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Peut-on définir l’art 

?
Au sens large, hérité des Grecs et surtout
d’Aristote, l’art signifie une production humaine,
quelque chose que l’homme ajoute à la nature. L’art
implique l’anticipation du résultat. Au sens moderne,
l’art relève de ce qu’Aristote appelle la « poiésis »,
c’est à dire de la capacité à créer quelque chose sur
la base de procédés techniques. Le mot renvoie à
l’ensemble des procédés de fabrication, techniques et
savoir-faire que le maître met en œuvre dans son
activité et transmet à ses apprentis.
Au XVIe siècle en Italie, à la suite de Giotto,
les peintres conçoivent le résultat de leur travail
comme une œuvre personnelle, et commencent à
y laisser leur signature. Au XIXe siècle, l’artiste
romantique devient un créateur au génie
inimitable, qui se coupe du monde pour mieux
cultiver sa singularité. L’artiste se libère et
revendique sa liberté contre le néo-classicisme.
Pour le Lalande, « l’art ou les arts désignent
toute production de la beauté par les œuvres d’un
être conscient ». En philosophie, l’esthétique n’est
autre que la réflexion philosophique sur l’art. Elle
va s’intéresser à l’activité de l’artiste, au résultat
de son activité et aux effets susceptibles d’être
provoqués sur les spectateurs. Le terme
esthétique vient du grec « aisthésis » qui signifie
la sensation, la perception sensible au sens large.
I)Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ?
A) L’œuvre d’art comme objet.
Une œuvre d’art se présente tout d’abord sous
la forme d’un objet matériel. Une sculpture est
faite en bois, en pierre ou en marbre ; une peinture
est faite de toile tendue, d’un cadre de bois. De la
même manière, même si cela ne va pas
immédiatement de soi, les films, la musique ont
aussi des supports matériels (la pellicule pour un
film, les instruments de musique ou les disques
pour un morceau musical).
Qu’est-ce qui caractérise une œuvre d’art par
rapport à d’autres objets ?
- Son inutilité : on ne peut attribuer à une œuvre d’art
une utilité pratique, au même titre qu’un objet
technique. Toutefois, si l’œuvre d’art est, au sens
propre du terme « inutile », elle a bien un sens, qui
fait que le spectateur s’y intéresse.
- Son unicité : face à deux tableaux identiques, nous
supposerons immédiatement que l’un est un faux ou
la copie de l’original.
Par ailleurs, une œuvre musicale est bien unique,
mais elle doit être interprétée. Elle acquiert une valeur
au travers de son interprétation. Il en existe plusieurs
versions. De même, une gravure ou une photographie
est tirée à plusieurs exemplaires. Mais, ces exemplaires
restent en nombre limité (chaque tirage est numéroté).
L’artiste peut également retoucher ses gravures à la
main, pour les différencier les unes des autres. De
même, le photographe peut faire varier le contraste des
tirages, issus d’un même négatif.
Nous pouvons donc définir l’œuvre d’art
comme une matière à laquelle l’artiste donne
une forme et qui n’a pas d’utilité pratique,
mais néanmoins un sens. Autrement dit,
l’œuvre d’art renvoie à autre chose qu’elle-
même : elle représente donc quelque chose.
B) L’œuvre d’art comme représentation

a) l’œuvre d’art doit-elle imiter la réalité extérieure ?


