRévolutionseradicalise.Pendantl’année1793,desfemmes
participent à la préparation des journées révolutionnaires de mai et juin qui
aboutiront àl’élimination des Girondins. PaulineLéon fonde en mai le « Club
des Citoyennes républicaines révolutionnaires ». Il est ouvert à toute femme de
plusde18ansquiprêtesermentdedéfendrelaRépublique.Danslerecrutement
sont présentes des ouvrières, des marchandes, des couturières. Les femmes
revendiquentsanssuccèsl’accèsàlacitoyenneté.Aprèslacommémorationàla
mémoiredeMarat,assassinéparCharlotteCorday(juillet1793),lesfemmesdu
club soutiennent les « Enragés », qui se situent à gauche des Montagnards, et
sontenrelationaveclessans-culottesparisiens.Ellesvoudraientaussiobtenirle
contrôlepopulairedel’exécutifparlessections.Parlasuite,devantlessoutiens
apportésparcesfemmesauxélémentslesplusextrémistesetincontrôlables,les
Conventionnels repoussent toute participation des femmes à la vie politique
publiqueetleComitédesûretégénéralefinitparinterdirelesclubsetlessociétés
enoctobre1793.
Leprocèsduroiestsuividesonexécutionle21janvier1793.Elleestsuiviede
la miseen accusation desGirondins, leur condamnationpuis leur exécutionle
31octobre1793.Presquetoutel’élitepolitiqueintellectuellequis’estcrééedans
les salons disparaît. Cette année voit se développer une violente crise
économique qui, ajoutée à la pression extérieure permanente des armées de la
coalition,amènelaConventionàorganiserle«gouvernementrévolutionnaire»
etlecomitédesalutpublicsouscontrôledesMontagnardsdontlechefdefileest
Robespierre.Lamenaceauxfrontièresdesarméesétrangèresetd’émigrésestde
plusenplusforte.Lasituationpolitiqueestparticulière.Lepouvoirexécutifest
entrelesmainsducomitédeSalutpublic.LaConventionn’ad’autrerôlequede
validerlesdécretsprisparlecomitédeSalutpublic.Pourfairefaceauxmenaces
internes et externes de la contre-Révolution, la Terreur s’installe en
septembre1793. LaMontagne,qui contrôlel’exécutifest composéde plusieurs
tendances, dont le club de Robespierre et ses amis, les Jacobins et le club des
CordeliersauquelappartientHébert.Pamphlétairetrèspopulaire,ilaunegrande
influence auprès des sans-culottes parisiens grâce à son journal, Le Père
Duchesne, fondéà l’été 1790. Dans cette publication,les événements politiques
sont présentés dans la langue populaire en usage chez les prolétaires les plus
démunis, agrémentés de commentaires abrupts, éventuellement orduriers
commeilestdecoutumedanslesdébitsdeboissonslesplusmisérables.
Ses articles ont contribué à la journée du 10 août 1792 et aux évènements
provoquésparcetteinsurrection:chutedelaroyauté,massacresdeSeptembre,
chute des Girondins, grande manifestation du 5 septembre 1793 au cours de
laquellelamiseàl’ordredujourdelaTerreurestdemandéeparlessans-culottes
àlaConvention.
Fin 1793, au moment où la crise des subsistances, aggravée par la loi sur le
maximum général, marque une reprise de l’agitation populaire, Hébert veut
jouerànouveaul’épreuvedeforceentrelarueparisienneetlepouvoirlégal.Il
prépareavec les chefs cordeliersune nouvelle journéerévolutionnaire qui, mal
organisée,échoue.Présentéscommedescomplicesdu«complotdel’étranger»,
toussontexécutésle24mars1794sansquelessans-culottesbougent.
Lessoldats del’An IIcontinuent dese battreavec vaillance.À l’intérieurles
conflits religieux compliquent la situation lors de la proclamation de la
Constitution civile du clergé et de la nationalisation des biens de l’Église. Les
prêtresréfractairesquirefusentdesesoumettreàlaconstitutioncivileduclergé
doiventsecacheroufuir.Ceuxquisontarrêtéssontguillotinésoufusillées.Les
populations paysannes de la Vendée et de la Bretagne se soulèvent. Elles
sollicitentdeleursanciensseigneursoud’anciensofficiersdesarméespourqu’ils
prennent la tête de leur révolte. L’ouest de la France se transforme en un
nouveau front où il faut envoyer les armées de la République. La répression
exercée est aussi arbitraire que féroce. Elle reflète la paranoïa collective de
l’exécutif. Elle s’exerce en province comme à Paris. Le comble de l’horreur est
atteintàNantesoùCarrier,lecommissairedelaRépubliqueajouteauxfusillades
etàlaguillotinelesnoyadescollectivesquiconsistentàenfermerlesprisonniers
dansdespontonsquisontensuitecoulés.LesdéputésduMaraisprennentpeur
devant l’extension de la répression. Conscients que la loi des suspects pourrait
aussi s’appliquer à eux, ils s’allient aux commissaires Montagnards rappelés à
Paris en raison des exactions commises en province. Eux craignent aussi la
vengeancedeRobespierrequilesaccused’avoirsalilaRépubliqueparleursactes
illégauxetcriminels.Cettecoalitioncontrenaturefinitparprovoquersachutele
28 juillet 1794. Les députés du Marais mettent en place la Convention
thermidorienne. Des réformes mènent une transition vers le régime du
DirectoirequipromulguelaConstitutionde1795.
L’artisan principal de la chute de Robespierre est l’ancien commissaire de
Bordeaux, amant de la belle Theresa Cabarrus. Aristocrate, fille du comte
FrançoisCabarrus,elleadhèreauxidéauxdesLumières.Aprèsl’instaurationde
laTerreurjacobine,elledoitfuirParis,en1793.EtseréfugieàBordeaux.Elleest
arrêtéeenapplicationdelaloisurlessuspects.LereprésentantdelaConvention,
Jean-LambertTallien,sensibleàsabeauté,lafaitlibérer.Devenuesacompagne,
elle use par la suite de son influence auprès de lui et parvient à sauver de la
guillotinenombredesesamis.
En juillet 1794, soupçonné de mollesse, Tallien fait partie des commissaires
rappelés par Robespierre à Paris et Thérésa est arrêtée. Alors qu’elle va être
guillotinée,elleexhortesonamantàagir,letraitantdelâche.Ilsedécidealorsà
entrer dans la conspiration qui réunit le Marais et les commissaires qui ont
mécontentéRobespierre.Le27juillet1794,ilprononceàl’Assembléelediscours
décisifquifaittomberlegrandrévolutionnaire.TheresaCabarrusdevientparla
suitelacompagnedeBarras,l’hommefortduDirectoire.Danssonchâteau,elle
tient un salon où se pressent les artistes et les muses proches du pouvoir,
Joséphine de Beauharnais, Juliette Récamier. Le Directoire repose sur cinq
directeurs qui détiennent l’exécutif et le pouvoir législatif est confié à deux
assemblées.C’est l’époque des Muscadinset des Merveilleuses.Elle consacre le
triomphedesnantis,deceuxquiontbénéficiédelaRévolutionàtraverslavente
des biens nationaux et de la spéculation sur les subsistances… Mais la guerre
contre la révolution n’est pas finie en Europe. La France est assaillie de toutes
parts.D’abordréduitàladéfensive,leDirectoires’enharditàlasuitedessuccès
de ses généraux parmi lesquels le jeune Napoléon Bonaparte. Son ascension
politique après la campagne d’Italie puis la campagne d’Égypte créent les
conditionsducoupd’Étatdu18Brumaire(novembre1799)etàlaproclamation
durégimeduConsulat.Leretouràlapaixestimminent.

LESFEMMESDANSLATOURMENTEETL’INSTABILITÉPOLITIQUE,ÉCONOMIQUE,
MILITAIRE

Les femmes, dans la société de cette époque, pâtissent davantage que les
hommes de l’arbitraire social et de l’instabilité politique. Même les femmes de
condition aisée souffrent des conséquences de leur allégeance obligée aux
décisionsdeleurépouxoudeleurstatutsocial.SophiedeGrouchyasansaucun
doute participé à la rédaction des textes dans lesquels son époux Nicolas de
Condorcet exposait sa vision du régime politique idéal qui convenait pour la
France.Maisluiseuladécidédespositionsqu’ilprendàl’Assembléenationale,
des affrontements qu’il assume face à ses ennemis Montagnards et qui ont
conduit à la proscription des deux époux et à la mort de son mari. Manon
Roland,quis’étaitdonnépourrègledeneprendrepartauxdébatsdesonsalon
quesionsollicitaitsonavisn’apaschoisilesattaquesquesonmarilancecontre
la Montagne et contre la Commune de Paris, attaques qui la conduisirent à la
prisonpuisàlaguillotine(Cahier-images,Pl.VI).Pasplusquelesquatresœurs
Gabrielle, Marguerite, Claire et Olympe guillotinées à Nantes sur l’ordre de
l’infâme Carrier parce que nées au château de La Métairie et appartenant à
l’aristocratiealorsqu’ellesn’onteuaucuneactivitécontrerévolutionnaire.
Paradoxalement, la pauvreté semble avoir poussé les femmes du tiers état
prolétarien à prendre des décisions lourdes de conséquences. Lors de la
préparationdesÉtatsgénérauxde1789,lesdirectivesderédactiondescahiersde
doléances ne mentionnaient pas le genre des participants à la rédaction. Il y a
cependanttrèspeudecescahiersrédigésouaumoinsinspiréspardesfemmes.
Danscertains baillages,les assembléesdes communautésd’habitants envue de
cette rédaction étant considérées comme des réunions extrajudiciaires, les
femmeschefsdefamille,c’est-à-direlesveuvesetlesfillescélibatairesmajeures
faisant valoir leur bien, avaient le droit de comparaître pour défendre leurs
intérêtscommeleshommes.ÀMarseillefutégalementproduitun«Cahierdes
représentationsetdoléancesdubeausexe» dontle caractèreapocryphene fait
aucundoute!Bienque,empêchéesoupeumotivées,lesfemmesnesemblentpas
avoirportéungrandintérêtàlarédactiondescahiersdedoléances,surleterrain
ellessemanifestentetsemettentendangerlorsquel’occasionseprésente.Elles
fontpartie,ennombre,desmanifestantsdelaJournéedesTuilesàGrenoblequi,
en juin 1788, s’opposent au départ de leurs parlementaires, exilés sur ordre de
LoméniedeBrienne.EllessontparmilesémeutiersdufaubourgSaint-Antoine
en avril 1789 en soutien des ouvriers de la manufacture de papiers peints
Réveillon qui s’opposent à la baisse de leurs salaires. Elles sont également
présenteslors des émeutes desubsistances au printemps 1789,contre la cherté
du pain. Elles marchent sur Versailles et réclament le retour à Paris « du
boulanger, de la boulangère et du petit mitron ». Leur action modifie la
géographie des débuts de la Révolution, déplaçant le cœur du pouvoir de
VersaillesversParislacapitale.Decefaitl’AssembléeNationales’installeaussià
Paris.
L’engagementleplusabsoludesfemmesauservicedelaRévolutionestcelui
des femmes soldats. Les seules sources sont celles de demandes de pension de
survivantesétayéesparleursétatsdeservice.Ilestrestélatrace d’unecentaine
d’entre elles qui ont porté les armes et combattu sous l’uniforme. Les plus
célèbressontlessœursFernig,fillesd’officierdeChâteaul’Abbaye.Élevéesdans
lerespectdesvaleursrépublicaines,remarquéespourleursexploitsaufront,elles
sont affectées à l’état-major de Dumouriez, qu’elles suivent lorsque ce dernier
trahit. Malgré leur dévouement à la cause, la République les proscrit et elles
meurentenBelgiquesansavoirrevuleurpaysnatal.
Marie-Henriette Xaintrailles, d’origine germanique, accompagne son mari
dansl’arméedepuis1793,puisdevientaidedecampdugénéralMenouavecla
recommandationdeBerthieretdeCarnoten1795.
CatherinePochetat,sous-lieutenantdansladeuxièmelégiondesArdennes,a
accompli une longue carrière sous l’uniforme. Elle est présente à la prise de la
Bastille et des Tuileries, Elle s’engage ensuite comme canonnière dans l’armée
avec son père et son frère, dans le bataillon de Saint-Deniset se distingue à la
batailledeJemmapesennovembre1792.Elleestensuitepromuesous-lieutenant
d’infanteriedanslarégiondesArdennes.
Trois Sarthoises, de Saint-Calais, s’enrôlent en tant que femmes-soldats en
mars1793,avecl’appuideleurcommunautéquileuraoffertununiformegrâce
àunesouscription.Ellesn’ontpasdissimuléleuridentitépourpouvoirs’engager
etontétéacceptées.
Cette situation semble avoir été aussi le cas d’Élisabeth Dubois, femme du
capitaine Favre, qui rejoint son mari à Liège en 1793. Proclamée capitaine en
secondparlescanonniers,elleenportal’uniformeetfitleservice.Enlevéeparles
Autrichiensle1er mars1793,MadameFavreassistaaumassacredesprisonniers
danslesfossésd’Aix-la-Chapelle,lesAutrichienstuantàcoupsdesabre,dit-elle,
pour économiser la poudre et les balles. Déshabillée, son tour arrivé, et alors
reconnue femme, elle fut sauvée par ordre d’un officier qui la fit rendre aux
postesfrançais.
Marie Duchemin, veuve Brulon, prend part aux combats qui se déroulent à
Ajaccioen1791avecsonmarietsonfrèrepuisdemeuredansl’arméeaprèsqu’ils
aient été tués. Comme caporal fourrier, elle prend notamment des initiatives
importanteslorsdeladéfensedeCalvienl’anII,semettantàlatêted’unepetite
troupecomportantdesfemmes,pourallerchercherdesmunitionsdestinéesàla
garnison. On lui attribue d’avoir été la première femme décorée de la légion
d’honneur. Le parcours militaire de Pélagie Dulierre figure parmi les plus
typiques. Engagée comme canonnier, sergent en 1792, elle devient « sous-
lieutenante » sur proposition de Dumouriez. Sa promotion est ratifiée par
l’Assemblée constituante et par les généraux commandant l’armée du Nord, si
bienqu’elleestmaintenue,malgréundécretquiexpulselesfemmesdel’armée,
jusqu’enseptembre1793.

LESFEMMESDELACONTRE-RÉVOLUTION
LesfemmesdelaContre-Révolutionsonttoutaussiactivesetimpliquées.Elles
appartiennentmajoritairement à la noblesse, veulentdéfendre la monarchie, la
religion, leurs privilèges et ceux de leur famille. Elles sont des acteurs de la
«chouannerie»quiembraselaBretagne,leMaine,l’AnjouetlaNormandie.La
constitutioncivile duclergé en aété l’élémentdéclencheur. Unelarge majorité
des prêtres de ces régions refusent le prêter serment et se retrouvent dans la
situation de prêtres réfractaires que la guillotine attend s’ils se font prendre.
L’engagement de ces femmes, aux côtés des armées royalistes qui se sont
constituées,esttotal.Ellesportentlesarmesetchargentàchevallessoldatsdela
République. Elles combattent sans cacher leur identité. Renée Bordereau, fait
exceptionàcetusage.Ellecombathabilléeenhomme.Issued’unmilieupauvre,
vendéenne des Mauges, surnommée Brave l’Angevin, elle vient d’une famille
dont les membres ont été massacrés par les armées de la République. Sous les
ordresdeLescure,sonpremierfaitd’armesfutlaprisedeCholet.Elleparticipe
ensuite à l’ensemble des guerres de Vendée où elle combat à cheval comme à
pied,souventaucorpsàcorpsetàl’armeblanche.Victimed’uneballeàlajambe
àMartigné-Briand,elle reprendlecombat quelquesjoursaprès. Elleconnaîtla
défaiteàSavenayetvitladéroutedelaviréedeGalerne.Aprèsêtrerestéecachée
pendantdeuxmois,elleparticipaàlaguerredepartisanspostérieureauxdéfaites
desarméesdel’Ouest.Lespetitsgroupesd’insurgésdontellefaitpartieharcèlent
les armées républicaines. Ces bandes d’une quinzaine de cavaliers parviennent
ainsiàlibéreràplusieursreprisesdenombreuxprisonniers.Ilsrejoignentensuite
Stofflet lorsqu’il parvient à reconstituer une faction capable de plus grandes
opérations.
Lecas de RoseCailleau, cavalièredes arméesde Charette,est plusincertain.
Après avoir combattu dans les armées de l’intérieur, elle aurait rejoint le
régiment d’émigrés connu sous le nom de Légion noire ou Légion Mirabeau
(surnommé Mirabeau tonneau) du nom de son commandant, frère du
conventionnel.
Différents mémoires des armées vendéennes retracent les exploits des
« amazones » à cheval, aristocrates à la tête de petites troupes dont elles sont
obéies.Danscesarmées,leprestigedesmaisonsnoblesdonnaitauxfemmesqui
en étaient issues une capacité à diriger, liée à leur rang social qui les met au-
dessusdulotcommun.
D’autresfemmesliéesauxmonarchistesetfavorablesàlaContre-Révolution,
choisissentd’autresvoiesquelaluttearméeetexercentuneactivitéclandestine
auservicedelacausequ’ellesontchoisie.Àpartirde1791,annéedelafuitedu
roi à Varennes, l’avenir d’une monarchie constitutionnelle a perdu de sa
crédibilité et les aristocrates restés en France envisagent l’avenir dans une
intervention extérieure. Des réseaux d’information au profit des armées
d’émigrés se mettent en place auxquels de nombreuses femmes participent.
Activitéimportanted’uneautrenature,quimontreàquelpointl’usagequel’on
peutfairedelamonnaiepapieretdesrisquesinhérentsàcetusageontétévite
compris:laproductionetladiffusiondefaussemonnaie.Lesbilletsdebanque
de l’époque, les assignats, ont été imprimés dans l’urgence et ils sont assez
simplesàcontrefaire.Desréseauxdefaux-monnayeursroyalistessemettenten
place et fabriquent des assignats. C’est là un moyen puissant pour provoquer
l’inflationetruinerl’économiedupays.L’introductiondecettefaussemonnaie
danslescircuitséconomiquesestassezsouventconfiéeàdesfemmesdévouéesà
lacause.Ilfautbeaucoupdecourageetd’abnégationcarcetteactivité,sielleest
éventée,conduitdirectementàlaguillotine.D’autresfemmesencore,toutaussi
courageusesoupeut-êtreplusencoresontchargéesdemanœuvresdecorruption
auprès des députés de l’Assemblée nationale puis de l’Assemblée constituante
pour obtenir des votes négatifs sur les mesures les plus contraignantes prises
contrel’aristocratieoucontrel’Église.

TROIS«FÉMINISTES»IMPLICITESAUCŒURRÉPUBLICAIN
Lagaleriedeportraitsdesfemmesremarquablesdelapérioderévolutionnaire
seraitincomplètesinousnerappelionsicilesouvenirdetroisfemmesquifurent
des féministesimplicites ou déclarées,des républicainesdès avant 1789, ettrès
prochesdesélémentslesplusradicauxducourantrévolutionnaire.
LouiseFélicitédeKeralio-Robert(1758-1822)Cettejeunefillen’aque16ans
lorsqu’elleselancedanslacarrièrelittéraireentraduisant,en1772,Lesnouveaux
extraitsdesmémoiresdel’AcadémiedeSienne.Sonpèreestunhommedelettres,
professeuràl’Écolemilitaire,traducteuretécrivaindansle Journaldessavants.
Trèsjeuneelletravailleàdestraductionsdel’anglaisetdel’italienetn’hésitepas
àentreprendreunehistoiredurègned’ElizabethIre .Elleestélueenfévrier1787à
l’Académie des sciences, lettres et arts d’Arras. Robespierre, qui en est le
président,présidesaréception.
Louise arrive de l’Artois à Paris avec son père en 1789 et commence une
activité de journaliste. Elle fonde un journal Le Journal de l’État et du citoyen
dontl’épigrapheest«Vivrelibreoumourir».Premièrefemmeàêtrerédactrice
enchefd’unjournal.Elledirigeaensuite LeMercurenational,ou Journald’État
et du citoyen, puis Le Mercure national et Révolutions de l’Europe et enfin Le
Mercure national et étranger, ou Journal politique de l’Europe. Elle est aussi
membredela« Sociétéfraternelledespatriotesdel’unetl’autresexe »crééepar
Dansart en 1790. Ce club, qui soutient l’idée de l’égalité des femmes et des
hommes, dont les locaux voisinent avec ceux du club des Jacobins. Il fut un
momentprésidéparTallien,l’artisandelachutedeRobespierre.Hébertenafait
partie.Elleépouseunpatrioteardent,lecordelierPierre-François-JosephRobert.
ParmisestémoinsfigurentNicolas-JeanHugoudeBassville,assassinéàRomele
13janvier1793,etLouisPotierdeLille,mortguillotinéle18juin1794.Louise
tient aussi avec son époux un salon où elle reçoit des membres du club des
Cordeliers.L’historienAlphonseAulardécritàproposdecesalon«queleparti
républicainestnéen1791surlecanapéd’unefemmedelettres,oùonapudire
qu’iltenaittoutentierjusqu’au10août1792».(Le10août1792estladatedes
émeutes parisiennes qui provoquèrent la chute de la royauté). Parmi ses amis
proches, on compte Danton, Etta Palm et Camille Desmoulins, mais Lucile
DesmoulinsetManonRolandnel’apprécientpas.
La famille de son mari est originaire la région de Dourbes, en Belgique
wallone.LouisedeKéralioetPierre-François-JosephRobertachètenten1799le
château de Matagne-la-Petite. Leur vie d’anciens révolutionnaires devenus
châtelains dure jusqu’en 1810, année où, ruinés, ils sont dans l’obligation de
vendreleurpropriété.Robertestnommésous-préfetdeRocroidurantlesCent-
Jours.MaisauretourdeLouisXVIII,ayantvotélamortdeLouisXVI,ildoità
nouveaus’exileràBruxellesoùils’installecommecommerçantenalcools.
RosalieJullien(1775-1810)néeDucrollay,estissued’unefamilleaisée.Elleest
la fille d’un marchand-mercier prospère et cultivé : elle appartient au milieu
parisiendelabourgeoisiemarchandeetcitadine.Elle-mêmetrèscultivée,ellelit
l’anglaisetl’italien,citeMolière,Racine,LaFontainesurtout,desauteurslatins
etitaliens.ElleconnaîttrèsbienlestextesdeJ.-J.Rousseau.Elleépouseen1774
Marc-Antoine Jullien (dit Jullien de la Drôme), futur député jacobin,
représentantdelaDrômeàlaConvention,àParis.Luiestissud’unefamillede
propriétairesfonciersduDauphiné.IlsonttroisfilsdontlecadetMarc-Antoine
deviendraunprochedeRobespierredurantlaRévolution.
Leur vie se déroule entre Paris et Pizançon, bourg de la Drôme où Rosalie
s’occupedelagestiondeleurspropriétés,parmilesquellessetrouveunélevage
de vers à soie. La nature de leurs obligations qui les oblige à voyager entre la
Drôme et Paris fait qu’ils sont souvent séparés et les oblige à échanger par
courrier.Unpatrimoinede900lettresdelaplumedeRosalieaétéconservéet
publié. Les deux époux sont passionnés de politique, républicains de cœur et
proches des Montagnards. Rosalie est inscrite aux Jacobins. Lorsqu’elle est à
Paris,elleserendauxséancesdelaConvention.Ellerendcompteetcommente
les débats qui s’y déroulent. Parmi nombre de députés de la Montagne,
Robespierrefréquentesonsalon.Ellenotedansl’unedeseslettres«lesaffaires
d’État sont mes affaires de cœur ». Femme de cœur inspirée par l’esprit
républicain,elleose cettephrase,le 10août1792, jourdela prisedesTuileries
parlesParisiens:«Jourdesang,jourdecarnage,etpourtantjourdevictoirequi
est arrosé de nos larmes.Écoutez et frémissez ». On trouve également dans une
autredeseslettresdelamêmeépoquecetteappréciationd’unefemmeàlafois
parisienneetprovinciale,quis’inquiètesansdoutedupoidsdelaCommunesur
lesdécisionsdugouvernement:«l’accorddesdépartementsaveclacapitalesera
lesalutde laFrance». Témoin,auteureetcitoyenne engagée,elleconstateque
«l’exaspération estun desplus énormespéchésdans laRévolution. Fouguen’est
pasforce.Ilfautdelasagesse,puisdelasagesse,etencoredelasagesse»etforme
levœu,le1erjanvier1800,«queleXIX esiècleréparelescrimesetlessottisesdu
XVIIIe.»
ClaireLacombe(1765-1826),estlafilledemarchandsinstallésàPamiers.Elle
devientcomédienne,nonsanssuccès,àMarseilleetàLyon.EllearriveàParisen
1792,où elle fréquentele clubdes Cordeliers etparticipe aveccourage comme
d’autres femmes à l’assaut des Tuileries avec un bataillon de Fédérés. L’hiver
suivant,elleserapprochedugroupedesEnragésetmilitecontrelechômageou
l’accaparement des richesses, préoccupations sociales qui l’amènent à fonder
avecPaulineLéonla« Sociétédesrépublicainesrévolutionnaires»en mai1793.
Claireprendunrôledynamiquedansceclub,etprésenteunepétitionenaoûtà
laConvention,demandantdesmesurescontrelessuspects.Imprudemment,elle
demande même l’épuration du gouvernement. Cette fois, les Jacobins s’en
prennent à elle et l’accusent de délits imaginaires extrêmement dangereux à
l’époque : avoir donné asile à des aristocrates par exemple. Arrêtée le
16septembre,elleestrelâchéelesoirmême.Le7octobre1793,elleseprésenteà
la barre de la Convention et dénonce l’oppression dont sont victimes les
femmes:«Nosdroitssontceuxdupeuple,etsil’onnousopprime,noussaurons
opposerla résistance àl’oppression ».À la suited’une rixeavec les damesde la
Halle qu’elle voulait forcer à porter le bonnet Phrygien rouge, normalement
réservé aux hommes en signe d’égalité homme-femme, elle est fouettée et
expulsée par ces dernières. Cet évènement sert de prétexte au gouvernement
révolutionnaire, qui interdit tous les clubs féminins, à commencer par les
Républicaines révolutionnaires.Claire est arrêtée en 1794puis libérée en 1795.
EllereprenddutravaildansunetroupedethéâtreàNantes,puisrevientàParis
en 1798. Elle abandonne toute activité politique. On ne retrouve sa trace que
lorsqu’elleest admise entant qu’« aliénée »à l’hôpital dela Pitié-Salpêtrière le
19juin1821.Elleydécèded’uneruptured’anévrismele2mai1826.

LARUPTUREDE1789/1799:CONSÉQUENCES
ETESPOIRSDÉÇUS

LeXVIIIesiècleestunsiècleétrange.Lesquatre-vingt-neufpremièresannées
sontmarquéesparleseffortsconsidérablesd’unesociétépourfairefonctionner
un système politique où les complexités du jour s’ajoutent à celles qui ont été
accumulées au cours des siècles précédents. Les onze dernières années sont
consacrées à une formidable succession de systèmes politiques nouveaux
renversés alors qu’ils étaient à peine mis en place. Pour faire bonne mesure ;
l’ensembledes monarchies européennesse coalise pour essayerd’arrêter par la
force l’incendie institutionnel français de peur qu’il ne s’étende à leur propre
territoire. La vie politique, sociale, culturelle et religieuse est définitivement
marquéeenFranceparlarupturede1789.Cettetransformationestapprofondie
et complétée au siècle suivant par la création d’un enseignement primaire,
secondaireetsupérieurgratuit,ouvertaussiauxfemmes,puisparlaséparation
de l’Église et de l’État ; ce qui fait de la France par rapport à l’ensemble de
l’Europe un pays aux institutions originales. Au sortir du XVIII e siècle, le
principed’égalitéentrefemmesethommesn’apasétéadoptédanslestextesetla
femme n’est toujours pas une citoyenne de plein droit. Les droits de vote et
d’éligibilitéluiontétérefusés.Ellen’apossédéquependantunecourtepériode
lesdroitscivilsquiluiontpermisd’accéderaudivorcede1792à1804.
Quelques changements de l’Ancien Régime se dessinent après 1715 sous la
Régence. Philippe d’Orléans et son gouvernement quittent Versailles pour
s’installeràParis.LasociabilitédesLumièressemetenplace.Uneéliteparmiles
femmesdelahautesociétéfacilitelesrencontresetleséchangesentreécrivains,
philosophes,savantsetencyclopédistes.
La situation familiale des femmes ne change guère, elles sont liées par les
obligationsdesmariagesarrangés,desnaissancesrépétéesetletauxdemortalité
lors des accouchements reste élevé. Le niveau d’études des filles demeure très
médiocre, analphabètes et illettrées peuplent les campagnes, cependant dans
certaines paroisses de petites écoles sont accessibles. En ville, les filles de la
bourgeoisiepeuventrecevoiruneéducationàconditionquelesparentsymettent
le prix. Les jeunes filles de la noblesse sont envoyées au couvent et doivent y
acquérir un minimum de connaissances et surtout des habitudes de vie pour
devenir maîtresses de maison et tenir leur rang. L’emprise ecclésiastique reste
fortesurtouteslesquestionsquitouchentàl’éducation.
Pendantcesiècle,lapolitiqueroyalenechangeguèrelesinstitutionsendehors
de quelques tentativesde réforme des parlements et d’essaisde transformation
des impôts et taxes. Le pays s’enlise dans l’endettement du fait des guerres
multiples du royaume contre une partie des pays d’Europe et de leurs
conséquences économiques. Les conflits du règne de Louis XV n’amènent
aucune extension des frontières. Cependant, le règlement de la « Pragmatique
sanction»conduitaurattachementdelaLorraineauterritoirefrançaisen1766.
DésormaislestroisévêchésnesontplusdepetitsterritoiresdeFranceauseindu
territoiregermanique.LeprojetdeLouisXIVestparachevé.Leterritoirefrançais
est enfin un « pré carré », comme le souhaitait le roi. La guerre de succession
d’Autriche de 1740 à 1748 se termine par une occupation des Pays-Bas
autrichiens.Maismalgrésavictoire,laFrancerestitueàl’Autrichelesterritoires
occupés.LaguerredeSeptans,de1756à1763conduitàlapertedesterritoires
del’Empirecoloniald’AmériqueduNordetdesIndesauprofitdel’Angleterreet
d’une moitié de la Louisiane remise aux Espagnols. Louis XVI engage une
politiquedepaix.Ilselaissecependanttenterparl’aventuredel’Indépendance
américainequiaugmenteencorel’endettementduroyaume.Iltenteuneréforme
des finances avec Turgot, une réflexion sur le fonctionnement de la Ferme
générale,unerévisiondestaxes,unetentativedesuppressiondescorporationsen
vuedefluidifierlaproductionetlecommerceintérieur.Leséchecsamènentau
pouvoir Necker, mais la situation sociale se tend en raison du creusement des
inégalités sociales et de l’apparition d’un pré-prolétariat urbain attiré par
l’implantation des premières manufactures. La culture des membres du
gouvernement est dominée par les théories des physiocrates qui ont une
influenceheureusesur l’évolutiondel’agriculture, maisdontl’influence surles
autres secteurs de l’économie est néfaste. Il est regrettable que La richesse des
nations de l’Écossais Adam Smith parue en 1776, n’ait été lue et mise en
application par les conseillers du gouvernement pour le désendettement du
royaumeetl’accroissementdel’activitééconomique.Ilesttoutaussiregrettable
quel’onignorâtlestravauxdeParmentier,pharmacienmilitairequifut,aucours
delaguerredeSeptAns,prisonnierenPrusseoùildécouvritquelapopulation
senourrissaitdepommesdeterresansinconvénientspoursasantéalorsqu’en
Franceoncouraitdedisetteenfamine.
Laruptureen1789constitueunmomentparticulierdansl’histoiredusiècle.
LaconvocationdesÉtatsgénérauxestunedécisioncourageuse,maislepouvoir
perd tout contrôle sur l’évolution de la situation. Les femmes de Paris, en
particuliercellesdesHallesquiontunevisionexactesurlesmanipulationsqui
accroissent artificiellement la pénurie, bouleversent le jeu politique lorsqu’elles
forcentlafamilleroyaleàquitterVersaillesetàs’installerauxTuileries.Lapartie
estperdue,carlepalaisdesTuileriesnepeutentretenirqu’unegarnisonréduite
quiestvitenoyéeparlafouleparisienneencasd’émeute…Latentativedefuite
du roi, son arrestation à Varenne signent la condamnation de la royauté
constitutionnelle ou pas et de ceux qui la croyaient possible, les Girondins de
l’assembléelégislative.La Républiqueestproclamée,une nouvelleConstituante
estélue. Mais cettefois lesroyaumes d’Europeprennent peur,une coalitionse
forme,la Franceestencerclée. Lesinstrumentsd’un étatpolicierse mettenten
placepourdébusquerl’ennemidel’intérieur.Laconscriptionenvoieleshommes
enarmesàlafrontière.Descabrioletsàl’arrièredesquelssontarrimésles«bois
dejustice»prennentlaroutepourtouslesdépartements.Àl’intérieurvoyagent
lesterriblescommissairesreprésentantsduComitédeSalutpublic.Deuxfactions
encoreplusextrémistes,lesEnragéspuislesHébertistes,essayentàtourderôle
de prendre le contrôle du Comité de Salut public. Les condamnations se
multiplient.LeComitédeSalutpublic,aprèsavoirdétruitlesGirondins,puisles
deux factions extrêmes, se trouve face au Marais désormais seul opposant. Les
élusdecegroupeprennentpeur,pensantqueleurtourestarrivé.Robespierreet
ses compagnons font les frais de cette peur. La guillotine met un terme à la
Terreurqu’ilsinstrumentalisaient.Lesfemmes,bienqu’ellesaientétéactrices,et
l’historienneDominiqueGodineau(en2004)utilisel’expression«descitoyennes
sans citoyenneté » pour désigner leur irruption sur la scène politique. Elles
participent aux évènements dès le printemps 1789 comme membres de la
Nation,cependantellessontviteexcluesdudroitdevoteetdel’éligibilité.D’une
certainemanièreunepoignéedefemmesfontl’apprentissagedelaviepolitique
danslessalonsetdanslesclubs,cesderniershéritiersdestructuresassociatives.
Quelquesfemmesparticipentàlarédactiondelibellesetde journaux.D’autres
s’engagentdanslaviepolitique locale,elles viennentauxcérémoniespubliques
patriotiques. À partir de 1792 elles participent surtout à Paris à des
manifestations, quelques-unes militent pour la formation de corps armés
fémininsafindedéfendrelapatrie.Ellesontàcœurd’intervenirlorsdelacrise
des subsistances et des augmentations du prix des denrées en 1793/94. Les
femmess’engagentbienquelesdifférentesinstancesdelaRévolutionoùs’exerce
le pouvoir ne les acceptent jamais dans leurs rangs, bien que leur action
déterminantede1789,leretourdelafamilleroyaleàParis,nesoitjamaisportée
à leur crédit, et bien que leur pensée soit même interdite d’expression
puisqu’ellessontfinalementexcluesdesclubs,tantàParisqu’enprovince.Àla
findes dixannées dela Révolution,les femmesn’ont acquisque l’ébauchedes
droitscivilsetunecapacitéjuridique(Cahier-images,Pl.VII).Ellesontobtenule
mariage comme contrat civil et l’accès au divorce. La Révolution manifeste un
moment fondateur dans l’idée d’égalité des sexes. L’espace public a été ouvert
pourlapremièrefoisauxfemmes,ellestententausièclesuivantd’enracinercet
espoir dans les pratiques politiques en dépit des obstacles qu’elles doivent
affronterdansunesociétémasculine.
CHAPITRE4

LESFEMMESAUXIXE SIÈCLE

DUCODECIVILNAPOLÉONIEN(1804)
JUSQU’ÀLAVEILLEDELAGUERREDE1914

Le début du siècle est marqué par la montée en puissance de l’Empire.
NapoléonporteleterritoirefrançaisàsonextensionmaximaleenEurope,avec
134 départements en 1812, Rome, Hambourg, Barcelone ou Amsterdam sont
devenus des chefs-lieux de départements français. Il est aussi président de la
Républiqueitaliennede1802à1805,roid’Italiede1805à1814,médiateurdela
Confédérationsuissede1803à1813etprotecteurdelaconfédérationduRhinde
1806à1813.IlannexeàlaFranceparsesvictoiresdevastesterritoires.Ilétend
sonpouvoiraupointdegouvernerlamajeurepartiedel’Europecontinentaleen
plaçantlesmembresdesafamillesurlestrônesdeplusieursroyaumes:Josephà
Naplespuis enEspagne,Louis enHollande, Jérômeen Westphalieetplus tard
sonbeau-frèreJoachimMuratàNaples.IlcréeégalementunduchédeVarsovie,
sans restaurer formellement l’indépendance polonaise, et soumet
temporairementàsoninfluencedespuissancesvaincuestellesqueleroyaumede
Prusseetl’empired’Autriche.
Napoléon doit son pouvoir sans limites à ses succès militaires à l’issue de
guerresmeurtrièresavecdesmillionsdemortsetblessés,militairesetcivilspour
l’ensembledel’Europe.Ilestconsidérécommel’undesplusgrandsstratègesde
l’histoire,etsesguerresetcampagnessontétudiéesdanslesécolesmilitairesdu
mondeentier.
Mais au début du siècle également, Napoléon connaît un échec dans sa
politiquenord-américaine(1802).IlsouhaitedurablementinstallerlaFranceen
Louisiane,enpartant d’Haïtietde laGuadeloupe.Lesexpéditions endirection
des deux îles se terminent par un échec causé par la résistance de Toussaint-
Louverture, les soulèvements provoqués par le décret de rétablissement de
l’esclavage,etlafièvrejaune.
LespuissancesalliéescontrelaFranceélargissentleurcoalition.Touslespays
européens craignent l’ambition dévorante du pouvoir impérial français. La
coalitionfinitparremporterdessuccèsdécisifsenEspagne(batailledeVitoria)
etenAllemagne(batailledeLeipzig)en 1813.Napoléon,atteintpar l’hubrisde
sessuccèsnégligel’impactdecesrevers.Despansentiersdelasociétéfrançaise,
lassedelaguerreluiretirentleursoutien,tandisquesesanciensalliésouvassaux
seretournentcontrelui.Amenéàabdiqueren1814aprèslaprisedeParisetexilé
àl’îled’Elbe,ilrentreclandestinementenFrancelorsdel’épisodedesCent-Jours
en1815.Aucoursd’unefollecampagneéclairaucoursdelaquelledesrégiments
entiers qui ont mission de l’arrêter se rallient à sa cause, il rétablit le régime
impérial sans coup férir. À la suite de diverses trahisons et dissensions de ses
maréchaux, au cours d’un affrontement ultime avec la coalition à Waterloo, la
lourde défaite qu’il subit met un terme à l’Empire napoléonien et assure la
RestaurationdeladynastiedesBourbons.Napoléonmeurtenexilen1821,dans
l’îledeSainte-Hélène,souslagardedesBritanniques.
Napoléon ne fut pas qu’un général de génie. Malgré la courte durée de
l’Empire, il dote la France d’un système d’enseignement supérieur toujours
présent, sous une forme remaniée. Il dote également le pays d’une législation
complèteycomprisleCodecivilpubliéen1804.Danscedernier,lesdispositions
concernant les femmes prononcent l’incapacité juridique de la femme mariée.
Cettedispositionpriveparvoiedemariagel’épousedetouteautonomie.L’accès
au divorce est limité (article 229). Il faut attendre la loi de 1965 pour que les
femmes mariées puissent ouvrir un compte en banque et exercer une activité
professionnelle sans autorisation de leur époux. Puis en 1975 seulement, le
divorce par consentement mutuel devient possible. Et en 1985 enfin, la loi
accordeauxdeuxépouxlagestiondesbiensdelacommunauté.
À la suite de l’épopée napoléonienne, la Restauration imposée par les alliés
aprèsWaterlooramènelesBourbonssurletrônedeFrance.LouisXVIII,frère
cadet de Louis XVI, considérant l’évolution de la France entre 1789 et 1814,
« octroie » au peuple une Charte constitutionnelle de 1814, qui laisse survivre
certaines des libertés acquises. Avec sagesse, il mène une politique de
réconciliation et d’oubli concernant les violences révolutionnaires et tente de
calmerlesroyalistespartisansdelaTerreurblanche.Iladansunpremiertemps
composé avec une chambre parlementaire très conservatrice. En 1820, après
l’assassinatdesonneveuleducdeBerry,laRestaurationprenduntournantplus
dur,voireréactionnaire,queLouisXVIIIlaissemenerparleprésidentduconseil
Villèle,jusqu’àsamorten1824.SonfrèreluisuccèdesouslenomdeCharlesX.
Il n’a pas la finesse d’esprit de son frère. Il conserve la Charte mais il reste
fortementmarquéparsesconvictionsultra-royalistes.
Après la démission du président du Conseil Villèle, en 1827, Charles X
gouverne par ordonnances. Son règne est notamment marqué par la loi
d’indemnisation des émigrés, ainsi que par les expéditions françaises en Grèce
(1828)etenAlgérie(1830).

NAISSANCEDEL’ESPRITROMANTIQUE
Lagloiredel’Empireetsafinbrutale,leretouraupouvoird’uneclassesociale
aristocratique déconsidérée provoquent une puissante émergence du courant
romantique en France. Cette nouvelle sensibilité, s’oppose au classicisme, aux
Lumièresetàlarationalité.Elleestporteuseducultedumoi,del’expressiondes
sentiments jusqu’aux passions. Stéphane Guégan écrit en 1995, dans
L’Abécédaireduromantismefrançaiscettedéfinition:« Issudebouleversements
politiquesetsociauxsansprécédent,ilmetl’hommeetl’artistedevantundestin,
improbable,inquiétant.Cettevisiondramatiquedel’humanitéestalorscommune
à touslesarts,mêmeauthéâtreetàl’opéra,souslamagnificencedesdécors…Le
réel, que les romantiques rendent expressif, dramatique, l’emporte sur le beau
idéal ». Ce rejet de la rationalité des Lumières, de l’idéal gréco-romain de la
Renaissance,cettesensibilitéhyperboliquesemanifestentdanslalittératureetles
arts plastiquespar un renouvellement thématique.Le Moyen Âge et ses ruines
mélancoliques, l’Orient, l’époque napoléonienne, la littérature étrangère des
romantiques allemands et britanniques, la nature et le peuple deviennent des
thèmesdeprédilectiondesécrivainsetartistesetdeceuxquisepassionnentpour
leursœuvres.
Alfred de Musset, plume autorisée s’il en est, en 1836, résume dans
La Confession d’un enfant du siècle le mal dont souffre la jeunesse française :
«Toutelamaladiedusiècleprésentvientdedeuxcauses;lepeuplequiapassépar
1793etpar1814porteaucœurdeuxblessures.Toutcequiétaitn’estplus;toutce
quiseran’estpasencore.Necherchezpasailleurslesecretdenosmaux.»
Lecourantromantiqueenlittératureinspiredeuxfemmesd’exception.Leurs
œuvres portent la marque des choix de vie qu’elles ont faits. Il y eut Louise-
GermainedeStaël,puisGeorgeSand.

LOUISE-GERMAINEDESTAËL:UNEOPPOSANTE
AUDESPOTISMEPOLITIQUEDENAPOLÉON

Louise-GermainedeStaëlestlafilledubanquiersuisseNecker.Cedernierfut
ministredesFinancesdeLouisXVI.Hostileaulibéralismedesesprédécesseurs,
ilestinterventionniste,encequ’ilconsidèrequel’Étatdoitprotégersonpeuple
etquecedernierdoitêtrereprésentéauxÉtatsgénérauxauproratadel’effectif
qu’ilreprésente, cequi revientàdoubler l’effectifdu tiersétat.Très, voiretrop
populaire,ilestenoppositionaveclacouraupointqu’ilrenonceàsachargeetse
réfugie en Suisse dans son château de Coppet en 1790. L’épouse de Jacques
Neckerestunefilledepasteurextrêmementcultivéequitenaitunsalonlittéraire
brillant, dans l’hôtel d’Halwill, rue Michel le Comte à Paris, au quartier du
Marais. Là sont accueillis les Encyclopédistes, Madame Geoffrin, Madame du
Deffand,BernardindeSaint-Pierre,Buffon,Grimmetd’autresencore,dontdes
diplomates européens. Germaine, future Madame de Staël (1766-1817) malgré
sonjeuneâgeparticipeauxdiscussionsqu’onytient.Sesparentslamarienten
1786,alorsqu’ellea20ans,àunaristocratesuédoisdésargentéquitientleposte
d’ambassadeur de Suède à Paris. De Staël-Holstein a 17 ans de plus que son
épouse,dontladotluipermetderedonnerdubrillantàl’activitémondainede
son ambassade impécunieuse. Germaine de son côté mène une vie très
indépendante,aupointquelapaternitédescinqenfantsqu’elleestcenséeavoir
eus avecde Staël estparfois incertaine.Elle entretient avecBenjamin Constant
une liaison à éclipses où le sentiment amoureux le dispute à l’amitié. De cette
liaisonnaîtleroman AdolpheécritparBenjamin. Adolphe estunchef-d’œuvre
duromand’analyse.AprèsavoirséduitEllénore,pluspardésird’aimerquepar
amour véritable, Adolphe ne parvient ni à rompre ni à aimer. Subjugué par la
personnalitéd’Ellénoreilseplieàsavolonté.Sonindécision,ainsiqu’unesorte
decomplaisancedanslasouffrance,précipitentlacourseàl’abîmedececouple
fatal. Louise-Germaine de Staël est pour lui une Ellénore bienveillante qui lui
gardeuneamitiéfidèlemalgrélapersonnalitébipolaired’Adolphe.Cettefemme
brillante montre des sympathies affirmées pour les valeurs de la Révolution et
entretient des rapports détestables avec Napoléon qui l’exile d’abord à trente
lieues de Paris, puis hors du territoire français. Elle tenait le salon littéraire et
politique le plus actif à Paris et elle revendiquait une parole libre. Auteure à
succès, elle touche à tous les genres, aussi bien politique et économique que
littéraire. Dans ce dernier domaine, elle publia en 1807 le roman Corinne ou
l’Italie qui est un véritable manifeste féministe. Les personnages principaux
autour desquels se noue l’intrigue sont Corinne elle-même, poétesse à la
sensibilitédélicate,portéeauxnuesparlepublicitalien,OswaldNelvilfilsd’une
grandefamilleécossaise,officierbritanniqueendisponibilitéprovisoireetLucile
Edgermond, jeune fille britannique issue d’une famille amie de celle de Lord
Nelvil.OswaldNelvilprofitedesadisponibilitépourvisiterl’Italie,sacrifiantàla
mode romantique anglaise qui veut que tout homme bien né doive passer
quelquesmoisenItaliepourparfairesaculture.Lorsqu’ilarriveàRome,ilassiste
au couronnement du plus grand poète vivant, en l’occurrence Corinne. Il est
subjugué par le charme de la jeune fille et par la beauté des textes qu’elle a
composés en vue de cette fête. Oswald s’arrange pour être reçu dans le cercle
d’amisquientourentlajeunefemme.Celle-ciluiproposedeluiservirdeguide
pour lui faire découvrir Rome. Tous deux sont attirés l’un vers l’autre, sans
pouvoirsedéfaired’unmalaiseliéàladifférencedesvaleurspropresàchacun.
Mais«l’inclination»l’emporte:ilsdécidentd’allerensembleàNaples.Aucours
de ce périple d’amitié amoureuse, ils échangent sur ce qui les sépare. Corinne
avoue à Oswald qu’elle redoute la perspective d’aller en Angleterre avec lui au
risque dedevoir renoncer à ses choixde vie et se plier auxexigences anglaises
enverslesfemmesmariées.Salibertéaétéchèrementpayéecarelleest,comme
sasœurLucile,filledeLordEdgermond,malaiméeparlasecondeépousedeson
père qui désapprouve sa passion pour les arts et la poésie. L’aversion de sa
marâtrel’acontrainteàs’exilerenItaliesousunnomd’emprunt.Lapériodede
disponibilité dontdispose Oswald touche à sa fin.Il quitte Corinne et regagne
l’Angleterre, où son régiment l’attend. Il rend visite à Lady Edgermond et
rencontre Lucile. Il est troublé par la beauté et la timidité de la jeune femme.
Oswald écrit plusieurs fois à Corinne, qui devine ses hésitations à travers ses
lettres.Dévoréeparlasouffrancedel’absenceetparl’anxiété,elleembarquepour
l’Angleterre. Elle doute que ce voyage ne lui apporte autre chose que la
confirmation de ses craintes. Elle finit par voir Oswald plusieurs fois en
compagnie de Lady et Lucile Edgermond, sans qu’il puisse s’apercevoir de sa
présence. Les regards et les prévenances d’Oswald envers Lucile convainquent
Corinnequ’ill’aoubliéeauprofitdesasœur.Plongéedansunabîmedechagrin,
Corinnes’embarquepourl’ItalieetséjourneseuleàFlorence,avantderegagner
Rome.Elleperdsoninspirationetsajoiedevivre.Désemparée,elleapprendle
mariaged’OswaldavecLucile.Elleentredansuneprofondemélancoliequimet
lentementfinàsesjours.Celivrecommelaviedesonauteureestunmanifeste
féministe qui pourrait se résumer dans une formule toujours d’actualité :
«Messieurs,pourquoiavez-voussipeurdenotreliberté?».

GEORGESAND,NOMDEPLUMED’AUROREDUPIN
DEFRANCUEIL:ÉCRITUREETÉMANCIPATION

L’autre héroïne féministe du siècle, seconde dans l’ordre chronologique, est
George Sand. Ce pseudonyme masculin est adopté par Aurore Dupin (1804-
1876) (Cahier-images, Pl. VII). Aurore Dupin a la particularité d’être
probablementdescendantedumaréchalMauricedeSaxeparsonpèreetducôté
de sa mère, elle a pour grand-père Antoine Delaborde, maître oiselier, qui
vendaitdesserinsetdeschardonneretsàParis,surlequaiauxOiseaux.Aurorea
une double ascendance, populaire et aristocratique, qui la marque
profondément. Son père, Maurice Dupin, incorporé dans les rangs de l’armée
révolutionnaire, participe de 1798 à 1808, à toutes les guerres républicaines et
impériales. Il rencontre Victoire Delaborde pendant la Campagne d’Italie. La
mèreducapitaineDupin,Marie-AuroredeSaxe,faittoutpours’opposeràleur
mariage. Ils se marient en juin 1804, malgré son opposition, juste avant la
naissancedelafutureGeorgeSand.ElleestlapremièrefilledeMaurice,maisla
secondefilledeVictoire.Lespremièresannéesd’AuroresepassentàParis,rue
Grange Batelière. En avril 1808, le capitaine Maurice Dupin est affecté en
Espagne où sa famille le suit malgré les révoltes contre l’occupation française.
Victoire donne naissanceà un enfant, un garçon né aveugle. La situation n’est
plustenableenEspagneetlafamillerentreenFranceoùelleestaccueillieparla
grand-mère d’Aurore, au château de Nohant en Berry. L’enfant que Victoire a
misaumondenesurvitpasauvoyage.Unseconddramesurvientdanslesjours
qui suivent : le capitaine Dupin fait une chute de cheval à La Châtre, accident
auquelilnesurvitpas.
La vie à Nohant devient difficile entre Victoire et Marie-Aurore de Saxe, sa
belle-mère.Un compromis esttrouvé entreles deux femmes.Marie-Aurore de
Saxe prend la responsabilité de l’éducation de la petite Aurore. Elle passe la
majeurepartiedel’annéeàNohantencompagniedesagrand-mèreetpeutvoir
samère,installéeàParis,enhiver.Victoirereçoitunerentedesabelle-mèreet
elleestaccueillieavecsafilleaînéeàNohantpendantl’été.MarieAuroredeSaxe
fait découvrirJ.-J. Rousseau àAurore, puis les philosophesde l’Antiquité, puis
Montaigne,Montesquieu,BlaisePascal,JeandeLaBruyère,Montaigne,Francis
Bacon, JohnLocke, Leibniz, ainsi que les poètes Virgile,Alexander Pope, John
Milton, Dante, et William Shakespeare. Aurore vit une relation heureuse avec
cettegrand-mère àl’esprit finet cultivé.Cette dernièremeurt en1821. Aurore
n’aque17ansetelleestlalégataireuniverselledesagrand-mère.En1822,elle
épousel’avocatCasimirDudevant.Heureusement,samèreveilleàlarédaction
du contrat de mariage qui fait la part belle à aux biens qu’Aurore conserve en
propre.Elleadeuxenfantsdesonmari,SolangeetMaurice.Larelationentreles
deux époux tourne rapidement à l’aigre. Dudevant est un individu inculte,
possessifetjalouxdesurcroîtalcooliqueetquiestcapabledegiflersafemmeen
public. Aurore veut obtenir son indépendance, souhaite travailler et gérer ses
bienspropres.Aumêmemoment,elleengageuneidylleavecleromancierJules
Sandeau et désire le rejoindre à Paris. La séparation d’avec son époux est
inévitable–ledivorcen’existepasàcetteépoque–etelleestprononcéeparle
tribunal de La Châtre en faveur de l’épouse en février 1836. Cette juridiction
reconnaîtquesontprouvésles«injuresgraves,sévicesetmauvaistraitements».
Aurores’installeàParisoùellefaitvenirsesdeuxenfants.Surviennentalorsles
TroisGlorieuses de1830, troisjournées d’insurrectionqui expulsentledernier
roi de France Charles X au profit du premier « roi des Français », Louis
Philippe.IerdelabranchedesOrléans.Auroremènelaviedebohèmeavecdes
compagnons venus comme elle de l’Indre, parmi lesquels l’écrivain Jules
Sandeau.Ayantobtenudelapréfecturedepolicedel’Indreune«permissionde
travestissement»(sic)elleadopteuncostumemasculin,pluspratiqueetmoins
coûteuxque lesproductionsde lamode féminine.Avec JulesSandeau,elle fait
ses débuts en littérature. Rose et Blanche est le roman à quatre mains, fruit de
cette collaboration, qui paraît sous le pseudonyme transparent de « J. Sand ».
Ensemble,ilscommencentégalementunecarrièrejournalistiqueauFigaro. Rose
etBlancheconnaîtuncertainsuccès.Unautreéditeurseprésenteetcommande
unprochainromansouslemêmenomd’auteur.Aurorevientd’écrireIndiana,à
Nohantdurantl’hiver1831-1832,elleveutledonnersouslemêmepseudonyme.
Jules Sandeau,sans doute par délicatesse,n’accepte pas. Lecompromis suivant
esttrouvé:lenomdeSandestconservé,maisprécédéduprénomGeorge(sans
s).GeorgeSandestnéeetl’immenseproductiond’Auroreparaîtdésormaissous
cenom.
Indiana eut, lors de sa parution un immense succès. Le récit a pour cadre
LagnycommunedelaBriedansunpaysagedeplainesmonotones,Parisetses
réceptions,ainsiquel’îleBourbon(anciennomdel’îledeLaRéunion).
Cinq personnages sont liés par une intrigue amoureuse. Ce roman est aussi
uneétudesocialeetuneétudedemœurs.Sonpersonnageprincipalestunejeune
femme, Indiana. Elle est mariée selon la coutume de l’époque au sortir de
l’adolescence avec un mari beaucoup plus âgé qu’elle. De surcroît mari
antipathiqueetautoritaire,l’hommeestunancienofficierdesarméesimpériales
nostalgique et sujet à des accès de violence à l’égard de son épouse. Elle est
courtiséeparunjeunehomme,RaymondelaRamière,êtreintelligentetpervers,
pour qui l’acte de la séduction a plus d’intérêt que celle qui en est l’objet. Il a
achetélechâteaudeCercy,localitévoisinedeLagny.AprèsavoircroiséIndiana
dans une fête parisienne, il décide de la séduire. Noun, la femme de chambre
créole d’Indiana est la première victime de sa décision. Entré clandestinement
surlapropriétédeLagny,ilentretientavecelleuneliaisonamoureuseàlasuite
delaquelleellesetrouveenceinte.Désespéréeparlerefusdel’élégantRaymonde
luivenirenaide,ellemetfinàsesjours.Raymon,danslebutdeserapprocher
d’Indiana est assidu auprès du colonel Delmare qui se complaît dans la
compagniedecethabilementeur.Indianas’éprendau-delàdetoutemesurede
Raymonqu’ellerencontreà nouveauaucoursd’une partiedechasseorganisée
parSirRalph,unaristocratebritanniqueissud’unefamilledeplanteursdel’île
Bourbon.Indiana etluiont véculeur jeunesseensembleà Bourbon.Sir Ralph,
unpeuplusâgéqu’elle,luiaservidementor.Trèscultivé,ilajouéaussilerôle
de précepteur auprès d’elle. Cet homme clairvoyant et discret n’a d’estime ni
pourlecolonel,nipourRaymon.
Quelquetempsaprès,lecolonelperdunepartiedesafortuneàlasuitedela
faillite d’une maison de commerce qui était sa propriété. Il décide alors de se
replieràBourbonpours’occuperdesaplantationdecanneàsucredontl’activité
tourneauralentietdontilespèrequ’unefoisgéréeparsessoins,elleluipermette
derétablirsafortune.Indianacommetl’imprudencededemanderàRaymonde
la cacher chez lui pour échapper au départ pour Bourbon. Raymon se
désintéressedesonsort:l’entreprisedeséductionestdevenueennuyeuse,alorsil
refuse.
RalphaccompagneIndianaetlecolonelDelmaredansleurvoyageàBourbon.
IndianamèneunevietristeetmélancoliqueàBourbonoùseulelaprésencede
Ralphluiapporteunpeudejoie.ElleécritàRaymonunelettredanslaquelleelle
luipardonnedel’avoirabandonnée.
Ilreçoitlalettred’Indiana.Illuirépondensedisantmalheureux:c’estdireà
Indianaqu’ill’attend.
Cettelettreprovoquechezelleunedécision:ellequitteclandestinementl’ile
Bourbon à destination de la France. Pendant les trois mois qui séparent le
courrierdel’arrivéed’IndianaenFrance,lefrivoleRaymonafaitconnaissance
avec Mademoiselle de Nangy, fille adoptive d’un riche industriel bourgeois,
MonsieurMartinquiareprisLagny,anciendomaineducolonelDelmare.Séduit
par le charme de la jeune aristocrate et par la fortune de son père adoptif, il
l’épouse.
Indiana arriveen France pendantles évènements des Troisglorieuses à l’été
1830.Elleseremetdifficilementdesfatiguesduvoyage,puisserendàLagny,où
elledoitrencontrerRaymon.Affreusementgêné,illuiprésentesonépouse.
Malade de chagrin et d’humiliation, elle erre quelque temps dans Paris en
compagnie de sir Ralph. Celui-ci lui apprend que le colonel est mort, victime
d’une attaque cérébrale. Ralph et Indiana sont tous deux tourmentés par une
incurablemélancolie.IlsdécidentderetourneràBourbonpourmettrefinàleurs
joursdansleravindeBernica.
Unefoisarrivéssurplace,sirRalphouvresoncœuràIndiana.Illuirappelle
les moments qu’ils ont passés ensemble au cours de leur jeunesse. Il lui avoue
l’avoir toujours aimée. La fin de l’histoire est la narration par l’auteur supposé
d’uneexcursionqu’ilafaiteàBourbon.Aucoursdecelle-ci,ilestprisdansune
violentetempête,ils’égareetdemandel’hospitalitéàuncouplequivitdansune
maisonisolée.L’homme,quin’estautrequesirRalph,luicontecommentilsont
manqué leur suicide et que lorsqu’ils se sont réveillés vivants après leur
effroyablechute,ilsontdécidédevivre.
IndianafaitainsipartiedesromansféministesdeGeorgeSandausensoùle
récitdénoncelesconditionsdeviepeuenviablesdes femmesen Franceà cette
époque. L’action se déroule à la fin de la Restauration et au début de la
MonarchiedeJuillet. Indianarencontreungrandsuccèsauprèsdupublicetde
la critique dès sa parution, et permet à George Sand d’entamer une carrière
littérairequiluipermetdedevenirl’unedespremièresauteuresfrançaisesvivant
desrevenusdesaplume.
Les œuvres de ces deux écrivaines ont apporté à leurs lectrices issues
généralement de l’aristocratie ou de la bourgeoisie un puissant sentiment de
déculpabilisationsurplusieursplans.Ilressorttantdestextesquedesactesdeces
deuxauteurescélèbresquelesfemmesnesontpasinférieuresàl’hommetanten
qui concerne l’intelligence que la volonté. Il devient évident que le mariage
arrangéparl’entourageetsacraliséparl’Église(iln’existepasdemariagecivilà
cetteépoque)estunleurre.Encasdeconflitdesdeuxépoux,laséparation,seule
autoriséeparlaloi,permetauxépouxdevivreàl’écartl’undel’autreetconserve
au mari l’usufruit de la dot de sa femme. Le sacrement est-il un titre de
propriété?Commentlesinspirationsducœurneseraient-ellespasplussacrées
quecetteinstitution?L’interditsocialquipèsesurlesrelationsextra-conjugales
estébranlé.
LorsdelaRévolutionde1830,unepartiedelapopulationféminineavaitporté
desrevendicationsnourriesdessocialismesutopiquesdeFourier,Saint-Simonet
AugusteComteaupremierrangdesquellesfiguraitlarevendicationdudroitde
voteféminin.LarévisiondelaCharteissuedesbarricadesdejuilletamaintenule
suffrage censitaire et masculin. Avec les barricades de 1848, cette question
redevient d’actualité. L’assemblée constituante qui devait fixer les textes de la
Constitution de la Seconde République était entièrement masculine et
majoritairementopposéeàcetterevendicationféminine.Pireencore,peuavant
la fin de la brève Seconde République, lorsque les républicains conservateurs
écrasèrent par les armes leurs adversaires républicains socialistes, le droit
d’association et le droit de participer aux débats publics furent retirés aux
femmes. Le seul moyen de rendre publiques leurs opinions qui leur restât fut
l’écriture.GeorgeSandetJeanneDeroinfurent,parmid’autres,lesdéfenseures
decetteultimeliberté.
Paradoxalement,ledroitd’associationfutrétabliparleSecondEmpire,régime
issuduplébiscitede1851àl’initiativeetaubénéficeduprinceLouisNapoléon
Bonaparte. La pression de la population ouvrière croissante au service de la
révolution industrielle incita en 1864, le Premier ministre de l’époque Émile
Ollivier à restreindreles mesures de contrôle policier qui s’exerçaientsur cette
population en supprimant le livret ouvrier qui permettait de contrôler les
déplacements et à autoriser le droit d’association qui légalisait de facto les
syndicats.PuisilyeutlaCommune,cetterévoltedesirrédentistesquirefusèrent
lacapitulationde1871,faceàl’invasionprussienne.
Les trois affrontements sanglants de 1830, 1848 et 1871 avec toutes les
souffrances de la population, mobilisèrent les femmes qui trouvaient dans ces
mouvements aussi l’espoir d’une amélioration de leur condition sociale. Au
coursdecestroispériodesdeviolence,lesfemmesdesclassespopulairessesont
révoltées contre le double asservissement de leur condition : l’asservissement
social qu’elles partagent avec leurs compagnons et l’asservissement à leur
compagnonqueleurimposelaloi.

LESFEMMES,LARÉVOLUTIONDEJUILLET1830
ETLESAINT-SIMONISME

Enjuillet1830,lemouvementquiportaLouis-Philippesurletrôneaprèsson
acceptation d’une monarchie constitutionnelle laisse espérer, dans un premier
tempslaruptureducarcanmoralimposéparlaRestauration.Cettedernièren’a
pas réussi à éradiquer les courants de pensée saint-simonien et fouriériste.
Ouvrière brodeuse mariée à un typographe, Suzanne Voilquin organisa et fit
fonctionner une communauté saint-simonienne égalitaire, inspirée par les
principes du Père Enfantin, où femmes et hommes avaient les mêmes droits.
Avec deux autres ouvrières, elles publient un journal ouvertement féministe et
toutestroissedéclarent«prolétaires».L’écrivaineetjournalisteEugénieNiboyet
a, elle aussi, fréquenté les Saint-simoniens avant de se rallier au courant
fouriériste qui prône, comme les Saint-simoniens, la création d’une société
organisée en phalanstères où hommes et femmes partagent les tâches et sont
égauxen droits.Lors dusoulèvement de1830,des femmess’engagent dansles
rangs républicains : elles sont souvent ouvrières. Certaines fabriquent des
cartouchesetdelapoudreàcanon.D’autresprennentlesarmesetfontlecoup
defeusurlesbarricades.Lecamprévolutionnaireestcomposédepersonnesqui
poursuivent des objectifs différents. On y trouve des partisans d’une royauté
constitutionnelle, des bonapartistes (qui prennent leur revanche en 1852), des
républicains, des adeptes des divers mouvements socialistes. Entre
révolutionnairesetlégitimistesquisoutenaientCharlesX,ilestapparuuneforce
tierce,la Garde nationale.Cette dernière était unemilice créée en1789, placée
souslesordresdeLafayette.Composéedecitoyens,commandéepardesofficiers
élus,elleaétéconstituéepourassurerlemaintiendel’ordreentempsdepaixet
formeruneforced’appointentempsdeguerre.En1827,undécretduroil’avait
supprimée, mais les hommes qui la composaient avaient gardé leurs armes et
leursuniformes.
Le roi Charles X met le feu aux poudres, en juillet 1830, en signant trois
Ordonnances:unequi restreintlalibertéde lapresse,uneautrequi dissoutla
Chambre,latroisièmequimodifielaCharteconstitutionnelle.Deuxpersonnages
jouent un rôle majeur dans le déroulement des évènements pendant que
s’affrontentlesinsurgésetlesrégimentsdumaréchalMarmont.Cespersonnages
sontlebanquierLaffittequiambitionnededevenirPremierministred’unroiqui
seraitLouis-PhilippeetLafayette(ilestâgéde72ans)toujourspopulairechezles
Gardesnationauxetquisevoiten«faiseurderois»commeen1789.Cedernier
s’estinstalléàl’HôteldeVille.LaffitteeffectuedesnavettesentreSaint-Cloudoù
setrouveCharlesX,lePalaisRoyal,résidencedesOrléansetl’HôteldeVilleau
cœur de l’émeute. Louis Philippe d’Orléans hésite à se prononcer contre son
cousinCharlesX:ilyauraitducrimedelèse-majestédansunetelledémarche.
LaffitteproposealorsqueleroinommeLouis-Philipped’Orléans«Intendantdu
royaume»etLafayettecommandantenchefdetouteslesGardesNationales.La
proclamationdecesmesuresmetuntermeauxcombats.L’ordreestassuréparla
Garde.Lemillierdemortsetladizainedemilliersdeblessésdescombatstoutes
tendancescomprisesont «tiré lesmarronsdu feu».Lafayette lui-même,quia
légitiméLouis-Philippedansuneaccoladepubliqueaubalcondel’HôteldeVille
est écarté en douceur et remplacé à la tête de la Garde nationale. Louis-
PhilippeIer devient«roidesFrançais»etnonpasroideFrance.
Lerôledesfemmesadhérentesàl’utopiesaint-simonienneoufouriéristeavait
soulevél’enthousiasme. Prolétairescomme SuzanneVoilquin ouappartenant à
la petite bourgeoisie comme Eugénie Niboyet, Pauline Roland, Claire Joubert
épouseBazardetlecoupleCharlesetElisaLemonnier,tousespèrentl’avènement
d’unejusticesocialeincluantlesfemmesetuneréductionde lapauvretépar le
développementdel’industrialisation.LadoctrinedeFouriervoitparcontredans
cetteévolutionindustrielleunesourcededésordresocial.Savisiond’unesociété
future est fondée sur l’idée de Phalanstères composés d’individus qui se sont
choisisparinclinationréciproque,où lapratiquedesarts, ainsiquel’harmonie
desbâtimentsquiabritentlacommunautéaveclepaysagedanslequelilsontété
édifiés sont une source de bonheur. Bien que le propos soit ouvertement
féministe:«Lesprogrèssociauxs’opèrentenraisondesprogrèsdesfemmesversla
libertéetlesdécadencesd’ordresocialenraisondudécroissementdelalibertédes
femmes », le seul journal qui diffuse sa théorie est écrit par Fourier lui-même,
alors que le Saint-simonisme est à l’origine de vocations journalistiques
multiples.Proudhon,leplusextrêmedessocialistesutopiquesnetrouvepasde
relaisféminins pour propagerses idées. Il fautavouer que sondiscours sur les
femmesneluilaisseaucunechancedetrouverdesadeptesféminines!Voicile
commentairequeluiinspirelacandidaturedeJeanneDeroinauxlégislativesde
1849:
« Un fait très grave et sur lequel il nous est impossible de garder le silence,
s’estpasséàunrécentbanquetsocialiste.Unefemmeasérieusementposésa
candidature à l’Assemblée Nationale. […] Nous ne pouvons laisser passer
sansprotesterénergiquement,aunomdelamoralepubliqueetdelajustice
elle-même,desemblablesprétentionsetdepareilsprincipes.Ilimportequele
Socialisme n’en accepte pas la solidarité. L’égalité politique des deux sexes,
c’est-à-direl’assimilationdelafemmeàl’hommedanslesfonctionspubliques
estundessophismesquerepoussenonpointseulementlalogiquemaisencore
laconsciencehumaineetlanaturedeschoses».
LesTroisglorieusesdejuillet1830furentsansdouteuntremplinpourl’essor
du Saint-simonisme. Le journal La Gazette des femmes d’obédience saint-
simonienne, dénonce l’iniquité du Code civil qui limite la capacité civile des
épousesetréclameledroitaudivorce.Ilarrivequ’onydemandeaussiledroitde
votepourlesfemmes.Lesdésillusionssurlesacquisespérésde1830arriventvite.
Les femmes proches du Saint-simonisme se voient refuser l’émancipation
promiseetellessedécident àtrouverparelles-mêmesleurvoie.DésiréeVéret,
ouvrière couturière, et Marie-Reine Guindorf, ouvrière lingère, fondent le
journal La Femme libre en 1832 (il devient plus tard La Femme nouvelle). La
direction en est confiée à Suzanne Voilquin. Les articles publiés, mettent en
parallèle l’exploitation des femmes et celle du prolétariat. Pour ces femmes, la
marcheversl’égalitédoitcommencerparcelledel’instructionmaisaussiparle
rétablissementdudroitaudivorce.
EugénieNiboyet,untempssaint-simonienneadhèreàladoctrinedeFourier.
Elle s’engage en 1833 dans un combat pour l’amélioration de l’éducation des
jeunesfilles.EllefondeàLyonlejournalL’Athénéedesfemmes.DeretouràParis
en1836, Eugénie fonde La Gazette desFemmes avec l’aided’amis telsCharles-
Frédéric Herbinot de Mauchamps. Les rédacteurs et les abonnés se réunissent
touslesjeudispoursouteniretgérerlejournal.Ilsformentunclub,oùondébat
notammentdelaluttepourl’exercicedesdroitspolitiquesetciviquesféminins.
Eugénierassembledenombreusesfemmes lorsdecesréunionshebdomadaires
au 27 de la rue Laffitte. On y rencontre Flora Tristan, Hortense Allart, Anaïs
Ségalas et plusieurs autres féministes. La mémoire de Flora Tristan est restée
dans les esprits comme la grand-mère de Paul Gauguin. Son ouvrage
autobiographique de 1844 L’Émancipation de la femme ou le testament de la
pariamontreàquelpointlesfemmessontoppriméesycomprisparleurépoux
(Cahier-images, Pl. VIII). Flora elle-même a dû se séparer de son mari, fort
violentet quil’avait blesséd’uncoup depistolet !Socialisteutopique, elleveut
mobiliserlesfemmesetproposedecréerune«Unionouvrière»,oùlesdroitsdes
femmesetdeshommesserontégaux.ElleentreprendalorsuntourdeFrancedes
grandes villes pour faire connaître ses idées, mais étant déjà d’une santé
chancelante,ellemeurtsurlecheminàBordeauxen1844chezsesamisÉlisaet
CharlesLemonnier.
Lerégimeaffronteaprèsunpeuplusd’unand’existencesespremierstroubles
sociaux et politiques. En novembre 1831 les tisserands de soie lyonnais,
travailleursenchambresurnommés«canuts»payéssurlabased’untarifhoraire
par les commerçants appelés « soyeux » s’insurgent contre le faible niveau du
minimum négocié et, parfois, contre la non-application du minimum négocié
parcertainssoyeux.Ilsdéclarentunecessationdutravail(ledroitdegrèven’est
pasencorereconnuparlaloi)quitourneàl’insurrection.Devantl’ampleurdu
mouvement, le général Roguet, gouverneur de la ville, est contraint
d’abandonnerLyonauxinsurgés.Larévoltedescanutsestrépriméedanslesang
parlefilsduroiLouis-Philippe,leDucd’Orléans,aumoisdedécembre.
En1832,l’OuestdelaFrances’agite.LaduchessedeBerryrêvederenverserla
MonarchiedeJuilletetderestaurerlamonarchielégitimepoursonfilslecomte
de Chambord. L’insurrection échoue et la duchesse de Berry est arrêtée le
7novembre1832.Elleestlibéréeenjuin1833etexiléeenItalie.
En juin 1832 les funérailles du général Lamarque tournent à l’émeute. Ce
soldatdelaRévolutionpuisdel’Empire,ralliésansconvictionàLouis-Philippe
était favorable aux républicains. Les Gardes nationaux envoyés pour rétablir
l’ordrepactisentavecles émeutiers.L’interventiondel’arméeles 5et6 juin,se
soldepar800morts.Louis-PhilippesigneuneordonnancemettantParisenétat
desiègeafindetraduirelesémeutiersdevantleconseildeguerre.
Nouvelle semaine sanglante à Lyon en avril 1834. Après les événements de
1831,Lyonconnaîtuneseconderévoltedescanuts.Réagissantauxmanœuvres
des employeurs qui tentent une baisse des salaires et la restriction des droits
d’association,lesouvriersdessoieriesmanifestent.Desbarricadessontdressées
dans toute la ville. Comme en 1831, le pouvoir fait preuve de la plus grande
fermeté.AdolpheThiersreçoitlamissiondenoyerlarébelliondanslesang,ce
qu’ilfaitauxprixde600mortsetde10000prisonniers.
Lesloisd’avril1834quirestreignentlalibertéd’associationmettentlesmilieux
républicains en effervescence. Des barricades sont dressées à Paris. Au passage
d’undétachementmilitairedanslarueTransnonain(actuellerueBeaubourg),un
coupdefeutiréd’unemaisonaunuméro12tueunofficier.Lessoldatsperdent
toutcontrôle.Ilsinvestissentlamaisonetmassacrenttousleshabitants.
Louis-NapoléonBonaparte tente, enoctobre 1836, avecl’aide de lagarnison
deStrasbourgderenverserLouis-Philippe.IlmarchesurParis.L’opération,mal
préparée,estunéchec.Louis-NapoléonessaiedequitterlaFrancepourlesÉtats-
Unis.Ilestarrêtéetjugé.Àl’issueduprocès,ilestfinalementacquitté.
Enaoût1840,Louis-NapoléonBonapartetenteànouveausachance.Ilrentre
clandestinementdesÉtats-Unisoùils’étaitréfugiéaprèslatentativeavortéede
1836ets’installeàLondresd’oùilprépareunnouveaucoupd’État.Danslanuit
du5au6août,ildébarqueavecsesfidèlesprèsdeBoulogne-sur-Merettentede
mutiner le 42e régiment de ligne, en vain. Les conjuréssont encerclés, certains
sont tués. Louis-Napoléon Bonaparte est blessé. Jugé puis condamné à
l’emprisonnementàviedanslaforteressed’Ham,ils’enéchappeen1846.

DESCHANGEMENTSDANSLASOCIÉTÉ.
LAPLACEDESFEMMESDANSLEMONDEDUTRAVAIL
Onserapprochedelafindecerégimedontlessoutienssontopportunisteset
les opposants nombreux. Pendant cette fin de règne, ignorant les convulsions
politiques,larévolutionindustrielles’estinstallée.Elleestleprocessushistorique
duXIXesièclequifaitbasculerunesociétéàdominanteagraireetartisanalevers
une société commerciale et industrielle. Ainsi, cette transformation, tirée par
l’essorduréseauferroviairedesannées1840,affecteprofondémentl’agriculture,
l’économie, le droit, la politique, la société et l’environnement. L’économiste
libéral Adolphe Blanqui, en 1837, pour la première fois, souligne l’ampleur et
l’importanceduphénomène.FriedrichEngels,collaborateurdeKarlMarxetpeu
suspect de libéralisme reconnaît son existence en 1840. L’avènement de la
révolutionindustrielleduXIXefaitsuiteàl’expérienceantérieure(XVIIe-XVIII e)
de la révolution manufacturière qui a obtenu l’amélioration de la productivité
parlaconcentrationetlastructurationdesfonctionsauseind’organisationsde
productioncollective.Elleintègreauquotidienl’usagedetechniquesdatantdela
Renaissance en matière de navigation, d’imprimerie, d’horlogerie, d’extraction
minière et de méthodes bancaires. Mais encore, elle doit son essor à la
découvertedesmachines quipermettentdeproduire del’énergieen quantitéà
partir de la vapeur, ainsi qu’à la mécanisation. Cette dernière a transformé en
premier le travail dans les campagnes, avec des machines utilisant l’énergie
animale. Les labours se font désormais au « brabant », les semailles avec des
semoirs mécaniques à traction animale, les récoltes à l’aide de moissonneuses-
lieuses,laséparationdesgrainsavecdesbatteuses.Lesrendementsaugmentent
avec l’utilisation des premiers engrais chimiques. Puis, dans les faubourgs des
villes se sont installées des usines, utilisant la force motrice de la vapeur pour
entraîner des machines auprès desquelles des femmes et des hommes assurent
surveillance,réglage etdépannage. La mécanisationdes campagneslibère de la
main-d’œuvre. Celle-ci migre vers les villes où elle va grossir un prolétariat
urbaindanslequellesentreprisespuisentleurssalariés(Cahier-images,Pl.XII).
De nouveaux métiers, accessibles aux femmes, font leur apparition. La
naissance des Grands Magasins parisiens et leur essor rapide nécessitent
d’embaucherunnombreélevédevendeuses.Leromand’ÉmileZolaAubonheur
desDamesévoquel’ascensionsocialed’unevendeusepartied’unesituationfort
modestequiestàl’imagedecellequ’ontconnueErnestCognacqetMarie-Louise
Jay propriétaires et fondateurs de la Samaritaine. En 1910, la Samaritaine, rive
droiteemploie2500personnes.LemagasinduBonMarché,fondéparAristide
etMargueriteBoucicauten1852,rivegauche,emploieprèsde4500personnes.
Beaucoup de jeunes filles et jeunes femmes souvent venues de province
présententleurcandidatureaumétierdevendeusesdanscesétablissements.Le
métier est exigeant, cependant la direction accorde en plus du salaire fixe un
intéressementsurlesventes:laguelte(entre0,5%et3%).Cettepratiquecrée
uneémulationentrevendeusesquisecomportent,entreelles,enconcurrentes.
Lesconditions detravail sont dures,à raisonde dixheures de travailpar jour,
avecinterdictiondes’asseoir,jusqu’àlaloide1900dite«loisurlessièges»qui
fixait l’obligation de mettre à disposition des vendeuses une chaise pour trois
personnes.Ellesontlapossibilitédes’asseoirseulements’iln’yapasdeclienteà
servir.L’attitudedupatronatvarieentrelepaternalismeetlarépression.Detoute
manièrelespostesintéressantsnesontaccordésqu’àdeshommes:inspecteurs,
chefsderayons.
Lemondedupersonneldesbureauxestessentiellementmasculin,cependant
l’utilisation des machines à écrire crée, avant la guerre de 1914, des emplois
féminins.Sansdoutedéconcertéparl’aspectfragiledecesappareils,lepersonnel
masculinrechigneàlesemployer.Danslesfamillesdelapetitebourgeoisie,on
recherche, par contre pour les filles ce type de salariat qui, pour peu qu’il soit
stable,pallielefaitquelesfamillesnepuissentpasleurconstituerunedot.Ces
jeunes filles apprennent généralement le métier « sur le tas », cependant que
quelques écoles privées de dactylographie, telles que l’école Pigier, fondée en
1850,ouvrentleursportes.C’estaussil’époqueoùElisaLemonnier,républicaine
etlaïque,ouvrelapremièreécoledeformationprofessionnelledejeunesfillesoù
onformeàdemultiplesmétiersdontladactylographie.Elleasuintéresseràson
projetdesgénéreuxreprésentantsdelabranchefrançaisedelafamilleRothschild
etlagrandeartistepeintreanimalièreRosaBonheur.Elleestaussisoutenuedans
sonactionparlaCompagnieparisienned’éclairageetdechauffageparlegaz,et
parlaCompagniedesomnibusdesdynamiquesfrèresPereire.
Le développement des activités de la poste et surtout de la téléphonie, tous
deuxmonopolesd’Étatenraisondel’aspectstratégiquedecesactivitésencasde
conflit,créentdesemploisattractifspourlesfemmesbienquelessalairessoient
modestes. Avant la création des standards automatiques la « demoiselle des
postes»estlapremièrepersonneàlaquelleonparleavantdeconverseravecson
correspondant. C’est elle qui cherche une ligne libre où connecter votre
branchement et qui engage la conversation avec une autre « demoiselle des
postes»quisollicitelecorrespondantsouhaité.Cettefonctionperdurependant
près d’un siècle. Pourquoi parle-t-on de demoiselle des postes ? Deux
explications ont cours. L’une de celles-ci que beaucoup d’entre elles ne
réussissentpasàsemarier,carlesouvriersdecetteépoqueneveulentpasd’une
femme qui travaille à l’extérieur ! L’autre est que, à une certaine époque, une
clausedeleurcontratde travailprécisequelemariage auraitétéuneclausede
rupture.
L’industrie naissante requiert une importante concentration de capitaux en
vuede financer desinvestissements deplus en plusimportants. Aucune forme
d’associationdepersonnedisposantdecapitauxnepouvaitjusque-làpermettre
de limiter le risque pris par les contributeurs en cas de « naufrage » de
l’entreprise.Entreprendredanscesconditionsrevenaitàengagerlatotalitédeses
biens dans l’aventure. Pour faciliter la création de nouvelles industries, une
nouvelle forme juridique d’entreprise, la société anonyme (SA) est créée. Les
investisseursn’engagentleur responsabilitéqu’à hauteurdesmontants investis.
Le maître-ouvrage de Jean-Baptiste Say, le Traité d’économie politique paru en
1803,apermisdestructurerlaréflexiondesnéo-entrepreneursdel’époque.En
1815,Sayenseigne àl’Athénéeroyalet auConservatoire,diffusantlesidées du
grandéconomisteécossaisAdamSmith(1723-1790).
L’énergievapeurtrouvesapremièreapplicationdanslafabricationdepompes
d’exhauredestinéesaux mines.Elles viennentrésoudreun problèmecrucial de
l’exploitation minière souterraine : les infiltrations d’eau. Beaucoup de mines
abandonnéesàcausedel’eauredeviennentexploitables.Cetteapplicationesttrès
ancienne, la première pompe ayant été inventée par Newcomen en 1712. Le
besoindecegenredemachinenedevientpressantquelorsquelesmoteursfixes
àvapeur,grosconsommateursdecharbon,semultiplient.En1830,leRoyaume-
Unipossède15000machinesàvapeur,laFrance3000etlaPrusse1000.
Lafabricationdestextilesestlapremièrebénéficiairedelamécanisationetdu
moteur à vapeur. Filage et tissage sont, jusque-là, des opérations manuelles
pratiquéesàl’aided’outilsrudimentaires:lerouetetlemétieràtissermanuel.En
1779,Comptoninventela«Mulejenny»capabledetordre400filssurautantde
broches à la fois. En 1785, Cartwright crée la première machine à tisser
mécanique.En1801,Jacquardinventelemétieràtisserquipermetdetisserdes
motifssouslecontrôledecartonsperforés.Cetappareilestàl’originederévoltes
des«canuts»lyonnais.
Lamachineà vapeurfixea asseztôtinspiréles inventeursquisouhaitenten
tirer une version mobile pour l’adapter aux moyens de transport. La première
locomotiveàvapeurinventéeparl’Anglais Trevithickvoit lejouren1804.Elle
est utilisée dans une exploitation minière. La première ligne de passagers est
ouverteen1825,avecdeslocomotivesStephenson.
En1783,lepremierbateauàvapeur,le«Pyroscaphe»bateaumuniderouesà
aubes de Jouffroy d’Abbans fait une démonstration de navigation d’un quart
d’heure, sur la Saône. Jusqu’à l’invention de l’hélice par Sauvage en 1832, la
navigationàvapeursecantonneauxrivières,auxportspourlesremorqueurset
sur des trajets courts, comme la traversée de la Manche. L’augmentation de la
tailledesnaviresetlapropulsionvapeurdivisentlesfraisdetransportparquatre
entre1820et1850surlesliaisonsinternationales.
Les chemins de fer, tant pour les voies que pour le matériel roulant, puis la
construction navale avec les navires à coque en tôle d’acier font appel à un
matériau essentiel : l’acier. En 1779, Abraham Darby (troisième du nom)
construit le premier pont métallique en fer, l’Iron Bridge, sur la Severn. Le
matériaudeconstructionaétéobtenuàpartirdefonteaucokedecharbonselon
un procédé mis au point par son père et son grand-père. Trois mois sont
nécessaires à son haut-fourneau pour produire les 384 tonnes de fonte
nécessaires. Ironbridge est considéré comme le berceau de la Révolution
industrielle. La société Darby cesse son activité en 1818, victime de la crise
consécutive de la fin des guerres contre la France et de la concurrence. Le
premier pont métallique réalisé en France est le pont parisien d’Austerlitz de
1807(reconstruiten1854àcausedenombreusesfissures).Latransformationde
la fonte produite par le haut-fourneau en fer ou en acier est réalisée dans des
foursà«puddlage».Cetyped’installationconsisteenunfourhorizontal,oula
voûteestmaintenueàhautetempérature.Diversoxydantssontintroduitsdansle
baindefonte.Ceux-cicaptentlecarboneenlebrûlant.Un«laitier»seformeà
la surface de la fonte en transformation. Il est évacué, puis le fer est coulé. Le
procédé est long et coûteux. Il est remplacé partiellement par l’utilisation du
procédéBessemerbrevetéen1855,quiestinapteàlatransformationdesfontes
tirées de minerais phosphoreux, mais peut produire directement de l’acier. Le
procédé Martin est breveté en 1864. Il permet de réutiliser des ferrailles et de
déphosphorerlesfontes.
La Révolutionindustrielle que l’onpourrait qualifier derévolution charbon-
acier se développe tout au long du XIXe siècle. Dans les dernières années, on
assisteauxprémicesd’uneseconderévolutionindustrielle,larévolutionpétrole,
électricité, télécommunications, dont le développement se fait tout au long du
sièclesuivant.
Fermons cette parenthèse sur les transformations économiques qui sont la
toiledefonddel’histoirepolitiquedusiècle.Nousavionsévoquélecomplotde
Louis-Napoléon Bonaparte qui tente, en août 1840, après un débarquement à
Boulogne-sur-Merdemutinerle42erégimentdeligne.L’affaireéchoue.Louis-
Napoléon Bonaparte, jugé puis condamné à l’emprisonnement à vie dans la
forteresse d’Ham, s’en échappe en 1846. Deux ans plus tard, en 1848,
l’oppositionrépublicainesemanifesteàsontour.Contournantl’interdictionde
réunionetd’association,lesRépublicainsorganisentunecampagnedebanquets
où les projets de réforme sont présentés et débattus. Dans le même temps, les
contributions des participants permettent d’amasser les fonds nécessaires aux
actions politiques entreprises. La campagne des banquets touche environ
17 000 personnes, mais Louis-Philippe I er et son Premier ministre Guizot
refusentde tenir compte desrevendications républicaineset libérales. L’undes
banquets prévu le 19 février à Paris est interdit par le préfet de Paris. Les
organisateursfixent une nouvelle date au 22 févrieret appellent les Parisiens à
unemanifestationdemasselemêmejour.Guizot,le21février1848renouvelle
son opposition à l’organisation du banquet du 22 février. Pour beaucoup de
Républicains, il est trop tard pour faire machine arrière. Ils pensent que les
Parisiensviendrontenmassemanifesterleurmécontentement.
Le22février,lesParisiens,répondantàl’appeld’OdilonBarrot,deLouisBlanc
ou encore de Lamartine, se soulèvent contre le régime de Louis-Philippe. Ce
derniermaintientsoninterdiction.LaGardenationale,invitéeàrétablirl’ordre
sejointauxmanifestants.
Faceàlasituationconflictuelle,leroiLouis-Philippecèdeàlarueetdécide,le
23 février de renvoyer Guizot. Mais les affrontements de la nuit rendent cette
concessioninutileet lemonarquedoitabdiquer. Louis-Philippepartenexil en
Angleterre.

