Vous êtes sur la page 1sur 539

CENDRES:Karma

Partie 1: Je n'ai jamais dit que j'étais parfaite

*** Abdoul Majib Kébé ***

Le sommeil s’entend dans la voix de ma chérie et je décide de mettre fin à notre


conversation. Ça fait déjà une heure qu’on se parle.

- Babe, je te laisse ok. On dirait que t’as sommeil.

- Hmm… mais je ne veux pas raccrocher.

- Sois raisonnable. Repose-toi bien pour ce soir, comme ça tu seras en forme.


N’oublie pas que je ne te laisse pas rentrer avant 8h au moins.

- Haha, très drôle. Tu diras ça toi-même à maman Soda, ok ? Tu sais ce qu’elle m’a
dit tout à l’heure ? Qu’elle m’attend pour 2h et qu’elle restera éveillée.

- 2h ?! C’est une blague ? La maman aussi, elle veut gâcher mes vacances ou quoi ?

- Nos vacances, tu veux dire ! Laisse-là là-bas…

- Tu n’as qu’à lui dire qu’elle ne peut pas te surveiller quand tu es à Londres et
surtout t’es mariée maintenant.

- Tiens, pourquoi tu ne lui dirais pas toi-même ? Viens dîner avec nous tant qu’à
faire.

- Hmm non. On avait dit le week-end déjà. Je dois quand même me préparer avant
de rencontrer ma future belle-mère.

- Comme tu veux… T’inquiètes pour ce soir, je dirai à Virginie de lui parler. Elle a
toujours su la convaincre.

- Good… Bon je te laisse faire ta sieste.

- Ok. Et toi tu vas faire quoi d’ici ce soir?

- M’ennuyer comme d’habitude quand tu m’abandonnes, dis-je faisant semblant


d’être triste.

- Rooo dis pas ça babe. Je débarque tout de suite sinon. Tu veux que je vienne ?

- Mais non, je plaisante, dis-je en riant. Je vais courir puis me baigner. Ensuite, je
verrai.

- Ok. A ce soir alors. Bisous.


- Appelle-moi quand tu te réveilles. Love you.

Je raccroche puis me change pour sortir. Je suis encore amusé par la conversation
avec Ndèye Marie. Il aurait suffi que j’insiste un tout petit peu pour qu'elle vienne
me rejoindre. Je la connais, je suis sûr qu'elle culpabilise de me laisser seul à
l’hôtel. Alors que justement, c’est ce que je veux. Il est hors de question qu’elle
passe tout son temps ici avec moi. A la base, je suis venu à Dakar juste pour elle et
pour faire connaissance avec ma future belle-famille. N’empêche, je ne veux pas la
priver du peu de temps qu’elle peut passer avec eux. Elle n’a pas l’occasion de les
voir souvent alors que moi, j’ai la chance de l’avoir pour moi tout seul presque tout
le reste de l’année.

A Londres, nous vivons pratiquement ensemble même si officiellement à des


adresses différentes. Je n’arrive pas à la convaincre d’arrêter sa location qui n’est
rien d’autre que de l’argent jeté par la fenêtre. On va de toute façon se marier,
alors quel mal y’a-t-il à vivre ensemble officiellement ? En plus, je veux qu’elle
puisse faire des économies.

Ndèye Marie est étudiante en droit et en a encore pour 3 à 4 ans d’années


d’études avant de devenir avocate, comme elle le souhaite. Tandis que moi je
travaille depuis 3 ans déjà et ça ne me dérange pas de continuer de payer
l’appartement tout seul pendant qu’elle mettra des sous de côté. La vie à Londres
est chère et il faut penser aux dépenses du mariage…

Mariage, mariage… On dirait que je n’ai plus que ce mot en tête, alors qu’il y’a à
peine 3 ans, ce n’était ni dans mes plans à court, ni à moyen ni même à long
terme. C’était juste une possibilité floue… Mais je suis tombé amoureux de Ndèye
Marie et, après 2 ans de relation, il semble que je ne pense plus du tout pareil. J’ai
quelquefois du mal à me reconnaître…

Tout a commencé quand nous nous sommes rencontrés chez la famille de mon
meilleur pote, Boris. C’était à l’anniversaire de sa petite sœur qui avait aussi invité
Ndèye Marie, avec qui elle venait de faire connaissance à l’université. La
remarquant de loin, je l’avais trouvée très jolie mais ai décidé de l’éviter. Elle avait
l’air beaucoup trop jeune pour moi. Elle ne semblait pas répondre à mes critères
en termes d’écart d’âge.

Du coin où je me trouvais avec Boris, je n’arrêtais quand même pas de lorgner vers
elle. Il faut dire qu’elle était remarquablement belle. Son visage, ses formes… Tout
à fait mon type.

Boris, me voyant sans doute tourner une énième fois la tête vers elle, finit par
intervenir.

- Tu peux aller lui parler, tu sais. Si ça peut t’éviter un torticolis.

- De qui tu parles ? répondis-je, la tête ailleurs.

- De la vierge Marie… De qui veux-tu que je parle ? La bombe bien sûr, dit-il en
indiquant Ndèye Marie de la tête. T’y vas ou j’y vais ?

- Na-nan, trop jeune... Belle, j’avoue, mais non. Ça va pas le faire.


- Jeune ? Elle a minimum 20 ans, je suis sûr. Je te rappelle que t’en as 25, man. Et
t’as déjà été avec plus jeune, si je ne m’abuse.

- Justement et je me rappelle très bien de ce que ça a donné. Donc non, je vais


m’abstenir tu vois, dis-je en détournant définitivement cette fois mon attention de
Ndèye Marie.

- C’est toi qui vois, mec… Moi, je vais de ce pas tenter ma chance. Bye.

Joignant le geste à la parole, Boris s’était levé en s’arrangeant la chemise, puis,


nonchalamment s’était dirigé vers le groupe formé par Ndèye Marie et d’autres
filles. Quelques minutes plus tard, je la voyais rire aux blagues pourtant sûrement
foireuses de mon meilleur ami. Le salaud avait réussi à la mettre à l’écart du
groupe. Je ressentis un pincement de jalousie, la voyant rire ainsi. Je la trouvais
encore plus belle.

Les jours suivants, je la revis dans l’appartement que Boris et moi partagions à
l’époque. Ils venaient de dîner ensemble et voulaient finir la soirée en regardant
un film. En gentleman, j’allais me retirer pour les laisser seuls quand Ndèye Marie
avait insisté pour que je regarde le film avec eux. Je m’étais tout de suite rassis
sans me laisser prier, ignorant intentionnellement les signes de tête de Boris. Sur
le coup, je n’ai pas été fair-play mais en vérité je regrettais déjà de ne pas l’avoir
abordée en premier et voulais rattraper le coup.

Le même soir, nous échangions nos numéros de téléphone, puis nous nous
sommes revus quelques fois et, de fil en aiguille notre relation se construisit.

Depuis c’est la seule femme de ma vie… Celle qui va devenir mon épouse.
*****************************

*****************************

Je reviens à l’hôtel vers 16h et passe par l’entrée arrière qui ouvre sur la mer. Je
vois quelques personnes en train de nager dans la piscine ou allongées sur les
transats. Une silhouette, assise à une table près de l’entrée, saute tout de suite à
mes yeux.

Habillée d’une longue robe ensoleillée, les longues jambes croisées, elle est loin de
passer inaperçue. Elle dégage une classe incroyable. En m’approchant, je ne mets
pas longtemps à la reconnaître. C’est Abi, l’une des copines de Ndèye Marie. Je ne
la connais que depuis trois jours mais bizarrement, j’ai l’impression que je pourrais
la reconnaître entre mille celle-là.

Je me demande ce qu’elle fait ici. Alors que je m’approche de l’entrée, elle lève la
tête, me regarde brièvement puis détourne les yeux avec indifférence. On dirait
qu’elle ne me reconnait pas.

Pendant deux secondes, j’hésite entre passer mon chemin ou lui dire bonjour,
avant d’opter pour le second choix. C’est quand même l’amie de ma fiancée…

- Hello Abi.

Elle tourne la tête à nouveau vers moi, puis affiche une mine surprise.

- Oh… Majib ? Je ne t’ai pas reconnu, désolée.


- Pas grave. Ça va bien ?, dis-je en l’embrassant sur la joue alors qu’elle s’est levée.

- Très bien... Mais qu’est-ce que tu fais ici ?, répond-t ’elle l’air toujours surprise.

- Ben c’est ici que je loge, en fait.

Elle hésite un instant puis sourit en se touchant les lèvres, l’air gênée.

- Forcément… question bête.

- Bête ? Pourquoi ?

- Ben… T’es pas habillé… Puis tu t’apprêtais visiblement à entrer. En plus, tu nous
l’avais dit que t’étais ici. Bref… Je ne me rappelais pas, désolée.

La voyant gênée pour si peu, je ne peux m’empêcher de rire puis la rassure.

- C’est rien, t’as le droit d’oublier quand même.

Pendant un instant, je l’observe, incapable de détacher mon regard d’elle. Elle a ce


petit quelque chose d’intrigante qui m’avait autant saisi quand on s’est rencontré.
Un air de petite fille fragile, qui cache des secrets douloureux… Et là, c’est encore
plus accentué par son regard gêné. On dirait que me voir torse-nu la met mal à
l’aise…
Se redressant, elle rompt le silence et me sort en même temps de mes pensées.

- Bon... Je te laisse y aller ?

- Mais t’es seule ici ? Tu attends quelqu’un ?

- Oui, un rendez-vous, dit-elle en regardant sa montre. Il ne devrait pas tarder.

- Je te tiens compagnie, en attendant ?

- Oh, non, t’es pas obligé.

- Ça ne me dérange pas, dis-je en tirant une chaise. J’ai envie d’un café en plus.

Qu’est-ce que je raconte ? L’idée du café vient juste de surgir. Je n’ai pas
spécialement envie d’un café. Ce que je veux, c’est rester un moment avec elle, ce
qui n’a rien d’extraordinaire… Pas besoin de m’inventer une excuse.

Abi se rassoit sur sa chaise, le regard toujours fuyant. Elle doit être très pudique…
Pour mettre fin à son malaise, je déplie la boule formée par mon maillot et me
rhabille. Voilà, ça devrait la détendre.
Je lui souris et elle y répond en engageant enfin la conversation.

- T’étais parti nager ?

- Oui, après un jogging. Je profite de la plage tant que je suis ici.

- Tu as raison. Il ne fait pas très beau en Angleterre.

- Ça non, dis-je en souriant. Mais ça a d’autres charmes quand même… Tu


connais ?

- Non, pas du tout. J’en ai juste entendu parler.

- Ah ok. Et en Europe, t’es déjà allée ?

- Non… Je n’ai jamais quitté le Sénégal.

- Dommage… On t’invitera à Londres à l’occasion, ça te dit ?

- Mouai, dit-elle la mine dubitative. Ce n’est pas aussi simple. Les histoires de visa,
tout ça… J’ai pas envie de me fatiguer.

- C’est vrai… Mais on peut toujours trouver une solution… Tu fais quoi comme
études ?

- Je suis à l’ISM. Je prépare un master en audit et contrôle de gestion.

- Pas mal ! Dommage que tu ne sois pas venue en Angleterre, y’a de très bonnes
formations de ce genre… Ça ne t’a jamais tenté de poursuivre tes études à
l’étranger ?

- Non, pas vraiment…

- Ah bon ? Pourquoi ?

- Pourquoi pas ? répond-elle avec agacement, me fixant des yeux.

- Désolé, si je t’embête avec mes questions. C’est juste pour te conseiller au mieux.

- Je n’ai pas demandé de conseil.

- Oh, dis-je doucement, assez surpris par son ton. Excuse-moi.

- Tu vois, ce qui m’embête avec vous, c’est que vous croyez tous que tant qu’on n’a
pas posé les pieds en Europe ou au Canada ou aux Etats-Unis, on ne peut pas
réussir sa vie. Plein de gens réussissent ici sans avoir jamais quitté le pays. Il y’a de
très bonnes écoles et surtout tout le monde n’est pas un fils à papa.
- Wow, Abi, dis-je avec un rire gêné. Ce n’est pas du tout ce que j’essayais de dire.

- Ah oui, vraiment ? Tu sembles pourtant trouver « dommage » le fait que je sois à


l’ISM. N’est-ce pas ce que tu as dit ?

- Ce n’est pas comme ça que je l’entendais… Abi, excuse-moi, ok. Je ne voulais pas
du tout t’offenser. J’apprends juste à te connaître et…

Le regard fixe et dur qu’elle me lance m’empêche d’aller plus loin. Elle détourne
ensuite la tête et, l’air ailleurs, semble tout d’un coup triste.

My God, je lui ai fait quoi là ? Je me sens terriblement gêné de ma maladresse. Je


ne sais plus où me mettre... Elle est extrêmement sensible et ce sujet doit la
toucher spécialement, je suppose…

Je m’en veux de l’avoir blessée et je n’ai qu’une envie, la consoler.

Pendant que je cherche les mots pour apaiser la tension, elle se lève tout d’un
coup.

- J’y vais, mon rendez-vous est là… Merci de m’avoir tenue compagnie.

- Attends Abi, tu…

Je n’ai pas le temps de finir ma phrase. Elle a pris son sac et est déjà partie. Je vois
un homme derrière la baie vitrée qui semble l’attendre à l’intérieur. Elle le rejoint
puis l’embrasse sur la joue avant de partir avec lui. Je les suis du regard jusqu’à ce
qu’ils disparaissent.

Au même moment, je vois Fallou, le gars qui tient le bar avec qui j’ai beaucoup
sympathisé ces derniers soirs venir à moi mais je n'ai pas envie de lui parler là.

- Vous allez bien Majib ? Ça a été le jogging?

- Oui, c’était bien. Merci, dis-je évasivement.

- Vous voulez boire quelque chose ?

- Non merci, j’y vais, dis-je en me levant.

- Ça n’a pas l’air d’aller…

- Si, si tout va bien. Bye.

Je rentre dans l’hôtel et ai le temps de voir par l’autre porte d’entrée Abi et son
ami monter dans une voiture.

Je m’arrête un instant puis continue mon chemin quand ils disparaissent de mon
champ de vision. Une certaine rage nait en moi. Je ne sais pas pourquoi mais je
suis énervé là. Contre moi.
C’est en claquant la porte que j’entre dans ma chambre, jette mes affaires au sol et
file sous la douche pour me détendre.

Je ne sais pas comment mais il va falloir que je me rachète auprès d’Abi…

************************

************************

Pendant ce temps…

*** Abibatou Léa Sy ***

Laissant Majib derrière moi, je rentre dans l’hôtel pour rejoindre Habib, l’ami et
complice « non informé » qui est venu me rencontrer. En croisant Fallou, je lui fais
un clin d’œil satisfait auquel il ne répond pas. Je devine que Majib doit avoir le
regard sur nous…

C’est parfait. Il est intrigué…

Habib, heureux d’avoir enfin réussi à me faire sortir, se tourne vers moi l’air
content.

- C’est me voir qui te donne ce sourire ? T’es radieuse. Tu devrais le faire plus
souvent.

- Merci, dis-je en souriant encore plus.


J’ai de quoi sourire. Je suis satisfaite de moi. J’ai vu comment Majib me regardait.
C’est bon, la première balle a bien atteint sa cible. On peut passer à la suite…

Une image de Ndèye Marie se présente à mon esprit, que je me dépêche de vite
chasser. Ce n’est pas le moment de penser à elle, elle n'a rien à voir là-dedans.

Je suis insensible et alors ? Je n’ai jamais dit que j’étais parfaite.

En fin de compte, je ne fais que lui rendre service. Elle me remerciera un jour…

Partie 2 : Que peut bien cacher cette fille ?

J’ai vu comment Majib me regardait. C’est bon, la première balle a bien atteint sa
cible. On peut passer à la suite…

Une image de Ndèye Marie vient à mon esprit que je me dépêche de vite chasser.
Ce n’est pas le moment d’avoir de penser à elle.

Je suis peut-être insensible et alors ? Je n’ai jamais dit que j’étais parfaite.

En fin de compte, je ne fais que lui rendre service. Elle me remerciera un jour…

**********************

**********************

*** Ndèye Marie Touré ***


« Les filles, il est temps d’y aller. » J’entends nous crier maman depuis le patio.

C’est là qu’elle aime passer ses soirées quand il fait chaud et que papa n’est pas là.
Elle a dû voir derrière la vitre la voiture de Majib se garer. Je me dépêche de me
maquiller d’une main alors que l’autre tient le téléphone, mon chéri au bout du fil.

- Maman t’a vu on dirait. Tu es sûr que tu ne veux pas descendre dire bonsoir ?

- Ndèye, tu sais ce que c’est de rencontrer sa belle-mère pour la première fois ?


répond Majib d’un ton qui se veut alarmant. Je vais lui dire quoi, « bonsoir, c’est
moi qui vais épouser votre fille, à plus » ? C’est ça ?

- Ok, ok, comme tu veux. Ils te voient demain de toute façon. Bon, raccroches si tu
veux que je sorte rapidement. A tout de suite.

Je coupe l’appel et continue consciencieusement mon maquillage. Virginie a déjà


fini elle et est en train de mettre ses chaussures. C’est facile pour elle, vu son
métier, elle a l’habitude de se préparer vite. Mas moi je ne me maquille presque
jamais d’habitude et j’ai décidé de faire des efforts. Depuis quelques jours je suis
des tutoriels de maquillage sur Youtube et suis justement en train d’en appliquer
un. Là, ça fait quand même 30 minutes au moins que je suis devant la glace.

Avant que Virginie sorte de la chambre, j’en profite pour lui rappeler l’invitation à
dîner.

- Tu ne m’as pas encore répondu pour demain, miss. Tu restes avec nous ?
- Je ne sais pas, répond-elle en soupirant. C’est pas mieux que vous soyez en
famille ? Dans l’intimité ?

- Arrête, ça. T’es de la famille non ? Et de quelle intimité tu parles ? Il n’y aura pas
que papa et maman, Majib ramène des cousins aussi.

- Ah bon ? Mais fallait commencer par là, toi aussi. Des cousins de Majib… S’ils
sont comme lui, ça peut être intéressant… Hum… c’est bon, je viens.

- Waaw, dis-je en me retournant vers elle les sourcils levés. Bravo ! Merci de l’effort
que tu fais pour « soutenir ton amie » !

- Soutenir mon amie, soutenir à quoi ?! Tu l’as trouvé toute seule ton apollon
non ? T’as pas eu besoin de mon aide, alors laisse-moi arranger mon affaire aussi.
Tchuip ! Bon, j’ai fini, je vais rejoindre Tata avant qu’elle change d’avis et décide
qu’il est trop tard pour qu’on sorte. Fais vite, toi.

Quelques minutes plus tard, je sors et rejoins Virginie et maman. Celle-ci


m’inspecte lentement des yeux, de la tête aux pieds. Je la laisse finir avant de
réagir.

- Verdict ?

- Ça va… Pas vulgaire.


- Quel compliment, dis-je en riant. Mais je n’aime pas le vulgaire non plus, tu sais ?

Même si, à la place de cette jolie combinaison-bustier en soie noire, j’aurais


préféré mettre une petite robe pour aller en boîte de nuit. Mais connaissant
maman, je n’ai pas pris ce risque. Elle m’aurait renvoyée illico me changer ou, pire,
m’empêcher finalement de sortir.

- Je sais ma fille, répond maman, enfin avec le sourire. Et tu es belle comme ça.
Vous êtes toutes les deux très belles. Ces garçons ont de la chance d’être aussi
bien accompagnés.

- Ces garçons ?

- Majib n’est pas venu seul. Ils sont deux, je les ai vus à la fenêtre. Au fait, tu diras à
ce garçon-là que c’est la dernière fois qu’il me prend ma fille en restant devant la
porte. La prochaine fois, il n’a qu’à entrer.

- Tu veux faire fuir mon fiancé ou quoi ? Bon, on y va. Bonsoir maman, à tout à
l’heure.

- Bonsoir Tata, dit Virginie. Promis, on rentre à 3h au plus tard.

- Je vous fais confiance. A tout à l’heure insh’Allah.

***
Quelques minutes plus tard, nous sommes installées à l’arrière du 4x4 de Majib
qui se laisse guider dans les rues de Dakar par son cousin, Abou. Je viens de faire
connaissance avec ce dernier qui, apparemment, est du goût de Virginie. Depuis
qu’on est dans la voiture, elle est en mode « charmeuse ». De la personne la plus
bavarde que je connaisse, elle est passée à une discrète jeune fille qui parle et rit
doucement. Amusée, je me demande jusqu’à quand ça va durer… Je lui donne
maximum 30 minutes.

Après le trajet pour rejoindre les Almadies depuis Hann, nous retrouvons les
autres garés devant le Nirvana, la boîte de nuit qu’on a choisie. Abi, Maï et Lamine.

Je suis toute excitée qu’on se retrouve tous ensemble. Ça faisait longtemps !

Je présente Lamine à Majib et son cousin, puis nous entrons ensemble pour nous
installer dans le salon privé réservé par Lamine.

L’ambiance est géniale à l’intérieur. Ça faisait longtemps que je n’étais pas sortie.
La soirée s’annonce bien…

**********************

**********************

*** Abdoul Majib Kébé ***

Je crois que je suis trop vieux pour ce type d’endroit. 28 ans, c’est peut-être l’âge
où on commence à ne plus s’intéresser à ce genre d’amusement ? Surtout que j’ai
l’impression que la majorité des personnes que je vois ici n’ont pas plus de 20 ans.
Danser avec ces enfants sur la piste, c’est vraiment trop me demander, malgré
l’insistance de Ndèye Marie.

Je fais quand même semblant de passer une bonne soirée pour ne pas la décevoir.
Elle a l’air aux anges là. C’est vrai qu’elle n’a pas l’habitude de sortir. C’est une fille
très sérieuse, ses études ont toujours plus compté pour elle que s’amuser. Pour
une des rares fois où elle se lâche, je veux la laisser profiter au maximum.

Je la regarde danser avec ses copines, s’amusant comme des folles. Au fond de
moi, ce que je veux c’est me retrouver seul avec elle dans un lieu différent…Elle me
manque. Mais il va falloir que je prenne mon mal en patience jusqu’à notre retour
à Londres.

Mon regard se tourne vers Abi. Du groupe de quatre filles, c’est elle qui se fait le
plus remarquer. Elle a quelque chose de magnétique. L’air moins excitée que les
autres, elle dégage cet air mystérieux qui lui est caractéristique, je le sais à
présent.

Que peut bien cacher cette fille ? Je suis de plus en plus curieux de le savoir…

Mais ça n’arrivera sûrement pas et le plus important pour le moment, c’est de


m’excuser à nouveau de l’avoir vexée tout à l’heure. Je ne sais pas quand j’aurai
l’occasion de le faire car ce lieu n’est vraiment pas approprié pour discuter…

Comme si elle sentait son regard sur moi, Abi se tourne dans notre direction. Je
sais qu’elle ne peut pas me voir de là où je suis et continue donc à l’observer
discrètement. Elle dit quelque chose à l’oreille de Maï avant de se diriger vers le
salon où nous sommes installés. Avant qu’elle arrive, je vois un homme surgissant
de nulle part venir vers elle. Il lui touche le bras et Abi se retourne vers lui, avant
de se détourner lentement pour continuer son chemin. Cependant, l’homme le
suit et s’installe même à côté d’elle dans le salon.

Qui l’a invité, lui ? Je ne sais pas ce que font certains hommes pour ne pas
comprendre le message. Elle ne veut pas lui parler, c’est évident quand même. Il
n’a pas compris qu’il ne l’intéresse pas ? A moins qu’ils se connaissent déjà ?

On dirait qu’ils se connaissent…

Abi parle à peine et ne le regarde jamais, mais lui, penché vers elle, en a
apparemment beaucoup de choses à dire. C’est peut-être son ex, ou son
copain… ? Mais alors qui est l’autre homme de l’hôtel tout à l’heure ?

Complètement absorbé par mes questions, je les fixe des yeux oubliant la
présence des autres dans le salon. C’est l’arrivée de Ndèye Marie qui, m’enlaçant
tout d’un coup en s’asseyant sur mes genoux, me sort de mes pensées.

Je la regarde d’abord avec surprise puis lui souris.

- Tu t’amuses bien ?

- Moi, oui. Toi, on ne dirait pas… Qu’est-ce qui se passe ? demande-t’elle en jetant
un regard vers Abi et son « copain ».

- Rien. Tout va bien… Je te regardais danser, je ne savais pas que tu dansais aussi
bien, dis-je en lui caressant le dos.

- Tu es sûr ?

- Euh, yeah, dis-je ironiquement. Tu n’as jamais dansé comme ça pour moi, j’en
suis sûr.
- Non Majib. Es-tu sûr que c’est moi que tu regardais danser ? m’interrompt-elle en
me fixant du regard.

- C’est ce que j’ai dit.

Elle continue de me regarder quelques secondes puis finit par détourner la tête,
en soupirant. Je pense qu’elle m’a vu regarder Abi et doit sûrement se faire des
idées là où, clairement, il n’y a pas lieu de s’en faire. Mais c’est les filles ça. La
jalousie doit faire partie de leur ADN…

Je n’ai quand même pas envie de gâcher sa soirée pour rien et tente de la
détendre.

- J’aime te regarder danser mais… dis-je en faisant courir lentement mon doigt sur
son dos nu. Ce que je voudrais vraiment… c’est…

En lui chuchotant la suite dans l’oreille, je la sens instantanément frissonner dans


mes bras. Je lui mordille le lobe de l’oreille et elle se dégage en riant doucement.

- Arrête ça, babe. C’est cruel.

- I miss you, lui dis-je sérieusement, la regardant droit dans les yeux et lui
caressant les cheveux.

- I miss you too… Mais c’est bientôt fini. Plus que…


Je ne la laisse pas terminer et m’empare de ses lèvres pour l’embrasser
langoureusement. Elle répond à mon baiser en résistant un peu, sans doute gênée
par le lieu.

Puis elle se détend de plus en plus, me laissant profiter de sa bouche sucrée par la
boisson. Mais loin d’être satisfait…

********************

********************

*** Abibatou Léa Sy ***

Je les regarde s’embrasser sans gêne et ça m’énerve un peu. Ils ont l’air heureux. IL
a l’air heureux et ça, ça m’est insupportable.

Je me lève avec humeur et, sans prêter attention à cet emmerdeur de Moussa qui
me colle comme la peste, je quitte le salon pour aller aux toilettes. Qu’il s’amuse à
me suivre encore, et je vais lui coller un coup de pied là où il s’en souviendra…

Dans les toilettes, comme d’habitude, le même spectacle des filles qui, ça et là, se
maquillent, discutent ou tirent sur leurs cigarettes, remplissant la pièce de fumée.
Elles m’énervent encore plus celles-là, à ne pas s’assumer au point de se cacher
dans les chiottes. N’importe quoi…

Je leur lance ouvertement un regard haineux qu’elles me rendent bien. Je prends


tout mon temps pour faire ce que j’ai à faire, histoire d’en profiter pour me
détendre et retrouver mon calme.

Quand je reviens dans le salon, Moussa est toujours assis là à m’attendre comme
un chiot attend son maître. Le couple d’amoureux n’est plus là.

J’ignore Moussa et me tourne vers Lamine, à côté de qui je m’assoie.

- Elle est où ta femme, en train de danser encore ? Elle se repose jamais ?

- Tu la connais, dit-il en souriant tendrement. Alors, c’est qui celui-ci, un autre


soupirant ?

- Pfff. Laisse-le là.

- Abi, tu me fais rire. Tu ne changeras jamais.

- Et pourquoi je changerais ? Je suis bien comme je suis.

- Mais tu n’as jamais envie de te poser, te mettre avec quelqu’un ? Genre, pour de
vrai.

- Pour quoi faire ?

- Pour quoi faire ?! Parce que c’est comme ça que font les gens normaux, Abi.
Tomber amoureux, se mettre en couple. Toi, ça fait des années que je te vois tout
le temps avec des garçons différents, à chaque fois. Et jamais tu ne nous as
présenté quelqu’un comme étant ton copain. C’est fou quand même. Comment tu
fais ?
- Ne t’inquiète pas pour moi, lui dis-je en lui faisant un clin d’œil. Je me débrouille
très bien.

Lamine pouffe de rire. Il a de la chance que je l’apprécie un peu, lui, sinon je


l’aurais envoyé paître. C’est simple, c’est le seul homme que j’apprécie ne serait-ce
qu’un petit peu et c’est sûrement parce qu’il est le copain de ma meilleure amie et
que, après toutes ces années le connaissant, je sais que je peux lui faire confiance.
Je crois… Le fait aussi que je ne l’ai jamais vu me regarder de façon intéressée doit
y jouer.

N’empêche, ce que je fais de ma vie ne le regarde pas, mais il ne lâche pas l’affaire.

- Et celui-là alors, dit-il en indiquant discrètement Moussa de la tête. Il m’a l’air


bien, tu ne lui donnes pas sa chance ?

- Mais d’où tu le connais pour dire qu’il est bien ? Occupe-toi de tes affaires, c’est
mieux… Au fait, elles sont où Ndèye Marie et Virginie ? Je ne les vois nulle part sur
la piste.

- Parties avec Majib. Elles ont un couvre-feu apparemment. Seul Abou est resté, il
danse avec Maï.

- Huh, et t’es même pas jaloux ?

- Pour quoi faire ? dit Lamine en riant. Ma femme est folle de moi.
- Ouai, c’est ça. Attends que je l’initie… Dis, tu vas chercher à boire stp ? Je vais
m’occuper de l’autre là, en attendant.

- J’ai l’air d’être ton boy ?

- J’ai dit stp ! Sois galant au moins.

Je vais rejoindre Moussa sans attendre la réponse de Lamine, sachant qu’il va


s’exécuter de toute façon.

Il me sourit en me voyant devant lui, l’air ravi. Y’en a qui n’ont vraiment pas
d’amour-propre, c’est terrible. Je m’assois à côté de lui pour me faire mieux
entendre dans tout le bruit autour.

- Bon, Moussa, je peux savoir ce que tu veux en fait ?

- Tu sais bien ce que je veux, je n’arrête pas de te le dire. Redonne-moi une


chance.

- Mais je t’ai déjà dit que non, ce n’est pas possible. Tu as une femme et je n’ai pas
le temps de gérer ton cas. Tu ferais mieux d’aller la retrouver et de l’aider à vivre sa
grossesse.

- Co… Comment tu sais qu’elle est enceinte ? répond-il l’air surpris.


- Je sais plus de choses que tu crois. Ce que je sais aussi, c’est que toi et moi, on ne
sera plus jamais ensemble. Il faut que tu l’acceptes une bonne fois pour toutes et
que t’arrêtes de me suivre tout le temps. Je sais pas moi, t’as pas une vie ? Je ne
t’aime pas, je n’ai PAS envie d’être avec toi. C’est clair ?

- Ce n’est pas ce que tu disais il y’a quelques semaines, pourtant. Qu’est-ce qui
s’est passé ? Qu’est-ce que je t’ai fait ?

- Mais tu m’as déjà posé la question mille fois, lui réponds-je dépitée. Et je t’ai dit
que je voulais juste m’amuser, ce sans savoir que t’étais marié. Maintenant, il se
trouve que je n’ai plus envie, c’est tout. Pourquoi tu ne veux pas comprendre ça ?
C’est simple pourtant.

Il me regarde un long moment, puis se décide à se lever en jetant son fiel avant de
partir.

- T’es qu’une sal***.

- Ok, merci. Allez, va.

Voilà, je vais pouvoir souffler et discuter tranquillement avec Lamine, en attendant


que Maï en ait assez de danser. La connaissant, ce ne sera pas avant deux heures
au moins. A présent, elle est en train de zouker avec Abou.
Je vois Lamine revenir, accompagné du serveur qui ramène à boire.

- Tu t’es débarrassée de ton chéri ? dit-il en s’asseyant à côté de moi.

- Pour cette fois, oui…

- Alors, ta recherche de stage ?

- J’ai trouvé. Je commence en septembre.

- T’as été rapide. Ça sent le bras long, ça… Tu seras où ?

Lamine et moi nous mettons à parler boulot, même si la musique nous pousse à
presque crier. Pendant qu’on discute, je vois à ma grande surprise Majib arriver et
s’assoir avec nous.

Qu’est-ce qu’il fait ici ? Je ne m’attendais pas à ce qu’il revienne.

Je continue à discuter avec Lamine, mine de rien mais me mets à réfléchir


activement en même temps. Majib est revenu… L’occasion est trop bonne, je ne
peux pas la rater…

******************** **

**********************

*** Abdoul Majib Kébé***


J’essaie de m’insérer dans la discussion entre Abi et Lamine mais il y’a trop de
bruits pour que ce soit possible. Mais je vais essayer de l’inviter à danser puis la
prendre à part dehors afin de lui parler, si elle me le permet. Vue son attitude
depuis tout à l’heure, je ne suis pas certain qu’elle accepte. Je pense qu’elle est
toujours fâchée. Je ne veux pas la laisser se faire une mauvaise image de moi alors
qu’elle est une des meilleures amies de ma future femme.

J’ai déposé celle-ci et Virginie et suis revenu ici, n’ayant rien à faire à l’hôtel.
Heureusement, les autres sont encore là.

Alors que je m’apprête à lui demander de sortir prendre l’air, je vois Abi se lever.
Elle ajuste sa petite robe, fait quelques pas et, en descendant l’unique marche qui
délimite l’espace privé où nous sommes, fait une chute et se retrouve assise par
terre.

Je me précipite vers elle, suivi de Lamine. Je la vois grimacer de douleur en


regardant son pied.

- Ahhh

- Abi, ça va ? lui dis-je, en me penchant vers elle et lui touchant le bras.

- Aie, je me suis fait mal. Aïe !

- Où ça ? demande Lamine.
- Au pied. Là, répond Abi en indiquant son pied droit.

Je lui prends doucement le pied et ôte la chaussure pour regarder de plus près. Abi
crie de douleur.

- Arrête ! Je crois que c’est foulé. Aïe !

C’est une idée aussi de mettre des talons aussi hauts ! Je me demande même
comment elle arrivait à marcher avec. Les femmes !

Lamine intervient pendant que je repose prudemment le pied de Abi sur le tapis.

- Bon, on va rentrer. Je préviens Maï.

- Oh non, proteste Abi. Je ne veux pas gâcher votre soirée, Maï m’en voudra. C’est
de ma faute, j’aurais dû faire attention. T’inquiète, je vais prendre un taxi.

- Tu plaisantes ? Ne bouge pas, j’appelle Maï.

- Attends Lamine, interviens-je. Je vais l’emmener, j’allais rentrer de toute façon…


Je prends ton sac Abi, ne bouge pas.
- T’es pas obligé, Majib, dit Lamine.

- Ça ne me dérange pas.

Au contraire, je vais en profiter pour lui parler comme je comptais le faire. Je jette
un coup d’œil à Abi qui, bien qu’elle a l’air de réfléchir à ma proposition, n’oppose
pas de refus.

Je reviens vers elle, toujours assise par terre et ramasse ses chaussures sur le sol,
avant de l’aider à se relever. Elle s’appuie sur moi et se met à boiter tant bien que
mal, moi lui tenant la taille pour qu’elle ne tombe pas.

Nous nous dirigeons vers la sortie de la boîte, suivis par quelques regards curieux.
Arrivés dehors, je me souviens des pieds nus de Abi et, sans hésitation, passe mon
bras sous ses genoux pour la soulever.

Elle pousse une exclamation de surprise mais ne dit rien, se contentant d’enrouler
ses bras autour de mon cou. Sans surprise, je la découvre toute légère. Cette fois,
tout le monde semble nous regarder alors que je nous dirige vers la voiture garée
plus loin. Mais je n’en ai cure. Je ne vais quand même pas laisser Abi marcher
pieds nus…

********************

********************

*** Maïmouna Bah ***

Je vois Majib et Abi, accrochée à lui, semblant se diriger vers la sortie. Bien sûr, ils
ne m’entendent pas les héler. Abandonnant Abou, je m’apprête à les rejoindre
pour savoir ce qu’il se passe quand je me sens attraper par le bras. Je me retourne
et vois Lamine, qui se penche à mon oreille.

- Elle s’est fait mal au pied en tombant. Majib la ramène.

- Majib ?! Pourquoi c’est lui qui la ramène ? Et comment elle s’est fait mal ?

- Elle a trébuché. Et j’ai proposé de la ramener mais elle a refusé. Du coup Majib
s’est proposé.

Je regarde Lamine attentivement, les sourcils froncés, cherchant à comprendre ce


que j’entends. Déjà Abi qui trébuche et se fait mal… hum, je ne sais pas, quelque
chose me semble pas nette là-dedans. Mais alors, qu’elle refuse que Lamine la
ramène, pour ensuite accepter Majib ??

Il y’a quelque chose qui m’embête, là. Je connais ma copine. Je ne la connais que
trop bien et je n’aime pas du tout ce qui se passe.

Alors là, pas du tout…

**************************

**************************

*** Abibatou Léa Sy***

Ça a marché. C’était improbable mais finalement ça a marché. Je me laisse


installer dans la voiture de Majib en n’oubliant pas de grimacer de temps en
temps.

Après m’avoir déposée sur le siège avec attention, Majib contourne la voiture et
s’installe au volant, avant de se tourner vers moi.

- Ça va aller ?

- Oui… Désolée de gâcher ta soirée.

- Non, je ne m’amusais pas tant que ça… Alors t’habites où ?

- Sacré-Cœur. C’est pas loin.

- Ok, je veux bien que tu me guides. Je ne connais pas trop…

- Bien sûr.

Je tourne la tête vers la vitre pour dissimuler la satisfaction sur mon visage. Les
choses vont plus vite que ce que j’avais prévu, mais je ne vais certainement pas me
plaindre.

Je me retrouve seule, vraiment seule avec Majib, pour la première fois. C’est
maintenant que les choses sérieuses vont commencer…

Partie 3 : Pas envie de gâcher mon plaisir…


Je tourne la tête vers la vitre pour dissimuler la satisfaction sur mon visage. Les
choses vont plus vite que ce que j’avais prévu, mais je ne vais certainement pas me
plaindre.

Je me retrouve seule, vraiment seule avec Majib, pour la première fois. C’est
maintenant que les choses sérieuses vont commencer…

**********************

**********************

*** Abdoul Majib Kébé ***

Je ne me sens pas à l’aise. C’est clair, Abi m’intimide. Me retrouver seul avec elle
m’intimide, alors que ce n’est vraiment pas mon genre de me laisser
impressionner par une fille.

C’est à peine si j’arrive à lui parler. Je la laisse tout simplement me guider, me


demandant comment je peux en venir au sujet qui m’intéresse, l’incident de la
piscine.

C’est compliqué avec Abi. Elle est indéchiffrable. Toujours calme, elle ne sourit
presque jamais et parle peu.

J’hésite même avant de lui poser des questions toutes banales.

- T’as pas trop mal, ça va ?


- Ça va.

- T’as de quoi te soigner chez toi ?

- Oui, sûrement une pommade.

- Tu crois que ça suffira ?

- Je ne sais pas. J’irai voir un médecin sinon.

- Ok… J’espère que ce n’est rien de grave.

- T’inquiète, dit-elle tout simplement, le regard ailleurs.

Et voilà ! C’est exactement ce que je dis. Qu’est-ce que je suis censé ajouter à «
T’inquiète » !

Désespéré de voir une occasion se présenter, je décide de dire tout simplement ce


que j’ai à dire.

- Abi, j’espère que tu ne m’en veux pas encore pour tout à l’heure… On s’est mal
compris mais c’est moi, j’aurais dû être plus clair.
- Tout à l’heure ? dit Abi en me regardant, l’air interrogateur.

- Oui… à l’hôtel.

Elle fronce les sourcils puis affiche une mine indifférente.

- Ah ça. Ok, c’est bon.

« C’est bon » ?! Ça veut dire quoi « c’est bon » ? Qu’elle n’est plus fâchée ? Qu’elle
n’en a juste rien à faire de mes excuses ? Ou qu’elle a oublié ? Comment peut-elle
oublier de m’avoir vu il y’a à peine quelques heures ?

Ou alors, si elle n’est plus fâchée, pourquoi fait-elle toujours la tête ?

D’ailleurs, est-ce qu’elle fait la tête … Peut-être qu’elle est juste comme ça, que
c’est sa manière d’être ?

Damn ! La question à se poser ici est pourquoi je me pose toutes ces questions !
Pourquoi est-ce si important ?

D’ailleurs, pour qui cette fille se prend ? Je ne vois même pas pourquoi je devrais
me fatiguer à m’excuser. Au fond, je ne lui ai rien fait du tout. C’est bon là, elle
m’énerve. Elle n’a qu’à être comme elle veut, je m’en fous. Je la dépose chez elle et
je ne la revois plus, tant pis. On n’est pas obligé d’être amis, après tout.

Je décide de garder le silence jusqu’à ce qu’on arrive enfin à destination. Abi, qui
continue de me guider simplement n’a pas l’air d’en être trop affectée.

Les pneus crissent durement sur le sol au moment où je me gare, témoins de mon
humeur. J’essaie quand même de me calmer et de rester correct, voulant être sûr
qu’elle peut se débrouiller sans moi.

- Tu peux appeler quelqu’un pour t’aider ?


- Non, je vis seule. Mais ça va aller.

- Tu vis seule ?! dis-je, assez surpris.

- Oui, pourquoi ? Ça te surprend ?

- Où sont tes parents ?

- J’en ai pas.

Elle dit ça en se retournant pour descendre.

Elle a donc perdu ses parents ? La gaffe ! Je ne savais pas du tout. Une certaine
compassion prend tout de suite le pas sur mon énervement. Je me dépêche
d’ouvrir ma portière.

- Ne bouge pas, je vais t’aider.

Je descends de la voiture et la rejoins pour l’aider à descendre. Elle me laisse la


soulever à nouveau, sans manquer de protester.

- Je ne veux pas abuser Majib. Ton cousin t’attend non ?

- Ne t’inquiète pas pour Abou. Il se débrouille bien sans moi. Toi par contre,
boiteuse et nu-pieds, je n’en dirai pas autant.

Je dis ces mots en essayant de faire de l’humour et oh miracle, ça marche ! Elle


sourit enfin ! Alleluia.

- Tu sais que tu vas devoir me porter sur trois étages, superman ?

N’arrivant pas à croire qu’elle plaisante pour de vrai, je l’observe attentivement,


juste pour être sûr. Les bras autour de mon cou, elle me regarde aussi, l’air
espiègle.

Qu’est-ce qu’elle est belle !

Je ne suis pas habitué à la voir ainsi. Sourire… Ça la change complètement, elle


devient une autre personne. Le trouble m’envahit au point où j’en oublie ma
répartie. Je me contente de sourire comme un idiot… J’ai du mal à me reconnaître
à cet instant, comment je peux être autant troublé par une fille ?

Quelques interminables marches plus tard, nous arrivons devant l’appartement où


elle vit. Je la laisse ouvrir la porte puis nous diriger vers ce qui semble être le salon.

Je pose ses affaires et l’allonge sur le canapé.

- Voilà, madame. Saine et sauve, dis-je retrouvant enfin ma voix.

- Merci Majib, c’est gentil.


Elle est toujours souriante et ça a quelque chose de réjouissant de la voir ainsi.
C’est comme si on venait de m’enlever un poids de la tête. Pourtant, je ne la
connais que depuis peu, mais on dirait que j’attendais ce moment depuis
longtemps. Pendant un instant, debout à côté d’elle, je ne la quitte pas des yeux
alors qu’elle se redresse sur le canapé, tire son pied à elle et se met à l'inspecter
en se mordant la lèvre. On dirait vraiment une enfant…

Je suis chacun de ses mouvements, comme hypnotisé.

Au bout d’un moment, elle lève les yeux sur moi d’un air interrogateur, ce qui me
sort enfin de ma léthargie.

- Je vais y aller. Tu… as besoin d’autre chose ? dis-je maladroitement.

Elle roule des yeux, l’air de réfléchir, puis semble se décider.

- Tu retournes prendre Abou au Nirvana ?

- Non, je vais à l’hôtel. Abou peut rentrer seul.

- Ok… Dans ce cas, reste un peu si tu veux. Je t’offre un café pour te remercier.

Et elle le dit avec le sourire. Un vrai caméléon, cette fille. Une minute le visage
fermé, et l’autre souriant. Je ne réponds pas immédiatement mais n'en réfléchis
pas plus. J’ai envie de rester.

En indiquant son pied d’un mouvement de la tête, je plaisante :

- Et comment tu vas le préparer mon café ?


- Ah oui ! Je ne t’ai pas dit. C’est toi qui le prépares au fait. Je prendrai deux sucres
stp pour le mien.

J’éclate de rire, amusé de sa répartie, alors qu’elle continue, mine de rien.

- La cuisine est par là… Voilà… Tu trouveras tout ce dont tu as besoin dans les
placards du haut. Merci !

Elle finit avec un grand sourire, l’air satisfaite d’elle-même. Une vraie gamine…

***

Quelques minutes plus tard, nous sommes à nouveau ensemble dans le salon,
causant calmement, comme de vieux amis. Assis sur la table à côté de son pied
douloureux qu’elle a étendu dessus, je suis un peu penché vers elle et l’écoute
attentivement, une tasse de café chaud entre les mains. L’aube approchante crée
une atmosphère paisible propice à la discussion.

Nous apprenons à mieux nous connaître. Abi me parle de ses études et de son
projet professionnel et moi de mon boulot d’architecte et mes passions,
notamment le tennis que je pratique en amateur. Je lui parle aussi de ma famille
tandis qu’elle reste plutôt discrète sur le sujet, malgré ma curiosité.

Elle préfère poser des questions.

- Tes parents ont toujours vécu en Angleterre ?

- Toujours, non. On a quitté Dakar quand j’avais 8 ans et mon frère 10. Mais mes
grands-parents vivent toujours ici.
- Et vous êtes partis directement en Angleterre, vous n’avez pas vécu ailleurs ?

- Euh… non, non, réponds-je un peu étonné par sa question précise. Pourquoi ?

- Rien. C’est juste qu’en général la destination première des sénégalais qui
émigrent, c’est la France. Pas l’Angleterre.

- Ah, ok. En fait mon père travaillait pour une boite ici qui est une filiale d’une
entreprise anglaise, Imperial Tobacco. C’est pour ça qu’il a été muté là-bas, à
Nottingham précisément. J’y ai grandi puis ai bougé à Londres pour mes études
supérieures.

- Je vois, dit-elle l’air pensive en prenant une gorgée de son café.

J’observe un peu autour de moi pour découvrir son appartement. L’intérieur est
tout simple et pourtant décoré avec un certain goût. Je suis toujours assez surpris
quand même de voir Abi vivre seule ici. Même si je ne vis plus à Dakar, je suis bien
au courant des réalités culturelles et sociales que mes parents et encore moins
mes grands-parents ne me laissent pas le loisir d’oublier. A moins que je me
trompe, les mentalités n’ont pas encore assez évolué pour accepter qu’une fille
aussi jeune que Abi et célibataire vive toute seule.

D’ailleurs, en parlant de vivre seule, je me souviens de quelque chose que Ndèye


Marie m’avait dit et lui pose la question :

- Au fait, ta fille ne vit pas avec toi ?


Elle retire brusquement la tasse de ses lèvres, manquant de renverser le café, puis
me regarde. Je la regarde aussi me demandant ce qu’il se passe, mais, rapidement
elle semble se détendre et me répond.

- C’est Ndèye Marie qui t’a dit ?

- Dit quoi ?

- Que j’ai une fille.

- Yep. Elle m’a même montré sa photo de bébé. Mignonne.

Je vois son expression changer progressivement alors que je parle. Qu’est-ce que
j’ai dit ? Apparemment, la trêve est finie car là, c’est la froide Abi qui me répond.

- Elle vit avec moi. Mais elle n’est pas là aujourd’hui.

- Ah…Je vois.

Je crois comprendre ce qui l’embête. Je soupçonne que sa fille soit avec son père
là et que les choses ne se passent pas forcément bien entre eux.

Peut-être que je me trompe aussi, mais dans tous les cas elle ne semble pas
vouloir en parler donc je laisse tomber ce sujet, et enchaine sur un autre dont je
suis très curieux :
- Et le reste de ta famille alors?

- … Oui ?

- Je veux dire, t’es obligée de vivre ici, toute seule ?

- Je ne suis pas seule, je suis avec ma fille. Et non, je ne suis pas obligée. Mais c’est
ce que je veux.

- Oui mais, t’es étudiante. Financièrement, comment tu…

Elle m’interrompt brusquement, en posant sa tasse sur la table.

- Bon, je suis fatiguée. Je vais me coucher.

Okay, sujet sensible aussi… Décidément.

J’imagine que ça doit avoir un rapport avec la mort de ses parents. La pauvre… Elle
veut faire croire qu’elle est forte mais au fond, elle cache sa souffrance, j’en suis
sûr.

Je l’observe alors qu’elle retire prudemment son pied de la table et, s’adossant au
canapé, essaie de se tenir debout.

C’est fou ce qu’elle me touche. Elle a l’air si fragile…

Je me lève à mon tour en saisissant sa main libre, pour l’aider.


- Désolé de poser toutes ces questions ?

Elle retire brusquement sa main et, dans le mouvement, perd l’équilibre.


Instinctivement, je la retiens dans mes bras pour ne pas qu’elle tombe.

Poussant un petit cri de surprise, elle lève des yeux furieux sur moi.

Qu’est-ce que j’ai fait cette fois ? On ne sait jamais sur quel pied danser avec Abi.

Elle essaye de se retirer mais je maintiens mon emprise. Je ne sais pas ce qui
m’arrive là, mais… la sentir ainsi contre moi… je ne veux pas qu’elle s’éloigne.

Me laissant emporter par mon envie, je l’attire un peu plus contre moi et me
penche sur son visage. Elle essaie de se détourner mais je libère ma main et, lui
tenant fermement la tête, commence à l’embrasser. Je caresse ses lèvres et les
aspire comme assoiffé.

Je n’ai aucune idée de ce que je fais, ou du pourquoi. Je sais juste que je ne peux
pas m’en empêcher, c’est plus fort que moi. Tout est flou dans ma tête. Je deviens
fou…

Abi continue de résister puis me repousse de toutes ses forces. Je desserre ma


pression et finis par la lâcher complètement. La seconde d’après, une gifle
m’atteint en plein visage. .

Sous le choc, j’écarquille les yeux tandis qu’Abi court de l’autre côté du canapé et
me regarde furieusement.

Encore hébété, je l’observe, ne comprenant pas bien. Son pied… ?

Elle semble aussi s’en rappeler, son visage grimaçant de douleur alors qu’elle
semble perdre l’équilibre. Elle s’appuie sur le canapé pour ne pas tomber.

Je la regarde, sincèrement désolé.


- Excuse-moi, Abi. Je ne sais pas ce qui m’a pris.

- Il vaut mieux que tu partes.

- Pardonne…

- Pars Majib. Tout de suite !

Son ton est sec et irrévocable. Pendant un instant je continue de m’inquiéter de ce


qu’elle peut penser de moi avant de me rappeler de… Ndèye Marie. Un choc
encore plus violent que celui de la gifle me saisit.

Merde, merde, merde ! J’ai fait quoi là ?! Son amie !

Je regarde à nouveau Abi puis, honteux, marche rapidement vers la porte et sors
vite en la refermant derrière moi.

Je me tiens debout derrière et me passe la main sur le visage comme pour être sûr
de ne pas rêver. Non. Ce n’est pas un rêve. J’ai bien flirté avec l’amie de ma future
femme…

Comment ça a pu arriver ? Pourquoi même suis-je venu ici ?

***********************

***********************

***Abibatou Léa Ndoye***


Non, non, non ! Pas comme ça. Ce n’était pas censé se passer comme ça, bordel !

Je ne voulais pas qu’on s’embrasse. Enfin, je ne voulais plus. Je n’étais plus


d’humeur, il m’a énervée…

Et là, c’est quand même arrivé alors que je ne contrôlais rien du tout ! Merde ! Je
voulais juste qu’il parte pour cette fois. Pourquoi il a fallu qu’il m’embrasse ? La
première fois est super importante et là je ne maîtrisais que dalle.

Je le déteste encore plus ! Je hais cet homme !

Je mets violemment un coup de pied au dos du canapé et entends le cri de


douleur qui sort de ma gorge.

Ouille ! Ça fait mal. En boitillant cette fois pour de vrai, je marche vers la salle de
bain et me prépare pour aller me coucher et surtout réfléchir à comment je vais
rattraper le coup.

****

Le lendemain

Je me trouve dans un taxi avec Anna, ma cousine. Je n’arrive pas à croire qu’elle
est vraiment là. Elle est juste assise à côté de moi. Tournée vers elle, je ne cesse de
la regarder. Je ressens une joie immense. Je suis tellement heureuse de la voir…

Mais elle, elle est trop calme. Elle ne me regarde pas, ne se tourne pas. Elle fixe
juste devant elle, comme une aveugle. Pourquoi elle ne me regarde pas ? Je
voudrais tellement qu’elle me regarde, qu’elle me sourit encore, comme avant…
Ma jumelle.
Je m’approche d’elle, enroule mes bras autour de son cou et la serre fort contre
moi.

- Tu me manques, Anna.

Je me mets à sangloter. Les larmes coulent sur mes joues… Elle me manque
tellement ! Pourquoi c’est elle qui est partie ? Pourquoi pas moi ?

Driiiiing… Driiiiiing !!

La sonnerie insistante à la porte me tire de mon cauchemar. Ça, ça ne peut être


que Maïmouna. Il n’y a qu’elle pour sonner comme ça.

Je prends le temps d’essuyer mes yeux avant d’aller lui ouvrir.

Dès qu’elle entre, elle commence à m’agresser.

- Tu faisais quoi là, ça fait 5 minutes que je sonne ! Attends, tu dormais ? C’est pas
possible, tu sais qu’il est presque 18h ?!

Je la laisse entrer et s’installer dans le salon, trop lasse pour répondre. Elle parle
trop ! Elle s’assoit sur le canapé et, se tournant vers moi qui la suis, me scrute d’un
regard méprisant.

Je prends le temps de saisir la télécommande et de m’affaler sur le canapé, avant


de lui demander :

- Qu’est-ce qu’il y’a encore ?


- Rien. Je vois juste que ton pied va mieux, répond-t ’elle, sarcastique.

- Oui, ça va. J’avais juste besoin de le reposer

- Huhun ?! Donc tu es tombée, c’est ça ?

- Oui.

- Et tu ne pouvais pas marcher ensuite ? Ma pauvre, tu devais avoir très mal.

- Hum.

- C’est triste. Heureusement que ça a vite guéri. C’est donc Majib qui t’a ramenée ?

Je pousse un grand soupir d’ennui avant de lui répondre.

- Oui, Maïmouna.

- Et pourquoi pas nous ? Tu étais venue avec nous pourtant ?

- Okhoo, c’est quoi le problème ? Pourquoi toutes ces questions.

- Tu sais très bien pourquoi. Abi, rassure-moi. Ce n’est quand même pas ce que je
pense ?

- De quoi tu parles ?

- Tu n’essaies quand même pas de séduire Majib ?!

- T’es débile ou quoi ? Pourquoi tu dis ça ?

Mon rire choqué ne semble pas l’impressionner.

- Parce que je te connais. Je sais très bien comment tu agis quand tu veux un
homme. Tu te rends compte que ce n’est pas n’importe qui cette fois, au moins ?

- Oh là ! T’es parano toi. Bon, je vais prendre une douche. A tout à l’heure ?

Je me lève en même temps pour mettre fin à la conversation. Je préfère me méfier


de Maï, elle sait d’habitude quand je mens. Là, elle est bien sapée, donc elle a
sûrement un rendez-vous et ne va pas m’attendre.

Mais, malheureusement, me voir partir ne la décourage pas.

- Donc tu crois qu’on ne va pas parler d’hier soir hein ? T’as les foutaises, toi. J’ai
attendu depuis hier. Je dois partir chez Lamine là, mais pas avant que toi et moi, on
parle bien même. Je t’attends ici, dépêche-toi.
- Je ne sais vraiment pas de quoi tu veux parler, mais vas-y, attends. Je dois aller
chercher Anna chez ma grand-mère, on fait le chemin ensemble et je te dépose
chez Lamine si tu veux.

Pendant que je prends ma douche, je réfléchis à un moyen de détourner


l’attention de Maï de ce qui s’est passé hier, ou alors lui raconter une histoire
plausible. Il ne faut pas qu’elle se doute de quoi que ce soit, sinon c’est fichu. Je ne
vais pas pouvoir agir à ma guise.

La douche finie, je m’habille et, alors que je m’apprête à sortir la sonnette de la


porte retentit à nouveau. Quand je vais ouvrir, je croise Maï qui allait dans la
même direction et qui fait demi-tour en me voyant.

J’ouvre la porte et, surprise, c’est Majib qui est derrière !

Il ne pouvait pas plus mal tomber, celui-là. Que fait-il ici d’abord ? Je regarde
derrière moi pour vérifier que Maï n’est pas là et m’empresse de sortir et de
refermer derrière.

Majib, sur son 31, les mains dans les poches de son caftan beige, a l’air surtout très
mal à l’aise.

Il me salue mais je me contente de le regarder, sans répondre. Donc il se sent


coupable là, c’est ça ?

C’est les hommes, ça. Capables de faire les pires choses pour venir ensuite
prétendre regretter.

Voyant que je ne réponds pas, il enchaine :

- Désolé de passer comme ça mais je n’avais pas ton numéro de téléphone et… je
devais te voir. Te parler.

- De… ?

- De ce qui… euh… s’est passé… Excuse-moi, Abi, je n’aurais pas dû. Je ne sais pas
ce qui m’a pris.

- Ok,ok. Mais ce n’est pas le moment là…

- Ecoute Abi. Je sais ce que tu dois penser de moi mais je ne suis pas comme ça. Ce
n’est pas moi.

Impossible de cacher le sarcasme dans ma voix quand je lui réponds :

- Ah bon ?!

- Non, pas du tout. C’était juste un moment de faiblesse. Et… Ndèye Marie… Elle
n’est pas obligée de savoir… tu comprends ?

Bien sûr… Quelle surprise ! Monsieur veut protéger ses arrières…

Je ravale mon énervement et lui réponds calmement.

- Ok. T’inquiète, je ne dirai rien. Mais là, il faut que tu partes. Je ne suis pas seule…

Trop tard. Avant même que je finisse ma phrase, ce que je craignais arrive. La
porte s’ouvre sur Maï. J’en étais sûre qu’elle allait sortir !

Elle nous observe à tour de rôle, l’air pas surprise du tout. Je pense qu’elle nous a
entendus…

Confirmant mes soupçons, elle croise les bras d’un air inquisiteur et s’adresse à
Majib.

- Tiens, Majib, qu’est-ce que tu fais là… ? T’es pas chez Ndèye Marie ? C’est bien ce
soir que tu dînes avec ses parents… N’est-ce-pas ?

Maï est terrible. Je tourne le regard vers Majib. Il fait presque pitié à voir la tête
qu’il fait. C’est sûr, si un trou se trouvait devant lui, là, il s’y engouffrerait.

Bon, l’arrivée de Maï n’arrange pas vraiment mes plans, mais voir Majib dans cet
état… Hum, je n’ai pas envie de gâcher mon plaisir pour le moment. Laissons-le
souffrir encore un peu…

Pauvre chou… Si seulement tu savais…

Ça là, ce n’est rien du tout par rapport à ce qui t’attend.

Partie 4 : Je ne suis plus un enfant…

- Tiens, Majib, qu’est-ce que tu fais là… ? T’es pas chez Ndèye Marie ? C’est bien ce
soir que tu dînes avec ses parents… N’est-ce-pas ?
Maï est terrible. Je tourne le regard vers Majib. Il fait presque pitié à voir la tête
qu’il fait. C’est sûr, si un trou se trouvait devant lui, là, il s’y engouffrerait.

Bon, l’arrivée de Maï n’arrange pas vraiment mes plans, mais voir Majib dans cet
état… Hum, je n’ai pas envie de gâcher mon plaisir pour le moment. Laissons-le
souffrir encore un peu…

Pauvre chou… Si seulement tu savais…

Ça là, ce n’est rien du tout par rapport à ce qui t’attend.

*******************

*******************

***Maïmouna Bah***

Je fixe Majib des yeux sans sourire pour bien lui faire comprendre que j’attends
une réponse. Je veux savoir ce que ces deux-là ne comptent pas « dire à Ndèye
Marie » exactement, même si je m’en doute déjà un peu. Abi est une menteuse, je
réglerai son cas plus tard. Mais Majib lui, c’est ici et maintenant qu’il va falloir qu’il
réponde.

Ce qu’il fait d’un ton peu assuré :

- Si, si… J’y vais là justement.

- Et donc… ? Tu as besoin d’aide pour y aller ?


- Non, pourquoi ?

- Je ne sais pas… Pourquoi tu es ici ? Chez Abi ?!

Il prend une inspiration puis répond en regardant Abi, comme pour la questionner.

- Ben… J’étais venu pour… On devait se parler.

- Ah bon, de quoi ?

- T’es curieuse Maï quand même ! En quoi ça te regarde ? répond cette fois Abi.

- Curieuse ? Et bien oui, je suis curieuse. Très curieuse de savoir ce que toi et Majib
ne voulez pas que Ndèye Marie sache.

- Mais ce n’est pas ton problème, à la fin.

- Tu rigoles ou quoi ? Tu crois que je vais vous laisser faire des choses dans le dos
de mon amie ? NOTRE amie, Abi ?

- Mais de quoi tu parles ? Quelles choses… ? Attends une seconde… T’étais


sérieuse tout à l’heure alors ? Tu crois vraiment que… Majib et moi ?! T’as
vraiment l’esprit tordu, toi.
Ok. Là, elle est convaincante. N’empêche, il faut que je sache ce qui se passe qu’on
doit cacher.

- Abi, arrête tu veux bien. Tu ne vas pas m’embrouiller. Je veux savoir ce que Majib
veut cacher à sa fiancée… Hein Majib, qu’est-ce que tu peux bien vouloir cacher à
ta fiancée, et que tu dis à une fille que tu connais depuis 4 jours ?!

Majib me regarde sans rien dire, puis regarde Abi. Il a l’air perdu. Il va craquer, il va
me dire la vérité…

Mais c’est compter sans Abi, qui ouvre à nouveau la bouche en poussant un grand
soupir d’agacement :

- Bon, Majib, autant lui dire la vérité je pense. Sinon elle ne va jamais nous lâcher,
têtue qu’elle est.

Majib la regarde avec des yeux ronds de surprise. Avant qu’il ait le temps de
répondre, Abi enchaine :

- Majib m’a fait certaines confidences hier soir... Privées.

- Des confidences ? Comment ça, quel genre de confidences ?

- Du genre qu’on n’a pas envie que sa future femme sache.


- Mais que toi, Abi, tu peux savoir ?? Vous vous connaissez à peine ! Pourquoi
Majib voudrait se confier à toi ? Je ne comprends pas, là.

Je me tourne vers Majib pour que lui réponde à ma question, mais il regarde Abi
attentivement sans rien dire.

C’est bien sûr elle qui répond à nouveau :

- Tu veux vraiment tout savoir Maï ?! C’est gênant pour Majib enfin ! Tu te rends
compte à quel point t’es indiscrète là ?

- Je veux juste savoir ce qu’il y’a de si grave pour que vous…

- Ok, ok, c’est bon. Majib a des doutes sur son mariage avec Ndèye Marie. Voilà,
t’es contente ?

- Hein ?

Je me tourne à nouveau vers Majib qui, l’air choqué, regarde Abi. .. Choqué, parce
qu’elle a raconté son secret ou pour autre chose ?

Je n’y comprends plus rien…

- Majib, c’est vrai ? Tu as des doutes ?

- Non pas du tout, je n’ai…


- Ecoute Majib, je suis vraiment désolée, l’interrompt à nouveau Abi. Mais je
préfère dire la vérité que de laisser Maï penser le pire… Je sais que tu regrettes ce
que tu as dit hier soir, mais c’était un moment de faiblesse et ça peut arriver à tout
le monde. L’essentiel, c’est que tu aies à nouveau les idées claires. Et tu as raison,
Ndèye Marie n’a pas besoin de savoir ce qui s’est passé. Moi, je ne dirai rien
promis. Et Maï…

Elle me regarde comme pour attendre une réponse, alors que j’essaie encore
d’organiser les pensées dans ma tête. Que veut-elle que je dise ?

- Moi quoi ?

- Maï, toi aussi. Tu sais bien, dit-elle en indiquant Majib de la tête comme pour
essayer de me faire comprendre quelque chose.

- Non, je ne sais pas.

- Pfff, t’es impossible. Promets que tu ne diras rien à Ndèye Marie stp. Majib a
besoin d’être rassuré. En plus, il doit partir là, on l’attend.

Le problème, c’est que je n’ai pas beaucoup entendu Majib s’exprimer…

N’empêche, Abi a raison. Je ne peux pas comprendre qu’il ait des doutes sur son
mariage et surtout qu’il les dise à Abi, mais ça ne me regarde pas. En plus, si c’est
quelque chose qu’il regrette, ça ne sert à rien que Ndèye Marie le sache.
Je me tourne vers Majib qui, cette fois, arrête de fixer Abi et semble plus calme.

- Bien sûr que non, je ne dirai rien. Ce n’est pas à moi de lui dire ce genre de
choses. Mais si toi, tu continues à avoir des doutes, tu devrais lui en parler à elle,
pas à Abi.

- Je n’ai aucun doute.

- Ok, tant mieux… Et… désolée de t’avoir posé toutes ces questions. Je voulais juste
être sûre.

- Pas de problème. Merci… de ne rien dire.

Je les observe encore tous les deux puis rentre à l’intérieur en m’assurant de
laisser la porte ouverte. Je ne veux pas les laisser seuls…

Quelques instants plus tard, Abi rentre à son tour et se dirige directement vers sa
chambre. Je la suis et, alors qu’elle met ses bijoux, elle se tourne pour me regarder.

- Quoi encore. T’en as pas assez ?

- Je n’aime pas ça du tout.

- Tu n’aimes pas quoi ?


- Ce qui est en train de se passer, là. Majib en pince pour toi, tu le sais au moins ?

Abi rit en répondant :

- Décidément, toi. Tu vois le mal partout. Bon, je suis prête. On y va ?

- Reste loin de lui, stp Abi. Je ne lui fais pas confiance…

- Promis. Allez, viens.

**********************

**********************

***Lamine Cissé***

Les écouteurs aux oreilles, je n’ai pas entendu la porte de ma chambre s’ouvrir.
Mais comme d’habitude, je ne suis pas du tout surpris quand une main se pose sur
mes yeux et une voix murmure dans mon oreille après avoir enlevé l’écouteur :

- C’est qui ?

Elle est folle. Elle fait toujours la même chose, elle ne se lasse jamais. Je souris
discrètement puis décide de jouer au jeu cette fois-ci.

- Hum… Petite main, douce, fraîche, très bon parfum… Je dirais que… euh… Ouly !
La main se retire brusquement et Maï se retrouve devant moi, l’air furieuse :

- C’est qui Ouly ??

Je fais mine d’être surpris en me tournant vers elle, quittant des yeux l’ordinateur
devant lequel je suis assis.

- Ah, c’est toi ?

- T’es sérieux, tu ne me reconnaissais pas, Lamine ?

- Ben… on peut se tromper des fois, bébé.

- Tu te fous de moi ? Tu me confonds avec une Ouly ? Et c’est qui, d’abord ?

Je ne peux plus me retenir d’éclater de rire, tellement elle a l’air d’y croire. Je
l’attire à moi, alors qu’elle résiste, pas tout à fait rassurée…

- Tu ne peux pas grandir un peu, madame Cissé ? Ça fait des années que tu fais la
même chose quand tu entres dans ma chambre.

- N’empêche, cette fois, tu es bien tombé dans le panneau. Tu m’as confondue


avec Ouly !
- Ohhh, arrête toi aussi. Tu sais bien que je plaisantais. Quelle Ouly. Je ne connais
même pas de Ouly.

- Huhun. Sûr ?

- Bien sûr que oui, bêta. Déjà, je savais que t’allais venir ce soir non ? Bon, viens là.

Je l’attire sur mes genoux et l’embrasse tendrement. Elle m’a manquée, même si
on ne s’est quitté qu’hier nuit. Le problème, c’est que je voudrais la voir tout le
temps maintenant. J’ai de plus en plus hâte qu’on se marie mais elle tient à finir
ses études avant. Pourtant, je travaille déjà et peux subvenir à nos besoins avec
mon salaire d’ingénieur en télécommunications. On n’a pas besoin de supporter
encore tout ce temps… Deux ans !

Cette pensée me coupe un peu le moral. J’arrête de l’embrasser et recule un peu


pour l’observer. Je ne veux pas attendre… Elle sourit en me caressant le visage.

- Qu’est-ce qu’il y’a ?

- Tu es sûre que tu veux attendre ? Deux ans, c’est long quand même.

- Bébé. On en a déjà parlé de ça. Oui, je veux attendre. C’est mieux comme ça.
- En quoi c’est mieux ? Ça fait huit ans qu’on se connait ! Tu te rends compte ?

- Justement. Ça fait quoi deux ans de plus à attendre ? En plus, on se voit tout le
temps… hmm ?

- Mouai bon…

- Et on peut se faire des câlins… mouah… des bisous... comme ça… mmmouahh ! Et
comme ça… Et…

Elle essaie de me faire rire en m’embrassant partout sur le visage mais ça ne


marche pas vraiment. Au contraire, ça me rend encore plus frustré. Je ne suis plus
un enfant…

- Tu crois que ça me suffit, ça ?

- Ah bon, t’es pas content ? Et ça alors…

Elle m’embrasse plus sérieusement et beaucoup plus passionnément cette fois.


Impossible de résister. Je réponds à son baiser en la serrant encore plus pour sentir
son voluptueux corps superbement formé contre moi. Même si je sais qu’on ne va
pas aller bien loin, je m’apprête à me lever pour l’attirer vers le lit quand,
soudainement, une voix nous fait sursauter en même temps.

- Comment tu vas, Maïmouna ?


Ma mère !

Maï se lève si précipitamment qu’elle perd l’équilibre, manquant de tomber. Elle


s’accroche de justesse au bras que je lui tends. Puis elle le repousse comme si je la
brulais, avant d’arranger sa coiffure et de répondre en bégayant.

- Je vais bien… ta..tata. Et… et… toi ?

Elle n’ose pas regarder ma mère dans les yeux, alors même qu’elle lui parle. J’ai
une irrésistible envie de rire. On dirait un sketch comique.

- Ça va bien ma chérie. Sokhna m’a dit que t’étais arrivée. Ne reste pas ici, viens
avec moi dans le salon.

- Oui, tata…

Maman quitte le seuil de la porte et Maï se tourne vers moi, furieuse. Je la


regarde, un large sourire sur le visage…

Elle chuchote :

- Je ne comprends pas. Sokhna m’a dit qu’elle était partie acheter du poisson !!

- C’est vrai, elle était sortie.


- Mais alors qu’est-ce qu’elle… ? Pourquoi ? Oh, mon Dieu j’ai honte !!

Elle pose ses deux mains sur le visage comme pour se cacher. Maman lui crie à
nouveau depuis le couloir :

- Maïmouna, tu viens ?

Elle court vers la porte pour la rejoindre, me laissant mort de rire.

Ma mère et Maï s’entendent très bien et discutent souvent ensemble ou au


téléphone. Elle la considère comme son unique fille. Je sais qu’elle la conseille
beaucoup et lui rappelle souvent de surtout se « méfier de moi » parce que je suis
un homme. Maï lui a fait la promesse de suivre ses conseils.

Très pieuse, ma mère met le voile et est très à cheval sur les règles religieuses.
Pour elle, se retrouver seuls en couple en étant non mariés, n’est pas
recommandé. Maï et moi le savons très bien et essayons de la ménager quand elle
est là. Surtout Maï, moi je m’en fous un peu...

Avec ça, après toutes les promesses faites à maman, se retrouver en flagrant délit
de « galochage intense » est une catastrophe pour elle. J’en ris encore de la
scène…

Connaissant maman, je suis sûre qu’en rentrant, elle a appris que Maï était ici et a
fait exprès de venir vérifier que « tout se passe bien ». Et bien, elle a été servie…

Je plains Maï…

***
Quelques heures plus tard, nous dînons en famille dans le salon, avec les parents
et la domestique, Sokhna. Maï et elle ont préparé un délicieux couscous de mil à
l’agneau, typique plat du dimanche.

A part mon père qui, par défaut, fait toujours la tête, tout le monde a l’air de se
régaler, surtout moi. J’adore les dimanches où ma femme reste avec nous. Elle
égaie la maison, où en temps normal, je suis le fils unique. Je sais que maman
adore l’avoir avec nous et tout comme moi, a hâte qu’on se marie. La maison est
très grande pour peu de monde, donc on va sûrement vivre ici. Je compte
aménager une partie qui nous sera privée…

Tout est prêt dans ma tête, moi, réglé comme une horloge suisse. Il ne reste plus
qu’à convaincre Maï et ça, ce n’est pas gagné…

Après le dîner, je raccompagne ma femme qui doit aller en cours demain, jusque
chez elle. J’en profite pour dire bonsoir à ses parents avant de reprendre la route.

Quand j’arrive, je retrouve papa dans le hall d’entrée comme s’il m’attendait, l’air
aussi sérieux que d’habitude avec son djellaba blanc et son chapeau marocain.

Il me dit avant de tourner le dos :

- Rejoins-moi dans le salon. J’ai à te parler.

Oh, non. Pas encore… C’est clair, il m’attendait. Il a dû entendre la voiture se


garer...

Pfff… Si c’est encore la même histoire, je ne suis pas sûr de pouvoir garder mon
calme, cette fois. Je traine les pieds en le suivant. Je sens qu’il va réussir à gâcher
ma soirée qui était si agréable jusque-là.
Maman se trouve avec elle quand j’entre dans le salon. Elle a le regard tourné vers
la télé, l’air embêté. C’est clair, cette réunion ne lui plait pas plus qu’à moi…

Je m’assois sur un fauteuil et tourne la tête vers mon père :

- Oui, pa. Tu veux me parler ?

Il plie lentement son chapelet et le met dans sa poche, puis se redresse en posant
ses coudes sur ses genoux et croisant ses doigts. Il penche un peu la tête, l’air très
agacé.

Je vois l’ambiance... Toute cette cérémonie, c’est juste pour m’impressionner.

Mais je continue de l’observer sans broncher, prêt à répondre à ce qu’il me dira.

Il se lance enfin après un petit toussotement.

- Lamine. Qu’est-ce que cette fille faisait encore chez moi ?

- Cette fille… Maïmouna ? Elle s’appelle Maïmouna Bah, papa. Tu la connais depuis
des années pourtant.

- Je sais comment elle s’appelle. Je te demande ce qu’elle fait encore ici. Pourquoi
tu l’as invitée, après ce qu’on s’est dit il y’a quelques jours ?

- D’abord, je n’ai pas besoin d’inviter Maïmouna papa. Elle fait partie de la famille
depuis longtemps même si tu ne l’as jamais acceptée. Ensuite, à propos de ce que
TU m’as dit il y’a quelques jours, je t’ai déjà répondu. J’aime Maïmouna et c’est elle
que je vais épouser si Dieu le veut, personne d’autre.

- Mais toi là, tu es fou ? Tu me manques de respect maintenant ?

- Non, papa. C’est toi qui me manques de respect en essayant de m’imposer ce


que je ne souhaite pas. Je n’ai aucune intention de me plier à vos règles archaïques
là.

- Lamine ! crie maman.

- Non, maman, tu sais que j’ai raison. Je sais que tu n’es pas d’accord avec tout ça,
toi. Tu sais que je respecte nos traditions, tu le sais bien. Mais ça ?! Il faut arrêter à
la fin. Ce n’est pas parce qu’on est soninkés qu’on doit appliquer à la lettre tout ce
qui se décide par des vieux, là-bas en Mauritanie, qui n’ont aucune idée de ce que
c’est que le libre choix. Je suis avec Maïmouna depuis huit ans, tu te rends
compte ? Tu l’adores !

Ma mère baisse la tête sans répondre. Elle ne veut pas parler devant mon père
mais je sais ce qu’elle pense de tout ça.

Je regarde à nouveau mon père. Il est tellement énervé qu’on voit les veines battre
à ses tempes. Il me regarde durement. Je soutiens son regard, sans broncher, puis
je me lève pour partir.

- S’il n’y a plus rien à dire…


Maman intervient alors que je m’éloigne :

- Lamine, tu deviens impoli mon fils. Assieds-toi.

- Désolé maman. Vraiment mais là, je ne peux pas. Bonne nuit à vous deux.

Alors que je sors du salon, j’entends papa tempêter :

- Tu vas l’épouser ! Tu es mon fils et tu vas épouser ta cousine que tu le veuilles ou


non. Au nom de Dieu, tu vas l’épouser.

C’est ce qu’on va voir…

Partie 5: Quelque chose ne va pas

*** Ndèye Marie Touré ***

Virginie et moi raccompagnons Majib et ses cousins à la fin du dîner. Avant de


sortir, j’essaie de prendre à part mon fiancé pour vérifier que tout va bien. Je l’ai
senti très tendu tout au long de la soirée malgré le fait que mes parents aient tout
fait pour le mettre à l’aise. Il évitait même de me regarder alors que j’essayais de
lui faire un signe pour l’encourager. Heureusement qu’il y’avait ses cousins plus
bavards que lui, sinon la soirée aurait été bien longue.

Alors que les autres sortent, je lui tire le bras pour l’arrêter. Il se tourne vers moi
puis esquisse un sourire crispé. Encore plus inquiète, je lui demande doucement
pour que les autres ne nous entendent pas :

- Ça va ? T’as pas aimé le dîner ?


- Si, si. C’était très bon. Merci beaucoup.

- Wow, t’es très sérieux, dis-je en riant de nervosité. Qu’est-ce qui se passe ? C’est
mes parents ?

- Tes parents ?

- Je veux dire… ils t’ont bien reçu n’est-ce-pas ?

- Ah oui, ils sont très cool. C’est bien.

Cette fois, c’est sur un ton exaspéré que je lui demande :

- Bon, Majib, ça suffit, dis-moi ce qu’il y’a.

- Il n’y a rien. De quoi tu parles ?

- Quelque chose ne va pas. Tu es tendu. Tu l’as été toute la soirée et je suis sûre
que maman et papa l’ont remarqué. Je pensais que c’est eux qui te mettaient mal
à l’aise mais là on est seuls alors pourquoi tu continues ? Dis-moi si quelque chose
ne t’a pas plu. Je ne le prendrai pas mal, tu sais.
- Tu te trompes, baby. Il n’y a rien, je te promets.

Je l’observe un instant sans répondre, alors qu’il sourit visiblement pour me


rassurer.

- Tout va bien, je t’assure, dit-il en me prenant la main.

- Tu es sûr ?

- Mais oui.

- Bon… si tu le dis.

Avant de le laisser partir, je regarde derrière moi pour vérifier que personne ne
nous observe puis me redresse sur la pointe des pieds pour l’embrasser. Il se
dépêche de me faire un bisou furtif sur la joue et, déjà en train de partir, me dit :

- Je t’appelle plus tard.

Déçue, je hoche la tête en silence et le suis dehors.

En revenant avec Virginie, elle m’enlace les épaules en me disant :

- Pourquoi tu fais cette tête triste ? Ton chéri te manque déjà ?


- Je ne suis pas triste.

- A d’autres. On dirait que tu vas pleurer là. Qu’est-ce qui se passe ?

- Rien… C’est juste que je trouve Majib un peu bizarre.

- Comment ça ?

- Je ne sais pas. Comment tu l’as trouvé toi ?

- Il n’a pas été très bavard, mais c’est normal aussi. Les parents devaient l’intimider.

- Mais ils ont été sympas avec lui, je trouve. C’est lui qui se tenait à l’écart. Il
réagissait à peine.

- Y’en a qui appellent ça la politesse ma chère. Arrête de te casser la tête. Dis-moi


plutôt, l’autre cousin de Majib là, il fait quoi dans la vie ?

- Virginie ! C’est vraiment la première question que tu trouves à poser sur lui ?

- Ben, je le trouve plus mignon qu’Abou. On a échangé un peu et il a pris mon


numéro, mais…
- Mais quoi ?

- Tu sais bien. Je veux d’abord savoir ce qu’il a comme travail. Ça sert à rien qu’on
aille plus loin s’il est enseignant par exemple, tu vois ?

- Oui, je vois que t’es toujours matérialiste. C’est pour ça même que tu ne
trouveras personne. De toute façon, je ne sais pas ce qu’il fait, donc t’auras qu’à lui
demander. Alors, tu restes dormir ou pas ?

- Non, non tu ne m’auras pas cette fois. Je prends mes affaires et rentre chez moi.
On vient me chercher.

- Qui vient te chercher ?

Mais elle déjà partie en courant vers l’intérieur.

Je retrouve papa dans le salon, les yeux plongés dans un dossier.

- Tu travailles encore ? lui dis-je sur un ton de reproche.

- Je vérifiais quelque chose mais viens. Assieds-toi et discute avec ton vieux père.

Je vais le rejoindre sur le canapé tandis qu’il ferme le dossier et le pose sur la
table.
- Ne dis pas ça, tu n’es pas vieux du tout.

- Un peu que je suis vieux. Bientôt à la retraite quand même. Et tous mes cheveux
sont blancs maintenant, regarde.

- Arrête, tu ne vas pas nous faire une crise quand même. T’es tout beau. Tu sais ce
que tu devrais faire ? Prendre une seconde épouse pour te redonner le moral.

- Et avoir sa mort sur ma conscience ? Ta mère l’assassinerait d’abord puis moi


ensuite, peut-être même toi en passant.

Nous éclatons de rire. Il a raison, maman en est tout à fait capable. Cette femme
est d’une jalousie ! Elle a beau être tolérante sur plein de choses, la polygamie, ce
n’est juste pas imaginable pour elle. Je n’aurais même pas osé plaisanter sur ça si
elle était présente. Je me rappelle cette fois quand j’étais ado où elle avait fait la
gueule à papa pendant toute une journée. Elle était d’une humeur massacrante et
personne ne savait ce qui se passait. Le lendemain, alors qu’elle était sortie, papa
nous a raconté à mes sœurs et moi ce qu’il en était. Au moment de se coucher, il
avait demandé à maman ce qui n’allait pas. Elle n’avait d’abord pas répondu puis
s’était mise à pleurer. Au bout d’un moment pendant lequel il avait tenté de la
calmer, elle lui reprocha de la « trahir elle, la mère de ses enfants qui était toujours
restée à ses côtés même dans les moments durs ». Papa nous raconta qu’il ne
comprenait rien à ce qu’elle voulait dire lui, et se demandait ce qu’il avait bien pu
faire. Après un long moment à essayer de la faire s’expliquer, maman avait avoué
avoir rêvé qu’il prenait une seconde femme.

Nous nous étions marrées comme pas possible. Se mettre en colère à cause d’un
rêve ! Voilà à quel point maman est jalouse. Heureusement mon père l’avait
consolée puis rassurée, mais je pense que tout comme nous, il a compris qu’il ne
fallait vraiment jamais s’y essayer même si un jour l’envie lui en prenait.

De toute façon, je sais que ce n’est pas le cas. Papa n’est pas du genre à être
polygame, ça se voit. Déjà qu’il sort du standard des pères sénégalais. Il suffit de
voir à quel point il est complice avec ses enfants, surtout moi qui suis la
benjamine. Je suis plus proche de lui que de maman et lui confie pas mal de
choses. Mais depuis que je vis en Angleterre, ce n’est plus tellement le cas.
M’assoir à nouveau avec lui et discuter est un vrai plaisir. Ça fait une semaine que
je suis à Dakar mais je l’ai à peine vu. Il est médecin et se retrouve souvent à se
déplacer dans certains hôpitaux des régions en plus de gérer sa clinique à Dakar.

Là, d’ailleurs, je remarque à ses yeux rougis à quel point il est fatigué :

- C’est une bonne chose que tu prennes la retraite, papa. Tu travailles beaucoup
trop.

