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Robe rouge et tournesol

La nostalgie n’est que le rêve éveillé de nos aspirations passées.

Je l’ai compris à force de revenir ici. Mais « nostalgie » est un bien trop joli mot. Car derrière ce nom
empreint de joie passée se cache la cruelle réalité du regret et de l’autodestruction. La nostalgie n’est
qu’un biais au travers duquel nos souvenirs heureux reviennent inlassablement nous hanter. Faisant
ainsi de notre passé une prison, un cercle sans fin dont il est difficile de s’échapper. A quoi bon
avancer si c’est pour toujours revenir au même point ?

***

C’est ce que j’aurais pu dire si j’étais resté cloîtré dans ma chambre à me morfondre sur mon propre
sort. Enfin… et si elle n’était pas là aussi. Elle est bizarre. C’est grâce à elle que je vais bien, que je
trouve la force d’avancer. Je crois qu’elle est radioactive, et je suis contaminé : elle irradie ma vie de
bonheur. Et je me pers dans ses yeux d’un ambre puissants et profonds. Elle a ce regard qui vous
transperce et vous réchauffe à la fois. Sa peau est de nacre et ses cheveux, légèrement terni par l’air
marin, sont d’un joli châtain matinal. J’ai le sentiment que rien ne m’est impossible quand elle est là,
c’est dingue. Oui, je suis mielleux. C’est atroce, je sais. Mais que voulez-vous : on a tous une
personne pour qui on serait prêt à tout sacrifier juste pour la voir sourire ? Nan ? C’est peut-être moi
qui suis bizarre en fait…

***

Mais pourquoi je vous parle de tout ça moi déjà ? Ah oui, c’est vrai… juste parce qu’elle est là, à côté
de moi, toujours souriante. J’ai pas vraiment besoin de plus. Qu’est-ce qu’on fait déjà ? On va chez
mon frère, c’est vrai. Il a dit qu’il voulait me voir avant le déménagement. J’arrête pas de lui dire qu’il
se fait du soucis pour rien, que ça va, il trouve toujours le moyen de s’inquiéter. Il a toujours été très
protecteur avec moi, à se faire du mouron pour un oui ou pour un non. Je pense juste qu’il a peur de
se retrouver seul après mon départ, ca sera la première fois de notre vie qu’on sera aussi loin l’un de
l’autre. Alors ça l’angoisse, je crois.

Je jette un œil côté passager et je croise le regard de ma « dulcinée ». Elle déteste que je l’appel
comme ça, elle me dit que c’est cringe. Et oui, elle a raison, mais j’adore l’embêter. Je comprends à
travers son regard qu’elle sait que quelque chose me tracasse. Alors avant qu’elle se lance dans
d’interminable question, je lui dis :

- Oui, je sais que tu te fais du soucis pour moi toi aussi. Ne t’inquiète pas, c’est vrai que j’ai toujours
habité ici et que ça va me faire bizarre de tout laisser derrière moi, mais… il faut que j’avance. Et
même si ça le rends triste, rester dans les pattes de mon frère ne sera pas bénéfique pour moi.

Un peu surprise que j’aie devancé sa question, elle se contente d’opiner lentement de la tête, pas
vraiment rassurée. On passe devant un joli champs de tournesol en fleur. Cette mer de jaune est
absolument sublime, on se croirait dans un monde étrange. Un monde aux couleurs alternés. J’avais
l’habitude de jouer dans ce champ étant jeune et il m’a toujours fasciné, me submergeant presque
parfois. Comme si on pouvait s’y noyer si l’on y reste trop longtemps. La maison de mon frère est
dans un bois juste à côté. Il faut longer une longue allée avant d’arriver au porche d’entrée. En
laissant lentement le jaune se faire remplacer par des nuances de verts et de marrons estivaux. Je
gare la voiture juste à côté de la sienne. Toujours la même Clio blanche que maman nous avait prêté
à tour de rôle pour nos études. On a jamais été très bagnoles dans la famille, je suppose que c’est
pour ça qu’il n’a jamais changé.
- Reste dans la voiture , j’en ai pour trente secondes, fis-je en adressant un clin d’œil à travers la
fenêtre.

Je marche jusqu’à la porte d’entrée et je sonne. Quelques secondes plus tard, j’entends des pas
derrière l’épaisse couche de bois massif, suivi d’un bruit de serrure qui se tourne. La porte s’ouvre et
mon frère apparaît devant moi. Il n’est pas très grand, et son apparence pourrait paraitre banale
avec sa frange brune relevée sur le côté et sa barbe de trois jours s’il n’y avait pas ses yeux d’un
profond bleu métallique. Un trait de famille. Oui, j’ai de beaux yeux, je sais. Il est un peu dépeigné.
Aussi, j’arrive à déceler le soucis à travers son sourire. Et c’est plus une question inquiète qu’il
m’adresse qu’un vrai bonjour :

- Salut Liam, ça va ? C’est bientôt le grand départ… tu es sûr de toi ?

- T’en fais pas Henri, je sais que tout ça c’est du changement, mais ce sera pour le mieux. Crois moi.

- Tu veux vraiment tout plaquer maintenant ? Partir sans te retourner ? Je ne suis pas sûr que ce soit
ce qu’il y a de mieux pour toi maintenant.

