Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 69

L épouse de lord Carew 1st Edition

Mary Balogh
Visit to download the full and correct content document:
https://ebookstep.com/product/l-epouse-de-lord-carew-1st-edition-mary-balogh/
More products digital (pdf, epub, mobi) instant
download maybe you interests ...

La fulgurante ascension de Miss Downes Mary Balogh

https://ebookstep.com/product/la-fulgurante-ascension-de-miss-
downes-mary-balogh/

El libro de Gothel 1st Edition Mary Mcmyne

https://ebookstep.com/product/el-libro-de-gothel-1st-edition-
mary-mcmyne/

El libro de Gothel 1st Edition Mary Mcmyne

https://ebookstep.com/product/el-libro-de-gothel-1st-edition-
mary-mcmyne-2/

El acuerdo de un lord inadecuado Verónica Mengual

https://ebookstep.com/product/el-acuerdo-de-un-lord-inadecuado-
veronica-mengual/
Indecente [Los pecados de un lord, 2] Elisa Nell

https://ebookstep.com/product/indecente-los-pecados-de-un-
lord-2-elisa-nell/

Farsante [Los pecados de un lord, 3] Elisa Nell

https://ebookstep.com/product/farsante-los-pecados-de-un-
lord-3-elisa-nell/

Orgullo [Los pecados de un lord, 1] Elisa Nell

https://ebookstep.com/product/orgullo-los-pecados-de-un-
lord-1-elisa-nell/

Dark Lord 1st Edition Alice Ann Wonder

https://ebookstep.com/product/dark-lord-1st-edition-alice-ann-
wonder-2/

DARK Lord 1st Edition Alice Ann Wonder

https://ebookstep.com/product/dark-lord-1st-edition-alice-ann-
wonder-3/
Baloch Mary

L'épouse de lord Carew


Collection : Regency
Maison d’édition : J’ai lu

Éditeur original
By arrangement with Maria Carvainis Agency, Inc.
First published in the United States by Signet,
an imprint of Dutton Signet, a division of Penguin Books USA, Inc.
© Mary Balogh, 1993
Pour la traduction française
© Éditions J’ai lu, 2022
Présentation de l’éditeur :
Au premier regard, Hartley Wade, marquis de Carew, est tombé éperdument amoureux de la ravissante
Samantha Newman. Mais impossible de lui déclarer sa flamme car, outre son physique très ordinaire, il est
infirme depuis une chute de cheval. Leur histoire serait un peu comme celle de la belle et la bête… Aussi se
contente-t-il de profiter du plaisir de leurs promenades en lui laissant croire qu’il est le jardinier du domaine.
Mais tout bascule le jour où un séducteur sans scrupules décide de s’attaquer à la jeune femme…

Biographie de l’auteur :
Elle a reçu de nombreuses récompenses, dont le Romantic Times Career Achievement Award. Spécialiste des
romances historiques se déroulant sous la Régence, elle a publié plusieurs séries. Parmi les plus célèbres : La
saga des Bedwyn et La famille Huxtable, parues aux Éditions J’ai lu.

Création Studio J’ai lu © Magalie Foutrier

Pour la traduction française


© Éditions J’ai lu, 2022
Mary Balogh
Après avoir passé toute son enfance au pays de Galles, elle a émigré au Canada, où elle
vit actuellement. Professeure, elle publie son premier livre en 1985, aussitôt couronné par le
prix Romantic Times. Spécialiste des romances historiques Régence, elle figure toujours sur
les listes des best-sellers du New York Times et a reçu de nombreuses récompenses.
Aux Éditions J’ai lu
Duel d’espions
N° 4373
Le banni
N° 4944
Passion secrète
N° 6011
Une nuit pour s’aimer
N° 10159
Le bel été de Lauren
N° 10169
La maîtresse cachée
N° 10924
Stratagème amoureux
N° 11298
Un bijou si précieux
N° 11762
La perle cachée
N° 11788
La magie de Noël
N° 12807
CES DEMOISELLES
DE BATH
1 – Inoubliable Francesca
N° 8599
2 – Inoubliable amour
N° 8755
3 – Un instant de pure magie
N° 9185
4 – Au mépris des convenances
N° 9276
LA FAMILLE HUXTABLE
1 – Le temps du mariage
N° 9311
2 – Le temps de la séduction
N° 9389
3 – Le temps de l’amour
N° 9423
4 – Le temps du désir
N° 9530
5 – Le temps du secret
N° 9632
LA SAGA DES BEDWYN
1 – Un mariage en blanc
N° 10428
2 – Rêve éveillé
N° 10603
3 – Fausses fiançailles
N° 10620
4 – L’amour ou la guerre
N° 10778
5 – L’inconnu de la forêt
N° 10878
6 – Le mystérieux duc de Bewcastle
N° 10875
LE CLUB
DES SURVIVANTS
1 – Une demande en mariage
N° 11019
2 – Un mariage surprise
N° 11152
3 – L’échappée belle
N° 11196
4 – Rien qu’un enchantement
N° 11310
5 – Rien qu’une promesse
N° 11482
6 – Rien qu’un baiser
N° 11565
7 – Rien que l’amour
N° 11675
LA SAGA DES WESTCOTT
1 – Celui qui m’aimera
N° 12315
2 – Celui qui m’embrassa
N° 12430
3 – Celui qui m’épousera
N° 12717
4 – Celui qui me désirera
N° 13001
5 – La valse de Noël
N° 13100
6 – Celui qui me respectera
N° 13158
7 – Celui qui me charmera
N° 13267
REGENCY
Une partie de campagne
N° 13220
Le petit défaut de lady Rotherham
N° 13222
La lady au parapluie noir
N° 13270
La dernière valse
N° 13313
Le double pari
N° 13400
L’ange blond et l’ange noir
N° 13473
Miss Catastrophe
N° 13545
SOMMAIRE
Identité

Copyright

Biographie de l’auteur

Mary Balogh

Aux Éditions J’ai lu

Qu’est-ce que la « Régence anglaise » ?

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16
Chapitre 17
Qu’est-ce que la « Régence anglaise » ?
La Régence est une période de l’histoire anglaise très prisée des
auteures de romances historiques. Sauf que, pour la plupart d’entre
nous, la Régence anglaise est une notion très vague. La Régence, au
sens strict, ne dure que de 1811 à 1820. Elle correspond à la fin du
règne de George III, atteint de folie. Pendant ces quelques années, la
Régence est assurée par son fils, le prince régent, le futur George IV.
Parfois, le terme de « Régence anglaise » désigne une période plus
étendue, de 1795 à 1837, jusqu’au règne de la reine Victoria.
Personnalité excentrique, George IV est réputé pour ses
débauches, ses dépenses extravagantes, son mode de vie dépravé.
Intelligent, cultivé, il est doté d’un goût très sûr. Architecture, arts
décoratifs, mode, il favorise l’émergence de ce qu’on appellera le
« style Regency ». Tandis que l’aristocratie, à son image, se distingue
par son faste et ses outrances en tout genre, les arts et les lettres
rayonnent, de Jane Austen à Mary Shelley en passant par les poètes
John Keats et lord Byron. Toutefois, les idées nouvelles issues de la
Révolution française commencent à se diffuser. On s’interroge sur la
place des femmes, l’esclavage, les fondations de la monarchie et la
condition ouvrière. À sa façon, la Régence arrime solidement la
société britannique à la modernité industrielle du XIXe siècle.
1