LESCHANGEMENTS ISSUSDELARÉVOLUTION
DEFÉVRIER1848.
LESFEMMESETLADEUXIÈMERÉPUBLIQUE.
L’ÉVEILDESASSOCIATIONSETDELAPRESSEFÉMININE
Ungouvernementprovisoireestformé,présidéparLamartine.Enfontpartie
Arago,Ledru-Rollin,etCrémieux.Larévoltepopulairedefévrier1848aréclamé
ledroitautravail.Lasituationéconomiqueesttrèsinquiétante,lechômagedes
hommesetdesfemmesconsidérable.Depuis1847,ils’estforméenFranceune
bullespéculativeliéeauxcheminsdefer.Nombredecompagniessesontcréées
en vue d’ouvrir des lignes. Ces compagnies font appel à l’épargne publique en
procédant à des levées de fonds en Bourse. Les banques et les particuliers ont
acheté leurs actions dans la perspective de fortes plus-values. Mais la
constructiondeslignesrevientpluscherqueprévu.Enmanquedetrésorerie,les
compagniesontralentileurstravauxcréantainsilechômagechezleursemployés
etchez lesemployés deleurs fournisseurs.On assisteà l’éclatementde labulle
spéculative des chemins de fer. Il s’y ajoute malheureusement une crise
alimentaire.LemildiouquiaravagélesculturesdepommedeterreenIrlandea
fait aussi des dégâts en France et les inondations de l’été ont provoqué le
pourrissementdesgrains.Cettecrisealimentaire,provoqueunehaussemoyenne
desproduitsdebasede13%.
Le gouvernement provisoire, face à la terrible misère ouvrière, ouvre des
ateliersnationaux.Ilssontdestinésàfournirdutravailauxhommesvalidesqui
neréussissentpasàs’enprocurerautrement.Parmilesprogrammesdetravaux
financésparl’Étatetprojetésdanslecadredesateliersontrouvelaconstruction
delapremièregareMontparnasseetdelagareduNord.Iln’estpointquestion
detravailpourlesfemmes.Lapressionpolitiquedesfemmesduprolétariatvise
essentiellementledroitautravailquioccultetouteautrerevendication:droitau
divorce,capacitécivile,droitdevote.Elles’organisedifficilementgrâceàDésirée
Gay. Le 10 avril des ateliers féminins sont enfin ouverts. Des travailleuses,
surtout des couturières s’y précipitent, mais elles sont payées d’un salaire bien
plusbasqueceluiaccordéauxhommesdanscesmêmesateliersnationaux.Les
articles de presse se multiplient pour protester contre cette injustice. Des
ouvrières signent des pétitions pour la revalorisation de leurs salaires. Elles
s’adressent à la Commission du Luxembourg où siègent Louis Blanc et
Alexandre Martin, dit l’ouvrier Albert. Surviennent les élections du 23 avril à
l’Assembléeconstituante,dont lesrésultatssont unegrande déceptionpourles
milieuxrépublicainsprogressistes.Latrèsgrandemajoritédesdéputésélussont
desrépublicainsmodérésauxvueslibéralesenmatièred’économie.Auxyeuxde
cettenouvellemajorité,l’Étatnedoitpass’investirdansl’économiedupays.Le
10 mai, le gouvernement provisoire installé au moment de la Révolution de
févriercèdelepouvoiràlaCommissionexécutived’oùLouisBlancetAlexandre
Martinditl’ouvrierAlbertontétéexclus.Maislesjournéesdejuin1848éclatent,
bloquanttoutespoirdenégociations.Lesateliersnationauxsontfermésfinjuin,
fautedemoyensbudgétaires.Larévolteetlaviolencegagnentànouveaulesrues
(Cahier-images,Pl.VIII).Larépressionbourgeoises’abat.Lamassedesfemmes
se tait, bien qu’elle réprouve la violence de cette répression. Malgré les
suggestionsdufouriériste VictorConsidérantqui proposed’accorderlesdroits
électorauxauxfemmes,laConstitutiondeladeuxièmerépubliquemiseenplace
en novembre1848 entérine l’exclusiondes femmes de la démocratienaissante.
Jeanne Deroin dénonce dans ses articles de presse le despotisme masculin qui
transformelesfemmesen«ilotesdelaRépublique1 ».Bienquelesfemmessoient
inéligibles, Jeanne Deroin se présente aux élections du 13 mai 1848. Cette
initiativeestcritiquéemêmedanssonproprecamp.Ànouveau,EugénieNiboyet
réussiten1848àrassemblerautourducombatféministemenéparlejournalla
Voix des femmes celles qui étaient déjà impliquées en 1830, comme Jeanne
Deroin, Désirée Gay, Suzanne Voilquin, Elisa Lemonnier, et Anaïs Ségalas. Le
mouvement est renforcé par la présence d’auteures qui connaissent le succès à
cetteépoque:GabrielleSoumet,AméliePrai,AdèleEsquiros.Quelqueshommes
viennent se joindre au mouvement : Jean Macé fondateur de la Ligue de
l’enseignement (plus tard, en 1866) ou Paulin Niboyet, fils d’Eugénie. Selon le
système hérité de 1789, un club est créé auquel adhérent les dirigeants du
journal, ses journalistes et les lecteurs ce qui permet de prendre des décisions
collectives pertinentes quant à l’orientation du journal. Comme tous les clubs
politiques de cette période, il est autorisé à désigner un représentant qui porte
devantl’Assembléeconstituantedesprojetsdébattusparsesmembres.
LaVoixdesFemmesdéfenduncataloguetrèslargederéformesfavorablesaux
femmes, tant dans le domaine domestique que dans celui de la politique.
L’extension du droit de vote à tous les hommes provoque une initiative
retentissante,le 6avril 1848: leclub proposela candidaturedeGeorge Sandà
l’Assemblée constituante. Sand désavoue cette initiative et juge durement les
auteuresdecetteinitiativequ’elleaffirmenepasconnaître.Lescaricaturistesdu
Charivari croquent Eugénie Niboyet et les journalistes de La Voix des Femmes
dansunesérieappelée«LesVésuviennes».Celle-ciestnéedel’exploitationd’un
fait divers assez ridicule. En mars 1848, un certain Daniel Borme, chimiste
demeurantàParis,17,rueduPonceauéprouvalebesoindecouvrirlesmursdes
quartiersducentredeParisduplacardsuivant:
«LecitoyenBormefils,auteurdeplusieursmachinesdeguerre,lançanttrois
centsbouletsoupaquetsdemitrailleàlaminute,auteurdufeugrégeois,avec
lequelonpeutincendieretcoulerbaslesflottesennemies,auteurd’unmoyen
avec lequel deux mille citoyennes peuvent lutter contre cinquante mille
hommesennemis.
«Auxcitoyennesparisiennes!
«MessœursenRépublique!
«Citoyennes,
«LaRépubliquevousdoitlequartdesonexistence,c’estparvosexhortations
quevospères,vosfrères,vosamisontaffrontélamitraille,le24février.
«Vousavezméritédela patrie,citoyennes,etc’est pourcette considération
quej’aidemandéauGouvernementprovisoiredevousenrégimentersousle
titredeVésuviennes.
«L’engagementserad’unan;pourêtrereçues,ilvousfautquinzeoutrente
ansauplusetn’êtrepasmariées.
« Présentez-vous tous les jours de midi à quatre heures, 14, rue Sainte-
Apolline,oùvosnoms,prénoms,professions,âgesetdemeuresserontinscrits.
«Salutetfraternité.
«Vive,viveetvivelaRépublique!
BORMEfils.»
Le26 mars,entreonze heuresetmidi, aupiedde lacolonne Vendôme,une
«légion»dejeunesfemmesde15à30ansdéfilaenarmesaffubléesd’uniformes
fantaisistes derrière une bannière tricolore où était inscrit le mot
VÉSUVIENNES.Àmidi,ellesserendirentàl’HôteldeVille,dansl’espoird’être
reçuesparlegouvernement.Uneautrefois,letambour-majordesVésuviennes,
unefemme,serenditchezLamartinequirefusadelarecevoir.Enavril1848,les
Vésuviennes avaient établi un poste, rue de Rivoli, « dans une baraque en
planches, précédée d’un débit de vin où elles versaient aux gardes mobiles du
Louvre le canon de l’amour et celui de l’amitié. » À la suite de l’initiative du
journal La Voix des Femmes concernant la candidature de Georges Sand, les
caricaturistes du Charivari assimilèrent Eugénie Niboyet et son équipe aux
Vésuviennes.LaVésuviennedeleurscaricaturesportaitcorsagelégeretpantalon
« à tournure » qui soulignaient sa féminité. Coiffée les cheveux courts sur
lesquelselleposaitcoquettementpenchéleképidesgardesnationaux,ellefumait
lecigareetjouaitauxcartesentredeuxtoursdegarde.Laséduisantepersonne,
devaitselonleCharivarifairedondesonmariàlalégionafinquetoutespuissent
partagerlecharmedesoncompagnon.Pourinfamantequ’ellefut,latechnique
réussitàridiculiserlesjustesrevendicationsdecesfemmesdignesetconscientes
deleurs droitsenassimilant leursrevendicationsà l’amourlibre,le méprisdes
hommes, la volonté d’imposer un service militaire pour les femmes. On
remarquera que certains traits de la Vésuvienne fantasmée par ses auteurs
renvoyaient à George Sand qu’ils trainaient ainsi dans la boue par la même
occasion.
Lebruitdel’affaireestretentissant.L’initiativequi,audépart,estd’abordun
hommageàGeorgeSandsetermineenunvéritabletorrentd’insultesàsonégard
et à vis-à-vis de celles qui en sont à l’origine. Trop heureux du scandale
provoqué, le gouvernement décide la fin des clubs de femmes. Le 20 juin,
Eugénie Niboyet, découragée et meurtrie, cesse la publication de La Voix des
Femmes,etlesféministessedispersentpouréviterlarépression.Eugénieseretire
de la vie publique et s’exile à Genève où elle vit difficilement de traductions
d’auteurs anglais : des œuvres de Charles Dickens et des livres pour enfants
éditésparLydiaMariaetMariaEdgeworth.L’indemnitélittérairequiluiavaitété
attribuéeen1839luiestsuppriméeetneluifutjamaisrestituée.Néanmoins,elle
reprend la plume après la Commune de Paris en 1871 pour soutenir les
demandes de grâces des condamnés. En 1878, à 82 ans, elle est célébrée au
CongrèsféministedeParis.EugénieNiboyetmeurtàParisle6janvier1883.
Àladatedurenoncementdugroupedefemmeslemieuxorganiséetleplus
actif, structuré par Eugénie Niboyet autour du journal La Voix des Femmes,
l’expériencesocialedelaDeuxièmeRépubliqueprendfinavecl’insurrectiondu
20juin.Ellen’avaitduréquesixmoisaucoursdesquelslalibertéindividuelleest
devenue un droit pour tous : rétablissement de la liberté de réunion et de la
presse, abolition de l’esclavage – tous les habitants des colonies devenant des
citoyens français à part entière. Le suffrage universel, cependant réservé aux
hommesdeplusdevingtetunans,avaitremplacélesuffragecensitaire.Lapeine
de mort en matière politique avait été supprimée. Plus encore, l’esprit de
quarante-huit avait introduit pour la première fois une dimension sociale et
économique dans la législation, avec création des ateliers nationaux destinés à
offrirdes emploisaux chômeurs,et l’abaissementdutemps detravail légaldes
ouvriers à 11 heures par jour (10 heures à Paris). Dans le contexte d’une crise
économique, d’une violence inimaginable, le chômage atteint 25 % de la
populationouvrièreparisienne,lesélectionsàl’Assembléenationaleconstituante
d’avril1848marquentleretourdesnotablesdeprovince.Commenousl’avons
vu plus haut, la nouvelle majorité décide de mettre un terme, le 20 juin, à
l’expériencedesateliersnationaux.LaCommissionissuedelanouvelleChambre
supprime ce qu’elle considère à la fois comme un foyer d’agitation ouvrière et
comme une activité hors du champ de l’action gouvernementale. Vingt mille
ouvriers descendent dans la rue le 23 juin 1848 et dressent jusqu’à
400barricades.
Le général Cavaignac engage une terrible répression, à la mesure de l’effroi
qu’éprouventlesbourgeoisdel’Assemblée.Autotal,du23au26juin,troisjours
de combats font 4 000 morts parmi les insurgés et 1 600 parmi les forces de
l’ordre.
«Jenecroispasàl’avenird’uneRépubliquequicommenceparfairetirersurses
prolétaires!»s’indignealorsGeorgeSand.
La constitution du 4 novembre 1848 institue l’élection du président de la
Républiqueausuffrageuniverselpourunmandatdequatreans.LouisNapoléon
Bonaparteselancedansunecampagneélectoraledanslaquelleilutiliselapeur
d’uneFranceruraleetconservatriceàl’égarddes«partageux»:le10décembre
1848, il obtient 74 % des suffrages à l’élection présidentielle. L’Assemblée
nationale qui sort des élections du 13 mai 1849 est largement dominée par les
forces réactionnaires : légitimistes, orléanistes, républicains modérés et
bonapartistes,qui cumulent plus de 53% des suffrages expriméset obtiennent
prèsde500éluspour750sièges.
LaRévolutionromantiqueadéfinitivementcédélaplaceauréalismeetlepire
resteàvenir.
LouisNapoléonBonaparteneparvientpasàobtenirdel’Assemblée,pourtant
dévouée à sa cause, l’abrogation de la disposition constitutionnelle qui lui
interdit d’enchaîner deux mandatsprésidentiels sans alternance. Il organise un
coup d’État, le 2 décembre 1851. L’Assemblée est dissoute et le futur
NapoléonIIIdéclaredansunAppelaupeuple«fermerl’èredesrévolutions».
VoirEncadrén°5.

APRÈSLECOUPD’ÉTATDENAPOLÉONENDÉCEMBRE1851,DESOUVRAGESDE
FEMMESSONTPUBLIÉS
SURL’ÉDUCATIONETL’ÉGALITÉDESSEXES

Le4décembre1851commenceunecampagnederépressiondestinéeàasseoir
le pouvoir de Louis-Napoléon Bonaparte face aux forces républicaines et
républicaines-sociales. Nous ne donnons qu’un aperçu des évènements qui
conduisentàlaguerre,àlachutedel’EmpireetàlaCommune.Uneinsurrection
populairefaitsuiteauxannoncesdeLouis-NapoléonBonaparte.Leprésidenty
metfindanslesang.
Le 23 janvier 1852, la famille d’Orléans est bannie de France, ses partisans
représentant une menace via le suffrage universel pour le pouvoir. Louis-
NapoléonBonaparteordonne laconfiscationet laventedes biensdela famille
d’Orléans. La liberté de la presse est restreinte. Désormais les journaux ne
doiventpublierquelescomptesrendusofficielsdesdébatspolitiques.
Le21novembre1852,unplébisciteestorganisépourl’instaurationduretourà
l’Empire.Leprince-présidentcumulelespouvoirs,aumoyend’uneConstitution
largement réformée. Il reprend de près les principes fondateurs du Premier
Empire. Une apparence de démocratie est introduite avec le suffrage universel
masculin. Ce dernier sert à élire des « candidats officiels » à l’assemblée et à
approuverlesdécisionsdupouvoirparleplébiscite.NapoléonIIIestproclamé
empereurle2décembre1852.
Le 22 juin 1854, le livret ouvrier est généralisé. Tout ouvrier qui quitte son
atelier doit faire porter l’appréciation de son maître, susvisée par les autorités
municipales.Ilpermetdecontrôlerletravailetledéplacementdespopulations
salariées.
Le 14 janvier 1858, Napoléon III échappe à un attentat perpétré par Felice
Orsini, partisan de la réunification italienne. Plusieurs bombes sont lancées en
direction du convoi impérial. L’empereur et l’impératrice sont légèrement
blessés. Mais huit personnes meurent de leurs blessures. Cet attentat à demi
manqué eut pour principale conséquence indirecte l’entrée en guerre de la
FranceauxcôtésduroidePiémont-Sardaignecontrel’Autriche.
Depuis 1854, plusieurs tentatives d’assassinats et d’attentats ont ponctué le
règnedeNapoléon III.L’attentatde FeliceOrsiniest perçucommeune lourde
menace. Le 19 février 1858, le gouvernement opte pour le durcissement de sa
politique intérieure. La loi des suspects (ou loi de sûreté générale) est
promulguée:elleprévoitdesinternementsarbitrairessansjugement,pourtoute
personnesuspectéed’agircontrel’intérêtdel’Empire.
Le 21 juillet 1858 a lieu l’entrevue de Plombières-les-Bains (Vosges) entre
NapoléonIIIetCamilleCavour,présidentduconseilduroyaumedePiémont-
Sardaigne.Durantleurentretien,lesdeuxhommesmettentaupointlestermes
d’untraitéquiestsignéàTurinl’annéesuivante.IlviseàaccorderauRoyaume
de Piémont-Sardaigne l’assistance militaire de la France en cas de guerre avec
l’empired’Autriche.Encontrepartie,ilestconvenuqueCamilleCavourcèdeàla
FrancelecomtédeNiceetleduchédeSavoie.
Le3mai1859,NapoléonIIIdéclarelaguerreàl’Autriche.Le20mai1859,la
paixs’avèreêtredecourtedurée.Lestroupesfrançaisesainsiquelessoldatsde
Piémont-Sardaigne affrontent l’armée autrichienne à Montebello (en
Lombardie).Lacoalition franco-sarderemporte lavictoire.Les troupesfranco-
sardesmettentàmallessoldatsautrichiensàMagentale4juin,puisàSolferino
le24juin. LetraitédeZürich,des 10etle11 novembre1859marquelafin de
cette première étape de la réunification de l’Italie. Les Autrichiens cèdent à la
FrancelaprovincedeLombardie,qu’ellecèdeàsontouràlaMaisondeSavoie
(famille régnante de Piémont-Sardaigne). En contrepartie, l’Autriche peut
conserverlaVénétie,ainsiquelesforteressesdeMantoueetPeschiera.En1860,
le Royaume de Piémont-Sardaigne donne à la France le comté de Nice et le
duchédeSavoie,conditionayantmotivésaparticipationàlacampagned’Italie.
Le23janvier1860,laFranceetl’AngleterresignentuntraitédeLibre-échange
destinéàabolirlestaxesdouanièressurlesmatièrespremièresetsurlamajorité
des produits alimentaires. Une taxe de 30 % est fixée pour les produits
manufacturés.Cerapprochementfranco-britanniquevouluparlareineVictoria
etNapoléonIII,confirmelavolontéd’allianceetdecoopérationentrelesdeux
nationsjusque-làennemies.
Au fil des années 1860, le Second Empire prend une tournure moins
autoritaire.Lechampdel’emprisedelacensureseréduit.Ledroitderéunionest
rétabli, tandis que le fonctionnement du Corps législatif se rapproche de celui
d’un véritable Parlement. La loi du 6 juin 1868 sur les réunions publiques
supprime les autorisations préalables, sauf celles où sont traitées les questions
religieuses ou politiques. Néanmoins, la liberté des réunions électorales est
reconnue.
Le25mai1864estvotéelaloisupprimantledélitdecoalition.Cetexteabroge
laloiLeChapelierendatede1791.Initialementpromulguéepourmettrefinaux
dérivescorporatistesdel’AncienRégime,elleinterditlalibertéd’associationdes
maîtres-artisans et la liberté d’association des compagnons. Les régimes
postérieurs l’ont conservée pour interdire les syndicats ouvriers. Le Second
Empireymetuntermeetouvreainsilaporteàlalibertésyndicale.

AUTOURD’ANDRÉLÉO,DEJULIE-VICTOIREDAUBIÉ
ETDEMARIADERAISMES

AndréLéo(nomdeplumedeLéodileBéra),mitàprofitcetterelativeliberté
en 1868 pour créer l’Association pour l’amélioration de l’enseignement des
femmes(Cahier-images,Pl.XI).Elletirelesleçonsd’unpassérécent:sonaction
vise à atteindre un objectif pour les femmes, mis en œuvre par des femmes.
Parallèlementàcetteaction,ellepubliedesouvragesetunmanifesteconsacréà
l’égalitédessexes,manifesteconsacrantlanaissancedupremiergroupeféministe
français. D’autres femmes partagent ses idées : Paule Minck, Amélie Bosquet,
AdèleEsquirosetd’autresencore.OncompteparmiellesJulieDaubiépremière
femmeàobtenirlebaccalauréat(en1861),puispremièrefemmetitulaired’une
licence ès lettres. Elle vécut à Paris où elle travaillait comme journaliste
économique.En1869,cecourantdepensées’exprimedanslejournalfondépar
MariaDeraismes(1828-1894)etLéonRicher: LeDroitdesFemmes.Sansdoute,
cetteannéeest-ellecelled’undoublesuccès:premierhommeacquisàlacause
féministe,premierjournalféministe.
MariaDeraismesécrit:
«Queveulentlesfemmes?Levoici,riendeplussimple.Ellesveulenttoutce
que tous les opprimés, les assujettis ont voulu depuis le commencement des
sociétés:leurjustepartdedroitetdeliberté[…]»Elleajoutelesréflexions
suivantes : « Le sexe masculin s’étant arbitrairement déclaré noble s’est
constituéen aristocratie,etcomme toutesles aristocraties,il s’estallouédes
privilèges. Il a confisqué la liberté à son profit. Mais la liberté “aspiration
universelle”, a glissé entre ses doigts ; elle est arrivée à tous les êtres sans
distinctiondesexe.Cequelesfemmesveulent,c’estdenepointêtreélevées,
enseignées, façonnées suivant un type de convention ; type conçu dans la
cervelledespoètes,desromanciers,desartistesetparconséquentdépourvude
réalité […] Donc ce que les femmes veulent, c’est le développement de leur
raisonpourl’accomplissementdeleursdevoirsetdelapossessionlégitimede
leursdroits;cartouslesêtresraisonnablessontégaux,riendepluslogique».
MariaDeraismesestissued’unefamillefortunée(Cahier-images,Pl.X).Son
pèreestungrandbourgeoisvoltairienanticlérical.Elle-mêmesouhaiteconserver
sa libertéet choisit d’être fidèle aucélibat. Elle aurait souhaité devenirpeintre.
Admiratrice de Rosa Bonheur elle fréquente les rares ateliers délivrant un
enseignement d’art aux femmes. Finalement sa vie est marquée par d’autres
talents qui lui furent donnés en partage.Elle est une conférencière née qui, de
surcroît,possèdeaussiunjolitalentdeplume.En1866,suiteàl’invitationdeson
ami Léon Richer, elle présente une conférence devant la loge Cadet du GODF
(Grand Orient De France)à laquelle celui-ci appartient. Impressionnés par ses
talentsoratoiresetsaculture,lesresponsablesdelalogeduPecq(dansl’ancien
départementdeSeineetOise)acceptentdel’initier,cequiprovoqueunénorme
scandaleauseindelamouvance.LeVénérableMaîtreestdésavouéetlalogeest
fermée. Georges Martin un médecin féministe initié dans la loge Union et
BienfaisanceauRiteÉcossaisAncienetAcceptéaidealorsMaria.Constatantque
la maçonnerie masculine est rebelle à l’idée d’accueillir des femmes dans son
sein, il fonde en 1893 avec elle une nouvelle obédience maçonnique ouverte
indifféremmentauxfemmesetauxhommes,appelée« LeDroitHumain »dans
le cadre de La Grande Loge Symbolique Écossaise de France. Cette obédience
devient,parlasuite,OrdreMaçonniqueMixteInternationalLeDroitHumain.
Maria Deraismes est, en 1870, avec Paule Minck, Louise Michel et Léon
Richer, la fondatrice de l’Association pour le Droit des Femmes (ADF) qu’elle
préside. Désormais,sa vie est consacrée à l’écritureet à la négociation avec les
milieux politiques selon un but premier : l’émancipation des femmes et
l’instaurationd’unedémocratielaïque.
En juillet 1867, le prince Otto von Bismarck (1815-1898) accède au titre de
chancelier de la confédération de l’Allemagne du Nord, née au lendemain du
traitédePrague(août1866).Cetteconfédérationconstituelesocledelafuture
unité allemande. Conclu au lendemain de la victoire prussienne sur les
Autrichiens, à Sadowa (3 juillet), ledit traité établit l’unité du territoire de la
Prusse,du Rhin au Niémen.Les États du sudde l’Allemagne, Grand-duchéde
Hesse-Darmstadt,Grand-duchédeBade,RoyaumedeWurtembergetRoyaume
de Bavière accèdent à une complète indépendance. L’Autriche est exclue de
l’espacegermanique.
Enoctobre1867,GiuseppeGaribalditentedes’emparerdesÉtatsduVatican
dans le but de les rattacher à l’Italie en cours de réunification. Mais l’État
pontificalestprotégéparNapoléonIII(décretdu15septembre1864).L’armée
françaiserepousselestroupesdeGaribaldi.Cederniersubitunelourdedéfaitele
3novembreàMontanaetcessedéfinitivementsesattaquescontreleVatican.La
situation politique des États pontificaux bascule avec le retrait des troupes
françaisesen1870.LegouvernementitalienbombardelesfortificationsdeRome,
ce qui met rapidement un terme au conflit. Au siècle suivant, les accords du
Latranen1929signésparMussolinientérinentl’Étatpontificalde1870réduità
unquartierdeRome.
En juillet 1870, dans le cadre de la succession au trône d’Espagne,
Napoléon III refuse la candidature d’un prince allemand Léopold de
Hohenzollern-Sigmaringenetlefaitsavoir.L’ambassadeurdeFranceestchargé
defaireconnaîtrelapositionfrançaiseà GuillaumeIer ,alorsquecelui-ciesten
curedanslavilled’Ems.Cedernieracceptelapositionfrançaise,Hohenzollern-
Sigmaringenretiresacandidature.GuillaumeIerconsidèrel’affairecommeréglée
et rend compte par télégramme à Bismarck. Malheureusement, Gramont
ministredesAffairesétrangèressouslafâcheuseinfluenced’EugéniedeMontijo
a la mauvaise idée de renvoyer son ambassadeur pour demander une
confirmationécritequeGuillaumeIerrefusededonner.LeChancelierBismarck
yvoitl’occasiondedéclencheruneguerrecontrelaFrance.Ilprésentelesfaits,
exacts,dontilaconnaissancesouslaformed’unacteinsultantdelapartd’une
diplomatie française qui remet en cause la parole du souverain prussien. La
presse européenne dans son ensemble reçoit et publie la version de Bismarck.
Napoléon III déclare la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870. Insuffisamment
préparée, en quelques semaines, la France perd plusieurs batailles. L’infériorité
numériquedel’arméenapoléonienneestpatente:250000soldatscontreprèsde
800 000 soldats allemands. Son long passé de guerres coloniales a amené la
France à négliger son artillerie lourde. Un mois et demi seulement après la
déclarationdeguerre,ladéfaitehumiliantedesFrançaisdanslabatailledeSedan,
où l’empereur est fait prisonnier marque le tournant de la guerre franco-
prussienne.
Les forces du général Mac Mahon doivent capituler devant les Prussiens le
4septembre1870.L’empereurNapoléonIIIaétécapturéle2septembre.S’ensuit
la journée révolutionnaire du 4 septembre à Paris où la foule envahit le palais
Bourbontandisquel’Impératricedoitfuirversl’Angleterre.LepalaisBourbon,
siège du Corps législatif est envahi par des émeutiers ce même 4 septembre.
Depuisl’hôteldevilledeParis,LéonGambetta,soutenuparlesélusrépublicains
du Corps législatif, proclame la république. Des événements similaires se
déroulent dans les grandes et moyennes villes de France, notamment Lyon et
Marseille.UngouvernementdelaDéfensenationaleestconstitué,avecàsatête
legénéralTrochu,gouverneurmilitairedeParis,dontlanominationviseaussià
obtenir le ralliement de l’armée. Il acte la chute du Second Empire et la
proclamation de la III e République. Le nouveau gouvernement choisit de
s’installerdansParisassiégéparlestroupesprussiennesetleursalliésallemands.
UnedélégationestenvoyéeàTourspourcoordonnerl’actionenprovincesous
lesordresd’AdolpheCrémieux.Elleestrejointele9octobreparLéonGambetta
investi des ministères de la Guerre et de l’Intérieur pour former de nouvelles
armées:l’ArméeduNord,l’ArméedelaLoirepuisl’Arméedel’Est.Levoyage
de Gambetta fut l’une des premières utilisations d’un ballon libre fabriqué à
Paris, gonflé au gaz d’éclairage. Tributaire des courants aériens, le pilote
atterrissait lors du survol d’un territoire encore contrôlé par les armées
nationales.Le27octobre,legénéralTrochu,quiacachélaredditionsanscombat
de l’armée de Bazaine à Metz, doit reconnaître les faits. L’exaspération envers
l’inertie des gardes nationales après l’affaire du Bourget et l’envoi d’Adolphe
Thiers à Versailles pour négocier la paix avec Bismarck provoquent le
soulèvementdu31octobre1870.Trochunepeutsauversongouvernement,avec
l’aidedeJulesFerry,qu’enrassemblantlesdernièresbrigadesencoreloyales.Le
5novembre1870,ilorganisedesélectionsmunicipalesàParis.
En province, où la victoire du général d’Aurelle de Paladines à la tête de
l’ArméedelaLoireavaitressuscitél’espoir,lesmauvaisesnouvelless’accumulent
tandis que l’étau se resserre autour de Paris. Une sortie visant à briser
l’encerclement prussien a lieu dans la nuit du 28 novembre à Champigny se
terminesurunéchec.Une deuxièmetentative,lasecondebatailledeBuzenval,
menée par les troupes de la Garde nationale, échoue le 18 janvier 1871. En
province,devantl’avancedesarméesallemandes,ladélégationdugouvernement
serepliesurBordeaux.
Seloncertaines interprétations,ce gouvernementissude la classedominante
aurait surtout œuvré à signer la capitulation et à faire accepter la défaite aux
Français dans le but d’enrayer la menace du socialisme parisien. Les Prussiens
qui assiègent Paris sont seuls capables de contrôler la situation, la plupart des
arméesimpérialesayantétéfaitesprisonnières.
Paris assiégéconnaît une grave famineau cours de l’hiver1870-1871. Par la
volonté de Bismarck, l’Empire allemand (dit deuxième Reich) a été proclamé
dans la Galerie des Glaces du château de Versailles le 18 janvier 1871. Le
28 janvier1871, Jules Favre,ministre des Affairesétrangères du gouvernement
provisoire, signe avec le chancelier un armistice qui prévoit, outre l’arrêt des
hostilitéspourunepériodedequinzejoursrenouvelables,laconvocationd’une
assembléenationalechargéenotammentdedéciderdelapoursuitedelaguerre
ou de la conclusion de la paix. L’existence du gouvernement provisoire est
fragile.Ilaréussiàcontenir,le31octobre1870,unetentativederenversement
venuedelagauche,àlasuitedurefusdugouvernementdeportersecoursàune
sortie de Fédérés mal engagée sur le Bourget. Il parvient de justesse à en
empêcher une seconde, le 22 janvier 1871 celle-ci visant à empêcher le
gouvernement provisoire de signer la paix. Les quelques troupes régulières
cantonnéesdansl’enceintedelavilletirentsurlafouleàBelleville.
Bismarck n’accepte de négocier qu’avec un gouvernement issu d’élections
nationales. Des élections législatives sont organisées dans la précipitation pour
satisfaire à sesexigences. Quatre cents députés, issus de listes« pour la paix »,
sont élus à l’Assemblée nationale. La gauche parisienne mobilisée par les
exigences du siège n’a pas eu la possibilité de faire campagne dans les
circonscriptions rurales, où est concentrée la majorité de l’électorat. La plus
grandepartiedesélusreprésentantParissontissusdeslistes«pourlaguerre»,
souventextrémistes.Lepeuple parisienasupportéla terriblefaminedel’hiver,
subilesbombardements,etrepoussélesattaquesprussiennes.Ilcroitsansdoute
possible d’éviter l’humiliation de voir les troupes prussiennes défiler dans la
capitale.
Le17mars1871,AdolpheThiersetsongouvernementenvoientaucoursdela
nuitlatroupesouslecommandementdugénéralLecomtes’emparerdescanons
de la Garde nationale sur la butte Montmartre. Alors que la population et les
gardes nationaux se rassemblent, Lecomte ordonne de faire feu sur les civils
présents, mais ses soldats refusent d’obtempérer. Le général est capturé par les
insurgésettuélelendemain,commelegénéralClément-Thomas.Lapopulation
deParisleurreprocheàtousdeuxd’avoirdirigélarépressionde1848.
La tentative du gouvernement de soustraire aux Parisiens leurs 227 canons
entreposés à Belleville et à Montmartre est une véritable provocation. Ils se
voientlivréssansdéfenseauxattaquesdestroupesgouvernementalesaussibien
que des assauts prussiens. Thiers justifie le retrait des canons par l’application
desconventionsprisesaveclevainqueur,conventionsdontledésarmementdela
capitaleferaitpartie.

DESFEMMESENGAGÉESDANSLACOMMUNEINSURRECTIONNELLEDEPARIS.
MARSÀMAI1871
L’attitudedel’Assemblée,royalisteetpacifiste,contribueàl’exacerbationdes
tensions. Le 10 mars 1871, elle transfère son siège de Paris à Versailles parce
qu’elle voit,à juste titre, dans Paris « le chef-lieude la révolution organisée, la
capitale de l’idée révolutionnaire ». Par une loi du même jour, elle met fin au
moratoiresurleseffetsdecommerce,acculantàlafaillitedesmilliersd’artisans
et de commerçantset leurs familles, et supprime la solded’un franc cinquante
par jour payée aux gardes nationaux. Les élections sont organisées le 26 mars
pour désigner les 92 membres du Conseil de la Commune. Compte tenu des
départs de Parisiens, qui ont quitté la ville avant le siège et de ceux (100 000
environ)quisuiventThiersàVersailles,letauxd’abstentionestde52%.70élus
seulement siègent, du fait de la démission rapide des modérés. Le Conseil est
représentatifdesclassespopulairesetdelapetitebourgeoisie.
Toutes les tendancespolitiques républicaines et socialistessont représentées,
jusqu’auxanarchistes.Ontrouveunevingtainede«jacobins»,admirateursdela
Révolution de 1789 et plutôt centralisateurs. À peine plus nombreux sont les
« radicaux », partisans de l’autonomie municipale et d’une république
démocratiqueet sociale. Oncompte une dizainede « blanquistes», adeptes de
l’insurrection et avant-gardistes. Des collectivistes, membres de l’Association
internationale des travailleurs, sont élus. Sont également élus quelques
«proudhoniens»,partisansderéformessociales.Enfin,des«indépendants»ont
étéélus,telsJulesVallèsetGustaveCourbet.
Journauxetclubssemultiplient.Lesclubsseveulentdesrelaisdel’actiondu
ConseildelaCommuneainsiquedesrelaisdesrevendicationsdescitoyens.
Le Clubde la Révolution, fondépar Louise Michel futle plus important. La
fondatrice, participe activement aux émeutes, notamment place de l’Hôtel de
Villeetfaitpartiedelafrangelaplusrévolutionnaireetradicaledumouvement.
Le Club de la Révolution a élu domicile dans l’église Saint-Bernard de la
Chapelle.Louise Michel fait partie duComité de vigilance de Montmartreaux
côtés de Paule Minck, Anna Jaclard née Vassilievna Korvine-Kroukovskaïa, et
SophiePoirier.Louiseportel’uniformeetlesarmesdelaGardenationale.Selon
une anecdote fameuse, le 22 janvier 1871, elle fait feu sur les troupes qui
défendentl’Hôtel-de-Villelorsd’unemanifestationrépriméedanslesangparle
général Vinoy. Propagandiste, garde au 61 e bataillon de Montmartre,
ambulancière, et combattante, elle participe activement, les 17 et 18 mars, à
l’affairedescanonsdelaGardenationalesurlabutteMontmartre.LouiseMichel
fait partiede l’aile révolutionnairela plus radicaleaux côtés des anarchistes,et
pense, au moment de l’affaire des canons qu’il faut lancer une offensive sur
Versailles pour renverser le gouvernement d’Adolphe Thiers, car l’effectif des
troupeslaisséessurplacepourprotégerlegouvernementestfaible.
Victoire Léodile Béra, dite André Léo (1824-1900), n’est pas comme Louise
issuedesclassespauvresdelasociété(Cahier-images,Pl.XI).Cependant,ellese
rattacheaumêmecourantdepensée.ElleestnéeàLusignanungrosbourgdela
Vienne.Elleaussiadhèreàl’Associationinternationaledestravailleurs,connue
également sous le nom de Première Internationale. Le mouvement, fondé en
1862,réunitlespartisansdeMarxetceuxdeBakounine.L’échecdelaCommune
conduitàlascissiondumouvemententrepartisansducentralismedémocratique
deMarxetlemouvementantiautoritaireanarchistedeBakounine.AndréLéoest
romancièreetjournalisteetelleestcélèbrepoursonféminisme.CommeLouise
Michel,ellefaitpartieduComitédevigilancedeMontmartreetdel’Uniondes
femmespourladéfensedeParisetlessoinsauxblessés.
AndréLéoestissued’unmilieucultivédelabourgeoisie.Songrand-pèrefut
unrévolutionnaire,fondateuren1791delaSociétédesamisdelaConstitution.
Sonpère,ancienofficierdemarine,estnotaireàLusignanetdevientensuitejuge
depaix.
Après le coup d’État de Napoléon III du 2 décembre 1851, elle rejoint en
Suissesonfiancé,lejournalisteGrégoireChampseix,condamnéàplusieursmois
de prison en1849. Ils ont deux enfants nés deleur union le 8 juin 1853. Mais
Grégoiremeurten1863laissantLéodileseulepouréleverleursdeuxenfants.
C’estdepuislaSuisse,queLéodileBérapubliesonpremierromansignéAndré
Léo.Ilestsuividenombreusesautresœuvresquiluiassurentuneréellenotoriété
etluipermettentdevivredesaplumecommeromancièreetjournaliste.
Revenue à Paris en 1860, elle crée l’« Association pour l’amélioration de
l’enseignement des femmes » et en 1868, elle publie un texte défendant l’égalité
dessexesquiestàl’originedelapremièrevagueféministeenFrance.
TrèsliéeàNoémieReclusetauxfrèresÉlieetÉliséeReclus,elleprojetteavec
Noémie,lacréationd’uneécoleprimairelaïquedejeunes.Maislaguerrede1870
vientétoufferceprojet.
PendantlaguerreaveclaPrusse,ellemiliteauseinducomitédevigilancede
Montmartre et, le 18 septembre 1870, elle est arrêtée avec Louise Michel lors
d’unemanifestationrépriméeparl’armée.
Ellepublieà100000exemplairesunappel«Auxtravailleursdescampagnes».
Cette préoccupation – nouer le dialogue entre le prolétariat urbain et les
travailleursruraux–estl’unedesthématiquesdominantesdestextesqu’elleécrit
durant l’insurrection. On retrouve cette thématique dans Le Socialisme aux
paysans,quelaCommunetentedediffusergrâceàdesvolsdeballonslibresen
directiondelaprovince.
« La mise à l’écart des femmes, ou leur insuffisante intégration dans la lutte
insurrectionnelle »,représente pour André Léo l’une des raisons « de son échec
inexorable ».Parvenue à échapper à la répressionde la Semaine sanglante, elle
s’exileenSuissepuissefixeàFormia,enItalie.En1871,ellepublie«LaGuerre
sociale », où elle raconte l’histoire de la Commune. Lors de la scission de la
PremièreInternationale,elleadhèreàl’Allianceinternationaledeladémocratie
socialistefondéeparBakounine.Elle collaboreaujournalLa Révolutionsociale
dans lequel, elle se livre à de vigoureuses attaques contre Karl Marx et son
centralismedémocratiquequ’elleperçoitcommeliberticide.
Voyageant en Europe, elle se consacre à l’étude de la condition féminine de
son temps. André Léo rentre en France après l’amnistie de 1880 et collabore
épisodiquementàlapressesocialiste.Sadernièreœuvre« Couponslecâble »est
unplaidoyerpourlaséparationdel’Égliseetdel’État.Elledatede1899,sixans
avantlaloide1905.
Ellelaisseuneœuvreconsidérable:denombreuxromans,contesetessais,des
dizainesd’articlesettextespolitiques.Elleneséparepasl’écritureromanesqueet
l’engagement.Etpourtant,quelcontraste.Onnelitplusdenosjourslesromans
d’André Léo et c’est sans doute dommage. De quelques bonnes feuilles de La
VieilleFille,s’élèveunparfumquirappellele VoyageenItaliedeGoethe.Quelle
distance entre ces pages romantiques et les anathèmes déversés sur Karl Marx
parcetteferventedéfenseuredeBakounine!
L’UniondesfemmespourladéfensedeParisetlesecoursauxblesséspermitde
fédérerleseffortsdepersonnalitéscélèbrestellesqueLouiseMicheletAndréLéo
avecceuxd’autresfemmes,quelquefoisoubliéesdel’histoire.Toutessebattaient
pour une cause commune, pour l’honneur du mouvement ouvrier et contre la
pauvreté.Ellesfurenttraînéesdanslaboue,emprisonnéesetdéportéespourles
plus chanceuses, fusillées sans jugement pour d’autres lors de la chute de leur
barricade.
L’Union des femmes pour la défense de Paris et le secours aux blessés a été
fondéele11avril1871,dansuncafédelarueduTemple,àParis,parNathalie
Lemel,relieuse,etÉlisabethDmitrieff,intellectuellerusseprochedeKarlMarx.
L’Unionestlecentreprincipaldesactionsconcrètesmenéesparlesfemmesdans
laCommunedeParis.Elleavaitpourbut,d’organiserl’intendanceetlesservices
desantédelaCommune.Danslemêmetemps,ellepermettaitauxfemmesquiy
travaillaientderecevoirquelquessubsidesetdesdenréesalimentaires,autantde
biens qui ne leur étaient plus accessibles depuis que leurs compagnons étaient
engagés dans les combats. Nathalie Lemel, ouvrière, relieuse de son état, avait
acquisuneexpérienceprécieuse,avecEugèneVarlindansl’organisationde«La
Marmite».Lebutdecetorganismeestdécritdanssesstatuts:«Lasociétéapour
but de fournir au prix de revient, à tous les sociétaires, une nourriture saine et
abondanteàconsommersurplaceouàemporter».Varlinorganiseégalementun
« Crédit coopératif » qui permet de garantir aux fournisseurs le paiement des
approvisionnements. Nathalie Lemel qui est la directrice de La Marmite ouvre
quatre succursales en plus de l’établissement principal de la rue Mazarine.
Pendant les six premiers mois elle réussit l’exploit de nourrir environ
1000personnesparjourdanslavilleaffaméeparleblocusdesPrussiens.
L’expérience d’ElizabethDmitrieff est d’une autre nature. Elle se sert deson
expériencepolitiqueacquisedanslesmilieuxrévolutionnairesexilésenSuisseet
à Londres, ainsi que de sa proximité avec Karl Marx pour régir l’Union des
femmes.ElleobtientdelaCommissionexécutivedelaCommunedesmoyenset
demande l’attribution de salles dans les mairies d’arrondissement pour les
femmes souhaitant s’impliquer dans le service d’ambulances ou les barricades.
Ellestructurel’organisationdemanièrehiérarchique.Elle-mêmeoccupeleposte
desecrétairegénérale,unpostenon-éluetnonrévocable.Soussonautoritésont
constituésdescomitésdanschaquearrondissement,dotésd’unbureauetd’une
commission exécutive composée de sept membres représentantes du quartier.
Onestimeàenviron300lenombredefemmesquitravaillèrentdanslecadrede
l’UniondesfemmespourladéfensedeParisetlesecoursauxblessés.Leslocauxet
lesmachinesdesateliersdontlespatronssesontenfuisàVersaillesàlasuitede
Thiers sont réquisitionnés. On y installe des couturières qui taillent et cousent
des uniformes pour les Gardes nationaux parisiens. Nathalie Lemel et ses
camarades y installent leurs entrepôts de vivres et leurs cuisines sociales. Le
fonctionnementestassuréparlescomitésdequartierquirépondentégalement
aux demandes de volontaires pour les ambulances ou les barricades. Nathalie
Lemel exhorte les femmes à prendre les armes au club de La Délivrance. La
volontédesfemmesdeparticiperauxcombats estclairementexpriméecomme
conséquence de l’égalité entre hommes et femmes dans cette adresse à la
commissiondelaCommune,quifutlegouvernementéludelavilledeParisdu
28marsau28mai1871:
« La Commune, représentante du grand principe proclamant
l’anéantissement de tout privilège, de toute inégalité, – par là même est
engagée,àtenircomptedesjustesréclamationsdelapopulationentière,sans
distinction de sexe, – distinction créée et maintenue par le besoin de
l’antagonisme sur lequel reposent les privilèges des classes
gouvernementales».
L’intitulé du mouvement semble anodin et se limiter à la question de la
participation à la défense de Paris dans les rangs des communards. Il cache la
visée beaucoup plus radicale de l’instauration d’un syndicat de travailleuses
pouvantleurpermettredelutterpourobteniruneréelleémancipation.Ils’inscrit
dansl’actionetdanslaprésencedanslesrangsdescommunardsetneformule
aucunobjectifayanttraitàdesdroitspolitiquesspécifiquespourlesfemmes.Le
mouvementestrevendicatifenceque,partageantlesdevoirsdesinsurgés,elles
veulent lesmêmes droits : droits économiques,droit d’organiser son travailde
façonautonomeetd’enrecevoirlarétributionsansintermédiaire.
L’historien anglais Eugene Schulkind (en 1950) estime à 300 le nombre de
membres de cette organisation féminine. La répression sanglante de la
Communemetuntermeàcetteexpériencedemouvementfémininquiinspira
plusieurscourantsféministesdusièclesuivant.
Les deux responsables du principal mouvement féminin de la Commune
connaissent des sorts différents lors de la chute de cette dernière. Élisabeth
Dmitrieffparvientàs’échapperetseréfugieenSuisse,puisretourneenRussie.
Ellesemarieen1877avecuncondamnédedroitcommun,IvanDavidovski,afin
de pouvoir le suivre dans son exil en Sibérie auquel il est condamné. Elle part
avecleursdeuxenfantsenbasâge.Ellecachesonidentitécarelleestrecherchée
par les polices française, suisse et russe, et passe les dernières années de sa vie
dansl’oubli.Ladatedesamortestincertaine,onperdsatraceaprèslarévolution
bolchéviquede1917.

LESFEMMESDE1871:DESBARRICADESÀLARÉPRESSIONETÀLADÉPORTATION.
LOUISEMICHEL
ETLESMILITANTES

Nathalie Lemel mena la lutte sur les barricades jusqu’à la fin de la semaine
sanglante.Ilsemblequ’ellen’aitpasétépriselesarmesàlamainlorsqu’elleest
faite prisonnière, car l’usage dans ce cas est de fusiller sans jugement. Elle est
emmenée à Satory (camp situé à Versailles), jugée par un conseil de guerre
condamnéeetdéportéeenNouvelle-Calédonie.
SophiePoiriercréaetprésidaleClubdelaBouleNoire.BéatrixExcoffonenfut
la vice-présidente. Second des clubs de la Commune par son importance
numérique,ceclubpolitiquedestinéauxfemmesuniquement,seréunissaitdans
unappartementruedesAcaciasdansleXVII earrondissement.Onydébattaitde
laprostitutioncontrainteparlamisèreprolétarienne,del’organisationdutravail
etdesarémunération,oudel’éducationdesjeunesfilles.Selonlatraditiondes
clubsissusde1792,lesconclusionsdesdébatsorganisésétaientformaliséespar
une« adresse » àla Commissiondela Commune.La mortdel’Archevêque de
Paris,GeorgesDarboy,etlerenversementdelacolonneVendômeyfurentvotés.
Le souvenir laissé par la Commune est celui d’un mouvement de révolte
parisien et prolétarien auquel le prolétariat féminin participa et à l’occasion
duquel les revendications propres aux femmes pauvres s’exprimèrent. L’image
est juste quant à la nature de la révolte, inexacte sur le plan géographique. La
Commune de Paris s’inscrit dans le cadre d’un mouvement « communaliste »
global qui se développa à cette période sur l’ensemble du territoire. Des
communes ont également vu le jour dans les grandes villes que sont Lyon et
Marseille,maiségalementdansdesvillesmoyennescommeLimoges,Narbonne,
Le Creusot et Saint-Étienne. On trouve généralement dans ces villes une
implantationdesectionsdelaPremièreInternationale,égalementconnuesousle
nom d’Association Internationale des Travailleurs, fondée en 1864. Elles
adoptentuneorganisationsemblableàcelledelaCommunedeParis,fondéesur
la démocratie directe et sur la création d’unités de la Garde nationale. Elles
refusent la paix négociée par le gouvernement avec Bismarck et souhaitent
continuer à se battre contre les Prussiens. Elles s’affrontent aux troupes de
Versaillesetsonttoutesvaincuesen1871.
LarépressioncontrelaCommuneatteintlesfemmesdelaclasseouvrièremais
eutaussideseffetssurlapresseféministedesclassessocialesplusélevéesetsur
leursclubs.Lesfemmesseretrouventànouveauexcluesdelaviepolitique.
Léon Richer qui fut le directeur du journal Le Droit des femmes (devenu en
1871 l’Avenir des Femmes) est clerc de notaire. Orphelin de père, il assure la
chargedesamèreetdesasœur.Ilenestl’uniquesoutien.Spectateurquotidien
des difficultés de toute nature qu’elles affrontent en raison de leur statut
d’éternellesmineures,ilmilitecontreleurstatutciviliniqueetcontrel’influence
de l’Église sur leur conscience. Lassé du quotidien de l’étude notariale qui
l’employait,ilfaitunbrefpassagedanslacompagniedescheminsdeferParis-
Orléans,puissetourneverslejournalisme.Ilfaitpartieducomitéderédaction
de L’Opinion nationale, journal républicain qui milite pour une instruction
publique laïque gratuite et obligatoire, ainsi que pour le droit de vote des
femmes.Membre du Grand Orient deFrance dont il ouvritles portes à Maria
Deraismes,ilassurelefonctionnementdel’hebdomadaire LeDroitdesfemmes.
Édité à perte, le financement du journal était bouclé par les apports des deux
fondateurs.Le journala organisélepremier banquetféministe en1869. Àleur
initiative,en1874,l’AssociationpourleDroitdesFemmes(ADF)prendlenom
deSociétépourl’AméliorationduSortdesFemmes(SASF).
Voirencadrén°5

1878:UNCONGRÈSSURLEDROITDESFEMMES
Au coursde l’été 1878, LéonRicher, à l’occasionde l’Exposition universelle,
organise,toujoursavecMariaDeraismes,uncongrèssurledroitdesfemmesà
laquelle participent des représentants et représentantes des pays européens, de
Russie et d’Amérique du Nord. Hubertine Auclert (Cahier-images, Pl. XII)
essaye d’y soulever la question du droit de vote des femmes, mais la
revendication est jugée prématurée par l’assemblée qui refuse la stratégie
d’attaque frontale qu’elle propose. Cet incident consacre la rupture entre deux
courants du féminisme. Le courant incarné par Deraismes et Richer, franc-
maçon et anticlérical considère que l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement
républicain et l’instauration d’un enseignement laïque obligatoire destiné aux
femmesestunpréalableincontournable.Fautedecechangementpolitiqueetde
cetteformationdesfemmes,leuraccorderledroitdevoteceseraitaccorderun
second droit de vote à leur mari ou, pire encore, à leur confesseur. Le mode
d’action, très marqué par la franc-maçonnerie consiste à influencer les cercles
politiquesjusqu’àcequ’unemajoritéfavorableàleursrevendicationssedessine,
cequiestcaractéristiqued’uncourantréformiste.L’autrecourantestincarnépar
Hubertine Auclert on pourrait légitimement le qualifier de radical, il réclame
«tout,toutdesuite».
Un désaccord survint en 1882 entre les deux fondateurs de la SASF. Cette
année-là Maria Deraismes avait pris position en faveur du suffrage féminin,
dérogeantàcequiavait étéjusque-làleurlignecommune.MariaDeraismesse
mit en retrait de la SASF. Elle fonda alors la Ligue Française pour le Droit des
femmes (LFDF), dont la présidence est reprise ensuite par d’autres figures du
féminisme:MariaPognonpuisMariaVérone.Parlasuite,DeraismesetRicher
travaillent à la préparation d’un Congrès international du droit des femmes à
Paris qui doit avoir lieu en 1889, année anniversaire du centenaire de la
Révolution. En 1886, ils élargissent les effectifs du comité d’organisation en se
fédérant avec la Société du droit des femmes dont l’objectif était la création
d’écoles laïques. Revendiqué comme le congrès le plus suivi des festivités du
centenaire, l’éventail des sujets qui furent abordés fut très large : histoire des
femmes, situation économique des femmes, atteintes morales, discrimination
anti-féministedelalégislation(Cahier-images,Pl.XII,métiers).
Danslalistedesinterventions,ontrouveuneallocutiond’HubertineAuclert,
preuvequedesmouvementsféministesdivisésgardaientdesobjectifscommuns.
Aprèsle mort de MariaDeraismes en 1894,la société SASFest présidée par
AnnaCarnaudjusqu’en1929.Cetteauteureféministeetfemmepolitiqueajoute
auxobjectifs de lasociété la mixitéà l’école,estimant que lesenfants des deux
sexestrouveraientlàuneoccasionuniquedeconnaîtreladifférencedel’autre.
Élisabeth Fonsèque lui succède, puis Yvonne Netter (1889-1985), avocate,
féministe et résistante française qui présida l’association jusqu’en 1934, date à
laquelle celle-ci semble avoir disparu. La première vague du mouvement
féministe s’essouffle à cette époque. Les revendications sur l’école laïque pour
tous ont été satisfaites grâce au puissant courant laïc qui a engagé le déclin de
l’activité enseignante des congrégations en 1905. La revendication du droit de
votepourlesfemmesaétésatisfaitedanstouslespaysd’EuropesaufenFrance
où, à cause d’un sénat particulièrement réactionnaire, il faut attendre l’après
Seconde Guerre mondiale pour que la loi, proposée à plusieurs reprises par la
Chambrededéputés,passeenfin.Unefoislesuffragedesfemmesobtenu,dela
liste des revendications féminines qui figuraient dans la conférence de 1889, il
resta celles qui figuraient dans la rubrique « morale » et « économie » des
conférences : le respect du corps de la femme et la réappropriation par les
femmes de sa propriété, l’accession des femmes au pouvoir économique. Ces
revendicationssontàl’originedelasecondevagueféministequivoitlejourdans
lesannées1960etquiperdurelongtemps.
L’année de la disparition de Maria Deraismes, une souscription fut ouverte
pour édifier un monument à sa mémoire. Sa statue est érigée au square des
Épinettes à Paris. Elle fut le point de ralliement de plusieurs manifestations
féministes,généralementenfaveurdudroitdevotedesfemmes.Fonduesousle
régimedeVichypourl’effortdeguerreallemand,elleestrétablieen1983grâce
aux concours de la Ville de Paris et de la mouvance franc-maçonne Le Droit
Humain.
Léon Richer survécut sept ans à la disparition de Maria Deraismes. Lutteur
infatigable, ilcontinua le travail effectué par la SASF.En 1886, il avait créé du
vivant de Maria Deraismes une commission extra-parlementaire composée de
députés et sénateurs proches de la SASF. Cette commission travailla à trois
propositionsdeloisdestinéesàêtresoumisesàl’Assemblée:
– Accession des femmes à la possession totale des droits civils et familiaux,
par exemple versement direct et non au mari du salaire des femmes qui
travaillent,partagedel’autoritéparentaleentremarietfemme.
– Modificationducoderelatifàlanationalitédesfemmesmariées.Lesrègles
en vigueur à l’époque prévoyaient qu’une femme française épousant un
étranger perdait sa nationalité française au profit de la nationalité de son
mari.
– Émancipationciviledelafemmemariée.
Laloiaccordantladoublenationalitéauxfemmesmariéesàunétrangervoitle
jouren1889.Ilfautattendre1946pourquelepréambuledelaConstitutionpose
le principe de l’égalité des droits entre femmes et hommes dans tous les
domaines.
Fidèle à la ligne réformiste stricte qui le différenciait de Maria Deraisme, il
soutientquelesféministesradicales«compromettentgravementlacausequ’elles
prétendentdéfendre».
En 1890, LéonRicher songe à l’internationalisation deson action. Il crée La
FédérationInternationalepourlaRevendicationdesDroitsdesFemmes(FIRDF)à
laquelle il obtient le ralliement de la quasi-totalité des mouvements des pays
européensetdel’ÉtatdeNewYorkauxÉtats-Unis.
Maislevieuxlutteursesentuséparsescombatsincessants.En1891,ilmetfin
àlapublicationdujournal LeDroitdesfemmes qu’ilavaitcrééetfaitvivreavec
Maria Deraismes. Il abandonne et transfère à des femmes la présidence des
associations qu’il a créées. Jusqu’à sa mort en 1911, il est couvert d’honneurs
pour l’action qu’il a menée. Il fut le créateur d’un mouvement féminin
républicain réformiste répondant aux besoins des femmes de classe moyenne.
Mais ce mouvement ne peut pas, comme en sont capables les différentes
mouvancesd’inspiration socialiste, s’adresseraux travailleusespauvres et lutter
contre leur exploitation. L’expérience de la Commune a montré que les
revendications prioritaires des femmes prolétaires touchaient à la pauvreté et
qu’elles voulaient être acceptées à égalité comme compagnes de lutte des
hommesdanslessyndicatsouvriersrévolutionnaires.
HUBERTINEAUCLERTMILITANTEPERSÉVÉRANTE
ETACHARNÉEDESDROITSDESFEMMES

L’initiatriceducourantradicaldelacontestationféministe,HubertineAuclert
(1848-1914) est née dans une famille aisée (Cahier-images, Pl. XII). Son père,
richefermierrépublicain devientmairede sonvillage, Saint-PriestenMurat, à
l’avènementdelaDeuxièmeRépubliqueen1848.Sanssurprise,ilestdestituéàla
proclamationduSecondEmpireen1851cequileconfortedanssesconvictions
républicaines.Samèrefaitscandaleencréantunorganismequivientenaideaux
filles-mèresvictimesdelabien-pensancequilesrejetteenpunitiondeleurfaute.
Hubertineest très marquéepar l’éducation religieusereçue dansle couvent où
ellesuitsaformationscolaire,aupointqu’elleenvisaged’entrerdanslesordres.
Refusée en 1869 pour cause d’indépendance d’esprit, elle en conçoit du
ressentiment.Ellefinitpardeveniranticléricale.
Son père est mort en 1861, sa mère en 1866. Bien qu’elle soit la cinquième
enfantsurunefamilledesept,lapartd’héritagequeluilaissentsesparentssuffit
àassurersonindépendancematérielle.Ellesemobilisepourlesdeuxcausesqui
lui tiennent à cœur : la république et les droits des femmes. Partisane de la
révisiondesarticlesduCodeNapoléonquidéfinissentleurstatut,elledéclare:
« J’ai été, presque en naissant, une révoltée contre l’écrasement féminin, tant la
brutalitédel’hommeenverslafemme,dontmonenfanceavaitétéépouvantée,m’a
de bonne heure déterminée à revendiquer pour mon sexe l’indépendance et la
considération ». Elle a pris connaissance des textes des discours prononcés au
coursdesbanquetsorganisésparLéonRicheretgagneParispeuavant1870pour
être au cœur de combats qui la motivent. La Troisième République naissante
ouvre un espace de libertépropice aux luttes féministes. Hubertine Auclert est
alors hébergée chez sa sœur. Elle s’inscrit à l’Association pour le Droit des
Femmes (ADF) de Maria Deraismes, association qui prend en 1874 le nom de
Sociétépourl’AméliorationdusortdesFemmes(SASF).LaSASFestinterditeen
1875, et autorisée à nouveau en 1878. Son éclipse est liée à loi de 1875 qui
autoriselesassociationsmaislimiteleurobjetàl’organisationdel’enseignement
supérieur.
Alorsquelemouvementféministefrançaisréformateurorientesonactionsur
l’accès des femmes à une éducation laïque et de haut niveau, ainsi que sur les
droits civils des femmes, Hubertine Auclert s’attache à promouvoir l’éligibilité
des femmes. Elle estime, sans doute à juste titre, que des lois favorables à
l’évolution de la condition féminine ne peuvent être votées que par une
assembléeoùsiègentdesdéputéesfemmes.En1876,ellefondelasociétéLeDroit
desFemmesquisoutientledroitdevoteféminin.Cettesociétédevienten1883
LeSuffragedesFemmes.
Elle lance en 1877 un appel à la population féminine : « Femmes de France,
nous aussi nous avons des droits à revendiquer : il est temps de sortir de
l’indifférence et de l’inertie pour réclamer contre les préjugés et les lois qui nous
humilient. Unissons nos efforts, associons-nous ; l’exemple des prolétaires nous
sollicite;sachonsnousémancipercommeeux!»
Invitée au congrès de 1878 sur le droit des femmes organisé par Maria
DeraismesetLéonRicher,elleprésentesamotionenfaveurduvotedesfemmes
quiestrefuséeenraisondelaprésenced’unemajoritédedéléguésappartenantà
latendanceréformiste.
Àlasuiteducongrèsoùellen’apaspuexprimerpleinementsesopinions,elle
publieunarticlequirésumelecourantdepenséeauquelserattachesonaction:
«Mesdames,ilfautbiennousledire,l’armeduvoteserapournouscequ’elle
est pour l’homme, le seul moyen d’obtenir des réformes que nous désirons.
Pendant que nous serons exclues de la vie civique, les hommes songeront à
leursintérêtsplutôtqu’auxnôtres.Leprolétairecompritcela,lorsqu’en1848
ilrevendiqualesuffragecommeseulmoyendeconquérird’autresfranchises.
[…]Noussommesneufmillionsdefemmesmajeuresquiformonsunenation
d’esclavesdanslanationd’hommeslibres[…]Parlefaitqu’onpaiel’impôt,
onaledroitdeparticiperàl’établissementdel’impôt.Étantcontribuable,on
doitêtreélecteur[…]
Républicains, qui vous croyez radicaux, socialistes, qui niez la liberté, vous
niez l’égalité. Pensez-vous pouvoir établir sérieusement un gouvernement
républicain en conservant des esclaves qui feront de la France un pays
continuellementenétatdefermentation?»
Emily Venturi à qui l’on avait donné la tâche de prononcer le discours de
clôtureducongrèsconclutparcetteanecdote:
«Hiersoir, unhommequi paraissaitunpeu sceptiquesurles avantagesde
notrecongrès,me demanda: “Ehbien, Madame,quellegrande véritéavez-
vous proclamée au monde ?”. Je lui ai répondu : “Monsieur, nous avons
proclaméquelafemmeestunêtrehumain.Ilrit.–Mais,madame,c’estune
platitude. – Mais quand cette platitude… sera reconnue par les lois
humaines, la face du monde sera transformée. Certes, alors, il ne sera plus
nécessaire pour nous de nous réunir en congrès pour exiger les droits de la
femme.”»
En1879,leComitécentralsocialistedesecoursauxamnistiésetnonamnistiés
estcréé.Sonobjectifestd’obteniruneamnistietotaleetd’organiserunecollecte
defondspouraiderlescommunardsdéportésouinterditsdeséjour.L’exécutif
du comité est ouvert aux femmes. Hubertine Auclert en fait partie. Ce nouvel
engagementlaconduitàparticiperautroisièmeCongrèssocialistedeMarseille
en 1879. Elle y présente un rapport dont on retiendra le passage suivant à la
résonance très contemporaine : « Une République qui maintiendra les femmes
dans une condition d’infériorité ne pourra pas faire les hommes égaux ». Son
messagerencontremalheureusementpeud’écho.
Àpartirde1880,elleentameunegrèvedel’impôt.L’idéequiguidesonaction,
est que les femmes n’ayant en quelque sorte pas d’existence légale ne peuvent
guère être soumises à l’impôt. Mais les juges de la haute autorité auxquels elle
s’adresseneperçoiventpaslecartésianismedesarequêteetrejettentsademande.
Hubertine Auclert doit céder lorsque les huissiers apposent les scellés sur son
domicile.
Lamêmeannée,malgréouàcausedel’échecdesonaction,ellecréelejournal
La Citoyenne. Dévouée à la cause de la libération féminine, cette publication
accueillelesarticlesdelajournalisteSéverine(nomdeplumedeCarolineRémy)
ou encore de l’aristocrate flamboyante et peintre de talent que fut Marie
Bashkirtseff. En 1884, Hubertine Auclert fait campagne contre les dispositions
restrictivesdelaloide1884quirétablitledivorcesupprimésouslaRestauration.
LedéputéNaquetaréussiàfairepassersonprojetdeloiàl’Assemblée.Ils’attire
les foudres des milieux catholiques traditionalistes et des antisémites de tout
bord qui tirent parti de ses origines juives pour crier à la conspiration sémite
internationale.Enfaitetc’estlàlasourcedemécontentementdesféministes,la
loi de 1884 rétablit le divorce pour faute, naguère autorisé par la loi
révolutionnairede1792etignoreledivorceparconsentementmutuel.Ilfautde
graves préjudices causés par l’un des deux époux à son conjoint pour que le
divorcesoitprononcé.Lavictimepeutalorsprétendreàunepensionetàlagarde
desenfants.LaloiNaquet,malgrélespressionsdesmouvementsféministesdura
presque cent ans. Ce fut seulement en 1975 que le divorce par consentement
mutuelfutinstitué.
En1888,HubertineAuclerts’installeenAlgérie,ousonmari,PierreAntonin
Lévrieraéténomméjugedepaix.Elleyrestequatreans,jusqu’audécèsdeson
époux, nommé successivement à Freda (wilaya de Tiaret) puis à Alger. Elle
travaillependantsonséjouralgérienàuneétudesurlasociétéindigèneetsurles
mauvaises relations qu’elle entretient avec la société coloniale. Elle décrit la
conditionmisérabledesfemmesmusulmanessoumisesaudoublepatriarcatdela
société indigène et à celui de la société coloniale qui est venu renforcer
l’assujettissementdesfemmesàlatraditionlocale.Lesécolescoraniquesontété
fermées aux filles qui n’ont plus aucun accès à la lecture en langue arabe à
laquelleellesaccédaientparl’apprentissagedelalectureduCoran.
Refletdel’airdutemps,HubertineAuclertestimequelavoiedelalibération
des femmes indigènes passe par une assimilation dans un environnement
culturelfrançais.Ellerendcomptedesonexpériencealgériennedansunouvrage
éditéàcompted’auteurintituléLesFemmesArabesenAlgérie.
De retour en France, elle est contrainte, face à des difficultés financières, de
mettreuntermeàlapublicationdujournal LaCitoyennequ’elleavaitfondéen
1880. Pour des raisons alimentaires elle collabore en 1894 au journal La Libre
Paroledel’antisémiteEdouardDrumont.En1900,ellefaitpartiedesfondatrices
du Conseil nationaldesfemmes françaises,organisationqui soutientle droitde
vote des femmes françaises. En 1908 les femmes françaises mariées sont
autorisées par une nouvelle loi à toucher elles-mêmes leur propre salaire alors
quejusque-là,seulleurmariavaitledroitdelefaireenleurlieuetplace!
HubertineAuclert,est-cepourfêterdignementl’évènement,serenddansun
bureau de vote des élections municipales de la Ville de Paris et détruit l’urne
électorale ! En 1910, en compagnie de Marguerite Durand et de deux autres
femmes, elles s’inscrivent comme candidates aux élections législatives. Leurs
candidaturessontrejetéesparlepréfetdelaSeine.
Jusqu’àsamortenavril1914,HubertineAuclertpoursuitsonactivisme.Elle
estaccompagnéepuisrelayéedanssoncombatparMargueriteDurand.
VoirEncadrén°5.

MARGUERITEDURANDETLAPRESSEFÉMINISTE,LEJOURNALLAFRONDE
Marguerite Durand (1864-1936) est une personnalité talentueuse. Enfant
naturelleélevéeparsamère,elleentreauconservatoiredeParisen1879oùelle
obtientunpremierprixdecomédie(Cahier-images,Pl.XIII).En1881,elleentre
à la Comédie française, ce qui représente une belle promotion pour une
comédienne. En 1888, elle démissionne pour épouser un avocat député
boulangiste, ce qui n’est pas vraiment un choix féministe ! Elle s’initie à la
politique et se forme au journalisme en travaillant pour La Presse, journal de
propagande boulangiste. Après le suicide du général Boulanger en 1891, sa
confiancedans leboulangisme s’effondre.Elle sesépare deson mari,quitte La
Presse, mais garde une véritable passion pour le journalisme qui la mène au
Figaro. En 1896 la rédaction du Figaro l’envoie faire la couverture du Congrès
féministe international, avec mission de rendre compte des réactions hostiles
soulevéesparl’évènement.Ellerefusedeselaisserimposerlethèmeducompte
rendu qui lui est demandé et traduit au contraire le caractère sérieux de
l’ambiance,le travailetle bien-fondédes discoursqui s’ytenaient,ainsi quela
maîtrise et l’autorité de la présidente, Maria Pognon. Ce contact avec la
mouvance féministe réformatrice créée par Léon Richer bouleverse ses
convictions.Elledécidedeseconsacreràladéfensedesfemmes.LejournalLa
Frondenaquit en1897 decette conversion.Lejournal seveut féministejusque
danssapratiquequotidienne.Deladirectionauxtypographesenpassantparla
rédaction,toutlepersonnelestféminin.Cependant,cen’estpasunjournaldont
larédactionseborneauxsujetsféministes.Politique,sports,finance,arts,toutce
quiconcernel’actualité ytrouveégalementsa place.Lerythmede parutionfut
quotidien jusqu’en 1903 puis mensuel de 1903 à 1905. Les collaborations de
Séverine figurent parmi les plus fréquentes. Toutes les plus grandes figures
féministesdel’époquefurentdescollaboratricesoccasionnelles.
MargueriteDurandparticipaégalementàlacréationen1903d’unquotidien
de tendance socialiste anticléricale, l’Action. Elle collabora dans ce cadre avec
Henry Béranger journaliste à La dépêche de Toulouse et Victor Charbonnel,
directeurdel’hebdomadaireanticléricalLaRaison.Cettecollaborationpritfinen
1905,MargueriteDurandétantsansdoutetroploindesesconvictionsprofondes
pourpouvoirs’entendredurablementaveceux.
En 1904, année du centenaire du Code civil napoléonien qui, toujours
d’actualitéen1904,définitlesdroits,lesnon-droitsdevrait-ondire,delafemme,
elleécritdansLaFronde:«Iln’estpasunefemmequinedoivemaudireleCode,il
n’est pas une femmeriche ou pauvre, grande dame ou travailleuse, qui, dans sa
misèreoudanssesbiens,danssapersonne,danssesenfants,danssontravailou
sondésœuvrement,n’aiteuoun’auraàsouffrirgrâceauCode.»(Cahier-images,
Pl.XI,tableaudeDebat-Ponsan)
En 1907, elle organise un congrès du travail féminin. Elle connaît René
Viviani,ministresocialisteduTravaildanslegouvernementClemenceau.Avec
son aide, elle tente de créer un Office du travail féminin qui serait rattaché
directement au ministère du Travail. L’idée serait de créer une représentation
parallèle des travailleuses salariées puisqu’elles ne peuvent être élues à la
Chambre des députés. Le rattachement au ministère du Travail permettrait de
faireprendredirectementencomptedesmodificationsréglementairesdutravail
féminin pour en améliorer les conditions. Le principe est accepté et le
financement prévu. Marguerite Durand, pressée et méfiante assure
provisoirement la trésorerie sur ses propres deniers et commence la mise en
placedel’organisme.
Le congrès du travail féminin qu’elle a organisé vise à intéresser les
travailleuses et à les faire participer à son projet en recueillant l’avis de leurs
syndicats. Malheureusement, malgré l’intérêt des syndicats de branches
féminines, Marguerite Durand apprend à ses dépens que l’antiféminisme
n’habite pas le seul corps législatif. Son projet fait l’objet d’une campagne de
dénigrementsansretenuedelapartdelapressedelaCGT,danslaquelleelleest
accusée personnellement de corruption et de trafic d’influence. Face à cette
réactionsyndicalenégative, leministre Vivianimetun termeà laparticipation
gouvernementaleetMargueriteDurandlaissesonprojetenveilleuse.
Elle annonce en 1914 dans La Fronde la réactivation de l’office qui est resté
uneaffaireprivéequ’ellefinancesursesdeniers.Laguerreestproche.Lemonde
dutravailféminina,plusquejamais,besoind’aide.

SÉVERINE,UNEJOURNALISTEFÉMINISTE
FORMÉEÀLAPRESSEPARJULESVALLÈS

L’histoireduféminismelibéralduXIXe siècle,tantlecourantréformistequele
courantradicaldoitaussibeaucoupàCarolineRémyditeSéverine(1856-1929)
quicollabora aujournal LaFronde.Séverine estnée dansune famillede petite
bourgeoisieparisienne(Cahier-images,Pl.XIII).Àseizeansellerêvedefairedu
théâtre. Ses parents refusent et la marient. Après moins d’un an de mariage,
écœurée de la violence sexuelle de son époux et enceinte, elle réclame la
séparationde corps. Àla naissance deson fils, Louis,ce dernier estréclamé et
élevéparsonpère.
Afin de ne plus dépendre de ses parents, Caroline cherche un travail, elle
devient dame de compagnie-lectrice auprès de Madame Guebhard, une suisse
fortunéedontlaviesedérouleentrelaSuisse,l’ItalieetNeuilly.Adrien,sonfils,
estmédecinetégalementagrégédephysique.Ilenseigneàlafacultédemédecine
deParis.PlusâgédesixansqueSéverine,ils’éprendd’elle.Unfils,Roland,naîtà
Bruxellesen1880deleuridylle.Ilestélevéennourricediscrètement.Lasituation
ducoupleestcompliquée:Séverinenepeutdivorcer(laloiNaquetsurledivorce
n’est votée qu’en 1884). Adrien et Caroline rentrent à Paris et s’installent rue
Soufflot(àdeuxpasduPanthéon).ElleépouseAdrienGuebharden1885après
avoirobtenuledivorce.
Au cours de leur séjour à Bruxelles, Caroline a fait la connaissance de Jules
Vallès, célèbre communard proscrit qui a trouvé refuge dans cette ville. Elle
sympathiseaveclui.AuretourdeVallèsàParis,aprèsl’amnistiede1880,malgré
lesoppositionsdesafamille,etunetentativedesuicide,CarolineRémytriomphe
et travaille avec Vallès, dont la réputation de « communard » est sulfureuse
auprès de la bourgeoisie. Elle devient son assistante. La loi sur la liberté de la
presseestvotéeen1881.Vallès,biensûrs’enréjouit.Lorsqu’en1883,ilenvisage
de rendre vie au journal communard Le Cri du peuple, Séverine lui apporte le
soutienfinancierdesonmari.
Elle apprend sur le terrain les rudiments de la presse, du journalisme et
découvre les idées des socialistes. Vallès meurt en 1885. Séverine reprend la
directiondujournaldontellegardelaligneéditoriale.
LeCridupeuple,quotidien,grandformat,comporte4pages.C’estunjournal
militant et un journal populaire. Il tire à 15 000 exemplaires (puis monte à
25 000 exemplaires devant le succès rencontré). En 1885, elle fait entrer au
comité de rédaction un journaliste nommé Georges Labruyère. Cet ancien
militaire, démobilisé en 1879 a derrière lui une riche carrière de journaliste. Il
s’éprenddeSéverineetquittefemmeetenfantspourelle.Cetépisodedesavie
privée et des divergences politiques avec l’intransigeant socialiste Jules Guesde
qui lui reproche les idées boulangistes de Labruyère rendent le climat de la
rédactioninvivable.EllevitavecLabruyérejusqu’àlamortdecedernieren1920,
avantdereprendrelaviecommuneavecsonsecondmari,AdrienGuebhard,qui,
lui,disparaîten1924.
Séverinedémissionneen1888.Ellelaisseaujournaltouslesactifsqu’elleavait
investis avec son mari. Le ton de l’extrait de son article d’adieu ci-après, paru
dans Le Cri du peuple donne une idée assez représentative des articles qui
sortaientdesaplume:
«Cetignorantquinesaitnilire,niécrire,siincapablededistinguersadroite
de sa gauche qu’au régiment ses chefs feront garnir différemment ses deux
sabots, et que les mouvements s’exécuteront au commandement : “Paille !
Foin!…Paille!Foin!”Cetignorantestélecteur.Cebutorquiassommeses
chevauxàcoupsdefouet,sansdiscernement,sanspitié,sansmêmelesoucide
sonintérêt,quidistribueàtortetàtraversl’injusticeetlasouffrance,cebutor
estélecteur…Cepochardquinedésemplitpas,del’aubeaucrépusculeetdu
soiraumatin,cesemblantd’homme,aviné, loqueteux,baveux,ayant laissé
saraisonaufonddupremierverre,tellementilestintoxiqué,tantôtricochant
d’un mur à l’autre et tantôt vautré dans ses déjections, ce pochard est
électeur…Électeurencore,cefainéantquisefaitnourrirparsafemme,etcet
apachequivitdelafille;électeur:cegâteuxquis’usalesmoellesendesales
noces ; électeur : ce demi-fou et ce fou prétendu guéri. Électeur enfin
l’imbécile,maîtredumonde!Maislafemme,réputéeinférieureàtousceux-
là, n’a d’emploi que comme contribuable ; qu’un devoir : celui de payer ;
qu’undroit:celuidesetaire.»
Devenuejournalisteindépendante,elle naviguebeaucoupentreles différents
journauxdel’époque.ElletravaillepourlespériodiquesconservateursLeGaulois
et GilBlas.Defaçonencoreplussurprenante,ellecollaboreépisodiquementau
journalantisémitedeDrumontLaLibreParole.
Cependant, lorsqu’éclate l’affaire Dreyfus, elle s’engage aux côtés des
dreyfusards.Elle soutient également des causes anarchistes eten 1927 tente en
vain de sauver Sacco et Vanzetti, deux immigrants italiens aux États-Unis,
accuséssurlabasedeprésomptionsfragilesd’êtrelesauteursdubraquaged’un
transportdefonds.Pourleurmalheur,tousdeuxappartiennentàunemouvance
anarchiste.Letribunaltrouvelàlemobiledel’agression:ilssontaccusésd’avoir
braqué et tuéles convoyeurs pour financer leurmouvement. Sacco et Vanzetti
sontdéclaréscoupables,condamnésetexécutés.
Enjuillet1914,RenéVivianidevientprésidentduConseil.Séverinevoitdans
l’arrivée de ce nouveau Premier ministre socialiste une conjonction d’astres
favorableàlarelancedudroitdevotedesfemmes.AvecMargueriteDurand,elle
parvient à réunir 2 500 femmes qui défilent des Tuileries jusqu’à la statue de
Condorcet(quaiConti).L’imminencedelaguerrefaitpasserlemouvementau
secondplan.
Pacifiste durant la Première Guerre mondiale, elle accueille avec faveur la
Révolution russe de 1917. Elle adhéra au parti communiste, écrit dans
L’Humanité,puisquittelepartilorsquecedernierstigmatisela Liguedesdroits
de l’Hommecomme organisation dela classe bourgeoise.Il existe un très beau
portraitdeSéverine,àlaNationalGalleryofArtàWashington.L’auteurdecette
œuvren’estautrequePierreAugusteRenoir.

JEANNESCHMAHLETLECOMBATPOURL’ÉMANCIPATIONÉCONOMIQUEDES
FEMMESMARIÉES

Venantenrenfortducourantféministelibéral,ontrouvedesassociationsaux
objectifsmoins globaux,àl’efficacité parfoistrèsgrande parceque concentrées
surdesrevendicationsapparemment«apolitiques».
C’est le casde l’« Avant Courrière », crééepar Jeanne Schmahl (1846-1915).
JeanneSchmahlétaitd’originebritannique.NéeArcher,elleépouseunAlsacien
réfugiéenFranceaprèsledésastredeSedanetadoptelanationalitédesonépoux
parvoiedemariage.ElleavaitcommencédesétudesdemédecineenAngleterre,
étudesqu’ellen’avaitpupoursuivre,laloibritanniquenepermettantpasl’accès
desfemmesaudiplôme.Elletravaillecomme sage-femmeet sejointen1878à
l’une des associations fondée par Maria Deraismes avec un pasteur d’origine
alsacienne,lerévérendTommyFallot.Cedernierœuvreauprèsd’unepopulation
pauvre, dans le quartier parisien de La Chapelle. Il anime des conférences
moralesdestinéesàtenterd’éradiquerlaprostitutionetl’alcoolismequifontdes
ravagesdanscesmilieuxpauvres.
En janvier 1893, Jeanne Schmahl fonde l’association l’« Avant-Courrière ».
Ayanttravailléaveclecourantlibéralréformisteduféminisme,ellepensequele
liendoctrinalétablientrereligionetobtentiondesdroitscivilspourlesfemmes
estnuisibleauprogrèsdelacause.Letextefondateurdel’«Avant-Courrière»se
borne à tenter d’obtenir, pour toutes les femmes, le droit de servir de témoin
danslesactespublicsetprivés,et,pourlafemmemariée,ledroitdetoucherle
produit de son travail et d’en disposer librement. Des personnalités de la
moyenne et grande bourgeoisie adhérent à son association. Elle s’entoure de
collaboratrices compétentes en communication avec Jane Misme future
fondatrice du journal La Française, et en droit avec Jeanne Chauvin première
femmedocteurendroit.JeanneChauvinsechargederédigerlesdeuxprojetsde
loi qui sont distribués à la presse et aux parlementaires. Celle qui permet aux
femmesd’êtretémoinestvotéeparlaChambreen1897.Ellenerencontrepasde
difficultésauSénat.
Le projet sur la propriété du salaire des femmes mariées rencontre plus de
difficultés. Il fait craindre une brèche dans une loi de l’époque qui donnait au
marilatotalitédelapropriétédesbiensducouple,ycomprisdeceuxquiétaient
apportésàlacommunautéparlafemme(comprendresadot).Leprojet,amendé
enconséquenceestproposéàlaChambreen1894etvotéen1896.LeSénatmet
onze ans pour le ratifier en 1907. À la suite de son adoption Jeanne Schmahl
dissoutl’association.
En1901,elles’intéresseàlabrancheradicaledecourantféministelibéral.Elle
adhèreau« SuffragedeFemmes »,associationcrééeparHubertineAuclert,dont
les adhérentesrésident pour la plupartdans la région parisienne. En1909, elle
crée sa propre association, l’UFSF, dont le but est d’étendre la revendication
suffragiste féminine à l’ensemble de la France. Jane Misme en est la vice-
présidente, Cécile Brunschvicg la secrétaire générale. L’UFSF est officiellement
reconnueparlecongrèsinternationaldel’Allianceinternationaledesfemmesà
Londresenavril1909,commereprésentantofficieldumouvementsuffragisteen
France.Elleestparlasuite,leplusimportantmouvementsuffragistefrançaispar
lenombredesesadhérentes.En1914,l’organisationfaitétatde12000membres.
En1911,probablementenraisondedissensionsavecCécileBrunschvicg,Jeanne
Schmahl démissionne de son poste de Présidente. Cécile Brunschvicg la
remplace.JeanneSchmahlmeurten1915àParis.
VoirEncadrén°5
Engagementsdefemmesde1830à1914
(associations,publications,congrès)

Ledéveloppementdescourantsféministesrépublicainetlaïqueréformistede
Maria Deraismes et Léon Richer ainsi que le mouvement radical d’Hubertine
Auclertprovoqueuneappréhensiondanslesmilieuxchrétiensetchezlespartis
conservateurs. De ces craintes sont nés des mouvements se réclamant d’un
féminisme non républicain et non laïc. La hiérarchie catholique craint plus
particulièrementlapropagationdesidéeslaïqueschèresàcesmouvements,idées
quiannoncentlaséparationdel’Égliseetl’Étatdudébutdusièclesuivant.

UNCOURANTFÉMINISTESOUSINFLUENCECATHOLIQUE
MargueriteMaugeret(1844-1928)estlafilled’unmédecinsarthois.Écrivaine,
imprimeuretéditeur,elle transportesonactivitéà Parisoùelleassure quelque
tempsl’impressiondujournalféministedeMargueriteDurand, LaFronde,dans
lequelilluiarrived’écrire.
EllecréeetpubliesonproprejournalLeFéminismechrétiendontlebutaffiché
estde«christianiserleféminisme».Cettefinalitéestunedéclarationdeguerre
larvée au mouvement maçonnique. L’affaire Dreyfus est l’occasion pour
MargueriteMaugeretdeserapprocherdemouvementsnationalistes.Elleesten
contact avec le groupe anti maçonnique féministe Association Patriotique des
Femmes Françaises de Françoise Dorive. Attachée à la cause du suffrage des
femmes, son ambition est de ne pas laisser le monopole du féminisme aux
courantsréformisteouradicald’inspirationanticléricaleetrépublicaine.Elleva
tenter, à travers les congrès catholiques, de fédérer les associations de femmes
traditionalistes tentées par une timide ouverture sur le suffragisme. Son
association, l’Union Nationaliste des Femmes, développe un argumentaire
original:«Quelesfemmesvotentounevotentpas,ilestentendu,ilestadmis–et
c’estmêmelaconsolationqu’onoffreàcellesquiréclamentlebulletin–quecesont
elles qui font voter. Nous ne voyons pas pourquoi, alors, elles n’auraient pas le
droit[devoter],ledevoirmême,etledevoirtrèsrigoureuxdeserendrecomptede
cequ’ellesfontfaire».Lesélectionslégislativesde1898ontétéunsuccèspourles
antidreyfusards : le suffrage universel pourrait, sous condition d’un savant
conditionnement de l’esprit des femmes, mener à la « rédemption nationale ».
Maislesuffragedesfemmesnepourraêtreadoptéàl’échellenationalequ’avec
l’adhésion des conservateurs et de la hiérarchie catholiques, que Maugeret
s’attellealorsàconvaincre.
Aussi lorsqu’elle crée en 1886 la « Société du Féminisme Chrétien », la
hiérarchie, après une période de méfiance accueille le groupe, en 1900, au
Congrèsinternationaldesœuvrescatholiques.Sesargumentssurlarédemption
d’uneRépubliquedeplusenplusanticléricaleluipermettentdeserapprocherde
l’église,qu’elle chercheà rallierà sacause alorsque cette dernièrereste encore
hostileausuffragisme.
La collaboration avec le groupe anti-maçonnique féministe de Françoise
Doriveaconduitauprojetd’unpremiercongrèsd’étudessocialesàParisen1903
souslepatronagedeJeanned’Arc,l’héroïnenationalequifait,danslesmilieux
antirépublicains et antimaçonniques, office de modèle pour les femmes
catholiques françaises. Marie Maugeret tente de faire des femmes une force
politiqueen appelantàce congrèsannoncédans lejournal L’Univers du7 mai
1904 où sont notamment discutées « toutes les questions concernant les droits
civiquesdelafemmeetsonrôlesocial-chrétien».
Cette opération conjointe de défense des droits des femmes et de l’Église
rencontreuncertainsuccès.L’initiativereçoitlesoutienduVatican.Lejournal
LaCroixdu17mai1904annonceque «L’œuvredesCongrèsJeanned’Arc»est
bénieparlepapePieX.En1905,enpleinecrisedelaséparationdel’Égliseetde
l’État,cetteorganisationentreenactionenlançantunevastepétitioncontreles
projetsdelaïcisationdelasociétéfrançaise.
L’œuvre des congrès de Marie Maugeret organise en plus d’une quinzaine
d’annéesseizecongrèsannuelsquisesuccèdentde1904à1920,avecuneseule
interruptionpourl’année1918.Ilssetiennentgénéralementsurtroisjours,vers
la fin du mois de mai, et se dérouleront toujours au même endroit, dans les
locauxdel’InstitutcatholiquedeParis.
Le troisième Congrès Jeanne d’Arc, en 1906, consacre un tournant dans
l’histoireducourantcrééparMargueriteMaugeret.Commedanslessessionsdes
annéesprécédentes,deuxjourssontconsacrésàlarevuedesœuvresféminines.
Letroisièmeabordefranchementlaquestionpolitique.Cinqintervenants,dont
deuxprêtres,seprononcentenfaveurdudroitdevotedesfemmes.Maugeretest
laplusvéhémente.Auvoteàmainlevée,levotedesfemmesdanslesassemblées
professionnelles est adopté à l’unanimité ; dans les communes à la grande
majorité;danslesconseilsgénérauxàlamajorité;auxélectionslégislatives,àla
majorité, mais avec une importante abstention. Dans les jours qui suivent, le
journal L’Univers,organe du courant catholique libéral, publie deux éditoriaux
explicitement suffragistes. Autre tendance du féminisme chrétien, le « Conseil
nationaldesfemmesfrançaises»,dominéparlesprotestantesdeSarahMonod,
inscritledroitdevoteàl’ordredujourdesonassembléegénérale.
Mais, malgré le succès du courant de pensée de Maugeret, un nombre
important de femmes catholiques restent hostiles au suffragisme. La Ligue
patriotique des Françaises et la Ligue des femmes françaises mettent en avant
l’opposition personnelle du nouveau pape Pie X : « Les femmes dans les
Parlements,ilnemanqueraitplusquecela!Leshommesseulsyfontdéjàbien
assezdegâchis»(sic).
En1910,âgéedesoixante-sixans,Maugeretseretiredesluttes.Elleadéjàmis
un terme en 1907 à la parution du journal le Féminisme chrétien. Elle reste
néanmoinssecrétairegénéraledelaFédérationJeanned’Arcjusqu’àsamort,en
1928.Néanmoins,ausortirdelaPremièreGuerremondiale,Maugeretassisteà
la renaissance de l’engouement des femmes catholiques pour le droit de vote :
l’émergencedubolchévismefaitentrevoiràladroiteundangerplusgrandquele
républicanisme.En1919,laChambredesdéputésprenantconsciencedel’effort
de guerre considérable fourni par les femmes de France vote l’intégralité des
droitspolitiques.LeprojetdeloiestrejetéparleSénat!

SARAHMONODETJULIESIEGFRIED:DESFÉMINISTESDANSLECADRE
PROTESTANT

Le désir de faire évoluer le statut des femmes dans un cadre chrétien se
manifeste aussi dans la mouvance protestante. Toutes deux filles de pasteur,
Sarah Monod (1836-1912) et Julie Siegfried (1848-1922) sont proches par leur
milieu familial et culturel. Elles appartiennent à la haute société protestante
inséréedanslemondedesaffairesetdelahauteadministration.SarahetJuliese
caractérisent par une foi chrétienne tournée vers l’action. Sarah Monod, en
compagnie de sa mère, s’intéresse fort jeune à l’œuvre des prisons pour les
femmes deSaint-Lazare. La tâche nécessitedu courage : laprison Saint-Lazare
estréservéeauxprostituéesetauxfillesmineuresissuesdemilieuxpauvresqui
présententdestroublespsychiatriques.Ellecontinueàs’intéresserauxproblèmes
deladétentiondanslecadredelaSociétégénéraledesprisons,sociététoujours
activedenosjoursquiétudielesmoyensetprocéduresappliquéesauxdétenus
demanièreàobtenirlameilleureréinsertionpossible.Sarah,soucieused’étendre
le champ de ses activités de bienfaisance accepte les fonctions de co-directrice
desdiaconesses.Lesdiaconessesontuneanalogielointaineaveccertainsordres
religieux catholiques non contemplatifs. Leurs fonctions sont proches de celles
du diacre catholique. Elles prononcent des vœux pour cinq ans. Les sœurs
consacréesaunombredequelquesdizainesdirigentdesactivitésassuréespardes
bénévolesoudesemployés.Lechampdecesactivitéscomprendl’assistanceaux
plus démunis. Les activités de leur communauté sont orientées par un conseil
composé de personnalités éminentes réputées pour leur foi et leur rigueur
morale.Pendantlaguerrede1870Sarahorganiseavecles diaconessesdeParis
uneambulancefinancéeparlecomitéévangéliqueauxiliairedesecourspourles
soldats blessés et malades. Cette ambulance soigne, entre le 3 août 1870 et le
3 mars 1871, plus de 1 500 blessés. Après la défaite de Sedan, elle part en
Angleterrepourleverdesfondsetapprovisionnerdumatérieletmetsonéquipe
au service de l’armée de la Loire qui continue le combat sous les ordres de
Faidherbe.Quelquesmoisplustard,elleportesecoursàd’autresblessés:ceuxde
laCommunedeParis,sansdistinctiondecamp.
En1877ellerencontreJoséphineButler,femmedepasteuranglaisequilutte
contre les lois de son pays imposant des procédures de contrôle sanitaire
infamantesauxprostituées.
SarahMonods’associeàsoncombatencréant,enFrance,uneœuvrepourla
protectiondesjeunesfillesisolées.Cetorganismeintervientauprèsdesbureaux
deplacementpourleurpermettred’échapperàlaprostitutionfaceauxdifficultés
économiquesdelavie.
ÀlamêmepériodeJulieSiegefriedvientdesemarier.Elleconsacrel’argentde
sescadeauxdemariageàlafondationàMulhoused’unpetitétablissementpour
former les servantes et recevoir les domestiques sans emploi. Son idée est de
protégerlesjeunesfillesvenuesdelacampagnechercherdutravailenville.Julie
est appuyée par son époux, Jules Siegfried, qui est maire du Havre, ville où il
organise l’école primaire laïque dès 1878. Dans cette ville Julie découvre les
ravagesdel’alcoolismeetdécidedeluttercontrecefléauliéàlapauvreté.Avec
l’aide de son mari, elle s’efforce d’éradiquer les logements indignes du Havre
dans lesquels vivent bon nombre de familles d’ouvriers et d’artisans (Cahier-
images,Pl.XII,cf. LesExpulsés deF.Pelez).Ellecréedescentresd’assistanceet
deprotectiondesfemmesetdesenfantsetdesdispensaires.JulesSiegfriedestélu
députéen1885etlecouplevienthabiterParis.Julieseconsacreàuneœuvrede
secoursauxfemmesdescommunards,victimesdelaguerrecivilede1871.Avec
son aide, cette œuvre s’agrandit par la création de crèches, d’école, de
dispensairesmaisaussidansundomainepionnierceluidescoloniesdevacances.
Julie consacre aussi une part de son temps à une œuvre fondée par une
Américaine à Paris en faveur des « demoiselles de magasin », les nombreuses
vendeusessalariéesdestoutnouveauxgrandsmagasinsparisiens.L’œuvremetà
leurdispositiondeslieuxderéunionetunebibliothèqueetdispensedescours.
Julie prend la tête, en 1891, du journal bimensuel La Femme (fondé en 1879).
Soussadirectionletondecejournalévolueetpassedesconseilsmorauxàdes
revendications (en 1911) en faveur du suffrage des femmes. En 1889 lors de
l’ExpositionuniverselleàParis,deuxcongrèsféministessetiennent:lecongrès
deslaïcsréformistestenuparDeraismesetRicheretlecongrèsdesprotestants.
Julie et Sarah participent au congrès protestant qui se réunit autour de Jules
Simonpourmettreenlumièreletravaildesinstitutionsfémininesprotestantes.
Plus tard il est décidé de préparer un Congrès des œuvres et institutions
féminines pour l’Exposition universelle de 1900, sous le patronage du
gouvernement.Lescatholiquessollicitéesn’acceptentpasdeparticiperestimant
que la présence protestante est trop marquée. En 1900 se tiennent à nouveau
deuxcongrèsféministes:celuideslaïcsréformistesetceluidesprotestants.
Danscecontexteestfondéle ConseilNationaldesFemmesFrançaises(CNFF)
en 1901. Sarah Monod est élue présidente. Elle est épaulée dans sa tâche par
GhéniaAvrildeSainte-Croix,secrétairegénéraledumouvementde1901à1922.
En 1922,elle succède à JulieSiegfried à la présidence.En 1929, elle présideles
états généraux du féminisme réunis à Paris. Née en 1855 en Suisse, Ghénia,
orpheline à seize ans, part travailler comme gouvernante dans des familles de
diplomatesfrançais.Danslecadredesonmétier,elleparcourtdenombreuxpays
et parle plusieurs langues. Elle s’intéresse aux droits des femmes, quitte son
métierdegouvernantepourceluidejournalisteen1893.Elleréaliseuneenquête
surlesconditionsdeviedesprostituées.En1898elleserendàLondrespourun
congrèsabolitionnisteet,commeSarahMonoden 1877,yrencontreJoséphine
Butler, célèbre abolitionniste anglaise. Avec elle, elle lutte contre les règles
dégradantesdelaprostitutionréglementée(ditealors«Traitedesblanches»).En
1900, elle épouse François Avril. Elle publie un livre en 1907 Le Féminisme.
Remarquée par le personnel politique, elle est appelée à travailler avec la
commission Coulon-Chavagne (1905/1907) qui entreprend le remaniement du
CodeCivilausujetdel’incapacitéciviledesépouses.Pendantlaguerrede1914
Ghénia participe à diverses œuvres patriotiques : foyers-cantines pour les
femmestravaillantdanslesusinesdeguerre,officedesrenseignementspourles
famillesdisperséesparlaguerre.EllecréeavecJulieSiegfriedlaSectiond’Études
féminines(SEF)duMuséesocial.Jusqu’àlafindelaguerreGhéniatravailleau
seindelacommissionsurleTravailféminin,quiréunitdesinformationspourle
gouvernementsurletravaildesfemmesentempsdeguerre.
Le féminisme de l’époque est marqué par l’émergence d’un courant libéral
puissantanticlérical, quine devientsuffragiste qu’àla fin dusiècle. Fortde ses
deuxtendances,latendanceréformisteetlatendanceradicale,cecourantpeutse
définircommedoctrinaire.Ilprocèded’uneréflexionsurcequiestutilepourle
genreféminin,puiscréedesassociationspourrépandrelefruitdecetteréflexion.
Parallèlement à ce courant se développe un courant chrétien, lui-même
également scindé en courant protestant et courant catholique. Ils ont en
commun de ne pas être doctrinaires, mais pragmatiques. Les congrès qu’ils
tiennent rassemblent les œuvres de toute nature dont les participantes sont
susceptibles d’adhérer au courant féministe. Une différence fondamentale les
distingue. La population protestante, nourrie de la responsabilité individuelle
devant Dieu passe avec aisance de la réflexion à l’action. À l’inverse les
catholiques sontinhibés par la division entre laïqueset clercs et l’initiative des
laïques est soumise en permanence à l’approbation d’une hiérarchie cléricale
conservatrice.Cette dernière nedonne son approbation auxinitiatives que par
peurdelalaïcitérépublicaineet,parlasuite,parpeurducommunisme.
Maislesadhérentesdecesmouvementsquelsqu’ilssoientappartiennentaux
classessocialesfavorisées,delapetitebourgeoisiejusqu’àl’aristocratielibérale.Il
yaaussi desmanifestationsd’unféminismeissu desdiverscourantssocialistes
de l’époque. L’expression de ces courants est difficilement audible pour deux
raisons. Les courantssocialistes sont divisés et se livrent à de violentscombats
internes concomitants à la diffusion des idées de Marx et de Bakounine. Les
partisans de Marx prônent une société structurée et collectiviste. Ceux de
Bakounine veulent la destruction de l’État. Ces deux tendances travaillèrent
d’abord au sein d’une structure commune, l’Association internationale des
travailleurs(AIT).AussiappeléePremièreInternationale,ellefutfondéeen1864
à Londres. Son objectif premier est de coordonner le développement du
mouvementouvriernaissantdanslespayseuropéensrécemmentindustrialisés.
Des sections nationales sont créées en Suisse, Belgique, France, Allemagne et
Italie, Espagne, Pays-Bas, Autricheet aux États-Unis. En 1869, un débat divise
l’AIT entre partisans de Karl Marx, favorables à la gestion centralisée de
l’associationetàlacréationdepartispolitiques,etles«antiautoritaires»réunis
autourdel’anarchisteMikhaïlBakounine.
En 1871, la défaite de la Commune de Paris et la répression qui la suit
accentuentledébatetprovoquentlarupturedéfinitiveentrecesdeuxtendances.
La mouvance Bakounine est exclue par le congrès de La Haye en 1872. La
Première Internationale disparaît en 1876. Elle est prolongée, en 1889, par
l’Internationaleouvrière,d’oùsontexcluslescourantsanarchistes.
L’autreraisonaumanqued’audibilitéd’unféminismesocialisteestlapriorité
revendicative que le courant se donne. Dans l’esprit de ses adhérents, l’égalité
homme/femme socialiste comprend l’égalité des droits, l’égalité de
l’enseignement, le divorce par consentement mutuel et l’égalité des salaires à
travailégal.Parconséquent,le préalableà laconquêtedudroitdes femmesest
l’établissement d’une société socialiste. On est bien loin de l’empirisme du
courantlibéralquis’efforced’obtenircequiestpossibledanslecadrepolitique
del’époque.