- Oui, je sais ce que tu penses. On en a déjà discuté, c’était notre choix à tous les deux depuis
longtemps. Et je compte bien m’y tenir. Elle m’en voudrait de tout annuler maintenant. Je peux pas
lui faire ça.

- Ecoute, je comprends que tu veuilles partir. Surtout que vous vous l’êtes promis, mais je veux être
sûr que tu le fais avant tout pour toi. Et pas que pour lui faire plaisir.

- Tu te fais toujours du soucis pour rien, hein ? Tu changeras jamais, Henri. Mais de toute façon, c’est
trop tard pour reculer maintenant. Je pars demain. Je voulais juste passer te voir avant de partir et
j’ai pas beaucoup de temps. Il fait bientôt nuit et j’ai promis aux déménageurs de faire avec eux l’état
de sorti des meubles .

- Demain ? Déjà ? C’est tôt… et je suppose que ça va pas servir à grand-chose d’essayer de te
raisonner, hein ? Quelle galère… j’aimerais vraiment que tu prennes du temps pour y réfléchir. Et
surtout que tu prennes soin de toi aussi. Tu as besoin de temps, mais n’oublie pas que tu peux
toujours compter sur nous. Ma porte est toujours ouverte.

- Je sais frérot. Merci…

Un moment de blanc s’ensuit pendant que je regarde mon frère dans les yeux. Je sens une forte
émotion en lui. Et au coin de son œil… une larme ? Quel sentimental celui-là. Il a toujours eu un cœur
d’artichaud derrière ses airs de gros durs. Je le prends dans mes bras. Après tout, je ne sais pas
quand je le reverrais. Il m’adresse un au revoir étouffé et ténu, et je réponds par un hochement de
tête, sans un mot. Le moment est trop précieux pour risquer de le gâcher avec des mots. En
m’approchant de la voiture, je lui fais un signe de la main pendant qu’il me regarde m’éloigner peu à
peu de la maison de notre enfance. J’ouvre la portière et je prends place devant le volant. Qu’est-ce
que c’est ce que je sens sur ma joue ? C’est humide. Pfff… et moi qui me croyait inatteignable. Il va
me manquer, c’est indéniable. J’adresse un sourire emplie de tristesse à ma « dulcinée ». Et elle me
caresse doucement la joue, comme pour essuyer mes larmes. Sans dire un mot, comme pour ne pas
briser l’instant.

***

J’enclenche l’accélérateur et on repars. Il fait nuit noir et je suis fatigué. L’entrevue avec mon frère
m’a mis dans tout mes états. Je suis amer. Elle a beau essayer de me raisonner rien n’y fait. Je sais
dans le fond que ce n’est pas très grave, mais je sais pas. Il a toujours eu le don de susciter les plus
grandes émotions en moi. Je me tourne vers elle et je lui crie toute ma frustration :

- Nan mais t’y crois ça ? Quand je pense à tout les efforts que j’ai fait. C’était bien la peine de revenir
le voir. On se casse, comme tu le voulais. Loin d’ici.

- Mais….

Elle n’a pas le temps de commencer sa phrase. J’aperçois du coin de l’œil l’animal qui traverse la
route. Biche ? Sanglier ? Je n’ai pas eu le temps de voir. Je braque afin d’éviter la collision et la
voiture décroche de la route. Le ciel et la terre se mélange. Le pare-brise vole en éclat et une marée
de jaune déferle sur nous. L’espace d’un instant, suspendu dans le temps, tout semble magique. Je
suis dans un autre monde. Ou des couleurs surnaturels, subtil mélange de rouge et de jaune,
s’entremêlent pour ne former qu’un seul et même accord. Parfait. Sublime. Puis tout s’accélère, un
souffle glacial me prend aux tripes et le monde cesse de tourner. Tout redevient calme est paisible. Si
paisible. Je la vois. Elle est là. Immobile. Le rouge et le jaune lui vont si bien. Sa beauté semble
immuable, éternelle. Comme si le monde ne pouvait connaître plus belle chose à nouveau. Comme
si le concept même de beau allait être vainc après ça. Mais pour mon plus grand désarrois, la beauté
n’est qu’éphémère. Comme la fleur qui fane après un printemps trop timide. Ces choses ne sont pas
faites pour durer.

Je suis si fatigué. Je crois que je vais dormir un peu. J’ai de la chance d’avoir pu voir si belle chose
avant de…

***

Je me réveille en sursaut. Je suis encore ici. Devant cette statue. Son expression, figé dans le temps,
trahit les regrets et l’espoir du retour d’un passé lointain. D’un temps où tout était plus beau, plus
joyeux.

Venir ici ne me fais pas de bien je le sais. Mais ici je la sens. Je sais qu’elle est là.

Mais qu’est ce que je raconte, bien sûr qu’elle est là. Et qu’est-ce que je fous dans un cimetière ? Elle
va encore m’engueuler. Le déménagement c’est demain ! Elle doit m’attendre dans la voiture. Je la
vois avec sa robe rouge qui m’attends. Pourquoi diable tient elle toujours à emporter un bouquet de
tournesol partout où on va ? Je m’élance vers elle en criant :

- J’arrive !

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