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Merhoye Laoumaye

LE SILENCE SE TAIT

Poésie

L.M
Merhoye Laoumaye

LE SILENCE SE TAIT

Poésie

© Mes poèmes 1992/Hina


1
2
Dédicace

A tous ceux qui n'ont ni parapluie, ni abri,


J'offre ici des cornes aussi solides que celles d'un cabri
A toutes mes amours gardées ou perdues
Sans lesquelles j'aurais une tête de pendu.
A mes frères et amis, toujours prêts à me conseiller,
Pour que vous fassiez de ce recueil un oreiller !
A mes enfants qui avez un combat sur terre,
Afin que vous y puisiez une force de tonnerre.
A MSEE, cet être formidable,
Pour ta paternité vraiment adorable.
A MEPIPYOU, ce grand guide de pèlerinage,
Sans lequel, je n'aurais ni plumage ni courage.
Ô mère ! Toi qui m'a toujours entouré d'affection,
Tu trouveras dans ces vers une compensation.

LAOUMAYE. M
Lorsque mon cœur est en flammes
Et que je me retrouve sans arme,...
J’écris ;
Lorsqu’un brin d’espoir m’étreint
Et que le feu qui brûle en moi s’éteint, …
J’écris ;
Lorsque j’entends la voix de mon roi
Et que je sens l’amour plus proche de moi, …
J’écris.
J’écris pour ne pas pleurnicher sur mon angoisse !
J’écris pour ne pas perdre mon espoir !
J’écris pour exprimer mon amour !
SOMMAIRE

PREMIERE PARTIE : REVOLTE


REVOLTE ........................................................................... 4

LE MARTYR FATIGUE .................................................... 6

LEURRE ............................................................................. 8

TENDRE MISERE .......................................................... 10

IL N'EST PAS FOU, IL S'EN FOUT .............................. 12

UN AIGREFIN AU PARADIS ......................................... 14

GENOCIDE GRATUIT .................................................. 16

ET MON COEUR S'EN MELE ...................................... 17

HIDEUSE MORT............................................................. 19

ATTENTION SIDA ......................................................... 21

DEUXIEME PARTIE : ESPERANCE


PARFOIS JE ME DEMANDE ......................................... 24

ESPOIR ............................................................................. 25

PARADIS PRECAIRE .......................................... 27

CET AMOUR QUI S'ENFUIT ........................................ 29

TERRE DE FEU .............................................................. 31


MANDELA, LE BAOBAB................................................ 33

TROISIEME PARTIE : SOUVENIRS ET


CONSOLATION
SOEUR .............................................................................. 37

RWANDA OU LA TERRE ENFOUIE ........................... 39

ELLE ................................................................................. 41

LES DERNIERES LARMES ........................................... 43

LE PETIT TRAIT............................................................. 45

BEAUTE RUINEE ........................................................... 46

SOLITUDE ....................................................................... 47

GAROUA ........................................................................... 49

ETRE BURUNDAIS ........................................................ 51

LES ENFANTS D'ETHIOPIE ........................................ 53

OISIVETE OUTREE ....................................................... 54

1
PREMIERE PARTIE

REVOLTE
3
REVOLTE

Oh ! Quelle rage
Que de vouloir devenir sage
Lorsque les requins envahissent les étangs,
Lorsque les hyènes baignent les brebis dans le sang,
Lorsque l'injustice s'implante et le crime abonde,
Lorsque le souffle de la terreur règne sur le monde.

Quelle rage
Que d'exposer ma poitrine en gage
A cette armée truffée de tueurs agressifs
Prêts à sacrifier des heures de travail intensif
Pour empêcher la moindre lueur
D'éclairer ma pauvre tête de pleurnicheur.
Désolé d'avoir espéré te ressembler
Même si la peur des sévices me fait trembler.
Désolé de t'avoir faussé compagnie
Lorsque tous mes souvenirs s'estompent sans manie.
Pourtant je me demandais hier encore pourquoi,
Je ne peux pas être comme toi.

Oui ! Je ne peux pas être sage


Parce qu'incapable d’être synonyme de rage,
Dans ce camp pour créatures sans foi;
Exemptées de tout respect de loi
Qui provoquent des pleurs en vain,
Sur les chemins d'une gloire avec entrain.

Dans ce calvaire de fauves aux canines acérées


Prêts à tout pour assouvir leurs panses altérées,
Mon espoir aveugle d'hier fait aujourd’hui place
4
A cette désolation à la moiteur de glace
Qui vient libérer dans mon coeur de loir
Une brise quotidienne chargée de désespoir.

Un jour, la colombe à l'allure mélancolique reviendra.


Sur nos têtes, son aile chargée d'espoir se reposera.
Sur des lèvres qui, des décennies durant,
Sont restées dans la pénombre et un silence écoeurant,
Le sourire tant attendu se dessinera
Et le soleil, très haut perché, les éblouira.

Ce jour-là, je lèverai la tête vers le ciel !


Dans la clarté nouvelle, je puiserai le salut providentiel
Car, mon désespoir s'effilochera en beauté,
Mon amertume disparaîtra avec loyauté,
Ma peur s'amenuisera
Et ma désinvolture triomphera.

5
LE MARTYR FATIGUE
Je suis le martyr ...
Oui ! Fatigué par ma longue marche,
Je m'arrête soudain sous mon ciel rougi à jamais,
Les mains croisées, j'attends le cannibale.
Oh ! Ma tête qui a tant roulé dans la poussière;
Qui a toujours été la cible de l'oppresseur !
Et mes jambes qui ne cessent de traîner mon être usé
Dans les cachots comme un alcyon prudent !
Mes saccules à moitié détériorées
Ne peuvent continuer à ouïr le cantabile du vampire.
Ma voix enrouée et mes yeux dépourvus de larmes
Ne peuvent plus me servir à pleurer mes frères morts.
Me voilà devenu le héros fantastique
Qui voudrait mourir pour sa tendre mère;
Mourir sans jamais revenir dans ce calvaire odieux.
Je suis le martyr épuisé par vos menaces;
Je suis le noir d'ébène des bidonvilles
Etourdi par vos multiples injures écoeurantes.
Oui ! Je suis ce célèbre aborigène
Abruti par vos insanités.
A force de prier jours et nuits les âmes cruelles,
Me voilà devenu la semelle du bourreau.
A force de courir pieds nus du matin au soir
Sous les regards de vos épées et canons, j’étouffe !
Oui ! J’étouffe parce que je suis ce coureur sans pareil
Qui attend au pied d'un chêne loin de ma terre natale,
Le retour tant attendu de la colombe,
Signe du bonheur et de la paix.
Je suis fané comme un vieux tamarinier
Las de vivre dans le désert.
Ne me faites pas attendre des jours d'insomnies !
6
Car je ne peux plus sprinter, je suis à vous !
Faites de ma racaille démunie,
Des écussons d'or et de diamants brillants
Pour que le ciel bénisse votre héroïsme !
Faites de mon sang un jus spumeux
Pour abreuver vos maîtres altérés !
Faites de ma petite poitrine
Le crible de vos horribles guitares à répétitions !
Mais faites surtout de mon minuscule bec,
La sirène qui chantera à tout mon peuple :
Liberté ! Liberté ! Liberté !