DESFEMMESDANSUNCOURANTSOCIALISTE:
MADELEINEPELLETIERETGABRIELLEDUCHÊNE
Pourtant,malgrélecaractèreutopiquedel’entreprisequilesmenaàunsuccès
limité, deux femmes tentèrent de créer un courant socialiste marxiste ou
anarchisteduféminisme.
Le docteur Madeleine Pelletier (1874-1939) est une figure particulièrement
marquante. Issue d’un milieu pauvre, elle fréquente très jeune les milieux
anarchistes, puis reprend tardivement des études. Après avoir passé son
baccalauréatà22ans,elles’inscritenmédecineetobtientsondiplôme.En1901,
elleestinternesuppléanteàl’hôpitalpsychiatriquedeVillejuif.Sonimplication
personnelledansleféminismevaloin.Elles’afficheencostumemasculin,porte
unecanneet,poursedéfendredesagressions,porteunrevolveràlaceinture.Ses
cheveux sont coupés court. Elle refuse non seulement le mariage mais toute
relation sexuelle avec les hommes. En novembre 1902, elle veut s’inscrire au
concoursdesinternatsdesasilesmaiscelaluiestrefuséaumotifquececoncours
est réservé aux personnes jouissant de leurs droits politiques. Les femmes,
n’ayantpasledroitdevote,ensontdoncexclues.
MadeleinePelletier metalors tout enœuvre pourque cette règlesoit abolie.
Soutenueparlequotidienféminin LaFrondeetparlesmembresdujuryquila
connaissent,elleestfinalementautoriséeàpasserleconcoursen1903etprésente
sondoctoratavecsuccèslamêmeannée.Elleestlapremièrefemmediplôméeen
psychiatrie.
En 1906, elle accepte la présidence du groupe féministe socialiste « La
solidarité des femmes ». Elle adhère à la SFIO (Section Française de
l’Internationale Ouvrière de 1889). Mais ses idées sur l’avortement et la
suppression du mariage ne sont pas acceptées. Elle se rapproche alors des
anarchistesquipartagentsonnéo-malthusianisme,sesidéessurl’avortementet
sonantimilitarisme.Enjanvier1914,ellecommenceàpublierdesarticlesdans
Le Libertaire auquel elle collabore jusqu’au début de la guerre et auquel elle
revientde1919à1921.Elles’enthousiasmepourlaRévolutionrussede1917.En
1919, Lénine crée la Troisième internationale ouvrière ou Kominform. Au
congrèsde Tours de 1920,une partie des membresde la SFIO restefidèle à la
Seconde internationale, tandis que les autres se rallient au parti communiste,
émanationfrançaiseduKominformouTroisièmeinternationale.Elleadhèreàce
dernier. Elle entreprend alors un voyage en URSS et revient désappointée par
l’écartentre ce qu’elle avait imaginéet la réalité. Sesengagements politiques la
voient désormais naviguer entre les mouvements communistes et anarchistes.
Ses positions néo-malthusiennes lui valent des poursuites pour un avortement
présumé qui se solde par un non-lieu. Les séquelles d’un accident vasculaire
cérébral dont elle avait été victime avant la date des faits retiraient toute
vraisemblance à l’accusation portée contre elle. Les charges qui pèsent contre
ellessontabandonnées.Maissesaccusateursladéclarentdangereusepourelle-
même et pour autrui, et la font interner en asile psychiatrique, où sa santé
physique et mentale se détériore. Elle meurt d’un second accident vasculaire
cérébral,le29décembre1939.
Gabrielle Duchêne (1870-1954) peut, elle aussi, être considérée comme une
représentante du courant féministe socialiste. Elle a toutefois la particularité
d’être impliquée initialement dans le syndicalisme féminin et le pacifisme
féminin. Nous nous limitons ici à décrire ses engagements jusqu’à la Première
Guerremondiale.Parlasuite,danslapremièremoitiéduvingtièmesiècle, elle
est surtout une compagne de route du parti communiste français, largement
impliquée dans le fonctionnement des mouvements pacifistes inspirés par ce
dernier.
GabrielleDuchêneestnéedansunefamilleaisée.NéeLaforcade,elleestlafille
dujardinier enchef dela villedeParis. À22 anselle épouseAchille Duchêne,
architecte paysagiste de grande renommée qui dessina les jardins de divers
châteaux et monuments nationaux. Ses premiers combats féministes ont pour
cadrelemouvementsyndical. Lamisèreouvrièredel’époqueest immense.Les
femmestravaillentsouvent«enchambre».Isolées,ellesn’ontaucunemargede
négociationfaceàleursdonneursd’ordres.Gabrielles’impliqueprincipalement
surlesujetdelaprotectiondutravailféminin.Lalégislationquiréglementece
dernierestlacunaireetconcerneprincipalementlalimitationdutravailféminin
denuit (non applicableaux infirmières).Dans l’esprit del’époque, lesmesures
quel’onpourraitcroireinspiréesparlaphilanthropieontpourbutdeprotégerla
«reproductrice»plusquelafemmeelle-même.
L’une des amies de Gabrielle est Henriette Hoskier. Fille d’un banquier
protestant elle épouse le géographe Jean Brunhes. Henriette s’intéresse aux
« Consumer’sLeagues »américaineset àleurfonctionnement.Gabrielle deson
côté suit les actions menées par l’OIT (Office international du Travail) sur la
protectionsocialedestravailleurssalariés.En1908,ellecrée« L’Entraide»,une
coopérative qui produit des objets de lingerie et de couture, où elle fait se
syndiquertoutesleslingèresquiytravaillent.Gabrielleouvreaussiuneboutique
oùestvenduelaproductiondelacoopérative:lingedemaison,vêtements.Les
ouvrièrestravaillentsoitàdomicilesoitàl’atelier.Àlaveilledelaguerrede1914
« l’Entraide » emploie une soixantaine d’ouvrières. Henriette Brunhes, quant à
elleavaiteul’idéed’uneassociationconsuméristequiauraitdélivréunlabelaux
entreprisesquiauraientréponduàlafoisàdesnormesdequalitéetàdenormes
sociales.Lesdeuxamiesyvoyaientunmoyendepressionpourorienterleschoix
de la clientèle vers la production d’entreprises pratiquant une politique sociale
favorable aux travailleuses. Pour élargir le champ de son action, elle crée un
officefrançaisdutravailàdomicile,groupedepressionquiagitenfaveurdela
création d’une loi fixant un salaire horaire minimum pour les travailleuses à
domicile.Cetteloifutvotéeen1915etl’associationobtintledroitdepoursuivre
lesdonneursd’ordrequinerespecteraientpassonapplication.
Malgrélacomplémentaritéentre« l’Entraide»deGabrielleetl’associationde
labellisationd’Henriette,lesdeuxamiesfinirentparneplustravaillerensemble.
Entre1913et1915,GabrielleprésidelasectionTravaildu«Conseilnational
des femmes françaises ». Ce dernier est une association créée le 18 avril 1901,
affiliée au mouvement international dénommé « Conseil international des
femmes».Depuissacréationen1888parlessuffragistesaméricainesElizabeth
Cady Stanton et Susan B. Anthony, le CIF vise à unifier les organisations
nationalesdefemmespourpromouvoirlesdroitshumains,l’égalitédessexes,la
paix et l’implication des femmes au niveau international. Dans le cadre de cet
organismeréformiste,elletentedepromouvoirlanotion,toujoursd’actualité,«à
travailégal,salaireégal».

AVRIL1915,LECONGRÈSDELAHAYE
ETLESESPOIRSDESFEMMESPACIFISTES

En avril 1915, elle se rallie aux thèses du Congrès international des femmes
réuniàLaHaye,scissiondumouvementféministeCIF,quiréunitlesmilitantes
refusant de soutenir l’effort de guerre et appelle à une résolution pacifique du
conflit.LesFrançaisessontempêchéesparlesautoritésnationalesdes’yrendre.
ÀlasuiteducongrèsleComitéinternationaldesfemmespourlapaixpermanente
(CIFPP)estcréé.Enmai1915,Gabriellefondeetprésidelasectionfrançaisedu
CIFPP. Elle diffuse une brochure pacifiste qui lui vaut la perquisition de ses
locauxparlapolice.Membredugroupe,HélèneBrion,institutriceàPantinest
misesoussurveillancepolicière. Lapersistancedeses correspondancesavecles
milieuxpacifistesluivauten1917uneperquisitiondesonappartement,puisla
suspension sans traitement, puis l’internement à la prison St-Lazare. Elle est
jugée en conseil de guerre en mars 1918, sous l’accusation de défaitisme. Elle
plaidelacauseduféminismeetdéclare:
«Jecomparaisicicommeinculpéed’undélitpolitique.Orjesuisdépouillée
detousdroitspolitiques.Laloidevraitêtrelogiqueetignorermonexistence
lorsqu’ils’agitdesanctionsautantqu’ellel’ignorelorsqu’ils’agitdedroits.Je
protestecontresonillogisme».
Elleestcondamnéeàtroisansdeprisonavecsursisetàlarévocationdeson
poste.

FEMMESETCOURANTDELAÏCISATION
AUTOURDEL’ÉDUCATION.
LADÉTERMINATIONDEJULESFERRYETDECAMILLESÉE
Le travail intense des associations féministes de toutes tendances trouve un
appuiimportantducourantséparationnistequis’installeàl’Assemblée.Lalaïcité
estune idéequi continue àfaire sonchemin àpartir desnominations de Jules
Ferrycommeministredel’InstructionpubliqueetdesBeaux-Artsentre1879et
1883.Ilfaitpromulguerparlesgouvernementsauxquelsilappartientdesloisqui
organisentl’instruction obligatoireet gratuite. Ceslois s’appliquentà l’héritage
laissé par François Guizot, Alfred de Falloux, Victor Duruy. Guizot ministre
protestant épris des Lumières, au service de Louis-Philippe, oblige en 1833
chaquecommuneàsedoter,danslessixansquisuivent,d’unlocald’école.Ce
dernierdoitcomporterdeslocauxd’enseignementetdeslocauxaptesàlogerun
ou plusieurs instituteurs. Les familles, en échange de l’instruction de leurs
enfants participent à la rétribution mensuelle du ou des instituteurs : « Toute
commune est tenue, soit par elle-même, soit en se réunissant à une ou plusieurs
communesvoisines,d’entreteniraumoinsuneécoleprimaireélémentaire».
Lesinstituteurssontformésdanslesécolesnormales:«Toutdépartementsera
tenu d’entretenir une école normale primaire, soit par lui-même, soit en se
réunissant à un ou plusieurs départements voisins ». Il ne s’agit encore que de
formerdesinstituteursmasculins.Lesécolesnormalesdefemmessontcrééesà
partirde1844selonlebonvouloirdeséluslocaux.Cettedispositionnedevient
obligatoirequ’en1879.
La loi Guizot précise le contenu de l’enseignement : « L’instruction primaire
élémentairecomprendnécessairementl’instructionmoraleetreligieuse,lalecture,
l’écriture,lesélémentsdelalanguefrançaiseetducalcul,lesystèmelégaldespoids
etmesures».
LaloiFallouxde1850marqueunretourenforcedel’Églisecatholiquedansle
domainedel’enseignement.Aveccetteloi,l’enseignementprimaireestgérépar
les communes, les départements et l’État. L’enseignement privé, dit « libre »,
dont les établissements sont gérés par des particuliers, des associations ou des
congrégations est laissé à l’initiative de ces derniers. Les maîtres de
l’enseignementprimairesont formésdans desÉcolesnormales entretenuespar
les départements. Pour l’enseignement « libre », les congrégationistes peuvent
enseigners’ilssonttitulairesdubaccalauréat,ousontministresd’unculteouont
un certificat de pratique. Pour les religieuses une simple lettre d’obédience de
l’évêquesuffit.
Mieuxencore: lesévêquessiègent dedroitauconseil d’académie,l’écoleest
surveilléeparlecuréconjointementaveclemaire.Unsimplerapportdumaire
ouducurépeutpermettreàl’évêquedefairemuteruninstituteuràsaguise.Les
préfetspeuventrévoquerlesinstituteurs.LaloiFallouxfixeégalementl’objectif
d’uneécoleprimairedefillesdanschaquecommunedeplusde800habitants.
VictorDuruyestunprofesseurd’HistoireetGéographieagrégéetnormalien.
Louis-Napoléon l’apprécie pour son intelligence et sa largeur de vue bien qu’il
soitassezsouventendésaccordaveclesautresministresdesongouvernement.
Ilchercheàrenforcerl’enseignementsecondaireclassiquemisàmalaudébut
du Second Empire. Dès sa prise de fonctions, il rétablit ainsi l’agrégation et la
classedephilosophiequiavaientétésuppriméesen1852.
Ilsouhaiteadapterl’enseignementsecondaire,quidoitformerlescadresdela
nation,auxbouleversementsdelaRévolutionindustrielleduSecondEmpire.Il
créeàceteffetunenseignementsecondaireparticulierdestinéàdispenser«une
instruction appropriée aux besoins des industriels, des agriculteurs et des
négociants ». Sans enseignement du latin, il comporte un programme renforcé
dans des disciplines plus utilitaires comme l’économie, les langues vivantes, le
dessin industriel, la comptabilité… Soucieux également de promouvoir
l’enseignement féminin, il publie en 1867 une circulaire dans laquelle figure le
projet d’un enseignement secondaire à destination des jeunes filles. Cet
enseignementpublic,organiséparlesmunicipalitésapourobjetdefourniraux
jeunes filles une instruction différente de celle prodiguée dans les pensionnats
(religieux ou laïques). Il est pris en charge par les professeurs des différents
collèges et lycées pour garçons. Les programmes abordent notamment les
sciences sous leur aspect pratique et expérimental. Cette initiative soulève une
violenteoppositiondelapartdel’Églisecatholiqueetdesmilieuxcléricaux,qui
entraînesonéchec.
UnanavantqueJulesFerrynesoitnomméministredel’Instructiondansle
cabinet Waddington, Camille Sée, député élu sur une liste de la Gauche
Républicaine,reprenden1878l’idéed’unenseignementsecondairedestinéaux
jeunesfilles.
Il dépose le 28 octobre 1878 une proposition de loi sur l’enseignement
secondaire des jeunes filles, à une époque où celui-ci relève encore
majoritairement de l’Église. Ancien sous-préfet de l’arrondissement de Saint-
DenisdansledépartementdelaSeine,ils’étaitintéresséaufonctionnementdela
maisond’éducationdelaLégiond’honneur.Sonprojetdelois’inspiredumodèle
propre à cette institution napoléonienne ancienne de plus de 70 ans. Pour sa
proposition de loi, il s’inspire notamment de l’institution fondée en 1807 à
Écouen.NapoléonIerveutqu’uneéducationgénéralistesoitaccordéeauxjeunes
filles désargentées, filles de soldats ou filles de fonctionnaires pauvres dont les
pèresontétédistinguésdansl’ordredelaLégiond’Honneur.Lesuccèsdecette
premièremaisonamèneàenouvriruneautreàSaint-Denisdansl’anciencloître
del’abbaye,puisuneautreencoreestouverteàSaint-Germain-en-Layeaulieu-
dit Les Loges. Ce site reçoit les orphelines, filles de soldats ou officiers tombés
souslefeudel’ennemi.SouslaRestaurationcetteinstitutionperduresousune
forme remaniée. L’inspiration éducative reste dans l’esprit initial : il s’agit de
former des maîtresses de maison habiles mais aussi des hôtesses cultivées
capables d’animer un salon ou des réceptions. Le cursus est long, de l’âge de
6 ans, jusqu’à l’âge de 18 ans. La progression se fait par classe de niveau, en
s’inspirant des lycées, autre création napoléonienne. Le projet de loi sur
l’enseignementsecondairedesfilles,estcomplétéparunprojetdecréationd’une
« École normale de professeurs-femmes », l’école normale de Sèvres, qui doit
former les professeurs des lycées correspondants. Camille Sée argumente
également en citant les États-Unis : « Non seulement les États-Unis donnent
également l’instruction aux uns et aux autres, mais ils leur donnent la même
instruction, et la leur donnent en général dans le même établissement. La
“coéducation des sexes” est, aux États-Unis, l’éducation préférée ». Toutefois, la
propositiondeloideSéenefaitaucunementiondelacoéducation(c’est-à-dire
lamixité,sujettrèssensiblepourlaréactioncléricale),cequiluivautlesattaques
d’Hubertine Auclert qui critique également l’absence de matières utiles à
l’autonomieprofessionnelle.«Aussilongtempsquel’instructionneserapaspour
lafemmeunmoyenderessourcespécuniaires,lesparentsnesongerontpasàfaire
dessacrificespourinstruireleursfilles,maispourlesdoter».LerapportdePaul
BrocarelatifàlapropositiondeloiestpubliédansleJournalofficieldu19juillet
1880.Auxélectionssénatorialesde1879,untiersdessiègesdelaChambrehaute
ontétérenouvelésetlamajoritéabasculéenfaveurdesrépublicainsàlasuitede
cerenouvellement.LapropositiondeloideCamilleSéeestadoptéeàlaChambre
etauSénat.JulesGrévysigneletextequientreenapplicationendécembre1880.
Laloiannexecréantl’ÉcolenormaledeSèvresestadoptéeenjuillet1881.
Avant de quitter Camille Sée et son projet, réussi, de loi sur l’enseignement
secondaireféminin,honoronsànouveausamémoireenrelevantleprojetdeloi
qu’il avaitrédigé en vue de donneraux femmes la totalitédes droits civils que
possèdentleshommes.Malheureusement,cedernierneparvientpasàfranchir
laChambrepuisleSénat.Ilfautattendre1938pourquelesfemmesacquièrent
lesdroitscivils.Pasdansleurtotalitétoutefois.Cen’estqu’en1965,parexemple,
qu’ellespeuventexerceruneprofessionsansl’avisdeleurmari.
Nommé depuis peu de temps ministre de l’Instruction publique, Jules Ferry
dépose à la Chambre le 15 mars 1879, jour anniversaire de la loi Falloux, un
projetde loiencadrant laliberté del’enseignementsupérieur. Cetexte s’inscrit
dansleprogrammedunouveauministre:soustrairel’enseignementàlatutelle
del’Église.Sanécessitéestapparueàlasuitedelaviolentecampagnedepresse
provoquéeparunecirculairede1878duconseilmunicipaldeParisautorisantla
laïcisationdesécolescongréganistesparisiennes.
PourlesRépublicainsquisoutiennentJulesFerry,ledépôtdeceprojetdeloi
est la conséquence du long conflit qui, depuis 1870, oppose l’opinion
républicaine et ce qu’ils appellent « la contre-révolution » et dont le point
d’orguefutlacrisedu16mai1877.Cettecriseestliéeàlalecturedifférentedela
constitution que font le président de la république, Mac Mahon et la majorité
républicaine de la Chambre. Elle se solde en 1879, après dissolution de la
chambre et des élections qui augmentent la représentation républicaine à la
Chambre,puislaconquêteduSénat,àladémissiondeMacMahon.JulesGrévy
leremplaceàlatêtedel’État.
Ceprojetdeloicomportedeuxvolets:lasuppressiondegarantiesaccordées
par la loi de 1875 aux établissements libres de l’enseignement supérieur et
l’interdictiond’exercicedel’enseignementauxmembresdescongrégationsnon
autorisées. Dans la première série de mesures, figure le retrait de la collation
(comprendre validation) des grades décernés par des jurys composés de
professeursd’écoleslibres etpubliques. Seulsles juryscomposésexclusivement
de professeurs des écoles publiques sont en mesure de le faire. Apparaît
égalementl’obligation pour lesétudiants de prendreleurs inscriptionsdans les
établissementspublicsetlagratuitédecelles-ci.Lesétablissementsdel’Étatseuls
peuventportentlesnomsdefacultéetd’université.L’articleleplusimportantest
l’article 7 : l’interdiction d’enseigner aux personnes n’appartenant pas à une
congrégationagrééeenFrance.Cettedernièredispositionestune«machinede
guerre » redoutable contre l’Église. Elle est susceptible de permettre, après
l’interdictionde certainescongrégations, defaire disparaîtredes établissements
d’enseignementconfessionnels.
Déposé le 15 mars 1879 le projet a Jules Simon pour rapporteur. Le texte,
amputédel’article7,estadoptéparlaChambre.LeSénatl’adopteen1880.
L’œuvre de Jules Ferry se traduit par une structuration de l’ensemble de
l’enseignement, du primaire au supérieur. Elle définit par ailleurs la laïcité de
cette instruction,ainsi que sa gratuité.Notons ci-dessous la listedes textes qui
ontétévotéssoussonautoritédeministredel’Instructionpublique:
– La loi du 16 juin 1881 établissant la gratuité absolue de l’enseignement
primairedanslesécolespubliques.
– Laloidu28mars1882surl’enseignementprimaireobligatoire.
– La loi du 9 août 1879 relative à l’établissement des écoles normales
primaires.
– Laloidu18mars1880relativeàlalibertédel’enseignementsupérieur.
– La loi du 27 février 1880 relative au Conseil supérieur de l’instruction
publiqueetauxconseilsacadémiques.
– Laloidu21décembre1880surl’enseignementsecondairedesjeunesfilles,
quicréeleslycéesdejeunesfilles.Cetteloiaétéproposéeparledéputéde
Saint-DenisCamilleSée.
– La deuxième loi du 16 juin 1881, relative aux titres de capacité de
l’enseignementprimaire,quidéfinitlesexigencesdediplômesettitrespour
l’exercicedesfonctionsd’instituteuretdedirectricedesalled’asile.
– La loi Goblet du 30 octobre 1886, du nom du ministre de l’Instruction
publique qui succéda à Ferry complète cet ensemble en limitant à un
personnelexclusivementlaïcl’enseignementdanslesécolespubliques.Les
instituteurs congrégationistes ne sont plus admis dans l’enseignement
public.
LesloisFerryredéfinissentenprofondeurledroitdel’éducationenFrance,et
modifientlaloiFallouxdu15mars1850quirégissaitjusque-làcettematière.On
remarque l’habileté du dispositif. Aucune disposition ne vise la propriété des
établissements d’enseignement, pas plus que leur administration ni leur
financement. Par contre, la formation des enseignants, leur appartenance
idéologique et le contenu des enseignements qu’ils doivent dispenser sont
étroitementréglementés.TouslesjeunesFrançaisesetFrançaisreçoiventdansce
cadreune formationrespectueuse desvaleurs dela République,quelle quesoit
l’appartenancereligieuseouidéologiquedeleursfamilles.Cesrègles,malgréleur
sévérité, n’ont pas été des obstacles au développement d’établissements privés
d’excellence, surtout quand ces derniers respectaient une totale neutralité
confessionnelle.
La réussite de l’initiative de Mathilde Salomon en administre pleinement la
preuve.NéeàPhalsbourgen1837,elles’établitàParisen1856contrel’avisde
ses parentspour chercher dutravail. Elle estdiplômée d’un brevetélémentaire
d’enseignement. Elle donne des cours dans des institutions privées pour des
jeunes filles de la bourgeoisie. Tout en travaillant, elle complète ses études et
passe le brevet supérieur d’enseignement. Michel Bréal et Frédéric Passy,
respectivement membre du Collège de France et membre de l’Institut avaient
créé,quelquesannéesavantlesloisFerry,lecollègeSévigné.En1883,ilsconfient
àMathildeSalomon,âgéealorsde46ans,ladirectionducollège.Elledevintpeu
à peu la figure tutélaire de l’établissement. Ce dernier se finançait à partir de
donsprivés,del’aideaccordéeparleministèredel’Instructionpubliqueetparle
Conseil municipalde Paris, ainsi que par la contributiondes familles aux frais
d’enseignement. L’équilibre financier de l’établissement est précaire jusqu’en
1903oùilestassurégrâceàl’accroissementdunombredesélèves.
Directricedel’écolejusqu’àsamort,ellesiègeauCSIP(ConseilSupérieurde
l’InstructionPublique)de1892à1909.Ellefitpartiedesmembresfondateursde
laLDH(LiguedesDroitsdel’Homme)del’avocatLudovicTrarieuxquidéfendit
Dreyfus. Mathilde Salomon fut décorée de la légion d’Honneur en 1900,
distinctionrarepourunefemmeàcetteépoque.
– En1905elledécidaquelecollègepréparaitdésormaisaubaccalauréatlatin-
languesetnonpluslebaccalauréat«réduit»réservéauxfemmes.
– À partir de 1910 toutes les sections de Bac sont préparées à Sévigné avec
succès.
– Sévigné ouvrit ensuite des préparations aux grandes écoles et aux
agrégations.
Parmi les anciennes élèves, Marie Landry (Bac 1911) est première Femme
médecin,chefdecliniquedeshôpitaux.MadeleineChaumontaprèsleBacesten
1919lapremièrefemmereçueàl’ENSUlmensectionsciences.

DES«SALLESD’ASILE»AUXPREMIÈRESÉCOLESMATERNELLESPUBLIQUES.LES
INNOVATIONS
DEMARIEPAPE-CARPANTIER,PÉDAGOGUE
OnauraremarquéquelasecondeloiJulesFerrydu16juin1881relativeaux
titresdecapacitédel’enseignementprimaire,mentionnelafonctiondedirectrice
de salle d’asile. L’apparition de ce type d’établissement est liée à la Révolution
industrielle et au nombre croissant de femmes qui exercent une profession
salariée.Le salariatdesdeux parentsestune difficulténouvelle pourlesclasses
pauvres et moyennes inférieures. Au début de ce phénomène, les mères de
familleconfiaientleursenfantsenbasâgeàdesvoisinesquielles,netravaillaient
pas. Cette ressource disparaît progressivement avec l’extension des emplois
industrielsféminins.Lagardedesenfantsseprofessionnaliseaudébutdusiècle
avec l’apparition de ces institutions appelées salles d’asiles qui accueillent les
enfants de 2 ans à 6 ans. Ce sont les ancêtres des actuels jardins d’enfants et
écolesmaternelles(Cahier-images,Pl.XI,Granet).
Initiatricedelarefontedufonctionnementdecesétablissements,MariePape-
Carpantier naît en 1815 à La Flèche dans la Sarthe. Orpheline de père, elle est
élevéeparsamère,quipeineàsubvenirauxbesoinsdesestroisenfants,avecles
revenusdesonactivitédelingère.Marieestconfiéeàsagrand-mèreetnerevient
àLaFlèchequ’àl’âgedequatreans.Elleyconnaîtunescolaritédifficile,qu’elle
abandonne à l’âge de onze ans pour travailler auprès de sa mère. Elle devient
repasseusepuisgantière.
En 1833, la loi oblige chaque commune à créer une école primaire et des
« salles d’asile » destinées aux enfants de deux à six ans. L’année suivante, la
création d’un établissement à La Flèche est confiée à la mère de Marie. Cette
dernièreparticipeàl’encadrementdesenfantssoumisàunprogrammeéducatif
reposantsurdestempsdeprière,d’instructionetdetravauxmanuels.En1834,
Marie Carpantier remplace sa mère à la tête de la salle d’asile et encadre une
centained’enfants.Elleseconsacreàleuréducationetlesfamillesapprécientsa
contribution au bien-être et à l’éveil des enfants. Il existe un manuel officiel
d’organisationdessallesd’asilequipréconiselaméthoded’éducationapplicable.
Mais Marie, très attachée à l’expérimentation et à la « leçon de choses », ne
l’approuveninel’applique.En1842,elleestnomméedirectricedelaprincipale
salled’asileduMans,oùelleofficiependantcinqans(Cahier-images,Pl.IX).
En1846,MarieCarpantierpublieunouvrageintituléConseilssurladirection
dessallesd’asile.Elleécrit,parlasuite,d’autresouvragespédagogiquesainsique
des livres pour enfants et de la poésie. En 1848, elle devient directrice de la
« maison d’études » qui forme les enseignants et l’installe à Paris, rue des
Ursulines (Ve) avec l’appui moral et financier d’Émilie Mallet. En 1849 elle
épouseLéonPapeàParis,lecoupleeutdeuxfilles.SousleSecondEmpire,elle
est inspectrice des salles d’asile placées sous la protection de l’impératrice
Eugénie.En1861,MariePape-Carpantierformelesenseignantes,qui,selonles
principesexposésdanssonouvrage,devrontseconsacreràl’éveildel’espritdes
enfantsplusqu’àlatransmissiondeconnaissances.Militantpourl’éducationdes
filles,elleécritdesarticlessurlaquestiondesdroitsdesfemmes,expliquantqu’il
s’agit d’« une question de justice et de bien-être, intéressant la société et
l’humanité».
En 1867, lors de l’Exposition universelle à Paris, le ministre de l’Instruction
publique Victor Duruy, a lancé une souscription pour faire venir à Paris des
instituteurs de divers départements qui visiteront les bâtiments de l’exposition
pendant l’été. Marie Pape-Carpantier est alors sollicitée pour présenter dans
l’enceinte de la Sorbonne plusieurs conférences pédagogiques et expliquer ses
méthodesdetravailàcetauditoired’enseignants.
C’estlapremièrefoisqu’unetelleresponsabilitéestconfiéeàuneenseignante.
Marie remporte un franc succès lorsqu’elle présente son matériel pédagogique
adaptéaux jeunesélèves, ellemet l’accentsur lacuriosité pourles sciencespar
l’observationpratique.Elleévoqueaussil’utilitédesjeuxcollectifs,sansoublierla
pratiquedudessin.
MariecontinueparlasuitelaformationdesinstitutricesruedesUrsulines.Les
temps de distraction sont consacrés au théâtre, à la musique, au chant, à la
récitation de poèmes… Marie continue ses publications pédagogiques dans la
revue L’Ami de l’enfance et la parution de l’un de ses ouvrages lui attire les
félicitationsdeVictorHugo.
Lors de la présidence de Mac-Mahon en 1874, sous le ministère Cumont,
Marie est dépossédée de sa fonction d’enseignante à la suite d’une cabale
diffamatoire menée par quelques personnalités proches des autorités
ecclésiastiques. Elle se trouve sans ressources, quelques mois plus tard elle est
réhabilitée et nommée « déléguée générale en activité dans les écoles
maternelles». Elle continue à travailler surses projets de jeux éducatifsqu’elle
espèreprésenteràl’Expositionuniversellede1878.Maisellemeurtd’épuisement
avantlafindel’année.
L’action de Marie Pape-Carpantier fut amplifiée par Pauline Reclus-
Kergomard. Issue de la famille protestante des Reclus, elle passe deux années,
entre13et15ans,chezsononcle,JacquesReclus,pasteurdutempleprotestant
d’Orthez, et sa tante Zéline Trigant-Marquey, qui tient une école. Elle est la
cousinegermainedugéographeÉliséeReclus.Elledevientinstitutriceà18ans.
En 1861, elle s’installe à Paris et épouse, en 1863, Jules Duplessis-Kergomard,
dontelleafaitlaconnaissancedanslesmilieuxrépublicains.Elletientuneécole
privéeetdevientladirectricedeL’Amidel’enfance,revuepourlessallesd’asile.
Inspirée par Marie Pape-Carpantier, Pauline Kergomard est à l’origine de la
transformation des salles d’asile, établissements à vocation essentiellement
sociale,enécolesmaternelles,destinéesàpréparerlesenfantsàleurentréedans
lesystèmescolaire.Lejeu,lesactivitésartistiquesetsportivessontinclusdansla
pédagogie.Enprémissesà lascolarisation,leprogrammede travaildesenfants
comporteuneinitiationàlalecture,àl’écritureetaucalcul,sanspourautantque
les maternelles deviennent des lieux d’instruction à part entière. Leur objectif
affichéestdefavoriserle«développementnaturel»del’enfant.
Elledevienten1879déléguéegénéraleàl’inspectiondessallesd’asile.En1881,
Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, la nomme
inspectrice générale des écoles maternelles. Elle fait inclure le jeu dans les
programmes de travail du jeune enfant et réclame un mobilier adapté à leur
taille,idéequifutrepriseplustardparMariaMontessorienItalie.
Pauline Kergomard est une femme de terrain. Elle parcourt toute la France.
Inspections, conférences, rapports avec les pouvoirs publics, régionaux ou
nationaux,initiativesdiversescontrelamisèredesenfantsetpourlapromotion
desfemmesfontpartiedesonquotidien.
Ellecréeen1887l’Unionfrançaisepourlesauvetagedel’enfancequivienten
aideauxenfantsetadolescentsensouffrance.
L’action législative de Jules Ferry et sa mise en œuvre par des enseignants
acquisàla causedela républiqueontrefondé l’enseignementenFrance.Elle a
garanti la progression des valeurs républicaines chez les jeunes générations et
durablementmisenplacelesconditionsd’uneplusgrandeégalitéentrelessexes.
Maiscetterestructurationdel’enseignement,pourpasserdanslesfaits,doitse
concrétiser par une refonte de l’existant. Le monde réel de l’éducation est
majoritairementsouslecontrôledescongrégationsreligieusesenseignantes.
Quelques mots sur les congrégations permettront de mieux comprendre les
mesuresprisesparlesgouvernementsrépublicainsjusqu’àlaguerrede1914.Les
clercs de l’Église sont organisés de longue date en deux groupes distincts : le
clergé régulier et le clergé séculier. Ce dernier est en contact avec le « siècle »,
c’est-à-direaveclapopulation.Ilassurelefonctionnementdelaprédication,du
culteauseindesétablissementsréservésàceteffet,églises,cathédrales,chapelles,
etc.Sousl’AncienRégime,leclergéséculierassuraitaussilatenuedesregistres
d’état civil. Il est hiérarchisé, les prêtres rendant compte à leurs évêques eux-
mêmes placés sous le contrôle des cardinaux qui rendent compte au Pape à
Rome. Ces derniers, cardinaux et évêques doivent agir en concertation avec le
pouvoirpolitiquedupaysd’exerciceetsontcensésrespecterlesorientationsdu
pouvoir en place. En France le pouvoir exerce un droit de regard sur les
nominations des hiérarques de l’Église, ce qui est désigné sous le nom de
gallicanisme.Lescongrégations(ordresreligieux)sontconstituéesdelaïquesou
declercs qui prononcentdes vœuxet suiventla règle dela congrégationqu’ils
ontchoisie.Ellesontencommunqueleurrèglecomprendl’exercicedelaprière
individuelleet collectiveet une activitécharitable quipeut êtrel’assistance aux
malades ou l’éducation des enfants ou des adolescents. Localement, les
congrégations répondent à un supérieur. Ce dernier prend directement ses
instructionsauprèsduresponsablemondialquinerenddescomptesqu’auPape.
La congrégation enseignante par excellence est l’ordre des Jésuites. Leur
indépendance vis-à-vis du pouvoir politique du pays dans lequel ils sont
implantésfaitd’euxlesplusanciennesvictimesdecedernier.SousLouisXV,en
1763, les Jésuites ont à subir les attaques des jansénistes, des gallicans et des
parlementaires,puisdel’athéismedesphilosophes:ilssontinterditsetbannisde
France.Leursdeuxcentscollègessontfermés,pardécretroyal.
SouslaTroisièmeRépublique,lemouvementanticlérical,est,dansunpremier
temps, assez tolérant envers le clergé séculier. Vis-à-vis des congrégations
enseignantes,ilmèneunepolitiqued’élimination.
En mars 1880, un décret est signé par le ministère de Freycinet, dans lequel
JulesFerry,estministredel’Instructionpublique,décretquiexpulsedenouveau
les Jésuites de France et d’autre part impose aux autres congrégations
enseignantesnonautoriséesdesesoumettreàuneprocédured’autorisationdans
undélaidetroismois,souspeined’interdiction.La plupartayantdécidé dene
pasdemanderl’autorisationparsolidaritéaveclesjésuites,àl’issuedudélai,les
congrégations visées (bénédictins, capucins, carmes, franciscains,
assomptionnistes…)deviennentexpulsables.
La loi du 1er juillet 1901 sur les associations soumet cette fois toutes les
congrégationsàunrégimed’exceptiondécritautitreIIIdelaloi:
«Lescongrégationsexistantesaumomentdelapromulgationdelaprésente
loi,quin’auraient pasétéantérieurementautorisées oureconnues,devront,
dansledélaidetroismois,justifierqu’ellesontfaitlesdiligencesnécessaires
pourseconformeràsesprescriptions.
Àdéfautdecettejustification,ellessontréputéesdissoutesdepleindroit.Ilen
serademêmedescongrégationsauxquellesl’autorisationauraétérefusée.
Laliquidationdeleursbiensauralieuenjustice.Letribunal,àlarequêtedu
ministèrepublic,nommera,pouryprocéder,unliquidateurquiaurapendant
toute la durée de la liquidation tous les pouvoirs d’un administrateur
séquestre.»
Le Vatican condamne la loi, mais laisse aux congrégations la liberté de
demander leur autorisation. La plupart d’entre elles déposent une demande
d’autorisation.Cependant,lavictoireduBlocdesGauches(radicaux,socialistes
etsocialistesguesdistes)auxélectionslégislativesdemai1902porteaupouvoir
ungouvernementdirigéparÉmileCombes,unfaroucheanticlérical.
Auprintemps1903,CombestransmetàlaChambreetauSénatlesdossiersde
près de 2 000 établissements appartenant à des congrégations féminines et
masculines.Lesétablissementsd’enseignementreprésentent80%desdemandes.
Elles sont toutes refusées. Seules échappent au couperet des congrégations à
vocationhospitalière,àvocationmissionnaire,oucontemplative.
La Chambre comme le Sénat valident les préconisations de Combes. Les
congrégationsnonautoriséessontexpulséesàpartird’avril1903.
Les derniers vestiges de l’enseignement confessionnel assuré par des
congrégationsenseignantesautoriséessontéliminéspar laloidu7 juillet1904,
dontl’article1er prévoit:
«L’enseignementdetoutordreetdetoutenatureestinterditenFranceaux
congrégations. Les congrégations autorisées à titre de congrégations
exclusivementenseignantesserontsuppriméesdansundélaimaximumdedix
ans. Il en sera de même des congrégations et des établissements qui, bien
qu’autorisésenvuedeplusieursobjets,étaient,enfait,exclusivementvouésà
l’enseignement à la date du 1 er janvier 1903. Les congrégations qui ont été
autorisées et celles qui demandent à l’être, à la fois pour l’enseignement et
pourd’autresobjets,neconserventlebénéficedecetteautorisationoudecette
instance d’autorisation que pour les services étrangers à l’enseignement
prévusparleursstatuts.»
Des dizaines de milliers de religieux qui avaient fait de l’instruction leur
terrain d’action privilégié se trouvaient interdits d’exercer leur profession et
confrontés au choix entre reconversion, abandon de l’état régulier, et exil.
Certains se sécularisent, à l’appel des évêques, pour assurer la survie de leur
œuvre, mais beaucoup choisissent la fidélité à leur vocation et donc l’exil, de
préférenceleplusprèspossibledelaFrance,dansl’espoird’unretourpossible.
L’applicationdecetteloidonnelieuàdenombreuxincidents,danslesrégions
lespluscatholiques(l’OuestdelaFrance,unepartieduMassifcentral).
Une nouvelle étape est franchie en mars 1904 : toutes les demandes
d’autorisation des congrégations masculines sont rejetées. En juillet 1903, les
congrégations féminines avaient subi le même sort. Ceci provoque des
désaccords au sein même de la majorité républicaine, Waldeck-Rousseau
reprochant même à Combes d’avoir transformé une loi de contrôle en
instrumentd’exclusion.Defait,religieuxetreligieusessontexpulsésdeFrance.
Ceux qui résistent en prétendant au droit de rester dans leurs couvents sont
expulsés manu militari,tels leschartreux,que desgendarmes viennenttirerde
leur retraite pourappliquer la loi d’interdiction. C’est ainsi que des milliers de
religieuxtrouvent refuge dansdes terresplus hospitalières :Belgique, Espagne,
Royaume-Uni…

ENJEUXAUTOURDESCONGRÉGATIONSÉDUCATIVES
ETPRÉPARATIONDELALOIDE1905
RELATIVEÀLASÉPARATIONDEL’ÉTATETDESÉGLISES

En fait, en 1902, huit propositions de lois avaient été déposées, et Émile
Combes, pour étouffer ces tentatives, crée le 11 mars 1904 une commission
chargée d’examiner ces propositions et de rédiger un projet de loi. Sourd aux
critiquesémanant de la droite,indifférent aux appelsradicaux de Clemenceau,
quiréclamelasuppressionpureetsimpledescongrégations,considéréescomme
prolongementsdu«gouvernementromain»enFrance,ÉmileCombesinterdit
l’enseignementauxcongrégationsparlaloidu7juillet1904etleurenlèveainsi
également la possibilité de prêcher, de commercer, étant entendu que les
congrégationsenseignantesdoiventdisparaîtresousundélaidedixans.Combes
prépareainsiunelaïcisationcomplètedel’éducation.
Cependant,ilhésiteàs’engagerfermementpourlaséparationdesÉglisesetde
l’État:eneffet,lesrelationsentrel’Églisecatholiqueetl’Étatsonttoujoursrégies
en1904parleConcordatsignéentreNapoléonBonaparteetlepapePieVIIun
siècleplustôt,etlesarticlesorganiquespermettentnotammentaugouvernement
de contrôler le clergé français en proposant les nominations d’évêques et en
salariantlespersonnelsduclergéséculier.Combescraintdeperdrececontrôle
surl’Égliseens’engageantpourlaséparation,maislasuitedesévénementsnelui
laisseguèred’autresolution:
– D’une part,en juin 1903, une majorité dedéputés décide qu’il y a lieude
débattred’uneéventuelleséparationetconstitueunecommissionprésidée
parFernandBuisson.AristideBriandenestlerapporteur.
– D’autrepart,lepapeLéonXIIImeurtenjuillet1903.Sonsuccesseur,PieX,
estréputépoursarigidité.
La publication des lois sur l’enseignement entraîne la rupture entre le
gouvernement français et la papauté. La visite du président de la République
ÉmileLoubetauroid’ItalieVictor-EmmanuelIII,dontlegrand-pèreaannexéla
villedeRome,estlagoutted’eauquifaitdéborderlevase:leVaticanenvoiedes
lettres de protestation antifrançaises aux chancelleries européennes. La fin des
relationsentrelaRépubliqueetlapapautérendlerégimeconcordatairecaducet
la séparation entre dans les faits. Combes déstabilisé par le scandale dit de
«l’affairedesfiches»démissionne.Sonsuccesseur,MauriceRouvier,parachève
laséparationenpromulguantlaloipréparéeparlacommissionBuisson-Briand.
Letexterédigéparlacommissionestlefruitd’uncompromisentreuncourant
ultra-laïquequiveutdétruirel’Égliseeninterdisantleculteetenladépossédant
des biens meubles et immeubles dont elle était détentrice, et un courant plus
modéré qui souhaite une égalité de traitement entre les différentes religions
pratiquéesenFranceetlasuppressiondespressionsexercéesparlesreligionssur
lasphèrepolitique.BriandetBuissoncomprennentqu’uneloideconciliationest
nécessaire pour éviter un affrontement désastreux. Aristide Briand lors de la
présentationduprojetdevantlaChambreparvientàconvaincreunepartiedela
droitecatholique que cette loin’est pas une loide persécution del’Église, sans
toutefois se montrer trop conciliant aux yeux d’une gauche radicale ou d’une
extrême gauche qui voudrait éradiquer le « bloc romain ». La phase la plus
difficilefut la discussionde l’article 4,l’article qui définità qui reviendront les
biensmobiliersetimmobiliersdel’Église.
Lescatholiquescraignentquel’Étatneveuilledisloquerl’Égliseetprovoquer
un schisme en imposant au clergé une « constitution civile du clergé ». Les
républicains refusent que le Vatican garde le choix des associations cultuelles
(crééesparlaloide1901)aptesàbénéficierdeladévolutiondesbiensdel’Église,
associationsquipourraientêtreinstalléesàl’étranger.AristideBriandacceptede
revoir quelques dispositions de l’article 4. Le 20 avril 1905, il déclare à la
Chambre:«Nousn’avonsjamaiseulapenséed’arracheràl’Églisecatholiqueson
patrimoinepourl’offrirenprimeauschisme;ceseraitlàunactededéloyautéqui
restetrèsloindenotrepensée.»
L’article 6 concernant l’autorité en mesure de trancher le débat entre
associations cultuelles candidates à la dévolution d’un même bien désigne le
Conseil d’État réputé plus proche de la ligne politique de l’État plutôt que les
tribunauxcivilsdonnantainsisatisfactionauxanticléricaux.Laloifutvotéeàla
Chambreen juillet 1905et au Sénaten décembre1905. Elle metfin au régime
concordatairefrançaisde1801.Inventantlalaïcitéàlafrançaise,elleproclamela
libertéde conscience, garantitle libreexercice descultes et posele principe de
séparation des Églises et de l’État. Le Vatican prononce en 1908
l’excommunicationdesdéputésetsénateursayantvotélaloi.
Grâceauxrevendicationsdesassociationsféministesetauxrépublicainslaïcs
modérés ou radicaux, les femmes voient s’ouvrir devant elles l’accès au savoir.
Les lois leur sont favorables, cependant les premières générations d’étudiantes
qui veulent poursuivre leurs études à l’université sont en butte à la misogynie
ordinaire desprofesseurs et des étudiants.La grande anthropologue Alexandra
David-Néel, spécialiste du Tibet, relate dans ses souvenirs d’étudiante à la
Sorbonne, que les rares filles subissaient des agressions verbales et parfois
physiques.Unjeudeleurscondisciplesmasculinsétudiantsconsistaitàpousser
lesétudiantesdanslesgradinspourleurfairedévalerl’amphithéâtresurledos,
ou de bourrer de coups de pied dans le dos l’étudiante assise devant eux. Ces
comportements imbéciles ne peuvent pas être attribués uniquement à
l’immaturité des étudiants. Une part importante du corps universitaire est
gangrenéeparunmachismeviolentdontMarieCuriefutlavictime.
Marie Slodowska arrive de Pologne en 1891. Elle vient en France pour
continuersesétudesdePhysique,activitéquiestréservéeauxhommesdansson
paysd’origine. À cetteépoque lafaculté dessciences dela Sorbonne comporte
1825étudiantsparmilesquelsiln’yaque23étudiantes.MarierencontrePierre
Curieetvatravailleràsescôtésdanssonlaboratoirederecherche.Ellel’épouse
quelques années après. En 1903 les époux Curie conjointement avec Henri
Becquerel reçoivent le prix Nobel de Physique. Marie Curie affronte après la
mort accidentelle de son mari en avril 1906, un deuil dont elle se remet
difficilement, elle élève seule ses deux filles. Plusieurs années après ce tragique
évènement,ellerencontrelephysicienLangevin,professeuraucollègedeFrance.
Lorsqu’elle reçoit son deuxième prix Nobel en 1911, la presse nationaliste lui
prêteuneliaisonavecLangevin,lui-mêmeeninstancededivorce.Lacampagne
de presse est d’une telle violence que le ministre de l’Instruction publique en
vient àsouhaiter que Marie Curie retourneen Pologne. Le comitéNobel subit
des pressions politiques telles qu’il suggère à la scientifique de ne pas venir
chercher son prix. La misogynie d’une partie des milieux scientifiques est telle
quel’attributionduprixNobelàunefemmeleurestinsupportable.

DESRÉFORMESAUTOURDEL’ENSEIGNEMENTARTISTIQUEETDEL’ACCÈSDES
FEMMES

La réforme de l’enseignement français, sa laïcisation et son ouverture aux
femmes ont remanié en profondeur la société française. Dans le même temps,
bien que de manière plus discrète l’enseignement artistique recevait aussi
l’empreintedel’époque.
Fondéen1816,l’InstitutdeFrancequioccupelesbâtimentsduquaiConti,est
divisé en trois sections. L’une d’entre elles, l’Académie des beaux-arts, a pour
mission la préservation et l’illustration du patrimoine artistique de la France,
ainsiquesondéveloppement,danslerespectdupluralismedesexpressions.Elle
veilleàla sensibilisationauxartsdans l’enseignementgénéral etàla qualitéde
l’enseignementdanslesécolesspécialiséesquidépendentdel’État.
Laréformedecetenseignementdatede1863.Elleestpréparée,endehorsde
l’Académie par un groupe de réformateurs mené par Prosper Mérimée et
l’architecte Eugène Viollet-le-Duc. Cette réforme a pour but de libérer les
disciplines peinture,sculpture, gravure, architecturedes directives données par
l’Académie des Beaux-arts. Depuis la Révolution, l’École des Beaux-Arts n’est
plus,juridiquement,liéeàl’Académie.Cependant,lesétudesyrestentencore,au
XIXesiècle,fortementdépendantesdel’organisationetdujugementduconcours
pour le Prix de Rome par cette dernière, l’École jouant pour ainsi dire le rôle
d’une classe préparatoire au concours. Le recrutement des professeurs par
cooptation profite quasi-exclusivement aux académiciens. L’enseignement à
l’École, jusqu’à sa réforme de 1863, reste cantonné au seul dessin assorti
d’éléments d’Histoire antique : événements historiques de l’Antiquité, biblique
oumythologique.Lesséancesdedessind’aprèslenaturel–lemodèlevivant–ou
d’aprèslabosse–leplâtreantique–sont,enoutre,complétéesparuncoursde
perspective, par un cours de géométrie et un cours d’anatomie. Là se limitait
l’enseignementquedispensel’École.Ledessinenestlabaseetlafin.
Les locaux actuels de l’École des Beaux-Arts de Paris sont le résultat de
l’ordonnance du 21 mars 1816 faisant suite à la création de l’Académie des
Beaux-arts. De 1870 à 1903, l’institution s’appelle « École nationale et spéciale
des Beaux-Arts ». Les femmes sont admises seulement à partir de 1897.
Heureusementpourelles,lesateliersprivésdespeintresetsculpteursaccueillent
des élèves contre rémunération. Certains acceptent des élèves femmes. Le
sculpteur Rude, auteur du groupe La Marseillaise de l’Arc de Triomphe avait
même, avec l’aide de son épouse, ouvert une sorte de pension de famille qui
subvenaitauxbesoinsmatérielsdeceuxquivenaientrecevoirl’enseignementdu
Maître. Jusque dans les milieux sociaux les plus élevés, cette pratique d’une
forme d’apprentissage était appréciée. Au début des années 1830, Marie
d’OrléansfilleduroiLouis-Philippe,eutpourprofesseurdedessinlepeintreAry
Scheffer. Par la suite elle étudia avec succès la sculpture. Le musée du Louvre
conserveunebellestatuedeJeanned’Arcdesamain.Maisunemortprécoce,à
28 ans, mit un terme à son œuvre. Il existe quelques tableaux qui restituent
l’atmosphèredecesateliersoutravaillaientdesélèvesféminines,jeunesfillesde
toutes catégories sociales travaillant dans l’atelier d’un maître réputé, dans
l’espoirdeseconstituerunréseauderelationsetdeclients.L’atelierdePujolà
Paris et ses élèves ont été représentées par une des élèves Louise Grandpierre-
Deverzy.Ces jeunesartistespouvaient aussiparvenir àun métierleur assurant
un niveau de vie correct lorsqu’elles entraient au service d’une décoratrice en
porcelainecommeVictoireJaquototou dansunatelierde miniaturistecomme
celuideLizinkadeMirbel.
Il y a aussi, dans ce siècle peu favorable à l’épanouissement des femmes
quelquesartistesfémininesàlacarrièreexceptionnelle.
RosaBonheur(1822-1899)naîtàBordeaux.Sonpèreestprofesseurdedessin
etpeintre.IlvientàParisavecsesenfants,Rosatoutejeunesepassionnepourle
dessin mais à cette époque les filles ne sont pas admises aux Beaux-Arts. Elle
apprend avec acharnement auprès de son père les rudiments du dessin
documentaireetdelapeinture.EllereçoitlesconseilsdeJ.-B.Corot,peintreami
desonpère.Passionnéeparl’artanimalier,RosaserendsouventauxHalles,au
Muséumd’Histoirenaturelle,maisaussiàlacampagnepourétudierlesanimaux
(bœufsetattelages,chevaux).EllereçoitplusieursprixausalonannuelàPariset
devientcélèbrevers1848.Ellevitdésormaisavecaisancedesapeinturecequilui
permetd’aidersesfrèresetsœurs.Sonamied’enfanceNathalieMickasdevient
sa compagne et travaille à ses côtés près de Barbizon. Rosa reçoit la Légion
d’honneuren1865,c’estlapremièrefemmeartisteàrecevoircettedistinction.Sa
production de peinture et de sculpture lui vaut une réputation internationale
jusqu’auxÉtats-Unis.
CamilleClaudel(1864-1943),issued’unefamilledelabourgeoisie,estl’aînée
d’une fratrie qui vit en province dans l’Aisne. Son frère Paul fut écrivain,
dramaturgeetdiplomate.LafamilleClaudels’installeàNogentsurSeine(Aube)
de1876à1879(Cahier-images,Pl.XIV).Camillepassionnéetrèsjeuned’art,de
dessin et de sculpture s’essaie à des réalisations en terre glaise auprès de ses
professeurs. Son travail attire l’attention d’Alfred Boucher, jeune sculpteur
originairedesalentoursdeNogent-sur-SeineetvivantàParis,quiluireconnaît
desdonsexceptionnels.Camillerêved’étudierlasculptureàParis.Elleparvientà
convaincre sa famille qui vient s’installer dans la capitale, à Montparnasse.
Camille loue un atelier. À partir de 1882 elle étudie dans l’atelier d’Auguste
Rodinavecd’autresélèves.Elleparticipeàlaréalisationdeplusieurssculptures
des œuvres du maître, comme l’imposant groupe statuaire « Les Bourgeois de
Calais ». Une connivence s’installe entre le maître et l’élève. Camille devient
l’inspiratrice,maisaussipoursonmalheur,lamaîtressedeRodin.Elletravailleà
ses côtés pendant une dizaine d’années en qualité de praticienne et elle
l’influencepourquelques-unesdesesœuvresdontlastatue«lebaiser».Camille
accompagne Rodin au château de l’Islette (près de Tours) où le maître doit
travailleràunestatuedeBalzac.Camillesculptedesoncôté.Aprèsleurrupture,
Camillecontinue difficilementà travailleret cherchedes commandesde l’État.
Elle réussit pendant quelque temps à sculpter des projets pour une mécène
parisienne. La douleur de sa rupture avec Rodin la conduit à s’isoler dans son
travail.Ellevitenrecluseetsadépressions’aggrave.En1913safamilledécidede
lafaireinternerpourcausededépressionet paranoïa.Elleresteenferméedans
unasiled’aliénésenSeineSaint-Denis,puispendantlaguerreelleesttransférée
en Vaucluse. En 1919 son état semble s’améliorer et elle sollicite par lettre sa
libération.Samèrerefuse.Elledemeureàl’asiledeMontfavet,abandonnéedesa
famille et y meurt en 1943 pour cause de traitement inapproprié et de
malnutritioncommedansbiendesasilesd’aliénéspendantlaguerre.
Lili Boulanger, musicienne, compositrice (1893-1918). Son père est
compositeuretprofesseurdechant,samèreestcantatrice.ToutejeuneLilireçoit
les leçons de musiquede sa sœur aînée Nadia et les conseils de Gabriel Fauré.
Elle entre au conservatoire en 1909. Sa santé est précaire. Elle compose une
cantate, FaustetHélène,etobtientlepremierprixdeRomeen1913.Elleestla
première femme à obtenir cette distinction. Malgré les débuts de la guerre en
1914,elleserendàlavillaMédicisàRomepuisséjourneàNiceoùellecompose
diverses œuvres vocales et instrumentales avant d’être terrassée par la
tuberculose.Sescompositionsfontmontred’unegrandevirtuositéetd’uneforte
modernité.
LeXIXe siècle,telquenousavonsessayédeledécrire,del’apogéedel’Empire
àlaPremièreGuerremondialeestunepériodemajeuredel’histoiredesfemmes.
Leurcadredevieestbouleversé,surtoutceluidesfemmespauvresquipassentde
laconditiondepaysannestotalementdépendantesduchefdefamilleàceluide
salariéesexploitéesparlesentreprisesquilesemploient.Leprogrèsn’estpasbien
grand,sicen’estquecettenouvelleconditionrelâcheunpeulapressionfamiliale
qui s’exerce sur elles. Les femmes des classes aisées voient leurs effectifs
s’accroîtreavecl’apparitiond’unebourgeoisied’affairesetd’uneclassemoyenne
dontl’apparitionestliéeàlaRévolutionindustrielle.Lecourantromantiquedu
débutdu siècle vient bousculerles espritsen ce qu’il déculpabilisel’inclination
amoureuse et discrédite le mariage institutionnel. Pour ces classes sociales et
pour les quelques femmes pauvres désireuses de sortir de leur condition, le
bouleversement de l’enseignement public qui lui confère laïcité et accessibilité
aux filles est l’évènement majeur du siècle. Il est accompagné par l’installation
durable du régime politique républicain, mais républicain demi-démocratique
seulement.Malgrél’importantepousséedesassociationsféministes,lesfemmes
n’obtiennent pas le droit de vote, ce qui leur ôte la possibilité d’entrer dans le
corpslégislatifetde déposerdesprojetsde loissusceptiblesderapprocherleur
pouvoirdeceluideshommes.Lesfemmesdesclassespauvresontconnu,elles,le
terrible laboratoire social de la Commune de 1871 et sont ressorties de
l’expérience confortées dans l’idée que leur difficulté prioritaire, la misère, ne
pouvait être résolue que par la lutte de l’ensemble du prolétariat, tous genres
confondus, pour l’instauration d’une société socialiste. Nombreuses sont celles
d’entre elles qui se glissent au début du XX e siècle dans le courant anarcho-
syndicaliste.
Le statut juridique des femmes ou droit civil évolua au cours du siècle,
essentiellement au bénéfice des femmes de classe aisée : droit au divorce pour
faute (1884), double nationalité acquise par mariage avec un étranger (1889),
droitdetémoigneràunprocès,(1897),droitdetoucherdirectementsonsalaire
sanspasserparl’intermédiairedesonmari(1907).Cesavancéessocialesontpeu
d’échoschezlesfemmesdesclassespauvres.Chezlesprolétaires,onse«meten
ménage », on ne se marie pas. Alors tout ce qui touche à la perte de capacité
civiledelafemmemariéeouàlagestiondesbienscommunsducoupleesthors
sujet.Ledroitdevoten’intéressepasnonplus:lasociétélibéralerépublicaineest
vouéeauxgémoniesetsonrenversementparlarévolutionapparaîtcommeseule
dignequ’onluiconsacresonénergie.
Lesmouvementsinternationalistespourlapaixsontlesseulsàcréerunterrain
d’action où les femmes se retrouvent toutes classes confondues. On sait,
malheureusement,malgrél’énergiequ’ellesmirent àsauver lapaix, dansquelle
abominable boucherie les pays européens et leurs colonies furent entraînés en
1914.
VoirEncadrén°6
FemmesetallégoriesdelaRépubliquede1789à1914

1. Ou Hilotes, en référence aux habitants de Laconie réduits en esclavage par les Spartiates pendant
l’Antiquité.
CHAPITRE5

LESFEMMESDE1914À1939–HÉROÏNES
INVISIBLES?

PREMIÈREGUERREMONDIALE
ETPARADOXESDURETOURÀLAPAIX

Àl’issuedelaguerrefranco-prussiennede1870quilaisselaFranceamputée
de la Moselle et de l’Alsace,l’Europe vit une longue période de paix de quatre
décennies. Les conditions sont réunies pour une séquence de progrès
économiques et techniques qui touchent plus particulièrement la France, le
Royaume-Uni,laBelgique,l’Allemagne,l’Italieetl’Autriche-Hongrie.Àlasuite
delaGrandeDépressiondesannées1873à1896,consécutiveàl’éclatementdela
bullespéculativesurlescheminsdeferetsurletextile,l’Europeentredansune
période de croissance soutenue dans le cadre de la deuxième révolution
industrielle. Dans cette période prend fin le règne de l’expansion charbon,
vapeur,acier,cheminsdefer,remplacéparlerègnedelatransformationpétrole,
électricité,automobileetaviation,télécommunications.
Leseffetsdecettenouvellevaguedeprogrèssetraduisentparl’émergencedu
positivismeetduscientismedansl’inconscientcollectif.Lespopulationsdecette
époquesontoptimistes:cellesquiprofitentdel’améliorationdeleursconditions
de vie et celles qui s’organisent pour peser sur les conditions de redistribution
desfruitsduprogrès.
Ainsique nousenavons faitmentiondans lechapitre précédent,enEurope
comme aux États-Unis, la société s’organise en mouvements d’opinions, en
syndicatsouenpartispolitiques.Pendantcettepériodeapparaissentlespremiers
partis socialistes européens, de plus en plus influents, mais gênés sur leur aile
gaucheparla«propagandeparlesfaits»desanarchistes.L’internationalisation
de certains courants de pensée est un phénomène nouveau. Déjà se dessinent
l’influence des courants politiques issus du marxisme et de l’anarchisme, ainsi
quelescourantsféministesd’origineanglo-saxonnequiinfluencentplustardle
pacifisme féminin et la revendication des droits politiques des femmes. Les
mouvementsdefemmessontàleurapogée,qu’ilssoientféministes,pacifistesou
suffragistes.
Malgré une certaine légèreté de l’époque, les gouvernements européens
songent aux futurs conflits possibles et cherchent à constituer des alliances en
conséquence.LaFrancequitteleXIXe siècleavecunterritoireagrandideNiceet
delaSavoie,maisamputéedelaMoselleetdel’Alsace.Surtout,cetteamputation
estlefruitd’unedéfaitedéshonorantepourunearméefrançaisemaléquipéeet,
peut-être plus encore, mal commandée par des généraux qui devaient leurs
étoilesàleurstatutdefavorisplusqu’àleurstalents.Malgrél’aisancefinancière
etleconfortapportésparledéveloppementéconomique,lesclassesdirigeantes
françaises rêvent à la reconquête des territoires perdus. Cela se sait chez les
vainqueursetBismarckcommel’empereurd’Allemagnecherchentàseprémunir
contre d’éventuelles velléités de revanche française. Dès 1879, un traité
d’assistance mutuelle, la Duplice, a été signé entre l’Allemagne et l’Autriche-
Hongrie. Il met fin au conflit qui les a opposés pour le contrôle de l'Empire
allemand, arraché à l’Autriche par la Prusse. L’Allemagne est motivée par la
craintedelaFranceetsonenviedelaréduireàunepuissancedesecondordre,
l’Autriche par la difficultéqu’elle éprouve à maintenir l’unité de son territoire.
L’Italie qui a été bafouée par la colonisation française de la Tunisie où vit une
colonieitaliennenombreuseetoùelleainvestidescapitauximportantsrejoint
cette alliance, bien qu’elle ait des contentieux sur sa frontière nord avec
l’Autriche-Hongrie.C’estainsiquenaîtlaTriplice.Surlacartedel’Europe,elle
constitueunvéritable«mur»àl’estdelaFrance.
En 1904, la France et le Royaume-Uni signent l’Entente cordiale, traité qui
marque le désir commun des deux pays de mettre un terme à une hostilité
séculaire.MaisleRoyaume-Uni,aprèsl’entrevuedeGuillaumeIIetdeNicolasII
en juillet 1905, s’inquiète d’un possible rapprochement entre l’Allemagne et la
Russie.Il se décidedonc àsortir de son« splendideisolement » età réglerses
différends avec la Russie, différends qui lui interdiraient l’accès terrestre à son
empiredesIndes.Enaoût1907,leRoyaume-UnisigneaveclaRussieunaccord
parlequellesdeuxpuissancesdélimitentleurszonesd’influenceenAfghanistan,
enPerseetauTibet.DèslorslaTripleEntenteestconstituéefaceàlaTriplice.
L’Europeest diviséeendeux alliances« défensives»,bien sûr.Unequerelle de
frontière, un conflit interne avec une minorité ethnique sont désormais
susceptibles de déclencher une gigantesque conflagration d’où aucun pays
européennepeutespérersortirindemne.LesclausesdelaTriplicesonttenuesà
jour au fil du temps et prennent en compte les prétentions des coalisés qui la
composent sur des territoires extérieurs à leurs frontières. La Roumanie et la
Bulgarie sont englobées dans un périmètre associé. Puis il y eut également des
clausesconcernantlestatuquodesîlesgrecquesenmerÉgéeetAdriatiqueainsi
quelestatuquodesÉtatsbalkaniques.
La Bosnie-Herzegovine est la cause qui sert de détonateur au conflit. Ce
territoiresituéenarrière-plandelamerAdriatiquederrièreunelonguebandede
territoirecroate,faceàlaprovinceitaliennedesPouilles,estsousadministration
turque, et se trouve à la frontière avec l’Autriche-Hongrie. En juillet 1876, la
Serbieet leMonténégro déclarentla guerreà la TurquieOttomane devantson
refusd’accorderlaBosnieàlaSerbieetl’HerzégovineauMonténégro.LaRussie
qui se veut protectrice des Slaves, et l’Autriche-Hongrie en qualité de voisine,
interviennentauxcôtésdesSerbes.LadéfaitedelaTurquieesttotale.LaBosnie-
Herzégovine est placée sous administration autrichienne, théoriquement
provisoire.Unemoitiédelapopulationestmusulmane.L’autremoitiésepartage
entrecatholiquesetorthodoxes,touspartisansdel’unionaveclaSerbievoisine.
Ils se sentent floués par leurs « sauveurs ». La situation d’administration
« provisoire » a duré depuis trente ans, en 1908, lorsque l’Autriche-Hongrie
annexeleterritoiredemanièredéfinitive,enraisondel’arrivéedesJeunesturcs
aupouvoiràConstantinople.Surlalonguepériodequiprécède,lesmouvements
clandestins Serbes se sont organisés et sont montés en puissance. En 1913,
l’archiduc François-Ferdinand, prince héritier autrichien, a été nommé
inspecteur général des armées. En juin 1914, il participe aux manœuvres de
l’arméeaustro-hongroiseenBosnie.
Aulendemainde lafindesmanœuvres, ilaprévu unevisitedeSarajevo, en
compagniedesonépouseSophie,visiteaucoursdelaquelleilsdoiventinaugurer
un musée. Ils périssent tous deux le 28 juin dans un attentat perpétré par un
nationalisteserbe.
L’Allemagne et l’Autriche entrent en guerre contre la Serbie, puis contre la
Russie qui entend défendre la Serbie. La France et l’Angleterre finissent par se
joindreauxRussespourhonorerlesaccordsdelaTripleentente.Auseindela
Triplice,l’Italiesedéfausse,découvrantsoudainquelesintérêtsdeses alliésne
sontpaslessiens.Parcontre,leroideBulgarieFerdinandIer rejointl’allianceen
1915 dans l’espoir de récupérer quelques territoires aux dépens de ses voisins
SerbesetGrecs.
Un accord germano-turc secret est signé le 2 août 1914. La Sublime Porte,
après avoir observé le développement victorieux des opérations germano-
autrichiennes sur le front ouest entre en guerre aux côtés de la Triplice en
octobre1914.
Après l’échec de ses offensives contre l’Égypte, ancienne province de son
Empire passée sous contrôle britannique et contre le Caucase russe, l’Empire
ottoman subit en 1915 une offensive alliée visant Constantinople. Le statut du
sultan, calife de l’islam par reprise d’un titre vacant depuis le XVIe siècle, lui
permetd’appeleràlaguerresaintecontrelesAlliésavecunsuccèslimité,carses
vassaux de la péninsule arabique, stipendiés par les Britanniques, se révoltent
contrelui.
Surlefrontdel’ouest,àpartirdeladéclarationdeguerredu3aoûtl’offensive
germano-autrichiennesedéveloppedemanièrefoudroyante.LeLuxembourgest
envahi malgré sa neutralité affichée. Le 4 août, l’armée allemande envahit la
Belgique pour contourner l’armée française. Elle est arrêtée par la contre-
offensivefrançaise du6 au12 septembre,connue sousle nomde bataillede la
Marne.L’arméenepossèdeaucunvéhiculemotoriséquipermettraitunecontre-
attaque rapide. Coup de génie dans un désert d’impréparation, les 6 et
7 septembre 1914, sur ordre du général Gallieni, environ 1 100 taxis parisiens
ainsi que quelques cars pouvant transporter 20 à 30 soldats chacun sont
réquisitionnéspourservirdemoyendetransportauxfantassinsdela14ebrigade
(103e et 104 e RI) de la 7e  division d’infanterie. Cette opération permet
d’acheminer rapidement environ entre 3 000 et 5 000 hommes stationnés à
proximité de la capitale. Contrairement à une idée reçue, l’effectif des troupes
transportées de cette façon ne représente qu’une partie du contingent engagé
danslapremièrebatailledelaMarne.Danslecourantdumoisdenovembre,le
front se stabilise de la mer du Nord à la Suisse. Les troupes belligérantes
s’enterrent,ycomprislescavaliersquiabandonnentleurschevaux.Laguerrede
tranchéescommence.
Au cours du siècle précédent, l’agitation des mouvements nationalistes
français dont les propos revanchards particulièrement violents à l’époque de
l’affaireDreyfusfaisaientcraindrelaréouverturedeshostilitésavecl’Allemagnea
conduit certains mouvements féministes à s’interroger sur l’opportunité d’un
engagementpacifiste.Luttercontrelesmenacesdeguerreestapparucommeune
nécessitépourd’autresfemmes,nonengagéesdansleféminisme,maissensibles
au courant pacifiste qui avait vu le jour dans le monde anglo-saxon et en
Allemagne.Demanièresurprenante,lemouvementdesfemmescontinue,même
aprèsqueleshostilitésaientétédéclenchéesetquelacritiquedubellicismesoit
punie par la loi. Puis après la guerre, les femmes pacifistes contribuèrent à la
créationdelaSDN(SociétédesNations)premierorganismededialogueentreles
nations qui devait travailler à éviter, hélas sans grand succès, d’autres guerres
mondiales.
On a vu, précédemment, la création en 1888 du CIF à l’initiative des
suffragistesaméricainesElizabethCadyStantonetSusanB.Anthony.LeCIFvise
à unifier les organisations nationales de femmes pour promouvoir les droits
humains, l’égalité des sexes, la paix et l’implication des femmes au niveau
international. Parmi les organisations fédérées, certaines sont essentiellement
pacifistestelles«TheWomen’sAuxiliaryofthePeaceSociety»enAngleterreen
1882,oule«FrauenbundderDeutschenFriedensgesellschaft»enAllemagneen
1914. Vingt ans après la Première internationale des travailleurs, d’inspiration
socialiste, qui réunissait les mouvements de travailleurs européens, une
organisation internationale des femmes, d’inspiration libérale, voit le jour.
L’histoire de ces mouvements de femmes a malheureusement été oubliée,
étoufféeparledéferlementdel’histoireévènementielledel’époque.

DESINITIATIVESTRANSNATIONALESDEFEMMESPACIFISTES
Ces femmes qui défendent l’internationalisme ont le sentiment profond que
lestâchesmaternellesquileur incombent(mettreaumonde,nourrir,protéger,
éduquerlesenfants) unissentlesfemmes au-delàdesfrontièresnationales.Des
initiatives précoces de pacifisme féministe transnational apparaissent dès le
XIXesiècle.Aprèslaguerrefranco-prussiennede1870-1871,l’AméricaineJulia
WardHowe(1819-1910)proclameunefêtedesmèrespourlapaix,célébréepour
lapremièrefoisen1873dansplusieursvillesaméricainesainsiqu’enAngleterre,
enSuisse,enItalieetenFrance.UneéphémèreUnioninternationaledesfemmes
pourlapaixavulejouren1891fondéeparlaSuisseMarieGoegg(1826-1899),
la Française Eugénie Potonié-Pierre (1844-1898) et la Britannique Ellen
Robinson (1840-1912), ainsi qu’à Paris, en 1896, l’Alliance universelle des
femmespourlapaixetpourledésarmementfondéeparGabrielleWiesniewska
(1836-1903).En1899,l’AllemandeMargaretheLeonoreSelenka(1860-1922)est
à l’origine de manifestations de femmes pour la paix dans plusieurs pays, à
l’occasiondelaconférenceinternationaledelapaixàLaHaye.
Jusqu’à1914,œuvrerpourlapaixinternationalen’estpasuneprioritépourles
deux organisations féministes internationales les plus importantes.
L’International Council of Women (ICW, fondée en 1888) (Conseil
InternationaldesFemmesouCIF),aubureauduquelsiègeGabrielleDuchêne,a
pourobjectifl’améliorationdesconditionsd’exercicedesfonctionsdelafemme
(mettre au monde, nourrir, protéger, éduquer les enfants). L’International
WomanSuffrageAlliance(IWSA,fondéeen1904)(AllianceInternationalepour
le Suffrage des Femmes, puis Alliance Internationale des Femmes), lutte pour
obtenir l’accès des femmes aux droits politiques. Sa « branche » française est
fondéeparJeanneSchmahlpuisdirigéeparCécileBrunschvicg.Leuractionest
davantagecentréesurl’accèsdesfillesàl’éducation,ledroitd’accèsdesfemmes
au travail ou le droit de vote. Mais lorsque les tensions internationales
s’aggravent,entraînéesparlesassociationsquilescomposent,cesdeuxgrandes
fédérationssetournentversl’actionpacifiste.Lamajoritédesmembresdesdeux
fédérations internationales sont originaires d’Europe ou d’Amérique du Nord.
Bertha von Suttner (1843-1914), membre fondatrice des sociétés pacifistes
autrichienneetallemande,vice-présidenteduBureauinternationaldelapaixet
lauréate du prix Nobel de la Paix en 1905, intervient au congrès fondateur de
l’IWSA qui se tient à Berlin. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, la
grande majorité des mouvements féministes soutiennent à regret l’effort de
guerredeleurpaysd’origine,malgréleuractionpacifistedanslesannéesquila
précédèrent.Malgrécela,des congrèsinternationauxdefemmes,avec l’objectif
de tenter des solutions propres à enrayer le conflit voient le jour. Plus de
1 100 participantes se réunissent à La Haye en avril 1915. Les participantes
viennent non seulement des Pays-Bas, mais également des États-Unis (la
présidenteducongrèsJaneAddams(1860-1935)futaussilauréateduprixNobel
de la Paix en 1931), du Canada, du Danemark, d’Allemagne, de Belgique, de
Grande-Bretagne,d’Italie,deNorvège,deSuède,d’AutricheetdeHongrie.Elles
revendiquentunstatutpolitiqueidentiqueàceluideshommesetlamiseenplace
dansleurspaysrespectifsd’unsystèmepolitiquedémocratiquereprésentatif.Ces
deux conditions sont, selon elles, d’incontournables prérequis à la paix future.
Elles demandent l’organisation d’une conférence de médiation arbitrée par les
pays neutres. En mars 1915, alors que sur le front ouest allemands et français
s’épuisentàsedisputerlesaillantdeSaint-Mihielauprixdepertescolossales,et
que, sur le front est, les troupes anglo-françaises cumulent les échecs sur le
détroit des Dardanelles, un groupe de 25 femmes socialistes originaires
d’Allemagne,deGrande-Bretagne,deRussie,dePologne,desPays-Bas,d’Italie,
deFranceetdeSuisseserencontrentàBernepouruneconférenceinternationale
deprotestationcontrelaguerre.Ellesentretiennentdesliensavecl’International
Socialist Women’s Committee qui avait été organisé par Clara Zetkin (1857-
1933)en1907.
En France, le travail de Jeanne Mélin fait écho à cette double mouvance,
mouvancelibéraleetmouvancesocialiste,dupacifisme.JeanneMélinoriginaire
desArdennes, dont lafamille possède unepetite entreprise, adhère,en 1913, à
l’Union française pour le suffrage des femmes (UFSF), présidée par Cécile
Brunschvicg.Danslesmêmesannées,ellemultiplielesengagements,adhérantà
laSFIO,etàlaLiguedesdroitsdel’Homme.Uncertainféminismedécoulede
son pacifisme : pour elle, les femmes sont naturellement pacifistes et la
reconnaissance de leurs droits à participer aux élections peut conduire à des
politiquespluspacifiques.EllesetrouveàBruxelles,àuneréuniondepacifistes
européens, quand éclate la nouvelle de l’assassinat de Jean Jaurès, le soir du
31 juillet 1914. Sa mort, signe la disparition du seul homme qui pouvait, en
France, provoquer un refus massif de la mobilisation et contraindre ainsi les
dirigeants français à rompre les engagements signés dans le cadre de la Triple
Entente.Lavoieestouverteàl’Unionsacrée,provoquantdesdivergencesausein
del’UFSFdontlamajoritédesmembresadhèreàl’union.JeanneMélinrefusede
suivrelemouvementettentedeserendreaucongrèsdeLaHayeenavril1915.
Les autorités françaises refusent de lui délivrer un visa, mais elle participe
activement à la préparation thématique du congrès en échangeant une
abondante correspondance, avec les principaux organisateurs : Aletta Jacobs,
Cécile Brunschvicg, Charles Richet, Théodore Ruyssen, Nicholas Butler, Jane
Addamsetd’autres.
Le congrès de La Haye d’avril 1915 donne naissance à l’International
Committee of Women for Permanent Peace (rebaptisé Women’s International
LeagueforPeaceandFreedom,/ WILPF,en1919).PendantlaPremièreGuerre
mondiale, la WILPF inclut seize sections nationales (dont la section française
rassembléeautourdeGabrielleDuchêne,1878-1954).SonsiglefrançaisestLigue
internationale des femmes pour la paix permanente (qui devient plus tard la
Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté, LIFPL). Elle existe
toujours sous la forme d’une ONG de femmes militant pour la paix dont le
périmètre s’est étendu à une quarantaine de pays. Jeanne Mélin adhère à cette
structure au sein de laquelle elle continue son combat pacifiste. Elle se rend,
malgrél’oppositiondesautoritésfrançaises,aupremiercongrèsinternational,à
Zurich, en mai 1919, y est applaudie et échange une longue poignée de mains
avec la déléguée allemande Linda Gustava Heymann. Dans son discours, elle
s’élève contre la Conférence de paix de Paris, où les vainqueurs du conflit
préparent les clauses du traité de Versailles qui humilient l’Allemagne. Elle
conteste la thèse de la culpabilité allemande et plaide pour un rapprochement
franco-allemand. La réflexion de Jeanne Mélin montre le réalisme et la
clairvoyance des analyses des mouvements de femmes. Le contenu de son
interventionaucoursducongrèsdeZurichestl’exacteprédictiondesdécisions
etévènementsquiaboutissentàlaSecondeGuerremondiale.Aurait-onpu,pour
autant éviter le déclenchement de la guerre de 1914 ? Il est vraisemblable que
non. L’Allemagne, ou plutôt ses classes dirigeantes ne sont pas en état de
soumettre une décision aussi grave que l’entrée en guerre à l’analyse d’une
représentationpopulaire.Le«Kaiser»GuillaumeIIdeHohenzollern,petit-fils
du souverain régnant à l’époque de la guerre de 1870, est un homme à la
personnalité complexe,victime d’une malformation physique à sa naissance (il
souffre d’une atrophie du bras gauche) qui lui interdit de se conformer au
modèledeprinceguerrierquiacoursdansl’aristocratieprussienne.Intelligentet
cultivé, il compense la souffrance que lui cause cette inadaptation par une
insensibilitéréelleouaffichéeetunautoritarismeintransigeant.GuillaumeIIa-t-
illuNietzschepourseconstruireuneimagedesurhomme?Lorsqu’ilarriveau
pouvoir, à la mort de son père Frédéric III, en juin 1888, qui ne régna que
quelques mois, Otto von Bismarck est toujours le chancelier tout-puissant de
l’Empire allemand. Mais le système politique étonnant mis en place par ce
dernier,danslequellechancelierdécideetl’empereurentérineneconvientpasà
la conception que le nouvel empereur se fait de son rôle. Les relations se
dégradent et, en 1890, Bismarck est contraint à la démission. Ses multiples
successeursdoiventseplierauxexigencesdeGuillaumeII.Audébutdelaguerre
de 1914, la fonction est assurée par von Bethmann Hollweg, qui coordonne
l’écrituredudocumentconnusouslenomde«ProgrammedeSeptembre».La
lecture de ce document dont on trouvera ci-après un résumé met en évidence
deux choses. D’une part, si, dans la Triplice, l’Autriche et l’Italie voulaient se
protéger contre des menaces, l’Allemagne avait un projet impérialiste
d’envergure. D’autre part les femmes allemandes qui adhéraient aux
organisationspacifistesfaisaientpreuvedeclairvoyanceetd’ungrandcourage.
Le programme daté du 9 septembre 1914 décrit le projet politique du
chancelier qui reprend les objectifs des dirigeants politiques et militaires du
Reichainsiquelesobjectifsdesmilieuxéconomiques.
EnEuropedel’ouest,lesannexionsterritorialesdoiventportersurlebassinde
BrieyenLorraine,surlatotalitédelaBelgiqueetduLuxembourg.Latutelledu
Reich sur l’Autriche-Hongrie doit être renforcée, dans le cadre d’une union
politique,assisesurlerenforcementdupoidspolitiquedesAllemandsd’Autriche
auseindel’Empireaustro-hongrois.
Faceà la Russie,il estprévu unrefoulement dela Russie parla constitution
d’étatsfrontaliersplacéssousunsévèrecontrôleduReich.
Horsdel’Europe,l’Allemagnesouhaiterattraperleretardqu’elleaprissurla
Franceetsurl’Angleterreenmatièredecolonisation.Elledésireseconstituerun
EmpirecolonialafricaincentrésurlebassinduCongo,auxdépensdelaFrance,
duRoyaume-Uni,delaBelgiqueetduPortugal,bienquecederniersoitneutre.
Lesauteursduprojetsouhaitentlaconstitutiond’unbloccolonialallemanden
Afrique,composédel’Angola,dunorddu Mozambique,duCongobelgeetde
l’Afrique-Équatoriale française. Ce bloc viendrait s’adjoindre au Cameroun, au
Sud-Ouest Africain et au Togo que l’Allemagne possède déjà. Le Togo serait
agrandiparl’annexionduDahomeyetdelaSénégambie.
Les responsables économiques en tête desquels on trouve le directeur de la
DeutscheBank,ArthurvonGwinner,etledirecteurdelacompagnieélectrique
AEG, Walther Rathenau ont rédigé les dispositions économiques qui doivent
compléter la victoirede l’Allemagne, là où l’annexion territorialen’est pas une
nécessité.Cesclauseséconomiquessontdestinéesàinterdireauxadversairesdu
Reichdedisposerdesmoyensdeprépareruneguerrederevancheetàpermettre
laconstitutiond’une«Mitteleuropa»sousdominationallemande.Pourréaliser
cette union économique de l’Europe centrale, Bethmann-Hollweg souhaite des
mises soustutelle camouflées enune union économiquedans laquelle le Reich
exercesa prédominance.Ces annexionset mises soustutelle économique,sont
censées créer un ensemble susceptible de vivre en autarcie. Si l’assassinat du
prince héritier d’Autriche est une cause de guerre pour certains des pays
adhérentsàlaTriplice,pourl’Allemagnecetévènementn’estqu’unprétexte.La
véritablecauseestledésirdel’Allemagned’appliqueràsesvoisinseuropéensson
plan de septembre. Son armée est réorganisée en conséquence : les régiments
d’artillerie reçoiventdes pièces de gros calibre capables desoumettre les lignes
ennemiesàunfeuintensetoutenrestanthorsdeportéedescanonsadverses.Les
ballons captifs, d’observation, les dirigeables, les avions de chasse et de
reconnaissance font partie de dotations régimentaires. L’armée française, a
contrario, a peu évolué depuis 1870. La tenue des fantassins est toujours la
même : pantalon rouge, capote bleu ciel et képi rouge. Deux changements
d’importance seulement ont été introduits. Le fusil d’infanterie Lebel est une
armerécenteetfiable,lecanondecampagnede75également.Depuisladéfaite
de 1870, la reconquête des territoires perdus d’Alsace et de Lorraine était un
véritable dogme politique. À l’école de la république, les cartes de géographie
portaient le deuil de ces deux régions. La loi de 1905 a institué un service
militaireuniverseld’uneduréede3ans.
Le2 août1914, leshommes mobilisésainsi quela majoritédela population
pensaientqu’ils’agiraitd’uneguerrerapideetquetoutrentreraitdansl’ordreà
courtterme.Depuislongtempslesespritsavaientétépréparésàcetteéventualité.
Parcontre,àlamobilisation,l’état-majors’attendàuneconfrontationanalogueà
cellede1870.Ilprévoitdesbataillesd’infanterieenrasecampagneoùlacavalerie
légèreassurerait le renseignementsur le dispositifennemi et oùles cuirassiers,
parleurschargesviolentesisoleraientlesunitésadverseslivréesensuiteauxtirs
desfantassins.

ÉTÉ14:DISCOURSDEVIVIANIAUXFEMMES
POURLADÉFENSEDELAPATRIE

La mobilisation générale du 2 août 1914 a de lourdes conséquences sur
l’économie française. Soixante pour cent des emplois recensés se trouvent
vacantsdujouraulendemain.Legouvernementfrançaisestréduitàappelerles
femmes à participer à l’effort de guerre, comme le fait René Viviani dans son
discoursdu7août1914:
«AuxFemmesfrançaises,
Laguerreaétédéchaînéeparl’Allemagne,malgréleseffortsdelaFrance,de
laRussie,de l’Angleterrepourmaintenirla paix.Àl’appel delaPatrie, vos
pères,vosfils,vosmarissesontlevésetdemainilsaurontrelevéledéfi.
Le départpour l’armée de tousceux qui peuvent porterles armes, laisseles
travaux des champs interrompus : la moisson est inachevée le temps des
vendangesestproche.AunomdugouvernementdelaRépublique,aunomde
la nation tout entière groupée derrière lui, je fais appel à votre vaillance, à
celledesenfantsqueleurâgeseul,etnonleurcourage,dérobeaucombat.Je
vousdemandedemaintenirl’activitédescampagnes,determinerlesrécoltes
del’année,depréparercellesdel’annéeprochaine.Vousnepouvezpasrendre
àlapatrieunplusgrandservice.
Cen’estpaspourvous,c’estpourellequejem’adresseàvotrecœur.
Il faut sauvegarder votre subsistance, l’approvisionnement des populations
urbaines et surtout l’approvisionnement de ceux qui défendent la frontière,
avecl’indépendancedupays,lacivilisationetledroit.
Debout, donc, femmes françaises, jeunes enfants, filles et fils de la patrie !
Remplacez sur le champ du travail ceux qui sont sur le champ de bataille.
Préparez-vousàleurmontrer,demain,laterrecultivée,lesrécoltesrentrées,
leschampsensemencés!
Iln’yapas,danscesheuresgraves,delabeurinfime.Toutestgrandquisert
lepays.Debout!àl’action!àl’œuvre!Ilyaurademaindelagloirepourtout
lemonde.
VivelaRépublique!VivelaFrance!
Pour le Gouvernement de la République : Le président du Conseil des
ministres,RenéViviani.»
3700000hommesontétémobilisés,lesfemmesdoiventdonclesremplacer.
C’est d’abord dans les campagnes que la situation presse. On est au début des
moissons etil est inenvisageable delaisser perdre la récolte.56 % des Français
viventalorsdansdesvillagesdemoinsde2000habitants,etlasommedetravail
quereprésenteledépartdeshommesestimmense.Plusdelamoitiédesfemmes
françaisesestconcernéeparcetimmensedéfiquiconsisteànourrirl’ensemble
delapopulation, alorsqueles hommessonttoussur lefront.Elles sontaidées
danscettetâcheparleursenfantsadolescents,pardesréfugiésbelgeset,bienplus
tard,parlesprisonniersallemands.
Le défi est considérable : avec la fixation du front, 2 500 000 ha de terres
agricoles sont perdus. Ces plaines du Nord et du Nord-Est ont fourni avant-
guerre20%dublé,25%del’avoineet50%dusucre.Cettesituationad’abord
des conséquences pour l’approvisionnement du pays. Sur le reste du territoire
national,mêmeaprèsreconversionpartielledessurfacesconsacréesauxplantes
fourragères, la production en blé n’en diminue pas moins de près de 40 %, de
mêmepourl’orgeetl’avoine,enraisondelapénuried’engraisartificielsissusde
lachimieducharbon,alorsquelaFranceaperdulaquasi-totalitédesesmines.
Seule la culture de pommes de terre reste à son niveau de 1913. Jusque-là, la
Franceconnaissaitlasuffisancealimentaire.Àpartirdudébutdelaguerre,ilfaut
importermassivementafindenourrirl’ensembledelapopulation.Aucoursdes
six premiers mois de la guerre, les importations n’étant pas encore organisées,
l’approvisionnement décime le cheptel français. En ce qui concerne l’élevage
équin,àlaperteimmédiated’unepartsubstantielleducheptelparfaitsdeguerre
s’ajoute la réquisition d’animaux de trait. L’armée au début de la guerre ne
possèdepasdevéhiculesautomobilesetlesrégimentsd’artilleriedéplacentleurs
canonsenlesfaisanttirerpardeschevauxdelabourqu’ilsréquisitionnentdans
les fermes. Mais c’est surtout l’approvisionnement des populations mobilisées
(troupesetauxiliaires)quimetd’embléeenpérilletroupeaubovinlui-même.En
cinqmois,735000 bovins(5%dutotal)sont abattus.Àcerythme,l’existence
mêmedutroupeaubovinfrançaisestmenacée.Legouvernementdécidealorsde
recouriràdesimportationsdeviandescongelées,àhauteurde20000tonnespar
mois,quicouvrent60%desbesoins.
L’effectif du cheptel national se réduit à seulement 540 000 têtes, et grâce à
l’effort des agricultrices, les effectifs remontent à 12 millions de têtes en 1918,
troismillionsdemoinstoutefoisqu’en1913.