— Oh, viens avec nous, Samantha ! s’écria la comtesse de


Thornhill. Je sais que ce n’est pas une promenade bien longue
jusqu’au lac, mais le paysage est ravissant et les jonquilles sont en
fleur. Et mieux vaut avoir de la compagnie que rester seule !
L’expression préoccupée de sa cousine donna des scrupules à
Samantha, qui, justement, préférait de beaucoup rester seule.
— Les enfants ne t’ennuieront pas, pour peu que tu leur dises
clairement que tu n’as pas envie d’être importunée, ajouta la
comtesse.
Il s’agissait des deux enfants de la comtesse et des deux rejetons
de lady Boyle, des enfants parfaitement normaux et bien élevés
malgré l’exubérance de leur âge. Samantha les aimait beaucoup et ne
voyait aucune objection à se laisser importuner.
— Les enfants ne m’ennuient jamais, Jenny, mais j’aime bien être
seule de temps en temps, faire de longues promenades solitaires
pour prendre l’air et me perdre dans mes pensées. Je ne te vexe pas,
j’espère ?
— Bien sûr que non ! la rassura lady Thornhill. Tu es notre invitée,
et tu peux et dois faire ce qui te chante, mais tu as tellement
changé ! Tu n’aimais pas être seule autrefois.
— Ce doit être dû à mon grand âge, plaisanta Samantha.
— Ne dis pas n’importe quoi ! Tu as vingt-quatre ans, tu es plus
belle que jamais et tu as une foule d’admirateurs !
— Peut-être sir Francis manque-t-il à Samantha, intervint lady
Boyle.
Sir Francis avait passé une semaine à Chalcote pour rendre visite à
Gabriel, le mari de Jenny, et était reparti le matin même.
— Certainement pas, rétorqua Samantha, même si j’ai toujours
plaisir à le voir. Il me taquine en me traitant de vieille fille, et je
me moque de ses allures de dandy – porter un habit de soie lavande
pour un dîner à la campagne, franchement ! –, mais je l’oublie
immédiatement après son départ, et je suis certaine qu’il en va de
même pour lui.
— Il t’a pourtant demandée en mariage deux fois, lui rappela la
comtesse.
— Et si j’acceptais, ce serait bien fait pour lui ! La surprise le
tuerait, le pauvre ! Maintenant, si tu n’y vois pas d’inconvénient,
Jenny, et en espérant ne pas vous vexer, Rosalie, je vais partir faire
une promenade solitaire cet après-midi. Tante Aggy se repose, et ce
beau soleil de printemps demande plus qu’une petite excursion
jusqu’au lac.
— Tu aurais pu partir à cheval avec Gabriel et Albert, reprit la
comtesse. Cela ne les aurait nullement dérangés… Allons bon, voilà
que je recommence à vouloir régenter ta vie ! Passe un bon après-
midi, Sam. Venez, Rosalie, les enfants doivent s’impatienter et
grimper aux murs de la nursery.
Enfin seule, Samantha poussa un soupir. Elle s’en voulait un peu
d’avoir dédaigné la compagnie qu’on lui offrait de si bon cœur, mais
elle était tout de même soulagée d’avoir l’après-midi pour elle seule.
Elle passa un spencer bleu marine sur sa robe bleu ciel, attacha les
rubans de son chapeau et se mit en chemin.
La compagnie de Jenny, de Rosalie et de leurs enfants ne lui
déplaisait pas, bien au contraire. Pendant quatre ans, après la mort
de ses parents lorsqu’elle avait quatorze ans, elle avait vécu avec sa
cousine et le vicomte Nordal, le père de celle-ci. Jenny et elle avaient
fait ensemble leurs débuts dans le monde. Et elles avaient aimé le
même homme… Enfin, mieux valait oublier cela. Jenny avait toujours
été sa meilleure amie. Depuis le mariage de sa cousine, six ans plus
tôt, Samantha avait fréquemment séjourné à Chalcote avec la
nouvelle comtesse et son mari Gabriel, et quand ils étaient en ville
pour la saison, elle demeurait souvent chez eux.
Quant à Rosalie, qui avait épousé sir Albert Boyle, le meilleur ami
de Gabriel, il était impossible de ne pas l’aimer. Elle était gentille,
timide et douce, et n’avait pas une once de méchanceté en elle,
Samantha l’aurait juré.
Tout ce qu’on pouvait leur reprocher, c’était d’être toutes les deux
mariées. Leur affection était tout entière tournée vers leur mari, leurs
enfants et leur maisonnée.
Parfois, ce bonheur tranquille donnait envie de hurler à Samantha.
Et, visiblement, Gabriel et Albert avaient les mêmes centres
d’intérêt que leurs épouses.
Samantha était arrivée à Chalcote un peu avant Noël avec tante
Agatha – lady Brill –, sa fidèle compagne. Les Boyle, quant à eux, les
avaient rejoints un mois plus tôt, puis lord Francis Kneller, un ami de
Gabriel, était venu passer une semaine avec eux. Tout allait si bien,
tout était si paisible, si gai, si bien organisé ! Tout le monde
s’apprêtait apparemment à vivre heureux jusqu’à la fin des temps.
Samantha accéléra le pas. Parfois, elle avait envie de hurler, de
hurler, et de hurler encore.
Et elle se sentait affreusement coupable. Personne ne lui avait
témoigné plus de gentillesse que Jenny et Gabriel, qui la traitait avec
autant de prévenance et d’affection que si elle était sa cousine à lui
aussi. Avoir envie de hurler devant leur félicité domestique constituait
une marque d’ingratitude épouvantable. Samantha n’était cependant
pas jalouse de leur bonheur – elle était sincèrement heureuse pour
eux. Leur mariage avait pourtant commencé sous d’inquiétants
auspices, en partie par sa faute, d’ailleurs.
Non, elle ne jalousait pas leur bonheur. Seulement… Eh bien, elle
ne savait pas exactement ce qui la chagrinait. Il ne s’agissait ni de
jalousie ni d’envie. Si séduisant que soit Gabriel, il ne l’avait jamais
attirée. Et elle ne recherchait pas spécialement un compagnon. Elle
ne croyait pas à l’amour – pas pour elle, en tout cas. Et elle n’avait
pas l’intention de se marier. Elle entendait rester libre et
indépendante. Elle avait pratiquement atteint ce but. Oncle Gérald lui
laissait la bride sur le cou depuis qu’elle avait atteint sa majorité, et
quand elle aurait vingt-cinq ans, elle entrerait en possession de la
petite fortune de ses parents, qu’elle pourrait gérer elle-même.
Elle attendait ce moment avec impatience.
Elle menait la vie qu’elle souhaitait. Elle n’était pas seule ; elle avait
tante Aggy à ses côtés et pouvait rendre visite à Jenny et à Gabriel
quand l’envie lui en prenait, ainsi qu’à une foule d’autres amis. Il y
avait également le groupe de messieurs que Gabriel appelait en riant
sa « cour ». Elle était nombreuse, pour une jeune femme de son âge.
Et si elle l’était autant, c’était justement parce que ses soupirants
savaient pertinemment qu’elle n’avait aucune intention de se marier,
pensait-elle. Flirter avec elle, soupirer à ses pieds et lui voler un
baiser de temps en temps, ou même lui demander sa main ne les
engageait à rien. Francis l’avait demandée en mariage deux fois, sir
Robin Talbot une, et Jérémy Nicholson si souvent que tous deux en
avaient perdu le compte.
Elle avait la vie qu’elle souhaitait, et pourtant… Pourtant quoi ? Elle
n’aurait su le dire. Ne jamais être complètement heureux, jamais
complètement satisfait était sans doute inhérent à la condition
humaine. Elle ignorait ce qui manquait à sa vie, à supposer que
quelque chose y manquât. Mais quand elle atteindrait ses vingt-cinq
ans, peut-être tout serait-il parfait. Et elle n’avait plus longtemps à
attendre…
Elle n’avait pas la moindre idée du chemin qu’elle prenait. Tout ce
qu’elle savait, c’était qu’elle allait dans la direction opposée au lac. Et,
encore une fois, elle se sentit coupable. Michael, le fils de Jenny, et
Emily, la fille aînée de Rosalie, tous deux âgés de cinq ans, étaient
des enfants intelligents et intéressants. Jane, l’autre fille de Rosalie,
âgée de trois ans, était une petite futée, et Mary, la plus jeune de
Jenny, qui avait deux ans, était un amour. Rosalie était de nouveau
enceinte et devait accoucher vers la fin du printemps. Peut-être
Samantha aurait-elle dû les accompagner, pour soulager Jenny.
Elle reconnut l’endroit lorsqu’elle parvint à la rangée d’arbres. Elle
approchait de la limite de Chalcote. Au-delà s’étendait Highmoor, la
propriété du marquis de Carew. Son domaine était encore plus
étendu que celui de Gabriel. Samantha n’avait jamais rencontré le
marquis. Apparemment, il n’était pas souvent chez lui, et il était
d’ailleurs absent actuellement.
Elle s’enfonça sous le couvert des arbres, qui ne donnaient encore
aucun signe de printemps, malgré le bleu du ciel et la douceur de
l’air. Les branches étaient toujours nues, mais bientôt perceraient de
petits bourgeons, puis apparaîtraient les jeunes feuilles, qui
donneraient rapidement naissance à une verte canopée. Des perce-
neige et des primevères étaient en fleurs au pied des arbres.
Arrivée au ruisseau qui marquait la véritable limite entre les deux
propriétés, elle s’arrêta sur la rive pour contempler l’eau limpide qui
courait sur le lit de cailloux polis.
Tout près sur la gauche, elle vit de larges pierres plates qui
permettaient de traverser sans risque. Elle s’en approcha, hésita un
instant avant de traverser, pour s’apercevoir que Highmoor
ressemblait furieusement à Chalcote.
Elle n’avait cependant pas envie de revenir sur ses pas. Pas encore.
Si elle rentrait maintenant, tante Aggy aurait probablement fini sa
sieste, et elle serait obligée de lui tenir compagnie. Elle aimait
beaucoup sa tante, mais, parfois, elle avait envie d’être seule. Et puis,
il faisait trop beau pour retourner s’enfermer à la maison après cet
hiver long et froid.
Elle s’enfonça donc parmi les arbres, en espérant arriver bientôt en
terrain découvert et avoir une bonne vue du domaine. Avec un peu
de chance, elle pourrait apercevoir le château. Elle ignorait où il se
situait. Vu l’étendue de la propriété, il pouvait parfaitement se trouver
à des lieues de là. Jenny lui avait dit qu’il s’agissait d’une magnifique
demeure et que, de l’extérieur, on discernait encore des restes de
l’abbaye médiévale qu’il avait été autrefois.
Le bois ne s’éclaircissait pas, et le terrain montait de façon de plus
en plus abrupte. Samantha s’arrêtait de temps en temps pour
s’appuyer à un arbre et reprendre sa respiration. Elle était vraiment
en petite forme, se dit-elle, à bout de souffle, les joues en feu comme
sous un soleil de juillet et non de début mars.
Elle finit par se voir récompensée de ses efforts. Les bois
couvraient toujours la colline, où l’on distinguait maintenant un
sentier, mais sur le côté le terrain descendait vers une prairie. Et
Highmoor Abbey apparaissait au loin, même si elle distinguait mal le
bâtiment. Elle s’avança encore un peu plus loin, jusqu’à l’orée de la
prairie, où seul un arbre gênait la vue. La pente, malheureusement,
semblait trop raide pour qu’elle la descende.
Mais, même de si loin, la demeure avait fière allure et le paysage
quelque chose de passionnant, de plus sauvage que Chalcote…
quelque chose de magique.
— Oui, cet arbre est vraiment de trop ! lança une voix masculine
qui la fit sursauter. C’est exactement ce que je me disais.
La voix provenait d’un arbre, où une silhouette était adossée, et
Samantha fut immédiatement soulagée. Elle s’était attendue à
trouver un marquis plein d’arrogance et irrité de sa présence, même
si elle n’avait jamais vu le maître des lieux. Être surprise sur sa
propriété à observer sa maison aurait été extrêmement
embarrassant.
Sur le moment, elle prit l’inconnu pour un jardinier. Il s’exprimait
avec distinction, tout en présentant une tenue négligée : une veste
de velours marron qui aurait donné une syncope aux tailleurs d’Old
Bond Street, des culottes visiblement taillées pour le confort plus que
pour l’élégance, et des bottines qui avaient connu non pas des jours,
mais des années meilleures.
C’était un homme parfaitement ordinaire, ni petit ni grand, ni
athlétique ni chétif, ni beau ni laid. Sa chevelure – il ne portait pas de
chapeau – était d’un brun tout à fait commun. Ses yeux étaient gris,
apparemment.
Cet homme semblait parfaitement inoffensif, constata-t-elle avec
soulagement. Il devait s’agir du régisseur du marquis, ou d’un adjoint
du régisseur.
— Je… je vous demande pardon. Je… je n’aurais pas dû pénétrer
sur cette propriété…
— Je n’ai pas l’intention d’appeler la maréchaussée pour qu’elle se
saisisse de vous et vous défère au magistrat le plus proche… Pas
cette fois-ci, en tout cas ! assura-t-il, une lueur malicieuse dans le
regard.
Il avait de beaux yeux, qui se distinguaient dans son visage
ordinaire, décida Samantha.
— Je suis la cousine de la comtesse de Thornhill, et je séjourne à