7
LEURRE
Que de folies dans ce continent trop fou !
Que de sagesse dans ce monde trop doux !
Que d'ingratitude dans cet univers de malentendus !
Univers bourré d'âmes aux pensées vivement tordues
Qui se plaisent dans un sadisme chronique
A déformer en faveur de leurs idées diaboliques
Les vérités on ne peut plus saintes et divines,
Dépourvues de toute velléité mondaine et d'épine,
Frère ! Tu le savais, tu le vivais toujours ;
Mais tu t'obstines à croire qu'un jour,
Ta lugubre vérité finira par triompher.
Et la terre entière va s'esclaffer
Au son de la victoire combien creuse
Que tu as toujours prêchée de manière ténébreuse
Dans ton langage fallacieux et utopique
A tous les fidèles imaginaires de ton temple chimérique;
Temple bâti sur une montagne de vérités fictives
Au perron duquel, tu te dresses, le regard torve,
Pour crier de ta voix fantasmagorique
Les bontés inexistantes de ton monde onirique.
Que de folies, frère !
Que d'outrecuidance amère !
Tu as, par des démonstrations illusoires,
Affiché des raisonnements aléatoires
Sur les merveilles créées par l'éternel
Afin d'aliéner les coeurs friands de désirs corporels.
Mais tu feins d'ignorer qu'un jour, à coup sûr,
La lune émergera soudain d'un giron de nuage pur
Et elle ressemblera au noir visage d'une jeune amante,
Voilé d'une mortelle tristesse désobligeante,
Réfléchi sur le repos infiniment paisible d'une friche
8
Comme la langue pendante de soif d'une biche.
Alors ce jour-là seulement,
Tu lèveras les yeux vers le ciel tout lentement
Et un miel amer te montera aux lèvres,
Comme poussé par une force satanique de fièvre.
Oui ! Ce jour-là seulement,
Le masque de ta clairvoyance de dément
Se convertira en un grand lac de regrets mordorés
Dans lequel viendra baigner ton être timoré.
Et la lune, docile et sans répit,
Se dissipera dans les profondeurs de l'oubli.
Sur ta tête, descendra un halo obscur
Comme une source d'énergie défectueuse d'armature
Pour éclairer de sa luminosité absente,
Les meurtrissures secrètes de ton abominable
souffrance délirante.

9
TENDRE MISERE
Misère, tu n'es pas gentille,
Mais tu m'as choisi parmi tous mes frères
Pour en faire un meilleur ami.
Misère tu n'es pas débonnaire,
Mais pour ma tête désormais en cavale,
Tu es meilleur qu'un cercle ténébreux
Qui emporte tout dès sa première tentative,
En semant la désolation dans les âmes désemparées.
Misère de mes narines obstruées,
Incapables de renifler le moindre assaisonnement,
Misère de ma bouche bourrée de dents inutiles,
Qui n'ont jamais eu la chance
De fêter à coups de mandibules la mort d'un festin,
Misère de mes jambes aux pieds nus,
Qui se heurtent à chaque millimètre à une épine
Chaque fois que je tente de me dédoubler,
Misère de mon être criblé d'amertume !
Tu n'es pas sympathique,
Mais je te préfère à Lucifer.
Misère de mes nuits oh ! combien agitées
Où, collée à ma peau comme une amante
Sur notre lit de triste tendresse,
Tu imprimes sur le contour fusiforme de mon coeur
La clé de cette mélopée de bonté inconnue.
Bonté assaisonnée de mon état d'âme,
Ruinée par la baguette enchantée incluse par tes soins
Dans la fondation de cette triste demeure
Qui a toujours su abriter nos désolants ébats.
Oui ! je me rappelle encore notre nuit d’extase amère.
En cette nuit étoilée-là, la faucille de la lune,
Claire comme un quartier d'ongle de jouvencelle,
10
Miroitait au milieu du firmament,
Et dans la lueur vague de ta sublime auréole
Venaient mourir tristement, les molécules de lumière
Envoyées par la moitié de cette sphère magique du ciel.
Oui ! Je me rappelle cette voix caverneuse et effroyable
Qui me disait tout doux :
" Du calme ! Je t'aime ! Je t'adore ! "
J'avais compris trop tard enfin,
Que nous sommes faits pour vivre et mourir ensemble.
Misère ! Merci !
Merci pour tout ce que tu m'as fait connaître !
Tu es meilleur que le silence.

11
IL N'EST PAS FOU, IL S'EN FOUT

Oui, il s'en fout !


Il dort dans les ravins comme un caillou.
Il se réveille dans un matin encore flou,
Comme un squelette badigeonné de boue,
Qui regarde sans voir du tout,
Ce ciel ingrat et jaloux.
Cette silhouette à l'allure de voyou
Traîne sa carcasse avec nonchalance partout,
A travers le brouillard matinal au parfum d’égout.
Le vent de midi, toujours en courroux,
Lui inflige avec une rancune inavouée sur la joue,
Une vilaine correction sans bout ;
Mais la mort dans l'âme, il tient le coup
Car il n'est pas du tout fou.
Et puis, les intempéries et les goûts,
Il s'en "contrefout".
Son intelligente tête est clairsemée de cheveux roux
Comme la crinière ébouriffée d'un vieux loup.
Il se fiche quand on l'appelle gadoue.
Et pour se rire sous cape de vous,
Etres faussement sensibles comme du saindoux
Qui, par réflexe ironique, aimez à lui ôter les poux
Nichés allègrement dans les rides de son malingre cou,
Il tombe en extase devant vos malheurs tel un manitou
Dévoilant les rites mystiques de ce monde trop doux.
Et puis, tantôt debout,
Quelquefois à genoux,
Les mains levées vers le ciel en forme de roue,
Il implore pour vous les bontés divines tel un marabout.
C'est pourquoi, le ciel, toujours au garde-à-vous,
12
Continue à bénir cette pléthore de loups-garous
Qui s'évertue à le traiter de "FOU".
Non ! Il n'est pas fou, il s'en fout.