LEQUOTIDIENDESFEMMES14-18:DUDÉFIÉCONOMIQUEÀL’HÉROÏSME
SILENCIEUX

Maislequotidiendecesfemmesquiontsauvécequipouvaitl’êtreestterrible.
Déjà,avantlaguerre,ellesconnaissaientladoublejournéedetravail:entretien
delabasse-couretdujardindanslajournée,entretiendelamaisonetdulinge,
cuisineetvaissellematin,midietsoir.Àpartirdelaguerres’ajoutentletravail
deschampsetle soindesétables.Ilest utiledeserappelerqueles fermessont
sous-équipées,queletravailestbiensouventtotalementmanuel:lesmoissonset
lesfenaisonssefontàlafaux.Onentasselarécolteenmeulesdansl’attentedela
disponibilitédel’entrepreneurdebattage,puisilfautpasseraudéchaumageet,
travaildeforces’ilenest,aulabourage.Encorefaut-ilquel’onpuissedisposerde
chevaux à cette période de l’année.Les réquisitions des gendarmeries,chevaux
pourles trainsd’artillerie, bœufspour l’alimentationde lapopulation fontque
lesfemmessontsouventobligéesd’emprunterlesanimauxdeleursvoisinespour
pouvoirtravailler.Leromand’ErnestPerrochon LesGardiennes(éditéen1924),
met en scène les difficultés d’une famille paysanne où il ne reste plus que les
femmesetlesvieuxpourfairevivrelaterre.
En 1915, Étienne Clémentel, ministre de l’Économie prend conscience de la
nécessité de mécaniser les travaux de force dans un univers paysan presque
exclusivement féminin. Il projette d’acquérir un parc de 120 batteries de dix
machinesagricolesaptesàlabourer300000hectares.Finalement,l’Étatacquiert
404tracteurs(dont293importésmajoritairementdesÉtats-Unis).En1917,seuls
6500hectaresfurentlabourésparcesmoyensmécaniquesmodernes.Malgréla
modestie de la réalisation par rapport à l’ambition du projet, elle favorise
l’acceptation de l’idée de la mécanisation au sein d’une population paysanne
traditionaliste. Un outillage agricole moderne fait son apparition à partir de
1918, grâce en particulier à des importations américaines de faucheuses,
moissonneuses,semoirs.
À l’issue de la guerre, plus de deux millions d’hectares sont dévastés ou
abandonnés,lasurfacedeschampsdebataille.Maisleplustragiquedemeureles
pertesenhommes.Auseindelapopulationagricole,cesdernièressontévaluées
entre500000et700000morts,auxquellesilfautajouterprèsde500000blessés,
soitquelque20%despaysansquiontfournil’essentieldel’infanterie,l’armela
plus exposée. Tel est le terrible bilan que rappellent encore aujourd’hui les
monumentsauxmortsdanstouslesvillagesdeFrance.
Lorsqueceuxdespaysansquiontéchappéàlamortreviennentdufront,leurs
terres, à l’exception de celles qui ont servi de champ de bataille ont été
sauvegardéesparleursépousesouleurssœurs.Mêmeavecunrendementréduit,
elles sont entretenues et prêtes à produire plus si elles reçoivent à nouveau les
engrais nécessaires. Les prix agricoles ont beaucoup augmenté, portés par
l’inflationcauséeparl’économiedeguerre.Maislerevenupaysann’apassuivi
enconséquence,bienquelepoidsdesfermagesaitétéréduitparl’inflation.Les
propriétairesdeterressontsouventacculésàvendre,àcausedeladiminutionde
leurs revenus. Les paysans les plus aisés achètent des terres, les plus pauvres
abandonnentlaterrepourdesemploisurbainssalariés,desveuvescèdentleurs
exploitations.
On ne saurait parler de cet impact de la guerre 1914-1918 sans consacrer
quelqueslignesàlasouffranced’uncoupledepaysansetmesurerainsilaterrible
détressepartagéedecesêtresséparésparlaguerre.
Une professeure de Lettres d’un établissement de Bordeaux, Cécile Plantié a
recueilli dans les archives familiales la correspondance de ses ancêtres
agriculteurs, les époux Plantié. L’autrice a publié en 2020 une sélection
commentéedecetémoignageintimependantlaPremièreGuerremondiale,sous
letitremélancoliqueetdélicatQuedebaisersperdus.
MadeleineetLéonPlantiésemarienten1909.Ilssontenfantsdecultivateurs
auxalentoursdeMarmande(LotetGaronne).LeurfilsÉtiennenaîten1913.Le
jeune couple a peu de famille proche. Il habite au Ricaud, lieu-dit rattaché à
Gontaud,à10kmdeMarmande.Ilslouentunepetitepropriétéenfermagequ’ils
exploitentenpolycultureetvignes.Ilspratiquentaussilemaquignonnage.Leur
situationsembleplutôtaiséeàlaveilledelaguerre.
Léon,néen 1878etpèrede famille,appartientàla Territorialeà laveillede
1914.Mobiliséle3août1914iln’estcependantpasàl’abridudangerdufront.
LeslettresdeLéonontétéconservéesparMadeleine:ellescouvrentlapériode
du12août1914au15août1917.Sonépousegardeles1500lettresreçues.Léon
meurt au Chemin des Dames le 16 août 1917, victime, selon l’ahurissante
expression militaire, « d’un tir ami ». Ce qui veut dire qu’un artilleur imbécile
s’esttrompédanslepointagedesapièceetqu’ilaexpédiéaumoinsunobussur
un chantier de construction de tranchée français au lieu d’une tranchée
allemande!Léonétaitmembredu130erégimentdelaterritoriale,1 erbataillon,
matricule 378. Comme des milliers et des milliers de poilus « morts pour la
France»sonnomfiguresurlemonumentauxmortsdesonvillage:Gontaud.
DanslesdébutsdecettecorrespondanceconjugaleLéonsembleassezgaidans
lespremiersmois,presque«fanfaron».Maisilmanifesteunecertaineretenue
surlerécitdesévènementscarilcraintquelacensuren’empêcheseslettresde
parvenir à sa femme. Or il est très amoureux de Madeleine et se désole d’être
éloigné de son fils Étienne, si petit qu’il risque d’oublier son père ! Dès les
premiersmois, aprèsle transfertà Draguignan etl’entraînement, sonrégiment
est transféré en chemin de fer vers Montauban puis de là à Paris. Il rejoint
Survilliersavantd’êtreaffectéavecsonrégimentàlaconstructiondetranchées,
prèsdeMourmelonetdeChâlon-en-Champagne.
DeslettresdeMadeleineontétéconservées.Léonaprèsenavoirlucertaines
les renvoyait à son épouse afin qu’elle les garde pour leur fils quand il serait
grand.Léonditàsafemmequ’ilessaiedelirequandilyaunpeuderépit!Cet
agriculteurquiavaitpeul’occasiond’écriredanslaviequotidiennes’estprocuré
unrécitsurGenevièvedeBrabant,héroïnedontilrésumel’histoireàsafemme.
Ilajoutemêmeunecomparaisonentrel’amourcourageuxdeGenevièveetcelui
desonépouseMadeleinequiaffronteseuleletravaildelafermeetl’éducationde
sonfilsÉtienne.
Léon demandedes nouvelles de la foire, des voisins,du travail à la ferme et
aussi de l’état des dépenses. Il donne des conseils à Madeleine pour gérer les
travaux des champs, l’achat des veaux, l’organisation de l’étable. À partir de
décembre1914les lettresdeLéon oscillententrelarévolte etlanécessité dese
résigner. Faut-il comme citoyen continuer à « défendre la patrie » ? Au fil des
mois et des lettres, Léon est gagné par des idées pacifistes. En lisant entre les
lignesonressentladifférencedesituation:les«nous»aufrontetles«vous»à
l’arrière.Ilnotecombientoussontimpuissantsdevantlamachinedeguerre!En
filigrane, l’amour et la tendresse de l’époux envers Madeleine l’amènent à lui
demander pardon d’écrire des choses tristes dans ses lettres. En février 1915 il
écrit « Oui, chère amie, je ne devrais pas te le dire, mais j’ai des moments de
complets découragements, et je ne suis pas le seul… » Mais la colère de Léon
revient vite : « Qu’ils baissent la tête ces provocateurs de guerre, qu’ils se
courbent jusqu’à terre pour supporter le lourd fardeau qui pèse sur leur
conscienceetqu’ilsrougissentquandilsverrontunblessé,uninfirmeetsurtout
une pauvre veuve où s’attacheront deux ou trois petits orphelins, mal-vêtus et
mourantdefaim…»
AufildeslettresLéonessaiededireavecpudeuretmaladresse,lemanqueetle
désiramoureux.Iloseécrirequ’ilarêvédeMadeleineetqu’ensembleilsfaisaient
l’amouravecbonheur.Quelquessemainesplustard,Léonécritàsonépousequ’il
va trouver un de ses camarades de tranchées qui pourra le photographier au
bivouac et envoyer la photo pour Madeleine et le petit Étienne. À partir
d’août 1915, la censure officielle est mise en place. Léon demande à sa femme
d’êtreprudentedansseslettres.Enfinen décembre1915, Léonobtientaprèsle
longtravaildeconstructiondetranchées,quelquesjoursdereposetvientjusqu’à
Mourmelon.Léon écrit à Madeleine pour demanderdes nouvelles de lafuture
replantation de tabac et des difficultés liées à un temps trop pluvieux. Léon
échange à plusieurs reprises sur un sujet qui lui tient à cœur : il veut que son
épouse ait droit à une allocation comme la commission administrative l’avait
annoncé. Malgré les démarches et les lettres on répond à Madeleine que le
revenudelafermedoitluisuffirepourvivreelleetsonfilsenl’absencedupère
defamilleaufront!Madeleinetientaumieuxlescordonsdelaboursemaiselle
doit se résoudre à congédier Jeanne la nourrice qui gardait Étienne quand
Madeleine travaillait aux champs. Léon se fâche dans ses lettres contre « les
nantis»etilimaginedesprojetsd’éducationpoursonfilsquandilrentreradela
guerre:illuiapprendralahainedelaguerre.
Àlafindel’été1915Léonécritpeu,c’estunepériodedegrandesoffensives.
Lorsqu’ilprendlaplumeildécritlesblessés,lesmorts,labouequiengloutittout.
Madeleine répond et évoque les soucis de la ferme, les premières gelées
dangereuses pour le tabac, il lui faut chercher un peu de main-d’œuvre pour
achever les vendanges et ensuite commencer à préparer les semailles. À la mi-
novembreadvientenfinlapermissiontantattendue.C’estlebonheuréphémère
ducoupleetlajoieauprèsdupetitÉtienne.AprèsleretourauFrontleslettresde
Léonsontempreintesdequelqueslignessensuellesetpleinesdetendresseenvers
sonépouse.LeslettressuivantesdeMadeleineparlentdetouslessoucisqu’elle
rencontrepourmenerlesvachesàlapâture.Pourlesramenerlesoirc’estdeplus
enplusfatigant.Elleveutéconomiserlefoinavantl’hiver,carildevraenrester
suffisammentpourtenirjusqu’àlasoudureauprintempssuivant.
Dansleslettresdedécembre1915,Léonn’hésitepasàraconteràsonépousele
vent derévolte qui soufflesur l’armée. Chacun espèrela fin dela guerre et un
phénomène s’ajoute à cela : le rapprochement avec les soldats des troupes
adverses. Ces mouvements de fraternisation ont ébranlé ses convictions. Il
critique désormais la violence des officiers français dont il subit le
commandement.Ilfaitétat detirsdel’artilleriefrançaise contreeux,lespoilus
destranchés,lorsqu’ilsonttentédeserapprocherdes«boches»pourfraterniser.
Léonévoquedanscecontexte«lesassassins»quiempêchentleretouràlapaix.
Enfévrier1916Madeleineadesérieuxsoucisaveclescomptesdelafermeet
l’alourdissementdes dépenses, elle envoie toutes les informations à son époux.
Elle se prive pour lui envoyerquelques colis et un peu d’argent. Léon dans les
lettressuivantesracontequelorsqu’ilécritlanuitilestaccompagnédubruitdes
ratsquigrattententrelescaissesdemunitionsetdegrenadesencherchantdes
débris de nourriture, et quand il n’y a plus rien à grignoter ces rats « font le
sabbat»etempêchentlessoldatsdedormir.
Àlafindel’hiverMadeleineenvoielescomptesàLéon,onylitun«inventaire
àlaPrévert»:dépensesàlafoiredeMarmande,glycérine,50livresdesonpour
les vaches, sucre, savon et huile pour la maison, lait et viande pour le petit
Étienne, sirop, café et chicorée, fil à coudre et salaire de la servante Léonie.
Suivent peuaprès les comptes dumois de mars avecachat de balai, de lessive,
d’échalotesetoignons,dupétrolepourleslampesdelaferme,ducharbon,mais
aussiunpeudechocolat,sansoublierlesfraisderéparationdelasulfateusepour
traiter les vignes. Beaucoup de lettres de Madeleine se terminent par ces
expressions«Adieu,monpetitamouradoré.Jet’envoietousmesbonsbaisers».
Parfoisunecartepostaleimpriméeestjointeàlalettre,c’estlaphotod’unpoilu
qui embrasse son aimée, une phrase imprimée mentionne « Qu’importe la
souffrance,ànotretendreamour?Lebaiserquil’effaceestlemieldelavie».
Léons’inquiètesouventdesavoirsisonfilsnel’oubliepastrop.Madeleinele
rassure et lui raconte en occitan tous les bons mots du petit Étienne. En mars
Madeleines’attardeàrelatersessoucisquotidiens:allerchercherdusablepour
semerlesplantsdetabac,labourer,surveillerleseigle«quimontevite»,acheter
àlafoireunevêle(veaufemelle)de5à6moispourlaferme.Madeleineajoute
qu’elle continue à faire des économies dès que cela est possible et qu’elle s’est
décidée à participer modestement à l’emprunt national lancé par l’État pour
financer la suite de la guerre. Elle espère dit-elle que ces titres permettront de
faire une plus-value dans l’après-guerre. Léon répond qu’il est mécontent de
cette décisiond’utilisation d’une part de leurépargne et il ajoute à lafin de sa
lettre«Situm’aimesneparticipepasàmefairetuer!».
Pendantl’année1917,Léonetsonrégimentsontaffectésàlasurveillancedu
fort de Vaux, proche de Verdun. Les échanges de lettres de cette période font
écho aux disputes des époux à propos des soucis financiers du couple pour la
gestiondelaferme.Madeleineexposequ’elleadesdifficultéspourréglerlebail
en temps aux propriétaires, elle ajoute qu’elle est épuisée par le travail mais
qu’ellenepeutpasreprendrelajournalièreLéoniecarcelaentraînetropdefrais.
LemoraldeMadeleines’assombrit.Àunmoment,elleestsidécouragéequ’elle
envisage de rompre le bail pour les terres Ricaud (nom des propriétaires) et
qu’ellesouhaiteraitchercheruntravail dedomestiquedefermeavec unsimple
salairepournourrirsonfilsetelle.Lesjournéesdejanvieràmars1917s’écoulent
dansunegrandelassituderéciproque.Madeleineestenpleindésarroi.L’hivera
été rude, beaucoup de neige. Léon travaille aux tranchées. L’épouse envoie à
Léon une carte postale imprimée avec une photo d’enfant « graine de poilu !
Comme papa», elle est accompagnéedes baisers d’Etienne.Le petit va bientôt
avoir4ans,ils’exerceàécriresonnomsurleslettrespoursonpèreouàajouter
unpetitdessin!
Enavril1917Léonécritàsonépousequ’ilquittelabouedestranchéesetqu’il
est envoyé à un travail de bureau auprès du commandement du génie. Il est
affectélàcommetéléphoniste.Ilprécisequ’ildoitêtreprésentjouretnuitdans
unpetitbureau,fortheureusementilyaunlitetunpoêleàcharbon.Letemps
luisemblelong,ilchercheàseprocurerdeslivres,ilécritdavantageàMadeleine.
Léon s’inquiètede savoir si Étienne est raisonnableet si sa mère le « corrige»
(sic)suffisamment.Danscertaineslettres,Léonévoqueseslecturesdejournaux,
il a appris l’entrée en guerre des Américains, il s’inquiète aussi beaucoup des
premierséchossurlaRévolutionrusse.QuantàMadeleine,ellefaitdesallusions
danssacorrespondanceàlapropagandedel’Étatsurlesnécessitésdelanatalité
enFrance,maisàquoibonmettreaumondedesenfants,leséleverpourenfaire
de la chair à canon quand ils arrivent à la fleur de l’âge. Elle traite le
gouvernementfrançaisetl’arméed’assassins.
Pendantl’étélesépouxéchangentdeslettresquis’enchevêtrent,surunmême
papier,Léonrépondsurlamissivedesafemmeenécrivantentreleslignesetsur
les bordures des marges, même au dos de l’enveloppe. Il faut croire qu’il n’est
plusenmesuredeseprocurerdupapier.
En août 1917, l’urgence est là, c’est l’époque des combats du Chemin des
Dames. Léon enfin eut une très courte permission. Au retour sur le front, il
n’écrit plus à son épouse que de brèves cartes postales pré-imprimées, il dit
brièvement « nous subissons des bombardements d’enfer » quelques messages
suiventenstyletélégraphique.
Le 10 août Léon est envoyé à son nouveau régiment (le 10e Régiment
d’infanterie). Sa lettre du 13 août fait état de bombardements très violents, il
ajoute:«Espéronstoujoursquandmêmeetattendonsdesjoursmeilleurs».
Léon est tué le 16 août 1917 au Chemin des Dames par « un tir ami » ! La
dernièrelettredeMadeleines’achevaitsurcesmots«Jet’envoiemillebaisers».
Envoyéele14août,elleluifut retournéeparle Servicede laposteauxarmées.
Madeleine apprit le décès de son mari par une missive d’un de leurs amis qui
étaitaufrontdanslemêmerégiment.
FEMMESMOBILISÉESPOURLAPRODUCTIONINDUSTRIELLE
Silamobilisationbouleversel’organisationdutravaildanslescampagnes,ilen
est de même pour l’industrie. Il ne reste dans les entreprises que quelques
ouvriers et cadres hautement spécialisés des industries de défense, des effectifs
nécessairesmais toutàfaitinsuffisantspourassurerlasurviedel’économiedu
paysetlasatisfactiondesbesoinsdesarmées.Lesfemmes,répondantàl’appelde
Viviani, se proposent pour remplacer les hommes mobilisés. Cependant les
industrielsmettentdutempsàlesaccepterentantqu’ouvrières.Lescommandes
del’États’accumulant,ilssevoientobligésdefaireappelàellespourrépondreà
cette demande et cette période coïncide avec la nécessité où se trouvent les
Françaises de travailler pour survivre. Les allocations offertes par le
gouvernement pour compenser la perte des salaires de leurs hommes sont
insuffisantes. Les femmes des mobilisés reçoivent une indemnité de 1,50 franc
parjourmajoréede50centimesparenfantàcharge.Parcomparaison,leprixdu
kilo de viande à cette époque est de 1,50 franc. Ces Françaises, devenues
ouvrières ou employées, doivent s’adapter à ce nouvel environnement qu’est
l’usineeteffectuer,sansformationpréalable,destâchesjusque-làréservéesaux
hommes. Cette adaptation, étant donné la mode qui avait cours avant les
hostilités, passe par une refonte totale des tenues féminines. Les corsets qui
étranglentla taille etles talons hautsqui accentuent lacambrure disparaissent,
libérantlecorpsdesfemmespourlerendreplusdisponibleàl’exercicedeleurs
activités nouvelles. Le plus étonnant est qu’elles parvinrent rapidement, sans
formation à des métiers nouveaux pour elles, à tenir dix heures de travail
journalieretàproduirelesbiensetservicesnécessairesàlaviequotidienneainsi
qu’àlasatisfactiondesbesoinsdel’arméeenguerre.Elless’adaptentàl’usineet
l’usine s’adapte à elles pour améliorer la productivitédu travail. Elles sont à la
base de la mécanisation croissante de cette époque qui réduit la dépense
d’énergie humaine sur les postes où les femmes remplacent les hommes. Déjà
présentesdanslesindustriestextilesetdeconfection,ellesentrentdeplain-pied
dans les industries mécaniques où elles conduisent les machines-outil de
l’époque : tours, fraiseuses, perceuses, rectifieuses et occupent les diverses
fonctionsdeschaînesdemontage.Iln’yavraimentquelamétallurgielourdeet
lesminesauxquelleselleséchappentmajoritairement.Cessecteursd’activitésont
pourvuspardeshommesenaffectationspécialeenraisondeleurscompétences
ouenprovenancedepaysneutresoudepayssousprotectorattelsleMarocou
l’Indochine.
Lestâchesattribuéesauxfemmessemodifientsouslapressiond’évolutionsdu
droit obtenues grâce à des revendications collectives organisées, et grâce à la
priseencomptedelaformationreçue,suiteàl’instaurationdel’écoleprimaire–
 gratuite-obligatoire-laïque – par les lois Jules Ferry de 1881 et de 1882. Le
secteurtertiairedisposeàladéclarationdeguerred’ungisementdecompétences
féminines.Ainsiellesdeviennentcaissièresdebanque,vendeuses,télégraphistes,
opératrices,maisaussidactylos,institutricesetinfirmières.Cestransformations
sont liées à l’évolution économique mais aussi légale. Dans d’autres pans du
secteurtertiaire,leschosesvontégalementtrèsvite.Si,audébutdelaguerre,le
Syndicat des transports parisiens, sous la pression des usagers, s’oppose
vigoureusementàl’embauchedepersonnelféminin,onvoittrèsvitedesfemmes
conduire des taxis et des tramways, la presse devant admettre qu’il n’y a pas
d’augmentationdunombred’accidents!
Dans l’enseignement, grande nouveauté, des femmes professent dans le
secondaireàdesgarçons!Lesinstitutricesremplacentlesinstituteursqui,pour
lamoitiédeleureffectif,ontétéenvoyésaufront.L’enseignementestunsecteur
sensible,chargédel’éveilauxvaleursrépublicainesetpatriotiquedelajeunesse.
Hormis une minorité syndiquée et pacifiste, les institutrices organisent le
patriotismescolaireàl’attentiondes«grainesdePoilus».
Ce sont aussi 18 000 employés des Postes qui sont remplacés par
11 000 femmes seulement, sûrement compétentes puisque les courriers n’ont
jamaisétéaussinombreuxquependantcettepériode!
Dansles secteurs ducommerce et dela petiteindustrie, lorsque leursépoux
ontétémobilisés,desfemmesassurentladirectiond’entreprises,alorsquelaloi
lesconsidèrecommedesmineures…Laseulelégislationfavorableàcesfemmes
est la loi de 1907 pour laquelle Jeanne Schmahl livra un combat de plusieurs
annéeset dont letexte fut portédevant lesdeux assemblées parle députépuis
sénateurLéopoldGoirand.Cetexteprécisequel’épousealalibredispositiondes
sommes obtenues grâce à son activité professionnelle. S’il nous paraît être une
avancée modeste de nos jours, le texte constitue la première brèche dans les
dispositionsduCodeNapoléon.
Ellesparticipentmassivementaudéploiementdetechnologiesdeproductivité
émergentesdontledéveloppementestaccéléréparlaguerre:latéléphonieetla
dactylographie. L’administration, les grandes entreprises créent des milliers
d’emplois de téléphonistes et de « dactylos ». Les moyennes et grandes villes
françaisessedotentde«centrauxtéléphoniques»,quigrâceauxdemoisellesdu
téléphonepermettentàunepartcroissantedelapopulationd’échangerdevive
voixd’uneextrémitéàl’autreduterritoire.

QUELESTLETRAVAILDES«MUNITIONNETTES»?
Plusimportantencore,lesbesoinsdel’industriedeguerreabsorbentunepart
croissante de la population ouvrière féminine. En 1918, 430 000 femmes
travaillentdanslesusinesd’armementnotammentdanslafabricationd’obuset
demunitions,cequi leurvautlesurnomde «munitionnettes»dans lapresse.
Elles interviennent dans tous les postes de fabrication où elles partagent les
tâches des hommes, ouvriers de l’industrie de l’armement, mobilisés pour le
frontpuisrappelésàleursaffectationsprofessionnelles(Cahier-images,Pl.XIV).
La fabrication des corps d’obus à partir de billettes d’acier s’effectue à haute
température, dans des ateliers de forge où les conditions de température et de
poussière sont difficilement supportables. L’emboutissage produit un cylindre
creuxsoumisensuiteaudégrossissagequifermelapartiearrièredel’enveloppe.
«L’ogivage » effectuéégalement àchaud pardes presseshydrauliques ébauche
l’avant pointu de l’enveloppe. La trempe renforce la dureté de l’acier. Ces
opérations de métallurgie sont physiquement, pour celles et ceux qui y
travaillent,lesplusduresdelachaînedefabrication.Onytrouvecependantdes
femmes.ClotildeMulon,médecindutravail,décritl’usineCitroën,àParis,usine
d’automobiles reconvertie pour les besoins de l’armement. Elle souligne la
présencedefemmesdanslesateliersd’emboutissage:
«Toutd’abordceluioùsefaitl’emboutissagedesobus.C’estunénormehall
dans lequel 24 presses sont entourées chacune de démons noirs mâles et
femelles qui manient dans la flamme des obus d’acier incandescents. Dans
uneatmosphèredefour,unhommesortdufeulabarrerougie,laportesur
un étau où, grâce aux gestes d’une femme, un puissant poinçon s’enfonce
commeleferaitledoigtdansdelaglaise.Desétincellesjaillissentcaptéespar
desécrans. Trois secondess’écoulent. L’obustombe, creusé, embouticomme
ondit.Unhommeleprenddansdelonguespinces.Ilestprêtpourlatrempe.
Onle placesurun trottoirroulantquile conduitàun autreatelier.Vingt-
quatre équipes font le même mouvement autour de vingt-quatre machines.
Destachesdefeus’allumentetcirculentdanstoutl’immensehall.Visionde
guerre.[…]Déjànotregroupearrivedansunautreatelier.[…]Quatremille
ouvrièrestravaillentdanscephénoménalatelierconstruitensixsemainessur
l’emplacementdetrente-huitmaisons.»
À la suite de cette métallurgie à chaud viennent les opérations d’usinage
effectuées à froid sur machine-outil. L’ébauche qui sort de la forge est
transforméeenunepiècemécaniquedeprécisionquidoits’ajusterparfaitement
au tube du canon qui doit le tirer. Le corps creux de l’obus reçoit un filetage
creuxpermettantdevisserlafuséequiprovoquel’explosion,et,àl’arrière,une
gorgedestinéeàrecevoirlaceinture.Cettedernièreestunebagued’alliagetendre
quireproduit,encreuxlesrayuresducanon.Ellepermetlamiseenrotationdu
projectileaumomentdutir,cequipermetd’enaccroîtrelaprécisionetlaportée.
Lecontrôledescôtesesteffectuéetenfinleceinturage,oùlabagued’alliageest
abraséesurlecorpsdel’obus.
La suite du processus de production consiste en remplissage des charges
explosives, Le travail des femmes est difficile car elles doivent porter plusieurs
centainesvoire demilliers dekilospar jour.Pour lessoulager, AlbertThomas,
ministre de l’Armement de 1916 à 1917, souhaite une modernisation de
l’outillagemaiscelui-cirestepeuadaptéauxfemmescarilnesupprimepasles
manutentions entre postes de travail. Travailler dans une usine d’armement
représente également un danger, car ce type d’usines est une cible prioritaire
pourlesartilleursallemands.Qu’onimaginel’arrivéed’unobusadversedansun
magasin contenantdes milliers d’obus! Les accidents defabrication aussi sont
nombreux,àl’imagedeceluiquiestsurvenule2février1918àlapoudreriede
Moulinsoù2millionsd’obusontexplosé.
Les lois sur le travail des femmes qui limitent la durée du travail journalier,
interdisent le travail de nuit et imposent les temps de repos hebdomadaires,
existent. Mais devant l’urgence de l’approvisionnement du front, elles sont
ignorées. Les recherches de l’historienne Laura Lee Downs, professeure à
l’universitédeColumbiaetàl’EHESSillustrentlamanièredontcesrèglessont
ignorées au sein des usines Renault, autre usine d’un constructeur automobile
transforméeenusined’armement:
«[…]silacommanded’obusarrivait,lesouvriers,lesouvrièresétaientcensés
rester à l’usine pendant 24 heures voire 36 heures comme ça, jusqu’au
moment où la commande était honorée. Il n’était pas rare de travailler
pendant24heuresoumême36heures.Unefemmerapportequependantles
servicesdenuitauxusinesRenault,certainesdormentdanslesWC.S’iln’y
avait pas eu de dimanche, les trois quarts de ces femmes seraient mortes.
Certaines sont décédées d’ailleurs comme le rapporte le témoignage d’une
autreouvrièresursesconditionsdetravaildurantlaguerre».
Autre témoignage, vécu celui-là, de la dureté des conditions de travail :
Marcelle Capy, journaliste libertaire, travaille incognito dans une usine
d’armement. Elle livre, dans La Voix des femmes, son témoignage, sur la
pénibilitédupostedecontrôledimensionneldesobusenfindechaîne,àlafinde
l’année1917:
« L’ouvrière, toujours debout, saisit l’obus, le porte sur l’appareil dont elle
soulèvelapartiesupérieure.L’enginenplace,elleabaissecettepartie,vérifie
lesdimensions(c’estlebutdel’opération),relèvelacloche,prendl’obusetle
dépose à gauche. Chaque obus pèse sept kilos. En temps de production
normale,2500obuspassenten 11heuresentresesmains.Comme elledoit
souleverdeuxfoischaqueengin,ellesoupèseenunjour35000kg.
Auboutde3/4d’heure,jemesuisavouéevaincue.J’aivumacompagnetoute
frêle,toutegentilledanssongrandtabliernoir,poursuivresabesogne.Elleest
àlaclochedepuisunan.900000obussontpassésentresesdoigts.Elleadonc
soulevéunfardeaude7millionsdekilos.
Arrivéefraîcheetforteàl’usine,elleaperdusesbellescouleursetn’estplus
qu’unemincefilletteépuisée.Jelaregardeavecstupeuretcesmotsrésonnent
danslatête:35000kg.».
Toutes ces opérations de fabrication d’obus reposent sur des manipulations
sans assistancemécanique, à l’exception decelles qui concernent la fabrication
des gros obus de l’artillerie de siège ou de l’artillerie de marine. Les usines
d’armement qui en fabriquent sont équipées de ponts roulants qui permettent
auxébauchesdecirculerd’unemachine-outilàl’autresansqu’ilsoitnécessaire
defaireappelauxforceshumaines.
Lafabricationdesdouillesd’obusfaitappelàlamétallurgieducuivreetdeses
dérivés. La SEMD (Société d’Electro Métallurgie de Dives) a été créée pour
produire des tubes de cuivre ou de laiton à partir d’un procédé d’électrolyse
d’origine britannique (procédé Elmore). L’usine de Dives produit sa propre
électriciténécessaireàl’applicationduprocédé.Commeiln’yaplusdeminesde
charbon en France hormis dans la zone occupée, l’établissement reçoit ses
matièrespremières,charbonetcuivrebrut,depuislaGrande-Bretagne.Unejetée
a été construite en mer pour permettre aux bateaux qui l’approvisionnent
d’accoster.Lasociétéarevendusonprocédéàd’autrescompagniesetouvertdes
filiales. Moins stressant que l’usinage des obus, le travail de fabrication des
douillesoccupeaussidenombreusesfemmes.Onretrouvedouillesetobusdans
lesateliersderemplissage.Lesdouillesreçoiventlachargepropulsivedefulmi-
coton.DanslecorpsdesobuslaMéliniteencoreappeléeacidepicriqueestcoulée
à chaud. Puis les deux, douilles et obus, sont assemblés par forçage. Les obus
« shrapnells » qui éclatent en altitude et dispersent des billes de plomb
meurtrièressontchargésàlapoudrenoire.
Lesmunitionnettestravaillentaussidanslesateliersmalsainsetdangereuxoù
onfabriquelesexplosifs.Le«fulmi-coton»deschargespropulsivesestobtenu
par l’action d’un mélange d’acide sulfurique et d’acide nitrique sur du coton.
L’acide picrique des charges explosives est du trinitro-phénol, qui résulte de
l’action de l’acide nitrique sur le chloro-phénol. Cristallisé, c’est un explosif
brisant puissant. En cas de contact direct, l’acide picrique provoque une
coloration jaunâtre des cheveux et de la peau qui est caractéristique des
travailleursdesentreprisesdemunitions.Lapoudrenoire,mélangedesoufre,de
salpêtre et de charbon de bois pulvérisé part de composants moins dangereux
pourla santéhumaine, maisl’instabilitédu produiten coursde fabricationest
susceptible de réactions spontanées très dangereuses pour les opératrices et
opérateursquiparticipentàsafabrication.Etilyapireencore:lesrisquesliésà
lafabricationdes obusà gaztoxique.Germaine Belloulou,infirmièredurantla
guerretémoigne:
«En1916,lesfemmesontcommencéàtravaillerdanslespoudrières.C’était
effrayantcommeellesétaientjaunesàcausedel’ypérite.Maisellesgagnaient
beaucoup d’argent,alors du momentqu’elles avaient de l’argent,tout allait
bien».
Dansunopusculede1917consacréàlasantédesfemmesautravaildansles
usinesd’armement,leComitéduTravailFémininduministèredel’Armement
émetdesvœuxconcernantlaprotectiondelamaternitéauseindecettebranche
d’activité. Une enquête du professeur Audubert sur les établissements de
Toulouse, portant sur les 4 175 femmes travaillant à la poudrerie, les 7 356
travaillant à l’Arsenal et à la Cartoucherie, révèle que 311 femmes étaient
enceintesàlaPoudrerieet224àl’ArsenaletàlaCartoucherie.Chezlesouvrières
de la Poudrerie, 50 % des grossesses ne sont pas arrivées à terme contre 30 %
chezlesouvrièresdel’ArsenaletdelaCartoucherie.Mêmecedernierchiffreest
supérieur au pourcentage moyen de l’époque. Il trahit l’effet des innombrables
manutentions, de la station debout et des horaires de travail imposés par la
nature du travail des ouvrières. Quant au chiffre effarant des grossesses
interrompues chez les ouvrières de la poudrerie, il est probablement causé par
l’exposition aux produits utilisés pour la fabrication des explosifs et gaz de
combat.
Les munitionnettes sont plus de 430 000 à la fin de la guerre. Le maréchal
Joffreauraitdit:«Silesfemmes,quitravaillentdanslesusines,s’arrêtaientvingt
minutes,lesAlliésperdraientlaguerre.»
Et pourtant, malgré des conditions de travail épouvantables, des risques
d’accidentconsidérablesetunpouvoird’achatenconstanteérosion,lesrévoltes
ouvrières féminines furent peu nombreuses, à l’exception de celles de l’année
1917quisedéroulentdansunclimatgénéralderefusdessacrificesimposéspar
laguerre. Lesouvrièresmultiplient lesgrèves pouraméliorerleur situation,du
moinscellesquiontprisconsciencedeleurpouvoirdenégociation,cequin’est
pas le cas de celles qui travaillent dans l’industrie textile et la confection. La
mémoire ouvrière a conservé des traces de ces luttes de 1917, comme « La
marchedesfemmessyndicalistes»deSaint-Étienne:
«Deboutlesfemmes!
Onnousréclame
Pourboycotterleursprocédés.
Ontuenosfrères.
Assezd’abus,
Nousvoulonsnospoilus
[…]Encestroisansdeguerre
Quel’onnousfaitsubir,
C’estlaclasseouvrière
Quel’onveutasservir.
Serronslesrangs,lesfemmes!
Etcontrecesassassins
Nousenvoulonslafin.
Groupons-nouspourlapaix,
C’estlebonheurqu’onveutdésormais»
La violencedu texte, laisserait penser que la révolutionest proche et qu’une
partiedelapopulationféminineestprêteàsesouleverpourrefuserlaviolence
quiluiestfaite.Etpourtant,avecl’armisticeetleretourdessoldats,lesfemmes
reprennentlaplacequiétaitlaleuravant-guerreetreçoiventpeudetémoignages
de reconnaissance pour leur participation à l’effort de guerre, qu’elles aient
travailléauxchampsoudansl’industriededéfense.Ilestd’ailleursassezétrange
quel’imageriede l’époquequireprésente souventdesfemmes auxcommandes
de machines-outils sophistiquées véhicule une impression trompeuse : non le
savoir-faire des professionnels de la métallurgie ne leur a pas été transmis. Le
réglage des machines, le changement des outils de coupe en fin de vie,
l’ordonnancementdelaproduction,toutcelaaétéfaitparlesprofessionnelsde
l’armementenaffectationspéciale.Généralement,lesouvrièressontcantonnées
à assurer l’alimentation des machines en ébauches et au lancement des
opérationsd’usinage.Comparativement,lespaysannesontbeaucoupplusappris
deleurparticipationà l’effortdeguerre.Ellesontdécouvert parlapratiqueles
techniques de culture et les règles de gestion de l’exploitation. Parmi les
malheureuses qui ont perdu leur mari au front, une part non négligeable se
refuseàcéderleurexploitationqu’ellescontinuentàfairesurvivre.

FEMMESINFIRMIÈRES:LES«ANGESBLANCS»
D’autres femmes encore participent à l’effort de guerre d’une manière
différente : celles que l’on appelle les Anges Blancs. Certaines d’entre elles, au
nombre de 30 000 sont des infirmières militaires. Leur affectation dépend du
service de santé des Armées, ce qui les destine majoritairement aux centres
sanitaires les plus proches du front, ainsi qu’aux hôpitaux permanents des
Régions militaires. En ce temps de guerre, les services de santé des armées
reçoivent le renfort de la Croix-Rouge. Cette dernière réunit trois sociétés
(l’Association des Dames françaises, l’Union des Femmes de France, la Société
française de secours aux blessés militaires ou SSBM). Elle est animée par des
femmesbénévoles.Ilestprévuparlesdécretsde1892puisde1913,qu’encasde
conflit,laCroix-Rougeestàladispositionduservicedesantédesarmées.Pour
se préparer à cette éventualité, sa mission de temps de paix est ainsi définie :
identifier des locaux pour installer des hôpitaux dits « auxiliaires », former du
personnelsanitaireetconstituerunstockdematérielpourlesfairefonctionner.
Dans les années qui ont précédé la guerre, des dispensaires ont été ouverts,
jusqu’aunombrede87,quitoutenapportantdessoinsmédicauxgratuitsdans
des quartiers défavorisés ont servi de centres de formation aux infirmières
bénévoles. Cette association est également forte de 250 000 adhérentes dont
certainesviennentdes classessocialesdominantes, toutescotisantesselon leurs
moyens,cequireprésenteunepuissancefinancièreconsidérable.Aumomentoù
laguerre éclate,laCroix-Rouge dirigeprès de72 000infirmièreset auxiliaires,
réparties dans toutes les structures de soins à l’arrière ou dans les ambulances
prèsdufront:950sontdécoréesdelaCroixdeguerreàcetitre,105sonttuées
sousles bombardements,4600 reçoiventla médailled’honneurdes épidémies,
chiffre qui rappelle le risque auquel sont exposées celles qui soignent les
nombreuxsoldatsdécimésparlesépidémiesdetyphus,detyphoïdeet,dansles
derniersmoisdelaguerre,parlaterrible«grippeespagnole».
Nombredetextesdel’époqueexaltentlerôledel’infirmière:emportéparun
élan de machisme lyrique,Léon Abennour écrit en 1917 dans son ouvrage Les
Vaillantes le texte suivant : « Quiconquepense à la femme française de 1914 se
représente une jeune infirmière drapée dans le voile blanc ou bleu, sémillante
malgrélacoiffemonastiqueoùbrilleunecroixdesang».
Le concours de ces volontaires est indispensable pour le fonctionnement du
servicedesantémilitaire.Ilyeutprèsdetroismillionsdesoldatsfrançaisblessés
ethospitalisés,pendantlesquatreannéesdeguerre.
Le rôle qui fut le leur durant ce conflit se rapproche plus de celui de l’aide-
soignanteactuellequedeceluidel’infirmièrecontemporaine.Lacausedecette
différencetient,biensûr,aucaractèreencorefrustedelamédecinedel’époque,
maisaussi àlaméfiance desmédecinsqu’ils fussentmilitaires,appelés sousles
drapeaux,oucivils,pourcepersonnelinfirmiervolontairedontlacompétenceet
la résilience leur paraissait incertaine. Il faut dire, à leur décharge, que ces
femmes volontaires, souvent jeunes, avaient pour entraînement les soins aux
maladesdes dispensaires dela CRF. Là, ils’agit d’autre chose: le sangpartout
répanduparlesplaiesouvertes,leschairsdéchiréesparleséclatsd’obusàl’acier
coupantetdentelé,lesabdomenslabourésparleséclatsdefontedesgrenadesà
main, les membres qui ne tiennent plus que par quelques tendons, les visages
labourésetméconnaissables.Malgrécetteinhumainehorreur,lesinfirmièreset
leurs aides auxiliaires font leurs preuves dans les hôpitaux de toile installés à
proximité du front et prennent en charge efficacement les évacuations vers les
hôpitaux de l’arrière. Leur participation aux évacuations réduit le nombre de
décèsencoursdetransportenraisondel’attentionqu’ellesportentàl’étatdeces
malheureux:desmotsd’espoiràlaréfectiondespansementsetàlasurveillance
desgarrots,nombred’entreeuxleurdoiventd’êtrearrivésvivantsàl’hôpital.
Le service de santé comporte en plus des hôpitaux militaires des lits
réquisitionnés dans des hôpitaux civils, des hôpitaux auxiliaires gérés par des
directrices de la Croix-Rouge. À Paris on organise des cours pour former des
aides infirmières. L’intérêt était tel qu’il y eut forte affluence de candidates. Le
zèle patriotique s’accompagna parfois de l’espoir d’assurer son sort matériel,
disposerd’unsalaireminimaletêtreindépendante.Pourd’autresfemmescefut
uncertainsnobismepoursevanterparlasuitedesonengagement!Quelques-
unes se sentirent même flattées de porter le costume d’infirmière et d’être
reconnuesdansl’espacepublic.
Lesreligieusesqui,avantlaloide1905,constituaientl’essentieldespersonnels
soignantdeshôpitaux reprennentduservice. Ellessontenviron 10000à s’être
dispersées dans les congrégations déclarées,lors de l’interdiction qui leur a été
faite d’exercer dans les établissements publics de santé. Hospitalières,
FranciscainesetSœursdeSaint-Vincent-de-Paulsontrattachéesdenouveauaux
hôpitaux.Cetteréintégrationauseindelanationaprèslesviolencesmoralesqui
ontaccompagnélapromulgation delaloide séparationapporte dubaumesur
les blessures de 1905. Les sœurs de Saint-Charles de Nancy répondent avec
enthousiasmeàcetactedereconnaissance.LasœurJulie,supérieuredel’hôpital
deGerbéviller,donneasileàmilleblessésqu’ellerefuseobstinémentdelivreraux
Allemands. Le président de la République, Raymond Poincaré, en visite à
Gerbévillerle29novembre1914,décernelalégiond’honneurà«l’infirmièrede
l’hospice-ambulance de Gerbéviller ». Une citation à l’ordre de l’Armée lui fut
égalementattribuée.
Une autre expérience d’infirmière est celle de Thérèse Papillon (1888-1983)
quis’étaitengagéedansleservicedesantédesarméesetavaitservipendantles
bataillesd’Artois,delaSommeetduChemindesDames.Ellefutensuiteaffectée
à l’Armée d’Orient, accepta de servir en Serbie dans la lutte contre le typhus.
Aprèsl’armistice,ellesemitdix-huitmoisauservicedespopulationssinistrées
de l’est du département de la Somme, elle soigna des enfants et consacra ses
efforts à la lutte contre la tuberculose. Sollicitant le préfet de la Somme et
quelques mécènes elle installa un établissement pour enfants tuberculeux dans
l’abbaye de Valloires et y exerça jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Elle
participaen1939/45àlaRésistance.

L’AIDEAUXPOPULATIONSCIVILES:
LESAMÉRICAINESDUCARD

Àlapériphériedecemouvementversleservicedesantédesarmées,ilyeut
l’action privéede responsables féminines américainesqui, comme les aviateurs
volontairesdel’escadrilleLafayette,vinrentserangerauxcôtésdelaFrance,en
remerciement de sa contribution à l’indépendance des États-Unis. Anne Tracy
Morganfutl’unedecesmécènes.Américainefrancophileetphilanthropeelleest
la fille du banquier John Pierpont Morgan. À New York, elle est membre
fondatriceduColonyClub,premierclubpourfemmesdelaville.
AnneMorgan,avecsesamies,lesAméricainesÉlisabethMarburyetElsiede
Wolfe,séjournentrégulièrementenFrance,avantlaguerre,àlavillaTrianon,au
Chesnay,prèsdeVersailles.Lepèred’Anne,lebanquierJohnPierpontMorgan,
décèdeen1913cequilametàlatêted’unefortuneconsidérable.
Enseptembre1914,elleserendencompagniedesesamiessurleterrainaprès
labatailledelaMarne.Finseptembre1914,ellesorganisentauxÉtats-Unisdes
tournées de conférences illustrées par des projections de photographies et de
filmsréalisésparleservicecinématographiquedel’arméefrançaisedanslebutde
collecter des fonds pour l’AFFW (American Fund for French Wounded),
association desecours destinée aux victimes européennesde la guerre. Celle-ci
fournitleshôpitauxetlesambulancesenmatérielmédicaletenvoiedescolisaux
soldats.
Au début de 1916, Anne Morgan revient en France et transforme la villa
Trianon en une maison de convalescence pour soldats. Elle crée une section
civiledel’AFFWpourvenirenaideauxpopulationsquiviventdanslazonedu
front. Ce nouvel organisme, le Comité américain pour les régions dévastées
(CARD), est présidé et dirigé par Anna Murray Dike (1878-1929), médecin
canadienne d’origine écossaise proche d’Anne Morgan. Trois cent cinquante
jeunes américaines y participent. Elles doivent maîtriser la langue française,
posséder leur propre automobile, subvenir à leurs propres besoins et porter
l’uniformetoutaulongdeleurengagementde6mois.
En1917,aprèsl’entréeenguerredesÉtats-Unisetavecl’accorddesautorités
militaires, Anne Morgan et Anna Murray Dike s’installent à Blérancourt, dans
l’Aisne,prèsdufront,danslesquelquesbâtimentsquisubsistentduchâteaudu
XVIIe .Ellesfontédifierdesbaraquementsdanslacourd’honneur,etyinstallent
lesvolontairesaméricainesduCARD.Aidéesd’auxiliairesfrançaisesrétribuées,
lesvolontairesduCARDviennentenaideauxsinistrésetvictimesdelaguerre.
Leur activité couvre de nombreux domaines, en plus de celui de la santé. La
remiseenétatdeslogementsdétruitsparlaguerre,laréouverturedesécolesfont
aussipartiedeleursdomainesd’intervention.Onleurdoitégalementlaremise
sur pied des activités culturelles. Des voitures cinéma permettent de créer des
spectacles de cinéma dans les villages tandis que des tournées de camions
bibliothèquessontorganiséespourremplacerlesfondsdebibliothèquesdétruits
parfaitsdeguerreetproposerdeslecturestantauxadultesqu’auxenfants.
L’action du CARD s’étend bien au-delà de la région de Blérancourt.
À Soissons sont créées des structures d’aide sociale dont le fonctionnement
perdureensuitesouslecontrôledel’administrationfrançaise.Puis,àlasuitede
la réouverture de salles de lecture de la région et de la remise en route de la
bibliothèquede Soissons, uneÉcole américaine debibliothécaires estouverte à
Paris où l’on enseigne, entre autres, le système de classification Dewey. Au
printemps 1918, quand survient la redoutable percée due à l’ultime offensive
allemande, tous leurs efforts de reconstruction dans la région de Blérancourt
sont anéantis. Anne Morgan et Anna Murray évacuent les populations
abandonnées par le repli de l’Armée française et les rapatrient vers Paris où le
Quartiergénéral leurdonne des locauxboulevard Lannes.Dès quela situation
militaire est devenue favorable aux Français, elles reconduisent cette même
populationversl’Aisne.
Après la guerre, le CARD participe à la reconstruction de la région.
L’association L’Hygiène sociale de l’Aisne (HASA) est créée : elle emploie des
FrançaisesrecrutéesàlaMaisondesantéprotestantedeBordeauxdirigéeparle
DrAnnaHamilton.
En1924,ellefondele«Muséehistoriquefranco-américain»danslechâteau
deBlérancourt; cedernieretses collectionsfurentensuitedonnés àlavillede
Blérancourtetdeviennenten 1931leMuséenational delacoopérationfranco-
américaine.En1932,AnneMorganestlapremièrefemmeaméricaineàdevenir
commandeurdelaLégiond’honneur,dontelleétaitdécoréedepuis1924.
Dansunautre domainesesituel’œuvre philanthropiquede GraceWhitney-
Hoff née aux États-Unis en 1862. Elle vient s’installer en France en 1900, avec
sonépoux,l’undesdirigeantsdelaStandardOilCompany.GracefondeàParis
en1906leStudentHostelafind’accueillirdesjeunesfillesdumondeanglo-saxon
quiviennent étudierdansles universitésfrançaises.Pendant laguerre de1914,
GraceWhitneyestmarrainedeguerred’unrégimentd’infanterie,parlasuiteelle
transformesonchâteaudePeyrieu(Ain)pourenfaireunemaisonderetraitedes
veuves de guerre. Elle fait aussi reconstruire en 1926 le Student Hostel en
modernisant et agrandissant ses équipements, au 93 Bd Saint-Michel. Des
étudiantes de toutes nationalités y sont accueillies, y compris des boursières.
Grace fait don de cet établissement à l’université de Paris en 1936. Ce foyer,
devenumixte,existetoujours.

FEMMESCHIRURGIENNESETACTIONSSURLEFRONT
À l’époque du début de la Grande Guerre, un certain nombre de femmes
avaient réussi à franchir, non sans peine, le machisme latent des milieux
médicaux et à obtenir leur doctorat. Animées d’un élan patriotique méritoire,
nombre d’entreelles se rendent dans les bureaux demobilisation, pensant que
leurscompétencesseraientutilesdanslesservicesdesantédesarmées.Hélas,les
médecins militaires considèrent que les femmes n’ont pas leur place dans les
ambulancesduchampdebataille.
Seule, Nicole Girard-Mangin, née à Paris en octobre 1878 et décédée en
juin 1919 dans la même ville, fut acceptée (Cahier-images, Pl. XIV). Unique
femmemédecinaffectéeaufrontdurantlaPremièreGuerremondiale,ilsemble
quesonincorporationsoitliéeàuneerreurdelecturequifitdeGirardMangin,
« un » Gérard Mangin. Mobilisée à la suite de cette probable erreur
administrative le 2 août 1914, elle occulte sa condition féminine et se porte
volontairepourexerceràVerdun.
NéeàParisdeparentsoriginairesdupetitvillagedeVéry-en-Argonne,elleest
issued’unepetitebourgeoisieassezaiséepourqu’à18ans,elleentamedesétudes
de médecine. Mariée en 1899 avec André Girard, elle met au monde un fils,
Étienneetabandonnesesétudespourtravaillerauxcôtésdesonmari.Divorcée
en1903,ellerevientàsesétudesdemédecineetprésenteen1906sathèsesurles
poisons cancéreux. Elle intègre en 1914 le dispensaire anti-tuberculeux de
Beaujon. Lorsque la guerre éclate, elle se porte volontaire. L’administration,
malgré son erreur sur le sexe de l’aspirante, la mobilise, l’armée manquant de
médecins. Suprême insulte, elle est incorporée comme médecin auxiliaire avec
une solde d’infirmière et on lui donne un uniforme de femme-médecin de
l’arméeanglaise,jupeaurasdusol,dolmanetcasquetteplate,aucundirigeantdu
service de santé des armées n’étant capable d’imaginer qu’avec quelques
aménagements, on aurait pu lui trouver une tenue qui l’intègre un peu mieux
parmi sescollègues. Arrivée au fortde la Chaume, lemédecin chef lui interdit
l’accès aux salles des blessés. On l’affecte, avec pour toute aide une douzaine
d’infirmiers,auxsoinsdes800typhiquesdusecteurdeVerdunregroupésdansla
caserne de Glorieux qui, comme le reste du secteur croule sous les bombes le
21 février1916. Lorsquel’ordre d’évacuationest donné, NicoleGirard-Mangin
ne peut se résoudre à abandonner les neuf blessés intransportables de son
service.Lorsqu’il estquestion d’évacuercinq soldats survivantsnécessitant une
hospitalisation, elle organise un convoi automobile, au mépris des obus qui
pleuvent.Affectéeensuiteàl’hôpitalauxiliairedeVadelaincourt,ellepratiquela
chirurgiedeguerre.Ilsembleaussiqu’àcetteépoqueelleaitsillonnéégalement
lechampdebatailleencamionnetteavecunbrancardieretuninfirmierafinde
prodiguerlespremierssoins.
ElleestenvoyéeensuitedanslaSommepuisdanslePas-de-Calais,àl’hôpital
deMoulle,oùelledirigeunservicedetraitementpourtuberculeux.Malgréses
nombreux heurts avec l’administration militaire, elle est nommée médecin-
major,endécembre1916,avecrappeldetraitement.ElleestalorsaffectéeàParis
oùellesevoitconfierladirectiondel’hôpitalÉdithCavell,qui,outresesservices
médicauxetchirurgicaux,abriteuneécoled’infirmières.
Aprèslaguerre,dansunbutmémorieletpacifiste,elledonnedesconférences
surlerôledesfemmesdurantlaGrandeGuerre.Ellemiliteégalementdansune
association féministe et participe à la création de la Ligue nationale contre le
cancer.Alorsqu’elleprépareunetournéeinternationale,elleestretrouvéemorte,
d’uneoverdosemédicamenteuseenjuin1919,victimedusurmenageousuicidée
dansunaccèsposttraumatique,aucôtédesonchienDun.Uneautrehypothèse
serait qu’elle se soit suicidée, se sachant atteinte d’un cancer incurable. Malgré
son héroïsme, jamais, elle ne reçut aucun témoignage de reconnaissance de la
nation.Ilrested’elleunportraitphotographiqueetunmessagededouceuretde
légèretéquidittoutesagrandeur:
« Il est fort probable que peu d’années, que dis-je, peu de mois après notre
victoire, j’aurai un sourire amusé pour mon accoutrement singulier. Une
penséecritique pour l’affectionque jeporte àDun, ma chienne.Ce seradu
reste injuste et ridicule. Je dois à ma casquette d’avoir gardé une coiffure
correcte,mêmeendormantsurdesbrancards;d’avoirtenudesheuressurun
siège étroit sansgêner le conducteur. Je dois à mes multiplespoches d’avoir
toujourspossédélesobjetsdepremièrenécessité,uncouteau,ungobelet,un
peigne,delaficelle,unbriquet,unelampeélectrique,dusucreetduchocolat.
Je dois à ma chienne, née et élevée là-bas bien des minutes d’oubli, son
attachementdésintéressém’aétédoux.Enfin,jedoisàmescaducéesetmes
brisquesleprestigequ’ilm’afalluparfoisauprèsdesignorantsetdessots.»
Une autre figure est celle de Suzanne Noël (née en 1878) qui avait fait des
étudesdemédecineetavaitcommencéuneformationenchirurgie.Dès1916elle
seformaauxtechniquesdelachirurgieréparatriceàl’hôpitalmilitaireduValde
Grâce. Dans des conditions précaires elle opère des soldats défigurés, les
«gueulescassées»etsoutientparlasuitesathèseen1925danslaspécialitédela
chirurgiedereconstruction.
NicoleGirardManginetSuzanneNoëlnefurentpasaccueilliesavecchaleur
dans le milieu des soins aux blessés de guerre, il en fut de même pour Marie
Curie. La physicienne deux fois « Nobélisée », maîtrisait la physique des
rayons X, découverts par Wilhelm Röntgen, en 1895 et utilisés en radiologie
médicaleparAntoineBéclèreàpartirde1897.
En juillet 1914, Marie vient de déménager son ancien laboratoire dans un
nouveaubâtimentquis’appellel’Institutduradium,dansleVearrondissement
deParis.Lelaboratoiredanslequelelleeffectuesesrecherchesvoisineaveccelui
dudocteurRegaudquieffectuedesrecherchessurlesapplicationspossiblesdes
rayonsX etdu radiumau traitementdes tumeurscancéreuses.À la suitede la
déclaration de guerre, elle est contactée par le ministère de la Guerre, à la
demandedu docteur Béclère, pourremplir deux missions :former rapidement
des opérateurs radiographes pour qu’ils travaillent auprès des chirurgiens
militairesalorsqu’iln’yaque175médecinsradiologistesenFranceetmultiplier
lesinstallationsderadiographie.Pourrépondreàcettemission,MarieCuriemet
en veille les activités de l’Institut du radium et le transforme en établissement
d’enseignement de la radiologie pratique. Elle forme des infirmières qu’elle
préfèreauxmanipulateursmilitairesmasculins.Ellechoisitlesfemmesqu’elleva
formerenfonctiondeleurniveaudeconnaissanceenphysiquethéorique.Elleva
au-delà de la mission qui lui a été confiée. Elle imagine de rapprocher les
installations de radiologie au plus près du front et des hôpitaux de campagne
pour apporter les informations nécessaires à une intervention efficace sur les
blessures le plus tôt possible. Elle lève des fonds pour transformer dix-huit
voitureschirurgicales, les célèbres« auto-chir »en autant de «petites Curies »
équipées de matériel radiologique. Pour produire l’électricité nécessaire à la
radiologie,onainstalléunedynamoquiestentraînéeparlemoteurduvéhicule.
Ces voitures partent dans le Nord et dans l’Est de la France. En 1916, Marie
Curieobtientsonpermisdeconduireetpartrégulièrementsurlefrontréaliser
desradiographies.ElleestrejointeparsafilleaînéeIrène(lafutureIrèneJoliot
CuriePrixNobelà sontour),âgéedemoins dedix-huitans,qui faitdemême
dansplusieurshôpitauxdecampagneduranttoutelaguerre.MarieCurieaaussi
participé à la création de 150 installations fixes de radiologie, au sein des
hôpitauxmilitaires.

DESINFIRMIÈRESDECHOC,
MAISSOUVENTSANSDIPLÔMES

La population des infirmières a sociologiquement contribué à l’unité


nationale, dans la mesure où leur rôle d’assistance auprès de tous ceux qui
souffrentamisàmaldespréjugéssociauxbienancrés.Femmesdumondeoude
labourgeoisie,jeunesfillesdemilieumodeste,toutessoignèrentindifféremment
des officiers issus de l’aristocratie, des soldats, venus du monde paysan et du
monde des artisans, des commerçants, des ouvriers. Les unes et les autres
apprirentledévouementmaisaussiconnurentlareconnaissancedesblessés.Un
rare témoignage de l’une de ces bénévoles, Madame Letrosne qui travailla à
l’hôpital bénévole 95 bis de Biarritz raconte la relation qu’elle entretient avec
« ses » blessés et décrit le groupe des personnels de santé de l’hôpital. Elle dit
travailler avec « une baronne, une comtesse, une veuve russe de mauvaise
réputation, une gigolette peu correcte ». Les blessés arrivent dans un état de
saletéépouvantableetsontcouvertsdepoux.Aussilessoinslesplusélémentaires
doivent leur être donnés avant qu’ils puissent être pris en charge par les
médecins.Lessouffrancessubiessonttrèsélevéesàcausedumanquechronique
d’anesthésiants et d’opiacées. Madame Letrosne, à part le cas de quelques
individushorsnormesauxrelationsdifficilesselied’amitiéavecla plupartdes
hommes qu’elle soigne. Elle entretient une correspondance avec beaucoup
d’entreeuxaprèsleursortied’hôpital.Plusieursd’entreeuxluidemandentd’être
leurmarrainedeguerre.Pourcertainesfemmesletravailàl’hôpitalfutunrefuge
pour lutter contre le souvenir du fils mort au front ou du mari absent : pour
d’autresl’hôpitalfutunlieuoùellesdécouvrirentleurscapacitésd’organisation,
où elles assument des responsabilités dont elles s’ignoraient capables. Cette
formededévouementlesexalte,enraisondel’admirationquileuresttémoignée
etdel’atmosphèredegratitudedanslaquelleellesvivent.Pourlesjeunesfillesde
la bourgeoisie le service à l’hôpital fut un choc et un changement total
d’environnementetd’activité.Confrontéesàlasouffranceetàlamort,ellessont
arrachéesaux représentationsrassurantessur l’amourvécudans uncouple uni
par le sacrement du mariage, conforté par les maternités heureuses. Fin de
l’étude des arts d’agrément qui doivent retenir sur sa personne le regard du
prince charmant. Le prince charmant meurt sous leurs yeux après avoir été
écraséparlesobusallemandsdanslebourbierdeVerdun.Biendesrévoltéessont
issuesdecetteterribleexpérience.
Cegenred’expérienceestceluideGermaineSellier,filled’unépicierquis’est
enrichi avant la guerre et qui fait partie de la bourgeoisie aisée parisienne.
Comme bon nombre de jeunes filles de son milieu elle participe d’abord à
diversesœuvressocialesquiconcourentàl’effortdeguerre,puiselleassisteaux
formationsd’infirmièresdelaCroix-Rougefrançaise.Dèsledébutdelaguerre
elle est mobilisée comme infirmière major et se retrouve proche du front, à
Soissons. Elle est aux côtés de Jeanne Macherez, veuve d’un sénateur et
responsable d’ambulances. Pendant plusieurs mois de 1914 à 1915 les deux
femmes vivent le plus souvent sous les bombardements et soignent les blessés
dansles cavesen attendant depouvoir lesfaire transporter.Lorsque laville de
Soissons est reprise par les Français, les deux infirmières sont considérées
commedeshéroïnesdeguerre,modèlesdecourageetdepatriotisme.Ellessont
toutesdeuxdécoréesdelaCroixdeguerre.Germaine,hélas,apprendlamortde
sonfiancé,tombéau front.Elleaalors 23ans.En1917, elleépouseunofficier
Henri Malaterre. Après la guerre, influencée par le mouvement chrétien fondé
parMarcSangnier,Germaines’engagedansunféminismeréformisteetdansle
pacifisme.Ellevadevilleenville,danstoutelaFranceoùelleportelemessage
pacifiste d’une ancienne combattante. Elle est la première déléguée française à
intégrerlaSociétédesNations.
Il est un fait, dans l’histoire de cette guerre qui a rarement frappé les
historiens : les drames de la Seconde Guerre mondiale et les réactions des
populationsqu’ellesprovoquentsontdéjàpréfigurésparl’occupationdesrégions
nordetestdelaFrance.Pendantlaquasi-totalitédeshostilités,cesrégions,ainsi
que la Belgique ont étégouvernées sous le régime de la loi martiale allemande
qui,selonlestémoinsdeceuxquiontvéculesdeuxguerres,futplusdureencore
que celles du régime collaborationnisteissu de la défaite de la Seconde Guerre
mondiale.Lalignedefrontajouélerôlequifutceluidelalignededémarcation
vingt-cinqansplustard,àceciprèsqueleshostilitésn’yontjamaisétéremplacée
parlapaixarméequiaexistéuntempssurlalignededémarcation.Malgréces
différences, il existe au cours de la Grande Guerre une zone occupée, où les
conditionsdeviesontpiresencorequ’àl’«arrière».L’arméeallemandes’ylivre
à un pillage des ressources pire que les réquisitions du ministère de la Guerre
français.Lespopulationsdelazoneoccupéesouffrentdufroidetdelafaim.En
1915,lesAllemandss’emparentdestroisquartsdelarécoltedebléetdepommes
deterre.Lesoccupantssesaisissentdubétail.Fin1918,l’effectifduchepteldes
territoiresoccupésestréduitauquartdeceluid’avant-guerre.
La famine menace dès l’automne 1914. La question du ravitaillement est la
principalepréoccupationdel’administrationfrançaisedesterritoiresoccupésqui
recherchent des secours auprès de pays neutres. L’emploi a diminué, car de
nombreuses industries ont eu leurs machines démontées et envoyées en
Allemagne pour satisfaire aux besoins de guerre. À partir de fin 1916, les
équipementsrestésenplaceetlesbâtimentssontsystématiquementdétruits.La
future concurrence locale de l’industrie française en cas de victoire de
l’Allemagneestréduiteànéant.Lorsdureculdel’arméeallemandeenseptembre
et octobre 1918, les installations minières de surface sont dynamitées et les
galeriesd’exploitationnoyées.
Dès leur arrivée, les Allemands réquisitionnent les automobiles, puis les
bicyclettes. Vient ensuite la confiscation des appareils téléphoniques et radio.
Mêmelespigeonsvoyageurs,nombreuxdanslarégiondunord,sontabattusde
craintequ’ilsneserventdemoyendetransmission.
Les déplacements en zone occupée, d’une commune à une autre nécessitent
l’autorisation des autorités allemandes. Il est indispensable de disposer d’un
laissez-passer (Ausweis) pour pouvoir circuler. Les infractions à ces règles de
circulationssontsanctionnéesd’emprisonnementoud’amende.Cesentravesàla
libertédéveloppentchezlespopulationslesentimentdevivredansuneprisonà
cielouvert.
L’échangedecorrespondanceaveclaFrancenonoccupéeestinterditjusqu’en
1916. Seule la correspondance avec les prisonniers de guerre de la famille est
autorisée,àraisond’unecartepré-impriméeparmois,viséeparlacensure.Tous
les journaux existant au moment de l’invasion sont fermés. Seule paraît la
GazettedesArdennes,journaldepropagandeallemand.
Les nouvelles du front ne peuvent filtrer que grâce à des publications
clandestines à très faible diffusion que des groupes de résistance s’obstinent à
publier malgré le danger. En pratique, la majorité de la population reste dans
l’ignorancedesévénementsextérieurs.
L’arméeallemandeserendcoupabledenombreusesexactions:pillages,viols,
destructionssontmonnaiecourantelorsdel’invasion.Legouvernementfrançais
adresseseulementen1916auxpaysneutresetalliésunrapportquidénonceles
actes des Allemands contraires aux Conventions de La Haye. La question des
violsdeguerreestloind’avoirétéélucidée.DanslaculturedeguerreenOccident
au XXe siècle, le corps des femmes reste une partie du butin. Quant aux
naissancesissues des viols,les esprits restentparalysés face àla détresse età la
répulsion des mères. Il y eut des procès pour infanticide et des débats sur
l’avortement, ainsi que sur l’accouchement sous X. Les féministes prennent la
parolesurcessujets:cellesquiadhérentaucourantréformistesontopposéesà
l’avortement et plutôt favorables à l’abandon des enfants issus de viols. Les
adhérentes à d’autres courants demandent pour ces enfants des sortes de
parrainages ou « marrainages », complémentaires à l’action de l’assistance
publique.

FEMMESDEL’OMBRE:RÉSISTANTESETESPIONNES.
AIDERLESALLIÉS
Après les horreurs de l’invasion, les habitants et habitantes subissent les
rigueurs de la loi martiale. Ils sont obligés de délaisser tout ou partie de leurs
habitatspour le logementde soldatsou officiers allemands.La kommandantur
estconscientedesrisquesd’attentatscontresestroupes.Aussimet-elleenplace
unsystèmededéportationd’otages.Unvastecampdedétentiond’unecapacité
de10000personnesestbâtiàHolzminden,danslenord-ouestdel’Allemagne,
enBasseSaxe.Lecampestdestinéàrecevoirdesressortissantscivilsdesnations
de la Triple Entente habitant les zones occupées (Cahier-images, Pl. XIV). De
plus,touteslesvillesdesterritoiresoccupésdoiventfournirunquotadenotables,
femmesetenfantscompris,destinésàêtredéportésdanscecamp.Cesderniers
saventquesiunattentantestcommisdansleurvilled’originecontrelestroupes
allemandes,ilssontdestinésàêtrefusillés.Lapoignedeferallemandeprovoque,
enzone occupée,lesmêmesréactions quecellesque connutla Franceoccupée
vingtans plustard.Des femmeset deshommes refusentl’humiliationqui leur
est infligée et entrent en guerre secrète contre l’occupant : l’information
clandestine des populations, le recueil du renseignement militaire, l’assistance
aux évadés qui rejoignent une zone d’où ils peuvent reprendre le combat, le
sabotage.Certaines sourcesestimentle nombrede résistantsactifs à3 000.On
estime que 300 d’entre eux furent fusillés. Les Allemands leur opposent des
services de police qui parviennent à infiltrer certains réseaux. C’est ainsi que
tombent les réseaux Jacquet, Trulin et Louise de Bettignies dans la région de
Lille.EugèneJacquetestunrichenégociantenvinlillois.Ilestsocialiste,franc-
maçon,secrétairedelaFédérationduNorddelaLiguedesDroitsdel’Homme.
Le réseau qu’il dirige recueille des fonds destinés à financer son activité
clandestine. Il cache les fugitifs et organise leur évasion vers la Hollande, pays
neutre, via la Belgique. Eugène Jacquet est aidé dans sa tâche par George
Maertens, Ernest Deceuninck, et le passeur belge Sylvère Verhust. Cette filière
d’évasion efficace prend le nom de Comité Jacquet. Elle reçoit l’aide de
nombreuxpatriotesquineseconnaissantpasentreeuxetquin’ontdecontact
qu’avecunseuldesmembresducomité.Cedernierpermetl’évasiond’unpilote
anglais abattu au-dessus du territoire occupé. Mal inspiré, ce dernier laisse en
Franceuncarnetdanslequelilaconsignélerécitdespréparatifsdesonévasion.
Il ajoute à cette bourde une provocation dont il aurait pu s’abstenir. Il revient
survolerlaKommandanturlilloiseetlargueuncourrierdanslequelilnarguele
gouverneurmilitaireallemandVonHeinrich.Grâceauxinformationscontenues
dans le carnet du pilote anglais, les Allemands arrêtent 200 personnes. Eugène
Jacquetetsestroiscomplicessontfusillés.Unmonumentàleurmémoireaété
édifiéen1929surl’esplanadedelaCitadelle.
Lesfemmesprirentunepartimportantedanscetteguerredel’ombre.Louise
de Bettignies est, avec Édith Cavell, à l’origine d’un type de réseaux construits
autourd’uneactivitéinitialedesoinsauxblessés.NéeàSaint-Amand-les-Eaux,
elle acquiert à l’issue de ses études universitaires une parfaite maîtrise de la
langue anglaise et possède aussi une bonne connaissance de l’allemand et de
l’italien,aprèsavoirexercédesfonctionsdegouvernanteouderépétitricedans
différentesfamillesaristocratesd’Europe.
Au moment de l’invasion de 1914, Louise et sa sœur vivent dans la maison
familiale à Lille. Leur mère fuit l’avancée allemande et trouve refuge à Saint-
Omer. Madame Féron-Vrau(1869-1927), amie de leur famille et fondatrice de
l’hôpitaldelaCroix-RougedeLille,lesrecrutetoutesdeuxcommeinfirmières.
Du 4 au 13 octobre 1914, les troupes lilloises refusent de se rendre malgré
l’écrasante supériorité numérique de l’ennemi. Elles se battent sous un déluge
d’artillerie qui réduit le quartier de la gare à un monceau de ruines. Louise de
Bettignies et sa sœur participent au ravitaillement en vivres et munitions des
soldatsquisebattentcontrelesassiégeants.Aprèslecessez-le-feu,ellessoignent
indifféremmentlesblessésdesdeuxcampsdansdeshôpitauxdefortune.Louise
rédige des lettres destinées aux familles, sous la dictée de soldats allemands
mourants.
Àlafindel’année,elleacceptedepasserenFrancenonoccupéequelquetrois
cents lettres, qu’elle avait recopiées à l’encre invisible sur ses vêtements. Elle
entreprendlevoyagepourarriveràBoulogneetrejoindresamèreàSaint-Omer.
Au cours de ce séjour elle est contactée par le Deuxième bureau français et
l’IntelligenceServiceanglaisquisouhaitentmettreenplaceàLilleunservicede
renseignements. Sous le pseudonyme d’Alice Dubois, elle crée et dirige depuis
sondomicile,avecl’aidedeLéonieVanhoutte,unvasteréseaudansleNorddela
France. Elle centralise les observations recueillies par ses informateurs sur les
mouvementsdestroupesallemandes.Pendantlesneufmoisdesapleineactivité
(janvier à septembre 1915), l’état-major britannique estime que la centaine de
personnes du réseau d’Alice a permis d’épargner la vie de plus d’un millier de
soldatsbritanniques.
ArrêtéeparlesAllemandsen1916avecplusieursdesescollaborateurs,elleest
jugéeetcondamnéeàmort.Sapeineestcommuéeendétentionenforteresse,à
perpétuité. Léonie Vanhoutte est condamnée à 15 ans de prison. Louise est
internéeàlaforteressedeSiegburgousetrouveégalementlaprincessedeCroÿ
arrêtée,elle,enraisondesonappartenanceauréseaud’EdithCavell.Elletombe
malade, est mal opérée d’un abcès du poumon et meurt, probablement de
septicémieàl’hôpitaldeCologneoùelleaététransportée.En1920,soncorpsest
rapatriéenFrance.MgrCharost,évêquedeLille,dansl’homéliequ’ilprononce
aucoursdelacérémonieusedecettecomparaison:
« Aux époques de la grande pitié nationale, des femmes ont toujours surgi
commeJeanned’Arcou LouisedeBettignies.Chez labonneLilloisecomme
chez la bonne Lorraine, c’est le même amour frémissant pour la patrie, la
mêmevolontéinvinciblepourrepousserlesmenacesetaccepterlemartyre.»
Édith Cavell est britannique, née dans le Norfolk, où son père, le révérend
FrederickCavell,estprêtreanglican.En1884,soncursusd’étudesestvalidépar
lediplômed’institutrice.En 1896,elleentreauRoyal LondonHospitalcomme
aideinfirmière,puistravaille,entre1903et1907,commeinfirmièrelibérale.
En 1907, elle rejoint Bruxelles où elle est nommée, par le docteur Antoine
Depage fondateur de la Croix-Rouge belge, infirmière en chef à l’institut
Berkendael. En octobre 1907, Antoine Depage fonde, dans la banlieue de
Bruxelles,uneécoled’infirmièreslaïque.IlenconfieladirectiongénéraleàÉdith
Cavell. L’école comprend cinquante chambres d’internat pour les élèves
infirmières, un institut médicochirurgical, avec deux salles d’opération et une
capacitéd’hospitalisationluipermettantderecevoirunevingtainedemalades.
Au début de la guerre, l’école est placée sous la responsabilité de la Croix-
Rouge. Édith Cavell, avec ses élèves et Miss Wilkins (une autre infirmière
anglaise),soignelesblessésdesarméesalliéesetallemandes.
Agentdesservicesderenseignementbritanniques,elleparticipeàlaguerrede
l’ombreenorganisantl’exfiltrationdesoldatsalliésdelaBelgiqueoccupéevers
les Pays-Bas, qui sont un pays neutre. Son réseau d’évasion s’appuie sur des
collaborateursbelgesdelarégiondeMonsetdesfrançaisdelarégiondeLilleet
de Valenciennes. La princesse de Croÿ met à disposition son château de
Bellignies qui sert de refuge aux candidats à la traversée de la frontière.
À Bellignies les arrivants sont souvent envoyés par Louise de Bettignies. Le
prince de Croÿ assure seul les départs. Louise Thuliez et Henriette Moriamé
assurent les soins aux blessés ainsi que les approvisionnements. Il arrive un
moment oùBellignies est si plein de candidatsau départ que les deux femmes
sontsurlepointdeleursuggérerdeseconstituerprisonniersauprèsdel’armée
allemande.C’estalorsqu’ellesapprennentquel’institutBruxelloistransforméen
hôpitaldelaCroix-RougeetdirigéparÉdithCavellsertdepointdedépartàune
organisationd’exfiltrationefficace.Unecollaborationentreces deuxréseauxse
metenplace.
Malheureusement, en juin 1915, deux hommes se présentent à l’institut
commesoldatsfrançaisenfuite.L’unestunsoldatfrançaispasséauservicedes
Allemands, l’autre est un agent allemand. Le démantèlement du réseau
commence le 31 juillet 1915 avec les arrestations de Philippe Baucq et Louise
Thuliez suivies le 5 août par celles d’Edith Cavell, de la comtesse Jeanne de
BellevilleetdelaprincesseMariedeCroÿ.LouisedeBettigniesest,elle,arrêtéele
20octobre1915.
Parmi les co-inculpés, figurent également de nombreux autres patriotes
commelepharmacienLouisSeverin,l’avocatAlbertLibiez,lescafetiersPansaers
et Rasquin, ou l’aubergiste, cabaretier et maçon François Vandievoet, et aussi
Edmond-Charles Lefebvre qui est condamné à huit ans de travaux forcés bien
qu’ilnesoitpasmajeur.
ToussontincarcérésàlaprisondeSaint-Gillesetjugésles7et8octobre1915.
ÉdithCavellnesedéfendpas,admettantlesactesquiluisontreprochés.Sixdes
accusés sont condamnés à mort le 11 octobre 1915. Ces condamnations,
lorsqu’elles sont connues, provoquent un énorme mouvement d’indignation
danslapressedespaysneutres.
PourcoupercourtàlaprotestationorganiséeparlesambassadeursàBruxelles
desÉtats-Unis,BrandWhitlocketd’Espagne,lemarquisdeVillalobar,leconseil
deguerreallemand,faitexécuterPhilippeBaucqetÉdithCavelllelendemain.
Les condamnations à mort de Louise Thuliez, Jeanne de Belleville, Louis
Severin et Albert Libiez sont commuées en peine de prison à perpétuité. Les
autres inculpés sont condamnés à des peines de prison ou de travaux forcés.
AprèsunséjourdequelquesmoisàlaprisondeSaint-Gillesnombred’entreeux
sontdéportésenAllemagneàlaforteressedeSiegburg,làoùestinternéeLouise
deBettignies.
L’exécution choque le monde entier et déchaîne partout l’opinion publique
contre les Allemands. Édith Cavell est considérée en Grande-Bretagne comme
unemartyre.LesAllemands,prisdecourtparl’indignationdupublic,s’avèrent
incapablesdelacontrecarrerefficacement.Àlasuitedecetteexécutionlegénéral
Sauberzweig,gouverneurmilitairedeBruxelles,estrelevédesesfonctions.
Cettevagued’indignationvients’ajouteràcellequiaétéprovoquéele7mai
1915parletorpillageduLusitaniaparunU-Bootallemand.LeRMSLusitania,
paquebot transatlantique britannique de 2 000 passagers coule en 15 minutes
provoquantlamortde1200personnes,parmilesquelles136citoyensdesÉtats-
UnisetMarieDepage,épousedufondateurdelaCroix-Rougebelge.Cesdeux
évènementssontdevenusdesélémentssignificatifsdelapropagandebritannique
anti-allemandeetdel’hostilitéinternationalegrandissanteàl’égarddel’Empire
allemandquicontribuentàladécisiondesÉtats-Unisd’entrerenguerreen1917.
Pour Stefan Zweig, « L’exécution de l’infirmière Cavell, le torpillage du
“Lusitania” furent plus fatals à l’Allemagne qu’une bataille perdue, grâce à
l’explosiond’universelleindignationqu’ilsprovoquèrent».
L’importance du renseignement militaire a été mise en évidence par ces
premiers réseaux de résistance dont la création est spontanée et dont les
initiateurs n’ont reçu aucune formation préalable en matière de guerre de
l’ombre. Les états-majors des armées française, belge et britannique disposent
avant la guerre de services de renseignement munis de moyens limités et aux
doctrines d’emploi divergentes. L’entente ne règne pas entre les alliés, chacun
essaiedemettreagentsderenseignementetréseauxsoussapropreautorité.Siles
servicesfrançaisontquelqueretarden1914,laBelgique,encoursderestauration
de son armée à la veille de la guerre, ne peut faire concurrence. Elle travaille
cependant avec ses alliés et fournit plusieurs milliers d’informateurs qui
travaillentdanslesterritoiresoccupésdelaBelgiqueetdelaFrance.Développés
depuis1909,lesservicesbritanniquessontmultiples.LeGrandQuartierGénéral
est en concurrence avec les services secrets du ministère de la Guerre, le War
Office, de qui dépend l’Intelligence Service créé en 1909, lors de la guerre des
Bœrs. L’Amirauté possède également son propre service d’informations à
Folkestone.Le22novembre1914,lesparticipantsàlaconférenceinteralliéede
Furnes décident de mettre un terme aux rivalités et installent une base de
renseignementscommunsàFolkestone,portsituéprèsde Douvres.Ilaccueille
touslesferriesetnaviresdespaysneutres,surchargésderéfugiésetdepassagers
de toutes origines, aux motivations très diverses, ce qui permet un contre-
espionnageefficace et unrecrutement fructueuxpour les servicessecrets. Il s’y
installe également un centre de formation pour les agents de renseignement.
DeuxcentresdetraitementclandestinssontinstallésauxPays-BasàFlessingueet
àMaastricht.
L’une des premières femmes recrutées dans le cadre de la création de ce
servicecommunderenseignementestGabriellePetit.Elleestlafilled’unclerc
denotairequiconfiel’enfantàuneinstitutionreligieuseàlamortdesonépouse.
Puiscederniersedésintéressedesafille.Leprincipallienfamilialqu’ellegarde
jusqu’àl’âge17ansestunoncle.Elleretournevivrequelquetempsavecsonpère
maisfinit paremménageràBruxelles oùelletrouve uneplacede gouvernante.
Ellea21ansetdoitsemarierlorsquedel’invasionsoudainedelaBelgiquepar
lestroupesallemandesen1914vientmettreuntermeàsesprojets.Tandisque
sonfiancé,rejointsonrégiment,Gabrielles’engagecommeinfirmièreàlaCroix-
Rouge. Blessé lors des premiers combats, le jeune homme est fait prisonnier,
mais s’évade presque aussitôt. Il erre de cache en abri provisoire dans la zone
occupée.Convalescent,ilveutrejoindrel’arméebelgeretranchéederrièrel’Yser.
Cependant,ilfautpasserparlesPays-Bas,restéshorsduconflit,l’Angleterreet,
enfin,lenorddelaFrance.Gabriellel’accompagneetlesoutientdanscepériple
chaotique.
Parvenueenterrealliée,elleestcontactéeparunreprésentantdel’Intelligence
Service. Elle reçoit une formation sommaire dans le domaine des techniques
d’espionnage.Unepremièremissionluiestproposée,qu’elleaccepte.Deretourà
Bruxellesdèslafinjuillet1915,ellerecueilleettransmetauxétats-majorsalliés
les positions et les mouvements des troupes ennemies dans le secteur de
MaubeugeetdeLille.Elledistribueaussidelapresseclandestine,transmetdes
lettres aux soldats internés et fait passer la ligne de combats française à des
soldatsquiveulentcontinueràsebattre.Lapoliceallemandelasoupçonne:elle
estarrêtéeetinterrogéeunepremièrefois.Libéréefautedepreuves,ellepoursuit
sesmissions jusqu’à cequ’elle sefasse à nouveauarrêter le20 janvier 1916.Le
2 février, elle est transférée à la prison de Saint-Gilles. Le 3 mars, elle est
condamnéeàmortparuntribunalmilitaireallemand.Elleestfusilléeaudébut
d’avril.
Un Te Deum est célébré en son honneur en la collégiale Saints-Michel-et-
GuduledeBruxelles.Unefouleimportanteassisteàlacérémonie.Aprèslafinde
laguerre,MgrKeesenditdevantleSénatbelge,le2juillet1919:«LaFrancea
Jeanned’Arc,laBelgiqueaGabriellePetit.Lapartieestégale,nejalousonspasnos
voisins.»
Àlafindelaguerre,lesrestesdeGabriellePetitsontexhumés.Desfunérailles
nationalesontlieuenmai1919enprésencedelareineÉlisabethdeBelgique,qui
dépose la croix de l’ordre de Léopold sur le cercueil dans un grand moment
d’émotionpopulaire.EllereposemaintenantaucimetièredeSchaerbeek.
Les services de renseignement ont trouvé un terreau fertile parmi les
populations et de la Belgique et de la France occupée. Les estimations de
différents auteurs aboutissent à un chiffre moyen de 300 réseaux actifs sur la
duréedelaguerreavecdesfluctuationsimportantesduesauxarrestationsetaux
reconstitutions de filières. La contribution des populations belges fut
considérablecarellecomprenaitdenombreuxagentsbilinguesquientretenaient
desrelationsaveclesPays-Bas,pointdepassageefficacedesexfiltrations.
Lesservicesderenseignementdesdifférentesarmées,confortésparlaqualité
militaire des renseignements rapportés par les réseaux qu’ils ont mis en place
cherchent à aller encore plus près des sources d’information. L’idée est de
recueillirl’informationàsasource,auplusprèsdeceuxquiontunrôledécisif
dans la conduite de la guerre. Tous pensent aux femmes qui sont tellement
excluesdesaffairesdelaguerrequelaméfianceàleurégards’efface…devantle
charme qu’elles sont censées exercer auprès des hommes. L’idée de l’espionne
n’est certespas neuve, mais la morale de l’époqueest, au moins en France, un
barragecontresamiseenœuvre.
Toutefois, la collaboration avec les services alliés et surtout britanniques qui
recrutent des femmes dans tous leurs bureaux, amène le commandement
françaisàprendredavantageenconsidérationlerôledel’espionne.Ilarriveun
tempsoùlesétats-majors,toutenationalitéconfondue,serésolventàdemander
auxfemmesqu’ilsjugentaptesàlefaire,desecomporteràlafois«enagentde
renseignement…etenfemme».
Lesespionnesnefournissentpaslemêmetravailcommeleprouventlesrares
récitsdeleurssouvenirsoudeceuxquiontécritpourellesaprèsleurmort.Leur
recrutement, leurs motivations, les formes de leur travail, leurs contacts,
l’importance de leur rôle, la reconnaissance de leur action diffèrent souvent.
Issuesdemilieuxhabituésàlafréquentationdessalonspourlaplupart,ellessont
aussiretenuespourleurcharmeetpourleuraudace.
Lesjeunesfemmesbelges,issuesdefamillesaisées,sontsouventcibléesparce
qu’ellesparlentl’allemand.Cellesquisontrecrutéesparunservicesecretfrançais
ou britannique, sont envoyées à Londres ou à Folkestone pour un stage de
formation rapidede huit à dix jours, pour apprendre les rudiments du métier.
Lesmotifsdesespionnesvarient,maislesrécitsdeleurssouvenirsoudeceuxqui
ontécritpourellesaprèsleurmortmarquenttousl’amourdelapatrie,souventle
dévouementdûàlareligion,égalementlahainedel’Allemandquilesopprime.
Pour certaines, qui n’ont pas de famille et pas de ressources, l’exercice de ce
métierestunmoyendevivre.Maislepoidsdel’opprobreestduràporter.Elles
nepeuventexercerleurmétierqu’enétantagentdouble.Ellesdoiventapporter
aux Allemands des informations soigneusement préparées par leurs officiers
traitants pour pouvoir mettre leurs interlocuteurs en confiance et recueillir à
l’insu des Allemands des informations utiles aux états-majors alliés. Leurs
terrains de chasse se situent généralement dans les ambassades allemandes des
paysneutresoudanslesambassadesdespaysneutresàBerlin.Aumoindrefaux
pas,lamortestcertaine.
Beaucoup d’entre elles se sont volontairement fait oublier parce que, dans
l’imaginairepopulaire,ellesétaientprochesdesprostituées.Cemépriss’étendait
àleursofficierstraitantsplusoumoinsassimilésàdesproxénètes.Pireencore,
une questionrevenait de manièrerécurrente. Travaillantpour deux nations en
conflit, laquelle des deux trahissaient-elles ? Le fil est si ténu que les
collaboratrices des services alliés sont presque assimilées à Mata Hari. Cette
dernièreexerceàParislemétierdedanseusedecharme.Bienqu’originairedes
Pays-Bas,sonnomde naissanceestZelle,ellesefait passerpouruneprincesse
javanaise. Elle a pour amant un lieutenant pilote russe qui sert dans les rangs
français.SurvivantàlachutedesonavionabattuparlesAllemands,ilestsoigné
dansunhôpitaldecampagne,ducôtédeVittel.Désireusedeluirendrevisiteà
l’infirmeriedufront,elledoitpayercettefaveurdelapromessed’allerespionner
le Kronprinz (le prince héritier de l’Empire allemand), qui est de ses
connaissances,moyennantunerétributionconsidérable.
Elle se rend en Espagne, pays neutre, avec le projet de prendre un bateau à
destinationdesPays-Basetgagnerl’Empireallemand.L’IntelligenceService,àla
suited’unemauvaisecoordinationaveclesservicesfrançais,l’arrêteàl’escalede
FalmouthetlarenvoieàMadridoùellenetardepasàséduirel’attachémilitaire
allemand. Les communications entre les ambassades allemandes et Berlin sont
écoutées et décryptées par les services alliés. Ils interceptent un message de
l’ambassadedeMadridàdestinationdeBerlintraitantdesous-marinsàfournir
auMarocetdemanœuvresencoulissepourétablirleprincehéritierGeorgessur
letrônedeGrèce,ensignalantque«l’agentH-21s’étaitrenduutile».MataHari
commet l’erreur de rentrer en France pour rejoindre son lieutenant russe.
Arrivée à Paris le 4 janvier 1917, elle est arrêtée le 13 février à l’hôtel Élysée
Palace.Elleestprésentéele24juillet1917devantunconseildeguerre,auPalais
de justice de Paris. Les juges doivent décider si elle est bien H 21, coupable
«d’espionnageetd’intelligencesavecl’ennemi».Leconseildeguerreconclutà
saculpabilitéetlacondamneàmort.Elleestfusilléedanslesjoursquisuivent.
Aujourd’huiencore,saculpabilitéestincertaine.Lemessagesurlabaseduquel
elleaétécondamnéepourraitavoirétéfalsifié.Ellefutvictimedel’atmosphère
terribledel’année1917oùdesrégimentsentiersrefusaientd’exécuterlesordres.
Le pouvoir usait de sanctions exemplaires pour reprendre le contrôle de la
situation.
MartheRicher,plusconnuesouslenomdeMartheRichardfutrecrutéeparle
capitaine Ladoux qui a été l’officier traitant de Mata Hari et l’a démasquée.
Marthe a connu une enfance difficile et une jeunesse tumultueuse teintée de
galanterie.Ellealiéconnaissanceavec unricheindustrielquise mitentêtede
l’épouseretluioffrit,entreautrescadeaux,unaviongrâceauquelelleapprendà
piloteretobtientsonbrevetenjuin1913.Lorsquelaguerreéclate,sonépouxest
mobilisé. Elle-même tente de s’enrôler dans l’armée de l’air naissante, mais sa
candidatureestrefusée.Auxyeuxdesautorités,unefemmenepeutêtrepilotede
guerre.Sonmari,HenriRicheresttuéen1916.Àlasuitedecedeuil,elledécide
de le venger et signe son engagement dans les services de renseignement. Le
capitaine Ladoux l’envoie en Espagne où elle a l’attaché naval allemand Hans
Von Krohn pour cible. Elle séduit ce dernier et apporte aux services de
renseignementsfrançaisdesinformationssurlaconstructionetsurl’utilisation
dessous-marinsallemands.Sacollectederenseignementsestcomplétéepardes
informations sur les livraisons d’armes allemandes aux rébellions marocaines.
Ces soulèvements mobilisent des troupes françaises et les Allemands les
favorisent en vue de diminuer les réserves de troupes disponibles sur le front
français. Sa carrière d’espionne est fortuitement interrompue. Elle est victime
d’unaccidentd’automobileencompagniedeKrohn.L’impulsifetmoralisateur
LéonDaudets’indigne,danslequotidienl’ActionFrançaise,delaprésenced’une
Française dans l’automobile d’un attaché naval allemand de l’ambassade
madrilène. Sa carrière d’agent étant révélée par la presse, elle doit rentrer en
France où elle découvre que son nom est rayé du service et que le capitaine
Ladoux a été arrêté. La vie est compliquée dans les services de renseignement
pourlesofficierstraitantsdesagentsdoubles.Commepourleurs«créatures»,
on s’interroge sur l’identité du pays pour lequel ils travaillent réellement. Bien
queLadouxaitdémasquéMataHari,sessupérieurss’interrogentsursapossible
complicité avec elle. Il est, par la suite réhabilité, mais la carrière de Marthe
Richarddanslesservicessecretsestterminée.
Elle fait, par la suite, une carrière littéraire. Elle publie ses souvenirs où ses
activitésauseindurenseignementfrançaistrouventleurplace.Elleestl’auteure
d’unpassagequivautpourtouteslesfemmesquionteulecouragedeserisquer
àcetteactivitéquifutmortellepourlaplupartd’entreelles:«Votremissionest
de faire croire à l’ennemi que vous trahissez votre pays. Mais l’ennemi hésite…
Celle qui trahit, n’est-elle pas espionne, agent double… ? Et ceux qui vous ont
envoyée doutent. Ainsi l’agent secret qui sert son pays comme agent double est
soumisàunecruelletorture.»
En1926,elleépouseleBritanniqueThomasCrompton,directeurfinancierde
la fondation Rockefeller, mécène de la restauration du Petit Trianon. Thomas
Compton meurt de maladieen 1928. Il a pris les dispositions nécessaires pour
quesonépousesoitàl’abridubesoin.Elleeffectueàcetteépoquedestournées
de conférence sur le thème de l’action des services secrets pendant la Grande
Guerreetfaitdesvolsdedémonstrationavec l’avionPotez 43.Ellereprenddu
service pendant le Seconde Guerre mondiale. Elle se forge ainsi un destin de
grande résistante qu’elle raconte dans plusieurs de ses mémoires. Cependant
l’affaire est historiquement toujours en cours. La preuve qu’elle a hébergé des
aviateursaméricainspendantlaguerreaétéfaiteen2015.
En 1945, « héroïne des deux guerres », elle est élue conseillère dans le
4e arrondissementdeParissurlalistedelaRésistanceUnifiée.Elleselancealors
dans une campagne pour la fermeture des maisons de prostitution. Une loi
d’interdictionest votéebeaucoupplus tard.Elle aboutàla fermeturedéfinitive
des plus célèbres enseignes parisiennes, sans pour autant régler la question de
l’exploitationdesfemmes.MartheRichardestdécédéeen1982.
Moinscélèbrequ’elle,MathildeLebrunajouéunrôletoutaussidangereux.Le
capitaine Ladoux est également son officier traitant. Originaire de Pont-à-
Mousson,germanophone,elleestveuvedeguerre,mèredetroisenfantsetagent
doubleauservicedelaFrance,souslenomdecodeSimonepourlesFrançaiset
R2pourlesAllemands.Ellereçoitpourmissiondepasserleslignesallemandeset
des’installeràMetzdansunefamilleallemandedanslaquelleelledoits’occuper
des enfants. Elle doit localiser les dépôts de munitions, l’emplacement des
batteries, la profondeur des lignes de tranchées, le numéro des régiments
ennemis qui tiennent les positions. La famille allemande dans laquelle elle
travaille ignore qu’elle connaît leur langue. Sa plus spectaculaire et courageuse
mission d’agent double est d’approcher le chef des services secrets allemands,
Von Gebsattel, pour obtenir la preuve de la situation réelle d’espionnes de
Mesdames Gimeno-Sanchez, et Félicie Pfaadt, toutes deux soupçonnées et
emprisonnéesenFrance.EllestravaillentdanslesportsdeNiceetToulonpour
relever à l’attention des Allemands le départ des navires à destination de
Salonique qui approvisionnent le front d’Orient, afin de les faire torpiller ou
bombarder. L’intervention de Mathilde Lebrun est efficace. Elle se fait passer
auprèsdeVonGebsattelpourunecomplicedecesdeuxfemmesetobtienttoutes
les informations souhaitables sur la nature de leurs activités. Une fois en
possession de ces preuves, la justice militaire française les juges et établit leur
culpabilité. Elles sont condamnées à la peine capitale et fusillées. À la suite de
cette mission, Mathilde Lebrun devient indésirable en Allemagne où le doute
s’estinstalléetdecefait,laFranceévitedeluiconfierdenouvellesmissionscar
savieestmenacée.
Après la guerre, les anciennes espionnes ont souffert du manque de leur
reconnaissance. La position des gouvernements qui les ont employées est
forcément ambiguë. Les conventions internationales admettent que la pratique
delaguerredel’ombrenepeutconféreràceuxquilapratiquent,lorsqu’ilssont
découverts, la protection du statut de soldat prisonnier. Il est lors difficile de
fusiller les agents doubles envoyés par l’ennemi et de couvrir d’une gloire, au
demeurantméritée,sespropresagents.Plusieursanciennesespionnesfrançaises
créèrentuneassociationdénommée«LesInvisibles»dontlebutétaitd’obtenir
le statut de combattantes au même titre que les soldats. Et pour perpétuer le
souvenir de leur rôle. Malgré leurs actions auprès des politiques, elles ne
parviennentpasàobtenirgaindecause.
Ilyeutaussidesfemmesqui,animéesdumêmeespritpatriote,maisavecune
capacitéàagirhorsdetoutestructureétabliepourraientêtreconsidéréescomme
ayant fait de la guerre une affaire personnelle. Hors de toute structure de
résistance, elles se sont lancées, parfois les armes à la main dans un combat
individuel frontal avec l’ennemi. C’est le cas d’Émilienne Moreau-Evrard,
originairedeWinglesgrosbourgdubassinminierduPas-de-Calais.Safamille
s’installeenjuin1914àLoos-en-Gohelle,égalementdanscettemêmerégion,où
son père, ancien mineur, a pris la gérance d’une épicerie-mercerie-bonneterie.
Elle a 16 ans lorsqu’il meurt en 1914, victime des privations consécutives au
pillagedelazoneoccupéeparl’arméeallemande.
Laville estoccupéepar lestroupes allemandes.Sonfrère, mobilisé,sebat et
tombe au cours des combats de la fin de l’année 1914. En février 1915, les
autorités allemandes ordonnent à Émilienne, dont les études d’institutrice
avaient été interrompues par la guerre, de créer une école improvisée destinée
auxenfantsdeLoosdanslacaved’unemaison.Décidéeàvengerlamortdeses
proches,elleenseigne toutencherchant uneopportunité.Elle entreencontact
avec l’état-major britannique. Le 25 septembre 1915, les troupes britanniques
s’apprêtent à donner l’assaut aux troupes allemandes qui tiennent Loos.
Émilienne,à la demande deson correspondant anglais,a relevé l’emplacement
descasematesdes occupants.Elleévente desurcroîtle projetd’embuscadeque
lesAllemandspréparentàleursennemis.
L’offensiveest lancée.Le postemédicalde premièreligne estinstallé dansla
maisonMoreau.Durantlapremièrejournéeetlanuitdel’offensive,Émilienne
secondeunmédecinécossais,aideàtransporterlesblessésetdonnelespremiers
soins. Elle participe également aux combats, abattant quatre soldats ennemis.
Finalement, la ville est reprise aux Allemands. Émilienne Moreau devient, à
17ans, «l’héroïne deLoos» etelle estcitée àl’ordrede l’arméepar legénéral
Foch.
CetexploitesttrèsmalvécuparlesAllemandspourquisongesterelèvedela
séditionarmée etconsidèrentque lesparticipants àune guerredepartisans ne
relèventpasdelaconventiondeLaHayede1907etdoiventêtrefusilléssur-le-
champs’ilssontprislesarmesàlamain.
Émilienneestcependantdécoréedelacroixdeguerresurlaplaced’armesde
Versaillesle27novembre1915.SatêteestmiseàprixparlesAllemands.Ellefait
savoir qu’elle considère cela comme un honneur supplémentaire qui lui est
rendu.
Son image fut abondamment utilisée à des fins patriotiques servies par la
parutionde ses souvenirs, LesMémoires d’Émilienne Moreau, l’héroïnede Loos
publiésdébut1916.
Émilienne passe son brevet supérieur et devient institutrice. Elle termine la
guerrecommeenseignantedansuneécoleparisienne.Militantesocialisteàson
retourdanslePas-de-Calaisaprèsl’armistice,elleépouseen1932JusteÉvrard,
responsablefédéralduPas-de-Calais.Fidèleàelle-même,ellereprendduservice
danslarésistanceaucoursdelaSecondeGuerremondiale.En1940,laFranceest
à nouveau occupée. Son mari et elle sont des résistants harcelés par les
Allemands. Elle échappe plusieurs fois de justesse à l’arrestation et rejoint
Londres. Membre important du réseau Brutus, elles une des six femmes
CompagnondelaLibération.
Animéeparlamêmeaudaceetuneforcedevolontépeucommune,telestle
personnagedeMarieMarvingt,surnommée«lafiancéedudanger»enraisonde
ses exploits de casse-cou. Résistante, elle est aussi une pionnière de l’aviation,
inventrice,sportive,alpiniste,infirmièreetjournalistefrançaise.Elleobtientune
licence de lettres et étudie la médecine et le droit. Elle apprend à parler cinq
langues et obtient son diplôme d’infirmière de la Croix-Rouge. Pour la petite
histoire,elleestaussilapremièrefemmeàaccomplirleTourdeFrance,en1908.
Les organisateurs ayant refusé de l’inscrire dans les effectifs de la compétition,
elle prend le départ quelques minutes après le départ officiel de l’étape et elle
termine la grande boucle alors que bon nombre de concurrents masculins ont
abandonné en cours de route. Elle pratique aussi les sports de montagne :
escalade,skietmêmebobsleigh.
Ladécouvertedel’aéronautiqueestsonplusgrandbonheur:aéronautepuis
aviatrice, elle est l’une des premières femmes à voler seule et la première à
traverserlaMancheducontinentversl’Angleterreen1909,lamêmeannéeque
Blériot.
Titulaire depuis 1899 du « certificat de capacité pour conduire des
automobiles », elle participe plus tard à plusieurs courses automobiles dans le
Sahara.
EllesetrouveàNancyaumomentdeladéclarationdelaGrandeGuerreetse
replie avec les troupes françaises devant l’avancée allemande. Elle essaye alors,
sans succès de s’engager dans l’armée de l’Air, mais remplace au pied levé un
piloteblesséetaccomplitdeuxmissionsdebombardement.
ElleretourneàNancyoùelledevientinfirmièreetcorrespondantedeguerre.
Décidantderejoindrelefront,ellecombat47joursdéguiséeenpoiluavantd’être
démasquée.Legénéral Fochl’affectedans lesDolomitessur leFront italienoù
sestalentsdeskieusedehautniveausontutiliséspourl’évacuationdesblessésen
hautemontagne.
Après la Première Guerre mondiale, Marie Marvingt reprend le métier de
journalisteetpartvivreauMarocoùellecréelapremièreécoledeformationdes
infirmièrespilotesd’avionssanitaires.Elleestàl’originedelacréationducorps
delaCroix-RougedénomméIPSA(InfirmièresPilotesSecouristedel’Air).Elle
faitpartiedeceservicependantlaSecondeGuerremondiale,aucoursdelaquelle
elle invente un type de suture chirurgicale d’urgence minimisant le risque
d’infectionsurlechampdebataille.C’estl’aboutissementdesesannéesd’effort,
quidébutèrentavantlaGrandeGuerre,pourpromouvoirletransportaériendes
blessésquidevaitpermettredeleurépargnerlescahotsmeurtriersdutransport
terrestre et,surtout, d’accélérer la prise en chargesalvatrice. Elle vit sa passion
pour l’aéronautique jusqu’à ses derniers jours, malgré une situation financière
difficile. Elle prépare et obtient son brevet de pilote d’hélicoptère à 84 ans et
trouve ainsi le meilleur aéronef d’évacuation sanitaire qu’elle a cherché sa vie
durant. Elle meurt à 88 ans. Trente-quatre fois distinguée, elle est la femme la
plusdécoréedel’histoiredeFrance.
Parmi les autres aviatrices de cette époque, Adrienne Bolland exécuta de
nombreusesmissionspérilleuses(Cahier-images,Pl.XIV).
Revenons maintenant à la chronologie de la guerre, étape nécessaire pour
comprendre les soubresauts qui ont animé la société française au cours de ces
annéesdecrise.
Année1914
28juin:L’Archiduchéritierdel’Empireaustro-hongroisetsonépousesontassassinésàSarajevo.
28juillet:L’Autriche-HongriedéclarelaguerreàlaSerbie.
31 juillet : Jean Jaurès, le dernier homme susceptible de dresser les classes populaires contre la
mobilisationgénérale,estassassinéàParis.
1 eraoût:MobilisationgénéraledécrétéeenFranceetenAllemagne.
3août:L’AllemagnedéclarelaguerreàlaFrance.
4 août : Le Royaume-Uni déclare la guerre à l’Allemagne. En France, dans un message solennel à la
Nation,leprésidentRaymondPoincaréappelleàL’Unionsacréeentretouteslesclassessociales.
28-30août:CombatsdanslaSommependantlaretraitefrançaise.
2septembre:LesAllemandsatteignentSenlis–LegouvernementquitteParispourBordeaux.
22-27septembre:CombatsdelacourseàlamersedéroulantauNorddel’Avrejusqu’aunordd’Albert
(danslaSomme).