Chalcote. Avec elle et son mari, le comte de Thornhill, précisa-t-elle.
— Vous n’êtes jamais venue à Highmoor Abbey ? demanda-t-il,
tandis qu’elle se détendait sous son regard bienveillant. C’est un
domaine impressionnant, n’est-ce pas ? Sans cet arbre, vous auriez
une vue splendide d’ici. Eh bien, cet arbre va être déplacé.
— Déplacé ? Déterré et replanté ailleurs, comme une fleur ?
— Absolument. Pourquoi tuer un arbre en pleine santé ?
— Mais il est immense !
Quand il s’approcha, Samantha constata qu’il boitait de façon
prononcée. Il gardait le bras droit collé au corps, le poignet et sa
main gantée de cuir recroquevillés contre la hanche.
— Oh, vous vous êtes blessé ? s’enquit-elle.
— Non, pas du tout. Pas récemment, en tout cas.
Il était à peine plus grand qu’elle, qui était pourtant considérée
comme une petite femme.
Horriblement gênée, Samantha rougit jusqu’aux oreilles. Quel
manque de tact ! Il était infirme, et elle lui demandait s’il s’était
blessé !
— Vous voyez, en enlevant cet arbre, nous aurons une vue
complète de l’abbaye, parfaitement centrée entre les autres futaies,
expliqua-t-il en tendant son bras valide. Elle se trouve à deux bonnes
lieues, mais un peintre n’aurait pas pu faire mieux en composant sa
toile. À part cet arbre au milieu… Nous pouvons jouer les artistes et
l’enlever. Nous pouvons traiter la nature comme le ferait un peintre
avec ses aquarelles ou ses huiles, voyez-vous. Il suffit d’avoir le sens
du pittoresque ou du majestueux, ou de ce qui est agréable à l’œil,
tout simplement.
— Vous êtes le régisseur du domaine ?
— Non.
— Je me disais que vous ne pouviez pas être un jardinier, car vous
vous exprimez comme un homme du monde… Oh, je vous demande
pardon ! corrigea-t-elle, écarlate. Je me mêle de ce qui ne me
regarde pas. J’ai déjà fait intrusion sur cette propriété…
Peut-être était-il un intrus lui aussi, se dit-elle tout à coup.
— Je m’appelle Hartley Wade.
— Très heureuse, monsieur. Je suis Samantha Newman, ajouta-t-
elle en lui tendant la main, dans un mouvement naturel.
Il n’était pas le genre d’homme devant qui on faisait la révérence.
— Mes hommages, mademoiselle. Je suis enchanté de faire votre
connaissance.
Il avait pris dans sa main droite celle qu’elle lui tendait et, à travers
le gant, elle sentit une paume fine et des doigts encore recourbés.
Elle n’osa pas les serrer trop fort et regretta l’impulsivité de son
geste.
— On me considère un peu comme un artiste en matière de
paysages. J’ai visité beaucoup de domaines parmi les plus importants
d’Angleterre pour conseiller leurs propriétaires sur la façon
d’aménager leurs parcs. Beaucoup de gens s’imaginent qu’avoir des
massifs bien taillés devant leur demeure et des pelouses
régulièrement tondues est suffisant.
— Et ce n’est pas le cas ?
— Pas toujours. Rarement, en fait.
De nouveau, cette lueur malicieuse dansait au fond de son regard
gris.
— Les jardins traditionnels ne sont pas toujours agréables à l’œil,
surtout si le terrain devant la maison est absolument plat et qu’il n’y a
aucune possibilité de bâtir des terrasses. Dans ce cas, il faudrait être
suspendu dans les airs – dans une montgolfière, peut-être – pour
apprécier toute leur beauté. Quant aux parcs, ils peuvent devenir des
lieux absolument délicieux où se détendre et réjouir tous ses sens,
pour autant qu’on y consacre un peu de soin et qu’on veut bien les
organiser.
— Et c’est ce que vous faites ? Le marquis de Carew vous a engagé
pour étudier son parc et lui donner des conseils ?
— Il va au moins déplacer un de ses arbres.
— Cela ne l’ennuiera pas ?
— Quand vous demandez des conseils, mieux vaut être préparé à
les entendre. Beaucoup a déjà été fait ici pour tirer le maximum de la
nature ; on a procédé à quelques changements afin de rendre le parc
plus agréable. Je n’en suis pas à ma première visite, voyez-vous,
mais de nouvelles améliorations sont toujours possibles, comme avec
cet arbre. Je ne comprends pas comment il a pu m’échapper avant
aujourd’hui. Quand on l’aura enlevé, une grotte prendra sa place. Le
marquis et ses invités pourront s’y asseoir et profiter de la vue.
— Oui, ce sera l’endroit idéal, acquiesça-t-elle en regardant autour
d’elle. C’est tellement paisible ! Si j’habitais ici, je crois que je
passerais beaucoup de temps assise dans cette grotte, à rêvasser,
perdue dans mes pensées.
— C’est une activité très sous-estimée, et je suis heureux que vous
l’appréciiez, mademoiselle. On pourrait également avoir envie de
s’asseoir avec un compagnon soigneusement choisi pour bavarder ou
partager en silence la paix des lieux…
Elle comprenait parfaitement ce qu’il voulait dire. Oui, c’était
exactement ce qu’elle ressentait. Ce qui lui manquait. Elle l’avait
confusément pressenti, mais il venait de lui offrir la réponse,
tellement simple qu’elle ne lui était jamais venue à l’esprit. Il lui
manquait ce compagnon soigneusement choisi. Elle n’avait personne
avec qui partager en silence la paix d’un lieu, même parmi ses
proches les plus chers. Avec tante Aggy et Jenny, elle se sentait
toujours obligée de bavarder.
— Oui, renchérit-elle, une boule dans la gorge, ce serait
merveilleux ! Absolument merveilleux…
— Êtes-vous pressée de rentrer à Chalcote ? Va-t-on s’inquiéter de
votre absence ? Un chaperon, peut-être ?
— J’ai passé l’âge d’avoir besoin d’un chaperon, monsieur. J’ai
vingt-quatre ans.
— On ne le dirait pas, répondit-il en souriant. Aimeriez-vous monter
en haut de la colline voir les aménagements qui ont déjà été faits et
découvrir mes idées pour de nouveaux embellissements ?
C’était absolument inconvenant. Elle se trouvait complètement
seule au milieu des bois avec un parfait inconnu, un monsieur très
ordinaire et à la mise plutôt modeste. Elle aurait dû décliner
fermement et reprendre immédiatement le chemin de la maison. Mais
l’inconnu n’avait rien de menaçant. Il était sympathique, et il avait
éveillé sa curiosité. Elle avait envie de voir de quelle façon on pouvait
modifier la nature sans la défigurer ni la détruire, pour le simple
plaisir du genre humain.
— J’en serais ravie.
— J’ai toujours pensé que le marquis avait de la chance d’avoir
cette colline sur ces terres, alors que les terrains du comte de
Thornhill sont plutôt plats. Les collines offrent tellement de
possibilités ! Avez-vous besoin d’aide ?
— Non, je vous remercie. J’ai honte de manquer de souffle. Cet
hiver m’a paru sans fin, et il y a bien trop longtemps que je n’ai pas
fait d’exercice !
— Nous sommes presque arrivés. Il y a une fabrique 1 au sommet,
bien en vue – un peu trop, à mon goût, mais le marquis m’a assuré
que chaque fois qu’il emmenait des invités sur la colline, ils étaient
heureux de pouvoir s’asseoir et se reposer au belvédère.
Samantha aussi en était ravie. Son guide avait beau boiter de façon
prononcée, il restait frais comme un gardon. Ils s’assirent côte à côte
à l’intérieur du petit temple pour contempler la vue qui s’étendait par-
dessus les arbres sur les champs et les prés. On apercevait le
château sur le côté, mais la vue n’était pas aussi belle que depuis sa
première halte. Il lui indiqua les endroits où des arbres avaient été
enlevés au cours des années précédentes pour être replantés plus
loin, puis lui désigna deux sentiers qui descendaient aux endroits les
plus escarpés de la colline. Chacun conduisait à une fabrique
judicieusement placée pour le point de vue qu’elle offrait. Il lui
expliqua également qu’il travaillait cette année sur un lac invisible de
l’endroit où ils se trouvaient.
— Tout le secret est de donner l’impression que la beauté et l’effet
produits par l’endroit aménagé sont le fait de la nature. Le lac devrait
procurer une impression de beauté sauvage quand j’en aurai terminé,
alors qu’en réalité j’y aurai apporté de nombreux changements. Je
pourrai vous y emmener ensuite, si vous le désirez.
Il ne fit cependant pas mine de se lever. Dans le petit temple, ils
étaient abrités de la légère brise tout en restant au soleil. Pour un
peu, ils auraient eu trop chaud. Des oiseaux chantaient dans les
arbres mais restaient invisibles, sauf lorsqu’ils s’envolaient brièvement
avant de revenir se poser, et les senteurs printanières embaumaient.
Ils restèrent ainsi un long moment, sans que le silence pèse à
Samantha. Elle ne ressentait aucune gêne, aucune nécessité de faire
la conversation. La nature était trop belle pour perdre son temps en
bavardages.
— C’est merveilleux, soupira-t-elle enfin. Délicieusement reposant.
J’aurais pu aller jusqu’au lac de Chalcote avec ma cousine, une autre
invitée et leurs enfants, mais, au risque de les vexer, j’ai préféré
rester seule.
— Et j’ai gâché votre solitude…
— Mais non, vous rencontrer a été aussi agréable que la solitude.
Oh, mon Dieu, ajouta-t-elle en pouffant, ce n’est pas ce que je
voulais dire. Ce que je voulais dire, c’est que j’ai apprécié votre
compagnie et que je me sens bien avec vous. Et je vous remercie de
m’avoir ouvert les yeux sur des choses auxquelles je n’avais jamais
pensé auparavant.
— Il est trop tard maintenant pour descendre jusqu’au lac. L’heure
du thé doit déjà être passée, et on va certainement s’inquiéter de
votre absence. Une autre fois, peut-être ? suggéra-t-il.
— Oh, ce serait avec plaisir, mais vous devez travailler, et je ne
voudrais pas vous faire perdre votre temps.
— On reproche souvent aux artistes, aux écrivains et aux musiciens
leur oisiveté lorsqu’ils ont les yeux dans le vague, alors qu’il s’agit
souvent pour eux d’un travail intense. Pendant que j’étais assis à vos
côtés, j’ai eu des idées pour mon… pour le parc de mon employeur.
Et si je n’avais pas été avec vous, je ne me serais peut-être pas
arrêté ici, et je n’aurais pas eu ces idées. Voulez-vous revenir ?
Demain, peut-être ? Ici, à l’heure à laquelle nous nous sommes
rencontrés ?
— Oui, avec plaisir, répondit-elle aussitôt.
Elle ne se rappelait pas avoir passé un après-midi plus agréable
depuis son arrivée à Chalcote, trois mois plus tôt, et elle en éprouva
une certaine culpabilité envers Jenny et Gabriel.
— Venez, je vais vous raccompagner jusqu’au ruisseau. Je me dois
de veiller à ce qu’il ne vous arrive rien sur le domaine de lord Carew,
ajouta-t-il avec cette lueur malicieuse dans le regard qui constituait
son seul attrait physique.
Elle craignait que cette longue marche ne lui soit pénible du fait de
son infirmité, mais elle ne voulait pas y faire allusion, et il boitilla à
ses côtés tout le long du chemin jusqu’au ruisseau.
— Faites attention, conseilla-t-il pendant qu’elle passait de pierre
en pierre en tentant de ne pas relever trop haut ses jupes. Tomber
dans l’eau à cette époque de l’année ne doit pas constituer une
expérience bien tentante !
Une fois de l’autre côté, elle se retourna pour lui sourire et lui
adresser un geste d’adieu. Il avait toujours la main droite
recroquevillée contre sa hanche, et elle se demanda si par miracle il
était né gaucher.
— Merci pour cet agréable après-midi !
— Je vous attendrai avec impatience demain, mademoiselle, si le
temps le permet !
Elle traversa rapidement le petit bois et la prairie vers le parc de
Chalcote. L’heure du thé devait effectivement être passée, et si Jenny
et Rosalie étaient revenues du lac, elles se demandaient certainement
ce qu’elle était devenue.
Leur raconterait-elle qu’elle avait passé plus d’une heure seule avec
un parfait inconnu ? Et qu’elle avait rendez-vous avec lui le
lendemain ? Non, elle ne dirait rien. Le révéler laisserait entendre des
choses déplaisantes, alors que cette rencontre n’avait présenté
aucune ambiguïté, bien au contraire. On ne pouvait imaginer homme
plus ordinaire et plus agréable, et avec qui elle se sentirait plus à
l’aise. Et on ne pouvait imaginer non plus rencontre moins
romantique… Visiblement, aucun d’eux n’avait éprouvé la moindre
attirance physique pour l’autre.
Si elle leur parlait de cette rencontre, tante Aggy insisterait pour lui
servir de chaperon le lendemain, et faire la conversation deviendrait
indispensable. L’après-midi en serait gâché.
Non, elle ne dirait rien. Elle avait vingt-quatre ans et était en âge
d’avoir les occupations de son choix, seule si l’envie lui en prenait. En
âge d’avoir sa propre vie.
Elle ne dirait rien, mais elle savait qu’elle attendrait avec plaisir
l’après-midi du lendemain.