13
UN AIGREFIN AU PARADIS
Avec sa bouille de crétin et ses cheveux courts,
Il est freluquet comme un malnutri;
Mais il a du fric autant que l'intelligence d'un surdoué
A la veille d'un examen de physique nucléaire.
Avec son aisance maniérée et malfamée,
Il est aussi tranquille que la conscience d'un nouveau-né
Devant la misère poignante de ses géniteurs,
Incapable de montrer la provenance de leur indigence.
Sa voix nasillarde pue l'hypocrisie à mille lieues
Comme l'haleine fétide d'un éthylique,
Noyé jusqu'aux ongles dans une potion hallucinogène
Au dernier degré du delirium tremens.
Avec ses attitudes de greluchon affranchi,
Il pratique habilement une exérèse sur son entourage
Afin d'écarter de sa frime étonnante,
Tous ceux qui tentent de haler les cordes frêles
Ligotées aux piliers façonnés dans son bien-être truqué,
Dont l'écroulement subit induirait en ce frimeur patenté
Une décadence désarçonnante pour sa tête de Manitou,
Faite essentiellement pour les manoeuvres de sinécure.
Avec son sourire de gentleman avorté,
Il fait de mirobolantes promesses à toutes les pucelles;
Et la conscience à genoux, il les houspille sans regret.
Après les barouds de sentiment livrés à ces âmes naïves,
Son visage sillonné ça et là par des traces de griffes
Fait de lui, le véritable amant d'un hérisson.
Avec sa vision de nyctalope fouineur,
Il se répand en médisances au quotidien
Dans les méandres obscurs d'une banqueroute,
Trempée dans une sale onde fastidieuse
Pour obnubiler ses malfaisances d'un voile d'illusion.
14
Avec sa mémoire de bébé et son intellect de macaque,
Il scrute niaisement et avec mépris, le monde des sages ;
Ceux-là qui, de tout temps, le nez dans la feuille,
Recherchent le bonheur dans la voie de la méditation.
Un jour, dans un poudroiement exaspérant
Sa fierté bancale percutera dans un bruit infernal
Les bornes bétonnées de la rémunération idéelle
Et ses cordes vocales imbues de mélancolie accidentelle,
Emettront des sons chargés d'une acrimonie continue.
Pauvre nanti !
Béni sois le jour où tu comprendras
Que la sagesse incarnée en l'homme
Reste le seul pilote de ce navire géant ;
Cette terre vouée au naufrage,
Cette planète souillée par des êtres impurs.

15
GENOCIDE GRATUIT

Au nom de qui tu t'insurges


Lorsque ton bras se lève sans ambages
Garni d'instruments à étêter les humains
Et décapite avec une violence inouïe ton prochain ?
Rengaine ton poignard au reflet sanguinolent !
Unis, vous percerez cette obstruction obédientielle
Bâtie sur une colline de fanatisme d'inflexibilité mortelle.
Evite ce divin perfide qui t'envoie tuer en chantant.
Invite ton frère au banquet de la paix exempt de relent
Et parle-lui sans heurt de ta déconcertante irascibilité.
Oublie ta passion irraisonnée qui frise l'animalité !
Réactivant tes pièges déflagrants aux effets chagrinants,
Contre vagues et vents, tu attristes de milliers de veuves
En restant de marbre devant leur supplice tel un fauve.
Au nom de quelle foi, tu t'ériges en juge sans toge,
Usant sans regret d'une machine à persécuter les sages ?
Dis-moi, au nom de quel ogre tu sèmes la panique,
Usurpes les privilèges d'un pouvoir mythique
Gelé au fond d'un tumulte par une main maculée
Du sang de tes frères et de celui de tes parents mutilés.
Navré, le monde assiste à ta sentence homicide
Officiée au quotidien de façon putride.
Conduit aveuglément, tu couves un sadisme inaltérable
Incarné en toi par des irritations indicibles.
Dis-moi, au nom de quel Saint tu tues sans larmes
Et de qui tu tiens ton inextinguible soif du crime.

16
ET MON COEUR S'EN MELE
Que ferais-tu de ta veste aux rayures baroques
Et ta camisole aux dentelles éraflées
Si je refusais de les porter pour satisfaire tes désirs ?
Alors que quelque part derrière cette colline abrupte,
Mon ancêtre se sentait si bien dans sa peau de biche.
Que ferais-tu de tes frocs aux formes bizarres
Qui empêchent mes jambes aux mollets dorés,
De se laisser bercer par le vent doux de la forêt,
En les entravant dans ses entrailles tels des prisonniers
Enveloppés dans de sales torchons à rayures ridicules ?
Que ferais-tu de tes chaussures en caoutchouc
Et tes brodequins en peaux de bêtes inconnues
Qui enlèvent toute ma dignité guerrière d'antan,
En transformant mes pieds en passoires pour épines
Et incapables de m'apporter la moindre information
Sur le chaud ou le froid que diffuse ma terre natale ?
Alors que mon grand-père se sentait si bien,
Sans ces multiples cors douloureux
Qui meurtrissent mes orteils avec une force cruelle.
Que ferais-tu de tes voitures et oiseaux volants
Si je refusais de les emprunter pour te faire plaisir ?
Alors que quelque part derrière cette montagne,
Il n'y a ni piste, ni aérodrome
Et mes parents se sentent si bien à pieds.
Que ferais-tu de tes engins aux effets polluants
Qui m'ôtent toute envie de vivre,
Si je refusais de les utiliser pour satisfaire ta curiosité ?
Alors que quelque part dans cette forêt
Mon aïeul se sentait si bien sans tes pacotilles.
Que ferais-tu de ton développement taillé à ta mesure
17
Si je refusais de m'habituer à tes manières,
Ces subtils rets de ton enrichissement ?
Alors que quelque part, dans mon coeur,
Je ressens de vives pulsations étranges
A chaque tentative d'aliénation de mes moeurs.
Que ferais-tu de moi,
Si je refusais de te ressembler ?

18
HIDEUSE MORT
Mort !
Hideux prodige !
C'est à toi que je parle !
Reconnais-tu avoir, par ta langue de feu,
Etiolé tout mon humble entourage,
Me déguisant en ce pauvre solitaire sans amour ?
Reconnais-tu avoir fauché par tes canines immondes
Mon cadet à l'aube de ses premiers pas sur la terre ?
Reconnais-tu avoir, par tes tentacules de tristesse,
Enseveli mon géniteur au zénith de sa tendre jeunesse ?
N'as-tu pas honte d'oblitérer de ton regard fatal
La précieuse existence de ma brave mère ?
Sors de ta maudite cachette !
Hideuse créature !
Je voudrais, je veux que tu finisses
Avec cette triste descendance qui est mienne ;
Cette descendance qui te fait tant saliver.
Mort ! hideuse mort !
Toi qui tues et qui passes comme le vent,
Toi qui emportes tout sur ton passage
En créant le désespoir dans les coeurs meurtris.
Mort qui laisses cris, larmes et afflictions à tes trousses !
Toi qui ravages comme le tonnerre !
Oublies-tu que je suis le rescapé de ton ultime guerre
Livrée sans merci contre ma lignée ?
Mort à la figure ténébreuse !
Sors de ta sombre demeure !
Car moi, fils de morts ;
Car moi, frère de morts ;
Car moi, petit-fils de morts ;
Car moi, potentiel géniteur de morts ;
19
Car moi, représentant morbide de l'humanité,
Je voudrais, je veux te connaître.