Année1915
15février:DébutdelatentativedepercéeenChampagne.
25 février : Début de l’opération des Dardanelles. À l’instigation du Lord de La Mer britannique de
l’époque,Churchill,une expéditionfranco-anglaisemaritimeet terrestreestorganisée pourouvrirun
frontorientalàGallipoli,verroud’entréedelamerdeMarmara.Lestroupesfrançaisessontacheminées
depuisl’Afriquedunord.Échectotalterrestreetmaritime.Pertede50000Alliéset50000Turcs.Les
troupesalliéessontrepliéesenGrèceàSalonique.
22avril:PremièreutilisationdegazasphyxiantàLangemarkprèsd’Ypres.
23mai:Entréedel’ItaliedanslaguerreauxcôtésdesAlliés.
25septembre:Débutdela2etentativedepercéeenChampagneetdela3 epercéeenArtois.
Décembre:ConférenceinteralliéeauG.Q.G.deJoffrequipréconiseuneoffensivemassivesurlaSomme.

Année1916
21février:DébutdelabatailledeVerdun,àl’initiativedesAllemands.
19mai:Enraisondel’attaqueallemandeàVerdun,JoffreréduitlaparticipationfrançaisedanslaBataille
delaSommequiseprépare.
24juin:Débutdelapréparationd’artilleriepourlaBatailledelaSomme.
29juin:Àcausedelapluieetd’unepréparationinsuffisante,l’attaquedelaSommeestreportée.
1 erjuillet:DébutdelabatailledelaSomme:ÉchectotalauNord,plusdesuccèsauSud:lesBritanniques
prennentMametzetMontauban.LesFrançaisprogressent.57470Anglaissonttués.
14juillet:2eattaqued’envergure.LesBritanniquesvisentla2eligneallemandesurunfrontplusrestreint.
LesSud-AfricainsattaquentauBoisDelville(Somme).Batailled’usure.
23juillet:AttaquebritanniquedeGuillemont(Somme)àPozières(Somme),prisparlesAustraliensle25.
3septembre:AttaquegénéralealliéedepuislarivièreAncrejusqu’àChilly.LesBritanniquess’emparent
deGuillemont(Somme),lesFrançaisdeSoyécourt(Somme).
5septembre:LesCanadiensrelèventlesAustraliensdevantlafermeduMouquet.
9septembre:Ginchyestprisdéfinitivementparla16e divisionirlandaise.
15septembre:Descharsd’assautsontutiliséspourlapremièrefoisparlesAnglais.
26septembre : Débutd’une offensive généralefranco-britannique, de Martinpuichà la rivièreSomme.
ThiepvaletComblessontauxmainsdesAlliés.
7octobre:OffensivealliéedeCourceletteàBouchavesnes.LesBritanniquesserendentmaîtresdeLeSars.
Lapluieralentitlaprogressiondestroupes.Guerred’usure.
18novembre:FindelabatailledelaSomme.MortdeFrançois-Joseph,empereurd’Autriche-Hongrie.
18décembre:FindelabatailledeVerdun:240000Allemandset275000Françaissonttués.
25décembre:LegénéralJoffre,nommémaréchaldeFrance,estremplacéparlegénéralNivelleàlatête
desArméesfrançaises–RestaurationdelaconscriptionenAngleterre.Mobilisationdetousleshommes
de17à60ansenAllemagne.

Année1917
8janvier:DébutdelapremièrevaguedegrèvesenFrance.
8au12mars:Premièrerévolutionrusse.
16mars:RetraitvolontairedesAllemandssurlaligneHindenburgaprèsavoirsystématiquementdétruit
lesrégionsabandonnées.LaligneHidenburgestunelignededéfenseappuyéesurdesblockhausetdes
défensesnaturellesrenforcées pardesaménagements quivad’Ostende,au nord-ouest,jusqu’àPont à
Moussonausud-est.Lebutestdeconcentrerlesdéfensesenraccourcissantlalignedefront.
2avril:EntréeenguerredesÉtats-Unis.
16avril:Débutdel’offensiveduChemindesDames–Premièreutilisationdescharsd’assautfrançais.
15mai:LegénéralPétainàlatêtedel’arméefrançaise–Mutineriesdansl’arméefrançaise.
6novembre:LesBolchevikss’emparentdupouvoirenRussie.
16novembre:Clemenceau,présidentduconseil.

Année1918
21mars:OffensiveallemandeenPicardie.
23mars:DébutdesbombardementsdeParisparla«GrosseBertha».
26 mars : Conférence de Doullens, le principe d’une coordination entre les commandements alliés est
validé.
27mai:OffensiveallemandesurleChemindesDames.
15juillet:OffensiveallemandeenChampagne.
18juillet:Contre-offensivefrançaise–deuxièmebatailledelaMarne.
8août:OffensiveenPicardie–débutdel’offensivegénéralealliée.
Octobre:Apogéedel’épidémiedegrippeespagnole.
9novembre:Abdicationdel’empereurGuillaumeII–ProclamationdelaRépubliqueallemande.
11novembre:L’Allemagnesignel’armistice.

Année1919
28juin:Signaturedutraitédepaixavecl’AllemagnedanslagaleriedesglacesduchâteaudeVersailles.

La guerre change de visage avec la bataille de la Somme de juillet à
novembre1916etlabatailledeVerdunenLorrainedefévrierànovembre1916:
ellesfontplusde1750000victimes:750000tuésetdisparuset1000000blessés
environ, avec des pertes presque identiques dans les deux armées adverses. La
boucheriecontinuesurlefrontmalgrélalassitudedestroupes,lesmutinerieset
à l’arrière des mouvements d’agitation sociale. La Triplice comme la Triple
Entente ont saigné leurs armées et sont à court de combattants. Une poussée
pacifistetentederomprel’Unionsacrée,àl’initiativedelapacifisteetécrivaine
allemande réfugiée en Suisse Annette Kolb. Celle-ci encourage et organise la
rencontred’ÉmileHagueninaveclecomteHarryKessler.ÉmileHagueninétait
connudesAllemandspouravoirofficiépendantprèsdetreizeansàl’université
etauséminairedeslanguesorientalesvivantesdeBerlinenqualitédeprofesseur
delittératurefrançaise.HarryKessleracombattusurplusieursfronts.Lesdeux
hommes ont en commun d’être responsables des bureaux de propagande de
leurspaysrespectifset d’avoiraccèsauxpersonnalités deleursgouvernements.
Annette Kolb est née du paysagiste munichois Max Kolb et de la pianiste
parisienneSophieDanvin.Écrivaine,journaliste,musicienneetpacifiste,elleest
une admiratrice de l’homme politique français Aristide Briand. Européenne
convaincue,elleconsidèrequelespeuplesfrançaisetallemandontunedestinée
communeetqueleconflitterritorialquilesopposeestdénuédesens.Elleaété
invitée à quitter le Reich en raison de ses opinions pacifistes affichées. Elle
retournera en Allemagne après la fin de la Grande Guerre, d’où elle sera à
nouveauexpulséeàl’arrivéedesnazisaupouvoir.En1983,lecinéasteallemand
Percy Adlon tourne The Swing, film inspiré de l’histoire de sa vie. Elle est
décédée à Munich en 1967 à l’âge de 97 ans, en ayant reçu les plus hautes
distinctions de ses deux pays de cœur. Malheureusement, les tentatives de
négociationsentre Haguenin etKessler échouent peuaprès leur ouverture.Les
deux hommes, en politiques avertis, conviennent au cours de leurs premières
rencontres de définir les buts deguerre de leurs nations respectives. Haguenin
avancelarestitutiondel’AlsaceetdelaLorraine.Kesslerproposeuneautonomie
deces deux contréesau sein de l’Empireallemand. Puis,ayant apprécié àquel
pointcettepropositionétaitinacceptablepourlapartiefrançaise,ilamendeson
projet. Il propose la création d’un Royaume de Souabe comprenant l’Alsace-
Lorraine, le Bade et le Wurtemberg, une proposition là aussi accueillie avec
beaucoupderéservesautantparParisqueparBerlin.
Les discussions tournent court, car les empires centraux remportent des
victoires sur le front de l’Est. Puis l’effondrementde l’Empire russe mène, à la
suite de la Révolution Bolchevique d’octobre 1917, au retrait Russe sanctionné
parl’armisticedeBrest-Litovsk.LestroupesdelaTripliceengagéessurcefront
sontréaffectéesàl’ouest.Lesalliésrepassentàl’offensiveetbénéficientdel’appui
duprésidentWilsonetdel’engagementdel’arméeaméricaine.Àl’étésuivanten
1918lesAlliésreprennentl’offensiveavecsuccèsdanslesBalkans.L’ouverturede
cefrontsecondaire,malengagéeavecladésastreuseexpéditiondesDardanelles,
s’étaitsoldéeparlereplidel’arméed’OrientsurSaloniqueaprèsavoiréchouéà
prendreGallipoli,verroud’accèsàlamerdeMarmara.Saloniqueestaunordde
lamerÉgée,enterritoiregrec,puissanceneutresurlaquellerègneunedynastie
d’origineallemandesympathisantedelaTriplice(leroiConstantinestlebeau-
frèredel’empereurGuillaumeII),gouvernéeparunPremierministre,Venizelos,
prochedelaTripleEntente.Malgrélaneutralitégrecque,lesalliésontobtenude
pouvoirconstruiredescampsd’accueildeleurstroupesàquelqueskilomètresde
laville.Ilsserventàlafoisdebaseauxtroupesquelesalliésfontvenirdeleurs
coloniesenpassantparl’Afriquedunordetdebasederepliauxarméesserbes
qui se replient à travers les montagnes de l’Albanie. L’effondrement serbe est
consécutifàl’entréeenguerredelaBulgarie,auxcôtésdelaTriplice.LaSerbie
constituepourleReichunverrouquiluiinterditderavitaillersonalliéeTurque
parvoieterrestreetellemetleprixpourlefairesauter.L’entréeenguerredela
Bulgarie,qui aune frontièrecommuneavec laSerbie estl’occasion. LesSerbes
confrontés aux armées bulgares encadrées par des Allemands voient leur
territoire envahi et annexé de fait par la Bulgarie. L’armée serbe se réfugie en
Grèce. Avec l’appui des Alliés, elle est rééquipée et déployée en Macédoine
grecque.N’ayantplusàs’opposerauxRusses,laTripliceallègesondispositifsur
le front d’Orient pour se renforcer à l’Ouest où les Américains sont venus
renforcerlesAlliés.Lesarméesalliéesd’Orientconstituéesde650000hommes
peuvent ainsi affronter les armées ennemies, qui comptent seulement
400 000 hommes, en majorité bulgares. La Bulgarie et la Turquie restent les
principauxadversaires.
Aprèsl’accorddesgouvernementsbritanniqueetitalien,le15septembre1918,
l’armée d’Orient commandée par le général Franchet d’Espérey passe à
l’offensiveendeuxcolonnes.Uneattaquefrontaledesforcesserbesetfrançaises
endirectiondeBelgrade,parUsküb(aujourd’huiSkopje)pourcouperendeux
lesarméesbulgares,unecolonnesecondairedesforcesbritanniquesetgrecques
quicontourneleterritoireserbepourfrapperlaBulgarie.
Les divisions serbes progressent, appuyées par des unités grecques et
françaises. C’est dans ce cadre qu’a lieu la dernière charge de l’histoire de la
cavalerie française : les cavaliers foncent en direction d’Usküb, capitale de la
Macédoine,priseparsurprisele29septembre.L’arméeturqueprivéedusoutien
de la Triplice doitdemander l’armistice. La Bulgarie signe un armistice lejour
même.L’Allemagnemilitairementvaincuesurlefrontouestetprivéed’alliéssur
le front oriental doit accepter l’armistice le 11 novembre 1918. Le Reich
s’effondreetc’estlanouvellerépubliqueallemandeétablieàWeimarquientame
lesnégociationsenvuedelapaix.LetraitédeVersaillesen1919estunevictoire
apparente mais qui humilie l’Allemagne. Les démocraties semblent triompher
mais les bouleversements économiques et sociaux sont profonds en Europe.
L’organisationde la SDN(Société desNations) à Genèveen 1919 estissue des
idéesdel’undes14pointsdeWilson.Lesdiplomatesespèrentqu’ellegarantirala
constructionetlemaintiendelapaixenEurope.

LESFEMMESÀL’ÉPOQUEDESANNÉESFOLLES:
SELIBÉRERDESCONTRAINTES

Les femmes en France dans l’après-guerre connaissent des situations


socialement clivées plus que jamais dans leur histoire. L’après-guerre des plus
pauvres est terrible lorsque les gendarmes sont passés chez elles pour leur
annoncerqueleurcompagnonest«tombéauchampd’honneur».Ily acelles
aussi qui voient revenir un mutilé, ou un demi-fou, incapable de se réinsérer
dansunemploi.Ellessontdescentainesdemilliersdanscecas.Paysannes,elles
s’interrogent sur leur capacité à continuer de porter à bout de bras une
exploitation tout en faisant vivre leur famille. Ouvrières dans l’industrie
d’armement, elles sont licenciées sans préavis et sans indemnités par leurs
entreprises privées des marchés de guerre. Certes leurs enfants sont déclarés
pupillesdelanationcequilesaideàfinancerlequotidienetleursétudespuisà
trouverunemploi.Certes,lesveuvesdeguerretouchentunepensionverséepar
l’État, pension dont le montant est hiérarchisé selon le grade du disparu :
800 francs pour un simple soldat, 1 800 francs pour un lieutenant. Une étude
effectuéesurlesveuvesdeguerredelavilledeLyonmontrequenombred’entre
lesveuvesdecommerçantsetartisansquiontréussiàcontinuerl’activitédeleur
commercependantladuréedelaguerreabandonnentverslesannées1919-1920
etvendentleurfondsdecommerce,lasséesparlamédiocritédesrevenusqu’elles
entirent.
Aux pénuries et privations près, les souffrances apportées par la guerre aux
femmes des classes sociales plus élevées sont les mêmes. La perte du chef de
famille a le même poids affectif dans une famille aisée que dans une famille
pauvre. Dans les années qui suivent l’armistice de 1918, la France vit un deuil
national.Leréveilconsécutifàlafinducauchemarsedérouledansuneespèce
d’incrédulité collective. Le spectacle quotidien des ruines accumulées rappelle
que si la guerre est terminée, tout reste à faire pour reconstruire ce qu’elle a
détruit.
Chez ces femmes, toutes classes sociales confondues, auxquelles le droit de
vote est refusé depuis plus d’un demi-siècle, un sentiment civique féminin est
apparu.Ellesontfaitpreuvedepatriotismeparune«mobilisation»multiforme,
subie silencieusement pour certaines, de manière volontaire pour d’autres
entréesenrésistanceactive.
Conséquence bien connue de la guerre, « les femmes remplacent les
hommes », selon une formule consacrée. En 1914, les femmes représentaient
36,7%delapopulationactive,àcausedupoidsdusecteurprimaire.Ellesontla
libredispositiondeleursalairedepuisuneloide1907,maisellesn’apportenten
général qu’un salaire d’appoint au ménage. Une fois la guerre déclarée, c’est
immédiatement l’appel aux épouses, aux sœurs des combattants. Le taux
d’emploidesfemmes,àlasortiedelaguerreestde42,3%.Ilredescendà37,5%
en1926,conséquenceduretourdeshommesdanslesemploisqu’ilsoccupaient
avant le déclenchement du conflit. Même si de nombreuses grèves féminines
éclatent, celles-ci concernent essentiellement le montant des salaires devenus
insuffisantsfacelachertécroissantedelavie,sansquesoitremiseencauseleur
participation à l’effort de guerre. Doivent-elles se syndiquer pour que leurs
effortsaboutissentàuntravailfémininémancipateur?Lesféministesdénoncent
l’exploitation, double des femmes, par le capitalisme et par les hommes, et
accusentd’antiféminisme, à bondroit, le mouvementouvrier, contrôlépar des
hommes,d’êtrecontreletravailfémininetdefermerlesyeuxsurleharcèlement
sexuel au travail. Au-delà des milieux syndicaux d’autres mouvements se
dessinentcontre le travaildes femmes au-delàdes nécessités dela guerre. À la
suite des pertes humaines considérables de l’année 1914 et à l’allongement
prévisibledeladuréeduconflit,unsoucinatalistesemanifestedès1915.
Pourlesmilieuxcatholiques,ilfautd’abordservirl’Unionsacréepuispréparer
ladémographiedel’après-guerre.Celle-cipasseparladéfensedelanatalité,etle
nécessaireretourdelafemmeaufoyer.Lesuffragefémininestprésenté,dansces
milieux, comme la récompense du civisme du genre féminin s’il accepte de se
plierauxbesoinsdelanation.La«logomachie»conservatricedel’entre-deux-
guerres est ornée d’expressions ridicules ou hypocrites, telles que « reines du
foyer»,le«destindemère»desfemmes,ouencore«pouvoir»delafemmeau
seindufoyer.
Lemariageetlafondationd’unefamillesontune«prédestinationsociale».Ce
conformismeappuielecultedelavirginité,exaltéparlesfêtesdelaRosière,qui
continuent dans l’après-guerre. Mais dans la pratique, les filles de milieu
populaire bénéficient d’une liberté de fait car elles travaillent dès 12-13 ans.
D’autrepartilyasemble-t-ildanslesannées20unpeuplusdelibertépourles
adolescentes,malgrél’ancestralepeurdela«grossesse».Elleestsûrementmoins
forte qu’avant la guerre, grâce à un peu d’éducation sexuelle prodiguée par
l’entourage du Professeur Adolphe Pinard (1844-1934), qui lutte par ce biais
contre la diffusion de la syphilis. Il y va « de l’avenir de la race » déclare le
Professeurauvudeschiffresdecontaminationcauséeparles«BMC»(bordels
militairesdecampagne)installésprèsdelalignedefront.Lamaladieest,àcette
époque,incurableetladiffusiondel’informationsurlesmoyensdeprévention
resteleseulmoyendecombattrel’extensiondel’épidémie.Lesmoyensconsacrés
àcettecausesontrenforcésparleromanàscandalepubliéen1894parMarcel
Prévost(1862-1941),Lesdemi-vierges,quipopulariselapratiquedu«flirt»etde
sa sexualité limitée, meilleur moyen connu à l’époque pour développer des
relationsagréablesetsansdangerentrepersonnesdesexeopposé.
Lacraintedenepastrouverunépouxestgénéralementvive.Restercélibataire
estuneanomalie,etdévaloriselafemmeauxyeuxdelasociété:lespréjugéssont
trèsdurscontreles«vieillesfilles»etilfautéviterde«coiffersainteCatherine»,
alors que la population des hommes en âge de se marier a été saignée par la
guerre.
Les jeunes filles qui ont la « chance de se marier » le font, comme avant-
guerre,enhomogamiesocialeetreligieuse.L’imagepersiste,«duplusbeaujour
delavied’unefemme»,immortaliséparlaphotographie,rituelledepuislafindu
XIXe siècle, accessible à tous après la Grande Guerre. Le mariage implique le
«devoirconjugal»etlaculpabilitésurles«privautés»autoriséesdanscecadre.
Quelles méthodes contraceptives utiliser ? La méthode des températures
perfectionnéeparlejaponaisKyusakuOgino(1882-1975)sepopularisedansles
années 30, mais l’interruption du rapport reste la plus pratiquée, malgré
l’interdiction de l’Église catholique pour laquelle la « semence » ne peut être
répanduehorsdu«vaseféminin»(sic).
Lemariage,enraisondestexteslégaux,quilerégissententraîneladépendance
del’épouse, carsi laGrande Guerrea prouvéla capacitédes femmesà agiren
«chefsdefamille»,ellen’accélèrepaslaréformeduCodecivil.Lesâgeslégaux
aumariagesontde16anspourlesfemmeset18anspourleshommes.Uneloi
de 1896 impose le consentement des parents jusqu’à 21 ans, et un « acte
respectueux » notarié reste obligatoire de 21 à 25 ans. Les parents bénéficient
d’undélaisuspensifdetrentejourspourdonnerleurréponse.
L’autorisationdel’épouxesttoujoursnécessairepourdemanderunpasseport
ouuncarnetdechèques.Lemarialedroitdecontrôlerlacorrespondancedesa
femme!Laseuletransformationjuridique,parréformeducodedelanationalité,
intervient en 1927 : la femme mariée peut conserver sa propre nationalité.
Autantdirequelemariageestuneinstitutionréservéeauxclassespossédantes.
Pour ceux qui ne possèdent rien, la création du couple se fait sans aucune
formalité.Ilyaunelargeindifférence«populaire»audiscoursetaujuridisme
desélites.
Dans l’entre-deux-guerres, par crainte de manquer d’hommes en cas de
nouveau conflit, la maternité est exaltée par l’État : une Journée des Mères est
instituéeen1926quidevientlaFêtedesMèresen1943,souslerégimedeVichy.
Unmonument dessiné parl’architecte PaulBigot « AuxMères françaises» est
érigéen1938au21boulevardKellermann,àParisoùonpeuttoujoursl’admirer.
La médicalisation de la maternité progresse rapidement, bousculant les
coutumesetleshabitudesdepudeuretdenégligence.Lescitadinesetlesfemmes
aisées sont les premières à en bénéficier. La maison d’accouchement
Baudelocque à Paris, 123 boulevard de Port-Royal devenue une annexe de
l’hôpital Cochin, sert de modèle. Elle est animée par le Professeur Adolphe
Pinard dont l’action remarquable se traduit par une baisse considérable de la
mortalitéinfantile.
Déjà exaltées pour leur qualité de « ménagères » les femmes françaises des
années20deviennentaufildutempsles«angesdufoyer».L’entre-deux-guerres
ne lésine pas sur les qualificatifs propres à encourager les femmes à rester au
foyer.Onexigedetoutefemmequ’elleseconsacreentièrementàsonintérieur,
qu’elle soit une mère attentive à l’éducation, au bonheur, à la réussite de ses
enfants,sans omettred’êtreune épousequi doitcontribuer àl’épanouissement
ducouple.
Mais,pourcela,ilfautfaireapparaîtreletravaildomestiquesousunjourplus
flatteur.Telest l’objectifde lapressespécialisée danslesarts ménagersqui fait
sonapparitionàcetteépoqueainsiquedelaplacecroissanteréservéeàcesujet
dans la presse féminine existante. Le premier Salon des Arts Ménagers est
organisé à Paris en 1923. De surcroît, les jeunes filles des classes moyennes et
supérieuresquiontlachancedefairedesétudesdansleslycéesyreçoiventaussi
un enseignement ménager. Toutefois, les rêves engendrés par la publicité sont
loindelaréalité.L’exiguïtédeslogementsdesclassespopulairesesttelle,surtout
enmilieuurbain,qu’onnepeutyloger,ensupposantqu’onsoitenmesuredele
financer,lefatrasdemécaniques«modernes»proposéparlesfabricants.
La«féedulogis»prenddel’âgeaufildutempsdanslesannées20,bienque
l’augmentationdesonespérancedeviedoiveplusàladiminutiondelamortalité
infantile qu’à sa propre résilience. La ménopause est perçue comme une
« maladie », source de troubles physiques et psychiques. Beaucoup d’hommes
parmiceuxquienseignentouécriventsurlesujetconsidèrentlafemmedevenue
incapabledeprocréercommedépourvued’attraitsexuel.
L’âgeestunfacteurd’exclusionaccruepourlesfemmes,quiseretranchentde
la vie sociale lorsqu’elles entrent dans cette période de leur vie. Toute une
génération de femmes s’exclut ainsi des perspectives heureuses d’une relation
amoureusealorsqu’ellesontdéjàétévictimesd’uneraretédesopportunitésdue
aumassacredelaGrandeGuerre.
Procréerdanslesannées20estunesortedediktatsocialincontournable.Ilva
jusqu’à s’annexer une partie des effectifs du féminisme qui reprennent à leur
compte les thèmes de la survie de la « race française » et de l’« égoïsme des
célibataires».Enmai1920estinstituéela médailledela Famillefrançaiseet le
prixCognacq-Jay,l’uneetl’autredestinéàhonoreretàrécompenserlesparents
defamillesnombreuses.Plusaudacieuxencore,lapropositiondel’abbéLemire
dedonnerauxpèresdefamilledesdroitsdevotesupplémentaires:deuxvoixà
l’électeurmarié,troiss’ilestpèred’aumoinsquatreenfants.Iln’estvisiblement
pasvenuàl’espritdel’abbéquel’onpourraitaussidonnerundroitdevoteaux
femmesàquirevenaitlatâchedemettrelesenfantsaumondeetdeleséduquer!
Plussérieusement,lamouvancedescatholiquessociauxàlaquelleserattache
l’abbéestàl’origineduprojetdeloivotéele11mars1932créantlesallocations
familiales,unemesurepionnièreenEurope.Lasimpleincitationàl’avortement
etlapropagandeanticonceptionnellesontinterditesparlaloidu1 eraoût1920.
Le crime d’avortement et les pratiques contraceptives sont passibles de la cour
d’Assises,autitredel’article317duCodepénal.En1923,l’importationd’articles
anticonceptionnelsestprohibée.Lesjuryspopulairessemontranttropfavorables
aux inculpées, l’avortement est désormais jugé devant les Chambres
Correctionnellescomposéesuniquementdemagistratsprofessionnelsbeaucoup
plusrigoureuxdansl’applicationdelaloi.
Mettredesenfantsaumondepourassurerleseffectifsdesarméesfrançaisesne
suffitpas.Ilfautlesnourrir,lesprotéger,leséduquerjusqu’àl’âgeadulte.C’estla
tâche des parents mais ceux-ci ne disposent pas toujours des ressources
nécessaires. Le gouvernement Blum issu du succès du Front populaire aux
électionsde1936actel’implicationdugouvernementdanscestâchesencréant
un sous-secrétariat à l’Enfance, confié à l’institutrice Suzanne Lacore (1875-
1975), et un sous-secrétariat d’État à l’Éducation nationale confié à Cécile
Brunschvicg(1877-1946)quiestàl’originedelacréationdescantinesscolaires.
Mais ce sont les seules mesures du Front. Le clivage perdure entre la classe
politique de la Troisième République qui, toutes tendances confondues, est
nataliste et la population, qui reste malthusienne. Une minorité de féministes
milite pour la « libération sexuelle », concept qui à l’époque correspond à la
revendication de « la maternité choisie ». Venues d’horizons différents, bien
qu’ayant généralement en commun d’être issues de classe sociales aisées et
instruites elles sont libres penseuses, franc-maçonnes, révolutionnaires,
pacifistes. Elles combattent le « lapinisme » (sic) clérical et nationaliste et
dénoncent le mythe de la « dépopulation », soulignant que, si la démographie
française stagne, elle ne décline pas. En 1920, Louise Bodin journaliste et
féministe, proteste dans L’Humanité au sujet du vote de la loi contre
l’avortementetlacontraception.EllereprendcetextedanssonouvrageAupays
desrepopulateurs,publiéen1922.Elleécrit:
«C’estlafemmedel’ouvrier,lafemmedupeuplequ’onveutatteindre!Celle-
làresteradansl’ignoranceetdansl’impossibilitédelimiterlenombredeses
enfants. Les cabarets sont ouverts pour son homme, mais les cabinets
médicauxsontfermés.Ellecroupiradansdestaudissansair,sanslumièreet
sanseau:qu’importe,elleauradesgosses!Elleseraexténuéeparlestravaux
del’atelier,delafabrique,duménage:qu’importe,elleauradesgosses!Elle
iralaveràlarivièredeschargesdelingeàtombersouslepoids,ellemonteraà
sonsixièmedesseauxd’eauàluiarracherlesbras:qu’importeelleaurades
gosses!Ilsmourronttuberculeux,desyphilishéréditaire,dansleursclapierset
dansleshôpitauxinfâmes:qu’importe,elleauradesgosses!Onlestuerapar
millions,pourleDroitetlaCivilisation,onleslaisserapourriraubagnes’ils
serévoltentets’ilsdeviennentconscients:qu’importe,elleauradesgosses!Si
elleenperdsix,elleenauradouze.Elleycrèvera,maiselleauradesgosses!»

LESFEMMESDANSLEMONDEDUTRAVAIL:DIVERSIFICATIONDESEMPLOIS
Lerapportdesfemmesàlamaternitéest,sansdoute,lesujetmajeurdecette
période de l’entre-deux-guerres. Le rapport de la femme au travail en est
l’incontournablecomplémentetdanscedomaineaussi,ilyadivergenceentreles
actionsdelaclassepolitiqueetlessouhaitsdelapopulation.
Le taux d’activité féminine, dans l’entre-deux-guerres, est du même niveau
qu’avantqueleconflitdelaGrandeGuerrenedébute,maiscetteconstancedes
chiffrescache uneévolution considérablede la naturede l’emploiféminin. Les
chiffresde1914incluentlesemploisfémininsagricolestenusparlesépousesdes
agriculteurs. La sortie de la période de guerre se traduit par l’abandon de
nombreuses exploitations et une migration intérieure qui vient grossir les
effectifs urbains là où l’industrie connaît un développement rapide et crée des
emplois. Dans la classe politique s’exprime, malgré les programmes natalistes,
une volonté de protéger le travail féminin et d’aider à la création de carrières
fémininesvalorisées.Lescampagnesnesontpasoubliéesparlamiseenœuvrede
cettepolitique.Laloide1924créantleschambresd’agriculturedonneledroitde
voteauxfemmeschefsd’exploitation.Danslemêmetemps,lesecteursecondaire
delapopulationactiveseféminise.Lesfemmesemployéesdanscesecteursont
particulièrementvictimesdelarationalisationetdelataylorisation,cequedécrit
Simone Weil (1909-1943), philosophe, ancienne élève de l’École Normale,
femme de cœur sensible à la souffrance des autres, relatant son expérience
ouvrière dans le Journal d’usine de 1935. Le secteur tertiaire connaît dès les
années d’après-guerre une très forte croissance, source d’entrée massive des
femmes dans les bureaux, sans perspectives de carrière. L’OST (Organisation
ScientifiquedeTravail)estàlasourcedelacréationdes«pools»dedactylosoù
l’ontravaillealignéesparrangéesalternativementrosesetbleues,sousleregard
d’une contremaitresse juchée sur une estrade qui lui permet de vérifier depuis
sonbureauquetoutesles«filles»sontoccupées.Ilyadesmassesd’employées
fémininesàformeràl’exercicedeladactylographie.Leréseaudesécolesprivées
Pigiers’yemploieavecprofit.Aufildutemps,ellesévoluentd’ailleursversdes
formationsaucontenubeaucoupplusrichequeceluideladactylographie.Elles
apportentuntypedeformationnécessaire,carlesfillesontreçudesformations
inadaptéesdanslesécolesdelaIIIe République,lesplusdésavantagéesétantles
rurales.LaloiAstierdu25juillet1919surl’enseignementtechniquedunomde
son auteur, Placide Astier (1856-1918), impose aux communes l’obligation
d’organiser des cours professionnels gratuits. De plus les écoles techniques
privéesbénéficientdessubventionsdel’État.Cetteloiquiconstatel’absencede
l’Étatdansledomainedelaformationprofessionnelleenreconnaîtlanécessité
pouraider àlatransformation dupays. Elleprofiteaussi bienaux fillesqu’aux
garçons, ce qui est une reconnaissance implicite que la société technicienne
d’après-guerreabesoind’un«personnelféminin»bienformé.
Les classes populaires peinent à se familiariser avec l’idée de la nécessité de
professionnelles féminines possédant un niveau satisfaisant de compétences. Il
faut l’effort d’organisations privées pour difficilement convaincre.
L’enseignement ménager agricole se développe, et la branche féminine de la
Jeunesseagricolechrétienne(JAC,1933)mèneuneluttecontrelemodèledela
« paysanne-servante » et pour promouvoir celui de la « gardienne du foyer-
collaboratrice ». Surtout la classe ouvrière adhère toujours au modèle de la
femme au foyer : l’homme « évite » la fatigue de l’usine à sa femme, qui, elle,
privilégie les soins à sa famille. Un juste équilibre est souhaité entre le salarié
(pèredefamille)etlesconsommateurs(lerestedelafamille).Lamèredefamille
est souvent responsable du budget familial, et le travail domestique n’est
évidemmentpaspartagé!
Survivancedel’espritdelaBelleÉpoque,lanaturedescarrièresfémininesest
souventconsidéréecommedictéeparla«natureféminine».L’enseignementque
reçoivent les jeunes filles est marqué par cette idée de l’influence du genre
(Cahier-images, Pl. XII, Les métiers). Les lycées de jeunes filles conservent
longtemps une atmosphère spéciale : tablier obligatoire avec couleur définie
selon les semaines, enseignement de rudiments d’arts d’agrément, cours de
coutureetparfoisdebroderie.Quantàl’enseignementsupérieur,laconvergence
des programmes est assurée, mais l’agrégation reste genrée : non par la nature
desépreuvesquisontlesmêmes,maisparlenombredepostesmisauconcours.
Ily a un quotad’hommes etun quota defemmes beaucoup plusfaible, cequi
introduitune formede discrimination.Une importanteévolutionsociale estla
disparition, sauf dans les classes tout à fait supérieures, des « épousailles » de
rentiers avec vingt ans de différence d’âge, trousseau, dot et contrat notarié.
L’inflationdueauxdépensesdeguerreestpasséeparlà.Elleadévorélescapitaux
delarenteetlesrentiersontdisparu.Delaréflexiondelaclassepolitiquesurles
problèmesposéspar«l’immigrationintérieure»etl’adaptationdecesmigrants
aux conditions de la vie citadine, au travail en usine, aux dispositions de la
protection sociale est née une nouvelle profession féminine. De nos jours, les
assistantessocialesconsacrentleurinlassabledévouementàtenterderéduirela
fracture numérique. Leurs ancêtres, appelées « surintendantes » dans les
années 20, se battaient pour réduire la « fracture citadine » des migrants
intérieurs, issus d’un monde rural où l’écrit est rarement utilisé, jetés dans un
universcitadingrouillantoùl’environnementestchangeantetoùonadesdroits
maisoùilfautécrirepourréclamerleurapplication.
L’École normale sociale (catholique, 1911), l’École pratique de Service social
(protestante, 1912) et l’École des surintendantes (laïque, 1917), forment des
surintendantes. Issues de classe modestes ou aisées les élèves doivent
obligatoirement faire un stage en usine pendant leurs études, sans que leur
identité soit dévoilée ! Les rapports qu’elles écrivent en fin de stage sont une,
source intéressante pour l’histoire des sciences sociales. Cette documentation,
traduit le bouleversement de la perception des stagiaires au contact de la
populationouvrièredesusines.Ellesdécouvrentl’omniprésencedupouvoirdes
hommes, y compris sur le plan sexuel. Dans cet univers, les pratiques et
comportements des hommes sont adoptés par leurs collègues féminines en
particulier la trivialité de leur langage.Heureusement, elles adoptent aussi leur
sensdelasolidaritéetparticipentpleinementauxluttespourl’améliorationdes
conditionsdetravail.
Les«surintendantes»,jouentunrôledécisifdansl’instaurationdelarelative
paixsocialedesannées20,enfacilitantledialogueentrelesdirectionsd’usineset
les représentants des travailleurs. On leur doit également une relative
amélioration des conditions de vie au sein des foyers pauvres par leur
connaissancedesaidessocialesdisponibles,destechniquesdegestiondubudget
familialetdelagestiondelasantédelafamille.
Les femmes peuvent devenir médecin depuis 1892 mais rares sont les
étudiantes dans les Facultés de médecine de l’entre-deux-guerres, sans doute
rebutées par les usages fortement teintés de sexisme des « carabins ». La
pharmaciesurtoutestunmétierlargementféminisé.En1935,prèsd’untiersdes
officines sont tenues par des pharmaciennes. La profession d’avocate, ouverte
auxfemmesdepuislaBelleÉpoque,rencontredavantagedesuccès.
Ilestquand mêmedesdomainesoù laclassepolitiqueneprend pastropde
retardparrapportàl’évolutiondelasociété.Laloidu12mars1920donneaux
femmes le droit d’adhérer à un syndicat sans l’autorisation maritale, ce qui
entraîne la progression de la syndicalisation féminine, en grosse majorité à la
CGTetàlaCGTU,plussensiblesauxdifficultésspécifiquesrencontréesparles
femmes dans le monde du travail. Marie Guillot (1880-1934) est secrétaire
générale de la Fédération de l’Enseignement, puis secrétaire confédérale de la
CGTU(àpartirde1922);JeanneBouvier(1865-1964)joueunrôledécisifàla
CGT. À la CFTC, qui, elle, est d’inspiration chrétienne, la moitié des effectifs
sontféminins,surtoutparmilesemployées.Leparadoxeestd’autantpluscocasse
quelemouvementduchristianismesocial,auquellaCFTCdoitpourpartieson
succès,mèneuncombatenfaveurdelafemmeaufoyer!

L’ÉVOLUTIONDESMŒURS,«LAGARÇONNE»(1922),L’ANDROGYNIE
Danstouslescas,onnesauraitparlerdelaconditionfémininedansl’entre-
deux-guerres sans consacrer quelques lignes à la mode de l’époque et à
l’évolutiondesmœursqu’ellereflète.Cetteévolutionestdemanièreparadoxale
un signal fort de l’entrée de la femme dans la modernité et de sa libération
sociale,alorsquesonstatutjuridiqueetsonstatutpolitiquerestentbloquéspar
une chambre haute, le Sénat, qui juge les femmes encore influençables par
l’Égliseentantqu’institution.Cettenouvellemodedesannées20metuntermeà
lasilhouetteféminineBelleÉpoquequifitlesuccèsducouturierPaulPoiret.Elle
est appelée parfois « silhouette en S », expression qui qualifie ce profil des
femmesdûauportducorsetquiaffinelatailleetfait«pigeonner»lagorgeet
ressortir la cambrure des fesses grâce à la présence de la « tournure », alias
« faux-cul » sous la jupe longue. La « garçonne » des années 20 revient à une
silhouetteoùleslignesducorpsfémininreprennentleurplaceaprèsquelesdeux
accessoiresprécitésaientétéabolis.Lasilhouetteestfine,lereliefdesseinspeu
marqué. Les jupes raccourcissent, les immenses capelines du début du siècle
surchargéesdesfleursetautresdécorationsparfois saugrenuessont remplacées
parde petitschapeaux clochequi collentà lachevelure quise portecourte. Le
nouveauvestiaireféminin permetdecourir,demonteràbicyclettedejouerau
tennis,brefd’entrerdeplain-pieddanslemondedusportjusque-làréservéaux
hommes. La femme des années 20 est indépendante, ou cherche à l’être,
brouillant les identitéssexuelles et transgressant un double tabou, « celui de la
différenciation sexuelle par le vêtement mais aussi celui de l’homosexualité
féminine » Préparée par l’explosion de la « littérature saphique » de la Belle
Époque, la « visibilité lesbienne » dans les années vingt est un phénomène
parisien, assorti d’une explosion d’homophobie. On peut s’interroger sur sa
valeurdesymboledel’émancipationféminine,réelleoufantasmée.Desfemmes
portentlepantalon,moulantdepréférence,avecdesvariantes,sportivepourle
pantalondeski,suggestivepourle«pyjama».
Certainespoussentl’assimilationmasculineenadoptantlamodeducomplet,
delacravate,despoitrinesplates,delacigaretteetdubronzage.Cettetendance
estlimitéeàuneminorité,lamajoritésuivantlesgrandescréatricesfémininesde
mode de l’époque : Jeanne-Marie Lanvin (1867-1946), Jeanne Paquin (1869-
1936), Doucet Madeleine Vionnet (1876-1975), Gabrielle Bonheur Chanel dite
« Coco Chanel » (1883-1971) Elsa Schiaparelli (1890-1973). Les femmes de
milieupopulaire suivent, commeelles peuvent, cettemode, peu illustréepar le
catalogue de la Redoute, largement diffusé et référence du bon goût pour les
budgetsmodestes.
L’androgyniefascinelalittératuredepuislaBelleÉpoque.L’«aboutissement»
de la mode de la garçonne est la lesbienne, mais des homosexuelles
«historiques»refusentcettemode,préservantleurdélicat«saphisme»hyper-
féminin de la Belle Époque. À l’autre extrémité du spectre, se trouvent des
homosexuelles qui préfigurent le mouvement « Drag Kings » ou encore
« Female-to-Male », adeptes de la transsexualité, comme Violette Morris et la
banquière Marthe Hanau. Violette Morris, née en 1893, est une sportive qui
recherche la performance dans des disciplines réservées habituellement aux
hommes.Douéed’unecarrureimposante,ellesefaitremarquerparsaviolence
verbaleetparfoisphysique.Elles’habilleenhomme,dirigeunmagasindepièces
de rechange automobiles et se fait couper les seins qu’elle a très volumineux
parce qu’ils la gênent pour conduire. Elle monte sur le ring et affronte des
hommesdansdescombatsdeboxe.Ellenechoisitpastoujoursbiensesrelations
etnouedesliensaveclenazismeen1934.PendantlaSecondeGuerremondiale,
elle fréquente la Gestapo française pour laquelle elle fait volontiers office de
chauffeur.LaRésistancel’abatenavril1944sansquel’onsachesielleétaitune
victime collatérale ou la cible de l’opération qui fit plusieurs morts.
L’homosexualitéfémininedel’entre-deux-guerresprésentedemultiplesfacettes
et celle qui est numériquement le plus importante est une poly-sexualité qui
sembles’êtremiseenplaceenraisondel’absencedeshommesretenusaufront.
Sion seréfèreau nombrededivorcesprononcés dansl’immédiataprès-guerre
onpeuts’interrogersurlenombredeceuxquiontétéprononcésauprofitdes
femmesquiavaientdécouvertladouceurd’unesensualitéentreamiesetfurent
déçues par la violence d’un mari qui, de son côté, a goûté à la bestialité des
amours tarifées. L’énorme scandale et le tirage hors-normes du roman La
GarçonnedeVictorMarguerite(1866-1942),donneducorpsàcettehypothèse.
Dans ce livre, publié chez Flammarion en 1922, l’héroïne rejette la morale
traditionnelleetenrichitsavieérotiquedemultiplesexpériencesdécritesparle
menu, ce qui provoque une plainte de la « Ligue des Pères de familles
nombreuses».VictorMargueritteestradiédelaLégiond’Honneur,lapresseest
unanimedanssacondamnation.
Cette œuvre provoque les réactions de féministes de toutes tendances. La
communisteLouiseBodin(1877-1929)etlalibertaireMadeleineVernet(1878-
1949) voient dans ce mode de pensée « affranchie » une incitation à la
concupiscencemasculine,voireauviol,alorsqueviolenFranceàcetteépoque
estfaiblementpuniparlestribunaux.Àleursyeux,l’affranchissementsexuelde
la femme est une dépravation qui transforme les corps féminins en
marchandises. Les natalistes quant à eux redoutent le « péril national » que
représentela«stérilité»desgarçonnes.
Autrescandalequirajoutedel’indignation«àl’indignationdesindignés»le
succès à la scène à partir de 1925, de Joséphine Baker. Noire, métisse afro-
américaineetamérindienneavecaussidesancêtresespagnols,ellenaîtdansune
familled’artistespauvresàuneépoqueoùlesÉtats-Unisconnaissentuneintense
discriminationraciale.Elleportelenomdesonsecondmari,épouséalorsqu’elle
n’a que 14 ans. Ils font partie d’une troupe d’artistes de rue. Ambitieuse, elle
quitte son mari et la troupe dans laquelle elle danse pour tenter sa chance à
Broadway. Engagée ensuite par l’attaché commercial de l’Ambassade de Paris,
elleentredanslatroupequiproduitla«RevueNègre»auThéâtredesChamps-
Élysées.Elledanse lecharlestonquasiment nueau sond’untamtam. Lesuccès
estimmenseets’étendàtoutel’Europe.Ellerégalelesspectateursd’unspectacle
érotiquequilesconfortedansleurperceptionracistedelafemmenoire.
De la garçonne aux spectacles de Joséphine Baker, autant de motifs qui
excitent le lamento de la décadence nationale. L’extrême droite, bien sûr,
dénonce l’« influence juive » (où diable a-t-elle été chercher cela ?), sur le
dérèglementdesmœurset leprogrèsdesmaladiesvénériennes.Unecampagne
dedroitesedéveloppepourl’«ordremoral»,exacerbéeparlavictoireduCartel
des gauches aux législatives le 11 mai 1924. Les débordements des « années
folles»,sontstigmatisésparlespartisdedroitecommedes«fléaux»,auxquels
s’ajouteraitlaconsommationd’alcool,laVille-lieudeperdition,laconcurrence
sexuelle trop souvent victorieuse exercée par les « métèques »… Du côté de la
gauche,ondéploreaussilepourrissementdelasociétéaucoursdesannéesfolles,
maispar l’argentcette fois.Ces deuxcourants seretrouventdans lahantise de
l’« anarchie sexuelle », la condamnation du refus de la maternité, cause de
dépopulation,lamiseaupiloridudivorce,etdumythedel’infidélitédesfemmes
decombattantsdelaPremièreGuerremondiale.Ilestvraiquel’homosexualité
féminine gagne en visibilité et qu’une culture homosexuelle se développe dans
années 20, « encouragée » par les dispositions du Code pénal : en France,
l’homosexualitén’étantpasundélit,laréputationdetolérancedupaysattiredes
homosexuelles étrangères, visibles, ce qui exacerbe la réprobation des bien-
pensants.
L’évolution du sport féminin pendant la Première Guerre mondiale, se
manifeste par l’apparition, en France, de sociétés omnisports féminines. La
premièreàfaireson apparition,«L’Académied’éducationsportiveet physique
delafemme,delajeunefilleetdel’enfant»,égalementdénommée«Académia»,
est présidée par la duchesse d’Uzès. Les débuts du football féminin français
remontentà l’extrême finde la GrandeGuerre. Il secaractérise longtemps par
deuxmi-tempsde30minutes.Fautederecrutementsuffisant,ildéclinedèslafin
desannées1920.
L’éducation physique devient obligatoire pour les filles fréquentant les
établissements d’enseignement secondaires en 1925. Une « Fédération des
Sociétés féminines sportives de France » voit le jour en 1920, elle devient peu
après la « Fédération féminine sportive de France. Union française de
gymnastique féminine ». Cette appellation complexe est simplifiée en 1922 en
«Fédérationfémininedegymnastiqueetd’éducationphysique».La«Fédération
sportivedu Travail», dès safondation en1923, reprendl’essentiel dudiscours
marxiste en matière d’émancipation féminine, mais les réticences à
l’émancipationfémininepropresauxclasseslaborieusesdemeurent.Lesfemmes
ne sont officiellement admises aux Jeux Olympiques qu’à partir de 1928, à
Amsterdam, où elles sont 263 à se présenter. Le tennis féminin français brille
avec l’élégante Suzanne Lenglen qui, de 1919 à 1925, s’impose comme la plus
grande joueuse professionnelle du moment. Suzanne Lenglen a disputé son
premier tournoi en 1912, alors qu’elle n’avait que treize ans, elle a remporté
quinze championnats du monde sur herbe, autant sur terre battue, deux
championnatsolympiques et 19 championnatsde France. La célèbrerencontre
du16février1926entrel’étoilemontantedutennisaméricain,la«petiteécolière
sage » Helen Wills (1906-1998), vingt ans et déjà trois victoires dans les
InternationauxdesÉtats-UnisetSuzanneLenglenestgagnéeparcettedernière.
Suzanne Lenglen a défrayé la chronique par ses jupes relativement courtes,
réalisées par le couturier Jean Patou (1887-1936), et par son usage du cognac
commeremontant.Elleestmortedeleucémieen1938.
Dans les années trente, la condition féminine subit l’influence de deux
évènementsmajeurs:lacriseéconomiqueetsocialedite«de29»,etl’accession
aupouvoirdesforcesdegauchecoaliséesdansleFrontpopulaire.

LACRISEÉCONOMIQUEDESANNÉESTRENTE
ETSONIMPACTSURLETRAVAILDESFEMMES

La crise économique a pour effet de renforcer les pressions déjà existantes
contre le travail féminin. Les associations du mouvement catholique « social »
sont à la pointe du combat. Mais cette revendication d’un retour en arrière
soulève un problème insoluble car les femmes occupent déjà des fonctions
« impossibles » à confier à des hommes. À la différence des dictatures et des
États-Unis, les pouvoirs publics s’interdisent de légiférer sur la limitation du
nombre des emplois féminins, mais les étrangers (et les étrangères), tout
particulièrement les Polonais et les Polonaises, sont souvent reconduits aux
frontières, en cas de dégradation des chiffres du chômage. Plus brutal, le
gouvernementLavalde 1935décide lelicenciementdes employéesdesservices
publicsmariéesàdesfonctionnairesetréserveauxhommesl’accèsauxconcours.
En1938lesfemmesfontl’objetd’unediscriminationpositive:lesdécrets-loisdu
11novembreétendentlesallocationsfamilialesàtoutelapopulationactive,elles
sontharmoniséesdansleurstauxetellessontmajoréessilamèreresteaufoyer.
Paradoxalement, l’observation des chiffres, traduit le fait que la crise n’a, en
définitive,qu’uneincidencenumériquelimitéesurl’emploidesfemmes.
La surexploitation du travail féminin perdure. Les salaires des femmes
continuentàêtreinférieurs,d’untiersenviron,àceuxdeshommes,cequiapour
effetdeconforterlapositiondepouvoirdel’hommeauseindu«ménage».Etles
conventionscollectivesnégociéesaprèslesaccordsdeMatignonofficialisentles
doublesgrillesdesalaires!Onvoitse perpétuerouapparaîtreavecla crisedes
phénomènesquiposentencorequestiondanslapremièremoitiéduXXIesiècle:
usure au travail, qui pousse les employeurs à rechercher de jeunes femmes,
grossièretés,harcèlement, droit de cuissage, salaire d’appointde la prostitution
occasionnelle… En fin de carrière tout cela débouche sur une pauvreté plus
grande des femmes à la retraite que celle des hommes à la retraite. La
prostitution est combattue par un mouvement « abolitionniste » dans l’entre-
deux-guerres,mais HenriSellier (1883-1943),ministre dela Santépublique du
Frontpopulaire,échouedanssatentativederépressionduproxénétisme:ilest
fortisoléauseindelaclassepolitique.
Le droit de vote des femmes ne figurait pas dans le programme du
Rassemblement populaire, notamment parce que les partis de gauche ont été
influencés par des articles de presse présentant la victoire électorale de Hitler
commedueauvoteféminin,cequiesthistoriquementinexact.Cependant,bien
que non éligibles, trois femmes figurent au gouvernement, avec un statut de
sous-secrétaire d’État, rattachées à un ministre en exercice : Irène Joliot-Curie,
procheduPC,sous-secrétaired’ÉtatàlaRecherchescientifiquesouslapesante
houlette de Jean Zay, Suzanne Lacore, ancienne institutrice et SFIO, sous-
secrétaire d’État à la Protection de l’Enfance, Cécile Brunschvicg, membre du
partiradicaletprésidentedel’Unionfrançaisepourlesuffragedesfemmes,sous-
secrétaired’Étatàl’Éducationnationale.IrèneJoliot-Curiedémissionnetrèsvite,
etl’expériences’arrêteen1937,maisdutravailefficaceaétéfait.Enréalité,dans
lesannées30,c’estdanslecampconservateurantirépublicainetcléricalqueles
femmes sont le plus nombreuses. Parmi les associations auxquelles elles
adhèrent,ontrouvelaLigueféminined’Actioncatholiquefrançaisedirigéepar
desmembresde l’anciennearistocratieet desfemmesde lahautebourgeoisie :
activismepolitique,prosélytismereligieux,etluttecontreledivorcefigurenten
bonneplaceausein deleursactivités.C’estunantiféminismedirigé avanttout
contre la République.L’Action française, quant à elle, organise un « comitéde
dames».Biensûr,pourl’extrêmedroiteetunepartiedeladroite,lamaternité
doitêtrele«patriotismedesfemmes».Leféminismeestfréquemmentqualifié
d’« invention juive ». Certains s’insurgent contre la scandaleuse présence au
gouvernementdeCécileBrunschvicg,choisieparLéonBlum.

FAMILLE,DÉMOGRAPHIE,MARIAGE,AVORTEMENT
ET«LOISSCÉLÉRATES»

Desmodesdepenséetraditionnelsperdurentdanslesannéestrente.Dansune
décennieoùlaFrancecommenceàavoirunnombreappréciabledesociologues,
ceux-ci relèvent l’existence d’une évolution du consensus de pensée sur la
démographie, le mariage et la fondation d’une famille. Les petites annonces
matrimonialesdu Chasseur français,unhebdomadaire dontletirage augmente
de façon considérable dans l’entre-deux-guerres, atteignant les
400 000 exemplaires en 1940, constituent une source d’information
surabondantesurlesattentespopulairesvis-à-visdel’institutiondumariage.Les
âgesdesannonceusesouannonceurssontvariés,maissemanifestentbeaucoup
veuves,surtoutaprèslaPremièreGuerremondiale.Lesannoncesinsistentsurla
familleetlasituationéconomique.Depuislesannées20,lesbouleversementsde
lafamillesontvisibles,oninsistesurla«qualité»d’enfantunique,onsesoucie
davantage qu’auparavant du salaire féminin, un grand nombre de femmes
célibataires passent des petites annonces, les divorcés apparaissent, la fonction
publique fait une entrée massive dans les annonces, et l’on est en quête du
bonheur familial : le mot « amour » surgit. Les divorces sont de plus en plus
nombreux:27000en1939,soitprèsdedeuxfoislenombrede1911.Lapeurde
la « mort en couches » et de la grossesse reste importante, à juste titre,
malheureusement:2à3‰desparturientesmeurentdansl’entre-deux-guerres.
Quantàl’accouchementparcésarienne,ilreste,etpourlongtempsmeurtrier,à
hauteur de 13 % en moyenne vers 1920, et constitue une véritable source
d’angoissepourlafemmeetpourlemédecin.
Lapeurdelagrossesseestaccentuéepardeuxloisdel’entre-deux-guerres.La
loi du1 er août1920 (dite «bleu horizon »car votée parla Chambre dumême
surnom) réprime toute « provocation » directe ou indirecte à l’avortement et
toutepropagandeanticonceptionnelle,enpunissantcesactesd’unepeinedesix
moisàtroisansdeprison.Laloide1923passel’avortementencorrectionnelle–
il n’y a donc plus de jury, traditionnellement conciliant en la matière – et elle
hausselespeines:deunàcinqansdeprisonpourlesavorteurs,desixmoisà
deux ans pour les avortées. La moyenne des acquittements tombe à moins de
20%,maisilsembleraitquelenombredesavortementsn’aitpasdiminuéentre
1920-1923et1939.LeCodedelaFamillede1939renforcelarépressioncontre
lesavorteursetlerégimedeVichyfitdel’avortementuncrimecontrel’Étatpuni
parlapeinedemort.

LESFEMMESETLEMONDEPOLITIQUE
LaGrandeGuerreaurait-ellecrééunnouveaurapportentrelesfemmesetla
politique?Lepoidsdel’opinionféminineenmatièredepolitiquecommenceàse
faire sentir. Sous l’impulsion même de la Papauté, les milieux catholiques
français se déclarent pour le vote des femmes. Viviani, Blum et Briand,
personnalités laïques et socialistes, sont rejoints par Louis Marin (1871-1960),
MarcSangnieretRaymondPoincaré.Dansl’entre-deux-guerres,parquatrefois
(1919,1925,1932et1935),laChambredesdéputésvotepourlesuffrageféminin.
Parquatrefois,leSénatrepousseledroitde voteauxfemmes.Cetteassemblée
est contrôlée par le courant radical laïc convaincu que la « nature féminine »
pousselesfemmesàvoterselonl’opinionducuréouduconfesseur.ArthurHuc
(1854-1932),éditorialistede LaDépêche deToulouseoseécrire:« l’interdiction
provient du sexe de leur cerveau » ! Aucun gouvernement ne tente d’ailleurs
d’infléchir la volonté des sénateurs. Quant à l’opinion publique, femmes
comprises, elle semble peu passionnée par le sujet ! Quelques militantes,
minoritaires, se manifestent, notamment au sein de l’Union française pour le
suffrage des femmes, présidée par Cécile Brunschvicg (1877-1946, née Kahn),
militanteféministecommesonmari(Léon,1869-1944)etsous-secrétaired’État
dugouvernementLéonBlum.Etcependant,leproblèmedelacapacitéciviledes
femmesvients’ajouteràceluideleurcapacitépolitique:malgrécela,l’énorme
scandale de cette double minorité ne soulève pas l’indignation. La plupart des
partispolitiquesontlongtempsétéhostilesàlaféminisationdeleurseffectifsetà
l’inscription des droits de la femme dans leurs programmes. Quelques
formationsouvrentdes«sectionsféminines»quideviennentdesvivierspourles
élues de la IV e République, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. À cette
époque,GermainePoinso-Chapuis(1901-1981),avocate,estlapremièrefemme
nomméeau poste de ministre,en 1947. Ellea été une militantedu PDP (Parti
démocratepopulaire).LePartiradicalreste,malgrél’ouverturedesesrangsaux
femmes en 1924, le plus hostile de tous les partis. Dans le cadre du
Rassemblement populaire il exige de ses partenaires la non-inscription du
suffrage féminin dans le programme du Front. Même la SFIO a un taux de
féminisationfaiblepourunpartisocialiste.Sansdoutefaut-ilyvoirlerefletde
l’opinion affichée par l’Internationale socialiste qui considère le féminisme
comme une dérive « bourgeoise ». À l’inverse, dès sa naissance, le Parti
communiste français accorde à la propagande parmi les femmes un soin
remarquable.Ilprônel’égalitédessexes,célèbrelaJournéedu8mars,votetoutes
lespropositionssuffragistesauparlement,créedesorganisationsféminines.Des
féministesd’avantlaGrandeGuerreentrentauPC,commeMadeleinePelletier,
Hélène Brion (1882-1962) et Marthe Bigot (1878-1962). Mais le nombre
d’adhérentesest faibleà la findes annéestrente. Entre-temps,en 1936 lePC a
sacrifiélalibertédecontraceptionetd’avortementsurl’autelduFrontpopulaire.
La « féminité », la maternité, et une morale de « bon aloi » sont dès lors
valorisées:lePCadestraitsculturelsd’uneclasseouvrièreauseindelaquellela
hiérarchiesexuelleestbeletbienuneréalité.Cepuritanismealaviedure.Seuls,
lesanarchistessonthostilesà l’oppressiondesfemmes,maislesmilitantessont
trèspeunombreuses.
Le féminisme des années 1930 se manifeste selon trois courants principaux.
Un féminisme réformiste,républicain, laïc, radical ou socialisant, s’attache à la
conquêtedel’égalitéjuridiqueetdudroitdevote,pardesmanifestationsetdes
opérationsspectaculaires,commelefontlessuffragettesanglaises.
Un autre courant, celui de la journaliste Louise Weiss (1893-1983), est un
féminismededroite,plutôtcatholique,traditionaliste,quandmêmefavorableau
droitdevote(Cahier-images,Pl.XV),encouragéparladéclarationde1919du
papeBenoîtXV(1854-1922)enfaveurduvoteféminin.C’estàceféminismeque
serattachelagéographeMarielJean-BrunhesDelamarre(1905-2001).
Unféminisme«radical»défendl’idéequeleféminismedoitallerau-delàde
l’égalitéjuridique,dudroitdevoteets’étendreàlasexualité.Ilestanticapitaliste,
pacifiste,athée.C’estceluideMadeleinePelletier.Danslesannées30,ellepublie
destextes radicauxcomme «La Femmevierge »,« UneVie nouvelle»et « La
Rationalisationsexuelle».Sespositions,trèspersonnelles,sontpeusuivies.Elle
faitl’apologieducélibatféminin,allantjusqu’àproclamerquel’étatdevirginité
estleseulgarantd’unevéritableindépendance.
D’autres combats sollicitent les féministes de l’entre-deux-guerres, le
« relèvement » des prostituées, considérées comme victimes d’une forme
d’esclavagisme,larevendicationd’uneprotectionspécifiquepourlesfemmes,en
particulier les travailleuses et les mères. Certains conseils municipaux
s’entrouvrentdansl’entre-deux-guerresàdesfemmes,avecvoixconsultative.Le
Frontpopulaire,ennommantdessecrétairesd’Étatquin’ontpasledroitdevote,
donnelapreuvequ’ilestplusfaciledecédersurl’éligibilitéquesurlevote!
Pourquoiceretardfrançais?Lerôleconservateurdelamajoritésénatorialeen
matière de droit de vote n’est probablement qu’une partie de la réponse. Il est
une autre explication possible. La crainte d’une réforme du Code civil
consécutiveaudroitdevotedesfemmesquientraîneraitl’émancipationgénérale
des femmes et, par conséquent, leur entrée de plain-pied dans la gestion des
biensducouple.

LESFEMMESDANSLESARTSETLALITTÉRATURE
Lerapportdesfemmesàlacréationculturelleetartistiqueestunautregrand
sujetdel’époque.CamilleClaudelpremière«sculptrice»del’histoiredesartsest
un scandale, parce que la création n’est pas considérée comme appartenant au
domaine féminin (Cahier-images, Pl. XIV). D’interminables controverses
opposentféministesetantiféministessurl’originalitédesonœuvreparrapportà
celled’AugusteRodin,sonmaîtreetamant,alorsqu’ilsemblebienquecertaines
œuvresdecedernierluidoiventbeaucoup.DévastéeparsaruptureavecRodin,
elleperdcontactaveclaréalité,s’enfoncepeuàpeudansladépression.Elleest
internéeàl’âgede50ans,àlademandedesamèreetdesonfrère,etmeurtdans
desconditionsmisérablesàl’hôpitalpsychiatriquedeMontfaveten1943.
Parmilespeintres,MarieLaurencin,néeen1888,créedesœuvresdanslestyle
du fauvisme avant d’évoluer vers le cubisme. Son galeriste Paul Rosenberg la
présente aux côtés de Picasso, Braque, Léger et Matisse. Ses tableaux sont
remarqués lors d’une exposition fort médiatisée en mars 1921. Elle devient la
portraitistemondaineduTout-ParisdesAnnéesfolles.
Dans le domaine littéraire, la création du Prix Fémina en 1904, est due à
l’initiatived’ungroupedefemmesartistesouécrivaines.Lasséesparl’opposition
systématique du jury Goncourt qui refuse de laisser concourir d’autres œuvres
quecellesdes hommes,toujoursaunom duprincipedel’incompatibilitéentre
créationet«espritféminin»ellesdécidentdecréerleurpropreprix.Parmiles
membres du premier jury on note la présence d’Anna de Noailles poétesse et
mondaine,deJaneDieulafoyféministeetarchéologue,delajournalisteSéverine
etdel’écrivaineorientalisteJudith Gautier(fille deThéophileGautier).Leprix
de1904estdécernéàMyriamHarrypoursonroman LaConquêtedeJérusalem.
Bienquelejurysoitféminin,ilse«donnelesgants»derécompensertantdes
œuvres féminines que masculines. En 1910 le prix récompense Marguerite
Audoux pour son roman Marie-Claire, en 1919 Roland Dorgelès pour son
ouvrageLesCroixdeboiseten1931,AntoinedeSaint-ExupérypourVoldenuit.
La scandaleuse Colette (1873-1954) porte un coup décisif à la soi-disant
supérioritémasculineenmatièredecréationlittéraire.Ellerédige Sidoen1930,
La Chatte en 1933. Les autrices de l’époque écrivent le plus souvent dans la
poésielyriqueetleromantraditionnel.Mais,indéniablement,AnnadeNoailles
(1876-1933) est l’incontournable « muse de la République », et les auteures se
réclament ouvertement du « féminisme ». Lucie Delarue-Mardrus (1874-1945)
revendiqueunenatureféminineenlittérature,etlaphotographe,GisèleFreund
(1908-2000), installée en France après avoir fui le nazisme, impose sa vision
fémininedumonde.
LeParisdes«annéesfolles»estaussimarquéparlavenued’artistesétrangères
quis’intègrentdanslemilieuartistiquedelacapitaleauquartierMontparnasse
et à Montmartre. Chana Orloff devient sculptrice, Tamara de Lempika est
peintre,MarieVassilieffétudielapeintureavecMatisseavantdeselancerdans
les arts décoratifs. Les américaines Gertrude Stein et Nathalie Clifford Barney
participentàcetteviemondaineetouvrentleurssalonsauxartistes.SylviaBeach
crée une librairie d’avant-garde « Shakespeare and Company » c’est aussi
l’époquedu«ParisLesbos»desgarçonnes.Lalibertéhomosexuelleestillustrée
parplusieursartistesdontlachanteuseSuzySolidor,figuredesnuitsparisiennes.
Endehorsdelalittératureetdesartslesfemmesprennentpiedpeuàpeudans
le monde intellectuel. Une jeune fille était entrée, en 1910, à l’École normale
Sciencesdela rued’Ulm,réservéeaux garçons.Uneautres’impose,en 1924,à
l’École normale Lettres. Les khâgnes, classes préparatoires à l’École normale,
s’ouvrentauxjeunesfillesen1924.Dénommées«Ulmiennes»(paropposition
aux « Sévriennes » qui concourent à l’entrée de l’École normale de Sèvres
réservée aux filles), elles obtiennent des résultats spectaculaires, comme
l’hellénisteJacquelineDavid,connuesoussonnomd’épouseWormsdeRomilly
(1913-2010),reçueseconde(depuislakhâgnedeLouisleGrand)auconcoursde
1933, ou Simone Weil (1909-1943), entrée sixième à l’École en 1928 et
intellectuelle«engagée».Ilyadeuxgrandesscientifiques:MarieCurie(1867-
1934), grande figure scientifique de l’entre-deux-guerres, deux fois Prix Nobel
magnifiéegrâceàsonactionpendantlaguerreetsafilleIrèneCurie,PrixNobel
de Chimie en 1935 avec son mari Frédéric Joliot. Aucune des deux toutefois
n’entreàl’AcadémiedesSciences…
Les femmes journalistes sont nombreuses : toujours Séverine, Louise Weiss,
Geneviève Tabouis. Prenons garde au mythe – masculin – des « femmes
d’exception », les « personnages » les plus emblématiques étant pour les
années 30 les pionnières de l’aviation dans l’entre-deux-guerres, Adrienne
Bolland (1895-1975) réalise la traversée de la Cordillère des Andes et survole
l’Aconcagua(Cahier-images, Pl. XIV),Maryse Bastié (1898-1952),Maryse Hilz
(1901-1946)etHélèneBoucher(1908-1934,recordmondialdevitesseen1934).
Ilyatoujoursunepresseféminine,avecFemmesd’aujourd’huietLePetitÉcho
delaMode(plusd’unmilliond’exemplairesen1930),tousdeuxinspirésparles
valeursd’unemoraleconservatrice.Laversionfrançaisedumagazineaméricain
Vogue s’adresse aux riches élégantes. Innovation culturelle, Marie-Claire est
lancéeen1937,avecuneprésentationmoderne,parJeanProuvost(1885-1978)
et Marcelle Auclair (1899-1983). Ce magazine original obtient un succès
immédiat, surtout auprès des citadines des classes moyennes. Confidences est
lancéen1938parPaulWinklersurunmodèleaméricainquifaitunelargeplace
aucourrierdeslecteurs.Leslectricesytrouventunexutoireàleursolitudeetun
apaisementdansledialogueépistolairequ’ellesinstaurentaveclespersonnelsdu
journal.
Onpourraitconclurecettequêtedel’évolutiondelaperceptionsocialedela
femme, en France, entre les deux conflits mondiaux avec deux icônes, trois
symboles féminins, qui tous trois ont évolué dans l’entre-deux-guerres.
Mariannes’estcomplètementbanaliséeavecl’Unionsacrée.Elleasonbustedans
touteslesmairiesdeFrance.Elleestaussidevenueuneégériepublicitaire,mais
n’apasencoretrouvésaplaceauxPTT:ellen’estnullementunefigureféminine
surlestimbres-posted’usagecourant.Celle-ciesttoujourstenueparlaSemeuse
dessinée par Louis Roty, comme avant-guerre. Symbole de la Paix et de Cérès
déessedesmoissons,elleestl’incontournableimagedel’abondance.
Jeanned’Arc,longuementetvivementinterpelléependantlaGrandeGuerre,
avec une véritable ferveur johannique consensuelle, change beaucoup plus que
Marianne.Eneffetladroitelarevendiqueàgrandscrisdanslesannées30,carà
ses yeux elle incarnerait la France traditionnelle contre le Rassemblement
populaire. En conséquence, la Jeanne démocratique d’avant 1914 s’évanouit et
Jeanneconnaîtunenouvelleinterprétation.
Denouveauxconflitsémergenttandisqu’éclatelacriseinternationalede1929.
Elleestbancaire,financièrepuiséconomiqueetsociale.Sesconséquencessefont
sentirdanslamontéedufascismeenItalieetensuitedunazismeenAllemagne.
EnFrancelesexpériencespolitiquesmènentdublocnational(1919)auCartel
desGauches(1924).PlustardlegouvernementdeRaymondPoincaréchercheà
assainirlasituationdelamonnaiefaceà lacrisede1929.Lasituationentraîne
inévitablement la montée des extrémistes de Droite tandis que les partis de
Gauches’unissentauxélectionsquimènentàlavictoireduFrontpopulaireen
1936 avec Léon Blum. Des réformes sont initiées mais le bruit des canons se
rapproche, après l’échec de la conférence de Münich. La marche à la guerre
s’accélèreà traversles coupsde forcede Hitler,l’Anschluss enAutriche puisla
crise des Sudètes en Tchécoslovaquie. La France entre en guerre en
septembre 1939 avec son alliée le Royaume-Uni sans avoir pu juguler la crise
économiqueet les Français sontdivisés sur l’avenirpolitique de la démocratie.
Danscecontexteonapprendbrutalementqu’unpactegermano-soviétiqueaété
concluetquel’ItaliedeMussoliniserangeauxcôtésdesnazis.
CHAPITRE6

LESFEMMESDE1939À1974

FEMMESCITOYENNES«SANSCITOYENNETÉ»DANSLA
GUERRE.DELARÉSISTANCE
ÀL’ACCÈSAUDROITDEVOTE.L’ÉMANCIPATIONDU
CORPSETLACONTRACEPTION

CechapitreestdédiéàlamémoiredudocteurPierreSimon(1925/2008)Gynécologue-obstétricien.Co-
fondateurdela«Maternitéheureuse»en1956(associationdevenuelePlanningfamilial)
puisco-fondateurdu«Collègedesmédecins»en1962.

LadernièrepagedelatragédiedelaGrandeGuerreestécritele28juin1919
lors de la signature du Traité de Versailles. Les cinq principales puissances
victorieuses:l’Empirebritannique,l’Italie,laSerbie,laFranceontnégociéautour
d’untexteissudes«Quatorzepropositions»duprésidentaméricainWilson.Les
vaincusdecette guerre,laTripliceet sesalliésBulgares,ainsi queTurcsfurent
réduits àmanifester leurs points de vuepar écrit. Rares furentleurs demandes
d’aménagementquifurentacceptées.LaRussie,devenuebolcheviqueen1917fut
excluedesnégociations.
D’importantsremaniementsterritoriauxsontcréésparletraitédeVersailleset
ses corrélats. La Pologne redevient une nation, alors qu’elle était démembrée
entre la Prusse, l’Empire russe et l’Autriche. D’importants territoires qui se
trouvaient dans l’est de l’Allemagne sont attribués au nouvel État polonais.
Dantzig devient une ville libre, ce qui garantit l’accès de la Pologne à des
installationsportuairessurlamerBaltique.LacréationducorridordeDantzig,à
l’ouestdelavillelibre,aaussipoureffetdeséparerdemanièrenettelaPrusse-
Orientale,restéeallemande,durestedel’Allemagne. LaTchécoslovaquiedevient
un État indépendant de l’Empire d’Autriche auquel elle était rattachée. La
Hongriesortdeladoublemonarchieaustro-hongroiseetformeunerépublique
indépendante. Il ne subsiste plus de l’Autriche que les territoires de langue
allemande.
La France reprend la Lorraine mosellane et les deux départements alsaciens
(Haut-RhinetBas-Rhin).
LaBelgiquebénéficiedescantonsd’EupenetdeMalmedy.
L’Allemagneperdsescoloniesafricainesauprofitdesdétenteursdeterritoires
coloniauxlimitrophes.Royaume-Uni,France,BelgiqueetUnionsud-africainese
partagentleCameroun,leTogo,l’Afriqueorientaleallemande(actuelsTanzanie,
RwandaetBurundi)etleSud-Ouestafricain(actuelleNamibie).
Lesdispositionslesplussévèresconcernentlesdommagesdeguerre.L’estetle
nord dela France ontété transformés pendantprès de cinqans en champs de
ruinesparlesbataillesquiyfurentlivrées.Certainesvillesetvillagesontétérayés
delacarte.Lesterresagricolessontdevenuesd’immensescharniersetdetristes
dépotoirsdesorduresdelaguerre.L’Allemagne–considéréecommeprincipale
responsabledelaguerre–doitpayerdefortesréparationsauxAlliés.Lemontant
àpayer estiméaprès plusieursévaluations estfixé à 132milliards demarks-or,
lesquels vaudraient de nos jours, environ 1 420 milliards d’euros. Georges
Clemenceau, Premier ministre français, veut pouvoir à la fois financer la
reconstruction de son pays et affaiblir économiquement l’Allemagne. Le
présidentaméricainàl’inverse,craintuneAllemagnehumiliéeettentéeparune
aventure communiste qui relancerait les troubles en Europe. La population
allemande,comme son territoiren’a pas étéenvahi par les vainqueursne croit
pas à l’effondrement de l’armée nationale et perçoit les clauses du traité de
Versailles comme un « diktat » inacceptable des pays d’Europe occidentale. Le
kaiser Guillaume II a été déposé le 9 novembre 1918 et la république (dite de
Weimar)proclamée. Friedrich Ebert,membre duSPD,en prendla présidence.
L’agitationestàsoncomble.Danstouteslesgrandesvillesnaissentdesconseils
ouvrierset deconseilsde soldats.Ebert,dans sonpropreparti doitfaire faceà
une scission de l’aile gauche, les spartakistes. Rosa Luxembourg et Karl
Liebknecht, qui en sont les leaders, passent un accord avec le petit parti
communiste allemand et appellent à l’insurrection. Entre le 5 et le 12 janvier
1919, on se bat dans les rues de Berlin. Ebert fait appel aux « corps francs »,
milicesconstituéesprincipalementdesoldatsdémobilisésquiviventdel’exercice
mercenairedumétierdesarmes.Ceshommes,adeptesdelaviolencesontutilisés
à contre-emploi dans la défense de la république allemande. Ils mettent fin au
soulèvement, arrêtent Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht et les fusillent. Ce
sontlesmêmesqui,enmars1920,marchentsurBerlindanslebutderenverser
larépublique.Parlasuite,ceshommesfurentnombreuxàrallierlesSApuisle
SS du parti NSDAP fondé par Hitler. Les SA dirigés par Röhm forment la
fraction populiste des troupes du NSDAP. Au cours de l’année 1934, le
chancelier Hitler, démocratiquement élu, se rapproche des milieux d’affaires
dont il a besoin pour financer le réarmement de l’Allemagne. Ces derniers ne
veulentplusdesagressionsdepleineruedontlesSAsontlesacteurs.L’ordreest
nécessaireàlamarchedesaffairesetilconvientdetransférerlerôledebrasarmé
duNSDAPauxSS,forcepolitico-militaireorganiséesurlemodèled’unearmée,
capable de maintenir l’ordre avec discrétion. C’est alors la « nuit des Longs
Couteaux»aucoursdelaquellelesSSd’HeinrichHimmleréliminentplusieurs
centainesdecadresdelaSAàtraverstoutel’Allemagne.UndossiercontreRöhm
est fabriqué par la SS, tendant à prouver qu’il avait reçu des sommes
considérables de la France pour créer des troubles en Allemagne. Devant son
refusdesignerces«aveux»,leprocèsqu’ilétaitprévud’organiserestannulé.Il
est discrètementexécuté dans le cachot oùil est retenu depuis sonarrestation.
Cette émergence d’un régime politique cynique et violent est un modèle
moderne que l’on voit se reproduire périodiquement. L’Italie avait initié ce
schémaavecl’élection«démocratique»deBenitoMussoliniaupostedePremier
ministre.Celle-cifutprécédée,avantmême lacréationdumouvementfasciste,
néen1921,parle«squadrisme».Lemouvementsquadristenaquitaudébutde
l’été 1920. Il est constitué de « faisceaux de combat » dont le modèle et le
recrutementsont prochesdeceux descorps francsallemands.Ils serenforcent
grâce à l’appui logistique et financier fourni par les possédants et les
représentants de l’appareil d’État désireux de réprimer toute tentative de
révolution communiste. Il commence en Vénétie où la « lutte contre le
bolchevisme » servit de prétexte à l’écrasement des socialistes et des minorités
slaves.Ilsepoursuitavecdesaffrontementsarméscontrelemouvementpaysan
des«bracciantie»(lestravailleurssansterre),en1920.Ilpritensuitesapleine
puissanceaveclesactionssanglantesmenéesdansleszonesurbainescontreles
socialistes et anarchistes. Modèle repris par l’Allemagne, le « Duce » (chef),
démocratiquementélu,éliminelesopposants,musellelapresseetimposesaloi
grâceàl’appuifinancierqu’iltrouveauprèsdesmilieuxd’affaires.
LecasduJaponestculturellementdifférent.Cepaysnepartagepaslesidéaux
démocratiques des pays occidentaux. Au sommet de l’État, l’empereur est une
personnesacrée,dontl’autoritéspirituelleleplaceau-dessusdelapopulation,il
dominelespouvoirsexécutif,législatifetjudiciaire.La «diète»assembléeélue
partage le pouvoir législatif avec le gouvernement installé par l’empereur et
ratifieparvotelesloisetlesaccordsinternationaux.L’aristocratiedecouretles
grands propriétaires fonciers perdent leurs pouvoirs au profit de la petite
noblesseguerrière.Cetteconstitution«Meiji»résultedelanécessitéapparueen
1869desortirlepaysdelaféodalitéetd’assurerundéveloppementéconomique
qui passe par des conquêtes territoriales nécessaires à l’ouverture de nouveaux
marchésquipermettentl’expansiondelatoutenouvelleindustriejaponaise.
Lapériode quivade laGrande Guerreàla SecondeGuerre mondialerévèle
l’émergence de trois puissances autoritaires aux pratiques cyniques, fortement
industrialisées,privéesdecoloniesquileurpermettraientdetrouverdesmarchés
pour leurs industries. Elles ont donc toutes trois des objectifs d’expansion
territorialeauxdépensdeleursvoisins.
De leur politique expansionniste naît la Seconde Guerre mondiale, conflit
arméàl’échelleplanétairequiduredu1 erseptembre1939au2septembre1945.
Elle est annoncée par la convergence d’un ensemble de tensions et conflits
régionaux:enAfrique(Secondeguerreitalo-éthiopiennedès1935),enEspagne
où la guerre civile commence le 18 juillet 1936, en Chine où les agressions du
Japon débutent le 7 juillet 1937, et en Europe centrale où l’Allemagne annexe
autoritairementl’Autrichele11mars1938puislesterritoiresdesSudètesprisà
la Tchécoslovaquie le 21 octobre 1938. Le 1er septembre 1939, après un pacte
contrenaturepasséavecl’Unionsoviétique,cesdeuxpuissancessepartagentla
Pologne qu’elles envahissent militairement. Le 3 septembre 1939, le Royaume-
Uni et la France entrent en guerre avec l’appui de leurs empires coloniaux
respectifs.
Associéeàl’AllemagnedanslepartagedelaPologne,l’URSSrejointlecamp
alliésurlefrontest-européenlorsquel’Allemagneenvahitleterritoiredel’URSS
le22juin1941.L’attaquesurprisedelabasenavaleaméricainedePearlHarbor
par les forces japonaises, le 7 décembre 1941, provoque l’entrée en guerre des
États-Unis. Dès lors, le conflit devient mondial, impliquant toutes les grandes
puissances, et la majorité des nations du monde sur la quasi-totalité des
continents.
LaSecondeGuerremondialeplongel’Europeetlemondedanslechaos.Les
troispuissancestotalitairesprofitentdel’affaiblissementdesdémocratiesaprèsla
crise des années Trente : l’Allemagne nazie, l’Italiefasciste, le Japon militariste
quis’estattaquéàlaChinedès1937.
La guerre côté européen débute en septembre 1939 par l’invasion de la
Pologne par les Allemands. Les Français et les Anglais attendent avant
d’intervenirmilitairement.Lagrandeoffensivedel’Allemagnesedérouleensuite
contre les Pays-Bas, la Belgique et la France en mai 1940. Effaré, l’état-major
françaisdécouvrequelesAllemandsnefontpaslaguerredelamanièreprévue.
La ligne Maginot a été conçue pour résister au choc de masses de fantassins
déferlant dans un assaut massif sur un front s’étendant sur des dizaines de
kilomètresdelargeur.Maisl’ennemi seprésentedansdeschars porteursd’une
puissanteartillerie,suivispardestransportsdetroupeblindésquivéhiculentles
fantassinsàl’abridestirsennemis.L’arméefrançaisenedisposed’aucunearme
antichar d’infanterie comparable au « panzerfaust » allemand. Elle doit se
contenterdetroprarescanonsHotchkissde25mmetModèle37de47mm.De
surcroît, l’armée allemande possède la totale maîtrise du ciel, condition
nécessaire à la survie des unités blindées. Après la traversée des Ardennes, le
frontestpercéàSedanetlaligneMaginotestpriseàrevers.Larouteestouverte
versParis.Unepartimportantedelapopulationcivilefrançaise,soitplusdesept
millionsdeFrançais,empruntelesroutesdel’exodeetfuitverslesud(Cahier-
images,Pl.XV,SurlaroutedeBuzançais).Legouvernementfrançaisseréfugieà
Bordeaux. La France, écrasée, se retire des combats. L’armistice est conclu le
16juin1940.Lamétropoleestdiviséeendeuxzones.Lazonenordestoccupée
parlesAllemands.Danslazonesud,ungouvernementdit«État-français»àla
têteduquel est nomméle maréchalPhilippe Pétains’installe àVichy. Il définit
formellement les lois applicables dans cette zone dite « libre », sous la tutelle
omniprésentedesvainqueurs.IlestmisfinàlaTroisièmerépublique.Àl’issue
del’entrevue deMontoire(octobre 1940)Pétainaccepte de« collaborer»avec
Hitler.Danslesilencedeladéfaites’élèvele18juinl’appeldugénéralCharlesde
GaulledepuisLondresafindecontinuerlecombatetrésisteràl’ennemipartous
lesmoyenspossibles.
Labatailled’Angleterrequisedéroulealorsdejuillet1940àmai1941,estune
bataille aérienne qui oppose principalement la chasse britannique aux
bombardiers allemands venus par vagues détruire Coventry et Londres. Cette
opérationdegrandeampleurétaitmenéeparlaLuftwaffepourdétruirelaRoyal
Air Force, annihiler la production aéronautique britannique et anéantir les
infrastructuresaéroportuairesafindepermettreàl’arméeallemanded’envahirle
Royaume-Uni.Un autre objectif était de terroriserla population anglaiseet de
pousser son gouvernement à faire la paix avec l’Allemagne. Malgré leur
infériorité numérique les pilotes britanniques et alliés mettent un terme à cet
engagement en détruisant un nombre considérable d’avions de la Luftwaffe.
Depuisledébutdelaguerre,c’estlapremièrefoisquel’Allemagneestconfrontée
à un échec. Le président Roosevelt soutenu par le vote favorable du Congrès
américain,accepted’assurerlesoutienàl’effortdeguerrebritanniqueparlaloi
prêts-bail de 1941. La guerre s’étend en Méditerranée avec l’intervention
italienne en Lybie et en Tunisie, face aux Anglais installés en Égypte. En
février 1941, un corps expéditionnaire allemand commandé par le maréchal
Rommel vient au secours des Italiens, mis en difficulté. Peu après le pacte
germano-soviétiqueestrompuetl’URSSentreenguerreàlasuitedesattaques
deHitlerdejuin1941.
Leconflitmondialconnaîtensuitetroistournants:untournantgéopolitique
avec les offensives japonaises dans le Pacifique. Un tournant politique avec
l’impact considérable de l’URSS de Staline face à l’envahisseur allemand, un
tournant militaire, par la réussite du débarquement des Américains et des
Anglaislors de lavictoire d’El-Alameinpuis dudébarquement au Marocet en
Algérie. Sur le champ de bataille européen, la bataille décisive est livrée à
Stalingrad en février 1943, enfin en mai 1943 les Anglais et les Américains
gagnentlabatailledel’Atlantiqueenremportantplusieurssuccèscontrelessous-
marinsallemandsetendétruisantlecroiseurScharnhorstaumoisdedécembre.
Enfin un tournant psychologique majeur : ces victoires militaires redonnent
courageaux«résistants»danstouslespaysoccupésparlesAllemands.L’année
1944/1945voitlachutedelapuissanceallemande(capitulationdeBerlin-8mai
1945)puiscelleduJapon,aprèsl’utilisationdesdeuxbombesnucléaireslancéesà
HiroshimaetNagasakipourcedernier.L’utilisationdecesenginsouvrel’èrede
lastratégieanti-citédanslaguerremoderne.
Leshistoriensontdresséle bilandecetteguerretotale.Lepoids nouveaude
l’Étatdansl’économies’estaffirmé.Lesbelligérantsontorganiséuneéconomie
de guerre, institué le rationnement, contrôlé les prix et les salaires. Dans ce
contextel’économisteanglaisBeveridgerédigedès1942unplanquiaboutitàla
notionde«WelfareState»del’après-guerre.Cet«Étatprovidence»estlefruit
d’une réflexion qui inspire l’introduction de la sécurité sociale et des services
annexes dans la plupart des pays belligérants destinés à combattre l’immense
misère provoquée par la guerre dans les classes sociales les plus pauvres. La
guerre a aussi ouvert une nouvelle ère scientifique celle des recherches sur
l’atomeetl’espace.Lasuprématieaméricaines’estdéveloppéeàtraversleprojet
Manhattan qui a pour but de créer une arme nucléaire qui mette le Japon à
genoux. Manhattan nécessite, pour son développement, la création d’outils de
calculauxperformancesinégalées.Onluidoitlaconceptionetlaréalisationdes
premierscalculateursnumériquesassezpuissantspoursimulerledéveloppement
d’une réaction nucléaire. Ce conflit mondial est aussi la première guerre
idéologique. L’idéologie nationale-socialiste s’est construite sur une idéologie
racistehiérarchisantles«races»(sic)enfonctiondecritèresabsurdesjustifiant
lasuprématiedelaracearyenneetlegénocidedesjuifs.LesSoviétiquesautour
deStalineontimposél’installationd’ungouvernementcommunistedanstousles
territoires occupés par l’armée et administré la preuve que l’idéologie
émancipatrice de Marx pouvait servir de base aux pires régimes répressifs. Du
côté des Occidentaux, Roosevelt et Churchill signent la Charte de l’Atlantique
(août1941)quifixelesbutsdelapaixàvenir,fondantcelle-cisurleslibertés,la
souverainetédesnations,lacoopérationéconomiqueetsocialeentrelesnations
et l’établissement d’un « système de sécurité générale ». Peu après, en
janvier 1943, les États-Unis et l’URSS sont signataires de la « Déclaration des
NationsUnies».
LecasdelaFranceetdesapopulationestbienparticulier,danslamesureoù
leszonesnordetsudimposéesparlesaccordsd’armisticeviventsouslesloisdu
gouvernement de Vichy. Mais le pouvoir exécutif est entre les mains de la
Kommandanturallemandeaunordetdel’autoritéfrançaiseausud.Lerégimede
Vichys’est installéà lafaveurde ladéfaite dejuin 1940.L’autorité dePhilippe
Pétain vainqueur à Verdun en 1916 ne fait guère l’objet de discussions et le
désarroi mène l’opinion publique à l’acceptation contrainte des clauses de
l’armistice.LapropagandedeVichymetl’accentsuruneprésumée«révolution
nationale»,quiconduitàmettrefinàlaconstitutiondelaIIIeRépubliqueetla
mise en place d’un État français autoritaire qui s’articule autour des valeurs
traditionnelles de l’extrême droite française. Les valeurs « Travail, Famille,
Patrie » viennent prendre la place de la Liberté de l’Égalité et de la Fraternité
chèresàlaRépubliquedepuis1792.L’exaltationdelavaleurTravail,desvertus
de la paysannerie et des artisans conduit ce gouvernement à interdire les
syndicats et à réinstaller le système des corporations. L’Institut d’études
corporatives et sociales (IECS) est le centre de réflexion et de formation sur le
corporatismeàpartirduquelcetteidéologieestdéveloppée.Ilformenombrede
hauts fonctionnaires pétainistes en vue d’une réorganisation de l’industrie
française pour l’après-guerre dans une optique de planification globale de la
production.
Lapolitique d’inspirationracisteet antisémitedePétain etde sonentourage
est mise en œuvre dès octobre 1940. Les juifs sont exclus de nombreuses
professions.Lapolicefrançaise estmiseà ladispositiondesAllemands pourla
zone occupée, où elle participe aux poursuites engagées à l’encontre des juifs.
Vichy se soumetà une collaboration d’État avec le régime nazi. Laproduction
industriellefrançaiseestmiseàcontributionparlesoccupantsetlesprisonniers
sont astreints au STO (Service du travail obligatoire) en Allemagne. Certaines
personnalitéssont«collaborationnistes»commeJacquesDoriotetMarcelDéat.
Parallèlement se met en place la Résistance française. La Résistance extérieure
installée à Londres réunit environ 7 000 hommes et femmes sous le nom de
«ForcesFrançaisesLibres»(FFL)tandisquelaRésistanceintérieures’organise
dansdegrandesdifficultés:elleesttraquée,àlafois,parl’arméeallemandeetpar
lesautoritésfrançaises.Leclimatestceluid’uneguerrecivile,où,surleterrain,il
fautaffronterlesforcesdel’occupantetcellesdeVichy.LaRésistanceintérieure
peineàsestructurer.Ilya,defait,desmouvementsd’obédiencecommuniste,et
demultiplesréseauxsupportéspardesspécialistesanglaisdel’actionclandestine
etd’autresencoreréunisparunmétieretuneorganisationcommuns.LaSNCF
connaîtdes heures glorieusesau moment du débarquementde Normandie car
sesemployésgagnésàlacausedelaLibérationfontsauterdenombreuxtrains
quitransportentdesrenfortsdestinésauxunitésallemandesquicombattentsur
lemurdel’Atlantique.JeanMoulinréussitenmai1943àréunirleschefsdetous
les mouvements clandestins, les représentants des partis politiques et des
syndicatsdansunConseilNationaldelaRésistance(CNR).CeConseilfinitpar
reconnaître le général de Gaulle comme chef de la France combattante. Cette
légitimitéfutdifficileàacquérir.DeGaullequitteenfinLondrespourAlger.
ÀpartirdelaLibérationetdel’été1944,laFrancesemobilise.Parallèlementà
une vague d’épuration contre Vichy, le gouvernement provisoire de la
République est organisé à Alger autour du général de Gaulle et une nouvelle
unionnationalesemetenplace.
L’après-guerre européen, dès 1945/47, met en évidence des espoirs déçus
malgréun ventderéformes importantes.Deschangementspolitiques sontmis
en œuvre tant à l’ouest qu’à l’est. La crise économique de 1947 montre le
dénuementdel’Europe.Lafraternitédescombattantsnesurvitpasàlavictoire.
L’alliance américano-soviétique est rompue et le monde bipolaire de la guerre
froide se met en place. Les alliances (défensives bien sûr !) OTAN à l’ouest et
PactedeVarsovieàl’estsestructurentdansunclimatd’intensedéfiancevis-à-vis
del’alliéd’hier.
Dupointdevueéconomiquelemondeconnaîtunecroissanceexceptionnelle,
dont les fondements sont les choix monétaires des accords de Bretton Woods
(1944).Ledollardevientlepivotdusystèmemonétairedumonde«libre».Le
FMIestcrééen1947.Lasuppressionprogressivedesbarrièresdouanières,cléde
l’accroissement des échanges commerciaux mondiaux se met en place dans le
cadre du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade -1947, antérieur à
l’OMC).Ducôtédel’Europedel’ouestsixétats,dontlaFranceetlaRépublique
fédérale allemande, mettent en place la CECA (Communauté européenne
Charbon Acier) en 1951, puis la CEE (Communauté économique européenne)
lorsduTraitédeRomeenmars1957.Lespayssocialistess’alignentsurlesvues
deMoscouautourduComecon(ouCAEM)etdesonsystèmedeplanification
de la production. Le paysage démographique dans lequel évoluent ces
organismes est celui d’une explosion de la natalité, prometteuse d’une forte
croissancedelademandedebiensdeconsommation.
À l’ouestune sociétéde consommation semet en placeavec la télévision,la
publicitéomniprésenteetlecrédit,l’automobileenvahitlaviequotidienne.Les
différentschocspétroliersquisesuccèdentàpartirde1973remettentencausece
modèledeconsommation.