1. Fabrique : construction ornementale d’inspiration antique ou orientale en vogue au


XVIIIe et au XIXe siècle dans les parcs ou les jardins. (N.d.T.)
2

Hartley Wade, marquis de Carew, regarda la jeune femme


s’éloigner. Il resta longtemps sur le bord du ruisseau, bien après
qu’elle eut disparu.
C’était la femme la plus belle qu’il avait jamais vue, et de
beaucoup. Elle était petite, bien faite, délicate et pleine de grâce. Ses
boucles courtes avaient la couleur du miel et, fort heureusement, son
chapeau ne lui avait pas caché cette splendeur. Son regard d’azur
était ourlé de longs cils un peu plus foncés que ses cheveux, et son
visage de madone respirait la gaieté et l’intelligence.
Malgré ses vingt-sept ans révolus, il réagissait comme un collégien
devant la première représentante du beau sexe entrevue d’un peu
près. Et il était sur le point de tomber amoureux d’elle…
De sa main malade, il se frotta la cuisse en revenant sur ses pas.
La nuit promettait d’être pénible après cette longue marche. Ou peut-
être pas, à la réflexion. Il n’avait pas beaucoup marché ces derniers
mois, mais il avait fait beaucoup d’exercice. Il sourit en se rappelant
la mine de Jackson 1 quand il était entré pour la première fois dans la
salle de boxe, trois ans plus tôt – lorsqu’il avait claudiqué dans la
salle de boxe, plutôt. Jackson était fier de lui maintenant et ne
demandait qu’à lui présenter d’autres adversaires, mais le marquis
s’en tenait à des séances privées et ne voulait boxer qu’avec le
maître. Il n’avait jamais eu le goût de l’exhibition.
Il était arrivé à l’endroit où il l’avait vue pour la première fois.
Mlle Samantha Newman… Oui, il fallait enlever l’arbre. La vue serait
splendide.
Il ne s’était pas aperçu tout de suite qu’elle ignorait qui il était.
Peut-être Thornhill et son épouse ne lui avaient-ils jamais parlé de lui.
C’étaient des gens corrects, et sans doute ne l’avaient-ils jamais
décrit en détail. Probablement ignorait-elle que le marquis de Carew
était infirme. C’était l’adjectif qu’on lui accolait généralement, il le
savait, même si ce n’était que partiellement vrai.
Il avait hésité à se présenter, mais lorsqu’il l’avait fait, son nom
n’avait visiblement rien évoqué pour elle. Rien n’avait changé dans
son attitude.
Ne pas l’éclairer s’était révélé trop tentant. Et, bien entendu, si
personne ne lui avait jamais parlé de son infirmité et si elle ne
connaissait de lui que son titre, elle n’avait aucun moyen de deviner
son identité, même s’il se promenait sur ses terres. Il était vêtu de
ses plus vieux habits – son valet de chambre l’avait d’ailleurs menacé
le matin même : si Sa Seigneurie avait l’intention de porter ces
bottines encore une fois après ce jour, il ferait publier une annonce
dans tous les journaux du pays pour expliquer qu’il n’était en rien
responsable de la tenue de son maître.
Mais ces bottines étaient tellement confortables, et cela faisait si
longtemps que Hargreaves, qui était à son service depuis onze ans,
proférait ce genre de menace…
Le marquis continua son chemin jusqu’au sommet de la colline et
s’assit sur le banc de pierre où il avait passé un long moment avec
Mlle Newman. Ils avaient bavardé avec aisance, et elle l’avait écouté
avec ce qui lui avait paru un réel intérêt. Ils avaient dû passer une
bonne quinzaine de minutes en silence sans la moindre gêne. Elle
n’avait pas éprouvé le besoin de parler à tort et à travers juste pour
dire quelque chose, ni de l’engager à faire la conversation.
Elle lui avait même dit… Quels avaient été ses mots exacts ? « J’ai
apprécié votre compagnie et je me sens bien avec vous. » Elle
paraissait sincère. D’autres femmes avaient déjà exprimé leur intérêt
pour sa compagnie, mais aucune ne lui avait assuré se sentir bien
avec lui. Et aucune n’avait jamais eu le même ton de sincérité.
Il recherchait la solitude ces derniers temps, même s’il était loin de
vivre en ermite. Il évitait les femmes chaque fois que c’était possible.
Voir l’intérêt s’éveiller dans les regards des dames dès qu’elles
découvraient son titre et supporter leurs flatteries était trop pénible
et trop humiliant. Son titre de huitième marquis de Carew les
impressionnait, il en avait conscience, tout comme ce domaine dans
le Yorkshire et celui, tout aussi vaste et prospère, qu’il possédait dans
le Berkshire. Il était si riche qu’il ne savait que faire de sa fortune.
Il aurait peut-être pu s’accommoder des flatteries, comme
beaucoup de gentlemen de sa condition – ainsi allait le monde –,
mais pas du dédain qu’il lisait parfois dans les regards féminins
devant son physique peu attirant, et encore moins du dégoût que
suscitaient chez certaines sa grotesque claudication et sa main
déformée. Désormais, il sortait rarement de chez lui sans gants, au
moins à la main droite.
La claudication de lord Byron n’avait fait qu’ajouter à son succès
auprès des dames, bien sûr, mais le marquis de Carew ne possédait
ni le physique avantageux ni le charisme du poète.
Il se demandait comment Samantha Newman aurait réagi s’il lui
avait révélé son titre. Aurait-il vu dans son regard cette avidité qui lui
était devenue familière ? Elle avait vingt-quatre ans, lui avait-elle
confié, et avait donc dépassé l’âge auquel les jeunes filles de sa
condition se mariaient d’ordinaire, et il n’en comprenait pas la raison,
même si elle n’avait pas de dot. Elle était si belle !
« La belle et la bête ! » pensa-t-il avec amertume en posant la
main là où elle s’était assise.
Il n’avait décelé aucun dégoût sur son visage, seulement de
l’inquiétude lorsqu’elle l’avait cru blessé, et de l’embarras quand elle
avait compris sa bévue.
Peut-être aurait-il senti de la répulsion chez elle s’il lui avait révélé
son titre et si elle avait vu en lui quelqu’un dont elle pourrait
rechercher les faveurs.
Non, décida-t-il en offrant son visage aux derniers rayons du soleil,
il refusait de croire cela d’elle. Elle lui plaisait. Pas seulement à cause
de sa beauté, même s’il avait eu le souffle coupé en la voyant. Elle lui
plaisait pour ce qu’elle était, au-delà de sa beauté.
Il était temps de rentrer. Il n’irait pas au lac aujourd’hui pour
réfléchir à ses travaux. Peut-être Mlle Newman l’y accompagnerait-
elle le lendemain. Peut-être pourrait-il rêver à haute voix avec elle et
lui exposer ses idées, si le temps le permettait. Les nuages qui
s’amoncelaient à l’ouest n’étaient pas de bon augure. De tout son
cœur, il espéra que le beau temps se maintiendrait. Il attendait le
lendemain avec plus d’impatience qu’il n’en avait éprouvé depuis bien
longtemps.
Mais sans doute aurait-elle découvert sa véritable identité d’ici là.
Si elle le décrivait au comte ou à la comtesse de Thornhill, ils lui
révéleraient le nom de celui avec qui elle avait passé une heure cet
après-midi. Peut-être ne viendrait-elle pas, tout simplement. Peut-
être cet après-midi n’avait-il pas eu la même importance pour elle
que pour lui, et peut-être oublierait-elle leur rendez-vous.
Le lendemain, si elle venait, il lui dirait lui-même qui il était. C’était
prendre le risque de voir son attitude changer, mais en attendant il
ordonnerait à ses domestiques de ne pas répandre la nouvelle de son
arrivée inopinée la veille.
Pourvu qu’elle vienne !
Car il ne s’agissait pas uniquement de sa beauté. Elle faisait plus
que lui plaire…
Il était réellement revenu à l’adolescence. Il était tombé
éperdument amoureux d’elle.
La belle et la bête, c’était bien ça.

Pendant deux jours, il plut sans arrêt, une pluie insistante qui
battait les vitres de Chalcote. Même les messieurs ne s’aventurèrent
pas au-dehors, bien que le comte de Thornhill ait eu beaucoup à faire
sur son domaine.
Les enfants, qui ne tenaient pas en place, se montraient difficiles,
et leur gouvernante ne savait plus comment les occuper. Le comte,
suivi de bon cœur par sir Albert Boyle, la choqua profondément en
les prenant sur son dos et en menant une charge de cavalerie à
travers tout le château. Depuis cinq ans qu’elle était au service du
comte et de la comtesse, elle aurait pourtant dû être immunisée
contre les extravagances paternelles de Sa Seigneurie, confia-t-elle à
la femme de charge. Lady Boyle fut choquée, elle aussi, mais
charmée, et elle n’hésita pas à se joindre à de bruyantes parties de
cache-cache d’où furent seuls exclus les cuisines et les jardins. Même
lady Brill y participa, jusqu’à ce qu’une fois, alors qu’on la cherchait
depuis plus d’une demi-heure et qu’on avait fini par conclure qu’elle
avait trouvé la cachette parfaite, on la découvre dans sa chambre,
profondément endormie.
Les jeux durèrent, à part quelques interruptions, pendant deux
journées entières.
Le deuxième soir, des voisins avec qui ils avaient échangé plusieurs
visites vinrent dîner. Ils jouèrent aux cartes, firent de la musique et
passèrent une soirée très agréable. Il était dommage que le marquis
de Carew ne soit pas encore revenu à Highmoor Abbey, remarqua la
comtesse une fois les invités partis. Un nouveau visage aurait apporté
un changement bienvenu.
— Il te plairait, Sam. C’est un homme très sympathique, mais je ne
sais pas comment cela se fait, il n’est jamais là en même temps que
toi.
— Samantha n’a pas besoin de nouveaux soupirants, elle en a déjà
suffisamment pour former un bataillon ! Un de plus ne ferait que lui
tourner la tête et la rendre vaniteuse, protesta le comte.
Samantha fut à deux doigts de leur confier qu’elle avait rencontré
M. Wade, l’architecte des jardins du marquis, et de proposer qu’on
l’invite. Il s’agissait d’un gentleman, après tout – sa façon de
s’exprimer et ses manières le prouvaient. Mais peut-être se sentirait-il
mal à l’aise au milieu d’une compagnie aussi choisie, et peut-être
n’avait-il pas de tenue appropriée pour dîner avec Gabriel et Albert.
Et puis… et puis, elle préférait le garder comme un secret pour le
moment. Elle n’avait du reste aucune envie de voir tout le monde
faire des efforts de politesse – même si elle savait que Gabriel et
Jenny n’auraient pas besoin de se forcer pour se montrer courtois –
envers un monsieur visiblement d’un autre milieu.
Elle profita de ces deux journées, même si elle en avait assez
d’être enfermée, et même si elle était amèrement déçue de ne pas
faire une autre promenade à Highmoor avec M. Wade. Elle avait
tellement apprécié sa compagnie ! Se voir traitée comme une
personne douée d’intelligence avait constitué une nouveauté
appréciable, avait-elle songé en repensant à l’heure passée en sa
compagnie. Elle avait tellement l’habitude de ne lire qu’admiration et
attirance sensuelle dans le regard des messieurs… C’était flatteur,
bien entendu, mais elle avait souvent l’impression qu’on ne voyait en
elle qu’un joli visage et non une personne à part entière.
M. Wade n’avait montré aucune attirance pour elle. Il avait surtout
pris plaisir à lui exposer ses idées et ses théories. Il avait également
aimé se retrouver tout simplement en sa compagnie au sein d’un
beau paysage, lui semblait-il. Peut-être était-ce illusoire après une
seule brève rencontre, mais elle avait l’impression que M. Wade et
elle pourraient devenir amis. Des compagnons, en quelque sorte. Elle
avait très peu de véritables amis, même si elle pouvait se flatter de
compter des hordes de connaissances amicales. Comment l’avait-il
formulé ? Elle réfléchit, cherchant à se rappeler ses paroles exactes.
« On pourrait également avoir envie de s’asseoir avec un compagnon
soigneusement choisi pour bavarder ou partager en silence la paix
des lieux… »
Il avait exprimé exactement ce qu’elle voulait. Contrairement aux
autres femmes, elle ne recherchait pas l’amour. Sa seule expérience
amoureuse, lorsqu’elle avait dix-huit ans, s’était révélée humiliante et
incroyablement douloureuse, et elle ne voulait surtout pas renouveler
l’expérience. Ce qu’elle désirait réellement – et elle ne l’avait pas
compris avant qu’il le formule –, c’était un compagnon
soigneusement choisi.
Si ridicule que cela paraisse, elle avait le sentiment que M. Wade
pouvait être ce compagnon. Mais peut-être l’avait-il oubliée à peine
avait-il tourné les talons. Peut-être ne serait-il pas venu à leur rendez-
vous même en cas de beau temps, et qu’elle ne le reverrait jamais.
Était-il parti après avoir terminé son travail à Highmoor ?
Si c’était le cas, elle regretterait amèrement de ne plus le voir.
Le troisième jour, la pluie avait cessé. Toute la matinée, les nuages
menacèrent, mais ils se dissipèrent en début d’après-midi et
laissèrent place à un beau soleil printanier.
Le comte, accompagné de son ami et de son régisseur, était parti
très tôt à cheval pour régler un différend avec un fermier
relativement éloigné. Ils revinrent aux alentours de midi et
déclarèrent que le temps était idéal pour une sortie familiale à cheval.
— Rosie sera contente de se reposer un peu, n’est-ce pas, ma
chérie ? suggéra sir Albert à sa femme enceinte, qui avait une peur
panique des chevaux. Emmy sera parfaitement en sécurité sur le
poney que Gaby lui a choisi à notre arrivée, et je prendrai Jane avec
moi.
— Tu veilleras à ce que Michael reste au pas, Gabriel, intervint la
comtesse, sinon Emily voudra l’imiter, et j’aurai une crise cardiaque
sur place, ainsi que Rosalie quand elle l’apprendra.
— Mary me tarabustera pour faire une charge de cavalerie si je la
prends sur mon cheval, dit le comte en souriant.
— Il vaut mieux que je la prenne avec moi, dans ce cas, décréta la
comtesse. Sam, aide-moi à retenir ce fou !
— Si cela ne vous ennuie pas, je préférerais faire une promenade à
pied, déclara Samantha.
— Le fou vous fait peur, chère Samantha ? fit le comte. Il s’agira
d’une charge sans sabre, vous savez.
La jeune femme sourit.
— Ce sera une charge sans objet, alors, dit-elle. Cela vous ennuie
que je ne vous accompagne pas ?
— Que vous n’ayez pas envie de partir à cheval avec quatre gamins
surexcités, un cavalier fou, une mégère et un seul homme normal me
dépasse ! Il y a vraiment des gens étranges… Non, cela ne nous
ennuie pas du tout. Faites ce qui vous amuse le plus. C’est pour cela
que nous vous avons invitée ici.
— Je ne suis pas une mégère ! s’écria la comtesse, indignée. Et
cesse de me faire des clins d’œil, Gabriel, à moins que tu n’aies une
poussière dans l’œil ! Tu vas tremper tes souliers et ta jupe, Sam…
Enfin, je ne vais pas faire la mégère. Cesse de rire, Gabriel ! Et dire
que j’endure cela depuis six ans ! Comment douter de ma nature
angélique ?
— Mais c’est moi, l’ange. L’ange Gabriel ! rétorqua le comte.
Samantha les laissa se disputer en riant tandis qu’Albert et Rosalie
se mêlaient à leurs rires. Lorsqu’elles avaient rencontré le comte de
Thornhill pour la première fois, Jenny et elle l’avaient surnommé
« Lucifer », à cause de ses airs sombres. Quand elles avaient appris
qu’il se prénommait Gabriel, cela les avait fait beaucoup rire, même
s’il n’y avait pas vraiment de raisons de s’amuser. Il leur avait
réellement fait l’effet d’un suppôt de Satan lorsque, à cause de lui, les
fiançailles de Jenny avec Lionel avaient capoté.
Lionel… En général, Samantha évitait de penser à lui. Le diable
sous une apparence d’ange… Le seul homme qu’elle avait jamais
aimé, et qu’elle aimerait jamais. Cette pénible expérience lui suffisait
pour une vie entière.
Elle choisit une vieille robe et enfila ses bottines hautes, qu’elle
avait pourtant espéré remiser jusqu’à l’année suivante une fois l’hiver
fini. Même si le soleil brillait par intermittence, il faisait frais dehors,
et elle prit un manteau.
Il ne serait pas là, se répéta-t-elle en quittant la maison. Même s’il
était toujours à Highmoor, il ne lui viendrait pas à l’idée de se
présenter à un rendez-vous avec deux jours de retard. Et même s’il
ne pleuvait pas, le vent était frais et l’herbe détrempée…
Il ne serait pas là, mais la promenade serait tout de même
agréable. Et le banc à l’intérieur de la fabrique serait bien sec et
offrirait un abri d’où elle pourrait profiter de la vue et de la solitude
pendant un moment. En vérité, elle s’y sentirait moins seule qu’en
partant se promener à cheval avec les autres.
Cette idée, qu’elle formulait clairement pour la première fois, la
surprit elle-même. Elle n’était pas seule. Elle ne se sentait pas seule.
Jamais. Elle était presque toujours en amicale compagnie. Sa vie était
telle qu’elle la souhaitait. Pourquoi, tout à coup, pensait-elle qu’elle
était seule ?
Elle traversa le ruisseau et entreprit l’ascension de la colline, qu’elle
gravit sans s’arrêter une seule fois pour reprendre son souffle. L’air
était vivifiant, encore plus que trois jours plus tôt, et le ciel était
ravissant, avec des nuages blancs moutonnant sur fond bleu. Comme
elle approchait du sommet, elle s’efforça de se dire qu’elle n’allait pas
le trouver et de se persuader qu’elle préférait rester seule pour mieux
profiter du paysage.
Mais quand, arrivée en vue de la fabrique, elle s’arrêta, son cœur
bondit de joie, ce qu’elle ne s’attarda pas à analyser.
Elle adressa un sourire radieux à Hartley Wade tandis qu’il se levait
pour l’accueillir. Dans son regard brillait cette lueur malicieuse qui lui
était déjà familière.
— Quelle montée ! Je ne sais pas si je vais retrouver ma
respiration !
— Faites un effort. Je me vois mal porter un cadavre jusqu’en bas
de cette pente !
La plupart des messieurs de sa connaissance se seraient précipités
pour l’aider et en auraient profité pour la toucher, pour lui prendre la
main, peut-être même pour lui passer le bras autour de la taille, et un
moment de flirt inoffensif en aurait découlé. M. Wade, lui, s’était
contenté de se lever pour l’accueillir.
— Venez vous asseoir.
En riant, elle franchit avec un nouvel entrain les quelques pas qui
les séparaient.