- Il le faut bien… Alors, comme ça ma petite fille va se marier. Tu ne m’en avais pas
parlé de ce Majib. C’est à ta mère que tu te confies maintenant ?

- Arrête. Quand est-ce que je t’ai jamais parlé de qui que ce soit ?

- Comment ça ? Tu veux dire qu’il y’en a eu d’autres avant lui ?

- Euh… non, non, bien sûr. Je disais ça juste comme ça.


Il me regarde en souriant et nous nous comprenons tous les deux. Complices ok,
mais je n’allais quand même pas lui parler de mes relations avec les garçons. Il
reste mon père.

Mais cette fois, c’est sérieux avec Majib, donc c’est normal qu’on aborde le sujet.

- Alors, comment tu le trouves ?

- Il est correct, très calme... Mais tu sais, j’aurais préféré que tu finisses tes études
avant de te marier.

- Papa ! J’en ai encore longtemps quand même avant de finir. Et puis tu t’es bien
marié avec maman alors qu’elle n’avait pas fini les siennes, non ?

- Je n’essaie pas de t’empêcher de te marier mais fais attention, d’accord ? Tu es


jeune, tu n’as pas besoin de te précipiter. Des hommes bien qui voudront
t’épouser, y’en aura encore et encore.

- Pourquoi tu dis ça ? J’ai déjà trouvé quelqu’un.

- Je sais. Mais ne te précipite pas quand même. Si tu veux attendre pour être sûre,
tu en as le droit. C’est tout ce que je dis. Le mariage n’est pas chose facile et il faut
que tu sois sûre d’être avec la bonne personne avant de t’y engager.

Le ton de mon père est tellement sérieux que ça me jette un coup de froid. Ses
paroles me rappellent celles d’Abi. Qu’est-ce qu’ils ont à la fin ? On dirait qu’ils
essayent de me faire douter…

Pour ne pas en rajouter, je change de sujet et nous restons encore longtemps à


discuter de son travail, de mes sœurs et leurs familles et de ma vie à Londres.

Cependant, mes pensées restent largement occupées par Majib. J’espère qu’il
m’expliquera quand il m’appellera tout à l’heure…

**************** *****

**************** *****

***Abdoul Majib Kébé***

Après avoir quitté mes cousins, je décide d’aller faire un tour en ville pour passer le
temps. La nuit n’est pas encore bien avancée et surtout je n’ai pas envie de rester
dans ma chambre à cogiter sur tout ce qui s’est passé dernièrement.

J’ai vraiment mal géré la rencontre avec les parents de Ndèye Marie. J’espère que
je ne leur ai pas laissé une trop mauvaise image de moi. Même Ndèye Marie a
senti que j’étais mal à l’aise. Le problème, c’est que je n’arrivais pas à me détendre.
Pas devant mes futurs beaux-parents après avoir embrassé l’une des meilleures
amies de leur fille. Et surtout, je ne cessais de repenser à Maïmouna qui, j’en suis
sûr, se doute de quelque chose. Même si Abi a essayé de la tromper, ce qui
d’ailleurs m’a énormément surpris à voir comment elle s’y prenait bien, j’ai peur
qu’elle se méfie de moi et finisse par tout raconter à Ndèye Marie.

En plus de mon inquiétude que cette dernière apprenne tout, j’ai assez mal de
savoir qu’Abi m’en veut. Même si elle a essayé de m’aider, je me rappelle de la
réaction virulente qu’elle a eu hier soir et la façon dont elle m’a reçu ce matin.

Ça fait cinq jours que je suis à Dakar et je laisse déjà une mauvaise image de moi.
Celle d’une personne que je ne suis pourtant pas. J’ai peut-être été con dans ma
jeunesse mais ça fait longtemps que je ne le suis plus. J’ai pris de la maturité et je
ne suis pas le genre à courir d’une fille à l’autre.

Mais Abi… Avec elle, je ne sais plus ce qui se passe. Comment une fille que je
connais depuis si peu, peut me compliquer la vie à ce point ? A cause d’elle, je suis
déjà en train de m’inquiéter pour ma relation avec Ndèye Marie, ce qui n’a jamais
été le cas auparavant.

Mais si seulement, il n’y avait que ça. Si seulement Abi aussi ne m’inquiétait pas ?
Hier soir, j’ai passé un excellent moment avec elle, alors que nous causions et que
je la voyais enfin sous un meilleur jour. Elle était tellement simple… Je profitais de
chaque petit instant d’échange avec elle. Et il a fallu que je gâche tout…

Je ne devrais pas penser ainsi et je m’en veux. Abi ne doit pas être mon problème,
elle doit rester l’amie de Ndèye Marie et uniquement ça. Je n’ai pas à désirer
d’avoir une relation, même d’amitié, avec elle. Je n’ai pas à m’inquiéter à cause
d’elle. Et pourtant, c’est ce que je fais, depuis ce moment à la piscine…

De retour à l’hôtel, je passe rapidement dans ma chambre pour troquer mes


vêtements traditionnels contre une tenue plus décontractée. En ressortant, je
manque de reculer de surprise en tombant nez à nez sur la personne que je
m’attendais le moins à voir.

- Abi ?
Elle me fixe des yeux, l’air un peu gênée et dit avec hésitation.

- Je… J’allais toquer.

Je l’observe deux secondes sans rien dire. Le moment de surprise passé, je lui
demande :

- Ça va ?

- Oui, oui. Désolée de passer sans prévenir mais je n’ai pas ton numéro de
téléphone et tu n’es pas loin de chez moi, alors je suis venue. Pour qu’on parle…

- Ok… Je vois… Je viens juste d’arriver là. Tu as failli me manquer. Entre.

Je me pousse pour la laisser entrer. Elle semble moins agressive que cet après-
midi. Non maquillée et vêtue très simplement d’un jean et d’un tee-shirt, elle fait
plus encore plus jeune que d’habitude.

La voyant hésiter, je l’invite à s’assoir sur le lit et m’installe moi-même sur l’unique
fauteuil. Avec tout ce qui s’est passé, la gêne dans la pièce est presque palpable. Je
me demande ce qui a bien pu la faire se déplacer jusqu’ici.

- Ton ami est toujours dans cet hôtel ?


- Mon ami ? Ah, lui ? Non il est parti. Je suis venue juste pour te voir.

- Ok.

- Je t’aurais appelé si j’avais ton numéro de téléphone… En fait, j’ai beaucoup


réfléchi après que tu sois parti tout à l’heure et je me suis dit qu’il fallait que je te
parle. Je m’en veux pour ce que j’ai dit à Maï mais il fallait que j’invente quelque
chose sinon elle ne serait pas convaincue. Tu comprends ? J’espère que tu ne m’en
veux pas trop.

- T’en vouloir, non ! Pas du tout. Au contraire, tu n’étais pas obligée de m’aider.
C’est moi qui ai fait le con et t’ai mise dans une position délicate. C’est à moi de
m’excuser. Je regrette, sincèrement.

A ces mots, elle détourne le regard, l’air un peu triste. J’espère qu’elle ne se fait
pas de reproches…

- Abi, tu n’as rien à te reprocher tu sais. Je comprends ce que tu dois ressentir,


Ndèye Marie est ton amie… Ecoute, si tu veux, je lui avoue tout et je lui dis que
c’est de ma faute. Je préfère ça plutôt que de te mettre mal à l’aise.

- Non, non ! répond-t’elle véhément. Ne fais surtout pas ça... Tu ne comprends


pas…

- Ok, si tu veux… Mais qu’est-ce que je ne comprends pas ?


Elle me regarde dans les yeux un long moment, l’air hésitante, puis pousse un
soupir avant de prendre son sac et de se lever.

- Il vaut mieux que je m’en aille.

Je ne peux pas la laisser partir comme ça. Il y’a quelque chose qu’elle ne me dit pas
et je veux savoir ce que c’est. Instinctivement, je me lève aussi et lui demande :

- Non, qu’est-ce qui se passe ? Tu n’es pas venu ici pour rien, quand même. Dis-moi
ce qu’il y’a.

- Je t’ai dit. Je n’ai pas ton numéro et je voulais m’excuser pour cet après-midi…
voilà.

- Il n’y a pas que ça.

Je m’approche doucement d’elle pour insister. Elle m’intrigue… Je veux savoir. J’ai
besoin de savoir.

- Abi, dis-moi ce qui ne va pas. Please.

J’essaie d’être doux pour la mettre en confiance et ça semble fonctionner. Elle lève
enfin les yeux sur moi et me regarde, puis finit par répondre.

- Hier soir… Je t’en ai voulu sur le coup. Beaucoup. Mais quand tu es parti, je… tu…
Oh là là, j’ai honte.

Elle dit ça en se cachant le visage derrière ses mains. Je les lui retire doucement et
la pousse à me regarder :

- Quand je suis parti, quoi ? Je veux savoir.

- Je… J’y ai repensé. A ce qui s’est passé… ce que tu as fait et… je me suis rendue
compte que j’ai aimé ça.

Le temps de réaliser ce qu’elle veut dire, je la regarde avec étonnement. Je ne sais


pas quoi dire… je ne m’attendais pas du tout à ça.

Abi réagit à ma place, en se retournant pour partir, l’air honteuse.

- Je n’aurais pas dû te le dire. J’y vais…

Je la retiens par la main. Je ne sais pas pourquoi je fais ça mais je ne veux pas la
laisser partir. Pas après ce qu’elle m’a dit.

Elle résiste en essayant de retirer sa main :

- Non Majib, laisse-moi partir. J’ai assez honte comme ça. Je m’excuse.

- Non. Tu as bien fait.


- Mais non ! Ecoute, tu es un homme et je suis une femme et hier soir, après le bon
moment qu’on a passé ensemble, à discuter et tout, c’était prévisible ce qui s’est
passé ensuite… D’habitude, je ne me livre pas ainsi, même à mes amies. Je ne me
sens pas aussi à l’aise que je l’étais avec toi. Et c’est sans doute ça qui m’est monté
à la tête. Toi aussi d’ailleurs, je suis sûre que tu ne m’aurais jamais embrassée en
temps normal. Mais là, c’était l’ambiance et tout… C’est pour ça que je ne t’en
veux pas. Mais personne d’autre que nous ne pourrait comprendre, tu vois. Il vaut
mieux qu’on enterre tout ça et qu’on n’en reparle plus jamais.

- Ce n’était pas seulement sur le moment. J’en avais envie avant.

- Comment ça ?

- Depuis que je t’avais rencontrée à la plage. Je ne voulais pas me l’avouer mais tu


m’as attiré.

- Majib… tu te rends compte de ce que tu dis ?

- Oui. Tu t’es livrée à moi et tu as été honnête. Alors, je fais pareil... Je te parle
honnêtement. Rien ne m’obligeait à rester avec toi mais je l’ai fait. Parce qu’au
fond, c’est ce que je voulais.

Abi ne dit plus rien. Elle me regarde avec de grands yeux étonnés et voilés d’une
certaine peur.

Je l’observe et ne peux plus la quitter des yeux. Elle m’hypnotise…


Je suis fou. C’est le mot, ça ne peut être que la folie qui me fait dire ce que je dis,
qui me fait agir comme je le fais alors que je la connais à peine.

Tenant toujours sa main, je fais un pas pour me rapprocher d’elle. Maintenant, elle
est toute proche de moi et me regarde toujours. J’ai l’impression qu’elle va s’enfuir
d’une seconde à l’autre, mais tout comme moi quelque chose la retient. Cette
tension entre nous… Je peux à présent mettre un mot dessus. Elle le ressent aussi.
On ne peut plus l’ignorer. C’était là hier soir, tout le temps. C’est là à chaque fois
qu’on se retrouve ensemble…

Je soupire… C’est plus fort que moi. Je veux la sentir encore. Je veux la toucher,
rien qu’un peu…

Je m’approche encore plus d’elle, me laissant tenter. Mon visage très proche du
sien, je suis prêt à goûter au fruit défendu quand, soudainement, la sonnerie de
mon téléphone retentit et ruine l’instant. Abi fait un mouvement de recul.

Je sors le téléphone de ma poche alors qu’il sonne toujours et regarde l’écran.


Ndèye Marie…

Tout d’un coup, c’est comme si je me réveillais. La réalité me revient brusquement


et je lâche la main d’Abi.

Ndèye Marie… Je n’en reviens pas d’avoir failli faire ça une deuxième fois. Après
toute la honte que j’ai éprouvée depuis hier, il a fallu que je revoie Abi pour
m’apprêter à commettre la même erreur.

Je range le téléphone qui a arrêté de sonner dans ma poche en me détournant


d’Abi, puis lui dis sèchement :

- Tu peux partir.

Pendant un instant, je ne la sens pas bouger puis elle tourne le pas et marche vers
la porte. Avant même qu’elle sorte, je regrette mon attitude et la rattrape :

- Attends Abi.

Elle s’arrête et me regarde froidement, sans rien dire.

- Il est 23h, tu… tu veux que je te ramène ? lui dis-je avec hésitation.

Elle ne bronche pas, continuant de m’observer comme si je ne lui avais rien dit.
Son regard me glace… A tel point que, quand elle se détourne à nouveau et sort de
la chambre, je n’ose pas la retenir.

*******************

*******************

Deux jours après

***Abibatou Léa Sy ***

Je raccroche de mon dernier coup de fil avec Virginie. C’est bon, tout le monde est
ok pour venir dîner chez moi vendredi, mes amies et leurs amis. Je suis seule chez
moi alors j’en profite pour recevoir plus que d’habitude. Mame Anna n’a pas voulu
que je reprenne ma fille ce dimanche, du coup elle est toujours là-bas. Comme elle
est de toute façon en vacances, ça va. Ça lui permet de passer quelques jours avec
ses cousins qui sont en vacances aussi. Si je ne détestais pas autant la cousine de
ma mère qui vit là-bas depuis que je suis partie, je serais peut-être moi-même
restée à Pikine, rien que pour passer du temps avec les enfants et ma grand-mère.
Mais je ne la supporte pas. Ni elle, ni les autres. Aucun d’entre eux n’a voulu aider
ma mère quand elle en avait besoin, alors qu’ils le pouvaient. S’ils l’avaient aidée,
rien ne serait arrivé, et peut-être que maman ne m’aurait pas abandonnée…

Bref, même si Mame Anna me manque et que j’aimerais retrouver sa confiance et


son amour, ce n’est de toute façon pas le moment de rester à Pikine. Pour le
moment, je dois m’occuper du cas « Majib »… Le temps presse avec lui. Je crois
bien qu’il ne lui reste qu’une dizaine de jours environ à passer à Dakar et je n’ai pas
encore pris assez d’avancée… En allant à son hôtel avant-hier, je m’attendais à plus
que le peu qu’il s’est passé mais le téléphone est venu tout gâcher. A voir la tête
qu’il a fait alors, ça ne pouvait être que Ndèye Marie.

Ma pauvre amie, si seulement elle savait avec qui elle a affaire... Malgré ses airs,
Majib n’est pas mieux que tous les autres. Heureusement qu’elle est jeune, elle
aura le temps de se remettre de sa déception et de refaire sa vie avec un homme
qui en vaudra au moins un peu la peine. Ou pas d’homme du tout d’ailleurs, ce ne
sera pas plus mal…

Dans la cuisine en train de ranger les assiettes avant d’aller me coucher, j’entends
la sonnette de la porte retentir. Il est pourtant 22h passées, ça ne peut pas être
Maïmouna. Si c’est Ismaël qui ose encore se pointer sans me prévenir, il va
m’entendre.

A la porte, je m’assure que ce n’est pas lui avant d’ouvrir :

- C’est qui ?

- C’est Majib.
Majib ? Parfait. Parfait, parfait… Je vérifie rapidement ma tenue. Déjà habillée
pour dormir, en short et débardeur. C’est suffisant. Je détache mon long tissage et
secoue la tête avant d’ouvrir la porte.

Majib me regarde avec des yeux hésitants. Je l’observe avec mépris puis lui
demande :

- Qu’est-ce que tu veux ?

- J’espère que je ne te dérange pas.

- Dis-moi ce que tu veux qu’on en finisse.

- Je dois te parler. Je peux entrer ? Si ta fille est là, je reste dehors mais sinon…

Il regarde le couloir autour de lui, l’air de dire que ce n’est pas le meilleur endroit
pour discuter. Je soupire et ouvre plus grand la porte.

- Elle n’est pas là. Entre…

Il s’exécute puis se tient debout à côté de la porte, attendant que je la referme. Je


le fais puis, croisant les bras, le toise du regard.

- Alors ?
- Désolé de passer comme ça mais je m’en veux pour avant-hier.

- Désolé, désolé, désolé, tu n’as que ce mot dans la bouche Majib ou quoi ? Depuis
que je te connais, tu ne fais que… eh !!

Le cri que je pousse est vite étouffé par les lèvres de Majib qui, alors que je m’y
attendais le moins, m’a rejoint et écarté fermement mes bras.

Le moment de surprise passé, j’essaie de réfléchir alors qu’il me repousse contre le


mur et m’embrasse fougueusement.

Difficile… Difficile de réfléchir quand sa langue essaie de… Je ne m’y attendais pas,
pas comme ça. Mais je dois me ressaisir cette fois. Prendre le dessus.

Je prends son visage entre mes mains et lui rends son baiser, tout aussi
passionnément, collant mes seins à son torse. Il pousse un gémissement étouffé
tandis qu’un sourire satisfait se dessine dans mon esprit.

C’est bon. Il m’appartient.

M’accrochant à ses épaules, je relève mes jambes et les enroule autour de ses
reins, le laissant faire le reste. Ce que son instinct de mâle lui dicte…

Tandis que, peu de moment après, je me laisse emporter dans ses bras, une
certaine déception me saisit.

Dommage...

Je ne me suis pas trompée. Il est vraiment comme les autres…


Partie 6: Elle est innocente. ..

Un mois plus tard

***Boris Suleyman Hannan***

J’ouvre la porte de mon appartement et vois sans surprise Majib. Encore.

- Maj, j’ai rien contre toi mais tu passes trop de temps chez moi.

- C’est ça, bouge.

Il pousse la porte et entre sans être invité. Découragé, je referme celle-ci et le suis
en trainant les pieds alors qu’il s’installe déjà sur le canapé et commence à se
servir à boire. Cette bouteille, je l’ai posée là, à mon intention, et en espérant la
partager avec personne. Je peux dire adieu à ma soirée solo…

- Fais comme chez toi, Majib.

- C’est ce que je fais.

Il prend la télécommande et commence à zapper, à la recherche d’un programme.


Voilà exactement pourquoi je n’ai pas d’amis. Ils s’incrustent même quand ils ne
sont pas invités. Majib, lui, est passé par les mailles du filet il y’a longtemps. Le
seul ami que j’ai depuis mon adolescence.

- Tu te rends compte que tu passes presque toutes tes soirées chez moi ?

- T’es de mauvaise humeur, mec. Tu devrais te trouver une fille.

- Tu t’es disputé avec ta femme ?

- Non.

- C’est quoi alors ?

- Rien du tout. Pourquoi veux-tu qu’il y’ait quelque chose ? J’avais juste envie de
faire un saut ici. Il n’y a pas si longtemps, c’était mon appart aussi.

- Oui et j’étais bien content que Ndèye Marie me débarrasse de toi. Tu as une
femme maintenant. C’est avec elle que tu devrais être.

- Je ne suis pas marié.

Le ton met clairement fin au sujet. Ça ne sert à rien d’insister même si je sais très
bien qu’il y’a une raison derrière ces fréquents « sauts » chez moi. Mais quand
Majib n’a pas envie de parler, c’est inutile d’essayer de le convaincre. J’espère
seulement que Ndèye Marie n’est pas en train de se tourner les pouces seule chez
elle, se demandant où il est.

- Elle sait que tu es ici au moins ?

- Bien sûr. T’as enregistré le match de cet après-midi ?

Il fait semblant d’être intéressé par la télé alors que je vois bien qu’il n’en est rien.
Je n’insiste quand même pas et fais comme lui en tournant mon attention vers
l’écran.

Mais après plus de deux heures chez moi, Majib ne semble toujours pas vouloir
partir. Cette fois, je prends les devants. J’ai eu une longue journée et mon lit
m’attend.

- Tu dois rentrer chez toi, mon pote. Je vais me coucher moi.

Il ne répond pas et, à moitié allongé sur le canapé, continue de fixer l’écran sur
lequel ne passe plus rien d’intéressant.

- Majib ?

Toujours pas de réponse. Il commence à m’inquiéter celui-là.

- Hé ho, tu m’entends ? Qu’est-ce qui se passe ?


Il réagit enfin en soupirant comme s’il était fatigué, puis passe une main sur sa
tête. Cette fois, aucun doute, il a des problèmes.

- Dis-moi ce qui se passe, mec. Je vois très bien que quelque chose ne va pas. Tu
peux m’en parler, on est pas amis pour rien.

- … Je suis dans la merde… Je me suis mis dans un sacré pétrin et je ne sais pas
quoi faire pour m’en sortir. Tu es le seul avec qui je peux en parler.

- Et Ndèye Marie ?

- Surtout pas elle. C’est justement à son propos.

- Qu’est-ce que tu as fait ?

- Comment tu sais que j’ai fait quelque chose ?

- Tu la fuis pour te réfugier chez moi et tu te sens coupable. Pas besoin d’avoir fait
maths sup.

- … J’ai rencontré une fille… Et il s’est passé quelque chose.

Et voilà. Malheureusement, c’est ça. Je m’y attendais dès qu’il a dit que c’était à
propos d’elle. Pauvre Ndèye Marie…
- Je ne l’avais jamais trompée, Boris. Je n’y ai même jamais pensé.

- Jusqu’à maintenant… Finalement, tu n’es pas si différent de moi et ce n’est pas un


compliment. T’as déconné, mec.

- Je sais.

- Elle ne le mérite pas. C’est une fille bien.

- Je sais, je sais bien. A qui le dis-tu ? Je n’ai jamais voulu lui faire du mal, tu le sais.
Mais ce qui est arrivé est arrivé et maintenant je ne sais pas quoi faire.

Sur le moment, moi non plus, je ne sais pas ce qu’il doit faire. Une autre fille, je lui
aurais conseillé de ne rien lui dire. Seulement, là, c’est Ndèye Marie. Ce n’est pas
n’importe quelle fille. Elle est innocente et trop honnête, elle ne mérite pas de
vivre dans le mensonge.

- Te faire pardonner.

- Donc, je dois lui dire, n’est-ce-pas ?

- Vous allez faire votre vie ensemble. Tu ne peux pas lui mentir sur quelque chose
d’aussi important. Tu as fait une erreur, une grave, mais là connaissant, je suis sûr
qu’elle finira par te pardonner. A condition que tu saches t’y prendre. Tu devras
être patient et faire tout ce qu’il faut pour bien te faire pardonner.
Majib ne me regarde pas et ne réagit pas à mes paroles. Je sais, c’est facile à dire
mais pas si évident à appliquer, surtout avec une personne comme Ndèye Marie.
Comment annoncer ce genre de choses à une personne comme elle ? Même si je
comprends le désarroi de Majib, c’est surtout à elle que je pense. Elle ne mérite
vraiment pas ça…

La voix de Majib me sort de ces pensées.

- Ce n’est pas aussi simple.

- Je sais.

- Non, tu ne comprends pas. Cette fille, ce n’est pas n’importe qui.

- Qui c’est ?

Il se met à me raconter ce qui s’est vraiment passé, quelques semaines plus tôt, à
Dakar, avec cette fille, Abi. Avant qu’il finisse, j’ai une sérieuse envie de lui foutre
mon poing dans la gueule.

Je me retiens et lui parle en éprouvant beaucoup de peine à contenir ma colère :

- Je te croyais plus intelligent que ça, Majib. Comment t’as pu être aussi bête ?

- Tu ne comprends pas.
- Je ne comprends pas quoi ? Que tu trompes la femme qui supporte ta gueule
depuis deux ans avec son amie ? Mais t’avais où ta tête ?

-…

- En plus, quoi. T’as passé deux semaines à Dakar, pas plus. Tu ne pouvais vraiment
pas la garder dans ton pantalon pour deux semaines ? Deux semaines ! Ce n’est
pas la mort quand même. Où au pire trouver une autre fille ?

- Ça n’avait rien à voir avec le sexe.

- Ah tiens ! Vraiment ! Rien à voir avec le sexe. Fais-moi marrer.

En réalité, je n’ai pas du tout envie de rire. Ce con va faire souffrir Ndèye Marie. A
cet instant, je regrette même d’être ami avec lui.

- Je ne sais pas ce que cette bi*** a fait pour t’attirer entre ses cuisses mais tu
peux être sûr que Ndèye Marie ne te pardonnera jamais.

- Ne l’appelle pas comme ça. Elle n’a rien fait du tout, c’est entièrement de ma
faute. Tu juges sans savoir là.

Je rêve ou quoi… Je lui parle du pardon de sa femme et il ne retient que ça !


- Tu la défends ?!

- Tu ne sais rien d’elle, Boris.

- Je sais qu’elle a couché avec le fiancé de son amie. C’est suffisant, non ?

- Ce n’est pas ce qui s’est passé. On n’a pas… Bref, tu ne comprends pas de toute
façon.

- Je comprends très bien au contraire. Cette fille t’a attirée dans ses filets et toi tu
ne t’es pas fait prier. Avez-vous pensé un seul instant à Ndèye ??

- Tu sais quoi, laisse tomber. Je pensais avoir ton aide mais je me suis trompé. J’y
vais.

Il se lève et s’apprête à partir.

- Attends Majib.

- Quoi.

- Ndèye Marie, tu vas faire quoi avec elle ?


- Que veux-tu que je fasse. Je n’ai pas le choix. Je lui dis la vérité.

- Ah non, mon frère. Tu ne peux pas lui dire ça. Tu te rends compte de ce que ça va
lui faire ? Put*** Majib, reviens ici.

Il ne m’écoute pas et est déjà au niveau de la porte. Je me lève rapidement.

- Ok, ok, c’est bon. Je ne vais pas faire de jugement mais stp assis-toi qu’on en
parle. Il faut qu’on réfléchisse… Majib !

Il se tourne vers moi quand je crie son nom et me regarde. Je vois à ses yeux qu’il
est plus atteint qu’il ne veut le laisser paraître. Je décide d’être moins dur dans
mes paroles même si je n’en pense pas moins. Si je le laisse partir là, j’ai peur qu’il
aille raconter à Ndèye Marie ce qui s’est passé sans prendre de gants. Je ne peux
pas le laisser faire ça. Heureusement, il m’écoute et revient s’assoir.

- Majib, tu veux épouser cette fille n’est-ce-pas ? Parce que si tu lui dis ce qui s’est
passé, elle ne sera jamais ta femme. Tu comprends ça ?

- Je ne veux pas la faire souffrir mais…

- Mais quoi ?

- Je ne peux pas continuer de mentir. Je dois lui dire.


Je l’observe un instant. Quelque chose me dit que je n’ai pas encore entendu le
pire de cette histoire.

- Qu’est-ce que tu ne me dis pas ?

- Ecoute, je sais que ça va te paraître fou. Ça ME parait fou, mais… Abi… elle n’est
pas seulement… comment dire... Ce n’était pas juste un moment passager.

- De quoi tu parles ?! Ce n’est pas possible. Tu n’as quand même pas continué avec
elle ?! Attends… Tu es amoureux d’elle ?

- Non ! Je ne sais pas... Je n’arrête pas de penser à elle. Pas depuis le premier
instant où je l’ai rencontrée.

Je l’écoute et ne peux pas m’empêcher de rire. Ironiquement, je lui demande :

- Genre quoi, tu as eu le coup de foudre ? Comme dans les films ?

- Si tu ne me prends pas au sérieux, autant que j’arrête.

- Non, non. Continue.

Il soupire, l’air peiné, puis reprend :

- Tu me connais, Boris. Je ne serais jamais tombé comme ça dans les bras d’une
fille et surtout pas en trompant Ndèye Marie. Mais avec Abi, c’est différent. Je
n’arrive pas à l’oublier.

J’observe plus attentivement Majib. J’ai l’impression de le voir pour la première


fois. Comment est-il passé du garçon amoureux de sa fiancée à cet homme qui
prétend ne pas arrêter de penser à une autre en l’espace de quelques petites
semaines ? Je n’en reviens pas. Ce n’est pas possible. Cette histoire n’est pas nette.
Il y’a forcément quelque chose. Une pensée me vient à l’esprit. Ça ne peut être
que ça… J’ai souvent entendu ma mère en parler, ça existe chez nous en Côte
d’Ivoire et sûrement partout en Afrique, mais il parait que les sénégalaises sont
fortes dans ça. Cette Abi m’a tout l’air d’une prédatrice et elle a dû l’ensorceler.
C’est la seule explication possible, aussi fou que ça paraisse.

- Dis-moi Majib, elle t’a donné quelque chose à manger, à un moment donné ? Ou
à boire ?

- Qui ?

- Cette fille-là. Cette Abi.

- C’est quoi cette question ?

- Parce qu’il parait que c’est comme ça que ça se passe. Je suis sûr qu’elle t’a
ensorcelé et tu as perdu la tête. Tu ne réfléchis plus par toi-même. Ma mère dit
qu’il y’a des gens qui peuvent enlever ce genre de trucs. Je peux lui en parler… Et
puis, qui sait, sachant que tu n’agis pas par toi-même, Ndèye va peut-être te
pardonner.
- Boris, je ne comprends rien à ce que tu dis, ok. Mais arrête de dire que j’ai perdu
la tête. Je suis aussi sain d’esprit que toi. Le seul problème que j’ai, est que je dois
me marier avec une fille et je suis tombé amoureux de…

Il s’arrête brusquement de parler se rendant compte de l’énormité de ce qu’il est


en train de dire. Enfin ! Je le laisse prendre le temps de réaliser lui-même en
gardant le silence. Mes pensées reviennent à Ndèye Marie. Dire qu’en ce moment
même, elle pense que cette fille est son amie ! Encore une autre raison pour
laquelle je n’en ai pas. Ce sont les premiers à te planter un couteau dans le dos.

Après plusieurs minutes de silence, je m’adresse à nouveau à Majib, espérant qu’il


a retrouvé ses esprits.

- Bon, écoute, je te propose de ne rien dire pour le moment à Ndèye. Peut-être


même qu’elle n’a pas besoin de savoir tout court. Finalement, toutes les vérités ne
sont pas bonnes à dire, n’est-ce-pas ? Pour l’autre, on va s’en occuper, tu
l’oublieras. Mais il faut qu’on la fasse taire. On n’a qu’à…

Majib, parlant calmement, m’interrompt :

- Tu te trompes.

- A propos de quoi ?

- Je ne l’oublierai pas.
***************** ****

***************** ****

***Abdoul Majib Kébé***

Quand je rentre chez moi, je trouve de la lumière dans le salon. Ndèye Marie n’est
pas encore couchée. Je jette un coup d’œil à l’intérieur mais elle n’y est pas. C’est
en entrant dans la chambre que je la trouve assise sur le lit. Elle lève les yeux et
me regarde. Elle a pleuré…

Alors que je me demande ce qui se passe, mon regard est tout de suite attiré vers
la valise posée à côté d’elle, sur le tapis.

Alarmé, je m’approche d’elle :

- Babe, qu’est-ce qui se passe ?

- Je veux rentrer chez moi. Il faut que tu m’emmènes, dit-elle avec colère.

- Pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe ?

J’essaie de la toucher mais elle s’éloigne.

- Je rentre parce que c’est chez toi ici, après tout. Au moins, si je ne suis pas là,
t’auras pas besoin de fuir tous les soirs.

- Je ne fuis pas, baby.


- Tu me prends pour une conne ou quoi, Majib. Tu trouves toujours le moyen de
sortir, tu inventes des excuses, tu restes des heures dehors !

- Tu te trompes. Je veux juste te laisser de la place, tu sais, pour préparer ta


troisième année. Elle est déterminante. Je sais combien c’est important pour toi.

- Bulls*** !!

- Non, c’est vrai. Je te promets.

- Ok, soit. Tu ne fuis pas. Alors, explique-moi pourquoi tu ne me touches plus. Hein
? Dis-moi Majib comment ça se fait qu’il n’y ait plus rien entre nous. Tu ne m’aimes
plus, c’est ça ?

- Bien sûr que si, qu’est-ce que tu vas chercher… Viens là.

- Non ! répond-t’elle en me repoussant avec force. Tu crois quoi, Majib ? Que je


vais te retenir alors que tu n’as plus envie d’être avec moi ? Si tu ne veux plus
m’épouser, dis-le tout simplement. Rien n’est trop tard.

Sa voix se brise et elle éclate en sanglots. Tout sauf ça…

J’essaie de l’attirer contre moi mais elle continue de se débattre.

- Ndèye Marie…
Je la raisonne puis la prends dans mes bras et elle finit par se laisse aller, pleurant
tellement que mon tee-shirt est trempé. En lui caressant le dos, elle commence à
se calmer.

Je n’ai jamais voulu qu’on en arrive, là. Si j’avais su que notre voyage au Sénégal
finirait ainsi, je ne serais pas parti, même si ça veut dire ne pas rencontrer Abi. Au
moins, on serait encore en paix…

Quand elle arrête de pleurer, je la sens fatiguée, essoufflée. Je l’attire doucement


sur le lit où je la prends dans mes bras et la berce longtemps jusqu’à ce qu’elle
s’endorme.

Moi, je reste longtemps éveillé, plus perdu que jamais. Je ne veux pas la faire
souffrir, mais je n’arrive pas à oublier Abi. Je pense à elle tout le temps, la
culpabilité me ronge, alors je fuis pour oublier…

Je me retrouve prisonnier entre deux femmes et je n’ai aucune idée de ce que je


dois faire…

Ndèye Marie, qui ne m’a fait aucun tort.

Et Abi…

Boris a raison. Elle m’a fait perdre la tête…

*******************

*******************

Quelques semaines après, à Dakar

***Abibatou Léa Sy ***


J’arrête tout. Après ce que Virginie nous a dit aujourd’hui, je ne peux pas
continuer. Pas alors que ça affecte autant Ndèye Marie. Virginie s’inquiète pour
elle. Je ne me rendais pas compte qu’elle était si fragile. Une rupture maintenant
avec Majib pourrait jouer sur ses études et ça je n’y avais jamais pensé. Ça n’en
vaut pas la peine. On n’a que ça pour vivre par nous-mêmes, ne pas dépendre d’un
homme. D’après Virginie, ça ne va pas fort entre eux, ce que je devinais déjà. Mais
de là à ce qu’elle commence à déprimer au point où Virginie s’inquiète qu’elle
néglige ses études, non. Je ne peux pas laisser faire ça. Ndèye Marie n’est pas
comme moi. Elle a toujours été entourée, chouchoutée. Au fond, c’est encore une
enfant, elle est innocente. Elle n’a pas eu la même vie que moi…

Recroquevillée sur ma chaise, une larme tombée sur mon genou me fait réaliser
que je suis en train de pleurer. J’éteins ma cigarette et m’essuie les yeux.

Mais les larmes ne s’arrêtent pas.

Des souvenirs lointains me reviennent. Je devais avoir 11 ans et je venais juste de


rentrer au collège. C’est Mame Anna qui nous avait emmenées Anna et moi. Tous
les autres étaient arrivés avec leurs parents, qui restaient même un moment avec
eux avant de partir. J’étais assise en solitaire dans un coin et les observais tandis
qu’Anna, bien plus ouverte que moi, sympathisait déjà avec des filles.

Le soir, quand j’étais rentrée à la maison, je m’étais isolée et avais refusé d’aller
dîner. J’étais restée sur mon lit tout le temps, dans notre chambre. C’est là qu’Anna
était venue me trouver.

Elle se coucha derrière moi et m’enlaça..

- Tu pleures ?
- Non.

Elle avait regardé par-dessus moi puis dit :

- C’est quoi ça alors ? Qu’est-ce qu’il y’a ?

- Rien.

- Alors pourquoi tu pleures ?

Je m’étais alors mise à sangloter. Anna ne réagit pas. Elle posa la tête sur l’oreiller
tout en me tenant enlacée. Je finis par me calmer et me tournai vers elle. Elle
sourit :

- Ça va aller, tu verras. Ça va être bien la nouvelle école. Les filles sont sympas.

- Pourquoi nous on n’a pas de famille normale, Anna ?

- Comment ça ? Notre famille n’est pas normale ?

- Je veux dire, pourquoi on n’a pas de parents ? Pourquoi on n’est pas comme les
autres ?

- Mais tu as des parents Abi. Ils ne sont juste pas ici...


- Je n’en ai pas. Ce ne sont pas mes parents.

- Comment peux-tu dire ça. Tata Fatou et…

- Non ! l’interrompis-je vivement. Je les déteste, tu sais.

- Abi ! Tu es folle ? Tu as de la chance d’avoir des parents et tu n’as pas le droit de


dire ça. Moi, j’aurais voulu avoir les miens mais je ne peux pas. Je les ai à peine
connus, tu te rends compte ?

- J’aurais préféré qu’ils soient morts aussi.

- Abi !

- C’est vrai…

Ce jour-là, je racontais à Anna pour la première fois les souvenirs que j’avais de «
mes parents », tout ce que ni elle, ni Mame Anna ne savaient. Elle a été ma seule
confidente et le restera. Je n’en aurai jamais d’autre.

Elle me manque tellement… Elle a été tout pour moi, ma sœur, ma mère, mon
amie. Et finalement, elle aussi m’a été prise…

Je ferais tout pour elle, mais Ndèye Marie n’a pas à payer de son avenir pour ça.
Tôt ou tard, elle souffrira si elle reste avec Majib, mais pas maintenant. Ce n’est pas
le bon moment…

Il va certainement m’appeler ce soir et je mettrai fin à quoi qu’il croit se passer


entre nous. C’est ainsi depuis qu’il est rentré à Londres. Il sait à quelle heure Anna
dort et m’appelle presque tous les soirs pour, dit-il, « prendre de nos nouvelles et
parce qu’il aime causer avec moi ». Je sais que c’est plus que ça. Il ne le dit pas
mais je connais les hommes. Ce malgré le fait que je lui ai fait croire que je ne
voulais aucune relation autre qu’amicale avec lui, le soir où il est venu chez moi.
Nous avions été très intimes ce jour-là mais n’étions pas allés jusqu’au bout. Il a
arrêté peut-être poussé par sa conscience s’il en a un. Mais de toute façon je ne
l’aurais moi-même pas tout laissé faire. Ç’aurait été trop tôt. Il me fallait garder un
moyen de le tenir en laisse, le faire baver encore…

Son appel ne tarde pas à arriver. Je décroche après quelques sonneries.

- Oui.

- Salut Abi.

Il m’appelle de dehors, comme d’habitude. Le bruit ambiant ne laisse pas de


doute. Et avec ça, il se fait croire qu’il n’y a pas de mal à ce qu’il m’appelle…

- Tu vas bien ?

- Ça va … Tu n’as pas l’air en forme toi.

- Juste un mal de tête.


- Oh… tu as pris quelque chose ?

- Non, c’est bon… Majib, j’ai réfléchi et je pense qu’il vaut mieux que t’arrêtes de
m’appeler.

-…

Silence à l’autre bout. Au point où je crois qu’il y’a un problème avec le téléphone.

- Allô ? Majib ?

- Je suis là… Pourquoi tu dis ça ?

- Parce que ce n’est pas normal tout simplement. Tu es avec Ndèye Marie. Tu
devrais t’occuper d’elle. En plus, il parait qu’elle ne va pas fort. Vous vous êtes
disputés ?

- … Non…. Mais c’est vrai que ça ne va pas bien entre nous. J’essaie de faire
semblant mais elle me connait, elle sait quand quelque chose ne va pas et me fait
beaucoup de reproches

- Et qu’est-ce qui ne va pas ?


Il hésite un moment puis finit par répondre, en soupirant :

- Rien. Mais ça n’a rien à voir avec nous. On n’est pas obligé d’arrêter de se parler,
on ne fait rien de mal.

- Ok, alors pourquoi tu ne m’appelles jamais en sa présence ?

-…

- Majib, on n’est pas des enfants, ok. Occupe-toi d’elle. Si ça ne va pas entre vous,
ne vous mariez pas peut-être. Attendez. Mais tu dois t’occuper d’elle. Quant à moi,
je ne peux plus avoir de relation avec toi et je veux que tu respectes ça.

- Tu n’es pas obligée, Abi.

- Je sais mais c’est ce que je veux.

- Vraiment ? Tu es sûre ?

Si je suis sûre ?! Qu’est-ce qu’il croit, lui ! Que j’en ai quelque chose à faire de sa
gueule ?

- Majib, juste pour clarifier les choses, je n’ai pas de sentiments pour toi et je ne
veux rien de toi que tu sois avec Ndèye Marie ou non. Alors, je te conseille de
rester avec elle, au moins le temps qu’elle finisse ses études. Je te laisse
maintenant.

- Abi, attends…

Je raccroche le téléphone, énervée.

« Tu es sûre » ! Non mais pour qui il se prend lui ? Tchuip !

La partie 7 de karma. Pour commencer avec les cadeaux demandés, j'essaie de


publier plus souvent mais avec des parties plus courtes. Je vous donnerai le
nouveau planning.

Enjoy! ]

Partie 7 : Je m’inquiète pour nous…

Plusieurs mois plus tard

***Maïmouna Bah***
Abi et moi nous sommes retrouvées à la Brioche Dorée, une pâtisserie de Sacré-
Cœur. C’est vendredi et ni elle ni moi n’avons cours cet après-midi. Virginie doit
nous rejoindre normalement même si on a eu beaucoup de mal à la convaincre. Je
ne sais pas ce qu’elle fait de sa vie mais on ne la voit plus elle, alors qu’elle est bien
à Dakar.

Pour cette fois-ci, ça tombe bien qu’elle ne soit pas encore là car j’ai besoin de
parler à Abi d’une chose qui m’embête depuis des semaines :

- Avant que Virginie arrive, j’ai besoin que tu me donnes un conseil, à propos de
Lamine.

- Tu me demandes un conseil à moi ?! Tu n’écoutes jamais mes conseils.

- Si c’est le genre de conseil comme quoi je devrais faire crac-crac avec lui pour le
soulager et régler tous nos problèmes, tu peux les garder pour toi en effet. Tchipp.

Amusée, elle sourit sans répondre, ce qui m’énerve :

- Je n’ai toujours pas avalé, tu sais. Je rigole pas, je n’apprécie vraiment pas que tu
me dises ce genre de choses... J’espère pour toi que tu plaisantais.

Elle baisse les yeux sur son verre puis dit tout bas:

- Pas du tout…

- T’as dit quoi là, Abi ?


- Rien. Allez, raconte.

- A condition que tu ne me dises pas de bêtises. Sinon, je peux en parler à


quelqu’un d’autre. Une vraie amie cette fois.

- Oh ! C’est bon ! Je plaisantais. Vas-y, crache.

- Toi là, tu devrais te faire soigner… Bref. Je m’inquiète avec Lamine. Tu sais que ça
fait plus de deux mois que je ne suis pas partie chez lui ? Alors que j’y allais toutes
les semaines, au moins. Maintenant, on ne se voit que dehors pratiquement. Du
coup, même pas d’intimité. Tu sais comment c’est chez moi. Il ne peut pas y rester.

- Pourquoi vous ne venez pas chez moi ?

- Mais ce n’est pas ça le problème. Le vrai problème, c’est pourquoi je ne peux plus
aller chez lui ? Il me tient éloignée, exprès, je ne crois plus à ses excuses. Au début,
ça ne m’a pas paru bizarre mais là j’’ai vraiment l’impression qu’il ne veut pas du
tout que j’y aille. Ça m’inquiète…

- Et tu lui en as parlé ?

- J’ai essayé, mais il se défile. Je lui ai même fait la gueule et tout, mais ça ne
marche pas. Tu sais comment il est. Tu lui fais la tête, il te taquine…
- Tu veux que je lui parle ?

- Je ne sais pas… J’ai pas envie d’insister trop tu vois, comme si j’étais désespérée.
Mais au fond, je suis trop inquiète Abi. Et si, après toutes ces années, il ne
m’aimait plus ? Ou peut-être qu’il a rencontré une autre fille ?

- Mais est-ce qu’il a changé de comportement avec toi en-dehors de ça ? Est-ce


qu’il t’évite, ou qu’il semble moins amoureux ?

Je réfléchis un instant avant de répondre. J’étais tellement focalisée sur le fait qu’il
m’empêchait d’aller chez lui que je ne remarquais pas le reste :

- Non… En fait, non, au contraire. Il est super attentionné et n’arrête pas de


m’embêter avec son mariage là. Il veut qu’on le fasse rapidement.

- Je le comprends. Le pauvre ! Toutes ces années… Heureusement qu’il y’a des


filles prêtes à lui donner ce qu’il faut parce que sinon je ne sais pas comment il
aurait survécu.

Elle m’énerve cette fille. Elle m’énerve ! Elle dit ça avec sérieux, en plus.

- Tu sais quoi Abi, laisse tomber. Je ne sais même pas pourquoi je te parle de mes
problèmes. T’es qu’une conne.

- Attends copine, tu ne crois quand même pas qu’il est resté puceau, si ? Ma puce,
t’es naïve… Mais l’essentiel, c’est que c’est toi qu’il aime, les autres ne sont que
des objets.

- Arrête, Abi. Tu m’énerves. Si tu continues, je vais partir.

Elle répond en riant. Il n’y a qu’en se moquant de moi ou étant avec sa fille qu’elle
rit, cette sorcière. Je la déteste.

- Bon ok. J’arrête. Tu as raison, Lamine est paaaaarfait. Il n’est pas du tout comme
les 99,99% d’autres hommes qui peuplent la terre…

Je fais la tête et décide de ne pas répondre. Elle rit stupidement toute seule puis
reprend :

- Non, plus sérieusement, ça ne doit pas être facile pour lui. Tu comprends ça au
moins ou tu es vraiment naïve ?

- … Mais non, je sais… Mais qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Je ne veux pas me
marier avant d’avoir fini mes études et obtenu un job, tu es d’accord avec moi ?

- Non, pas vous marier. Mais tu peux quand même, de temps en temps, lui…

Je l’interromps, avant qu’elle finisse la bêtise qui allait sortir de sa bouche de «


sheytan » :

- Laisse tomber, Abi. Oublie ma question, stp. Bref, revenons-en à nos moutons.
Pourquoi dans tout ça, il me tient éloignée de sa maison ?
- Et pourquoi tu as besoin de sa permission ? Tu y allais souvent pour voir sa
maman, non ? Même quand il n’était pas là.

- Ah oui, justement. Tata Maty aussi, elle a changé. On se parle toujours, elle est
toujours adorable avec moi mais par contre elle ne me demande plus jamais de
passer la voir. Je pense même que c’est ça qui m’a mis la puce à l’oreille. A deux
reprises, je lui ai proposé de passer, elle m’a dit qu’elle sortait.

- Hum. Là, c’est bizarre…

- Trop.

Je vois Abi qui réfléchit, ce qui m’inquiète encore plus. Si elle prend l’histoire au
sérieux, c’est que j’ai raison de la prendre au sérieux.

Ça me stresse tout ça… Et si c’était le papa de Lamine qui était derrière ? Je sais
qu’il n’est pas fan de moi mais serait-il allé jusqu’à demander que je ne vienne plus
chez lui ? C’est peut-être ça…

Quand même, il ne peut pas me détester à ce point ! Qu’est-ce que je lui ai fait ??
Ça fait des années que j’essaie de le « séduire ». Même si Lamine, connaissant son
père, m’a toujours dit que l’important est que lui m’aime, j’ai quand même tenu à
bien m’entendre avec mon futur beau-père, faire en sorte qu’il m’apprécie ne
serait-ce qu’un peu, qu’il voit que j’ai des qualités, que je m’intègre bien à leur
famille. Moi aussi, je viens d’une bonne famille quand même… Et si mes efforts
avaient eu tout l’effet inverse ?

Si c’est le cas, si son père ne m’aime vraiment pas, je m’inquiète pour nous. On ne
sera jamais vraiment heureux sans sa bénédiction…
- Salut les gosses !

La voix de Virginie qui tire une chaise pour s’assoir me sort de mes pensées.
Toujours à arriver en trombe elle. Je ne sais pas ce qu’elle fait pour tout le temps
être joyeuse. On dirait qu’elle n’a jamais de problèmes.

- Salut toi.

- Alors, vous avez commandé pour moi ? Je vous préviens, je ne paie pas. Vous
avez insisté pour que je vienne, alors c’est vous qui régalez.

- Toi aussi, tu nous as manquée, Virginie.

- Dire que de nous trois, c’est toi qui as un salaire ! s’étonne Abi. Tu devrais payer
pour toute la table au lieu d’essayer de soutirer de l’argent à nous autres pauvres
étudiantes.

- Haha. Toi, pauvre ! Laisse-moi rire. Et surveille ta bouche quand tu parles de mon
salaire. Ne me porte pas la poisse.

- Non mais sérieusement, t’en fais quoi de ce que tu gagnes avec tes photos et
défilés, là ?

- Tu crois quoi toi, que je défile pour Dior ? Je ne gagne pas tant que ça hein et je le
mets de côté pour préparer mon avenir. Ce joli corps ne sera pas toujours aussi
parfait… Alors, vous racontez quoi ?

- T’as des nouvelles de Ndèye Marie ? demande Abi.

- Oui, on était sur skype hier.

- Et alors, ça va mieux avec son fiancé ?

Malgré mes propres soucis, la curiosité d’Abi m’interpelle une fois de plus. Elle
peut tromper les autres avec son air désintéressé là, mais moi je la connais. Elle
s’intéresse beaucoup trop à la vie de Ndèye Marie et Majib pour ne pas
m’inquiéter. Je ne sais pas ce qu’il y’a là-dessous mais quand Abi fait des
cachotteries et joue la comédie, je ne suis pas tranquille.

En tout cas, après l’épisode auquel j’avais participé cet été, je suis bien contente
que ces deux-là soient rentrés et j’espère qu’ils ne reviendront pas de sitôt…

Virginie, loin de se poser les mêmes questions que moi, et surtout très bavarde, se
met à raconter tout ce qu’elle sait de la vie de couple de nos fiancés, encouragée
par Abi. Apparemment, ça va mieux entre Ndèye Marie et Majib. Ndèye Marie est
très absorbée par ses études et ses futurs exams. Elle parle beaucoup moins de
son fiancé maintenant, ce qui, d’après Virginie est la preuve qu’il n’y a plus de
problèmes entre eux… J’espère que c’est ça, et pas l’inverse…

Mais bon, Virginie la connait mieux que moi. S’il n’y avait pas le paramètre « Abi »,
je ne me poserais même pas de questions.

Nous papotons et mangeons pendant près d’une demi-heure quand Virginie reçoit
un coup de fil. Après un petit échange avec son interlocuteur, nous l’entendons
dire :

- Quoi ? Non, non, pas la peine. Attends-moi, je sors.

Elle raccroche et se presse de prendre son sac :

- Bon, les filles, je vous laisse. C’était un plaisir mais maman a des choses à faire.

- Quelles choses ?

Elle répond furtivement, l’air de ne pas trop avoir envie de s’étaler.

- Des photos, à la plage. A plus.

Alors qu’elle se lève, nous voyons arriver derrière elle une silhouette que je n’avais
pas revue depuis plus d’un an. Lui ! C’est donc ça que cache Virginie ?!

Une envie de rire me saisit que je m’efforce à retenir. Mais un sourire m’échappe
quand, vicieuse qu’elle est, Abi dit à haute voix :

- Tiens, tiens. Mike.

Virginie se tourne vivement pour voir un Mike souriant qui marche


nonchalamment vers nous.

- Mais… Je t’ai dit que je sortais.


Il lui pose une main sur sa taille en lui faisant un clin d’œil, puis se tourne vers Abi
et moi.

- Comment ça va les filles ?

- Salut Mike, ça va et toi ?, suis-je la seule à lui répondre.

- Très bien Maï.

Il se tourne vers Abi qui ne prend pas la peine de lui répondre et qui le regarde
avec indifférence :

- Sacrée Abi, tu ne changes pas. Alors, toujours pas décidée à me donner ma


chance ?

- Nop. Toujours pas. T’es pas mon genre.

Mike rigole en répondant :

- J’oubliais. Pas assez riche pour toi.

- Exactement. Mais bon, tu ne te plains pas… N’est-ce pas ?

Elle dit ça en regardant Virginie qui regarde Mike avec mépris. Je n’en peux plus, je
vais éclater ! Mlle « Mike, c’est fini, fini ! » prise la main dans le sac.

Mike confirme ce qu’on sait déjà en répondant :


- En effet, je ne me plains pas.

Puis il prend la main de Virginie en se retournant :

- On y va ?

Elle nous jette un coup d’œil puis le suit, avant de commencer à rouspéter. A coup
sûr, ils vont se disputer.

Dès qu’ils sortent du restaurant, j’éclate de rire suivie par une Abi autant amusée :

- Je te l’avais dit non, tu te souviens ? Je suis à peine surprise.

- Non mais attends, ce n’est pas possible quoi. Avec tout ce qu’elle nous a dit ici !
En plus, il était parti lui. Depuis quand est-il revenu ? J’hallucine !

Mike et Virginie, c’est une longue histoire. Celle du mec et de la fille qui n’ont rien
à faire ensemble mais qui le sont. Lui, c’est « l’exception » de Virginie, le
photographe amoureux de l’Afrique qui n’a aucun sou en poche et qui attire dans
ses filets toutes les pseudo-mannequins. Un vrai baroudeur qui, malheureusement
pour elle, est vraiment trop mignon. Il n’a pas arrêté de la tromper et tout le
monde le savait. De toute façon, elle aussi, en vraie « mbaraneuse »* voyait
d’autres hommes plus à même de l’entretenir financièrement. Leur relation, c’était
les montagnes russes et ça a duré deux ans, entre « big love » et ruptures.
Jusqu’au jour où mademoiselle a décidé que c’était fini car « Mike se foutait trop
de sa gueule ». Je ne me souviens même plus de ce qu’était la raison exacte mais
je me rappelle bien à quel point elle était déterminée, jurant sur ses grands dieux
ne plus jamais se remettre avec lui. Et maintenant, ça…
Bref, dans tout ça, j’ai mes propres chats à fouetter.

Me voyant changer de tête, Abi se redresse et dit :

- Bon, t’as fini ? On y va ?

- Où ça ? Chez toi ?

- Non, chez ton mari, avant qu’il quitte le boulot ?

- Chez Lamine ? Pourquoi ?

- Tu veux savoir ce qu’il te cache ou non ? Allez, lève-toi.

Elle paye la note pendant que je réfléchis. Aller chez Lamine juste comme ça ? Je
ne sais pas si c’est une bonne idée, surtout sans le prévenir ou sa mère… Mais en
même temps, je ne prévenais pas toujours en y allant, donc personne ne m’en
voudra n’est-ce pas ? Et puis, tata Maty me dira peut-être ce qui se passe ? Elle m’a
toujours parlé honnêtement. Si ça se trouve même, il n’y a rien et je me fais des
idées…

Alors ? J’y vais…?

***************** *

***************** *
***Abibatou Léa Sy***

Quand on arrive chez Lamine, c’est la bonne qui vient nous ouvrir. En entrant, Maï
demande des nouvelles de la maman de Lamine et la bonne nous quitte pour aller
la chercher. Je suis Maï et nous nous installons dans la véranda.

Je la sens stressée. Au fond, je ne m’attends pas à ce qu’on découvre quoi que ce


soit mais je veux juste qu’elle soit rassurée. De toute façon, qu’est-ce qu’on
pourrait découvrir ? Je n’ai pas l’habitude de faire confiance aux hommes mais
avec Lamine, c’est différent. Je pense que c’est le seul pour qui je peux jurer qu’il
est amoureux de sa petite amie. Je les ai vus ensemble assez longtemps pour m’en
convaincre.

Pendant qu’on attend la tata, une personne sort d’une chambre à côté. Elle ferme
la porte à clé puis nous jette un coup d’œil et un bref bonjour avant d’entrer dans
le salon.

C’est une très belle jeune fille, assez menue et à la peau claire.

Curieuse, je demande à Maï :

- C’est qui ?

- Je ne sais pas, je ne l’ai jamais vue. Sûrement une invitée…

Hum. Elle m’a l’air bien à l’aise pour une simple invitée. La maman de Lamine ne
tarde pas à nous rejoindre :

- Mes chéries, ça va ? Je ne savais pas que vous passiez.


- Bonjour tata. Je voulais te faire la surprise.

On lui fait la bise et Maï lui remet le petit cadeau qu’on est allé lui chercher en
route. Après nous avoir remerciées, elle nous invite à entrer dans le salon :

- Ne restez pas ici, venez.

Nous retrouvons la mignonne jeune fille assise devant la télé, qui se tourne pour
nous regarder. A ce moment, mes yeux tombent sur la maman de Lamine qui
affiche une expression de surprise désagréable. Elle nous invite quand même à
nous assoir mais ne nous présente pas à la fille.

Pendant que Maï et sa belle-mère discutent, je garde essentiellement le silence et


observe… Les manières de la jeune fille, la façon dont tata Maty l’ignore exprès,
ses paroles très – trop – attentionnés pour Maï comme pour faire passer un
message… Je n’aime pas ça. Je n’aime pas ça du tout !

Quelques heures après, après avoir déposé chez elle une Maïmouna bien plus
rassurée que celle de l’après-midi, je suis de retour chez moi. La bonne partie et
Anna mise au lit, je m’isole dans le salon et appelle un numéro sur mon téléphone.

Lamine décroche, l’air pas surpris car on s’appelle de temps en temps :

- Salut Biba !

Je lui réponds d’un ton menaçant.

- Salut. Toi, il faut qu’on se parle. Tu passes me voir demain ?

- Tu me fais peur là. Qu’est-ce qui se passe ?


- Je veux que tu me parles de l’adorable jeune fille qui se trouve chez toi, en ce
moment-même. Tu viens à quelle heure ?

Je le sens déglutir puis hésiter avant de répondre. Il me connait, il sait que ça ne


sert à rien d’essayer de mentir.

- Est-ce que… Maï… ?

- Ta femme est naïve, elle ne se doute de rien. Mais moi je ne le suis pas. On en
parle ou je lui parle ?

- Ok. Ne lui dis rien, stp. Je passe chez toi vers 15h.

- Je t’attendrai. A demain.

Je raccroche le téléphone et reste un moment sans bouger, pensive. Sans s’en


rendre compte, il vient juste de prouver que j’ai raison d’avoir des soupçons, alors
que tout ce que je voulais c’est l’inverse. Je continue d’espérer qu’il y’a une bonne
explication, que ce n’est pas vraiment ce que je pense.

Pas toi, Lamine. Ne me déçois pas…

*"mbaraneuse" : nom qu'on donne aux filles qui sortent avec des hommes pour se
faire entretenir.

Partie 8 :

*** Lamine Cissé ***

Quand j’arrive chez Abi, c’est Sokhna qui vient m’ouvrir et m’invite dans le salon.
J’y retrouve Anna, encore devant ses dessins animés. Elle est tellement absorbée
qu’elle ne me voit pas arriver :

- Ma femme à moi ?

Elle se tourne et me regarde avec surprise puis son visage se fend d’un sourire :

- Tonton Lamine !

- Comment ça va ?

- Ça va bien.

Je m’assois à côté d’elle et l’enlace alors qu’elle se laisse blottir contre moi,
oubliant la télé.

- Ma petite femme m’a manquée. Ça fait des semaines que je ne t’ai pas vue. C’est
pas normal ça.
- C’est tata Maï ta femme.

- Elle ? Non ! Je joue juste avec elle. Toi, tu es ma vraie femme. Tiens, regarde ce
que je t’ai amené…

Elle sourit discrètement mais ses yeux brillent de plaisir quand je lui tends la petite
montre que je sors de ma poche. Je l’avais depuis longtemps chez moi mais n’ai
pas eu l’occasion de passer la lui donner. J’adore cette petite. D’après sa mère elle
me le rend bien et je sais qu’elle est très heureuse de me voir. Pourtant,
contrairement à la plupart des enfants de son âge, elle ne montre pas de joie
excessive, ne saute pas dans mes bras, ne rit même pas plus que ça. Elle reste
posée et se contente de sourire et de dire merci. A 4 ans, elle a déjà beaucoup de
caractère et de classe. Tout à fait la fille d’Abi…

- Alors, raconte, tu fais quoi de ta journée à part regarder la télé ?

- On a fait des beignets. Tu veux que je t’en donne ?

- Si c’est toi qui les as préparés, je veux bien. Si c’est ta maman, euh...

La grimace que je fais réussit à enfin la faire rire, puis dire fièrement :

- J’ai mélangé la pâte et maman a fait frire.

- C’est vrai ? Dans ce cas, je veux bien.

Elle se lève et va rejoindre Sokhna dans la cuisine puis revient rapidement avec
une assiette de beignets qu’elle pose devant moi :

- Sokhna amène du jus.

- Merci chérie. Viens à côté de moi.

- Elle va venir, tata Maï ?

- Non, pas cette fois. Tu m’as pour toi toute seule. Ça fait longtemps et je veux que
tu me racontes tout ce qui s’est passé à l’école.

Nous nous mettons à discuter comme deux adultes. Elle se prend bien au sérieux
et me parle de la vie avec ses copines, les méchantes et les gentilles, puis de ses
prouesses en dessin et chant. Je la regarde et, rafraichissante, elle arrive à me faire
tout oublier. Je rêve d’avoir une fille comme elle avec Maï. Malheureusement, Abi
finit par pointer son nez, ce qui me ramène tout de suite à la réalité.

- Excuse-moi Lamine. Il fallait que je prenne une douche rapidement. J’étais dans la
cuisine depuis ce matin.

- Pas de problème, j’avais Anna.

- Parfait. Ça veut dire que t’as assez profité de tonton, bébé. Tu peux aller aider
Sokhna maintenant et nous laisser seuls ?

Obéissante, Anna accepte et va rejoindre Sokhna. Je me demande comment Abi,


très jeune elle-même, a réussi à faire de sa fille ce qu’elle est…
Bref, la récréation est finie, les choses sérieuses vont commencer.

Abi s’est assise sur un fauteuil et m’observe fixement d’un regard accusateur, l’air
d’attendre que je parle.

La connaissant, ça ne sert à rien de tourner autour du pot. Je décide donc d’aller


droit au but pour ne pas perdre de temps :

- Vous avez rencontré Hadja, alors... Maï ne m’avait pas prévenu que vous passiez
sinon…

- Sinon quoi ? Tu l’aurais empêchée d’y aller comme tu le fais depuis des
semaines ? Qui est cette fille Lamine et pourquoi elle est chez toi ?

- Bon, Abi. Déjà, arrête de me parler comme ça. T’es pas la police, je ne suis pas ta
fille, je n’ai rien fait de mal et je n’ai rien à cacher.

- Ah bon ? Ok, dans ce cas tu ne verras pas de mal à ce que je demande à Maï de
nous rejoindre. Attends une minute…

Elle a déjà pris son téléphone mais je l’arrête avant qu’elle ait le temps d’appeler.

- Stop Abi. On peut parler rien que tous les deux. Je veux juste que tu arrêtes de
me juger avant même de savoir ce qui se passe. Mais je vais tout te dire, ok… En
fait, j’ai même besoin de ton aide parce qu’honnêtement je ne suis plus sûr de
savoir quoi faire. Cette histoire a pris des proportions auxquelles je ne m’attendais
pas.

- Ok. Je t’écoute.
Et elle ne change ni de tête, ni de ton malgré tout. Enervante, cette fille. Bref.

Je me mets à lui raconter tout depuis le début. Comment mon père n’a jamais
accepté ma relation avec Maï malgré toutes les années qu’on a passées ensemble.
Ça elle savait déjà, mais elle savait aussi que ça ne m’avait jamais vraiment
dérangé. Je me suis toujours dit que de toute façon, c’est à moi de choisir la
femme que je voulais et personne d’autre et qu’un jour où l’autre papa serait
obligé de l’accepter. Alors que ça inquiétait Maï, pour moi ça n’avait pas plus
d’importance que ça, malgré le fait que beaucoup de mes cousins finissaient par
se plier aux décisions des parents en épousant la fille qui leur était « destinée ». Je
me disais que de toute façon il n’y avait personne de choisie pour moi. Mes
cousines ne me connaissaient même pas, je me débrouillais pour ne jamais aller
rendre visite aux oncles ou tantes chez qui je pouvais potentiellement en
rencontrer. Quand certaines venaient en vacances chez nous, je disparaissais
pratiquement de la maison ou faisais en sorte de souvent ramener Maï.

Jusqu’au jour où papa m’a clairement dit que lui et je ne sais qui avaient choisi une
femme pour moi. Ce jour-là, j’ai été clair sur le fait que je ne l’épouserai jamais, ce
qui m’a valu beaucoup de problèmes avec mon père. Suite à notre dernier
échange sur le sujet où je lui avais soit-disant manqué de respect, il ne m’a plus
embêté avec cette histoire de mariage arrangé et je croyais avoir réussi à m’en
débarrasser. Même s’il ne me parlait pratiquement plus, je me disais qu’il finirait
par oublier sa colère vu que j’étais son seul fils. En même temps, je pressais Maï
pour qu’on se marie au plus vite. Au pire, je ne comptais même plus sur mon père
pour aller faire la demande en mariage à ses parents. J’avais déjà choisi les oncles
du côté de ma mère que je savais pouvoir convaincre de faire ce qu’il faut. J’avais
tout préparé et il ne restait plus qu’à convaincre Maï qui elle, a refusé de renoncer
à son sacro-saint principe de ne pas se marier avant la fin de ses études.

Et puis un jour, je rentrai chez moi et trouvai ma cousine Hadja à la maison. J’ai
tout de suite compris quand je l’ai vue que mon père n’avait pas une seule
seconde renoncé à ses plans. Je savais déjà que c’était elle qu’on avait choisie pour
moi et, même si je ne l’avais pas revue depuis qu’elle était une gamine, je l’ai
reconnue. Je décidai de ne pas poser de questions mais la tête que faisait maman
ce jour-là confirmait déjà ce que je pensais.

Le soir-même, mon père me convoqua pour me dire que désormais Hadja allait
vivre avec nous, en attendant le mariage. Il me dit fièrement qu’elle venait d’avoir
son bac et était prête, une fois que moi je le serais. Une fois de plus, je lui
expliquai que je ne l’épouserais jamais et une fois de plus il balaya mes objections
comme si elles n’avaient pas d’importance. Il argua que je voulais l’humilier mais
que je n’y arriverais jamais, qu’il était mon père et le resterait et que s’il fallait en
arriver là, il ferait le mariage sans attendre que je me sois décidé.

Depuis lors, je vis cette situation sous mon propre toit. Hadja, bien qu’elle n’ait que
19 ans, se comporte déjà comme si elle était ma femme. Elle, contrairement à moi,
a l’air tout à fait disposée au mariage. Elle est toujours là, partout, à essayer de
causer avec moi, à me servir… Moi, je fais tout pour l’éviter. Mais c’est chez moi et
je ne peux pas toujours m’absenter, surtout que ça fait plusieurs mois que ça dure.

Abi m’écoute attentivement sans m’interrompre, alors que je finis en répondant à


la question qu’elle doit sûrement se poser :

- Je ne peux plus inviter Maï à la maison à cause de la menace que mon père a
faite. Il m’a clairement dit que s’il la voyait ne serait-ce qu’une fois, il ferait venir la
famille et célébrerait le mariage. Je ne veux pas en arriver là. S’il le fait, je sais que
je ne consommerais pas mais quand même… ce serait humiliant pour Hadja. Voilà,
tu sais tout maintenant.

- Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi tu n’as rien dit de tout ça à Maï. Ça
fait des mois que tu le lui caches !
J’inspire et laisse aller ma tête contre le dossier. Toute cette histoire me fatigue
déjà moi-même. Et Maï qui ne se doute de rien…

- C’est vrai. Mais Maï a fait énormément d’efforts pour plaire à mon père, pendant
des années. Comment lui expliquer que lui, en contrepartie, fait tout pour se
débarrasser d’elle ? Ça va lui faire mal, Abi. Tu sais à quel point elle est sensible.
Puis je crains le pire…

- Le pire ?

- Je la connais. Pour elle, la bénédiction des parents c’est important, elle a été
éduquée comme ça, elle n’est pas comme toi ou moi. Si elle apprend que mon
père la déteste à ce point, j’ai peur qu’elle refuse le mariage.

Abi ne répond pas et semble réfléchir. Sachant que je ne déroge pas de l’idée
qu’elle se fait de tous les hommes, je tente de la rassurer sur mon compte :

- Je ne mens pas Abi. C’est juste pour ça que je ne l’ai pas dit à Maï. Rien d’autre.

- Je te crois… Et alors, que comptes-tu faire ?

- Je ne sais pas… Laisser passer le temps... Convaincre Maï… Si on se marie, mon


père sera furieux mais il n’y pourra rien. Hadja n’aura pas d’autre choix que de
retourner chez elle. Peut-être que tu peux m’aider à la convaincre ? Elle ne
l’avouera jamais mais elle s’inspire beaucoup de toi, ton indépendance, tout ça.

- Ça ne suffit pas Lamine. Je ne vais pas lui mentir sur ce qui se passe. Tu dois aussi
lui dire la vérité.
- Non. Ça , ce n’est pas une bonne idée.

- Ah bon ? Donc, quand vous serez mariés, tu comptes lui cacher encore des
choses comme ça ?

- Bien sûr que non, mais…

- Mais rien. Tu dois lui dire la vérité mais pas seulement ça. Tu dois aussi lui
montrer que tu fais ce qu’il faut pour régler la situation, au lieu de rester aussi
passif que tu l’es.

- Je ne suis pas passif.

- Si, tu l’es ! Tu crois quoi ? Ton père n’est pas stupide. Tu fais exactement ce qu’il
veut là. Tu t’éloignes de Maï sans t’en rendre compte, obnubilé par tes problèmes.
Elle se doutait de quelque chose tu sais, elle était inquiète. Vous allez finir par vous
disputer pour de vrai et le jour où tu iras mal, tu commenceras à te dire que
finalement la vie serait peut-être plus simple avec cette… Hadja. Tu finiras par
choisir la facilité et tu seras ensuite malheureux toute ta vie. Il ne faut pas en
arriver là. Et pour éviter ça, la première chose à faire est de tout expliquer à Maï
pour qu’elle comprenne au moins. Ensuite, tu lui montres que tu te bats ! Quitte la
maison et trouve-toi un appartement. C’est ça ne pas être passif.

- Mais non… Tu crois que je n’y ai pas pensé ? J’y ai pensé aussi mais je ne veux pas
faire ça. Ma mère n’a que moi, je lui ai promis de rester vivre là-bas.
- Ta mère comprendra, elle aime Maï, elle. Demande-lui de te soutenir et elle le
fera, c’est sûr. En plus, ça suffit hein, le fils à sa maman. T’es plus un bébé, tu peux
quitter le nid à présent.

- Oh, arrête, ça n’a rien à voir avec ça.

- Prends un appartement, Lamine. Un assez grand où vous pourrez commencer


votre vie, Maï et toi, quand vous serez mariés. Montre-lui que tu te projettes avec
elle, que tu fais déjà des concessions. C’est peut-être ça qui la rassurera et la
décidera à se marier maintenant au lieu d’attendre. Lui dire la vérité sera dur pour
elle, elle s’inquiétera. Mais si tu déménages en même temps, ça atténuera les
choses.

- Mais si je fais ça, ça risque aussi de pousser mon père à exécuter sa menace.

- Tout dépend comment il voit ce déménagement. Fais-lui croire quelque chose…


je ne sais pas moi… que tu déménages pour… ne pas sauter sur cette Hadja parce
qu’elle est trop belle. Voilà !

Elle me fait rire cette fille.

- Sérieusement, tu crois que je vais dire ça à mon père ? T’as vraiment grandi au
Sénégal toi, ou quoi ?

- Ecoute, je ne sais pas. T’es intelligent, invente quelque chose pour ne pas éveiller
ses soupçons. Qu’importe, mais sors de cette maison.
- Ok... Je vais réfléchir…

- Réfléchis rapidement parce que je ne mentirai pas longtemps à mon amie.

- Pourquoi t’es agressive avec moi comme ça ? Tu sais bien que je l’aime, Maï.
Arrête de croire que tous les hommes sont pareils. T’es fatigante à la longue.

- Dis-moi, comment tu la trouves cette Hadja ?

- Comment ça ?

- Comment tu la trouves ? Physiquement tout ça…

- Bon, je ne vais pas prétendre qu’elle n’est pas jolie aussi. C’est clair qu’elle l’est
mais ça n’a pas d’importance pour moi.

- Ça a toute son importance. C’est une très jolie fille qui non seulement vit avec toi
mais fait tout pour te séduire. Je suis une fille et voilà mon conseil : fuis pendant
que t’as encore le temps.

Elle parait si sérieuse que je ne peux m’empêcher de rire, amusé. Elle abuse !

Je n’ai pas besoin de fuir Hadja.


Celle que j’aime, c’est Maïmouna et ça, rien ne le changera.

*****************

*****************

***Virginie Badji***

Finissant de me préparer, je m’apprête à rejoindre Mike en ville quand mon


téléphone se met à sonner. Je vois avec surprise le nom de Ndèye Marie. C’est rare
qu’elle m’appelle en journée et sur mon téléphone. On se débrouille toujours pour
parler le soir sur Skype. Devinant que ce doit être important, je décroche vite :

- Allô puce ?

- Virginie…

Je sursaute à sa voix cassée et les sanglots qui s’ensuivent. Elle pleure !

- Ndèye Marie ?! Seigneur, qu’est-ce qui se passe ?

- Sniff ! C’est… C’est… sniff !

- Ndèye, stp. Stp calme-toi, tu me fais peur. Dis-moi ce qu’il y’a. T’es malade ?
- J’ai mal Virginie… sniff. J’ai trop mal !

- Mais qu’est-ce qui se passe ?? Qu’est-ce que tu as ?

- C’est… sniff, fini…

- Quoi ? Qu’est-ce qui est fini ?

Elle pleure douloureusement et je n’en peux plus. J’ai le cœur brisé de l’entendre
ainsi et mes larmes se mettent à couler.

Partie 9 : Je ne veux plus vivre dans le doute

La veille au soir

***Ndèye Marie Touré***

Je suis à 4 mois de mon mariage et je suis moins que jamais sûre de quoi que ce
soit… Je devrais être en train de le préparer, de m’exciter à l’idée de devenir la
femme de celui avec qui je suis depuis 3 ans maintenant, mais ce n’est pas le cas.
Au contraire, plus il s’approche, plus j’ai des doutes, plus c’est lourd…

Je ne supporte pas par exemple quand la mère de Majib me pose des questions
sur ce qu’on a prévu pour la réception, alors que je n’en discute jamais avec son
fils. Je ne supporte pas quand maman me propose d’informer le reste de la famille
et que je suis obligée de l’en empêcher. Je ne supporte plus d’avoir à lui mentir, lui
disant que je préfère que personne ne soit au courant pour le moment car je ne
veux pas de grande cérémonie alors que c’est ce dont j’ai toujours rêvé. Je ne
supporte plus que mes amies me posent des questions, s’attendant à ce que je sois
excitée d'être bientôt mariée.

Je ne supporte pas et pourtant je me tais, continuant de faire comme si de rien


n’était. Je suis fatiguée de faire semblant. La réalité, c’est que je ne sais plus rien
de mon couple, encore moins de ce mariage.

Majib a changé.

Ça a commencé cet été, le jour-même de la rencontre avec mes parents. J’avais un


fort pressentiment quand il m’a quittée sur le pas de la porte, une peur, le genre
qui te fait battre le cœur plus fort sans que tu saches où se situe exactement le
problème. Tu sais juste qu’il y’en a un, une menace quelque part, que tu tentes
d’ignorer au fil des jours mais qui ne disparait pas.

Ça s’est confirmé les jours suivants, les semaines, puis les mois. Il a fallu me
l’avouer à un moment, notre relation n’est plus la même. Ce qui était évident ne
l’est plus. Lui qui m’aime et qui a hâte de m’épouser, moi qui lui fais confiance,
tous les deux sereins, convaincus d’être faits l’un pour l’autre et pressés
d’officialiser notre relation. Ce n’est plus tout à fait ça, ce n’est que doutes et
questions…

Au début, c’était ses nombreuses sorties, son éloignement même quand il était là,
les mensonges qu’il me sortait pour me convaincre que tout allait bien, qui m’ont
fait craquer. Je suis passée de l’inquiétude à la colère, pour finir par la tristesse. Je
m’en suis prise à lui.

J’avais peur, tellement peur de m’être trompée… Je n’arrivais plus à penser à rien
d’autre que ça. Et si tout cassait entre nous ? Je n’y avais jamais songé et là, j’avais
cette crainte qui ne m’a jamais quittée depuis.
Ensuite, il y’a eu la trêve, ou plutôt ce que je pensais en être une. Après les
reproches que je lui ai faits, Majib est devenu plus attentionné. Il s’est à nouveau
rapproché de moi. Je sentais qu’il faisait des efforts, pourtant plus il en faisait, plus
ça m’énervait. Car le problème était justement là, il faisait des efforts et ça se
voyait… Avait-il besoin de faire des efforts avant ?

Puis je me rassurai en me disant qu’au moins ça prouve qu’il tient à moi et tient en
compte ce qui me dérange.

N’empêche, au final, je n’étais pas plus rassurée. Je me suis juste habituée...

Peut-être qu’en fin de compte, tout ça n’avait pas grande importance ? Quand je
réfléchis, en-dehors de Majib, je n’ai eu qu’une relation avec un homme qui a été
très longue. Un amour de jeunesse sans complications qui ne s’est arrêtée qu’à
cause de la distance quand il est parti faire ses études au Canada. Ensuite, nous
sommes devenus amis et avons gardé beaucoup d’affection l’un pour l’autre.

Je n’ai jamais eu à souffrir par amour. Peut-être que j’ai été trop « gâtée » et que
c’est pour ça qu’un rien m’embête ? Et si l’attitude de Majib n’avait rien à voir avec
moi ? Et s’il traversait des difficultés dont il ne veut pas me parler ? N’est-ce pas à
moi de le convaincre de le faire ?

Si je veux faire ma vie avec lui, je dois apprendre à supporter même les durs
moments. Il faut que je lui parle.

D’abord, on doit clarifier les choses sur le mariage que je puisse enfin m’en
occuper avec nos familles et ensuite je le pousserai à discuter ouvertement et
simplement avec moi de ce qui le ronge. Quoi qu’il en soit, je ne peux plus vivre
dans le doute. Pas alors que notre mariage est imminent et que je suis pressée de
partout.

J’ai fini tôt les cours et l’attends en préparant le dîner. Il ne finit pas tard le
vendredi, il devrait être là d’une minute à l’autre. Je lui ai déjà dit que je voulais
qu’on se parle ce soir. Il semblait inquiet mais pas plus que ça. Forcément, il sait
que ce doit être à propos du mariage.

Comme d’habitude, il arrive avec une boîte de petits gâteaux. Il sait que j’aime ça
et en prend tous les vendredis en sortant du boulot, dans un café à la gare. Avant,
ça faisait partie des petites attentions prévisibles mais tellement agréables qu’il
me faisait. Maintenant, j’ai l’impression que c’est plus une habitude qu’autre
chose. Un « effort » qu’il continue de faire...

Je prends quand même le paquet avec le sourire et le remercie. Il m’embrasse


rapidement avant d’aller prendre sa douche.

Plus tard dans la soirée, je finis de ranger les assiettes avant de rejoindre Majib qui
s’est installé devant la télé, l’air détendu. L’observant du seuil de la porte, je sens
qu’il fait semblant d’avoir oublié notre discussion, espérant peut-être que j’ai
changé d’avis.

Si c’est le cas, il se trompe. Rien ne m’empêchera de lui parler ce soir.

Je le rejoins et m’assois sur un fauteuil, préférant éviter le canapé sur lequel il est
allongé. Un peu stressée, je prends une inspiration et me lance :

- Majib, on peut se parler ?

Il tourne le regard vers moi puis dit :

- Maintenant ?
- Oui, stp, c’est important.

Il se redresse et s’assoit puis tend le bras vers moi :

- Ok. Viens là.

- Non, c’est bon, je préfère rester ici. C’est… sérieux.

Il baisse son bras en soupirant puis éteint la télé. Quand il lève à nouveau le regard
sur moi, je remarque une ombre de tristesse passer sur son visage… ou… de la
peur ? Je ne sais pas trop. Ce qui est sûr c’est qu’il n’a pas envie de cette
discussion. Mais il le faut…

Sa réaction me fait un peu de peine que je cache derrière un sourire :

- C’est à propos du mariage. C’est dans 4 mois tu sais ?

Je n’en reviens pas d’être aussi tendue alors que je lui parle de NOTRE mariage. Je
devrais être joyeuse et lui aussi…

Il hoche la tête en souriant, un sourire aussi faux que le mien doit l’être.

Encore moins assurée, je continue :

- On n’en parle jamais alors qu’on n’a rien organisé encore. Ça te va toujours qu’on
le fasse à Dakar ? Ta maman m’a dit qu’il n’y aura pas de problème pour eux, ils
pourront venir. Mais nous, surtout, on doit se préparer… Pour ma part, tu le sais,
je ne fais rien en août. Mais toi, t’as posé tes congés ?
Majib me regarde sans me regarder, comme si j’étais transparente. Il a l’air
ailleurs… Puis il soupire en détournant les yeux et répond tout bas :

- Non, non, pas encore.

- Ok… Tu fais ça quand? Parce que… il faut qu’on sache combien de temps tu
t’arrêtes. On avait dit qu’on voyagerait ensuite, tu te rappelles ? Mais on n’en a pas
rediscuté… Tu sais où on pourrait aller ?

- Non… Je n’y ai pas réfléchi.

- Il faut qu’on en parle. Et de la réception et tout. 4 mois c’est pas beaucoup, tu


sais.

-…

- Majib ?

Il lève les yeux et me regarde, puis dit après une petite hésitation :

- Justement… je pense qu’on devrait attendre.

Mon cœur saute violemment dans ma poitrine. Je le regarde fixement puis


réponds en essayant de camoufler l’émotion dans ma voix :

- Attendre quoi ?
- Le mariage. Ce serait mieux qu’on le repousse.

- Pourquoi ?

- Parce que… on n’a pas besoin de se presser. Tu as tes études, tu changes de filière
l’année prochaine. Je pense qu’il vaut mieux te concentrer sur ça pour le moment.

Me concentrer sur mes études…

Je prends une grande inspiration pour me calmer avant de lui répondre :

- Majib, qu’est-ce qui se passe ?

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

- Qu’y a-t-il vraiment, quel est le problème ?

- Il n’y a pas de problème.

- Si, Majib. Arrête maintenant. Tu vois, je suis calme cette fois et je te demande
juste de me parler, de me dire la vérité... Tu as changé, ça fait des mois que tu n’es
plus le même. On n’est plus ce qu’on était, tu le sais, je le sais alors stp n’invente
pas d’excuses.
- Tu te fais des idées.

Cette fois, je commence à perdre patience :

- Je me fais des idées ? Vraiment ?! Depuis quand tu es devenu aussi hypocrite


Majib ? Finalement, même moi je suis devenue hypocrite à prétendre ne pas
remarquer ton comportement. L’hypocrisie, il n’y a plus que ça entre nous de
toute façon. On fait semblant que tout va bien alors que ce n’est pas le cas. Tout
est faux ! Quand tu me parles, quand tu me souris même quand on fait l’amour. Tu
crois que je suis stupide au point de ne rien remarquer ? Je ne suis pas aveugle,
Majib, sache-le ! Maintenant, tout ce que je veux savoir c’est pourquoi. Qu’est-ce
qui a changé depuis cet été ?

Il ne répond pas, ne réagit pas.

Je n’en peux plus, je lui crie dessus :

- Parle-moi Majib ! Dis-moi la vérité maintenant, ok !

- Calme-toi baby.

- Ne m’appelle pas baby. Tu m’énerves ! Parle-moi à la fin !

- Mais qu’est-ce que tu veux que je dise ?