20
ATTENTION SIDA

Inconscient, mon ami


Tu as longtemps dormi.
As-tu encore sommeil ?
Hélas ! vient l'heure du réveil.
Cruel comme la guerre,
Féroce comme le tonnerre,
Le SIDA foudroie,
Prends garde ! il te côtoie !
Arme-toi de préservatifs ou de fidélité
Pour éteindre cette terrible calamité
C'est un démon à abattre,
Unissons nous pour le combattre !
Ne soyons pas vecteurs involontaires
De cet impitoyable tortionnaire.
Le condom étant son bout de tunnel,
L'abstinence, son vaccin idéel,
A chacun son épée pour l'ultime bataille !
Fermons la porte d’entrée à cette racaille !
Vaincu, le SIDA capitulera,
Longtemps, tu vivras.

21
DEUXIEME PARTIE

ESPERANCE

22
23
PARFOIS JE ME DEMANDE

Parfois je me demande
Si ces morts qui jonchent les sols
Des capitales et villes infortunes d'Afrique,
Ne sont pas la résultante incontestable
Des vicissitudes des pouvoirs aux intérêts malingres.
Résultante des visées aléatoires et sans lendemains
Par rapport aux royautés à la démarche paternelle.
Parfois je me demande
Si ces peuples aux bras à la détente facile
Incarnent encore cette dispendieuse créature
Pourvue de toutes les vertus humaines
Nécessaires à la construction sainte du monde ?
Incarnent-ils encore cette volonté ardente
De celui qui leur a donné ce souffle de vie
Qu'ils se plaisent bien à ôter aux autres ?
Parfois je me demande
Si la vertu n'a pas fait place à la haine
Dans ces êtres dépourvus de coeurs
Lorsque, des nuits entières, trempés dans la drogue,
Repus d'alcool et autres vices afflictifs,
Ils se lèchent les babines allègrement
Aussitôt après avoir semé la mort dans leur entourage.
Parfois je me demande
Si ce n'est la pitié personnifiée
Qui me fustige et me serre le coeur
Comme le serment d'amour d'un moribond,
Me demandant de crier haut et fort
Avec toute l'énergie dont je dispose,
Ces deux syllabes aux lettres d'or : " cessez ".
Parfois je me demande
24
Si un jour, je ne me tournerai pas vers Soweto
Pour voir le sourire effleurer les lèvres des indigènes.
Oui, je me tournerai vers la Somalie
Pour enfin retrouver une circulation
Dépourvue de décombres humaines.
Je me tournerai aussi vers le Libéria
Pour assister aux étreintes des frères réconciliés.
Parfois je me demande
Si je n'irais pas jusqu'au bout du monde,
Courbé sous le poids immense de mon sac à dos
Bourré de tonnes d'espoir comme charges explosives
Et des quintaux de jubilations comme détonateurs.
Je sais ! je le ressens vivement !
Oui ! Je voyagerai jusqu'au bout du tunnel
Pour fêter à même les terres semées de martyrs,
La grande veillée de la mort de l'inconscience,
Le décès subit de l'inhumanité.

25
ESPOIR

Lorsque du fond de ma demeure inexistante


Un vent glacial vient agresser ma peau craquante,
Et que du seuil de ma porte invisible mais large
Tout autour de moi me semble sans forme ni visage,
Lorsque mu par mon instinct vorace de survie
Mes jambes ankylosées me conduisent sans vie
Vers un monde d'imagination et de rêves diaboliques,
Lorsque, me tournant vers ma conscience mélancolique,
Des bruits de pas me parviennent tristement
Et que ma figure chagrinée se submerge lentement
Dans un océan intarissable de larmes,
Lorsque de ta démarche sûre et calme
Je te vois venir vers moi, le coeur en berne,
La tête perdue dans un immense nuage de peine
Et qu'à travers la saignée de mes yeux mouillés
J'arrive à repérer facilement la forme secrète émaillée
De ton humble physique débonnaire,
C'est alors que tu me fixes de ton regard de tortionnaire
Pour me montrer de ton bras aussi absent,
Qu’une éraflure abstraite sur la conscience d'un dément,
Le chemin difficilement accessible du bonheur.
Mon coeur tantôt chargé de suc d'horreur,
Se remplit de ton souffle opportun de vie
Redonnant à mon être sans envie,
Une bouffée caramélisée de bonté inaltérable
Et cette forme de vigueur commune à tous mes
semblables.

26
PARADIS PRECAIRE

Tous les êtres vivants dormaient comme saouls de joint!


Un silence insolite s'abattit sur la terre chauffée à point
Lorsqu'il me fit entrer dans sa maison
Par l'unique porte à la douceur de coton.
Elle était éclairée par un rai de lumière aveuglante
Emanant d'une source inaltérable et insistante,
Tel le regard aux reflets troublants d'un démon fictif
Sur les décombres d'une âme en manque de sédatif.
Il me fit asseoir à sa gauche
Et posa sur ma tête de cloche,
Une main chargée de bénédiction ineffable.
Me voici au comble d'une euphorie incommensurable.
Lorsque je me mis à jouir de cette rare vision béatifique,
Un nuage obscurcit mon extase d’un air maléfique.
Doucement, il retira sa douce main de ma tignasse,
Se leva, me toisa avec un mépris porteur de poisse.
Le poids immense du délaissement et de l'oubli
Vint envahir mon pauvre être affaibli.
Avec cette allure imperturbable mais pleine de charme,
Il me tourna le dos et partit comme une flamme.
Son merveilleux physique se noya lentement
Dans le silencieux et épais brouillard du firmament.
Soulevé d'un coup sec par un bras invisible
Et en un tournemain indescriptible,
Je fus propulsé hors de cette belle demeure.
La porte tantôt reluisante m'apparut comme un leurre,
Pendant qu’une voix percutante m'irritait les tympans
Par des : " va-t-en ! va-t-en, chenapan ! "
Je compris alors rapidement dans cette tourmente
Que ma bouille était indigne pour cette cité captivante.
27
Comme un mendiant quémandant les dons,
Je me résolus à me consacrer désormais au pardon,
Afin d'y retourner une bonne fois pour l'éternité.
Car, c'est un abri idéal pour une vie à perpétuité !