ÊTREFEMMESOUSL’OCCUPATIONETLEGOUVERNEMENTDEVICHY
Aprèsladéfaitedel’été40,etl’occupationdelamoitiénorddelaFranceparle
régimegermanique nazi,le gouvernementdeVichy adoptepour lapartielibre
dupays unprogrammedont ladevise« Travail,Famille,Patrie »donnele ton
surlaplaceréservéeauxfemmesdansla«nouvellesociété»qu’ilseproposede
créer.Ellessontenglobéesdanslaculpabilitédeladéfaite:letravaildesfemmes
est condamné, le délaissement de leur foyer et de leurs enfants est reconnu
commeunecausemajeuredeladéfaite!Cegouvernementn’adecessequede
restaurerlahiérarchieentrelessexes,depromouvoirle«caractèresacré»dela
maternité et de lutter contre l’émancipation des femmes. Vichy établit des
mesures relatives à l’enseignement ménager des filles, les mouvements de
jeunesse mettent l’accent sur l’apprentissage des filles, et le gouvernement
apporte son soutien aux mouvements féminins de jeunesse organisés sur un
modèleparamilitaire.
Des mesures incitatives sont prises en faveur de la natalité. Plusieurs
institutionspolitiques sontmises enplaceà ceteffet :un secrétariatd’État àla
familleetàlajeunesse,puisunConseilsupérieurdelafamilleen1943.Lafête
desMèresdevient officielleenmai 1941.Lesfamilles nombreusessontmisesà
l’honneur. La politique de Vichy réprime avortement et contraception. Les
«faiseusesd’anges»sontlourdementréprimées,l’uned’ellesestcondamnéeàla
guillotine et exécutée en 1943. Dans le domaine du travail salarié, tout est fait
pour renvoyer les femmes au foyer. L’administration licencie les femmes
mariées.Lesfemmesdeplusde 50anssontmisesd’officeà laretraite.D’autre
part, en cas d’embauche, la préférence est donnée aux pères de plus de trois
enfantsplutôt qu’aux mères. Onlutte contre l’émancipationdes femmes. Il est
interdit à des couples mariés depuis moins de trois ans de se séparer et
d’abandonner le domicile conjugal. Dans le cas où une femme abandonne le
domicileconjugal,celaestassimiléàunefautepénale!
Lesphotosdiffuséessurdesaffichesetdanslapresseémanentdesservicesde
propagandedel’Étatfrançaismisenplaceenjuin1940parPhilippePétain.C’est
l’unique source auprès de laquelle la presse est autorisée à s’approvisionner.
L’incontournablescène-typeestcelled’unefamilleréunieautourd’unetablebien
garnie,desenfantssouriantsetbiennourrisauprèsd’unemèreattentive,sousla
tutelle d’un père fort et dominateur. Ce mensonge d’État est une contre-vérité
sur la vie dans la zoneoccupée, c’est dire la moitié nord de la France dès l’été
1940etensuitedanslatotalitédupaysaprès1942etjusqu’en1945.
La réalité est loin des images de propagande de Vichy : de nombreuses
femmes, veuves de guerre ou femmes de prisonniers se trouvent seules et
démunies. Elles doivent assumer leur quotidien et celui de leurs enfants, sans
ressources autres que celles de leur travail. Dans les classes sociales modestes,
l’urgencedesfemmesestdetrouverunemploipoursurvivreetfairevivreleurs
proches. Le cas des femmes de prisonniers est particulièrement difficile.
Quelques aides d’État leur sont allouées. Très vite le système de tickets de
rationnementalimentairesemetenplace.Lesarméesoccupantesconfisquentla
productionalimentairepourlatransférerenAllemagne.Parlasuites’yajoutent
les textiles, les vêtements, le cuir, les chaussures puis les objets de première
nécessité, et le charbon. Tout ceci engendre des queues devant les magasins
pendant de longues heures pour espérer trouver les quelques produits restants
avec les tickets de rationnement. Ces derniers sont définis par rapport à une
échelledesâgesetdesactivitésdeshabitants.
Face aux demandes pressantes du IIIe  Reich, l’État français, c’est-à-dire le
gouvernement de Vichy, recrute des auxiliaires féminines car on manque de
main-d’œuvre masculine. Cependant Pétain refuse qu’un STO (Service du
TravailObligatoire)soitappliquéauxfemmes,danslecadredumouvementdit
«delaRelève»quiviseàremplacerlestravailleursallemandsmobiliséspardes
travailleursforcésissusdesnationsvaincues.Ilyeutcependant80000femmes
quipartirentenAllemagne,cefurentdes«déportéesdutravail».Lescontours
delacollaborationéconomiquedeVichyrestentflous.Cependantilconvientde
nepasoublierlasituationatrocedes«MalgréNous»,hommes,jeunesfilles,et
femmesmosellansetalsacienstransformésparladéfaiteencitoyensallemands.
Les hommes sont mobilisés dans l’armée allemande et les femmes
réquisitionnéesdeforcepourallertravaillerdanslesusinesallemandes,oudans
les exploitations agricoles. Ces femmes furent gérées et surveillées par la KHD
(Kriegschilfsdienst)etparlaWehrmacht.
Lasolidaritédesfemmessemanifesteaussidansl’aidealimentaireauxenfants
juifs qui n’avaient pu être cachés sous une identité d’emprunt leur permettant
d’avoiraccèsaux ticketsde rationnement,danslescollectes devêtementspour
lesprisonniers,danslesdistributionssecrètesdevivresetl’aideauxmaquisards.
Face aux pénuries qui s’aggravent rapidement, les femmes n’hésitent pas à
descendredans larue. Ellesmanifestentsouvent avecleurs enfants,d’aborden
zone nord occupée, surtout dans le bassin minier, puis le long de la vallée du
Rhône,ensuiteaprès1942enzonesud.Ellesserendentdevantlespréfectureset
les sous-préfectures. À la suite de ces mouvements spontanés, des « comités
populaires»semettentenplace,souventàl’initiativedefemmescommunistes.
Enjuin1942,lescommunistesÉmilienneRoptyetMarthaDerumauxorganisent
les manifestations de soutien des femmes à la grève des mineurs du Pas-de-
Calais.
ÀParis,desfemmesisolées,souventcommunistes,lancentdesopérationsde
Résistance contre les restrictions. Elles essaient d’intervenir dans certaines
épiceries,maissontarrêtéesetvictimesdelarépressionnazie.Certainesd’entre
elles,jusque-làpeupolitisées,réussissentàsefaireadmettredanslesgroupeset
lesréseauxdelaRésistance.
La gestion de la vie quotidienne a pris une dimension démesurée pour les
femmesresponsablesdeleurfamille,deleur«ménage»entre1939et1945.Au-
delàdecessoucisrépétésduquotidien,lesfemmesfurentprésentes,tropsouvent
anonymement aux côtés des hommes dans diverses formes de résistance pour
refuser l’occupation nazie, et maintenir les libertés de la démocratie. Celles-ci
vont de l’action clandestine spontanée (collage d’affiches, graffitis…) à
l’engagement dans des réseaux structurés d’action armée. Pendant une longue
périodequisuitl’après-guerre,leshistoriensn’ontpasétudiélerôlejouéparles
femmes dans la Résistance et leurs noms apparaissaient peu. Depuis 1977, des
avancées historiographiques se sont produites et des oubliées de l’Histoire ont
surgi.Cernerlechampd’actiondesfemmesétaitpeuaisé.Leurparticipationaux
actions de désobéissance civile, à l’organisation d’une résistance caritative au
profitdeceuxquiavaientchoisid’entrerdanslaclandestinitéétaitconnue.Mais
biend’autresactionsrestèrentdansl’ombre,carleurexécutionexigeaitquerien
ne soit jamais écrit et que l’on ignore l’identité véritable de ses camarades de
combat. Le contexte politique de l’époque qui identifiait la femme comme
l’instrumentdeladémographienationaleoffraitaussiinvolontairementunvoile
supplémentairequicouvraitlaclandestinitédel’activitéd’ungrandnombrede
femmesdecetteépoque.

LAPERSÉCUTIONDESFEMMESJUIVES
La loi française du 3 octobre 1940, renforcée par celle du 2 juin 1941
institutionnaliseladéfinitionde« racejuive»déjàétable quelquesannées plus
tôtpar le IIIe Reich.Les interditsd’accès à certainesprofessions sontle fait du
gouvernementdeVichyetmenacentdavantageleshommesquelesfemmesdans
leur application. Mais ces décisions privent vite les foyers de ressources
économiques tandis que le silence s’abat sur eux. Cette invisibilité est
brutalement remise en question par l’obligation du port de l’Étoile jaune. La
décisionconcerned’abordlazoneoccupéeàpartirdu20mai1942,puiss’étendà
toutleterritoirefrançaisaprèsl’invasionnaziedelazonesud(novembre1942).
Le port de l’Étoile jaune est obligatoire pour les adultes hommes et femmes :
seulsles enfantsde moinsde sixans yéchappent. HélèneBerrjeune étudiante
française d’origine juive âgée de 21 ans relate dans son Journal le choc qu’elle
reçut entrant pour la première fois dans la cour de la Sorbonne porteuse de
l’Étoileinfamanteaureversdesaveste.Elleécritle9juin1942:
«JesuisarrivéedanslagrandecourdelaSorbonneàdeuxheurestapantes
[…].J’aisouffertlà,danscettecourensoleilléedelaSorbonne,aumilieude
tous mes camarades. Il me semblait brusquement que je n’étais plus moi-
même,quetoutétaitchangé,quej’étaisdevenueétrangèrecommesij’étaisen
pleindansuncauchemar.Jevoyaisautourdemoidesfiguresconnues,mais
je sentais leur peine et leur stupeur à tous. C’était comme si j’avais une
marquerougesurlefront».
Hélèneetlesmembresdesafamillefurentarrêtésen1944,envoyésàDrancy
etdelààAuschwitz.HélènemourutaucampdeBergen-Belsen.
IrèneNemirovski,écrivainejuiveestarrêtéedansleMorvanoùellesecachait
avecsafamille.
Certainesdecesfemmesd’originejuiveétaientétrangères.LaRésistanceétait
leurseulevoiedesurvie.C’estunedestinéequ’ellesontassuméeavechéroïsme,
enrejoignant larésistancecommunisteFTP (Francs-TireursPartisans),section
MOI (Main-d’Œuvre Immigrée). Ce mouvement connut de sanglantes
destinées:lesfusillésdugroupeManouchianenfaisaienttouspartie(cf.l’Affiche
Rouge).Quel’onsoitjuiveourésistantecommuniste,ou,pireencorelesdeuxà
lafois,unefoisarrêtée,levoyageconduisaitàAuschwitzaprèsunecourteétape
aucampd’internementdeRieucros(prèsdeMende).
ÀParis,lorsdelaterriblerafleduVel’d’Hiv(16-17juillet1942),unnombre
considérable de femmes et d’enfants furent faits prisonniers. Sur plus de
33 000 juifs présents, 8 500 femmes et 4 000 enfants furent raflés. Les familles
furent internées à Pithiviers et à Beaune la Rolande avant d’être envoyées au
campd’Auschwitz.Leshistoriensontpumontreravecl’accèsprogressifautorisé
àcertainessources,queleprocessusdela«Solutionfinale»atouchéhommeset
femmes sans distinction de sexe ni d’âge. Des jeunes filles et des femmes ont
témoignédel’arrivéedanslescamps,delaséparationbrutaledesenfantsdeleurs
parents,puisdeshommesetdesfemmes,del’immédiatedeshumanisation,dela
nudité,desappelsdanslefroidpendantdesheures,dutatouageindélébiled’un
numéro de déportée, de la tonsure de la chevelure… Les femmes mettent en
œuvredeminusculesarmescontreledésespoir,parlasolidaritédansl’adversité,
leschants,lesrécitationsdepoèmes.GermaineTillion,ethnographe,spécialiste
desAurès,arrêtéepourcausedeRésistance(Cahier-images,Pl.XV),composeà
Auschwitzunopérapoursescamarades:«LeVerfûghbarauxenfers»,unesorte
deparodiegrotesqued’Orphéeauxenfers.Lesfemmescachentlesnouveaux-nés
et ontrecours à des trésorsd’imagination pour les alimenter.De l’empathie se
manifeste, des amitiés se nouent, ce dont témoigne Marie-José Chombart de
Lauweétudianteenmédecinearrêtéeetdéportéepourfaitsderésistance.

DESFEMMESDANSLARÉSISTANCE/LAFRANCELIBRE
ETLONDRES

Au début de la Seconde Guerre mondiale, après l’Exode et dès l’appel de
CharlesdeGaullele18juin1940àlaBBC,descitoyennesrefusentladéfaiteet
veulents’engagerpourla victoiredelaFrance. Le«Corpsféminin »estcréé à
Londres en 1940, il est rebaptisé peu après CVF (Corps des Volontaires
Françaises). Incorporant des civiles dans l’armée des FFL il fut mis sous les
ordresdeSimoneMathieu puisàpartirde1942 d’HélèneTerré.Lespremières
patriotes qui avaient réussi à fuir de France par divers itinéraires difficiles ou
celles qui venaient d’Afrique du Nord se présentèrent dans les locaux de la
France Libre à Londres, à Saint-Stephen’s House sur les quais de la Tamise.
Parmiellessetrouvaient quelquesfemmesissuesduSSA (ServiceSanitairedes
Armées).Ellesnesontpasaccueilliesàbrasouverts!Lesservicesdesécuritétant
gaullistequebritanniquesontméfiantsetcraignentqueparmilesvolontairesse
cachent des émissaires de Vichy. Les candidates à l’incorporation doivent
répondre à des questionnaires, leurs réponses sont soumises à enquêtes, avant
que leur candidature soit acceptée et qu’elles soient incorporées sous un
matriculed’identification(série70000).Quelquesfemmesconnurentmêmeun
emprisonnement temporaire avant que leur candidature ne soit acceptée après
enquête.
Combattantes et endurantes, elles le furent de toutes les missions qui leur
furentconfiées,desplushumblesauxplusrisquées.Cesfemmes,desplusjeunes
auxplusâgéesacceptèrentlavieencaserneféminine(42HillStreetpuis,après
un bombardement transfert à Moncorvo House). Elles s’adaptèrent aux tâches
quileur furentassignées: secrétariatauprès desofficiers,traductions, conduite
d’automobilesetdecamions,servicesauxtélégraphesettéléphones,infirmières,
cuisinières,«roofspotters» (guetteusesdenuitsur lestoitslorsdes alertesaux
bombardements).Quelques-unesreçurentunentraînementd’agentsdeliaisonet
deparachutistes.D’aprèslesdossiersconservésparlesservicesdesarchivesdes
armées il y eut six cents femmes enrôlées entre 1940 et 1944 auprès des FFL.
Quelques dizaines d’entre elles furent ensuite envoyées à Alger en 1943/44,
lorsque le GPRF (Gouvernement Provisoire de la République Française) s’y
installa.
La vie au quotidien était spartiate, entrecoupée par les alertes aux
bombardements,commeentémoignelejournalintimedeTéreskaTorrès,jeune
juive âgée d’à peine vingt ans, d’origine polonaise, née en France et venue
rejoindrelesvolontairesàLondres.Quelquesfemmesfurentsélectionnéespour
travailler au BCRA-CE (Bureau central de renseignement et d’action-section
Contre-espionnage) dès 1942. Elles étaient rigoureusement surveillées et
assujettiesausilence.D’autresfemmesvoulurentparticiperaucombatclandestin
delaRésistanceauprèsdessoldatsparachutésenFrance.Unvivierfutconstitué
mais les officiers acceptaient mal de faire confiance aux femmes pour ces
missions périlleuses. Elles reçurent cependant une formation (comme
opérateurs-radio ou comme agents de liaison) dispensée par des instructeurs
britanniques.
LorsdelaLibérationenaoût1944àpartirdeseffectifsdesFFLfutconstituée
uneMMLA(MissionMilitairedeLiaisonAdministrative)établiesurleterritoire
français.Ellefutdotéed’unesectionfémininechargéed’apporteruneassistance
immédiate aux populations civiles dans les zones de guerre. De nouvelles
candidates sont alors admises après interrogatoire devant une commission
d’officiers français et anglais. Les candidates retenues doivent suivre une
formationintensivedesixsemainesàLondres,sanctionnéeparunexamen.Bon
nombre de ces jeunes femmes ont été membres des équipes de secours auprès
des populations de réfugiés errant sur les routes (après les bombardements de
Bayeux,deCaen…).Aprèsl’armisticedu8mai1945laplupartdesfemmesdu
CVFfurentdémobilisées.Cellesquirestaientfurentdisperséesdansdesmissions
enFrance,enAngleterre,enAfriqueduNordetdansl’Allemagneoccupée.Un
noyau de trois cents volontaires reste sous les drapeaux, elles sont vite noyées
danslamassedesAFAT(AuxiliairesFémininesdel’ArméedeTerre)recrutées
pour répondre aux nécessités croissantes des populations libérées, au fil de
l’avancedesarméesalliées.Après1945ellesfurentplusdequinzemille.Àcette
époque on ne songe guère à imposer la présence des femmes dans une armée
traditionnelle.Cependant Hélène Terréavait multiplié les rapportspour tenter
de sauver ce qu’elle avait contribué à bâtir auprès du CVF. Les femmes qui
souhaitentcontinueràtravaillerdansl’arméeyonttouteleurplace.Elleplaide
pourque l’armée entemps de paixdispose d’un« noyau »d’une quinzaine de
milliersdefemmessoldats,spécialistesinstruitesquipourraientêtrerejointesen
casdenouvelleguerreparungrandnombredecitoyennesvolontaires.En1946
une quarantaine d’anciennes du CVF partent avec l’armée en Indochine à
Saïgon.
Pourlaplupartdesvolontairesladémobilisationrésonnecomme«unretour
auxnormesdegenre:retouraufoyer,findel’aventure».Lesfemmesviennent
d’obtenirledroitdevoteenFrance!Cependantellesdemeurentassignéesàleurs
rôles traditionnels alors que les honneurs et la gloire militaire demeurent
l’apanage des hommes. Même la mémoire gaulliste fut oublieuse à propos des
membres du CVF (Corps des Volontaires Françaises). Cependant en 1951 un
décretdelaIVeRépubliqueconfirmeque touteslesfemmesengagéesdès 1940
ont bien servi à titre militaire. Il officialise et précise le statut des femmes
militaires en France. La perspective d’une carrière militaire en temps de paix
dans les services auxiliaires leur est ouverte. Il faut encore de longues années
avantqu’ellespuissentfairepartiedesunitéscombattantes.
Ladifficilehistoiredel’incorporationdesvolontairesfrançaisesdanslesFFL
est surtout le reflet des interdits machistes qui avaient cours dans l’armée
françaisedel’époque.LaRésistancedel’intérieurignorecegenredebarrièreset
faitappelàl’énergieetaurefusdeladéfaitedespopulationsféminines.15%des
résistants sont des femmes ainsi que 15 % des déportés politiques. Si on
s’interroge sur la relative faiblesse de cette proportion et sur le fait qu’elle est
moins importante que dans des pays européens voisins, il faut garder en
mémoirequedans notrepays,lesfemmes sonttraitéesenmineuresau seinde
leurcoupleetn’ontpasledroitdevoteauseindelacollectiviténationale.Cela
n’empêche pasnombre d’entre elles dese mettre au service dela Résistance et
d’accepter des charges écrasantes pour certaines. Nombre d’entre elles
participèrent à la création ou prirent l’initiative de la création de réseaux de
renseignement,d’exfiltration,d’assistanceauxprisonniers.
– Lucie Aubrac, co-fondatrice avec son mari de Libération-sud siégeait au
comitédirecteurdumouvement.
– HélèneVianney,néeMordkovitchépousedePhilippeVianneylefondateur
de Défense de la France était membre du comité de rédaction du journal
clandestinpubliéparlemouvement.
– Combat-zone nord recrutait dans les écoles de surintendantes d’usine.
JeanneSivadon,ÉlisabethDussauzeetOdileKienlenfontpartieducomité
directeur.
– LemouvementdeLibérationNationaleestcofondéparBertieAlbrecht,et
devient Combat zone-libre. Arrêtée et torturée par Klaus Barbie, Bertie
Albrecht, vraisemblablement à bout de forces, s’est donné la mort pour
éviterdeparlerdanslaprisondeFresnesenmai1943.Elleestl’unedessix
femmes Compagnon de la Libération. Son tombeau avec celui de Simone
Michel-Lévy est l’un des deux tombeaux de femmes dans la crypte du
Mont-Valérien(MémorialdelaFranceCombattante).
– Denise Cerneau joue un rôle primordial dans l’animation des réseaux de
zonenordetdezoneinterdite.
– LareligieuseHélèneStudler,filledelacharitédeMetzprendl’initiativede
créer un réseau d’évasion. Des milliers de prisonniers de guerre et de
réfractairesauSTOluidoiventlaliberté.Elleorganisel’évasiondeFrançois
Mitterrand et du fondateur du FTP-MOI Boris Holban. Elle participe à
l’évasiondugénéralGiraud.
– Marie-MadeleineFourcade,néeBridou,encadreles3000agentsduréseau
Alliance. 452 d’entre eux ont perdu la vie au cours de leurs périlleuses
missions de renseignement. Après la guerre, elle se consacre à aider les
famillesdecesancienscombattantsdel’ombrevictimesdeleurdevoir.
– L’organisation civile et militaire fondée par les époux Lefaucheux a une
sectionféminine,présidéeparMarie-HélèneLefaucheux,néePostel-Vinay.
Pierre Lefaucheux prend à la fin de la guerre, la direction de la Régie
Renault. Marie-Hélène devient représentante de la France au conseil
économiqueetsocialdel’ONU.Elletrouvelamort,dansl’exercicedel’une
desesmissions,àlasuited’unaccidentd’avion.
– Suzanne Hiltermann-Souloumiac joue un rôle décisif dans la création du
mouvement Dutch Paris. Ce réseau, né aux Pays-Bas a exfiltré
800 personnes de confession juive, 112 aviateurs alliés tombés sur le
territoiredesPays-Basetdesrésistantspoursuivisparlesnazis.
– Germaine Tillion est l’un des principaux cadres de la filière d’évasion de
Paul Hauet qu’elle remplace lorsque celui-ci est arrêté. Son groupe est
connu sous le nom de Réseau du Musée de l’Homme (Cahier-images,
Pl.XV).LescendresdeGermaineTillionontétéinhuméesauPanthéonen
2015.
– Gabrielle Gaillard alias Marie-Odile Laroche fondatrice du réseau Marie-
Odile, réseau d’exfiltration, et de transports d’armes clandestines. Arrêtée
enmai1944,ellemeurtendéportationenmars1945.
– Claude Rodier, ancienne élève de l’École Normale de Sèvres, agrégée de
Physique,cadredesMouvementsUnisdeRésistanced’Auvergne,épousede
Pierre Virlogeux, lui-même commandant du MUR d’Auvergne. Elle est
morteendéportationennovembre1944.
– Andrée de Jongh, de nationalité belge, fondatrice et chef du réseau
d’exfiltrationComète.
– Pearl Witherington, britannique, membre du SOE dont elle dirige, en
FrancelesréseauxSTATIONERetWRESTLER.
– Marie-LouiseDissard,créatriceetchefduréseauFrançoise(211membres),
réseau d’exfiltration vers l’Espagne d’aviateurs britanniques abattus au-
dessusduterritoirefrançais.
– Gabrielle Martinez-Picabia fondatrice et chef du réseau Gloria SMH
(203 membres) rattaché au SOE anglais. Infiltré par l’abbé Robert Alesch,
traître à la solde de l’occupant, le réseau est démantelé par la Gestapo.
Quatre-vingtsmembresduréseausontdéportés.Lamajoritéd’entreeuxne
reviendrontpas.Prévenueàtemps,GabriellefuitàLondresoùellerejointle
BCRAdelaFranceLibre.
– Yvonnede Komornica commandantdu MUR de Vaucluse.Ses troisfilles
s’engagentcomme elledans lemouvement. Elleest arrêtéeet déportéeoù
ellesertdecobayeauxmédecinsSS.Ellesurvitàleursmauvaistraitements
etrentreenFranceoùellereprendsonmodesteemploid’assistantesociale
delamairied’Avignon.
– Simone Michel-Lévy était, au début de la Seconde Guerre mondiale,
employéeàlaDirectionrégionaledestéléphonesdeParis.Ellesetrouveen
unlieustratégiquequivahéberger,àsoninitiativeuncentred’information
clandestin,leréseauActionPTT.
Cederniergèredesactivitésàhautevaleurstratégique:lamiseenplaced’un
réseau de courrier clandestin avec l’Angleterre, la création d’un réseau radio
préparatoireaudébarquementdeNormandie.Sonéquipedétournedumatériel
de télécommunication au profit des organisations résistantes et sabote
l’organisationdesdépartspourleSTO.Elleestarrêtéeparlegestapistefrançais
Masuy, suite à la trahison d’un opérateur radio. Torturée, elle est déportée au
camp de Flössenburg. Elle est affectée dans une fabrique de munitions. Avec
deuxautresdéportées,HélèneLignieretNoémieSuchet,ellessabotentlapresse
surlaquelleellestravaillent.Ellessonttouteslestroisbastonnéespubliquement
avant d’être mises à mort par pendaison le 13 avril 1945, dix jours avant la
libérationducamp.
Ses cendres sont, avec cellesde Bertie Albrecht, déposées au mémorial de la
résistance du Mont-Valérien. Compagnon de la Libération, son action a porté
sur un aspect fondamental des conflits modernes : la guerre des
télécommunications.
Bienquelongue,cettelistenecontientquequelquesnomsdecesfemmesqui,
bien que socialement et politiquement non reconnues comme égales des
hommes, ont pris autant et parfois plus que les hommes part à la lutte pour
libérer la communauté nationale. Mais il faut en ajouter une autre, celle des
femmes qui ont lutté dans les rangs du parti communiste clandestin. Leur
histoireestmoinsbienconnuequecelledesfemmesquiontagidanslesautres
mouvementscar laphilosophie duparti insistesur laprimauté du collectifsur
l’individu.
Enaoût1939,lasignatureduPactegermano-soviétiqueatransforméenparia
leParticommunistefrançais.LegouvernementDaladierlesommededésavouer
lepacteet,devantson refusprononcesadissolutionle26 septembre1939.Les
instructionsenvoyéesparleKremlinordonnentaupartid’adopteruneposition
danslaquellelaresponsabilitédelaguerreincombeàl’AngleterreetàlaFrance
capitalistes autant qu’à l’Allemagne nazie. Les communistes français dont les
représentantsàl’assembléeontvotélescréditsdeguerreviventmalcetabandon
delalutteantinazie.
Georges Politzer philosophe membre du comité central met en place une
presse clandestine qui s’adresse aux intellectuels et sympathisants du parti.
Danielle Casanova, dirigeante des Jeunesses communistes continue
clandestinementsesactivités.OntrouvedansleurentouragelephysicienJacques
Solomon ainsi que l’enseignant et écrivain Jacques Decour. En 1940 sort le
premiernuméro dela revueclandestine L’Université libre.Refletde laposition
difficile des communistes français, l’appel lancé par la revue s’adresse « aux
intellectuels français » les invitant à combattre « la grande offensive de
l’obscurantismecontrelaculturefrançaise».Lesciblesdésignéessont,detoute
évidence,legouvernementdeVichyetlahiérarchiecatholiquequiprêtelamain
auxviséesdecedernier.
Le15mai1941,enréponseàl’invasiondel’URSSparlestroupesallemandes,
L’Humanité,quotidienclandestinduparticommunistefrançais,lanceunappelà
un vaste rassemblement patriotique destiné à lutter contre le nazisme et le
régime de Vichy. L’appel s’adresse à tous les Français désireux de chasser
l’occupant et de retrouver leur condition d’hommes libres, qu’ils soient
communistes ou non. Le parti crée le « Front National », structure d’accueil
destinéeàlesrassembleretàorganiserl’effortcollectifdelutte.Puislepartise
concentresurlaréorganisationdesestroismouvementsarméslesBataillonsde
la jeunesse, l’Organisation spéciale et les groupes spéciaux de la main-d’œuvre
immigrée(MOI).LeFrontNationaldans sapremièreversionrécuselavalidité
de l’appelà la résistance du général de Gaulle.Ce choix politique décrédibilise
l’actionduparticlandestinauprèsdesnombreuxmouvementsquiétaientnésen
zone nord comme en zone sud jusqu’à l’automne 1942. Parmi la presse
clandestine,L’UniversitélibredePolitzerétaitlaseulepublicationrestéecrédible
endehorsdesmilieuxcommunistes.Àlafindel’été1942,le« FrontNational »
serestructuresurunelignepolitiqueplusouverte.Malheureusement,commeon
l’avu plushaut, Politzer,Solomonet JacquesDecour quiviennent decréerles
Lettresfrançaisessontarrêtésetfusillés(voirplushaut)auMont-Valérien.Roger
Ginsburger, sous le pseudonyme de Jacques Villon remplace Politzer dans ses
fonctionsderesponsabledu FrontNationalzoneNord.Ilparticipeàcetitreaux
négociationsquiontconduitàlaparticipationdelaRésistancecommunisteau
CNRà partirdelami-1943. Aprèsavoirpris unepositionhégémoniqueface à
PassyetBrossolettedéléguésduBCRA,ilrevientsurcettepositionetacceptela
parité avec la Résistance gaulliste au sein du CNR. Au printemps 1944, avec
Maurice Kriegel-Valrimont et Jean de Vogüe, il dirige le comité d’action
Militaire(COMAC)duCNR.
Àlafindel’année1941,lePCFaconstituésouslaresponsabilitédeCharles
Tillon un mouvement paramilitaire unique, branche armée du Front National,
sous le nom de Francs-Tireurs Partisans (FTP). Une fois les grandes lignes de
structure du Front National définies, Pierre Villon en zone nord et Madeleine
Braun pour la zone sud s’emploient à développer l’implantation du Front
National. Madeleine Braun a été, après la fin de la Seconde Guerre mondiale,
députée communiste du département de la Seine. Elle est la première femme
vice-présidentede l’AssembléeNationale. En 1944,le rôledifficile qui luia été
confié consiste à composer la délégation Front National de la zone sud en
obtenant que soient élus en nombre égal des représentants des différents
mouvements de résistance, des partis politiques résistants, et des syndicats
ouvriers.LeprésidentducomitédelazonesudestGeorgesBidault,démocrate-
chrétien. Celui de la zone nord est Frédéric Joliot-Curie membre du parti
communiste.
– VincentellaPeriniconnue souslenom deDanielleCasanova estnéedans
une famille d’instituteurs corses. Au terme de ses études secondaires, elle
s’inscrit à l’école dentaire de Paris. Étudiante, elle milite dans le
syndicalisme étudiant qui la conduit à s’inscrire en 1928 aux Jeunesses
communistes.En1930,ellerencontreLaurentCasanovaqu’elleépouse.Elle
est,en1934,laseulefemmeducomitécentraldumouvementdesJeunesses
communistes.Faceàl’augmentationrapidedeseffectifsdumouvement,la
directiondu Parti la charge,en 1936, de créerl’Union des jeunes fillesde
France. Cette organisation s’affiche comme un mouvement pacifiste et
antifasciste. Il est, de fait, rattaché aux JC. Lorsque la guerre éclate, les
effectifs de l’UJFF dépassent 20 000 personnes. Lors de l’interdiction du
PCF en septembre 1939, Danielle Casanova passe dans la clandestinité.
L’UJFFprofitedescoupuresdel’éclairagepublicpourapposersurlesmurs
deParis desmessagessur lalibertéd’expressionet ledroit dutravail.Elle
organise des distributions de L’Humanité devenue journal interdit. Elle
organise plusieurs manifestations de ménagères devant les épiceries.
À partir de 1941, elle participe aux actions armées des jeunesses
communistes.Elleestarrêtéeparlapolicefrançaisele15février1942,alors
qu’elle ravitaillait les Politzer à leur domicile clandestin. Quelqu’un, sans
doutesouslatorture,avaitdonnéleuradresseetdeuxpoliciersattendaient
Danielle Casanova après avoir arrêté les époux Politzer. Incarcérée à la
Santé, elle organise la circulation de l’information grâce à un bulletin
clandestin,cequiluivautlecachot.Récidiviste,elleesttransféréeaufortde
Romainville.Enjanvier1943,elleestenvoyéeaucampd’Auschwitz.Grâceà
son métier de dentiste, elle connaît des conditions de vie un peu moins
sévèresquecellesdesautresdétenues.Malheureusement,letyphusaraison
d’elle.Ellemeurtle9mai1943.
– Charlotte Delbo est une écrivaine, née dans une famille d’immigrants
italiens, membre des jeunesses communistes. Elle est un temps, avant la
guerre,l’assistantedeLouisJouvet.Elles’engageen1941danslaRésistance
avecsonmariGeorgesDudachquiestarrêtéavecelleen1942etfusilléau
Mont-Valérien. Déportée à Auschwitz dans un convoi qui comporte
230femmes,elleestl’unedes49rescapéesdececonvoi.Entre1946et1982,
elle écrit six titres sur la déportation, chacun donnant un éclairage
particulier sur cet enfer sorti de l’imagination nazie. Charlotte Delbo,
rescapéedes camps,veuvede guerre,est etresteune femmeengagée. Elle
prend position contre la guerre menée par la France en Algérie. Elle est
aussi la première à réagir publiquement aux propos négationnistes de
Faurisson (ce dernier niait l’existence des chambres à gaz et l’usage du
ZyklonB).
– CécileRol-TanguynéeLeBihanestlafilled’unouvrierélectricien,membre
delaSFIOpuisduparticommunisteaprèslascissionducongrèsdeTours.
Elleobtientsonbrevetélémentaireàl’âgede16ansetopteensuitepourune
formationprofessionnelledesténodactylographe.En1936,elletravailleau
syndicat des métaux CGT de l’Île-de-France dont le secrétaire est Henri
Tanguy. Elle milite à l’Union des jeunes filles de France. Lorsqu’Henri
Tanguypartpourl’Espagne,elleestsamarrainedeguerre.Elleadhèrealors
au parti communiste. À son retour d’Espagne, elle épouse Henri en
avril1939.Enjuillet1940,elleentredanslaclandestinité.Henrilarejointà
Paris.Elledevient,sousdefaussesidentités,sonagentdeliaison.Lelandau
desadernière-néeluisertàcacherlesdocuments,lesarmesetlesexplosifs
destinés aux FTP. Le 19 août 1944 elle rédige avec Henri l’Appel à
l’insurrection des Parisiens. Le 26, elle assiste à la descente des Champs-
ÉlyséesparlegénéraldeGaulle.Àlademandedecedernier,elleestinvitée
àlarencontreorganiséeàl’HôteldeVilleenremerciementauxmembresde
la Résistance. Après la guerre, Cécile Rol-Tanguy s’investit dans les
organisationsdusouvenirdelaRésistance.Elles’éteintle8mai2019àl’âge
de101ans.
– Madeleine Vincent, fille d’ouvriers agricoles de l’Aisne, commence à
travailler,trèsjeune,commeemployéedebureau.À15ans,elleadhèreaux
jeunesses communistes. À 18 ans, elle s’inscrit au parti communiste. Elle
entre en Résistance en juillet 1940. Son affectation est en zone interdite.
Dénoncée,elleest arrêtéeà Douaialorsqu’elle tentaitde prendreletrain.
D’abord emprisonnée à Loos, elle est envoyée dans les camps de
Ravensbrück, puis de Mauthausen. Libérée en avril 1945 elle est nommée
secrétaire de l’Union des jeunes filles de France. Membre de la direction
fédérale de la Seine en 1953, elle est élue, la même année conseillère
municipaled’Issy-les-Moulineaux.MembredubureaupolitiqueduPCFen
1970, responsable du secteur femmes, elle est l’artisane du ralliement du
partiàlalégalisationdel’IVG.
– OlgaBancicestuneimmigréeroumainejuiveetcommuniste.Plusieursfois
arrêtéeemprisonnéeetmaltraitéeparlaSûretéroumaineelleseréfugieen
Franceen1938.ElleestvolontairedesFTPMOIpendantl’Occupation.Elle
estchargéedel’assemblagedesbombesetdelafabricationdesexplosifs,de
leurtransport,del’acheminementdesarmesetdesenginssurleslieuxdes
opérations et de leur récupération après l’attentat. Elle a participé à une
centained’attaquescontrelesAllemandsmenéesparlegroupeManouchian
(l’AfficheRouge).Elleestarrêtéeennovembre1943avec23membresdes
FTP MOI emprisonnés comme elle à la prison de la Santé en attendant
d’être jugés. Le local où elle conserve les armes et les explosifs est
perquisitionné.Onytrouveunarsenalconséquent.Les23prisonnierssont
condamnésàmortetfusillésle21février1944auMont-Valérien.Olgaest
transféréeen Allemagne.Elleestguillotinéele10mai1944,à laprisonde
Stuttgart.
– FranceBloch-Sarrazinestlafilledel’écrivainJean-RichardBlochetlanièce
d’André Maurois. Après avoir hésité entre des études scientifiques et
littéraires, elle choisit de passer une licence de chimie. Entrée en 1934 au
laboratoire de l’École supérieure de chimie de Paris, elle adhère au parti
communiste et soutient les Républicains espagnols. Lors de l’arrivée au
pouvoirdurégimedeVichy,elleestexclue,entantquejuive,dulaboratoire
où elle travaillait.Elle participe aux premiers groupesdes FTP dirigés par
RaymondLosserand.Ellefabriquedansunlaboratoirerudimentairequ’elle
a installé dans son logement des explosifs qui sont utilisés dans la vague
d’attentats organisés à partir d’août 1941. Elle prend part aux opérations
contre une usine de Saint-Ouen qui travaille pour l’occupant, des
opérations de sabotage de voies ferrées et d’un pylône de
télécommunicationsàOrléans.Lorsd’unrendez-vousavecYvesKermenen
février1942àlastationdemétroQuaidelaRapée,elleestinterpelléepar
deux policiers. Kermen fait feu, elle fuit, mais Kermen est arrêté. Elle a
moinsdechanceenmai1942:elleestarrêtéeavec68camarades.Internéeà
laprisondelaSanté,elleestsoumiseàquatremoisd’interrogatoiresetde
tortures. Elle est jugée et condamnée à la peine de mort par un tribunal
militaire allemand en septembre 1942. La peine de mort n’étant pas
applicablepourles femmesenFrance,onladéporte:elleestguillotinéeà
Hambourgle12février1943.
– Simone Schloss. Militante de l’Union des Jeunes Filles de France avant la
guerre. Elle est arrêtée en mars 1941, alors qu’elle participe à une
distributiondu journalclandestin L’Avant-Garde.Elle purgeune peinede
prison puis reprend la lutte comme agent de liaison des FTP MOI. Elle
transport des tracts, des armes et des explosifs. Arrêtée de nouveau en
février 1942, elle comparait avec 27 autres combattants devant une cour
martialeallemande. Tous les hommesdu groupe sontcondamnés à mort,
lesdeux femmes sontdéportées en Allemagne.Simone Schloss, parceque
juive,estguillotinéele17juillet1942,àlaprisondeCologne.
– Madeleine Marzin est une institutrice, formée à l’école normale de Saint-
Brieuc.En1929,elleestnomméeàParispuisauPlessisRobinson.Elleest
très engagée dans l’action syndicale. Pendant l’Occupation, elle fait partie
des militants communistes chargés de la formation du Front National
universitaire. Le 31 mai 1942, elle dirige avec d’autres femmes, la
manifestationdite«delaruedeBuci».Lebutdecettemanifestationestde
dévaliserunmagasindecomestiblesdeluxepourattirerl’attentionsurles
populationsquimeurentdefaim.Lapoliceintervient.Deuxpolicierssont
abattusparleshommesdugroupedeprotectionaffectéàlamanifestation.
Madeleine est arrêtée. Condamnée à mort puis graciée, elle réussit à
s’échapperaucoursdesontransfertàlaprisondeRennes.Ellecontinuala
lutte dans l’est de la France, puis organisa l’évasion de détenus résistants
emprisonnésàlaSantéetpritpartàl’insurrectiondelapopulationdeParis.
LaRésistance,quellequesoitlamotivationdesfemmesetdeshommesquiy
prirent part, relève d’une prodigieuse abnégation. Les Français ont réussi à
unifierleurseffortspourlalibérationdupaysetàlereconstruireensuitegrâceau
CNR où toutesles tendances politiques étaient réunies.À la lecture des brèves
notices ci-dessus sur les femmes qui ont joué un rôle déterminant, on observe
quelqueslignes de force quidistinguent deux tendances dela Résistance. Celle
quel’onappela(parlasuite)gaullisteparcommoditécaronytrouvaitàcôtédes
fidèlesdugénéraldes royalistes,desorléanistes,desbonapartisteset mêmedes
déçus de Vichy, travaillait majoritairement à l’exfiltration vers Londres et au
renseignement. Ses actions militaires étaient majoritairement tournées vers le
sabotage des moyens de communication et évitaient les actions donnant lieu à
desactionsderépressioncontrelapopulation.Lerenseignementnourrissaitles
opérationsaériennesaudépartduterritoirebritanniquepuispermitdepréparer
ledébarquementdesarméesalliéesenProvencepuisenNormandie.
LaRésistancecommunistesetrouveàdesmilliersdekilomètresdesesbases
arrière qui pourraient apporter une aide à ses opérations. Par nécessité, elle
assuresespropresactionsarméesavectoutcequecelacomportecommerisques
pour la population menacée par les mesures de rétorsion allemandes. Celles-ci
ontétédictéesparunconceptderesponsabilitécollectivequirendtoutFrançais
responsabledesvictimesdesattentatscontrel’arméeallemande.C’estlàlaporte
ouverteà unepolitiquede prised’otages quiest largementutilisée.À partirde
juin 1941, à la suite de l’invasion de l’URSS, l’Allemagne met en place cette
logiquemeurtrièredanslesterritoiresnouvellementenvahisàl’est,puisjusque
dans les territoires de l’ouest où les Allemands jusque-là avaient essayé de
présenterl’imaged’unoccupant«correct».EnFranceoccupée,dejuin1940à
l’été1941,ilyeut120fusillésaprèscondamnationàmortpourcaused’activités
de résistance diverses. Durant l’été 1941, le général Otto von Stülpnagel est
nommé à la tête du commandement de la zone occupée. Il décrète que toute
activité communiste est passible de peine de mort. Deux manifestants
communistessontpassésparlesarmesenapplicationdecetterèglele18août.Le
21,lecolonelFabienabatenreprésaillesl’aspirantdemarineMoseràlastation
Barbès-Rochechouart. Le commandement allemand décrète alors que tout
Français arrêté que ce soit en zone nord ou en zone sud est considéré comme
otage. En cas d’attentat, un nombre d’otages approprié à l’importance de
l’attentatdoitêtrefusillé.C’étaitlàlesprémissesdelaterriblerépressionde1941
décidéeauplushautniveauduReich.SurordredeHitlerlui-même,lemaréchal
Keiteldonnalesordressuivantsàsessubordonnés.Encasderévoltecontreles
forcesd’occupationallemandes,quellequ’ensoitl’origineilyalieudeconclureà
des origines communistes. On peut considérer la mort pour 50 à
100communistescommelechâtiment«convenable»pourlamortd’unsoldat
allemand.Lalistedesqualificationsdespersonnesàretenirenotagefaitmention
des juifs et des personnes « idéologiquement coupables », c’est-à-dire les
communistes.EnriposteauxattentatsdeNantesetdeBordeaux48otagessont
exécutésle22octobre1941.Enreprésaillesdel’exécutionparunmembredel’OS
communiste de l’officier allemand Hans Reimers, 50 otages furent fusillés. Au
total243otagestombentsouslesballesdespelotonsd’exécutionsallemandsde
septembreàdécembre1941.
Dans l’opinion française, les premiers attentats et l’ampleur des représailles
suscitent d’abord effroi et réprobation. Mais l’opinion bascule devant la
démesure et l’arbitraire de la répression. Politiquement les mesures prises par
l’occupant sont contreproductives pour lui-même et pour le régime de Vichy.
L’occupant perd toute image de correction. Vichy met en place des cours
spéciales qui permirent de guillotiner trois communistes. Même au sein des
autorités d’occupation, la Wehrmacht estimecette politique désastreuse.Hitler
s’obstineetcrée,enmars1942,unpostedechefsuprêmedelapoliceenFrance,
postequiestconfiéaugénéralSSOberg.Untempssuspendue,lapolitiquedes
otagesestrepriseàlasuitedel’exécutionparlesFTPMOIdugénéralSSRitter,
le28septembre1943:50otagessontextraitsducampdeRomainvilleetfusillés
auMont-Valérien.
C’estledernieractedelapolitiquederépressionparl’assassinatd’otages.Ce
douloureuxépisodedelarésistancefaitencorel’objetderechercheshistoriques.
Huitcentdix-neufvictimesdececrimesontactuellementrecensées.Ildonneun
éclairage particulier sur la cruauté du sort qui était réservé aux otages, aux
Résistantes(quielles étaientdéportéesavant d’êtreexécutées)et auxRésistants
principalementceuxquisontd’obédiencecommuniste.

LAVIECULTURELLESOUSL’OCCUPATION.
LESPERSONNAGESFÉMININSVUSPARLECINÉMA
ETLETHÉÂTRE
Pendant cette longue période de l’Occupation et de la Résistance, les
professionnels de la culture continuèrent à travailler dans des conditions
difficiles.Théâtresetcinémasfonctionnaientauralenti,contraintsparlesrègles
d’applicationducouvre-feuetlimitésàlapublicationd’œuvrescontrôléesparles
censures tatillonnes de l’occupant allemand pour la zone nord, du régime de
Vichypourlazonesud.
Malgré des restrictions drastiques sur la vente de pellicules, des films furent
tournésenFrancetantenzoneoccupéequ’enzonesud.L’attributiondesvisasde
censure et les conditions de réception critique dans la presse, devaient tenir
compte de l’idéologie de l’époque. Assez curieusement les règles morales
auxquellesdevaientseconformerlesscénariosempruntaientplusàlamoraledes
classes moyennes des années Trente qu’à des idéaux émergents du
«RedressementNational»vouluparleMaréchalPétain.Cedernierédifiaitses
valeurs dans le cadre de l’activité ethnographique du « Musée des Arts et
TraditionsPopulaires»parisien,fondéen1937parGeorges-HenriRivière.Bien
quesituéloindusiègedugouvernementdeVichy,l’espritdestravauxquiysont
réalisésestprochedelapenséeduchefdel’État.LevainqueurdeVerdunaété
définitivement marqué par les hommes qui ont été ses soldats : des paysans,
indissolublement liés à la terre, capables de supporter les pires souffrances
jusqu’à la mort pour obéir aux valeurs qui constituent leur morale simple et
forte. Le laboratoire que sont les ATP inventorie les cultures régionales pour
restaurer la culture populaire du Peuple de France qui s’est vaillamment battu
jusqu’à la victoire lors de la Grande Guerre et qui a plié en 1940 parce que
moralementdétruitparlaculturedesintellectuels,deslibrespenseurs,desjuifs
(sic)… Ces cultures populaires qui font la force de la Patrie sont aussi
respectueuses du Travail, de la Famille patriarcale où la femme récompense le
chef de famille de la protection qu’il lui procure par sa fidélité et par sa
soumission. L’Église catholique, du moins la hiérarchie, se trouve dans une
situation inespérée. L’encadrement des femmes et des jeunes identifiés par le
gouvernementcommepivots du«redressement national»,est undomaineoù
elle excelle. Elle se met à la tâche avec énergie. Dans la population, les
associations d’anciens combattants, les milieux conservateurs les anti-
communistesetlesantisémitesadhèrent.Enjuin1940,lemondeducinémase
réunità Nice,dansles salonsduRuhl etdébat d’unequestionde fond:faut-il
resterdansleSudetinvestirdanslesstudiosdelaVictorineouretournerenzone
occupéeàParis.Pourlesjuifs,laréponseétaitévidentehélas!Ilsnepouvaient
plus exercer leur métier. Le cinéma redémarra en 1941. Bien qu’en activité
réduite, la Victorine est le second groupe de studios français et devance les
studiosmarseillaisdeMarcelPagnol.LesfilmsdefictionréalisésenFrance,entre
1940et1944,sontaunombrede220,contre1300suruneduréeéquivalentede
l’avant-guerre. Aucun des grands thèmes de propagande diffusés par la presse
collaborationniste ou par Radio-Paris n’est présent dans ces œuvres. Ces films
fuientlaréalitédel’époque.Malgrélamultiplicitédesauteursetdesfinanceurs,
les films sont homogènes dans le système de valeurs qu’ils véhiculent. Ils
renvoient presque tous à une France conservatrice, un monde qui était déjà
présentavant1940.Lacensuredelazonenordetcelledelazonesuddiffèrent
par leurs objectifs. Les autorités d’occupation allemandes se soucient peu des
débatsmorauxéventuellementintroduitsparlesœuvressoumisesà lacensure.
L’essentielducontrôleexercéviseàinterdiretouteréférenceauxfaitsdeguerre
et à l’exercice de l’autorité allemande sur la population de la zone occupée. A
contrario, la censure de la zone sud exige une conformité avec les thèmes du
redressement national voulu par Pétain. L’image de la société représentée doit
soulignerl’importancedurespectdel’autoritémasculineetprésenterdeshéros
positifs. Les personnalités déviantes sont punies par le sort. Les femmes libres
sont porteuses d’une mollesse sociale dangereuse qui a conduit à la défaite de
1940.Laquêteduhéros,quecesoitunhomme,uncouple,unefamille,épouse
unelogiquequiseconformeauxvaleursmaîtressessanslesquellesleFrancene
peutretrouversagrandeur:lafidélitéàlacommunauténationale,laluttepourle
bonheur familial. Rien n’est acquis, la lutte contre les tentations déviantes est
nécessaire, le bonheur se mérite. Cette lutte personnelle s’exerce au sein d’une
société bourgeoise purifiée de la corruption de la classe dirigeante de la
IIIe  République. Il s’agit d’une bourgeoisie de culture catholique soumise à un
chefdefamillequipensepourlesautres.Lafemmeestcantonnéedansunrôle
biendéfini.Lafemme fataleexistetoujours,maiselleest devenuel’incarnation
dumal.Illuiestopposélemodèledefemmeporteuseduredressementnational:
celle dont la vie est guidée par le sens du devoir et l’acceptation du sacrifice.
Paradoxe peut-être dû à la politique nataliste du maréchal, la fille-mère est
réhabilitée.L’enfant illégitime est reconnuet la mère réintégrée dansla société
grâce au mariage. La lutte des classes n’existe pas, c’est une invention des
ennemisdelaFrancedestinéeàcontrariersonredressement.
L’homogénéitédumodèledanslaproductioncinématographiquedel’époque
ne s’explique pas uniquement par la présence de la censure. Ainsi que nous y
avonsfaitallusionplushaut,aumoinspendantlapériodequisuitl’instauration
du gouvernement de Vichy, les valeurs « maréchalistes » étaient largement
acceptéesdansunegrandepartiedel’opinion.
Pourautant,laproductiondel’époquerenvoieàdesgrandsnomsducinéma,
tantdemetteursenscènequed’acteurs.Parmilespremiers,ontrouvelesnoms
deChristianJacques,GeorgesLacombe,MarcelCarné,MauriceCloche,Roland
Tual, Claude Autant-Lara, Marcel L’Herbier, Marc Allégret, Jacques Becker,
GuillaumeRadot,JeanDelannoy,MarcelPagnol.
Parmi les actrices et acteurs de l’époque, on compte Marie Déat, Odette
Joyeux,MichelinePresle,JeanMarais,Raimu,Fernandel,MichelSimon,Charles
Vanel, Pierre Frenay. Quelques chefs-d’œuvre sont restés de cette époque :
PremierRendez-vous,LemariagedeChiffon,DernierAtout,L’assassinhabiteau
21,Lesvisiteursdusoir,L’éternelretour.
Ladivergencedesobjectifsdescensuresdeszonesnordetsudestégalement
sensible pour les œuvres théâtrales. Encore faut-il distinguer les deux types de
théâtresquicoexistentàl’époque.Toutcommedenosjours,ilexisteunthéâtre
qui se fournit en textes auprès des meilleurs auteurs du moment et dont les
représentationsattirentunpublicrestreintmaishautementcultivé.Ilexisteaussi
un théâtre de divertissement où encore commercial alimenté par des auteurs
animéssurtoutparledésirdefairerireetpardesdirecteursdesallesintéressés
parlenombred’entrées.LacensuredeVichyestsévèreaveccedernierqui,avec
un recours immodéré au thème du ménage à trois, malmène la moralité de la
classe bourgeoise sur laquelle le régime s’appuie. Circonstance aggravante
certains propriétaires de salles, producteurs et auteurs sont juifs et leurs actifs
promisà«l’aryanisation».Laluttepourle«redressementintellectueletmoral»
menée par la censure de Vichy vise le théâtre commercial en ce que son
immoralité désagrège les liens sociaux au sein de la population française. Les
Allemands,parcontre,laissentjouerdespièceslégèresquinemanquentpasde
s’attaquerau moralismedurégime deVichyet favorisentle théâtred’Artdans
l’espoirdevoirnaîtreuneculturefranco-allemandequiemprunteàlasupériorité
reconnue de l’esprit français. La presse collaborationniste produite
principalementenzonenordouvresescolonnesauxgensduthéâtreintellectuel
dont les articles lui servent d’alibi culturel. On y trouve les signatures de
Lenormand, Dullin, Barrault, Gaston Baty, René Rocher. Leur présence dans
cettepresseencouragéeetfinancéeparl’occupantsoulignel’intérêtportéparce
dernier aux débats de l’élite intellectuelle française considérée comme
incontrôlable et capable d’initiatives dangereuses, mais d’une indéniable
supériorité. Cependant la scène, par nature, n’est pas le lieu d’expression des
valeursidéologiquesdugouvernementpasplusquelelieuoùlancerdesappels
ausoulèvement.Lesplusgrandsauteursdramatiquesontréussiàpasseràtravers
les mailles du filet de la censure en princes de l’ambiguïté. Bien que Lucien
RebatetaitinscritAnouilhetMontherlantparmilesmembresdesonAcadémie
delaCollaboration,cesderniersluiéchappentlorsqu’ilsécriventpourlascène.
Lespiècesquifurentreprésentéesàcetteépoquerestentdesréférencesduthéâtre
français.
CetteconjonctureprofiteàAnouilhquilaissepubliersapièceLeocadiadansle
trèscollaborationniste«Jesuispartout».Àcettepièce«rose»,ilenajouteune
seconde LeRendez-vousdeSenlis.Lepublicfaitfêteàl’auteur:sesdeuxpièces
connaissent un grand succès. Suit alors une pièce « noire », Eurydice,
transposition moderniste dépoétisée de la fable mythique. Orphée est un
pitoyablevioloneux,Eurydiceunepiètrecomédiennequ’ilarencontréedansun
buffet de gare. Le cours de leurs amours est interrompu par un accident de la
route au cours duquel elle perd la vie. Refusant de lui survivre, il choisit de la
rejoindredanslamort,gestequilefaitentrerdanslaracedesnoblesetdeshéros.
Lapièceconnaîtundemi-succès.
LesMouchesdeJean-PaulSartresontcrééesàParisenjuin1943.Lethèmede
la pièce est le dévoilement progressif au spectateur de l’utilisation du concept
catholiquederepentancepourculpabiliserunepopulationaccuséed’avoircausé
la défaite de la France et lui faire accepter la potion amère du « Redressement
National » théorisé par le gouvernement de Vichy. L’homme reste
fondamentalementlibres’ilrefusedesesoumettreàunedoctrinemystiquequi
est l’instrument utilisé par une idéologie catholique aliénante. Cette pièce est
suivieduterribleHuis-Closdemai1944.Lespersonnagessontenfermésdansun
salondontilsnepeuventsortir.Ilssevouentunehainecroissanteaufildecette
cohabitationforcée.Ilyalàunebourgeoisebien-pensantequiafaitunmariage
d’argent,aprisdesamantsetrecouruàl’avortement.Unelesbienneviolenteet
anarchisteappelleàlaliquidationviolentedesnotablesaupouvoir.Unpseudo-
pacifiste tourne en dérision la terreur religieuse de l’enfer et l’attente béate du
miraclequimettrauntermeàceterriblehuis-clos.
Les Parents terribles de Cocteau provoquent la colère des fascistes et des
membres du Parti Populaire Français. Des bagarres avec le public éclatent au
cours des représentations et la pièce est applaudie debout, tandis que dans les
loges,lesofficiersallemandsquiassistentàlareprésentationsemblenttotalement
déroutés par ce qui se passe. Ce cas exemplaire de manifestation de la liberté
d’appréciationdupublicdesthéâtresn’estpasunique.Lethéâtreresteunlieuoù
lepublicexprime sonopinionquoi qu’ilencoûte. Montherlant,avecson culte
païenducorps,saconceptionantichrétienneduhérosparutàl’occupantcomme
unauteurnietzschéen,unauteurdel’EuropeNouvelle.AussisapièceLaReine
mortereçut-ellesans difficultél’avaldes censuresdel’occupant allemandetdu
régimedeVichy. L’actiondelapièce estassezsimple.Un roifortâgé apprend
quesonfils,DonPedro,aépousésecrètementparamourunefemmeindignede
sonrangalorsqu’illuidestinaituneinfantedesangnobledontlecaractèrebien
trempéauraitfaitunereineidéale.Ilcondamnesonfilsàlaprisonpourcausede
« médiocrité », et, parce qu’au fond, il lui renvoie une image détestable de sa
proprefaiblesse.InèsdeCastro,l’épousedesonfilsluiavoue qu’elleattendun
enfant.Pousséparsesconseillersquisouhaitentvoirunefamilleforteàlatêtedu
royaume,ilserésoutàlafaireassassiner.Ilnecroitguèreàlaraisond’Étatqui
exige ce crime, mais il le commet parce que faisant partie de l’absurdité de sa
charge. Il estemporté par une crise cardiaque. Son fils luisuccède à la tête du
royaume. Son premier acte est de commander qu’Inès soit sacrée Reine post-
mortem. Autant les partisans du régime virent-ils dans le sacrifice de la
malheureuse Inès le courage du vieux roi prenant des mesures cruelles
nécessairesàla régénérationmoraleduroyaume,autantlesrésistantsvirent-ils
danscepersonnagel’imageduchefdel’Étatindécisetsoumisàlapressiondes
conseillers incompétents qui l’entourent. Le talent ambigu de Montherlant
assura le succès de cette pièce qui cède la place au Soulier de Satin de Paul
Claudelaprèsunecentainedereprésentationsàguichetsfermés.
Dans le cadre très officiel de la Comédie Française, Jean-Louis Barrault le
27 novembre 1943 donne la première représentation du Soulier de Satin de
Claudel devant un parterre où figurent de nombreux officiers allemands.
L’évènementamarquélesespritssurtoutenraisondesconditionsdifficilesque
Jean-Louis Barrault dut surmonter pour pouvoir la faire jouer : restrictions
terribles de toute nature, coupures d’électricité, alertes fréquentes, couvre-feu.
Maiscettereprésentationtémoignaitdelagrandeurdel’artfrançaisetcélébrait
des valeurs de sacrifice et d’espérance particulièrement nécessaires dans le
contexte de l’époque. Les autorités d’occupation interrompirent les
représentationsenmai1944.
Pourconclurecebrefpassagesurlethéâtrefrançaissousl’Occupation,ondira
quelquesmotsdesmultiplespiècesquedesauteursaujourd’huioubliéspourla
plupart à l’exception de Jean Anouilh ont consacrées aux deux archétypes
héroïquesfémininsquesontAntigoneetJeanned’Arc.Lethèmed’Antigoneest
emprunté à Sophocle. Jean Anouilh en donna une réécriture qui fut mise en
scèneparAndréBarsacqetjouéepourlapremièrefoisauthéâtredel’Atelierle
4 février 1944. Antigone est la fille d’Œdipe et de Jocaste qu’il a épousée en
ignorantqu’elleestsapropremère.Lorsquel’incesteestdécouvert,Œdipes’est
exilé et Jocaste s’est donné la mort. Les deux frères d’Antigone, Etéocle et
PolynicesesontentretuéspourlasuccessiondeleursparentsautrônedeThèbes.
Créon,frère deJocaste montesur letrôneet interdit,sous peined’être enterré
vivant, que l’on donne une sépulture à la dépouille de Polynice qui a
traitreusement éliminé son frère. Antigone est surprise par les gardes de son
onclealorsqu’ellechercheàdonnerunesépultureaucorpsdePolynice.Créon
estobligéd’appliquerlasentencedemortàAntigone.Aumomentoùletombeau
vaêtrescellé,CréonapprendquesonfilsHémon,fiancéd’Antigones’estlaissé
enfermer auprès de celle qu’il aime. Lorsque le tombeau est rouvert, Antigone
s’estpendueavecsaceinture.Hémon,aprèsavoircrachéauvisagedesonpère,
sedonnelamort.Eurydice,l’épousedeCréon,dévastéeparlamortdesonfils,se
donnelamortàsontour.
L’Antigone d’Anouilh est vue par certains comme l’allégorie de la nécessaire
rébellion contre l’ordre injuste, fut-ce au prix de la mort. Il est également
significatif que ce choix soit celui d’une femme, soulignant ainsi le caractère
infâmedesaccusationsportéesparlerégimedeVichysurlesfemmesdeFrance
ditesresponsablesdeladéfaitede1940.
L’autre héroïne féminine est, bien sûr, Jeanne d’Arc. De multiples pièces
johanniques ont vu le jour et ont été montées pendant cette période.
Généralement, Jeanne est représentée dans la période de sa captivité sous les
traitsd’unejeunefilleenpleinepossessiondesesmoyensmalgréletragiquede
sa situation. Elle répond avec audace et mépris aux juges qui s’acharnent à
trouverdesargumentspourjustifiersamiseàmortdontilsontdéjàdécidé.Ce
genred’œuvreatoutechancedepasserlecapdelacensurepuisqueJeanneest
l’ennemiedesAnglaisdétestésàlafoisparl’occupantallemandetparlerégime
de Vichy. Elle est assurée aussi de rencontrer un succès auprès du public car
Jeanne y brocarde la bêtise de l’occupant. qui plus est, faire d’une femme
l’héroïnecentraleestunegifleàlapolitiquederedressementnational.
La littérature et la poésie de l’époque sont plus franchement marquées dans
leurchoixquelecinémaoulethéâtre.Àcetteparticularité,ilyauneexplication
simple: l’éditiondes textescritiquesenvers l’occupantou enverslepouvoir de
Vichy se fait dans des officines clandestines comme les éditions de Minuit, ou
bien à Londres, puis à Alger, ou bien encore dans un territoire favorable à la
France Libre. D’ailleurs ces maisons d’édition qui échappent au contrôle de
l’occupant ont leur pendant sur le territoire français au service de la
collaboration. Les Éditions du Livre moderne dirigées par Jean de la Hire, de
triste mémoire, sont d’ailleurs dirigées de fait par des officiers allemands de la
«PropagandaStaffel».LaHiretirepartidesapositiondanslamaisond’édition
pourfairepubliersespropresouvrages.Dès1940,paraîtlaliste«OttoAbetz»,
dunomdel’ambassadeurd’Allemagne,quilistelesouvragesetauteursinterdits.
Ceux-ci sont interdits de vente dans les librairies et de consultation dans les
bibliothèques.LalisteOttoestenrichieaugrédesévènements.Aumomentdela
rupture germano soviétique, la plupart des auteurs russes et les marxistes
viennents’yajouter.La littératuresousl’occupation,c’estl’oppositionentre les
grands noms de la Résistance, Pierre Seghers, Emmanuel Mounier, Pierre
Emmanuel, Paul Éluard, Max-Pol Fouchet, Elsa Triolet, Marguerite Duras,
Aragon,JeanBruller(aliasVercors)etd’autresencoreàceuxdelaCollaboration
Céline,Brasillach,DrieuLaRochelle,Jouhandeau,AlphonsedeChateaubriand.
Les collaborationnistes prennent avec l’aide des Allemands le contrôle des
éditeursfrançais.Leséditionsclandestinessauventl’honneurdelaprofession.:
leséditionsdeMinuitdirigéeparVercors(JeanBruller),Seghersinstallédansla
zone sud publient les poètes de la Résistance. En Suisse, aux États-Unis sont
publiées maintes œuvres interdites. En 1943 paraissent Desnos, Elsa Triolet,
Cocteau, Queneau, Aragon, Sartre, Marguerite Duras, Simone de Beauvoir. La
Résistance, c’est le retour des femmes au premier rang de la pensée et de la
culture.C’estlecrid’espoirdespoètes:«Liberté»dePaulÉluard,«LaRoseetle
Réséda » de Louis Aragon et les « Chantefables » de Robert Desnos que le
malheureux poète ne vit jamais en version éditée car il est mort en camp de
concentration avant la parution de son œuvre. C’est aussi la revue Les Lettres
françaises dont les trois fondateurs, Jacques Decour, Georges Politzer, Jacques
Solomonnevirentjamaislepremiernuméroimprimé,carilsontétéfusillésau
Mont-Valérienaprèsleurarrestationen1942.
Le chant des partisans fut composé par Anna Marly, jeune artiste d’origine
russequiarejointLondresen1940,elleyrencontreJosephKessel.
«Ami,entends-tulevolnoirdescorbeauxsurnosplaines?
Ami,entends-tulescrissourdsdupaysqu’onenchaîne?
Ohé,partisans,ouvriersetpaysans,c’estl’alarme
Cesoirl’ennemiconnaîtraleprixdusangetleslarmes[…]
Ami,situtombesunamisortdel’ombreàtaplace»

L’ACCÈSDESFEMMESAUPOUVOIR–
LEDROITDEVOTE1944

L’accès des femmes au droit de vote, tant de fois proposé et tant de fois
repoussédepuisleXIXesiècleestundesacquisduconflitde1939/45.Legénéral
CharlesdeGaulle,àLondres,avaitannoncédansl’undesjournauxclandestins
de la France Libre que dès la fin du conflit « tous les hommes et toutes les
femmes » éliraient une Assemblée nationale Constituante. Aucune allusion
n’était faite au long combat antérieur des suffragistes en France, tellement les
auteursdeceprojetleconsidéraientcommeuneinstitutionconsubstantielleàla
réinstallation de la démocratie apportée par la victoire sur l’ennemi ! En
juin 1943, à la demande du général de Gaulle, le CFLN (Comité Français de
Libération Nationale) introduit un début de mixité à l’Assemblée provisoire
d’Algerennommantdeuxdéléguéesféminines:LucieAubracetMartheSimard.
LucieAubrac,hauteresponsabledelarésistanceintérieure,nepeutserendresur
place. Cette assemblée provisoire annonce le proche retour à la liberté et la
renaissancedelafuturerépubliquefrançaise.Cependantlesconflitsconcernant
le«suffragisme»nesontpasterminés.Lacommissionderéformedel’Étatqui
doit rédiger le texte du projet de la nouvelle constitution n’est pas encore
installée.
Le 8 janvier 1944 est proposé le principe d’un droit de vote des femmes
restreintauxélectionsmunicipales,sousconditionque80%ducorpsélectoral
soitprésent.Lesauteursdelapropositionsouhaitentqueleretourdeshommes
prisonniers soit un préalable à l’exercice de ce droit. Ce projet est rejeté. Le
communiste Fernand Grenier, représentant des FTP et du parti communiste
auprèsdugénéraldeGaulle,proposealorsunamendementenfaveurdel’accès
completdes femmes audroit de vote.Le 21 avril 1944,les femmes deviennent
électriceset éligiblesdansles mêmesconditionsque leshommes, amendement
votépar51voixcontre16.
PENDANTLESDÉBUTSDESTRENTEGLORIEUSES
UNLIVREQUIPROPOSEDELIBÉRERLESCORPS:
SIMONEDEBEAUVOIREN1949LEDEUXIÈMESEXE
L’accèsaudroitdevoteetàl’éligibilitéen1944auraitpuchangerlasituation
desfemmesdanslasociété.Iln’enfutriencarlarésistancepatriarcaledecertains
hommes s’exerce en vue de conserver leur hégémonie dans la vie politique,
économiqueetsociale.
Àcetteépoque(1949)paraîtauxéditionsGallimardl’ouvragerédigéparune
philosophe déjà reconnue, Simone de Beauvoir : Le Deuxième Sexe. Il marque
une rupture sociétale majeure. Le sujet évoqué dans l’ouvrage n’est certes pas
neuf puisque l’auteure traite de la domination masculine. Mais elle ignore
l’aspectlégislatifdecettedominationautantquel’inégalitédesdroitsauseindu
couple. La philosophe estime que « la femme est un produit élaboré par la
civilisation».Decefait,unesociétéorganiséeparetpourleshommesréduitla
femme à sa capacité de procréation et bride sa liberté et par là même ses
potentialités.SesréflexionsmènentSimonedeBeauvoiràconclure:«Onnenaît
pas femme, on le devient ». Les femmes certes le sont par leur structure
biologiquemaisilconvientdenepasconfondrelesexeetlegenre.
L’auteureétablitunenouvellehiérarchiedeladifférencedessexesetobserve
que dès les débuts de l’humanité, les mâles ont profité de leurs avantages
biologiquespourétablirleurautoritésurlaforcephysique.Lesfemmesdufaitde
leur nature ont engendré et allaité leurs enfants. Il s’agit là de fonctions
naturelles,maiscenesontpasdesactivitésdanslesquelleslesfemmespuissent
affirmerunengagementpersonnel!SimonedeBeauvoirestimequelacondition
de mère au foyer rejaillit de façon négative sur ses enfants et empêche tout
épanouissementdecelle-ci.
Lesidéesdel’auteuresonten1949toutàfaitencontradictionavecl’espritdu
Baby-boom reflet d’une vision optimiste des conditions de vie futures et sur
l’encouragementofficieldel’époquepourlamaternitéliéàlacraintedemanquer
de main-d’œuvre pour le développement de l’industrie nationale. Simone de
Beauvoir doit faire face aux critiques car elle continue par ses ouvrages et ses
articles à franchir les interdits et à traiter de sujets tabous, dont l’avortement
alors illégal, ou encore d’aborder le lesbianisme. L’auteure estime que
l’émancipationfémininepasseparl’accèsaucontrôledelafécondité.Leconcert
d’injures àson égard doit être replacé dans lecontexte de l’époque, celui de la
guerrefroideetdel’influencestalinienneauseinduPartiCommunistefrançais.
Ce dernier est un ennemi acharné de l’existentialisme de Jean-Paul Sartre,
compagnonde SimonedeBeauvoir. Lesattaques sontsurtoutmasculines mais
viennents’yajouterdescritiquesacerbesdefemmescommunistes.Cesdernières
dénoncent l’idée d’émancipation personnelle qu’elles vivent comme une
« trahison de classe ». Il s’agit d’une certaine manière de condamner une
philosophie«bourgeoise»,produitd’uneunesociétécapitalistedécadente(sic).
On assiste à une convergence de circonstance dans la détestation exprimée
contrel’émancipationsexuelleféminineparlebiaisducontrôledela fécondité
dans les colonnes du Figaro, sous la plume de François Mauriac. Cette sorte
d’hostilité violente poussa quelques jeunes membres du catholicisme libéral
comme Jean-Marie Domenach à saluer le mouvement menant à l’étude des
questionssexuelles.
Simone de Beauvoir fait des conférences publiques sur le thème de son
ouvrage. Le nombre des lectrices augmente et parmi celles-ci Françoise
d’Eaubonne,écrivaine,quis’engagedanslacauseféministeetpublieen1951Le
Complexe de Diane. Dans cet ouvrage elle questionne à partir de la place du
genre dans les mythes grecs les raisons de l’exclusion des femmes du champ
politique.
Le brûlot de Simone de Beauvoir n’avait guère été apprécié dans les
associationsféministesdel’époquesurcetypedesujet.Le DeuxièmeSexeestun
livred’unelecturepeuaisée.Ilestdifficiled’évaluers’ileutunimpactimmédiat
sur le lectorat féminin, même si un grand nombre de comptes rendus furent
publiésdanslapresseetdansdesrevues.
PourleslectricesdelagénérationdeSimonedeBeauvoir,ilestprobableque
l’ouvragen’estpasuneinvitationàl’émancipation.Ilarrivetroptarddansleur
vie,déjàengagéeauprèsdeleurcompagnonoumarietdeleursenfants.Sinous
feuilletons la presse féminine de cette époque du début des Trente Glorieuses,
l’influencedesécrits deSimonede Beauvoirn’apas pénétrélesrédactions.Les
magazinesféminins traitent du quotidien utilecomme Modes et travaux, voire
del’élégancefémininecommeModedeParis.LemagazineElleestfondéen1945
par Hélène Gordon-Lazareff et Marie Claire créé en 1938 est relancé en 1954.
À l’exception de Marie Claire qui vise un public grand-bourgeois, tous
s’adressentauxfemmesdeclassesmoyennes.Lesmagazinespopulaires,romans-
feuilletonsetromans-photos,tel Nousdeuxcrééen1947,fontrêverlesfemmes
surlethèmedu«beaumariage»etnes’intéressentnullementaucontrôledela
fécondité.

LAMÉDIATISATIONDELAQUESTIONDUCONTRÔLE
DESNAISSANCESETDEL’AVORTEMENT

L’intérêt de Simone de Beauvoir pour le contrôle de la fécondité devait
fatalement ouvrir un jour la porte à celles et ceux qui espéraient pouvoir le
mettreenpratique.L’histoiredu«Planningfamilial»estportéepardesacteurs,
desmédecins,dessociologues,dessages-femmes,desconseillèresconjugalesqui
luttèrent pour obtenir la légalisation de la contraception et de l’avortement.
D’autres actrices et acteurs externes au mouvement contribuèrent par leurs
entreprises militantes au succès que l’on sait. Leurs actions les plus
déterminantessefirentdanslesdomainesdelacultureetdelacommunication.
LedocteurAndréSoubiranécrivitunromanLeJournald’unefemmeenblancen
1963.Cetauteurdéjàconnudugrandpublicamisenscènelesdégâtscauséspar
les avortements clandestins et la souffrance de femmes privées de la liberté de
choix.Un film éponymefut réalisé parClaude-Autant-Laraen 1965 etfinancé
pourpartieparlasociétéGaumont,quiréussitàobtenirunvisadedistribution
grâceàsaconnaissancedesmécanismesdelacommissiondecensure.Cefilmfut
plustarddiffuséàlatélévisionen1973danslecadredel’émission«Lesdossiers
del’écran».Ilyeutunautremomentmédiatiquelorsdelaréalisationdufilm
documentaire Histoiresd’A.CefilmréaliséparlescinéastesCharlesBelmontet
Marielle Issartel en 1973 était une commande du GIS (Groupe information
santé) qui rassemblait quelques médecins. Le film fut en partie financé par le
Planningfamilial,ilavaitunobjectifpédagogique:défendrelacontraceptionet
l’avortement. Ce film fut interdit de projection en raison de la scène
d’avortementqu’ilcomportait.Ilcirculadèslorsclandestinementdansplusieurs
villes,dansdesusines,desentreprises,certainslycéesetquelquesuniversités.Il
suscitalescandale.L’interdictionfutlevéeen1975maislefilmfutinterditaux
moins de18 ans. Les relaisculturels ont indirectementpopularisé lesluttes du
Planningfamilialenleurdonnantuneaudienceélargie.

«VERSUNEMATERNITÉDÉSIRÉEETCONTRÔLÉE»
L’émancipationdes femmesnécessitede contrôlerlesnaissances, d’êtrelibre
dechoisir parsoi-même.Les femmesdel’époque sontencoresous latutelle et
l’autoritéducorpsmédical,essentiellementmasculinetdontlesidéesàcesujet
sontconservatricesvoirerétrogrades.L’avortementesttoujoursillégalenFrance,
laloin’apaschangédepuislesannéesvingt.Uneétudianteenmédecine,Marie-
AndréeLagroua(néeen1916),devenueinternedansunservicedechirurgie,est
choquéed’observer.commentlesmédecinspratiquentles«curtages»àlasuite
de complications liées à des avortements clandestins. M-Andrée Lagroua
devenue gynécologue épouse un médecin réputé Benjamin Weill-Hallé, qu’elle
accompagneauxÉtats-Unis.LàelleassisteàlaconsultationdeMargaretSanger,
fondatricedel’«AmericanBirthControl».ÀsonretourenFranceMarie-Andrée
Lagroua-Weills’intéresseàl’utilisationdudiaphragme,cequil’amèneàréfléchir
àlasituationdifficiledesfemmesenFrance.Ellepublieunarticletrèsremarqué
danslaprofession«Lecontrôledesnaissancesàl’étrangeretlaloifrançaisede
1920 » dans la revue La Semaine des Hôpitaux. La gynécologue dénonce
clairement le déni en France du recours à la contraception pour choisir et
espacerlesnaissances.Ellerévèlequelacontraceptionestparfoisutiliséedansles
milieux évolués mais par l’achat de produits à l’étranger (ils sont interdits à la
vente en France), tandis que les milieux populaires n’y ont aucun accès. Elle
s’inquiètedudangerdesavortementsclandestins,desconséquencessurlasanté
des femmes, de l’angoisse de la vie quotidienne des femmes dans les couples.
ÀcetteépoqueonconnaîtlaméthodeOgino;ils’agitdeprocéderàdesrelevés
réguliersdetempératureenobservantlacorrélationavecl’ovulationpendantle
cyclemensuel.Cetteméthode,trèscontraignante,n’estquepartiellementfiable.
En France les catholiques y ont parfois recours, sachant que le pape Pie XII a
donnésonautorisationmoraleen1951.
Marie-AndréeLagroua-Weillestimequ’ilfautfairebougerleslignesautourde
la médiatisation des conséquences de la loi de 1920 lorsqu’éclate l’affaire des
épouxBac.Lamortdeleurnourrissonestdueàladépressiondelajeunemèrede
famille accablée par cette nouvelle naissance non désirée. La gynécologue veut
lancer sur la place publique une prise de conscience sur ces grossesses non
choisies et les drames qu’elles provoquent pour les femmes, les couples, la
société.Lorsd’unedesesconférencessurl’absenced’accèsàlacontraception,en
mars1955,Marie-AndréeLagroua-Weillfaitlaconnaissanced’EvelyneSullerot,
sociologue et mère de famille. Elles commencent toutes deux une coopération
quiapourbutd’intéresserlapressegénéralisteàcesujet.Avecl’aidedeJacques
Derogy,journaliste,ancienrésistantcommuniste,uneenquêteestlancéedansle
lectorat et, ensuite, un débat auprès des femmes. Enfin en 1956 une étude est
publiée: Desenfantsmalgrénous.Ledrameintimedescouples.Lelivrepropose
d’éviter les drames de l’avortement, des infanticides et de mettre en place des
moyenscontraceptifsdefaçonlégale.ÀcetteépoqueonévalueenFranceàplus
de 600 000le nombre des avortements paran et à près de 20 000les décès de
femmesdanscescirconstances.
En1956lesdéputésdugroupedesRP(RépublicainsPopulaires)déposentune
propositiondeloienfaveurd’uneprophylaxieanticonceptionnelleafindelutter
contre « la multiplication des avortements criminels ». Ils exposent que la
répressionn’estpasunesolution.Malgrélesoppositionstantdescatholiquesque
descommunistes,unepremièremodificationestapportéeàlaloi,elleaboutiten
mai 1955 à l’autorisation de l’avortement thérapeutique. Évelyne Sullerot et
Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé créent alors l’association « La Maternité
Heureuse»(Cahier-images,Pl.XVI).Leconseild’administrationenestféminin.
Danslecontextedel’époquel’associationneselancepasofficiellementdansun
programme de limitation des naissances. Elle commence par promouvoir
l’améliorationpsychologiquedesrelationsdecouples,lasantédesmèresetdes
enfants. Les conseils donnés aux couples ont pour but d’éviter le recours aux
avortementsclandestins.Lesdeuxfondatricessontrejointespardesmédecinsdu
groupe«Littré».Cesontdespraticiensfrancs-maçonsfrançaisetbelgesquisont
favorables à la contraception. Parmi eux se trouve une personnalité
exceptionnelle, le docteur Pierre Simon, gynécologue-obstétricien, né en 1929
(Cahier-images,Pl.XVI).
La « Maternité heureuse » continue son action à petits pas malgré la
condamnationdel’Ordredesmédecins.CatherineValabrèguedevienten1959la
secrétaire générale de l’association. En 1958 la Maternité heureuse adhère à
l’IPPF (International Planning Parenthood Federation) même si l’esprit
malthusienquiydominen’estpasofficiellementapprouvé!
En 1960 L’association Maternité heureuse prend le nom de « Mouvement
Françaispourleplanningfamilial»(MFPF).LecontexteaévoluéetàGrenoble
legynécologueHenriFabre,ancienrésistantcommuniste,organiseun«Centre
d’études médicales pour l’orthogénie ». Le but est de former des personnels
médicaux qui puissent ensuite prescrire des moyens contraceptifs fiables et
agréés. Cependant la loi de 1920 n’a pas été abolie et elle interdit toute forme
d’informationvoiredepublicationssurlesmoyenscontraceptifs.Pourréussirà
s’informer,desfemmesadhèrentàl’AssociationduPlanningfamilialetpeuvent
ainsiobtenirdesconseilsutilesetacheterdesdiaphragmespuisdesstériletsqui
apparaissent plus tard. Mais ces produits sont encore interdits en France à
l’importation(en raison dela loi de1923). L’associationdu Planning achèteet
faitacheminercesproduitsdiscrètementdepuisl’étranger.SimoneIff,néeBaleft
militante dans le mouvement féministe protestant « Jeunes femmes » est très
activeauPlanningfamilial.Enfinenoctobre1961,lepremiercentredePlanning
familialestouvertàParis.Ilseprésentesousunbutéducatif,cequiluipermetde
recevoirungrandnombredevisites,delettres,d’appelstéléphoniques.Simone
Iff témoigne de la difficulté à traiter de sujets interdits par la loi dans le cadre
d’unestructurequiauneexistencelégale.Elledistribueainsideprécieuxconseils
sur la contraception aux femmes qui viennent la consulter mais doit veiller à
enfermer les dossiers de ces femmes dans un placard secret en raison des
fréquents contrôles opérés par le commissariat du quartier. Cette semi-
clandestinitédurejusqu’en1967,dateàlaquellel’amendementNeuwirthàlaloi
de 1920, autorise les dispositifs contraceptifs. La loi punit toujours aussi
sévèrement l’avortement pour lequel les coupables présumées sont déférées en
correctionnelle. Simone Iff entre en rébellion contre les médecins du conseil
d’administration du Planning Familial. Comme de nombreuses femmes, elle
souhaitequelaloiautorisecontraceptionetavortementlibres,remboursésparla
SécuritéSociale.ElleorganiseleMouvementdes343plusconnussouslenomde
« Mouvement des 343 Salopes », 343 femmes ont signé un article dans lequel
elles revendiquent avoir pu se faire avorter dans des pays voisins où cette
interventionestautoriséeparlaloi.Ellesaffirmentavoirpulefaireenraisondes
moyens financiers dont elles disposent et demandent que la loi française soit
modifiée pour que toutes puissent bénéficier, comme elles, de l’accès à
l’avortement.

LESFEMMESVEULENTTENTERDECONCILIER
VIEFAMILIALEETVIEPROFESSIONNELLE

Lesfemmesaufoyerdésignéescomme«sansprofession»surlesformulaires
administratifs restent au bas de l’échelle sociale. Qu’elles soient femmes
d’intérieur de milieu aisé ou femmes dans des foyers aux conditions
économiquesmodestes,cettedésignationestunedesraresquileursoitappliquée
dans le strict respect des principes de l’égalité républicaine. Leur « absence de
profession » est un univers de tâches domestiques, où la monotonie des jours
leur est pesante. Celles qui ont une activité professionnelle et une famille à
prendre en charge n’ont pas assez de temps libre pour s’investir dans la vie
associative ou politique. Cependant la situation se modifie pour la génération
suivante. La mixité de l’enseignement commence en 1957, l’obligation scolaire
concerne les élèves jusqu’à l’âge de 16 ans. L’examen d’entrée en sixième a été
supprimé.ParmilespremierseffetsonnotedanslesrésultatsduBaccalauréatde
1963queletauxderéussitedesfilles(14,3%)estsupérieuràceluidesgarçons
(13,4%).DansledomainedesÉtudessupérieureslaproportiond’étudiantesest
stationnaire.Lesassignations degenrenefavorisent paslavolonté desfillesde
continuer leurs études et d’aboutir à une formation, à un métier. Lorsque les
marisoulescompagnonsnes’yopposentpasfermement,lesfemmestitulaires
d’undiplômetententd’obteniruntempspartielprofessionnelpouraméliorerles
financesdelaviefamiliale.
Dans cette situation pesante, les femmes n’ont guère le temps de s’investir
dans la vie publique et la vie politique. La conséquence en apparaît dans les
résultatsauxélectionslégislatives.Onobserveunreculdunombredesdéputées
au fil du temps tout au long de la IVe République, d’autant que la misogynie
ambiante ne connaît guère de déclin ! Dans un contexte d’éloignement
systématiquedesfemmesde laviepolitique,on nes’étonneguère quecelles-ci
soientrestéessilencieusespendantlaguerred’Indochine(1945/1954)etlorsdes
débutsdelaguerred’Algérie(1954).Ilyeutcependantdesprisesdeconscience
fémininespendantlaguerred’Algérie.ChristineZuberétaitétudianteàl’ENSen
1954. Elle comprit les enjeux politiques cachés derrière le discours officiel en
discutant avec ses camarades et avec des étudiants algériens. Christine Zuber
choisitl’engagementmilitantcontrelaguerred’Algérieetcontrelatorture.Elle
rejointen1960leréseau«HenriCuriel».Elleestarrêtéepouravoirhébergéun
militant clandestin algérien. Dans sa prison elle organise l’évasion de six
codétenues. Parmi les militantes pour la libération de l’Algérie il y a aussi des
« porteuses de valises », comme Andrée Michel, sociologue née en 1920. Elle
publia des articles en faveur de la décolonisation de l’Algérie. Les femmes
musulmanes algériennes sont alors invisibles dans le débat politique et social.
Elles sont au nombre de quatre millions. Le gouvernement français leur fait
espérer un statut de citoyenne identique à celui des femmes de la métropole.
Cettestratégieestmiseenplaceafindedésamorcerlaparticipationdesfemmes
comme infirmières ou comme combattantes au sein de l’armée de Libération
NationaleduFLN.Lespluspolitiséesmènentdesactionsterroristesurbaines.Le
gouvernement français entreprend alors de convaincre les 96 % de femmes
analphabètes que l’Algérie Française peut leur accorder l’émancipation par
l’éducation, l’école et la suppression de la polygamie et des mariages forcés, et
enfin alléger l’obligation du port du voile. Le gouvernement Debré décide
d’adresserunsignalpolitiqueauxAlgériensennommantladéputéeNafissaSid
Cara comme secrétaire d’État chargée des questions sociales en Algérie et de
l’évolutiondustatutpersonneldedroitmusulman.Cettestratégiedesdébutsde
la Ve République mit en difficulté les représentants du FLN, car ces derniers
étaientfortattachésauxusagesdupatriarcatetàlasubordinationdesfemmes.
C’estdanscecontextequ’éclatal’affaireDjamilaBoupacha.Lajeunefemmeavait
été arrêtée et accusée d’avoir participé à un attentat au café de l’université
d’Alger.Ellenie,estemprisonnée,etaccusealorslesmilitairesfrançaisdel’avoir
torturée et violée. Djamila Boupacha prend pour avocate Gisèle Halimi. Cette
dernière,jeunefranco-tunisienne,encorepeuconnue,estinscriteauBarreaude
Parisdepuis1956.Elleasumettreenlumièredansceprocèsladimensionsexuée
et sexuelle. Elle consolida la défense de Djamila en organisant un comité de
soutien auquel participèrent des personnalités telles Simone de Beauvoir,
Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion. Cette dernière était
ethnologue et aussi spécialiste de l’Algérie. Gisèle Halimi insista dans sa
plaidoirie sur le fait que les tortionnaires et violeurs de Djamila Boupacha ont
appliqué les règles non écrites de la domination coloniale qui autorise le mâle
colonisateur à exercer une domination masculine discrétionnaire face au sexe
féminincolonisé,auméprisdesvaleursfondamentalesdelaRépublique.Djamila
Boupacha est condamnée à mort en juin 1960. Elle est ensuite graciée lors de
l’armisticede1962.Cependantsestortionnairesnefurentjamaispoursuivis,ce
qui donne une idée de la force et de l’universalité de règles de la domination
coloniale!

LESFILLESDU«BABY-BOOM»
Commentlagénérationdes«fillesduBaby-Boom»c’est-à-diredesfillesnées
entre 1945 et 1955, vivaient-elles leur quotidien au sein de cet univers de
mensongepolitiqueetdeviolencephysique?
La jeunessede l’époqueconstitue un groupedémographique nombreux,aux
aspirationsenruptureparrapportàcellesdelagénérationprécédente.Untiers
de la population française a moins de vingt ans en 1960. Cette génération,
héritièredesvaleurspatriotiquesetnationalistesquiétaientcellesdesesparents
estmoralementeffondréeparlamanipulationquienestfaitedanslescampsde
l’arméefrançaiseenAlgérieoùilsseretrouventcontreleurvolonté.
L’intérêt des femmes pour la vie publique et les changements sociaux se
manifeste, entre autres réalisations, par la création en 1961 du MDF
(MouvementDémocratiquedesFemmes)quidéfenddespositionssocialisteset
féministes.FontpartiedesfondatricesColetteAubry,Marie-ThérèseEyquemà
l’origine de la création du mouvement, Évelyne Sullerot, Marguerite Thibert,
GisèleHalimi, YvetteRoudy.Les adhérentessont,pour laplupart,présentes et
actives dans le monde économique. Certaines disposent d’un salaire et
s’intéressentàl’évolutionduvoteféminin.Cellesdesadhérentesquiontlestatut
defemmeaufoyertravaillentactivementàleurentréedanslemondedutravail.
Femmesdecommunication,ellestravaillentàdenombreuxsujetsd’émissionsde
radio puisde la télévisionnaissante, consacrées auxobjectifs et actions deleur
mouvement.
Les contenus de la presse féminine écrite, ainsi que ceux des émissions
télévisuelles consacrées aux femmes sont un révélateur de la pensée féminine
dominante à l’époque, pensée qui est encore bien loin des préoccupations du
MDF. Les journaux féminins qui rencontrent un succès de lectorat à l’époque
sont Le Petit Écho de la Mode (devenu dans les années 70 Femmes
d’Aujourd’hui), Modesettravaux, Elleet,pourunpublicplussociologiquement
restreint, Marie-Claire. Dans l’hebdomadaire Elle, existe à cette époque une
rubriqueducourrierducœur.TenueparMarcelleSégal,ellerencontreunréel
succès,mêmesisesconseilsgardentuntonmoralisant.Lajournalistecondamne
les « amours adultères » et les « briseuses de ménage » (sic). Elle console les
épousesmalheureusesàquielleconseillelapatience,ladouceur.Aufildutemps,
Marcelle Ségal en vint à défendre dans le journal l’accès au divorce par
consentementmutuel,cequin’étaitpasdansl’espritdutemps.
L’émissionféminineradiodeMénieGrégoirevoitlejour,àpartirde1967,sur
RTL.MénieGrégoires’adresseauxfemmesquisouhaitentsortirduconfinement
qui leur est imposé par leur rôle de femme au foyer. Les lettres reçues par la
journaliste traduisent de manière récurrente le mal-être des femmes au foyer.
Cescourrierspermettentàlajournalistedetraiterlessujetsdominantsévoqués
parsonpublic,puisdelestraiterendirectàl’antenneaprèsavoirappeléunede
sescorrespondantes.Lemal-êtredecesfemmes,leurssouffrancessecristallisent
autourdedeuxaxes.Ilyalemanquedeconsidérationqueleurtémoignentleur
mari, leur famille, les voisins… : que sont-elles de plus qu’une aide-ménagère
avec laquelle le maître de maison a le droit de faire l’amour ? Et puis, il y a,
justement le sexe. L’émission est antérieure à loi Neuwirth, les dispositifs
contraceptifssontinterditsetnombredemarisnesesatisfontpasdel’abstinence
périodiqueorganiséeparlaméthodeOgino.CetteémissiondeRTLquialieuen
débutd’après-midiestsurtoutécoutéepardesauditricesfemmesaufoyer.Elle
leur donne espoir face à la résignation et à la soumission d’usage dans leur
situation sociale. Des connaissances vulgarisées permettent à ces femmes de
prendre conscience de leurs droits et d’imaginer des changements dans leur
mode de vie. Après l’élection de Charles de Gaulle à la présidence de la
République en 1965, le gouvernement finit par accepter de soutenir en 1967
l’accèsàlacontraceptionproposéeparLucienNeuwirthetappliquéàpartirde
1972.
Un autre aspect de la pensée féminine dominante apparaît avec l’émission
télévisuelled’ElianeVictoràpartirde1964.Lajournalistetraitedel’insertiondes
femmesdanslemondedutravail.Elleobserveleseffetsdecetteouvertureàla
vieactivesurla viesociale,surlavie defamille.Elleabordeaussiles injustices
salarialesgenrées.
La littérature de l’époque, destinée à un public ciblé, compte quelques
ouvragesquiont faitdate : LaCondition delaFrançaise d’aujourd’huiparuen
1964,aété rédigéparAndréeMichel etGermaineTexier.L’annéesuivante, en
1965, Évelyne Sullerot publie Demain les Femmes. Ces deux ouvrages sont des
références sur l’ambition des femmes de cette époque d’avoir une activité
professionnellequileurpermettedeseréaliser.
Pendantcetemps,commentlesfillesdu«baby-boom»ont-ellesévolué?Elles
rêventd’unavenirprofessionnel.Cellesquiontfaitdesétudescourtessedirigent
vers des professions du domaine des services : coiffeuse, secrétaire, vendeuse.
D’autres, impressionnées sans doute par une lecture excessive de la presse du
cœur s’imaginent réussir comme infirmières avec ensuite à la clef un mariage
avecunmédecin.
Dansledomainedesicônesdumondeartistique,certainesdecesjeunesfilles
s’identifientàlachanteuseSheila(néeen1945),modèlesympathiqueenaccord
avec les valeurs du temps. Un petit nombre s’intéresse à la chanteuse-
compositriceFrançoiseHardy(néeen1944)età sessujetsteintésdenostalgie.
D’autress’imaginenttrouverunmodèledepersonnalitérévoltéesouslestraitsde
l’actriceBrigitteBardotdontlacarrièrenaissantedoitplusàsaplastiquequ’àses
convictions.Uneémissionderadio« MademoiselleÂgetendre»(MAT)associée
à un journal éponyme, destinéeaux « filles dans le vent » s’adresse à partir de
1962 à une population qui a en commun d’appartenir à une génération,
nombreuse qui connaît des disponibilités économiques historiquement
importantes. Avec MAT et « Salut les copains », destiné aux garçons, Daniel
Filippachi cherche à identifier et répondre aux goûts de ces jeunes
consommateurs en matière de mode et de musique. Le ton général de ces
publicationsestdanslestyleunavenirradieuxvousattend!Ilyabienquelques
problèmesdanslavie,c’estjusteunequestiond’adaptation.