- Je veux que tu me dises ce qui se passe. Dis-moi ce qu’il y’a avec toi, tu as des
problèmes ? Tu peux tout me dire tu sais, on peut essayer de trouver une solution
ensemble même s’il faut repousser notre mariage. Ce n’est pas un problème tant
que je sais pourquoi, au moins. Ne m’écarte pas comme tu le fais, ne me fais pas
payer alors que je ne sais même pas de quoi il est question.

- Ndèye Marie, je n’ai aucun problème. C’est juste que… tu as raison, notre couple
n’est plus le même. C’est pour ça qu’on doit laisser passer du temps, attendre que
ça s’arrange avant de se marier. Tu ne crois pas ?

Aucun problème… ?

Sans le réaliser, il vient de juste de briser tous mes espoirs. J’aurais voulu qu’il ait
des problèmes, je m’accrochais à cette idée, désespérément. Au moins, ça aurait
voulu dire qu’il ne s’agit pas vraiment de nous…

Mais non… Il n’a pas de problème. Son problème, c’est moi… Il ne m’aime plus?

Pendant un instant, j’ai trop mal pour parler. Je l’observe simplement pour essayer
de comprendre. Pourquoi ? A quel moment ?

Il me regarde avec douceur puis dit :

- Je suis désolé.

Mon Dieu ! Il a pitié de moi…

D’une voix brisée, j’arrive à lui répondre :


- Pourquoi ?

- Pour tout… Je n’aime pas te faire de la peine.

Je ferme les yeux pour refouler les larmes qui menacent de tomber puis le regarde
à nouveau :

- Je peux te poser une question ?

- Oui ?

- Est-ce que tu veux toujours te marier avec moi ?

- Babe… Je veux juste qu’on attende de…

Je l’interromps brusquement :

- Réponds à ma question, Majib !

- Bien sûr… Oui…

C’est faux... Il ment. Son regard fuyant, sa voix hésitante... Majib ne veut plus
m’épouser. Seigneur !

J’ai l’impression que le ciel m’est tombé sur la tête. Je me lève lourdement alors
que mes oreilles bourdonnent. J’entends de loin le son de sa voix :
- Ndèye Marie…

Il essaie de me prendre la main et je le repousse violemment. Je ne peux plus


rester ici, je veux juste partir.

Je marche rapidement vers la chambre et entre à l’intérieur, prends quelques


affaires dont mon sac à main puis ressors. En me voyant repasser dans le salon,
Majib se lève brusquement :

- Qu’est-ce que tu fais ?

- Je m’en vais.

-Ndèye Marie, ne fais pas ça.

Il se précipite et me rattrape avant que j’arrive à la porte :

- Babe, arrête, tu n’es pas raisonnable.

- Laisse-moi tranquille, ok. Je ne veux pas rester ici.

- Mais pourquoi ? Qu’est-ce que j’ai dit ? Je veux toujours…


Je me tourne brusquement vers lui et l’interromps:

- Mentir !! Voilà ce que tu fais, mentir, mentir et mentir encore ! Même quand je
fais l’effort de te parler sincèrement, calmement, de t’ouvrir mon cœur tu
continues de mentir. Tu ne veux plus de ce mariage depuis longtemps, avoue-le. Tu
ne veux même plus de moi alors pourquoi tu continues de mentir ? Tu as le droit
de ne plus m’aimer, ce que je ne comprends pas, c’est que tu mentes encore et
encore et encore ! Tu me déçois Majib… Laisse-moi partir.

Je réussis à dégager mon bras d’un geste violent.

Majib essaie toujours de me calmer :

- Sois raisonnable. Il est tard.

- Tu ne diras rien qui pourra me faire rester, alors te fatigue pas. Je veux être seule,
loin de toi, compris ?!

- Ok, ok… Je t’emmène alors.

- Je ne veux pas que tu m’emmènes.

Il ne m’écoute pas et me précède à la porte en décrochant sa veste du porte-


manteau.

Des minutes plus tard, après un trajet silencieux, j’arrive devant mon immeuble et,
juste avant de descendre de la voiture, lui dis :

- Je prendrai mes affaires lundi. Je te laisserai la clef dans la boîte aux lettres.
Il me regarde mais ne dit rien. Je descends vite de la voiture, plus peinée que
jamais. Des larmes s’échappent de mes yeux alors que je marche rapidement vers
l’immeuble, pressée d’échapper au regard de Majib tout en gardant un mince
espoir...

Mais il ne vient pas... Il ne m’appelle pas…

Le cœur brisé, je laisse la porte se fermer au même moment où la voiture quitte


l’allée…

***************** ******

************************

Quelques jours après

***Boris Suleyman Hannan**

Cela fait deux semaines que je n’ai pas eu de nouvelles de Majib et Ndèye Marie
alors que d’habitude on se voit au moins une fois par semaine. Ils doivent
sûrement être occupés, le souci c’est que j’ai besoin de ma dose de plat sénégalais
alors je les appelle histoire de me faire inviter.

Quand Majib décroche, sa voix en dit long sur sa forme. Pas besoin de demander si
tout va bien…

- Mon frère, qu’est-ce qui se passe ? T’as oublié ton pote ou quoi ?
- Comme si tu te faisais oublier. Ça va ?

- Ça ira mieux quand j’aurai mangé mon « tiep »*. Vous faites quoi cet aprèm ?

- Désolé, je suis à Nottingham depuis tout à l’heure. Je reste le week-end.

- Ah ouai et tu me dis rien ? J’aurais pu t’accompagner et voir les parents. Ndèye


Marie est avec toi ?

- Non, elle est chez elle.

- Pourquoi elle n’est pas partie ?

Il répond avec un petit rire triste :

- Ça m’arrive de voyager tout seul tu sais…

- Mec, dis-moi ce qui se passe. Vous ne passez jamais de week-end chacun de son
côté, je vous connais.

- Well… on n’est plus ensemble en fait.

- Quoi ? C’est quoi cette blague ?


- Ce n’en est pas une. Elle m’a quitté.

- Quitté ? Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Vous vous mariez bi…
Attends, Majib, ne me dis pas que c’est toujours cette histoire avec son amie là,
quand même !

- Non, rien à voir. C’est fini ça. Mais bon, ça n’allait plus trop et… tu connais les
femmes. Elle m’a posé des questions à propos du mariage, je lui ai proposé de
repousser et elle l’a mal pris. Elle a commencé à crier puis pris ses affaires et …

- Attends. Stop. Tu lui as proposé quoi, repousser le mariage ? Et tu t’attendais à ce


qu’elle le prenne bien ?

- Non, pas vraiment mais bon… Il le fallait... Je ne voulais vraiment pas lui faire de
la peine mais le mariage, c’est quand même pas n’importe quoi.

- Et tu ne le savais pas ça, quand tu lui as demandé de t’épouser ?

Il hésite avant de répondre, tout bas :

- Les choses ont changé depuis lors… Ecoute, je ne veux pas parler de ça
maintenant. Je me sens déjà assez mal comme ça. J’ai besoin d …

- Pourquoi tu ne l’as pas retenue quand elle partait ?


- Boris, j’ai essayé ok. Elle n’a pas voulu rester alors je l’ai ramenée chez elle.

- Et depuis tu l’as revue ?

- Non… Elle ne répond pas à mes appels ni mes messages. Bref…

- Majib, tu te rends compte ? Elle est seule à Londres, elle n’a personne ici et elle
est malheureuse. Ma sœur est la seule amie qu’elle a et elles ne sont même pas si
proches que ça. Tu te rends compte de ce qu’elle doit vivre là ? Tu es tout ce
qu’elle a ici !

- Tu crois que je ne le sais pas, ça ? Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Je l’ai
appelée des milliers de fois et elle n’a jamais répondu, je lui ai laissé des
messages... Tu crois que je ne souffre pas de cette rupture aussi, Boris ? C’est pour
ça que j’avais besoin de m’éloigner, me retrouver avec ma famille.

Mais Ndèye Marie, elle, ne peut pas faire ça. Elle n’a aucune famille ici et si ça se
trouve elle est en train de déprimer toute seule. Cette pensée m’énerve tellement
que je n’ai plus envie de parler à Majib.

- Bon, je te laisse. Je vais l’appeler.

- Bonne idée. Peut-être qu’elle t’écoutera … Stp, dis-lui que je suis désolé. Tu sais
que je le suis.

- C’est tout ? Tu n’as rien d’autre à lui dire ?


- Je ne sais pas de quoi tu parles Boris.

- Tu ne comptes pas lui demander de revenir ?

Un long silence me répond avant que Majib parle enfin :

- Je ne peux pas continuer à lui mentir… Elle mérite mieux.

- Majib, tu sais ce que tu fais, n’est-ce pas ? Réfléchis bien, souviens-toi... Tu viens
de loin et cette fille, elle est parfaite pour toi. Tu as besoin de quelqu’un comme
elle pour ton équilibre, tu le sais n’est-ce-pas ?

Il ne répond pas mais son silence est suffisant. Il sait de quoi je parle et j’espère
que ça le fera réfléchir.

Je raccroche et appelle immédiatement Ndèye Marie.

Comme je le craignais un peu, elle ne décroche pas. Je réessaye plusieurs fois


jusqu’au soir et c’est la même chose. Soit elle a deviné de quoi je veux lui parler,
soit elle ne veut parler à personne. Ce qui serait la preuve qu’elle ne va vraiment
pas bien…

Au dernier appel, je lui laisse un message sur son répondeur :

- Hello petite Marie. Comment ça tu ignores mes appels ! Je m’inquiète là et tu


sais que je déteste m’inquiéter donc voilà ce qu’on va faire. Soit tu me rappelles
d’ici demain, soit je viens chez toi et tu seras obligée de me préparer à manger…
Dors bien petite sœur.

Je raccroche, un peu triste. Si je m’écoutais, c’est maintenant que j’irais la voir.

Je la vois comme ma petite sœur et je n’aime pas la savoir malheureuse…

***

Le lendemain après-midi, c’est une Ndèye Marie totalement différente de celle


que j’ai l’habitude de voir qui m’ouvre la porte, après des minutes à insister sur la
sonnette.

En pyjama à 17h, les cheveux sous un foulard encore plus moche que celui de ma
mère, elle a le visage bouffi et, surtout, n’a pas l’air très « fraîche ».

Elle me regarde l’air surprise de me voir :

- Boris ? Qu’est-ce qui se passe ?

Je lui réponds en jetant un coup d’œil à l’intérieur du studio, tellement bordélique


qu’il me rappelle ma chambre d’étudiant quand j’avais 20 ans.

- T’as pas écouté mon message ? Je t’avais prévenue...

Je l’observe plus attentivement alors qu’elle me regarde comme si je lui parlais


chinois :

- Marie ! Depuis quand tu n’as pas pris de douche ?


- Quoi ?! J’en prends tous les jours. Pourquoi tu…

- T’en as pris aujourd’hui ?

- Ben non pas encore.

- Vas-y, maintenant.

Je la pousse pour entrer alors qu’elle me répond :

- Quoi ?

- Va prendre une douche. Je te sors, ce n’est pas très frais ici. Je vais ranger ce…
taudis en attendant que tu finisses. Tu devrais avoir honte, jeune fille. Ta mère ne
serait pas fière de toi. Allez hop, sous la douche !

J’essaie de la faire rire mais ça n’a pas l’air de marcher. Elle me regarde bizarrement
puis dit :

- Tu vas bien ?

- Je vais très bien, merci. Je te préviens, je ne pars pas d’ici sans toi. Alors, tu vas
prendre cette douche ou tu veux que je t’aide ?

Le regard qu’elle me lance à ces mots me donne envie de rire. Elle hésite en me
fixant des yeux, le front plissé, l’air de sérieusement se demander si je ne suis pas
fou.

Avec le sourire, je la rassure en lui parlant doucement :

- J’ai appris ce qui s’est passé. Je veux juste te faire changer d’air. Tu veux bien te
préparer… ? Please ?

A la place de la surprise, une tristesse se lit tout d’un coup sur son visage. Elle
baisse les paupières, hésite encore, puis se tourne pour partir :

- J’arrive.

Je l’observe marcher, touché par sa peine. Elle n’aurait pas dû rester seule…

Tournant mon attention vers l’intérieur du studio, je vois le tas de vêtements,


couverture, pots de glace, assiettes et paquets vides… un vrai foutoir.

J’ai du travail ! Je retrousse mes manches en soupirant et me mets à la tâche.

C’est fini maintenant, petite Marie. Je ne te lâcherai plus tant que tu ne t’es pas
remise.

Partie 9 : Je ne veux plus vivre dans le doute

La veille au soir

***Ndèye Marie Touré***


Je suis à 4 mois de mon mariage et je suis moins que jamais sûre de quoi que ce
soit… Je devrais être en train de le préparer, de m’exciter à l’idée de devenir la
femme de celui avec qui je suis depuis 3 ans maintenant, mais ce n’est pas le cas.
Au contraire, plus il s’approche, plus j’ai des doutes, plus c’est lourd…

Je ne supporte pas par exemple quand la mère de Majib me pose des questions
sur ce qu’on a prévu pour la réception, alors que je n’en discute jamais avec son
fils. Je ne supporte pas quand maman me propose d’informer le reste de la famille
et que je suis obligée de l’en empêcher. Je ne supporte plus d’avoir à lui mentir, lui
disant que je préfère que personne ne soit au courant pour le moment car je ne
veux pas de grande cérémonie alors que c’est ce dont j’ai toujours rêvé. Je ne
supporte plus que mes amies me posent des questions, s’attendant à ce que je sois
excitée d'être bientôt mariée.

Je ne supporte pas et pourtant je me tais, continuant de faire comme si de rien


n’était. Je suis fatiguée de faire semblant. La réalité, c’est que je ne sais plus rien
de mon couple, encore moins de ce mariage.

Majib a changé.

Ça a commencé cet été, le jour-même de la rencontre avec mes parents. J’avais un


fort pressentiment quand il m’a quittée sur le pas de la porte, une peur, le genre
qui te fait battre le cœur plus fort sans que tu saches où se situe exactement le
problème. Tu sais juste qu’il y’en a un, une menace quelque part, que tu tentes
d’ignorer au fil des jours mais qui ne disparait pas.

Ça s’est confirmé les jours suivants, les semaines, puis les mois. Il a fallu me
l’avouer à un moment, notre relation n’est plus la même. Ce qui était évident ne
l’est plus. Lui qui m’aime et qui a hâte de m’épouser, moi qui lui fais confiance,
tous les deux sereins, convaincus d’être faits l’un pour l’autre et pressés
d’officialiser notre relation. Ce n’est plus tout à fait ça, ce n’est que doutes et
questions…

Au début, c’était ses nombreuses sorties, son éloignement même quand il était là,
les mensonges qu’il me sortait pour me convaincre que tout allait bien, qui m’ont
fait craquer. Je suis passée de l’inquiétude à la colère, pour finir par la tristesse. Je
m’en suis prise à lui.

J’avais peur, tellement peur de m’être trompée… Je n’arrivais plus à penser à rien
d’autre que ça. Et si tout cassait entre nous ? Je n’y avais jamais songé et là, j’avais
cette crainte qui ne m’a jamais quittée depuis.

Ensuite, il y’a eu la trêve, ou plutôt ce que je pensais en être une. Après les
reproches que je lui ai faits, Majib est devenu plus attentionné. Il s’est à nouveau
rapproché de moi. Je sentais qu’il faisait des efforts, pourtant plus il en faisait, plus
ça m’énervait. Car le problème était justement là, il faisait des efforts et ça se
voyait… Avait-il besoin de faire des efforts avant ?

Puis je me rassurai en me disant qu’au moins ça prouve qu’il tient à moi et tient en
compte ce qui me dérange.

N’empêche, au final, je n’étais pas plus rassurée. Je me suis juste habituée...

Peut-être qu’en fin de compte, tout ça n’avait pas grande importance ? Quand je
réfléchis, en-dehors de Majib, je n’ai eu qu’une relation avec un homme qui a été
très longue. Un amour de jeunesse sans complications qui ne s’est arrêtée qu’à
cause de la distance quand il est parti faire ses études au Canada. Ensuite, nous
sommes devenus amis et avons gardé beaucoup d’affection l’un pour l’autre.

Je n’ai jamais eu à souffrir par amour. Peut-être que j’ai été trop « gâtée » et que
c’est pour ça qu’un rien m’embête ? Et si l’attitude de Majib n’avait rien à voir avec
moi ? Et s’il traversait des difficultés dont il ne veut pas me parler ? N’est-ce pas à
moi de le convaincre de le faire ?

Si je veux faire ma vie avec lui, je dois apprendre à supporter même les durs
moments. Il faut que je lui parle.

D’abord, on doit clarifier les choses sur le mariage que je puisse enfin m’en
occuper avec nos familles et ensuite je le pousserai à discuter ouvertement et
simplement avec moi de ce qui le ronge. Quoi qu’il en soit, je ne peux plus vivre
dans le doute. Pas alors que notre mariage est imminent et que je suis pressée de
partout.

J’ai fini tôt les cours et l’attends en préparant le dîner. Il ne finit pas tard le
vendredi, il devrait être là d’une minute à l’autre. Je lui ai déjà dit que je voulais
qu’on se parle ce soir. Il semblait inquiet mais pas plus que ça. Forcément, il sait
que ce doit être à propos du mariage.

Comme d’habitude, il arrive avec une boîte de petits gâteaux. Il sait que j’aime ça
et en prend tous les vendredis en sortant du boulot, dans un café à la gare. Avant,
ça faisait partie des petites attentions prévisibles mais tellement agréables qu’il
me faisait. Maintenant, j’ai l’impression que c’est plus une habitude qu’autre
chose. Un « effort » qu’il continue de faire...

Je prends quand même le paquet avec le sourire et le remercie. Il m’embrasse


rapidement avant d’aller prendre sa douche.

Plus tard dans la soirée, je finis de ranger les assiettes avant de rejoindre Majib qui
s’est installé devant la télé, l’air détendu. L’observant du seuil de la porte, je sens
qu’il fait semblant d’avoir oublié notre discussion, espérant peut-être que j’ai
changé d’avis.

Si c’est le cas, il se trompe. Rien ne m’empêchera de lui parler ce soir.

Je le rejoins et m’assois sur un fauteuil, préférant éviter le canapé sur lequel il est
allongé. Un peu stressée, je prends une inspiration et me lance :

- Majib, on peut se parler ?

Il tourne le regard vers moi puis dit :

- Maintenant ?

- Oui, stp, c’est important.

Il se redresse et s’assoit puis tend le bras vers moi :

- Ok. Viens là.

- Non, c’est bon, je préfère rester ici. C’est… sérieux.

Il baisse son bras en soupirant puis éteint la télé. Quand il lève à nouveau le regard
sur moi, je remarque une ombre de tristesse passer sur son visage… ou… de la
peur ? Je ne sais pas trop. Ce qui est sûr c’est qu’il n’a pas envie de cette
discussion. Mais il le faut…

Sa réaction me fait un peu de peine que je cache derrière un sourire :

- C’est à propos du mariage. C’est dans 4 mois tu sais ?

Je n’en reviens pas d’être aussi tendue alors que je lui parle de NOTRE mariage. Je
devrais être joyeuse et lui aussi…
Il hoche la tête en souriant, un sourire aussi faux que le mien doit l’être.

Encore moins assurée, je continue :

- On n’en parle jamais alors qu’on n’a rien organisé encore. Ça te va toujours qu’on
le fasse à Dakar ? Ta maman m’a dit qu’il n’y aura pas de problème pour eux, ils
pourront venir. Mais nous, surtout, on doit se préparer… Pour ma part, tu le sais,
je ne fais rien en août. Mais toi, t’as posé tes congés ?

Majib me regarde sans me regarder, comme si j’étais transparente. Il a l’air


ailleurs… Puis il soupire en détournant les yeux et répond tout bas :

- Non, non, pas encore.

- Ok… Tu fais ça quand? Parce que… il faut qu’on sache combien de temps tu
t’arrêtes. On avait dit qu’on voyagerait ensuite, tu te rappelles ? Mais on n’en a pas
rediscuté… Tu sais où on pourrait aller ?

- Non… Je n’y ai pas réfléchi.

- Il faut qu’on en parle. Et de la réception et tout. 4 mois c’est pas beaucoup, tu


sais.

-…
- Majib ?

Il lève les yeux et me regarde, puis dit après une petite hésitation :

- Justement… je pense qu’on devrait attendre.

Mon cœur saute violemment dans ma poitrine. Je le regarde fixement puis


réponds en essayant de camoufler l’émotion dans ma voix :

- Attendre quoi ?

- Le mariage. Ce serait mieux qu’on le repousse.

- Pourquoi ?

- Parce que… on n’a pas besoin de se presser. Tu as tes études, tu changes de filière
l’année prochaine. Je pense qu’il vaut mieux te concentrer sur ça pour le moment.

Me concentrer sur mes études…

Je prends une grande inspiration pour me calmer avant de lui répondre :

- Majib, qu’est-ce qui se passe ?

- Qu’est-ce que tu veux dire ?


- Qu’y a-t-il vraiment, quel est le problème ?

- Il n’y a pas de problème.

- Si, Majib. Arrête maintenant. Tu vois, je suis calme cette fois et je te demande
juste de me parler, de me dire la vérité... Tu as changé, ça fait des mois que tu n’es
plus le même. On n’est plus ce qu’on était, tu le sais, je le sais alors stp n’invente
pas d’excuses.

- Tu te fais des idées.

Cette fois, je commence à perdre patience :

- Je me fais des idées ? Vraiment ?! Depuis quand tu es devenu aussi hypocrite


Majib ? Finalement, même moi je suis devenue hypocrite à prétendre ne pas
remarquer ton comportement. L’hypocrisie, il n’y a plus que ça entre nous de
toute façon. On fait semblant que tout va bien alors que ce n’est pas le cas. Tout
est faux ! Quand tu me parles, quand tu me souris même quand on fait l’amour. Tu
crois que je suis stupide au point de ne rien remarquer ? Je ne suis pas aveugle,
Majib, sache-le ! Maintenant, tout ce que je veux savoir c’est pourquoi. Qu’est-ce
qui a changé depuis cet été ?

Il ne répond pas, ne réagit pas.

Je n’en peux plus, je lui crie dessus :

- Parle-moi Majib ! Dis-moi la vérité maintenant, ok !


- Calme-toi baby.

- Ne m’appelle pas baby. Tu m’énerves ! Parle-moi à la fin !

- Mais qu’est-ce que tu veux que je dise ?

- Je veux que tu me dises ce qui se passe. Dis-moi ce qu’il y’a avec toi, tu as des
problèmes ? Tu peux tout me dire tu sais, on peut essayer de trouver une solution
ensemble même s’il faut repousser notre mariage. Ce n’est pas un problème tant
que je sais pourquoi, au moins. Ne m’écarte pas comme tu le fais, ne me fais pas
payer alors que je ne sais même pas de quoi il est question.

- Ndèye Marie, je n’ai aucun problème. C’est juste que… tu as raison, notre couple
n’est plus le même. C’est pour ça qu’on doit laisser passer du temps, attendre que
ça s’arrange avant de se marier. Tu ne crois pas ?

Aucun problème… ?

Sans le réaliser, il vient de juste de briser tous mes espoirs. J’aurais voulu qu’il ait
des problèmes, je m’accrochais à cette idée, désespérément. Au moins, ça aurait
voulu dire qu’il ne s’agit pas vraiment de nous…

Mais non… Il n’a pas de problème. Son problème, c’est moi… Il ne m’aime plus?

Pendant un instant, j’ai trop mal pour parler. Je l’observe simplement pour essayer
de comprendre. Pourquoi ? A quel moment ?
Il me regarde avec douceur puis dit :

- Je suis désolé.

Mon Dieu ! Il a pitié de moi…

D’une voix brisée, j’arrive à lui répondre :

- Pourquoi ?

- Pour tout… Je n’aime pas te faire de la peine.

Je ferme les yeux pour refouler les larmes qui menacent de tomber puis le regarde
à nouveau :

- Je peux te poser une question ?

- Oui ?

- Est-ce que tu veux toujours te marier avec moi ?

- Babe… Je veux juste qu’on attende de…

Je l’interromps brusquement :
- Réponds à ma question, Majib !

- Bien sûr… Oui…

C’est faux... Il ment. Son regard fuyant, sa voix hésitante... Majib ne veut plus
m’épouser. Seigneur !

J’ai l’impression que le ciel m’est tombé sur la tête. Je me lève lourdement alors
que mes oreilles bourdonnent. J’entends de loin le son de sa voix :

- Ndèye Marie…

Il essaie de me prendre la main et je le repousse violemment. Je ne peux plus


rester ici, je veux juste partir.

Je marche rapidement vers la chambre et entre à l’intérieur, prends quelques


affaires dont mon sac à main puis ressors. En me voyant repasser dans le salon,
Majib se lève brusquement :

- Qu’est-ce que tu fais ?

- Je m’en vais.

-Ndèye Marie, ne fais pas ça.

Il se précipite et me rattrape avant que j’arrive à la porte :


- Babe, arrête, tu n’es pas raisonnable.

- Laisse-moi tranquille, ok. Je ne veux pas rester ici.

- Mais pourquoi ? Qu’est-ce que j’ai dit ? Je veux toujours…

Je me tourne brusquement vers lui et l’interromps:

- Mentir !! Voilà ce que tu fais, mentir, mentir et mentir encore ! Même quand je
fais l’effort de te parler sincèrement, calmement, de t’ouvrir mon cœur tu
continues de mentir. Tu ne veux plus de ce mariage depuis longtemps, avoue-le. Tu
ne veux même plus de moi alors pourquoi tu continues de mentir ? Tu as le droit
de ne plus m’aimer, ce que je ne comprends pas, c’est que tu mentes encore et
encore et encore ! Tu me déçois Majib… Laisse-moi partir.

Je réussis à dégager mon bras d’un geste violent.

Majib essaie toujours de me calmer :

- Sois raisonnable. Il est tard.

- Tu ne diras rien qui pourra me faire rester, alors te fatigue pas. Je veux être seule,
loin de toi, compris ?!

- Ok, ok… Je t’emmène alors.


- Je ne veux pas que tu m’emmènes.

Il ne m’écoute pas et me précède à la porte en décrochant sa veste du porte-


manteau.

Des minutes plus tard, après un trajet silencieux, j’arrive devant mon immeuble et,
juste avant de descendre de la voiture, lui dis :

- Je prendrai mes affaires lundi. Je te laisserai la clef dans la boîte aux lettres.

Il me regarde mais ne dit rien. Je descends vite de la voiture, plus peinée que
jamais. Des larmes s’échappent de mes yeux alors que je marche rapidement vers
l’immeuble, pressée d’échapper au regard de Majib tout en gardant un mince
espoir...

Mais il ne vient pas... Il ne m’appelle pas…

Le cœur brisé, je laisse la porte se fermer au même moment où la voiture quitte


l’allée…

***************** ******

************************

Quelques jours après

***Boris Suleyman Hannan**


Cela fait deux semaines que je n’ai pas eu de nouvelles de Majib et Ndèye Marie
alors que d’habitude on se voit au moins une fois par semaine. Ils doivent
sûrement être occupés, le souci c’est que j’ai besoin de ma dose de plat sénégalais
alors je les appelle histoire de me faire inviter.

Quand Majib décroche, sa voix en dit long sur sa forme. Pas besoin de demander si
tout va bien…

- Mon frère, qu’est-ce qui se passe ? T’as oublié ton pote ou quoi ?

- Comme si tu te faisais oublier. Ça va ?

- Ça ira mieux quand j’aurai mangé mon « tiep »*. Vous faites quoi cet aprèm ?

- Désolé, je suis à Nottingham depuis tout à l’heure. Je reste le week-end.

- Ah ouai et tu me dis rien ? J’aurais pu t’accompagner et voir les parents. Ndèye


Marie est avec toi ?

- Non, elle est chez elle.

- Pourquoi elle n’est pas partie ?

Il répond avec un petit rire triste :

- Ça m’arrive de voyager tout seul tu sais…


- Mec, dis-moi ce qui se passe. Vous ne passez jamais de week-end chacun de son
côté, je vous connais.

- Well… on n’est plus ensemble en fait.

- Quoi ? C’est quoi cette blague ?

- Ce n’en est pas une. Elle m’a quitté.

- Quitté ? Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Vous vous mariez bi…
Attends, Majib, ne me dis pas que c’est toujours cette histoire avec son amie là,
quand même !

- Non, rien à voir. C’est fini ça. Mais bon, ça n’allait plus trop et… tu connais les
femmes. Elle m’a posé des questions à propos du mariage, je lui ai proposé de
repousser et elle l’a mal pris. Elle a commencé à crier puis pris ses affaires et …

- Attends. Stop. Tu lui as proposé quoi, repousser le mariage ? Et tu t’attendais à ce


qu’elle le prenne bien ?

- Non, pas vraiment mais bon… Il le fallait... Je ne voulais vraiment pas lui faire de
la peine mais le mariage, c’est quand même pas n’importe quoi.
- Et tu ne le savais pas ça, quand tu lui as demandé de t’épouser ?

Il hésite avant de répondre, tout bas :

- Les choses ont changé depuis lors… Ecoute, je ne veux pas parler de ça
maintenant. Je me sens déjà assez mal comme ça. J’ai besoin d …

- Pourquoi tu ne l’as pas retenue quand elle partait ?

- Boris, j’ai essayé ok. Elle n’a pas voulu rester alors je l’ai ramenée chez elle.

- Et depuis tu l’as revue ?

- Non… Elle ne répond pas à mes appels ni mes messages. Bref…

- Majib, tu te rends compte ? Elle est seule à Londres, elle n’a personne ici et elle
est malheureuse. Ma sœur est la seule amie qu’elle a et elles ne sont même pas si
proches que ça. Tu te rends compte de ce qu’elle doit vivre là ? Tu es tout ce
qu’elle a ici !

- Tu crois que je ne le sais pas, ça ? Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Je l’ai
appelée des milliers de fois et elle n’a jamais répondu, je lui ai laissé des
messages... Tu crois que je ne souffre pas de cette rupture aussi, Boris ? C’est pour
ça que j’avais besoin de m’éloigner, me retrouver avec ma famille.
Mais Ndèye Marie, elle, ne peut pas faire ça. Elle n’a aucune famille ici et si ça se
trouve elle est en train de déprimer toute seule. Cette pensée m’énerve tellement
que je n’ai plus envie de parler à Majib.

- Bon, je te laisse. Je vais l’appeler.

- Bonne idée. Peut-être qu’elle t’écoutera … Stp, dis-lui que je suis désolé. Tu sais
que je le suis.

- C’est tout ? Tu n’as rien d’autre à lui dire ?

- Je ne sais pas de quoi tu parles Boris.

- Tu ne comptes pas lui demander de revenir ?

Un long silence me répond avant que Majib parle enfin :

- Je ne peux pas continuer à lui mentir… Elle mérite mieux.

- Majib, tu sais ce que tu fais, n’est-ce pas ? Réfléchis bien, souviens-toi... Tu viens
de loin et cette fille, elle est parfaite pour toi. Tu as besoin de quelqu’un comme
elle pour ton équilibre, tu le sais n’est-ce-pas ?

Il ne répond pas mais son silence est suffisant. Il sait de quoi je parle et j’espère
que ça le fera réfléchir.

Je raccroche et appelle immédiatement Ndèye Marie.


Comme je le craignais un peu, elle ne décroche pas. Je réessaye plusieurs fois
jusqu’au soir et c’est la même chose. Soit elle a deviné de quoi je veux lui parler,
soit elle ne veut parler à personne. Ce qui serait la preuve qu’elle ne va vraiment
pas bien…

Au dernier appel, je lui laisse un message sur son répondeur :

- Hello petite Marie. Comment ça tu ignores mes appels ! Je m’inquiète là et tu


sais que je déteste m’inquiéter donc voilà ce qu’on va faire. Soit tu me rappelles
d’ici demain, soit je viens chez toi et tu seras obligée de me préparer à manger…
Dors bien petite sœur.

Je raccroche, un peu triste. Si je m’écoutais, c’est maintenant que j’irais la voir.

Je la vois comme ma petite sœur et je n’aime pas la savoir malheureuse…

***

Le lendemain après-midi, c’est une Ndèye Marie totalement différente de celle


que j’ai l’habitude de voir qui m’ouvre la porte, après des minutes à insister sur la
sonnette.

En pyjama à 17h, les cheveux sous un foulard encore plus moche que celui de ma
mère, elle a le visage bouffi et, surtout, n’a pas l’air très « fraîche ».

Elle me regarde l’air surprise de me voir :

- Boris ? Qu’est-ce qui se passe ?


Je lui réponds en jetant un coup d’œil à l’intérieur du studio, tellement bordélique
qu’il me rappelle ma chambre d’étudiant quand j’avais 20 ans.

- T’as pas écouté mon message ? Je t’avais prévenue...

Je l’observe plus attentivement alors qu’elle me regarde comme si je lui parlais


chinois :

- Marie ! Depuis quand tu n’as pas pris de douche ?

- Quoi ?! J’en prends tous les jours. Pourquoi tu…

- T’en as pris aujourd’hui ?

- Ben non pas encore.

- Vas-y, maintenant.

Je la pousse pour entrer alors qu’elle me répond :

- Quoi ?

- Va prendre une douche. Je te sors, ce n’est pas très frais ici. Je vais ranger ce…
taudis en attendant que tu finisses. Tu devrais avoir honte, jeune fille. Ta mère ne
serait pas fière de toi. Allez hop, sous la douche !
J’essaie de la faire rire mais ça n’a pas l’air de marcher. Elle me regarde bizarrement
puis dit :

- Tu vas bien ?

- Je vais très bien, merci. Je te préviens, je ne pars pas d’ici sans toi. Alors, tu vas
prendre cette douche ou tu veux que je t’aide ?

Le regard qu’elle me lance à ces mots me donne envie de rire. Elle hésite en me
fixant des yeux, le front plissé, l’air de sérieusement se demander si je ne suis pas
fou.

Avec le sourire, je la rassure en lui parlant doucement :

- J’ai appris ce qui s’est passé. Je veux juste te faire changer d’air. Tu veux bien te
préparer… ? Please ?

A la place de la surprise, une tristesse se lit tout d’un coup sur son visage. Elle
baisse les paupières, hésite encore, puis se tourne pour partir :

- J’arrive.

Je l’observe marcher, touché par sa peine. Elle n’aurait pas dû rester seule…

Tournant mon attention vers l’intérieur du studio, je vois le tas de vêtements,


couverture, pots de glace, assiettes et paquets vides… un vrai foutoir.
J’ai du travail ! Je retrousse mes manches en soupirant et me mets à la tâche.

C’est fini maintenant, petite Marie. Je ne te lâcherai plus tant que tu ne t’es pas
remise.

[Et voilà. à très bientôt ISA.

Je vous embrasse fort <3 <3 ♥]

- Chérie, parle-moi stp.

- Majib… sniff. C’est fini. On a rompu.

Quoi ?! Oh, non! Pas ça, pas à elle…

Partie 10 :

***Boris Suleyman Hannan***

Après près d’une heure à marcher, Ndèye Marie et moi nous arrêtons à un café
situé au bord du cours d’eau où nous nous promenions. Elle a encore hésité à
sortir après avoir pris sa douche, mais heureusement j’ai réussi à la convaincre.
J’étais sûr que ça allait lui faire du bien de respirer l’air frais. Du coup, j’ai laissé ma
voiture garée chez elle et nous avons pris le métro avant de descendre pour
continuer à pied.
Pour la détendre, je n’ai pas arrêté de la taquiner, surtout sur l’état dans lequel je
l’ai trouvée chez elle. Il faut dire que je n’oublierai pas de sitôt sa dégaine
d’aujourd’hui, elle qui d’habitude est si soignée...

En discutant avec elle, j’ai compris qu’elle n’est pas allée en cours depuis trois
jours. Je me suis senti obligé de la sermonner comme une petite fille. Ce qui l’a fait
sourire, peu convaincue. Connaissant mon passé d’étudiant, elle sait bien que je
suis loin d’être un exemple en matière de sérieux. Passé qui d’ailleurs n’est pas si
passé que ça… Moi, je mets un point d’honneur à faire passer le travail après tout
le reste, mais je ne suis pas un exemple à suivre.

A présent que nous sommes installés au calme, j’ai bien envie d’aborder le sujet
qui fâche, au risque de la braquer. Mais il le faut, je ne peux pas laisser ces deux-là
se séparer sans rien tenter.

Voyons voir si je peux y aller en douceur :

- A propos de tes cours, j’étais sérieux tout à l’heure. Quel que soit ce que tu vis, ça
doit passer avant le reste. Ne sois pas comme moi.

- C’est bon ! T’étais pas l’étudiant modèle mais t’es quand même cadre dans une
des plus célèbres banques de Londres. Y’a pire quand même.

- J’ai eu de la chance… Et puis c’est pas pareil, ma famille vit ici, ils ont su me
remettre sur le droit chemin quand il l’a fallu. Toi, la première raison pour laquelle
tu es à Londres, c’est tes études. Je suis sûr que tes parents te font confiance et
comptent sur toi. Tu ne dois pas les décevoir.

- Je sais, ne t’inquiète pas. Avec tout ce qui se passe, je me suis laissée aller mais
ça passera. Je retourne en cours lundi.

- Je te fais confiance… A propos de ça, je suis désolé. Ça arrive les problèmes dans
les couples, mais il ne faut pas à chaque fois te laisser aller à ce point justement.

Elle émet un petit rire amer en répondant :

- Problèmes ? Il s’agit d’une rupture, quand même.

- Ne dis pas ça. Ça va s’arranger... Là, c’est tout récent encore mais vous vous
réconcilierez

- Je ne crois pas que ça va s’arranger Boris. Au contraire, c’est bel et bien fini. J’en
ai assez de souffrir, je veux aller de l’avant.

- Majib souffre aussi, tu sais ?

- Ah bon ? Pourquoi ça ? Il a bien eu ce qu’il voulait, non ? Me voir rompre en


premier.

- Pourquoi tu dis ça ?

- Parce que je le sais. Je l’ai toujours su au fond mais je ne voulais pas me l’avouer…
Excuse-moi de te dire ça parce que c’est ton ami, mais Majib est un lâche. Au lieu
de me dire les yeux dans les yeux qu’il ne voulait plus de moi, il a préféré tout faire
pour que ce soit moi qui parte. Et ben, il a réussi, tu vois.

- Tu ne penses pas vraiment ce que tu dis. Majib n’est pas comme ça et tu le sais.
Là, tu as mal forcément à cause de sa décision de repousser le mariage mais je sais
que tu l’aimes.

- Non je…

Sa phrase est coupée par l’émotion et elle détourne la tête pour me cacher ses
yeux mais je sais qu’elle pleure.

Et merde ! Je n’aurais pas dû lui parler de ça, pas aussi tôt. Là, je regrette et ne sais
plus quoi faire. Maladroitement, j’avance ma main et prends la sienne posée sur la
table, avant de lui dire :

- Je suis désolé Marie… ça va aller. Il faut que vous vous parliez tous les deux au
moins. Pourquoi tu ne réponds pas à ses appels ?

Elle essuie une larme et inspire, puis me regarde à nouveau pour me demander
calmement :

- Pour quoi faire ?

- Pour arranger les choses. Il est encore temps.

- Vraiment ?! Tu crois vraiment… Réponds-moi franchement Boris, tu crois qu’il


m’aime encore ?
Je la regarde dans les yeux, ne trouvant rien à lui répondre. J’aimerais pouvoir lui
dire que oui, Majib l’aime encore. Qu’il regrette son comportement et qu’il veut la
retrouver. Mais ses propres paroles de la veille me reviennent en tête : « Je ne
peux pas continuer de lui mentir… ».

Comment moi je pourrais la regarder en face et lui mentir ? La vérité, c’est que je
ne suis sûr de rien à propos des sentiments de Majib pour Ndèye Marie. Je
pourrais dire qu’il ne l’aime plus mais je ne comprends pas ça, ça me dépasse... Je
ne comprends pas comment il peut ne plus l’aimer, ça me parait incroyable. Après
avoir eu la chance d’être avec elle, d’être aimé par elle, de vivre à ses côtés…
Comment peut-on aimer une femme comme elle puis cesser de l’aimer ? Ça n’a
pas de sens pour moi.

Voyant que je reste silencieux face à sa question, Ndèye Marie ajoute d’une voix
cassée par l’émotion :

- C’est bien ce que je pensais…

Elle tourne la tête tristement. Je devine qu’elle se force pour ne pas pleurer… Sa
main toujours dans la mienne, une forte envie me prend d’en faire plus. La
prendre dans mes bras et l’inviter à pleurer contre moi jusqu’à ce que toute sa
peine disparaisse.

Cette fille m’émeut à un point !

Ça me fait presque peur. Je ne supporte pas de la voir souffrir…

Frustré de ne pas pouvoir faire ce que j’ai vraiment envie de faire et à court de
mots, je la laisse dans son silence jusqu’à ce qu’elle se tourne vers moi et esquisse
un petit sourire, qui a sûrement pour but de me rassurer.

Je le lui rends tendrement et lui dis :


- Ça va aller ?

Elle hoche la tête puis grimace à nouveau en se détournant. Une larme coule sur
sa joue qu’elle s’empresse d’essuyer, l’air honteuse. Mais elle continue de pleurer…

Je lui serre plus fort la main et lui dis :

- Tu veux me faire pleurer, c’est ça ?

-…

- Parce que je vais me mettre à pleurer si tu continues… Est-ce que tu m’as déjà vu
pleurer ?

Elle se tourne et me regarde avec curiosité, se demandant si je plaisante ou pas.


J’adopte une expression des plus sérieuses et continue d’un air alarmant :

- C’est quelque chose quand je pleure, je te préviens. Un vrai spectacle. Tu crois


que moi, je vais faire des petits sniff avec un mouchoir au coin de l’œil ?! Non, ma
belle, moi je pleure comme un homme. Je crie !

Un petit sourire amusé se peint sur son visage, ce qui m’encourage à continuer
encore plus, toujours sans rire :

- Tu vois les mioches là que t’as envie de gifler en les entendant hurler accrochés
aux jupes de leur maman ? Tu vois, non ? Well, c’est rien à côté de moi... J’espère
que tu n’aimes pas ce café parce qu’ils ne vont pas seulement nous mettre dehors,
ils vont nous interdire de revenir. A vie !
Cette fois, elle pouffe de rire et je vois avec plaisir son visage enfin se détendre
pour de vrai. Je garde toujours mon sérieux et lui demande :

- Alors tu veux me voir pleurer ?

- Non.

- Tu es sûre ? Parce que ça ne me dérange pas hein. Je veux juste t’aider, moi.
Passe-moi un mouchoir stp.

Elle secoue la tête en riant en même temps qu’une sorte de boule se fond d’un
coup dans ma poitrine. Un instant figé, j’oublie mes plaisanteries et l’observe,
incapable de ne pas sourire devant le spectacle.

Celui d’un visage enfin heureux pour la première fois depuis cet après-midi.

Comme il devrait l’être, tout le temps…

**************************

**************************

Pendant ce temps, à Dakar

***Maïmouna Bah***

Je viens d’arriver chez Abi où je dois retrouver Lamine qui veut me parler. Il m’a dit
de ne pas m’inquiéter mais c’est difficile. Qu’est-ce qu’il a de si important à me
dire qu’il faut que ce soit chez Abi où, d’après cette dernière, on sera plus au
calme. C’est justement elle qui a proposé qu’on vienne ici. Ce qui veut dire qu’elle
sait de quoi Lamine veut me parler mais elle n’a rien voulu me dire.

Lamine est déjà là et je le trouve en train de jouer avec Anna. Abi prend sa fille et
décide de sortir avec elle pour aller chez les voisins et nous laisser seuls.

Bien qu’inquiète, je m’installe avec plaisir aux côtés de mon chéri que je n’ai plus
trop l’occasion de voir seul depuis qu’il ne veut plus que j’aille chez lui. Son accueil
aussi chaleureux que d’habitude me rassure un peu. Au moins je sais qu’il ne s’agit
pas d’une annonce de rupture… Même si je ne le pensais pas vraiment, c’est déjà
un problème d’écarté. On ne sait jamais avec les hommes…

Nous nous embrassons longuement, dans les bras l’un de l’autre, avant que je
décide de m’écarter pour lui demander :

- Alors, t’as quoi de si important à me dire ?

Il soupire, l’air déçu, montrant qu’il préfère nettement les bisous aux paroles.
Seulement s’il m’a appelée ici, c’est bien pour parler alors moi je l’écoute d’abord
et on verra ensuite s’il mérite plus de bisous.

Je le vois fermer les yeux comme s’il avait besoin de courage puis me regarder, l’air
inquiet. C’est bon, j’ai peur à nouveau là.

Je lui demande :

- Qu’est-ce qui se passe Lamine ?

-… Je dois te parler de quelque chose que j’aurais dû te dire depuis longtemps mais
je ne voulais pas te faire de la peine ou te faire peur.

Mon cœur se met à battre plus vite mais je garde le silence, le laissant continuer :

- Bébé, tu connais mon père n’est-ce-pas ? Tu sais comment il est. Très


conservateur, très à cheval sur la culture et c’est pour ça qu’il a toujours eu du mal
avec notre relation.

- Oui ?

- Je n’ai jamais prêté attention à ça même si je sais que ça t’embêtait mais… les
choses ont changé. Je ne sais pas ce qui lui a pris tout d’un coup, il s’est mis en tête
de me faire épouser une de mes cousines. Ce que bien sûr, j’ai refusé.

Il s’empresse d’ajouter cette dernière phrase puis s’arrête pour observer ma


réaction. J’ai envie de lui crier « Quoi ?! » mais je me retiens malgré ma surprise.
Je veux écouter tout ce qu’il a à dire avant de réagir.

- Continue.

- Ok… Il l’a très mal pris et pendant longtemps il ne m’adressait presque plus la
parole. Puis un jour, la cousine en question est arrivée chez nous. C’est lui qui l’a
fait venir. Elle vit à la maison maintenant et mon père veut qu’on se marie. Je n’ai
aucune intention de l’épouser, par contre, rassure-toi.

Je réussis à dire calmement, plus pour moi-même que pour lui :


- C’est elle, la fille que j’ai vue chez toi.

- Oui…

Mon Dieu ! Cette fille-là ? Elle est trop belle !

Une grosse peine m’envahit instantanément et je détourne les yeux alors que
Lamine continue :

- Je ne vais pas laisser ça arriver chérie, c’est même impensable. C’est toi que
j’aime et c’est avec toi que je veux me marier. Il n’y a aucun doute. Mais la
situation était tellement compliquée que je ne voulais pas que tu viennes là-bas.
En fait… mon père m’en a empêché. Il m’a même menacé…

- De quoi ?

- De faire le mariage, sans attendre mon consentement… Bref, j’ai décidé de


déménager de toute façon. Je ne sais pas encore comment tromper mon père
mais je vais quitter la maison, c’est sûr. J’en ai parlé à maman et elle ne m’en
voudra pas, elle comprend au contraire. Je vais trouver un appartement où toi et
moi pourrons vivre dès qu’on sera marié.

J’émets un petit rire malgré moi. Se marier…

- Qui va nous marier Lamine ?

- Je n’ai pas que mon père. J’ai des oncles qui seront prêts à venir demander ta
main, ce n’est pas un problème ça.
- Et tu crois que ça règle le problème ? Ton père ne m’acceptera jamais. Et de toute
façon il fera en sorte que tu épouses ta cousine avant qu’on ait le temps de dire
ouf.

- Personne ne peut m’obliger à me marier si je ne le veux pas, Maï. On est où là…


Bref, si je te dis tout ça, c’est juste parce qu’on a un problème à régler et on doit le
faire ensemble. Tu es ma future femme et on fait tout…

- Lamine, arrête... Tu crois que les choses sont aussi simples ? Tu te rends compte
que ton père ne m’acceptera jamais dans votre famille ? Il me déteste.

- Non. Il est juste borné, archaïque, tout, mais il ne te déteste pas. Il ne te connait
même pas bien.

- Ça fait plus de huit ans qu’il me connait !

- Ok, ok. Quoiqu’il en soit, tout ce qui est important c’est que moi, Lamine, je
t’aime. Je veux que tu sois ma femme et je le veux le plus rapidement possible.

- Comment ça ?

- Tu sais bien. Je veux qu’on se marie dès maintenant, dans les prochains mois, ou
même semaines.
- Ce n’est pas possible, Lamine.

-Mais pourquoi ?

- Tu sais bien pourquoi.

Il soupire avant de répondre :

- Pourquoi es-tu si bornée Maï ?! Tu te rends compte de ce qui se passe là ? Tu


continues de refuser alors même que je risque de…

Il s’arrête subitement dans ses paroles… Qu’il risque de quoi ?

Je le regarde droit dans les yeux et lui pose la question :

- Que tu risques de quoi ?

- Rien. Je veux juste que tu réfléchisses, que tu te rendes compte que ça ne sert à
rien d’attendre.

- Que tu risques de quoi, Lamine, te marier avec elle ?

- Je n’ai pas dit ça.

- Je crois que si. Je ne comprends pas, y’a deux secondes tu dis que personne ne
t’obligera à te marier avec elle et ensuite tu « risques » de le faire ?? Eclaire ma
lanterne ?

- Ce que je veux dire, c’est qu’à un moment donné, je n’aurai plus le choix. Elle vit
chez moi, dans MA maison. Je veux que tu te rendes compte du danger que c’est
et que tu te rendes aussi compte du fait que nous, toi et moi, avons besoin de
nous marier rapidement.

- Wow ! Okay… Si je comprends bien, tu me poses un ultimatum. Soit tu


m’épouses, soit tu l’épouses elle. C’est ça ?

- Mais non, tu racontes n’importe quoi !

L’air énervé, il quitte le canapé et fait deux pas avant de se tourner vers moi pour
crier :

- Je ne sais pas c’est quoi ton problème, Maïmouna. Tu m’énerves en fin de


compte. Tu réalises le nombre de filles là, dehors, qui rêvent que quelqu’un,
n’importe qui, les demande en mariage ?! Depuis quand j’essaie de te convaincre,
dis-moi ? DEPUIS QUAND ?! En fin de compte, on dirait que tu n’en veux pas de ce
mariage, c’est ça non ? Dis-le si c’est ça, parce que moi je ne comprends plus. Je
t’ai fait toutes les promesses possibles et imaginables, tu sais très bien que jamais
je ne t’empêcherai de finir tes études. Tu le SAIS que je te supporterai pour TOUT.
Alors quoi ? C’est quoi le problème ? Qu’est-ce que tu veux à la fin ?

Plus il crie, plus je sens le sang me monter à la tête. Mes oreilles bourdonnent et
une colère sourde s’est réveillée en moi. Mais je ne vais pas crier, non. Je ne vais
pas faire comme lui. Quand il a fini de parler, je me lève calmement et lui fais face,
les bras croisés.

Puis, guidée par la colère et la peine, je lui dis simplement :

- Va épouser ta cousine.

Les yeux écarquillés, il me regarde et dit :

- Quoi ?!

- Tu m’as entendue.

Il continue de me regarder un bon moment, l’air encore plus en colère, puis se


tourne et marche à grands pas vers la sortie.

Dès que la porte se referme, je me rassois, les bras toujours croisés. Les
battements de mon cœur sont si forts que j’ai l’impression de les entendre. Je fixe
le sol des yeux et, alors que peu à peu je réalise ce qui vient de se passer, mon
regard est brouillé par les larmes.

J’ai envie de me lever, de courir vite et rattraper Lamine pour lui dire que ce n’est
pas ce que je voulais dire.

Mais non…

Je ne peux pas. Pas après tout ce que je sais maintenant…

Partie 11 : Elle me fait pitié…


***Abibatou Léa Sy***

Profitant du fait qu’Anna est occupée à jouer avec les enfants de ma voisine, je suis
sortie sur le balcon pour passer quelques coups de fil. Il me reste le dernier à faire,
justement la dernière personne que j’ai envie d’entendre mais il le faut car ma
subsistance dépend de ça…

Comme d’habitude, il ne décroche pas, mais je sais qu’il va me rappeler dans la


minute. Je le vois d’ici en train de couper le son de son téléphone puis inventer
une excuse pour s’éloigner de sa femme ou d’un quelconque membre de sa
famille.

Je compte dans ma tête…8…7…6…5… Mon téléphone sonne et c’est lui. Je


décroche sans dire un mot et le laisse parler :

- Allô ?

- Oui.

- Ça va ma chérie ? Je pensais justement à toi. Que me vaut ce…

J’interromps son bla bla inutile pour en finir rapidement :

- Tu peux me dire pourquoi je n’ai pas encore mon argent ? On est le 13 là, ça fait
une semaine que j’attends.

Il soupire d’un air déçu avant de répondre :


- Léa, c’est juste pour ça que tu m’appelles ?

- Combien de fois dois-je te répéter de ne pas m’appeler comme ça ? Où est mon


argent ?

- Mais je ne savais pas que tu ne l’avais pas reçu. Le virement est permanent, je ne
le contrôle jamais.

- Contrôle le maintenant.

- Ok. Je regarderai ça.

- Rapidement Bachir. Je ne peux pas attendre.

- Dès lundi, je te le fais, promis. Je ne sais pas ce qui est arrivé avec la banque, je
vais…

- Parfait. Ciao.

Il faut que je raccroche. Du haut du balcon où je suis, je viens de voir Lamine sortir
précipitamment de l’immeuble pour entrer dans sa voiture. Ça n’augure rien de
bon. Je dois voir Maï et de toute façon, je n’ai plus rien à dire à ce vieil homme.

Lui, par contre semble en avoir, m’arrêtant vite avant que j’aie le temps de
raccrocher :
- Attends. Lé… Abi ?

- Quoi.

- Tu n’as pas besoin d’autre chose ?

- A part mon argent, rien pour le moment. Je t’appellerai si c’est le cas. Je te laisse
maintenant.

- Attends…

Je soupire d’impatience et prends sur moi pour l’écouter :

- Est-ce que je peux passer ce soir ou demain ?

- Non, j’ai à faire. Au revoir.

Je raccroche immédiatement le téléphone et rentre à l’intérieur. Je préviens Rose,


ma voisine que je viendrai chercher Anna plus tard, avant de sortir.

Dans l’appart, je retrouve Maï assise sur le canapé les mains sur les yeux, en train
de pleurer. Je la rejoins vite, inquiète :

- Ma puce, qu’est-ce qui se passe ?


Elle me regarde, l’air triste. Je l’enlace et tire sur mon pagne pour lui essuyer les
yeux.

- Pourquoi tu pleures ? J’ai vu Lamine partir, il avait l’air en colère. Qu’est-ce qui
s’est passé ?

Elle prend le temps de se calmer puis dit :

- Tu savais pour sa cousine ?

- Oui... Mais ce n’était pas à moi de te le dire, tu sais... Tu m’en veux ?

Elle secoue la tête puis reprends :

- J’aurais dû deviner… Il a tellement changé ! J’ai été trop bête.

- Non Maï, arrête tout de suite. C’est en disant ça que tu deviens bête. Tu inventes
des choses maintenant juste parce que tu sais pour sa cousine. C’est toi-même qui
m’as dit que Lamine n’avait pas changé avec toi à part qu’il t’empêchait d’aller chez
lui. Au moins là, tu as une explication claire et ça n’a rien à voir avec ses
sentiments... N’empêche, c’est normal que tu sois triste, je comprends. Par contre,
pourquoi il est en colère lui ? Qu’est-ce que vous vous êtes dit ?

- Il a dit qu’il voulait qu’on se marie maintenant puis a mal pris mon refus. Il m’a
posé un ultimatum, qu’on se marie ou il l’épouse, elle.

Un ultimatum ! J’ai du mal à y croire… Très dubitative, je lui dis :

- Lamine a dit ça ? Ce sont ses propres mots ?


- Non mais, c’était tout comme.

Mouai c’est ça… Bref. Passons.

- Et ensuite ?

Elle continue sur un ton indigné :

- Ensuite il s’est mis à crier n’importe quoi. Me disant qu’il y’a plein de filles qui
rêvent de se marier et qui ne peuvent pas, genre je dois le remercier quoi. Comme
s’il me faisait une faveur !

- Il était en colère, toi aussi. Forcément, il ne réfléchissait plus à ce qu’il disait.

- Ou qu’il disait enfin ce qu’il pense vraiment ! Bref, j’ai pas aimé en tout cas. Ça
m’a trop énervée même. Tu te rends compte ?

- Bon. Qu’est-ce que tu lui as répondu ?

Elle détourne les yeux l’air coupable puis répond :

- Je… l’ai laissé crier… Et quand il a fini, je lui ai dit qu’il n’a qu’à l’épouser.

- Pardon ? Epouser qui ?


- Ben sa cousine.

- Tu plaisantes ?

- Si ça lui semble si dur de m’attendre au point de me menacer, autant qu’il aille


avec elle non ?!

J’observe Maï, découragée. Je vais faire quoi de cette fille ?

Remarquant mon silence désapprobateur, elle me regarde de ses gros yeux


coupables là. Donc elle réalise ce qu’elle a fait mais reste bornée !

Il est temps que je lui parle elle :

- Maï. T’es peut-être bouchée quelque part alors je vais essayer d’utiliser des mots
simples… Lamine t’aime. Tu aimes Lamine. Il veut t’épouser. Son père choisit une
autre fille pour lui. Lamine refuse et se dispute avec son père. Tout ça, pour toi…
Jusque là, ça va ?

Elle détourne la tête d’un air têtu.

- Ok, je prends ça pour un oui. Continuons. Lamine vient te voir, te raconte tout et
te propose une solution. Tu refuses sa solution, soit. Mais alors ensuite, tu lui dis
d’aller épouser l’autre fille ?! Qu’est-ce qui ne va pas chez toi, Maï ?

- J’étais en colère, aussi ! Il m’a énervée je te dis… Puis tu l’as vue, Abi ?! Sa cousine
?
- Oui, et ?

- Elle est trop jolie ! Tu l’as regardée ? C’est tout le contraire de moi. Mince, claire,
jeune, tout ! Il ne m’attendra jamais avec cette fille à ses côtés. Tôt ou tard, il va
tomber sous son charme.

- C’est clair, surtout quand tu le pousses dans ce sens.

- Mais c’est parce que je sais que ça finira comme ça. Combien d’histoires de ce
genre finissent pareil ? Ils épousent toujours celle que leurs parents choisissent. Je
préfère me faire à l’idée dès maintenant, je ne veux pas être déçue. Puis
franchement, il faut être réaliste, je ne fais pas le poids face à elle… Qu’est-ce qui
m’a pris de tomber amoureuse de lui ? Je savais que ça allait finir comme ça, c’est
un soninké !

Le peu de confiance que cette fille a en elle-même est effrayant. Je me lève


immédiatement en lui tirant la main :

- Viens.

- Quoi ?

- Lève-toi. Suis-moi.

Elle obtempère sans comprendre et je l’emmène dans ma chambre. Je la fais assoir


devant la coiffeuse puis me baisse à son niveau. Elle me regarde avec curiosité et
je lui dis en désignant le miroir :

- Ne me regarde pas. Regarde là.

Elle pose les yeux sur son image :

- Regarder quoi ?

- Toi ! Regarde-toi Maï. Tu ne vois pas à quel point tu es belle ? Regarde ton visage,
ces grands yeux, tes jolies joues de bébé… Et ce corps qui ferait perdre la tête
même à un saint ! Tu ne vois pas comme tu es jolie ?

- Je suis grosse...

- Tu es parfaite comme tu es. En bonne santé, fraîche. Ce corps qui te fait tant
complexer, c’est justement ton principal atout. Ces formes, cette poitrine là… Tu
t’es vue ? Je tuerais pour avoir ça, moi. Tu crois que c’est pourquoi que Lamine a
hâte de t’épouser ? Il souffre à t’attendre ! Tu lui fais perdre la tête, ma belle. Toi,
Maï, personne d’autre. Et certainement pas cette poufiasse maigrichonne qui
ressemble à un clou.

Elle pouffe de rire à l’expression de dégoût que je fais :

- Je te rappelle que t’es maigre aussi.

- Eh, on ne parle pas de moi là. Je veux que toi tu te rendes comptes de tous les
atouts que tu as qui font rêver n’importe quel homme. Un en particulier. Lamine !
Elle s’observe plus attentivement sur la glace. Je lui entoure les épaules et rajoute :

- Et tu sais c’est quoi le meilleur dans tout ça ? Ce corps c’est juste un plus pour lui.
Il t’aime vraiment Maï, toi-même, tout ce que tu es. Depuis neuf ans, il est resté, il
n’est jamais parti. Et ce n’est certainement pas parce que tu es facile à vivre…

Elle sourit, amusée.

Je suis tentée de m’arrêter de parler mais pour une fois, je vais aller jusqu’au bout
de ce que je pense :

- Ce n’est pas tous les jours qu’on a cette chance, tu sais... Je connais tes principes
et je les partage mais quelque fois il faut savoir faire des sacrifices. Lamine et toi
vous êtes faits l’un pour l’autre, tout le monde le sait même moi. Je ne te l’ai
jamais dit mais j’adore votre couple même si je te taquine souvent... Vous êtes
mon exception, les seuls en qui je crois. Ne me décevez pas… Ne gâchez pas la
chance que vous avez. Il fait des efforts, d’énormes même, quand tu sais ce que
c’est que sa culture. Tu sais très bien que ce n’est pas rien pour lui d’aller contre
son père, malgré ce qu’il veut faire croire. Alors, toi aussi fais des efforts. Ne sois
pas égoïste. C’est un homme bien, Lamine. Tu seras heureuse avec lui.

Maï garde le silence pendant un moment puis dit :

- Tu crois qu’il m’en veut beaucoup ?

Je lui réponds catégoriquement pour qu’elle réalise :

- Oui.
- Et s’il ne me pardonne pas ? S’il était déjà parti vers sa cousine ?

- Ce sera bien fait pour toi.

- S’il fait ça, je le tue !

- Ok, d’accord. Mais sinon, tu vas réfléchir à sa demande ?

Elle hésite encore puis répond :

- Je ne sais pas… Je l’appellerai plus tard pour m’excuser mais… Pour le mariage, y’a
son père quand même. Il ne m’aime vraiment pas, il ne veut pas de moi.

- Et alors ? C’est notre problème ce qu’il veut ? Il a vécu sa vie et tu vas le laisser
décider de la tienne ? En plus, sa maman t’adore elle, c’est déjà très bien. Bref, je
ne t’ai pas dit d’accepter, mais au moins y réfléchir stp ?

- Ok… J’y réfléchis.

- Merci. Mouahh ! Bon, en attendant il faut te faire pardonner. Pour ça, tu sais déjà
ce que je te conseille. Succès assuré !

Je lui fais un clin d’œil auquel elle répond par une expression dégoûtée :

- Beurk, t’es dégueulasse.


En riant je m’éloigne d’elle mais elle m’arrête d’un geste :

- Attends… Et toi alors ?

- Moi quoi ?

- Tu n’as pas envie d’être heureuse toi aussi ? Avec un homme ?

Oh, non ! Pas ça…

- Arrête stp.

- Abi ! Toi aussi tu peux vivre la même chose tu sais. Tu peux tomber amoureuse
aussi, rien qu’une fois. Il y’en a plein qui ne demandent que ça. Laisse-toi au moins
une chance d’apprendre à connaître quelqu’un ?

Comme si je n’en savais pas assez… Déjà sortie de la chambre, je mets court à son
sempiternel sermon. Forcément, il fallait m’y attendre après lui avoir parlé de
Lamine. C’est justement pour ça que je n’aime pas m’ouvrir, même à elle. Ça leur
donne l’occasion de me faire la leçon et j’ai horreur de ça.

Sérieux, quand est-ce qu’elles comprendront que je ne veux pas d’homme dans
ma vie ? Je n’en veux pas, c’est tout…

****************
****************

Pendant ce temps…

***Lamine Cissé***

Je ne suis pas souvent en colère contre Maï mais là elle m’a vraiment mis à bout.
C’est quoi cette façon d’être aussi bornée ? Je ne lui demande pas de se couper
une main quand même, juste de m’épouser. Mais on dirait que pour elle, c’est une
sorte de catastrophe qu’il faut repousser le plus longtemps possible. Elle préfère
même me défier plutôt que de considérer cette éventualité. Me dire d’épouser
Hadja... C’est un comble quand même !

Enervé, j’entre dans ma chambre et me couche sur le lit en mettant mes


écouteurs. Les yeux fermés, j’écoute de l’acoustique, Cheikh Lô*. C’est exactement
ce qu’il me faut. Ça et du calme surtout. Je ne veux pas être énervé quand Maï va
m’appeler. Il faut que je lui dise posément mes quatre vérités à cette têtue !

Malheureusement, je n’ai pas le temps voir ma colère tomber que déjà le calme
est interrompu. Quelqu’un me tapote le pied. J’ouvre les yeux et, surpris, vois
Hadja qui se tient devant moi avec un verre de… bissap ? Qu’est-ce qu’elle fout ici
elle ?

Je ne lui laisse pas le temps d’ouvrir la bouche et lui crie dessus en enlevant les
écouteurs :

- Tu fais quoi dans ma chambre ?!


Elle fait un pas en arrière en bégayant :

- Je… Tu… tu avais l’air fatigué alors je…

- Et alors, ça te regarde ? Way*, sors d’ici ! Et la prochaine fois, tu toques d’abord


sinon t’auras un problème avec moi.

Elle sort vite renversant un peu de bissap sur les carreaux. Je remets mes
écouteurs encore plus énervé. Elle envahit déjà ma vie depuis des mois et
maintenant elle se permet d’entrer dans ma chambre sans être invitée ? C’est bon
là, je suis gentil mais il ne faut pas pousser non plus…

Quelques minutes plus tard, plus calmé, je commence à cogiter en ressentant une
petite pointe de culpabilité. Qu’est-ce qui m’a pris de crier sur cette pauvre fille ?
Au fond, c’est une victime tout comme moi et elle croit seulement bien faire. En
plus, si ça se trouve elle a bien toqué avant d’entrer et je ne l’ai pas entendu à
cause de la musique...

N’empêche, elle n’aurait pas dû entrer sans mon invitation…

…Mais quand même, lui crier dessus ? Je ne fais que crier depuis tout à l’heure et
ce n’est pas mon genre…

Tout ça à cause de mon père.

Je soupire en retirant les écouteurs et me lève. Il faut que je m’excuse, ce n’est pas
bien ce que j’ai fait.

Allant dans le salon, je n’y trouve personne les parents étant sortis. Hadja est
sûrement dans sa chambre. Je vais toquer à sa porte en lui précisant que c’est moi.

Une petite voix enrouée me répond :


- Entre.

Je la trouve assise sur le lit, le verre de jus posé sur le sol à côté d’elle. A ses yeux
rougis, je comprends tout de suite qu’elle pleurait.

Merde ! Je suis con quand même.

Je m’avance un peu vers elle et lui dis :

- Je suis désolé de m’être emporté.

Elle ne dit rien d’abord puis répond :

- J’ai toqué mais tu ne répondais pas. C’est pour ça que je suis entrée.

- Ok... Mais la prochaine fois, tu attends d’accord ?

Elle baisse les yeux en gardant le silence. Je décide alors de faire un effort
supplémentaire et m’avance pour prendre le verre posé par terre :

- Merci pour le jus. C’est sympa.

Je bois un peu en lui faisant un clin d’œil pour la rassurer. Elle sourit timidement
l’air un peu plus détendue.

Satisfait, je fais demi-tour pour sortir, puis la regarde, vérifiant qu’elle va vraiment
bien. Elle détourne vite ses yeux qu’elle avait sur moi puis observe autour d’elle,
l’air perdue…

Tout d’un coup je me rends compte à quel point tout ça doit être difficile pour elle
aussi. Quitter sa famille pour se retrouver dans ce guêpier...

Elle me fait pitié…

Je reviens vers elle et m’assois à ses côtés :

- Dis-moi, tu fais quoi de tes journées ?

- Mes journées… ? Rien, je regarde la télé, j’aide à la cuisine…

- C’est tout ? Tu ne t’ennuies pas ?

- Non, ça va.

- Mais tu ne sors jamais ?

- Non… Je ne connais pas Dakar et toutes mes amies sont à Nouakchott… Mais je
vais commencer les cours en octobre normalement, donc ça va.

- Je vois… Tu sais quoi, on va sortir un peu. Je t’emmène manger une glace, ça te


dit ?

La voyant hésiter, je rajoute :

- Promis, je ne te crierai pas dessus. Je vois juste que tu as besoin de changer d’air
et à bien y réfléchir, moi aussi.
Mon sourire complice finit de la détendre. Elle hoche la tête, l’air ravie :

- Ok, on y va.

*** ***************

Plus tard dans la soirée

Assis à la pâtisserie où je l’ai emmenée, je converse avec une Hadja détendue et


enjouée, que je prends pour la première fois le temps de connaître. Elle me parle
de sa famille, de ses copines, de sa ville et ses projets, dont celui de travailler dans
le tourisme. Elle est bien plus futée que ce que j’imaginais cette petite. Je suppose
qu’en la voyant accepter aussi facilement son « sort », je l’ai classée sans réfléchir
dans une catégorie…

N’empêche, malgré sa conversation intéressante, je décroche à un moment en


pensant à Maï... Ça fait plus de trois heures qu’on s’est quitté et elle ne m’a
toujours pas appelé pour s’excuser. Cette fois, je ne lui fais pas de cadeau, c’est à
elle de faire le premier pas...

Je tourne à nouveau mon attention vers Hadja pour ne pas m’énerver. Plus je
l’écoute, plus je me rends compte qu’elle se projette vraiment à Dakar. Elle va être
déçue… Bon, au pire elle reste vivre chez mes parents le temps de finir ses études.
Ce n’est pas parce qu’on ne se marie pas qu’elle est obligée de rentrer après tout.
Je me mets à la conseiller sur ses choix d’orientation et la vois m’écouter avec
admiration, hochant la tête à chacune de mes phrases.

Ça fait plaisir quelqu’un qui m’écoute…


Bien plongé dans la conversation à présent, j’oublie complètement l’heure et le
reste quand, soudainement, la sonnerie de mon téléphone nous interrompt. Je le
sors de ma poche et vois la photo de Maï sur l’écran.

J’hésite trois secondes puis coupe l’appel avant d’éteindre le portable.

Elle voulait que je sois avec Hadja non ? Eh bien, je suis avec elle.

Cette fois, elle aura sa leçon. Une assez bonne pour décider…

*Cheikh Lô: musicien sénégalais

*Way: exclamation d'énervement

Partie 12 : Je me souviens de tout…

Deux mois plus tard

***Ndèye Marie Touré***

Je me prépare pour mon premier jour de stage. Six semaines à faire dans un
établissement financier de Londres, au sein du service juridique. Elles vont me
permettre de découvrir le milieu professionnel du droit bancaire et de valider mon
Honor Bachelor.

Je suis stressée – je stresse pour tout – mais surtout excitée. Ça y’est, cette fois, je
suis bien sur les rails. J’ai bien réussi mon année scolaire malgré tout ce qui s’est
passé dans ma vie privée et là je commence une nouvelle aventure qui, j’en suis
sûre, va me passionner.

Le droit est ce que j’ai toujours voulu faire. Pas parce que, comme le pense papa,
je suis influencée par ma juriste de mère, non. J’aime vraiment ça, j’ai toujours
voulu devenir avocate, je ne me vois pas faire un autre métier. J’ai fait le bon choix.

A présent, il ne reste plus que le second cycle à terminer et c’est dans la poche. Ok,
il y’en a encore pour deux ans mais bon… je préfère me dire que ça passera vite. Je
ne me concentrerai que sur ça de toute façon vu que je ne me marie plus.

Oubliant ma promesse faite à Boris hier soir, je finis de ranger mon sac à main et
me dirige vers la sortie sans rien dans le ventre. C’est bon, je lui mentirai, il me
fatigue avec ses conseils...

J’ai à peine fini de me faire cette réflexion que mon téléphone se met à sonner
avec son nom affiché. Ce n’est pas possible, il est télépathe lui ou quoi ?

Je décroche en sortant hâtivement de l’appartement :

- Allô ?

- Coucou !

- Salut Boris. Ça va ?

- Très bien ! Alors t’es prête pour ton premier jour, « miss lawyer » ?

- Oui, je viens juste de sortir de chez moi. Je suis stressée, tu peux même pas
savoir!!
- Pourquoi stresser ? C’est juste un stage et tu vas les épater, non ? Alors, t’as pris
ton petit-déj ?

- Oui, oui, papa.

- C’était quoi ?

Je lui réponds évasivement en poussant le portail de l’immeuble pour sortir :

- Euh… du café, et… un toast…

- Menteuse.

- Je ne mens pas !

- Ok, je le saurai dans une seconde de toute façon.

- Ah ouai ? Et comment tu…

- Derrière toi.

Je me retourne à sa voix toute proche pour le voir arriver à ma rencontre, un


sourire espiègle sur le visage :

- Qu’est-ce que tu fais là ?


- Je viens vérifier que tu respectes tes promesses mademoiselle. Allez, approche
que je te sente.

Je ne peux m’empêcher de rire :

- Que tu sentes quoi ? T’es fou ?

- Je suis sérieux. L’odeur du café ne trompe pas. Tu t’approches de moi ou tu me


dis la vérité ?

Je lui réponds en reprenant ma marche, inquiète à l’idée d’arriver tard :

- Ok, ok, je n’ai pas mangé. Content ?

Il me saisit la main et me pousse à le suivre :

- Viens.

- Boris ! Je ne veux pas être en retard, toi aussi ! J’ai plusieurs changements à faire
et de la marche aussi.

- Je t’emmène. Y’a pas encore trop de trafic. On y sera plus rapidement en voiture.

Loin d’être convaincue, je le suis malgré tout non sans protester :

- Tu es sûr ? Et tu ne vas pas au travail, toi ?


- Moi, aller bosser à 6h45 ?l Please ! Il n’y a que toi pour faire ce genre de choses.

A l’intérieur de la voiture, l’odeur du café émanant des deux gobelets entre les
sièges me fait immédiatement sourire :

- C’est pour moi ça?

- Oui ma belle. Et ça aussi.

Il saisit un petit sac en papier posé à l’arrière qu’il me tend, avant de démarrer la
voiture. Je vois à l’intérieur des muffins encore chauds! L’eau me vient
instantanément à la bouche et je croque une bouchée avec plaisir.

- Donc, tu savais que je n’allais pas manger.

- Je m’en doutais, tu vois…

- Hum. Merci en tout cas. C’est trop bon.

Il se tourne pour me regarder en souriant :

- Ça me fait plaisir.
Je l’observe un instant alors qu’il a les yeux sur la route. Son sourire est tendre… Il
est trop sympa Boris, super attentionné. Grâce à lui, j’ai à peine le temps de me
sentir seule ou déprimée suite à ma rupture avec Majib. Il me fait sortir souvent,
m’appelle quand on n’est pas ensemble et surtout, il est tellement drôle que j’en
oublie tous mes soucis. Puis ses petites attentions, comme celle qu’il vient d’avoir,
c’est juste adorable. Je ne sais pas ce que j’aurais fait sans lui.

Alors que je réfléchis à la question, Boris me dit :

- Ça te dit un verre ce soir, pour fêter ton stage ?

- Hum, je ne sais pas… je travaille demain quand même.

- Ah non, déjà ? Va pas devenir une de ces personnes ennuyantes qui ne vivent
que pour le travail oh. On a une belle journée là, c’est pas tous les jours comme ça,
alors il faut en profiter.

- Bon, je vais voir…

- Parfait, je viens te prendre à la descente.

- Je n’ai pas dit que…

Boris me coupe pour enchainer sur un autre sujet, son préféré. Celui du conseiller
« socio-éduco-professionnel » qui me donne toujours l’impression qu’il s’agit plus
d’entrainement pour lui que d’autre chose, histoire de se croire sérieux. Ce qu’il
n’est pas du tout…

Bon, tant pis. Je vais y aller, à son verre. J’adore passer du temps avec lui de toute
façon. C’est mieux que de rester seule chez moi…

Je le laisse parler en hochant la tête de temps en temps alors que j’ai l’esprit
ailleurs. Plus j’y pense, plus je trouve bizarre que Boris soit devenu aussi proche de
moi…

Et si c’était Majib qui le lui avait demandé ?

S’il s’agit de ça, ça ne me plait pas du tout. Majib n’a aucun droit de s’occuper de
ma vie. Je n’ai rien à faire de sa pitié.

Finalement, c’est une bonne idée cette sortie. Je vais pousser Boris à m’avouer ce
qu’il en est réellement.

***

Quelques heures plus tard

***Boris Suleyman Hannan***

Après avoir récupéré Ndèye Marie à son boulot, nous nous rendons dans un bar
d’afterwork situé au cœur de Londres. Installés sur des tabourets autour d’une
petite table, nous parlons de nos journées et de ses premières impressions sur son
stage.

Au cours de la discussion, le sujet évolue doucement vers un autre auquel je ne


m’attendais pas du tout, quand Ndèye Marie me dit :

- Dis, je peux te poser une question ?

- Vas-y.

- Pourquoi tu fais tout ça pour moi ?

- Tout ça quoi ?

- Tout ce que tu fais là. Les sorties, les appels, ta présence, ce matin, tout ça.
Pourquoi tu le fais ?

- C’est ce que les amis font non ?

- Boris, on était déjà amis avant, mais pas à ce point. Je sais que ça a quelque
chose à voir avec ma rupture.

- Justement, ce n’est pas parce que c’est fini entre vous deux que ça doit être pareil
pour nous. Je t’apprécie et ça n’a rien à voir avec Majib.

- Ce n’est pas lui qui t’a demandé de faire ça ?

- Non pas du tout.


- Ok. Tant mieux.

- Pourquoi ?

- Parce que je n’ai pas besoin de sa pitié. Le plus il reste à l’écart de ma vie le mieux
c’est. Tu ne lui racontes pas tout ce qu’on fait, j’espère ?

- Ne t’inquiète pas. C’est mon meilleur ami mais je ne lui raconte pas ma vie dans
les moindres détails. N’empêche, je ne lui cache pas qu’on passe beaucoup de
temps ensemble.

- Ok.

Je l’observe un instant hésitant à poser la question que j’ai envie de poser. Je ne


voulais pas particulièrement qu’on parle de ce sujet mais c’est une bonne occasion
pour en savoir plus sur son état d’esprit.

- Donc tu ne crois pas que vous pouvez vous réconcilier un jour ?

Elle répond catégoriquement :

- Non.

- Comment en es-tu sûre ? Tu dis ça parce que tu lui en veux encore peut-être.
- Je lui en veux de ne pas avoir été franc avec moi, certes, mais ce n’est pas pour
ça. Quand je décide d’en finir avec quelque chose ou quelqu’un, je ne retourne pas
en arrière… Surtout quand ce quelqu’un ne fait rien pour. Je veux passer à autre
chose.

Je n’ai pas envie de répondre ce que je vais répondre mais le fais quand même par
honnêteté vis-à-vis de mon ami :

- Il faut que tu saches que Majib s’inquiète toujours pour toi. Il n’insiste plus parce
que tu ne veux pas le voir ou l’entendre mais il vérifie toujours si tu vas bien. Il s’en
veut vraiment. Ce n’est pas quelqu’un de mauvais, tu sais.

- Ok, bref ce n’est pas important pour moi. C’est du passé et je n’ai pas envie d’être
de mauvaise humeur aujourd’hui.

Elle dit ça avec un grand sourire. Je me surprends à espérer au fond de moi qu’elle
dit la vérité. Que Majib soit vraiment du passé…

Pourquoi ? Je ne sais pas. Je sais juste que ça serait un soulagement pour moi.

Quand je suis parti voir Ndèye Marie en apprenant sa rupture difficile, c’était
surtout par pitié. La savoir en train de souffrir était une chose que je ne pouvais
pas digérer. Pas sans y faire quelque chose. Mais ensuite, en sortant avec elle, j’ai
retrouvé la fille avec qui j’avais eu ce premier rendez-vous galant alors que je
venais de la connaître. A l’époque, je m’étais interdit à tout sentiment envers elle
en voyant que Majib lui plaisait plus que moi. Aujourd’hui, elle n’est plus avec
Majib…

N’empêche, considérer une relation plus qu’amicale avec elle ne m’est pas
possible. Elle était quand même fiancée à mon meilleur ami et je ne suis vraiment
pas sûr que ce soit complètement fini entre eux deux. Surtout quand je vois la
colère qu’il y’a encore en elle vis-à-vis de Majib. Peut-être qu’elle a encore des
sentiments pour lui ? Après tout, ce ne serait pas étonnant, leur rupture ne date
que de deux mois.

J’aimerais pouvoir lui dire de passer vraiment à autre chose, comme elle prétend
vouloir le faire. Surtout parce que là, je suis convaincu que même si Majib se
remet avec elle, ce ne serait que pour ne pas la voir souffrir.

Majib n’aime plus Ndèye Marie. Son cœur est pris ailleurs… Il ne s’en rend pas
compte lui-même ou refuse de le voir mais c’est le cas. Ça fait quatre jours qu’il est
parti à Dakar. Soit-disant pour rendre visite à son grand-père malade mais il ne se
ment qu’à lui-même. En huit ans, il n’y est jamais retourné et là, comme par
hasard il trouve une raison pour le faire. C’est cette fille qui le hante…

Il ne parle jamais d’elle mais je le sais, à la mine qu’il fait quand je lui pose des
questions sur elle et à ses protestations peu convaincantes. Dans sa bouche, il n’y
a que Ndèye Marie mais dans son cœur il y a l’autre…

Cette mystérieuse fille qui est justement l’amie de son ex. Je ne sais pas quand
mais cette histoire va exploser un jour, je le sens.

Et quand ça arrivera, Ndèye Marie aura besoin d’un ami plus que jamais. Je serai
là…

*********************

*********************
***Aboul Majib Kébé***

Sortant de la mosquée après la prière de l’après-midi, je marche aux côtés de mon


cousin, précédés par mon père.

Nous sommes arrivés ensemble à Dakar vendredi dernier. Il y’a une quinzaine de
jours, Grand-Père lui a demandé de venir le voir car il était souffrant. J’ai décidé de
l’accompagner, me sentant un peu coupable de ne pas avoir logé chez eux quand
je suis venu cet été, ce dont lui et Grand-Mère m’avaient voulu. Je suis donc venu
pour me faire pardonner, trouvant un grand-père plus en forme qu’il ne le
prétendait. Le vieux filou voulait juste le faire venir…

N’empêche, ce n’est pas grave pour moi. Ça me fait pas mal de bien quelques jours
off et hors de Londres.

Mon cousin à côté de moi profite du fait qu’on soit seuls pour me demander des
nouvelles de Ndèye Marie. C’est avec lui qu’on était sorti en boîte durant l’été,
mais je n’ai pas jugé utile de l’informer lui ou qui que ce soit ici à propos de notre
rupture.

Il est temps de le faire :

- C’est fini avec elle, boy.

- Non ! Vraiment ? Elle semblait bien pourtant.

- Elle est bien. Mais bon, pas faite pour moi apparement…

- Tu voulais l’épouser pourtant. C’est bien pour ça qu’on était parti chez elle, non ?
- Oui, oui, bref… C’est fini. Je suis un pauvre célibataire maintenant comme tu vois.

Je dis ça pour rigoler mais lui me prend au sérieux.

- Ça, ça ne va pas durer ici à Dakar. Les jolies filles, y’en a à tous les coins. Tiens, tu
veux qu’on aille à la plage ? Y’en aura à la pelle, tu n’auras qu’à te baisser et
ramasser.

Je ris, en lui répondant :

- Je plaisante, je ne cherche personne… Je suis bien comme ça. C’est des


problèmes les meufs.

Surtout une en particulier…

Je ne la vois pas, je ne l’entends pas mais elle reste un problème.

Boris a raison. Elle me hante. Je suis incapable de me débarrasser de son souvenir.


J’ai été intime une fois avec elle, une fois seulement, mais quoi que je fasse, mon
esprit garde ces instants en vie. Je me souviens de tout, jusqu’aux moindres
détails. Les images ne cessent de tourner dans ma tête, dès que je me retrouve
seul. Quelque fois, même en étant avec des gens.