De nombreuses œuvres d’art représentent
la réalité extérieure : paysage, scènes de vie
courante, être humains. L’idéal de l’art à la
renaissance est d’imiter la nature, parce qu’elle est
une création divine. Hegel va critiquer une telle
conception. En effet, imiter consiste à reproduire,
le plus fidèlement possible, ce qui existe déjà.
Imiter consiste à faire preuve d’une grande
habileté technique, mais non de qualités
proprement artistiques. Enfin, l’œuvre réalisée
n’est qu’ « une caricature de la vie ». Nous
pouvons illustrer ce dernier point, par la
comparaison entre deux sculptures grecques,
d’époques différentes : un kouros et le
Diadumène du sculpteur grec Polyclète.
- Le kouros (vers 600 av JC) a une position
figée, pieds joints, les deux côtés du corps en
position symétrique (sauf un pied qui est
avancé, par rapport à l’autre). Ses traits du
visage sont simplifiés et les articulations
(genoux) grossièrement représentées. On peut
constater l’influence de l’art égyptien, sur l’art
grec naissant.
- Le Diadumène de Polyclète (vers 450 av JC) représente un
athlète, vainqueur à une épreuve, posant une couronne sur sa
tête. La représentation du corps humain suit les canons de la
beauté grecque. Il n’y a pas de symétrie, entre les deux côtés
du corps ; de plus, la tête, le corps et les bras sont représentés
sur des plans différents. Le bassin de l’athlète est penché (il est
en équilibre sur une jambe), ainsi que ses épaules, mais dans
l’autre sens ! cette position donne une apparence de
mouvement et de naturel, mais n’est absolument pas réaliste.
Ainsi, pour donner l’apparence de mouvement et de vie, le
sculpteur doit inventer et non copier une pose.
b) L’œuvre d’art comme l’expression de la
réalité intérieure.
L’artiste peut également représenter une réalité
extérieure, pour exprimer une réalité intérieure, comme
une idée ou un sentiment.
Ainsi, dans Le café de nuit 1883, Van Gogh a choisi
de représenter d’une manière laide, un sujet sordide. En
effet, au XIXème siècle, le café est considéré, par la
bourgeoisie, comme un lieu de dépravation, fréquenté par
les prostituées et les ouvriers, venant après le travail
s’enivrer ou discuter de politique, au lieu de s’occuper de
leur famille.van Gogh a voulu représenter les passions
humaines.
Dans les Pélerins d’Emmaüs, Rembrandt (XVIIème siècle a
représenté une scène de la vie du Christ : celle où il apparait, après
sa Résurrection, à deux pèlerins, qui lui ont offert l’hospitalité. La
besace, accrochée au milieu du tableau, représente l’attribut du
pèlerin. Or, le premier a le visage rempli de stupeur, presque
apeuré par cette apparition. Le deuxième est dans l’ombre,
prosterné aux genoux du Christ, qu’il a reconnu. Le troisième
personnage est une servante, représentée dans l’obscurité, (elle
ignore ce qui se passe), et simplement éclairée par la faible lueur
de ses fourneaux. Le Christ est représenté comme une ombre
(ressuscité, il n’a plus de réalité matérielle), auréolé d’une lumière
surnaturelle, qui émane de lui.
II) La création artistique.

La création artistique est conçue de deux manières


opposées :
Pour certains, elle est comparable à un jeu, dont la
facilité s’expliquerait par l’inspiration de l’artiste et par
son génie. L’artiste génial a un don de la nature et il n’a
donc pas besoin de travailler.
Pour d’autres, elle le fruit d’un travail, d’un effort
qui est source de souffrance ; l’artiste doit apprendre et
travailler, sans cesse.
Mais ces deux positions ne se complètent-elles pas ?
A)L’importance du travail

L’importance du travail est peu manifeste


car le spectateur contemple l’œuvre d’art une
fois terminée. Mais, nous pouvons en prendre
conscience, par les témoignages des artistes
eux-mêmes. Ainsi, dans son Journal, le peintre
Eugène Delacroix note les progrès de son
travail sur Le massacre de Scio (1824), œuvre
représentant le massacre de la population
grecque de l’île de Scio,
B) Qu’est-ce que le génie ?
Chez les grecs, le génie désignait un esprit, lié à chaque
homme depuis sa naissance, et qui le guidait, tout au long de sa vie. Au
sens moderne, le génie est un don inné, qui permet à l’individu qui en
est pourvu, de trouver, d’inventer ou de faire des choses extraordinaires.
Kant souligne le paradoxe du génie artistique. Il ne peut
apprendre pas, par transmission de règles à appliquer. De même, le génie
ne peut pas expliquer aux autres, par des règles, comment il a crée un
chef d’œuvre. Néanmoins, il faut bien dire que « le génie donne en un
sens ses règles à l’art ». En effet, le génie est original (il ne copie
personne), tout en étant un modèle pour les autres artistes, qui
dépourvus de génie, ne peuvent qu’imiter son style. De plus, le public
reconnait ses chefs-d’œuvre : le génie établit donc la norme de la beauté
et du goût.
C) Le génie d’un artiste n’exclut pas le travail.

L’artiste ne pourrait pas exprimer son génie, sans


travail. En effet, il doit d’abord apprendre à maîtriser les
différentes techniques : sa main doit fidèlement obéir à sa
pensée. De même, le peintre doit savoir quelles couleurs il
faut mélanger, pour rendre exactement l’apparence d’un
matériau ou d’une atmosphère. Ensuite, le génie doit créer
beaucoup d’œuvres pour pouvoir créer quelques chefs-
d’œuvre. En effet, il serait réducteur de croire que l’ensemble
de son œuvre est géniale. Il peut rater une œuvre et le
poète, Victor Hugo affirme, à ce propos, qu’il vaut mieux
passer à une autre création que chercher à la corriger.
III) Le spectateur et l’œuvre d’art