28
CET AMOUR QUI S'ENFUIT
Cet amour qui s'enfuit comme un bolide
Sur les voies invisibles des entrailles de l'atmosphère,
Masqué dans la voûte de sa combinaison spatiale,
Donne un aspect vaguement mordoré et luisant
A son visage aux formes étonnamment fluides
Qui meuble mes nuits de cauchemars lénifiants;

Cet amour qui s'enfuit comme une autruche


Avec des battements d'ailes sonores et ciselants,
Crevant l'oeil de mon coeur sidéré à outrance
D'une méchante mornifle aux traces indélébiles,
Plonge mon âme et mon être énamourés,
Dans une marmelade d’espoir et de tristesse continue ;

Cet amour qui s'enfuit comme un orage


Après avoir bitumé les méandres de mes veines
D'une forte affection chargée de précarité décevante,
Et qui leurre mes sens avec une itération maladive
Grossit de façon extraordinaire sur ma prunelle,
L'image de ce sentiment étrange à mes yeux ;

Cet amour qui s'enfuit comme une gazelle enchantée


Qui s'élève, se fond dans les ténèbres telle une aube
Chassant la pénombre puis disparaissant dans le néant
Sans regret ni remords pour ma tête dépravée,
Me laissant seul, tout seul, voguer vers l’incertain,
Au gré des vagues et des vents ;

Ah ! mon amour qui t'enfuis sans te lasser,


Comme la savane sous le fouet du désert,
Vouant ma passion à une ruine flagrante
29
Et au retour incertain de cette défunte tendresse,
Va ! prends ton envol, plus haut, triomphe de l'univers !
Un jour, tu me reviendras.

30
TERRE DE FEU
Terre de flamme ravagée par le silence des morts !
Terre de feu criblée d'ignominie à tort !
Tu restes pour moi le seul soleil
Capable de diffuser au réveil,
Cette luminosité éteinte à un rythme fou,
Sur ce monde ingrat et flou
Comme le regard refroidi d'un dragon
Sur les reflets coralliens d'un lagon.
Fiole de miel empli de volonté opprimée
Qui éclabousse sur le faciès d'une humanité enrhumée
Ton doux et discret parfum d'amour envolé
Et cette velléité abstraite de survie obnubilée !
Terre de faim et de soif improvisées
Par des mains impures t'ayant apprivoisée !
Tu es pour moi une onde calme et limpide.
Malgré la fougue de cet univers de turpitude,
Tu donnes du pain aux déshérités d'Ethiopie
Mais il se trouve détourné par des êtres impies.
Tu nourris les enfants de Somalie de tes larmes
Parce que tu as été transpercée par les armes.
Les enfants de Bosnie réclament ton réveil,
Hélas ! tu es déjà loin dans ton sommeil.
Il y a des méchants qui te piétinent
Et une pléthore de sanguinaires te ruine.
Tu as peur d'ouvrir les yeux sur leurs horreurs,
Parce qu'ils ont foulé les vertus et talents de l'honneur.
Dors ! terre de nos ancêtres longtemps mutilés !
Dors ! terre de feu refroidie dans ta tente ventilée !
Lorsque tu te réveilleras,
Dans un élan d'euphorie, le petit peuple t'acclamera ;
Les affamés et les mendiants chanteront la victoire,
31
Les réfugiés sortiront de l'ombre avec gloire.
Et toi, tu les béniras ...
OUI ! tu les nourriras.

32
MANDELA, LE BAOBAB
Nelson ! tu es le héros jamais égalé !
Mandela ! tu es la lumière du peuple opprimé !
A l'heure où, du fond de ta prison ignoble,
Tu exhales avec le parfum de l’égalité des " Hommes ",
Les orphelins du monde entier entonnent ta complainte.
Dans un élan de révolte, les poings levés vers le ciel,
Ils puisent dans la mélodie guerrière de l'hymne,
Le souffle dynamitant de ton implacable courage.

Nelson ! tu es le héros jamais égalé !


Mandela ! tu es la force muette cruellement persécutée !
Traquant le moral des oppresseurs les plus redoutables,
Ta sublime volonté a enseveli la couardise et la débilité
Dans un suaire opaque pour les enfouir,
Sous les profondeurs infectes d'un volcan éteint.
Le chagrin et la solitude ont rongé tes méninges fertiles,
Mais ton visage aujourd'hui pareil à celui d'un enfant.

Nelson ! tu es le héros jamais égalé !


Mandela ! tu es le soleil des bidonvilles !
Du perron de ta nouvelle cité magnifique,
Ta voix pénètre dans mon coeur tel le paraclet.
Pareil à l’aube qui apparaît sur les huttes des honnis,
Tu passes sans rancœur l’éponge sur tes malheurs d'hier.
La terre déplore ce supplice, mais ton alacrité s’épanouit
Pour que les sans-voix y puisent un tonus revigorant.

Nelson ! tu es le héros jamais égalé !


Mandela ! tu es le sauveur de la majorité oppressée !
En sortant ton peuple des affres de la misère,
Tu recueilles à tes pieds leurs chaudes larmes de joie.
33
Les cicatrices bitumant ta peau indifférente
Témoignent du syndrome des sévices endurés ;
Tes geôliers détournent leurs regards de tes ecchymoses,
Car l'opprobre malmène leurs piteuses consciences.

Nelson ! tu es le héros jamais égalé !


Mandela ! tu es le correcteur de l'ignominie des Noirs !
Grand Baobab ! toi, dont le souffle me remplit d'espoir,
Toi, dont l'image hante mes nuits de souvenirs afflictifs ;
Toi, dont la fermeté surpasse la force du roi de la jungle,
Toi, dont l’héroïsme soulage la phobie des angoissés,
Merci, merci d'avoir fait de moi un invincible disciple !
Et moi, je te promets sur l'honneur de clamer ton Nom.