Notre échange à l’hôtel, notre complicité cette nuit où je l’ai ramenée chez elle, la
première fois que je l’ai embrassée et cette dernière fois que je l’ai vue, quand
nous sommes devenus comme fous dans les bras l’un de l’autre.

Je n’oublie rien de tout ça même si ça fait presque un an.

Quand elle a décidé de couper tout contact avec moi, j’ai essayé de la faire
changer d’avis, l’appelant plusieurs fois sans obtenir de réponse. Finalement, j’ai
laissé tomber et ai décidé de me résigner. Je me disais qu’elle avait raison, nous
deux ne pouvions jamais être ensemble et Ndèye Marie avait besoin de moi. J’ai
essayé de me convaincre de ça mais je n’ai pas pu. J’ai quand même réussi à me
tenir à l’écart.

Maintenant que je suis à Dakar, la savoir à quelques kilomètres seulement de moi


et ne pas pouvoir la voir est presque une torture. Ça fait quatre jours que je résiste
et il ne reste plus que trois à supporter.

Il faut que j’y arrive sinon je ne pourrai jamais en finir avec elle.

Je VAIS y arriver.

*******************

*******************

***Abibatou Léa Sy***

La sonnette retentissante de la porte d’entrée me fait sursauter du canapé. Il est


22h et je n’attends personne. Qui ça peut bien être ? J’espère que ça n’a pas
réveillé Anna qui dort juste à côté dans ma chambre. Déjà que j’ai eu du mal à la
convaincre d’aller se coucher…

Je vais à la porte et demande par précaution, en chuchotant :

- C’est qui ?
- C’est Majib.

Majib ?! C’est une blague ?

Non, c’est bien sa voix.

Sans que je puisse le contrôler mon cœur se met à battre plus vite. Mes pensées
deviennent désordonnées alors que Majib dit :

- Abi, ouvre stp.

Mais qu’est-ce qu’il fait là ? Et depuis quand il est à Dakar ?

J’essaie de me reprendre en fermant les yeux et prends un grand souffle. Qu’est-ce


qui me prend de me laisser autant déstabiliser ? Je déteste ça !

Toujours derrière la porte, j’entends Majib insister :

- Abi…

Si je ne lui ouvre pas, il va insister encore et réveiller Anna. Ayant réussi à gagner
plus de contenance, je pose la main sur la poignée de la porte, tourne doucement
la clé et ouvre.

C’est bien Majib. Il se tient là, à deux pas de moi, me regardant comme s’il n’en
revenait pas. Pendant quelques secondes, je n’arrive à rien sortir de ma bouche.
Quelque chose m’en empêche…

Nous nous regardons en silence, simplement…


Je mets brusquement fin à cette stupide situation en lui disant sèchement :

- Qu’est-ce que tu fais ici ?

Il avance d’un pas en même temps que je fais un léger mouvement de recul,
préférant rester à l’intérieur. Qu’est-ce qui me prend là ? Je me redresse fièrement
pour lui montrer que je n’ai pas peur de lui.

Il soupire et dit :

- Je voulais te voir.

- Et tu n’as pas pensé à m’appeler avant ?

- J’ai essayé. Tu n’as pas vu mes appels ?

C’était donc lui…

Je lui dis sans changer de ton :

- Je ne réponds pas aux numéros inconnus.

- Ok… Je peux entrer ?

- Non, tu ne…
Une petite main me touchant la cuisse m’interrompt soudainement. Je me
retourne mais c’est trop tard.

Anna penche la tête, vois Majib et dit :

- C’est qui, maman ?

Sans réfléchir, je lui crie dessus :

- Anna, va te coucher ! Tout de suite !

Elle sursaute en reculant, paniquée, puis se met à pleurer en courant vers la


chambre. Put*** !! Tout ça à cause de Majib.

Je me tourne vers lui et lui dis, furieuse :

- Va-t’en maintenant.

- Désolé... Je t’appelle demain, tu peux répondre s’il…. Abi…

Je claque la porte sur lui sans le laisser finir. Je m’appuie dessus, mon cœur battant
la chamade.

Mon Dieu, j’espère qu’il ne l’a pas reconnue ! J’espère qu’il n’a pas reconnu sa
fille !

Partie 13 : Il me cherche… Il m’a trouvée.


***Abibatou Léa Sy***

Majib parti, je prends quelques secondes pour me ressaisir avant d’aller voir Anna
Eva. Je la retrouve dans ma chambre en pleurs, cachée sous la couverture. Ça me
fait mal au cœur.

Je n’aime pas du tout la voir pleurer, ça me rappelle trop Anna. Je m’étends à côté
d’elle et essaie de l’attirer dans mes bras :

- Viens bébé… Excuse-moi d’avoir crié, d’accord. Arrête de pleurer.

Elle se laisse aller contre moi, mais continue toujours de pleurer :

- J’ai rien fait… sniff.

- Je sais. Pardonne-moi, d’accord ? J’étais juste un peu fâchée mais pas contre toi.

Mes paroles la calment et elle arrête de renifler puis me regarde de ses yeux
curieux :

- C’est le tonton qui t’a fâchée ?

- Oui. Mais il est parti maintenant.

- Qu’est-ce qu’il t’a fait ? Il est méchant ?

Je regarde ma fille et me retiens à lui répondre qu’ils le sont tous, lui comme les
autres. Je préfère simplement lui dire :
- Ne pense plus à lui. Allez, dodo maintenant.

- Je ne veux pas dormir. Raconte une histoire.

- Encore ? Je t’en ai déjà raconté une … Bon, ok mais juste pour cette fois-ci parce
que je t’ai crié dessus. Tu veux laquelle ?

- La beeelle petite fille !

Je ris à sa réponse enthousiaste. J’aurais dû deviner qu’elle demanderait celle-là.

- Ok bébé… Leebone*

- Leepone*

- Il était une fois une petite fille très très belle, tellement belle que tout le monde
la regardait partout où elle allait. Elle avait aussi beaucoup de chance, deux
mamans qui l’aimaient très fort. Un jour la première maman partit en voyage
laissant la petite à l’autre…

Pendant que je récite cette histoire que je connais par cœur pour l’avoir répétée
des dizaines de fois, j’observe le visage attentif d’Anna Eva.

Elle lui ressemble tellement… Je pense que je m’inquiète pour rien. Certes elle a
des traits de Majib, ses yeux, ses sourcils et quelques petites expressions, mais
c’est à Anna qu’elle ressemble le plus. Surtout par la forme de son visage, sa
couleur de peau très claire, plus que celle de Majib, et ses marquantes et
irrésistibles fossettes.

Etant cousines germaines, Anna et moi avions déjà pas mal de traits en commun.
Cette ressemblance a été bénéfique pour moi quand il a fallu faire croire aux gens
que le bébé qu’elle avait mis au monde presque en secret était le mien. C’était
plutôt facile en fait. Elle était la sage, j’étais la dévergondée, quoi de plus normal
que ce soit moi qui tombe enceinte si jeune...

Je me souviens de cette nuit, le lendemain de sa naissance, où j’ai quitté la clinique


avec le bébé et Ouli qui travaillait dans notre maison à l’époque. Seules elle et ma
grand-mère étaient dans le secret, mais Maï le découvrira plus tard…

Nous sommes parties à l’appartement que Bachir m’avait pris et où Anna et moi
avions prévu de vivre avec le bébé après sa naissance. A part les meubles, il n’y
avait presque rien dedans car nous n’avions pas encore déménagé nos affaires. Le
cœur lourd, je laissai le bébé là-bas avec Ouli avant de rejoindre Anna à l’hôpital
où elle venait d’être transférée, dans le coma. Les jours qui suivirent… Je ne veux
pas m’en rappeler.

Je ne veux pas pleurer devant ma fille… Je préfère penser à son arrivée dans ma
vie, ce bonheur qu’elle est la seule à pouvoir me donner. Elle est tout ce qui
compte pour moi et j’ai juré de tout faire pour qu’elle ne souffre jamais de
l’absence d’un père. Je suis son père. Je la protégerai comme un père est censé
faire pour son enfant. Elle ne vivra jamais ce que j’ai vécu…

Majib a préféré ignorer jusqu’à son existence, puis vivre sa vie comme si de rien
n’était. Trop facile… Je suis certaine qu’il n’est pas réapparu dans ma vie pour rien.
Le karma me l’a apporté sur un plateau d’argent…

Il croit s’en être débarrassé de ce gênant passé et il l’était, tant que l’avenir de
Ndèye Marie était sur la balance. Je ne pouvais plus rien faire. Mais ils ne sont plus
ensemble depuis qu’il s’est lâchement débrouillé pour se débarrasser d’elle, ce qui
est loin de me surprendre.

Et maintenant, alors que je suis bien restée dans mon coin attendant le bon
moment pour en finir avec lui, il est lui-même venu à moi.

Il me cherche…

Il m’a trouvée. C’est décidé, je m’occupe de lui.

***

Anna endormie, je retourne dans le salon avec mon téléphone où je retrouve le


numéro avec lequel Majib essayait de me joindre tout à l’heure.

Je l’appelle et il répond immédiatement, l’air surpris :

- Abi ?

- Salut Majib.

- Salut… Abi, je regrette ce qui s’est passé tout à l’heure. Ça ne se fait pas, je sais,
de débarquer comme ça chez les gens. Je n’ai pas réfléchi et c’était incorrect en
plus, pas seulement envers toi mais aussi envers… Enfin, bref, je ne t’embêterai
plus désormais.

- Ne t’inquiète pas. Je comprends… Au fond, je crois que j’aurais fait la même


chose.
- Je ne comprends pas… Qu’est-ce que tu veux dire ?

- Je veux dire que… je ne sais pas… Te savoir ici, à Dakar, ça me fait bizarre...

Il semble tellement surpris qu’il laisse un peu de temps passer avant de répondre :

- Bizarre comment ?

- Je ne sais pas, Majib. Je ne sais pas l’expliquer, c’est juste comme ça. Je m’en suis
plus rendue compte quand tu es parti. Je me demandais pourquoi j’avais été si
agressive avec toi et… je ne sais pas du tout ce qui me prend, ce n’est pas mon
genre.

- Abi…

- Bref, laisse tomber. Tu rentres quand ?

- Euh… dans trois jours. Jeudi.

Je fais mine d’être déçue en répondant :

- Je vois…

Il s’empresse d’ajouter :
- On peut se voir avant… si tu veux.

- Je ne crois pas que ce soit une bonne idée Majib.

- Moi, non plus. Mais je le veux vraiment... Et toi aussi non ? Au moins, on pourra
parler de tout ça, essayer de comprendre ?

Je garde un moment le silence, donnant l’impression d’hésiter avant de répondre


en soupirant :

- Ok… On peut se retrouver quelque part ou sinon tu peux passer chez moi. On
sera plus tranquille pour parler.

- Eva ne sera pas là ?

Mon inquiétude revient immédiatement à cette question. Je garde mon calme


quand même et réponds :

- Non, elle part demain en vacances chez sa grand-mère.

- Ok. J’espère que tu ne m’en veux pas de l’avoir réveillée.

- Elle s’est vite rendormie.

- Cool… Ça m’a fait drôle de la voir tout à l’heure…


Mon cœur se met tout d’un coup à battre plus vite même si je réponds
évasivement :

- Ah oui ? Comment ça ?

- Je ne sais pas... Peut-être le fait de vous voir ensemble pour la première fois. Tu
ne fais vraiment pas maman.

Je soupire en silence, soulagée. Il ne l’a pas reconnue…

Mais quelques minutes après avoir raccroché, le sentiment de soulagement fait


place à de la colère mêlée de tristesse.

Il ne l’a même pas reconnue, le salaud, même pas un peu. Ne se dit-il donc jamais
qu’il y’a peut-être son enfant ici, quelque part à Dakar ? Ou alors il est convaincu
qu’il n’est jamais né ? Qu’Anna avait avorté comme lui le souhaitait ?

Dans tous les cas, quel genre de personne peut faire face à sa propre chair et ne
pas la reconnaître ?

******************

******************

Le lendemain soir

J’entends sonner à la porte alors qu’il n’est même pas 19h. Ça ne peut pas être
Majib, il avait dit qu’il arriverait vers 20h quand il a appelé tout à l’heure.

C’est Maïmouna.
Elle ne me laisse même pas le temps d’ouvrir la bouche qu’elle entre déjà en criant
:

- Il m’énerve Abi. Lamine m’énerve !

Oh, non, pas encore… J’en ai marre de ces deux-là !

Je la laisse me dépasser et lui dis calmement en refermant la porte :

- Bonsoir Maï.

- BONSOIR !

Bon… okay…

Je la suis dans le salon, m’apprêtant à subir d’autres cris sans rien pouvoir y faire.
Elle jette son sac sur le canapé et s’assoit avec humeur :

- Je n’en peux plus de ce mec. Il m’énerve, tu m’entends ?!

- Qu’est-ce qui s’est passé ?

- Il m’a posé un lapin ! Moi ! Il devait venir me chercher à l’école pour aller prendre
un verre ensemble après être resté trois semaines sans se voir. Trois semaines
Abi ! Et là, il me laisse poireauter pendant VINGT minutes sans répondre à mes
appels, pour finalement me dire qu’il ne viendrait pas. Et devine pourquoi ? Parce
que sa maman lui a demandé d’emmener sa cousine au marché !!
Elle me regarde les yeux écarquillés, attendant ma réaction. Qu’est-ce que je vais
lui dire moi ? Dans cette histoire, je crois que je suis la plus fatiguée, quoi! Lamine
aussi, il exagère !

Ne trouvant rien d’autre à dire, je lui réponds :

- Peut-être qu’il n’avait pas le choix ? Si c’est pour sa maman…

- Oh, arrête stp. Quelle maman ?! C’est à cause de cette fille-là ! Il me parle d’elle
tout le temps. Hadja par ci, Hadja par là, ça me soule ! Si elle veut être avec elle,
pourquoi il ne rompt pas avec moi tout simplement ? De toute façon, il ne me voit
jamais et le voit tout le temps elle. Mais non, monsieur ne fait rien, ne dit rien et
me fait tourner en bourrique. Un jour il dit que je lui manque, et le lendemain
silence radio ou, pire, il me fait ce genre de saletés ! J’en ai trop assez !

- C’est quand même un peu ta faute, non ?

- T’es sérieuse ?

- Ben… Tu lui as dit d’aller avec elle…

Elle me regarde un instant l’air furieux, puis des larmes se pointent dans ses yeux :

- Comment peux-tu dire ça ? Tu sais très bien que je ne le pensais pas vraiment. Je
lui ai même demandé pardon et il m’avait dit que c’était ok !

- Apparemment ça ne l’était pas… Je ne sais pas moi… Peut-être qu’il a fini par se
faire une raison. Tu ne veux pas te marier et son père lui met la pression alors, ça
ne doit pas être facile pour lui... Surtout avec Hadja qui, parait-il, est très sympa en
plus d’être belle...

Je dis ça puis fais mine de me reprendre en la regardant :

- Oh, désolée, ce n’est pas ce que je voulais dire. Je réfléchissais tout haut… Bon,
écoute Maï, je pense qu’il a juste besoin de réfléchir et c’est sans doute pour ça
qu’il t’évite. Essaie d’être patiente, ok?

Cette une Maï enfin calmée et triste qui me répond cette fois :

- Il t’a dit ça ? Qu’il réfléchissait ?

- Non, non, ça fait un moment que je n’ai pas eu de ses nouvelles. Tu sais, avec le
stage, je n’ai pas trop le temps…. Je devine, c’est tout. C’est normal qu’il réfléchisse
bien dans sa situation, surtout après ce que tu lui as dit…

Elle s’essuie nerveusement les yeux :

- Je ne comprends pas, je lui ai demandé pardon dès le lendemain. Je lui ai dit que
je regrettais…

- Oui, et tu te rappelles de ce qu’il t’a répondu… ? Que tu avais raison, qu’il devait
prendre sa famille en compte quelle que soit sa décision, etc. Je te dis ma puce, tes
paroles l’ont fait réfléchir hein, même s’il ne t’en veut plus.

-…
- En plus, souviens-toi que c’était avec Hadja qu’il était après votre dispute.

- Oui mais c’était juste pour tromper son père, c’est ce qu’il m’a dit !

- Le soir-même de votre dispute ?! Hum, ok, peut-être… Mais bon, il était mal ce
jour-là en tout cas, après t’avoir quittée. J’imagine qu’elle a essayé de le consoler…

Cette fois Maï s’arrête de pleurer et me regarde fixement :

- A quoi tu joues ?

- Pardon ?

- Je viens te raconter mes problèmes et toi, on dirait que tu veux me faire encore
plus mal. C’est quoi Abi ? C’est Lamine ton ami ou moi ?

- Oh toi aussi… Vous êtes tous les deux mes amis mais tu es ma best quand
même ! Je préfère juste être franche avec toi même si je te comprends bien, je
t’assure… Après réflexion, c’est bien que tu ne veuilles pas te marier avant la fin de
tes études. Parce que les hommes là, laisse-tomber. Ils sont tous pareils.

- Lamine n’est pas comme les autres ok ! C’est quelqu’un de bien et je sais qu’il
m’aime.
- Ok… Mais tu as quand même peur de te marier avec lui, tu refuses sa demande.

- Mais je n’ai jamais dit ça moi. Enfin si, avant, mais c’est bon maintenant, j’ai
réfléchi. Je veux me marier !

- Ah bon ?! Première nouvelle… Pourquoi tu ne m’as rien dit ? Et surtout, Lamine le


sait ? Parce que si tu lui as dit que tu es prête, là je ne comprends plus son
comportement.

Elle soupire en répondant l’air désespérée :

- Ben non, je ne lui ai rien dit.

- Pourquoi ?

- Mais il ne me l’a jamais redemandé ! Il ne m’a pas reposé une seule fois la
question. C’est comme si il s’en foutait complètement.

- Oui, ben c’est normal après le nombre de fois où tu lui as dit non, il a fini par se
faire une raison. Si toi tu ne le lui dis pas, je pense qu’il ne viendra jamais te poser
la question, c’est sûr.

- Tu crois ? Mais je ne vais quand même pas aller lui dire juste comme ça « épouse-
moi » ? C’est lui l’homme quand même, c’est à lui de demander.
N’importe quoi…

Je lui réponds d’un air indifférent en regardant ma montre, comme si tout était
dit :

- Ok, je comprends ce que tu veux dire. Ben, attends dans ce cas. Peut-être qu’il te
redemandera, qui sait… Sinon, quoi de neuf ? Tu vas quelque part ?

C’est bien beau tout ça mais j’ai un rendez-vous dans quelques minutes et je ne
veux pas que Maï sache avec qui. Il faut que je trouve un moyen de me
débarrasser d’elle.

Elle ne me répond pas et observe le vide, pensive. Ça cogite dans sa tête là…

Finalement, je n’ai pas besoin de trouver une excuse car elle-même me dit :

- Je vais lui dire.

Je fais semblant de ne pas comprendre :

- Tu parles de Lamine ?

- Mais oui, Lamine. Je vais lui dire que je suis d’accord pour le mariage… On est
resté ensemble neuf ans Abi, je ne vais pas le laisser choisir une autre fille quand
même. Il ne l’aime pas du tout, c’est moi qu’il aime.

- Mais oui, j’en suis sûre... pour le moment… C’est bien puce, tu prends la bonne
décision.
Elle se lève tout d’un coup en disant :

- J’y vais…

Je lui demande, surprise :

- Okay… Tu vas où exactement ?

- Chez Lamine.

- Attends, tu vas lui dire maintenant ?

Elle est folle…

- Oui, je ne peux pas attendre ! J’ai besoin de savoir sinon je vais perdre la tête ! Ça
fait des semaines que j’attends qu’il me redemande en mariage. Je m’en fous,
j’attends plus. Je vais direct chez lui et je l’attendrai. Tant pis si cette fichue fille ou
son père me voient.

- Tu as raison, c’est très bien. Allez, vas-y prendre ce qui t’appartient. Je suis avec
toi.

Elle se précipite pour sortir puis s’arrête juste devant la porte en se retournant
pour me regarder, comme si elle se souvenait de quelque chose :

- Pourquoi t’es habillée comme ça, toi ? Et où est Anna ?


- Chez ma grand-mère, en vacances… Allez, file.

Elle me regarde dubitativement puis dit en sortant :

- On en reparle. Je t’appelle après.

Oui, c’est ça. Heureusement que mon téléphone sera éteint. Je verrouille la porte,
un sourire satisfait aux lèvres. Mission accomplie.

Je me dépêche de prendre mon téléphone et envoie un message à Lamine :

« Toi, t’es pas sérieux. Pour info, Maï arrive chez toi là. A+ »

****************

****************

***Lamine Cissé***

Le message d’Abi me trouve dans le salon en train de discuter avec maman.

Je le lis et lui réponds : « Do nite* ! Je t’appelle after. »

Avant de me lever, je dis à maman :

- Je vais m’allonger, maman. J’ai un peu sommeil là. Ne m’appelez pas pour dîner,
je mangerai plus tard.

- Ok. A plus tard.


Je vais dans la cuisine rejoindre Sokhna la domestique, occupée à préparer le dîner
:

- Sokhoooo ! Boy, tu bouffes quoi en ce moment ? Ton mec là, il s’occupe bien de
toi hein ! C’est quoi cette taille ?

Elle ne rit même pas et répond :

- Qu’est-ce que tu veux Lamine ?

- Hun ! Toi aussi. On dit merci quand on te fait un compliment.

- Merci. Sinon, tu veux quoi ?

- Bon, d’accord. Ecoute, y’a Maï qui arrive dans quelques minutes là mais je ne
veux que personne la voie. Stp boy, va te mettre à la porte et attends qu’elle
arrive. Tu l’emmènes direct dans ma chambre ok ?

- Ah non Lamine, c’est bon. Déjà la dernière fois tu me demandes de lui mentir en
disant que t’es sortie avec Hadja alors que t’étais bien là. Et maintenant je dois
jouer la gardienne pour la recevoir dans ta chambre? Non, je refuse. Je ne sais pas
à quoi tu joues mais je ne veux pas y prendre part. Maï est ma copine et c’était pas
comme ça entre vous avant. Tout ça à cause de l’autre là. Tchuipp !

- Toi aussi, à qui je vais demander sinon toi ? T’es ma pote aussi. Et ne t’inquiète
pas, je ne fais rien contre Maï. Je l’aime toi aussi. Stp, fais ça pour ton grand-frère.
- Non…

Malgré son air décidé, je réussis quand même à l’amadouer à force de promesses.

Puis, satisfait, je vais dans ma chambre, prend un journal et m’allonge sur le lit en
attendant Maï.

On va voir ce qu’elle a à me dire…

* « leebone/leepone » : Formule traditionnelle wolof pour introduire un conte.

* « do nite » : littéralement = t’es pas humain. Pour dire que quelqu’un est trop
fort

Partie 14 : Notre relation est impossible…

***Maïmouna Bah***

Je trouve Lamine allongé sur son lit, détendu, alors que je pensais qu’il était
dehors. Il me regarde avec un petit air surpris :

- Oh, c’est toi ?


Je reste à la porte en lui demandant sur un ton plus sec que je ne le voudrais :

- Pourquoi t’es pas au marché ?

- Parce que je suis rentré.

- Déjà ? Mais pourquoi tu ne m’as pas appelée ? On avait le temps de se voir là !

- Bof, j’avais déjà annulé, et puis j’étais fatigué…

- Fatigué ? Tu te moques de moi, Lamine ? Ça ne te fait donc rien qu’on ne se voit


jamais ?!

- Tu m’as entendu ? J’étais fa-ti-gué. Tu es venue pour te disputer au fait ?

- Mais tu ne…

Stop. J’arrête de parler là. Il a raison, je suis bien en train de me disputer alors que
ce n’est pas du tout pour ça que je suis venue. Je ne veux pas lui laisser croire que
l’autre là est plus « douce » que moi.

Je reprends donc d’une voix plus calme :

- Non, je ne suis pas venue pour ça... Ça va ?


Il sourit un peu et m’invite de la main à le rejoindre sur le lit :

- Oui. Allez, viens là.

Je m’assois timidement à côté de lui. Je ne sais pas quoi faire, par où commencer.
On ne se voit tellement plus maintenant en plus des disputes que j’ai perdu mon
naturel avec lui. En temps normal, on se serait enlacé pour s’embrasser mais là je
ne fais rien et lui non plus. Il se contente de me regarder en silence, comme s’il
attendait que je lui dise quelque chose.

Mais moi je me pose des questions du coup… Et s’il avait déjà fait son choix sans
me le dire ? Peut-être que c’est pour ça qu’il a décidé de ne finalement pas me
revoir tout à l’heure? Si c’est le cas, je me ridiculiserais pour rien. Là, je me
demande vraiment si je vais aller jusqu’au bout…

Voyant que je ne parle pas non plus, plongée dans ma réflexion, il finit par prendre
les devants :

- Je ne savais pas que tu venais.

- Oui, c’était pas prévu, je voulais te parler rapidement. Mais personne ne m’a vue,
t’inquiètes… Ça te dérange ?

- Non, non, pas vraiment.

- Okay…

Puis silence, à nouveau. J’observe la chambre autour tandis que Lamine a son
regard posé sur moi que je fais semblant de ne pas remarquer.

Je dois me décider là… J’y vais ou je n’y vais pas ?

J’y vais ou…

Lamine interrompt soudainement mes pensées :

- Bon, alors ?

- Hun ? Alors… quoi ?

- Tu voulais me parler ?

- Euh… oui.

Il fait un geste pour m’inviter à commencer.

Bon, ce n’est plus le moment d’hésiter là, je vais lui dire. Je ne suis quand même
pas venue ici pour rien ! Au moins, je repartirai chez moi fixée sur nous deux.

J’inspire pour me donner du courage et me lance :

- Ok… En fait, tu sais quand on s’est disputé y’a quelques mois et que je t’avais dit
de…enfin tu sais ? J’étais très en colère parce que tu criais, puis j’ai mal réagi, bref.
Je m’étais excusée ensuite et tu m’avais dit que c’était… ok, n’est-ce pas ? Tu es sûr
que tu ne m’en veux plus ?
- Et pourquoi tu reparles de ça ?

- Parce que j’ai l’impression que tu m’en veux encore. D’abord on se voit rarement,
puis tu es moins attentionné et puis… tu avais dit à l’époque que tu prendrais un
appartement alors que je te vois toujours vivre ici. Tu as changé d’avis?

Il hausse les épaules d’un air défaitiste et dit pensivement :

- A quoi bon…

- C’est-à-dire ?

Voilà ! C’est là-même qu’il va m’expliquer qu’il n’a pas jugé utile de déménager vu
que je refuse de me marier de toute façon. Et là, je pourrai enfin lui dire que
j’accepte maintenant.

Malheureusement, il brise tous mes espoirs en quelques mots :

- Non, rien. Sinon, quoi de neuf ? C’est bientôt les exams là. Tu révises bien
j’espère ?

Que, Quoi ?! On parle de choses sérieuses et lui me parle des exams ?!

Enervée, je lui réponds hâtivement :

- Oui, oui. Mais je ne suis pas là pour ça. Je suis là pour qu’on parle de nous.

Il répond d’un air surpris :


- De nous ?

Surpris ?! Donc depuis le temps là, Il n’a pas compris que c’est de nous que je veux
parler !

J’ai l’impression qu’il se moque quand même un peu de moi Lamine… Je l’observe
attentivement et il fait pareil, attendant ma réponse… Il est vraiment sérieux ?

Bon ok, je continue. Ce n’est pas le moment de renoncer :

- Bien sûr que je parle de nous… Tu te rappelles de ce que tu m’avais demandé ce


jour-là, quand on s’est disputé ?

Il fronce les sourcils, l’air de réfléchir. Je suis surprise mais je précise quand même
pour lui rafraîchir la mémoire :

- A propos de toi et moi... Ce que tu voulais qu’on fasse rapidement.

- Toi et moi… Répond-il l’air de ne toujours pas comprendre.

Ah non, il n’est pas sérieux là ! Ce n’est pas possible qu’il ait oublié qu’il m’a
demandée en mariage alors que c’était juste la millième fois qu’il le faisait! Il m’a
zappée à ce point ?

Bon, si c’est ça, je renonce, ça ne sert à rien.

Je me lève brusquement en disant :

- Laisse tomber. A plus tard.


Lamine me fait rassoir aussi rapidement que je me suis levée en tirant sur mon
bras. Surprise, je le regarde :

- Qu’est-ce que tu fais ?

- Tu dis d’abord ce que tu es venue dire, ensuite tu peux partir.

- Non, ça ne sert à rien. J’ai changé d’avis.

Il répond sur un ton beaucoup plus ferme :

- Dis-le, Maïmouna.

Je retire sa main et me lève à nouveau. Plus rapide que moi, il se lève aussi, va
rapidement verrouiller la porte avant de glisser la clé dans sa poche. Puis il se
tourne calmement vers moi, les bras croisés et me dit :

- Tu n’iras nulle part avant de m’avoir dit ce que tu es venue dire.

- A quoi tu joues Lamine ?

- Tu es fière, tu sais ça ? Tellement fière que tu préfères prendre le risque de me


perdre plutôt que de te rabaisser rien qu’un peu.

- Je ne sais pas de quoi tu parles.


- Vraiment ?! Concrètement, qu’est-ce qui t’empêche de me dire ce que tu es
venue dire ?

Ton comportement, le fait que tu aies oublié ta demande en mariage et aussi


parce que je ne veux pas me ridiculiser… donc ma fierté.

Bon ok, il a raison.

Honteuse, je détourne le regard sans rien dire. Au bout de quelques secondes,


Lamine s’approche lentement jusqu’à se retrouver tout proche de moi. Je sens son
odeur, sa chaleur… Il me manque tellement… J’ai juste envie de me blottir dans ses
bras, à cet instant même, et le laisser me serrer fort contre lui.

Mais il ne me touche pas. Même pas un tout petit peu...

Je lève les yeux pour le regarder. Il me répète alors en chuchotant :

- Dis-le.

Ok, c’est bon. Je vais le dire, d’une traite, qu’on en finisse.

Un, deux, trois.

- Je veux qu’on se marie.

… C’est bon, je respire encore. Ouf !

Il me regarde l’air pas plus surpris que ça. J’ai l’impression qu’il est amusé mais se
retient de sourire. Reprenant vite un air très sérieux, il dit :

- Quand ?
- Quand tu veux. Même avant la fin de mes études.

- Tu es sûre ? C’est vraiment ce que tu veux ?

- Oui, j’en suis sûre. J’ai bien réfléchi. Après tout, il ne me reste plus qu’un an et
puis ce sera essentiellement passé en stage. Et puis… j’en ai marre de cette
situation. On ne se voit plus à cause de ton père, de ce qui se passe et je veux te
voir. Tous les jours… Je veux être ta femme que tout le monde le sache et que plus
personne ne s’imagine nous séparer. Je t’aime trop Lamine pour te voir si peu. Tu
me manques, tu sais ?

A peine ai-je fini de parler que Lamine me prend dans ses bras. Il m’embrasse
passionnément en me serrant contre son corps. Enfin ! Je me blottis contre lui
profitant enfin du contact de son torse ferme et chaud, ses lèvres… Hum, c’est
tellement doux ! Je me sens fondre dans ses bras, littéralement. Ça m’a trop
manqué.

Nous restons debout dans les bras l’un de l’autre pendant plusieurs minutes
comme pour rattraper tout ce temps passé sans nous voir. Le soulagement au fond
de moi est immense. J’avais raison, il m’aime toujours. Au fond, je n’ai jamais
douté de son amour. C’est quand même Lamine. Mon Lamine…

Quand il se redresse, il me regarde tendrement et dit :

- Tu m’as manquée aussi.

Je souris en lui répondant :


- J’ai remarqué.

- Août, ça te va ?

- Août ?

- Oui, pour nous marier. Ce sera juste avant la rentrée et… sincèrement je ne peux
plus attendre. J’ai besoin de plus, beaucoup plus. Pas seulement ce que tu penses
mais tout le reste. Je veux qu’on vive ensemble très rapidement.

Mon Dieu, moi non plus je ne peux plus attendre ! Mais…

Je lui réponds en essayant de paraître excitée :

- Ok. C’est dans moins de deux mois mais ok. Marions-nous…

- Mais ?

- Mais… Lamine, il y’a quand même ton père. Comment on va faire avec lui ?

Il soupire et m’attire à nouveau contre lui. Puis il m’embrasse le front en me


caressant les cheveux et dit d’une voix qui se veut rassurante :

- Laisse-moi m’occuper de ça. Tu n’as pas à t’inquiéter.

Je ne réponds pas mais, la tête posée sur son torse, je réfléchis. Le problème, c’est
que je m’inquiète. Beaucoup même. C’est bien qu’on soit enfin d’accord tous les
deux mais… son père ? Et mes parents, comment ils vont réagir en sachant qu’il ne
veut pas de ce mariage ?

Je m’inquiète vraiment…

*********************

*********************

Pendant ce temps

***Abdoul Majib Kébé***

Quand elle m’a ouvert la porte tout à l’heure habillée d’une petite robe à fleurs et
maquillée, j’ai commencé à regretter d’être venu. Je ne sais pas comment elle fait
pour paraître aussi innocente et sexy à la fois mais ça ne m’arrange pas. Après
qu’on se soit parlé au téléphone hier, je me suis mis à réfléchir à ce qui était en
train de se passer. Et plus j’y réfléchissais plus je me rendais compte qu’une
relation entre elle et moi est impossible. Parce que pour être tout à fait honnête
avec moi-même, c’est ce que je cherchais, ou du moins ce dont je rêvais depuis le
moment où je l’ai rencontrée. La revoir m’a fait m’en rendre compte. C’est clair, je
suis fortement attiré par elle. En fait, je n’ai jamais ressenti une attirance aussi
forte pour quelqu’un avant elle.

Mais il y’a Ndèye Marie… Même si elle et moi ne sommes plus ensemble, c’est
quand même son amie. Je n’imagine même pas ce qu’elle ressentirait en
découvrant que la raison de mon éloignement d’elle vient du fait que j’ai des
sentiments pour Abi.

Même si Abi veut la même chose que moi, comment pourrait-on sereinement
vivre une relation ? Je dois lui parler et tirer un trait sur tout mais avant, j’ai juste
besoin de la voir, l’entendre encore et savoir ce qu’elle ressent exactement par
rapport à tout ça. J’en ai besoin...

Cela fait, nous nous dirons adieu et nous éviterons ensuite le maximum possible.

Je réfléchis à tout ça pendant qu’Abi est dans la cuisine. Elle revient avec un
plateau de boissons et du grignotage qu’elle pose sur la table:

- Je peux te servir à dîner aussi si tu préfères. Penda a préparé du « Yassa ».

- Non, ça ira. Te fatigue pas pour moi.

Je la suis des yeux alors qu’elle me sert à boire, prend un verre pour elle-même
puis s’assoit confortablement en tailleur sur le canapé.

Bien installée, elle tourne sa tête vers moi et surprend mon regard sur elle.
Pendant quelques secondes nous nous fixons en silence. Mon esprit est loin… Je
revois des images de la scène qui s’était déroulée entre nous ici, sur le même
canapé. Scènes que je voudrais revivre, là, tout de suite... Pendant un bref instant,
je la sens troublée sous mon regard.

Puis elle se reprend vite et engage la conversation :

- Alors t’es à Dakar depuis quand ?

- Vendredi. Je suis venu avec mon père pour rendre visite au sien.

- Il est malade ?
- C’est ce qu’il disait mais en réalité, il se porte comme un charme. Il voulait juste
le faire venir je pense.

- Et tu regrettes d’être venu ?

Je l’observe avant de répondre, très sincèrement :

- Pas du tout... Alors tu fais quoi en ce moment ?

- Je fais un stage. Le dernier.

- Cool. T’as des pistes pour la suite?

- Oui, j’ai trouvé un boulot.

- Déjà ? C’est bien, t’as de la chance.

- Elle va bien Ndèye Marie ?

Eh bien, c’est ce qu’on appelle un brusque changement de sujet. Le pire c’est


qu’elle me pose la question en me regardant droit dans les yeux. Je ne me laisse
pas facilement intimider d’habitude mais il faut croire qu’Abi a la parfaite recette
pour y arriver.

Je fais comme s’il s’agissait d’une question comme une autre en répondant :
- Oui, ça va. Elle vient de finir ses cours là et doit commencer un stage cette
semaine.

- Je sais, je lui parle des fois.

Alors pourquoi tu me poses la question ? Réponse que je vais bien sûr m’abstenir
de faire.

Abi reprend de toute façon :

- Donc tu la vois ?

- Non mais j’ai un pote qui me donne de ses nouvelles.

- Pourquoi vous ne vous voyez pas ?

- Parce qu’elle ne veut pas me voir.

- Ça te fait mal ?

J’observe Abi plus attentivement pour essayer de savoir ce qu’elle veut vraiment
avec ses questions aussi sensibles que directes. Qu’est-ce qu’elle cherche
exactement, être rassurée sur le fait que je n’ai plus de sentiments pour Ndèye
Marie ou vérifier que je ne suis pas assez égoïste pour l’avoir complètement
effacée de ma vie ?
Mais, le visage fermé, je n’arrive pas à deviner ce qu’elle pense, donc je dis
simplement la vérité :

- Oui. Ça me fait de la peine… Elle était ma meilleure amie et elle me manque


beaucoup.

Là elle ne dit plus rien. Cette fois, j’arrive à savoir ce qu’elle pense. Ma réponse la
surprend, elle ne s’y attendait pas.

Après quelques secondes, elle reprend quand même :

- Pourquoi vous avez rompu ?

- Elle ne t’a pas dit pourquoi ?

- Pas dans le détail, non. Mais si tu ne veux pas répondre, je comprendrai.

- … Elle m’a quittée… Mais c’est de ma faute, je n’ai pas été correct avec elle… Je lui
ai proposé de repousser le mariage alors qu’au fond ce que je voulais vraiment,
c’était l’annuler. Elle l’a compris et est partie. Je m’en veux de ne pas avoir été
honnête.

- Pourquoi tu ne voulais plus l’épouser ?

- Je ne POUVAIS pas l’épouser.

- Pourquoi ?
Cette fois, je la regarde droit dans les yeux pour lui répondre doucement :

- Tu sais pourquoi.

Elle me regarde aussi. Elle a compris… Si c’est ça qu’elle voulait vérifier, que c’est à
cause de ce que j’éprouve pour elle que j’ai rompu avec Ndèye Marie, elle est
servie. Pendant un instant, la voyant silencieuse, je m’attends à ce qu’elle ne pose
plus de question mais c’est compter sans sa persévérance.

Elle reprend au bout de deux secondes d’un air têtu :

- Non, je ne sais pas.

Vraiment… Je la regarde fixement et elle soutient mon regard. Je lui tends alors
une main, l’invitant à me donner la sienne. Elle m’observe mais ne fait aucun
geste. Je m’avance et prends quand même sa main puis, doucement mais
fermement, la tire à moi. Elle résiste un instant puis se laisse faire jusqu’à se
retrouver assise sur moi. Les yeux plongés dans les siens, je comprends qu’elle
veut exactement la même chose que moi…

Je passe lentement un doigt sur sa joue et la sens frissonner. Dans son regard, je lis
un peu d’incompréhension… ou de la peur plutôt. Je ne sais pas de quoi elle a peur
exactement mais je le sens.

Je glisse ma main derrière sa nuque et la caresse en attirant doucement son visage


contre le mien. Mes lèvres posées sur les siennes, une odeur délicieusement
enivrante m’envahit les narines. Elle est sucrée… J’ai envie de me lâcher comme la
dernière fois mais il ne faut pas. Je veux profiter de ce moment car je ne suis pas
sûr de le revivre à nouveau. Je prends mon temps… Elle se laisse faire alors que je
l’embrasse longuement, lentement, caressant et mordillant la moindre parcelle de
sa peau en tenant fermement sa nuque. Quand je l’entends soupirer de plaisir, je
recule légèrement et la regarde. Les yeux fermés, la bouche un brin entrouverte,
j’ai l’impression de voir pour la première fois son vrai visage. Elle est tellement
belle…

Mais je n’ai pas le temps de profiter du spectacle. Voyant que je ne l’embrasse


plus, elle ouvre aussi les yeux et me regarde l’air de ne pas comprendre.

Je lui chuchote en la fixant des yeux :

- Tu sais maintenant ?

Elle ne dit rien et recule. Son expression change d’un coup comme si elle se
souvenait de quelque chose, redevenant aussi dure qu’avant. Elle me repousse et
se lève soudain, passe nerveusement ses mains sur elle pour défroisser sa robe
puis marche vers le balcon.

Je la suis des yeux, essayant de comprendre.

Une seconde plus tard, je la voix prendre quelque chose sur une table puis me
tourner le dos avant de se pencher au-dessus de la rue, les bras appuyés sur la
rambarde.

Je me lève pour la suivre et me tiens debout à côté d’elle.

Elle tient une cigarette entre ses doigts et tire dessus calmement.

Assez surpris, je ne peux m’empêcher de lui dire :

- Je ne savais pas que tu fumais.

Elle répond sèchement :

- Et alors ? Monsieur est choqué ?


- Choqué, non… J’ai aussi fumé dans le temps. Je suis juste surpris, les sénégalaises
ne fument pas en général. Sauf dans les boîtes de nuit peut-être… C’est mal vu non
?

Elle ne répond pas et continue de fumer en observant la rue, me montrant que ce


que je raconte n’a pas vraiment d’importance pour elle.

A cet instant bizarrement, en l’observant, je me rends compte qu’elle est plus


fragile que ce qu’elle laisse paraître d’habitude. Je sens qu’elle souffre… Quelque
chose la pousse à s’enfermer sur elle, à afficher cette attitude indifférente à tout ce
qui l’entoure. Cette même chose qui, j’en suis sûr, la pousse à faire ce qu’elle est en
train de faire. Je veux savoir ce que c’est…

Je prends le risque de lui poser la question :

- Pourquoi tu fumes ?

- Il faut une raison ?

- Pas toujours. Mais je sens que tu en as une. Je me trompe ?

Elle se tourne et me regarde enfin, l’air agacée :

- Qu’est-ce que tu veux Majib ?

Toi.

Exactement ce que j’ai envie de répondre. Mais alors je me souviens de la décision


que j’avais prise en venant ici. Je dois l’appliquer, aussi dur et impossible que ça me
paraisse, maintenant qu’elle me pose la question.

Je la regarde un instant alors qu’elle attend ma réponse puis, saisi d’un instinct, je
lui prends la cigarette des doigts et l’écrase dans le cendrier posé à côté. Elle me
suit des yeux, l’air surprise :

- Tu fais quoi là ?

Je ne sais pas. J’avais juste envie de le faire. Au lieu de répondre à sa question, je


lui dis simplement :

- Je suis attiré par toi Abi. Tu le sais… Et je sais que toi aussi es attirée par moi.

Elle ne répond pas et continue de simplement me regarder, attentive. Je poursuis :

- Mais au fond, nous savons tous les deux que notre relation est impossible. Je ne
peux pas faire souffrir Ndèye Marie plus que je ne l’ai déjà fait.

- Alors pourquoi tu es venu ?

- Parce que, j’étais incapable de rester loin de toi. Je n’ai pas arrêté de penser à toi.
Pas un seul jour depuis la dernière fois qu’on s’est vu. Au fond, c’est pour toi que je
suis venu à Dakar, c’est toi que je voulais revoir… Mais après l’avoir fait, j’ai eu
honte de moi. Ndèye Marie ne mérite pas ça… Tout ce temps, j’ai pensé à moi, au
fait que tu me manquais, que je voulais être avec toi mais à elle, à ce qu’elle
ressentirait si un jour elle découvrait pour nous... je n’y ai pas assez pensé. Ce
serait terrible pour elle, tu sais ? On ne peut pas faire ça.
Elle détourne le regard sans répondre. Elle non plus n’a pas envie de lui faire mal,
c’est son amie... Mais si elle ressent ne serait-ce que le dixième de ce que je
ressens pour elle, ce que je lui dis est loin d’être facile à entendre… Car ce n’est pas
du tout facile à dire.

Je m’approche un peu plus d’elle et lui prends la main que je serre dans la mienne :

- Je n’aurais pas dû venir. Parce que maintenant tu vas me manquer encore plus
qu’avant… Tu me manques déjà… Mais on n’a pas le choix.

Je me penche pour lui embrasser le front une dernière fois avant d’y aller et au
même moment, tout d’un coup, elle se tourne vivement en me tirant la main, se
dirigeant à l’intérieur. Je la suis, me laissant faire bien qu’étonné :

- Abi ?

Elle ne dit rien et me pousse brusquement dès qu’on arrive au niveau du canapé.
Je me retrouve assis dessus ne comprenant toujours pas ce qui se passe. Elle ne
me laisse pas le temps d’y réfléchir, s’asseyant immédiatement sur moi en
m’entourant de ses cuisses et se met à m’embrasser fougueusement.

Plus besoin de réfléchir. Je lui rends son baiser avec autant d’intensité, oubliant
complètement toutes mes bonnes résolutions. Elle se met à bouger contre moi,
me faisant progressivement perdre le peu de raison qu’il me reste encore, tout en
glissant une main sous mon tee-shirt. L’excitation monte en moi à une vitesse
tellement rapide que j’ai envie de la prendre dès maintenant. Sans plus attendre,
je baisse les bretelles de sa robe et découvre ses seins cachés sous un tissu fin. Je
la caresse au-dessus et sens immédiatement ses tétons se durcir.

Elle gémit et recule vivement, me lançant un regard étrange. Quoi ? Je suis allé
trop loin ? A moins que…non elle est maman, elle ne peut pas être vierge.

Pour être sûr qu'elle veut la même chose que moi, je lui demande, en espérant de
tout mon cœur que sa réponse sera positive :

- Tu veux arrêter ?

Elle ferme les yeux, inspire visiblement pour se reprendre, puis les ouvre à
nouveau pour me regarder fixement, en relevant ses bretelles. Elle pose ensuite
ses mains sur la ceinture de mon jean qu’elle se met à déboutonner lentement en
me fixant toujours du regard. Incapable de penser à quoi que ce soit, je la regarde
aussi, hypnotisé…

Quand elle enlève le dernier bouton, elle se lève en gardant la main posée au
même endroit, pour s’agenouiller ensuite confortablement sur le tapis, devant
moi.

Comprenant où elle veut en venir, je sens ma respiration s’arrêter… Abi,


l’innocente, la mystérieuse, la timide des fois, celle qui hante mes rêves depuis des
mois… tire mon caleçon, me saisit de sa douce petite main et se penche sur moi.

Quand, quelques secondes plus tard, un bien-être incroyable m’envahit alors que
je sens toute sa chaleur me couvrir, ce ne sont plus les mots « timide » et «
innocente » qui me viennent à l’esprit. Je me retiens de gémir en laissant choir ma
tête sur le dossier du canapé.

Diabolique… Cette fille est diabolique…


Partie 15 : C’est une vraie garce !

***Abdoul Majib Kébé***

Encore sous l’émotion du moment, je mets un petit moment à relever la tête,


sentant les caresses d’Abi sur mon ventre.

Elle est là, toujours à genoux, me regardant en se mordillant timidement la lèvre.


Tout en laissant ses doigts trainer sur ma peau, elle dit tout bas :

- Désolée, j’en avais envie…

- Tu en… Well…Ok.

Que dire de plus… Elle en avait envie, alors elle l’a fait...

Ok, non, ce n’est pas aussi simple… Je l’observe et vois qu’elle a l’air sérieusement
désolée. Mais pourquoi ?! Elle décide toute seule de… me prendre en main, elle
me fait passer un moment fou, sans prévenir et surtout en y mettant tout son
cœur plus que je n’en aurais jamais rêvé de sa part… et puis elle en est désolée.

Je pensais en savoir assez sur les femmes, j’en ai connu de tous genres, des
pudiques, des timides, des moins timides, des beaucoup moins timides, mais le
modèle Abi est une première pour moi.

Une minute femme mûre et la suivante petite fille sans expérience… Là, j’ai limite
l’impression que je lui ai fait du tort.

Attendri, je tends la main pour l’attirer à moi. Elle se laisse faire en se relevant et
se blottit dans mes bras, sa tête reposant sur mon torse. God, elle me rend fou… Je
lui caresse le visage puis la pousse à me regarder. J’ai besoin de l’observer, de la
comprendre…
Les yeux plongés dans les siens, j’y lis encore une certaine crainte. De quoi a-t’elle
peur, je me demande. Parce que là, j’ai le sentiment que c’est moi qui devrais avoir
peur d’elle…

Je l’attire et l’embrasse tendrement, puis, le front collé au sien, chuchote :

- Ça va ?

- Oui.

Mais elle réfléchit à quelque chose, je ne sais pas quoi…

J’ai envie de la rassurer là. Mais surtout l’embrasser encore, la caresser, lui donner
autant de plaisir que ce que j’ai reçu de sa part.

Effleurant ses lèvres, je fais doucement glisser mes mains sur elle. Son cou, son
dos, sa taille… Au début elle se laisse faire puis soudain m’arrête d’un geste ferme,
retire mes mains et recule.

Je la regarde pour comprendre et vois qu’elle ne veut pas aller plus loin…

Je comprends… Elle peut me toucher mais moi non, je n’ai pas le droit de la
toucher…

En fait non, je ne comprends pas. Elle en a envie là, je le sais.

Enfin bref, je respecte. Je lui souris pour lui montrer qu’il n’y a pas de problème
mais elle détourne la tête, semblant encore réfléchir. On dirait qu’elle essaie de
prendre une décision, rester dans mes bras ou s’éloigner.

Pour l’aider dans son choix, je lui pose un baiser sur le front et la pousse à se
recoucher sur moi. Elle se laisse faire dans un soupir, se lovant confortablement.


Elle est parfaite pour moi.

Son corps sur le mien, son odeur, mes bras la couvrant, ma main lui caressant les
cheveux, je me rends compte à quel point je suis comblé à cet instant. Je voudrais
la garder ainsi longtemps…

Pour toujours.

Je suis amoureux d’elle.

Cette vérité jaillit tout d’un coup dans mon esprit telle une évidence. Je suis
amoureux de Abi.

Elle choisit ce moment pour chuchoter :

- Je ne veux pas que tu partes.

Partir ? Je ne vais nulle part…

Oh, elle parle sûrement de mes paroles de tout à l’heure, à propos d’elle et moi…

Voulant la rassurer et me rassurer moi-même, je lui réponds avec un baiser sur son
visage :

- Ne t’inquiète pas. Ça ira.

- Mais tu rentres après-demain, n’est-ce pas ?

- Oui.

- Je ne veux pas que tu rentres.


Son ton décidé me fait sourire. C’est donc de ça qu’elle veut parler, de mon retour
à Londres, pas de mes paroles de « rupture » dont elle ne semble pas tenir
compte.

Tant mieux. Je ne peux pas la quitter de toute façon.

Je réponds donc à sa question:

- Je ne veux pas partir non plus, mais je n’ai pas le choix.

Elle se redresse pour me regarder.

- On a toujours le choix. Reste ici avec moi.

- Mon travail m’attend Abi.

- Ton travail compte plus que le reste ?

Elle veut dire « elle », c’est elle le reste… Le truc c’est que je ne trouve même pas
sa question prétentieuse. En fait, je ne suis pas sûr de la réponse à y apporter. En
posant cette question, elle me fait me rendre compte qu’elle pourrait réellement
passer avant mon travail. Elle pourrait passer avant beaucoup de choses en fait…

Ok, je deviens fou concrètement.

Je me passe une main sur le crâne, histoire de remettre les idées en place puis lui
dis :

- Je reviendrai bientôt. Promis.


Je me retiens de rire à l’expression de gamine capricieuse qu’elle fait. Me
contentant de sourire, je lui dis :

- Je resterais si je pouvais crois-moi… Bon, je crois que j’ai faim maintenant.

- Y’a du « yassa » si tu veux.

- Non, j’ai une meilleure idée. Un bon poisson braisé à la plage !

Elle me regarde l’air amusée :

- T’as passé trop de temps à Dakar, toi.

Pendant un instant, je ne lui réponds pas, hypnotisé. C’est la première fois qu’elle
sourit vraiment. Je n’ai plus revu ce sourire depuis cette fois il y’a un an. J’avais
oublié à quel point il est beau…

Elle me voit l’observer et se reprend très vite. Le sourire disparait de son visage
comme s’il n’y était jamais apparu.

Elle me dit ensuite :

- Donc tu préfères sortir ?

- Oui mais avec toi. A moins que… tes copines ?

- Non, c’est bon. Maï a de quoi l’occuper là et Virginie n’est pas à Dakar. Il n’y a
qu’elles qui te connaissent, personne d’autre ne fera attention à nous. Je change
de chaussures et on y va.

Elle se lève me laissant assis à la même place, pensif suite à ses dernières paroles.
Elle ne s’en est pas rendue compte mais ça m’a mis un coup de froid. On ne doit
donc pas vivre notre relation au grand jour…

Je l’accepte bien sûr, parce que je ne veux pas faire souffrir Ndèye Marie, mais…
jusqu’à quand ? Au fond de moi je sens qu’avec Abi, il ne s’agit pas d’une histoire
éphémère…

…Un jour, quand les blessures seront fermées, je vais moi-même en parler à Ndèye
Marie. Je le lui dois…

*****************

*****************

***Virginie Badji***

Assise en face de Mike autour d’une table, je n’arrive juste pas à le prendre au
sérieux suite à ce qu’il vient de me demander. Partir vivre avec lui en Russie.

La Russie. Rien que ça. Il me fait rire.

J’évite quand même de le vexer et me retiens, lui répondant simplement :

- Donc toi tu veux retourner en Russie ?

- Oui, pour quelques années seulement.

- Pourquoi ? Ça me surprend quand même, tu étais en France, tu n’as jamais vécu


en Russie.

- Bien sûr que si, quand j’étais plus jeune.

- Oui mais, depuis combien de temps tu n’y as pas été ?

Il devient un peu mystérieux en répondant :

- Moins que ce que tu penses… Alors ?

- Alors quoi ?

- Viens avec moi, pas maintenant mais dans quelques mois le temps de te
préparer. Ce sera juste pour quelques années, quatre au plus après on ira vivre où
tu veux.

- Mike, tu te rends compte de ce que tu me demandes ? Aller vivre en Russie ?! Je


vais faire quoi là-bas ? J’ai ma famille ici, mon travail, mes amis.

- Et tu m’auras là-bas. Tu seras avec moi, ma femme et on reviendra souvent ici.

- … Quoi ?

Je dois avoir mal entendu, donc je répète ma question :

- Je serai ta quoi ?
- Ma femme. Epouse-moi et ensuite on va vivre ensemble en Russie.

Ok, il se fout officiellement de ma gueule lui. Je m’apprête à lui répondre


vertement quand une scène attire mon regard. Dans le restaurant situé à côté de
celui où on est assis sur la plage, je vois un couple installé à l’une des tables
extérieures.

Mike se tourne pour suivre mon regard et dit :

- Tiens, c’est Abi… Pauvre garçon, il va se faire déplumer comme...

- JE LE CONNAIS! !

- Oh, oh doucement Ginie. Tu connais qui?

- Cet homme, je le connais… Attends mais je rêve. C’est quoi ça ?!

- Quoi, qu’est-ce qui se passe ?

- C’est Majib ! Le fiancé, l’ex de Ndèye Marie. Il fait quoi ici avec Abi ?

J’en crois pas mes yeux. Abi !!

Le premier instant de choc passé, je me lève aussitôt :


- J’arrive Mike.

Il me tire le bras et me fait rassoir immédiatement :

- Comment ça ? Tu vas où ?

- Je vais les voir bien sûr ! Non mais, j’hallucine ! C’est le fiancé de Ndèye Marie je
te dis ! Et ils dînent comme ça, en amoureux ! Ah non, faut que je leur parle à ces
deux-là.

Je me relève et Mike me retient encore plus fermement :

- Assis-toi Virginie ! Qu’est-ce que tu vas leur dire ? Tu ne sais même pas pourquoi
ils sont là.

- Tu plaisantes ? On parle de Abi là.

- Qu’importe. Tu ne sais pas pourquoi ils sont ensemble. Puis tu vas faire quoi, un
scandale ? T’as envie de te donner en spectacle ?

- Mais tu veux que je les laisse comme ça ? Tu crois que c’est par hasard qu’ils
dînent ensemble alors qu’ils ne se connaissaient même pas avant ?! Majib ne vit
même pas ici, c’est pas pour rien qu’il est à Dakar !

- Je ne te laisserai pas aller les voir, alors calme-toi et réfléchis. Ça ne sert à rien de
te mettre dans cet état... Et arrête de les regarder stp.
Je ne peux pas. Je n’arrive pas à en croire mes yeux. Je ne connaissais pas Abi en
fait. C’est une vraie garce ! Séduire jusqu’au fiancé de son amie ! C’est hallucinant !

Plus pour moi-même que pour Mike, je marmonne :

- Si Ndèye Marie apprend ça, Seigneur…

- Et qui va le dire à Ndèye Marie ?

Je regarde cette fois Mike qui commence à m’énerver aussi :

- Tu crois que je vais cacher un truc pareil à ma meilleure amie ?

- D’abord tu ne sais même pas quoi lui raconter parce que tu n’es sûre de rien.
Ensuite quel bien ça va lui faire de savoir ? Tu me dis qu’ils ne sont plus ensemble
de toute façon. Tu crois que ça lui ferait plaisir de découvrir qu’il est maintenant
avec son amie, en supposant que ce soit le cas ? Bref, oublie ces deux-là pour le
moment et revenons à nos moutons… Tu ne connais pas la Russie, oublie tout ce
que tu penses savoir de ce pays. Y’a de très belles choses à voir et même si c’est
pas aussi accueillant que le Sénégal, c’est quand même pas mal…

Mais il va me lâcher celui-là avec sa « Russie » ! La bombe hiroshima vient


d’éclater là, sous mes yeux !

Le regard sur Abi et Majib, je laisse Mike blablater sans l’écouter. Il parle pour rien
de toute façon…

Je réfléchis à une quelconque possible autre raison pour que Abi et Majib soient
ensemble en ce moment que celle qui saute aux yeux. Je n’en trouve pas, aucune.
Pire, un scénario commence à se dessiner dans ma tête. Et si c’était à cause d’Abi
qu’ils ont rompu ??

… Je n’ose même pas y penser. Abi n’est quand même pas allée aussi loin ?

Ndèye Marie… Cette nouvelle sera terrible pour elle mon Dieu !

*****************

*****************

Le week-end d’après

***Maïmouna Bah***

En attendant Abi, je suis allongée sur mon lit, discutant du sujet du jour au
téléphone avec mon chéri. Il est venu tout à l’heure parler à mes parents du
mariage. Apparemment aussi stressé que moi, il ne m’a pas lâchée depuis qu’il est
parti, voulant savoir comment ils ont réagi par la suite. Sauf que papa est sorti tout
de suite après et maman ne me dit pas grand-chose. Là, je suis aussi peu informée
que lui, à part du fait que papa a dit attendre la visite des parents de Lamine pour
discuter des modalités. Je n’étais pas présente pendant leur entretien, c’est
Lamine qui m’a raconté.

Pendant qu’on discute des autres étapes à venir, Abi toque à la porte puis entre.

Je dis au revoir à Lamine et me tourne vers elle, déjà allongée à côté de moi :

- Gosse, ça va ?

- Toi là, ta maman, qu’est-ce que je lui ai fait ?


- Qu’est-ce qu’il y’a encore ?

- Elle me regarde à chaque fois comme si j’étais de la merde. Je vais finir par ne
plus venir hein.

- Ha, c’est bon, toi aussi ! Faut pas faire attention c’est tout. Elle est vieux jeu tu le
sais, et toi t’es pas un modèle de fille sage non plus.

- Donc elle a peur que je te déprave, c’est ça ?

Je lui réponds, agacée :

- Abi ! Laisse tomber stp.

Le problème c’est qu’elle a raison. Ma mère a un jugement très arrêté sur elle mais
bien sûr je ne peux pas lui avouer ça. J’ai déjà demandé à maman de mieux la
traiter mais bon… je ne peux pas la forcer, c’est ma mère. Avant, quand on était au
collège, elle aimait bien Abi pourtant. Bref…

Heureusement, Abi change de sujet :

- Alors, Lamine est venu ?

- Ouiii.

- Ça s’est passé comment ?


- Tout simplement. Il a parlé à mon père qui lui a demandé de faire venir sa famille
et puis c’est tout. Maintenant, j’attends. Peut-être qu’il ne s’attendra pas à voir son
père spécialement , vu qu’ils se connaissent déjà… Bref, on verra bien. En tout cas
Lamine leur a dit qu’on veut se marier en août. Et de son côté d’ailleurs, il a déjà
parlé à sa maman et des oncles. Mais il ne sait pas encore qui va venir
exactement…

- Ok… Ne t’inquiète pas, je suis sûre que tout ira bien. Bientôt on t’appellera Mme
Maïmouna Cissé !

Hum ! Qu’est-ce que c’est bon à entendre ! Je me sens sourire bêtement là, au
point où Abi se moque de moi :

- Dire que c’est toi qui refusais de te marier y’a quelques mois ! T’étais catégorique
en plus. Tchuipp t’as pas honte ?

- Okhoo, lâche-moi. Y’a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. C’est bon
maintenant, je veux me marier, avoir mon chéri pour moi toute seule, le gérer
comme il faut ! Et gare à celle qui s’approche de trop près !

- Donc, t’es vraiment prête à te marier là.

- Complètement.

- Et t’as pas peur ?


- Peur de quoi ?

- T’es vierge quand même.

- Et alors ? Tu parles de la douleur ? C’est pas éternel hein. Si ça se passait mal tout
le temps, aucune femme ne resterait mariée je pense. C’est juste les premières
fois qui sont difficiles. Tu le sais déjà alors n’essaie pas de me faire peur, ok ?
Connasse !

Je m’attends à ce qu’elle rigole bêtement comme d’habitude quand on parle de ce


sujet mais là elle garde le silence, l’air pensive.

Puis elle me demande :

- Dis-moi, quand tu fais des câlins avec Lamine, tu ressens des trucs ?

- Du genre ?

- Du genre avec ton corps, quand il t’embrasse ou te caresse par exemple.

- Bah oui, c’est agréable quoi… Pourquoi tu me demandes ça ? Parce que je suis
vierge tu crois que je ne ressens rien ?

- Mais non… Ok, je vais t’expliquer. Tu vois je connais un mec depuis quelque
temps. Mais quand on est ensemble, j’ai… genre des sensations bizarres dans le
ventre et d’autres petits trucs. Et puis ça picote ici tu vois.

Impudique qu’elle est, elle pose le doigt sur l’endroit à ne pas nommer avant de
continuer :

- Et puis mes seins aussi… Ça te fait la même chose toi ?

Je regarde Abi… Elle est devenue folle ou quoi ? C’est moi qui devrais lui poser ces
questions…

Je l’interroge, vraiment très curieuse :

- Abi, je ne comprends. Tu parles comme si t’avais jamais connu ça avant ? C’est ce


qu’on appelle être excitée !!

- Tu veux dire que tu ressens ça ?

- Mais… bien sûr !

- Okay… Bon.

Elle hausse ensuite les épaules d’un air indifférent, puis se rallonge en saisissant un
magazine sur la table.

N’étant pas sûre si elle me fait une blague ou non, je lui demande encore :
- Abi, t’as jamais connu ça avant ?

- Nop.

- Mais… Tous les garçons là avec qui tu as été… jamais ?

- Ben non, y’avait rien.

Pas possible…

- Donc, ta grande gueule là, tu l’ouvres pour pas grand-chose en fait.

Elle sourit d’un air coquin en répondant :

- Hum, ma chère, elle peut t’en apprendre des choses ma grande gueule.
T’inquiète, je te filerai des leçons avant ton mariage, t’es ma pote.

- Ouai c’est ça. Bon bref, c’est qui ce mec ?

- Juste un mec que je connais…

- Ce n’est pas juste un mec, Abi. Si je comprends bien, c’est le premier qui arrive à
t’exciter alors que t’as fait le tour du monde des hommes. Donc désolée mais non,
ce n’est pas juste un mec. C’est qui ?
- Ça t’avance à quoi de savoir qui c’est ? Lâche-moi way… C’est pas important de
toute façon, ce n’est pas parce que je ressens des trucs différents que lui est
différent des autres ! Bref, n’en parlons plus. J’étais juste curieuse.

Je me tais un instant et observe Abi plus attentivement. Elle enchaine exprès sur
un autre sujet voulant visiblement me faire oublier le précédent. Depuis quand Abi
est gênée de parler d’un homme ?!

Elle se met à déverser un torrent de paroles non-stop, ce qui est loin de lui
ressembler :

- Sinon, y’a Mame Anna qui a décidé de ne plus me parler. Encore ! Elle veut que je
laisse Anna vivre avec elle. Je ne sais plus en quelle langue lui dire non,
franchement. Elle devient sénile, tu sais. Des fois, elle pleure quoi pour
m’attendrir… Elle ne comprend pas que je ne peux pas vivre sans ma fille ? J’ai
besoin d’elle. Et tu sais ce qu’elle me répond quand je lui dis ça ? Que je n’ai qu’à
quitter mon appartement et vivre aussi chez elle. N’importe quoi, moi retourner à
Pikine ! Bref, là elle boude quand j’appelle au téléphone mais dès que j’y
retournerai pour récupérer Anna, elle va encore me faire la morale sur comment
doit se comporter une jeune fille bien élevée, bla bla… Pff, des fois, je préfère
quand elle ne me parle p…

Je crie soudainement sur elle pour l’interrompre :

- Abi ! Tais-toi !

Elle fait un léger mouvement de sursaut et me regarde :

- Wow, ça t’arrive souvent ?

- Arrête d’essayer de m’embrouiller, ok. C’est qui ton mec ?


- Toi, t’es folle hein ! Tu cries sur les gens comme ça !

- Ok, je suis folle. Et toi, t’es amoureuse ma chère. Alors dis-moi de qui parce qu’il
faut que je le connaisse. Il mérite un award, un oscar, césar n’importe quoi mais ça
là, c’est à fêter ! Vas-y dis-moi c’est qui.

Elle me regarde un instant comme si j’étais un animal de foire puis éclate de rire.
Je ne réagis même pas, j’attends juste qu’elle finisse.

Elle croit toujours en savoir plus que les autres, non ? Eh bien là, elle a touché le
fond. Elle ne comprend même pas ce qui lui arrive, la pauvre.

Déjà, le fait même qu’elle vienne me demander à moi des conseils montre que
pour la première fois, elle perd pied.

J’en suis certaine, j’en mettrais ma main au feu, elle est amoureuse. Enfin ! Dieu
soit loué !

Et surtout, pourvu que ça dure et qu’elle ne gâche pas tout…

Partie 16 : Je ne la connais pas mais je la hais !

Pendant ce temps à Londres


***Boris Suleyman Hannan***

Je laisse Majib entrer pendant que je retourne à la cuisine pour finir ma


préparation.

- Installe-toi, j’arrive. Je fais des mini-pizzas.

- Tu fais quoi ?!

Je ne prends pas la peine de répondre à sa question étonnée. Il y’a de quoi… Je n’ai


jamais fait la cuisine quand on vivait ensemble, même pas la moindre petite
omelette. C’est lui qui s’occupait de ce genre de choses. Il aimait ça et moi ça
m’allait très bien.

Après avoir enfourné un premier lot, je le retrouve bien installé dans le salon, les
pieds sur la table en train de zapper sur les chaînes de la télé. Je m’assois aussi et
lui demande :

- Alors, ça a été à Dakar ?

- Non, toi d’abord. Depuis quand tu cuisines ?

- Je n’appelle pas ça de la cuisine, c’est juste des pizzas. J’ai trouvé une recette
simple sur le net. Ndèye Marie doit passer préparer du « tiep », je me suis dit
pourquoi pas faire quelque chose aussi pour lui faire plaisir.

- Ndèye Marie sait que tu ne cuisines pas. Elle va plus craindre d’être empoisonnée
qu’autre chose. T’as mis quoi dedans ?

- T’inquiète, j’en ai mis au four pour que tu goûtes avant elle.

- Donc, je suis ton cobaye.

- Exactement. Alors, Dakar, comment c’était ?

On échange un moment sur ses grands-parents qui apparemment ont tout fait
pour convaincre son père de rentrer vivre définitivement au Sénégal, ainsi que des
opportunités qu’il peut y’avoir en Afrique pour nous jeunes professionnels. Je ne
suis pas spécialement tenté pour retourner y bosser pour le moment, mais Majib
lui, n’exclut pas l’idée à ce que je vois.

Moi je préfère attendre mes vieux jours, tout comme mes parents qui sont
retournés s’y installer depuis plusieurs années maintenant, bien que revenant
fréquemment. Mon père, d’origine libanaise, est né et a grandi à Dakar. Il a ensuite
vécu longtemps en Côte d’Ivoire et c’est justement là-bas qu’il a rencontré ma
mère et que je suis né. Quand j’ai eu cinq ans, nous sommes repartis vivre
quelques années à Dakar, avant de quitter encore pour Londres.

Cette ville fait donc partie de « mes » villes, tout comme Abidjan. J’y retourne de
temps en temps pour voir mes trois petits frères et sœurs qui y vivent avec mes
parents, tandis que mon autre sœur est restée ici.

Le bavardage fini, j’interroge Majib sur l’autre sujet qui m’intéresse :

- A part ça tu t’es bien amusé ?


- Ben oui, c’est Dakar…

- Yep, le soleil, les filles. Une semaine c’est court mais y’a de quoi s’amuser hein.
Vas-y, raconte.

Il rit en répondant :

- Je n’y suis pas allé pour le soleil et les filles.

- Bien sûr, je sais, tu es parti pour tes grands-parents, bla bla… Mais sinon t’as fait
quoi d’autre ?

- Que veux-tu que je fasse d’autre ?

Bon, ok. Il résiste donc je vais aller droit au but :

- Tu as revu la fille?

Je ne suis plus sûr du prénom comme il ne l’évoque jamais, mais il sait de qui je
veux parler. Il répond :

- Hum.

Je fais mine d’être surpris :

- Oh, vous vous êtes vus… Ça alors ! Vous êtes tombés l’un sur l’autre par hasard je
suppose ?
- Non, je suis allée chez elle, pour la voir. T’es content ?

- Pourquoi serais-je content ?

- Parce que tu avais raison et c’est ce que tu essaies de me faire dire n’est-ce pas ?
Tu avais raison. Je voulais voir Abi et j’ai inventé des excuses pour y aller.

- Et alors, qu’est-ce qui s’est passé ?

- Pourquoi tu veux savoir ? Elle ne t’intéresse pas de toute façon.

- C’est vrai. Mais comme t’es obsédé par elle depuis là, je veux juste savoir si t’as
enfin eu ce que tu voulais qu’on puisse enfin passer à autre chose.

Il répond d’un ton agacé :

- Ce n’est pas à propos de sexe, Boris. Tout ne tourne pas autour du sexe.

- Donc quoi… tu ne l’as pas « mougou »* ?

- Pff t’es insupportable.

- Dis-moi seulement. Tu l’as « mougou » oui ou non ?


- Non !

- Pourquoi ? Tu ne voulais pas ou c’est elle qui ne voulait pas ?

Il ne répond pas mais à la mine qu’il fait, je connais tout de suite la réponse et lui
dis moqueusement :

- Elle est forte quand même cette fille. Je dois au moins lui accorder ça. Même
après des mois, elle réussit à te faire languir, toi le grand, l’irrésistible Majib ! Tu
fais tout ce voyage pour elle et t’as même pas eu ta petite récompense ! Sérieux,
j’ai presque de l’admiration pour elle.

- Déjà, je n’y suis pas allé pour ça. Puis tu ne comprends rien. Y’a des filles qui
choisissent de se préserver, surtout là-bas. Ça se respecte aussi.

- Mouai, laisse-moi douter du fait qu’elle en fasse partie, tu veux bien. Je ne la


connais pas mais quelque chose me dit qu’elle est loin d’avoir froid aux yeux. Sans
compter le fait qu’elle a un enfant.

- Et alors, tu sais dans quelles circonstances elle l’a eu ?

- Pour faire un enfant Majib, à un moment donné de sa vie, il a fallu qu’elle ouvre
ses cuisses !

Il soupire et se tourne pour me regarder, l’air sérieux :


- Arrête. Honnêtement, ce n’est pas ça qui m’intéresse, donc je ne m’arrête pas à
ça. Avec Abi c’est bien plus que ce que tu crois… On est ensemble maintenant et je
suis amoureux d’elle. Voilà, tu peux dire ce que tu veux maintenant et me juger
comme tu as pris l’habitude de faire.

Je ne dis rien pendant un instant. Malheureusement, je le savais déjà qu’il était


amoureux d’elle. Je connais mon pote, et je sais parfaitement que s’il ne l’a pas
oubliée depuis tout ce temps, c’est qu’il y’a plus qu’une attirance sexuelle. En
d’autres circonstances j’aurais pu être content pour lui mais là, j’aurais préféré qu’il
l’oublie. Quels que soient ses sentiments pour elle, il s’agit de l’amie de Ndèye
Marie…

Comment peut-il se mettre avec l’amie de sa fiancée quelques mois seulement


après leur rupture ? Je n’ai pas l’impression qu’il réalise vraiment ça et je le lui
rappelle calmement :

- Et Marie, dans tout ça ?

Il affiche une mine accablée et hésite avant de répondre :

-… Ndèye Marie est toujours aussi importante pour moi. Je ne veux pas la faire
souffrir Boris, crois-moi. Mais…

- Mais ?

- Je ne peux pas arrêter avec Abi. Je suis resté loin d’elle pendant un an, j’ai essayé
de l’oublier, je n’ai pas pu. Maintenant qu’elle est avec moi, je ne la laisserai pas…
Mais on fait tout pour que Ndèye Marie ne soit pas au courant pour le moment.
Un jour, quand ça ira beaucoup mieux entre elle et moi, ce que j’espère vraiment,
que peut-être elle aura refait sa vie, je lui dirai. Peut-être qu’elle ne me pardonnera
pas ensuite mais au moins elle aura dépassé notre histoire et s’en remettra vite.

Il est sincère. Je le sais, il ne veut vraiment pas la faire souffrir, ce qui prouve
qu’elle compte pour lui. Mais alors pourquoi ses autres sentiments ont disparu ?

J’essaie au moins de comprendre ça :

- Comment as-tu pu arrêter de l’aimer du jour au lendemain ?

- Je ne sais pas Boris. Honnêtement, je ne sais pas. J’étais vraiment prêt à faire ma
vie avec elle. Puis j’ai rencontré Abi et ça a tout changé. Je ne m’y attendais pas
moi, comment je pouvais savoir ? N’empêche, je tiens toujours à elle, et je serais
comblé de l’avoir encore dans ma vie même si je sais que c’est trop demander.
J’aimerais qu’on puisse au moins rester amis, tout comme vous l’êtes tous les
deux. Je vous envie parfois tu sais. Avant on était souvent ensemble et maintenant
vous m’écartez.

Il dit cette dernière phrase avec un petit sourire mais je sens qu’il le pense
vraiment. Je réalise en même temps que je me suis tellement focalisé sur Ndèye
Marie que j’en ai oublié Majib. Pourtant c’est lui mon meilleur ami et on a toujours
été là l’un pour l’autre. Il a fait de pires choses que cette rupture mais je ne l’ai
jamais abandonné, tout comme lui ne l’a jamais fait quand je me retrouvais dans
certaines situations. Alors que là, on ne se voit plus, on se parle rarement. S’il
n’avait pas pris l’initiative de venir chez moi aujourd’hui, je n’aurais pas pensé à
l’inviter. Et je sens que s’il ne se confie pas facilement à moi à propos d’Abi, ce n’est
pas parce qu’il ne le veut pas mais parce qu’il a peur d’être jugé. Ce qui est
exactement ce que je fais alors que je suis la seule personne à qui il peut en parler.

Réfléchissant à tout ça, je lui dis :


- Ndèye Marie arrive tout à l'heure. Peut-être que tu peux rester avec nous ?

- Je ne crois pas, répond-t ’il en fronçant les sourcils. C’est trop tôt, je ne crois pas
qu’elle soit prête à me revoir.

- Tu ne le sauras jamais si tu n’essaies pas. Reste et on verra bien. C’est juste un


dîner après tout…

***

Ce n’est pas juste un dîner pour Ndèye Marie. A peine voit-elle Majib en entrant
dans le salon qu’elle ressort direct pour aller à la cuisine. Je regarde Majib en
haussant les épaules, désolé, avant d’aller la rejoindre.

En train de vider rageusement le sac contenant les ingrédients, elle se tourne et


me regarde d’un œil accusateur :

- Pourquoi tu ne m’as pas dit qu’il serait là ?

- Ce n’était pas prévu. Mais ce n’est rien Marie, toi aussi. On peut rester ensemble.

- Je ne sortirai pas de cette cuisine tant qu’il n’est pas parti.

- Mais il ne part pas…

Elle répond sèchement :


- Si, il va partir.

- Marie ! C’est mon ami. Je ne peux pas lui demander de partir.

Elle m’interrompt vivement :

- Donc tu préfères que je parte ?

Je la regarde sans répondre. Voyant qu’elle est sérieuse, je soupire et sors de la


cuisine. Je n’aime pas du tout cette situation dans laquelle on se trouve tous les
trois. Tout est chamboulé à cause d’une fille à des milliers de kilomètres et qui n’a
jamais posé les pieds ici. Je ne la connais pas mais je la hais!

Et puis pourquoi Ndèye Marie a besoin de réagir de la sorte ? Elle devrait ignorer
Majib, tout simplement. Ça fait plusieurs mois qu’ils ont rompu !

Majib est toujours assis et se tourne pour me regarder. Il doit espérer que j’aie pu
la raisonner. Je m’assoie sans rien dire, un peu énervé.

Il me demande :

- Tout va bien ?

- Non, tout ne va pas bien. Il vaut mieux que tu partes.

Mon ton a été plus sec que je ne le voulais, ce qui fait réagir Majib :

- Oh, qu’est-ce qui te prend ? Tu me demandes de partir de chez toi ?


- Je n’ai pas le choix. Tout ça, c’est ta faute, qu’on se le dise Majib. Si tu t’étais bien
comporté avec elle on n’en serait pas là.

Il répond, l’air de plus en plus surpris :

- On a déjà parlé de ça Boris. Je pensais que tu comprenais ?

Il m’énerve ! Il est temps que je lui dise le fond de ma pensée. J’ai la présence
d’esprit de jeter un œil en arrière pour vérifier la porte avant de lui dire
posément :

- Tu veux savoir ce que je comprends ? Que tu n’as jamais aimé cette fille. Au
départ, tout ça n’était qu’un jeu pour toi. Tu ne voulais même pas d’elle, au fond.
Elle ne t’a vraiment intéressée que quand tu as vu qu’elle m’intéressait moi.

- Quoi ? T’es fou ?

- Non, au contraire, je te dis enfin clairement ce que je pense. Rappelle-toi au tout


début, tu savais que je sortais avec elle et à quel point j’étais à fond sur elle. Mais
tu n’as pas hésité à la séduire dès que tu en as eu l’occasion. C’est ce que tu fais
Majib, quand tu veux quelque chose, tu la prends et tu fais semblant d’ignorer que
ça peut faire mal aux autres.

- Qu’est-ce que tu racontes ?! Vous étiez sortis quelquefois ok, mais c’est elle qui
est venue à moi, Boris. Je n’ai jamais su que ça te faisait mal, on en a parlé
plusieurs fois, et en rigolant enfin !

- Mais bien sûr que tu l’attirais plus, c’était évident ! Elle venait d’arriver ici et tu
étais le plus proche de ce qu’elle connaissait, de sa culture. Naturellement, elle est
venue à toi ! Et toi, tu as joué sur ça pour la séduire, tu as mis le paquet. Je te
connais mon pote, je sais comment tu agis quand tu veux quelque chose… J’ai
laissé faire pourtant, je me suis retiré parce que je ne voulais pas de problème.
J’étais même heureux pour vous en voyant que c’était vraiment sérieux. Mais alors
quand aujourd’hui tu me dis que tu ne l’aimes plus et que t’en aimes une autre,
j’en déduis que tu ne l’as jamais aimée, c’est tout.

- Mais pourquoi je voulais l’épouser si je ne l’aimais pas ? Tu délires là, mec.

- Parce que tu savais que c’est une fille bien, parce que tu savais qu’elle est la
meilleure chose qui pouvait t’arriver après tout ce par quoi tu es passé. Elle t’a
sauvé en quelque sorte, je sais que tu n’étais pas complètement guéri avant de la
connaître. Et aujourd’hui tu la paies comment ? Elle est malheureuse à cause de
toi, il suffit juste de voir comment elle vient de réagir pour savoir qu’elle a encore
des sentiments pour toi malgré la saleté que tu lui as fait en te mettant avec cette
fille. Tu vois, tu n’es pas celui qui souffre le plus ici. Donc évite de te plaindre, ok ?

Ma tirade terminée, il me regarde calmement puis dit :

- Tu la veux, en fait.

Conscient de ne pas être aussi calme que lui et ne voulant pas que Ndèye Marie
nous entende, je le laisse parler sans réagir. Il reprend d’un air convaincu :

- C’est donc ça… Tout ce temps, tu as été jaloux de nous voir ensemble. Et
maintenant qu’elle est enfin libre, tu la veux.

Cette fois, je ne peux pas m’empêcher de réagir :


- Tu t’entends parler ? « Tu la veux » ?! Elle n’est pas un objet Majib. Et tu peux
croire ce que tu veux, ce n’est pas mon problème. Maintenant, sors de chez moi
stp.

Il m’observe un instant puis émet un petit rire amer avant de se lever.

Après qu’il soit parti, je reste assis quelques minutes pour laisser ma colère se
tasser avant de rejoindre Ndèye Marie. Je la retrouve déjà occupée à préparer. Elle
se tourne et me regarde brièvement avant de dire :

- J’ai entendu la porte claquer. Il est parti ?

- Oui.

Elle sourit et répond doucement :

- Merci.

Je la rejoins pour l’aider mais n’ai pas envie de sourire. Au fond, Majib a raison. J’ai
des sentiments pour Ndèye Marie.... Et ce sont ces sentiments qui jouent sur mon
comportement avec lui. Je ne suis pas du tout objectif.

C’est pourtant le seul véritable ami que j’aie jamais eu et malgré tous ses défauts,
il a toujours été là pour moi…

****************

****************
Plusieurs semaines plus tard

***Lamine Cissé***

A présent que tout est organisé pour le mariage il est temps que je parle à mon
père. C’est la tâche la plus difficile dans tout ça mais le mariage est dans une
semaine et je ne peux plus remettre cette discussion. Quoiqu’il se passe entre
nous, il reste mon père et je ne veux pas qu’il découvre mon mariage, celui de son
unique fils, après que ce soit fait. Je sais que maman a été discrète sur le sujet,
ainsi que les autres à qui je l’ai demandé. Quelques tantes, dont une sœur de mon
père qui ne supporte pas sa décision de vouloir me marier à tout prix à Hadja, se
sont occupées d’emmener la dot hier. C’est d’ailleurs peut-être grâce à sa présence
que les soupçons du papa de Maï n’ont pas été éveillés, il a vu les représentants
des deux côtés de la famille. A ce jour, il n’est pas du tout au courant que mon père
ne veut pas de ce mariage et il n’a pas besoin de l’être.

D’un autre côté, trois de mes oncles et un imam sont déjà prêts à aller faire le
mariage samedi prochain.

Je suis assis actuellement avec mon père et je ne sais par où commencer. C’est
vraiment difficile…

Voyant que j’hésite à parler, il me dit lui-même :

- Lamine, alors ? Tu veux me parler de quoi ?

Il est temps d’y aller :

- Je veux te parler de quelque chose de très important pour moi mais qui, je sais,
ne va pas te faire plaisir, donc je te demande pardon par avance, du fond du
cœur... Sache que je te respecte plus que tout, tu es mon père, le seul que j’ai et
j’aurais voulu ne jamais en arriver à certaines choses avec toi… Mais aujourd’hui, je
n’ai pas le choix. Je vais épouser Maïmouna, papa.