Mlle Newman avait les joues et même le bout du nez tout roses, et
les cheveux un peu décoiffés sous son chapeau. Quant au bas de sa
jupe verte et de son manteau gris, il était mouillé sur dix bons
centimètres, tout comme ses bottines auxquelles collaient des brins
d’herbe.
Elle était encore plus belle que dans son souvenir.
Il avait fait de son mieux pour se convaincre qu’elle ne viendrait
pas et qu’il n’en ferait pas toute une histoire. Il avait en tête une
foule d’améliorations qu’il mettrait en route dès que le printemps
serait plus avancé. À vrai dire, il aurait l’esprit plus libre si elle ne
venait pas. Il ne comptait pas attendre bien longtemps, s’était-il
promis en arrivant le premier au sommet de la colline. Une dizaine de
minutes tout au plus.
Un quart d’heure s’était écoulé lorsqu’elle arriva. Il s’aperçut alors
qu’il n’avait jamais connu moment plus heureux de toute sa vie, ce
qui l’alarma.
— Vous sentez-vous mieux ? s’inquiéta-t-il tandis qu’elle s’asseyait
sur le banc.
Il flottait autour d’elle un parfum qu’il avait déjà remarqué la fois
précédente. Une senteur de violette, peut-être ? Il ne s’agissait pas
d’une fragrance entêtante, mais d’un arôme infiniment subtil qui
semblait émaner directement d’elle.
— Je pense. Je crois que je vais survivre, finalement ! assura-t-elle
en riant, d’un rire cristallin plein de joie.
— J’en suis heureux.
Comme ces boucles d’or devaient être douces et soyeuses entre les
doigts…
— Cette pluie était une véritable calamité ! Nous avons passé les
deux jours à jouer à cache-cache avec les enfants et à faire semblant
de ne pas les voir même lorsqu’ils étaient parfaitement visibles
derrière un rideau ou sous un meuble.
— Et cela vous a ennuyée ?
Sans qu’il sache pourquoi, l’image scandaleuse de la jeune femme
avec un enfant accroché à son sein lui traversa l’esprit.
— Pas du tout, je me suis beaucoup amusée – je dois avoir gardé
une âme d’enfant –, mais j’étais déçue de manquer notre
promenade. Je craignais que vous n’ayez quitté Highmoor, et je me
suis dit que vous ne penseriez pas à venir aujourd’hui. Je ne
m’attendais pas à vous trouver ici, mais je suis venue tout de même.
Au cas où…
Ainsi, elle avait eu envie de venir. De le revoir…
Il s’était préparé pour leurs retrouvailles. Il comptait lui révéler qu’il
l’avait trompée à leur première rencontre et s’en excuser. S’il ne lui
avait pas révélé son identité, c’était parce qu’elle avait eu l’air gênée
d’être surprise sur le domaine de Highmoor et qu’il n’avait pas voulu
l’embarrasser un peu plus.
Il n’était pas seulement M. Hartley Wade, il était également
marquis de Carew.
Quelle serait sa réaction lorsqu’elle apprendrait sa véritable
identité ? Tenait-il vraiment à le savoir ? Elle avait nourri les mêmes
doutes que lui, mais elle était venue au cas où il serait là. Elle avait
eu envie de passer l’après-midi avec lui tel qu’il était, une espèce
d’infirme à la mise négligée, sans rien d’élégant pour améliorer son
apparence.
Elle avait eu envie de passer un moment avec Hartley Wade,
architecte paysager. Et elle paraissait heureuse de le revoir…
Il prenait plaisir à n’être que M. Hartley Wade. Rien ne l’avait
jamais autant amusé, et il avait envie de continuer, au moins cet
après-midi. Il attendrait la fin de leur entrevue pour lui avouer la
vérité, ou la prochaine fois, s’il devait y avoir une prochaine fois…
Mais pas maintenant.
— Je pense rester quelque temps à Highmoor. J’ai beaucoup de
choses à mettre au point, et je veux attendre le marquis pour qu’il
me donne son avis. S’il est d’accord, il faudra ensuite commencer les
travaux… Moi aussi, j’ai été déçu de ne pas vous voir. C’est pour cela
que je suis venu aujourd’hui, dès que la pluie a cessé. Au cas où vous
seriez là vous aussi…
Le sourire qu’elle lui adressa était resplendissant. Elle avait les plus
jolies petites dents blanches du monde, et sa bouche, qui se relevait
aux coins, constituait une vivante invitation au baiser.
— Voilà, j’ai retrouvé ma respiration. Êtes-vous toujours prêt à me
montrer le lac, monsieur ? Est-ce loin ? Et surtout, faut-il descendre ?
— Un peu. Et non, ce n’est pas loin.
Il ne lui tendit pas la main pour l’aider à se lever, il avait bien trop
peur de la toucher. Même s’il la faisait cheminer à sa gauche, sa
claudication serait plus évidente en lui offrant le bras, et elle serait
peut-être gênée ou dégoûtée.
— Le lac vous plaira. C’est l’endroit le plus reculé, le plus solitaire
et, à mes yeux, le plus beau du domaine.
— Je me demande si le marquis de Carew apprécie sa propriété
comme il se doit. Il est absent la plupart du temps, n’est-ce pas ?
Si cette merveille m’appartenait, je ne sais pas si je pourrais
supporter de m’en absenter, même momentanément.
Mais, chez lui, il devait affronter la solitude, une solitude que même
les invités ne pouvaient soulager. C’était lorsqu’il était ici qu’il
ressentait le plus vivement l’absence d’une femme dans sa vie. Et
l’absence d’enfants. Mais il désespérait de trouver jamais une femme
qui l’aimerait pour lui-même.
Non qu’il ait jamais aimé une femme, même s’il avait éprouvé
beaucoup d’affection pour celle qui avait été sa maîtresse pendant
cinq ans avant de mourir brutalement, un an et demi plus tôt. Elle
était la seule maîtresse qu’il avait jamais eue, mais ses sentiments
pour elle n’avaient pas eu la profondeur du véritable amour.
Il avait l’impression que, pour Mlle Samantha Newman, il pourrait
éprouver des sentiments plus profonds, même si, pour le moment, il
était simplement amoureux d’elle.
— Il y est profondément attaché. Sinon, pourquoi engagerait-il
d’aussi grandes dépenses pour l’embellir ?
— Peut-être pour le rendre encore plus remarquable. Mais je suis
mauvaise langue ! Pardonnez-moi, je vous en prie. Je ne connais
même pas le marquis. Jenny, ma cousine, la comtesse de Thornhill,
dit que c’est un homme très agréable.
Bénie soit la comtesse ! Elle lui avait toujours témoigné beaucoup
de gentillesse et de courtoisie, même si elle appartenait à ces gens
en vue qu’il fuyait généralement.
— Nous y voilà. Faites attention où vous mettez les pieds. La pente
est raide, et je ne voudrais pas que vous la dévaliez et tombiez dans
l’eau.
— Voilà qui pourrait bien me dégoûter à jamais de l’endroit ! dit-
elle en pouffant.
Elle ne rit pas longtemps. Elle s’arrêta net alors qu’ils se trouvaient
encore pratiquement en haut de la pente, lorsque le lac fut en vue,
niché entre la colline d’un côté et les bois de l’autre.
— Mon Dieu, ce doit être le plus bel endroit du monde ! souffla-t-
elle après un silence.
Ce fut à ce moment-là qu’il sut de façon certaine qu’il n’était pas
amoureux d’elle comme n’importe quel collégien de la première jolie
femme rencontrée.
Ce fut à ce moment-là qu’il sut de façon certaine, alors même qu’ils
se connaissaient depuis si peu de temps, qu’il l’aimait profondément.