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TROISIEME PARTIE

SOUVENIRS &
CONSOLATION

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36
SOEUR
Lorsque je pense que tu n'es plus là
Pour me tenir la main au lever du jour
Et m'entraîner sagement vers les bancs de sable
Qui entourent notre modeste concession parentale,
Lorsque je pense que tu n'es plus là
Pour me prodiguer des conseils
Comme tu as toujours su si bien le faire,
Lorsque vient la nuit étoilée durant laquelle,
Enroulé dans ce plaid qui, enfants,
A toujours paru plus petit pour nos deux corps
Mais aujourd'hui devenu quatre fois plus grand
Pour contenir mon minuscule être,
Lorsque de loin en loin et par intervalles,
Des voix ne cessent de m'interpeller.
Et que malgré l'épaisseur de la croûte de terre
Qui sépare les disparus des vivants,
Je t’entends dans le vacarme inaudible des immortels ;
Lorsque la nuit s'achève lentement
Dans une ambiance de rêve et d'insomnie doucereuse,
Et que les minutes en se traînant,
Stimulent l'évocation de ta douloureuse disparition
Dans un océan de peine et de remords cuisants ;
Lorsque je recommence à espérer en la vie,
Et à l'éventualité de ton retour,
Alors il vient ce doux matin à point
Pour m'arracher aux bras infectes du chagrin.
Accablé par un frémissement épouvantable,
Je me réveille dans un brouillard d'incompréhensions
Qui finissent par me faire comprendre, soeur,
Que tu n'es jamais partie.
Depuis cette nuit macabre,
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Où tu m'as promené dans ton monde de rêve,
Où tu m'as appris une kyrielle de choses
Que tu as bien voulu taire de ton vivant,
Je m'en veux d'avoir hésité de briser le dard de la mort
Et te rejoindre pour la vie
Afin de boire avec toi dans le ciel,
Le nectar sacré de ta nouvelle cité fantastique.

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RWANDA OU LA TERRE ENFOUIE
Ce matin là, tu étais resplendissante
Comme le doux visage d'une jeune enfant
A l'aube de sa venue sur cette terre de feu.
Ta robe verte assortie de collines roses et rayonnantes
Etait traversée ça et là par des filets d'eau.
Sur les berges étonnamment calmes,
Venaient mourir allègrement
De belles vagues bleutées aux moustaches blanches.
Avec cet univers aquatique à l'allure maternelle,
Ta belle robe faisait de ton flamboyant visage de mère,
L'incarnation irréfutable d'une rare beauté angélique.
Et puis à midi, tout d'un coup,
Des pieds méchants avaient déformé ta jolie mine.
De leurs mains sadiques,
Des êtres bourrés de machiavélisme anachronique
Avaient déchiré ton élégante robe de noce
Et brûlé tes jolis bijoux de perles brillantes.
Dans les entrailles d'un tourbillon maléfique,
Les bâtisseurs de ton imposante carrure
Ont été froidement engloutis.
Avec eux, s'est aussi envolée leur noble mission
De confection de tes vêtements d'apparat.
Ton traditionnel sourire ensorceleur a ainsi disparu.
Que d'ignominie, pauvre terre blessée !
Maintenant tu pleures, gémis et tressailles
Sous le poids des ecchymoses, entorses et tortures.
Tu pleures ta progéniture sans arrêt
Parce que tu es affligée et souillée du sang de tes
enfants.
Tu verses tes larmes sans te lasser,
Parce que tu as le coeur brisé par le chagrin.
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Tes bourreaux sont sourds devant tes cris de douleur ;
Tes bourreaux sont aveugles devant ton infirmité.
Despotes ont été tes tyrans,
Inhumains ont été certains de tes enfants,
Impuissants ont été tes pauvres hères,
Mais rusés et sages seront tes fantômes.
Dis-moi qui t'a maudite, pauvre Rwanda !
De quoi sera fait ce soir ?

40
ELLE

Lorsque je me mets à penser à elle,


Mes jambes m'entraînent tel un mirage vers cette agnelle
Et une sourde rancoeur chargée de pitié continuelle
Se lit indéfiniment sur ma prunelle,
M'envahissant d'un amour fou pour cette jouvencelle,
Et me propulse au comble de cette félicité sempiternelle
Que connaissent seules les âmes mortelles.
Lorsque je lui dédie un regard plein d’étincelles,
Et que, de ma voix de crécelle, je l'interpelle,
Toute mon extase s'effrite dans une onde surnaturelle
Dans laquelle mon coeur immerge de façon démentielle.
Et, singulièrement accablé d'une transe irréelle,
Mon corps s'insurge contre cette torpeur rebelle
Qui trouve en mon être morbide, une citadelle
Pour abriter désormais sa carrure immortelle
En fustigeant sans cesse mon âme qui chancelle.
Lorsque je m'approche d'elle,
Son physique d'ange se vaporise de manière ponctuelle
Dans une atmosphère gourmande et criminelle ;
Puis son nom s'inscrit de manière solennelle
Sur les ailes vibrantes d'une jeune hirondelle
Qui emportera très loin de ma vision passionnelle,
Cette griffure à la couleur isabelle
Qui me convie à l’invocation de ma douce tourterelle.
Alors, comme amarré par une bretelle
Devant les décombres de mon être collé à sa semelle,
J'implore la présence lénifiante de cette beauté sensuelle
Qui purifiera ce coeur encombré de poubelles
Du jus sacré et revitalisant de ses mamelles.
Car, c'est elle qui sera ma radicelle !
41
C'est elle qui me sera éternelle !
C'est elle qui fera de mes genoux, une selle,
Pour reposer sa fine beauté sensationnelle.
Oui ! Avec la force abyssale d'une pelle,
J'ôterai de ma vie cette solitude pourvue de flagelle
Qui écartèle mes pensées avec cette vigueur cruelle.
Et avec une fougue torrentielle,
Je la ceindrai d’un voile à la teinture de crécerelle
Pour enfin oblitérer la précarité de cette joie corporelle
Qui trouble mes nuits au son d'une caravelle.
Cette nuit-là, elle me reviendra encore plus belle
Et je serai à jamais près de cette créature essentielle.
Car, c'est elle ma belle tourterelle !
Ma belle tourterelle, c'est elle !

42
LES DERNIERES LARMES
Le jour où, penchée comme une canne à pêche
Sur les restes de cette enfant si chère
Tu découvris son départ pour le monde du silence,
En ahanant, tu relevas la tête vers moi.
Et comme pour m'exprimer ton état d'affliction,
Deux grosses larmes se mirent à rouler lentement
Sur ta flamboyante mine soudain glacée par le chagrin.
Sur ton visage de femme, de soeur et de mère,
Se lisait une note de tristesse mortelle
Que connaissent seuls les orphelins.
Pourtant, tu es faite de douceur et de tendresse,
Comme l'invisible main protectrice de l'amour
Sur le réveil matinal de jeunes amants,
Imbus de félicité conquise à l'autre bout du monde.
Alors, pris dans une endémie mélancolique,
Me voilà soudain sujet à de vives émotions
Ponctuées d'insistantes pulsions cardiaques.
Une exécration fastidieuse se figea sur mon visage,
S'en détacha avec une ire de boomerang,
Et alla briser l'horreur dans un bruit de tôles froissées.
Elle revint, tel un héros, pour imprimer sur mon coeur
A l'aide de son épée encore ensanglantée,
Les véritables causes des gémissements inaudibles
Qui accompagnent de façon morbide ta secrète douleur.
Je me mis à pleurer, pleurer, pleurer ...
A l'heure où, lové dans tes bras, je me vidais
Du suc amer de mes glandes lacrymales hypertrophiées,
Deux traces blanchâtres bitumèrent les deux voies
Laissées sur tes joues par les dernières larmes.
A travers tes paupières mi-closes,
Tu parus horrifiée par ma peine juvénile.
43
Je compris dès lors, mère,
Que tu ne pleurerais plus.
Car, tu es amour faite femme !
Tu es bonté faite mère !
C'est pourquoi tu fus triste ;
Voilà pourquoi, tu verses abondamment tes larmes
Sur les dépouilles de ta progéniture.
Aujourd'hui, tes pleurs ont cessé à jamais ;
Car la somme des souffrances morales endurées
Dans ton existence truffée d’embûches rebelles
Ont déclenché en ton être foncièrement écoeuré,
Cet inaliénable surpassement des vicissitudes humaines.