LEPRINTEMPSDEMAI1968:ESPOIRMAISDÉCEPTIONPOURLESFEMMES
Entre1967et1968larévolutionestudiantineseprépare.Ilestquestiondese
débarrasserdu«vieuxmonde»etlesaffichesdespremiersappelsàmanifester
enmars1968proclament«l’interdictiond’interdire».Lesfillesmanifestentleur
volonté de révolte mais elles échouent à trouver un rôle égalitaire car les
assignationsdegenren’ontpuêtredétruites.Cantonnéesàdesrôlessecondaires,
ellesparticipentsansavoirdechoixquantauxactions.Larévolutionespéréeest
menée par des étudiants pour qui ce mouvement doit se réaliser avant la
libérationdesfemmes.
SelonAnneZelensky,ancienneélèvedel’ENS,alorsenseignante,lesfemmes
ont été les oubliées de mai 1968. Yvette Roudy vient de traduire l’ouvrage
américaindeBettyFriedan: LaFemmemystifiée(1964).Zelensky,Roudy,avec
Jacqueline Feldman, physicienne au CNRS et militante féministe fondent en
1967«Féminin,Masculin,Avenir»dontlebutestdemodifier,danslamixitéles
rapportsdesexe.Forceestdeconstaterque,malgrél’opportunitédelacréation
de leur mouvement, leurs idées avaient peu diffusé car, dans les médias, les
visages de jeunes des assemblées décisionnelles du mouvement sont en grande
majorité masculins. Cependant, sur les photos de manifestations ou de
barricadesparisiennespubliéesparlesmêmesmédiaslesvisagesdesrebellessont
autantceuxd’étudiantesqued’étudiants(Cahier-images,Pl.XVI).
Dans les usines, les femmes participent aux grèves et assemblées générales.
Cependant la CGT estime que, l’égalité entre ouvriers et ouvrières affichée en
tant que but des luttes syndicales, n’est pas prioritaire. Pour la majorité des
syndiqués, lachute du capitalisme est l’objectif immédiat,la cause des femmes
peut attendre. Dans le monde du travail comme dans l’aile contestataire de la
mouvance intellectuelle, les hommes peinent à percevoir les inégalités sociales
spécifiques dont souffrent les femmes. De cette incapacité masculine, il ressort
peuàpeuaprès1968quel’émancipationdesfemmesdoitsefaireparl’actiondes
femmeselles-mêmes.Le mouvementMDFavait toutelégitimitépourconduire
lemouvementderevendicationféminineàceciprèsqu’ils’étaitfixéd’aideràla
venue au pouvoir d’un gouvernement de gauche capable de conforter les
conquêtes féminines récentes tels les droits civil (égalité des droits dans le
couple)et politique (droit de voteet d’éligibilité) desfemmes, mais aussi, sous
l’influence de ses membres qui militaient également au Planning Familial,
d’assurer l’ouverture de nouveaux droits nécessaires et à la régulation des
naissances et à la contraception. On considère généralement que l’acte de
naissanceduMLF(MouvementdeLibérationdesFemmes)aétéécritauseindu
MDF par les militantes Anne Zelensky et Jacqueline Feldman, créatrices du
cercle de réflexion « Féminin, Masculin, Avenir ». Ce dernier tient une
importanteréuniondanslaSorbonneoccupéede1968.Ilchangedenatureetde
nom en 1970, en devenant non mixte, et en se renommant « Féminisme,
Marxisme,Action».L’écrivaineMoniqueWittigetAntoinetteFouqueainsique
d’autres femmes de leur entourage travaillent sur la sexualité féminine et sur
l’articulationdelaluttedesfemmesauxluttesanti-colonialistesetauxluttesde
classe.Ellessignentlepremiertexteféministefrançaisdecettepériodepubliépar
l’Idiot International. Le MLF entre dans la vie médiatique de la nation par un
meeting public tenu à l’université de Vincennes juste avant la première action
médiatisée du 26 août 1970 : le dépôt d’une gerbe sous l’Arc de Triomphe
destinéeàhonorerlamémoirede«lafemmedusoldatinconnu»!Lesinitiatives
duMLF,souventmarquéesparl’influencedesouvragesdeSimonedeBeauvoir
veulententoutcasthéoriserelles-mêmesleursituationetchoisirleursmoyens
de lutte. Le MLF s’organise, il n’est pas mixte. Ce mouvement refuse toute
hiérarchisation bureaucratique. Il reconnaît la sororité et la nécessité de
commencerparsemettred’accordsurlamaîtrisedelafécondité.L’undeslogans
despublicationsféministesdel’époqueest«Moncorpsestàmoi».Àl’intérieur
duMLFdesoppositions,destensionssefontjour.Ilestencoredifficiledecerner
les étapes historiques. On pourrait distinguer deux tendances distinctes. La
première est la tendance psychanalyste politique qui met au premier plan un
féminisme libéré avec l’aide de la psychanalyse. Cette tendance crée avec
Antoinette Fouque l’essence féminin-maternité. La deuxième est celle des
féministes révolutionnaires avec Anne Zelensky. Elle se rapproche des
AméricainesetducourantissudesidéesdeSimonedeBeauvoir.Danscegroupe
le féminisme est défini comme le fait de se battre pour des revendications
essentiellementfémininesetpourl’autonomiedesfemmes.
FrançoisePicqdanssesouvragesde1999etde2011aproposéunepremière
analyse de ces années autour du MLF. Elle note que malgré les désaccords de
fond, il y eut certaines actions communes. Cependant la tendance « lutte des
classes»avoulurelierlalibérationféminineàcelleduprolétariat.LeMLFrejette
lesfemmesquin’ontpasfaitlesmêmeschoixquelemouvement.
ParmilesactionsconnuesduMLF,onnotelarevendicationdelalibertédela
contraception,delalibertédel’avortement,delalibertédecirculerdanslaruede
jourcommedenuitsansrisquerdesagressionssexuelles,delalibertédechoisir
savieprofessionnelle,delalibertédechoisirsavieprivéeetsasexualité.Ilétait
aussiquestiondefairesortirdel’isolementetdusilenceleshomosexuelles.Ainsi
en1971naîtlegroupedes«GouinesRouges»quirevendiquentlalibertétotale
de se réaliser comme êtres humains. Les femmes veulent briser toutes les
entraves. Briser le refoulé va de pair avec la prise en compte d’une identité
nouvelle, le lesbianisme. Christine Bard le définit dans son article du
DictionnairedesFéministes(2017).
Cesmouvementss’appuientsurunepresseféministe,dansdesslogans,dans
destracts. Ilsintègrent tous lesstyles d’écriture,les dessins,le langagevulgaire
des«machos »,mêmele styledeleurschansons. LeManifestedes343 lancéà
l’initiative de Simone Iff est publié en avril 1971 par le magazine Le Nouvel
Observateur.Ce texteaété impulséparAnne ZelenskyetSimone deBeauvoir.
Les signataires y déclarent avoir avorté en contournant la loi française. On lit
«UnmillierdefemmessefontavorterchaqueannéeenFrance.Elleslefontdans
des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont
condamnées[…] »Le manifestes’achève parla demandedel’avortement libre.
Afinde contrecarreruneéventuelle répliquejudiciairevis-à-vis dessignataires,
l’avocateGisèleHalimifondel’association« Choisir»quiportelaresponsabilité
dutexte.
Toute la mouvance féministe, malgré ses dissensions internes, ne concerne
guère qu’une élite intellectuelle, de diplômées, d’artistes. Ces dimensions
politiqueslaissentàl’écartunegrandepartdelapopulationfémininedesvilleset
descampagnes.Desfemmesviolées,avortéesrestentaveclepoidsdusilenceet
de la solitude, il s’agit d’un anonymat de masse que personne n’écoute ni ne
soutient. Un fait divers frappe les esprits à travers le relais des medias lorsque
l’avocateGisèleHalimiprendladéfensedudossierdeMarie-ClaireChevallieren
1972.Cettejeunelycéennede17ansvioléeestenceinte.Avecl’aidedesamèreet
de trois femmes elle a trouvé une solution pour un avortement clandestin. Le
procèssedérouleàBobigny,GisèleHalimiexposeàlafindesaplaidoirie:«C’est
la loi qu’il faut mettre en accusation » car elle est « objectivement mauvaise,
immoraleetcaduque».Destractsfurentpubliésenoctobre1972parleMLFet
parl’association« Choisir »poursoutenirladéfensedeM.-Cl.Chevallieretde
ses « complices ». L’accusée fut relaxée. Il y eut ensuite deux accusées
condamnées à un an de prison avec sursis pour l’avorteuse et une amende de
500 F avec sursis pour la mère de M.-Cl. Chevallier. Ce procès de Bobigny
marqualesesprits.Lapressedemeurapartagéemaiscelapermitaussidemettre
enévidenceen1972l’absencededécretd’applicationdelaloiNeuwirthde1967
(surl’accèsàlapilulecontraceptive).

SIMONEVEILETLALOIDE1974
Uneréformerelativeàlalégalisationdel’avortementestdésormaisimpossible
à refuser. Au début du mandat du président de la République, Valéry Giscard
d’Estaingen1974,lapréparationdecetteloin’estpasconfiéeàFrançoiseGiroud
alorspremièresecrétaireauprèsduPremierministre(JacquesChirac)etchargée
dela conditionféminine, maisàSimone Veil,ministre dela Santé.Sansdoute
s’agissait-il pour le président de dissocier le projet de celui de la liberté des
femmes.Ilfallaitmontrerunecertainehabiletéfaceàuneopinionpubliqueetà
desdéputésencoreréticentssurcesujetdel’avortement.
Le dossier fut soigneusement préparé par Simone Veil (1927-2017),
magistrate.Afindefaireaboutirceprojetdedépénalisationdel’avortement,elle
mit l’accent sur la question de la santé publique et non pas sur la notion de
libertépersonnelledesfemmes.
Dansunclimatdefortestensionsetaprèsvingt-cinqheuresdedébatsanimés
par plus de 70 orateurs, la loi est finalement adoptée par l’Assemblée le
29novembre1974par284voixcontre189,grâceàlaquasi-totalitédesvotesdes
députésdespartisdelagaucheetducentre,etmalgrél’oppositiondelamajeure
partiedesdéputésdeladroite.
Après une navette législative auprès du Sénat, les deux chambres adoptent
cetteloiendeuxièmelecture.Elleestensuitepromulguéele17janvier1975.Son
entrée en vigueur est prévue initialement pour une période de 5 ans, à titre
expérimental.Elleestreconduitesanslimitedetempsparlaloidu31décembre
1979.
LaloiVeildépénalisel’«interruptionvolontairedegrossessepratiquéeavant
lafindeladixièmesemaine»(IVG),quipeutalorsêtrepratiquéesouscertaines
conditionscumulatives:
– situationdedétresse
– délaidegrossesseinférieurouégalà10semaines
– intervention réalisée par un médecin dans un établissement
d’hospitalisation
– réalisation de démarches obligatoires destinées à l’information et à la
réflexiondelafemmeenceinte:deuxconsultationsmédicales(avecundélai
deréflexiond’unesemaineentrelesdeux),oùlesrisquesetlesalternatives
sontprésentésparlesmédecins,etuneconsultationpsycho-sociale.
La volonté de la femme doit être confirmée par écrit. Il est précisé que le
médecin et lepersonnel de santé disposent d’une clausede conscience ; aucun
n’esttenudeconcouriràuneinterruptiondegrossesse.
La loi Veil légalise également pour une durée de cinq ans l’« interruption
volontaire de grossesse pour motif thérapeutique » (dite IMG), qui peut alors
être pratiquée sous certaines conditions, liées au danger pour la santé de la
femmeetdel’enfantànaître.L’interventionestpratiquéedansunétablissement
d’hospitalisation.
LaLoiVeildu12janvier1975complèteuneautreloiinitiéeparSimoneVeil
et promulguée au même moment, la loi du 4 décembre 1974, qui autorise les
centresde planning familialà délivrer auxmineures àtitre gratuit etanonyme
descontraceptifssurprescriptionmédicale,sanslimited’âge.LaloiNeuwirthsur
lacontraception,promulguéeen1967,neconcernaitquelesfemmesmajeures(à
l’époqueâgéesdeplusde21ans).
Parlasuite,leremboursementdel’IVGparlaSécuritésocialeestvotéen1982.
La loi du 4 juillet 2001 modifie les dispositions de l’IVG, notamment en
allongeantde10à12semainesdegrossesseledélai,endispensantlesmineures
d’autorisation obligatoire de leurs parents et en facilitant l’avortement
médicamenteux.
Le vote de la loi Veil a marqué l’aboutissementde plusieurs années de forte
mobilisation qui ont mis en lumière l’impact du mouvement féministe. Les
questions de contraception et d’avortement ont fait connaître d’autres
revendications féministes. La seconde moitié de la décennie soixante-dix est
marquée par une multiplication des groupes disséminés dans plusieurs types
d’espacesetunediversificationdesmodesd’action. Lalibredispositiondeleur
corpsresteaucentredesrevendicationsdesfemmes.
CHAPITRE7

LESFEMMESDE1975ÀNOSJOURS

LALUTTECONTRELESVIOLENCES
ETLADIFFUSIOND’UNECULTUREFÉMINISTEPARLES
MEDIAS.
LESFEMMESDANSLAVIEPUBLIQUE

UNRAPPORTDEL’INSEEETUNBILAN
Le rapport annuel « France, portrait social » de l’INSEE de 2020 rappelle
l’évolutionducontextesocio-économiquedupaysdesannées1970nosjours,au
cours des mandats présidentiels de Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy,
Hollande,Macron.
En 2019, la France métropolitaine compte 65 millions d’habitants contre
53 millions en 1975, soit 12 millions de plus. Les femmes représentent 51,6 %
danscettepopulation.
Lesgrandeslignesàretenirdecerapportsont:
– Maternitédeplusenplustardive.«Lesfemmesdonnentnaissanceàleurs
enfantsdeplusenplustard»,rapportel’Insee.L’âgemoyenàlamaternité,
tousrangsdenaissanceconfondus,étaitde26,7ansenFranceen1975.En
raison de la démocratisation de l’enseignement supérieur et de
l’allongementdeladuréedesétudes,de plusen plusdefemmesretardent
l’arrivéedeleurpremierenfant.
– Baisse du niveau de vie des familles monoparentales. En France, en 2011,
210000famillessontdevenuesmonoparentalesàlasuitedeséparationsde
couplesayantaumoinsunenfantmineur,dontlamoitiéaprèsunerupture
d’union libre. « Ces ruptures ont des conséquences importantes sur les
niveaux de viedes familles », indique l’Insee. Ainsi, la moitié desfemmes
qui ont rompu une union en 2011 et qui ont la garde de leurs enfants
connaissentunebaissedeleurniveaudevieaumoinségaleà20%l’année
de leur séparation, un chiffre qui varie peu selon leur statut conjugal
d’origine(mariage,Pacsouunionlibre).
– Mortalitéinfantilediviséeparquatre.Enquaranteans,lamortalitéinfantile
enFranceareculé.Elleestpasséede13,8‰à3,6‰entre1975et2005et
s’élève à 3,8 ‰ en 2018. Les progrès dans la lutte contre les maladies
infectieuses et le meilleur suivi médical des grossesses ont permis
d’atteindreceniveaudemortalitéinfantiletrèsfaible.
– Tauxdelapopulationimmigréerapportéàlapopulationtotale:9,7%dela
population. Ce chiffre représente 2,3 points de plus qu’en 1975. « Les
origines de l’immigration se sont diversifiées, avec l’émergence de flux en
provenanced’Afriquesubsaharienneetd’Asie»,soulignelerapport.Entre
1975 et 2015, le solde migratoire de la France s’établit en moyenne à +
61 000 personnes par an. Depuis les années 70, la proportion de femmes
immigrantenFrance,n’aeudecesse d’augmenter,pourdépasseren 2008
celle des hommes. Elles représentent aujourd’hui 51,8 % des nouveaux
entrants. Un nombre croissant concerne des femmes célibataires venant
poursuivreleursétudesenFrance.
– Souhait de transformation de la société dans l’opinion publique en
augmentation. Il y a quarante ans, 76 % des Français estimaient que la
sociétéavaitbesoindesetransformer.Aujourd’huiilssontdésormais83%
àlepenser,soitunehaussede7points.
– Famille de moins en moins considérée comme source essentielle de bien-
être.En2019,59%desFrançaissouscriventàl’idéequelafamilleest«le
seul endroit où l’on se sente bien et détendu ». Ils étaient 70 % en 1979.
«Lesannées1990marquentledébutdecetteprisededistancedel’opinion
avecl’idéequelafamilleestleseulendroitoùl’onsesentbienetdétendu»
(INSEE).
– Plafond de verre ? Les femmes sont bien plus souvent en mobilité
ascendanteparrapportàleurmèreen2015qu’en1977,etcequellequesoit
leuroriginesociale,révèlelerapportdel’Insee.
Cette période est également marquée par des changements majeurs dans les
règles sociétales. La législation s’adapte sous la pression de la demande de la
population.Cefut,en1999,l’adoptionduPACS,pactecivildesolidaritéquiest
un contrat conclu entre 2 personnes majeures, de sexe différent ou de même
sexe.Ilpermetd’organiseruneviecommunerégiepourpartieparlesrèglesqui
s’appliquentàcellesd’uncouple.Ilaétéinstituéparlaloidu15novembre1999.
Saconclusionnécessitelarédactiond’uneconventiondevantêtreenregistréeau
greffedutribunald’instancedulieuderésidencecommunedespartenaires.
Puis vient la loi du 17 mai 2013 sur le mariage pour tous. La France est
devenuele9 epayseuropéenàautoriserlemariagehomosexuel.Cetteloiaouvert
de nouveaux droits pour le mariage, l’adoption et la succession, au nom des
principesd’égalitéetdepartagedeslibertés.
Enparallèleàl’évolutiondesmentalitésquiaimposélasignaturedecesdeux
lois,unecultureféministediversifiéesediffusedanslasociétéàpartirdumilieu
desannées1970.
Desgroupesdefemmessemultiplient dansdivers arrondissementsde Paris.
Certains d’entre eux se constituent dans le cadre plus général de « la lutte de
classes » : le cercle Élisabeth Dmitriev, fondé en 1971, est issu de l’Alliance
marxiste révolutionnaire. Des femmes travailleuses en lutte fondent le groupe
des« Pétroleuses»de laLiguecommuniste révolutionnaire(LCR).À partirde
cesgroupes,desmilitantesféministesportentunregardcritiquesurlesrapports
de pouvoir dans les organisations d’extrême gauche auxquelles elles
appartiennent. Lutte ouvrière accepte ainsi de présenter pour la première fois
unecandidaturefémininelorsdesélectionsprésidentiellesde1974avecArlette
Laguiller.Lesidéesféministescirculentdanslespartisdelagauchetraditionnelle
etdanslessyndicats.LepartisocialisteestrefondéàÉpinayen1971autourde
FrançoisMitterrandeten1977ilcréeunsecrétariatnationalchargédesDroits
desfemmes, confié àYvette Roudy. En1978 le PS présentele socialismeet les
droits des femmes comme indissociables. Quelques militantes, Édith Lhuillier,
Cécile Goldet et Françoise Gaspard rédigent un texte demandant que 50 % de
femmes soient présentes sur les listes du PS pour les élections européennes de
1979.LaFranceatteint22%defemmeséluesparmilescandidatsprésentés.Ce
chiffredittoutlecheminqu’ilresteàfairepouratteindrelaparité.LePSU,dont
l’existenceestantérieureàcelleduPS,nédurassemblementdesforcesdegauche
hostilesàlaguerred’AlgérieetàlapolitiquedelavieilleSFIOquiaconduitla
répression sur ce territoire colonial, recrutait nombre de militantes également
activesdanslescourantsféministes.En1974,aprèsqu’unemajoritédesmilitants
du PSU a décidé de rejoindre le PS, Huguette Bouchardeau est élue première
secrétaire, ce qui est une nouveauté dans l’histoire politique de la France. La
proportiondefemmeséluesaubureaufédéralaugmente,ainsiquelesadhésions
féminines.Mais,pourautant,lePSUnedevientpasunpartifortementféminisé
et puissant. Devant la faiblesse de son audience, il s’auto-dissout en 1980.
PendantlamêmepériodeleParticommunistesedoitd’accepterlacréationde
groupes-femmes, mais il est difficile à celles-ci de se faire entendre dans les
colonnes du journal L’Humanité. Du côté des syndicalistes, l’exemple
exceptionneldeprisedeparoleparlesfemmesestceluidel’entreprisehorlogère
LIP de Besançon. Avec Monique Pion, travailleuse dans cette entreprise qui
témoigna des difficultés des femmes dans le cadre syndical, un groupe
d’ouvrièresréalisalabrochure«Lip auféminin»diffuséeà9 000exemplaires,
tandisqu’àl’usinedeCerizay,danslesDeux-Sèvres,quatre-vingt-seizeouvrières
se mettent à fabriquer des chemisiers qu’elles nomment PIL. Ces femmes ont
réfléchiausortdecellesquiétaientcheffesdefamille,demandantd’accéderàdes
postesplusélevésdanslahiérarchieetsollicitantdebénéficierd’uneformation.
Elles abordèrent les questions d’accès à la santé, à la maternité, à la
contraception,àl’éducationdeleursenfants.
ÀcetteépoquelaCGTcontinuedecampersursespositionstraditionnelles,de
caractère« maternaliste».Un changementde tonà laCGT semanifesta après
1977lorsdelaVIeconférencesurlesfemmessalariées.Cependantlespratiques
des dirigeants de l’Union départementale CGT du département du Rhône
n’évoluentguère.EllessontdénoncéesparGeorgetteVacher,ancienneouvrière
del’entrepriseCalor,responsablecégétistedesfemmestravailleuses.Ardenteau
combatpourlesfemmes,elleestlicenciéeparsonentreprise,puisdémisedeses
responsabilitésdepermanentesyndicaleparladirectioncégétisterégionale.Elle
se suicide en octobre 1981. Ce drame est un exemple parmi d’autres de la
difficultédespartispolitiquesdegaucheainsiquedessyndicatsàarbitrerlalutte
entre leur idéologie affichée et la protection et les intérêts des individus qui
constituentleurstructurehiérarchique.Ilssont,enfait,enconcurrencedepuisla
findeladécennie1970avecleMLFquiignoreceproblèmeinterneetlutteàla
foispourl’égalitéetpourlafindupatriarcat.

LESMÉDIASETLESFEMMES
Danslemouvementdelibérationdesfemmes,lesmédiascommencentàjouer
unrôle.Onassisteàunevéritablefloraisondelapresseféministe:d’abordparla
multiplication de brochures souvent artisanales produites par divers
mouvements de femmes. Progressivementnaissent ensuite des journaux et des
magazines qui se distinguent à la fois de la presse syndicale et de la presse
féminineclassique.Lesauteuresdecespublicationssontdesprofessionnellesdes
médias.Histoired’Ellesparaîtàpartirde1977commemensuel.LesÉditionsdes
femmes publient Le Quotidien des femmes de 1974 à 1976 avec un tirage à
60 000exemplaires. Des femmes en mouvementpublie les travaux d’Antoinette
Fouque, créatrice du courant Psychanalyse et Politique. Une autre maison
d’éditionTierceselanceaussien1977.Toutescespublicationsontpourobjetde
proposerun regard alternatifsur le mondeen tenant compted’une dimension
culturelle féministe incontournable. Parallèlement les idées féministes se
diffusent dans les médias de masse comme Marie-Claire qui en janvier 1976
ajouteàsapublicationun Cahier-femmesquiabordelesquestionspolitiqueset
sociales sans omettre d’épingler les publicités sexistes. En 1978 est lancé un
nouveau mensuel F-magazine auquel participe Claude Servan-Schreiber. Il est
publié par le groupe l’Expansion et dure jusqu’en 1981. Il est animé par une
directiontotalementféminine.
L’année 1979 marque un tournant. La loi Veil de 1975 n’avait été votée que
pour une période intérimaire de cinq ans. Elle doit être discutée à nouveau à
l’Assembléenationaleenvuedesapérennisation.Lesmobilisationsféministesse
mettentenœuvre.Unegrandemanifestationsedérouleenoctobre1979etson
mot d’ordre est « l’avortement c’est notre droit ! ». Cependant les divisions se
cristallisent entre les courants féministes. Deux associations se créent alors : le
Mouvementdelibérationdesfemmes-Psychanalyseetpolitiquedanslesillage
d’AntoinetteFouque –et leMouvement delibérationdes femmes– MLF.Des
conflitséclatententrele«MLFdéposé»etle«MLFnondéposé».Ledépôtdu
nom de l’association par le cercle des proches de Fouque est vécu comme une
dépossessionparlesmilitantesdelapremièreheuredeleursactionsfondatrices
desdébutsduMLF.Cecontextederuptureprovoqueunretoursurl’histoireet
lalégitimité de cellesqui s’enréclament. Unarticle de pressede 1980signé de
Christine Delphy, chercheuse au CNRS, inaugure le sujet. Il est suivi par la
publicationde plusieurs ouvragesqui sont autantde témoignagessur l’histoire
foisonnante des débuts du mouvement. Certaines militantes tout en
reconnaissantlarichessedelalibertédepenséequirègneauseindumouvement
craignent que son existence ne soit menacée par cette appropriation abusive,
voirepardesrécupérationspolitiquesqu’elleestsusceptibled’entraîner.
Parmi les courants de pensée qui accompagnèrent la deuxième vague du
féminisme,néeenFrancedanslesannées1970,danslesillagedesévènementsde
mai1968certainsdépassentlestatutdecourantrevendicatifpouratteindreàune
réflexion sociétale dans sa globalité. Le bimestriel Sorcières sous-titré « Les
femmes vivent », littéraire, artistique et féministe appartient à ce courant de
réflexion. Créé par Xavière Gauthier en 1975, publié jusqu’en 1982, par les
ÉditionsAlbatros,puisparStock,ilsouhaiteouvrirunespacedelibertédeparole
àl’expressiondesfemmes.Lapublicationmêletexteetgraphisme.Lechoixdu
titre«sorcières»estliéàlarelectureparX.Gauthierdel’ouvragehistoriquede
MicheletLaSorcière(1862),quiproposeunevisiondupersonnagedelasorcière
comme celui d’une femme rebelle, socialement isolée, qui développe une
intelligencedelanature.Decetterelationprivilégiéeaveclevivant,elletireun
pouvoirdeguérison.Elleprésideàlaviemaisaussiàlasexualité.Sapuissance
est subversive dans la société d’Ancien Régime et c’est à ce titre qu’elle est
pourchasséeetpersécutée.
Lesnuméros de Sorcièressont thématiques.La composition évoluevers une
formulecentréesurlacréationauféminin,toutenrespectantl’espritmilitantet
politiquedesdébuts.Parmilesautricescertainesétaientdéjàconnuespourleur
productionlittéraire(MargueriteDuras,HélèneCixous,JuliaKristeva),d’autres
étaientdesécrivainesencoreendébutdecarrière(NancyHuston,LeïlaSebbar).
La réception de la revue, à ses débuts, fut souvent élogieuse. Claude Mauriac
écrivit en 1976 dans le Figaro « La vraie sorcellerie dans ces textes est celle du
talent».
Lesautricess’intéressaientàlaquestiondel’existenced’uneécriture-féminine.
Xavière Gauthier note dans l’un des numéros de 1977 « L’écriture, les lignes
d’écriture.Toutlechampenestoccupédepuistoujoursparlemasculin,occupé-
investi, les hommes ont pris position là. Ils campent ; il ne s’agit pas de livrer
bataille pour les en déloger. Savoir s’il y a de la place ailleurs. Une autre place
[…]Jesuggéraisquelefémininpouvaitseloger“àcôté”:danslamarge,dansle
horstexte,“entre”:entreleslignes,entrelesmots,dans“l’inter-dit”».Elleinsiste
sur le lien entre l’écriture et le corps, sur la relation entre la création et la
différencedessexes.
Le premier numéro fut consacré à la nourriture. Comment passer de
l’alimentationaliénanteàlanourriturelibératrice.Cettethématiqueestévoquée
à partir de points de vue de femmes, très hétérogènes et émancipateurs. La
nourriture n’apparaît plus comme une contrainte mais plutôt comme une
créationquipermetd’expérimenter,deseconnaître.
Lavidéoestunnouveloutilquelesféministesdelapériode1968mettenten
œuvre.Cetoutilpermetauxfemmes,sanstenircomptedespratiquesartistiques
antérieures dans d’autres moyens cinématographiques de se représenter en
action, de s’emparer de cette forme de pouvoir. Carole Roussopoulos est
journaliste à Vogue en 1967, elle s’arme d’une vidéo Sony en 1969 et se lance
dansletournagedefilms.EllerencontredesmembresduMLFetfilmeunegrève
defemmesouvrièresdutextileàTroyesen1971.Lavidéocommeinstrumentde
combatpermetdemettrel’accentsurl’instantanédesparolesdefemmes,surles
subversifetd’avoiraccèsàdestranchesdeviedepersonnesanonymes.Lavidéo
permet de documenter les actions en cours. Ce moyen qui met l’accent sur
l’instantanés’opposeauximagesofficiellesetcensuréesdesémissionsdel’ORTF.
ParmilesnombreuxfilmsdeCaroleRoussopoulos,unreportagesurlesgrévistes
de l’entreprise Lip en 1973 ; la vidéo féministe sort du cadre national pour
s’intéresser à des sujets commele projet de filmer le Mouvementde libération
des femmes iraniennes, année zéro : il montre le 8 mars 1979 à Téhéran la
manifestationorganiséecontreleportdutchadorimposéparKhomeiny.Cefilm
futàl’originedelacréationdugroupe«Lesfemmesfilment».Parlasuitedes
«filmsdefemmes»sontprésentésàSceaux(àpartirde1979)puisàCréteil(à
partir de 1985). Quelques réalisatrices de cinéma comme Agnès Varda
accompagnent ce mouvement. En 1977 la cinéaste tourne « L’une chante et
l’autrepas »qui traitede laquestion dela contraceptionet del’avortement en
suivantleparcoursdedeuxamies.
L’actriceDelphineSeyrig(disparueen1990)participeaugroupe«LesMuses
s’amusent»etréaliseSoisbelleettais-toiafindedonnerlaparoleauxartistessur
dessujetsfaisantobjetdediscussionetdejeuxdelangage.

L’INSTITUTIONNALISATIONDUFÉMINISME:
1981–FRANÇOISMITTERRANDPRÉSIDENT
ETRÔLEDELAMINISTREYVETTEROUDY
Le président Mitterrand prononça une allocution devant 450 femmes de
milieux socio-professionnelsdivers au Palais de l’Élysée le 8 mars 1982, moins
d’unanaprèssonélection.Suruneinitiatived’YvetteRoudy,ilmarquaitainsila
reconnaissanceparlaFrancedu8marscommejournéenationaledelafemme,
ce queplusieurs autrespays avaient déjàfait. Le texte deson allocution insiste
surlanécessitéderenforcerlesdroitsdesfemmesetdelesfairepasserdansles
faits.Parmilesobjectifsqu’ilénonce,ilproposeuneexigenced’autonomie,une
exigence d’égalité, une exigence de dignité. Il rappelle qu’à la date de 1982 la
Francen’apasencoreratifiélaconventionONUcontrelesdiscriminationsdont
les femmes sont victimes (CEDAW ou CEDEF en Français). La France a
finalementratifiécetteconventionen1983.
MitterrandensaqualitédePremiersecrétaireduPartiSocialisteaestimédans
les années soixante-dix que les femmes doivent être appelées à jouer un rôle
important dans la vie de la cité. Cet objectif figure dans les programmes de
candidaturedesestroiscampagnesprésidentiellesen1965,1974puisen1981.Le
présidents’estintéresséenpremierlieuaurôledesfemmessalariéesdescouches
moyennes de la société. Par la suite il s’adresse également aux aspirations des
couches populaires féminines. Pendant la décennie soixante-dix l’électorat
féminin s’étoffe auprès du parti socialiste. Les femmes réclament de devenir
citoyennes à part entière. En 1981, six femmes font partie du premier
gouvernement issu de son élection à la Présidence, gouvernement présidé par
PierreMauroy.
Parmi les mesures annoncées par Mitterrand en 1982, après de nombreux
débats,souslapressiondesféministes,lesdéputésvotentlaloidu31décembre
1982 qui institue le remboursement de l’IVG. Puis Yvette Roudy obtient, le
13juillet1983,levotedutextequ’elleafaitpréparersurl’égalitéprofessionnelle
entre les femmes et les hommes. Le texte prévoit la création d’un « Conseil
Supérieur de l’Égalité Professionnelle », auquel les entreprises de plus de
50personnessignatairesd’un engagementavec l’Étatsoumettentannuellement
lebilancomparatifdelasituationdessalariéshommesetfemmes.
Freinéesdansledomaineprofessionnel,lesfemmessontencorebloquéesdans
ledomainepolitique.Àl’initiativedel’avocateGisèleHalimi,legroupesocialiste
propose au vote de l’assemblée un amendement au projet de loi d’élections
municipalesdejuillet1982,amendementquilimiteà75%lapartdecandidats
dumêmesexesurleslistesmunicipales(pourlesvillesdetrentemillehabitants
et plus). Le texte est accepté par l’Assemblée et par le Sénat. Cependant en
novembre1982leConseilConstitutionnelinvalidecettemesured’actionpositive
aumotifquecetteloiestcontraireauprincipeconstitutionneld’égalitépuisqu’il
introduit une distinction entre candidats en raison de leur sexe (sic). La
juridiction suprême s’appuie sur l’article 3 de la constitution de 1958 et sur
l’article6delaDéclarationdesDroitsdel’Hommede1789.L’universalismede
1789,reprisparlaconstitutionde1958interditl’exercicedetoutediscrimination
positive. La position du Conseil constitutionnel est soutenue par François
Mitterrand.Cependantauniveaueuropéenl’idéedeparitéestmiseenreliefpar
leConseildel’Europeen1989.Intellectuellesetmilitantesdeplusieurspartisde
gaucheetmouvementsféministesfrançaistravaillentsurleconceptde«parité»
plusnovateurplussignificatifqueceluide«quota».Dansl’opinionpubliqueles
esprits sont marqués par la publication de deux ouvrages. En 1992 paraît Au
pouvoir, citoyennes ! de Françoise Gaspard et Claude Servan-Schreiber qui
montrechiffresàl’appuique,malgréleprinciped’égalité,lesfemmessontsous-
représentéesdanslesassembléespolitiques.Celaestlégalmaisinéquitableetla
parité serait, selon les auteures, la voie la plus efficace pour accéder à l’égalité.
L’ouvrage Femmes moitié de la terre, moitié du pouvoir publié en 1994 par
l’Association«Choisirlacausedesfemmes»deGisèleHalimiestunPlaidoyer
pourunedémocratieparitaire(1993).Elleécrit:«Unedémocratieoùlamoitiéde
l’humanitéestgouvernéeparl’autren’estqu’unecaricaturededémocratie,unÉtat
dedroitoùl’alternativeestd’acquiesceroudesedésintéresser.Danstouslescasde
sesoumettre.»

LE«MANIFESTEDESDIXPOURLAPARITÉ»LESPREMIÈRESÉTAPES
Le«ManifestedesDixpourlaParité»estpubliéen1996pardixanciennes
ministresdeGaucheet deDroite(journal L’Express,6 juin1996).Dansl’ordre
alphabétique les signataires sont Michèle Barzach, Frédérique Bredin, Édith
Cresson, Hélène Gisserot, Catherine Lalumière, Véronique Neiertz, Monique
Pelletier, Yvette Roudy, Catherine Tasca, Simone Veil. La suite de ce débat
autourdelaparitédemeurehouleuse.ÉlisabethBadinters’estexpriméedansun
article du journal Le Monde. Elleécrit : « Constatant l’échec de la république à
intégrerlesfemmesdansl’activitépolitique,lesparitairesneproposentrienmoins
que de changer de système politique et d’imposer la démocratie communautaire
desquotasimportéedesÉtats-Unis»(12juin1996).
Progressivementl’idéeparitaireafaitsoncheminetelles’estimposéecomme
recourspourforcerlarésistancedespartisàassurerunemeilleurereprésentation
desfemmesdanslaviepublique.Lecontexteinternationalaaussipeséàtravers
l’ONU, Le Conseil de l’Europe et les instances de l’Union européenne : une
forme de légitimation est née autour d’actions positives. La culture juridique
traditionnellefrançaiseadûcéderlepasàlaréalitédusiècle.
C’est pendant le second septennat de François Mitterrand que la montée en
puissance des femmes se fait jour dans le gouvernement. Les femmes
représententalors15%des membresdu gouvernementetleprésidentnomme
pour la première fois une femme comme Premier ministre. Édith Cresson en
mai1991,succèdeàMichelRocard.Elleaprécédemmentexercédiversmandats
locaux et elle a déjà été quatre fois ministre. Son gouvernement comporte six
femmes dont trois secrétaires d’État et trois ministres de plein exercice. En
quelques mois son impopularité atteignit des sommets, dans un contexte
d’hostilité générale à la politique mise en place par le PS. Elle fit l’objet de
campagnes de presse misogynes. Le gouvernement qui lui succède, celui de
Pierre Bérégovoy en 1992 comporte sept femmes dont trois ministres de plein
exercice. Martine Aubry, fille de Jacques Delors a été pendant ces deux
gouvernements ministre du Travail, de l’emploi et de la formation
professionnelle.Auseindesgouvernementsdel’époqueMitterrand,desfemmes
se voient confier les dossiers délicats des relations avec la Communauté
européenne. Édith Cresson est en 1988 ministre des Affaires européennes.
Élisabeth Guigou lui succède en 1990. Le ministère de l’Environnement est
confiéàSégolèneRoyalen1992.PendantledeuxièmeseptennatdeMitterrand,
le poids des anciennes élèves de l’ENA grandit mais au détriment de celui des
militantes. Leur parcours passe généralement par les cabinets ministériels où
elles travaillent plusieurs années avant d’être distinguées comme ministres.
ÉlisabethGuigou,ancienneélèvedel’ENA,atravailléaucabinetduministredes
Finances. Nommée ensuite ministre déléguée aux Affaires européennes, elle
assurelapromotionduprojetdutraitédeMaastrichtlorsdelapréparationdu
référendumen1992.

VERSLAPARITÉHOMMES-FEMMESLALOIDE2000
ETSESSUITES
En qualité de garde des Sceaux et ministre de la Justice Élisabeth Guigou
présenteen décembre 1998, pendantle mandat présidentielde Jacques Chirac,
un projet de loi constitutionnelle sur l’égalité Hommes-Femmes. Ce projet
impliquelamodificationdel’article3duTitre1delaConstitutionde1958:«De
la souveraineté ». Dans son discours de présentation du projet à la Chambre,
Madame Guigou fait appel à la mémoire d’Olympe de Gouges, militante des
droits des femmes pendant la Révolution et à celle de Condorcet, premier
hommeà avoirdéfendu publiquementl’accès desfemmes à lacitoyenneté età
une forme de parité dans l’éducation. Puis elle en appelle à la mémoire des
Résistantesetà«touteslesfemmesconnuesouanonymesdansleurhéroïsmeàqui
nous devons le droit de vote… ». Mme Guigou est aussi l’auteure de plusieurs
ouvrages dont Être femme en politique (1997), par lequel, elle est l’une des
premières à dénoncer le sexisme de l’univers politique français. Cet ouvrage
autobiographique raconte comment une femme qui réussit dans ses fonctions
politiques doit toujours prouver que sa nomination n’est pas due au genre de
compromissionsquel’onimagine!
Leprojetde1998aboutitle6juin2000:laloiditedeparitéhommes-femmes
est votée. Elle tend à favoriser la parité entre femmes et hommes dans la vie
publique.Lelibellédutexteresteprudent.Ilprésentelaloicomme:«tendantà
favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et
fonctionsélectives».Letextemetenplacedeuxmécanismes.Lorsdesscrutinsde
liste, cette loi oblige les partis à présenter, en alternance de rang 50 % de
candidats de chaque sexe, à l’unité près. Dans le cas du scrutin majoritaire
uninominal des législatives, cette loi établit une retenue sur les dotations
publiquesdespartisquin’auraientpasinvestienqualitédecandidatsautantde
femmes que d’hommes (à 2 % près). Ces deux mécanismes sont de nature
différente, le premier est coercitif, le second est incitatif. Cependant pour les
autresélectionssedéroulantauscrutinuninominalouplurinominalmajoritaires
(c’est-à-direl’électiondesconseillersdépartementauxetcelledessénateursdans
lesdépartementspeupeuplés)cetteloineseprononcepas.Quelquestextessont
venuscompléterlesdécisionsde2000pourexercerdavantagedecontrainte.La
loidu11avril2003étendauxlistesrégionalesleprincipedel’alternancestricte.
Laloidu31janvier2007introduitquatrenouveautés.
– Uneaugmentationdesretenuessurlesdotationsfinancièrespourlespartis
quinerespectentpaslaparitédesinvestituresauxlégislatives.
– Paritédanslesbureauxexécutifsdesrégionsetdesvilles(detroismillecinq
centshabitantsetplus).
– Pourlesvilleslaloiobligeàunealternancestrictedescandidatsdechaque
sexe(etnonpluspartranchesdesix)surleslistesmunicipales.
– La loi crée un poste de remplaçant pour les conseillers départementaux
imposantun«ticket»femme-homme.
Parlasuite,laloidu17mai2013abaisseleniveauapplicableàlacontrainte
paritaireauxcommunesdemillehabitantsetplusetétendl’obligationdelistes
paritairespourlesintercommunalitésdecescommunes.
La loi du 4 août 2014 prévoit le doublement des pénalités à l’encontre des
partisnerespectantpaslaparité.
Lors de la révision constitutionnelle de juillet 2008 à propos de la vie
professionnelleetsocialelesmesuresparitairesavaientétéactéesdansl’Article1
duPréambuledelaConstitutionde1958:«Laloifavorisel’égalaccèsdesfemmes
et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ainsi qu’aux
responsabilitésprofessionnellesetsociales».

DESFEMMESCANDIDATESÀL’ÉLECTIONPRÉSIDENTIELLE1974-2007:POURQUOI
PAS!

Unnouveausujetapparaîtceluidel’accèsdesfemmesàl’électionsuprêmede
laVeRépublique:laPrésidentielle.L’Article3delaloidu6novembre1962fixe
les conditions dans lesquelles un candidat peut se présenter à l’élection
présidentielle : toute personne présentée à titre individuel ou par un parti
politiquedoitêtreparrainée,au moins,parcentcitoyensquisontmembresdu
Parlement, ou du conseil économique et social ou conseillers généraux ou
maires. Cette règle est durcie après l’élection de 1974 par le Conseil
Constitutionnel qui porte à 500 le nombre de parrainages nécessaires. La
première candidate féminine qui se présente est Arlette Laguiller de « Lutte
ouvrière », en 1974. À la Présidentielle suivante, en 1981, trois candidates se
présentent. Puis en 2002 et en 2007 quatre candidates. Les candidatures
féminines les plus nombreuses sont celles de femmes appartenant à des petits
partisd’extrêmegauchequiutilisentlaPrésidentiellecommeunmoyend’accès
gratuitauxgrands médiasnationaux,accès queneleur permettraientpasleurs
moyensfinanciersréduits.Àl’extrêmedroite,MarineLePenestlacandidatedu
FrontNationalen2012,2017et 2022.Laprésidentiellede2007estparticulière
puisquedeuxpartisdegouvernement,tousdeuxsituésàgauche,choisissentl’un
etl’autreunecandidateféminine.Marie-GeorgeBuffetseprésentepourleparti
CommunisteetSégolèneRoyalpourlepartiSocialiste.LePSchoisitMmeRoyal
à l’issue d’une procédure de primaires fermée. Elle est désignée par 60 % des
adhérentssocialistesfaceàDominiqueStrauss-KahnetàLaurentFabius.Àcette
époqueSégolèneRoyalestprésidentedelarégionPoitou-Charentes,cedontelle
atiréunecertainepopularité.Danssondiscoursd’investitureennovembre2006
àLaMutualité,ellen’hésitepasàexposersonpointdevuegenré:
« Pour moi qui suis venue au socialisme par le féminisme et par la révolte
contre laplace subalterne assignée auxfemmes, comment ne pas voiren ce
jourunsymbole,aulendemaindelamanifestationdesfemmescontretoutes
les violences qui leur sont faites […] la lutte des femmes nous a donné des
figureséclatantes.Ilyaeulepanached’OlympedeGouges,quieutledroitde
monteràl’échafaudmaisjamaisceluidevoter.IlyaeuLouiseMichel,Rosa
Luxembourg, Marie Curie. Il y a eu la bataille du droit de vote et celle de
l’égalitécivilegagnéestardivement…»
Lors du premier tour des élections présidentielles de 2007 Ségolène Royal
recueille25,8%dessuffragesexprimés.EllearriveensecondeplaceaprèsNicolas
Sarkozy, mais à l’issue du second tour Mme Royal ne réunit que 46,9 % des
suffrages exprimés. Peut-être n’a-t-elle pas su mettre au rang prioritaire les
attentesdesjeunesfemmesducorpsélectoral,les18/24ans,commel’ontlaissé
entendrecertainssondages.
Une autre opposition entre candidat masculin et candidate féminine à la
présidence s’est déroulée en 2017, Marine Le Pen, candidate de la formation
d’extrême droite Front National, se présente face à Emmanuel Macron (En
Marche).MarineLePenobtient21,3%dessuffragesexprimésaupremiertouret
réussit àse qualifier pour le deuxièmetour. Mme Le Pen a tentéd’utiliser son
identité degenre pour chercher desvoix du côté des électrices.Dans les sujets
abordésparsonprogrammeelleproposaitd’êtreàl’écoutedesfemmesdontla
situation économique étaitfragilisée par la mondialisation, elle mettait l’accent
d’autre part sur les services publics, les crèches et une certaine lecture de la
laïcité.ElleestbattueparEmmanuelMacronavec66,10%contre33,90%.Cette
opposition des deux candidats est rejouée lors de la Présidentielle de 2022.
MarineLePenest,unenouvellefoisbattueausecondtourpar58,55%desvoixà
EmmanuelMacroncontre41,45%.

COMMENTLEGOUVERNEMENTSOCIALISTEA-T-ILFAITÉVOLUERLAPARITÉ?
Lionel Jospin est Premier ministre de la cohabitation pendant le premier
mandat présidentiel de Jacques Chirac. Il se trouve à la tête d’une gauche
plurielleets’appuiesurunnombrecroissantdefemmesdanssongouvernement.
En 1997, les femmes forment 30 % de ses effectifs gouvernementaux. Cinq
femmessontministresdepleinexercice.MartineAubryestministredel’Emploi
etdelaSolidarité,ÉlisabethGuigouestgardedesSceaux,CatherineTrautmann
est ministre de la Culture et de la Communication, Dominique Voynet est
ministre del’Aménagement du territoire et del’Environnement, Marie-George
Buffet est ministre de la Jeunesse et des Sports. Ségolène Royal est ministre
déléguéeà l’Enseignement scolaire.Observons que c’està cette périodeque les
femmesministresobtiennentd’êtreappelées«Madamelaministre»!
LesecondmandatdeJacquesChirac(2002/2007)semblecorrespondreàune
phase d’acceptationtardive par la droite du pouvoirpolitique des femmes. Les
différents Premiers Ministres de ce quinquennat confièrent des responsabilités
ministérielles importantes à des femmes. Le premier gouvernement de Jean-
PierreRaffarincomporte6femmessur27et,parmielles,MichèleAlliot-Marie
devientministredelaDéfense.
Lors de la campagne présidentielle de 2007 la majorité des candidats
promettent d’instaurer la parité gouvernementale. Force est d’observer que
Nicolas Sarkozy une fois élu ne tint pas ses promesses. Cependant dans le
gouvernementmisenplaceparlePremierministreFrançoisFillon,lesfemmes
composentuntiersdeseffectifs.DansledeuxièmegouvernementFillonaprèsles
législativesde2007,septfemmesdétiennentdesministèresdontRachidaDatià
la justice, Michèle Alliot-Marie à l’Intérieur et Christine Lagarde à l’économie,
aux finances et à l’emploi. Les femmes ont progressé dans l’exercice des
ministères régaliens. Dans la nouvelle génération des femmes politiques
apparaissent : Valérie Pécresse, Nathalie Kosciusko-Morizet, puis quelques
femmes issues de l’immigration : Rachida Dati, Fadela Amara et Rama Yade.
Certainesdecesfemmessontdesnovicesenpolitiqueetsontissuesdelasociété
civile. C’est le cas de Christine Lagarde, juriste de formation qui dirigeait un
cabinetd’avocats d’affairesetqui bénéficiade sonexpérience deministre pour
ensuitepartirsurlascèneinternationalecommedirectriceduFMI.
Lorsdel’alternancede2012,leprésidentdelaRépubliqueFrançoisHollande,
choisit pour Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Ce dernier forme un
gouvernementparfaitementparitaire:neufhommesetneuffemmesministreset
huit hommes et huit femmes ministres délégués. Ces femmes sont déjà des
professionnellesdelapolitiquedotéesd’uneexpérienceparlementaire:dixsont
députées,uneestsénatrice.Larenaissanced’unministèredesDroitsdesfemmes
estappréciée.CeposteestconfiéàNajatVallaud-Belkacem.UnHautconseilà
l’égalitéentrelesfemmesetleshommesestcréé.Ilfaitsuiteàl’observatoiredela
parité entre les femmes et les hommes avec des attributions élargies. Notons
cependant que les principaux ministères régaliens sont dévolus aux hommes à
l’exception de la justice confiée à Christiane Taubira. Najat Vallaud-Belkacem
fait une ascension rapide passant du ministère des Droits des femmes au
ministèredel’Éducationnationaleen2014.C’estlapremièrefemmeàoccuperce
postedansl’histoiredelaRépublique.
Lors de l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République en
2017, la parité est respectée au gouvernement d’Édouard Philippe : quinze
femmes sur vingt-neuf membres. Sur les seize ministres de plein exercice huit
sont des femmes. Deux femmes obtiennent des portefeuilles régaliens : Nicole
BeloubetàlajusticeetFlorenceParlyauxarmées.LaministreduTravailquiest
chargée de la réforme du Code du travail est Muriel Pénicaud, ancienne
Directrice généraledes Ressources Humaines dans le groupeDanone. Quant à
l’égalitéentrelesfemmesetleshommes,cettecausen’héritequed’unsecrétariat
d’ÉtatconfiéàMarlèneSchiappa.
Le gouvernement de Jean Castex en juillet 2020 applique la parité : huit
femmesparmilesseizeministres,maisunseulposterégalienestaccordéàune
femme.D’autrepartClaireLandetdevientsecrétairegénéraledugouvernement,
c’est la première femme nommée à ce poste depuis sa création en 1935. Le
Conseilconstitutionnel seféminiseun peu,lui aussi.Quatre femmesy siègent.
La dernière arrivée est Dominique Lottin, magistrate nommée en 2017 par le
présidentduSénat.
Si les assemblées se sont peu à peu féminisées, l’accès à la députation reste
difficile pour les femmes. La loi de 2000 sur la parité s’est mise en place très
lentement. C’est seulement après 2012, élections remportées par la Gauche,
qu’on observe une progression sensible du nombre de femmes dans les
assemblées : avec 155 députées élues, dont 140 socialistes, la féminisation du
Parlementatteintlaproportionélevéepourl’époquede26,86%.
Les élections législatives de 2017 ont un caractère disruptif. La part des
femmesdanslareprésentationnationaleatteintpresqueles39%.LaRépublique
enmarche(LRM)etleMoDemontrespectélaparitéabsoluedescandidatures.
Désormais le Bureau de l’Assemblée Nationale comporte près de 41 % de
femmes.Depuisleslégislativesde2022,pourlapremièrefoisunefemme,Yaël
Braun-Pivet,présidel’AssembléeNationale.
Le blocage des femmes à l’entrée du Sénat a été particulièrement difficile à
lever.Avantlaloisurlaparitéen2000lapartdesfemmesauSénatétaitde5,9%.
LapartdeséluesauSénatafranchilecapde46%en2020.
L’accès des femmes aux conseils départementaux (c’est-à-dire aux anciens
conseils généraux) a été également difficile. En 2011 les assemblées
départementalessontpour85%danslamaindeshommes.Laloidemai2013a
changéladonne,ellearemplacélescrutinuninominalparlescrutinbinominal
majoritairepourélirelesconseillersdépartementaux.Cependantdanslepouvoir
départemental la domination masculine demeure : 91 hommes présidents sur
101conseils.
Si l’on observe les pouvoirs locaux, après les municipales de 2020, plus on
monte dans la hiérarchie des villes plus la présence des femmes se raréfie :
rappelons que seules les communes de moins de 1 000 habitants échappent à
l’obligationdelaparitédeslistessoumisesauxélecteurs.Aussidepuis2021,les
conseils municipaux comptent 42,4 % de femmes. Cette quasi-parité ne se
retrouve pas au niveau des fonctions exécutives : seulement 19,8 % des maires
sont des femmes. On trouve souvent les femmes-maires à la tête de petites
communes, à l’exception de Paris et Marseille dirigées respectivement par
MadameHidalgoetMadameRubirolla(peudetemps,pourcausedesoucisde
santé).
L’emprisemasculinesurlepouvoirpolitiqueadurépluslongtempsenFrance,
que dans d’autres pays européens. La Ve République s’est construite sur le
caractère oligarchique du recrutement politique menant indirectement à
l’éviction des femmes. La réforme paritaire de 2000 porte lentement ses fruits
maiscecombatestloind’êtreachevépourlesfemmes.
LEMOUVEMENTFÉMINISTEDESANNÉES1990
Après que le bilan ait été fait sur cette période d’institutionnalisation du
féminisme, le mouvement féministe se mobilise à nouveau. Des menaces et
tentatives de régression pèsent sur les acquis des décennies précédentes. Des
commandos anti-IVG assaillent Tenon et d’autres hôpitaux parisiens où les
services d’obstétrique sont connus pour être favorables à l’IVG. En 1990 la
coordinationdesassociationspourledroitàl’avortement(CADAC)estcrééeà
Paris. Elle milite, à partir de 1992 pour la loi sur le délit d’entorse à l’IVG,
promulguée en janvier 1993. En 1996, l’inquiétude des femmes mène à la
naissance du Collectif nationalpour les droits des femmes (ou CNDF) dont le
but est de coordonner l’action des associations féministes, et des « groupes de
femmes»quisesontconstituésdansdespartispolitiquesetdansdessyndicats.
Chez les militantes de la CADAC, on compte des féministes de longue date
dont Maya Surduts (1937-2016) et Suzy Rojtman (née en 1953). À la même
périodeFlorenceMontreynaud(néeen1948)publiele8mars1999leManifeste
des«Chiennesdegarde».ElleaétéunedesparticipantesengagéesauPlanning
familialetauMLF,puiss’estinvestiedansl’associationdesfemmesjournalistes
crééeen1981.Elleestl’autriced’unouvrageremarquéLeXXesiècledesfemmes
paruchezNathanen1989.LeManifestedesChiennesdegardeestrédigéàune
époque où les insultes sexistes se multiplient dans la vie politique et dans les
médias:
« Nous, chiennes de garde, nous montrerons les crocs. Adresser une injure
sexiste à une femme politique, c’est insulter toutes les femmes. Nous nous
engageonsàmanifesternotresoutienàtouteslesfemmespubliquesattaquées
entantquefemmes…»
Leterme«Chiennesdegarde»afaitjaser!Ildésignedanslemondeanglo-
saxon une personne ou une organisation chargée de surveiller le respect des
règles et des lois. Les chiennes de garde, à leurs débuts, sont raillées par les
médiasetlaTV:peuimporte,ellesagissent.
Des initiatives voient le jour dans le milieu féministe, en 1992, où paraît le
journal parodique Marie pas claire, dont la diffusion, au demeurant modeste,
cesseen1999.Cesjeunesféministesmanientl’humour,lacaricatureetmêmela
BD. Caroline Fourest (née en 1975), journaliste de profession, fonde la revue
Pro-choixen1997.ElleestnomméeprésidenteducentregayetlesbiendeParis
en1999lorsdesdébatsquiprécédèrentlevotedelaloisurlePACS.
En1999estfondéel’associationMix-Cité(activejusqu’en2013).Sonobjectif
estdeluttercontrelesexisme.LaprésidenceestassuméeparClémentineAutain
et Thomas Lancelot. L’esprit du mouvement est de traiter du sexisme dans un
cadre réunissant femmes et hommes, car les relations stéréotypées issues du
patriarcat appauvrissent aussi bien la réflexion des hommes que celle des
femmes.
Les jeunes féministes créent de nouvelles structures pour agir, soit par
méconnaissance des structures déjà existantes, soit par volonté de se retrouver
entreacteursdelamêmegénération.Destensionssefontjouraveclesféministes
historiques. La nouvelle génération ne rejette pas l’héritage des militantes plus
âgées,maislesméthodesd’actionontévolué.Lesparcoursdeviedesmilitantes
denouvellegénérationsontsouventplusdifficilesetplusmarquésàgaucheque
ceux qu’ont connus les militantes précédentes ! Figure caractéristique de ces
nouvelles militantes, Clémentine Autain étudiante militante à l’UNEF et à
l’Union des étudiantes communistes fait ses études d’Histoire à l’université
ParisVIII-Vincennes.Ellefaitpartieducollectifféministecontreleviolcrééen
1985.

LESFRACTURESAPRÈS2000,LESCONTROVERSES
Lescombatsféministesseréarticulentautourdenouveauxenjeuxpolitiques.
Lesattentatsdu11septembre2001àNewYork,l’arrivéeducandidatJean-Marie
Le Pen du Front National au deuxième tour des élections présidentielles
françaises de 2002, la volonté d’articuler la lutte des droits des femmes avec la
lutte contre d’autres inégalités s’imposent. La démocratisation de l’accès aux
ordinateurs et à internet alimente de nouvelles revendications ou donne de
l’ampleuràleurdiffusion.
L’évolutionmajeuredela luttedesféministesest l’intégrationduconceptde
genre. Le concept de genre avait été formalisé par l’historienne Joan Scott en
1984 aux États-Unis et s’était ensuite diffusé peu à peu en Europe. Le genre,
constructionsocialeetculturelledelaféminitéetlamasculinitéàpartirdusexe,
a été défini par Joan Scott comme : « … un élément constitutif des rapports
sociauxfondé sur des différencesperçues entre lessexes et le genreest une façon
premièredesignifierdesrapportsdepouvoir».Lemotetleconcepteurentdumal
àêtreacceptésetcomprisenFrance,commelerappelaitl’historienneFrançoise
Thébaud dans son ouvrage Écrire l’histoire des femmes et du genre (éd. ENS,
Lyon,1998etréédition2007).
La venue sur scène aux États-Unis de chercheurs et chercheuses d’origine
africaine et/ou caribéenne a contribué à modifier la manière de concevoir les
rapportsentrelessexes.Laconstructiondugenredanslessociétésauxquellesils
appartiennent se différencie des constructions en usage dans les sociétés
Blanches occidentales. Prolongeant cette analyse des différences sociales et
culturellesdugenre,ungroupeféministelesbienavoululuttercontretoutesles
formes d’oppression, de race, de classe, de sexe. Il a cherché à comprendre les
effetsproduitsparlesimbricationsentreplusieurstypesd’oppression.Leterme
utiliséà ceteffet est« intersectionnalité». Àpartir delà sesont développésde
nouveauxchampsd’étude:«gaysandlesbianstudies».
Les«queerstudies»remettentencauselanormehétérosexuellequin’aurait
de sens que comme norme sociale historique. L’ouvrage principal sur ce sujet,
paruauxÉtats-Unisen1990estceluiJudithButler:Troubledanslegenre.Pour
unféminismedelasubversion.Latraductionfrançaiseaétépubliéeen2005(aux
éd.deLadécouverte).JudithButler(néeen1956)estphilosophedeformation.
Elleaestimédanssestravauxderecherchequelesexeestunedonnéeconstruite
etquec’estlegenrequicréelesexe.Cesrecherchesontcontribuéindirectement
àdévelopperenFranceunesociologieetunehistoiredessexualitésenremettant
en lumière les pratiques transgenres. Un autre courant plus tardif des queer
studies s’est manifesté en France : il s’agit de recherches postcoloniales. Ce
courantd’étudesprendsesracinesdansl’histoiredel’impérialismeaméricainet
descolonialismeseuropéens.EnFrance,les queerstudiesontétéaniméesparles
travaux et les rencontres organisées par Marie-Hélène Bourcier (devenue Sam
Bourcier). Le séminaire Zoo, « Identités et sexualités, performance et
performativité » avait pour objet de développer des études gays, lesbiennes et
queerauseindel’université.Lesrencontresdu«Zoo»ontpermislapublication
d’ouvragesàpartirde2001.BeatrizPreciado(devenuePaulB.Preciadoaprèssa
transition)apubliél’ouvrage TestoJunkie.Sexe,drogueetbiopolitiqueen2008.
Le féminisme Queer se présente selon un positionnement militant. Le collectif
« Les panthères roses » à Paris en 2003 s’affirme contre l’hétéro-patriarcat et
contrelapolitiquenéolibérale.
Lesapprochesthéoriquesdesétudessurlegenresontfondéessurlavolontéde
contesterlaprimautédel’existenced’unenature.L’Églisecatholiqueréagit,dès
la fin des années 1980, à ce courant de pensée par de nouvelles approches
théologiquessurlerôledesfemmesdanslasociété.LepapeJean-PaulIIrédige
en1988unelettreapostolique«MulierisDignitatem»quiromptavecl’approche
traditionnelle de la place des femmes dans la religion catholique. Sur le long
terme,l’ambitionduVaticann’estpasseulementd’édicterunelignedeconduite
pour les chrétiens mais vraisemblablement d’exercer des pressions morales sur
lesopinionspubliquesenOccident.
Le projet de Pacs est une conséquence directe des débats provoqués par le
féminisme queer. Les « catholiques identitaires » se sont mobilisés contre ce
projet.Malgréleurmobilisation,leprojetfutvotéparleParlementen1999.
Leministèredel’Éducationnationaleen2013/2014(ministreVincentPeillon)
introduit le projet des ABCD de l’égalité à titre expérimental dans quelques
écolesmaternellesetélémentairesdansplusieursacadémies.L’objectifduprojet
estdesoumettreàlaréflexiondesenfantslapossibilitéd’unmodèlederelations
entremasculinetféminindifférentdumodepatriarcalqu’ilsontsouslesyeux.
Unecampagnemalveillanteestlancéesurlesréseauxsociauxpardesgroupesde
parents issus des milieux conservateurs et extrémistes prétendant que le
ministèreavaitvouluintroduireàl’écolela«théoriedugenre»(sic)etdonner
auxenfantsunevisioncritiquedel’hétérosexualité.Unemobilisationorchestrée
parlapressededroiteetlespartisd’extrême-droiteaboutitàlasuppressiondu
projet.

1989-2004.DEL’AFFAIREDU«VOILE»AUCOLLÈGE
ÀLAQUESTIONDU«FOULARD»DANSL’ISLAM

La fragmentation idéologique des courants féministes, dans la mesure où ils
exercent des pressions pour le respect des différences de genre ouvrent
involontairementla porteaux demandescommunautaristes.Le développement
del’affaireditedu«voile»quidébuteen1989a-t-ilétéparadoxalementfavorisé
par le courant de réévaluation des rôles de la femme au sein de la société qui
naissait à l’époque dans certains milieux féministes ? Des jeunes filles
collégiennesdeculturemusulmanescolariséesdansuncollègepublicdeCreil,au
norddel’agglomérationparisienne,semettentàportersystématiquement«un
foulard » sur le chemin et dans l’établissement où elles sont scolarisées. Des
adultes, des professeur.e.s attaché.e.s au respect de la laïcité républicaine dans
l’espacepublicmanifestèrentleurinquiétude.Onrecherchalesoriginesdecette
pratique. L’affaire des foulards fut amplifiée par les médias et devint celle du
«voileislamique».Lesféministessesontvitediviséessurlapositionàadopter
suruntelsujet.Pourungrandnombredeféministes«universalistes»,leportdu
foulardouduvoileapparaîtcommeunsigned’aliénation,voireunsymbolede
soumissionsexistedanslaculturedel’Islametn’apassaplaceenFrancedansun
Étatrépublicain. Desprofesseur.e.sde polytechniquelancent unappel dansun
article du Nouvel Observateur pour la défense de la laïcité. L’avocate Gisèle
HalimiorganiseunmeetingàParisàlasalledelaMutualitépourlerespectdela
laïcité et de la dignité des femmes. Les principales personnalitésdu PS suivent
cettevoie.Cependantdesdissidentsestimentquel’attitudedecesjeunesfillesde
Creil doit être tolérée afin de ne pas rompre avec leur présence à l’école
républicaineauxcôtésdeleurscamarades.L’affairedufoulardprendensuiteune
tournure différente : celle d’un combat contre « l’islamisme » (sic) et
l’immigration. Les médias, dont la TV, s’emparent du sujet. Des incidents se
déclarentdansquelquesétablissements.Fauted’unedoctrine gouvernementale,
ils reçoivent des traitements aléatoires de la part des autorités administratives
locales. Le gouvernement de Lionel Jospin fait appel au Conseil d’État qui
confirme«lalibertéd’expressionetdemanifestationdecroyancesreligieuses»,
maisprécisequecelanedoitpasentraînerdeperturbationsdansledéroulement
des activités d’enseignement. À la rentrée de septembre 1994 le ministre de
l’Éducation nationale, François Bayrou, adresse une circulaire aux chefs
d’établissements pour modifier le règlement intérieur et condamner tout
«prosélytisme»etleportde«signesreligieuxostentatoires».Unemédiatriceest
nomméeparleministèrepourintervenirauprèsdesjeunesfillesconcernéesdans
les diverses académies où cette question se poserait afin de dialoguer avec les
élèves. Peu après la circulaire du ministre est cassée par le Conseil d’État ; ce
dernier laisse aux chefs d’établissement le soin d’apprécier dans chaque cas la
situationlocalepourtrouverunesolutiondialoguée.Danscecontextel’attentat
terroristedeNewYorkle11septembre2001relanceledébatgénéralsurlaplace
del’Islamdanslespaysdecultureoccidentaleetlaïque.
En2003,ducôtédesintellectuelsunrapprochements’esquisseentreÉlisabeth
Badinter, philosopheet Fadela Amara,fondatrice de l’association « Niputes ni
soumises»(NPNS).NPNSdénoncelespressionsquesubissentlesjeunesfemmes
deculturemusulmanedansles«quartiers»enraisondel’intégrismeislamique
de leur environnement. L’idée d’une loi pour régler ce conflit fait son chemin,
tandisquediversincidents continuentd’émaillerlaviescolaire,plutôt dansles
banlieuessensibles,oùlapopulationdeculturemusulmaneestplusnombreuse.
Unrapportofficielestcommandéparlegouvernement.Ilestétablietpubliépar
lacommissionStasi(mars2004).Unecirculaireestalorsmiseenapplicationpar
l’Éducation Nationale en mai 2004 : elle préconise l’interdiction des « signes
ostentatoires » qui manifesteraient une appartenance religieuse quelle qu’elle
soit.
Cettequestionsurleportdesignesextérieursd’appartenancereligieusedans
lesétablissementsd’enseignementa,fatalement,relancélaquestionduportdes
mêmessignesdansl’espacepublic.Surcettequestionlesféministessontdivisées.
Certaines réclament une laïcité « intransigeante » au nom d’un féminisme
universalisteetrépublicain.D’autresseréclamentd’une«laïcitédeneutralité»et
adoptentunepositionniloi,nivoile!Enfinunetroisièmetendancedéfendune
« laïcité inclusive » : il s’agit là de personnes et de collectifs qui défendent les
droitsdesfemmesengénéral,dontceluidepratiquerleurreligioncommeellesle
veulentsurleterritoirefrançais.
Survient alors, en octobre 2002, le meurtre d’une jeune fille de culture
musulmane Sohane Benziane, brûlée vive par un jeune homme à Vitry-sur-
Seine.Duconstatdel’actedebarbarieàlacompréhensiondesamotivationon
en vient à une réinterprétation proposée par Fadela Amara : celle d’un crime
sexiste. L’association NPNS entend mener une lutte féministe contre
« l’obscurantisme islamique et l’intégrisme religieux » dont sont victimes les
femmes des « quartiers populaires ». Ce mouvement prend de l’ampleur,il est
relayé par les médias lors de la manifestation du 8 mars 2005, journée
internationaledesfemmes.PendantcettepériodelasociologueChristineDelphy
avaitinitiédès2004lecollectif«Féministespourl’égalité»afindeluttercontre
tous les types de discriminations et accorder le libre choix aux femmes
musulmanesdeporterounonlevoiledansl’espacepublic.
PendantlaprésidencedeNicolasSarkozy,laloivotéeenoctobre2010interdit
toute dissimulation du visage dans l’espace public. En 2011 la directive du
ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel, interdit aux mères de famille
portantlefoulardd’accompagnerlessortiesscolairesdeleursenfants.
Progressivement,lesféministessocialistesprennentpartaudébat.Certainesse
revendiquent comme musulmanes laïques de France, comme d’autres se
considèrentcommejuiveslaïques.LaviolencedesattentatsislamistesenFrance
a exacerbé les débats. Une nouvelle génération d’activistes féministes
musulmanes se présente sur la scène publique. L’association Lallab (fondée en
2016) défend les droits des musulmanes qui sont à la croisée de plusieurs
oppressions:lesexisme,leracismeetl’islamophobie.Elleasoutenulapremière
femme qui a porté plainte pour violence sexuelle contre le prédicateur Tariq
Ramadan.
Autrethèmemajeurdesluttesféministes:laprostitution.Lamarchandisation
du corps féminin est un thème de lutte central parce qu’elle contredit une
revendicationfondamentaledumouvement:«moncorpsm’appartient».
En France laprostitution est encadrée, depuis 1946, parla loi dite « Marthe
Richard».Celle-ciinterditlesmaisonsdetoléranceetrenforcelaluttecontrele
proxénétisme.L’espritdutexteestderendreleurlibertéauxfemmesvictimesdes
tenanciers d’établissements ou de proxénètes si elles exercent dans la rue. La
réalitéestmoinsidylliqueetprofitesurtoutaucrimeorganisé.Àpartirdudébut
desannéessoixantelaFrances’estralliéeauxthèsesabolitionnistesetaaccepté
de ratifier la convention de l’ONU de 1949. La sexualité vénale est alors
considéréecommeuneactivitéprivée.Seulleracolagedesclientsestpoursuivi.
Desassociationsprivéescomme l’Amicaledunid, fondéeaulendemainde1945,
s’occupent du traitement des effets sociaux de la prostitution. Un mouvement
collectifdeprostituéesetdeféministeslyonnaisessedéveloppeàpartirde1975,
l’église Saint-Nizier est investie par cent à deux cents « travailleuses du sexe ».
Leursrevendicationssontmultiples.Ellesportentaussibiensurleursdifficultés
de mères célibataires pour s’occuper de leurs enfants que sur l’arbitraire des
policiers dont certains « taxent » les femmes qui vendent leur corps. Elles
protestentcontrelepeud’empressementdelapoliceàrechercherlesauteursdes
crimes dont trois d’entre elles ont été les victimes. Malheureusement, aucun
dialoguenes’engageaveclespouvoirspublics.Lapoliceintervientbrutalement
pour faire évacuer l’église. Les prostituées ne réussissent pas à se doter d’une
organisation durable et leur mouvement s’essouffle même si certaines d’entre
ellesessaientdefaireconnaîtreleursituationàtraverslapresse.Pourplusieurs
courants féministes en France, il n’est pas tolérable de dissocier « exploitation
sexuelleetexploitationéconomique».En1984GayleRubinpublielelivrePenser
le sexe. Pour une théorie radicale de la sexualité. Elle s’oppose aux idées des
féministesabolitionnistes.Certainsdiscourssurlaprostitutionsontassimilésàla
libération sexuelle et se diffusent sur une trentaine d’années. Oui mais quel
contrôlesanitaireface auSIDA? CertainsdéputésdeDroite n’ontpashésité à
parlerdelaréouverturedes«Maisonscloses»pourl’exercicedelaprostitution
dansuncadresanitairestrict.
Lepartisocialistedéposeunepropositiondeloienoctobre2013,danslebut
«defaireprendreconsciencequelaprostitutionestdansl’immensemajoritédes
cas une violence à l’égard de personnes démunies et une exploitation des plus
faibles par des proxénètes… ». Ce texte s’appuie sur les travaux de la Mission
d’informationdel’AssembléeNationalesurlaprostitutionenFrance.Surleplan
pratique, cette dernière propose de renforcer la lutte contre les réseaux qui
utilisentInternet.
Laloicontrelamarchandisationducorpsàdesfinssexuellesaétéadoptéeen
avril2016,maiselleaaboliledélitderacolage,remplacéparlaverbalisationdu
client.LeStrass,Syndicatdutravailsexuel(Strass),crééen2009,resteendehors
du débat. Sa position n’est ni abolitionniste ni réglementariste. Sa position est
fondée sur le droit de chacun à disposer librement de son corps. Il intègre la
situation particulière des migrantes. Le Strass a présenté un recours devant le
Conseil Constitutionnel contre les mesures de pénalisation du client de la loi
d’avril2016.LeConseilConstitutionnelen2019n’apasinvalidélapénalisation
duclient.Danscecontextedestravailleursettravailleusesdusexeexerçantsurle
territoire français ont saisi la Cour européenne des Droits de l’Homme en
décembre 2019 et ils/elles ont été soutenus par dix-neuf associations, dont
quelques-unes féministes, qui défendent la santé et les droits des personnes
concernéespar«lecommercedusexe».Pendantladécennie80estapparuen
France, en provenance des États-Unis un mouvement féministe « prosexe ». Il
estimequ’ilfautcesserde«victimiser»lesprostituéesetqu’ilestnécessairede
légaliser la prostitution. Le féminisme abolitionniste se bat contre ce courant
prosexe. Les féministes prosexes revendiquent aussi un autre droit celui de la
pornographieféministe.CemouvementestaussivenudesÉtats-Unis.Ilestime
que les femmes doivent prendre le pouvoir sur leurs sexualités et sur les
représentationsdecelles-ci.Cemouvements’estdéveloppéenparallèleavecles
productions Queer de films pornographiques circulant sur Internet avec pour
ambitiond’intégrerlesdifférencesderace,desexe,degenre(féminin,masculin,
trans). Dans le même esprit prosexe l’écrivaine Virginie Despentes a rédigé
Baise-moi(1993)etenatiréunfilmen2000.Cedernierasuscitéunepolémique
enraisondelaviolencedesimagesetdesscènesdesexenonsimulées.En2006la
même écrivaine a publié une sorte d’autobiographie King Kong Théorie : elle
prétend qu’il s’agit d’un manifeste pour un nouveau féminisme, il engloberait
« les moches, les vieilles, les frigides, les imbaisables… » (sic). Ce livre aborde
aussilaquestiondelaprostitution,lapornographie,sansomettreletraumatisme
duviol.VirginieDespentesévoque,aprèsavoirsubiunviol,sonparcoursdansla
prostitution, la pornographie comme des éléments sur le chemin de sa
«reconstruction»personnelle.

QU’ENEST-ILDES«NOUVEAUX»FÉMINISMES
DEPUISLADÉCENNIE2010?

Depuis cette période émergent de nouveaux groupes ou groupuscules


féministesquiutilisentenprioritélenumériquepoursefaireconnaître.Ilyeut
un contexte préparatoire, celui de la campagne présidentielle de 2007 où
SégolèneRoyalfutcandidateduPS.Il yeutenparallèleleprojetdu «mariage
pourtous».Lacroissancedesréseauxsociauxafacilitéledéveloppementdeces
mouvements. Les militantes sont avant tout des communicantes, des
journalistes, des graphistes. Ces petits groupes sporadiques émergent même si
leurs revendications s’insèrent souvent dans des débats déjà existants. Ces
militantes ne sont pas intéressées par la participation à des meetings ou à des
manifestationsdansl’espacepublic.Ellespréfèrentscénariserleursidéesetleurs
actionssurlesréseauxsociaux.Parmilesassociationsnouvellesonconnaît«La
Barbe »(2008),« Osezleféminisme»(2009),les «Femen»,d’abordenUkraine
puis en France. La moquerie, l’ironie font partie de leurs stratégies de
communication. Ces jeunes militantes veulent rendre visible la domination
masculinedanslessphèresdupouvoirpolitique,économiqueetculturelafinde
tournerendérisionlescodesusuels.
Lesinterventionsdugroupe« LaBarbe» ontété nombreuses,souslaforme
d’irruptions, de perturbations, ou de distributions de tracts lors d’évènements
publics. En février 2020, « La Barbe » intervient dans le cadre du cinéma, lors
d’un communiqué après la cérémonie des Césars et la récompense au cinéaste
RomanPolanski,afindedénoncerl’artisteaccusédeviols.Latechniquede«La
Barbe»consisteàfilmerlesinterventionsdugroupeetdelesmettreenlignesur
leur site internet. L’association « Osez le féminisme » a été reconnue d’utilité
publique en 2015. Elle mobilise ses militantes sur le web et sur les réseaux
sociaux (Twitter, Facebook etc.). L’une de ses premières campagnes a mobilisé
contre le viol, avec le slogan suivant « La honte doit changer de camp ! ».
L’associationaaussiproduituneaffichefigurantl’anatomieduclitoris.Parmiles
autresactionsonnoteunedénonciationdel’excision,unecampagnesurlecoût
élevédesprotectionshygiéniquespourlesfemmesensituationdeprécarité.
« Osezleféminisme»intervientaussiausujetdesconditionséconomiquesdu
travaildesfemmesetdesinégalitéssalariales.Surcertainssujetssesparticipantes
nesontpas«universalistes».En2015ellesontdéfendulesfemmesmusulmanes
quivoulaientsebaignerl’étéen«burkini».Cenéologismepopulaireaétéforgé
sur le mot Burka qui désigne un costume traditionnel imposé aux femmes
musulmanes,voilantlevisageetlatotalitéducorpsenAfghanistan.
Dejeunesmilitantessontactivesàlafoisdansdesmouvementsféministeset
dans les partis de Gauche et d’Extrême-Gauche. C’est le cas du groupe « Les
Effrontées»(2012).Laporte-paroledecegroupeFatimaErssahra-Benomarétait
déjà engagée dans « Osez le féminisme » et politiquement auprès du Front de
gauche.Sonmétierdegraphisteetderéalisatricedefilmsaudiovisuelsluipermet
de maîtriserles codes dela communication. Dans ledomaine culturel diverses
associations féministes et LGBTQ continuent leurs actions créatives et sont
parfois aidées par des collectivités territoriales, comme ce fut le cas pour le
festivaldefilmsdefemmesdeCréteil(94).LemouvementHommesetFemmes
en Île-de-France s’est constitué en 2008 et a essaimé en régions. Ce groupe a
lancé en 2014 les journées du Matrimoine qui se déroulent en septembre
parallèlementauxjournéeseuropéennesdupatrimoine.
Parallèlement à cette politisation de groupes féministes, on assiste à une
montéeenpuissanceducourantintersectionnel.Desregroupementssesontmis
enplaceautourdefemmes,issuesdefamillesmaghrébinesetdefamillesissues
d’Afrique subsahariennes. « Racisées », discriminées en raison de leur
appartenanceà une minorité visible,elles cumulent les discriminationsen tant
quefemmesaveccelles,multiplesquisontpropresàleurscultures,tellesquele
mariageforcéetl’excision.
Premiermouvementdecetype,«Niputenisoumise»s’estmisenplacepeuà
peu dans les banlieues en 2003. Dans un premier temps, ses militantes ne se
considéraient pas comme féministes, au sens historique de ce terme. Les
disparitésentrelesfemmesliéesàleuroriginesesontaccentuées.En2005,des
débats sur le post-colonialisme font leur apparition. Dans ce contexte naît le
«MouvementdesIndigènesdelaRépublique»(MIR):ilcomporteuncollectif
féminin quidénonce les pratiques sexistesdes hommes issus del’immigration.
LemouvementNPNSetlemouvementMIRn’ontpaslesmêmespointsdevue
surlasituationdesfemmes«racisées»surlesterritoiresdelaRépublique.Après
lesrébellions urbaines de2005, une Marchede la dignitéest organisée pourla
premièrefoisenFranceenoctobre2015pardesfemmesquiluttentauquotidien
contre le racisme. Des manifestations d’un type nouveau s’organisent incluant
deschorégraphies. Lesfemmes qui yparticipent travaillentà lareconnaissance
de leurs identités plurielles de femmes noires. Il existe aussi un collectif afro-
féministeMwasi(crééen2015)quisouhaitemettreenvaleurlesfemmesnoires
defaçon positive,en vuede fairenaître uneconscience noireémancipatrice. Il
existeunpoint communentreces femmesdedifférents mouvements,ellesont
prisconscienced’un«racismeinstitutionnel»àleurégard.LegroupeMwasise
veutnon-mixte. Ilsouhaite réunirdans sesactions lesfemmes noires,métisses
africaines et les afrodescendantes afin de lutter en commun contre la société
capitalisteet patriarcale.Lesafro-féministesentendent s’opposeraux «femmes
blanches » et à leurs actions de type « universalistes ». L’expression
«intersectionnelle»s’imposeprogressivement,pourdésignerdesféministesqui
prennent en charge une diversité de luttes sociales contre des dominations. Il
leur arrive de s’opposer aux féministes universalistes qui s’appuient sur une
laïcitéexigeanteetrépublicaine.
En2019unouvrageconnaîtungrandsuccèsdelibrairie.Ils’agitdulivrede
MonaChollet Sorcières, lapuissance invaincue des femmes (éd. La découverte).
L’ouvragevientenéchoàdiversarticlessurl’écoféminisme.L’autriceseréfère
au travail de Xavière Gauthier qui avait retracé en 2002 dans les Cahiers
Masculin-Féminin l’histoire des sorcières et des sorciers. L’éco féminisme se
caractérise par une multiplicité de courants. Certains de ces groupes luttent
contreleproductivismeets’intéressentauxquestionsenvironnementalesliéesà
la santé. D’autres proposent une alternative alter féministe. La philosophe
MarianneDuranoapubliéen2018l’ouvrageMoncorpsnevousappartientpas
dans lequel elle dénoncela dictature de la médecine vis-à-vis des femmes. Elle
dénoncela«Saintetrinitéd’unféminismetechnolâtre»(àsavoircontraception-
avortement-PMA). Certaines de ces alter féministes sont favorables non pas à
l’égalité entre Femmes et Hommes, mais à une complémentarité, voire à des
conceptsdetype«maternalistes».
Tousmouvementsconfondus,lesféministessetrouventconfrontéesen2017à
un évènement qui est pour elles l’occasion d’une unité d’action de grande
ampleur.L’affaireWeinsteinéclate àHollywoodet déclenchel’évènement#Me
Tooqui,àpartirdespremièresinformationscirculantsurTwitter,sedéclineen
de multiples discours, interprétations, prises de parole (Twitter, Instagram,
Podcastsdivers…)etarticlesdepresse.
Une enquête du New York Times avait révélé plusieurs accusations
d’agressions sexuelles et de viols commis par le producteur de cinéma Harvey
Weinsteincontredesassistantes,desmannequins,desactrices.Afindefairetaire
les victimes, il avait conclu discrètement des accords amiables, contre
dédommagements financiers. Puis de nouvelles accusations portèrent le sujet
dans l’espace public et menèrent à un procès à l’issue duquel Weinstein fut
condamné.
Danscecontexteunejournalistefrançaise,SandraMuller,invitaparuntwitter
les femmes qui avaient été victimes, dans leur travail, de harcèlement sexuel,
voire de viol, à dénoncer nommément leurs agresseurs. Cet appel à la
dénonciationfutrelayéparuneactriceaméricainesurTwitter.Unrazdemarée
numériqueréponditàcesappels.Laparoledesfemmesainsilibéréereprenddes
dénonciations qui ne sont pas nouvelles: elles avaient déjà été portées par des
militantesféministesdansladécennie1970.
Le mouvement initié sur #Me Too prit une ampleur inattendue. Il eut pour
effet de réactiver la place de quelques célébrités dans la diffusion d’idées
féministes auprès d’un public élargi. La circulation sur internet de divers
hashtagsfitdébat,certainsappelantàladélationcalomnieuse.Quelquesfemmes
dontdesjournalistes,desartistes,desécrivainespublientunetribuneaujournal
LeMonde(9janvier2018).Ellessoulignentquelalibertédesolliciterdesfemmes
étaitindispensableàlalibertésexuelleetqueseulleviolestuncrime.Débatset
conflits ont ainsi été relancés autour du harcèlement de rue, que certains
politiquesvoulurentinstrumentaliser.
Cependant avant le raz de marée de l’affaire Weinstein, viols, incestes,
attouchements,harcèlementautravail,agressivitédanslarue,danslestransports
sont déjà depuis plusieurs années autant de sujets des luttes féministes. En
Francel’associationAVFT(Associationcontrelesviolencesfaitesauxfemmesau
travail) avait été créée en 1985. Il existe une loi de 1992 portée par Véronique
Neiretz,alorssecrétaired’Étatauxdroitsdesfemmes.
Àlasuitedel’affaireWeinstein,laloidu3août2018renforcelaluttecontre
les violencessexuelles et sexistes et l’article 621-1du Code pénal punit ce type
d’outrages. La lutte contre le harcèlement sexiste et sexuel au travail a été
renforcéeparlaloidu31mars2022(loiSantéautravail)quipréciselecadredu
harcèlement sexuel au travail. L’article L. 1153-1 modifié du Code du travail
précisequelssontlesagissementsàconnotationsexuellequisontinterdits:«les
propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés qui, soit
portentatteinteàsadignitéenraisondeleurcaractèredégradantouhumiliant,
soitcréentàsonencontreunesituationintimidante,hostileouoffensante».La
loiapporteuneprotectionauxpersonnesquirévèlentcesfaits,mêmes’ils/elles
n’ensontpaslesvictimeseux/elles-mêmes(articleL.1153-3modifié).
Àquoiaserviledéferlementdumouvementdedénonciationdesagissements
deWeinstein?Ilagénérédesmanifestationspubliques,àlafindel’année2017.
Des cortèges #Me Too se sont insérés dans d’autres manifestations féministes,
par exemple le 25 novembre 2017, journée de dénonciation des violences à
l’encontre des femmes. La marche du 25 novembre de l’année 2019 rassemble
encoredavantage de participant.e.s.Il y aurait eu100 000 personnesà Paris et
plusieurs milliers de participant.e.s dans d’autres villes en régions (Cahier-
images, Pl. XVI). Cette mobilisation a été appuyée par un réseau de
professionnelles de la communication. Pour désigner cet ensemble de
mouvements autour de #Me Too et ses relais médiatiques, l’expression de
« vague féministe » a été utilisée. Les jeunes journalistes responsables
médiatiques de la manifestation débutèrent leur carrière en créant des médias
alternatifstelsMademoiZelleouCheekMagazine.
Lestechnologiesnumériquesetlesréseauxsociauxsesontpeuàpeuinsérés
dans la vie quotidienne des Français et sont devenus parfois des sources
d’informationetdesocialisation.Les jeunesgénérations,néesaprès1994/2000,
sesontappropriécesmoyensnumériquesàl’intérieurdesquelsuncontinuumde
violence s’est infiltré. Ce qu’on nomme désormais le cybersexisme s’y est
installé ; il s’agit de comportements agressifs exercés au moyen d’outils
électroniques de communication. Ces violences sont multiformes : insultes,
harcèlement répété, dénigrement, rumeursdiffamatoires, usurpation d’identité,
partage non consenti d’images ou d’éléments de la vie privée. Ce type de
harcèlement est aussi connu en milieu scolaire à travers les réseaux sociaux et
metendangerl’équilibredesadolescent.e.s.
D’autre part certaines communautés misogynes en ligne ont vu le jour
pendantlesannées2000,commeleréseauIncels.Danscertainscas,cestypesde
réseaux ont été relayés sur des sites de jeux vidéo. Il existe aussi une porno-
divulgation sous diverses formes venues des États-Unis, incluant divers
chantages à la webcam pour extorquer des faveurs sexuelles ou de l’argent en
menaçantladiffusiondecontenusintimes(volésouconsentis).
Actuellement les débats juridiques autour des violences sexistes et sexuelles
montrentquelajusticeadumalàprendreenchargecestypesdeviolences.Trois
débats animent les communautés militantes, politiques et juridiques autour
d’enjeux tels que le refus du consentement comme critère du viol,
l’imprescribilité des crimes sexuels, et l’intégration nécessaire de la notion de
féminicidedanslaloi.
Plus encore que le harcèlement ou le viol, la jeune génération féministe
dénonce le crime de féminicide. Ce terme finit par s’imposer dans les usages
médiatiques. Le mot a été validé en France en 2014. Il remplace l’expression
«homicidepourcausedecrimepassionnel».Danslesféminicides,onenglobe
les crimes conjugaux, les « crimes d’honneur » (sic) les crimes en lien avec la
prostitution, les avortements forcés de jeunes filles. Des journalistes de
l’association « Prenons la Une » se battent pour faire disparaître l’expression
« crimes passionnels ». L’organisation du Grenelle des violences conjugales en
septembre/novembre 2019 a mis la question des féminicides à l’agenda du
gouvernement. Leur nombre a augmenté de 20 % en France en 2021, avec
122femmestuéessouslescoupsdeleurconjointouex-conjointcontre102en
2020,selonunbilanpubliéparleministèredel’Intérieur.Lapriseencomptedes
violences conjugales en France est un débat ancien. Un premier centre privé
associatiffutcréédansl’indifférencegénéraleen1978«LecentreFloraTristan»
àl’initiativedeSimonedeBeauvoiretd’unepoignéedemilitantesbénévoles.Ce
futlepremiercentred’hébergementdefemmesbattues.InstalléàClichy,ilaété
transféréàChâtillondepuis1986etproposedesmodalitésd’accompagnement.
La priorité pour ces femmes est de sortir du silence, d’oser porter plainte. Les
enfantssubissentaussilesconséquencesdecesviolencesconjugalesrépétées.Au
fil du temps des mesures judiciaires ont été prises pour éloigner le conjoint
violent. Le nombre de places dans des foyers pour femmes battues demeure
insuffisant.
La première plate-forme d’écoute téléphonique consacrée aux violences à
l’encontredesfemmesaétémiseenplaceenaoût2021(le3919).Cenuméroest
accessible de façon gratuite et anonyme, 24h sur 24. Il est géré par la FNSF
(FédérationNationaleSolidaritéFemmes).
Ilexisteunautrepointinvisibilisédesviolencesfaitesauxfemmes:le«suicide
forcé ». Il s’agit de la mort que se donne une femme sous emprise afin de se
délivrerdesonbourreau,desesmenaces,voiredeseshumiliationsetdeseffets
de la destruction psychologique et morale insidieuse qu’elle a pu endurer. De
cette tragédie les proches de la victime portent longtemps une forme de
culpabilité.Ils/ellesonttentéd’aidermaisl’empriseestsemble-t-ilunprocessus
où le harceleur tisse lentement une toile quasi invisible à l’œil nu. Le dernier
décompte des suicides forcésen France en 2017 était de 209 femmes. Après le
Grenellecontrelesviolencesconjugales,laloidu30juillet2020indiquequeles
suicidesettentativesdesuicides constituentdeuxcirconstancesaggravantesdu
délitdeharcèlementmoralsurconjointouex-conjoint.Actuellementlajusticeet
lesforces del’ordre sontencore peuinformées sur cesinfractions complexesà
caractériser.
Lafindeladécennie2010estaussimarquéeparleretentissementdel’ouvrage
deCamilleFroidevaux-Metteriepubliéen2018LeCorpsdesfemmes,labataille
de l’intime qui a pour sujet la libération de la parole des femmes au sujet du
plaisir féminin. Sur ce même thème, la chercheuse Odile Fillod, créatrice
d’« Allodoxia » transforme ce blog en un observatoire de la vulgarisation
scientifique.En2014,elleavaitépinglélesmanuelsdeSVT(SciencesetViedela
terre) de l’enseignement secondaire qui occultaient jusqu’à l’existence du
clitoris! Unepétition acirculé sur Change.orgpour demanderau ministèrede
l’Éducation nationale et à la Secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les
femmes et les hommes, que cet organe soit correctement représenté comme
partieintégrantedel’appareilgénitalféminin.Cettepétitionaaboutiàunemise
àjourdesmanuelsaufilduremplacementdesancienneséditions.
Cependant les différents mouvements du féminisme continuent d’évoluer
parfois sur des voies bien différentes, sur fond d’opposition entre courants
«universalistes»etcourants«intersectionnels»,eux-mêmesfortdivisés.
Le8mars2020unappelàla«Grèveféministecontrelepatriarcat»estlancé
par le collectif « On arrête toutes ». L’appel à manifester cible la précarité, la
surexploitation, les bas-salaires, les dérives du capitalisme libéral qui fait
disparaîtrelesservicespublicsindispensablesàlaviequotidienne,leslogements
indécents,lesrefoulementsauxfrontièresdefemmesetd’enfants.Cetappelfut
associéàunevidéoducollectifféministed’Attac.Lamobilisationestimportante
dans la capitale comme dans les régions. Elle concerne un grand nombre de
mouvementsféministesquisereconnaissentdanscetteaction,quellequesoitla
doctrinedeleurmouvement.
Cettepériodeestmarquéepardiversesaffairesquiéclatentdanslemilieudu
cinémaet du spectacleet les violeurset agresseurs sontdénoncés àtravers des
actions médiatiques. Dans l’époque que nous traversons un phénomène de
résonance de l’action féministe s’est installé entre la « viralité » de la
communicationnumériqueetlecôtéspectaculairedesmanifestationsderue.La
lecturedesclivagesentrecontenusdesdiverscourantsduféminismeencedébut
de XXIe  siècle, est rendue difficile par la variété des formes de discrimination
subies par les diverses populations de femmes. Le contexte mondial actuel
apporte son lot quotidien de répressions et de régressions qui suscitent des
rebellions de femmes et leur résonnance internationale dans le monde du
féminisme.