1. Gentleman Jackson, célèbre boxeur, avait fondé un club de boxe fréquenté par
l’aristocratie londonienne au XIXe siècle. (N.d.T.)
3

Aux yeux de Samantha, cet endroit était magique. Le lac de


Chalcote était très joli, avec son hangar à bateaux et ses berges
couvertes d’herbes folles où la famille pouvait jouer et pique-niquer,
mais ici, c’était différent. L’endroit était enchanteur – et enchanté.
Peut-être était-ce dû à cette colline escarpée et aux arbres sur
l’autre rive, se dit-elle. En enserrant le lac, ils donnaient l’impression
d’un petit monde à part, et l’eau paraissait plus profonde et plus
calme.
— Voulez-vous que nous descendions ? C’est encore plus beau au
bord de l’eau.
Ils descendirent doucement, et Samantha remarqua que la pente
s’adoucissait avant d’atteindre le lac pour laisser une assez spacieuse
étendue plate où s’arrêter ou s’asseoir. Elle fut heureuse qu’il ne lui
offre ni son bras ni sa main. Il ne l’avait jamais fait, songea-t-elle. La
plupart des messieurs de sa connaissance l’auraient traitée en dame
et auraient voulu l’aider, lui donnant l’impression de n’être qu’une
petite chose fragile.
Elle était heureuse que M. Wade n’agisse pas ainsi. Cela aurait
gâché ce qu’elle considérait comme une amitié naissante. Aucun
homme n’avait jamais été son ami, s’aperçut-elle tout à coup. Pas
vraiment.
Il avait raison, constata-t-elle une fois au bord de l’eau. C’était
encore plus beau ici.
— Quelle paix ! Cela vous fait ressentir… je ne sais pas quoi
exactement.
— Une présence divine ?
— Oui, acquiesça-t-elle en humant le parfum des herbes humides.
C’est le propre de certains endroits. Les églises pratiquement
toujours, mais d’autres lieux aussi, et celui-ci certainement.
— J’ai toujours aimé le côté sauvage de cet endroit, même si j’ai
envie d’y ajouter une touche personnelle. Une chapelle, peut-être.
Mais ce serait trop artificiel, corrigea-t-il immédiatement avec un
sourire. Non, rien qui évoque l’activité humaine. J’avais pensé à des
barques avec leur hangar, mais j’ai rejeté cette idée dès que je l’ai
eue. Qu’en pensez-vous ?
— Non, pas de bateaux ! trancha-t-elle.
— Un pont, peut-être, suggéra-t-il en désignant un passage étroit
au bout du lac, où une cascade se déversait de la colline. Je reviens
sans cesse à cette idée, mais un pont qui ne mène nulle part serait
également artificiel, vous ne croyez pas ?
— Un pont de pierre avec des arches, qui conduirait à un petit
pavillon ou à un kiosque.
— Oui. Entièrement vitré sur ses six ou huit côtés, dit-il,
réfléchissant à haute voix. Un endroit où s’asseoir et se réchauffer.
— Et s’abriter de la pluie. Voilà, un pavillon pour la pluie ! Le lac
doit être magnifique sous la pluie, avec la brume sur les collines et
les arbres.
— Un pavillon pour la pluie… Cette idée me plaît beaucoup.
— Cela pourrait être merveilleusement calme et douillet. Je crois
que j’y passerais de longs moments si je vivais ici.
— Un pont et un pavillon pour la pluie… C’est ce que je vais faire !
Depuis des années, je me torture l’esprit pour savoir ce qu’il faut faire
ici, et vous venez de m’offrir la solution !
— Vous devriez peut-être m’engager comme assistante, monsieur.
— En aurais-je les moyens ? dit-il en souriant.
Il avait un des plus jolis sourires qu’elle eût jamais vus. Il se
reflétait dans ses yeux, et elle lui sourit en retour.
— Probablement pas. Est-ce que le marquis de Carew vous prendra
pour un fou lorsque vous lui proposerez un pont et un pavillon de
pluie ?
— C’est tout à fait possible, mais il a confiance en mon jugement.
Et quand il verra le résultat, il en tombera amoureux.
— Je l’espère. Je ne voudrais pas que cet endroit soit déserté.
Ils se tenaient côte à côte et regardaient dans la même direction,
en parfait accord.
— Je pourrais parfaitement vivre ici jusqu’à la fin de mes jours !
soupira-t-elle enfin. Si j’avais une vocation d’ermite, ajouta-t-elle en
riant.
— Vêtue d’une robe de bure, avec un plongeon dans le lac tous les
matins.
— Oh, là là, peut-être pas ! s’écria-t-elle en feignant de frissonner.
Mais j’ai l’impression qu’il est temps pour moi de rentrer à Chalcote.
Cela doit faire plus d’une heure que je suis ici. Je n’ai pas vu le temps
passer !
— Avez-vous déjà vu l’intérieur de l’abbaye ? Est-ce que cela vous
plairait de la visiter ? ajouta-t-il comme elle répondait par la négative.
Demain, par exemple ? Je serais ravi de vous faire visiter.
— Aller visiter la maison d’un monsieur en son absence ne me
paraît pas très convenable.
— Il y a toujours beaucoup de visiteurs ici pendant l’été, et la
gouvernante a l’autorisation de leur montrer le château, en dehors
des appartements privés. Je ne vous ferai visiter que les parties
publiques, insista-t-il. Ce sont les plus belles.
C’était extrêmement tentant. Highmoor Abbey avait semblé
tellement beau de loin, et M. Wade la regardait avec un sourire si
engageant…
— Demain ? répéta-t-il.
— Ma cousine et moi devons faire des visites demain. Je ne peux
pas m’y soustraire, ce serait abominablement impoli, expliqua-t-elle
avec la mine d’un enfant à qui on refuse une friandise.
— Après-demain, dans ce cas ?
— Après-demain, c’est nous qui attendons des visites, répondit-elle
d’un ton d’excuse. Mais pourquoi ne viendriez-vous pas ? proposa-t-
elle. Gabriel et Jenny – le comte et la comtesse – seraient ravis de
vous rencontrer, je le sais.
À peine eut-elle fait cette suggestion qu’elle la regretta. Si absurde
que cela paraisse, elle n’avait pas envie de partager son nouvel ami
avec sa famille.
— Je vous remercie, mais il vaut mieux que je reste ici et que je
fasse au moins semblant de travailler.
Il y avait beaucoup de regret dans leurs sourires. Elle avait pris tant
de plaisir à ces deux après-midi passés ensemble ! Il aurait
parfaitement pu la rebuter en flirtant avec elle, comme les messieurs
avec qui elle allait parfois se promener ou qu’elle rencontrait aux
garden-parties. L’amitié était tellement plus confortable.
— Je pourrais venir l’après-midi suivant, suggéra-t-elle, pleine
d’espoir. Vous serez encore ici ?
— Oui. Je n’étais pas certain que vous en ayez envie. Cela fait un
long chemin à pied pour vous. Montez-vous à cheval ?
— Oui, bien sûr.
— Nous pourrions peut-être nous retrouver à la grille de Highmoor,
dans ce cas ? À la même heure qu’aujourd’hui ?
— Avec plaisir. Je dois partir, maintenant. Ce n’est pas la peine de
m’accompagner. Cela fait long, d’aller au ruisseau et d’en revenir.
— Mais, comme la dernière fois, je dois m’assurer que tous les
intrus quittent bien Highmoor, voyons !
Ils gravirent donc la colline avant de redescendre jusqu’au
ruisseau, à l’endroit où les pierres permettaient de regagner Chalcote,
tout en bavardant de tout et de rien. Elle s’arrêta avant de passer de
l’autre côté.
— Je vous remercie, monsieur. Cette promenade était délicieuse, et
j’ai passé un excellent moment.
— Moi aussi. J’ai hâte de vous retrouver dans trois jours.
Une fois le ruisseau franchi, elle se retourna pour le saluer de la
main avant qu’il disparaisse derrière les arbres. C’était un véritable
gentleman, et il était célibataire. Et pendant plus d’une heure, à deux
reprises, elle s’était trouvée seule avec lui dans des endroits isolés,
où ils n’avaient rencontré âme qui vive. Personne ne savait où elle
était. Et, cette deuxième fois, elle était délibérément venue le
retrouver. Le rendez-vous qu’ils s’étaient fixé ressemblait à un rendez-
vous galant. Tout cela était abominablement inconvenant, même
pour une jeune femme de vingt-quatre ans. Tante Aggy ferait une
syncope si elle l’apprenait, et Gabriel reprendrait le visage de Lucifer.
Même Jenny lui ferait des reproches.
Pourquoi ne voyait-elle rien d’inconvenant dans ces rencontres ?
Parce qu’il n’y avait aucun flirt entre eux, qu’ils ne s’étaient jamais
touchés, qu’il n’y avait aucune tentative de séduction entre eux ? Ou
à cause de l’apparence de M. Wade ? Il semblait tellement ordinaire,
sauf peut-être quand son sourire illuminait son regard et son visage
tout entier. Et il était vêtu comme l’as de pique. Il y avait également
cette main déformée dans son gant, et sa claudication prononcée.
Peut-être cette relation sans équivoque était-elle due à son aspect
physique, effectivement. Elle s’efforça de l’imaginer sous les traits
d’un homme séduisant et bien bâti. Trouverait-elle la situation
inconvenante dans ce cas ? Probablement. Elle se sentirait attirée par
un tel homme.
Elle n’était pas le moins du monde intéressée par M. Wade. Sauf
comme ami… Elle sourit. Sauf comme compagnon soigneusement
choisi…