Sans oser le regarder, je m’arrête un instant pour voir s’il va réagir. Il ne dit rien. Je
lui jette un bref coup d’œil qui me permet de voir l’expression très dure qui vient
de se dessiner sur son visage.

Ça ne va pas bien se passer… Mais je ne peux plus reculer. Je continue donc


calmement :

- Le mariage se fera dans une semaine. J’ai déjà demandé sa main à ses parents et
leur ai remis la dot. J’aurais voulu que ce soit toi qui t’occupes de tout ça papa,
j’aurais voulu suivre ta volonté, crois-moi. Mais là… c’est juste trop loin d’être la
mienne. C’est Maïmouna que je veux épouser et ça a toujours été elle. Je la
connais presque depuis qu’elle est petite. C’est une fille bien, la meilleure que je
connaisse avec maman. Elle est bien éduquée, elle vient d’une bonne famille et
elle est pieuse. Tu sais déjà tout ça… Pour ce qui est de Hadja, je suis désolé de
briser les espoirs que tu te faisais sur nous. Je lui ai déjà parlé ce matin et je pense
qu’elle a compris. Au fond, elle n’a rien demandé. Elle est jeune, elle a sa vie à
construire et veut justement continuer ses études ici, à Dakar, donc elle ne sera
pas venue pour rien. J’ai appris à la connaître comme, je pense, tu le voulais et je
la considère comme ma petite sœur maintenant. Si elle veut rester, c’est avec
plaisir que je l’aiderai, je pourrai même prendre en charge ses frais de scolarité ou
autres.

Je lève à nouveau les yeux sur papa pour voir si ce que je lui dis le touche un peu
mais son regard n’a pas changé d’un iota, alors que la partie la plus difficile arrive.
Je reprends en toussotant, hésitant :

- Papa… Tu sais que je ne veux pas d’elle pour femme… Mais si malgré tout tu nous
maries, sache que je ne la toucherai jamais, je le jure. S’il le faut, et j’espère de
tout cœur ne pas en arriver là, je sortirai de la maison. Ce serait une honte pour
tout le monde, papa. Pour moi, pour toi, pour ses parents mais surtout pour elle.
Elle ne mérite pas ça et je te prie de ne pas lui faire subir ça. Je te le demande,
pour l’amour de Dieu.

Voilà. J’ai tout dit. J’espère l’avoir touché un peu, rien qu’un tout petit peu…

La tête baissée, je sens son regard insistant sur moi. Le silence est interminable…
Au point où je me dis qu’il réfléchit peut-être à la question, sérieusement ?

Au bout d’un moment, il dit enfin, clairement et très calmement :

- Le jour où tu te marieras sans mon consentement, ne prends pas la peine de


revenir dans ma maison. Tu considéreras que je ne suis plus ton père.

Il se lève immédiatement et va vers la porte. Je lui dis une dernière fois avant qu’il
sorte :

- Je cherche ton consentement papa…

Mais il ne m’écoute pas et est déjà hors de vue.

Je regarde mes doigts croisés et les vois trembler. Je serre les poings pour arrêter
le tremblement en fermant les yeux, puis je respire fort pour faire passer
l’émotion. Quand je me sens mieux, je me lève et vais dans ma chambre, préparer
mes valises…

*******************

*******************

***Abibatou Léa Sy***


Plusieurs filles, des copines de Maï, sont déjà arrivées à la petite fête que
j’organise chez moi pour le mariage de mes deux meilleurs amis. C’est le week-end
prochain mais comme ils n’ont pas prévu de faire de réception compte tenu des
circonstances, j’ai proposé de célébrer l’événement en avance chez moi, vu
qu’après ils seront sûrement plus occupés à profiter de leur lune de miel.

Maï s’amuse comme une folle. Je l’entends depuis la cuisine causer et rigoler avec
les autres. De la bonne musique bien de chez nous bat son plein. Je les rejoins
avec un plateau d’amuse-bouche et la vois esquisser des pas de danse avec
quelques autres filles. Ça me fait plaisir de la voir aussi détendue maintenant
qu’elle sait que son père a accepté le mariage. Malheureusement, on ne peut pas
en dire autant de son futur beau-père. C’est justement aujourd’hui que Lamine
doit lui annoncer la nouvelle, mais aucun de nous n’espère qu’il change d’avis de
sitôt sur la question.

Je pose le plateau et en profite pour demander à Maï :

- Eh, t’as des nouvelles de Virginie et Ndèye ?

- Ndèye Marie arrive mais Virginie ne peut pas venir, elle est à Mbour.

- Ah ouai, je lui avais envoyé un message il y’a plusieurs jours pourtant, mais elle
ne m’a rien dit. Tu l’as eue au téléphone ?

- Oui, oui.

Je retourne dans la cuisine un peu inquiète. Je ne sais pas ce qui se passe avec
Virginie mais elle est bizarre. Elle ne décroche plus à mes appels, ne répond plus à
mes messages et là je ne comprends pas qu’elle ne m’ait même pas informée du
fait qu’elle ne vient pas. Je me demande ce qui se passe…

Ndèye Marie est à Dakar depuis quelques jours et nous nous sommes déjà vues,
mais Virginie n’était pas là encore cette fois, disant qu’elle avait des choses à faire.
Là que je sais qu’elle répond quand Maï l’appelle, je comprends que c’est
seulement moi qu’elle ignore et je ne sais pas du tout pourquoi.

De la cuisine, j’entends la sonnette de la porte retentir mais ne prends pas la peine


d’aller ouvrir. Une des filles va le faire. Je finis de préparer un second plateau et
retourne au salon où je vois Ndèye Marie, qui justement vient d’arriver, entrer.
J’entre à mon tour et lui dis en souriant :

- Miss, comment…

Je m’arrête tout de suite de parler quand je vois l’expression de son visage tandis
qu’elle se tourne et revient à ma rencontre. Le temps de réaliser quoi que ce soit,
je reçois en pleine figure une gifle tellement violente que le plateau s’échappe de
mes mains et tout le contenu se retrouve par terre.

Choquée, je me redresse mais n’ai pas le temps de réfléchir qu’une deuxième gifle
s’ensuit, puis une troisième. Je ne vois plus rien… En un rien de temps, je sens mes
cheveux tirés et entends quelques cris. Je hurle moi-même son nom :

- Ndèye, arrête !

Mais elle s’acharne sur moi comme une folle. Je ne sais même pas comment je me
retrouve sur le sol avec elle assise sur mon ventre , encerclées par les filles. J’ai le
temps de voir Maï qui tire Ndèye Marie en arrière en lui criant dessus et en profite
pour me relever et sortir du salon en courant. J’entends Ndèye Marie crier :

- Reviens ici, sale pute ! Je vais te tuer aujourd’hui ! Abi !!! Reviens ! Sale pute,
pute, puuuute !!!
- Ndèye Marie, arrête ! T’es folle ?!!

Je m’enferme dedans, le corps tremblant et le cœur battant à tout rompre. Je me


dirige vers le lit et m’assoie, haletante. Mon visage est en feu, je pose la main sous
mon œil et une vive douleur me fait la retirer immédiatement. Elle m’a griffée !

Toujours incapable de calmer mes tremblements, je sens une autre douleur naître
dans mes tempes. Le premier choc passé, je me laisse glisser sur le sol, rampe sous
le lit et me recroqueville pour pleurer en silence… Comme avant…

J’ai de nouveau 5 ans… Tous les souvenirs, les douleurs reviennent…

Mon Dieu, pourquoi elle a été violente ? Elle sait ok mais… pourquoi me frapper ?

Pourquoi ?

Partie 17 : Elle va regretter d’être née…

***Quelques heures plus tôt***

***Ndèye Marie Touré***

De retour à Dakar depuis moins d’une semaine, mes vacances, bien que courtes,
ne pouvaient pas mieux tomber. J’ai la chance de pouvoir être présente au mariage
de Maï, le premier de notre groupe de filles. Il n’y aura pas de réception mais au
moins la petite fête d’aujourd’hui chez Abi nous donnera l’occasion de célébrer un
peu. Maï vient juste de m’appeler pour s’assurer que je viendrais mais c’était
inutile car je ne compte sûrement pas rater une occasion pareille.

Quelques minutes après avoir raccroché avec elle, je reçois un autre appel de
Virginie qui me demande :

- Tu comptes aller à la fête chez Abi ?

- Evidemment. Pourquoi ?

- Je ne peux pas y aller moi, et j’ai dû mentir à Maï pour ne pas qu’elle le prenne
mal. Je lui ai dit que j’étais à Mbour depuis deux jours et obligée d’y rester à cause
du travail. Mais toi, comme tu sais que ce n’est pas vrai, je n’ai pas envie que tu
gaffes là-bas, donc je te préviens.

- Et pourquoi tu ne viens pas ?

- J’ai des trucs à faire.

- Mais tu préfères rater la fête organisée pour elle ? Pour son mariage ? Tu ne peux
pas remettre tes plans à un autre jour? Ou nous rejoindre après à la limite.

- Non, je ne peux vraiment pas. Tu ne lui dis rien ok. Tu me raconteras après.

Non, c’est trop facile là. Si elle est aussi catégorique, c’est que ce qui l’empêche de
venir n’est pas rien. J’essaie donc d’en savoir plus.

- Est-ce que tu as des problèmes Virginie ? Ça fait deux fois que tu refuses de venir
avec nous sous prétexte que tu as des choses à faire. D’habitude quand je viens en
vacances, on en profite justement pour passer du temps ensemble toutes les
quatre comme je ne reste pas longtemps. Y’a quoi là ?

Je la sens hésiter… Puis elle répond :

- Ok, y’a un truc, mais je ne peux pas t’expliquer pour le moment parce que je ne
suis sûre de rien.

- C’est à propos de quoi ?

- Je ne peux pas en parler Ndèye Marie, désolée. Mais sinon, t’inquiètes qu’on va
passer du temps ensemble. Par contre on n’est pas obligé de le faire avec les filles
tout le temps. Si tu ne rentres pas tard ce soir, je vais passer chez toi, d’accord ?

- Bon ok. En plus je veux te parler d’un truc à propos de Boris, pour savoir ce que
t’en penses.

- L’ami de Majib ? Okay… Dis-m ’en un peu déjà ?

- En fait, j’ai surpris une dispute entre lui et Majib il y’a quelques semaines. Je
t’expliquerai les détails ce soir comme ça tu me diras si je me fais des idées surtout
que je n’ai pas tout entendu, mais bon Majib semblait dire qu’il en pinçait pour
moi. Après quand il est parti, j’ai fait comme si de rien n’était mais au fond je
n’arrête pas d’y penser depuis lors même si je voulais l’ignorer. J’avais pas envie
que ça gâche notre amitié tu vois. Et puis là, depuis que je suis à Dakar, c’est juste
devenu impossible, ne pas le voir, lui parler moins… il me manque en fait…
Virginie, j’ai peur d’avoir des sentiments pour lui.

- Sentiments !! Hum, Ndèye, c’est chaud ça. L’ami de ton ex-fiancé ! Ce n’est pas
banal hein.

- Tu sais quoi, franchement, s’il s’agit juste de Majib c’est le moindre de mes
soucis. Ce n’est pas du tout pour lui que j’aurai des scrupules. Il a été capable de
me quitter pour une autre à quelques mois de notre mariage, et moi je devrais
faire attention à ses sentiments ? Ah non ! Moi j’ai juste peur de gâcher mon
amitié avec Boris, en plus du fait que je ne suis même pas sûre qu’il ait vraiment
des sentiments pour moi.

Virginie m’interrompt tout d’un coup :

- Attends, attends. Tu dis que Majib t’a quittée pour une autre? Comment ça ?

- Eh oui, ma chère. Figure-toi que c’est ce qu’il a fait, donc j’avais bien raison de me
méfier de lui. Je ne t’en ai pas parlé parce que je ne voulais surtout pas me
focaliser sur ça et me faire du mal inutilement. Tu sais quoi, il ne mérite même pas
que je m’attarde sur lui.

- Mais comment tu sais ça ?

- Boris a dit ça justement quand ils se disputaient. Il lui reprochait d’avoir osé me
faire ça.
- Put*** j’avais raison !! Le salaud !

- C’est ce que tu pensais aussi alors, qu’il avait rencontré une autre fille ?

- Euh oui, oui, c’est ça… Ndèye, pourquoi je ne viendrais pas chez toi tout de suite
là ? T’es pas obligée d’aller à cette fête, on peut passer l’après-midi ensemble
non ?

Pas obligée ? Pourquoi elle dit ça ? Ce n’est pas net…

Assez étonnée, je lui dis :

- Tu es bizarre Virginie. On dirait que tu t’en fiches que Maï se marie.

Je l’entends soupirer avant de répondre :

- Mais non, c’est pas ça. Tu sais quoi, vas-y sinon ça va paraître bizarre qu’on soit
toutes les deux absentes. Mais il faut qu’on parle de quelque chose ce soir.

- C’est quoi tout ce mystère ? De quoi doit-on parler ?

- Sois pas pressée, c’est juste une info qu’il faut que tu connaisses. On en parle
après.

J’insiste encore mais Virginie ne veut rien dire. Je finis donc par laisser tomber et
raccrocher. Mais elle a tellement éveillé ma curiosité que je ne peux pas arrêter d’y
penser. Qu’a-t ’elle de si important à me dire qu’elle ne peut pas le faire
maintenant et surtout qu’est-ce que ça a à voir avec le fait d’aller à la fête de Maï ?
Parce que clairement, elle ne voulait pas que j’y aille et je suis sûre que la raison
pour laquelle elle n’y va pas elle, est aussi liée à ce qu’elle a à me dire…

Au fur et à mesure que l’après-midi passe, mon inquiétude ne cesse de grandir. En


sortant de ma douche pour m’apprêter à partir chez Abi, certaines pensées se font
plus précises dans mon esprit. Notamment sur la réaction de Virginie quand je lui
ai parlé de la conversation que j’avais surprise entre Boris et Majib, sur le fait que
ce dernier était avec une autre, me parait bizarre. Elle a dit qu’elle savait…
Comment pouvait-elle savoir ?

Elle ne le disait clairement pas juste comme ça, elle semblait vraiment se baser sur
quelque chose, mais je ne sais pas quoi… A moins que… elle sait qui est la fille ?

Non, c’est stupide. Virginie ne sait rien de Majib, ils ne se sont vus que quelques
rares fois et n’ont pas vraiment de relation directe, surtout qu’elle n’a jamais posé
les pieds en Angleterre ou connait quelqu’un d’autre que moi là-bas. Non c’est
autre chose…

A moins que… Non, non, ça ne peut être ce que je pense. La fille est de Dakar ??
Toujours en serviette, je prends vite mon téléphone et rappelle Virginie mais
tombe sur son répondeur. Raccrochant immédiatement, j’appelle un autre
numéro. Je ne peux pas attendre.

- Allô Boris, ça va ?

Il me répond avec une voix exagérément triste :

- Nooo, I miss you. Tu rentres quand déjà, demain?

- Boris, sois sérieux. J’ai une question très importante et je veux que tu sois
vraiment honnête avec moi, ok ?

- Ookay, répond-t’il avec hésitation. Vas-y.

- Bon, ne me demande pas comment mais je sais pourquoi Majib m’a quittée. C’est
à cause d’une fille et je pense que tu sais de qui il s’agit, je me trompe ?

Il met quelques secondes avant de répondre :

- Marie, c’est toi qui as quitté Majib.

- Pff ok, tu sais ce que je veux dire. Mais ce n’est pas le plus important, t’as
entendu ma question ? Tu sais qui est la fille non ?

- Je ne peux pas parler de ça Marie.

- Pourquoi ?

- Déjà je ne sais même pas pourquoi tu reviens sur ça. A quoi ça t’avance ? Ensuite,
si Majib ne t’a pas lui-même parlé, ce n’est pas à moi de le faire. Désolé.

Voyant qu’il ne compte rien me dire, je feins d’en savoir plus :

- Donc tu ne me diras pas. Même si tu sais très bien que c’est une personne que je
connais, qui m’a trahie et que je ne me méfie pas du tout d’elle.
Le temps qu’il met à répondre me confirme ma crainte. Je connais cette personne,
c’est sûr. Si ce que je viens de lui dire lui semblait insensé il rétorquerait de suite
alors que là, il répond seulement :

- Pourquoi tu t’occupes de tout ça, Marie ! Tu es en vacances, tu ne devrais même


pas penser à ce genre de choses. Profite de ta famille plutôt…

- Je te laisse. Je dois y’aller.

Je raccroche le téléphone sans attendre sa réponse. Cette fois, c’est le numéro de


Majib, dont je me souviens très bien heureusement que j’appelle. Comme il ne
décroche pas, je lui laisse un message lui disant de me rappeler au plus vite.

Il le fait presque immédiatement :

- Salut Ndèye Marie. Désolé je ne savais pas que c’était toi. Ça va ?

- Comment tu as pu me faire ça Majib ? lui crie-je dessus, feignant toujours.


Comment tu as pu me tromper avec ma propre amie ?

-…

- Tu n’as pu trouver qu’elle ? Abi ?!

- Ndèye, calme-toi stp. Laisse-moi t’expliquer. Je voulais tout te dire moi-même…


Mon Dieu ! C’est donc vrai !

Je crie tellement fort sur lui que ma voix résonne dans toute la pièce :

- Put*** mais t’es qu’un salaud en fait toi !! Un vrai !

- Ndèye please, calme- toi.

- Tais-toi ! Je te HAIS !! Tu vas me le payer ça Majib! Au nom de Dieu tu vas le


payer, tous les deux allez payer ! Me faire ça à moi !! Vous êtes dégoutants !

Je jette le téléphone sur le lit sans même raccrocher. Je tremble, tout mon corps
tremble et je sens des larmes de rage s’échapper de mes yeux.

Deux personnes en qui j’avais confiance ! Comment ils ont pu ? J’aurais voulu qu’il
me contredise, qu’il me dise que je me trompais, mais non c’est bien ce que je
pensais. Je n’arrive pas à y croire…

Après plusieurs minutes debout à la même position me sentant complètement


perdue, je me souviens que j’étais avec Abi il y’a deux jours, qu’elle discutait et
plaisantait avec moi en sachant très bien qu’elle m’avait planté un couteau dans le
dos. Parce que tout vient d’elle j’en suis sûre, c’est elle qui l'a séduit, c’est ce
qu’elle fait, mais même à moi ?! On se connait depuis des années bordel ! Depuis
la seconde ! Et toutes ces questions qu’elle me posait sur Majib comme si elle
s’inquiétait pour moi ? Ses hypocrites conseils et moi, stupide que je suis, qui
pensais qu’elle s’inquiétait juste pour moi !

Non c’est trop facile. Elle ne va pas s’en sortir comme ça.

En me disant ça, je me précipite pour mettre la première tenue qui me vient à la


main et m’empresse de sortir.
Je vais lui faire regretter d’être née à cette pute !

*****************

*****************

Plus tard dans la journée

***Maïmouna Bah***

Après avoir réussi à calmer Ndèye Marie avec qui je me suis enfermée dans la
cuisine, j’ai écouté ses incroyables explications. Juste incroyables ! Abi et Majib ?!
Elle prétend que c’est à cause d’elle que sa relation avec Majib s’est terminée.
Comment c’est possible ? Ok, je soupçonnais un moment qu’il y’avait quelque
chose entre eux deux mais je croyais que c’était de l’histoire ancienne, je n’y ai
même jamais repensé. Abi n’aurait pas pu cacher quelque chose d’aussi important
quand même, pas à moi. Puis comment aurait-elle pu faire ça avec Majib qui ne vit
même pas ici ? Je me rappelle de toutes les questions qu’elle posait à Virginie sur
l’état de leur relation, ce que je n’aimais pas du tout, mais je me disais qu’au moins
Majib était parti et de toute façon c’est de lui surtout que je me méfiais, pas d’Abi.
C’est lui qui me paraissait en pincer pour elle.

Mais pourquoi alors Ndèye Marie pense ça aujourd’hui ? Qu’est-ce qui lui fait dire
ça ? J’ai besoin de comprendre. Je m’apprêtai à la laisser se calmer encore dans la
cuisine mais elle m’a brusquement tourné le dos pour sortir précipitamment en
disant qu’elle n’avait plus rien à faire « dans cette maison ». Puis elle était partie
malgré mes protestations.

A présent, je me trouve devant la chambre d’Abi que j’essaie de convaincre


d’ouvrir la porte :

- Abi, c’est moi, ouvre la porte stp.


-…

-Abi, ouvre. Ndèye Marie est partie et les filles aussi sont en train de partir. Tu n’as
rien à craindre.

Aucune réponse. J’insiste encore plusieurs fois avant que, doucement, la porte
s’ouvre sur une Abi au visage empreint d’une expression que je ne lui avais jamais
vue. Elle a l’air profondément triste, vidée… Pendant un instant, j’oublie
complètement les paroles de Ndèye Marie et fais un mouvement vers elle alors
qu’elle retourne s’assoir sur le lit.

Je la suis et m’assoie à ses côtés, puis lui pose une main sur l’épaule en la scrutant :

- Ma puce, qu’est-ce qui se passe ?

Elle me répond calmement, l’air stoïque :

- Je suis désolée pour ta fête.

- Oublie ça… Abi, qu’est-ce qu’il y’a ? Elle t’a fait mal à ce point ?

Elle me regarde d’un œil vide, comme si elle ne comprenait pas :

- Qui ?

- Euh… Ndèye Marie ? Abi, tu m’inquiètes.


- Ah… Elle m’a griffée, là. Mais ça va. Elle est partie ?

- Oui.

- Ok, je vais l’appeler.

- Non, Abi, tu ne devrais pas. Elle est vraiment en colère contre toi et t’accuse de
certaines choses… Abi, qu’est-ce que tu as fait ?

- Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?

- Elle a dit que Majib l’a trompée avec toi quand vous étiez ensemble. Stp, dis-moi
que ce n’est pas vrai.

Elle hausse les épaules avant de répondre :

- Ça dépend ce que tu entends par tromper.

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

- Qu’est-ce que tu entends par tromper ?

Ok, je m’inquiète pour elle là, mais elle commence aussi à m’énerver.

- Tu as eu une relation avec Majib oui ou non ?


- Oui, dit-elle simplement.

Je crie, choquée :

- Abi !! Mais toi, t’es folle ?

- Pourquoi tu dis ça ? Je vais très bien.

Mais… Elle a quoi elle ?

Je regarde Abi me demandant sérieusement si elle a toute sa tête. La voir me


répondre avec un calme olympien sur un sujet aussi grave me sidère. Même avec
ses yeux rouges là qui montrent clairement qu’elle pleurait et son visage d’enfant
abandonné, elle conserve un tel aplomb que je ne sais juste plus quoi faire. La
gifler ou la consoler. Mais qu’est-ce qui mange cette fille ?

Là, elle m’énerve bien même et je le lui fais comprendre :

- J’aurais dû laisser Ndèye Marie te tuer en fait. Elle t’aurait cassé en deux si je
n’étais pas intervenue. Mais Abi, toi c’est quoi ton problème ? Comment tu
réfléchis ? Ndèye Marie est ton amie et tu n’éprouves aucun remords à l’avoir
séparée de l’homme avec qui elle allait se marier ?

- Désolée mais non.

- Mais je rêve ou quoi ? Abi, donc toi elle n’a jamais été ton amie en fait, c’est ça ?
Tu vois, là, je me pose des questions même sur mon amitié avec toi. Si tu as fait ça
avec Ndèye Marie, t’es tout à fait capable de me faire ça à moi.
- Si tu étais avec Majib, sûrement oui.

- Quoi ?!

- Tu es avec Lamine, pas avec Majib. Pourquoi je séduirais Lamine ? C’est toi qu’il
aime.

Non, elle, elle est folle, pour de vrai. Je l’observe juste ahurie, puis lui dis :

- Donc Majib, lui, tu as décidé de le séduire quoi.

- Oui.

- Mais pourquoi ?

- Parce qu’il est à moi. C’est dommage pour Ndèye Marie mais il n’était pas fait
pour elle, c’est tout. Je peux comprendre que ça lui fasse mal mais elle finira par
oublier. Il valait mieux qu’ils se séparent avant d’être mariés non, sinon ça aurait
été encore plus dur pour elle. Il ne l’aime pas.

Un petit rire m’échappe malgré moi, tellement elle est incroyable. Puis je reprends
sérieusement :

- Donc toi, qui n’as connu Majib que quelques jours, tu sais, parce que madame
sait tout sur tout, qu’il n’aime pas Ndèye Marie. Et tu as décidé de les séparer c’est
ça ? Tu veux des applaudissements ?

-…

Je lui crie dessus :

- Il allait l’épouser Abi, tu comprends ça ? Ils allaient se marier ! Comment peux-tu


prétendre juste comme ça qu’il ne l’aime pas ? Et surtout en quoi ça te regarde ?

- C’est mon amie. Puis s’il l’aimait, tu crois qu’il l’aurait quittée aussi facilement
pour une autre ? Réfléchis un peu Maï.

Elle dit ça d’un air complètement détaché en se levant du lit pour se mettre devant
son miroir. Je l’observe alors qu’elle examine les griffures sur son visage.

D’une voix presque désespérée, je lui demande :

- Abi, pourquoi tu fais ça ? J’ai presque l’impression que tu veux te faire détester.
Pourquoi tu veux donner cette image de toi ? Je sais qu’au fond tu n’es pas une
mauvaise personne mais on dirait que tu veux tout faire pour convaincre du
contraire.

-Ecoute, quand j’ai su que Ndèye Marie souffrait trop, j’ai arrêté, ok. C’est lui qui
s’est accroché.

- Mais tu n’aurais jamais dû le chercher au départ ! C’est ça que tu dois


comprendre !
- Non ! J’avais et j’ai toujours des comptes à régler avec lui.

- Mais quels comptes ? Pourquoi Majib ?! Et tu es en train de me dire qu’il y’a


toujours quelque chose entre vous ??

Elle ne répond pas et se tapote tranquillement un coton sur ses blessures. Je ne


sais plus quoi dire, j’abandonne. Je m’apprête à me lever quand elle se retourne et
me regarde, puis dit :

- C’est le père d’Anna.

Quoi ?! Je n’ai pas bien entendu.

Bouche bée, je la regarde complètement ahurie, à court de mots.

Elle rajoute tout simplement :

- Il est à moi Maï. Je ne te demande pas de comprendre, mais sache que je n’en ai
pas fini avec lui.

Le père d’Anna ?? C’est quoi cette histoire ?

*****************

*****************

Une semaine plus tard

***Maïmouna Bah***
Mon mariage est en train de se dérouler en ce moment même dans le salon, où
sont regroupés les hommes de la famille de Lamine et ceux de la mienne. On y est
arrivé enfin. Après neuf longues années d’une relation merveilleuse, je me marie
avec le seul homme que j’aie jamais aimé. Je peux dire sans nul doute que c’est
aujourd’hui le plus beau jour de ma vie. Même s’il aurait été encore plus parfait si
seulement mon beau-père m’avait acceptée, je refuse de laisser cela ternir mon
bonheur. L’essentiel est que Lamine et moi allons enfin commencer une vie
commune à deux. Dans quelques minutes, je serai sa femme.

Assise sur mon lit, la tête enveloppée d’un voile blanc, Virginie, Ndèye Marie et
deux de mes cousines m’entourent. Mes deux amies me regardent avec des
sourires complices et en me taquinant sur ce qui m’attend dans ma future vie de
mariée. J’adore le fait qu’elles soient à côté de moi mais quelqu’un me manque.

Je lève la tête vers Abi, assise sur une chaise dans un coin de la chambre. Elle me
regarde aussi, toujours aussi calme. Même si elle ne le laisse pas paraître je sais
que se retrouver ici dans la même pièce que Ndèye qui la hait n’est pas facile pour
elle, surtout avec Virginie qui ne lui adresse plus la parole. Je voudrais pouvoir lui
en vouloir aussi pour ce qu’elle a fait parce que je suis autant choquée et déçue
que les autres bien que j’en sache plus qu’elles. Mais je n’y arrive pas. C’est ma
meilleure amie, c’est le jour de mon mariage et malgré tous ses défauts, je sais à
quel point elle souhaitait ça pour Lamine et moi. Au fond, c’est elle que je veux
avoir près de moi.

Je lui fais un signe et lui demande de me rejoindre, ce qu’elle fait après hésitation.
Dès qu’elle s’assoit à la place que je lui laisse, Ndèye Marie se décale sensiblement
et détourne la tête pour éviter de la voir. C’est dommage tout ça mais tant pis. Abi
est mon amie et ce jour est important pour moi. Je lui prends la main que je garde
dans la mienne puis lui chuchote à l’oreille :
- N’oublie pas les conseils que tu dois me donner.

Elle sourit en me faisant un clin d’œil complice. Voilà, je préfère ça. Maintenant je
peux me marier.

Quelques minutes plus tard, la porte de la chambre s’ouvre sur la sœur de mon
père qui commence à chanter en pulaar, suivie d’autres dames qui se joignent à
elle.

Un soulagement sans nom m’envahit instantanément, comme une bouffée d’air


frais. Ça y est. Je suis mariée à Lamine… Dieu soit loué !

Les filles m’enlacent et me félicitent tandis que je sens des larmes de joie couler
sur mon visage accompagnées de rires. J’entends Abi me dire à l’oreille :

- Enfin tu vas le nourrir, le pauvre garçon.

Je lui pince les côtes alors qu’elle tente de fuir. Ndèye Marie me regarde avec une
certaine admiration en souriant, mais je remarque dans ses yeux une ombre de
tristesse. Sachant à quoi elle doit penser, j’ai un peu pitié d’elle. Son mariage était
prévu ce mois même, mais tellement de choses se sont passées entre temps… Et
moi je n’étais même pas censée me marier encore… La vie est bizarre.

Alors que mes tantes me poussent à me lever du lit, j’ai le temps de la voir se lever
elle aussi pour se diriger vers la porte mais, emportée par l’ambiance, je détourne
vite mon attention d’elle.

**********************

**********************
***Ndèye Marie Touré***

J’ai dû quitter le mariage malgré moi. Je ne pouvais plus rester au risque de


pleurer, et je n’allais surtout pas pleurer devant toutes ces personnes et encore
moins devant Abi. Cette fille que j’ai toujours prise pour mon amie et qui se révèle
être une sorcière.

Non, je ne veux pas penser à elle, elle ne mérite pas mon temps. Enfermée dans
ma chambre et couchée sous la couverture, je veux juste oublier et fermer les
yeux jusqu’à m’endormir. La maison est tellement silencieuse… Papa est encore
parti et maman, je ne sais même pas où elle se trouve. Je voudrais voir Boris. Pour
la première fois, Londres me manque alors que je me trouve à Dakar, j’ai envie de
vite y retourner pour occuper ma tête à autre chose et le revoir me faire rire.
Même si je lui en ai voulu de ne pas m’avoir dit pour Abi, il me manque quand
même. Quand je rentrerai, je me re-disputerai avec lui et je lui ferai payer en
exigeant plein de sorties, tout à ses frais.

Cette pensée en tête, je finis par m’endormir avec le crépuscule, un petit sourire
aux lèvres.

***

Je suis réveillée au milieu de la nuit par la sonnerie de mon téléphone. Je regarde


l’écran et c’est Boris. D’une voix enrouée par le sommeil, je réponds en refermant
les yeux :

- Allô.

- Non ! Tu dors ? T’es à Dakar et tu dors à 21h !


- Hum, suis fatiguée. Tu veux quoi ?

Il faut quand même que je lui montre que je suis toujours fâchée sinon je ne vais
pas pouvoir lui faire du chantage quand je rentrerai.

- Ah petite Marie ! C’est comme ça ici. Moi je pensais que le Sénégal c’était le pays
de la « téranga »*. Bon, si c’est comme ça que tu m’accueilles, je reprends l’avion
ou bien ?

J’ouvre un œil, interpellée :

- De quoi tu parles ? Reprendre quel avion ?

- Celui pour Londres. Je suis venu à Dakar pour toi non ?

Je me redresse brusquement sur le lit, les yeux bien ouverts cette fois :

- A Dakar ? T’es sérieux ? C’est pas vrai.

- Quoi, tu me traites de menteur maintenant ? Bon, dis-moi où t’habites, je vais


venir, comme t’as besoin de me voir pour me croire. Les jeunes d’aujourd’hui n’ont
plus aucun respect pour les aînés.

***

Moins d’une heure plus tard, je sors de chez moi habillée d’un pagne et d’un vieux
tee-shirt, plus excitée que jamais, pour retrouver Boris dehors sortant de sa
voiture.
Dès qu’il me voit m’approcher, il ne peut s’empêcher de dire en grimaçant :

- Ayi, non, non. C’est quoi ces haillons ? Je suis à Dakar ou je me suis trompé de
ville ? Où est passé la sexy attitude dont j’entends…

Je l’interromps en lui donnant une grosse tape sur le bras qui le fait éclater de rire,
avant de me prendre dans ses bras et me serrer contre lui, balançant mon corps.

Une joie immense m’envahit le cœur et je sens toutes les petites peines enfouies
tomber comme par magie.

C’est Boris qui me fait ça. Toujours là, comme après ma rupture…

Le seul fait de le voir suffit à me redonner le sourire. God, il m’a manquée !

Partie 18 : Je lui fais confiance

***Maïmouna Bah***

La soirée de mon mariage se termine au Terrou-bi, un hôtel 5 étoiles de la place.


Lamine a réservé une chambre spacieuse avec vue sur la mer où nous avons prévu
de passer le week-end pour être au calme et loin de nos familles.

Malgré mon courage des derniers jours, là, à présent que je suis à ma nuit de
noces, je stresse un peu. Pas que j’aie peur de ce qui va se passer, enfin pas
complètement, mais c’est surtout que c’est un énorme changement dans ma vie.
Ça l’est quand même, je vais devenir femme…

Après avoir pris ma douche, je m’habille en attendant que Lamine finisse la sienne.
Nous allons ressortir dîner dans le restaurant de l’hôtel. Quand il sort, je le regarde
comme si je le voyais pour la première fois. En réalité je ne l’ai jamais vu dans cette
tenue, une simple serviette nouée autour des reins et le corps encore humide.
Sexy… Mais surtout ce qui le rend différent à mes yeux, c’est que je sais que ce
soir, je vais lui appartenir complètement pour la première fois.

Me voyant le fixer du regard, pensive, il me demande en souriant :

- Ça va madame Cissé ?

- Très bien monsieur mon mari, réponds-je d’un air détendu.

- Hum, c’est bon ça. Dis-le encore ?

Je ris en répondant :

- Tout ce que vous voulez monsieur mon mari… Toi, ça va ?

Il s’approche de moi et me prend par la taille avant de répondre :

- A ton avis… Je suis avec la plus belle femme du monde, qui est toute à moi et moi
seul.

Je souris de toutes mes dents et réponds au baiser qu’il me donne ensuite. Quand
il recule, je remarque une certaine ombre passer sur son regard avant qu’il se
tourne pour aller s’habiller. J’ai l’impression qu’il ne va pas aussi bien qu’il le dit.

Quelques minutes plus tard, installés en plein air à une table du restaurant de
l’hôtel, nous dînons paisiblement. Il est tard et plus personne ne dîne à cette
heure. Tous les deux seuls, nous n’entendons autour de nous que nos propres voix
et le bruit de la mer. L’air est doux et salé. La main dans celle de mon mari, je
profite du moment, simple et délicieux.

Le serveur, aux petits soins avec nous, apparait de temps à autre pour prendre nos
commandes ou vérifier que tout va bien. Pendant que nous discutons de notre
nouvel appartement où j’irai habiter dès la fin de ce week-end la même ombre de
tristesse que tout à l’heure passe dans les yeux de Lamine. Cette fois, je devine ce
que c’est. Son père.

En se mariant avec moi aujourd’hui contrairement à ce qu’il souhaitait, Lamine a


définitivement bravé son interdiction et sait donc qu’on ne pourra jamais
retourner vivre dans la maison où il a grandi. C’est ce que son père lui a dit, qu’il
n’avait plus le droit d’y revenir avec moi. Je n’en reviens pas qu’il soit allé aussi
loin, Lamine est quand même son seul fils. Le jour où il a dit ça, Lamine a
immédiatement quitté la maison pour aller dans l’appartement où il était prévu
qu’on vive ensemble, le temps que Hadja quitte la maison. Il semble que ce soit
parti pour être un logement beaucoup plus permanent…

Bien sûr, je me suis sentie coupable de tout ça mais seulement jusqu’à un certain
point. A un moment donné, il faut arrêter de penser aux autres. Mon beau-père va
trop loin. Lamine m’aime, je l’aime et on a tout à fait le droit de vouloir être
ensemble. Quel mal fait-on à qui ? Si j’étais une mauvaise fille encore, je
comprendrai mais là qu’est-ce qu’il m’a jamais vu ou entendu faire de mal ? Je ne
lui ai jamais rien fait sinon essayer de lui plaire, en vain. J’ai tout fait et
maintenant, ben tant pis. Je suis la femme de son fils et il n’y peut rien. Je compte
lui montrer à quel point je peux le rendre heureux et peut-être qu’il finira un jour
par m’apprécier pour ça…

Seulement, Lamine n’a pas l’air tout à fait heureux là. Je lui dis en lui caressant la
main :

- Tu penses à ton père n’est-ce pas ?


Il répond avec un petit sourire triste :

- C’est à toi que je devrais penser… excuse-moi.

- Je comprends. Ça va aller tu verras, je suis sûre que vous finirez par vous
réconcilier. Tu ne vis plus avec lui, n’empêche tu peux y aller le voir de temps en
temps, lui montrer que tu es toujours son fils. Tant qu’il ne me voit pas, ça ira. Et
un jour il finira par m’accepter aussi, avec le temps.

- Huhun… Ne parlons plus de lui, ok.

Sa réponse dubitative me montre que les choses ne lui paraissent pas aussi
simples qu’à moi. Je me demande s’il n’y a pas quelque chose qu’il me cache.

Quoiqu’il en soit, il n’est pas bien et je peux en profiter pour lui faire une
proposition :

- Ecoute bébé, je te propose d’aller faire un gros dodo dès qu’on finit de manger,
comme ça tu oublieras tout ça, d’accord ? Demain tu seras en meilleure forme et
tu n’auras plus de pensées moroses. Tu dois être fatigué avec le mariage et le fait
que tu as travaillé hier en plus. Non ?

Un sourire amusé se dessine sur le visage de Lamine tandis qu’il me répond :

- Toi, tu es fatiguée ?

- Hum, un peu quand même oui.


- Ah bon ? Il me semble pourtant que tu as passé la journée dans ta chambre à ne
rien faire et que tu t’ennuyais, c’est pas ce que tu me disais dans ton message tout
à l’heure ?

- Oui, mais entre temps…

- Est-ce que tu essayerais par hasard de te défiler ce soir madame ?

- Me défiler ? Je ne vois pas de quoi tu parles. J’essaie juste de t’apporter mon


soutien parce que je vois que tu ne vas pas bien.

- Bien sûr…. Mais tu sais c’est quoi la meilleure manière de me « soutenir » ce


soir ? Ne pas dormir du tout…

Il dit cette phrase lourde de sens en se penchant vers moi et me fixant d’un regard
convoiteur. Un léger tremblement me traverse le corps. Ça doit être la brise
fraîche…

Je réponds nerveusement :

- Ok, c’était juste pour t’aider mais…

- Tu es stressée?

- Non, pourquoi ?
Je ne suis pas stressée. Je l’ai dit, je n’ai pas peur. Y’a plein de femmes qui passent
par là tous les jours, ce n’est pas la mort quand même. Pourquoi serais-je
stressée ?

Lamine répond :

- Parce que tu en as l’air… Tu frissonnes, tu fuis mon regard, tu essaies de te défiler.

- Je n’essaie pas de me défiler, je te dis. Je n’ai pas peur.

Il reprend un peu son sérieux puis me parle doucement et dangereusement à la


fois :

- Tant mieux. Parce que tu vas devoir passer à la casserole ce soir, pas le choix.

Un frisson me retraverse tout le corps. Purée ! Mais pourquoi il dit ça lui aussi !

Je n’ai même pas envie de lui répondre, mais il me stresse encore plus en rajoutant
:

- Ta tante, Ouleye, m’a appelé tout à l’heure. Elle m’a dit qu’elle t’a remis un pagne
et qu’elle attend absolument à ce qu’on le lui rende dès qu’on revient.

- Quoi ?!

- Je te jure. Elle m’a dit : « Je ne sais pas ce que vous avez-vous les jeunes à fuir
dans les hôtels avec vos femmes dès que vous les mariez mais sache que dans ma
famille on attend des preuves de ce que vous faites. Donc où que tu ailles avec ma
fille, t’as intérêt à revenir avec son pagne tâché de sang sinon tu auras affaire à
moi. »
Badjène Ouleye !! Elle est folle ?

- Mais elle abuse elle ! Comment elle a eu ton numéro d’abord?

- Je ne sais pas. En tout cas moi, j’ai bien reçu le message, je n’ai pas envie de me
faire étriper. Elle me fait peur quand même… Bon, on y va ?

Je regarde Lamine, désespérée. J’ai envie de pleurer. Les mots de ma « badjène »*


après le mariage tout à l’heure me reviennent en mémoire. Elle était là à me dire
qu’il fallait que j’aie du courage parce que ça n’allait pas être facile, qu’elle y était
passée et que toute femme doit y passer et que la douleur finirait par partir avec
le temps.

J’ai essayé d’ignorer ses paroles et de me concentrer sur ce que je ne cesse de


répéter depuis que je sais que j’allais me marier, mais ça n’a pas marché. Elle m’a
foutu les jetons !

Ok, je l’avoue, je suis stressée comme pas possible! J’ai peur, vraiment peur !

Lamine recule sa chaise et me dit :

- C’est bon, t’as fini ? On va se coucher ?

Non, je ne veux pas aller me coucher. Je scrute son visage pour y chercher de la
compassion mais il a l’air tellement sérieux… Résignée, je me lève lentement et
prends la main qu’il me tend.

***
Je sors de la salle de bains après y avoir passé plus d’une demi-heure. Je n’avais
pas besoin d’autant de temps pour mettre la simple nuisette blanche offerte par
ma sœur. J’avais juste besoin de me reprendre, de me donner du courage. Je crois
que ça va mieux. Lamine ne va pas me faire mal, je le connais… En plus Ndèye
Marie m’a dit que plus je stresse, plus je risque de souffrir. J’arrête donc de
stresser.

Je vois Lamine debout, de dos, occupé à faire quelque chose sur la table en bord
de fenêtre. Je toussote et il se retourne pour me regarder.

- Ah, tu as fini ?

- Oui.

Il m’observe attentivement. Je vois ses yeux briller tandis qu’il les parcourt
lentement sur tout mon corps. Immobile, les mains croisées, j’attends patiemment
qu’il finisse son inspection. Cela fait, il fait pivoter l’ordinateur derrière lui
visiblement pour cacher l’écran à ma vue, puis vient vers moi. Arrivé à ma hauteur,
il pose brièvement ses lèvres sur ma tête puis s’en va en disant :

- Couche-toi, j’arrive.

Hein ! C’est quoi cette phrase ? Et ce ton autoritaire là ! Ah ouai, parce que je suis
sa femme maintenant, monsieur se permet de me donner des ordres. Il sait qu’il a
tous ses droits à présent, donc il ne prend même plus de gants, c’est ça ? Pas de
compliments, pas de tendresse rien du tout ! Il va voir de quel bois je me chauffe.

Je le laisse s’en aller et reste debout quelques secondes cherchant quoi faire. Je
sors… ?
Je suis bête. Je sors comment, en nuisette ? Et où je vais aller ? J’entends d’ici les
voix de mes tantes me citant mes nouveaux devoirs… Elles ont réussi à me ruiner
mon moment avec mon mari, ces folles.

Je tourne mon regard vers le lit. Il est déjà fait et j’ai même étalé le pagne dessus.

Je n’ai pas le choix. C’est bon, il faut que j’arrête de faire ma petite fille. C’est
exactement ce que me dirait Abi. Y’a plein de femmes qui n’ont pas la chance de se
marier avec l’homme qu’elles aiment et je ne m’imagine même pas ce qu’elles
doivent ressentir dans cette situation. Je n’ai pas à me plaindre…

Prenant mon courage à deux mains, j’avance jusqu’au lit et me couche, droite
comme un i. Lamine revient presque immédiatement. Je vois dans son regard
quand il le pose sur moi une lueur d’amusement. Vêtu d’un simple boxer, il marche
lentement vers moi. Je détourne la tête, m’efforçant à ne pas le regarder de trop
près. Mon stress revient. Je ne sais pas pourquoi on ne se parle pas. Je me sens
gênée face à lui comme si on ne se connaissait pas depuis toujours.

Alors que je m’attends à ce qu’il s’allonge, il ne le fait pas. J’entends du bruit en


même temps que la lumière de la chambre s’éteint pour faire place à celle du
chevet. Nous sommes plongés dans la pénombre. Quelques instants plus tard
Lamine s’allonge derrière moi en posant son ordinateur devant mes yeux. Surprise,
je lui demande :

- Qu’est-ce que c’est ?

- Regarde.

Il met une vidéo en marche et là, s’affiche sur l’écran un texte accompagné d’une
chanson d’amour de R. Kelly : « A la femme de ma vie, Maïmouna Bah Cissé… ».

Commencent à défiler des photos de moi, la première quand j’étais bébé sous-
titrée d’un message de Lamine « Tout a commencé il y’a 24 ans avec un bébé rond
et joufflu… »

L’émotion me gagne immédiatement en réalisant ce qu’il a préparé. Le regard


scotché sur l’écran je ris en lui serrant le bras qu’il a posé sur moi. Les images
défilent, de lui, de moi, étant beaucoup plus jeunes, puis tous les deux ensemble
quand notre histoire a commencé, adolescents. Les souvenirs reviennent dans
mon esprit et mes larmes commencent à couler.

La musique, les photos et surtout les commentaires de Lamine tantôt drôles tantôt
tellement touchants. Sans que j’y fasse attention, le stress disparait
complètement. Je me rends compte plus que jamais de la chance que j’ai. Cet
homme juste derrière moi qui me tient tendrement dans ses bras et regarde avec
moi les images de nos neuf années d’amour défiler sous nos yeux. Je ne suis pas
nostalgique et je sais qu’il ne l’est pas non plus, car nous savons que le meilleur
n’est pas ce passé. Le meilleur est à venir. Dès ce soir même nous appartenons
vraiment l’un à l’autre, devant Dieu et les hommes.

Quand la vidéo se termine avec le message : « Merci pour le bonheur que tu me


procures mon amour… A présent, et dès ce soir, laisse-moi faire de toi à mon tour
la femme la plus heureuse du monde, la mère de mes enfants. Je t’aime. »

Je me tourne vers Lamine, le visage baigné de larmes et lui dis :

- Je t’aime aussi… Merci.

Il passe son doigt sur mon visage en souriant puis se penche lentement sur mes
lèvres. Son baiser est tendre… Le plus doux, le plus agréable qu’il m’ait jamais
donné. Je soupire de plaisir en me blottissant contre lui. Il chuchote contre mes
lèvres :

- Désolé de t’avoir fait peur. Tu sais que je ne te ferai jamais mal, n’est-ce pas ?
Je hoche la tête. Je le sais, j’en suis convaincue. Il ajoute :

- Fais-moi confiance.

Et je lui fais confiance. La meilleure décision de ma vie… Faire confiance à mon


homme, aujourd’hui et pour toujours.

Les longues minutes qui s’ensuivent resteront gravées dans ma mémoire. Pas pour
la douleur que j’ai, malgré tout, ressenti. Ni pour le plaisir de ses caresses, ses
baisers, son odeur, sa chaleur... Mais pour la plénitude intense qui envahit tout
mon être au moment où mon mari, le seul homme de ma vie, explose à l’intérieur
de mon corps, en gémissant de satisfaction.

A cet instant, je me sens pour la première fois femme et plus femme que jamais.
Lamine est heureux et c’est grâce à moi, à ce cadeau que je lui ai donné et que je
suis sûre, il n’oubliera jamais quel que soit le futur. Ma virginité.

Je sais que ce futur ne sera pas toujours rose. Ça ne l’est jamais complètement…
Mais ce que je sais aussi, c’est que j’œuvrerai tous les jours pour que cet homme
soit heureux tout comme je sais qu’il fera tout pour que je sois heureuse.

Tout comme je lui ai fait confiance pour être le premier, je lui confie ma vie afin
qu’il soit le dernier. Mon mari, le futur père de mes enfants….

Partie 19 : Si je lui reconnais une chose, c’est qu’il est sexy…

Quelques jours plus tard


***Abibatou Léa Sy***

Majib arrive de Londres ce soir. Il vient passer quelques jours à Dakar et cette fois il
va rester avec moi. Aucun membre de sa famille ne saura qu’il est ici. Je lui ai
proposé de rester chez moi au lieu d’aller à l’hôtel car j’ai besoin de m’occuper de
lui, de plus près. La première étape est de le convaincre de venir s’installer à Dakar.
A distance, je ne peux mettre aucun plan à exécution. On en a déjà parlé quelques
fois et ce qui est bien, c’est que lui-même pense déjà revenir vivre au Sénégal
même si c’est un projet à long terme. Mon objectif est d’en faire un très court…

Se sentant coupable de l’incident arrivé avec Ndèye Marie, il a été facile pour moi
de jouer à la victime et le pousser à prendre quelques jours de congé pour être
avec moi. Finalement, la réaction de Ndèye Marie m’a été utile même si j’aurais
préféré qu’elle apprenne pour nous plus tard, quand elle se serait mieux remise de
son histoire avec Majib et refait sa vie.

Le jour où elle est passée chez moi, Majib a essayé de me joindre plusieurs fois
pour me prévenir mais, occupée avec les invitées, je n’avais rien vu. Quand on a
réussi à se parler le soir, il semblait désolé et m’avait juré ne lui avoir rien dit sur
nous. Je m’en fichais complètement de ses excuses, au contraire j’avais plus que
jamais envie d’accélérer les choses avec lui pour en finir. Vu que tout le monde
savait pour nous et que ma relation avec Ndèye Marie était déjà gâchée de toute
façon, plus rien ne me retenait d’agir à ma guise.

Mais j’ai joué le jeu, semblant peinée de voir mon amitié « de plusieurs années
avec Ndèye Marie finir à cause de lui ». Et ça a marché. La preuve, il n’a pas mis
trois semaines pour venir me « consoler » et je pense surtout s’assurer que je ne
décide pas de mettre fin à notre relation par culpabilité.

Ce dont je n’ai absolument pas l’intention. Que Ndèye Marie sache la vérité ne va
pas m’arrêter. C’est dommage pour nous deux, ça me rend très triste, mais je sais
que tôt ou tard on redeviendra amies alors que Majib, je n’aurais pas toujours
l’occasion de lui donner une leçon.

Bref, ce n’est pas un homme qui va nous séparer Ndèye Marie et moi, il faut juste
laisser le temps passer. C’est plus Virginie qui m’inquiète, elle est plus rancunière…

Mais on verra plus tard, pour le moment je dois me concentrer sur Majib. En
attendant qu’il arrive, je me suis bien occupée de moi et de ma maison. Cuisine,
encens, linge de lit, rien n’est laissé au hasard. Il a beau avoir grandi en Angleterre,
il reste un sénégalais et je compte le séduire à la sénégalaise. Si ça ne marche pas,
je peux toujours switcher « whity ».

Quand il arrive assez tard, je vois à sa mine qu’il est fatigué. Mais le long baiser
d’affamé qu’il me donne dès qu’il entre me prouve qu’il est encore plus content de
me voir. Quelque part moi aussi je suis contente de le voir…

Je le reconnais, être dans les bras de Majib est plutôt agréable. Il est grand,
musclé, très beau, il sent bon et il embrasse très bien. Quoi de plus normal que ce
soit agréable ? Ça m’a inquiétée les premières fois parce que c’était nouveau pour
moi mais au final, je me dis pourquoi ne pas en profiter ? C’est une expérience
intéressante et ça me rend un petit peu plus comme les autres… Depuis qu’on s’est
quitté la dernière fois il m’est arrivé d’y repenser. Maintenant je comprends mieux
ce que veulent dire les autres filles quand elles parlent de leur mec. La différence
entre elles et moi est que ce n’est pas parce que je tire un plaisir physique à être
avec lui que je vais tomber stupidement amoureuse, comme le pense Maï. L’amour
n’est pas fait pour tout le monde. JE ne tombe pas amoureuse et ça me va très
bien.

Après avoir bien profité de mes lèvres, Majib me chuchote en me tenant toujours
dans ses bras :
- Tu m’as trop manqué.

- Tu m’as manqué aussi. Fatigué ?

- Hum.

- Viens. Tu vas prendre une bonne douche pour te détendre, et ensuite je t’ai
concocté un bon petit plat que tu vas adorer. Ok ?

Je le laisse reprendre sa valise et lui prends la main pour me diriger avec lui dans
ma chambre. Il me suit en disant, ironique :

- Pourquoi j’ai du mal à croire que tu sais cuisiner ?

- Hm, tu vas être surpris mon cher.

Arrivés dans la chambre, il m’attire contre lui et me tient serrée. Je me retrouve le


dos collé à son corps et des frissons me parcourent alors qu’il souffle dans mon
cou :

- Ça fait du bien de te sentir.

Je me retourne lentement pour lui faire face et lui dis en glissant mes mains sous
son tee-shirt, d’un ton plein de sous-entendus :

- Crois-moi, tu ne m’as pas encore sentie…


Ses yeux brillent de désir alors que je lui soulève le tee-shirt, l’obligeant à lever les
bras pour le lui enlever. Wow ! Impossible de ne pas regarder son corps. Si je lui
reconnais une chose, c’est qu’il est sexy…

Je l’attire et le fais assoir sur le lit. Me mettant à genoux sur le sol, je lui enlève ses
chaussures et ses chaussettes, prenant tout mon temps, puis m’attaque aux
boutons de son pantalon. Il se laisse faire comme un enfant, les yeux suivants
chacun de mes gestes. Je sais à quoi il pense à cet instant même, il se rappelle… et
il espère.

Les hommes sont tellement prévisibles. Quand ils ne parlent pas, pas besoin de
chercher loin pour savoir ce à quoi ils pensent…

Mais ce n’est pas le moment. Je l’invite à se relever et lui indique la porte de la


salle de bains.

- Tu trouveras ce dont tu as besoin. A tout de suite.

Je lui fais un bisou furtif ignorant exprès son air déçu, avant de sortir de la
chambre.

Ne t’inquiète pas, mon chéri, tu ne perds rien pour attendre. J’ai dix jours pour te
rendre totalement accro.

************************************

************************************

***Boris Suleyman Hannan***


Ndèye Marie et moi venons de quitter le cinéma et marchons l’un à côté de l’autre,
voulant profiter de l’air frais avant de prendre le métro. Pourtant, il fait déjà
moche dans les rues de Londres mais on a pris goût à marcher ensemble. Après un
rapide saut dans un fast-food que je connais bien, nous continuons notre
promenade.

C’est dommage toutes ces années qu’on a passées sans profiter de la présence l’un
de l’autre. Tous les deux aimons sortir et ne sommes pas du tout casaniers.
Parfaitement bien ensemble…

Au fond, derrière son apparence de sage fille, il y’a une petite fêtarde qui se cache.
Je suis sûre que si elle avait elle aussi grandi à Londres et loin de ses parents, elle
serait devenue comme moi. Heureusement pour elle qu’elle a grandi à Dakar…

Je la regarde manger son « beigel » avec appétit, toute son attention concentrée
dessus. Je lui demande, même si la réponse est évidente :

- Tu aimes ?

- J’adooore. Comment j’ai pu rater ça, toutes ces années ?!

Elle dit ça d’un air tellement indigné que j’éclate de rire.

- Parce que tu passais tout ton temps enfermée. Il n’y a pas que les études dans la
vie. T’es trop sérieuse ! Londres regorge d’endroits comme ça... Mais t’inquiètes,
tonton Boris est là maintenant, tu vas tout découvrir.

- Je croyais que tu m’encourageais à être « sérieuse» ? Faudrait te décider hein.

- Ok, sérieuse le jour, et le soir tu te lâches ! C’est bon, je te donne la permission


de t’amuser plus.

- Oh, trop sympa. Merci tonton.

Je souris, amusé par sa répartie. J’aime comment les choses sont simples avec elle.
Elle est entière, pas du tout « prise de tête », spontanée, simple… C’est ce qui m’a
le plus séduit en elle. Mais maintenant que j’ai rencontré ses parents, je
comprends mieux pourquoi elle est comme ça. Ils sont tout aussi simples qu’elle,
surtout son père qui lui ressemble beaucoup. Pourtant très aisés, ils ne prennent
pas pour autant le monde de haut, ce qui n’est pas le cas de toutes les familles
dakaroises de leur acabit, la mienne y comprise. En plus son père n’a pas du tout
montré de signe de jalousie quand je suis passé chez eux. Au contraire, il a été très
ouvert et on a beaucoup échangé. Sa maman semblait un peu plus réservée,
même en sachant que sa fille et moi ne sommes que de simples amis. A moins
qu’elle soit très perspicace et ait deviné mes vrais sentiments à son égard…

J’ai pu moi aussi lui présenter une partie de ma famille. Elle est venue à la maison
de mes parents, ceux-ci étaient absents mais il y’avait mes deux petits-frères et ma
petite sœur. On a même passé une après-midi à la plage tous ensemble, très
agréable.

Un soir, on est aussi sorti dîner puis en boîte de nuit avec Virginie et son copain et
avons passé une très bonne soirée également.

Durant tout mon séjour, nous n’avons pas une seule fois parlé de Majib ou de sa
nouvelle copine, convenant tacitement de les mettre de côté.

Cependant, je compte aller le voir au plus tôt pour qu’on discute lui et moi. Je ne
peux pas laisser perdurer la tension entre nous, surtout que c’est moi le plus fautif
dans l’histoire…
Un bon moment plus tard, je descends avec Ndèye Marie du métro et
l’accompagne à pied. Nous marchons lentement jusqu’à la porte de son immeuble.
Je ne compte pas entrer parce qu’il se fait tard et je risque de rater le dernier
métro. Ndèye Marie se tourne vers moi d’un air pensif, les mains tenant ses bras.

Je lui demande :

- T’as froid ?

- Oui…

- Il faut rentrer vite alors.

En disant ça, je m’approche d’elle et lui frotte doucement les bras pour la
réchauffer. Elle lève la tête vers moi :

- Tu ne veux pas rester un peu ? J’ai pas envie de dormir. On peut regarder un
autre film.

- J’aimerais bien mais je n’ai pas ma voiture et je risque de rater le dernier métro.

Elle ne dit rien mais esquisse un petit rictus déçu en baissant les yeux. Puis elle les
relève pour me regarder. Mes mains toujours sur elle, je sens une certaine tension
naître entre nous… Le silence s’installe… Je suis tenté d’effacer les quelques
centimètres qui nous séparent pour toucher ses lèvres…

Je veux toucher ses lèvres.

Alors qu’elle regarde les miennes, j’ai l’impression qu’elle attend aussi que je fasse
un mouvement vers elle. Comme attiré par un aimant, je m’approche un peu plus
puis… m’arrête.

Je recule. C’est trop tôt.

Je ne peux pas faire ça, pas avant d’avoir parlé à Majib.

Me reprenant complètement, je lui dis en souriant :

- Bonne nuit petite Marie.

Avant de l’embrasser sur le front et de m’en aller. Je l’entends me répondre «


bonne nuit » d’une toute petite voix...

Triste… Déçue…

Elle est déçue, j’en suis sûr cette fois.

Je retourne immédiatement sur les trois pas que je viens de faire et la rattrape vite
avant que le portail n’ait le temps de se refermer sur elle.

Lui saisissant le bras, je lui dis :

- Attends…

Elle pivote sur elle, surprise mais je ne lui laisse pas le temps de se poser des
questions. Me penchant vers elle, je touche enfin au fruit défendu et l’embrasse
sans hésitation. Je ne veux pas lui laisser le temps de réfléchir, de décider si elle
doit répondre à mon baiser ou me repousser. Je veux juste l’embrasser. Avec toute
la douceur qu’elle m’inspire, toute mon affection pour elle. Goûtant à sa bouche
comme si je n’en aurai plus jamais l’occasion, caressant ses douces lèvres en
imprimant chaque fraction de seconde de sensation dans mon esprit. Au moins,
quand elle me repoussera, son goût restera avec moi…
Mais quand je relève la tête et la vois la bouche entrouverte me fixant de ses yeux
étonnés, je me rends compte que je suis loin d’en avoir assez. Je veux encore la
toucher…

Me retenant, j’émets un petit soupir de regret puis m’apprête à lui dire au revoir
quand, à ma grande surprise cette fois, Ndèye Marie saisit mon cou et se dresse
sur ses pieds pour m’embrasser. Je ne me donne même pas une seconde pour y
repenser à deux fois. Lui prenant le visage à pleines mains, je l’embrasse à en
perdre haleine, aussi passionnément que j’en suis capable. Nos lèvres se caressant,
langues et souffle mêlés, j’ai la confirmation que tous les deux attendions ce
moment depuis longtemps. Chaque minute passée ensemble, chaque rire, chaque
regard complice ou tendre tendait à nous mener vers le moment où nous
comblerions enfin le désir de chacun d’aller vers l’autre.

Sauf que le désir est loin d’être comblé.

C’est ce que je réalise clairement en la quittant deux minutes plus tard et


marchant vers le métro. Tout ne fait que commencer. Un océan de désirs qui
n’appellent qu’à être comblés à leur tour se trouve entre moi et elle.

Une vie ne suffira pas…

[Et voilà mes chous. 3 couples de formés, le dernier (Virginie/Mike) sera


finalement réservé pour une autre histoire mais ils vont continuer d'apparaître ici.
On va bientôt rentrer dans le vif du sujet pour les autres...

Partie 20 : Je vois l’avenir avec elle…

Des jours après

***Abdoul Majib Kébé***


Boris vient d’arriver chez moi alors que je dormais, récupérant de mon voyage.
Tout juste de retour de Dakar où j’étais encore hier matin, je lui avais proposé de
passer me voir en voyant qu’il avait tenté de me joindre plusieurs fois durant mon
absence.

Le rejoignant après m’être changé, je réalise que ça fait plusieurs semaines que
nous ne nous sommes pas parlé et pourtant aucune gêne entre nous. Personne ne
devinerait qu’on s’est pris la tête la dernière fois qu’on s’est vu. Le fait même qu’il
soit là me prouve qu’il veut faire la paix et je serais moi-même allé le voir de toute
façon s’il n’était pas venu. C’est une chose qui nous différencie des femmes je
pense, on n’a pas besoin de tout s’expliquer pour se comprendre… De plus, Boris
et moi sommes amis depuis longtemps, avons déjà fait les quatre coups ensemble
et savons très bien l’un comme l’autre que ce n’est pas n’importe quel problème
qui peut nous séparer.

C’est donc sans aucune tension qu'il me demande :

- Alors comme ça tu étais à Dakar ?

Il ne pose pas la question entièrement mais je sais qu’il devine pourquoi j’y étais,
ce qui me fait lui répondre simplement :

- Oui pour voir Abi.

- Tu y étais depuis longtemps ?

- Une dizaine de jours.


- Ok, j’étais déjà rentré alors. Dakar devient une destination prisée ici, dit-il avec
humour.

- Je ne savais pas que tu y étais. Pourquoi t’y es allé ?

Je le sens hésiter puis finir par répondre :

- Pour Ndèye Marie. Elle n’allait pas bien.

Je marque une pause à cette réponse… Bon, je ne vais pas prétendre être étonné.

- Okay... Et là elle va mieux ?

- Oui, ça va maintenant. Elle a très mal pris la nouvelle pour toi et Abi, forcément.

- Ah ça, je sais. Elle a même été violente.

- Oui, dit-il en riant.

Ça ne me fait pas rire…

Boris le remarque et rajoute :

- Bon, on ne peut pas trop lui en vouloir non plus. Mets-toi à sa place. T’aurais fait
quoi si tu découvrais qu’elle t’avait trompé avec ton ami ?

A cette question, je me tourne pour le regarder. Il me regarde aussi puis détourne


les yeux, gêné. On s’est compris… Mais bon, ce n’est pas important, passons.

Je fais comme si je n’avais pas entendu sa question:

- Abi ne méritait pas ça, elle n’est pas la seule fautive dans cette histoire… Bref.
C’est toi qui lui as dit pour nous ?

- Bien sûr que non, je n’aurais jamais fait ça. Elle m’a appelé pour me poser des
questions et elle avait l’air d’en savoir beaucoup déjà. N’empêche, je n’ai rien
confirmé, parce que ce n’était pas à moi de le faire.

- Elle m’a appelé aussi et je pense que c’est moi qui ai confirmé sans le savoir.
Anyway, ce qui est fait est fait. Elle allait savoir un jour ou l’autre de toute façon
même si j’aurais préféré que ce soit par moi… Tu es sûr qu’elle va bien ?

- Oui t’inquiètes.

- ... Et entre vous deux, ça va ?

Boris marque une pause. Il hésite à répondre mais il sait de quoi je parle. En lui
posant cette question je veux juste lui montrer que je suis ouvert à parler de ce qui
se passe entre lui et Ndèye, si c’est bien ce que je suppose. A mon avis, s’il est parti
la retrouver à Dakar c’est que les choses ont déjà bien évolué entre eux.

Voyant que je pose la question sans animosité, Boris répond :

- Ça va bien. Justement, je comptais t’en parler.

- Vous vous êtes mis ensemble ?


- Oui.

Well, c’est bien ce que je pensais. Pendant un moment, je ne sais pas quoi lui
répondre. Tout ça est un peu bizarre…

Boris finit par rompre le silence gênant qui commence à s’installer en me


demandant :

- On est ok ?

- Ça dépend. C’est du sérieux ?

- Oui, je pense…

- Tu penses ou tu es sûr ? Ndèye Marie n’est pas n’importe quelle fille, Boris.

- Je ne la vois pas comme n’importe quelle fille, crois-moi. C’est du sérieux.

- Ok. Tant mieux alors.

- Ça ne te dérange pas ?

- Ecoute, je ne vais pas prétendre que ça me réjouit de voir mon ex avec mon
meilleur ami. Mais si vous êtes heureux ensemble, c’est ce qui compte.
Et je le pense vraiment. Ce que je souhaitais, c’est qu’elle puisse refaire sa vie avec
quelqu’un qui la mérite. Je ne m’attendais pas à ce que ce quelqu’un soit Boris
mais au final quelle importance ça a ? Tant qu’il est sérieux tout va bien.

Voyant que je prends bien la nouvelle, Boris semble rassuré et passe sur un autre
sujet :

- Et Abi et toi, tout va bien ?

- Abi et moi… dis-je pensif. Je ne sais pas...

Croyant que je ne veux pas parler de ça avec lui, Boris répond :

- Maj, je sais que je ne t’ai pas écouté et t’ai critiqué à chaque fois que tu me
parlais d’elle mais sache que je te comprends. Si tu ne tenais pas vraiment à elle tu
n’aurais pas risqué de perdre Ndèye Marie, je le sais bien. Alors tu peux me parler,
je ne jugerai plus, promis… Je suis mal placé de toute façon.

- Non, ce n’est pas ce que tu crois. Je ne sais vraiment pas si ça va bien entre Abi et
moi. Ça dépend des jours… Si tu me demandes où j’en suis moi personnellement je
te répondrai sans hésiter que je tiens à elle. Mais avec Abi, rien n’est jamais sûr…
Tu ne la connais pas, elle est assez spéciale comme fille… Des fois, je suis
convaincu qu’elle ressent la même chose que moi et d’autres fois elle devient
tellement inaccessible que j’ai des doutes.

- Hum, c’est peut-être le fait que tu sois l’ex de son amie qui la bloque ?

- Il y’a ça mais pas que.


- Bon, ne sois pas impatient non plus. Votre relation a commencé bizarrement et
en plus vous n’êtes pas ensemble depuis si longtemps. Laisse-lui le temps de te
connaître.

Et pourtant, je me projette déjà avec elle.

Je n’ose pas dire à Boris que je commence même à réfléchir à l’éventualité d’aller
vivre à Dakar juste pour être plus proche d’Abi. Je sais déjà ce qu’il va me dire, que
c’est insensé. Moi-même je trouve ça précipité. N’empêche, j’y pense pour de
vrai…

En passant du temps avec elle ces derniers jours et discutant, j’ai compris que le
fait que notre relation soit à distance la gêne. Je crois que c’est pour ça qu’elle ne
s’ouvre pas complètement à moi sans compter mon passé avec l’une de ses
meilleures amies. Le problème c’est que moi je n’en suis pas au même niveau, je
vois déjà un possible avenir avec elle. Je veux qu’on ait une vraie relation, je veux
la pousser à s’ouvrir à moi, se confier, me livrer tous ses secrets, tout ce qu’elle
cache derrière son regard froid. J’ai envie de la protéger car je sens que derrière sa
carapace c’est ce qu’elle demande, d’être protégée…

Je veux être celui qui arrive à briser la glace, tout simplement parce que je veux
qu’elle soit la femme de ma vie.

Mais pour cela il faut qu’elle me fasse confiance et je sais que je ne peux pas
gagner sa confiance si je ne lui montre pas que je tiens à elle. Quel meilleur moyen
d’atteindre cet objectif que celui de la rejoindre ? En plus, ce n’est pas comme si je
ne voulais pas déjà aller vivre à Dakar un jour. Certes, pas maintenant mais au fond
qu’est-ce qui m’en empêche ? Je pourrai trouver du travail là-bas et puis si mes
parents décident d’aller y vivre aussi, ce qui semble probable, je n’aurai plus
d’attache familiale en Angleterre, mon frère vivant à Paris.
En tout cas, je réfléchis sérieusement à la question. Mais pour le moment, inutile
d’en parler…

******************

******************

***Maïmouna Bah***

J’invite Abi à venir me rejoindre dans la cuisine pendant que je prépare le dîner.
C’est la première fois qu’on se retrouve dans mon nouveau chez-moi depuis trois
semaines que je suis mariée. Entre son nouveau boulot et le fait qu’elle ne veut
pas déranger le « jeune couple », elle n’est jamais passée. Aujourd’hui, elle a fini
tôt et Lamine ne rentre pas avant quelques heures, c’était donc l’occasion idéale
pour nous revoir.

La voyant s’installer sur la table me laissant me débrouiller avec mes poissons, je


lui dis sur un ton faussement accusateur :

- Tu peux m’aider aussi tu sais ? Tiens, épluche les oignons.

- Eh oh, je ne suis pas ta bonne. Pourquoi je vais me salir pour vous deux-là ?

- Tchip tu ne changeras jamais.

- T’as tout compris.


Elle continue de causer tout en prenant quand même les oignons et commence à
les éplucher.

- Ça fait drôle de te voir comme ça, en femme au foyer avec ta robe là. On dirait ta
mère.

Puis elle ricane bêtement, contente de sa blague.

- Je te pardonne. Pour rappel je reprends les cours bientôt donc je ne suis


certainement pas une femme au foyer. La différence entre toi et moi c’est que j’ai
un homme qui s’occupe de moi tous les soirs, tu vois.

- Haha, si c’est censé me faire mal c’est raté. En plus tu racontes des bobards,
avoue que tu pries tous les soirs pour que Lamine ne te touche pas.

- Ah non, ma chère, désolée. Au contraire, j’en redemande encore et encore.

- Mouai c’est ça.

- Non mais je suis sérieuse. Ok, les premières fois c’était dur mais maintenant j’ai
pris le goût hein. C’est booon.

Elle se tourne pour me regarder d’un air dubitatif mêlé de curiosité :

- Vraiment ?!

- Mais qu’est-ce que tu crois… ? Tu sais c’est quoi ton problème, en fait ? Tu ne l’as
jamais fait avec quelqu’un que tu aimes vraiment. C’est peut-être pour ça que tu
n’y prends pas plaisir.

Elle rabaisse ses yeux sur ses oignons sans répondre, l’air ailleurs tout d’un coup.
Puis elle change de sujet :

- Ta belle-mère passe toujours te voir ?

- Ah oui, très souvent. Je ne sais pas comment elle fait pour sortir autant sans que
le père de Lamine le sache. C’est elle qui m’a ramené ces poissons ce matin
justement, tout frais de la mer. Elle est adorable.

- J’avoue. C’est bien, t’as de la chance. Tu vois, je t’avais dit que tout se passerait
bien même si le vieux n’est pas d’accord... Au fait, n’oublie pas de prendre une fille
pour t’aider quand tu vas reprendre les cours, sinon tu auras du mal.

- Oui, oui, c’est prévu. J’en ai parlé à Lamine et il est ok.

- Bien sûr. Pourquoi il ne le serait pas ? S’il t’embête tu m’en parles ok. Je vais lui
régler son compte.

Je ris doucement. Cette fille est folle.

Mais sa remarque me fait penser à quelque chose :

- Non, il ne m’embête pas mais par contre je m’inquiète un peu pour lui.
- Qu’est-ce qui se passe ? Il a des problèmes ?

- Il souffre à cause de l’histoire avec son père, ça se voit de plus en plus.

- C’est normal. Mais ça lui passera.

- Je ne sais pas Abi. Il ne veut même plus en parler. A chaque fois que je lui pose
des questions sur lui, il me dit que tout va bien alors que je le vois bien embêté.
J’ai l’impression qu’il ne m’a pas tout dit dans cette histoire, qu’il me cache
quelque chose d’important.

- Déjà des cachotteries ? Tu ne crois pas que tu te fais des idées ?

- Peut-être, je ne sais pas... Bref. Et toi alors, t’en es toujours avec tes idées
stupides de vengeance là ?

- Ah non, ne parlons pas de ça stp. Tu ne comprends rien de toute façon.

- Ça c’est sûr que je ne comprends pas. Que tu perdes ton amie parce que tu as
des sentiments pour Majib aurait même été plus compréhensible pour moi que ce
que tu fais. De la vengeance ! Non mais tu te crois dans un film ? En tout cas, tu
joues à un jeu dangereux.

-…
- Tu crois que c’est ça qu’Anna aurait voulu ? Tu sais très bien qu’elle t’aurait
déconseillé de te conduire de la sorte.

- Justement, c’était ça son problème. Elle se laissait trop faire et regarde ce qui lui
est arrivé. Majib a joué avec elle alors qu’elle lui faisait confiance. S’il n’était pas
entré dans sa vie elle serait encore vivante.

- Comment peux-tu dire ça ? Je comprends que tu souffres mais c’est Dieu qui
décide quand quelqu’un doit mourir, pas Majib. Et puis comment tu peux savoir ce
qui s’est vraiment passé entre eux ? Tu n’y étais même pas.

C’est presque en criant qu’Abi me répond :

- J’étais là quand elle est revenue Maï. Elle me disait tout, on ne se cachait rien du
tout. J’étais là quand elle lui a dit qu’elle était enceinte et qu’il l’a traitée comme de
la merde. Je n’étais pas en France certes mais je suis témoin de tout ce qui s’est
passé après, donc je sais très bien de quoi je parle.

- Ok, raconte-moi dans ce cas. Je jugerai par moi-même.

- Non ! Je n’ai pas envie d’en parler ok. Arrête de m’embêter avec ça. Ni toi ni
personne ne me fera changer d’avis sur Majib. Il va regretter ce qu’il a fait. Pfff, je
n’aurais jamais dû te le dire.

- Pourquoi j’ai l’impression que tu veux le faire payer pour tous les maux du monde
? Et puis, que comptes-tu faire concrètement ? Le rendre amoureux de toi puis
l’abandonner ? C’est ça ta vengeance ? C’est stupide Abi.

- Mieux vaut que tu ne saches jamais ce que je vais lui faire. Laisse tomber Maï,
occupe-toi plutôt de ton mariage.

- Et toi tu devrais t’occuper d’arranger les choses avec Ndèye Marie au lieu de
rester là à faire je ne sais quel plan. Va lui dire la vérité sur Majib et Anna pour
qu’au moins elle comprenne un peu. Change un peu merde !

- Tu veux que je parte, c’est ça ?!

Découragée, je soupire en regardant sa tête de têtue. Ça ne sert à rien tout ce que


je lui dis de toute façon, elle n’entendra jamais raison. Cette fille est bornée et le
pire c’est qu’elle se croit plus intelligente que les autres. Des fois j’ai envie de faire
comme Ndèye et Virginie, et ne plus lui parler. Si elle se retrouvait seule
abandonnée de toutes elle finirait peut-être par comprendre…

Mais je ne peux pas faire ça. Déjà, c’est ma meilleure amie et j’ai besoin d’elle.
Mais surtout, je n’ai pas envie qu’elle souffre plus que ce qu’elle fait déjà. Ndèye
Marie et Virginie ne se rendent pas compte d’à quel point elle est malheureuse au
fond. Elles et moi avons nos familles, nos parents qui nous aiment, qui nous
suivent, nous conseillent. Abi, elle, n’a même pas sa mère, elle a grandi sans elle et
en souffre beaucoup plus qu’elle ne le dit. Ce n’est pas comme si elle était morte,
c’est pire, elle vit quelque part et ignore complètement sa fille. Déjà, au collège, je
voyais bien qu’Abi en souffrait... Puis le décès d’Anna est arrivé et ça l’a
complètement cassée. Elle s’est encore plus refermée sur elle-même et a
commencé à mener sa « guerre » contre les hommes.
Et là qu’elle a trouvé un bouc émissaire à ses malheurs, elle s’y accroche comme à
une bouée sans voir le danger qui la guette.

Je la regarde avec pitié puis lui dis une dernière fois :

- Ok, je n’en parle plus, ça ne sert à rien de toute façon. Mais fais attention à ne
pas tomber dans ton propre piège ma puce…

Elle ne me répond pas, ne sachant sans doute pas de quoi je parle mais moi je le
sais. Si je ne me trompe pas, Majib est le même homme dont elle me parlait il y’a
quelques semaines disant qu’il lui faisait ressentir des « choses ». Je pense qu’elle
commence à avoir des sentiments pour lui…

Finalement, en y réfléchissant, ce ne serait peut-être pas une si mauvaise chose.


Histoire à suivre…

En attendant, retour à mes problèmes. Il faut que je parle sérieusement à Lamine


ce soir. Abi a raison, je ne veux pas me casser la tête à m’inquiéter aussi tôt après
notre mariage. Mais comme je suis sûre qu’il me cache quelque chose, il s’agit de
lui faire m’avouer une bonne fois…

****************

****************

Pendant ce temps

***Lamine Cissé***

Je n’ai plus grand-chose à faire au bureau mais je ne suis pas prêt à rentrer. Il faut
que je me prépare mentalement à ce que je vais dire à Maï parce que ce sera un
choc pour elle. Elle croit que c’est l’histoire avec mon père qui m’embête mais ce
n’est qu’une partie de mes problèmes…

J’aurais voulu qu’elle ne sache jamais pour le reste mais c’était sans compter sur
Hadja. Je ne sais pas ce qui lui prend à celle-là tout d’un coup de me harceler de la
sorte. On était d’accord tous les deux pour ne jamais reparler de ce qui s’est passé
il y’a plusieurs semaines déjà, pour tous les deux c’était une erreur, un accident.

Et là, elle vient à moi la veille de mon mariage pour me raconter n’importe quoi.
J’ai halluciné ! Déjà que je ne comprenais pas pourquoi tout d’un coup elle voulait
coûte que coûte que j’annule le mariage mais alors je comprenais encore moins
qu’elle puisse mentir aussi effrontément alors que quelques jours plus tôt elle me
disait que tout allait bien pour elle. Moi qui pensais la connaître, qui la prenais
pour une innocente, une victime…

J’ai essayé de lui faire entendre raison mais elle a commencé à me faire des
menaces, voulant tout dire à tout le monde. Je n’y ai pas cru, elle ne pouvait pas
se rabaisser à ce point, je me disais. Ce n’était pas qu’à moi que cette nouvelle
pouvait nuire si elle se savait, mais aussi à elle. N’empêche j’étais resté inquiet
jusqu’à ce que le mariage se fasse. Après ça, je me disais qu’elle se résignerait vu
que j’étais déjà marié de toute façon.

Mais elle était quand même revenue à la charge, m’appelant plusieurs fois au
téléphone. Sur les premiers messages qu’elle m’a laissés, elle me suppliait pour
qu’on se voie, me disant que personne n’était obligée de savoir pour nous si
j’acceptais de l’épouser rapidement. Elle m’a fait rire. J’ai cru qu’elle était devenue
folle! Puis sur les messages suivants, elle ne suppliait plus, elle me menaçait
carrément.

Là elle a appelé tellement de fois aujourd’hui que je commence à craindre le pire.


Elle ne vas pas s’arrêter c’est sûr, elle ne va jamais me lâcher. Il faut que je fasse
quelque chose…
Bien sûr, je ne vais pas l’épouser, c’est ridicule. Donc la seule solution qui me reste
c’est de tout dire à Maï avant qu’elle-même s’en charge. Et ça, ce ne sera pas facile.
J’aurai beaucoup de mal à me faire pardonner même si c’est une erreur du passé.
En plus ça tombe hyper mal, on vient à peine de se marier enfin et je dois lui
annoncer une nouvelle qui va la faire souffrir. J’ai mal rien qu’à y penser…

N’empêche, je dois lui dire sinon ce sera pire de la bouche de Hadja. Elle verra sa
menace disparaître et arrêtera de me harceler.

Pour les autres, c’est stupide de sa part de penser que je crois sérieusement
qu’elle va leur dire. Elle sait très bien que ça lui fera beaucoup plus de tort à elle
qu’à moi, auprès de la famille, donc je ne m’en occupe pas.

Tout ce qui m’intéresse moi c’est Maï. Comment lui dire ?

******************

******************

***Maïmouna Bah***

J’entends sonner à la porte alors que je viens juste de raccompagner Abi. Elle doit
avoir oublié quelque chose.

Mais quand j’ouvre c’est la dernière personne que je m’attendais à voir qui se tient
devant moi. L’air un peu fébrile, elle me regarde :

- Bonjour. C’est Hadja la cousine de Lamine.

- Je te reconnais... Ça va ?

- Oui merci. Lamine est là ?


- Non, il n’est pas encore rentré. Qu’est-ce qui se passe ?

Elle soupire, semblant embêtée puis dit :

- Je peux l’attendre ? Je dois lui parler.

- Je ne sais pas quand est-ce qu’il finit Hadja et j’ai des choses à faire. De quoi
veux-tu lui parler ?

Elle croit quoi elle, que je vais la recevoir chez moi et discuter tranquillement avec
elle ? Non mais…

Elle ne réagit pas tout de suite à ma question et semble réfléchir puis répond :

- Je ne voulais pas en arriver là mais je suis obligée. Il ne répond à aucun de mes


appels et refuse de me voir. Tiens…

Elle me tend un papier que je prends avec précaution, de plus en plus étonnée.
Qu’est-ce qui se passe là ?

Elle reprend :

- Donne-lui ça stp. Il sera obligé de me croire… Pardonne-moi Maïmouna, je ne


voulais pas de tout ça mais je n’ai pas le choix. Stp, dis à Lamine de m’appeler pour
qu’on trouve une solution.

Puis elle tourne les pieds et part rapidement. J’ai envie de l’arrêter pour lui
demander des explications mais elle marche tellement vite que j’y renonce.
C’était quoi tout son charabia ?

Je referme la porte et rentre à l’intérieur, le papier à la main. Dois-je regarder ? J’ai


l’impression que quelle que soit l’histoire, ça me concerne. Sinon, pourquoi me
demander pardon ? L’inquiétude me gagne très vite.

Je vais poser le papier sur la commode de la chambre pour le remettre à Lamine


plus tard. Il m’en parlera lui-même. Je m’apprête à ressortir mais au moment de
refermer la porte, ma curiosité devient plus grande. C’est plus fort que moi, il faut
que je sache ce que c’est…

Je retourne sur mes pas et déplie lentement le papier. C’est un document


médical… Des résultats de tests ?

Je parcoure en diagonale les écritures sans les comprendre puis arrive à la fin.

Un choc si fort me saisit que je suis obligée de m’appuyer sur la commode pour ne
pas perdre l’équilibre. C’est quoi ça ?!

Je lis et relis pour comprendre…

Une grossesse ? Pourquoi ça parle de grossesse ?