LACONSTITUTIONDELAVERÉPUBLIQUEETL’ESPOIR
DEL’INSCRIPTIONDUDROITÀL’AVORTEMENTDANSLALOI

Aprèsunlongcheminement,lesdéputésontadoptéle24novembre2022par
337voixcontre32unepropositiondeloiportéeparlagaucheetsoutenueparla
majorité présidentielle, visant à inscrire le droit à l’avortement dans la
Constitution.Letexteproposed’inséreràl’article66delaConstitutionde1958:
«Laloi garantitl’effectivitéetl’égal accèsaudroità l’interruptionvolontairede
grossesse ». Il convient ensuite d’obtenir l’accord du Sénat, indispensable pour
uneréformeconstitutionnelle.Elledoitêtrevotéedanslesmêmestermesparles
deuxassemblées,puisêtresoumiseàunréférendum.
LeHautconseilàl’égalitéentrelesfemmesetleshommes(HCE)s’estexprimé
dansuncommuniquédepresse«IVG:levotehistoriquedel’Assembléenationale
reflètel’attachementdelapopulationfrançaiseàcedroitfondamental2».
VoirEncadrén°7
NometidentitédesfemmesmariéesenFranceaudébutduXXIesiècleetnomdeleursenfants

2. Le contexte international a marqué les esprits lorsqu’en juin 2022 la Cour Suprême des États-Unis a
abrogél’arrêt RoevsWadede1973donnantdésormaisauxétatsfédéréslacompétencedelégiférersur
l’avortement.Danslasituationde2022,bonnombred’États,sousl’influencedupartirépublicain,sont
favorablesàlasuppressiondel’accèsàl’avortement.IlconvientaussidenotercommelefaitleHCEque
des dangers se profilent sur ce sujet dans l’Union européenne à travers l’attitude de régression dans
certainsétatsmembres,dontlaPologne.
CONCLUSION

DUPASSÉAUPRÉSENT.
ITINÉRANCES…
À nos lectrices et lecteurs, ces quelques pages de conclusionqui retracent le
longcombat menépar lesfemmes pourla juste reconnaissancedela place qui
doitêtrelaleurauseindelasociété.Cettejusteluttecontinuedenosjours,après
les évolutions majeures survenues après la Seconde Guerre mondiale. Il ne
viendrait à l’idée de personne de nier que dans une société où les femmes
assument des responsabilités élargies, les relations sociales gagnent en intérêt,
quel’exclusiontendàreculeretquelaviolencedesconflitstendàs’apaiser.Au
cours de ce long cheminement à travers les siècles, les conquêtes sociales
successivesdesfemmes ontmisen évidencelaprimautéde l’intelligencesurla
force physique et la supériorité des résultatsobtenus par la négociation sur les
fruitsempoisonnésdel’affrontementviolent.Peut-êtreaussipeut-onreconnaître
dans cette histoire des femmes la conquête de certaines clés du bonheur qui
faisaientdéfautàl’humanité.Nousestimonsquel’onsedoitdelesenremercier.
Rappelons-nousici,combienlecheminfutlongpourquelestatutdelafemme
passedereproductriceàceluidepartenairedel’hommeetdegestionnairedesa
proprevie.
Au début de cet ouvrage, nous avons évoqué brièvement comment le statut
privilégiédontjouissaientlesfemmesauseindel’EmpireromainenOccidentfut
balayé,avec les structurespolitiques et économiques,au Ve  sièclede notre ère,
par les infiltrations et l’installation d’étrangers, venus des marges du limes, les
«barbares».Lesfemmesentrentalorsdansunelonguenuitquidurajusqu’àla
fin du Moyen Âge, au quinzième siècle. Les chroniques des clercs de la
chrétienté, qui tiennent lieu d’histoire de l’époque, ne mentionnent jamais les
faitsetgestesdefemmesdecettelongueépoque,sicen’estcelles«touchéespar
ledoigtdeDieu».SainteGenevièveetlareineClotildeémergentdansl’histoire
de l’époque mérovingienne, car elles sont à l’origine de la conversion du roi
Clovis et de ses proches au christianisme. Plus tard au XIII e siècle, le rôle de
Blanche deCastille mère etrégente de son fils leroi Louis IX (saintLouis) est
chroniquécarsonenseignementconduisitsonfils,àlasainteté.Quelquesautres
femmesontétécélébréesparlestextesdel’époqueenraisondeleurérudition:
Christine de Pisan auteure d’ouvrages d’érudition théologique, Marguerite
Porètepoètemystique.Enfin,Jeanned’Arcprophétessecombattanteinspiréequi
donna sa vie pour la libération de son pays. Ce sont les seules femmes qui
«existent»enFrancependantlalongueépoquemédiévale,soitprèsdemilleans.
Les autres femmes furent, privées d’accès à l’instruction, privées de droits,
privéesdeleurcorps,privéesd’existencemémorielle.
Ausortirdelalonguenuitdumédiéval,avecl’humanismedelaRenaissance,
etlanaissancedel’imprimerie,lasociétés’ouvritàl’idéequelapossessiondela
terre ne représentait pas l’ultime bien qui méritât que l’on s’entretue et prit
consciencedecequ’étaientl’artetlaculture.Lesguerres(encore!)d’Italiefurent
lepointdedépartdecetteprisedeconscience.Uneélitefortunéeeutlesmoyens
desatisfairecettenouvellemodeetlesfemmesappartenantàcettesociétéyont
trouvéunterraind’excellencequileurapermisderévélerleursqualités.Louise
de Savoie, veuve et mère du futur roi François I er donne une éducation
exceptionnelle à ses enfants, François et Marguerite de Valois-Angoulême
(futurereinedeNavarre).Leursjeunesespritssontnourrisparladécouvertedes
ouvrageséclectiquesdelabibliothèqueroyaledeBlois.Maisbienquelasociété
de l’époque soit marquée par les arts venus d’Italie, la structure des groupes
sociauxresteencorecelledelaféodalité.émanationdelachrétientéoccidentale,
les trois ordres (ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui travaillent)
constituent une structure où les femmes actives demeurent invisibilisées.
Quelques«damesdequalité»,quelquesmonialesontaccèsausavoiretauxarts
bienquecelasoitleprivilègedecellesquisontprochesdesprinces.Quantàla
possessionetlagestiondesbiensmatériels,lesdroitsdesfemmessontdéfinispar
des règles patrimoniales anciennes qui varient d’une province à l’autre. Ces
règlesonttoutefoisunpointcommun:lesfemmesnegèrentrien,pasmêmece
qu’ellesontapportéendot.Leurmariageestlefruitd’uncontratnégociéparleur
famille. Les femmes n’appartiennent pas à l’histoire, si ce n’est celles qui sont
prochesdesprinces.C’estainsiquenousconnaissonslapersonnalitéfascinante
et la destinée de Marguerite de Valois-Angoulême : proche des humanistes
réforméscombattustardivementparson frèreleroiFrançoisI er,ellelaissaune
œuvrelittérairepoétiqueetdiversifiée.ElleépousaAntoinedeBourbon,mariage
quifitd’elle lareinedeNavarre. D’autresfigures,encore,ontmarqué lesiècle.
DianedePoitiers,favoriteduroiHenriII,futunemécèneinfluente.Catherine
de Parthenay érudite protestanteet dramaturge fut l’épouse en secondes noces
d’Henri II de Rohan et fut faite prisonnière avec les derniers défenseurs de
LaRochelle.Enfin,Jeanned’AlbretfilledeMargueritedeValois-Angoulêmeet
d’Antoine de Bourbon, devint reine de Navarre. Elle développa la pratique
calviniste sur ses terres, pratique dans laquelle elle éduqua son fils le futur roi
HenriIV.
AuXVII esièclelesfemmestraversentunsiècledefeu,deguerres,degloireet
d’hégémonie masculine contestée. Si une femme de la Renaissance devait être
proche des Princes pour pouvoir espérer exister, ce nouveau siècle change les
règles : on peut désormais « exister en tant que femme », sous réserve
d’appartenir à une modeste aristocratie au moins. Cette époque passe de la
culture baroque au classicisme. La période, politiquement agitée en raison de
l’extensionduprotestantismeetdel’hostilitédesétatsvoisinsquineveulentpas
d’une France trop puissante en Europe connaît deux régences an cours
desquelleslepouvoirsuprêmereposeentrelesmainsd’unefemme:larégencede
Marie de Médicis après l’assassinat du roi Henri IV et la régence d’Anne
d’Autriche à la mort du roi Louis XIII. Dans ce contexte, quelques femmes de
l’élitesocialeosentpenser,agir,écrireetpublier,parfois,leursœuvres.Lerègne
deLouisXIIIavaitmisenplacel’exercicedelaraisond’Étataveclapersonnedu
ministre Richelieu,la régence d’Anned’Autriche connut avec Mazarin,la lutte
contrelaFronde.LouisXIVcommencesonrègnepersonnelen1661etn’eutde
cesse,avecl’appuideBossuetqued’affirmerlamonarchieabsoluedeDroitdivin.
Faitnouveau: devantlaterriblemisère provoquéeparlesguerres continuelles,
desfemmess’engagentauprèsdespauvresetdesmalades.LouisedeMarillacet
quelquesfemmes courageusesviennent épauler l’actionde Vincent dePaul, en
créantl’ordredes«Fillesdelacharité»connuplustardsouslenomde«sœurs
deSaint-Vincent-de-Paul».
Une législation applicable à l’ensemble des provinces du royaume se met
lentement en place. Les nécessités économiques amènent le roi et son
administrationàsubstituerauxusageslocauxdesrèglesécritescommunes.Ces
transformationsontdeseffetssurlecontratdemariage,leshéritagesetlestatut
desfillesetdesfemmes.Toutetransmissiond’unpatrimoinerequiertdesactes
notariésencadrantlespratiquesfamiliales.Maislemariageresteuncontratscellé
parlesacrementchrétienetiln’estpaspossibledelerompre.Dansderarescas
complexes les femmes peuvent tout au plus réclamer une séparation de corps
maisellesnepeuventrécupérerl’utilisationdeleurdot.Lesfemmesnedisposent
d’aucun droit civil, elles ne peuvent ester en justice ni être témoin devant un
tribunal ! Dans la France d’Ancien Régime coexistaient cependant des
différencesrégionales dansle système deshéritages, mais lesfemmes étaientle
plussouventléséesoutenuesàl’écartdesdécisionsdegestionpatrimoniale.
L’inégalitéentrehommeset femmesconcernemêmeledomainede lasanté.
Faceauxmédecins,auxchirurgiens,(toujoursdeshommes)l’expressiondeleurs
discours sur leurs maladies n’est pas entendue. Rien n’est connu de leurs
sensations aux époques de la vie, enfance, puberté, sexualité, grossesse,
accouchement, ménopause. La perception des médecins reste un héritage des
connaissances confuses de l’Antiquité et des progrès effectués sous la
Renaissance en anatomie. Dans le domaine de l’accouchement, le savoir-faire
essentielestceluidesmatronesetdessages-femmes.Danslaplupartdestraités
del’époque,lesobstétriciensconsidèrentlagrossessecommeunétatpathogène.
Letauxdemortalitédesmèresresteélevé,livrantàlasociétéungrandnombre
d’enfantsorphelinsetdejeunesveufs.
L’accès des filles et des femmes au savoir connaît une avancée certaine au
XVIIe ,endépitdesinégalitéssocialessurcesujet.L’enseignementtransmisdans
les milieux de la bourgeoisie modeste concerne surtout la manière de gérer la
maisonnée, les enfants, la domesticité, les livres de compte, sans oublier la
pratiquedestravauxd’aiguilleetl’entretiendesvêtements.
Les salons littéraires sont, pour une élite restreinte, une exception de
sociabilité.Desfemmesdel’élitenobiliaireetparfoisdelabourgeoisiedeRobe
peuvent recevoir des amis, des écrivains, des musiciens dans leur propre
demeure. À Paris, ce fut le cas pour Catherine de Rambouillet dès l’époque
d’HenriIVetdeLouisXIII.Cespratiquesinitientlesréunionsdesprécieuseset
leur volonté d’écrire voire de publier des ouvrages, fut-ce sous le sceau de
l’anonymat.EnsontissuslesromansdeMadeleinedeScudéryoudeMadamede
La Fayette. Les salons ont aussi pour objet de parler aux hommes et de
«débrutaliser»lespassions.Cesfemmessouhaitentlesguiderdanslessentiers
delaCartedeTendreàlarecherchedecheminementsamoureuxapaisés.
Le XVII e, enfin, fut l’époque où quelques femmes accédèrent à un domaine
jusque-là non exploré de la création artistique : on recense à cette époque
quelquesfemmespeintresetquelquescompositrices.
LeXVIIIe siècleestceluidesremisesenquestion.LesLumières etl’élandonné
par la philosophie furent un espoir pour les femmes, mais un rendez-vous
manqué. La findu règne de Louis XIV en 1715 etles débuts de la Régence de
Philipped’Orléanslaissentaugurerdemouvementsmodernesetnovateursdans
uncontexte globaleuropéen.Le règnepersonnel deLouisXV àpartir de1723
laissaitaussiespérerdesréformesdepolitiqueéconomique.Maisàpartirde1774
commence une période marquée par cet espoir déçu et par l’endettement du
royaume.Émeutesfrumentairesetrebellionscontrelalevéeexcessivedesimpôts
surlessujetsdutiersétatsesuccèdent.Lesfemmessontaupremierplandansces
circonstances:aprèslesgrèvesdesfarinesetl’augmentationconsidérableduprix
du pain, elles sont présentes et actives lors des violences urbaines et lors de
certainesémeutesfrumentaires.
Dans quelques grandes villes et surtout à Paris des femmes aristocrates et
roturièresontamplifiélatraditiondessalonslittérairesdusiècleprécédent.On
nommeces lieuxde convivialité« bureauxd’esprit» ;les femmesy organisent
réunions et mondanités en dehors de la cour et de ses usages. Les salons
reçoivent des philosophes, des écrivains, les encyclopédistes, des artistes. Des
personnalitésdelanoblesseycôtoientlagrandebourgeoisieetlafinance.Ony
pratiquelesjeuxdesociété,lethéâtreamateur,lechant,lamusique.Desliensse
tissentparfoisdesalonsensalons.Laconversationmondainenerépugnepasà
l’intérêt pour les découvertes scientifiques et même pour la politique et la
diplomatie comme semblele montrer la correspondance de Madame Geoffrin,
tandisquelebadinagepoétiquedel’époquedesprécieusesesttoujoursd’usage.
À la veille de la Révolution de 1789, quelques salons deviennent des lieux
propices aux discours politiques et polémiques, comme celui de Sophie de
Grouchy épouse de Nicolas de Condorcet. On y reçoit des « insurgents »
américainsrévoltéscontrel’Angleterre.Plustard,lesalondeManonRolandest
fréquentéparlesdéputésgirondins.OlympedeGouges;issuedelabourgeoisie
provinciale rédige à Paris des pamphlets mais aussi des pièces de théâtre et
s’inquiètedurôlequelesfemmesdevraientjouerdanslacité.
L’éducation des filles est un sujet qui passionne les contemporains et ouvre
bien des débats contradictoires. Bon nombre d’ouvrages pédagogiques sont
publiés,laplupartpardeshommes!LetextedeJean-JacquesRousseau,L’Émile
oudel’éducationen1762neproposepourlajeuneSophiequelesenseignements
qui feront d’elle une épouse et une mère dévouée et irréprochable. Quelques
femmes se risquent comme Madame de Miremont à publier un traité
d’éducation qui élargirait les connaissances à prodiguer aux filles tout en
accordant à la mère une place essentielle dans cette éducation. Il n’est pas
d’exemple d’une éducation féminine donnant accès au domaine scientifique :
ÉmilieduChâteletuniquemathématiciennederenomdel’époqueettraductrice
de Newton était totalement autodidacte. Un peu plus tard Sophie Germain se
trouvadanslamêmesituationpourmenersesrecherchesenmathématiques.
La pratique des arts est encouragée à la Cour par la reine Marie Leczynska
maisaussiparlafavoriteduroiLouisXV,MadamedePompadour.L’accèsdes
femmesauxpratiquesartistiquesàtitreprofessionnelsefaitencoredifficilement,
maisellescommencentàêtreadmisesàl’AcadémieSaint-Lucpourypratiquer,
comme les hommes, la peinture et la sculpture, même si on tente de les
cantonneràcertainssujetsmineurs.Àcetteépoquederaresfemmestententde
s’insérerdansunmétiermasculin.OlympedeGougesparvintàexercerceluide
journaliste,sesengagementslamenèrentàlaguillotine.
Malgrécequel’onpourraitqualifierdepercéesindividuellesréussies,legenre
fémininn’existepasauxyeuxdeshommes.LorsdelarédactiondesCahiersde
doléances en 1788/89 pour la préparation des États généraux à Versailles, les
femmes n’ont guère été conviées à exprimer leurs revendications et la
DéclarationdesDroitsdel’Hommeetducitoyendu26août1789,textequise
veut universel, oublie de mentionner les droits de la citoyenne. Toutefois,
pendantlespremièresannéesdelaRévolutionetjusqu’en1793lesfemmessont
présentes dans les réunions des clubs, énoncent leurs revendications, viennent
écouterlesdébatspublicsàl’Assemblée.Ellessontsouventfavorablesauxidées
nouvellespourl’égalité,l’éducationdesfilles,ledroitaumariaged’amouretnon
aumariagecontraint,maisaussiàlapossibilitédedivorcerquileurestaccordée
en1792.
Le début du XIXe  siècle commence par une régression de la situation des
femmesliéeàlamontéeenpuissancedel’Empirenapoléonien.Leurvied’épouse
estencadréeparlesrèglesrigoureusesduCodecivil(1804)quilimiteledroitau
divorce. Cette époque est marquée par la naissance du courant romantique en
Europe.EnFranceilestillustrépardeuxfemmesd’exceptionLouise-Germaine
deStaël(néeNeckeren1766),puisGeorgeSand(néeAuroreDupindeFrancueil
en1804).LesécritspolitiquesantinapoléoniensdeMmedeStaëlluivalentl’exil
en Suisse à Coppet sur ordre de Napoléon Ier lui-même. George Sand se fait
connaîtredanslapressedès1831parlapublicationd’unromanàcaractèresocial
Indianaqui critiquelasituation dedépendanceéconomique desfemmesà son
époque,etdénoncelesconditionsdumariageencadréparlesexigencesduCode
civil et la pression familiale. George Sand se lance ensuite dans des écrits
politiquesen1848.
Faitnouveau,lesaffrontementssanglantsdesRévolutionsde1830,de1848et
laCommunede1871mobilisèrentessentiellementdesfemmesappartenantaux
couchespauvresdelasociétédontcertainesadhéraientàdescourantspolitiques
théorisés. Ces femmes des classes populaires se révoltèrent souvent contre le
doubleasservissementquiétaitleleur(asservissementconjugal,asservissement
professionnel).Les mouvementsdusaint-simonismeetdu Fouriérisme,malgré
un parfum phalanstérien ou sectaire motivent des femmes dans l’espoir
d’accéder à l’égalité avec les hommes et dans l’espoir d’une certaine justice
sociale.FloraTristanouvrièresocialisteutopiste,tentedemobiliserdesfemmes
dansle cadred’une« Unionouvrière» àParis. StSimoniennes,Fouriéristes et
membres de l’Union composent les contingents de femmes insurgées lors des
révolutionsde1830et1848.C’estaussil’époqueoùlasociétés’industrialise,ilest
alors question de formation professionnelle pour les jeunes filles, pour leur
permettre de s’insérer dans les nouveaux métiers de service nécessaire au
fonctionnementdela sociétéindustrielleémergente. Dupointde vuepolitique
lorsdelaRévolutionde1848,desfemmesrevendiquentledroitdevote:illeur
estrefuséetlaDeuxièmeRépubliquemetenplacelesuffrageuniverselmasculin.
Uneautreformedecontestationféministevoitlejouraveclanaissancedeclasses
moyennes nées de l’industrialisation de la société. Ces classes sociales ont
assimilél’importancedel’éducationetl’importancedel’exercicedudroitdevote
dans leur accès à la prospérité. Dans ce contexte des journaux sont rédigés et
publiéspardesfemmescommeEugénieNiboyetafindefairereconnaîtreleurs
revendications.SousNapoléonIII,lesfemmescontinuentàlutterespérantune
amélioration de l’enseignement accordé aux filles. Maria Deraismes participe
avec un ami Léon Richer à la fondation de l’association pour le Droit des
Femmes.Cenouveaumouvementdéfendl’éducationdesfemmesdansuncadre
laïquequ’ilconsidèrecommeunpréalableàl’attributiondedroitsciviquesàune
population féminine fortement marquée par l’autorité de l’Église catholique.
C’estundescourantsféministesissusdesclassesmoyennesdelapopulation.Il
joue un rôle politique croissant jusque dans les premières années du siècle
suivantet aboutitaux loisde séparationde l’Étatet desÉglises en1905. Parla
suite, on peut considérer qu’il fut l’ancêtre du courant politique radical de la
IIIe et IVe  République. Lors de la guerre contre les Prussiens en 1870/71 la
résistance des Parisiens pendant le siège de l’hiver mène à la révolte de la
Communeenmars1871.Desfemmesdéterminéesyjouentunrôleàtraversdes
actions, des associations, des journaux, la participation aux combats sur les
barricadesetcejusqu’àlasemainesanglantedemai.Uncertainnombredeces
militantessontarrêtées,jugées,déportées.Leprolétariatfémininaétédurement
touché. La Commune de Paris et sa sanglante répression écrivent en lettres de
sang l’histoire d’une expérience anarchiste avortée. Dans les souffrances de la
Commune naissent des mouvements de femmes prolétaires qui associent la
conquêtedeleurslibertésàladestructiondel’ordresocial:libertéfaceàl’ordre
économique, destruction de la domination patriarcale. C’est l’époque de la
théorisationdel’évolutiondessociétés:communismedeMarxetanarchismede
Bakounine. Dans les années 1878, le mouvement de Léon Richer et Maria
Deraismessubitunescission,enraisondesapositionsurlaquestiondel’accès
desfemmesaudroitdevote.HubertineAuclert,cheffedefiledesscissionnistes,
créelejournalLaCitoyenneetparticipeauCongrèsduDroitdesfemmesréunià
Parisen1889.Sonmouvementsuffragisteestàl’originedesdiversmouvements
de revendication du droit de vote qui ne connurent le succès final qu’après la
SecondeGuerremondiale,àlasuitedel’engagementdenombreusesfemmesaux
côtésdesmouvementsdelibération.MargueriteDurandaprèsunebrèvecarrière
decomédienne,créelejournal LaFrondeen1897,rédigé,fabriquéetéditépar
des femmes. Le journal offre une tribune largement ouverte aux militantes du
droit de vote féminin. La célèbre journaliste Séverine coopéra au journal La
Fronde,ainsiqueJeanneChauvin,premièrefemmedocteureendroit,inscriteau
barreau de Paris,qui rédigea un texte de loi accordant aux femmesle droit de
témoignerdevantuntribunal,puis,en1900,unprojetdeloisurlapropriétéetla
libredispositiondeleursalairepourlesfemmesmariées.Tribuneducourantdes
« suffragettes» initié par HubertineAuclert, le journal s’illustraaussi par cette
action efficace qui aboutit à l’attribution des droits civils aux femmes qui en
étaientjusque-làprivées.
Le travail intense des associations féministes émanant des classes moyennes
avaittrouvé unappui à l’Assembléenationale auprèsdu courantfavorable àla
laïcitéet àunenseignement aussilargepour lesfillesque pourlesgarçons. En
1867, le ministre Victor Duruy s’était montré soucieux de promouvoir
l’enseignementféminin.PlustardCamilleSée,députédelaGaucherépublicaine,
proposeuneloisurl’enseignementsecondairedejeunesfilles.Ceprojetaboutit
en1880aprèsacceptationduSénatàlasuitededébatshouleux.L’œuvredeJules
Ferry de 1880 à 1882 défend la laïcité de l’enseignement, sa gratuité et
l’obligation de l’école primaire pour filles et garçons. Dans le domaine de
l’accueil et de l’enseignement pour les jeunes enfants, la transformation des
«sallesd’asile»enécolematernelleavaitétéinitiéeparMariePape-Carpantier
en1849àParis,etcontinuéeparPaulineReclus-Kergomardaprès1879.
Ledébutduvingtièmesiècleestcapitalpourlesortdesfemmes.Laloisurla
séparationdel’ÉtatetdesÉglisesen1905metfinaurégimeconcordatairehérité
de l’époque napoléonienne et interdit l’activité d’enseignement aux
congrégationsnonautorisées.Laréformedel’enseignement,salaïcisationetson
ouverture aux femmes ont remanié en profondeur la société française.
L’enseignementartistiqueconnaîtaussideschangements,quelquesateliersd’art
sont ouverts aux jeunes filles. Des artistes féminines font des carrières
exceptionnelles,RosaBonheurpeintreanimalier,CamilleClaudelsculptrice,Lili
Boulangermusiciennes-compositrice.
Lesfemmesde1914à1939furentdeshéroïnes,invisiblesleplussouvent,mais
activesendenombreuxdomainesdel’histoiredupays.Lorsdelamobilisation
générale à l’été 14, le gouvernement fait appel au patriotisme des femmes. Le
discoursdu ministre René Vivianiest le point de départde l’installation d’une
économiedeguerredanslaquellelesfemmesdoiventprendreenchargetoutle
travailqueleshommesmobilisésnepeuventplusassurer.Ellesdoiventàlafois
travaillerlaterrepournourrirlepaysetfairetournerlesusinesd’armement!Il
leurestaussidemandédepourvoirlespostesd’infirmièresquidoiventprendre
encharge unnombre élevéde blessés,souventdans desconditions difficileset
sans formation professionnelle suffisante. Les religieuses reprennent du service
dans les hôpitaux. Malgré la misogynie ordinaire et la méfiance des autorités,
quelques femmes s’imposent aux autorités de santé militaire. Ce fut le cas de
NicoleGirard-Manginchirurgienneauxarmées,nomméeaufrontàVerdun,de
Suzanne Noël chirurgienne réparatrice à partir de 1916, de Marie Curie, Prix
NobeldePhysique,créatriceetdirigeantedesunitésd’ambulancesradiologiques
qui travaillent au plus près du front. Là où les femmes vont surprendre plus
encore,c’estdanslesactivitésdeguerresecrètequ’ellesconduisentdansleszones
occupées du Nord et de l’Est de la France ainsi que celles de Belgique. Leurs
activitésprincipalessont lespassages clandestinsà traversdeslignes desoldats
coupés de leursunités qui veulent retourner au front,le renseignement sur les
dispositifsdel’ennemietladiffusiondelapresseclandestinequicontrecarrela
propagande ennemie. Louise de Bettignies arrêtée, malmenée, morte en prison
estunefiguresymboliquedecesorganisationsquiseconstruisentspontanément
à l’initiative d’une femme qui choisit de risquer sa vie pour la libération de sa
patrie.QuelquesaviatricesjouentunrôleessentielcommeMarieMarvingt.
Les femmes en France dans l’après-guerre connaissent, plus que jamais, des
situationssocialementclivées.Ledroitdevoteleuraétérefuséparlessénateurs
malgrél’attitudeciviquequifutlaleurtoutaulongduconflit.Lesmouvements
féministescontinuentdedénoncerl’exploitationdesfemmesdanslemondedu
travailquiperduremalgrélafindelaguerre.Après1919,l’Unionsacréeautant
quel’Églisecatholique,effaréesparledécomptedeshommestombésaufrontou
lourdementmutilés,estimentnécessaireleretourdesfemmesaufoyeretàleur
fonction reproductrice. Les lois dites « scélérates » de 1920 et 1923 interdisent
l’information sur les procédés contraceptifs et défèrent les inculpées
d’avortement vers des tribunaux exclusivement composés de magistrats
professionnels.LouiseBodin,journalisteféministeprotestedans L’Humanité au
sujetduvotedecesdeuxlois.Maisendépitdespressionsexercéespourleretour
au foyer, dans l’après-guerre le taux d’activité professionnelle des femmes
progresse,surtoutdanslesecteurtertiaire.
Àpartirde1920jusqu’àlacrisedesannées1930,uneprospéritééconomique
insolente crée une atmosphère ludique dans laquelle s’exprime la joie d’avoir
survécu à la guerre. Une véritable révolution bouleverse les arts, la mode, les
distractions, les voyageset même les sexualités. Le nouvel art de vivre féminin
envoieauxhommesunmessagesubliminaldestinéàleurfairecomprendrequ’ils
nesontpasabsolumentindispensablesaubonheurdelafemme.
Mais la crise économique des années trente éteint les lumièresde la fête. La
pression contre le travail féminin se renforce à nouveau. On observe que les
salaires féminins continuent d’être très inférieurs à ceux des hommes ce qui
confortelapositiondupouvoirmasculindanslesbudgetsdes«ménages».En
1936,ledroitdevotedesfemmesnefiguretoujourspasauprogrammeduFront
Populaire.CependantLéonBlumachoisitroisfemmescommesous-secrétaires
d’État dans son gouvernement. Dans le domaine littéraire, le Prix Fémina
continue son action pour faire connaître des autrices, et se crédibilise face au
«machisme»desmembresduPrixGoncourt.Lesfemmesprennentpieddans
lesétudessupérieures:leconcoursd’entréeàl’ENSUlm,leurestenfinouverten
1924.Parallèlementlapressefémininesedéveloppe.
L’Europeetlemondeplongentànouveaudanslechaos:laDeuxièmeGuerre
mondialesèmelamortetladésolationavecuneampleurplusgrandeencoreque
laprécédente.LaFrance vaincuesevoitcontraintede signerl’armisticeavecle
IIIe  Reich. Le pays est occupé dans la zone nord, tandis que l’État français se
replieausudàVichysouslatutelledumaréchalPétain.Cegouvernement,àla
solde du nazisme, englobe les femmes dans la culpabilité de la défaite ! Des
mesuresincitativessontmisesenplaceenfaveurdelanatalitéetl’avortementest
lourdement réprimé. Les femmes assument difficilement les restrictions du
quotidien, l’accès au travail salarié féminin est remis en question. Elles sont
présentes très tôt dans toutes les formes de Résistance, tant en zone occupée
qu’enzonelibre.CertainesrejoignentlaFranceLibreàLondres.DesRésistantes
coopèrentàlaformationderéseauxclandestins.Bonnombred’entreellesfurent
arrêtées, torturées, finirent leur existence dans les camps de déportation ou
d’extermination.L’actiondescommunistesfutconsidérabledanslesFTP.
Lavieintellectuellesousl’occupationnazieesttoutefoismarquéemalgrétout
par une production cinématographique et théâtrale de qualité, même s’il faut
contourner habilement les censures allemande en zone occupée et
gouvernementaleenzonesoi-disantlibre.Lesspectaclesrenvoientàunevision
d’uneFranceconservatrice,oùlerôledesfemmesdanslasociétéestcirconscrit
auxstéréotypeslesplusconservateurs.Lepersonnagedela«femmefatale»est
quasil’incarnationdumal!
Lareconnaissance dela capacitédes femmesà conduirel’effort deguerre se
traduitparleuraccèsauxstructuresdupouvoirpolitiquedansl’après-guerre.Le
droitdevoteleurestenfinaccordéen1944.Enoctobre1945,alieulepremier
vote des femmes dans un scrutin national (référendum et Assemblée
constituante) : 33 femmes sont élues membres de l’Assemblée nationale
constituante.
Puisaudébut desTrenteGlorieuses,en 1949,paraîtl’ouvrage deSimonede
Beauvoir LeDeuxièmeSexe.Philosophedeformation,l’autrices’inscritenfaux
contrelecourantnatalistecompensateurdesperteshumainesdelaguerre.Elle
proclame la priorité de l’émancipation des femmes sur la reconstitution des
effectifsdel’infanterie.Laquestionducontrôledesnaissancesetdel’avortement
est abordée ouvertement. Il est reconnu que l’émancipation des femmes doit
passerparlecontrôledesnaissances.Leplanningfamilialcommencesesactions
en1956souslenomde«Maternitéheureuse»afind’aiderlesfemmesàespacer
les naissances. La jeunesse de l’époque constitue un groupe démographique
nombreux aux aspirations de rupture vis-à-vis de la génération précédente. Le
printempsde mai1968 révèleespoirpuis déceptionpour lesjeunesfilles etles
femmes. Toutefois les dissensions internes dans la mouvance féministe, ne
concernentguèrequ’uneéliteintellectuelledediplômées,d’artistesquilaissentà
l’écart une grande part de la population féminine des villes et surtout des
campagnes.Uneréformerelativeàlalégislationdel’avortementdevientdifficile
àrefuser.L’autorisationd’accèsàlacontraceptionaétéobtenueparlevotedela
loiNeuwirthde1967.Soncomplémentindissociable,l’interruptionvolontairede
grossesse, est autorisée par à la loi de 1974 fruit de la lutte acharnée, dans un
contextehostile,delaministredelaSanté,SimoneVeil.
Après 1975 l’évolution des mentalités a permis à une culture féministe
diversifiée de se diffuserpeu à peu dans la société. Les idées circulentdans les
partisdelaGauchetraditionnelleetplusdifficilementauseindessyndicats.Des
voixs’élèventpourdemanderdavantagedecandidaturesfémininessurleslistes
électorales et de façon systématique. La presse féministe se développe et se
diversifie:desprofessionnellesdesmediascréentunenouvellepresseféminine
dynamiquequivientbousculerdesmediasfémininsdemassedéjàanciensdans
le paysage de la communication. Une deuxième vague naît en France dans les
années 1970, elle a pour objet une réflexion sociétale genrée dans sa globalité.
C’estune époqueoùles femmess’intéressent àlaquestion del’existence d’une
écriture-féminine. La vidéo devient un nouvel outil d’expression des
revendications féministes. C’est pendant le premier septennat de François
Mitterrand que le féminisme semble s’institutionnaliser. Le gouvernement de
l’époquesedoted’unministèredes«droitsdelafemme»dontYvetteRoudyest
chargée.L’avocateGisèleHalimisoutientunprojetdeloisurunediscrimination
positive dans le cadre de la loi sur les listes de candidats lors des élections
municipales.CeprojetestrefuséparleConseilconstitutionnel:introduisantun
critère de genre dans la législation, il enfreint le principe d’égalité entre les
citoyens.Il apparaît cependantqu’au niveau européenl’idée de paritéentre les
femmesetleshommesfaitsonchemin.DanscecontexteleManifestedesDix,
signéen1996pardixanciennesministressoulignelanécessitédelaparitépour
unemeilleure gestion politiqueet économiquede la France.Lors du deuxième
septennat de Mitterrand, Édith Cresson devient Premier(e) ministre et les
femmes font une percée dans des ministères où elles doivent traiter de sujets
sensibles. La réforme paritaire ne se met en place qu’en 2000, mais bien avant
cettepériodedesfemmesn’hésitentpasàseprésentercommecandidateslorsdes
élections présidentielles entre 1974 et 2007. Les assemblées se sont peu à peu
féminisées, mais l’accès à la mandature reste difficile au sénat et dans une
moindremesurepourlesprésidencesdesconseilsdépartementaux.
Dansladécennie1990,nouvellemobilisationsurlaquestiondel’avortement
et de l’IVG. De jeunes féministes créent de nouvelles structures qui font appel
aux applications des réseaux numériques pour obtenir une prolongation des
délaisdel’IVG.Fracturesetcontroversessefontjourauseindescourantsaprès
2000. Alors qu’ils ont connu d’importants succès sur le plan politique, que la
conquête du pouvoir économique s’opère efficacement et silencieusement au
sein des entreprises, des combats se réarticulent autour de nouveaux enjeux
politiquesetsociétaux.Ils’agitd’intégrerleconceptde«genre»(formalisépar
l’historienne Joan Scott en 1984 aux États-Unis). De ce concept émergent de
nouveaux champs d’étude et de revendication avec les « queer studies ». Des
fracturesd’uneautrenaturenaissentàl’intérieurdescourantsféministes,lorsde
l’affaire du « voile » dans un collège de Creil en 1989 ce qui déchaîne des
discussionsautourdel’applicationdelalaïcitédansl’espacescolaireetpublic.Le
courant féministe français est victime de la culture d’origine de ses militantes.
Cellesquienfontpartiemaissontétrangèresàcetteculture,dansunedémarche
très«woke»critiquentl’universalismedesvaleursdeleursconsœursetlavision
« laïque » qu’elles posent sur des habitudes vestimentaires liées à une culture
différentedelaleur.Unautrethèmemajeurdedébatsconcernelaprostitutionet
les positions du Strass (syndicat des travailleurs du sexe), vis-à-vis de la loi de
2016. Face au courant prosexe venu du monde anglo-saxon la mouvance
abolitionnisteféministecontinuedesebattre.
De«nouveauxféminismes»sesontdéveloppésdepuisladécennie2010.Des
groupusculesscénarisentleursactionsafindelesfairecirculerenimagessurles
réseaux,parprocessusde«viralité».Onassisteàunemontéeenpuissancedu
courantféministeintersectionneletàunecertainepolitisationdecedernierqui
concerne les femmes subissant de multiples discriminations en raison, par
exemple de leur genre, de leur couleur, de leur culture. Tous mouvements
confondus,lesféministessetrouventconfrontéesen2017àunévènementnéaux
États-Unis,l’affaireWeinsteinquiestàl’originedumouvement#MeToo.Affaire
de harcèlement sexuel, elle concerne toutes les femmes. Mais les appels à la
dénonciation ouvrent un champ à des auteurs d’actions nauséabondes. Les
technologiesnumériquesse sontinsérées danslavie desFrançais spécialement
auprès des jeunes générations. Force est de constater qu’à l’intérieur de ces
moyens numériques un continuum de violence s’est aussi infiltré, le
cybersexisme.
Les débats juridiques autour des violences sexistes et sexuelles montrent la
difficulté de la justice pour prendre en charge ces types de violence. La jeune
génération sensible aux revendications féministes dénonce aussi le crime de
féminicide. La fin de la décennie 2010 est marquée par l’évolution de
mouvementsféministessurdesvoiesbiendifférentesdansleursactionsetdans
leur esprit. Les médias sont amenés à dénoncer des affaires de harcèlement,
d’agressionsetdeviolsdanslesmilieuxdelaTV,ducinémaetduthéâtre.Cette
volontéde dénoncer résonnedans un contexte mondialde violences tantdans
lesactesdeguerrequedanslespaysdontlesgouvernementsbrimentlaliberté,la
vie quotidienne des filles et des femmes et tentent même de les empêcher
d’accéder à l’enseignement, ce qui les prive de tout espoir d’émancipation
économiqueetbienentendudelibertédeconscience.
Quelquesoitl’avenirimmédiatenFrance,enEuropeetdanslemonde,ilest
clair que les femmes qui représentent la moitié de la population de la planète
n’entendentpasrenoncerà combattrepourleurliberté,cellede l’espritetcelle
ducorps,pourl’égalitéciviqueetpourl’émancipationéconomique.Cecombat
peutcontinuerde prendredesvoiesqui semblentdivergentes,l’essentielest de
nerienlâcher.Laténacitéresteàl’ordredujourdemêmequelasolidaritéentre
lesfemmes,la«sororité»quiestleparallèledelafraternité.Letermeadelphité
s’appliqueàtoutesolidaritéentrelesêtreshumains.Enmêmetemps,danstoutes
lesquestionsrelativesàl’éducation,delamaternelleàl’universitésansomettre
l’enseignementtechniqueetprofessionnel,ilestindispensabled’approfondirles
effortspourquelesgarçonsetlesfillesreçoiventconjointementuneformation
solide pour accéder à la citoyenneté, dans l’esprit du « vivre ensemble » et du
respectdelalaïcité,quiillustrel’originalitédelaculturerépublicainefrançaise.
Riennesefaitsanspassion.
Dansun monde quiconnaît tensions internationaleset guerres,mutations à
l’échellede la planète, gravesinquiétudes sur les conséquencesdu dérèglement
climatique, sur l’accès à l’eau, sur la gestion des sources énergétiques
renouvelables, citoyens et citoyennes ont leur responsabilité pour édifier une
sociétéjusteoùfemmesethommesveulentvivreetfairerayonnerlapaixsociale.
Sérignac,novembre2022
ANNEXES
ENCADRÉN°1

CALENDRIERAGRO-LITURGIQUEETRYTHMESDEVIE

DANSLASOCIÉTÉRURALEDELAFRANCEDEL’OUEST
(XVI AUXVIII SIÈCLE)
E E

NB:L’annéeliturgiquecommenceavecl’AventetlapréparationdeNoël.Les
célébrationsdu«mardigras»,dumercredidescendres,dePâques(célébration
delaRésurrectionduChrist),l’Ascension,delaPentecôtesontmobiles.Ladate
dePâquesvariechaqueannée.Elleestsituéed’aprèsl’indicte(entrele25marset
le25avril).
LeCarêmeestuntempsdepénitence,onnecélèbrepasdemariages.Laprière
dédiéeauxdéfuntsestle2novembre.Lafêtedel’assomptiondeMariele15août
revêt une solennité particulière à partir du vœu de Louis XIII (1638 – Le
royaumeestalorsconsacréàlaVierge–aprèslanaissancedudauphin)
LaStMichelestladatetraditionnelledepaiementdesbaux(métayageet/ou
fermage).LaSteCatherineesttraditionnellementladatelimitedeplantationdes
arbres.
ENCADRÉN°2

LAVIEQUOTIDIENNEETLESOBLIGATIONSDESÉPOUSESDE
MINISTRESSOUSLOUISXIV

Est-il possible d’appréhender qui furent et ce qui firent les épouses de
ministresàtraversdessourcesquisontessentiellementrédigéespardeshommes
et sur des sujets politiques, diplomatiques ? Il convient de lire entre les lignes
pour trouver les femmes et de rechercher des indications dans les
correspondances, les contrats de mariage et les documents notariés lors des
décès. Chacune de ces femmes a vécu dans l’intimité d’un homme de
gouvernement.
L’âge moyen du mariage au XVIIe siècle était pour les femmes 26 ans, mais
pour les femmes de ministres 19 ans. Il faut tenir compte des veuvages et des
remariages,encecasl’épouseestfortjeuneetl’épouxadépasséles40ans.Les
logiques matrimoniales sont celle du groupe social auquel les époux
appartiennentouveulents’agréger,lavolontédedonnerunedescendanceestun
soucimajeurducouple.
LESÉPOUSESSONTDESCOMPAGNES
Lemariagedanslaculturechrétiennerelèveàlafoisdel’unionsacramentelle
entre deux époux mais aussi de l’alliance sociale entre deux personnes et leurs
familles.Celien indissolubleestaccompagné deladomination masculinedans
uncadrejuridique.Lavieducoupleapourbutlaprocréationetlatransmission
dupatrimoine.Lesépousesdeministressontinvitéesàsuivreleurmaridansles
lieuxd’exercicedeleurchargeoucommission.Cequientraîneungrandnombre
devoyagesetdéplacementsetunmodedeviebieninconfortable.
LESÉPOUSESSONTDESGESTIONNAIRES
Lemariestcertesjuridiquementlepremiergestionnairedesbiensducoupleet
de la famille en raison de l’incapacité juridique de l’épouse. Mais dans les
situationsdifficilesl’épousedoitprendrelerelaisdelagestionencecasellepeut
être épaulée, encadrée par des procureurs ou des intendants au service de son
mari. Cette situation se confirme lors du veuvage, l’épouse devant défendre
l’avenirdeses enfantsenincluant lesstratégiesmatrimoniales.Dans lescasles
plussimplesl’épouxpeutsigneruneprocurationàsafemmepourlesventesde
biens. Les procurations sont passées devant notaire et dans des conditions
strictes, c’est une forme de transfert juridique et économique de l’époux à sa
femme. La structure de la procuration est codifiée et la présence de témoins
indispensable.
LESÉPOUSESSONTAUSSIDESMÈRES
Devenirmèreétaitunimpérieuxdevoirdanslasociétéd’AncienRégime.Les
mentalités sont pétriesde craintes et d’angoisse face à la grossesse.Or le souci
lignagerestessentiel.Lamèreétaitresponsabledel’éducationdesaprogéniture.
Danscertainessituationsfamiliales,lesépousesdoiventdevenirtutricesdeleurs
enfants. À la cour, une mère de ministre se doit de faire fructifier les atouts
familiaux
CERTAINESDESÉPOUSESSONTDESFEMMESVIVANTÀLACOURDEVERSAILLES
Obtenir un logement à la cour, ne concerne que les familles dont le service
auprès du roi comporte des obligations particulières.. Dans certains cas le
ministrereçoit unlogementqui luipermet devivre surplaceavec sonépouse.
L’étude topographique des appartements ministériels a permis d’observer une
divisionsexuéedel’espace.Ladimensiondesappartementsestliéeàlaposition
hiérarchiqueduministre etde safamille.Le protocoledecour estcomposéde
diversescérémoniesetlesépousesdeministresdoiventseplierauxobligations.
Bon nombrede ces femmes sont issuesplutôt de la noblesse de Robeou de la
hautebourgeoisiefinancièreellesontledevoirdenouerquelquesrelationsàla
cour et des amitiés auprès des femmes de la noblesse d’épée. A cet effet la
pratiquedujeudesociétéestindispensable(jeuxdecartes,jeuxdehasardsans
oublierlesloteriesetlesjeuxdanslesjardins).
LESÉPOUSESSONTDESFEMMESAUSERVICEDELACOUR
Les familles de ministres doivent accepter une participation active au
quotidiencurialtantàMarlyqu’àVersailles.Ellesorganisentparfoisdesbalsde
grandeampleur.Ellesveillentàinviterdescourtisansmaisaussidesmembresde
lafamille royale. Desfemmes deministres peuventêtre conviées auxtables du
roi et aux soirées en appartements. Elles doivent aussi assumer des
responsabilités auprès des enfants royaux. Il est parfois question de faire la
layettedesprincesetprincessesàsavoirêtreresponsabledesvêtementsetdetout
lenécessairedutrousseaudel’enfantycomprisdesonmobilier
L
LESÉPOUSESSONTDESFEMMESPIEUSESETCHARITABLES
La spiritualité et les pratiques religieuses des épouses de ministres naissent
danslecontextesingulierdelaContre-réforme,sonfoisonnementthéologique,
sonintérêtpourlalecturedesPèresdel’Eglise,maisaussiuneardenteangoisse
eschatologique à propos de la question du Salut. L’héritage janséniste est très
marqué.Quellesétaientlessensibilitéspersonnellesdecesépousesdeministres?
Les couples dans les familles de ministres peuvent exercer conjointement les
œuvrescaritatives.Lesfemmesdoiventagirdeleurvivantafindebienpréparer
leur mort. Les inventaires après décès livrent les échos matériels de la foi
individuelle.Ilexistedesfondationsreconnuesparlespratiquestestamentaires.
Desdonsetdesrentespeuventêtreaccordésàdesparoisses,àdesmonastères.
Afin d’être guidéesdans les pratiques chrétiennes, certaines épousesont choisi
undirecteurdeconscience.Cederniermetsouventl’accentsurlanécessitédela
solitudeetdesretraites,surlesprières,commelelaissententendreleséchanges
de correspondance. D’autre part des femmes de ministres sont amenées à
prendreenchargelesmalades,lesenfantstrouvésetlespauvres.Ellesviennent
en aide à l’organisation prévue par certains ordres religieux. Les institutions
charitablesstructurentl’espaceurbainparleursconstructionsspécifiques.
Lesfemmessontexcluesdelasphèrepolitiqueetnepeuventaccéderàaucune
charge publique. De ce fait les épouses de ministres se sont engagées dans des
domaines particuliers pour y exercer des activités, des responsabilités. D’abord
dans la maternité et l’éducation de leurs enfants certes, mais aussi dans des
œuvres caritatives, sans omettre d’autres domaines comme l’hospitalité et
l’entretien de réseaux de sociabilité. Pendant le règne de Louis XIV, force est
d’observer que les épouses de ministres forment deux groupes sociologiques
différents,selonletypedenoblesseàlaquelleellessontrattachées.Lesministres
épousent le plussouvent des filles de la noblesse de robe, mais à lagénération
suivante, les fils survivanciers (c’est-à-dire dans la même charge) bénéficient
d’alliancessouventprestigieuses,avecdesmariagesauprèsdefillesdelanoblesse
d’épée.
Cf.PaulineFerrier-Viaud,Épousesdeministres.Unehistoiresocialedupouvoir
féminin au temps de Louis XIV, Paris, Champ Vallon, 2022. Le groupe étudié
comporte27femmesnéesentre1597et1689.
ENCADRÉN°3

LESPERSONNAGESFÉMININSDANSLETHÉÂTREDUXVII SIÈCLE E

TRAGÉDIES:CORNEILLEETRACINE
LeshéroïneschezCorneille:lagloire,l’honneuretl’amour
– Chimène(LeCid-1635): L’héroïnesedésespèreaprèslamortdesonpère
maisne peut s‘empêcherde continuerà aimer DonRodrigue, leCid. Son
devoir et son honneur l’obligent à aller demander vengeance au roi de
Castille.
– Camille et Sabine (Horace-1640) : Les sœurs d’Horace et de Curiace sont
descitoyennesromaines.L’affrontementdesfrèresestliéàlaraisond’État.
CamilleenmeurtetSabinesurvitauconflitfamilial.
– Émilie (Cinna ou la clémence d’Auguste-1641) : Elle est l’instigatrice de la
conjuration contre Auguste, et veut venger la mémoire de son père. La
conjurationestdécouverte;laclémencedel’empereurprovoquelerepentir
d’Émilie.
– Pauline(Polyeucte-1643):Elleestlafilledugouverneurd’Arménie,l’époux
quiluiaétédestinéestchrétien,ellel’admiretandisqu’ilvaaumartyreet
sonamours’accroît.
Les héroïnes chez Racine : l’amour et la passion, quels « mots » pour
dompterlessentiments?
– Andromaque (1667) : Des amours contrariés en chaîne. Andromaque et
Hermione face à Pyrrhus. Hermione s’appuie sur Oreste pour réaliser sa
vengeance
– Bérénice (1670) : Une longue élégie de Bérénice occupe toute la durée de
l’intriguecarl’héroïnesaitqu’ellen’épouserapasTitusmalgréleurpassion
réciproque
– Iphigénie (1674) : L’héroïne est sacrifiée aux volontés des dieux pour le
départdelaflottegrecque
– Phèdre(1677):Elleestl’épousedeThésée,ensonabsenceelles’estéprisede
sonbeau-filsHippolyte.Sapassionetsajalousiel’aveuglent.Hippolytequi
aimaitAricie,estmenéautrépas.Phèdreavouesonforfaitetsesuicide.
– Esther(1689):Unereinecourageusequidéfendsonpeuplecontreuntyran
– Athalie(1691):Unefemmetyrannique,veuveduroideJuda,aabandonné
lareligionjuiveetsuitlecultedeBaal.
COMÉDIES:MOLIÈRE
Femmes,mariage,belesprit,humour,raillerieetinsolence…
– Les Précieuses ridicules (1659) : Cathos et Madelon deux bourgeoises qui
veulentcopierle«beaulangage»desfemmesdessalons
– Tartuffe ou l’imposteur (1669) : La servante Dorine a une langue bien
pendueets’opposeàsonmaître
– Lemaladeimaginaire(1673):Toinette,servantes’adresseaveceffronterieet
insolenceàsonmaître
– LeBourgeoisgentilhomme(1670):Uneoppositionentreunebourgeoiseet
unemarquise.Uneservantequientientpourlebonsens!
– Lesfemmessavantes(1672):Henriette,ArmandeetBélise:faut-ilêtreune
femme docteure et grammairienne pour être une femme accomplie ?
Chrysale esquisse le portrait de la femme « ménagère » et maitresse de
maisonquireprésentesonidéal
– L’École des femmes (1663) : La candeur de la jeune Agnès éclate face à la
jalousied’Arnolphe
– Le Misanthrope (1666) : Célimène, femme spirituelle et volage, aime les
admirateurs,elleméprisel’amoursincèred’Alceste
NB : un développement à propos de ces personnages féminins est proposé
dans l’ouvrage de Marie-Joëlle Guillaume, Le Grand Siècle des femmes, Perrin,
2022,4epartie.
ENCADRÉN°4

LAFRÉQUENTATIONDESSALONSPARISIENSAUXVIII SIÈCLE E

Certaines femmes ouvrent des « bureaux d’esprit » dits plus tard « salons ».
Quivachezqui?Quelquesexemples:
Écrivains,scientiques,
philosophes
etartistes
Fontenelle Voltaire Montesquieu Rousseau

Nomdesfemmes
ouvrantunsalon
MmedeLambert X X

MmeGeoffrinnéeRodet X X X X
MmedeTencin X X

MmeduDeffand X X X X
JuliedeLespinasse

Écrivains,scientiques,
philosophes
etartistes
Diderot d’Alembert Marivaux Condorcet

Nomdesfemmes
ouvrantunsalon
MmedeLambert X
MmeGeoffrinnéeRodet X X X

MmedeTencin X
MmeduDeffand X X X

JuliedeLespinasse X X X X


ENCADRÉN°5

ENGAGEMENTSDEFEMMESDE1830À1914(ASSOCIATIONS,
PUBLICATIONS,CONGRÈS)

Autresévènements
Lessujetsconcernant
Congrésetréunions
Date Associations Publications l’instructiondesfilles
publiques
sontprécédésd’un*
(astérisque)
JournalLagazette  RévolutiondeJuillet
desfemmes etinstallation
1830
(d’obédience delamonarchie
saint-simonienne) deLouis-PhilippeIer.

Révoltedescanuts
àLyon(hommes
etfemmes).Et
1831
engagements
defemmesSaint-
simoniennes

Journal:Lafemme
libre-Apostolat
desfemmes.
1832
JeanneDeroin.
RomandeGeorge
Sand:Indiana

FloraTristan.Son *LoiGuizot-Écoles
livre primairespourfilles
autobiographique: etgarçons(accès
1833 Pérégrinations facultatif)ouvertes
d’uneParia danslescommunes
quienontlapossibilité
financière.

Journal: Nouvellerévolte
L’Athénée descanutsàLyon
desfemmes. (femmesethommes).
d’EugénieNiboyet Barricades-répression
1834 àLyon sanglante.Leslois
d’avrilrestreignent
d’avrilrestreignent
lalibertéd’association.
Mouvements
républicainsàParis

LaGazette
desfemmes-
1836 Journal
delégislation
etdejurisprudence

*PremièreÉcole
1838 normaledejeunes
filles

L’UnionOuvrièreinitiée FloraTristan
parFloraTristan rédigeuntexte
autobiographique
L’émancipation
1843
delafemme
ouleTestament
delaparia.Publié
en1844.

 JournalLavoix Délégation RévolutiondeFévrier


desfemmes desfemmesauprès -barricades-
d’EugénieNiboyet dugouvernement etproclamation
àParis.Journaux: provisoireenmars. dugouvernement
Latribune Créationdeclubs provisoire
desfemmes-La defemmes delaRépublique.En
Politique avril,ouverture
desfemmes d’ateliersnationaux
1848
(parDésiréeVeret pourlesfemmes.
etMarie-Reine Juillet-loisurlesclubs
Guinsdorf, féminins.Novembre-
accompagnées DeuxièmeRépublique
parSuzanne etConstitution
Voilquin). quiaccordelesuffrage
L’Opinion universelmasculin.
desfemmes.

Contratd’Union   *MariePape-
d’associationsparJeanne Carpantier,pédagogue
DeroinetPaulineRoland. transormelemodèle
des«sallesd’asile»
1849
1849
enécolematernelle
àParisetouvre
unefromationpour
lesmaîtresses.

   Arrestation
desdirigeantes
del’Union
d’associations(Deroin
etRoland).La
Républiquedécrète
1850 l’ouvertureobligatoire
d’Écolesdefillesdans
lescommunesdeplus
de800habitants-
Autredécision/Loi
Fallouxsurlaliberté
del’enseignement.

 Publication  2déc.Coupd’État-
del’Almanach Plébiscitepuis
desfemmes Rétablissement
parJeanneDeroin. del’Empirepar
DelphineGay NapoléonIIIen1852
1851 époused’Émile
deGirardinpublie
deschroniques
danslejournalLe
Tempsédité
parsonmari

  Début 
1855 desconférences
deMariaDeraismes

 LesuccèsdeJulie-  
VictoireDaubié
aubaccalauréat
1861
estrelayé
parlapresse
féministe

ElisaLemonnier,déjà ClémenceRoyer,  
militante,fondeuneécole féministetraduit
1862
professionnellepour l’œuvre
1862
professionnellepour l’œuvre
lesjeunesfillespauvres deDarwin.

   Condamnation
dutravaildesfemmes

parlasectionfrançaise
duCongrèsdeGenève
1864 delaIre Internationale.
EnFrancesuppression
duLivretouvrier
etproclamation
delaliberté
d’association.

   *LoiVictorDuruy
1867 surl’Enseignement
féminin.

FondationdelaLigue OuvragedePaule  
desfemmes,sociétépour Minck:L’ouvrière
1869 larevendicationdesdroits
civilsdelafemmeparLéon
RicheretMariaDeraismes.

Créationdel’Association OuvragedeJulie-  Guerrecontre


pourleDroitdesFemmes VictoireDaubié: lesPrussiens.
parLéonRicheretMaria Lafemmepauvre Abdication
Deraisme deNapoléonIII.
1870 Proclamation
delaRépublique-4
sept.Hiver1870/71
SiègedeParis
parlesPrussiens

FondationdeLaSociété OuvragedeLéon  Proclamation


del’ÉducationNouvelle Richer:L’avenir delaCommune
(mars).CréationduComité desfemmes deParisdemars
centraldel’Union àfinmai.Barricades-
desfemmespourladéfense Pensionspour
deParisetlessoins lesveuves
auxblessés(Élisabeth oucompagnes
DmitrieffetNathalie deGardesNationaux
Lemel).CréationduComité 18maiLaCommune
devigilancedesfemmes proclamel’égalité
deMontmartre(Sophie dessalaires
deMontmartre(Sophie
1871 Poirier)-Ouverturedeclubs desinstituteurs
defemmesdansplusieurs etdesinstitutrices.
quartiersdeParis.Création Écrasement
del’Associationpour desCommunards

l’émancipationprogressive parlegouvernement
desfemmes(JulieV. deThiers
Daubié) etdesVersaillais.
Arrestations,
jugements,exil.
Hommesetfemmes
(dontLouiseMichel)

FondationdelaSASF   Lois
(Sociétépourl’amélioration constitutionnelles
dusortdesfemmes) établissant
quiremplacel’Association laIIIe République
1875 pourleDroitdesfemmes; (amendement
HubertineAuclert Wallon).Première
yparticipe. femmereçueMédecin
parlafaculté,
MadeleineBrès

  LeCongrèsouvrier 
deParisproclame
1876 quelaplace
desfemmes
estaufoyer

  HubertineAuclert 
lanceunappelpublic
auxfemmes
1877
deFrancepour
qu’ellesrevendiquent
leursdroits

  Congrès Congrèsouvrier
International àLyondénonçant
duDroitdesFemmes lesconditions
1878 àParis(organisé detravaildesfemmes
parHubertine etl’usagedesmachines
Auclert) àcoudre.

  HubertineAuclert Fondation
faitvoterauCongrès d’unsyndicat
faitvoterauCongrès d’unsyndicat
1879 ouvrierdeMarseille enseignantpour
leprincipedel’égalité lesfemmes(Aline
dessexes. Valette)

L’Uniondesfemmes(groupe JournalLa  *CréationdesÉcoles


socialiste) Tribune normales
desfemmes. d’institutrices.Déc.
OuvragedeLouise LoiCamilleSée
Koppe:Lafemme surl’enseignement
danslafamille secondaireetleslycées
1880
etlasociété pourjeunesfilles.
*Électoratetéligibilité
desfemmesauConseil
supérieur
del’Instruction
publique

 Journal:La Desfemmes *LesloisdeJulesFerry


Citoyenne manifestent surl’écoleprimaire-
parHubertine publiquementàParis obligatoire,gratuite
Auclert. enrenversant etlaïque-*Création
desurnesaubureau del’ENS-Sèvres
devotepour (filles).Une
protesteretréclamer loiautoriselesfemmes
1881
ledroitdevote.Le14 mariéesàouvrir
juilletManifestation unLivretdeCaisse
defemmespour d’Épargnesans
célébrer autorisationdeleur
«l’Enterrement mari.
desDroits
desfemmes!»

FondationdelaLFDF   *Ouvertured’écoles
parLéonRicher maternellesetd’autre
partdespremiers
lycéespublics
1882 deJeunesfilles.
*PremièreFemme
reçueExterne
desHôpitauxdeParis.

L’AssociationduDroit   *Premièresfemmes
desFemmesdevient reçuesauxconcours
1883 «LeSuffragedesFemmes» del’Agrégation(deux
agrégationsspécifiques
pourlesfemmes)

   LoiWaleck-Rousseau
instaurantlaliberté
syndicale.LoiNaquet
rétablissantledivorce.
1884 D’autrepartl’État
autoriselesfemmes
às’affilieràunecaisse
deretraitesans
autorisationpréalable
deleurmari.

1886 CréationdelaSASFRD   

FondationdelaLigue Larevue  
InternationaledeFemmes scientifique
1888 etdel’UnionInternationale desfemmescréée
desFemmesparLouise parCélineRenouz
Michel

Fondationdel’UUF Publication Deuxcongrès 1 erMai-manifestation


deMaryseChéliga del’hebdomadaire defemmes avecuneforte
L’Esprit sedéroulentàParis participation
1889
desfemmes (avecMaria defemmes
parRenéeMarcil DeraismesetLéon
Richer)

Liguedel’Affranchissement   
1890 desfemmes(avecAstié
deVolsayre)

Fédérationfrançaise LeJournal  
desSociétésFéministes.La desfemmes
Solidaritédesfemmes parMariaMartin
1891
associationcréée
parEugéniePotonié
etPierreetMariaMartin

 Congrèsgénéral Premièreapparition
desSociétés duqualificatif
féministesenFrance «Féministe»dans
(Paris) lapressegénéraliste.
Loisurletravail:
interdictiondutravail
denuitpour
1892 lesfemmes.Loi
surlerepos
hebdomadaire

obligatoireetlerespect
desfêteslégales(après
influence
duchristianisme
social)

NaissancedelaLoge JournalL’Avant-  Loisurl’assistance


MaçonniqueMixte«Le Courrièrepar médicalegratuite
1893 droitHumain»deMaria JeanneSchmahl, auxfemmespauvres
Deraismes néeArcher etauxfemmes
encouche

CréationparHubertine   
AuclertdelaSociété
1894 desTuteurspouraider
financièrementlesfilles-
mères

   Grèvede108jours
desouvrièresdel’usine
decorsetsdeLimoges.
1895 Enmai,pétition
féministeenfaveur
delarecherche
enpaternité

AssociationLaSociété JournalLe Congrèsféministe 


duféminismechrétien Féminisme internationalàParis
1896
parMarieMaugeret chrétiendeMarie (avril)
Maugeret

 Naissance Congrèsféministe Droitaccordé


dujournalLa internationalàParis auxfemmes
Fronde (avril) detémoignerdans
deMarguerite lesactesnotariés
Durand.Les etcivils.
1897
journalistes
Séverine,Daniel
Lesueur,Marcelle
Tinayre
yparticipent.

AssociationUnion   Loisurlesconditions
nationalistefrançaisecontre detravail
le«périljuif»(NB: desemployées

1898 contextedel’Affaire demagasins;Droit


Dreyfus).CréationduGFEF devoteaccordé
(GroupeFrançaisd’Études auxFrançaisesdans
Féministes) lestribunaux
decommerce

   Naissancedusyndicat
desfemmes
sténodactylographes
1899 Naissancedusyndicat
desfemmestypotes.
ÉlectoratauConseil
supérieurdesfemmes

  Juin-Congrès *Droitaccordé
International auxfemmes
desœuvres des’inscrireàl’École
etinstitutions desBeaux-Arts
féminines.Sarah
Monod.Septembre-
1900 Congrès
International
delacondition
etdesdroits
desfemmes.Marie
PognonetMarguerite
Durand-Paris

Unionfraternelle AnnadeNoailles  
desFemmes(Marbel) publie«Lecœur
1901
CNFF-sectionfrançaise innombrable»
deCIF poésie

 Parution CongrèsduTravail Grèvedesraffineuses


duBulletin féminin(Savari) desucredel’entreprise
1902
duCNFF: LebaudyàParis
L’Actionféminine

   LoiEngerand
organisant
organisant
l’enseignement
delaDentelle.
Éligibilitédesfemmes
1903 auConseilsupérieur

duTravail.*Première
femmeDocteur
enSciencesPhysique:
MarieCurie,
néeSlodowska

 NaissanceduPrix CongrèsdeBerlin Actiondesféministes


littéraire«Vie etcréationde contreleCodeCivil
Heureuse»(futur l’Alliance (pour
prixFémina).Jury internationalepour les100ansdeCode
féminin lesuffrage napoléonien).
enréaction desfemmes. Commissioninstaurée
1904
àl’attitudedujury parlegouvernement
masculin pourréviserleCode
duGoncourt. civil(GhéniaAvril
LauréateduPrix deSainteCroix
VieHeureuse: estconsultée)
MyriamHarry

 Naissance  Admissiondesfemmes
dujournal danslescommissions
L’Entente communales
parOddo-Deflon. d’assistance.Grève
Roman desouvrières
1905
deMarcelle deLimoges.Droit
Tinayre:La accordéauxfemmes
Rebelle mariéesd’ester
enjustice.

 Publication Congrèsdel’Alliance Droitaccordé


del’hebdomadaire Internationalepour auxfemmesmariées
LaFrançaisepar lesuffrage degarderl’usufruit
JaneMisme desfemmes desbiens
desesenfantsmineurs.
*MarieCurietitulaire
d’unechaire
1906 àlaSorbonne(après
ledécèsdesonépoux)-
LeComité
LeComité
parlementaire
desdroitsdesfemmes
sedéclarefavorable
auvotemunicipal

desfemmes.

Fédérationféministe  CongrèsduTravail Loisurlalibre


universitairedeMarie fémininparl’OTF. dispositiondeleur
Guérin MargueriteDurand salairepour
lesfemmesmariées
(loipréparée
parlesrevendications
deJeanneSchmahl).
1907 *Ouverture
delapremièreÉcole
d’InfirmièresàParis
àLaSalpétrière.Droit
devoteaccordé
auxfemmes
auTribunal
desPrud’hommes

 JournalLa Congrès 
Suffragistepar International
1908 leDocteur desDroitscivils
Madeleine etduSuffrage
Pelletier desfemmes

UFSFavecJeanneSchmahl  LoiEngerand:
etJaneMisme.Liguecontre institutiond’uncongé
lecrimed’avortement (nonobligatoire)
(CNFF,Maried’Abbadie d’unmoisavant
d’Arrast).Liguenationaliste l’accouchement
1909 pourl’extensionauxfemmes etd’unmoisaprès.Le
dusuffrageuniversel(Nelly contratdelouage
Roussel) deservices
delafemmenepeut
êtrerompupendant
cettepériode.

 JudithGautier Congrèssuffragiste Congédematernité


àl’Académie dedeuxmoisàplein
Goncourt. traitementpour
Marguerite lesinstitutrices
Marguerite lesinstitutrices
Audouxreçoit
1910
leprixFémina
poursonroman:
Marie-Claire
(engrandepartie
autobiographique)

 Bulletindel’UFSF  FondationdelaLigue
d’Électeurspour
lesuffragedesfemmes
(LESF)parFerdinand
1911 BuissonetJustin
Godard.Loi
supprimantlapeine
demortpour
infanticide

   Loiinstituant
larecherche
1912
enpaternité
desenfantsnaturels

FondationduGroupe Publication Congrès CampagnedelaCGT


desFemmessocialistes deL’Équité- International pourlasemaine
(GFS) Journalcréé duCNFF detravails’arrêtant
parMarianne auvendredisoir
Rauze.Pauline etlesamedisera
Valmypublie «réservéauxfemmes
unroman pourleménage»(sic).
surunsujet LoiStrauss:repos
desociété: facultatifdequatre
1913 Lachasse semainesavant
àl’amour l’accouchement
etobligatoiredequatre
semainesaprèsavec
indemnités.Affaire
Couriau(femmedans
lemétier
detypographe
etconflitsyndical)

Mortd’HubertineAuclert  MeetingduCNFF 28juinAttentat


(avril)Liguenationalepour Meetingenfaveur deSarajevo-27juillet
levotedesFemmes(LNVF) dusuffrageuniversel Manifestation
levotedesFemmes(LNVF) dusuffrageuniversel Manifestation
crééeparJudithDucret- féminin(CNFF, syndicalistecontre
Metsu. UFSFetLFDF)- laguerre.Août-
Manifestation CréationdeOCAMI.
suffragiste ٧août:Appel

deMadeleine duministreViviani
Pelletier25août: auxfemmes
Appelpatriotique françaisesafin
duCNFF d’assurerletravail
1914
etdel’UFSF àlaplacedeshommes
etduquotidien«Le mobilisésaufront
Journal».En
maiunvoteblanc
estorganisépar«Le
Journal»
surlesuffrage
féminin.5juillet
Manifestation
suffragiste
ethommage
àCondorcetàParis
ENCADRÉN°6

FEMMESETALLÉGORIESDELARÉPUBLIQUEDE1789À1914
Larépubliqueestunrégimetoutnouveau,quinaîtdanslaviolenceàlafinde
l’AncienRégime.LaDéclarationdesDroitsdel’Hommeetducitoyendu26août
1789 met en place des principes « liberté, égalité ou la mort » et plus tard
«liberté,égalité,fraternité»aveclaConstitutiondelapremièreRépubliqueen
septembre1792.
La rupture est totale avec l’iconographie de la monarchie absolue, qui ne
prenaitencomptequelesseulsfaitsetgestesduroi.
Que voulait-on représenter avec la notion de « république » ? Les points de
repèreétaientsoitceuxdelarépubliqueromainedel’antiquitésoitl’imagedela
RépubliquedeVenise,la« Sérénissime», soitencorecelledesProvincesUnies
auxPaysBas,oubienlarépubliquedeGenève,hautlieudelaréformecalviniste
et des institutions qui y étaient liées. L’iconographie comme la devise d’une
Républiquesymbolisentlesvaleursquiunissentlapopulationdelapatrie.
EnFrance,laRépubliques’estinstalléeentrele10août1792,proclamationde
la déchéance du roi Louis XVI et le 21 septembre 1792, la victoire contre la
coalitionaustro-prussienneàValmy.Enquittantbrutalementunemonarchiede
droit divin, comment l’image de la République, et son pouvoir collégial se
mettent-ilsenplace?Dansunpremiertempsdesimagesfigurentla«Liberté»
parfoisavecuncostumeinspirédel’antiquitéromaine.Cettelibertéestcasquée
et elle tient une épée et un bouclier, signe de l’hostilité qui accompagne sa
naissance. Dans d’autres cas, des tableaux représentent une république
symbolisée par une femme portant un costume d’inspiration romaine, coiffée
d’un bonnet phrygien,attribut des esclaves affranchis de l’Empire romain.Elle
est armée d’une pique et pose la main sur un faisceau d’armes qui ressemble
beaucoup à celui des Licteurs de la république romaine qui escortent les
magistrats romains. Il arrive que la représentation de la Liberté soit associée à
cellesdelaVéritéetdel’Abondance.
Le coup d’État du 18 Brumaire vide cette symbolique de son sens ;
l’iconographie révolutionnaire est maintenue malgré la disparition des libertés.
La naissance de l’Empire lui porte un coup fatal.La dame au bonnet phrygien
disparaîtauprofitdumonogrammeNentouréd’unecouronnedelauriersd’or,
symbole du pouvoir personnel de Napoléon. L’égalité et la fraternité
disparaissentauprofitdel’abeille,symboledel’effortexigédelapopulation.
Leretourdelamonarchieen1815aboutitausoulèvementde1830.Bienque
de nombreux républicains y aient participé, une royauté constitutionnelle est
issuedecetterévolte.MaisDelacroixdanssonmagnifique«LaLibertéguidantle
peuple» placeenpremier l’allégoriefémininecoifféedubonnetphrygienchère
aux républicains de 1789. Elle brandit un drapeau tricolore, nouvel emblème
nationaletporteunebaïonnetteaupoing.Lescombattantsquil’entourentsont
desartisans,despetitscommerçants,desétudiants,etdenombreuxouvriers.
D’une révolution, l’autre : nouveau soulèvement en 1848 beaucoup plus
violent. Cette fois la province suit le mouvement parisien. Les journaux
républicains contribuent au désir de Liberté et de République. Hippolyte
Flandrin peint plusieurs tableaux dans un style néo-classique. L’un figure la
Fraternitésouslestraitsd’unefemmedéboutsurunsoclequisembleémergerde
la surface arrondie de la terre. Elle est vêtue d’une longue tunique blanche à
l’antique,le personnagebrandit un rameaud’olivier dela main droiteet, dela
main gauche, elle tient une hampe surmontée d’un grand drapeau tricolore
flottantauventainsiqu’unbouclierornéd’unsoleil.Elleposesonavant-brassur
un faisceau de licteurs. Peu avare de symboles, le peintre l’a gratifiée de deux
grandes ailes au plumage blanc nacré. La femme écrase sous ses pieds nus un
serpent.Faut-ilvoiruneallusionàlaViergeMariedécritedansl’Apocalypsede
saintJean(Chapitre12)?Certainsontfaitcerapprochement.D’autresartistesde
1848 : Jules-Claude Ziegler, toujours la femme vêtue à l’antique munie de
grandes ailes blanches. Mais cette fois un lion (dompté, bien sûr) remplace le
serpent et l’attirailguerrier est remplacé par la gerbe del’abondance. Mais elle
porte une couronne de feuilles de chêne, réminiscence de ses victoires sur ses
ennemis.HonoréDaumierlui-mêmeselivraàl’exercice.IlnouslivrelaLiberté
sous la forme d’une matrone assise à la poitrine puissante qui nourrit deux
bambinsnus.Àsespiedsunautreenfantestabsorbédanslalectured’unlivre,
symbole de l’accès à l’éducation. Pour que nul ne se trompe sur le caractère
républicain decette représentation, le personnagecentral empoigne le drapeau
tricoloredanssamaindroite.
Les sculpteurs ne furent pas en reste. Comme leurs camarades peintres, ils
bénéficièrent de commandes de l’État. La République de l’artiste Jean-François
Soitouxprésenteunefemmedeboutvêtueàl’antiqued’unelonguetunique,elle
estcouronnéederameauxdechêne.Elletientàdroitel’épée,lapointeverslesol
et à gauche elle prend appui sur un faisceau de licteurs. Lors d’un concours
organisé en 1848 par la deuxième République, la statue de bronze réalisée par
AlbertBarreobtintledeuxièmeprix.Cetterépubliqueétaitauréoléedesrayons
solaires (symbole de l’apport des Lumières), elle s’appuie sur un faisceau de
licteursetdel’autrecôtésamaintendueverslesolmontreuneruched’abeilles
poséesurtroisvolumes,surchacunestinscritundesmotsdeladevise«Liberté,
Égalité,Fraternité».CettestatueestconservéeàParis,auSénat.
Parlasuite,autourdescélébrationsducentenairedelaRévolutionen1889,les
commandesd’ÉtatsemultiplientdansdiversesvillesdeFrance,desstatues,des
bustes. À Paris, sur la place de la République est érigée la haute statue de la
république réalisée par Léopold et François Morice (commande de 1883).
Debout,la République brandit unrameau de laurier,elle est coifféedu bonnet
phrygien rehaussé d’une couronne de feuillage de chêne. Elle s’appuie sur un
bouclier.Lesoclecomported’autresallégoriesféminines(lesvilles)etunlionde
bronze. Sur la place de la Nation, Jules Dalou a exécuté « Le Triomphe de la
république » (1889). La femme figurée debout est dans l’attitude de la marche
apparente,ellefouleunglobeterrestreposésurunsoclereprésentantunattelage
tiré par un lion, entouré de personnages allégoriques. Cette image de la
république triomphante est coiffée du bonnet phrygien. Elle maintient un
faisceaudelicteurdesamaingauche.
Lemuséeàl’intérieurduSénatcomporteuneimportantecollectiondebustes,
statuettes et médailles figurant la république dont certains sont des objets
populairesenboiscoloré,sansoublierlesassiettesdefaïencecommémoratives.
Quantauxpiècesdemonnaie,lesouvenirs’estconservéfortlongtempsdansle
Franc depuis la figuration de la semeuse, gravée sur le motif d’Oscar Roty en
1909. Cette femme tient la besace habituellement dévolue au semeur (rôle
masculintraditionnel).Elleestcoifféed’unbonnetphrygiendonts’échappentde
longscheveux.Soncostumeesttoujoursundrapéàl’antique.Àl’arrière-plandu
champselèveunsoleilrayonnant.C’estlevisagedelasemeusequifutrepriset
réinterprété fort longtemps sur les timbres-poste de diverses périodes. Une
MariannespécifiquefutdessinéelorsdubicentenairedelaRévolutionen1989.
Ilexisted’autresallégoriesdelaMarianneoudelaRépubliquemaisdansun
contexte de représentations caricaturales dans la presse, sur des affiches. Cet
usage est attesté dès l’époque de la Commune de 1871 : la Commune et la
pétroleusesontconfondues.Ellesontlevisaged’unefemmeaubonnetphrygien
auvisagedehainequitientunarrosoirdepétroleetunetorchepourmettrele
feuparvengeanceauxbâtimentsdeParis.Dès1873danslejournalsatirique«Le
Grelot»,ledessinateurmetenscènedeuxrépubliquesquis’opposent:l’uneest
figuréecommeunefemmepaysannedontleprofilestceluiduministreThiers,
l’autreestunefemmeàlajuperougemarquée1793,cheveuxauvent,elleporte
unearme.Lesdeuxs’affrontent,faceàface.
Après la Libération en 1944, se multiplièrent des images de la république
renaissantedesescendres,etlorsdelacélébrationducentenairedelaloideJules
Ferry sur l’école gratuite, laïque et obligatoire, des affiches de la République
circulèrentdontcelledessinéeparJeanEiffel.
ENCADRÉN°7

NOMETIDENTITÉDESFEMMESMARIÉESENFRANCEAUDÉBUT
DUXXI SIÈCLEETNOMDELEURSENFANTS
E

RAPPEL-L’ÂGELÉGALDUMARIAGEENFRANCESELONLECODECIVIL
En2005,l’âgeminimumlégalpourautoriserlemariagedesjeunesfemmesest
passéde15à18ans.DansleCodecivilnapoléonien,envigueurdepuis1804,l’âge
minimumdumariageétaitde18ansrévoluspourleshommesmaisdetroisans
plusjeunepourlesfemmes.
UNEFEMMEMARIÉEFACEÀLAQUESTIONDELAPRÉSERVATIONDUNOMDENAISSANCEOU
«NOMDEJEUNEFILLE»(FORMULATIONANCIENNEDEVENUECADUQUE)
Ensemariant,unefemmeconservesonnomdefamille:nomquifiguresur
l’actedenaissance(appeléaussinomdenaissanceounompatronymique).
Ellen’aaucunedémarcheàfaire.
Toutefois,lemariagepermetàchaqueépouxd’utiliserlenomdel’autreépoux
ouundouble-nom:ils’agitd’un«nomd’usage».Cettedémarcheestvolontaire.
Cenomestfacultatif.
Dans tous les cas, chaque époux conserve le nom inscrit sur son acte de
naissance(nomdefamille).Cenomrestetoujoursinscritsursespapiers(carte
nationaled’identité,passeport,permisdeconduire…).
LESENFANTSETLENOMDEFAMILLE
La loi relative à la dévolution du nom de famille est une loi française
promulguéele18juin2003,disposantqu’unenfantnéaprèsle1erjanvier2005
peutportersoitlenomdupèrecommeauparavantdepuislaloidu6fructidor
AnII (23 août1794, sousla Convention),soit le nomde lamère soit lesdeux
dansl’ordrechoisipareux.
Pourlesenfantsnésavantle1er janvier2005,laloin’apasmodifiélesrègles
jusque-làapplicables,àsavoirquel’enfantporte:
– lenomdesonpère,lorsquelesparentssontmariés;
– le nom de celui qui a reconnu l’enfant en premier dans les autres cas, ou
bienlenomdupèresilesparentsl’ontreconnuenmêmetemps.
Toutefois,ilestpermis,àtitred’usage,d’ajouterlenomdusecondparent(cf.
CodeCivil(sectionIV-article43/versiondu1/07/1986abrogéeparlaloidu2
mars2002).
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comporte en grande majorité des autrices françaises mais aussi quelques
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Belin. Les articles ne concernent pas que la France. Ils sont accessibles en
versionnumériséeviaCairn.Quelquesnumérosdont:-1|1995Résistanceset
LibérationsFrance1940-1945-13|2001
Intellectuelles-15|2002Chrétiennes-21|2005Maternités-29|2009
68, révolutions dans le genre ? -38 | 2013 Ouvrières, ouvriers -45 | 2017 Le
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universeldescréatrices,Paris,Leséditionsdesfemmes,2013,3vol.(disponible
aussiene-booketversionnumérique).
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JulieLeGacetFabriceVirgili(ouvragecollectif),L’EuropedesFemmes,XVIIIe-
XXIesiècle,RecueilpourunehistoiredugenreenVO,Paris,Perrin,2017.Choix
detextestraduitsetcommentés.
FlorenceRochefort,Histoiremondialedesféminismes,Paris,PUF,coll.Quesais-
je?,2022,2eédition(révisée).
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Bibliothèque Nationale de France
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5844439h
NB:aprèslaremisedenotremanuscritennovembre2022,nousavonsconsulté
desouvragesparusàlafindel’année.
Pascal Picq, Comment la modernité ostracisa les femmes. Histoire d’un combat
anthropologique sans fin, Paris, éd. Odile Jacob, 2022. L’auteur
paléoanthropologue interroge le passé proche et familier de la modernité
depuisleXVIe siècle.
Séverine, L’insurgée,choix des textes de la journaliste (1855-1929), présentation
par Paul Couturiau, et textes commentéspar Laurence Ducoussau-Lacaze et
Sophie Muscianese, Montreuil, éd. L’Échappée, collection Lampe-Tempête
dirigéeparJacquesBaujard,2022.
SITOGRAPHIE
Archives du féminisme – Université d’Angers est une association loi de 1901
fondée en 2000 par l’historienne Christine Bard et ayant pour objectif
principal de préserver les sources de l’histoire des féminismes. La collection
associée Archives du féminisme, publiée par les Presses universitaires de
Rennes, favorise la diffusion de travaux de recherche portant sur les
mouvementsd’émancipationdesfemmes.
www.archivesdufeminisme.fr
Mnémosyneestuneassociationpourledéveloppementdel’histoiredesfemmes
et du genre, créée en 2000 à l’initiative de la revue Clio. Femmes, genre,
histoire.www.mnemosyne.asso.fr
Centre Hubertine Auclert, géré par la région Île-de-France, présente des
ressources directement accessibles sur l’égalité femmes-hommes et à usage
généraletpédagogiquesurlesviolencesfaitesauxfillesetauxfemmes,surle
cybersexisme.Il propose aussides formations pour lespersonnels concernés
enÎle-de-France.https://www.iledefrance.fr/centre-hubertine-auclert
LaClef-Coordinationfrançaisedulobbyeuropéendesfemmes(associationcréée
en1991).https://www.clef-femmes.fr
Association FDFA. Femmes pour le dire, femmes pour agir. Son projet est de
promouvoirlaplacedesfemmeshandicapéesdanslasociétéetdeluttercontre
lesviolencesetlesmaltraitances.https://www.fdfa.fr
Association REFH (Réussir l’égalité Femmes-Hommes) www.reussirlegalitefh.fr
intervientet/ouaccompagnelesprofesseursdanslesétablissementsscolaires.
Elleproposedesaidessurl’histoiredesfemmes,Elleprésentedesinformations
surlaconventionCEDAW(ONU–ratifiéeparlaFranceen1983)auprèsdes
professeur.e.s.
BIBLIOTHÈQUESPÉCIALISÉE
Bibliothèque Marguerite Durand, Histoire des femmes et féminisme,
79 Rue Nationale, 75013 Paris (dans les locaux de la médiathèque J.-
P. Melville). Consultation sur place, et documents numérisés. Catalogue
disponible sur http://bibliotheques-specialisees.paris.fr et contact
bmd@paris.fr
TABLEDESMATIÈRES

CHAPITREPRÉLIMINAIRE.LELEGSDUMOYENÂGE
DES FEMMES SOUVENT«INVISIBILISÉES»
GenevièvenéeàNanterre
BlanchedeCastillereineetrégente
MargueritePorète:dubéguinageaubûcher
Jeanned’Arcprophétesserebelle
ChristinedePisanveuveetécrivainedetalent
Femmesdanslamémoirenationale:desmanuscritsàl’imprimerie

CHAPITRE1.LAPLACEDESFEMMESDANSLASOCIÉTÉDELARENAISSANCE
MISOGYNIEORDINAIREETÉMERGENCEDE«FEMMESFORTES»
L’éducationd’unemèrecultivéeaimantlesarts:leventd’ItaliesouffleenSavoie
Unesociétéhétérogènemalgrél’imagedes«troisordres»
Femmessoumises:dumonderuralaumondeurbain
Vivreauvillageaurythmedessaisonsetdesfêtesreligieuses
Persécuterlesfemmes.Rechercherlessorcières!
Lesfemmesdanslemondeurbain:travail,sociabilité
Lesélitesurbaines
Fillesetfemmesautravailenville:quelsmétiers?
Quelquesfemmesexercentdanslesmétiersdel’imprimerie-librairie
Lesfemmesdelanoblesseaccompagnentlacouritinérante
Tensionspolitiquesetguerresdereligion.AutourdeCatherinedeMédicisetdesesfils
HenrideNavarre,filsdeJeanned’Albret
Italianisationet«féminisation»delacouretdesesusages
Deuxrégentesfaceauxcrisesduroyaume
«LaMargueritedesmarguerites»humanisteetécrivainenéeàAngoulême
Femmescultivéesmécènesouérudites
Jeanned’Albret:actricetenacedupartiréformé

CHAPITRE2.LESFEMMESAUXVIIE SIÈCLE
DUBAROQUEÀL’ÂGECLASSIQUE.OSERPENSER,OSERAGIR,OSERÉCRIRE!
Unsiècledefeu,deguerres,degloire,d’hégémoniefrançaiseenEurope
Anned’Autrichedevientrégente
Mars1661etlerègnepersonneldeLouisXIV.L’absolutismeseprofile
Femmes,hospicesetencadrementdespopulationsprécaires
«Femmesdangereuses»,femmesexclues:desprostituéesauxmystiques
Statutjuridiquedesfemmes:mariage,dot,héritage
Disposerdesoncorps.Lesfemmesfaceauxconnaissancesdesmédecins.Obstétrique,maternité,
surmortalité
Lamaternitésubie,lamortalitédesfemmes
Accèsdesfemmesausavoir:discrimination,difficultésetexceptions
Accèsaupouvoir:femmesécrivainesetrebelles
L’artdelaconversationetdel’écoute
Endehorsdessalons,desfemmeséditricesetjournalistessont-ellesconnuesàcetteépoque?
Desfemmesdepouvoir:politique,mécénat,institutionsreligieuses
L’Égliseconfiecertainesresponsabilitéscaritativesàquelquesfemmesdel’élite
Accéderàlacréationetauxarts
«Couvrezceseinquejenesauraisvoir!»TartuffefaceàDorine

CHAPITRE3.LESFEMMESAUXVIII ESIÈCLE:LETEMPSDESREMISESENQUESTION
LES«LUMIÈRES»ETLERENDEZ-VOUSMANQUÉAVECLESFEMMES.LARÉVOLUTION
DE1789,RUPTURESETESPOIRS
L’automnedelasociétédestroisordres:premièresfissures
1774–LouisXVIdevientroi.SonépouselajeuneMarie-Antoinetten’aaucuneexpérience
politique
Lequotidiendesfemmes:interdépendanceville-campagne
Femmeset«bureauxd’esprit»:deslieuxmixtesdeconvivialitéetderéflexion
L’amourduthéâtreetdel’opéra
Lessalons:desateliersd’écriturescroiséesetdelecturespubliques
Correspondancesfémininesetintrigues
Dessalonspolitiquesàlaveillede
Femmes,enfants,éducation,dansunroyaumede28millionsd’habitants
Desfemmesd’exceptionaccèdentauxconnaissancesscientifiquesauprixdebiendesobstacles
Desfemmesmécènesauxcheffesd’entreprisesetaux«journalistes»
Àlaveillede1789etdelaréuniondesÉtatsgénéraux
FemmesartistesauXVIIIe:quelquesopportunités
LesÉtatsgénérauxetlesrevendicationsdesfemmes
Lesfemmesdanslatourmenteetl’instabilitépolitique,économique,militaire
LesfemmesdelaContre-Révolution
Trois«féministes»implicitesaucœurrépublicain
Larupturede1789/1799:conséquencesetespoirsdéçus

CHAPITRE4.LESFEMMESAUXIX ESIÈCLE
DUCODECIVILNAPOLÉONIEN(1804)JUSQU’ÀLAVEILLEDELAGUERREDE
Naissancedel’espritromantique
Louise-GermainedeStaël:uneopposanteaudespotismepolitiquedeNapoléon
GeorgeSand,nomdeplumed’AuroreDupindeFrancueil:écritureetémancipation
Lesfemmes,laRévolutiondejuillet1830etlesaint-simonisme
Deschangementsdanslasociété.Laplacedesfemmesdanslemondedutravail
LeschangementsissusdelaRévolutiondefévrier1848.LesfemmesetlaDeuxièmeRépublique.
L’Éveildesassociationsetdelapresseféminine
Aprèslecoupd’ÉtatdeNapoléonendécembre1851,desouvragesdefemmessontpubliéssur
l’éducationetl’égalitédessexes
Autourd’AndréLéo,deJulie-VictoireDaubiéetdeMariaDeraismes
DesfemmesengagéesdanslaCommuneinsurrectionnelledeParis.Marsàmai
Lesfemmesde1871:desbarricadesàlarépressionetàladéportation.LouiseMicheletles
militantes
1878:uncongrèssurledroitdesfemmes
HubertineAuclertmilitantepersévéranteetacharnéedesdroitsdesfemmes
MargueriteDurandetlapresseféministe,lejournalLaFronde
Séverine,unejournalisteféministeforméeàlapresseparJulesVallès
JeanneSchmahletlecombatpourl’émancipationéconomiquedesfemmesmariées
Uncourantféministesousinfluencecatholique
SarahMonodetJulieSiegfried:desféministesdanslecadreprotestant
Desfemmesdansuncourantsocialiste:MadeleinePelletieretGabrielleDuchêne
Avril1915,lecongrèsdeLaHayeetlesespoirsdesfemmespacifistes
Femmesetcourantdelaïcisationautourdel’éducation.LadéterminationdeJulesFerryetde
CamilleSée
Des«sallesd’asile»auxpremièresécolesmaternellespubliques.LesinnovationsdeMariePape-
Carpantier,pédagogue
Enjeuxautourdescongrégationséducativesetpréparationdelaloide1905relativeàlaséparation
del’ÉtatetdesÉglises
Desréformesautourdel’enseignementartistiqueetdel’accèsdesfemmes

CHAPITRE5.LESFEMMESDE1914À1939–HÉROÏNESINVISIBLES?
PREMIÈREGUERREMONDIALEETPARADOXESDURETOURÀLAPAIX
Desinitiativestransnationalesdefemmespacifistes
Été14:discoursdeVivianiauxfemmespourladéfensedelapatrie
Lequotidiendesfemmes14-18:dudéfiéconomiqueàl’héroïsmesilencieux
Femmesmobiliséespourlaproductionindustrielle
Quelestletravaildes«munitionnettes»?
Femmesinfirmières:les«angesblancs»
L’aideauxpopulationsciviles:lesAméricainesduCARD
Femmeschirurgiennesetactionssurlefront
Desinfirmièresdechoc,maissouventsansdiplômes
Femmesdel’ombre:résistantesetespionnes.Aiderlesalliés
Lesfemmesàl’époquedesAnnéesfolles:selibérerdescontraintes
Lesfemmesdanslemondedutravail:diversificationdesemplois
L’évolutiondesmœurs,«lagarçonne»(1922),l’androgynie
Lacriseéconomiquedesannéestrenteetsonimpactsurletravaildesfemmes
Famille,démographie,mariage,avortementet«loisscélérates»
Lesfemmesetlemondepolitique
Lesfemmesdanslesartsetlalittérature
CHAPITRE6.LESFEMMESDE1939À1974
FEMMESCITOYENNES«SANSCITOYENNETÉ»DANSLAGUERRE.DELARÉSISTANCEÀ
L’ACCÈSAUDROITDEVOTE.L’ÉMANCIPATIONDUCORPSETLACONTRACEPTION
Êtrefemmesousl’OccupationetlegouvernementdeVichy
Lapersécutiondesfemmesjuives
DesfemmesdanslaRésistance/LaFranceLibreetLondres
Lavieculturellesousl’Occupation.Lespersonnagesfémininsvusparlecinémaetlethéâtre
L’accèsdesfemmesaupouvoir–ledroitdevote
PendantlesdébutsdesTrenteGlorieusesunlivrequiproposedelibérerlescorps:Simonede
Beauvoiren1949LeDeuxièmeSexe
Lamédiatisationdelaquestionducontrôledesnaissancesetdel’avortement
«Versunematernitédésiréeetcontrôlée»
Lesfemmesveulenttenterdeconcilierviefamilialeetvieprofessionnelle
Lesfillesdu«Baby-boom»
Leprintempsdemai1968:espoirmaisdéceptionpourlesfemmes
SimoneVeiletlaloide

CHAPITRE7.LESFEMMESDE1975ÀNOSJOURS
LALUTTECONTRELESVIOLENCESETLADIFFUSIOND’UNECULTUREFÉMINISTEPAR
LESMEDIAS.LESFEMMESDANSLAVIEPUBLIQUE
Unrapportdel’INSEEetunbilan
Lesmédiasetlesfemmes
L’institutionnalisationduféminisme:1981–FrançoisMitterrandprésidentetrôledelaministre
YvetteRoudy
Le«ManifestedesDixpourlaparité»lespremièresétapes
Verslaparitéhommes-femmeslaloide2000etsessuites
Desfemmescandidatesàl’électionprésidentielle1974-2007:pourquoipas!
Commentlegouvernementsocialistea-t-ilfaitévoluerlaparité?
Lemouvementféministedesannées
Lesfracturesaprès2000,lescontroverses
1989-2004.Del’affairedu«voile»aucollègeàlaquestiondu«foulard»dansl’islam
Qu’enest-ildes«nouveaux»féminismesdepuisladécennie2010?
LaconstitutiondelaVeRépubliqueetl’espoirdel’inscriptiondudroitàl’avortementdanslaloi

CONCLUSION.DUPASSÉAUPRÉSENT.ITINÉRANCES…
ANNEXES
Encadrén°1.Calendrieragro-liturgiqueetrythmesdevie
Encadrén°2.LaviequotidienneetlesobligationsdesépousesdeministressousLouisXIV
Encadrén°3.Lespersonnagesfémininsdanslethéâtreduxviiesiècle
Encadrén°4.Lafréquentationdessalonsparisiensauxviiie siècle
Encadrén°5.Engagementsdefemmesde1830à1914(associations,publications,congrès)
Encadrén°6.FemmesetallégoriesdelaRépubliquede1789à
Encadrén°7.NometidentitédesfemmesmariéesenFranceaudébutduxxie siècle
etnomdeleursenfants

BIBLIOGRAPHIE

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