44
LE PETIT TRAIT
Le tout petit trait minuscule
Comme la tâche noirâtre d'une pustule
Sur le visage innocent d'une jouvencelle,
Meurtrissant son faciès de manière cruelle,
Apparaît entre deux chiffres aux teints dorés
Tel un radier reliant deux yeux mordorés.
Agrippé au dernier wagon comme une bûche en dérive,
La queue dans la gueule de la seconde locomotive,
Le petit trait, coincé entre deux monstres gigantesques
Par la main décoratrice d'un maniaque,
Brille d'un petit feu éteint sur un sépulcre émouvant
Dressé raide et muet comme un corrodant.
Pareil à un dispositif d'attelage,
Il est le représentant laconique d'un pèlerinage ;
Le parcours héroïque d'un défunt roi,
De sa naissance à la fin regrettable de ses exploits.
Lorsqu'un être cher succombe,
Le petit trait apparaît en blanc sur sa tombe
Entre deux chiffres indiquant l'un, la naissance,
L'autre, la ruine tragique de la survivance.
Un signe banal qui obnubile les souvenirs du temps ;
Ce tout petit trait emporte tout pour longtemps.
Le passage de vie à trépas ruine l'âme des morts
Et son souffle foudroie les survivants de remords.
C'est ce géant parcours de l'existence qu'il représente ;
C'est cette traversée fatidique de la jungle qu'il présente.
La vie est-elle si courte et bourrée de fatuité ?
Ne faut-il pas lorgner la voie de la perpétuité ?
Hélas ! la vacuité du ventre accable tant,
Donnant raison à l'irrationnel qui plane en grondant ;
Et pourtant ...

45
BEAUTE RUINEE
Elle était rayonnante comme une robe d'ange
Dans sa jolie culotte auréolée de dentelle.
Sa figure luxuriante était pareille
A une aube annonciatrice d'un jour de Noël.
Elle était simplement douce, belle, femelle.
Elle incarnait la plus grande merveille de l'humanité.
Et puis, subitement assombrie par une ire cruelle,
Sa fine mine étoilée fit place
A une implacable haine ponctuée de grosses rides.
Son visage fut teinté d'une exécration époustouflante,
Maquillée seulement en cette heure tardive
Par les reflets bleutés d'un faisceau lumineux
Diffusé par ce tube de néon providentiel,
Suspendu au dessus de sa tête en péril,
Comme un fragment de soleil mouillé.
De son être terrassé par cette torture viscérale,
Des décharges électriques porteuses d'adrénaline,
Invisibles comme les bras lugubres d'un démon
Mais impitoyables telles des flèches empoisonnées,
Partirent avec une vitesse suicidaire.
Elles virent mourir à la fin de leur course
Dans la chair innocente de sa rivale,
Naïve comme le regard vide d'un petit enfant.
Ses yeux injectés de sang
Firent penser à deux braises ardentes.
Sa rare beauté ensorcelante et sa carrure d'agnelle
Ne furent plus que de tristes souvenirs,
Ruinées par une virulente colère.
Pauvre enfant ! faudra bien qu'un jour,
Tu recouvres toutes tes vertus sensuelles.

46
SOLITUDE
Du seuil de ma vulgaire demeure
Je t'avais vu venir vers moi.
Tu marchais, tu chantais, tu avançais.
Tes cordes vocales émettaient des sons
Qui me parvenaient par échos ;
Mais ta marche inlassable réduisait le pas
Et ton chant avait fini par s'évanouir
Dans la forte tempête de l'oubli.
Dès lors, je t'avais perdu de vue.
Où es-tu passé ?
Entends-tu cette doucereuse voix
Qui ne cesse de te réclamer à cor et à cris,
Dans l'air et dans les eaux ?
J'assiste désormais faible et impudique
A ce grand bal des vices de la terre
Tels l'horreur, l'ignorance et l'intolérance.
Où es-tu passé ?
Je voudrais te sentir à mes côtés,
Tout près de moi pour sentir ton parfum paternel.
ô ! germe de mon existence !
Tu m'as vu naître et tu en es l'artisan ;
Tu as supporté le poids de toutes mes bévues juvéniles
Mais tu ne m'as pas donné la paix morale
A cause de ta disparition chagrinante.
Je viens ce soir, fléchi comme un soleil couchant,
Mendier ta bénédiction et ta grâce.
Je reconnais t'avoir avili, déchiré et méprisé.
De ma propre main, je t'ai endommagé le portrait
Et avec cette bouche sans foi,
J'ai proféré à ton endroit des vilenies sordides.
Mais reviens, père !
47
Car, où que tu te trouves, je demeure ta progéniture.
Ne me laisse pas périr dans les griffes mortelles
De cette tétanisante solitude, père !
Reviens ! pitié ! reviens !
Vite papa, je t'embrasserais tendrement,
Oui, fortement.