Hartley trouvait les journées interminables. Cette pénible solitude


était entièrement de son fait, bien entendu. S’il avait fait connaître
son retour à Highmoor, il aurait eu des visites. Thornhill aurait
certainement été l’un des premiers à venir le voir. Et lui aussi aurait
rendu visite à ses voisins. Il aurait été invité à dîner, et il aurait lancé
des invitations. Oui, s’il se sentait tellement seul, c’était entièrement
sa faute.
Tout cela à cause d’une seule créature, d’une petite femme si belle
physiquement et intellectuellement qu’elle était aussi inaccessible que
l’étoile d’une autre galaxie. Tout cela parce qu’il craignait qu’elle
apprenne qui il était, parce qu’il avait peur de la voir changer, parce
qu’il craignait qu’elle ne devienne une simple mortelle. Il ne voulait
surtout pas qu’elle voie en lui le richissime marquis de Carew, un
parti plus qu’enviable. Il voulait qu’elle continue à le considérer
comme l’ordinaire, le très ordinaire M. Wade.
Chacun des sourires qu’elle adressait à Hartley Wade constituait
pour lui un trésor à conserver précieusement, car chacun de ces
sourires était désintéressé et sincère. Chaque parole qu’elle avait
prononcée était soigneusement gravée dans sa mémoire. « Ce doit
être le plus bel endroit du monde… » « Vous devriez peut-être
m’engager comme assistante… » « J’y passerais de longs moments si
je vivais ici… » « Mais pourquoi ne viendriez-vous pas ?… » « Cette
promenade était délicieuse, et j’ai passé un excellent moment… »
Il ne voulait pas qu’elle connaisse sa véritable identité. Il voulait
que le mystère dure encore un peu – un après-midi de plus. Il s’était
donc imposé cette réclusion, de peur, s’il quittait ses terres, que le
bruit de son retour ne se répande. Il arpenta son parc à pied ou à
cheval durant ces deux interminables journées en pensant à elle, en
rêvant à elle et en se traitant de tous les noms d’oiseau qui lui
venaient à l’esprit, « imbécile » étant le plus aimable.
Il était incapable de trouver le sommeil à force de penser à elle, et
lorsqu’il s’endormait enfin, c’était pour rêver d’elle, des rêves où elle
lui répétait en souriant à quel point leur rencontre avait été agréable,
mais où elle restait toujours hors de portée de ses bras tendus.
Un soir, après avoir renvoyé son valet de chambre, uniquement
vêtu de sa chemise et de ses culottes, il se regarda dans le grand
miroir, ce qu’il s’autorisait rarement à faire, à part quelques regards
furtifs de temps en temps.
Quel idiot il faisait !
De la main gauche, il massa sa paume droite, appuyant de toutes
ses forces sur les tendons raidis, étirant ses doigts un à un.
Samantha Newman était probablement la créature la plus belle qui ait
jamais vécu sur cette terre. Comment un homme aurait-il pu la
regarder sans la désirer et l’aimer immédiatement ? Elle pouvait
choisir n’importe qui. Elle pouvait prendre le plus bel homme
d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande. Elle avait certainement une foule
d’admirateurs, et si elle n’était toujours pas mariée à vingt-
quatre ans, c’était sans aucun doute parce qu’elle avait du mal à faire
son choix.
Et il osait la désirer ?
Il ouvrit les yeux et s’obligea à regarder son reflet. Il se regarda
masser et exercer sa main osseuse, toute déformée, dont il ne
pourrait jamais retrouver le plein usage.
Et il osait l’aimer ?
Si elle découvrait qui il était, lui chuchotait un démon tapi au fond
de lui, peut-être le désirerait-elle, lui ou son titre, ou ses domaines,
ou ses richesses, ou tout cela à la fois.
Aucune femme ne le désirerait jamais pour lui-même. Dorothea
l’avait aimé, pourtant, se souvint-il. Pas au tout début, certes. Il
n’avait d’abord été qu’un client qui pouvait s’offrir ses faveurs et lui
apporter la sécurité d’une relation durable, mais elle avait fini par
l’aimer. Elle le lui avait dit, et il l’avait crue. Il lui en serait
éternellement reconnaissant.
Pauvre Dorothea…
Il avait eu beaucoup d’affection pour elle.
Mais Dorothea avait une dizaine d’années de plus que lui, était
grassouillette et plutôt ordinaire. Elle était déjà une courtisane sur le
retour lorsqu’il était venu la voir pour la première fois afin de perdre
sa virginité.
Aucune autre femme ne pourrait jamais le désirer, et
Mlle Samantha Newman moins que toute autre. Cette seule idée était
tout simplement risible. De nouveau, il ferma les yeux.
Elle avait pourtant pris plaisir aux deux après-midi qu’ils avaient
passés ensemble. Elle avait apprécié sa compagnie, et elle était prête
à recommencer. Il allait pouvoir lui montrer ce qu’il avait de plus
précieux au monde : sa maison. Et il pourrait garder éternellement le
souvenir de sa présence admirative dans les pièces de réception de
Highmoor Abbey. Il était certain qu’elles lui plairaient. Et pendant tout
ce temps, aussi discrètement que possible, il l’admirerait et
s’appliquerait à mémoriser chacun de ses gestes, chacune de ses
mimiques et chacune de ses paroles.
Oui, décidément, il allait rester M. Hartley Wade pendant un après-
midi de plus. Il ne lui restait plus qu’à prier pour qu’il fasse beau. En
attendant, tout lui paraissait vain et lugubre. Une seule chose
l’apaisait : aller jusqu’au lac contempler l’endroit où s’élèveraient le
pont à trois arches et le pavillon de pluie – le nom qu’elle avait trouvé
le faisait sourire.
Le matin du rendez-vous arriva enfin, puis l’après-midi, et toutes
ses prières se virent exaucées. Non seulement il ne pleuvait pas, mais
le soleil brillait dans un ciel sans nuages. Il faisait même presque
chaud. Il donna de strictes instructions avant de partir. Jusqu’à ce
qu’ils voient Mlle Newman et qu’ils en tirent les conclusions
appropriées, ses domestiques allaient le croire devenu fou. Il leur
avait déjà enjoint de ne pas ébruiter la nouvelle de son retour, et
voilà qu’il leur interdisait de lui donner son titre pendant tout le reste
de la journée !
Il trotta jusqu’à la maison du gardien près de la grille du parc et se
posta hors de la vue d’éventuels passants sur la route, en s’efforçant
de se persuader qu’il ne serait pas trop déçu si elle ne venait pas.
Mais dès qu’il la vit arriver au petit trot deux minutes à peine après
lui, il comprit qu’il aurait été abominablement déçu si elle n’était pas
venue.
Il aurait été tout simplement anéanti.
Dès qu’elle le vit, elle agita la main, tandis que son beau visage
s’illuminait d’un chaleureux sourire. Elle était heureuse de le voir.
Heureuse, oui, c’était le mot.
Elle portait un élégant costume d’amazone en velours vert bouteille
et un drôle de petit chapeau assorti, perché sur ses boucles dorées,
orné d’une plume d’un vert plus clair qui chatouillait sa joue jusqu’à
son menton. Il chercha mentalement un terme plus fort que « belle »
pour la décrire, sans en trouver.
— Avez-vous jamais connu plus belle journée de printemps ?
s’écria-t-elle joyeusement dès qu’elle se trouva à portée de voix.
— Non, jamais, répondit-il platement en lui rendant son sourire.
Et il n’en connaîtrait jamais de plus belle.