Et pourquoi Hadja remet ça à Lamine ? MON Lamine ?!

Partie 21 :

***Lamine Cissé***

En rentrant chez moi, je trouve Maï dans la chambre assise sur le lit l’air absorbée.
Elle lève les yeux vers la porte en entendant du bruit. Content de la retrouver et
m’attendant à ce qu’elle vienne à moi comme d’habitude, je lui dis joyeusement :
- Ça va chérie ?

Une voix beaucoup moins accueillante que d’habitude me répond :

- Salut.

Elle ne fait aucun mouvement vers moi…

Inquiet, j’avance et m’assois à côté d’elle pour enlever mes chaussures.

- Qu’est-ce qu’il y’a ? Tu n’as pas l’air bien.

Elle se tourne et me regarde froidement. Ce regard et son mutisme me font


réaliser que quelque chose de sérieux se passe. Je ne l’ai jamais trouvée ici comme
ça et suis de plus en plus inquiet. Aurait-elle reçu des mauvaises nouvelles en mon
absence ? Je lui ai parlé il y’a moins d’une heure pourtant et tout semblait bien
aller…

- Maï ?

-…

- Qu’est-ce qu’il y’a ?

Elle garde encore le silence puis répond très calmement :

- Hadja est passée pour te voir.


- Hadja ? Ici ?

Une certaine panique me gagne instantanément. Ayant fini d’enlever mes


chaussures, je me redresse et tente de garder mon calme.

- Qu’est-ce qu’elle faisait ici ?

- Je te l’ai dit. Elle voulait te voir.

- Me voir ? Mais pour…

Le geste de Maï qui prend quelque chose sur le lit et me le tend me fait
interrompre ma question. C’est un papier…

Je le récupère prudemment.

- Qu’est-ce que c’est que ça ?

- Je ne sais pas. A toi de me dire. Elle m’a dit de te le remettre.

Un peu intrigué, je déplie le papier et me mets à lire… Je ne comprends pas.

Plus pour moi-même que pour elle, je pose la question à haute voix :

- C’est quoi ça ?

Maï répond en soupirant d’agacement :

- Tu ne sais pas lire ? C’est un test de grossesse. Et il est positif.


- Positif… Et en quoi ça me concerne ?

Je prie intérieurement pour que Maï ne remarque pas mon trouble. Mais elle me
regarde tellement fixement que je ne sais plus où me mettre surtout quand elle
répond :

- Ça, c’est plutôt à toi de me le dire.

Je replie le document et le laisse choir à côté.

Sérieux, à quoi Hadja joue ? Je ne comprends plus rien à ce qu’elle veut. Qu’est-ce
qu’elle cherche ? Jusqu’où ira-t’elle ?

Venir chez moi et remettre ça à ma femme. Qu’est-ce qu’elle va penser maintenant


? Elle ne croira jamais à mes explications !

Les coudes sur les genoux je me penche en posant mes mains sur les yeux pour
réfléchir. Je sens le regard de Maï sur moi, attendant des explications. A cet
instant, je regrette fort de ne pas lui avoir parlé plus tôt…

Elle respecte mon silence et ne dit rien, mais attend toujours.

Après de longues secondes, je suis obligé de me tourner vers elle et lui dis d’une
voix lasse :

- Bébé, je sais de quoi ça a l’air mais il faut que tu me croies. Hadja n’est pas
enceinte. Elle veut t’embrouiller c’est tout. Nous pourrir la vie, c’est ça qu’elle
cherche.

- Pourquoi ?
- Je ne sais pas. Je voulais t’en parler ce soir, tu dois me croire. La veille de notre
mariage, elle a tout fait pour que j’annule. Et depuis elle me harcèle, elle veut que
je…

Je m’arrête, hésitant à dire cette partie à Maï. Mais elle, toujours calme, me
pousse à continuer :

- Que tu quoi ?

-… Elle veut être ma femme. On dirait qu’elle est devenue folle.

- Je croyais qu’elle avait bien pris notre mariage. C’est ce que tu m’avais dit.

- Oui justement, c’est pour ça que je ne comprends pas. La veille du mariage, elle
est devenue une toute autre personne. Elle m’a demandé de ne pas t’épouser.

- Ok. Donc elle s’est levée un beau jour et a décidé juste comme ça de devenir ta
femme à ma place. Qu’est-ce qui lui a fait penser qu’elle pouvait l’être ? Et
pourquoi tu ne m’as rien dit ?

Je détourne la tête pour éviter son regard. Je ne veux pas tout lui révéler
maintenant, pas comme ça. C’est mal parti si elle croit que Hadja est enceinte…

Les mots sortent de ma bouche avec hésitation :

- Chérie, ne m’accuse pas sans savoir. Je vais t’expliquer mais je veux déjà que tu
comprennes que Hadja n’a rien.
- Je ne me souviens pas de t’avoir accusé de quoi que ce soit Lamine. Ma question
est, pourquoi tu ne m’as rien dit ?

- Je te le dis là.

Elle émet un petit rire mais je ne vois dans ses yeux aucune trace d’amusement. Je
n’aime pas du tout ce que j’y vois…

Elle me regarde comme si elle me voyait pour la première fois… Presque avec
dégoût…

Essayant visiblement de garder son calme, elle reprend :

- Pourquoi Hadja te remet ses résultats de test de grossesse Lamine. Qu’est-ce qui
s’est passé ?

- Ce document est un faux Maï!

- Ne m’énerve pas Lamine, ok ! dit Maï en haussant le ton. J’ai vu cette fille et elle
ne jouait pas la comédie. Donc arrête de dire que c’est faux ! Je te demande
simplement pourquoi elle te le donne à toi, compris?

- Calme-toi.

- Hey, ne me dis pas de me calmer. Tu ne peux pas m’avoir plus calme que je ne le
suis déjà. Je fais des efforts là alors ne pousse pas. Pourquoi elle t’a remis ça
Lamine ?! Pourquoi elle te donne ses résultats de grossesse ?
-…

- Je t’écoute !

Mû par un instinct d’autodéfense, je me lève brusquement du lit et commence à


me déshabiller :

- Quand tu voudras parler calmement, tu me fais signe.

- T’es sérieux ?!

J’ignore son ton choqué et continue de me déshabiller pour entrer ensuite dans la
salle de douche. Je ne peux plus être dans la même pièce qu’elle. Je ne sais pas
quoi dire…

***Maïmouna Bah***

Alors là c’est le pompon ! Donc c’est Lamine qui se fâche là… Non mais je rêve ! Il
se fâche ! Il ose se fâcher !

Tout de suite j’ai juste envie de prendre un sac, plier mes affaires et sortir de cet
appart. J’ai tellement la rage que j’en ai envie de pleurer. Est-ce que Lamine est
devenu fou ?

Je me lève rapidement et vais prendre mon portable avant de m’enfermer dans la


cuisine pour appeler Abi. Quand elle décroche, je suis incapable de lui parler
posément :
- Abi, je vais quitter Lamine.

- Quoi ? De quoi tu parles ?

- Je vais le quitter. Il a mis Hadja enceinte, Abi.

En disant ça pour la première fois, je ne peux plus retenir mes larmes de couler.
J’éclate carrément en sanglots. J’entends la voix alarmée d’Abi :

- Maïmouna, qu’est-ce que c’est que ça ? Qu’est-ce que tu me racontes là ? Calme-


toi Maï, parle-moi. Qu’est-ce que tu me dis ?

- Hadja est… sniff… elle est enceinte de Lamine… sniff… Elle est venue ici et m’a
remis son test de grossesse. Elle est enceinte Abi.

- Enceinte ?! Mais non, ce n’est pas possible. J’y crois pas, désolée. Tu t’es
forcément trompée. Hadja te l’a dit elle-même ?

- Elle n’a pas eu besoin de me le dire. C’était clair.

- Mo* ! Bon, où est Lamine ?

- Il est sous la douche. J’ai voulu qu’il me confirme mais il n’a même pas daigné me
répondre et m’a envoyée balader. C’est un cauchemar Abi, je vis un cauchemar…
sniff… je veux rentrer chez moi.
- Maï, déjà arrête de dire ça, si tu comptais vraiment partir tu l’aurais déjà fait. Toi-
même tu sais que ce que tu dis n’a pas de sens. Hadja ne peut pas être enceinte de
Lamine. Lamine a envoyé Hadja au diable pour être avec toi, donc dis-moi quelque
chose de censée mais pas ça… Bon, calme-toi et explique lentement tout ce qui
s’est passé.

Entre deux sanglots, j’essaie de me calmer tant bien que mal et explique à Abi ce
qui s’est passé depuis la visite de Hadja à peine une heure plus tôt. Quand je finis,
elle garde un instant le silence puis dit :

- Ma puce, essuie tes larmes. Cette histoire n’est pas claire. Attends de parler à
Lamine avant de tirer des conclusions hâtives.

- Mais j’ai essayé.

- Oui mais si tu lui criais dessus forcément, vous ne pouviez pas vous expliquer.

- Non, j’étais calme au début, vraiment calme, je voulais l’écouter d’abord. Mais lui,
au lieu de m’expliquer rapidement, il s’est mis à commencer à nier ce qui est
évident, le fait que Hadja soit enceinte. Ça m’a énervée.

- Mais et s’il croit vraiment qu’elle n’est pas enceinte ? C’est normal qu’il nie. Et
puis toi-même comment tu peux être sûre ? On peut faire dire n’importe quoi à un
document tu sais ?

- Non. Je l’ai vue Abi. J’ai vu Hadja, son expression, sa tristesse. Je peux te jurer
qu’elle est enceinte, je le sens.

- Tu n’en sais rien, tu ne la connais pas, tu ne sais pas de quoi elle est capable. Qui
te dit qu’elle ne jouait pas la comédie ? Bref, dans tous les cas attends les
explications de Lamine.

- Attendre ! Il est hors de question que je reste ici. Je retourne chez mes parents.

- Hé Maïmouna, écoute-moi bien maintenant. Va t’essuyer les yeux, assis-toi, reste


debout, tout ce que tu veux, mais ne quitte pas ta maison. Attends patiemment
que Lamine sorte et te parle. Il le fera. Je suis sûre qu’il te donnera des explications
claires.

- T’en es sûre ? Tu parles comme si pour toi il n’avait rien fait.

Je pose cette question avec au fond un petit espoir qu’elle me dise qu’en effet, elle
ne croit pas que Lamine m’ait trahie. Mais son silence dans les deux secondes
suivantes me fait comprendre qu’elle doute. Elle se reprend quand même vite :

- Je pense que tu ne devrais rien croire du tout alors que vous n’avez même pas
parlé. Alors fais ce que je te dis stp, ok ?

- Je ne sais pas Abi. Je ne sais pas quoi faire.

- Fais ce que je te dis. Calme-toi et attends-le, c’est tout. Tu me rappelles après


quand vous avez fini, d’accord.
- Ok.

- Bon, à tout à l’heure. Et quel que soit ce qu’il te dit, stp, appelle-moi avant de
dire ou faire quoi que ce soit de ton côté.

- Ok. Ciao.

Je raccroche et reste dans la cuisine quelques minutes de plus le temps de me


calmer et de trouver du courage pour aller affronter Lamine. J’essuie mes larmes
et fais passer de l’eau fraiche sur mes yeux pour qu’il ne sache pas que j’ai pleuré.

Quand je vais dans le salon, Lamine n’y est pas encore. J’allume la télé et m’assoie
en face, pour me mettre à regarder une émission sans même savoir de quoi ça
parle. Ma tête est ailleurs. Le pressentiment que j’ai dans mon cœur est si fort qu’il
en est douloureux. Par moments, je sens ma main trembler.

Oh Allah, pourvu que j’ai tort. Pourvu que Hadja ne soit pas enceinte de Lamine.
Ce n’est pas possible que ça m’arrive à moi. Pas possible ! Qu’est-ce que Lamine a
fait ? Parce que si je suis sûre d’une chose c’est qu’il se sent coupable. Je l’ai vu à
sa réaction tout à l’heure, à son regard qui m’évitait. En plus il dit qu’il comptait
me parler, mais de quoi ? Non, non je ne peux pas y croire.

Les larmes menacent à nouveau de couler quand, remarquant la présence de


Lamine dans la pièce, je me reprends vite sans me retourner pour le regarder, les
yeux fixés sur l’écran.

Il va me parler. Je vais me calmer, il va me donner une bonne explication et ça va


me rassurer.

Lamine s’assoit tranquillement sur le canapé loin de moi, comme si de rien n’était.
Je ne le regarde toujours pas. Il voit bien que je suis calme alors il peut me parler.
Mais non. Il se penche tout simplement pour saisir la télécommande sur la table
avant de changer de chaine. Il regarde la télé !!

Ahurie mais trop fière pour me retourner, j’attends qu’il se décide à m’adresser la
parole mais ça ne vient pas. Au bout d’un moment, ne pouvant plus le supporter,
je me lève brusquement et passe devant lui pour retourner dans ma chambre.

Je me jette sur le lit et pleure toutes les larmes que je retenais. Je sais qu’il m’a
trompée, je le sais. Il sait que je sais et il ne fait rien. Il devrait être en train de me
supplier de l’écouter, se trainer à mes pieds même si je crie ou l’insulte. Au lieu de
ça, il me fait la tête.

Au fond, je ne crois pas que Hadja soit enceinte, non ce n’est pas possible. Mais à
coup sûr quelque chose s’est passée entre eux. J’espère juste qu’il n’a pas couché
avec elle pour venir me mentir ensuite. S’il a fait ça ! Mon Dieu si Lamine m’a fait
ça !!

La porte de la chambre s’ouvre soudainement et je retiens un sanglot de sortir. Le


visage détourné et caché derrière mon bras, j’essaie de dissimuler à Lamine l’état
dans lequel je suis. Il vient s’assoir sur le lit, à côté de mes pieds, puis me touche
en disant doucement :

- Lève-toi stp. Je vais tout t’expliquer.

Je reste quelques instants sans réagir puis, me souvenant des conseils d’Abi, je me
lève lentement et m’assois dos sur l’oreiller pour rester le plus loin possible de lui.

Puis je le regarde, prête à entendre ce qu’il a à me dire.

***Lamine Cissé***
Tout a commencé il y’a moins de trois mois, en juin, quand en rentrant du boulot,
j’ai entendu quelqu’un pleurer alors que je marchais sur le couloir menant à ma
chambre. Le bruit venait de la chambre de Hadja. Je retournai sur mes pas et
toquai à la porte.

Elle me répondit d’une voix qui essayait de cacher sa tristesse :

- Oui, entrez.

Dès qu’elle me vit, elle se redressa rapidement pour s’assoir en s’essuyant les yeux.

- Lamine… ça va ?

- C’est plutôt à moi de te poser la question. Tu pleures ?

- Euh, je suis un peu malade. Désolée je ne savais pas qu’il y’avait quelqu’un dans
la maison.

- Je viens de rentrer.

Ne croyant pas du tout à son explication, je m’avançai vers elle pour la regarder de
plus près.

- Qu’est-ce qui se passe ? On t’a fait du mal ?

- Ah non, tout va bien je t’assure.


Je lui dis sur un ton de sermon :

- Hadja…

Elle hésite puis, semblant incapable de se retenir encore, elle se remet à pleurer,
ramenant ses mains sur son visage pour se cacher. Je me dis qu’elle devait être
bien malheureuse tellement elle pleurait amèrement. Impuissant devant sa
douleur, je posai mon sac sur le sol et m’assis à côté d’elle en posant ma main sur
son dos. J’essayai de la calmer, lui disant que tout irait bien même si je ne savais
pas pourquoi elle pleurait. Au bout de plusieurs minutes, elle se calma enfin mais
semblait toujours aussi triste. Je l’invitai alors à me parler :

- Dis-moi ce qui se passe. Tu peux me faire confiance, je suis ton grand-frère.

- Rien Lamine, c’est juste que je suis fatiguée ! J’en ai assez qu’on essaie de diriger
ma vie.

- Ah… Tu parles du mariage qu’on veut nous imposer ?

-…

- Hadja, rassure-toi. On ne va pas se marier, ok… Je suis surpris quand même, je


pensais que toi t’étais pour.

- Lamine, ce n’est pas contre toi, tu as tout ce qu’il faut. C’est juste que…

La voyant s’arrêter l’air honteuse, je souris, amusé, puis lui dis :


- Tu n’as pas besoin d’expliquer pourquoi tu ne veux pas m’épouser Hadja. Je ne
t’en veux pas, au contraire ça me rassure parce que j’avais peur de te faire de la
peine en refusant. Ne t’inquiète pas du fait que je te sors souvent, que je me
rapproche de toi. C’est juste pour rassurer mon père. Mais tu le sais déjà je pense,
j’aime une autre fille et c’est elle que je veux épouser.

- Oui, je sais.

- Alors fais-moi confiance. On ne se laissera pas faire. Personne ne décidera de


notre vie à notre place d’accord ?

Elle hocha la tête, l’air plus calme mais je voyais dans ses yeux qu’elle n’était pas
vraiment rassurée. Je me souviens m’être dit qu’elle ne me disait pas tout mais
l’essentiel était qu’elle arrêtât de pleurer.

Je lui demandai encore une fois :

- Bon, tu me promets de ne plus pleurer maintenant ?

Elle émit un petit rire en répondant :

- Oui.

- Ok, je suis rassuré alors. Allez, je te laisse.

Le week-end suivant, j’étais dans ma chambre vers 23h et venais juste de


raccrocher avec Maï. J’étais resté très peu de temps avec elle au téléphone quand
j’ai vu qu’au lieu de me dire les mots que je voulais entendre ou de s’excuser
proprement pour notre dispute survenue plusieurs semaines plus tôt, elle
préférait faire comme si de rien n’était ou pire des reproches.

Bref, je ne vais pas chercher d’excuse, je n’étais juste pas en forme ce soir-là…

Quand Hadja toqua à ma chambre et que je l’invitai à entrer, je fus un peu surpris
au début. Mais en voyant le plateau qu’elle tenait, je compris. Elle avait pris
l’habitude de me faire des petites attentions depuis qu’on s’était rapproché l’un de
l’autre, m’emmenant à boire ou à grignoter quand je m’isolais dans ma chambre.
J’étais donc plus reconnaissant qu’autre chose. Elle vint vers moi en disant :

- On a fait des beignets tout à l’heure et ça c’est du lait caillé. J’en ai préparé pour
tout le monde. Tiens.

- Hum, merci. Répondis-je en prenant le verre qu’elle me tendait.

Elle sourit et s’apprêta à sortir quand je lui dis :

- Alors, ça va mieux maintenant depuis mercredi ?

- Oui, ça va.

Puis elle resta debout un instant l’air pensive, avant de dire :

- Merci Lamine, t’es vraiment gentil.

- Y’a pas de quoi… N’hésite pas si t’as envie de parler d’accord ? Je sais que ta
famille doit te manquer mais c’est bien que tu sois ici, tu pourras faire les études
que tu veux. Alors tu es partie t’inscrire ?
- Pas encore, mais j’ai pris les documents. D’ailleurs en parlant de ça, je ne suis plus
sûre de quoi choisir finalement. J’ai vu ce que proposait l’école et maintenant
j’hésite. Peut-être que tu peux m’aider à choisir ?

- Bien sûr.

Avant que je l’invite à s’assoir, elle s’installa sur le lit et commença un échange qui
dura jusque tard, partant de ses études à bien d’autres sujets différents. J’aimais
bien parler avec elle, je la trouvais intéressante et au fond j’avais envie d’un peu de
compagnie. Maï me manquait beaucoup et nous ne nous étions toujours pas
complètement réconciliés au point d’avoir d’aussi longues et agréables
conversations.

Mais en ce moment-là, si j’avais su ce qui allait se passer ensuite, je pense que je


lui aurais demandé d’aller se coucher dès le début. De fil en aiguille, la soirée
avançant, un peu grisante, le bien-être, la complicité, nous nous étions rapprochés
l’un de l’autre sans que je n’y fasse attention et mis à nous embrasser longtemps
au point d’aller jusqu’à un flirt très poussé. Je ne saurai pas dire ce qui s’est passé
dans ma tête durant tous ces instants. Honnêtement, je ne sais pas...

Tout ce que je sais c’est que je regrette. Et je regrette d’autant plus le fait que je
me suis réveillé plus tard en pleine nuit découvrant avec surprise Hadja allongée et
endormie à côté de moi.

Un peu paniqué, je me souvins de ce qui s’était passé entre nous et la réveillai


immédiatement pour lui demander d’aller se coucher dans sa chambre.

Deux jours plus tard, je la pris à part pour m’excuser et lui expliquer avec tact que
ce qui était arrivé ne signifiait rien et qu’il fallait qu’on oublie. Elle était
complètement d’accord et semblait même soulagée. Ce qui fait que je n’arrive pas
à comprendre le revirement de situation qui a eu lieu deux mois plus tard, à la
veille de mon mariage.

Je suis sûr que pour Hadja, cet épisode était une erreur comme pour moi au
moment où on en a parlé la première fois. Alors que s’est-il passé entre temps qui
l’ait fait changer à ce point ?

Et surtout pourquoi elle cherche à me mettre une grossesse sur le dos ? Je n’ai
jamais couché avec elle !

***Hadja Koita***

Je n’arrête pas de regarder mon téléphone, attendant l’appel de Lamine. Il va


m’appeler, il faut qu’il m’appelle. Il doit avoir vu le document là, et sa femme sait
maintenant aussi. Je n’ai pas eu le choix, il fallait que j’accélère les choses parce
que Lamine ne voulait même pas engager la discussion avec moi. Quel choix avais-
je sinon lui forcer la main ?

Je n’ose même plus sortir de ma chambre de peur que quelqu’un remarque que je
suis enceinte. Je sais bien que ça ne se voit pas encore, c’est trop tôt mais on ne
sait jamais. Y’a certaines femmes qui repèrent facilement cet état avec une simple
observation. Il ne faut pas qu’on sache pour moi sinon je suis morte ! Mes parents
vont me tuer !

Non, il faut que Lamine m’épouse. Il faut qu’il m’épouse très rapidement. Je ne lui
laisserai pas le choix…

Partie 22 : Qu’elle aille au diable !

***Abibatou Léa Sy***


En ouvrant ma porte, je vois Maïmouna les yeux rougis par les larmes. Elle se
remet à pleurer dès que je la regarde. Ma réaction immédiate est de lui tirer la
main pour qu’elle entre avant de refermer la porte.

Puis je lui demande :

- Maï, qu’est-ce qui se passe ?

- J’avais raison, répond-t’elle la voix brisée.

Oh, non. J’espérais me tromper pour une fois. Lamine a donc vraiment fait ça ?

Ce n’est même pas le fait qu’il ait été avec une autre fille qui me choque, car ce
dont je suis sûre c’est que ce n’est pas la première fois, aucun homme ne peut
rester toutes ces années sans sexe. Mais pourquoi avec Hadja ? Avec n’importe qui
d’autre, ça aurait fait moins de mal à Maï qu’avec Hadja.

Sur le coup, je ne sais quoi faire d’autre que l’inviter à s’assoir :

- Viens.

Elle s’exécute, triste comme jamais. Ça me rappelle trop de mauvais souvenirs…

Je la laisse pleurer un bon moment dans mes bras. Quand je réussis à la calmer
enfin, je lui demande de me raconter ce que Lamine lui a dit. En l’écoutant me
détailler les faits je me rends compte qu’elle n’a pas l’air de croire quand il dit ne
pas avoir couché avec Hadja.

Moi, j’ai des doutes… Pourquoi Lamine raconterait seulement une partie de la
vérité ? Il fait déjà mal à Maï de toute façon, qu’il ait couché avec elle ou non ?

Je lui pose directement la question :

- Tu crois qu’il ment ?


- Bien sûr… sniff... Elle est enceinte. Comment serait-elle tombée enceinte s’ils
n’avaient pas couché ensemble ?

- Tu es sûre qu’elle est enceinte ?

- Oui… Plus j’y pense plus j’en suis convaincue. Je l’ai vue… Elle ne mentait pas.

- Mais elle peut être enceinte de quelqu’un d’autre.

- Comme elle peut l’être de Lamine… Oh mon Dieu, Lamine… Mon mari… Ils vont
avoir un enfant ensemble Abi, tu te rends comptes ? Lamine attend un enfant avec
une autre femme que moi. Mon Dieu, qu’est-ce que je vais devenir ?

- Maï, tu vas trop vite.

- Je ne peux pas rester dans ce mariage Abi. Je ne pourrai pas supporter ça,
jamais… sniff.

- Bien sûr que tu vas rester dans ce mariage. Ce n’est même pas une option Maï, tu
DOIS rester dedans.

- Et supporter que mon mari ait un enfant ailleurs ? Et puis quoi, il va l’épouser et
elle deviendra ma coépouse. C’est ça que tu veux ?
- N’exagère pas tout, Lamine n’épousera jamais cette fille.

- Qu’est-ce que t’en sais ? C’est sa cousine, tu crois que sa famille va lui laisser le
choix ? Et même s’il ne l’épouse pas, ça ne change rien pour moi. Ils auront quand
même un enfant ensemble.

- Je trouve qu’il y’a trop d’incertitudes dans cette histoire pour que tu tires des
conclusions aussi rapides au point de penser à divorcer. On doit faire attention,
prendre notre temps et voir comment les choses se passent. Dans tous les cas, ce
serait trop facile que tu laisses ton mari à cette fille. Ne lui donne pas cette
satisfaction.

- Mais je m’en fous, elle n’a qu’à le prendre. Je ne veux plus de lui de toute
manière.

- Tu ne penses pas ce que tu dis.

- Si, je le pense ! Je ne veux même plus le voir… sniff… Je reste ici.

- Maï…

Elle ne m’écoute pas et continue à pleurer, les mains couvrant ses yeux mouillés de
larmes. Je me lève pour chercher des mouchoirs et viens me rassoir tout près
d’elle pour essuyer son visage.
Put*** Lamine m’a déçue !

Donc finalement, il n’y a pas d’exception quoi. Aucune ! Ils trouvent le moyen de
faire mal même aux femmes qu’ils aiment. Voir Maï pleurer aussi amèrement à
cause de Lamine, le seul en qui je faisais presque confiance, me fait réaliser
qu’aucun d’entre eux ne mérite la moindre pitié. Il n’y a pas de différence entre
eux en fait, que des variantes. Il s’agit juste d’en choisir la moins pire…

A ce stade, j’espère juste que Lamine n’a pas continué de mentir en disant que cet
enfant n’est pas de lui. Parce que si c’est vraiment lui le père, s’il a mis enceinte
Hadja, il deviendrait encore pire que ce que je pense déjà de lui. Non seulement ça
voudrait dire qu’il a effrontément menti à sa femme, mais surtout renier son
enfant est l’une des pires choses qu’un homme peut faire.

Alors que Maï pleure encore, j’entends mon téléphone sonner. C’est Lamine. Je ne
décroche pas, si je lui parle maintenant je ne vais pas mâcher mes mots et je
préfère éviter. Il s’agit du mari de mon amie, je ne veux pas lui manquer de respect
surtout devant elle.

Quelques minutes plus tard, en allant seule dans la cuisine pour préparer quelque
chose à Maï qui, avec tout ce qui s’est passé, n’a eu le temps de rien manger, j’en
profite pour envoyer un message à Lamine, lui disant que Maï est chez moi et qu’il
vaut mieux qu’il la laisse tranquille. Si je fais ça, ce n’est pas du tout pour le
rassurer lui, au contraire j’ai envie qu’il panique bien même. Je fais ça juste pour
m’assurer qu’il ne vienne pas vérifier chez moi parce qu’il en serait capable.

Son temps viendra, je lui parlerai. Pour le moment, je dois m’occuper de ma


copine. Une bonne douche, un bon lit et elle oubliera tout ça jusqu’à demain.

En attendant, moi je vais réfléchir à comment approcher cette Hadja…

***Lamine Cissé***
Je me gare à deux rues de chez mes parents et appelle Hadja en lui indiquant où je
suis pour qu’elle me rejoigne.

Elle arrive quelques minutes plus tard et entre dans la voiture.

- Bonsoir Lamine.

Je ne passe pas par quatre chemins et lui dis sèchement :

- Toi, a quoi tu joues ? Qu’est-ce qui te permet de venir chez moi sans être invitée
et pire mentir à ma femme ?

- Je voulais te voir. Tu refuses de répondre à mes appels… Et je n’ai pas menti à ta


femme.

- Tu lui as dit que tu es enceinte de moi !

- Je ne lui ai rien dit du tout. Je lui ai juste remis mes résultats de test pour qu’elle
te les donne. Ce n’est pas de ma faute si elle est curieuse.

- Eh Hadja, écoute-moi bien. La plaisanterie a assez duré. Tu vas arrêter tes


mensonges dès maintenant et tu vas nous oublier Maï et moi, compris ? Et la
prochaine fois que je t’entends lui manquer de respect, je te promets que tu le
regretteras.

- Quels mensonges ? Je ne mens pas Lamine, je suis enceinte ! T’en as la preuve


maintenant, qu’est-ce que tu veux de plus ? Je t’avais dit de ne pas l’épouser et tu
l’as fait quand même. Si tu m’avais écoutée, ça lui aurait fait moins mal, au moins
elle ne se retrouverait pas piégée dans ce mariage et pourrait refaire sa vie.

- Mais t’es complètement folle toi. Qu’est-ce que j’en ai à foutre que tu sois
enceinte ? Si tu l’es vraiment comme tu le dis, va plutôt faire chier le père de ton
enfant et laisse-nous tranquilles. J’ai déjà assez de problèmes comme ça à cause
de toi.

- Mais tu ES le père. Je n’ai couché avec personne d’autre que toi.

Là, je vois rouge. La colère grandit en moi à une vitesse grand V. Je suis obligé de
me tenir immobile pour ne pas être tenté de lui filer une bonne gifle. Je ne veux
même pas la regarder afficher son air d’innocent incompris, ça m’énervera encore
plus. Maintenant, j’ai la preuve que ce n’est rien d’autre que de la comédie.

Je me laisse assez de temps pour me calmer et me tourne à nouveau vers elle, lui
demandant avec toute la patience dont je suis capable :

- Hadja, qu’est-ce tu veux ? De l’argent ? De l’aide ? Un médecin pour soigner ta


tête ? Parce que soit tu deviens folle, soit tu as vraiment besoin de quelque chose
et tu ne sais pas comment l’avoir autrement qu’en me pourrissant la vie.

- Je te veux toi. Il faut que tu m’épouses Lamine.

- Je suis sérieux Hadja. Dis-moi ce que tu veux et je t’aiderai. Promis.

- Lamine, tu sais ce que mes parents me feront s’ils apprennent que je suis
enceinte de toi ? Ils vont me tuer ! On peut se marier avant qu’ils le découvrent.
Personne ne saura. C’est pour me marier avec toi que je suis venue à Dakar de
toute façon.

- Mais JE SUIS MARIE Hadja ! J’ai une femme, tu comprends ça ? Et même si je n’en
avais pas, je ne veux pas de toi. Je ne t’aime PAS, tu ne me plais PAS ! C’est clair
ça ?

Elle se met tout d’un coup à chialer comme un enfant. Mademoiselle joue la
victime maintenant ! Dire que j’ai eu pitié d’elle la première fois que je l’ai vue
pleurer. Là j’ai presque envie de rire… sauf que je n'en ai pas envie.

Elle en rajoute en se plaignant :

- Si tu ne m’aimais pas, t’aurais pas dû me toucher Lamine… sniff... Tu m’as


trompée, je pensais que tu…

- C’était un moment de faiblesse que j’ai immédiatement regretté. Je me suis


excusé pour ça tu te rappelles ? Et tu m’as dit qu’il n’y avait pas de problèmes !

- Mais je suis enceinte maintenant. Je dois faire quoi moi, comme si rien ne s’était
passé ? C’est impossible !

- Mais tu enceinte de quiiiii ??!

- De toi Lamine, je dois te le dire combien de fois ?

J’hallucine. J’observe Hadja, essayant désespérément de comprendre, de trouver


les mots… Finalement, j’en ai assez. Elle n’a qu’à dire ce qu’elle veut, je vais
m’occuper de convaincre Maï seulement. Elle là, y’a rien à faire.

Résigné, je me tourne sur mon siège et mets la voiture en marche en lui disant :

- Sors.

- Mais… on fait quoi ? La grossesse va se voir bientôt Lamine.

J’inspire fort pour me maîtriser tellement elle m’énerve. Mais elle persiste de sa
voix plaintive :

- Lamine, si tu ne m’épouses pas je vais avorter. Je n’ai pas le choix, je…

- SORS !!

Je crie tellement fort qu’elle sursaute en reculant sur le siège puis se précipite pour
ouvrir la porte et sortir. Dès qu’elle est dehors, je démarre en trombe, furieux.
Qu’elle aille au diable !

***

Une heure plus tard, je suis assis chez moi devant l’assiette que je me suis servi du
dîner qu’a préparé ma femme. Mais, le cœur encore lourd, j’y ai à peine touché.
Dire qu’on pourrait être ensemble là, en ce moment même à causer et rire, mais
qu’à cause de cette folle d’Hadja, Maï est chez son amie sûrement en train de
pleurer en me maudissant. Je déteste Hadja de nous faire ça, on n’est même pas à
un mois de mariage bordel ! Et si Maï ne me refait jamais confiance ? Elle risque de
croire que je suis capable de la tromper même en étant mariés. Ou, pire, que j’ai
vraiment engrossé Hadja.

Alors que je sais que je ne pourrai jamais la tromper. Si je l’ai fait avant, c’est parce
que j’en ai eu besoin, ça n’a rien à voir avec maintenant. Maintenant, j’ai tout ce
dont je peux rêver.

Mon téléphone dans la main, j’ai envie de l’appeler pour lui parler, essayer encore
de la convaincre ou à défaut la consoler un peu, lui montrer que je suis là. Mais je
ne suis pas sûr que ce soit le mieux pour apaiser la tension. Il vaut peut-être mieux
que je lui laisse de l’espace ce soir, comme Abi l’a dit. Demain il faudra bien qu’elle
revienne…

En me repassant le film de la soirée dans ma tête, je me souviens des derniers


mots d’Hadja. Je commence à croire qu’elle est vraiment enceinte… Mais alors, qui
lui a fait ça ? Parce que je ne suis pas fou quand même, je sais que je n’ai pas
touché Hadja. Ok, je l’ai trouvée dans mes bras en me réveillant cette nuit-là mais
je ne me souviens de rien d’autre qui s’est passé à part qu’on est allé assez loin… Je
suis sûr que je n’ai pas couché avec elle…

…?

Non, non, je ne dois pas laisser cette folle me mettre le doute. Ce n’est pas
possible que j’oublie une chose pareille, je ne suis pas amnésique merde ! Hadja
joue tellement bien la comédie qu’elle réussit à me faire douter même de moi. Pas
étonnant que Maï la croit.

N’empêche, aussi garce qu’elle soit, je ne peux pas la regarder faire une bêtise
aussi énorme que de mettre fin à sa grossesse s’il y’en a bien une. Je ne ferai
jamais ce qu’elle suggère alors je n’ai pas le choix. Il faut que j’en parle à quelqu’un
qui puisse l’aider.

Je choisis un numéro dans ma liste de favoris que j’appelle.


- Allô Lamine ?

- Bonsoir maman, ça va ?

- Oui. Il se passe quoi pour que tu appelles à cette heure-ci ? Maï va bien ?

- Maman, il faut que je te parle de quelque chose de très important. Tu es seule ?

Ça va être difficile mais je n’ai pas le choix. Je vais lui dire toute la vérité…

***********************

***********************

Quelques semaines plus tard

***Ndèye Marie Touré***

Allongée sur le ventre dans la chambre de Boris, je parcoure des yeux un magazine
de beauté noire que j’aime particulièrement, en attendant que lui finisse sa
douche. C’est le début du week-end et on va aller voir un film ce soir. Je n’avais pas
de cours cet après-midi et ai rejoint Boris à son boulot, mais monsieur a tenu à ce
qu’on passe d’abord chez lui pour qu’il se change.

Plongée dans ma lecture, je ne l’entends pas entrer dans la chambre et sursaute


légèrement quand un doigt frais me caresse le cou en repoussant mes cheveux.
Boris s’allonge à côté de moi, s’appuyant sur son coude. Seulement couvert de sa
serviette autour des reins, le corps frais dégageant une délicieuse odeur de gel
douche, il me caresse tendrement le cou et la nuque tout en jetant un œil sur le
magazine.

- C’est qui ça ?

Troublée par sa proximité et son toucher, je mets deux secondes à réaliser de quoi
il parle quand mes yeux quittent son torse pour se poser sur l’image qu’il regarde
dans le magazine.

- Ça ? Je te présente Boris Kodjoe. L’homme le plus beau de la terre. Tu ne le


connais pas ?

- Eum… sa tête de looser me dit quelque chose.

- Haha, jaloux va !

- Jaloux ? Attends, tu m’as regardé ? Ce mec ne m’arrive pas à la cheville ! Regarde,


regarde-moi… Regarde comme je suis beau.

Il s’est levé et se met à faire devant moi des parodies de pauses photos comme
dans les magazines avec des expressions du visage tellement drôles que je me
retiens difficilement d’éclater de rire.

Jouant au charmeur, il me demande en haussant le sourcil :

- Alors ?
- Mmouai…

- T’es pas convaincue ?! Ben, regarde ça alors. Regarde mes pecs.

Et il se met aux pauses de bodybuilders. Ah non, là je n’en peux plus, j’éclate de


rire !

Il essaie de faire le ridicule, ce qui marche bien, mais il ne se rend pas compte à
quel point il est à croquer en même temps.

Me voir rire l’encourage à en faire plus. Il se met à danser.

- Tu crois qu’il sait faire ça ton Kodjo machin là… hein ? Regarde… coupé…
travaillé… coupé…

Noon ! Je n’en peux plus. Je ris tellement que je me tiens les côtes. Boris se
balance, fait des mouvements de pied, tourne sur lui-même en bougeant ses
fesses, se penchant, se relevant, sans oublier de retenir sa serviette de tomber.

- Alors, convaincue ? T’en veux encore ?

- Non, non… haha ! C’est bon babe… convaincue.

- Je préfère.

Sans prévenir, il se penche sur moi et me donne un bon gros bisou sur les lèvres.
Hum ! Je n’en ai pas assez. Je le retiens en entourant son cou de mon bras, ce qui
le pousse à s’allonger à nouveau. Nous nous retrouvons l’un contre l’autre, serrés
dans une étreinte passionnée. Au fur et à mesure qu’on s’embrasse, la
température monte très vite. Ses muscles durs collés à ma poitrine et son baiser
langoureux me font perdre la tête. J’y réponds avec fougue et le sens lui-même de
plus en plus excité. Le magazine, Boris Kodjoe, le cinéma, tout est oublié. Je veux
juste le sentir un peu plus, sentir sa peau contre la mienne… Je sais qu’il veut la
même chose et suis impatiente de sentir ses mains soulever mon pull pour s’y
glisser. Je veux tellement sentir sa peau…

Mais comme d’habitude, il se retire avec douceur et me dit en chuchotant :

- Je dois sortir bébé… Vite fait, j’ai oublié de faire une petite course importante.

Prise au dépourvu, je réponds en bégayant :

- Une… course ? Mais…

Il pose un rapide baiser sur mes lèvres puis se lève précipitamment pour se diriger
vers le placard. Retrouvant un peu mes esprits, je lui demande :

- Et le cinéma ?

- Je ne vais pas durer, t’inquiètes. Je vais au supermarché à 3 minutes seulement


d’ici.

- Je viens avec toi alors.

- Mais non, ça va nous retarder. A tout de suite.


Il prend son jean et un pull puis sort rapidement comme s’il fuyait. Pourquoi il ne
s’habille pas ici ? Et pourquoi il ne me dit pas ce qu’il va acheter ?

… Ok, je crois avoir compris. Au fond, je pense que le fait que je sois l’ex de son
meilleur ami dérange plus Boris qu’il ne le dit. J’ai remarqué qu’il ne veut jamais
aller trop loin avec moi, ce qui, je le sais, n’est pas son genre, bien au contraire.
Mais finalement, ce n’est pas plus mal qu’il ait plus de maîtrise que moi. Je lui en
suis même reconnaissante car moi non plus je ne veux pas aller trop vite. Le souci
c’est qu’à chaque fois que je suis dans ses bras, je range ma tête dans un tiroir,
incapable de réfléchir.

A peine quelques minutes après que Boris soit parti, j’entends sonner à la porte. Il
revient vite, sans doute a-t ’il oublié ses clefs. Je sors de la chambre et vais lui
ouvrir pieds nus.

Mais… ce n’est pas Boris que je vois devant moi. Merde, j’aurais dû regarder dans
le judas avant d’ouvrir.

C’est Majib. La dernière personne au monde que je souhaitais voir. Il me regarde,


l’air pas surpris de me voir lui.

- Salut Ndèye.

Je lui réponds sèchement :

- Boris est sorti.

- Je sais, je viens de l’avoir. Il m’a dit de l’attendre.

Puis il entre sans attendre de se faire inviter. Le culot…


Alors qu’il passe devant moi, j’hésite entre lui claquer la porte sur la figure ou
récupérer vite mes chaussures, mon sac et partir.

Mais non …

Non, non, je ne vais pas lui donner la satisfaction de croire que j’en ai encore
quelque chose à faire de lui. Il ne mérite même pas ma colère.

Décidée, je le suis dans le salon pour m’installer confortablement sur le canapé


avant d’allumer la télé, alors que lui s’est assis sur un siège. C’est la première fois
que nous nous retrouvons seuls dans la même pièce depuis notre rupture.

L’occasion de lui montrer que je suis à l’aise dans l’appartement de son meilleur
ami… et dans quelques minutes, quand Boris reviendra, Majib découvrira que je
suis encore plus à l’aise dans les bras de son meilleur ami.

Juste histoire qu'il sache à quel point ça fait mal…

Partie 23 : Elle joue la comédie

***Boris Suleyman Hannan***

Si j’espérais un peu que la discussion s’engage d’elle-même entre Ndèye Marie et


Majib, c’est raté. Malgré tout le temps que j’ai passé dehors exprès, je les retrouve
chez moi agissant comme de parfaits inconnus. Me voyant entrer dans le salon,
Ndèye Marie fait un grand sourire et se lève pour venir à ma rencontre alors que je
salue Majib. Elle m’enlace en posant ses lèvres sur les miennes.
- T’es rentré !

Surpris par son accueil plus qu’enthousiaste, je l’observe un peu avant de répondre
:

- Ben, je n’étais pas loin.

- Oui mais t’as duré ! Tu me manquais moi.

Gêné, je regarde Majib par-dessus Ndèye Marie qui a toujours les bras autour de
mon cou. Il n’a pas l’air de faire grand cas de la scène heureusement. J’avance un
peu vers lui obligeant ainsi Ndèye Marie à se détacher.

- Maj.

- Yep man, t’es de retour ?

- Oui, ça a duré, y’avait du monde... Alors vous faites quoi de beau ?

Je m’assoie sur le canapé suivi par Ndèye Marie tandis que Majib répond :

- Rien de spécial. J’ai juste suivi une émission très intéressante avec Ndèye. Fashion
Police !

- Fashion quoi ?! T’es sérieux ?


Ironique, Majib répond :

- Ben quoi, y’a un problème ? On se marre bien n’est-ce pas Ndèye ?

- Uhun… Babe on ne devait pas sortir ?

Venue se blottir contre moi, c’est tout ce que Ndèye trouve à répondre à la
plaisanterie de Majib qui n’a d’autre but que de briser la glace entre eux. C’est
dommage parce que je commence à en avoir assez de cette situation où je dois
mettre une séparation nette entre la relation que j’ai avec mon meilleur ami et
celle que je vis avec ma petite amie. D’autant plus qu’on était tous les trois
ensemble avant. C’est pour changer ça que j’ai proposé à Majib de passer ce soir.
J’ai menti en prétendant sortir pour faire des courses. Leur rupture date de
plusieurs mois maintenant et même si je comprends tout à fait que Ndèye en
veuille encore à Majib, ce n’est pas en ne se voyant et ne se parlant jamais que les
choses vont s’arranger un jour. Il ne faut pas se presser bien sûr, ce ne sera jamais
comme avant, mais un minimum d’efforts est nécessaire.

Malheureusement, Ndèye Marie ne compte pas rendre la tâche facile. Je


m’attendais à au moins un peu de tact de sa part... N’empêche, je ne me
décourage pas. Je lui réponds simplement :

- Mais non. Le temps qu’on arrive là, la plupart des films intéressants auront
commencé. On y va une autre fois ok ?

Ndèye affiche une mine déçue, tandis que Majib réagit :

- Je ne savais pas que vous aviez prévu quelque chose. Je peux vous laisser y aller
si vous voulez.
- Mais non, c’est trop tard de toute façon. On va se faire notre soirée, entre potes,
comme avant, d’accord ? On peut commander des pizzas. Ça te va ?

Voyant que je m’adresse à elle, Ndèye me regarde sans rien dire, visiblement en
train de réfléchir, puis sourit en posant une main caressante sur mon visage :

- Comme tu veux mon cœur.

Je lui rends un sourire crispé pour ne pas la vexer avant de me lever. Je vais dans la
cuisine chercher à boire.

Ndèye joue un jeu là, c’est clair et net. Et je n’aime pas ça du tout. Sa façon
d’ignorer Majib pour se consacrer totalement à moi, m’embrassant, me caressant
comme si nous n’étions que tous les deux dans la pièce alors que nous savons tous
que la situation n’est pas aussi simple que ça, est clairement à destination de
Majib.

Quand je retourne dans le salon, le cinéma continue et malheureusement dure


tout le reste de la courte soirée que nous passons ensemble. Et moi je suis obligé
de jouer le jeu par respect pour elle tout en sentant que Majib est mal à l’aise.
Inutile de dire que la soirée ne se passe pas comme prévue. Pas avec Ndèye Marie
qui a décidé de se comporter aussi puérilement.

Dès qu’on finit de manger, Majib trouve une excuse pour rentrer. Je n’essaie même
pas de le retenir, sachant très bien pourquoi il part. De toute façon on se connait, il
sait ce que je pense de tout ça et ne m’en voudra pas..

Après l’avoir accompagné à la porte, je retrouve Ndèye toujours assise devant la


télé à déguster une dernière part de pizza, l’air aussi innocente que si elle n’avait
rien fait. Ça m’énerve, je fais demi-tour et rejoins ma chambre. Dans le couloir je
l’entends m’appeler mais je fais comme si je ne l’entends pas. Elle insiste :

- Babe, tu vas où?

Je ferme la porte sans répondre et commence à me déshabiller. Trois secondes


plus tard, elle est devant moi :

- Tu m’as pas entendue ?

-Si.

- Pourquoi tu ne répondais pas ?

-…

- Boris, qu’est-ce qu’il y’a ?

- Rien. Je vais prendre une douche.

- Encore… ? Qu’est-ce qu’il y’a bébé ? Je t’ai fait quelque chose ?

J’émets un petit rire amer avant de repasser devant elle pour sortir. Elle m’arrête
en tirant ma main :

- Boris, tu peux me dire ce qu’il y’a ? Qu’est-ce que je t’ai fait ?


- Ce que tu m’as fait ?! Non ce que tu t’es fait plutôt. Tu t’es ridiculisée, voilà ce
que t’as fait. Et par la même occasion, tu m’as ridiculisé moi.

- Mais de quoi tu parles ?

-Tu ne sais pas de quoi je parle ? Tu crois que je n’ai pas remarqué ton manège
quand Majib était là ? Tu essayais de le rendre jaloux en m’utilisant c’est ça ?

- Quoi ? Mais…

- N’essaie même pas de nier stp. Que ce soit Majib ou moi on a compris dès le
début. Donc toi, c’est pour ça que tu es avec moi. Pour rendre Majib jaloux.

- N’importe quoi. Ma relation avec toi n’a rien à voir avec Majib, Boris.

- Vraiment ? Peux-tu honnêtement me dire que tu n’essayais pas de le rendre


jaloux ? Parce que ça en avait tout l’air.

- Je n’essayais pas de le rendre jaloux. Je voulais juste qu’il sache ce que ça fait de
voir son meilleur ami avec son ex.

- Mais ça ne lui fait RIEN ma belle. Majib s’en fiche ! La seule chose qui l’inquiétait
était de savoir si j’étais sérieux ou non avec toi. Tu comprends ce que ça veut dire ?
Que lui n’a plus aucun sentiment pour toi Ndèye Marie. Aucun ! Celle qu’il aime,
c’est Abi. Tu comprends ça ?! Accepte-le une bonne fois et arrête de te ridiculiser !
Ndèye me regarde les yeux écarquillés. Je suis tellement en colère que son air
choqué ne me fait rien du tout.

Après quelques instants sans réagir, elle dit calmement :

- Tu essaies de me faire mal.

- Te faire mal ? Toi tu as mal ? Je suis censé éprouver quoi moi en sachant que tu as
des sentiments pour mon meilleur ami alors que tu es avec moi ? Et tu vois, au
fond, je l’ai toujours su et c’est pour ça que je n’ai jamais voulu aller loin avec toi.
Au moins maintenant j’ai la preuve que j’avais raison…

-…

Elle ne dit rien… Elle n’essaie même pas de démentir, de me dire que j’ai tort de
penser ça. J’en ai assez. Je ne peux plus rester en face d’elle.

Je quitte brusquement la chambre en lui disant :

- Je prends une douche et te ramène.

J’ai juste besoin d’être seul, là. Ça ne sert à rien que je me ridiculise encore plus.
Quand je serai plus calme, je sortirai et la ramènerai chez elle…

Elle n’a aucune idée du mal que ça me fait d’admettre cette vérité: elle aime
toujours Majib. Se rend-t’elle seulement compte de tout ce que j’éprouve pour
elle, tout ce que je serais prêt à faire pour elle ? Si ce n’est pas le cas, autant
qu’elle ne le sache jamais… Je n’ai pas envie de me battre plus pour gagner son
amour, ça ne sert à rien de forcer les choses…
***

Près d’une demi-heure après être entré dans la douche, j’en ressors et m’habille
avant de rejoindre Ndèye Marie dans le salon. Mais je ne l’y trouve pas… Elle n’est
nulle part dans l’appartement, elle est partie. Quand je retourne dans ma chambre
pour prendre mon téléphone et l’appeler, j’y trouve un message qu’elle m’a
envoyé : « Pas la peine de te fatiguer, je peux rentrer toute seule. Bye. »

Stoïque, je laisse tomber le téléphone sur le lit, retourne dans le salon et allume la
télé. Rien de mieux qu’un match pour me changer les idées. Ce soir, je ne veux
plus penser à elle.

Et à partir de maintenant, je la laisserai vraiment toute seule, tout comme elle


veut…

*********************

*********************

***Oumou Kaba Cissé (maman de Lamine)***

Je pensais avoir assez de problèmes à devoir gérer la situation tendue entre mon
unique fils et son père qui n’approuve pas son mariage, mais ce n’est en rien
comparable à ce que je dois vivre aujourd’hui. Que Hadja soit enceinte est en soit
un sérieux problème pour moi. Mais qu’elle accuse Lamine de l’avoir mise dans cet
état, absolument rien ne pouvait être pire.

D’abord, Lamine et Maïmouna viennent à peine de se marier. Ils ont été ensemble
depuis si longtemps qu’au fil des années Maïmouna est devenue comme ma
propre fille. Les voir réunis enfin malgré l’opposition de mon mari a été un vrai
soulagement pour moi. Mais le bonheur aura été bien éphémère…
Lamine… Je connais mon fils et je l’aime plus que tout au monde, mais je ne
comprendrai jamais ce qui a pu le pousser à aller se retrouver dans ce genre de
situation. S’il y’avait une personne à éviter comme la peste pour lui, c’était bien
Hadja. Je suis tombée des nues quand il m’a appelée ce soir-là pour me parler de
ce qui s’était passé entre eux. Comment pouvais-je m’y attendre ?

Le moment de choc passé, j’ai tout de suite pensé à Maïmouna, à ce que cette
pauvre enfant devait éprouver… A peine mariée, elle apprend que son mari va
peut-être avoir un enfant avec une autre femme, celle-là même que sa belle-
famille souhaitait pour lui. Avant d’être une mère, j’ai d’abord été une femme, une
épouse. Je sais ce que c’est que de se sentir trahie. Et je sais encore plus ce que
c’est que de se sentir mal-aimée par sa belle-famille. Maïmouna vivait déjà dans
cette dernière situation avec le rejet catégorique de mon mari a son égard, mais
au moins elle savait pouvoir compter sur Lamine et aussi sur moi. Je n’ai eu de
cesse depuis son mariage de lui montrer que j’étais là pour elle. Mais quand c’est
Lamine lui-même qui la trahit, j’imagine à quel point sa peine doit être grande.

Quand Lamine m’apprit qu’elle était partie dormir chez son amie, je l’ai appelée
dès le lendemain pour la convaincre de retourner dans son foyer. Heureusement
que, ayant beaucoup de respect pour moi, elle avait accepté. Je suis allée la voir
ensuite pour discuter avec elle mais n’ai pas réussi à alléger sa peine. Les seuls
mots qui auraient pu la consoler étaient que je lui assure que Lamine n’était pas
l’auteur de la grossesse, ou que ça n’aurait aucune incidence sur sa vie à elle. Mais
je ne pouvais jurer ni de l’un ni de l’autre.

Certes, je crois en mon fils quand il me dit qu’il ne peut pas être le père du bébé,
mais comment pourrais-je le jurer ? Et puis quoi qu’il en soit Hadja l’accuse, donc
qu’il soit coupable ou non, tout le monde dans la famille ira dans le sens de Hadja
et s’attendra à ce qu’il l’épouse. Son père a déjà été clair là-dessus.

Et puis Hadja, cette jeune fille qui m’a été imposée dans ma propre maison.
Personne ne m’a demandé mon avis quand on l’a fait venir mais tout le monde
m’accusera pour ce qui lui est arrivé. La faute me sera imputée, je ne l’ai pas «
tenue comme une mère devrait tenir sa fille ». Pire, j’ai « laissé mon fils profiter
d’elle ».

Qui est-ce qui se demandera quelle éducation elle a reçu avant de venir chez moi ?
Certainement pas un quelconque membre de ma belle-famille. Pas quand ils ont la
parfaite occasion de verser leur bile sur moi…

Ils l’ont déjà fait par le passé. Les sœurs et frères de mon mari, sa mère, personne
n’a jamais vraiment accepté ma « grosse faute » de ne lui avoir donné qu’un seul
enfant et de l’avoir ensuite séparé de la « parfaite » seconde épouse qu’ils avaient
trouvé pour lui il y’a quelques années de cela. Pourtant, j’ai bien accepté cette co-
épouse. C’est de mon mari et de lui seul qu’est venue la décision de se séparer
d’elle. Mais bon, je suis la femme, donc forcément je suis coupable…

A présent, c’est le tour de Maïmouna. Mais elle est jeune, bien trop jeune pour
vivre ce genre de choses… Parce qu’à moins qu’on n’arrive à prouver que Lamine
n’est pas l’auteur de la grossesse d’Hadja, il n’aura d’autre choix que de l’épouser à
la naissance du bébé. Je me souviens encore de la réaction de son père quand je
lui ai parlé de la grossesse. Malgré toutes les précautions dont j’ai usées, il était
tellement mal que j’ai eu peur qu’il ait une attaque. Sa respiration était difficile, ses
yeux rougis semblaient vouloir sortir de leur orbite. Pendant plusieurs minutes, il
ne parla pas. Je n’ai jamais vu mon mari dans un état pareil auparavant…

Quand il réussit enfin à parler, les mots qui sortirent de sa bouche me


transpercèrent le cœur bien que je m’y attendais :

- Tout ça c’est de ta faute. Un fils, un seul fils que Dieu te donne et tu es incapable
de l’éduquer, incapable de le faire respecter son propre père. Tu lui as toujours
accordé tout ce qu’il voulait allant jusqu’à organiser toi-même et ta famille son
mariage sans mon accord. Tu t’attendais à quoi ? Dis-moi ? Tu ne récoltes que ce
que tu as semé et ce n’est que le début… Mais je ne vais pas vous laisser faire toi
et ton fils. Je ne vais pas vous laisser faire de moi la risée de la famille. Lamine
épousera cette fille. Il l’a déshonorée mais il lui rendra sa dignité. Par Allah !
- Hun Saliou ! Doucement, n’allons pas trop vite. Lamine jure qu’il n’a pas touché
Hadja malgré ce qu’elle dit. Essayons au moins de connaître la vérité d’abord ?
Préfères-tu croire une fille que tu connais à peine à la place de ton fils ?

- Mon fils ?! crie-t’il tellement fort que je sursaute. Quel fils ? Lamine a arrêté
d’être mon fils le jour où il a bravé mon interdiction. Je n’ai plus de fils.

- Ay Saliou !

La discussion close pour lui, il s’était alors levé avec rage et avait quitté la chambre.
Depuis ce jour, il m’adresse à peine la parole.

Moi, j’essaie de faire les choses bien pour ma famille à défaut de trouver une
solution à nos problèmes. Je ne sors plus quand Hadja est là, préférant la
surveiller, l’accompagnant même chez le médecin. Heureusement qu’elle n’a pas
essayé de mettre fin à sa grossesse comme Lamine le craignait. Je ne lui en ai de
toute façon pas laissé l’occasion…

Depuis que ses parents l’ont appelée pour la maudire, elle ne semble plus être que
l’ombre d’elle-même. J’essaie tant bien que mal d’apaiser sa douleur, ce qui fait
que je n’ose même pas lui poser des questions à propos de l’auteur de sa
grossesse si ce n’est pas mon fils.

Aujourd’hui, exceptionnellement je la laisse sortir pour aller se faire coudre de


nouveaux vêtements, sa grossesse commençant à se voir. Je ne l’aurais jamais
laissée sortir toute seule si ça ne m’avait été demandé. Mais là, je le fais pour le
bien de mon fils. Si quelqu’un d’autre peut nous aider à connaître la vérité, je ne
vais certainement pas le refuser. Je lui ai remis l’argent qu’il fallait et ai prétendu
un mal de tête pour ne pas l’accompagner.

C’est l’occasion pour moi d’aller enfin voir Maïmouna. Malgré les apparences elle
reste ma priorité. Je ne peux pas trop la voir maintenant qu’elle a repris les cours
et que je doive souvent rester avec Hadja mais je l’appelle tous les jours. Je veux
lui montrer que je suis là, je ne veux pas qu’elle se sente seule au point de vouloir
retourner chez ses parents car je sais qu’elle et Lamine se parlent à peine
maintenant.

Heureusement que ses derniers ne sont pas au courant de ce qui se passe, Abi
étant la seule personne à qui ma belle-fille se confie…

*******************

*******************

***Hadja Koïta***

Enfin, tata Oumou m’a laissée sortir toute seule. Enfin ! Je n’en pouvais plus d’être
tout le temps surveillée par elle, c’était é-tou-ffant. Dieu bénisse son mal de tête !
Franchement, je suis une grande fille, je peux quand même aller me chercher des
vêtements toute seule !

Je suis déjà venue à Sandaga avec elle et connais l’emplacement du tailleur où on


était allé. Mais d’abord je dois m’acheter des tissus. Me promenant dans les
boutiques de la rue de Thionk, j’en vois de très beaux. Heureusement que tata
Oumou m’a donné beaucoup d’argent car je ne vais pas me priver aujourd’hui. Je
compte me faire tellement belle que Lamine verra d’un tout autre œil l’idée de se
marier avec moi. Il est hors de question que je laisse ma future co-épouse
l’emporter sur moi…

Si seulement Lamine venait de temps en temps à la maison, il verrait qu’il n’a rien
à perdre en m’épousant bien au contraire. Quoi qu’il en soit, je sais qu’il viendra
tôt ou tard et je serai prête à le recevoir, plus belle que jamais. Je n’ai rien à voir
avec ces filles qui s’amochent en étant enceintes comme doit sûrement l’être sa
Maï.

Dans mes pensées, je sors d’une boutique et me fais bousculer par un garçon que
je n’avais pas vu arriver. Perdant l’équilibre, je m’appuie au mur en même temps
que j’entends une voix crier :

- Eh, eh, je t’ai vu ! Eh toi ! Il a pris son portefeuille ! Arrêtez-le.

Quel portefeuille ? Je n’ai même pas le temps de regarder la dame qui crie que le
garçon qui venait de me bousculer jetait le portefeuille au sol pour s’enfuir à
toutes jambes.

C’est le mien, mon portefeuille… Mon Dieu, je ne savais même pas. Je me dépêche
de le ramasser et me relève pour regarder la dame, une très jeune fille en fait, qui
s’était rapprochée. Elle me dit sur un gentil ton de remontrance :

- Il faut faire attention hein, y’a trop de voleurs ici. Tu ne dois pas vivre à Dakar toi.

- Non en effet… Merci beaucoup en tout cas. Je ne sais pas ce que j’aurais fait s’il
m’avait pris mon portefeuille.

- Pas de problème… Excuse-moi mais est-ce qu’on se connait ? Ton visage me dit
quelque chose.

- Euh…
Je la regarde encore et en effet j’ai l’impression de l’avoir déjà vue quelque part
aussi mais c’est juste une impression car je n’ai pas rencontré grand-monde depuis
que je suis à Dakar. Ce qui me fait lui répondre :

- Non, je ne crois pas. Je ne suis pas à Dakar depuis longtemps en fait.

- Ah bon ? Et tu viens d’où ?

Hun, je la trouve un peu curieuse... Mais bon, elle a l’air sympa et puis elle m’a
quand même aidé. Me voyant hésiter, elle rajoute elle-même :

- Pardon, c’est juste que ton visage… En fait, c’est ma petite sœur que tu me
rappelles. Vous vous ressemblez un peu… Elle est décédée il y’a deux ans.

- Oh, je suis désolée… Je viens de Nouakchott. Et toi tu vis à Dakar ?

- Oui, depuis toujours, jamais partie nulle part, dit-elle en riant.

- Oui mais il y’a tout à Dakar, lui réponds-je sur le même ton.

- Il parait… Alors tu fais des courses ? Tu as l’air perdue ici.

- Oui. C’est la deuxième fois seulement que je viens.

- Bon, je peux t’aider si tu veux. Dis-moi ce que tu cherches. Mais d’abord, tu


t’appelles comment ?
- Hadja.

- Ok, Hadja. Moi c’est Yacine. Alors, dis-moi tout…

C’est ainsi que je fais la connaissance de Yacine, ma première copine à Dakar.

Partie 24 : Si seulement elle savait…

***Abibatou Léa Sy***

Cet après-midi de samedi se passe en famille à la plage, avec Anna, Penda et Maï.
Anna ne sort presque jamais de l’eau, accompagnée de la pauvre Penda qui est
obligée de la surveiller. Maï et moi en profitons pour discuter au calme.

Ça fait du bien à ma petite chérie de changer d’air, c’est surtout pour elle que j’ai
proposé cette sortie. Son quotidien chez elle lui pèse depuis cette histoire de
grossesse d’Hadja.

Hadja, ma nouvelle copine… Heureusement qu’elle ne m’a pas reconnue quand on


s’est « croisé » à Sandaga et que je me suis fait passer pour une autre. On s’était
quand même déjà rencontré chez Lamine, bien que brièvement.

En tout cas, j’ai réussi à garder le contact avec elle après ce jour-là au marché.
Nous nous sommes vues quelques fois et elle est même venue chez moi il y’a deux
jours. C’est à cette dernière occasion que j’ai essayé d’en savoir un peu plus sur sa
grossesse. Je l’ai poussée à se confier à moi en jouant la carte de la compréhension
basée sur le fait que moi-même aie eu un bébé hors mariage.

Je suis justement en train de raconter à Maï la discussion que j’ai eue avec elle.

Toujours loin de croire que Lamine n’est pas le père du bébé, Maï me dit d’une
voix triste :

- Tu vois bien qu’elle persiste. Même à toi qui es en-dehors de son entourage, elle
dit qu’elle est enceinte de son cousin Lamine.

- Et alors ? Ça ne veut rien dire, pour le moment en tout cas. Tu crois qu’elle va
juste venir le premier jour et me dire « ben en fait, tout le monde croit que je suis
enceinte de mon cousin mais je leur ai menti» ? Ç’aurait été trop simple tu ne crois
pas.

- Tu dis ça parce que tu es convaincue qu’elle ment mais si ce n’est pas le cas ? Si
c’est vraiment Lamine le père ?

- Maïmouna Bah, arrête de te faire du mal pour rien. Lamine te dit que ce n’est pas
lui, alors crois-le tout simplement jusqu’à preuve du contraire.

- Et si c’est lui, Abi ? Si c’est vraiment lui ?

- Si c’est lui, alors… on verra quoi faire.

- On ne verra rien. Il devra choisir. Ce sera soit moi, soit eux. Je ne serai jamais la
co-épouse de qui que ce soit, surtout Hadja.
Je ne réponds pas tout de suite à ça, hésitante. Je ne veux pas lui faire mal mais je
ne veux pas non plus lui mentir sur ce que je pense vraiment à ce propos:

- Maï, s’il s’avère qu’au final Lamine est vraiment le père, ne lui impose pas de faire
un choix stp. Bien sûr, je suis d’accord avec toi sur le mariage, il faudra qu’il se
débrouille pour ne pas épouser Hadja mais par contre il devra prendre soin de son
bébé. Tu devras accepter de l’inclure dans ta vie, quel que soit ce que ça te coûte.
Parce que si tu lui demandes de faire un choix, si tu lui rends les choses difficiles,
j’ai peur qu’il ne te choisisse toi et le néglige complètement pour ne pas te faire du
mal… Ce serait injuste pour le bébé tu comprends ?

Elle ne répond pas. Elle baisse la tête sur le sable et en joue de ses doigts, l’air
encore plus triste. Elle souffre… Elle sait que j’ai raison mais les choses sont
forcément plus difficiles à accepter pour elle.

Pour atténuer mes paroles, je rajoute :

- De toute façon, je suis sûre que ce n’est pas son bébé. Plus je parle à cette Hadja
là, plus je me rends compte qu’elle n’est pas si innocente qu’elle le parait. Déjà
c’est une intéressée, il fallait la voir quand je suis partie la récupérer au marché
pour venir chez moi. Elle s’est extasiée sur le 4/4 d’une manière ! Tout de suite,
elle est devenue beaucoup plus détendue et bavarde avec moi par rapport à avant,
me parlant de choses plus intimes… Je sais que ça ne veut rien dire mais je connais
le genre de filles comme elle, elles sont attirées par le confort et la facilité et sont
prêtes à tout pour arriver à leurs fins.

- Comme toi quoi.

- Ough ! J’encaisse.
Je dis ça en souriant pour l’amuser mais elle ne me regarde même pas. Semblant
obnubilée par le sable, elle continue d’y tracer des figures. Soudain, elle se
redresse et me dit d’un air plus intéressé :

- Parle-moi de ta cousine stp. Qu’est-ce qui s’est passé exactement entre elle et
Majib ?

Hum… Je fais une petite grimace en détournant les yeux. Parler de ça… ? Je ne sais
pas…

Maï insiste :

- J’ai juste envie de comprendre, Abi. Tu ne m’en as jamais parlé. Je veux connaître
l’histoire derrière la naissance d’Anna. Stp.

Compte tenu du contexte, je comprends pourquoi elle a envie de parler de ça


maintenant. Après hésitation, je commence à lui raconter ce qui sort pour la
première fois de ma bouche.

- Ok… Tu te souviens quand Anna était partie en vacances en France après le bac,
chez la sœur de son père ?

- Oh oui. Je l’enviais tellement.

- Moi aussi, dis-je en souriant me rappelant de l’époque. C’était le rêve... Elle était
trop sympa sa tante. Depuis que les parents d’Anna étaient décédés, elle s’était
rapprochée d’elle et la gâtait carrément. Elle voulait même la récupérer pour vivre
chez elle, mais Mame Anna avait refusé, heureusement pour moi… Bref, tout a
commencé pendant ces vacances-là. C’est là-bas, dans la ville de Toulouse qu’Anna
avait fait la connaissance de Majib.

Elle avait été très vite attirée par lui, le plus mignon garçon qu’elle avait jamais vu,
qu’elle disait. Ils s’étaient rencontrés dans un centre commercial où elle passait
pratiquement tout son temps au début de son séjour. Il l’avait draguée et elle était
tombée tout de suite sous le charme, et complètement. Elle me parlait tout le
temps de lui au téléphone. C’était Abdou par-ci, Abdou par-là… En fait, Majib a été
le premier et le seul petit ami d’Anna. Pour elle, voir un garçon qui s’intéressait
vraiment à elle était quelque chose d’extraordinaire, alors que ça ne l’était pas du
tout.

Le problème d’Anna c’est qu’elle ne se faisait pas confiance, elle ne se croyait pas
belle. Ce manque de confiance venait des conséquences sur son physique de la
maladie avec laquelle elle a grandi, la drépanocytose. A 18 ans, elle paraissait en
avoir seulement 13. Maigre, avec presque pas de formes, les personnes qui ne la
connaissaient pas ne la croyaient jamais quand elle disait son âge. Si seulement,
elle s’était rendue compte d’à quel point elle était belle, si seulement elle s’aimait
un peu plus, peut-être que rien ne serait arrivé…

Je me souviens que cet été là, juste quelques jours avant qu’elle parte en
vacances, on était allé pour la première fois en boîte de nuit avec quelques
camarades de classe pour fêter le bac. A l’entrée, le vigile nous a tous laissés
passer sauf elle, disant que c’était une enfant. Anna n’avait pas sa carte d’identité
et il a fallu qu’on négocie longtemps avant qu’il nous laisse entrer, mais à la seule
condition qu’Anna n’aille pas sur la piste de danse parce qu’il ne voulait pas avoir
de problèmes avec le patron s’il la voyait. Ce petit événement nous avait
complètement gâché la soirée à Anna et moi. Elle s’était assise dans un coin de la
boîte et pleurait, tandis que moi je restai avec elle pour qu’elle ne se sente pas
seule. J’en voulais tellement à ce vigile et à tous nos copains-là qui dansaient et
s’amusaient ne faisant même pas attention à nous… Le genre de choses qui ont fait
perdre sa confiance en elle.

Pour une fille comme elle, se croyant incapable de séduire un garçon de son âge,
voir un homme comme Majib, le genre dont rêvent beaucoup de filles, et de
surcroît plus âgé, s’intéresser à elle était quelque chose d’extraordinaire. Elle s’est
complètement laissée envouter, au point de coucher avec lui...

Majib s’est joué d’elle, il lui a fait croire à un possible avenir entre eux deux.

Ils étaient restés en contact quelque temps quand Anna était rentrée. Ils pouvaient
passer des heures au téléphone et du jour au lendemain, plus rien. Majib
n’appelait plus Anna et elle tombait sur son répondeur à chaque fois qu’elle
essayait de l’appeler. Dans la même période, Anna et moi rentrions à l’université,
en fac de médecine. Anna était ma jumelle, mon autre, je faisais tout ce qu’elle
faisait jusqu’à choisir les mêmes études qu’elle. Avec elle, je n’avais pas de décision
propre. Mes envies étaient les siennes, je l’admirais…

C’est quelques jours après avoir commencé les cours qu’on découvrit qu’elle était
enceinte. La nouvelle l’affecta terriblement. Elle eut presque immédiatement une
violente crise drépanocytaire. Il fallut l’hospitaliser et informer grand-mère de la
nouvelle en même temps. Le malheur s’abattait pour la première fois dans notre
atypique mais paisible famille. Durant l’hospitalisation et après sa sortie, Anna
essaya plusieurs fois de joindre Majib, en vain. Elle finit par lui annoncer la
nouvelle dans un message, espérant qu’il réagisse. Il le fit, mais ce n’était pour rien
d’autre que l’accuser de mentir, allant jusqu’à lui dire que si elle était vraiment
enceinte elle n’avait qu’à mettre au plus vite fin à la grossesse, lui proposant même
de lui envoyer l’argent pour les frais. Anna lui raccrocha au nez et ne se releva
jamais de cette peine qu’il lui avait infligée. Il retenta quelques fois de la joindre
mais elle ne répondait pas. On avait décidé de l’effacer de nos vies… La grossesse
fut très difficile. Sa maladie obligeait Anna à respecter un strict suivi médical. Elle
arrêta les cours. Je les continuai mais en ratant la plupart d’entre eux pour être
avec elle, pour finir par arrêter complètement quand elle décéda à la naissance du
bébé, ce terrible mois d’avril 2003.

Arrivée à cette partie de l’histoire, mes larmes commencent à couler et je suis


obligée de m’arrêter. Maï me dit en me touchant la main :

- C’était la volonté de Dieu, Abi. Personne n’y pouvait rien, Anna était malade
depuis la naissance.

- Mais ce n’est pas pour ça qu’elle est décédée, c’est parce qu’elle était
malheureuse. Elle l’a été durant toute sa grossesse à cause de cet homme.

- C’est vrai qu’il a mal agi mais si Dieu ne voulait pas qu’Anna meure, elle serait
encore vivante.

- C’est ça oui, c’est toujours la faute à Dieu.

- Ben, que tu le veuilles ou non c’est Lui qui décide, et si tu te rapprochais un peu
plus de Lui, peut-être que tu l’accepterais aussi… Je ne t’ai jamais vue prier Abi, et
c’est vraiment pas bien.

- Qu’est-ce que ça a à voir avec cette histoire ?

- Ça a tout avoir avec la manière dont tu as géré et tu continues de gérer cette


histoire. Par exemple, si tu avais un peu de foi, tu ne serais pas en train de faire je
ne sais quoi avec l’homme que tu accuses justement de tous tes maux.

Agacée, je m’essuie rapidement les yeux et lève la tête vers la mer pour voir Anna
et Penda. Je vois ma fille hors de l’eau dans les bras d’un homme. Je me mets
brusquement debout, la peur au ventre et crie de toutes mes forces :
- Anna !

Elle se tourne vers moi en même temps que l’homme que je reconnais
heureusement. Un énorme soulagement m’envahit. C’est Bachir. Ce n’est que
Bachir…

Toutes dents dehors, Anna a l’air heureuse. Ça fait plusieurs semaines qu’on ne l’a
pas vu et elle l’adore. Je marche vers eux et entends Bachir me dire :

- Léa, ça va ?

- C’est tonton Bachir, maman, poursuit Anna de sa petite voix joyeuse.

- Salut Bachir. Anna, tu es toute mouillée, regarde la chemise de tonton.

- C’est pas grave, ne t’inquiète pas. Elle me manquait cette petite.

J’observe Bachir, surprise de le voir ici tout seul.

- Qu’est-ce que tu fais ici ?

- Je n’ai pas le droit de venir à la plage ?

- Bien sûr que si. Mais t’en as pas une juste devant chez toi ? Elle est où ta famille ?

- J’avais envie d’être seul… Il faut croire que c’est la providence qui m’a emmené ici
vu que vous y êtes. Comme tu ne me laisses plus venir chez toi…

Je fais semblant de ne pas l’avoir entendu et commence à faire demi-tour :

- Bon, je vous laisse. Tu ne vas pas loin Anna, maman te surveille.

- D’aaaccooord…

De toute façon Penda est assise pas loin et garde l’œil sur eux. Je me rassoie à côté
de Maï et vois Bachir et Anna s’assoir aussi sur la plage, elle se dépêchant de poser
la tête sur lui tandis qu’il l’entoure de son bras.

Maï me dit d’un air étonné :

- C’est Bachir là ? Tu le vois toujours celui-là ?

- Comme tu vois.

- Comment ça se fait ?

- Comment ça ?

- Les hommes ne restent jamais longtemps dans ta vie Abi et là ça fait quoi, 5 ans ?
Et depuis quand il est copain avec Anna ? Je croyais que tu séparais ta fille de ta vie
avec tes « prétendants » ?

- C’est pas pareil.


- Qu’est-ce qui n’est pas pareil ? Attends, est-ce que c’est lui qui paie ton nouvel
appartement aussi ? C’est ça ? Mais qu’est-ce que tu as fait à cet homme ?

- Okhooo mais toi tu poses beaucoup de questions hein. T’es quoi, la police ?

- Non, je suis ton amie qui ne connait pas la moitié de ce qui se passe dans ta vie
alors que toi tu sais tout de moi.

- Rassure-toi, tu en sais déjà plus que quiconque.

- Et c’est censé me faire plaisir ça ? Bref, il paie ton appart ou pas ?

- L’appart m’appartient.

- C’est-à-dire ?

- Il m’appartient. Il est à moi. J’en suis propriétaire quoi.

- T’es sérieuse ?

- Oui, complètement. Tu veux savoir non ?


- Tu as un appart depuis deux ans et c’est seulement maintenant que je le sais ?
Moi, ta meilleure amie ?

- Oh arrête, tu me connais. C’est pas la peine de te fâcher…

- T’en as encore d’autres comme ça Abi ? Et puis comment t’as eu cet appart ?

J’hésite mais, me sentant un peu coupable, je finis par répondre :

- Bon, je vais tout te dire. Ce n’est pas seulement l’appart. Tout l’immeuble
m’appartient.

Maï écarquille les yeux, l’air tellement étonnée qu’elle ne parle plus. Je me dis que
j’aurais peut-être dû lui dire ça dès le début, mais je n’aime pas en parler… Là, non
seulement elle réussit à me faire parler d’Anna mais de cette histoire en plus. Tout
ça parce que je sais que lui parler de moi lui fait oublier ses soucis à elle.

Croyant qu’elle m’en veut pour mes cachotteries, je lui dis :

- Ok, désolée de ne te l’avoir pas dit. Je m’en veux. Mais en fait tu es presque la
seule personne qui sait.

- Abi, tu possèdes un immeuble ?! Un im-meuble !! Ça plus ta voiture, tombés du


ciel juste comme ça… Là t’es riche en fait !! Comment tu peux posséder tout ça
sans travailler ? Ce n’est pas possible quand même. Je veux bien que tu sois
discrète mais là ça dépasse les limites. Il faut que je comprenne.

- Je ne suis pas riche. Pour l’immeuble, c’est juste à mon nom, c’est tout. Je ne
touche pas les loyers… D’ailleurs, il faut que ça change ça…
Maï m’interrompt d’une voix suraiguë :

- Abi, t’as eu un immeuble comment ?!!!

- C’est Bachir qui me l’a offert.

- Bachir ?! Pourquoi Bachir fait tout ça pour toi ? Déjà le premier appart et
maintenant ça ? Et je suis sûre que la voiture aussi c’est lui. Juste parce que tu
couches avec lui ?

- Mais non… C’est plus compliqué…

******************

******************

Quatre mois plus tard

***Abdoul Majib Kébé***

Je reviens à nouveau à Dakar où je suis déjà venu deux fois ces derniers temps. Pas
seulement pour voir Abi mais aussi pour préparer mon installation dans la capitale
sénégalaise. C’est décidé, je quitte Londres dès que l’affaire sur laquelle je me
prépare à investir ici est bouclée.

Je réfléchissais et effectuais déjà des recherches sur des pistes possibles d’une vie
professionnelle à Dakar quand une opportunité inattendue s’est présentée. C’est
d’abord Abi qui, connaissant mon projet, m’a parlé d’un de ses amis qui est dans le
milieu de la construction, marché en plein boum au Sénégal. En tant qu’architecte
de métier, je ne pouvais justement avoir de meilleur conseil que de quelqu’un
évoluant dans un secteur qui s’en rapproche. C’est en rencontrant cet homme qu’il
m’a parlé pour la première fois d’un très intéressant appel d’offres en cours, un
projet public de construction d’une série de logements privés. Dès le début, ça m’a
intéressé et juste pour être sûr, j’en avais parlé à mon grand-père qui, retraité de
l’administration publique, reste encore proche de ce milieu. Il avait entendu parler
du projet et me confirma qu’il pouvait valoir le coup.

Au départ, je n’étais intéressé que pour un contrat de prestation avec la société qui
gagnerait le marché mais au fur et à mesure de mes échanges avec le contact
d’Abi, il commença à me suggérer de m’associer à la société dont il est actionnaire
pour répondre à l’appel d’offres.

L’idée ne m’a pas déplu. Le projet était gros et demandait un gros investissement
financier mais, avec les biens légués par mon grand-père, mes économies
personnelles et la solidité du projet, j’avais toutes mes chances d’obtenir l’aide
d’une banque.

Après quelques semaines de réflexion, je me suis décidé à prendre part au projet


et viens justement de signer le contrat faisant de moi un partenaire de cette
société d’investissement. Une poignée de main avec M. Dong, le gérant de la
société, pour sceller le contrat et je le quitte lui et le notaire pour rejoindre Abi
dans le jardin de l’hôtel King Fahd Palace où se passait le rendez-vous.

Je la retrouve assise au soleil, majestueuse dans sa longue tunique. Les yeux


derrière des grosses lunettes noires, elle observe la mer au loin. Cette scène me
rappelle celle de la fois où on avait eu notre premier vrai échange, en bord de mer
aussi... Rien ne pouvait me faire penser alors qu’un an et demi plus tard, je serais
prêt à revenir à Dakar pour vivre avec elle. Que je voudrais vouloir faire d’elle la
femme de ma vie…
Arrivé derrière elle sans qu’elle me remarque, je lui enlace le cou en touchant sa
douce peau. D’un geste caressant, elle pose ses mains sur les miennes et relève la
tête pour me regarder, puis dit avec son éternel calme :

- Ça y’est ?

- Ça y’est…

Je me penche et lui embrasse les lèvres avant de chuchoter :

- Je viens à Dakar. Tu ne pourras plus te débarrasser de moi.

Elle sourit, l’air mystérieux, et répond :

- C’est toi, mon cher, qui ne te débarrasseras plus de moi…

Et c’est ce que j’espère de tout mon cœur. Ne jamais avoir à me passer d’elle…

Partie 25 : J’ai besoin d’elle…

***Lamine Cissé***

Je rentre chez moi fatigué, après avoir passé tout l’après-midi à l’hôpital. Mon père
y est depuis ce matin suite à un malaise causé par l’hypertension. Les médecins
ont décidé de le garder sous surveillance pour quelques jours.

Il a fallu que la première fois où je le retrouve et lui parle depuis mon mariage soit
dans un hôpital… Vie de mer**.

Comme d’habitude, en entrant dans l’appartement, je n’y trouve pas ma femme.


Elle est avec Abi. L’essentiel de ses week-ends maintenant, elle le passe avec Abi.
Elle ne m’informe jamais d’où elle va et si ce n’était Abi qui m’envoie toujours un
message pour me dire qu’elles sont ensemble, je n’en saurais rien. Le pire, c’est
que Maï ne sait pas que son amie m’informe, ce qui veut dire qu’elle s’en fout
totalement que je ne sache pas où elle se trouve.

J’ai commencé à m’habituer à ses absences mais ce soir, plus que jamais, j’ai
vraiment besoin d’elle. J’ai tant de choses à lui dire, tant de conseils à lui
demander. J’ai besoin de son soutien, sa présence… Mais elle n’est pas là, elle n’est
jamais là.

Notre mariage est devenu un enfer. Au début, je pensais que la tension durerait
seulement quelque temps mais là ça fait des mois. Je n’en peux plus… Nous ne
nous touchons plus, nous parlons à peine. J’aurais préféré qu’elle se dispute avec
moi plutôt que de m’ignorer. Si elle me criait dessus, qu’elle exprimait sa colère, sa
peine au moins je pourrais lui répondre. Mais là avec son attitude, je ne sais pas
comment réagir. J’ai peur de la provoquer et que ça la pousse à partir pour de bon.
Du coup je me dis que je vais la laisser tranquille tant qu’elle reste à mes côtés.

Mais c’est dur de la savoir si proche et si loin de moi en même temps. Elle
accomplit ses tâches basiques, me fait à dîner tous les soirs, ne se couche jamais
sans m’avoir servi, mais elle ne mange jamais en même temps que moi. La nuit, je
dors sur le canapé du salon…

Comme d’habitude, je m’installe devant la télé en attendant qu’elle rentre. Il est


20h, elle ne devrait pas tarder. Ce soir, je vais lui parler. La situation ne peut pas
continuer ainsi. J’ai besoin de lui parler de mon père et de cette histoire de
grossesse…

J’entends la porte d’entrée s’ouvrir. Elle est là. Elle entre dans le salon et me fait un
bref salut avant de ressortir.