48
GAROUA
ô ! Terre qui brûle au pied du Mont-Tingling !
Belle hirondelle émergeant de la berge tel un fretin,
Qui se mire dans les ondes limpides de la Bénoué !
Belle rose imbue de fraîcheur souvent bafouée
Qui diffuse secrètement dans une atmosphère bâfreuse
Un parfum de noce et de tendresse bienheureuse !
Belle forteresse où la flore étale de la vallée
Redonne aux âmes angoissées une vigueur renouvelée !
Garoua ! où l'aube apparaît sans vergogne
Sur les turpitudes stupides de sympathiques ivrognes,
Puis s'évanouie au présage des ténèbres,
Voilant de piètres hypocrites d'une douce pénombre
Et maquillant par le charme de sa pudeur,
Les basses besognes de gentils cambrioleurs.
Ville intumescente où le pacifisme et la jonglerie
Se côtoient infiniment sans aucune ombre de raillerie !
Garoua ! où mosquées, poker, fétiches et chapelles
Se partagent sans anicroche, de pacifiques fidèles.
A toi, je dois le flambeau de ma venue au monde,
Nid de mon adolescence fait de souvenirs immondes,
Garoua ! aux cases hirsutes de brins de barbes parsemés
Sur la tronche dépeignée d'un dingo camé,
Auprès de toi, je trouverai une fougue enivrante
Pour galoper au rythme fou de ta gigue euphorisante.
Belle cité au bourdonnement indéchiffrable !
Tranche de friandise dans la gueule d'un insatiable
Qui transforme en fosse à bestioles,
Ton joli faciès orné de lucioles !
Comme un disque rayé sur une platine usagée,
Ta complainte me parvient telle une alarme de naufragé.
Dans ta voix empreinte de mélancolie suprême,
49
Ondule une sourde acrimonie pour ma surdité extrême.
Me voilà revenu, plus fort qu'avant,
Pour me jeter dans tes bras ouverts tel un amant
Et savourer à même tes lèvres sèches, au petit matin,
Le "bil-bil" des calebasses décorées au kaolin.

50
ETRE BURUNDAIS
Etre Burundais,
C'est savoir s'essouffler dans une course sans fin,
Enjamber sans cesse des restes d'âmes innocentes,
Pour sauver sa pauvre tête en péril ;
Etre Burundais,
C'est savoir esquiver son frère de sang
Qui, pour des raisons inavouées,
L'épaule en berne sous le poids insupportable
D'une guitare à ensanglanter son univers,
Les muscles mandibulaires en furie,
Va en guerre contre la paix,
Etre Burundais,
C'est savoir se frayer un abri dérisoire
Très loin de la ville où tout grelotte
Sous l'impact des éclats de grenades et obus,
Dormir éveillé, la pensée criblée d'amertume
Et le sourire absent du faciès apeuré ;
Etre Burundais,
C'est savoir attendre à perpétuité
Le retour incertain d'une tranquillité volatilisée,
En se nourrissant de pain sec et d'eau souillée,
Verser quelques larmes sur ses pairs
Tombés sous les balles des frères enragés,
Prêts à sacrifier l'honneur de ce géant terroir
Pour préserver leur bas instinct de tribalisme ;
Etre Burundais,
C'est savoir trimer en courant sans arrêt
Pour attraper la chance de vivre un peu plus,
Partir en voguant au gré des vents, vers l'incertain ;
C'est aussi délirer et pleurer sans se lasser,
Et recouvrir de terre les corps des disparus ;
51
Etre Burundais, c'est tout simplement,
Savoir mourir en attendant en vain
Un maigre espoir de souffler un peu
Et voir tomber sur sa tête
Cette singulière syllabe sans prix,
Cette "paix" qui s'enfuit ...

52
LES ENFANTS D'ETHIOPIE
Ils sont nombreux, ces enfants d'Ethiopie !
Ils sont mignons comme des toupies,
Mais ils n'ont rien à manger, rien à boire;
Ils n'ont ni habits ni pourboire.
Ils sont malingres parce qu'ils ont faim,
Ils sont efflanqués parce qu'ils n'ont pas de pain.
Je les ai vus avaler des mouches
En guise de déjeuner sur leurs couches;
Je les ai vus déguster leurs larmes
En guise de tisane sous les regards des armes.
Alors, versant de grosses larmes sur cette misère,
Ma poitrine s'imbibe d'eau amère.
Dites-moi pourquoi ils doivent souffrir,
Dites-moi pourquoi ils doivent périr ?
Oh ! Humains de tous les âges !
Tendez-leur la main pour éviter le carnage !
Ayez pitié des enfants d'Ethiopie !
Ils ne sont pas des êtres impies.
Oui ! Tendez la main à ces enfants déprimés !
Donnez le secours nécessaire à ces âmes inanimées
Qui croupissent devant vos luxes insolents,
Matraquant l'indigence écoeurante de leurs parents.
Ils vous regardent en ce moment !
Aidez-les ! car ils sont tous innocents.

53
OISIVETE OUTREE
Une si grande maison pour ma trogne de bison !
Oui, pour moi tout seul, cette grande maison
Qui abrite cette hure pestilentielle.
Voyez ses murs faits de verdure sensationnelle,
Et son toit, en blocs de nuages suspendus
Dans le firmament fluide, comme du miel fondu.
Admirez son plancher, cette terre de rêve,
Qui déroule des images étranges à mes yeux de larve.
Contemplez son portail géant, ce beau soleil,
Qui s'ouvre à moi tous les matins au réveil
Puis se referme sur mon être tous les soirs,
M'engloutissant doucement dans une nuit noire.
Observez sur la cime des arbres, cette fenêtre
Qui m’ouvre majestueusement la porte des astres,
Perchés dans le néant par des crochets invisibles,
Telles des gentilles lucioles hibernées dans un soluble.
Admirez cette beauté aux contours amphigouriques,
Et aux reflets rigoureusement magnifiques,
Qui libèrent au quotidien sur ma tronche fétide
Une buée de menthe et d'encens candide.
Ces merveilles confèrent à ma hure d’agonisant,
Une douce odeur chargée de parfum attendrissant.
Oui ! Je ne suis pas ce trognon de chou
Qu’on balance au dépotoir comme un vulgaire pou.
Cette grande et belle maison aux formes enchantées,
Aux teintures multiples et ouatées,
Etaient pour moi, le cadeau ultime
Que m'a laissé ce géniteur sublime.
Devant ce présent, mes méninges croisèrent les bras.
Une farouche émotion invalida mon cervelet de rat,
Et mon être se dilua dans un physique artificiel.
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Je fus incapable d'estampiller une création additionnelle
Ni sur le visage magique de cet univers envoûtant ;
Ni à ce beau décor ô ! combien mirobolant.
Puis un soir, une intenable faim brûla mes entrailles !
Une soif cruelle irrita ma gorge comme un feu de paille.
Je me mis alors à sangloter comme le tonnerre ;
Il entendit ma voix au loin et descendit sur terre.
" Qu'as-tu fabriqué " ? Demanda mon géniteur.
" Rien, père ! je t'attendais !" lui répondis-je sans pudeur.
Il s'emporta et me jeta dans un trou obscur et béant.
" Pitié, père !" m'entendis-je dire dans le néant.
Et depuis, mes yeux ne me servent plus qu'à envier,
Mes mains et ma bouche me servent parfois à mendier.
Car je suis cette Afrique aux mains liées ;
Je suis aussi cet être aux méninges lacérées
Par la misère et les affres de la famine,
Vivant dans cette grande maison farcie de vermines!

FIN

55

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