Il ne l’emmena pas immédiatement au château, délaissant l’allée


principale pour la faire passer par le sous-bois.
— Il s’agissait auparavant d’une forêt très ancienne et
complètement impénétrable, sauf pour les plus petits animaux,
expliqua-t-il. Je l’ai fait éclaircir pour en faire un parc à cerfs et pour
qu’on puisse s’y promener à pied et à cheval. Et, bien entendu,
ajouta-t-il en riant, le marquis a alors décidé d’interdire la chasse sur
ses terres. Les cerfs ont ici une vie idyllique !
— Oh, j’en suis bien heureuse ! Vous n’approuvez pas sa décision ?
Elle espérait de tout son cœur qu’il allait l’assurer du contraire, qu’il
n’avait aucun goût pour ces jeux sanglants, contrairement à la
plupart des hommes, lesquels auraient considéré une telle opinion
comme une insulte à leur virilité. Le respect de Samantha pour le
marquis de Carew grandit considérablement.
— Si. Dans mon esprit, lorsque j’ai créé ce parc à cerfs, il s’agissait
d’une réserve. Regardez !
De sa cravache, il lui en désigna cinq. Ils broutaient tranquillement
à une centaine de pas à peine, bien qu’ils les aient certainement
sentis et entendus.
— Comment peut-on avoir envie de les tuer ? s’écria-t-elle,
s’attirant un sourire de son compagnon.
Il la fit passer par la partie la moins touffue des bois, d’où l’abbaye
était visible. Sa façade aurait pu passer pour celle d’une cathédrale
tandis que les trois autres côtés présentaient un mélange étonnant
de différents styles architecturaux. Visiblement, chacun des marquis
avait successivement voulu imprimer sa marque sur la demeure
familiale. Curieusement, le résultat n’avait rien de déplaisant.
Samantha, qui avait pourtant vu beaucoup des plus belles demeures
d’Angleterre, ne pouvait en imaginer une qu’elle admirerait plus.
— Je vous remercie, dit M. Wade avec un sourire lorsqu’elle le lui
confia.
— Avez-vous participé à son aménagement ?
— Non, mais je transmettrai votre compliment au marquis. En vous
remerciant, je ne fais qu’anticiper sa réponse et vous la transmettre
pendant que vous êtes en mesure de l’entendre, répondit-il après un
instant.
— Quelle idée !
Le parc n’avait rien de conventionnel. Aucun parterre de fleurs ne
s’étendait devant le château, mais simplement une vaste terrasse
gravillonnée ornée de grandes jarres de fleurs, encore vides à cette
époque de l’année. De petites pousses commençaient à verdir dans
certains des nombreux massifs et rocailles. L’un d’eux, dans un coin
mieux abrité, était déjà couvert de crocus et de primevères. Leur
dessin n’avait rien de symétrique ou de régulier. La plupart se
trouvaient dans des endroits inattendus, dans des creux invisibles
jusqu’à ce qu’on en soit tout proche, et tous suivaient les courbes du
terrain.
— C’est tout à fait original, mais cela me plaît beaucoup. C’est
votre œuvre ?
— Moins la mienne que celle des jardiniers, mais ce sont mes
idées. Oui, j’imagine que c’est original pour l’esprit humain, qui
demande l’ordre et la symétrie. La nature n’a pas de telles exigences.
Another random document with
no related content on Scribd:
1229 Spangler A 45 May
E 20
111 May
1281 Swineheart J W
B 22
89 May
1404 Seyman Aaron
D 27
June
1672 Sprague W L Cav 6K
6
22 June
1773 Simmons Jno Bat
- 9
35 June
2220 Shannon E
A 20
45 June
2230 Stanett J
C 20
93 June
2376 Stiver J
C 23
11 June
2524 Smith G W
K 26
89 June
2575 Sampson C
D 27
45 June
2638 Stults P
F 29
31 July
2783 Shiver L
B 2
July
2792 Smith N H 1H
2
21 July
3116 Smith G, S’t
I 10
100 May
42 Sabine Alonzo
A 11
July
3252 Short Jas, S’t Cav 4A
13
July
3288 Smith D 7H
13
3361 Saffle J 2E July
15
33 July
3536 Steward C S
K 18
111 July
3602 Stevenson D
B 19
49 July
3298 Squires Thos
C 20
July
3744 Snyder Thos 9G
21
July
3770 Smith D, Cor 2 I
22
July
3794 Sever H H 2C
22
Shephard J H, July
4249 2E
Cor 29
July
4275 Smith J B, S’t 1B
29
July
4294 Steward J, S’t 2K
30
72 Aug
4745 Steiner J M
F 5
93 Aug
5018 Smock A
D 8
93 Aug
5054 Smarz A
E 8
Aug
5066 Shipple John Cav 6G
8
Aug
5133 Scott S E 4 I
9
Stevenson 111 Aug
5287
John B 11
14 Aug
5330 Spegle F
D 11
101 Aug
5373 Schem J 64
K 11
5455 Stevens G W 101 Aug
K 12
78 Aug
5896 Sullivan W
D 16
89 Aug
6010 Staley G
A 17
Aug
6032 Smith Wm Cav 9G
18
32 Aug
6178 Simpson W J
F 19
Aug
6199 Sheddy G 2K
19
105 Aug
6214 Shaw Geo W
A 20
24 Aug
6253 Shoulder E
F 20
72 Aug
6779 Soper P
G 25
89 Aug
6870 Scarberry O
D 26
Aug
7034 Sutton J 4A
27
Shoemaker J, 47 Aug
7065
S’t E 28
Stinchear F E, 101 Sept
7436
S’t A 1
Sept
7475 Shafer J 9G
1
125 Sept
7540 Sell Adam
E 2
19 Sept
7788 Stewart John S
B 4
Sept
7897 Smith H H Cav 2A
5
7986 Selb Jacob 28 Sept
- 6
45 Sept
8014 Shriver Geo
K 6
Sept
8015 Snider Jas 4C
6
72 Sept
8156 Sturtevant W
A 8
Sept
8197 Shrouds J Bat 6 -
8
Sept
8200 Stroufe A 7E
8
15 Sept
8229 Shaw W
I 9
121 Sept
8300 Smith N
H 9
49 Sept
8319 Sheldon W
E 10
135 Sept
8422 Sullivan Jno
F 11
18 Sept
8728 Sisson P B
H 14
51 Sept
8752 Sickles J
I 14
Sept
8914 Simmonds S P 1A
16
15 Sept
8931 Stull G
G 16
63 Sept
9009 Sharp F S
K 17
12 Sept
9244 Schmall J D
E 19
158 Sept
9386 Smith L
H 20
33 Sept
9645 Scott J H
H 24
9649 Skiver J 114 Sept
H 24
81 Oct
10250 Sheets W
A 3
Spencer S M, 89 Oct
10312
Cor E 4
Oct
10434 Shingle D Cav 2L
6
Stanford P W, Oct
10437 Cav 2A
S’t 6
51 Oct
10576 Stonchecks J D
F 9
101 Oct
10618 Schafer P
I 10
Oct
10703 Stout Samson 2F
11
34 Oct
10833 Sheppard Jno
D 13
72 Oct
11139 Shark H
F 17
45 Oct
11146 Smith G A, Cor
F 19
76 Oct
11249 Sullivan F
C 21
124 Oct
11433 Swaney E
A 24
69 Oct
11579 Smith P
I 28
20 Oct
11595 Sapp W N, S’t
E 28
122 Nov
11711 Spiker J
- 1
72 Nov
11797 Shaler F, Cor
E 4
12105 Sly F 89 Nov
G 20
Dec
12281 Singer J 6G
13
49 Dec
12305 Sweet M, S’t
F 18
Jan
12441 Shoemaker C 8F 65
12
Jan
12538 Stewart A F 2D
27
71 Jan
12562 Sponcerlar Geo
B 31
89 Feb
12668 Shorter W
K 17
123 Mar
12769 Sloan L
D 13
50 Mar
12789 Stroup S
B 17
132 Mar
12793 Seeley N
D 18
75 Mar
12810 Scott R
G 24
April
730 Tweedy R Cav 1A 64
25
Trescott April
743 2C
Samuel 26
40 May
999 Trimmer Wm
H 10
May
1196 Turney U S Cav 2G 64
18
10 May
1496 Thomas Wm Cav
M 30
Aug
4784 Thompson J 2E
5
13 Aug
4951 Toroman W R
E 7
5356 Tierney W Art 1L Aug
11
90 Aug
5552 Tinsley M
B 13
12 Aug
5668 Terilliger N
C 14
32 Aug
6330 Tanner A, S’t
G 21
26 Aug
7224 Thompson V B
C 29
45 Aug
7246 Turner S B
B 30
44 Sept
7640 Thomas Jas
C 2
135 Sept
8850 Talbert R
F 15
103 Sept
9774 Thomas N
B 26
26 Sept
9945 Townsend J
C 28
153 Oct
10471 Tattman B
C 7
93 Oct
10800 Tinway R
- 12
Townsley E M, 89 Nov
11820
S’t B 5
Feb
12577 Tensdale T H Cav 2E 65
3
12 Dec
12251 Uchre S 64
E 9
45 June
2194 Vining W H H
G 19
123 July
3902 Valentine C
H 24
4450 Vaugh B 125 Aug
F 1
103 Aug
4497 Vangrider H
H 1
Aug
5263 Vatier J F Cav 6 -
10
17 Aug
6170 Vail Jno L, S’t
C 19
21 Aug
6859 Vanaman M
E 26
Aug
6985 Vanderveer A 6H
27
Sept
7756 Victor H Art 1D
4
34 Sept
9576 Volis J
H 23
12 Oct
10252 Vail N
K 3
Oct
10389 Vail G M 7D
5
14 Oct
10472 Van Fleet H
I 7
135 Oct
11095 Van Kirk G
B 18
89 Oct
11097 Van Malley J M
G 18
Jan
12554 Vanhorn S Cav 9C 65
30
82 Mch
7 Wiley Samuel 64
A 5
111 Mch
185 Wickman Wm
B 27
45 April
779 Wooley Jno
B 28
45 April
807 Werts Louis
D 30
1085 Wood Wm 89 May
A 14
Wentling 100 May
1449
Joseph K 29
15 June
1604 Wood Joseph
B 4
Wilkinson W, 89 June
1836
Cor D 11
93 June
1913 Wilson Jas
I 13
44 June
2020 Way Jno
I 15
15 June
2041 Windgrove S R
- 15
45 June
2172 Webb E
A 19
June
2358 Walters F 9E
23
June
2536 Wing Cav 2M
26
89 July
2815 Willis A
A 3
89 July
2840 Wroten L
H 3
90 July
3188 Williams D
A 12
April
34 Wright Wm 7H
24
15 July
3310 White H
A 15
75 July
3325 Whitten G
K 14
89 July
4214 West J B
B 29
4681 Witt Jno T 93 Aug
G 4
111 Aug
4688 Won J, Cor
B 4
33 Aug
4695 Wile A, Cor
D 4
70 Aug
5121 Winder I
D 9
Aug
5211 Wood N L Cav 4L
10
145 Aug
5726 Winters Geo
K 15
89 Aug
6314 Wainwright S G
G 20
35 Aug
6318 Wisser F J
A 20
Aug
6362 Wistman N 9G
21
Aug
6397 Wilson E 4A
21
21 Aug
6700 Watson G
A 24
123 Aug
6761 Wood S 64
A 22
59 Aug
7056 Wood W H
E 28
90 Aug
7373 Wyatt J
B 31
72 Sept
7582 Wentworth L
A 1
89 Sept
8298 Wright J S
E 9
14 Sept
8396 Warner T
C 10
73 Sept
8907 Wyckmann D
G 16
9384 Worte J 116 Sept
- 20
135 Sept
9527 Woodruff J M
F 22
93 Sept
9691 Wagner J
F 24
21 Sept
10007 Whitney E
K 29
Oct
10230 Williams Orland C 7K
2
72 Oct
10309 Weaver M
H 4
21 Oct
10402 Ward Francis
H 6
33 Oct
10464 Whitehead A B
E 7
26 Oct
10528 Wiley A
I 8
73 Oct
10733 White I
E 11
Westbrook R L, 135 Oct
10844
Cor F 13
65 Oct
11013 Walker C
I 16
14 Oct
11034 Waldron H
A 16
60 Oct
11417 Williams S M
F 24
122 Nov
11770 Worthen D
B 3
35 Nov
11874 Weason J
F 6
14 Nov
12042 Wickham J
H 16
12073 White R M 15 Nov
D 18
35 Nov
12158 Warner B F
E 25
72 Feb
12584 Whitaker E 65
A 4
57 Mch
12722 Wella E
A 3
Mch McL’s
12759 Winklet T Cav - -
12 Sqn
102 Mch
12786 Warner M
G 16
Webricks Josh Aug
4833 9G 64
H 6
45 April
638 Yuterler W A
E 20
80 Aug
5477 Younker S
F 13
Aug
6068 Young Jno 7E
18
Sept
7816 Yeager Jno Cav 7B
4
Sept
7876 Young J 9F
5
Oct
10583 Young W 6G
10
15 Feb
12659 Young W 65
A 16
100 July
3225 Zubers J M 64
B 12
72 Oct
11253 Zink A J
E 21
Total
1031.
PENNSYLVANIA.
Mch
224 Attwood Abr’m C 18 I 64
29
Mch
250 Armidster M Cav 4A
30
April
468 Ackerman C 8B
9
April
758 Arb Simon Cav 4C
27
May
846 Allbeck G B, S’t 52 F
3
May
975 Algert H K 54 F
9
May
1282 Arble Thos Cav 13 A
26
June
1837 Ait M 21 K
11
June
2348 Akers Geo 90 H
23
June
2398 Allison E 55 K
24
103 June
2547 Anderson D, S’t
K 27
June
2648 Able J 54 F
20
103 July
2956 Amagart Eli, S’t
F 6
July
3018 Ackley G B Art 3B
7
July
3917 Alexander M Cav 1F
14
July
3967 Ardray J F, S’t 13 F
25
4055 Anderson J, Cor 79 I July
27
July
4143 Aches T J 7H
28
145 July
4149 Alcorn Geo W
F 28
July
4495 Archart H 51 C
29
Aug
4673 Allen C Cav 8K
4
Aug
4973 Andertin J Cav 4L
7
103 Aug
5286 Aler B
D 11
101 Aug
5511 Ault J L
C 13
Armstrong Cas, Aug
5862 Cav 4C 64
S’t 16
Aug
6029 Anersen Jno 91 C
18
184 Aug
7163 Arnold Daniel
C 29
Sept
7887 Angstedt Geo W 1F
5
101 Sept
8185 Allen J L
I 8
Sept
8232 Ambler C Cav 13 D
9
Sept
8388 Alexander W Res 2 I
10
Sept
8653 Armstrong A 7K
13
Sept
8655 Arnold L 73 A
13
Sept
8765 Altimus Wm 7E
14
1743 Ainley Wm Cav 3E June
8
Sept
9150 Alcorn J W “ 18 D
18
Sept
9896 Allison D B 55 K
27
135 Oct
10487 Anderson A
F 7
126 Oct
10570 Allen D
A 9
Oct
10823 Allin S Cav 7H
13
149 Oct
11419 Applebay T M
K 24
Oct
11607 Antill J 61 I
28
118 Nov
11710 Auger W
- 1
Nov
11852 Affleck T 2F
6
184 Nov
11860 Amandt J
D 6
142 Jan
12520 Atchinson W P 65
F 25
Mar
228 Bull Frank Cav 4H 64
29
Mar
249 Burton Lafayette C 18 D
30
April
332 Briggs Andrew C 13 H
2
April
427 Begler A 27 C
8
April
543 Breel Jacob, Cor 27 H
14
569 Black Jas A Cav 14 D April
15
April
661 Bradley Alex “ 3F
21
April
671 Burns Sam 73 K
22
April
673 Barra J 54 F
22
145 May
822 Bayne Wm
I 1
May
874 Bradley M Art 3A
4
May
897 Brown Henry 90 H
5
May
938 Brown D 4C
7
May
974 Batting Isaac, Cor Cav 8H
9
May
1046 Baker J D 57 F
12
May
1188 Butler Wm 90 B
18
May
1300 Boyd Thomas 9D
23
May
1309 Bryson J Cav 2D
23
May
1327 Brining J “ 13 B
24
13 May
1375 Burney J “
G 26
May
1393 Brown J B “ 4K
26
June
1576 Boman Sam’l Art 3B
3
103 June
1601 Berfert R
B 4
1654 Brumley Geo Cav 4 I June
5
June
1790 Butler J D 76 B
10
73 June
1859 Berkhawn H
G 12
June
1872 Brooks D S 79 -
12
183 June
1923 Brian Chas
F 14
June
1999 Bixter R 73 C
15
June
2026 Burns Owen Cav 13 C
15
June
2046 Bigler M “ 4 -
15
June
2127 Brown C “ 3B
17
June
2134 Buckhannan W Art 3B
18
June
2180 Ball L 26 K
19
June
2236 Barr J T Cav 4K
20
June
2323 Baker Henry “ 18 I
22
June
2483 Bisel Jno, S’t “ 18 K
25
June
2539 Balsley Wm “ 20 F
26
June
2610 Brown M “ 14 C
28
July
2727 Brenn J 73 K
1
2733 Bolt J H, S’t Cav 18 E July
1
July
2741 Beam Jno 76 E
1
July
2816 Burns Jno Cav 13 A
3
108 July
2913 Bish J
F 5
115 July
2918 Belford Jno
F 5
July
3005 Bryan P Art 3A 64
7
103 July
3019 Barr S
G 7
July
3027 Braney J 48 E
7
101 July
3051 Barnes W, Cor
H 8
118 July
3097 Butler L J
E 10
110 July
3109 Brunt A
G 10
101 July
3216 Beraine A A
B 12
103 July
3294 Burns Jas
F 14
157 July
3442 Brinton J
D 17
103 July
3477 Baker Wm
F 17
July
3535 Burnside J, S’t 57 H
18
103 July
3600 Black W O
G 19
July
3693 Billig J L Cav 3H
21
3716 Brenlinger W R, “ 4D July
S’t 21
148 July
3808 Butter C P
A 22
July
3821 Batchell D 55 D
23
July
3917 Bright E 90 I
23
July
3988 Bradford L 10 I
26
July
4002 Berkley M 50 I
26
116 July
4084 Backner Adam
G 27
July
4330 Barrett J 6K
30
53 July
4360 Brown J
G 31
53 July
4402 Butler D
G 31
Aug
4494 Barton Jas Cav 4B
1
Aug
4500 Burke J 90 A
1
Aug
4610 Baker E, Cor 4K
3
Aug
4667 Behreas A 7E
4
Aug
4752 Bennett Geo 55 D
5
Aug
4989 Bowers J Art 2 I
7
Aug
5040 Bammratta —— 73 D
8
5071 Barber C 6D Aug
8
Aug
5084 Buck B F Cav 2K
8
Aug
5113 Brown M 50 D
9
141 Aug
5324 Burlingame A J
K 11
Aug
5391 Bear Jno 79 D
12
101 Aug
5416 Bruce Jno
C 12
Aug
5526 Bower Benj Cav 6L
13
143 Aug
5587 Burnham H
F 14
Aug
5592 Broadbuck A Cav 11 A
14
Aug
5662 Buck B F “ 2K
14
103 Aug
5877 Browning Thos
A 16
115 Aug
5948 Bohnaberger A
G 17
Aug
5969 Boyer F 43 E
17
101 Aug
6061 Baker Jas
C 18
103 Aug
6074 Bower G W
K 18
Aug
6099 Baily J F 18 D
18
103 Aug
6127 Benhand J A
D 19
55 Aug
6229 Bear Sam’l
G 20

Vous aimerez peut-être aussi