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Je l’ai revu une seule fois, peu après son arrestation.

Le voir aussi
démuni m’a fait culpabiliser. Puis je me suis rappelé que c’étaient ses
propres erreurs qui l’avaient amené là.
— Si j’en suis capable, je vais essayer de te pardonner, lui ai-je dit
calmement. Mais je pense que ça prendra du temps.
Il n’a rien répondu. Je crois avoir vu du regret dans ses yeux, mais je
n’en suis pas certaine. Il est temps de faire le deuil de ce père imaginaire
que je fantasmais. Le mien ne sera jamais comme ça, et je dois l’accepter et
passer à autre chose.
Bref. Tout ça pour dire que Levi, contrairement à moi, n’a pas tenu sa
promesse. C’est pourquoi j’ignore son premier appel puis le second tandis
que je me balade dans Venise. Il n’y a pas beaucoup de monde dans les rues
ces derniers temps. Les touristes ne viennent jamais ici à cette période, tout
simplement parce qu’il pleut et vente la plupart du temps.
Mais aujourd’hui, l’air est étrangement doux. Je ne porte qu’un pantalon
et une veste par-dessus un top à manches longues. Je me pose sur les
marches du Ponte del Parucheta et sors mon carnet à dessins.
Depuis que je me suis mis en tête de postuler à la NABA (Nuova
Accademia di belle arti), à Milan, je ne m’arrête plus de peindre. Mais ce
matin, c’est au crayon à papier que j’esquisse le paysage des gondoles vides
sur ma feuille blanche. Peu à peu, je réussis à dessiner autre chose que des
auto-portraits. Comme si j’avais eu un déclic.
Le moment me détend jusqu’à ce que mon portable sonne encore une
fois. Je grogne dans ma barbe et décide de décrocher.
— Qu’est-ce que tu veux ?
— Bien le bonjour à toi aussi, amore mio.
Quel salopard. Il utilise toujours ces mots en italien quand je suis
énervée. Il sait ce qu’ils suscitent en moi, j’en suis persuadée. Quand c’est
lui qui est énervé, il m’appelle Bambina – parce qu’il sait que je déteste ça.
— J’aimerais beaucoup passer l’heure qui suit à tenter de savoir
pourquoi tu me fais la tête, mais je n’ai pas tout ce temps, dit-il d’un ton
moqueur. Qu’est-ce que tu fais de beau ?
— Je joue aux fléchettes sur une photo de toi.
— C’est faux, tu n’as aucune photo de moi. Moi, en revanche… j’en ai
de toi. Et de très belles.
Je fusille le vide du regard. Je me souviens soudain de nos nuits à la fois
tendres et sauvages, dans notre chambre du Caesar’s Palace. J’ai
l’impression que c’était il y a une éternité.
Depuis, nous avons couché ensemble via Skype, comme Li Mei et
Lucky nous l’ont si vivement conseillé – et c’était génial… vraiment génial
–, mais rien de comparable à ce que nous avions. La vérité… c’est que,
chaque jour, je crains qu’il ne m’oublie et ne se lasse.
— Il suffit de taper ton nom sur Google, tu sais.
— Je vois. Tu t’amuses, donc. Super.
— Pourquoi tu m’appelles, Levi ?
Il ne répond pas tout de suite. Puis sa voix prend un ton de reproche
quand il soupire :
— Tu m’as menti.
Je me raidis, sur mes gardes.
— Moi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?
— Tu m’as dit qu’il faisait beau, en Italie. C’est faux.
Quel culot. Est-ce pour cela qu’il évite de venir me voir ? Vraiment ?
Je réplique avec passion, les joues brûlantes :
— Alors ne viens pas, s’il ne fait pas beau !
Je l’entends ricaner à l’autre bout du fil. Puis sa voix me semble soudain
double tandis qu’il dit :
— Trop tard.
Quelqu’un s’assied tout à coup à côté de moi sur les marches et
j’écarquille les yeux en découvrant Levi, son téléphone plaqué contre son

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