D’habitude, je lui réponds juste sur le même ton puis attends qu’elle se change et
me serve à manger, avant de la voir se retirer pour dormir.

Cette fois, je me lève et la suis. Je la trouve en train de se déshabiller quand j’entre


dans la chambre. Elle se retourne, surprise.

Je referme la porte et lui dis :

- Ta journée s’est bien passée ?

- Très bien, répond-t’elle sèchement en reposant sur sa poitrine le haut qu’elle


vient d’enlever.

C’est plus fort que moi, mon regard se pose dessus et ne la quitte plus. Ces belles
formes… Son corps me manque.

Sentant mon regard sur elle et voyant que je ne compte pas partir, elle quitte sa
position et entre dans la salle de bain. Soupirant de déception, je traine les pieds
jusqu’au lit pour m’assoir, décidé à l’attendre.

Elle prend une douche puis sort de longues minutes plus tard et, me voyant,
s’arrête pour m’observer d’un air agacé. Elle se demande ce que je fais encore là.

Je réponds à sa question muette en lui disant :

- J’ai besoin de te parler.

- De quoi ?
- Plusieurs choses. Mais finis d’abord, je t’attends.

- Tu peux le faire dehors ? Je dois m’habiller là.

- Maï, je suis ton mari. Je crois que tu peux t’habiller devant moi.

- Je veux que tu sortes.

Des ordres… Encore des ordres. Je sens ma patience filer et lui réponds fermement
:

- Non.

Elle me lance un regard méprisant et dit ce qu’il ne fallait pas dire :

- Tchippp ! Connard.

Je me lève d’un bond alors qu’elle se dirige vers le placard. Ne lui laissant pas le
temps de l’ouvrir, je lui tire le poignet et l’oblige à se retourner.

- Hey, c’est qui le connard ?

- Lamine ?! dit-elle sur un ton indigné. Lâche-moi !

- C’est moi que tu traites de connard ?


- Lâche-moi je te dis !

- Pas avant que tu t’excuses. Je suis ton mari Maïmouna, tu me dois du respect que
tu le veuilles ou non. J’attends tes excuses.

- T’es rien pour moi. T’es qu’un menteur et je n’ai rien à faire avec les menteurs !
Lâche-moi maintenant.

Elle m’énerve avec ses cris. Je lui saisis l’autre main et elle se met à se débattre
comme une furie, ce qu’elle regrette immédiatement en voyant la serviette
tombée à ses pieds. Je profite de sa surprise pour lui relever les poignets au-
dessus de la tête et la maintenir fermement contre le placard avant de répéter :

- Des excuses.

- Je ne m’excuse de rien du tout !

- Excuse-toi Maï, sinon…

- Sinon quoi, tu vas me frapper ? Il ne manquait plus que ça. Vas-y, frappe-moi,
j’aurai une bonne raison de te quitter. Personne ne m’en voudra si…

J’écrase mes lèvres sur les siennes pour la faire taire. Je l’embrasse durement, la
forçant à écarter ses lèvres tandis qu’elle gémit de colère. La frustration accumulée
au fil des jours me donne une furieuse envie de la punir. D’une manière ou d’une
autre lui faire payer ses paroles, son insolence…

Soudain, je me retire vivement. Elle m’a mordu ! Surpris et la langue douloureuse,


je la regarde m’observer d’un air de défi, satisfaite d’elle-même. La colère monte
d’un trait en moi. Elle veut la guerre, elle l’aura. Je la soulève sans aucune
hésitation et franchis les deux pas qui nous séparent du lit pour la jeter dessus.
Elle crie, me donne des coups et m’insulte mais je n’y fais pas attention. Au
contraire, ça me met encore plus en colère.

Cette fille a oublié ce que c’est que d’être une épouse, il est temps que je le lui
rappelle. Je me couche sur elle rapidement avant qu’elle se relève et la maintiens
prisonnière sous mon poids.

Elle continue de protester :

- Lamine, t’es fou ? Lève-toi.

Je sens au ton de sa voix qu’elle panique. C’est bien, elle commence à


comprendre... En évitant sa bouche, je me remets à l’embrasser. Pas envie de me
faire mordre encore.

Elle continue de se débattre, faisant tout pour libérer ses mains. Elle tente même
de me filer un coup de pied entre les jambes ! J’ai épousé une furie et je ne le
savais pas… Heureusement que sa force ne fait pas le poids. Maintenant ma
pression assez longtemps, je la sens se fatiguer et finir par se calmer.

A présent qu’elle est maîtrisée, je passe mes lèvres sur sa peau plus lentement,
respirant son odeur fraîche... Petit à petit, la colère fait place au seul désir que je
ressens pour elle. Elle me manque…

Je n’ai pas envie de la punir, je veux l’aimer. Lui faire l’amour longtemps pour
rattraper tout ce temps perdu…

Mais pas comme ça. Je veux qu’elle le veuille aussi. Relevant la tête, j’observe son
visage. Dans ses yeux, bien qu’elle ne bouge plus, je lis encore plein de colère et,
pire, du dégoût. Mon Dieu, elle m’en veut à ce point…
Une profonde lassitude m’envahit et je laisse retomber mon front sur l’oreiller au-
dessus de son épaule. Toujours couché sur elle, je dessers mes mains pour libérer
les siennes. Elle ne fait aucun mouvement pour se lever mais je sais qu’elle
n’attend qu’une chose. Que je me lève, que je ne la touche plus…

Ma femme… Maïmouna… Comment en est-on arrivé là ? Si vite, si radicalement ?

Je n’en peux plus, tout ça me dépasse. J’ai besoin qu’elle comprenne ce que je
ressens. Les mots sortent de ma bouche dans un chuchotement désespéré :

- Tu me manques…

-…

- J’ai besoin de toi, mon amour. Je suis perdu, je ne sais plus quoi faire.

-…

- J’ai besoin de toi… Je n’y arriverai pas sans toi, j’ai besoin de toi.

J’attends qu’elle me réponde quelque chose mais aucun son ne sort de sa bouche.
Découragé, je me redresse pour la regarder et tente une dernière fois :

- Pardonne-moi bébé.

Elle détourne la tête en fermant les yeux pour échapper à mon regard. Mais au
rictus qu’elle fait je comprends qu’elle commence à pleurer.

Lui caressant le visage, je lui dis tendrement :


- Je suis désolé mon amour, je ne voulais pas te faire souffrir. Pardonne-moi…
J’arrangerai tout, promis. Je ferai ce que tu voudras. Pardonne-moi, je t’en prie.

- Tu… m’as trahie… sniff.

- Je sais… Je le regrette. J’ai fait une grosse erreur mais tu ne peux pas me laisser
comme ça, pas après tout ce qu’on a vécu. Sans toi je suis perdu. J’ai besoin que tu
me pardonnes.

Elle ne répond rien mais je sais que mes mots l’ont touchée. Je tourne tendrement
son visage vers le mien et embrasse ses larmes.

Puis je lui caresse les lèvres de ma bouche, doucement, prudemment… Elle hésite
d’abord puis me rend ma caresse. Le soulagement que je ressens est tellement
énorme qu’un long soupir s’échappe de ma gorge. Ma femme… Je l’aime
tellement.

Je veux le lui montrer. Je veux qu’elle comprenne à quel point je l’aime. Comme la
première fois qu’on a fait l’amour, je la caresse doucement, lentement pour la
pousser à me faire confiance. Même si je sais qu’elle n’a plus peur, qu’elle sait que
je ne lui ferai pas mal. Je veux qu’elle se souvienne… J’oublie mon désir resté
longtemps inassouvi et prends tout mon temps pour elle uniquement. Sécher ses
larmes par mes baisers, soulager sa peine par mes caresses… Je veux l’aimer
tellement fort qu’elle oubliera rien qu’un petit moment le mal que je lui ai fait.

Mes lèvres parcourent la peau de son visage, son cou, sa poitrine, s’attardant sur
ses seins aux tétons dressés de désir. Mes doigts effleurent son intimité
accueillante, la touchant à peine… Le désir que je ressens est si fort qu’il me fait
mal alors que je fais tout pour me maîtriser. Elle me désire aussi. Je ne le sais pas
seulement à la moiteur sur mes doigts mais aussi au gémissement étouffé qu’elle
pousse quand j'en glisse un en elle.
Je résiste... Gardant mes vêtements sur moi, je m’occupe entièrement de son
corps nu, enivré par son odeur. J’attends que son désir soit le même que le mien,
qu’elle ressente ce manque que j’ai ressenti tous ces longs mois.

Elle se cambre vers moi et me serre contre elle en glissant ses mains sous ma
chemise. Elle veut plus… Son souffle devient de plus en plus fort et saccadé. Dans
un gémissement suppliant, je l’entends enfin dire :

- Bébé, stp…

- Stp ?

- Pénètre-moi… maintenant.

Ses mots ont tel l’effet d’une huile jetée sur le feu. Impossible de me retenir plus
longtemps. Je me redresse et ne mets pas deux secondes à baisser mon pantalon
avant de lui relever les jambes. Et je m’enfonce en elle… aussi lentement que mes
sens me le permettent… Elle pousse un cri et enroule ses jambes autour de moi.
Envahi par le plaisir, j’enfouis mon visage dans son cou et effectue des va-et-vient
en elle.

Une danse endiablée commence. La soif l’un de l’autre, la frustration, la colère, le


manque, tout se réunit pour former un cocktail explosif de sensations… Jusqu’à ce
que, au paroxysme du plaisir, nous poussons en même temps le cri de la libération.

Jamais réconciliation n’aura été meilleure…

Comblé, essoufflé, je reste sur ma femme parcourant son visage de petits baisers
tandis qu’elle caresse mon dos. Ma femme… Je ne la laisserai jamais s’en aller.

***************
***************

Le lendemain

***Hadja Koïta***

Lamine veut enfin me parler, il est enfin venu me voir. Il vient d’emmener sa mère
à l’hôpital et m’a dit en partant de l’attendre. L’attendre, je ne vais faire que ça. Je
me suis changée, maquillée et installée dans le salon, prête à entendre ce qu’il me
dira.

Quand il revient, il s’assoit simplement sans me regarder puis commence à parler.


Le mépris transparait dans chacun de ses mots secs. Là, il ressemble à son père
tellement il est dur et sévère… Mais ce n’est pas important.

Ce qui est important, ce sont ces mots qu’il prononce enfin à seulement quelques
semaines du terme de ma grossesse :

- Je vais reconnaître ton enfant. Je prendrai soin de vous.

Le soulagement m’envahit tel qu’imprudente, je ne peux m’empêcher de lui


exprimer ma gratitude comme s’il me faisait une faveur :

- Oh, merci Lamine. Tu ne sais pas à quel point je…

Il m’interrompt sèchement :

- Je ne sais pas tout ce qui s’est passé cette nuit-là. J’ai un trou de mémoire... Sais-
tu pourquoi ?

Il pose cette question en me regardant fixement comme pour me sonder. Là, il


insinue quelque chose.

Innocemment, je lui réponds:

- Non… Je ne sais pas Lamine... Peut-être que… tu te sentais coupable et tu as


préféré oublier ?

- Donc toi tu te souviens de tout.

- Euh... oui.

- Alors tu peux me rafraîchir la mémoire. Que s’est-il passé exactement ?

- Ce qui s’est passé ? Lamine… c’est gênant, je ne peux pas parler de ça.

Je détourne le regard mais lui me scrute toujours des yeux, des secondes durant.
Je ne bouge pas, ne parle pas.

Ce n’est pas grave s’il me méprise ou s’il me soupçonne. L’essentiel est qu’il
m’épouse. Qu’on se marie seulement et je me débrouillerai ensuite pour gagner
son amour. Mais d’abord, qu’il m’épouse…

Sous son regard insistant, je pose ma main sur mon ventre bien rond qu’il se
souvienne de lui. Notre bébé… Je sais que c’est un garçon. Pas de chance pour
Maï, c’est moi qui porte l’aîné de la famille.

Ce geste réussit à faire se lever Lamine, qui me dit avant de partir :

- Fais attention à vous. Au revoir.


- Au revoir Lamine…

J’attends qu’il sorte avant de pousser un long soupir de soulagement. Tout n’est
pas gagné mais on a déjà bien avancé. Malgré sa haine pour moi, Lamine éprouve
quand même un peu de compassion. Heureusement que les hommes sont
sensibles devant une femme au ventre rond. Il pouvait me crier dessus tant que je
n’avais pas grossi, comme ce soir-là dans la voiture, mais maintenant qu’il voit en
face de lui une femme bien enceinte, je suppose que c’est moins évident…

D’autant plus que, qu’il le veuille ou non, je serai sa femme. Avec son père malade,
ce n’est qu’une question de temps avant qu’il l’accepte totalement.

Bon. C’est ça de fait. Je prends mon portable qui vibrait durant la conversation et
consulte les appels manqués.

Lui ?! Qu’est-ce qu’il me veut encore ?

J’ouvre un nouveau message qu’il m’a envoyé et les mots que je lis provoquent
subitement une accélération de mes battements cardiaques : « Alors comme ça
t’es enceinte de ton cousin ? T’oublies que Dakar est petit Hadja. Rappelle-moi
vite. Et rappelle-toi que je sais où tu vis… »

Non, non, non ! Pas ça, pas maintenant. Comment il a su ? Qui lui a dit ? Je pense à
mes pipelettes de cousines…

Mais ce n’est pas le moment de me poser ces questions. Je me précipite dans ma


chambre et le rappelle, les doigts tremblants :

- Omar ?
- Ma chère Hadja, dit-il d’une voix sarcastique. Même ta voix m’a manqué. Tu
n’aurais pas dû me laisser ainsi chérie.

- Qu’est-ce que tu veux ?

- Oh, on peut se saluer quand même.

- Omar, dis-moi ce que tu veux. Je n’ai pas de temps à perdre.

- Okay. Je veux te voir, et très vite. Je t’attends chez moi à 16h demain. Si je ne te
vois pas, toi tu me verras à 17h chez toi.

- Quoi ? Non mais…

Clic. Il a raccroché !

Mon cœur bat la chamade alors que j’observe le téléphone, désespérée. Les
problèmes vont commencer. Ce vaurien, la poisse de ma vie, va tout gâcher…

Partie 26 : Si seulement je les avais écoutés.

***Hadja Koïta***

Obligée de revenir dans ce quartier qui ne représente que de mauvais souvenirs


pour moi. La dernière fois que j’y suis venue il y’a quelques mois je suis repartie en
pleurs et me promettant de ne jamais y revenir. Tant d’espoir déchu après de
longues années…

J’ai dû mentir à tata Oumou pour sortir, lui disant que j’allais chercher des
vêtements chez le tailleur et en profiter pour marcher un peu. Heureusement
qu’elle est devenue moins suspicieuse sinon j’aurais été bien embêtée avec la
menace d’Omar de venir à la maison. Je ne veux absolument pas que quelqu’un ici
connaisse son existence.

Je sonne à la porte et c’est lui-même qui vient m’ouvrir. Forcément il est seul,
sinon il ne m’aurait pas demandé de venir. J’entre vite avant que quelqu’un dans la
rue nous voie ensemble, on ne sait jamais... Profitant du fait qu’il referme le
portail, je l’observe en coin et remarque qu’il est toujours aussi beau. Sexy même
dans ce vieux pantalon de jogging et ce tee-shirt délavé.

Il se retourne et surprend mon regard sur lui. Je me détourne avec mépris en ayant
le temps de voir son sourire amusé.

Il s’approche de moi et me touche le bras en passant, mine de rien :

- Hadja… Même enceinte, tu es magnifique. Allez, viens.

Je ne lui donne pas la satisfaction d’une réponse et le suis en restant à distance.


Qu’il me dise ce qu’il veut et qu’on en finisse. Rien d’autre.

En pénétrant dans la maison, je retrouve son intérieur luxueux qui m’avait tant
impressionnée la première fois qu’il m’a emmenée ici. Je pensais alors que tout
était à lui, mais non. Cet homme que je croyais connaître depuis des années quand
il venait passer ses vacances en Mauritanie ne se faisait en réalité qu’entretenir.

Il m’invite à m’installer dans le salon. Je préfère attendre qu’il s’assoie avant de


choisir une place à distance suffisante de la sienne. Mon geste a l’air de beaucoup
l’amuser mais je préfère ne pas y faire attention, voulant juste savoir ce qu’il me
veut :

- Pourquoi voulais-tu me voir ?

- Hadja, Hadja… Laisse-moi profiter de ta présence un peu quand même. Tu m’as


manquée.

- Omar, je ne suis pas là pour jouer ok. Alors dis-moi pourquoi tu m’as fait venir
qu’on en finisse.

- Dis donc mais tu es en colère. Essaie de te calmer, chérie. Ne fais pas de mal à
notre bébé.

Il me provoque…

J’inspire profondément pour conserver mon calme, avant de lui demander à


nouveau :

- Qu’est-ce que tu veux Omar ? N’as-tu pas autre chose à faire de ta vie que de
m’embêter ? Pourquoi ne pas aller t’occuper de ta vieille toubab là ?

- Okho, t’en es encore là ? Tu sais très bien que je n’ai rien à faire d’elle, c’est toi
que je veux moi.

- Tu me veux moi ?! C’est nouveau ? Ce n’est pas ce que tu disais la dernière fois
que je vous ai trouvés ensemble.
- J’étais obligé chérie. Tu ne peux pas comprendre. Mais ce n’est plus important
tout ça, je regrette et je veux que tu me pardonnes.

Il regrette ! Non mais il me fait rire celui-là. Je lui réponds sèchement :

- Je n’ai rien à faire de tes regrets. Je t’ai effacé de ma vie , je vais me marier
bientôt et je ne veux pas que ma belle-famille sache quoi que ce soit à propos de
toi. Tu m’as causé assez de problèmes comme ça Omar.

- Quels problèmes ? Je n’ai fait rien d’autre que t’aimer. Ce n’est pas de ma faute si
tes parents ne voulaient pas de moi.

- C’est à cause de toi qu’on m’a obligée à venir ici me marier. Si je leur avais obéi et
arrêté notre relation, mes parents n’en seraient jamais arrivés là.

Si seulement je les avais écoutés. Je ne serais pas venue à Dakar et je ne serais


jamais tombée enceinte. Lamine continuerait de vivre sa vie tranquille avec sa
femme et moi j’aurais fini par rencontrer un homme digne de moi.

Ce que je dis à Omar n’a pas l’air de lui faire grand cas. Il me répond de ce ton
séducteur qui m’a tellement fait perdre la tête par le passé :

- Hadja… Tu ne pouvais pas rompre avec moi, tu m’appartenais… Tu m’appartiens


toujours. Je veux que tu reviennes avec moi, je veux prendre soin de toi et du
bébé.

- Ah oui ? Avec quoi ? L’argent de ta vieille peut-être ? Tu crois qu’elle acceptera


d’entretenir « ta cousine » qui revient avec un bébé en plus ?
- Ne t’inquiète pas pour elle, j’en ai bientôt fini. Ce n’est qu’une question de temps
avant que cette maison m’appartienne et on pourra y vivre ensemble. Je veux
élever notre bébé Hadja, on s’aime toi et moi. Tu ne veux pas la même chose, dis-
moi ?

- Non, parce que je ne t’aime pas. Plus depuis que je connais ton vrai visage. Et ce
bébé n’est pas le tien alors arrête de l’appeler ainsi. Tu n’as pas encore compris
que je me marie avec son père ?

Il émet un petit rire sarcastique en se détendant sur le fauteuil et croisant ses bras
de façon décontractée.

- Hadja… A d’autres stp. Alors dis-moi, comment as-tu fait pour le convaincre qu’il
est le père ?

- Je ne sais pas de quoi tu parles.

- Ah bon ? Bref, ce n’est pas important. Je sais que tu peux être convaincante
quand tu veux… Ce qui m’importe là c’est toi et moi. Je veux que tu deviennes ma
femme.

Je l’observe attentivement... Il est sérieux ?

Pour appuyer ses paroles, il se redresse et avance sur le bord du fauteuil pour être
plus proche de moi avant de reprendre :

- Je suis sérieux Hadja. Deviens ma femme et tout ça t’appartiendra… J’ai failli


devenir fou tu sais quand j’ai appris que t’allais te marier. C’est moi ton mari et
personne d’autre. Ensemble on élèvera le bébé. Notre bébé… Tu es à combien de
mois ?

-…

- C’est ça que tu étais venue me dire ce jour-là n’est-ce pas ? C’est la nouvelle dont
tu parlais dans ton message.

Le moment de surprise passé, je lui réponds à nouveau sèchement :

- Omar, je ne vais pas me marier avec toi, c’est clair ?

- Pourquoi ?

- Parce que je ne le veux pas.

Parce que je tiens à mon avenir et à celui de mon fils. Pourquoi j’irais me marier
avec un sans-le-sou qui vit aux baskets d’une autre femme ? Dire qu’il pense me
convaincre avec ses plans à deux balles !

Mais il ne lâche pas l’affaire.

Il me dit d’une voix charmeuse :

- Tu es sûre Hadja ? On était bien ensemble pourtant. Tu te rappelles ? Tous ces


moments qu’on a passés… Tu es sûr que ton cousin pourra t’apporter la même
chose, les mêmes plaisirs ?
- Lamine n’a rien à t’envier.

- Il ne te connait pas aussi bien que moi je te connais, tu le sais... Je sais tout de toi
Hadja… Souviens-toi.

Mon cœur se met à battre plus vite et je sens une ondée de chaleur m’envahir.
Mes souvenirs remontent à quelques mois, années en arrière alors que je fixe le
regard insistant d’Omar.

Soudain je reprends mes esprits et décide de me lever en disant :

- C’est tout ce que tu avais à me dire ?

Omar, qui lui ne porte pas un gros ventre, se lève plus vite que moi et s’approche.
Debout, je me retrouve nez à nez avec lui.

Il avance sa main et la pose doucement sur mon ventre. Le contact me fait un


drôle d’effet. C’est la première fois que quelqu’un touche mon ventre…

La première fois et il a fallu que ce soit le vrai père de mon bébé… Celui que je
pensais ne plus jamais revoir.

L’émotion me gagne immédiatement et Omar commence à chuchoter :

- Je sais qu’il est à moi, je le sens. Dis-moi la vérité Hadja. Même si tu ne veux plus
de moi, dis-moi la vérité.

Lui dire la vérité ? Pour qu’il décide ensuite de le réclamer ? Non, je ne peux pas
faire ça, hors de question que je prenne ce risque. Omar ne peut pas s’occuper de
moi comme je le mérite. Lamine lui le peut. Il a un bon travail et ses parents sont
riches.
Ma voix manque pourtant d’assurance quand je lui réponds :

- Ce… n’est pas ton bébé Omar.

- Donc ça veut dire que tu as couché avec quelqu’un d’autre que moi. Tu en as été
capable et à la même période. C’est ça Hadja ?

-…

- Je ne te crois pas. T’aurais pas pu faire ça. Je suis ton premier et ton seul amour.
Tu le sais et je le sais mon amour.

Qu’il arrête ! Mon Dieu, qu’il arrête ! Ses chuchotements… son odeur… Trop de
souvenirs me reviennent…

Une main toujours sur mon ventre, il tend l’autre et me caresse doucement la joue
avec son pouce. C’est tellement agréable que je ferme les yeux. Je ne vois pas ses
lèvres s’approcher de moi mais je sens qu’il va m’embrasser d’un instant à l’autre.
Dans l’attente, je redresse la tête et entrouvre légèrement mes lèvres.

J’en ai tellement envie ! Juste un peu d’amour, d’affection…

Mais rien. Je rouvre les yeux et vois Omar tout proche de moi, qui chuchote à
nouveau :

- Dis-le moi. Je veux savoir que tu n’as jamais été qu’avec moi… N’est-ce pas ?

Je le regarde dans les yeux puis, lentement, hoche la tête. Il pousse un soupir de
soulagement et enfin, pose ses lèvres sur les miennes.

Je voulais juste ça. Une pause… Juste profiter de ses bras chaleureux, de cette
tendresse dont j’ai manquée depuis si longtemps alors que j’en avais tant besoin.
Je me laisse aller dans ses bras, fatiguée de réfléchir.

Après un long baiser, il recule légèrement et me dit :

- Alors, on fait quoi ?

« On fait quoi » ?! Sa question me remet vite les idées en place. Je me détache de


lui et recule avant de répondre :

- Rien du tout. On ne peut pas être ensemble Omar.

- Hadja, je regrette ok. Je m’en rends compte maintenant plus que jamais. Si j’avais
su que t’étais enceinte, je n’aurais jamais agi comme je l’ai fait.

- C’est trop tard maintenant. Tout le monde croit que je suis enceinte de Lamine.
T’imagines si je dis à mes parents que c’est de toi en réalité ? Qu’en m’emmenant
ici ils m’ont poussée dans tes bras ?

- Ils finiront par accepter. Il y’a un bébé, ils n’auront pas le choix.

- Non, Omar, il vaut mieux que tu m’oublies.

- … Qu’est-ce qui te dérange au fond ? Le fait de découvrir que je ne suis pas celui
que tu pensais ? Que je ne suis pas riche ? Ça va changer ça Hadja. S’il le faut, je
quitte cette maison. Je vais trouver du travail et on pourra vivre ensemble tous les
trois.
- Je ne peux pas Omar, désolée.

- Mais c’est mon enfant que tu portes. Tu crois que je vais laisser quelqu’un d’autre
l’élever ?

- Omar ! Ne me fais pas ça, si tu m’aimes vraiment ne gâche pas tout pour moi.
Lamine sera un meilleur mari et un meilleur père que toi, tu le sais très bien.

- Mais c’est qui ce Lamine ? Je ne le connais même pas et je vais le laisser élever
mon fils ?

- C’est un homme bon. Responsable, qui travaille et qui me respecte. Tout ce que
tu n’es pas.

- Tu te rends compte de ce que tu me dis ?

Je me mets à crier :

- Ouiii, je me rends compte ! C’est ce que je pense, c’est la vérité. Si tu m’aimes


vraiment comme tu le prétends Omar, reste loin de moi. Laisse-moi vivre la vie que
j’ai choisie. Et ne me menace plus de venir chez moi. Tu peux faire ça stp ? Après
tout le mal que tu m’as fait, peux-tu au moins faire ça pour moi ?!

- Calme-toi. Ce n’est pas prudent de te mettre dans cet état.


- Je me calmerai quand tu m’auras promis de ne plus chercher à me voir ! Promets-
moi ça !

Il m’observe en poussant un long soupir, puis acquiesce enfin.

Pour être sûre, je lui répète :

- Tu me promets ?

- Oui. Je te promets de ne rien faire qui puisse nuire à ta grossesse.

Ça veut dire quoi ça ? Et après la grossesse ??

Ah non, je suis fatiguée ! Mais bon, tant pis, je vais partir. Après l’accouchement,
on se mariera vite Lamine et moi de toute façon. Omar pourra alors raconter tout
ce qu’il veut ça ne changera rien. On le prendra juste pour un fou.

Je ne reste pas une minute de plus chez lui et le quitte au pas de la porte, l’air
peiné. Pas mon problème. Tout ce qui m’intéresse, c’est moi et mon bébé.

****************

*****************

Quelques minutes plus tard

***Abibatou Léa Sy***

- Allô ?
- Oui, Abi.

- Salut Omar. Alors ?

- Alors tu avais raison.

Oh, le soulagement ! Je le savais, j’en étais sûre. Je suis tellement contente que j’ai
envie de danser, mais je garde mon calme et lui dis :

- Parfait. Elle t’a expliqué ce qui s’est passé exactement avec son cousin ?

- Non… pas encore.

Sa voix est hésitante. Je sens qu’il ne me dit pas tout et lui demande :

- Qu’est-ce qu’il y’a ?

- Rien mais… J’ai peur qu’elle ne me pardonne plus après ça.

- Et donc ?

- … Non, rien. C’est bon.


- Bien, on passe à l’étape suivante alors. Tu attends deux jours comme on avait dit,
avant de l’appeler. Ensuite je te remettrai ce qu’on a convenu… A bientôt.

Je raccroche, un peu énervée. Je ne sais pas ce qui prend Omar là mais il a intérêt
à ne pas reculer maintenant. Je n’en ai rien à faire de ses états d’âme.

Maintenant que je sais que Hadja n’est pas enceinte de Lamine, il est hors de
question que je laisse un mec intéressé par rien d’autre que l’argent me barrer le
chemin.

Dès la première fois que Hadja m’a parlé de lui, son fameux « gigolo » d’ex, j’ai
compris à son ton rancunier qu’il y’avait plus derrière cet ex que ce qu’elle disait.
Je me suis débrouillée ensuite pour souvent tourner nos discussions vers nos exs,
racontant moi-même des histoires inventées de toutes pièces. La meilleure
manière de recevoir des confidences est d’en donner, n’est-ce-pas…

Bref, il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour connaître son prénom ainsi que
l’histoire autour de leur rupture. Je connais le genre de mec qui court derrière les
blanches juste par intérêt. Souvent, c’est des chômeurs et ils ne comptent sur rien
d’autre que ce que leur « toubab » veut bien leur donner en remerciement de
leurs prouesses. Exactement le genre d’homme que je pouvais convaincre avec de
l’argent et c’est ce qui s’est passé. Le reste a été facile, fouiller dans le téléphone
de Hadja pour obtenir le numéro d’Omar et le contacter.

Jusque-là tout s’est passé comme prévu sauf qu’apparemment revoir Hadja a dû
lui faire quelque chose pour qu’il vienne hésiter maintenant.

Mais je ne désespère pas. C’est déjà très bien d’avoir la confirmation du fait
qu’Hadja n’est pas enceinte de Lamine. A présent, je peux préparer sereinement
l’arrivée de mon cher Majib…

**************** *****
**************** *****

***Abdoul Majib Kébé***

Tout est parfait dans ma vie. La chance a décidé de me sourire. Je ne pouvais rêver
de plus que tout ce que j’ai maintenant. Les choses sont allées très vite en plus. Je
vais aller vivre au Sénégal avec non seulement un travail qui m’attend mais aussi
un fructueux investissement. Retrouver la femme que j’aime et, cerise sur le
gâteau, je me suis enfin réconcilié avec Ndèye Marie. C’est justement elle que
j’attends devant son école…

C’était tellement inattendu quand elle m’a appelé il y’a quelques jours que j’ai
encore du mal à y croire aujourd’hui. On a discuté pendant longtemps de choses
et d’autres. La connaissant, j’ai compris qu’elle se sentait seule mais était trop fière
pour appeler Boris. Cet idiot ne lui fait plus aucun signe et refuse de me dire quel
est le problème entre eux. Comme si je n’avais pas déjà deviné. Tout est parti de la
soirée qu’on avait passé ensemble tous les trois…

Pour que Ndèye Marie se tourne vers moi qu’elle ne supporte plus, c’est vraiment
qu’elle doit aimer Boris. Je me demande si elle-même le réalise. Ce qui me rassure,
c’est de savoir que lui aussi l’aime. Il est malheureux mais il ne l’avouera jamais. Ça
me désole que leur problème vienne de moi. Ndèye Marie est une femme, elle
réagit spontanément aux situations sans forcément réfléchir aux conséquences et
c’est ce qui est arrivé quand elle a essayé de me rendre jaloux avec Boris.
Malheureusement elle ne réalisait pas que Boris avait gardé certains griefs par
rapport à moi et elle depuis le début de notre relation. Ce n’est qu’un humain
après tout, les choses l’atteignent comme n’importe qui et penser que Ndèye
Marie était encore amoureuse de moi ne devait pas être facile.

Si seulement il l’avait entendu parler comme je l’ai fait ces derniers jours. Il saurait
que c’est de lui dont elle est amoureuse maintenant, pas de moi. C’est pour ça que
je veux voir Ndèye Marie aujourd’hui. Je veux les réconcilier avant de partir à
Dakar dès ce week-end.

Elle sort de l’école et me rejoint. Nous marchons un peu avant de nous arrêter
dans un café non loin de là où nous nous installons pour discuter. Il y’a encore pas
mal de gêne entre nous et je décide de la rompre en tranchant dans le vif :

- Ça te fait bizarre toi aussi non, qu’on se retrouve à discuter comme ça après tout
ce temps et… tout ce qui s’est passé.

Elle répond en souriant, pensive :

- Oui, j’avoue. Mais c’est toi qui as voulu me voir alors…

- C’est vrai. J’espère que ça ne t’embête pas trop quand même.

- Non, ça va.

- Je ne t’en aurais pas voulu de dire non. Je m’estime déjà chanceux de te parler à
nouveau… Au fait, qu’est-ce qui t’a poussé à le faire ? J’étais sûr que tu ne voudrais
plus jamais me reparler.

Elle baisse les yeux et joue avec son verre, pensive, l’air de réfléchir à sa réponse,
avant de se décider :

- Honnêtement ? Je voulais savoir si j’avais encore des sentiments pour toi.


- Ok... Pourquoi ?

- Juste comme ça. Pour pouvoir avancer dans ma vie.

- Avec Boris ?

- Non, non, juste avancer. Boris n’est plus dans ma vie de toute façon.

Elle dit ça de façon détachée mais je décèle la tristesse dans sa voix. Et je sais
qu’elle ment… Le silence s’installe un moment, qu’elle finit par rompre :

- Pourquoi tu voulais me voir ?

- Well… Pour deux choses en fait. D’abord Boris. Je crois que vous avez rompu à
cause de moi et ça me met mal à l’aise. Lui croit que tu as encore des sentiments
pour moi et toi tu penses qu’il t’a oubliée. Sauf que vous vous trompez tous les
deux.

Ndèye Marie me regarde avec surprise. Peut-être que j’abuse un peu, je ne suis
quand même pas bien placé pour lui parler de sa vie amoureuse.

Pour éviter de la froisser, j’ajoute rapidement :

- Désolé si tu trouves que je me mêle de ce qui ne me regarde pas. C’est juste que
vous êtes… il est mon ami et j’ai envie de vous aider.

- Qu’est-ce que tu essaies de faire Majib ? Te racheter pour ce que tu m’as fait ?
- Non, ce n’est pas ça. Je te promets. Je n’aime juste pas vous voir malheureux…
Surtout toi. Je te connais, je sais que tu l’es.

-…

- Ne t’arrête pas sur le fait que Boris n’essaie pas de revenir vers toi, Ndèye Marie.
Au fond tout ce qu’il attend c’est un signe. Il a besoin d’être rassuré, tu
comprends ? C’est pas facile pour lui de penser qu’il y’a encore quelque chose
entre toi et moi. Et c’est à toi de le rassurer. Il est fier, têtu et pire il est défaitiste. Il
risque de ne jamais faire le premier pas ou de le faire quand ce sera trop tard.
Mais toi, tu n’es pas comme lui. Ne laissez pas votre fierté vous faire passer à côté
de quelque chose qui peut être vraiment bien… Fais-lui juste un signe et tu verras
qu’il viendra vers toi en courant. Il t’aime.

Ndèye Marie soupire profondément et ferme les yeux quelques secondes, avant
de les rouvrir. J’ai l’impression de voir une lueur briller dans ses yeux quand elle dit
doucement :

- La vie est bizarre…

- Oui… Mais c’est comme ça. Les choses changent des fois de la manière qu’on
n’aurait jamais imaginée. Mais il faut savoir vivre avec et profiter de ce qu’on a.

- Tu es toujours avec Abi ?

Wow. Cette question me prend au dépourvu, je ne la voyais pas venir. J’observe


Ndèye Marie avant de répondre prudemment :

- Oui.

- Pourquoi tu m’as trompée avec elle, Majib ?

Encore pire comme question… Je commence à regretter d’être venu. J’observe


encore Ndèye Marie mais vois qu’il n’y a aucune agressivité dans sa voix. Elle
semble juste essayer de comprendre. Donc je vais lui répondre le plus
honnêtement que je puisse :

- Je ne sais pas. Tout ce que je sais c’est que ça n’avait rien à voir avec toi. Je n’avais
aucun problème avec toi, tu le sais.

- Oui… je sais. Tu es juste tombé amoureux d’elle n’est-ce-pas ?

-…

- Ça fait un bon petit moment que vous êtes ensemble alors. Ça veut dire que c’est
sérieux. N’est-ce pas ?

- Oui.

- Ok… Tu sais quoi, je crois que je ne t’en veux plus au fond. Ce n’est pas de ta
faute si tu es tombé amoureux d’une autre, ce genre de chose ne se contrôle pas…
Elle, par contre…
- Abi regrette aussi Ndèye. Elle ne voulait pas te faire du mal.

- Bien sûr que non. Ni du mal, ni du bien, ni rien du tout en fait. Je ne suis rien
pour elle. Juste un pion dans son échiquier. Ce qui compte pour Abi, c’est Abi.

- Ndèye, ne dis pas ça.

- Je sais ce que je dis. Je te plains en réalité parce que je vois que toi tu l’aimes
vraiment.

Okay, là je regrette vraiment d’être venu. Ndèye ne m’écoute pas de toute façon.
Elle n’éprouve que de la rancune. Elle préfère s’arrêter à ça plutôt que d’aller régler
ses problèmes avec Boris. Je ne supporte pas qu’elle parle ainsi d’Abi. Ce n’est
peut-être plus son amie mais c’est elle qui est dans ma vie maintenant.

Un peu par vengeance et pour en finir sur le second but de ma présence, je lui dis :

- Je vais aller vivre à Dakar. Dès ce week-end… C’est aussi pour ça que je voulais te
voir, pour te dire au revoir.

- A Dakar ? T’es sérieux ?

- Eh oui, dis-je en souriant.

- Wow. T’as trouvé du travail ?


- Oui, je commence dès lundi prochain.

- Eh bien… C’est vraiment sérieux entre vous alors. Ben écoute, je te souhaite
bonne chance. Sincèrement…

- Merci.

- J’espère que tu ne vas pas le regretter.

Et voilà, elle gâche tout à nouveau.

Quelques minutes plus tard, nous quittons le café et je marche avec elle jusqu’au
métro pour l’accompagner. Ne voulant pas repartir sans insister une dernière fois,
je lui dis :

- Promets-moi que tu feras un effort avec Boris.

Elle sourit sincèrement en répondant :

- Ok, promis. Et toi, tu prends soin de toi.

- T’inquiète. Je serai au soleil et vous sous la grisaille. C’est moi qui vais vous
plaindre.
Nous rions puis nous regardons quelques secondes sans rien dire. Pendant un
instant j’éprouve un bonheur profond et sincère à être ainsi juste à côté d’elle, en
paix. Ça me fait du bien…

Spontanément, je la prends dans mes bras et la serre fort contre moi. Elle me serre
aussi puis dit :

- Tu me tiens au courant d’accord ? Prépare le terrain pour moi.

- Promis. Allez bye.

Puis je la quitte, souriant et le cœur léger.

*****************

*****************

Au même moment

***Boris Suleyman Hannan***

Je les observais depuis près d’une demi-heure ne croyant pas à ce que mes yeux
voyaient. Ndèye Marie et Majib ensemble… Puis je les ai suivis. J’étais incapable de
me décider à partir, malgré le fait que je me disais qu’il y’avait forcément une
explication. Que l’un des deux m’appellerait sûrement le soir pour m’expliquer ce
qui se passe.

J’ai continué de les suivre… Et maintenant que je les vois s’embrasser de cette
sorte, je comprends que ce n’est pas la première fois qu’ils se revoient…

Tout ça dans mon dos…


Quant et comment se sont-ils réconciliés pour devenir aussi complices ? Comme la
première fois ? Et pourquoi je ne suis pas au courant ?

Mon meilleur ami et mon ex ? La réponse ne peut être autre que ce qui est
évident. Si Majib ne m’a rien dit, c’est qu’il y’a quelque chose à cacher…

Le coup est dur. Jamais je ne me suis senti aussi trahi. Car cette fois, ce n’est pas
seulement Majib qui me trahit… mais Ndèye Marie aussi…

Partie 27 : On dirait une famille…

***Ndèye Marie Touré***

Je me suis mise sur mon 31. Une robe sexy derrière un joli manteau, des talons
hauts et exceptionnellement habilement maquillée. Ce soir j’ai enfin le courage de
venir voir Boris. J’ai tellement hésité à l’appeler depuis que Majib m’a parlé que
finalement j’ai décidé de venir directement chez lui en espérant l'y trouver.
Comme ça au moins, je ne reculerai pas devant sa porte. Il me manque à un point,
c’est fou ! J’en ai assez d’attendre de sa part un signe qui ne viendra jamais. Après
tout Majib est son meilleur ami, s’il me dit qu’il est toujours amoureux de moi,
c’est que c’est vrai. A moi de l’encourager…

Je sonne au bas de sa résidence et attends, quand même stressée. Il ne tarde pas à


décrocher l’interphone :

- Oui.

- Boris, c’est moi. Ndèye Marie.


Silence… Est-ce qu’il m’a entendue ? Je répète :

- Allô Boris ?

- Je descends.

Puis il raccroche. Il descend ? Pourquoi il ne me laisse pas entrer ? Etonnée,


j’attends quand même patiemment. Quelques minutes après, je le vois sortir de
son bâtiment et marcher vers le portail extérieur où je me tiens. Il m’observe
calmement, l’air pas spécialement content de me voir. Je me demande si j’aurais
dû venir finalement…

Arrivé devant moi, il ouvre le portail et sort, ne m’invitant toujours pas à entrer.

- Salut.

- Salut Boris... Tu vas bien ?

- Très bien, merci.

Okay… Moi aussi je vais bien, merci de demander. Pourquoi est-il aussi froid ?

De plus en plus hésitante, je lui dis :

- Je te dérange ?

Il semble hésiter aussi puis répond :

- C’est pour ?
Là, je ne sais plus quoi penser. Je suis juste tentée de retourner sur mes pas dare-
dare. C’est moi qui fais le premier pas et lui continue de faire la tête ?!

Ravalant encore une fois ma fierté, je lui dis quand même :

- Je voulais qu’on parle.

- De ?

- Est-ce que je peux entrer ?

Il jette un bref coup d’œil derrière lui et dit :

- Non, désolé. Je ne suis pas seul.

Pas seul ?! Je l’observe attentivement pour comprendre le sens de ses paroles et


nos yeux se croisent. Son regard est dur, je ne reconnais pas le Boris que je
connais, celui tellement attentionné et prévenant avec sa « petite Marie ».

Pas seul… Ça veut dire quoi ça ? Je refuse de partir sans en avoir le cœur net. En
observant ses habits, un pantalon de jogging, un blouson sans rien dessous et des
pantoufles, je réalise qu’il s’est rapidement habillé... Pas possible ! Essayant de
contenir la colère dans ma voix, je lui demande :

- Tu es avec une fille ?

Il ne répond pas, me regardant simplement.


Ça veut tout dire. Put*** pourquoi je suis venue ici ? Pourquoi suis-je bête ? Et
Majib, pourquoi m’a-t ’il menti ? J’ai tellement la rage que j’ai envie de pleurer. Me
ridiculiser de la sorte ! Je ne leur pardonnerai jamais, ni à l’un ni à l’autre.

La bile dans la gorge, je déverse tout mon fiel sur Boris en une seule phrase :

- T’es qu’un salaud !

Puis je me retourne et marche vite pour partir. Je l’entends protester calmement


comme s’il s’en foutait :

- Marie, attends.

Je ne lui réponds même pas et marche encore plus vite. Ridicule ! Avec ma robe,
mes talons, je suis juste ridicule ! Je veux disparaître de cet endroit et rentrer vite
me cacher chez moi. Les larmes coulent sur mon visage alors que j’entends au loin
derrière moi le portail se refermer juste avant que je change de rue.

Tout ça à cause de Majib. Tout ce qui m’arrive est à cause de ce fils de p***. C’est
de ma faute, à vouloir être trop gentille, je me suis encore fait avoir. Mais qu’est-ce
qu’ils ont tous à jouer avec moi ?!

Il va m’entendre aujourd’hui, ce salaud !

******************

******************

***Boris Suleyman Hannan***


J’ai réussi à garder mon calme tout le temps que j’ai été avec Ndèye Marie mais
alors que je rentre dans mon appart, la tristesse m’envahit. Qu’est-ce que je suis
allé tomber amoureux de la seule fille que j’aurais dû éviter ? L’ex de mon meilleur
ami ? J’avais réussi à vivre ma vie normalement durant toutes ces années sans elle,
alors pourquoi il a fallu que je recommence tout ? Je pensais quoi, que ça allait
être simple peut-être ? Ils ont été ensemble pendant des années, ils allaient se
marier bordel !

Et là, malgré leur rupture, je les découvre ensemble, se voyant derrière mon dos.

Donc quoi maintenant, il l’a encore jetée et elle vient trouver son lot de
consolation ? Ça ne se passera pas comme ça. Trop bon, trop con…

Je retrouve Charlène allongée sur le canapé, toujours à moitié nue. Elle me sourit
et m’invite d’un geste à la rejoindre.

Je ne veux plus la voir là. C’est une vieille copine et je l’ai appelée hier soir quand
je suis rentré pour me rejoindre. Je n’étais pas en forme et avais besoin d’un peu
de compagnie. Comme d’habitude, elle ne s’est pas fait prier et est restée encore
aujourd’hui. Sauf que là, je ne suis plus d’humeur. Elle peut partir.

J’ignore son invitation et m’assoie sur un fauteuil en prenant la télécommande. Du


coin de l’œil, je la vois se redresser en tirant le plaid sur elle pour se couvrir, avant
de demander :

- Ça va, Boris ?

- Oui. Mais j’ai envie de rester seul un peu stp, dis-je sans me retourner.

- Ah bon… C’était qui à la porte ?


- Personne.

- C’est personne qui t’a énervé comme ça ? Eh ben ! Ce ne serait pas ton ex par
hasard, celle pour qui tu m’avais zappée ?

Je vais éviter de lui répondre, ça la fera partir. Elle connait l’existence de Ndèye
Marie et les choses ont toujours été claires entre nous deux. On est plus ou moins
amis et on se rend mutuellement service de temps en temps. Ça s’arrête là. Pas
d’engagement, pas de jalousie. Je regarde la télé comme si je ne l’avais pas
entendue, mes pensées occupées par Ndèye Marie. Malgré ma rage, je n’ai pas pu
m’empêcher de remarquer à quel point elle était belle…

La voix de Charlène qui se remet à parler interrompt mes pensées :

- Tu dois vraiment tenir à elle, dis donc. Et apparemment elle aussi. Elle était venue
pour quoi à cette heure-ci ? Et pourquoi elle est partie ?

-…

- Bon, comme tu veux. J’y vais... Mais avant, je te conseille de te poser les bonnes
questions, Boris. Je te connais depuis longtemps et je ne t’ai jamais vu réagir de
cette sorte avec qui que ce soit. Alors si tu tiens à cette fille, c’est simple. Va la
récupérer avant qu’il ne soit trop tard et évite de me rappeler, ok.

Elle se lève et se tourne pour partir. Me rendant compte qu’elle essayait juste
d’être sympa, je lui dis pour atténuer ma réaction :
- Elle sortait avec mon meilleur ami.

Charlène se retourne et me regarde. Je hausse les épaules en lui disant :

- Tu vois, ce n’est pas aussi simple.

Elle soupire puis se rassoit :

- Quel ami. Majib ?

- Yep.

- Tu me racontes ?

Donc elle ne va pas partir… Mais bizarrement, j’éprouve l’envie de me confier à


elle et lui raconte toute l’histoire. Elle m’écoute attentivement et quand je finis,
elle me dit en souriant d’un air amusé :

- Je pensais qu’il n’y a que nous les filles qui étions compliquées à ce point. Je me
suis trompée... Donc même après avoir raconté tout ça là, tu ne vois toujours pas
que tes soupçons ne reposent sur rien de concret ? Tu te fais un film tout seul, là.

- Je les ai vus ensemble et ils étaient proches. Ni Majib ni elle ne m’ont rien dit.
Comment tu expliques ça ?

- Mais je n’explique rien parce qu’il n’y a rien à expliquer, Bobo. Tu ne les as pas
vus s’embrasser ou un truc du genre, tu les as juste vus ensemble. Tu veux savoir
pourquoi ? Pose-leur la question tout bêtement. En plus réfléchis, s’il y’avait
quelque chose entre eux, qu’est-ce qu’elle viendrait faire chez toi là, un samedi
soir ? Surtout après plusieurs semaines sans nouvelles ?

- Je ne sais pas.

- Boris, tu le fais exprès ou quoi ? Elle veut faire la paix, c’est évident. Et toi,
j’espère que tu ne lui as pas dit que j’étais ici ?

-…

- Les hommes, qu’est-ce que vous pouvez être cons des fois. Bon, bref, moi je
rentre. Débrouille-toi avec ta petite amie. Et t’as intérêt à ne plus m’appeler sinon
pour parler.

Charlène partie se changer, je repense différemment à tout ce qui s’est passé. Et si


elle avait raison ? S’il n’y a vraiment rien entre Ndèye Marie et Majib, ça veut dire
que je viens de faire une bêtise…

Charlène revient et je l’accompagne à la porte puis la prends dans mes bras pour
lui dire :

- Merci.

Elle me sourit et je remarque un petit brin de tristesse dans sa voix quand elle me
dit :
- Bonne chance.

Puis elle m’embrasse sur les lèvres et me fait un clin d’œil complice avant de partir.

Quelques minutes plus tard, je tiens mon téléphone à la main, hésitant à appeler
Ndèye Marie, quand il se met à sonner. Je décroche en voyant le numéro de
Majib :

- Allô ?

- Boy, toi qu’est-ce que t’as fait à Ndèye ?

- Elle t’a dit quoi ?

- Elle m’a crié quoi, tu veux dire. J’ai les oreilles qui bourdonnent encore. C’est quoi
cette histoire d’autre fille avec qui tu es ?

- Ben, elle est passée tout à l’heure et j’étais avec Charlène alors…

- Charlène ? Boris, t’es fou ou quoi ? Tu faisais quoi encore avec Charlène ? Je
croyais que t’étais sérieux avec Ndèye. Je l’ai poussée à venir te voir, tu te rends
compte dans quelle position tu me mets maintenant ? Comme si ce n’était pas
déjà assez tendu avec elle.

- Bien sûr que je suis sérieux. C’est juste que… bon, je vous ai vus ensemble et j’ai
pensé qu’il y’avait quelque chose entre vous. Ça m’a énervé et j’ai fait le con. Voilà.

Majib ne dit rien pendant deux secondes puis reprend d’une voix méprisante :

- T’es vraiment stupide toi, en fait… Finalement c’est bien fait pour ta gueule.
Débrouille-toi maintenant. Et bon courage, parce qu’elle est bien remontée. Je te
laisse moi, j’ai à faire.

Puis il raccroche.

Je ne suis pas du tout dans la merde…

********************

********************

***Abdoul Majib Kébé***

Trop con celui-là. J’espère que Ndèye lui fera payer. Je coupe le téléphone et sors
de ma voiture avec mes paquets pour entrer dans l’immeuble d’Abi. Elle ne sait
pas que je suis finalement venu une semaine à l’avance, je voulais lui faire la
surprise.

Quand elle vient m’ouvrir, je la vois agrandir ses yeux en me voyant devant sa
porte. Ravi de sa surprise, je lui dis en souriant :

- Coucou ma belle.

- Majib ? T’es déjà là ?


- Oui, depuis ce matin. Alors, je t’ai manqué ?

N’attendant pas sa réponse, je m’approche d’elle et prends son visage entre mes
mains, incapable de résister à l’envie de l’embrasser après tout ce temps. Elle, elle
m’a manqué…

Je l’embrasse longtemps et la sens se détendre et se laisser aller, répondant à mon


baiser. J’adore son odeur, son corps, ses fines lèvres. Dire que je vais pouvoir les
goûter tous les jours maintenant…

Oubliant ce qui se passe autour de nous, une petite voix nous interrompt
brusquement qui fait sursauter Abi :

- Vous faites quoi ?

Je me tourne et vois la petite Anna les yeux pleins de curiosité levés sur nous.
D’abord surpris, son expression enfantine qui se demande ce que ces grands
peuvent bien fabriquer me donne envie de rire. Abi lui dit :

- Anna !

Ça se voit qu’elle n’a pas envie de rire elle. Au contraire, elle semble perdue, ne
sachant comment réagir. Je vais à sa rescousse et m’accroupis devant Anna :

- Salut toi. Moi, c’est Majib, on s’est déjà vu, tu te rappelles ?

Elle hoche la tête avec hésitation, l’air intimidée. Je prends l’un des paquets que
j’ai ramenés et le lui tends :

- Tiens, c’est pour toi.


- Qu’est-ce que c’est ?

- Un cadeau. Ouvre-le.

Elle le prend et regarde sa maman comme pour lui demander la permission. Celle-
ci lui dit :

- Va dans le salon et ouvre ton cadeau. J’arrive.

Ravie, Anna court vers le salon pour nous laisser à nouveau seuls. Je me redresse
et fais face à une Abi pas très contente.

- Je suis désolé.

- Pourquoi tu ne m’as pas dit que tu venais ?

- Je voulais te faire la surprise. T’inquiète pas pour Anna, je suis sûre qu’elle a déjà
oublié ce qu’elle a vu... Je suis content de la voir de plus près. Elle te ressemble, on
dirait une Abi miniature.

Ma blague ne la fait pas rire. Au contraire, elle m’observe attentivement l’air


inquiète, se contentant de m’écouter lui dire :

- Je peux entrer ?

- Euh… je ne crois pas que c’est le bon moment.


- Pourquoi ? J’ai envie de la connaître aussi. Stp. Je ne veux pas repartir déjà.

Elle ne dit rien… De quoi elle a peur ? Elle doit penser que je ne suis pas sérieux
avec elle alors que je le suis plus que jamais même si je sens que ce n’est pas
encore le moment de le lui dire. Après une longue hésitation, elle me précède
dans le salon, ce qui veut dire qu’elle accepte que je reste.

Anna est assise à l’intérieur, la poupée que je lui ai ramenée dans ses bras. Elle a
l’air aux anges.

Je m’assoie à côté d’elle et lui demande d’un air complice :

- Alors ça te plait ?

- Ouiiii elle est belle. Merci.

Je regarde en souriant Abi qui, encore debout, nous observe l’air toujours inquiet.
Me souvenant de son cadeau à elle, je lui tends un sac :

- Ça c’est pour toi.

Elle le prend et l’ouvre lentement pour découvrir la boîte à bijoux cachée dans un
petit sac de velours. Ce sont des boucles d’oreille en or et pierre que la petite sœur
de Boris m’a aidé à choisir. Malheureusement je ne vois pas dans les yeux d’Abi la
même excitation que dans ceux de sa fille. Mais c’est Abi… Elle se contente d’un
petit sourire et d’un merci avant de reposer le cadeau sur la table.

Cependant, quelques minutes plus tard je la vois déguster avec plaisir en


compagnie d’Anna et moi les petits chocolats que j’ai ramenés. Au moins je sais
quoi lui offrir la prochaine fois…
Assis tous les trois devant la télé, la discussion s’installe entre Anna et moi qui me
pose plein de questions :

- Où habites-tu tonton ?

- A Keur Massar, tu connais ?

- Non, c’est où ?

- Pas très loin d’ici.

- Tu vis avec qui ?

- Avec mes grands-parents. Si ça te dit, tu viens nous voir toi et maman ? Y’a même
une piscine.

Elle ouvre de grands yeux étonnés :

- Une piscine ! Dans ta maison ! Tu m’emmènes demain stp?

- Ça me ferait plaisir, dis-je en riant. Mais demande la permission à maman


d’abord.

- Maman ?
Nous regardons tous les deux Abi qui dit entre deux bouffées de chocolat :

- Hum, une prochaine fois chérie. Tonton vient d’arriver d’un long voyage. Il est
fatigué.

- Oh ! dit Anna d’un air déçu.

J’ai envie d’insister pour elle mais j’y renonce pour ne pas aller à l’encontre d’Abi.
Ça ne décourage quand même pas Anna qui, la curiosité de plus en plus éveillée,
continue de me poser toutes les questions qui lui passent par la tête. Où j’étais
parti en voyage, combien de frères et sœurs j’ai, où je travaille, jusqu’à la question
gênante :

- T’as une chérie ? Tata Maï c’est la chérie de tonton Lamine. Et maman elle…

- Anna ! crie Abi pour l’interrompre. Tu veux aller te coucher, c’est ça ?

Cette fois elle arrête de manger ses chocolats et regarde sa fille avec sévérité.
Celle-ci ne dit plus rien. Quelque chose me dit que ce qu’elle allait dire gêne Abi…
Un instant, je médite sur sa réaction, un peu embêté. Menacée par sa mère, Anna
tourne son attention vers la télé en gardant le silence. Quelques minutes plus tard,
elle se blottit tout naturellement contre moi et commence à dormir.

Je regarde Abi en souriant :

- Je crois que j’ai une nouvelle amie.

- Forcément. Avec la poupée, les chocolats et la piscine, ça ne m’étonne pas.


- Tu veux dire quoi, que je l’achète ?

- Je ne sais pas. C’est le cas ?

- Abi, t’es parano. Je n’avais aucune arrière-pensée. Puis j’ai pas besoin de
l’acheter, j’ai déjà séduit sa maman.

Elle fait une petite moue dédaigneuse puis se lève :

- Bon, je vais la coucher.

- Je peux le faire ?

Elle me regarde en hésitant, puis acquiesce de la tête. Je soulève Anna dans mes
bras avec prudence et suis sa maman dans sa chambre. En entrant, je me rends
compte que c’est celle d’Abi et lui chuchote :

- Elle dort avec toi ?

- Oui.

- Où est-ce que je vais dormir moi, alors ?

Elle sourit en me répondant d’un air espiègle :


- Dans les toilettes ?

Je fais la moue, faisant mine d’être attristé par ses paroles, ce qui la fait rire. Voilà,
c’est ça que je voulais. J’aime tellement la voir rire. Elle ne se rend pas compte à
quel point ça lui va…

Je couche Anna en tirant la couverture sur elle puis sors avec Abi qui éteint la
lumière. Vivre ces instants me fait une drôle d’impression. On dirait une famille…
Je connais à peine Anna et pourtant je ne me suis jamais senti aussi proche de
personnes qui ne sont pas de ma famille que je le suis d’elle et de sa maman à cet
instant. J’en oublie même la réaction d’Abi suite aux paroles d’Anna qui m’était
encore restée dans la tête tout le temps qu’on était ensemble.

Abi me prend le bras et me fait la suivre en le tirant, jusque dans le salon. D’un air
coquin, elle chuchote :

- Tu voulais savoir si tu m’as manqué ?

- J’en meurs d’envie…

Elle me pousse sur le canapé, s’assoit sur mes cuisses et m’embrasse


langoureusement. Comme d’habitude l’excitation monte en moi presque
immédiatement. Je lui entoure le corps et l’attire contre moi, sentant ses petites
formes me toucher. L’effet qu’elle me fait est incroyable et devoir me retenir à
chaque fois me fait perdre la tête… Je ne me fais pas d’illusion, ça va être pareil
que les autres fois. Elle va tout faire mais ne me laissera presque pas toucher son
corps.

Reculant son visage, elle me chuchote d’une voix qui augmente mon excitation :

- Tu vois chéri, c’est comme ça que tu m’as manqué.


Soudain, je la soulève et la renverse sur le canapé pour me mettre sur elle. Je n’en
peux plus... La distance, le manque, ces choses qu’elle fait, qu’elle dit… Je ne peux
plus me retenir, je ne suis qu’un homme. La retenant fermement sous mon corps,
je lui caresse le sien osant cette fois toucher directement sa peau nue sous son
tee-shirt. Je l’embrasse passionnément. Elle pousse un petit cri de protestation
mais je ne m’arrête pas. Pas cette fois… Cette fois, je ne lui laisse pas le pouvoir. A
mon tour de jouer…

Je touche ses seins et sens les tétons se durcir instantanément sous mes doigts.
Elle se tortille et gémit alors que je continue mes caresses, parcourant ma langue
sur son visage, son cou, ses oreilles, tenant sa taille fermement...

Elle proteste de plus en plus faiblement :

- Majib…

Elle perd le contrôle – alléluia. Je soulève complétement son tee-shirt et aspire un


téton dans ma bouche tandis que je titille l’autre de mes doigts. Un fort
gémissement de plaisir s’échappe de ses lèvres et elle renverse la tête en arrière
en agrippant ma chemise.

Là, elle est femme… Affaiblie, offerte, elle diffère complètement de cette image de
fille qui garde toujours le contrôle, qui mène toujours la danse… Je profite de son
état d’excitation pour soulever sa jambe. L’effleurant à peine, je parcours mes
doigts de son genou en remontant très lentement vers le haut de sa cuisse, sans
m’arrêter de lécher et mordiller ses seins. Tout son corps se met à frissonner et,
quand arrivé tout près de l’endroit caché par son short, je me mets à tracer des
petits cercles aux abords, je l’entends gémir d’impatience. Elle le veut, elle veut
que je la touche… mais ça n’arrivera pas ce soir, même si ça me demande un effort
incroyable.

J’ai envie de lui montrer. Je meurs d’envie de lui apprendre ce que, malgré ses airs
d’experte, elle semble peu connaître… Mais pas ce soir.

Je me détache soudainement d’elle et me lève en rabaissant son débardeur sur sa


poitrine nue. Elle ouvre les yeux et fronce les sourcils, étonnée.

Je lui dis calmement :

- Désolé, ça n’arrivera plus.

Puis je lui embrasse le front et rajoute :

- Je te laisse dormir. On s’appelle demain ?

En guise de réponse, elle me lance un regard perçant de mépris puis se lève à son
tour, avant de me précéder à la porte. Amusé, je la suis sans dire un mot pour ne
pas mettre de l’huile sur le feu.

C’est à peine si elle ne me claque pas la porte au nez après un bref « bonne nuit ».
Mais ce n’est pas grave.

Il fallait qu’elle apprenne cette première leçon que je sais par cœur depuis que je
la connais… La frustration.

Partie 28 : Ils sont ma vraie famille…

***Abibatou Léa Sy***


Tout marche comme sur des roulettes. C’était un pari risqué mais c’est arrivé.
Hadja vient juste de raccrocher au téléphone avec la promesse de ma part que je
lui prêterai deux millions de Fcfa. C’est ce qu’Omar lui demande en échange de
son silence. Heureusement que ce dernier est allé jusqu’au bout, il commençait à
m’inquiéter...

Quand, paniquée, elle m’a expliqué son besoin et m’a dit qu’elle ne pouvait
s’adresser à personne de son entourage, j’ai tenu à savoir quel était le problème
exactement. Elle m’a expliqué que son ex voulait raconter des mensonges sur elle
prétendant être l’auteur de sa grossesse même si ce n’était pas vrai. Pour éviter
que ça aille trop loin, elle préférait lui donner ce qu’il demande et le faire taire. Elle
me prend vraiment pour une idiote avec son histoire à dormir debout. Si vraiment
elle était sûre que ce n’est pas lui le père, elle ne se casserait pas la tête et
sûrement pas en acceptant de lui donner une telle somme. Moi j’ai fait comme si
je ne comprenais rien en rouspétant conte le « genre d’homme qu’est Omar qui
n’ont rien à faire que de passer leur temps à arnaquer d’honnêtes personnes ».

J’ai accepté de lui prêter la somme et elle a promis de me rembourser petit à petit
quand elle sera mariée. Je critique souvent les hommes mais des femmes comme
Hadja sont pareilles qu’eux. Toute cette énergie qu’elle dépense à essayer de
tromper son entourage, si seulement elle l’utilisait pour préparer l’avenir de son
enfant, poursuivre ses études, chercher un travail… Dommage pour elle, elle a
choisi de s’en prendre aux mauvaises personnes, mes amis.

Pour avoir la somme, j’appelle immédiatement Bachir et la lui demande :

- J’ai besoin de deux millions stp. Tu peux me filer ça demain ?

- Deux millions ?! Tu veux faire quoi avec cette somme, tu as des problèmes ?

- Non, aucun. J’en ai juste besoin très rapidement.


- Léa, tu exagères. Tu demandes beaucoup de choses en ce moment. Déjà avec M.
Dong, qu’est-ce que tu manigances avec lui ? Tu sais au moins quel genre
d’homme il est ?

Et voilà ! C’est pour ça que je déteste l’appeler. Il en profite toujours pour parler
d’autre chose. Malheureusement, n’ayant pas d’autre solution que lui pour avoir
ce que je veux, je lui réponds d’un ton agacé :

- Oui Bachir. Je sais exactement quel genre d’homme il est et c’est lui qu’il me faut.

- Mais pour faire quoi à la fin ? Tu peux me dire ?

- Ça ne te regarde pas.

-… Tu devrais faire attention à toi, Léa. Tu commences à m’inquiéter.

- Je sais ce que je fais, ok. Je suis une grande fille.

- T’es sûre ? J’en doute de plus en plus.

Grrr ! Il m’énerve ! J’ai envie d’en finir avec cette conversation qui ne mène à rien
et m’occuper d’autre chose :

- Bon, Bachir tu me donnes la somme ou non ? T’as quoi à me fatiguer


aujourd’hui ? T’es de mauvaise humeur ? Madame a fait une rechute ?
- Léa, tu ne devrais pas plaisanter avec ça.

- Toi non plus, tu ne devrais pas. Si tu ne veux pas l’achever ta femme, donne-moi
ce que je veux qu’on en finisse.

Je l’entends soupirer de déception et dire :

- Donc tu crois toujours que c’est à cause de tes menaces que je fais tout ce que je
fais pour toi ? Que je te donne tout ce que tu veux ? Ce n’est pas pour ça ma
chérie, tu sais très bien que…

L’interrompant brutalement, je lui dis :

- Tu vas arrêter Bachir ! Je ne t’ai pas appelé pour parler de ça, une énième fois.
Donne-moi ce que je veux qu’on en finisse, ok !

Et je m’en fous qu’il soit déçu ou que sa femme soit malade. Je n’ai aucun état
d’âme quand il s’agit de Bachir.

Heureusement, il finit par laisser tomber ses protestations et me dit ce que je veux
entendre d’une voix bien sèche :

- Je voyage demain matin. Mon chauffeur viendra à ton bureau te donner ce qu’il
faut.

- Merci bien. Bye.


Ce problème réglé, j’enchaine en appelant Maï. Il est temps que je les informe.

- Gosse, je veux du « dakhine »* aujourd’hui et c’est toi qui vas le préparer.

- Moi ?! Tu crois quoi toi, que je suis ta bonne ? Mon mari et moi avons des plans
ma chère et tu n’es pas invitée.

- Ah bon, c’est comme ça ? Ok, je garde mes bonnes nouvelles pour moi alors.
Débrouillez-vous avec Hadja. Ciao.

- Ehhh attends ! Des bonnes nouvelles à propos de Hadja ? Fallait le dire plus tôt.
Bon viens, j’en parle à Lamine.

- C’est mieux pour vous. A toute.

Moins de trois heures plus tard, j’arrive chez eux après avoir déposé Anna chez ma
grand-mère. Lamine m’ouvre la porte et je lui fais un bref et sec salut avant de le
dépasser pour entrer. Je l’entends derrière moi dire :

- Toujours aussi polie à ce que je vois.

Je n’ai pas envie de lui répondre. Depuis l’histoire avec Hadja, je lui en veux et je
tiens à ce qu’il le sache. Ce n’est pas parce qu’il s’est réconcilié avec Maï – ce que
d’ailleurs je souhaitais – qu’il doit oublier ce qu’il a fait. Il faut qu’il se sente
coupable pendant longtemps encore…

On s’installe dans le salon ou Maï nous rejoint immédiatement, venant de la


cuisine :
- Alors c’est quoi tes nouvelles ?

- Euh tu peux me laisser arriver stp ? Là j’ai soif, je ne peux pas parler.

- Pff t’es lourde. J’arrive.

Elle retourne sur ses pas pour me ramener une boisson. Je vois Lamine se
réinstaller confortablement sur son fauteuil en posant ses pieds sur la table pour
regarder la télé. Le geste a clairement pour but de me dire : « Je ne vais pas me
fatiguer à t’attendre, parle quand ça te chante .»

Amusée, je retiens mon sourire. Ils meurent d’envie tous les deux de savoir ce que
j’ai à dire sur « leur problème » et je compte bien les faire languir…

Plusieurs minutes plus tard, je leur raconte tout ce que j’ai appris à propos d’Hadja
et son Omar ainsi que les derniers événements, leur expliquant en passant le plan
que j’ai. Pendant que je parle, Maï réagit avec des petits cris de surprise en
découvrant au fur et à mesure la vraie facette d’Hadja. Quant à Lamine qui a
oublié la télé depuis longtemps, il me suit attentivement et dit quand je finis :

- J’ai envie de la tuer cette pauvre fille. Je savais que j’avais raison, ce bébé ne
pouvait pas être de moi.

Je lui rétorque sèchement :

- Toi, vraiment, t’as rien à dire. Si t’étais resté tranquille et bien sage rien de tout
ceci ne serait arrivé et personne ne se fatiguerait.
Lamine jette un rapide coup d’œil inquiet pour vérifier la réaction de sa femme
avant de me rétorquer :

- Tu sais c’est quoi ton problème toi ? Tout ce que tu fais de bien, tu le gâches
ensuite. T’avais besoin de dire ça ? Et devant ma femme ?

Celle-ci réagit en me défendant :

- Mais elle a bien raison. Si tu n’avais pas ouvert ta porte et tes bras à Hadja, elle
n’aurait jamais eu l’occasion de t’accuser de quoi que ce soit ou te droguer… Parce
que c’est ce qui s’est passé non, Abi ?

- Je suppose. Sinon pourquoi le trou de mémoire ? Mais bon, on en saura plus


bientôt quand le bébé naîtra.

- Justement, je ne pense pas qu’on devrait attendre, dit Lamine. Dans la tête de
mon père, le mariage se fera dès la naissance. Même pas sûr qu’il me prévienne…

- Non, je ne suis pas d’accord. Elle est quand même enceinte, je ne voudrais pas
qu’un quelconque choc fasse du mal à son bébé. Je ne veux pas avoir ça sur la
conscience.

- D’accord avec Abi, appuie Maï.

- C’est vrai, je n’avais pas pensé à ça… Bon, il faut réussir à repousser le mariage
alors. Mon père me reparle un peu depuis qu’il a été malade, je peux peut-être le
convaincre… Par contre, rien ne garantit que notre plan marche. Hadja n’avouera
peut-être toujours pas. Qui sait quels mensonges elle inventera ?
- Ah mais vu que le bébé sera né, si on repousse le mariage, on aura le temps de
faire un test de paternité. Le doute sera déjà installé dans l’esprit de tout le monde
et elle ne pourra pas refuser de le faire. Mais bon, je ne pense pas qu’on en
arrivera là. Elle avouera.

- Okay… Bon merci quand même. T’as fait du bon boulot même si je reste ton
ennemi...

- Je ne l’ai pas fait pour toi. C’est ma copine qui m’intéresse moi. Bon, on en est où
avec le « dakhine » ?

Maï se lève pour partir à la cuisine en disant, joyeuse :

- Ça mijote. Aujourd’hui là, je vais te régaler tu vas voir. Attends seulement. Et toi
chéri, laisse ma copine tranquille.

Le chéri me regarde avec un mépris feint et je lui fais un clin d’œil provocateur.
Amusé, il se détourne vers la télé. Quelques minutes plus tard, toute rancune est
oubliée et nous discutons à nouveau comme avant, c’est-à-dire en se disputant. Je
me sens tellement bien avec eux. Ces deux-là ainsi qu’Anna et ma grand-mère sont
et resteront ma vraie famille…

**********************

**********************

***Ndèye Marie Touré***


Il vient chez moi maintenant après m’avoir jetée de chez lui. Appuyé au
chambranle de ma porte, il ne dit rien, se contentant de me regarder. Je lui
demande sèchement :

- Qu’est-ce que tu veux ?

- T’as vu mes appels ?

- Oui et je n’avais pas envie de répondre. Tout comme je n’ai pas envie de te voir.
Ce n’était pas clair ?

- Il faut qu’on parle.

Parler. Il veut parler maintenant. N’est-ce pas pour parler que j’étais partie chez lui
hier ? Ne m’a-t ’il pas fait comprendre alors qu’il avait bien plus important à faire
de son temps ?

Ok, on va parler et c’est moi qui vais commencer :

- Parler de quoi Boris ? De combien tu regrettes ce qui s’est passé hier ?


L’humiliation que toi et ton ami vous amusez à m’infliger ? Du fait que la fille avec
qui tu étais ne représente rien pour toi ? Puis tu vas m’expliquer les raisons de ton
comportement ? C’est ça ?

- Marie, tu as toutes les raisons d’être en colère. Mais laisse-moi entrer. On va


s’assoir pour en parler calmement, je vais dire ce pourquoi je suis là, et ensuite je
m’en irai quand tu m’auras entendu.
Je l’observe qui me regarde croyant me convaincre avec son air sincère. Je n’ai
qu’une envie, lui claquer la porte au nez. Sentant sans doute ce que je m’apprête à
faire, il rajoute d’un ton suppliant :

- Please, Marie. Juste parler.

J’hésite un instant puis quitte l’entrée pour aller à l’intérieur. Il me suit jusqu’au
fauteuil où je m’installe confortablement en relevant les pieds, prête à l’écouter
puis le voir repartir le plus tôt possible. S’installant au rebord du canapé-lit, il joint
ses mains et baisse la tête, jouant au mec submergé par les problèmes.

Tous pareils… Quand ils veulent quelque chose, on dirait les plus malheureux du
monde. Mais dès qu’ils ont ce qu’ils veulent, ils deviennent méconnaissables. J’ai
appris la leçon maintenant.

Voyant qu’il fait durer le silence et comme je n’ai pas de temps à perdre, je lui dis :

- Je t’écoute.

Il relève la tête et me regarde dans les yeux. Je soutiens son regard intense
pendant un instant puis détourne la tête, troublée. Ce que je regrette
immédiatement, hors de question qu’il croie qu’il peut encore me troubler.

Il se met alors à parler, toujours en me regardant, et commence par des mots


inattendus :

- Je suis amoureux de toi depuis le premier jour que je t’ai vue à l’anniversaire de
ma sœur. Je n’ai jamais pu t’oublier malgré les années et le fait que tu étais avec
mon meilleur ami. J’ai tout gardé en moi.

Malgré moi, mon cœur se met à battre plus vite alors que je fais tout pour ne pas
le regarder et conserver mon expression dure.

C’était donc vrai… J’avais bien entendu, c’est ce que lui reprochait Majib le jour où
je les avais surpris…

Je ne réagis pas et le laisse continuer alors qu’il semble être bien lancé dans la
confidence :

- Ne t’y trompe pas, je n’ai jamais voulu que vous vous sépariez malgré mes
sentiments pour toi. Tout ce que je voulais c’est que tu sois heureuse. Pendant ce
temps, tu connais bien le genre de vie que je menais. Je ne me suis jamais attaché
à aucune fille, je passais de l’une à l’autre sans jamais avoir de sentiments. J’étais
déjà assez occupé à refouler ceux que j’avais pour toi…

Il prend une pause et soupire tristement avant de rajouter :

- Tout ça pour te dire que je t’aime toi, Ndèye Marie Touré. Je n’ai jamais arrêté.

God, c’est bon là ! Pourquoi il dit ça ? Ce ne sont pas des excuses ça, ce n’est pas ce
que je m’étais préparée à entendre. Je ne veux pas faiblir, je veux qu’on parle de ce
qui s’est passé hier, je veux de la dispute !

Mais il semble bien parti sur sa lancée :

- Quand tu as rompu avec Majib, je lui en ai beaucoup voulu. J’ai négligé mon
amitié avec lui pour me concentrer sur toi. Pas parce que je voulais te séduire mais
juste pour que tu ne te sentes pas seule. Mais tous ces sentiments là que j’avais
réussi à ignorer sont revenus à la surface et quand j’ai vu que toi aussi tu
t’attachais à moi, j’ai de nouveau eu de l’espoir. J’ai cru en nous, très fort. Même si
quelque part je doutais que tu aies encore des sentiments pour Majib, je me disais
que c’était normal après ce que vous aviez vécu, qu’il fallait laisser le temps faire
son œuvre. Bref, ce qu’il faut comprendre, c’est que j’avais de l’espoir à nouveau,
pour la première fois après plusieurs années. Et cet espoir a été déçu… Ce jour-là
chez moi quand je t’ai vue m’utiliser pour rendre Majib jaloux, tu ne peux pas
savoir ce que ça m’a fait…

- Ce n’était pas parce que j’avais des sentiments pour lui, je te l’ai déjà dit…

- Laisse-moi continuer stp… Je veux juste t’expliquer ce que j’ai ressenti, pas
t’accuser. Ça m’a fait mal, pas seulement pour ton comportement mais surtout
parce que j’avais l’impression de revivre ce qui s’était passé au début quand tu l’as
préféré à moi. Majib et toi ne vous en étiez pas aperçu à l’époque mais j’ai souffert
en silence parce que je me projetais déjà avec toi, moi. Je vous voyais heureux
ensemble, tous les jours devant mes yeux pendant que je faisais tout pour ne pas
penser à toi. C’est ce passé-là, ces souvenirs qui m’ont mis en colère et je t’ai
laissée partir. Mais les jours passant j’ai relativisé et je voulais encore croire en
nous. Même si tu avais des sentiments pour Majib, j’étais prêt à faire ce qu’il faut
pour que tu l’oublies. Il me manquait juste du courage pour revenir. Puis tout
récemment, alors que j’étais enfin prêt à te voir, je vous ai vus ensemble… Vous
étiez supposés ne plus vous parler et là vous sembliez très proches l’un de l’autre…

Il nous a vus ?! Mais il n’a quand même pas cru que…

Cette fois, je l’interromps exprès pour le contredire :

- Boris, il ne se passait rien du tout. On parlait de toi.

- Je sais maintenant. Mais sur le coup, je me suis trop vite emballé. J’ai vu rouge…
Je me suis promis que c’était définitivement fini entre toi et moi et j’ai fait le con…

- Juste parce que tu m’as vue avec Majib ? Il n’y a eu besoin que de ça pour que tu
décides de tirer un trait sur moi et aller voir ailleurs ?!

- Je ne suis pas allé voir… Ecoute, ce n’était pas n’importe quelle fille. C’est une
amie et entre nous il n’y a juste que du...

Et il s’arrête de parler. Encore plus énervée, je continue à sa place :

- Que du quoi, sexe ? Tu te fiches de moi ? Ton amie, avec qui tu couches, et c’est
censé me rassurer ?

- Je me suis mal exprimé. Ce que je voulais dire, c’est que je ne suis pas passé à
autre chose. Je cherchais juste du réconfort.

Oh il m’énerve ! Je me redresse pour lui faire face et lui dis :

- Ecoute Boris, j’en ai assez que t’essaies de justifier tout par le fait que t’aies eu
mal. Parce que concrètement je n’ai absolument rien fait pour. J’ai vu Majib et
alors ? N’est-ce pas ce que tu voulais ? Qu’on se réconcilie ? On a passé tout notre
temps à parler de toi et toi t’as rien trouvé de mieux que de croire qu’on te
trompait ? Moi et ton meilleur ami ? Bonjour la confiance ! Ce qui s’est passé il y’a
plusieurs années ne justifie rien. Clairement, il n’y avait encore rien entre toi et
moi quand je me suis mise avec Majib, on apprenait juste à se connaître. Mais
même si c’était le cas, comment tu peux comparer ça à tout ce qu’on a vécu depuis
des mois ? Comment peux-tu croire qu’après les moments qu’on a passés
ensemble, je suis capable de retourner avec Majib comme si de rien n’était ? Et toi,
au lieu de réfléchir, tu vas juste te jeter dans les bras d’une fille ?! Juste comme ça,
parce que monsieur est malheureux ! C’est donc ainsi que ça va être à chaque fois
que t’auras mal pour une raison ou une autre, tu te trouveras une fille pour te
consoler ?!
- Mais non, je ne referai plus jamais ça. Je sais que c’était stupide, que je suis allé
trop vite.

Je lui crie dessus :

- ÇA NE ME RASSURE PAS !!

Il recule, surpris, mais je ne m’arrête pas :

- Tu croyais m’amadouer en me racontant toutes ces histoires là, mais tu sais quoi,
maintenant que je sais pourquoi tu m’as trompée, c’est encore pire !! Ça me fait
me rendre compte que je ne peux pas te faire confiance, que n’importe quoi peut
te pousser à me tromper, même les choses qui ne reposent sur rien.

- Marie…

- Je n’ai pas besoin de ça Boris, t’entends ? J’ai déjà donné et je n’ai pas besoin
d’une relation instable. Je veux pouvoir compter sur l’homme avec qui je suis. Etre
sereine sur le fait qu’il ne va pas se lever du jour au lendemain pour se mettre avec
ma meilleure amie ou coucher avec une autre fille dès que ça va mal. Je ne veux
PAS de ça. Je finis mes études, je suis une adulte, j’aspire à une vie stable, calme et
je n’ai pas besoin de personnes comme toi ou Majib pour me faire dévier de ma
voie. Je préfère être seule.

- Tu exagères… Calme-toi please.


Il avance sa main et essaie de me toucher mais je me lève brusquement en
l’évitant. Puis je m’éloigne avant de lui faire face, les bras croisés. Il lève les yeux
sur moi, le regard inquiet. Je reprends progressivement mon calme avant de lui
dire posément :

- C’est bon ? Tu as dit ce qui t’a emmené ?

- Marie, proteste-t’il.

- Si tout est dit, tu peux partir. Je veux rester seule.

Il ne fait pas un geste et je sens sur moi son regard insistant pendant de longues
secondes. Puis il se lève lentement et vient à moi. Je fais un pas en arrière pour lui
signifier que je ne veux pas qu’il me touche. S’il me touche, je vais exploser en
larmes et il faut absolument que j’attende qu’il sorte avant de pleurer. Je dois me
retenir…

Il s’arrête à deux pas de moi et dit :

- Je ne laisse pas tomber. Tu peux me faire confiance et je te le prouverai.

Et bien bonne chance. Juste va-t’en pour le moment… Ce sont les mots que
j’aimerais lui dire. Mais je sais que la moindre parole de plus me ferait pleurer,
donc je me tais.

Il part enfin et dès que la porte du studio se referme, j’inspire fort et les larmes
longtemps retenues se déversent sur mon visage. Je m’assoie et pleure tout mon
soul puis, soulagée, vais me débarbouiller le visage dans la salle de bains.
Il croyait quoi, que j’allais lui pardonner juste comme ça ? Ils me prennent tous
pour la gentille et naïve petite Marie mais c’est terminé maintenant. Majib, Abi,
Boris, plus personne ne me marchera sur les pieds…

Je vais leur montrer que je peux y arriver sans eux. Désormais, c’est une nouvelle
Ndèye Marie qu’ils connaîtront…

Partie 29 : Tant pis s’il veut souffrir…

Trois semaines plus tard

*** Ndèye Marie Touré***

Je sors de chez moi et manque de heurter Boris à ma porte. 10h du matin, un


samedi ! Ça commence à devenir une habitude pour lui de se pointer sans
prévenir. Pourquoi lui ai-je jamais donné le code de l’entrée de l’immeuble ?

Je le dépasse en rouspétant alors qu’il me suit :

- Qu’est-ce que tu fais là encore ?

- Tu ne me réponds plus alors je n’ai d’autre choix que de venir te voir.

- Correction. Je ne réponds plus depuis quelques jours seulement parce que j’en ai
assez que tu me demandes toujours la même chose et que je te dise toujours non.

- Oui, j’insiste. C’est important pour moi.

- Bon, je ne vais pas me répéter hein. Tu connais la réponse…


- Tu vas où comme ça ?

- Je sors, ça ne se voit pas ?

Il entre dans l’ascenseur avec moi et me fait face pour répéter :

- Ma question n’est pas « tu fais quoi » mais « tu vas où ». Je sais très bien que tu
sors.

Et il me dit tout ça calmement, comme si j’avais des comptes à lui rendre. Je le


regarde et lui réponds, cynique :

- Pourquoi devrais-je te dire où je vais ?

- Tu n’es pas obligée. Je suis juste curieux… J’aime savoir ce que tu fais. Je
m’intéresse à tout ce qui te touche. Ce qui est normal vu que je suis amoureux de
toi.

Il fait exprès de me parler ainsi, sur ce ton doucereux… me regarder ainsi… Il sait
quel effet ça me fait. C’est pour ça qu’il vient souvent chez moi. Il ne veut pas que
je l’oublie et il y arrive… Tant qu’à faire, je vais répondre à sa question, ça ne
change rien de toute façon :

- Je vais rendre des livres à la bibliothèque.

- Cool. Je t’emmène alors. On prend un verre ensuite ? Ça fait longtemps qu’on


n’est pas sorti ensemble.
- Non, merci.

- Pourquoi ? T’as peur de passer du temps avec moi ?

On est sorti de l’immeuble et je ferme les yeux de lassitude, alors qu’il marche
derrière moi. Il faut que Boris me laisse tranquille, il faut vraiment qu’il me donne
de l’espace sinon je ne pourrai jamais m’en sortir. J’ai besoin d’évoluer moi, de
réorganiser ma vie mais dans ces conditions je n’y arriverai jamais !

Je vais l’arrêter une bonne fois pour toutes. Tant pis pour lui, il va entendre ce qu’il
va entendre. Je m’arrête de marcher et me retourne pour lui faire face :

- Je vais à la bibliothèque pour déposer des livres et ensuite j’ai un rendez-vous. En


fait, quelqu’un m’y attend là, c’est avec lui que je compte prendre un verre. Donc
non Boris, je n’ai pas peur de passer du temps avec toi, je préfère juste passer ce
temps avec une autre personne. Ça te va comme réponse ?

Je vois une lueur d’agacement passer sur son regard. Bien !

Il ne dit rien d’abord puis son visage se détend dans un sourire :

- Ok. Je te dépose quand même. Ça te fera gagner du temps.

- Tu ne m’as pas compris, Boris. Quelqu’un m’attend là-bas et on a un rendez-vous


GALANT.

- Si, si, j’ai bien compris.


- Et tu veux quand même m’emmener ? Ça te ferait plaisir de rencontrer mon
nouveau petit ami ?

Il déverrouille sa voiture garée juste à côté puis va ouvrir la portière côté


passager :

- Entre. Je veux juste que tu sois bien qu’importe avec qui… J’ai compris Marie, tu
ne veux pas être avec moi et je ne vais pas insister. Mais on peut être amis n’est-ce
pas ?

Je ne bouge pas un instant l’observant avec surprise. Je ne comprends pas. Est-il


sérieux ou pas, là… ?

Mais bon, s’il a envie de se faire du mal, pas de problème. On a qu’à y aller…

J’entre dans la voiture et attends qu’il entre à son tour pour prendre mon
téléphone :

- Allô Mous ? Ça va ?

-…

- Oui, je suis déjà en route là, du coup je vais arriver plus tôt. Un vieux cousin me
dépose en voiture. C’est bon pour toi ?

-…

- Ok, j’arrive alors. Gros bisous.


Je finis l’appel avec un sourire ravi. Je regarde Boris en coin pour observer sa
réaction mais il fixe la route, un petit sourire aux lèvres.

Puis il se met à converser avec détachement :

- Alors, ça te fait quoi d’aller à la bibliothèque pour la dernière fois ?

- Bof, rien de spé…

- Rien de spé ? Toutes ces années d’étude enfin terminées ? Je ne te crois pas
petite Marie.

Je lève les yeux au ciel et me tourne de l’autre côté pour observer le paysage. Il
m’énerve à faire comme si de rien n’était. On dirait qu’il s’en fiche que je refasse
ma vie… Je le laisse continuer de parler tout seul de la pluie et du beau temps le
temps qu’on arrive.

Quand on se gare, je vois mon « petit ami » assis sur les marches de l’escalier qui
mène à la bibliothèque en train de m’attendre. Je sors rapidement de la voiture et
le rejoins, lui fais deux grosses bises enthousiastes, toute joyeuse.

Je sais que Boris arrive derrière moi et nous regarde. J’espère seulement qu’il ne
vas pas remarquer l’expression surprise de Moustapha qui, forcément, ne doit pas
comprendre ce qui s’est passé entre la dernière fois qu’on s’est vu et maintenant
pour que je lui manifeste autant d’enthousiasme. Moustapha est l’un des rares
sénégalais de mon école et il en pince pour moi depuis des années. Il n’était pas
du tout mon type et je ne lui ai jamais ne serait-ce que prêté attention. Mais là
avec ma décision de devenir une nouvelle Marie, j’ai envie d’essayer de nouvelles
choses, des choses qui ne ressemblent pas à l’ancienne… Et donc, pour la première
fois, je sors avec lui. Mais ça Boris n’a pas besoin de le savoir. Il faut qu’il croie
qu’on est déjà amoureux…

Quand il arrive à côté de nous, je me charge de les présenter, collée à Moustapha :

- Boris, je te présente Moustapha. Moustapha, voici…

Boris m’interrompt en tendant la main à Moustapha et dit avec le sourire :

- Boris Suleyman. Ex de Ndèye. Enchanté.

Moustapha lui donne la main en demandant, l’air étonné :

- Ah vous êtes ex ? Je croyais que vous étiez cousins…

Je m’apprête à lui répondre quand Boris se hâte de le faire à ma place :

- Ex, cousins, amis, amoureux… La limite a toujours été compliquée à définir entre
Ndèye et moi. N’est-ce pas mon chou ? Plus toutes les ruptures qu’on a eues, plus
personne ne s’y retrouve.

Et il rit comme s’il venait de raconter la blague du siècle. C’est décidé, je déteste
Boris. Je lui jette un regard haineux puis prends la main de Moustapha pour partir :

- On y va. Merci de m’avoir déposée. Bye !

Il ne répond pas et nous poursuivons notre chemin vers la bibliothèque.


Moustapha a les sourcils froncés d’embêtement. Mais ce n’est pas grave, je lui
donnerai une explication rassurante tout à l’heure, quand l’autre ne sera pas là
pour raconter de histoires inventées de toutes pièces.

Nous restons une demi-heure à l’intérieur puis ressortons pour aller rejoindre le
café qu’on a choisi. Discutant gaiement avec Moustapha, je manque d’avaler ma
langue quand je vois Boris assis sur les marches de l’escalier attendant je ne sais
quoi. Il se tourne juste à ce moment là pour nous voir et se lève avec le sourire
pour venir vers nous.

Cette fois, impossible de me retenir :

- Tu fais quoi là, encore ?

Il répond d’un air étonné, comme s’il ne comprenait pas :

- Quoi, je ne devais pas t’attendre ? Je t’emmène chez toi non ? Vous avez fini ?

- Boris, je t’ai dit que j’ai un rendez-vous avec Moustapha APRES la bibliothèque. Et
je ne t’ai jamais demandé de m’attendre.

- Ah ok… J’ai rien compris. Mais bon, comme je suis là et que je n’ai rien à faire, je
vous accompagne.

- Nous accompagner ou ça ?!

- Prendre un verre non ? Ça sera l’occasion de faire connaissance avec Tapha…


Alors, boy Taph ça te fait quoi de quitter la vie d’ado ? Ça va être la teuf là, les
filles, les sorties… Oups je t’ai pas demandé, tu rentres à l’université non ?

Rentrer à l’université ? Ado ? Non mais…


Je tire la manche de Boris avec tellement de rage qu’il manque de perdre
l’équilibre. Traiter Moustapha de cette manière, comme s’il avait douze ans, alors
qu’il a le même âge que moi ! Je comprends ce qu’il essaie de faire maintenant et
pourquoi il tenait à m’accompagner. L’obligeant à se mettre à l’écart avec moi, je
lui demande sèchement :

- A quoi tu joues là ? Pourquoi tu lui parles comme s’il était un gamin ? Il a 25 ans,
tu l’humilies là !

- Oh ? Sorry, dit-il en regardant Moustapha d’un air étonné. Il a l’air tellement


jeune…

- Tu nous laisses tranquilles maintenant ?

- Mais en quoi je vous dérange ? Je veux juste faire connaissance avec lui, pour voir
s’il est assez bien pour toi. C’est ce que ton grand-frère ferait et…

- Tu n’es pas mon grand-frère !! Bon, Boris qu’est-ce que tu veux ?

- Je te l’ai déjà dit, je veux vous accompagner…

- Non ! Qu’est-ce que tu veux vraiment ? Tu cherches quoi. Tu veux quoi pour nous
lâcher ?

Il efface enfin son sourire niais et redevient sérieux :

- Tu sais ce que je veux.


Arghh ! Il m’énerve. Je lui ai déjà dit non cent fois, put***. Je lui répète une
dernière fois mes raisons :

- Boris, je ne vais pas rencontrer tes parents.

- Ils rentrent dans deux jours Ndèye. C’est important pour moi que tu les
rencontres, vraiment important.

- Mais pourquoi ? Pour quelle raison ? Toi et moi on n’est plus ensemble, alors ça
sert à quoi que je les rencontre ?

- Ils ont beaucoup entendu parler de toi, par moi et ma sœur aussi. Maman me
pose énormément de questions… Ecoute, je ne peux pas te parler de certaines
choses maintenant mais c’est important pour elle de savoir que j’ai trouvé
chaussure à mon pied avant de rentrer. Et c’est important maintenant, Marie. Te
voir va la rassurer... Stp, je n’insisterais pas si ce n’était pas important.

- Mais je ne comprends pas !

- Tu comprendras un jour. Fais juste ce que je te demande stp.

Il a l’air tellement sérieux. Ça a vachement l’air de lui tenir à cœur que je vois ses
parents mais moi je n’ai pas envie de jouer la comédie… En même temps, je n’ai
pas non plus envie qu’il me colle aux baskets toute la journée…

Découragée, je lui demande :


- Tu nous lâches immédiatement si je te promets de les voir ?

- On dîne ensemble ce soir. Je leur ai déjà dit que tu venais. Y’aura Aysha aussi.

- Ce soir?! Mais… Pff, ok. Je te préviens, je ne vais pas prétendre être ta petite
amie. Je parlerai avec ta sœur, c’est tout.

- Je viens te prendre à 18h.

Il me fait une bise et me quitte de suite pour s’approcher de Moustapha, invente


une excuse et s’en va. Enfin !

********************

********************

***Abibatou Léa Sy***

Je sors du bureau pour rejoindre Majib qui m’attend au restaurant, à quelques


minutes à pied. J’en profite pour rappeler Maï dont j’ai manqué les appels :

- Désolée madame, j’ai été prise. Tout va bien ?

- Oui ça va. Je t’appelais parce qu’on avait emmené Hadja à l’hôpital mais entre-
temps elle a accouché. Ça y’est.
- Ahh il était temps. Alors, tout s’est bien passé ?

- Oui, le bébé va bien et Hadja aussi. C’est une fille, ma belle-mère est avec elles en
ce moment.

- Cool. Et Lamine ?

- Il ne veut pas y aller. Il est à son bureau.

- C’est pas plus mal… Bon, j’appelle Omar pour le tenir au courant.

- Tu crois qu’il va vouloir les voir ?

- Je ne sais pas, il est tellement intéressé par l’argent que je ne suis pas sûre qu’il le
soit par son bébé… N’empêche il a le droit de savoir. Je te rappelle ce soir. Bisou.

Je raccroche et appelle rapidement Omar pour lui apprendre la nouvelle.


Contrairement à ce que je pensais, il essaie de connaître le nom de la clinique où
se trouve Hadja, l’air plutôt ému… Je préfère ne rien lui dire de peur qu’il ne gâche
nos plans. Hadja ne doit se douter de rien pour le moment…

Après avoir raccroché, je suis presque arrivée au restaurant. Depuis quelque


temps, je m’oblige à concentrer l’essentiel de mes rendez-vous avec Majib en
extérieur, ayant compris que ça valait mieux pour moi… Je ne sais pas ce qui
m’arrive mais j’ai de moins en moins de contrôle quand on se retrouve tous les
deux seuls. Je n’arrête pas de penser à ses mains, son corps et n’arrive pas à me
retenir d’aller loin, de vouloir plus... C’était peut-être agréable et curieux au début
mais là, ça m’inquiète. Je n’aime pas ça du tout... et pourtant je n’arrive jamais à
me retenir.

Donc voilà. Pour poursuivre mon plan, il a fallu que je change de terrain d’action…

Quand j’entre dans le restaurant, mes yeux tombent sur un homme que j’avais
complètement oublié. Je ne l’ai pas revu depuis très longtemps en boîte de nuit
malgré les dix mille appels qu’il m’a faits par la suite. Il vient apparemment de
prendre un plat à emporter et est en train de payer à l’accueil.

Me voyant aussi, il me suit du regard. Je détourne le mien faisant comme si je ne le


connaissais pas. Qu’il reste dans l’oubli…

Majib est déjà installé à notre table préférée en train de lire quelque chose sur son
téléphone. Quand il me voit, il se lève et me dépose un bisou sur la bouche, l’air
heureux.

Je m’installe en lui demandant :

- T’as l’air en forme. C’est le fait de me voir ?

- Toujours… Mais pas seulement. J’ai eu de bonnes nouvelles au boulot. Ça avance


bien, on a enfin sélectionné nos plus gros fournisseurs avec des accords super
intéressants. Je vais en Chine la semaine prochaine pour en rencontrer.

- Je suis contente pour toi, dis-je en souriant. C’est bien, tu t’occupes de plusieurs
choses en même temps. Tu ne t’ennuies pas en tout cas.
- J’ai pas vraiment le choix. On n’est déjà pas beaucoup et en plus les autres ont
d’autres projets ou sociétés à gérer, contrairement à moi. Je suis le plus dispo…
Mais je ne me plains pas, j’aime beaucoup ça en fait.

- Tant mieux chéri.

Le serveur passe et nous passons commande puis dégustons les apéros en


attendant d’être servis. Je donne à Majib des nouvelles d’Anna, dont il adore
discuter jusqu’à ce que nous soyons interrompus par la présence d’une silhouette
venue à notre table.

Moussa se tient là et me regarde comme si je lui devais quelque chose. Il croit faire
quoi là, ce con ? Je lui dis sèchement :

- Un problème ?

- Abi, me répond-t’il lentement. Je sais que ça fait longtemps mais tu me reconnais


quand même, non ?

- Je ne me rappelle pas de toutes les personnes que j’ai connues surtout celles qui
n’ont aucun intérêt à mes yeux.

- Ahh, tu l’as dit. « Intérêt », le mot est bien choisi. Pourtant, on en a passé de bons
moments ensemble…

Le con ! Il dit ça d’une manière tellement pleine de sous-entendus ! Je jette un


coup d’œil à Majib qui le regarde les sourcils froncés, se posant visiblement des
questions. Suivant mon regard, Moussa se tourne vers lui et dit avec un sourire
ironique :

- Je vois que t’as trouvé une autre victime ?

- Bon, écoute Moussa, c’est assez. Va-t’en maintenant.

- Tiens, tu te souviens de mon prénom quand même ? C’est rassurant, ça prouve


que tu n’es pas complètement dénuée de cœur. Après ce que tu m’as fait, c’était la
moindre des choses de…

Cette fois, c’est Majib qui l’interrompt d’un ton catégorique:

- Monsieur, au cas où vous ne l’auriez pas remarqué Abi et moi nous apprêtons à
déjeuner. Alors si vous avez des choses à lui dire, merci de choisir un autre
moment.

- Monsieur… Si je me tiens là c’est justement pour vous rendre service à vous.


Cette fille ne vous apportera rien de bon. Elle vous sucera jusqu’à la moëlle, au
propre comme au figuré et vous laissera tomber comme un mouchoir sale quand
elle en aura assez de jouer avec vous. C’est une manipulatrice née.

- Toi Moussa, est-ce que t’es normal ?! lui crie-je dessus. Je te savais con mais à ce
point ! Ta vie est si peu intéressante que t’es obligé de pourrir la mienne ?! Je te
conseille de me laisser tranquille si tu ne veux pas le regretter. Tu ne sais même
pas de quoi je suis capable. Je vais…
La voix de Majib m’interrompt soudainement :

- Grand ! Partez d’ici.

Son ton est tellement sec que nous tournons tous les deux nos regards vers lui. Il
garde les yeux baissés sur la table mais je n’ai jamais vu une expression pareille sur
son visage. Calme, fermé et en même temps empreint d’une colère sourde
accentuée par la veine qui bat sur son front… J’ai l’impression qu’il puise dans
toutes ses forces pour se retenir d’exploser.

Moussa choisit quand même d’ouvrir à nouveau sa gueule puante :

- Donc vous préférez que je vous laisse avec cette salope ? Eh bien, vous serez
préve…

Il n’a pas le temps de finir. Majib se lève si brusquement que la table bouge avec le
mouvement. Il se rapproche de Moussa et le toise de haut, le dominant de toute
sa taille. Le regardant dans les yeux, il dit calmement :

- Répètes ce que tu viens de dire ?

Ma respiration s’arrête. Je n’ai jamais vu Majib comme ça. Je n’aime pas ça. Cette
colère… Oubliant Moussa, toute mon attention est tirée vers Majib même si je suis
consciente des regards posés sur nous.

Moussa le regarde aussi d’un air surpris. Il ouvre la bouche et s’apprête à dire
quelque chose puis se ravise. Trouillard !

Reculant un peu pour s’écarter de Majib qui lui collait presque, il trouve quand
même le moyen de dire avant de partir :

- Tant pis pour vous.


Il s’en va aussi rapidement qu’il en est capable sans donner l’impression de fuir.
Majib le suit du regard jusqu’à ce qu’il sorte du restaurant, avant de se rassoir. Sa
veine bat toujours et ses traits sont plus durs que jamais…

Il allait être violent avec lui… Dieu, que je déteste la violence ! Pourquoi toujours
régler ses problèmes avec ça ?!

Pendant plusieurs minutes, nous ne nous regardons pas et gardons le silence. Je


retrouve peu à peu mon calme et essaie d’oublier l’incident. Le serveur qui vient
déposer nos assiettes brise un peu la tension. Je lève enfin les yeux sur Majib. Il
garde les siens baissés sur son assiette. Se saisissant de sa fourchette, il se met à
piquer la nourriture comme pour jouer, sans rien manger. Il est toujours en colère
lui…

Dans le but de détendre l’atmosphère, je lui dis d’un ton détaché :

- Tu ne manges pas ?

Il ne répond pas et continue de jouer avec la fourchette. Puis il lève enfin le regard
sur moi et demande calmement :

- Des choses à me dire ?

Je fais mine de ne pas comprendre et continue de manger :

- Des choses ? Comme quoi ?

Son regard se durcit encore plus à ma réponse. Ses yeux rétrécis par la colère me
fixent pendant quelques secondes avant qu’il reprenne :

- Qui est cet homme ? Qu’est-ce qui s’est passé entre lui et toi qui lui permette de
te parler de cette manière ?
Ah non. Je ne vais pas commencer maintenant à lui raconter ma vie. Moussa est
un « événement » imprévu que je ne compte pas laisser me troubler plus que ça.
Majib n’a pas à savoir tout ce qui se passe dans ma vie. C’est à moi de décider de
quoi lui parler et je ne me laisserai certainement pas imposer quoi que ce soit.

D’un ton têtu, je lui réponds :

- Ça me regarde, j’ai pas envie d’en parler.

La réaction qu’a Majib est alors totalement inattendue. Il laisse soudainement et


avec bruit retomber sa fourchette et se lève. Surprise, je l’observe alors qu’il prend
son portefeuille, sort un billet de dix mille qu’il pose sur la table puis dit
sèchement :

- Bon appétit.

Et là il s’en va sans même me jeter un regard. La rage se ressent dans chacun des
pas qu’il fait…

Aie, aie aie ! Quelqu’un est en colère...

Pendant un instant, je suis tentée de m’en foutre et compte continuer mon repas.
Je prends une bouchée, m’apprête à la mettre dans ma bouche puis, doucement,
la repose.

Je n’ai plus d’appétit…

Majib…

Il faut que je le rattrape. Je me lève rapidement en prenant mon sac et cours


presque pour sortir du restaurant. Au même moment où j’arrive dehors, je vois à
plusieurs mètres la voiture de Majib démarrer en trombe.
Pfff, c’est trop tard… J’en ai fait trop là! Il m’en veut vraiment pour de vrai cette
fois. Et s’il en a assez de mon attitude… S’il décide d’en finir… ?

Et si c’était fini…

Une sorte de crainte inconnue nait pour la première fois en moi… Je ne comprends
pas d’où elle vient mais ce que je comprends encore moins, c’est l’impression que
j’ai que cette crainte a peu à voir avec mes plans…

Ça ne doit pas finir avec Majib. Je ne suis pas prête pour que tout s'arrête…

Partie 30 : Ma patience a des limites

***Abdoul Majib Kébé***

De retour au bureau depuis plus d’une heure, je n’arrive pas à me concentrer sur
mon travail. La scène du restaurant me reste encore à travers de la gorge. Voir cet
homme parler de cette manière à Abi m’a fait me rendre compte que je sais très
peu de choses sur elle. Et la voir elle ensuite refuser de me donner une
quelconque explication, ça je n’ai pas pu le supporter. Trop c’est trop…

N’empêche, ma réaction était peut-être un peu trop excessive. J’aurais pu lui


parler, lui dire exactement ce qui me dérange. C’est-à-dire le fait qu’elle sache
pratiquement tout de moi alors que moi je sais très peu de choses sur elle. Au
fond, je pense que cet homme est juste un amoureux éconduit. C’est tout à fait le
genre d’Abi de briser les cœurs. Mais est-ce que cela veut dire que je dois
supporter ce type de scène encore sans jamais obtenir d’explications ? Je ne crois
pas. Si Abi tient à notre relation, il faut qu’elle comprenne que ce qui la touche me
touche aussi. Ça fait bientôt un an qu’on est ensemble et je ne compte pas rester à
l’écart indéfiniment. Pour le moment je vais la laisser travailler mais je vais lui
parler clairement et mettre les choses au point dès que possible.

Sur ces pensées, mon téléphone se met à sonner et c’est justement sa photo qui
s’affiche. Apparemment, il n’y a pas que moi qui n’arrive pas à bosser… Je laisse
sonner un peu et décroche pour répondre d’une voix délibérément bourrue :

- Oui.

- Majib… Je te dérange ?

- Je suis au travail.

- Je sais, je voulais juste vérifier si ça va.

- Ça va très bien.

- Tu parais toujours fâché pourtant.

- J’ai mes raisons.

Elle ne dit plus rien et moi non plus. Pourtant j’apprécie son ton plus « gentillet »
que d’habitude même si aucune excuse n’est encore sortie de sa bouche. Ce que
j’attends d’ailleurs…

Ne voyant rien venir, je m’apprête à lui dire au revoir quand elle reprend avec
hésitation :
- On se voit ce soir ?

- Je ne sais pas. Je n’avais pas prévu de…

- C’est bon Majib, je vais t’expliquer ce qui s’est passé avec Moussa, m’interrompt-
elle.

C’est bien, on avance… Comprenant qu’elle est dans ses bonnes intentions, j’essaie
d’en profiter pour la convaincre d’une chose qu’elle a toujours refusé de faire :

- Ok. Passe à la maison ce soir alors.

- A la maison ? Chez toi ? Non, Majib pas là-bas. Passe plutôt chez moi, Anna ne
sera pas là.

Raté… Mais j’insiste quand même :

- Pourquoi tu ne veux jamais venir chez moi ?

- Mais tu n’es pas seul chez toi, y’a ta famille.

- Et alors ? Mes grands-parents ne vont pas te manger. Franchement, ça


commence à me fatiguer d’être le seul qui…

- Majib, arrête… Bon, écoute je te promets de venir chez toi mais un autre jour
d’accord ? Viens ce soir stp.
- Ok, je note... A tout à l’heure alors, je ramène à dîner.

***

Quelques heures plus tard, je passe faire une commande dans une dibiterie avant
d’aller chez Abi. C’est l’un des plaisirs dont je ne me lasse pas quand je suis à Dakar
et je sais qu’Abi, qui est une vraie gourmande malgré sa minceur, adore ça aussi.

Elle m’accueille habillée de façon spécialement jolie. Une tenue traditionnelle en


wax qui lui moule le corps et la rend plus belle que jamais. Elle s’est même coiffée
et maquillée différemment de tout à l’heure. Une très bonne odeur émane de
l’intérieur de l’appartement… Hum, de l’encens…

Quelqu’un veut décidément se faire pardonner à ce que je vois et dans ces


conditions, elle va y arriver très vite. Mais alors qu’elle s’approche de moi pour
m’embrasser, je me raisonne. Ce serait trop facile si je me laissais avoir encore par
son jeu de séduction. Aujourd’hui, il faut qu’on parle avant quoi que ce soit.

Gardant mon visage fermé, je réponds furtivement à son baiser et lui remets les
sachets de viande.

Plus tard, installé dans le salon, elle me rejoint et vient se coller contre moi,
souriante :

- J’ai mis la viande au four pour que ça reste au chaud. A moins que tu aies faim
maintenant ?

- Non, je préfère qu’on parle d’abord.

Elle parait agacée et soupire avant de répondre :


- Bébé, tu sais que je n’aime pas parler de ma vie. Ce n’est pas seulement avec toi
mais avec tout le monde. Je suis juste comme ça, c’est ma personnalité.

- Je ne suis pas tout le monde, Abi. Toi et moi on est ensemble depuis un an,
engagé dans une relation qui exige autre chose que des baisers et des caresses. Ça
demande aussi de la confiance ! Et pour ça, je dois te connaître tout comme je fais
tout pour que toi tu me connaisses. Je ne te demande pas de me raconter toute ta
vie mais il y’a un minimum quand même. Ta famille par exemple. A part Anna, je
ne sais absolument rien d’elle, tu n’en parles jamais, je ne vois personne ! Tes amis
c’est pareil. Tu connais Boris presque autant que moi tellement tu entends parler
de lui mais on dirait que toi, t’essaies de me mettre à l’écart. Tiens, Maï, je sais que
vous êtes proches et je le sais seulement parce que je t’entends lui parler au
téléphone souvent… Pour ce qui est de tes relations passées, je ne te demande pas
non plus de me parler de toutes mais là il se trouve qu’il y’a eu un événement qui,
que tu le veuilles ou non, me touche et je suis tout à fait en droit d’avoir des
explications là-dessus… Jusque-là, j’ai été très patient avec toi Abi, respectant ta
discrétion, me disant qu’avec le temps tu finiras par t’ouvrir. Mais le temps a
passé… et ma patience a des limites.

Durant tout mon discours, Abi m’a suivi attentivement et quand je finis, elle baisse
les yeux comme accablée… Je ne pense pas avoir été très dur pourtant.

Je ne fais aucun mouvement vers elle afin de lui montrer l’importance du sujet
pour moi. Mais quand elle me regarde à nouveau et que je vois ses yeux briller, je
suis déstabilisé. Elle ne va pas pleurer quand même ! Qu’est-ce que j’ai dit de si
grave ?

Je lui prends la main et lui dis en même temps qu’une larme coule sur sa joue :

- Abi ?
- Sniff.. Tu as raison. C’est juste que…sniff… j’ai peur.

- Peur ? Mais de quoi bébé ?

C’est bon, je n’en peux plus de jouer au sévère. Il m’est impossible de la regarder
pleurer sans réagir. Elle s’explique entre deux reniflements :

- J’ai peur de… sniff… d’être blessée… Si tu sais tout de moi, tu peux me faire mal
et… ça me fait peur. Sniff.

- Mon cœur, tu n’as pas à avoir peur ! Tu sais que je t’aime, je ne pourrai jamais te
faire du mal.

- Oui mais si tu sais tout de moi et que finalement je ne t’intéresse plus ? Comme
avec Ndèye ? Tu finiras par me quitter. Et alors je me serais ouverte à toi pour rien,
je le regretterais toute ma vie.

La quitter ?! Elle est folle. Elle n’a aucune idée de tout ce que je ressens... Je veux
partager ma vie avec elle.

Ce n’est pas le moment de lui dire ça mais il faut que je la rassure. Je l’attire tout
contre moi et la serre dans mes bras. Elle pose la tête sur mon épaule et pleure
encore un peu alors que je lui dis doucement :

- Tu n’es pas Ndèye. Je l’ai aimée mais toi c’est différent… Je n’ai aucune intention
de te quitter. Ni aujourd’hui ni jamais.

- Pourtant tu… tu es tellement pressé. On dirait qu’on n’a plus de temps devant
nous. Tu l’as dit, tu n’es plus patient pour moi… sniff… Tu ne me parlais pas comme
ça avant.

Ok, j’y suis peut être allé trop fort… Lui caressant le dos, je pousse un grand soupir
et hésite encore un peu avant de lui dire :

- Je serai patient, d’accord ? J’attendrai que tu sois prête à me parler… Je ne


compte partir nulle part, ne t’inquiète pas.

Elle relève la tête et me regarde comme une petite fille, les yeux pleins d’espoir :

- C’est vrai ?

- Oui, bébé. Pardon de t’avoir brusquée.

Elle esquisse un petit sourire triste. Je l’embrasse tendrement tout en me disant


qu’il faut au moins que je sache pour la scène de tout à l’heure :

- Chérie… explique-moi pour ton ex quand même. Juste ça.

Elle avale sa salive puis répond lentement :

- Je suis sortie quelque temps avec lui mais il était marié et je ne le savais pas.
Quand je l’ai découvert, j’ai tout de suite arrêté notre relation et il m’en a voulu.
Voilà.

- C’est tout ? Mais c’est lui qui a des choses à se reprocher alors. Qu’est-ce qu’il
voulait dire en disant que tu l’as manipulé ?
- Je ne sais pas. Il est con peut-être, hypocrite, rancunier… bref. C’est de ma faute,
je n’aurais jamais dû sortir avec un homme comme lui mais j’ai été trop naïve.

Je l’observe et réponds avec hésitation :

- Okay… Je vois…

Naïve…

Je ne rajoute rien mais n’en pense pas moins. Abi me sourit en s’essuyant le visage
de ses deux mains puis se lève :

- Je prépare la viande.

Elle s’en va, me laissant très dubitatif. Naïve… Ce mot ne colle juste pas dans ma
tête avec la personnalité d’Abi…

Et quand je repense à notre discussion, ses larmes surtout, j’ai un désagréable


sentiment … celui de m’être fait berner.

**********************

**********************

Deux jours plus tôt

***Ndèye Marie Touré***


Comment s’habiller pour rencontrer les parents de son ex dont on est encore
amoureuse ? C’est la question qui me turlupinait depuis que j’ai quitté Moustapha
tout à l’heure. J’ai finalement opté pour une robe colorée mi courte et des
ballerines. Quand je me suis regardée dans le miroir, je me suis trouvée très «
petite fille » et me serais changée encore si Boris n’était pas déjà arrivé. Il a fallu
me presser de mettre un peu de maquillage avant de le rejoindre. Le regard
admirateur qu’il a alors posé sur moi a fini de me rassurer.

Nous venons d’arriver chez ses parents. Je connais déjà les lieux pour y être venue
voir Aysha. D’ailleurs c’est ici que j’ai fait la connaissance de Boris et Majib lors de
son anniversaire. L’appart appartient à ses parents qui vivaient ici avant de rentrer
à Dakar. Il est bien trop grand pour une fille seule mais ça semble convenir à Aysha.

C’est elle qui vient nous ouvrir. La voir me fait plaisir, elle est tellement bavarde et
rigolote que je sais que je ne m’ennuierai pas. Nous nous embrassons avant
d’entrer ensemble à l’intérieur, suivies de Boris.

En pénétrant dans le salon, je découvre une dame assise sur une chaise roulante
qui se retourne pour me regarder avec un grand sourire. Wow, je ne m’y attendais
pas…

Assez surprise, je ne sais comment réagir mais oublie vite ma gêne en la voyant
rouler sa chaise jusqu’à moi et me dire d’une voix plus que chaleureuse :

- Marie, je te rencontre enfin !

- Bonsoir…, dis-je avec hésitation essayant de sourire le plus naturellement.

- Oh, ne te laisse pas impressionner ainsi ! C’est juste une chaise. Je suppose que
ces deux-là ne t’ont pas prévenue. Allez, viens m’embrasser.

Elle tend le bras et, honteuse de m’être fait prendre, je me penche pour
l’embrasser alors qu’elle pose la main sur moi d’un geste affectueux. Elle m’invite
ensuite à la suivre :

- Viens t’assoir, fais comme chez toi. Je m’appelle Jeanne au fait… Aysha, ramène-
nous à boire chérie.

Lui obéissant, je m’assois sur le canapé, intimidée. Ça fait quand même drôle de
rencontrer la maman de Boris… Son accent ivoirien est très marqué et
physiquement, Boris ne lui ressemble pas du tout. Elle, c’est une vraie beauté
africaine, à la peau lisse et marron, comme Aysha.

Boris s’assoit à côté de moi et demande à sa mère :

- Il est où papa ?

- Sorti je ne sais où, tu connais ton père. Mais il a promis de revenir avant le dîner,
il ne veut surtout pas manquer sa belle-fille.

Belle-fille ?! Le sourire content de tata Jeanne m’oblige à dissimuler mon


étonnement. Ce n’est pas le moment de protester…

Boris lui n’a pas l’air de s’en formaliser. Je lui avais pourtant dit qu’il n’était pas
question qu’il me fasse passer pour sa petite amie…

Mais rapidement, j’oublie tout et me sens très à l’aise à discuter avec eux et Aysha.
J’ai toujours rêvé d’être dans une grande famille comme la leur. J’imagine comme
ce doit être agréable quand ils se retrouvent tous ensemble avec les petits frères
et sœur de Boris que j’ai rencontrés à Dakar. Tata Jeanne me dit qu’elle a entendu
parler de mon père dans le milieu médical de Dakar, que sa maladie l’emmène à
fréquenter. Elle est donc malade… ça veut dire que son handicap l’a rattrapée ?
Qu’est-ce que ça a dû être dur pour elle et sa famille…

J’évite quand même de me focaliser sur ce détail. Tellement souriante, elle semble
heureuse maintenant malgré ses cernes et une certaine gêne qui s’installe chez
ses enfants quand elle évoque la maladie.

Nous restons dans le salon jusqu’à l’heure du dîner où je vais dans la salle à
manger aider Aysha à mettre la table. Nous retrouvant seules toutes les deux, elle
en profite pour me dire :

- Désolée Ndèye, on aurait dû te prévenir.

- Me prévenir ? De quoi ?

- Tu semblais surprise par la chaise de maman.

- Oh… C’est vrai, je ne m’y attendais pas. Mais ça ne change rien. L’essentiel c’est
qu’elle soit en forme. Puis elle est trop gentille.

Aysha arrête ses gestes et me regarde d’un air triste :

- Elle n’est pas si en forme que ça, tu sais. Elle est…

La voix de Boris l’interrompt soudainement :

- Vous voulez de l’aide les filles ?

Je me retourne pour le voir entrer tandis qu’Aysha se reprend et lui répond :

- Médecin après la mort. C’est tout à l’heure que t’aurais dû venir m’aider à
cuisiner. T’as laissé maman seule ?
- Elle a préféré se retirer pour prendre ses médicaments. Elle refuse mon aide
alors…

Cette réponse semble énerver Aysha à tel point qu’elle élève la voix :

- Mais quand est-ce qu’elle va arrêter ? Elle continue de faire comme si tout allait
bien alors que...

- Aysha ! l’arrête Boris d’un ton impératif. Ce n’est pas le moment… Bon, j’appelle
papa pour voir où il est.

Bizarre… J’ai l’impression que Boris ne tient pas à ce qu’Aysha parle de la maladie
de leur maman. En posant le téléphone sur son oreille, il s’approche de moi et
m’entoure tendrement la taille de son bras libre pour me chuchoter :

- Ça va ?

Gênée, je hoche la tête en jetant un coup d’œil à Aysha qui, heureusement,


semble trop préoccupée pour nous prêter attention. Boris pose un bisou sur ma
tempe puis s’éloigne en parlant à son père :

- Ouai pa, t’es où là...

Quelques minutes plus tard, nous sommes tous les quatre assis à table, prêts à
déguster les différents mets préparés par Aysha. Du poisson braisé accompagné «
d’attiéké »* et de bananes plantains ainsi que du « yassa »* au poulet. Le papa de
Boris n’est toujours pas revenu…

Mais juste après nous être servis, nous entendons le bruit de la porte d’entrée et
le voyons entrer en trombe dans la pièce :
- Bonsoir la famille ! Touuutes mes excuses ! J’ai été complètement pris dans les
bouchons. Vous savez ce que c’est les samedis à Londres !

Je le regarde, littéralement scotchée ! Outre sa bonne humeur débordante, il se


fait remarquer par quelque chose qui passe difficilement inaperçu et surtout
auquel je ne fais jamais attention chez les personnes de son âge. Il est beau ! Boris
est très beau mais son père c’est… ben c’est vraiment son père quoi. Ce n’est pas
son métissage qui fait ça, ses traits sont vraiment parfaits. Ce vieux pourrait être
un modèle de beauté dans les magazines pour hommes d’âge mûr. Et je vois
maintenant que c’est de lui que tient son fils. Ils se ressemblent énormément.

Visiblement ravie de voir son mari, tata Jeanne fait quand même mine d’être
fâchée, lui répondant sévèrement :

- Toujours des excuses. Où étais-tu tout ce temps ?

- J’avais quelques dernières courses à faire avant de rentrer à Dakar.

Il embrasse sa femme sur la tête tandis que celle-ci fronce les sourcils en lui
répondant :

- Des courses ? Quelles courses encore ? On a déjà acheté tout ce qu’il faut pour
tout le monde.

- Oh, tu sais chérie… j’ai toujours un ou deux employés qui me demandent de leur
ramener ci ou ça.

Tata Jeanne n’a pas l’air convaincue et pendant un court instant j’ai même
l’impression qu’elle est agacée. Mon attention est aussitôt attirée par son mari qui
me dit avec enthousiasme :

- Laissez-moi deviner, ça c’est ma belle-fille. Marie !

Boris pouffe de rire :

- Wow. Quelle perspicacité !

Son père lui tape sur la tête en s’approchant de moi :

- Je ne comprends pas ce que tu trouves à mon fils mais je suis ravi de faire ta
connaissance Marie.

Intimidée, je me lève et lui tends la main :

- Merci M. Hannan.

- M. Hannan ? Quel sérieux ! Appelle-moi Bachir, ou tonton Bachir qu’importe…

Tout en parlant, il ignore ma main et touche mon épaule pour me poser un bisou
sur la joue. Puis il rejoint sa femme et, s’asseyant à côté d’elle, lui sourit de la plus
tendre des manières, prend sa main et y dépose un doux baiser. Elle se détend sur-
le-champ et lui rend son sourire, le regard plein d’amour.

L’air satisfait, il se tourne vers la table et dit :

- On commence ? Bon appétit !

Attendrie de voir autant d’amour entre eux deux, j’arrête enfin de les observer et
regarde Boris qui a aussi les yeux posés sur moi. Je lui souris, reconnaissante qu’il
m’ait convaincue de venir. Je ne regrette pas… J’adore cette famille, j’adore le
couple Jeanne/Bachir. C’est exactement ce dont je rêve

Partie 31 : Ce fou dont je suis amoureuse…

***Ndèye Marie Touré***

Bien après le dîner, me voilà réinstallée dans la voiture de Boris qui me ramène
dans mon petit studio. Je déprime déjà rien qu’à l’idée de m’y retrouver seule.
C’était tellement bon de passer la soirée en « famille », ça fait ma famille me
manquer encore plus…

Boris qui a aussi l’air content de la soirée, est fidèle à lui-même, d’humeur taquine.

- Alors, t’as assez vu mon père maintenant ? On peut rentrer ?

J’ouvre de grands yeux.

- Qu’est-ce que tu racontes encore ?

- T’en pinces pour lui. Tu sais au moins que tout le monde l’a remarqué, non ?

- N’importe quoi. T’es ouf.

- Quoi, tu nies ? Tu n’arrêtais pas de le regarder.

- Quoi ?! Mais non, je ne le regardais pas lui précisément. Je regardais lui et ta


mère. Je les trouve mignons ensemble, c’est tout.
- Ouai ouai. Mais je ne te blâme pas, c’est pas grave. Tu n’es pas la première qui
tombe sous son charme ravageur de cinquantenaire. Toutes mes copines qui l’ont
rencontré sans exception ont…

- Non mais tu vas arrêter ! Ton père ne m’intéresse... Mais pourquoi je te réponds,
même ? T’es complètement malade, toi.

- Allez, avoue…

Il hausse un sourcil en me regardant comme pour m’inviter à la confidence. Il est


vraiment fou. Je lève les yeux au ciel et capitule pour en finir :

- Bon, ok, je le trouve beau. T’es content ? Mais ça s’arrête là. Juste un constat.

Boris éclate de rire, ravi d’avoir raison. Je lui lance un regard méprisant.

- T’es malade.

- Dommage qu’il soit déjà pris. Mais eh, t’as pour toi toute seule une version de lui
plus jeune et de surcroît fou amoureux de toi. C’est pas mal non ?

- Tchipp... De un, je n’AI pas. J’AVAIS et il m’a trompée avec une pauvre fille donc il
est out. De deux, excuse-moi mais ton père est plus beau que toi.

Il rit de plus belle puis finit par se calmer, le sourire toujours aux lèvres. En silence,
il avance doucement sa main pour prendre la mienne posée sur ma cuisse. Un
frisson me parcoure instantanément alors que nos doigts s'entremêlent. Sa peau
est chaude et son geste tellement doux et tendre que je suis incapable de retirer
ma main. Pendant quelques instants, nous planons dans une ambiance calme,
bercés par la douce musique qui sort des hauts parleurs. Sa voix redevenue plus
sérieuse vient briser le silence :

- Désolé de ne pas t’avoir dit pour maman. Je n’en parle pas facilement.

- Je comprends. Tu n’avais pas à le faire de toute façon.

J’aimerais pourtant savoir ce qui s’est passé mais me retiens de lui poser des
questions, par discrétion. Comme s’il devinait mes pensées, lui-même reprend :

- C’est la maladie de Charcot. Tu connais ?

- Euh… Un peu, j’en ai entendu parler.

- Elle vit avec depuis de longues années, elle l’a eu assez jeune alors que
d’habitude ce n’est pas avant 50 ans... Ça fait quelques années que ça l’a
paralysée. Elle a dû arrêter de travailler puis préféré retourner en Afrique.

Oh… C’est tellement triste. Même s’il fait tout pour avoir dépassé la douleur, Boris
semble être vraiment affecté par ça. Je ne sais quoi lui dire…

- Je suis désolée… Mais à Dakar, elle a une prise en charge suffisante ? Ce n’était
pas mieux qu’elle reste ici ?
- Ah non, pourtant, il y’a des bons médecins à Dakar, il suffit de les dénicher. Puis
avec le soleil et la famille autour c’était plus facile pour elle d’accuser le coup.

- C’est vrai… Bon, elle a l’air heureuse et semble bien vivre avec, c’est l’essentiel.

Boris ne répond rien et fixe la route. Je sens qu’il ne me dit pas tout. Il essaie de se
contenir…

Soudain, il inspire fort et me regarde en souriant.

- Et les petits sont contents de vivre à Dakar. Aysha et moi voulions y aller aussi
mais maman a refusé, disant qu’il ne fallait pas qu’on chamboule nos vies pour
elle.

- Et ton père, ça va ? Il la supporte bien, je trouve.

- Oui, complètement, c’est un bon le vieux… En fait, malgré la maladie ils sont tous
les deux plus heureux depuis qu’ils sont là-bas. Maman aurait préféré Abidjan mais
papa devait reprendre les rênes de l’entreprise familiale. Son frère s’en occupait
mal.

- L’entreprise familiale… Attends… les sociétés Hannan ? L’immobilier ?

- Oui, c’est ça… Ne me dis pas que tu ne savais pas ?

- Ah mais non ! J’ai dû me dire la première fois que je vous ai connus Aysha et toi
que vous étiez, je ne sais pas moi… des cousins, des membres lointains… Comment
aurais-je pu deviner que c’était TA famille. Vous n’en parlez jamais !

- Pour quoi faire ? Personne ne connait Hannan ici, ça m’aurait pas servi à draguer
les filles… Donc tu veux me dire que ce n’est pas pour l’argent que t’étais avec
moi ?!

- Mo ! Tchipp. Tu ne changeras jamais.

Il éclate à nouveau de rire et attire ma main pour y poser un bisou. Le fils de son
père…

Quelques minutes plus tard, on se gare devant mon immeuble et il m’accompagne


jusqu’à la porte. Je sors les clés et me tourne vers lui :

- Merci pour le dîner. C’était bien finalement… Allez, rentre bien.

- Quoi ? Tu ne me laisses même pas entrer ? dit-il en faisant mine d’être étonné.

- Non, Boris, rien n’a changé. Je ne t’ai pas pardonné. Il n’y a RIEN entre nous.

- Mais…

- Rentre chez toi Boris Suleyman. Bonne nuit.


Sur ces mots, je me tourne pour ouvrir la porte et entrer tandis que Boris insiste
derrière :

- Ma famille est riche, je te l’ai dit non ? Tu ne veux toujours pas de moi ?!

Impossible de ne pas rire mais je fais en sorte qu’il ne le voit pas, évitant de me
retourner.

- Bye !

Malgré la solitude, c’est le sourire aux lèvres que je finis par m’endormir,
repensant à ma soirée. Et à ce fou dont je suis complètement amoureuse…

****************

****************

La semaine suivante

***Abdoul Majib Kébé***

C’est la deuxième fois que je reviens seul dans ce restaurant cette semaine, en
espérant y revoir l’ex d’Abi. S’il est venu prendre à manger ici, c’est qu’il ne doit pas
travailler loin contrairement à moi. La scène de la semaine dernière ne me sort pas
de la tête. Je soupçonne Abi de ne pas m’avoir dit toute la vérité et quelque chose
me dit que je devrais creuser... Si je veux passer le reste de ma vie avec elle, il est
important que je sache que je peux lui faire confiance.

Malheureusement, on dirait que ce n’est pas aujourd’hui que j’aurai satisfaction.


J’ai fini de manger et l’autre n’est toujours pas là. Je m’apprête à quitter le
restaurant quand je vois un groupe de personnes entrer en discutant gaiement. Il
en fait partie, je le reconnais.

Me dépêchant de quitter la table, je les rejoins au comptoir d’accueil et paie la


note avant de m’approcher de lui.

- Moussa ?

Il se tourne et me regarde. L’air d’abord surpris, son visage se peint


progressivement de colère. Il me reconnait aussi apparemment…

- Oui, c’est quoi.

- On s’est rencontré il y’a quelques jours si vous vous souvenez. J’aimerais vous
parler ?

- Parler de quoi ? Vous avez été clair la dernière fois il me semble. Vous ne vouliez
pas mon aide.

- La dernière fois, je n’étais pas seul et vous nous avez manqué de respect. Peut-on
parler là oui ou non ?

- Qu’est-ce que vous voulez savoir ?

Je regarde ses compagnons et lui fais un signe pour qu’on s’éloigne. Il hésite un
instant puis fait quelques pas pour sortir du restaurant. Nous retrouvant dehors, je
lui demande :

- Je veux savoir ce qui s’est passé entre vous et Abi.


- Pourquoi vous ne le lui demandez pas à elle ?

- Je l’ai fait… Je veux connaître votre version.

Il émet un petit rire et croise ses bras, l’air satisfait. Je le regarde sans ciller, lui
montrant que je ne suis pas là pour plaisanter. Reprenant son sérieux, il dit :

- Donc vous ne lui faites pas confiance ? Vous avez bien raison. Je suppose que
cette ga… Abi vous a dit que je lui en veux de m’avoir laissé tomber, que je suis
jaloux ?

La colère revient en moi. Il a failli encore l’insulter et il a bien fait de se raviser car
je ne l’aurais pas épargné cette fois. Gardant le silence, je le laisse continuer.

- C’était peut-être ça au début mais elle a fait pire que me laisser. Elle a brisé mon
mariage.

- Donc vous êtes bien marié.

- Je ne sais même plus si je le suis encore. Grâce à Abi, ma femme ne veut plus de
moi. Elle est retournée chez ses parents avec mon fils, vous vous rendez compte ?

- Qu’est-ce qui s’est passé ?

- Abi lui a envoyé des photos de moi quand j’étais avec elle. Des photos… très
compromettantes. Bien sûr, elle s’est débrouillée pour qu’on ne la reconnaisse pas
dessus. Mais moi on me voyait bien et j’étais…

Il s’arrête et détourne le regard, gêné.

Nu… Il était nu. Extrêmement surpris, je lui demande :

- Pourquoi elle ferait ça ? Elle ne savait pas que vous étiez marié.

- C’est ce qu’elle vous a dit ? C’est ce qu’elle a essayé de me faire croire aussi mais
j’ai su plus tard que c’était faux. Abi ne s’intéressait à moi que pour ces photos.
J’étais sorti avec des filles qu’elle connaissait et elle a fait en sorte que je la drague.
Tout ce qu’elle voulait, c’est que ma femme sache que je la trompais. Elle me l’a dit
elle-même dans son dernier message quand je l’ai appelée des tonnes de fois pour
qu’elle me donne des explications. Elle m’a dit entre autres choses « ça
t’apprendra à respecter fa femme… elle mérite mieux que toi… J’espère que t’as
compris la leçon. » Puis elle m’a dit de l’oublier. Ça m’a fait repenser à comment
tout s’est déroulé depuis le début et j’ai compris qu’elle avait tout préparé. Elle m’a
manipulé cette...

Ce qu’il dit me choque mais ce qu’il semble oublier, c’est qu’il est le principal fautif
de cette histoire et je le lui rappelle.

- Vous ne pouvez en vouloir qu’à vous-même. C’est vous qui avez trompé votre
femme.

- Et alors ? Combien d’hommes font pareil, hein ? Pourquoi moi je dois payer alors
que tous les autres s’en sortent ! Je l’aime ma femme et on a un fils. Il a juste 5 ans
! Abi n’avait aucun droit de briser notre famille. Si ça vous convient d’être avec une
fille comme elle, tant mieux pour vous. Maintenant, vous connaissez la vérité, moi
je n’ai plus rien à vous dire.

Sur ces mots, il pivote sur lui-même et retourne dans le restaurant. Je n’essaie pas
de le retenir, ayant entendu ce que je voulais savoir. Pendant un instant je n’arrive
pas à bouger de ma position. Je ne sais pas si je dois le croire. Pourquoi Abi ferait
une chose pareille ? Qu’est-ce qu’elle y gagne ?

Et si elle a vraiment fait ça, qu’en est-il de notre relation ? Je n’aurais jamais cru
qu’elle pouvait manipuler quelqu’un de la sorte. Mais bien que ce gars ne soit pas
une lumière, il n’a pas non plus l’air de se laisser embobiner facilement…

Et nous alors ? Qu’en est-il d’elle et moi ?

***

Après avoir cogité pendant deux jours, je décide d’aller voir Abi chez elle le
dimanche, juste avant mon vol pour Guangzhou. Au téléphone, je ne lui ai rien dit
à propos de ma rencontre avec Moussa. Je ne sais toujours pas si je vais lui dire…
Je peux comprendre qu’elle ait menti sur leur histoire vu ce que c’est. Mais moi,
j’ai besoin de savoir où je me situe, qu’elle me rassure…

Arrivé chez elle vers 14h, je la vois très habillée comme prête à sortir. Elle a l’air
contente de me voir malgré tout.

- C’est toi ? Je ne pensais pas te revoir avant jeudi.

- C’est beaucoup deux semaines sans se voir, tu ne crois pas ?

Je l’embrasse avant qu’elle ait le temps de répondre.


- C’est toi qui prétendais avoir beaucoup de travail, bébé.

- C’est vrai. J’étais encore au bureau hier pour préparer les derniers documents…
Tu sors ?

Je la suis dans la cuisine où elle ouvre le frigo pour sortir à boire.

- Oui mais on peut passer un peu de temps. C’est à quelle heure ton vol déjà ?

- Je dois être à l’aéroport à 15h30. Tu vas où, aussi belle comme ça ?

- Chez les beaux-parents de Maï. On a… un mariage là-bas.

- Ok… Laisse ça, viens…

- Mais attends, je te sers d’abord.

Je lui tire la main et l’oblige à reposer la bouteille qu’elle tient pour me suivre.
Nous nous asseyons dans le salon et je l’attire sur moi.

- Tu m’as manquée… C’était long une semaine.

- Humm, oui. Trooop long. C’est de ta faute !

- Je sais… J’ai de plus en plus de mal à rester loin de toi tu sais ?


- C’était pire avant quand même, quand t’étais à Londres. Là, on se voit souvent.

- C’est bien, mais pas assez. Je veux beaucoup plus.

Je remarque une lueur d’inquiétude passer furtivement dans ses yeux avant
qu’elle réponde en souriant :

- On peut se voir tous les jours si tu veux, mais la semaine y’a Anna et…

- Qu’est-ce que tu ressens pour moi ? lui dis-je soudain.

Elle me regarde en fronçant les sourcils :

- Hun ? C’est quoi cette question ?

- Une sérieuse. Je veux savoir ce que tu ressens vraiment pour moi.

- Mais tu sais déjà.

- Non, je ne sais pas. Parce que tu ne me l’as jamais dit.

- Majiib…
Elle dit ça sur un ton de protestation tout en se levant. Se dirigeant hors du salon,
elle rajoute.

- J’arrive, je mets mes bijoux. Il ne me reste pas beaucoup de temps.

Elle fuit ma question… Elle aimait être dans mes bras mais elle préfère fuir plutôt
que de répondre à cette simple question. Déçu, je me lève et la suis dans sa
chambre pour lui dire :

- Je vais y aller. Je ne veux pas être en retard.

- Attends, bébé.

Mais je m’éloigne déjà et elle me rattrape alors que je suis à la porte d’entrée.

- Majib, qu’est-ce qu’il y’a ?

- C’est moi qui devrais te poser cette question. Qu’est-ce qu’il y’a, que fais-tu
réellement avec moi ?

- Mais qu’est-ce qui t’arrive tout d’un coup à me poser ces questions ? Qu’est-ce
que je fais avec toi ?! On est ensemble, c’est pas pour rien... Ai-je vraiment besoin
de mettre des mots sur ce que je ressens pour toi ?

- Oui, Abi. Tu as besoin !

Puis je sors et pars immédiatement sans écouter ses protestations :


- Majib, reviens stp... Majib !

Je ne me retourne pas. Je ne supporte pas de rester une seconde de plus. Pas alors
que je découvre que la femme pour qui j’ai tout abandonné ne sait même pas dire
ce qu’elle ressent pour moi.

*******************

*******************

***Abibatou Léa Sy***

Ça devient compliqué tout ça, ça commence à me dépasser… Au volant de ma


voiture, je mets mes écouteurs et appelle Maï pour la tenir au courant :

- Miss, je suis en route là.

- Ok. Lamine vient de partir aussi. Ah, qu’est-ce que je ne donnerais pas pour être
avec vous ?

- T’inquiète, je te raconterai tout. Ce serait dommage que ton beau-père refuse de


rester avec nous juste parce que tu es là-bas.

- Oui, je sais… Qu’est-ce qu’il y’a toi ? T’as pas l’air dans ton assiette.

Eh non, je ne le suis pas. Majib m’a gâté ma bonne humeur…

- C’est Majib. Je ne le comprends pas… On vient de se quitter là et il était fâché


parce que je ne répondais pas à ses questions débiles.

- Quelles questions ?

- Du n’importe quoi. Genre qu’est-ce que je ressens pour lui, qu’est-ce que je fais
avec lui… Je ne sais pas ce qui lui prend tout d’un coup ! Comment veux-tu que je
réponde à des questions pareilles moi ?

- Ahh Abi. Depuis quand c’est compliqué pour toi de dire à un homme que tu
l’aimes alors qu’il n’en est rien ?

- Mais c’est pas pareil !

J’entends Maï rire moqueusement au bout du fil, avant de dire :

- Qu’est-ce qui n’est pas pareil. Pourquoi c’est difficile cette fois ?

- Je sais pas moi… Pfff, ça m’énerve.

- Tu veux que je te dise ce qui n’est pas pareil ? C’est que pour la première fois, ce
serait la vérité. T’es amoureuse de Majib ma chère.

- N’importe quoi. Tu vois, c’est pour ça que je ne veux jamais rien te raconter. Tu te
crois dans un conte de fées toi.
- Non, je crois au contraire que t’es une personne normale dans un monde normal,
où tu n’es pas différente des autres même si tu penses le contraire. Tu tombes
amoureuse de la même manière que les milliards d’autres personnes de ton
espèce. Tu sais quoi, ne me fatigue pas. Dis-lui que tu l’aimes ou ne lui dis pas,
c’est ton problème. Quand il s’en ira, t’auras que tes yeux pour pleurer.

- Bon, je te laisse. Finalement, je ne te raconterai que dalle.

- Ahaha, comme si je n’avais pas un mari là-bas. Ciao ma belle !

Je raccroche, agacée. Elle se croit drôle en plus. Si elle savait… Je n’en ai rien à faire
de Majib. Dès que tout sera fini, je le jetterai aux oubliettes comme les autres.

Mais en attendant de trouver comment l’amadouer quand il reviendra, je vais me


concentrer sur notre chère Hadja…

***************

***************

***Hadja Koïta***

Le bébé dort enfin et j’en profite pour m’habiller et me maquiller. Aujourd’hui, je


me marie !! Mes parents ne sont pas venus mais tant mieux. Ce sera juste une
simple formalité de toute façon.

J’ai entendu la voix de Lamine tout à l’heure, ce qui veut dire qu’il est arrivé. Je ne
l’ai pas vu une seule fois depuis que j’ai accouché mais ce n’est pas grave. Dans
moins de deux heures, je serai sa femme…
J’ai à peine fini qu’on toque doucement à ma porte. En ouvrant, je vois Sokhna qui
chuchote :

- Tata veut te parler. Elle est dans le salon.

- Ok, j’arrive. Tu peux rester avec le bébé en attendant ?

Je mets mes chaussures et sors de la chambre, laissant Sokhna entrer.

Je me demande de quoi tata Oumou veut me parler. Des conseils sur le mariage
sans doute… Excitée, je rentre dans le salon en souriant.

Mon sourire s’efface tout de suite quand je vois l’assemblée. Je ne fais pas un pas
de plus. Qu’est-ce qui se passe ici ?

Les parents de Lamine, lui-même, le frère de ma maman et un homme que je ne


connais pas. Tous sont assis et leurs regards tournés vers moi. Mais ce ne sont pas
eux qui m’étonnent… Que fait Yacine ici ?!

J’avance d’un pas lent.

- Salamaleykum…

- Maleykum salam. Entre Hadja, viens t’assoir, répond tata Oumou.

J’avance prudemment sans quitter Yacine des yeux. En m’asseyant, je lui demande
tout bas :

- Yacine, qu’est-ce que tu fais ici ? Comment tu…

Elle m’arrête en me répondant à voix haute, se faisant entendre par tout le


monde :

- Yacine ?! C’est qui Yacine ? Je m’appelle Abi. L’épouse de Lamine, Maï, est ma
meilleure amie. Enchantée !

Puis elle sourit de toutes ses dents. J’ai le souffle coupé. Abi ? Maï ? C’est quoi ça ?

Les yeux écarquillés, je suis incapable de réfléchir. Et je n’en ai pas le temps car
une voix m’interpelle brusquement, me faisant sursauter :

- Salamaleykum.

Je me retourne tellement vivement que je manque de me faire mal au cou.


Omar !!

Que diable fait Omar ici ?!!

Partie 32 :

***Abibatou Léa Sy***

Le spectacle va commencer et je suis confortablement installée aux premières


loges, regardant Omar et le vieux qui l’accompagne entrer dans le salon à
l’invitation de tata Oumou. Tout comme si elle venait de voir un fantôme, Adja ne
les quitte pas des yeux.

Par politesse – ou du moins ce que j’essaie de faire croire – je me lève et invite


Omar à s’assoir à ma place, se retrouvant ainsi à côté de Hadja. C’est plus drôle
comme ça, je vais pouvoir mieux les observer.

M’asseyant ailleurs, je vois Hadja regarder à droite et à gauche comme si elle


cherchait quelque chose. Un trou peut-être, pour s’y glisser ? Oh, la pauvre, elle
est vraiment stressée là. Je me retiens de rire. Ça me démange mais ce n’est ni le
lieu, ni le moment. Déjà que le papa de Lamine m’a bizarrement regardée tout à
l’heure se demandant sans doute ce que je fais ici, je ne vais pas me faire
remarquer en plus.

Tout le monde assis à présent, le silence s’installe après quelques présentations et


usuels salamalecs, puis tata Oumou commence :

- Saliou, Omar est le jeune garçon dont je t’ai parlé hier. Il voulait te voir.

Son mari acquiesce de la tête et regarde Omar.

- Huhun, je t’écoute. Quelle est la raison de votre présence ?

- Merci mon père… Déjà, je tiens à m’excuser de vous déranger. Sachez que je ne
me serais jamais permis si ce que j’ai à vous dire n’était pas très important et
surtout urgent. Mère Oumou a gentiment accepté de vous passer mon message
mais je m’excuse quand même.

- C’est bon, c’est bon. Il n’y a pas de problème, vous pouvez parler.

- Merci… Je viens vous voir à propos d’Hadja. Vous ne le savez pas mais elle et moi
nous connaissons depuis des années, en Mauritanie. N’est-ce pas Hadja ?

Il regarde cette dernière et tous les yeux se tournent en même temps vers elle.
Hadja ne dit mot. Elle baisse la tête et fixe le sol, serrant fort ses deux mains
jointes. Elle est encore sous le coup de la surprise…
Ne voyant pas de réponse venir, Omar se détourne d’elle et reprend :

- D’ailleurs, je reconnais son oncle assis là. Peut-être que lui ne me reconnait pas
mais je l’ai vu plusieurs fois entrer chez Hadja car j’habitais dans la même rue.
Mais ses parents me connaissent très bien et ils vous le confirmeront sûrement…
Hadja et moi… nous étions ensemble et ils n’approuvaient pas notre relation.

Tonton Saliou regarde plus attentivement Omar à cette révélation, en fronçant les
sourcils. Ça l’embête… Qu’est-ce qu’il croit, que Hadja est une parfaite innocente
qui n’a jamais connu de garçon de sa vie ? Eh bien, prépare-toi à la bombe mon
cher papa.

Sentant son agacement, Omar reprend vite :

- Bien sûr, j’étais sérieux avec elle. Je prévoyais de l’épouser et si ses parents
avaient accepté notre relation, ce serait sans doute déjà fait. Mais…

- Omar, toi qu’est-ce qu’il y’a ? Que fais-tu ici et pourquoi tu racontes tout ça ?

Oh oh mademoiselle s’est réveillée ! Et elle se la joue agressive pour commencer,


en plus…

Omar la regarde et lui répond :

- Tu sais très bien ce que je fais ici, Hadja. Tout simplement pour dire la vérité.

- Quelle vérité ? Mais toi Omar, pourquoi tu ne me laisses pas tranquille ? Notre
relation est terminée depuis belle lurette alors pourquoi tu ne m’oublies pas ?! Tu
me fatigues à la fin ! Pars d’ici tout de suite.
- HADJA !

La voix de son oncle qui crie son nom la fait sursauter et celui-ci se met à la
gronder :

- Comment te permets-tu de parler ainsi, toi ? Sous ce ton et devant tes parents ?
Impolie va ! Tais-toi et attends qu’on te donne la parole, tu m’as compris ?

- Mais mon oncle…

- Tais-toi Hadja. Je ne veux pas le répéter !

Apeurée, Hadja baisse la tête et garde sa bouche fermée. Omar reprend lentement
:

- Je comprends que tu sois en colère Hadja. Mais je ne suis pas d’accord avec toi, je
refuse de mentir sur quelque chose d’aussi important pour toi, pour ces personnes
ici, mais aussi pour moi.

Puis il regarde à nouveau le papa de Lamine et continue :

- Mon père… Le bébé d’Hadja est de moi et non de votre fils. Il s’agit de ma fille.

- Quoi ?!

C’est l’oncle d’Hadja qui vient de parler à nouveau. Le papa de Lamine lui garde
son calme, continuant d’observer Omar. Mais je vois bien qu’il est surpris.

Hadja, les yeux écarquillés, regarde Omar et dit de manière étonnée :

- Omar ? Qu’est-ce que tu racontes là ? Comment peux-tu prétendre une chose


pareille alors qu’il ne s’est jamais rien passé entre nous ?

Hé, cette fille est une comédienne ! Là, elle est bien réveillée même et ça réfléchit
dans sa grosse tête.

Omar lui répond :

- Hadja, s’il te plait. Tu sais très bien que ce n’est pas vrai. Il est temps de dire la
vérité maintenant. Ton cousin ne t’a pas mise enceinte, c’est moi le père et je ne
vais pas laisser quelqu’un d’autre s'occuper de ma fille.

- Tu dis des mensonges !!

Omar soupire et se tourne à nouveau vers les autres, préférant leur répondre
directement :

- Je dis bien la vérité. Hadja me l’a avoué elle-même il y’a peu de temps. Elle m’a
dit que son cousin ferait un meilleur père que moi, qu’il est assez riche pour
s’occuper d’elle et de sa fille. C’est la raison pour laquelle elle a préféré lui mettre
cette grossesse sur le dos. Mais est-ce que lui l’accepte ? Es-tu responsable de sa
grossesse ?

S’adressant à Lamine sur cette question, celui-ci répond :

- Je n’ai jamais touché Hadja et je n’ai pas cessé de le dire. Mais on ne m’a pas cru,
alors...
« On » veut dire papa… Cette fois, ce dernier réagit en toussotant puis s’adresse à
Omar :

- Hadja vit chez nous depuis plus d’un an maintenant et elle ne sort jamais.
Comment pourrais-tu être le père de son enfant ?

- Sauf mon respect, vous vous trompez mon père. Hadja et moi nous sommes vus
plusieurs fois ici-même à Dakar, dans ma maison. Elle m’a tout raconté à propos du
mariage arrangé entre lui et son cousin. Nous nous aimions et si j’avais été…
capable de l’épouser à ce moment-là, je suis sûr que nous n’en serions pas arrivés
à tout ça aujourd’hui. Mais il s’est passé des choses et Hadja a changé d’avis.

Des choses comme le fait qu’elle ait découvert qu’il n’avait pas un sou et vivait
entretenu par une autre femme. Mais ça, ce n’est pas le sujet du jour et surtout
pas notre problème.

Qu’il continue…

- Je n’ai découvert qu’elle était enceinte que très récemment et ai tout de suite
cherché à la voir pour avoir confirmation. Quand on s’est vu, elle m’a fait
comprendre que c’était moi le père mais qu’elle ne voulait plus de moi dans sa vie.
Elle m’a même donné de l’argent pour que je garde le silence et ne vous fasse
jamais connaître mon existence. Deux millions de francs.

- Hun ?!

Le cri de surprise de l’oncle d’Hadja fait écho à tout l’étonnement qui s’inscrit sur
le visage des personnes présentes. Les regards se tournent vers Hadja qui
balbutie :
- Il ment… Je ne sais pas pourquoi il ment comme ça. Qu’est-ce que je t’ai fait
Omar ? Pourquoi tu me fais ça…

Sa voix se brise alors qu’elle commence à pleurer. Vraiment hein ? Elle va jusqu’à
pleurer…

Bon ben, il est temps que j’intervienne.

- C’est moi-même qui ai remis cet argent à Hadja.

Tout le monde se tourne pour me regarder, surpris de m’entendre.

- Hadja et moi sommes copines… en quelque sorte… Elle ne savait pas que je
connaissais Lamine et sa famille avant aujourd’hui. A part vous et Omar, je suis la
seule personne qu’elle connait à Dakar et la seule qui pouvait lui prêter cette
somme. Ce que j’ai fait. Elle m’a dit que c’était pour faire taire Omar qui prétendait
être le père de son bébé alors que ce n’était pas vrai. Mais on sait tous très bien
que ça n’a aucun sens, n’est-ce-pas ?

- Menteuse ! Toi, t’es une mauvaise personne Yacine… ou Abi, je m’en fous !
Prétendre être quelqu’un que tu n’es pas juste pour me tendre un piège et venir
ensuite mentir ici. Mais qu’est-ce que je vous ai faits à tous pour que vous soyez si
mauvais avec moi ?!

- Hadja, personne ne t’a fait quoi que ce soit ici, à part toi-même. Tu ne penses pas
que c’est le moment de dire la vérité ? Tu ne veux pas que ta fille connaisse son
vrai père ? Tu préfères qu’elle vive dans le mensonge durant toute sa vie ?

- Tais-toi, laisse-moi tranquille ok ! Tu ne vas jamais me faire dire ce que tu veux.


Lamine est le père de ma fille et je n’en démordrai pas parce que c’est ça la vérité !

Je m’apprête à répondre mais son oncle le fait à ma place :

- Attendez… Moi, je suis dans un rêve ou quoi là? Je viens à Dakar pour marier ma
fille et son cousin et je découvre quoi ?! Hadja, tu n’as pas osé nous mentir quand
même ? Dis-nous la vérité, Lamine t’a-t ’il touchée oui ou non ? Qui est le père de
ta fille ?

- Mais c’est Lamine tonton. Wallahi, je te jure que…

- Huun Hadja ! l’arrête tata Oumou. Fais attention à ce que tu jures. Sois vraiment
sûre de toi avant de jurer sur le nom de Dieu.

- Mais je… sniff.

- Ma fille, arrête de pleurer et parle-nous. Tout le monde fait des erreurs dans la
vie mais ce qu’il ne faut pas faire, c’est persister dans ces erreurs. Tout peut
s’arranger, on restera ta famille quoi qu’il en soit. Mais dis-nous maintenant, une
bonne fois, si Lamine est le père de ta fille, ou bien c’est Omar.

- C’est… sniff Lamine.

- Non, je ne le suis pas. Et tu le sais très bien, dit calmement Lamine.


Hadja redresse la tête et le regarde.

- C’est ta fille, Lamine. Tu as promis de prendre soin d’elle et de moi. On va se


marier, tu as promis Lamine.

- Je ne t’ai jamais promis de t’épouser. Jamais. J’ai toujours su que je ne suis pas le
père de ta fille. Comment le pourrais-je alors qu’il ne s’est jamais rien passé entre
nous ? J’ai été trop gentil avec toi Hadja mais vraiment tu ne le mérites pas. Tu
sais, tu n’avais pas besoin d’inventer ces choses pour que je t’aide. Je t’aurais aidé
dans tous les cas parce que je te considérais comme ma petite sœur, privilège que
tu as perdu maintenant. A présent, je te demande juste de dire la vérité parce que
si tu ne le dis pas maintenant, j’ai d’autres moyens de prouver que ce bébé n’est
pas le mien. Tu sais ce que c’est, un test de paternité ?

Hadja le fixe de ses yeux larmoyants, sans rien dire. Puis elle jette un regard autour
d’elle et remarque tous les autres qui l’observent, attendant sa réponse. Le père de
Lamine se redresse sur son fauteuil et avance vers elle puis dit posément :

- Hadja… Dis la vérité maintenant. Est-ce mon fils le père ?

Enfin ! Si lui intervient dans ce sens, c’est qu’elle a perdu son dernier support. Le
doute s’est installé… S’en rendant compte, elle fléchit immédiatement et courbe le
dos, comme si on venait de lui poser un lourd poids sur la tête. Puis, les yeux
baissés, elle dit presque dans un murmure :

- Non…

- Je n’ai pas bien entendu Hadja. Qu’est-ce que tu dis ?


- Non … Il ne l’est pas...

Alleluia ! Des sons d’étonnement et de choc se font entendre tandis que le papa
de Lamine recule à nouveau sur son fauteuil en couvrant sa bouche de sa main,
l’air accablé.

Hadja pleure de plus belle mais Lamine n’en a pas fini avec elle :

- J’ai besoin que tu dises toute la vérité maintenant. S’est-il jamais passé quoi que
ce soit entre nous qui aurait pu te mener à la grossesse ?

- Sniff…

- Réponds Hadja. Dis toute la vérité.

- Sniff… non... rien.

Je vois le soulagement se dessiner sur le visage de Lamine, tout de suite suivi par
une expression de mépris à l’égard d’Hadja. Je le comprends tout à fait. Hadja peut
pleurer toutes les larmes de son corps maintenant, elle a quand même
effrontément menti à tout le monde et a failli détruire la vie de Lamine et sa
femme.

Le silence s’installe dans la pièce, seulement entrecoupé par les sanglots d’Hadja.
Le père de Lamine a l’air très en colère. Je sens qu’il se retient d’exploser. Personne
n’a l’air désolée pour Hadja à part Omar qui lui, semble bien attristé.

Maintenant que tout est dit, je me prépare à partir quand ce dernier reprend la
parole.
- Je vous demande vraiment pardon d’avance car je sais que ce n’est pas le
moment idéal pour dire ça, c’est même très précipité mais voilà. Je dois baptiser
ma fille demain et je veux faire les choses bien avant. Si je suis venu ici avec mon
oncle que voici c’est parce que… je veux vous demander la main d’Hadja.

Hein ?! Je suis tellement surprise que je me rassois et ne bouge plus tandis


qu’Hadja relève brusquement la tête pour regarder Omar. Ce dernier la regarde
aussi puis continue :

- C’est elle que j’aime. Je sais qu’elle est déçue mais j’ai espoir que tout
s’arrangera… Si tu es d’accord Hadja, on se marie dès aujourd’hui.

Les yeux écarquillés, Hadja ne dit mot. C’est son oncle qui se charge de répondre à
sa place :

- Aucun problème mon garçon. C’est même très bien. Je suis sûr que Saliou ici
présent n’y verra pas d’inconvénient et je suis garant de l’accord de ses parents,
ma sœur et mon cousin. Hadja n’a rien à dire là-dessus.

Popopop ! Alors ça, c’est la surprise du film. On va avoir un mariage finalement ?


Hadja est figée sur place, ne pleurant même plus. Voulant entendre son accord,
Omar la regarde toujours puis tend affectueusement la main vers elle :

- Hadja ?

Oh n’est-ce pas mignon ?

Au contact d’Omar, Hadja semble se réveiller d’un coup et se dégage violemment,


pus se lève et sort du salon en courant. Tata Oumou se lève aussi et dit avant de la
rejoindre :
- C’est bon, je vais lui parler.

Omar baisse la tête, gêné. L’oncle d’Hadja, bien décidé, lui dit :

- Allez acheter ce qu’il faut mon garçon. Le minimum sera suffisant pour la dot.
L’imam est déjà là, on fait le mariage après la prière.

Eh ben ! Je crois que je n’ai plus rien à faire ici. Je ne sais pas qui, mais Hadja elle,
son destin semble scellé.

****************

****************

Le week-end suivant

***Abibatou Léa Sy***

Alors là, Majib ne plaisante pas. Quatre jours qu’il est revenu et non seulement je
n’ai pas reçu un seul coup de fil de sa part, mais il répond à peine et tard aux
quelques messages que je lui envoie. J’ai patienté mais il ne semble pas vouloir
faire des efforts pour une réconciliation. Il est temps de sortir le grand jeu. S’il croit
qu’il peut se débarrasser de moi comme ça, il s’est gouré. Il veut que je lui «
exprime mes sentiments » n’est-ce pas ? Eh bien, il sera comblé.

Il est 17h et j’habille Anna d’une jolie petite robe en wax avant de m’habiller moi-
même. Je me la joue traditionnel ce soir. Ensemble en wax près du corps et foulard
attaché sur la tête. Dès que nous sommes prêtes, nous prenons la route, direction
Keur Massar. Je n’ai jamais été chez Majib mais avec le nom connu de son grand-
père, leur maison ne devrait pas être difficile à trouver.

Plusieurs minutes plus tard, nous voici devant leur porte, Anna et moi. Le jeu peut
commencer…

*********************

*********************

***Abdoul Majib Kébé***

Je suis fatigué. A peine rentré de voyage, j’ai retrouvé ma mère à Dakar qui a
décidé de venir ici quelques jours sans papa. Ce dernier devait venir lui-même
mais a été pris par le boulot au dernier moment alors que la maison qu’ils sont en
train de construire ici est en cours de finition. Sans surprise, ma téméraire maman
a alors décidé de s’en occuper. Comme si je ne pouvais pas le faire moi… Le
problème c’est qu’elle refuse de conduire à Dakar et a décidé de faire de moi son
chauffeur. Voilà trois jours que je n’arrête pas de rouler avec elle, entre ma maison,
celle de ses parents où elle loge et le chantier, sans compter les dizaines de
lointains membres de la famille qu’elle tient coûte que coûte à aller rendre visite.

Mais le pire ce n’est pas la conduite. Le pire c’est de devoir me retrouver seul avec
elle dans la voiture, ce qui lui donne l’occasion de me poser toutes les questions
qu’elle a gardées à propos de Ndèye Marie et que j’ai réussi à éviter jusque-là.
Hier, elle m’a même parlé d’Abi sans que je lui aie jamais rien dit sur elle :

- Alors cette fille pour qui tu as laissé ma belle-fille, je vais la rencontrer au moins ?

C’est en soupirant de lassitude que je lui répondis :

- Je ne t’ai pas jamais dit que j’ai laissé Ndèye Marie pour une autre, maman.
- Bien sûr que non, comment t’aurais osé. Mais sache que je sais tout. Je te signale
que Ndèye Marie et moi nous parlons souvent.

- Tu veux dire qu’elle t’a dit ça ?

- Pas du tout, au contraire elle a tout fait pour esquiver mes questions. Mais je ne
suis pas née de la dernière pluie moi, j’ai été jeune avant vous. Je sais très bien ce
qui se passe et je m’informe. Tu ne trouveras jamais une fille comme Ndèye Marie,
qui te protège même après que tu l’aies abandonnée… Tu ne la mérites pas, de
toute façon... En tout cas, sache qu’elle sera toujours un membre de ma famille
même si tu as brisé tous mes espoirs d’en faire ma belle-fille.

- Okay.

Mieux valait que je ne discute pas sinon elle n’allait jamais s’arrêter. Mais ma
courte réponse ne la découragea pas plus que ça.

- Dire que vous auriez déjà été mariés en ce moment… peut-être même attendant
un bébé… Ah, tu m’as vraiment déçue... Bon, je vais rencontrer ta nouvelle ou bien
?

- Maman….

- Maman quoi ! Tu veux dire que ce n’est pas sérieux entre vous alors ? Tu as
rompu tes fiançailles juste pour jouer c’est ça ? Etre libre comme l’air et passer
d’une fille à l’autre ? Tu crois que je vais te laisser devenir comme ça ? Je ne t’ai
pas éduqué comme ça Abdou. Tu te crois jeune ? Tu as 30 ans maintenant ! Et je
ne resterai pas là à te regarder devenir comme ces hommes « niak fayda »* de
Dakar qui…

- C’est sérieux, ok ? l’interrompis-je. Elle s’appelle Abi et c’est très sérieux entre
nous. C’est bon, t’es contente ?

- Contente… Tchipp ! J’aurais été contente si tu étais marié déjà avec Ndèye Marie.
Elle, est bien éduquée et de bonne famille. Abi ! N’importe quoi. Tchip. Je ne sais
pas ce qu’elle t’a fait mais qu’elle sache que tu as une maman. Je suis sûre qu’elle
est mauvaise…

- Mais comment tu peux dire ça ? Tu ne la connais même pas, tu ne sais


strictement rien d’elle.

- Oh, laisse-moi. Je connais ces jeunes filles de Dakar là qui n’attendent que des
hommes comme toi pour les séduire. Je sais très bien que tu l’as rencontrée alors
que tu étais avec Ndèye Marie quand vous êtes venus en vacances ensemble. Elle
savait donc que tu étais avec quelqu’un, ça en dit déjà long sur sa morale.

Je ne répondis pas. Au moins elle ne savait pas que Ndèye et Abi étaient amies… Je
la laissai pendant plusieurs minutes rouspéter toute seule, sortant des jugements
aussi gratuits les uns que les autres sur Abi et les « filles de Dakar » en général. Et
avec ça, elle veut que je la lui présente… Qui est fou ?

Avant d’en arriver là, je veux que ma relation avec Abi soit bien solide car
rencontrer ma mère risque carrément de la faire fuir. Ce ne sera pas la première
fois. Malgré son petit corps là, maman a un caractère redoutable. Elle fait peur à
tout le monde avec sa langue acerbe, surtout les filles qui tournent autour de ses
deux précieux fils. Ndèye a été la seule de mes relations qu’elle ait jamais
acceptée. Mais avec le caractère d’Abi qui n’est pas loin d’être comme le sien et le
fait qu’elle soit la cause de ma rupture avec sa chère « belle-fille », je doute très
fort que le courant passe entre ces deux-là.

Mais ce n’est pas le moment de s’en inquiéter…

Maman dînant avec ses beaux-parents et moi ce soir, nous nous garons devant la
maison à Keur Massar. Comme d’habitude mes grands-parents doivent sûrement
se trouver dans le jardin à l’arrière où ils aiment passer leurs après-midis.

Nous les rejoignons. Grand-père n’est cette fois pas allongé sur son hamac. Il est
assis avec sa femme autour de la table de jardin. Quand ils se retournent à notre
salut, je vois une petite forme sur ses genoux.

Mais c’est Anna ?!

Dès qu’elle me voit, elle descend et se précipite à ma rencontre :

- Tonton Majiiib.

Je la soulève dans mes bras, très surpris mais ravi de la voir.

- Anna ? Qu’est-ce que tu fais là ?

- Je suis venue chez toi, tu vois ? Regarde, y’a la piscine. Mais je ne peux pas me
baigner, Mame dit que c’est sale. Dis, je peux me baigner ?

- Ce n’est pas nettoyé, bébé. Mame a raison. La prochaine fois ok ?


Elle fait la moue alors que tout ce que je me demande, c’est ce qu’elle fait ici. Abi
est-elle là aussi?

- Mais tu es venue comment, chérie ? Où est maman ?

- Dans la cuisine.

La cuisine ?!

Au même moment, j’entends la voix d’Abi derrière moi et me retourne.

- Salut.

Plus qu’étonné, je la vois toujours aussi belle, habillée à la sénégalaise et tenant un


plateau rempli de fruits coupés.

- Abi ?!

- Surprise !

Elle pose le plateau sur la table et répond au merci de ma grand-mère en lui


souriant. Je suis dans un film là, ou quoi ? Que fait Abi comme ça et c’est quoi ce
sourire complice ?

Abi se retourne pour me regarder puis maman qui s’est installée sur une chaise et
qui ne la quitte pas des yeux.

Tout d’un coup, réalisant ce qui est en train de se passer, je sens une sueur froide
imaginaire me traverser le dos et repose doucement Anna sur le sol.

Abi se demande visiblement qui est cette femme, maman ne donnant


physiquement pas l’air d’être ma maman. Stressé, je me charge de faire les
présentations :

- Abi, je te présente ma mère… Maman, Abi.

Le visage d’Abi se décompose sur le coup, son sourire disparaissant pour laisser
place à une visible panique. Le regard froid que lui lance maman fait décupler mon
inquiétude. Pendant des secondes interminables, elles s’observent en silence
jusqu’à ce qu’Abi, se reprenant, s’approche d’elle et lui tend la main en parlant
doucement.

- Bonjour… tata.

Maman l’observe encore puis lui prend brièvement le bout des mains avant de se
détourner d’elle pour s’adresser aux autres :

- Alors, vous voulez voir les photos de la maison ?

Maman ! Pendant un bref instant, je vois le choc et la honte sur le visage d’Abi
tandis qu’elle regarde encore ma mère qui vient de la traiter aussi froidement.
Mais immédiatement, elle redresse fièrement la tête en lissant sa jupe et se
tourne vers moi qui l’observe, inquiet. J’en ai oublié jusqu’à notre dispute…

Ignorant ma mère, Abi me fait un sourire charmeur et s’approche de moi puis, me


prenant la main, se redresse et m’embrasse sur la joue avant de dire assez haut
pour se faire entendre :

- Tu m’as manqué mon coeur.

Okay… Répondant à Abi, je jette un coup d’œil à maman et vois qu’il nous regarde
avec mépris.
Et voilà. Les cartes sont jouées… Cette rencontre ne pouvait pas être pire.

Vous aimerez peut-être aussi