Nous avons vu que l’œuvre d’art n’a pas


d’utilité pratique. Cependant, elle ne laisse pas
le spectateur indifférent, mais produit sur lui,
un certain comportement (il s’arrête devant
elle pour la contempler) et un certain effet (il
la juge belle ou laide, il cherche à comprendre
le sens et il peut même être étonné, voire
choqué, par elle).
A) Contempler et admirer une
œuvre d’art.
Les différents arts sont appelés les « Beaux-
Arts », ce qui laisse entendre que l’art aurait pour
fonction de représenter la beauté. Ainsi, l’œuvre
d’art donne lieu chez le spectateur à un jugement
esthétique. L’adjectif « esthétique » signifie « ce
qui a rapport avec le beau ». Au sens propre, il
signifie « sensation » (du grec « aisthèsis ») ; son
rapport à la beauté est plus explicite dans des
termes comme « esthéticienne ».
Le jugement esthétique consiste à
affirmer : « cette œuvre est belle ou laide. Un
tel jugement se distingue immédiatement d’un
jugement de connaissance (« ce tableau mesure
deux mètres de longueur »), dans la mesure où
il s’accompagne d’une émotion, d’un plaisir.
Mais contrairement au sentiment de l’agréable,
le sentiment du beau tient à la fois d’un plaisir
des sens et d’un plaisir intellectuel.
Or, si un jugement de connaissance est objectif
(tout le monde reconnaît que ce tableau est de telle
longueur), qu’en est-il du jugement esthétique ? Le
sens commun a, sur ce point, un avis
contradictoire : il peut aussi bien affirmer que
« tous les goûts sont dans la nature », que
reprocher à quelqu’un « d’avoir mauvais goût ».
Mais de quel goût parlons-nous ? Dans la Critique
de la faculté de juger, Kant définit le goût comme
« la faculté de juger le beau ».
Doit-on alors considérer que la beauté est
totalement subjective, qu’elle dépend du goût de
chacun, même si nous avons tendance à en faire une
propriété de l’œuvre elle-même ? Baudelaire estime
que la beauté est composée d’un élément immuable
et d’un élément fugitif. « Immuable », si nous voulons
comprendre pourquoi nous continuons à trouver
belles des œuvres de l’Antiquité, par exemple. Mais
« fugitif », aussi, parce que chaque époque et chaque
peuple a sa conception de la beauté
B) Comprendre une œuvre d’art

On parle volontiers à propos d’un morceau de musique


de composition ; mais au sens propre, toute œuvre d’art
en est une, puisqu’elle est constituée de divers éléments,
que l’artiste a « posés ensemble » (cum-ponere). De
même, pour que le spectateur comprenne l’œuvre d’art
qu’il contemple, il doit tout d’abord la saisir comme
formant un tout. C’est le sens premier du verbe
comprendre (cum-prehendere, prendre ensemble). Or
comment donner au spectateur ou à l’auditeur
l’impression que l’œuvre d’art forme un tout et non une
juxtaposition ou une suite d’éléments disparates ?
Même si une œuvre d’art ne peut se
réduire à l’application d’un certain nombre de
règles techniques, les artistes utilisent un
certain nombre de procédés, que le
spectateur peut facilement reconnaître. Ainsi,
Vermeer inscrit ses motifs dans des formes
géométriques : dans La Dentellière, la femme
a le haut de la tête et els mains, représentés
dans les angles d’un triangle.
La dentellière, Veermer,XVIIe.
Le Tub, Degas
Dans Le Tub, Degas a représenté, dans
une vue en plongée, une femme faisant sa
toilette. Le rebord de la table a tendance à
séparer artificiellement le tableau en deux
parties. Pour y remédier, l’artiste fait dépasser
de cette table le manche de la brosse et l’anse
d’un pot. De même, la couleur de la chevelure
de la femme rappelle celui du pot.
C) Etre étonné par l’œuvre d’art.

Si le spectateur est le plus souvent figé,


immobile devant une œuvre d’art qu’il
contemple, l’art baroque a, au contraire, la
particularité de l’inviter à se déplacer et de
susciter, chez lui l’étonnement.
Voûte en trompe-l'œil de l'église des Jésuites à Vienne, Pozzo,
XVIIe
IV)Redéfinition de l’art au XXème siècle

Comparons le visage de l’Aurige de


Delphes et la Tête de Giacometti. L’aurige de
Delphes, ou Hêniokhos (en grec ancien
ἡνίοχος, « qui tient les rênes »), est l'une des
plus célèbres sculptures de la Grèce antique,
et l'un des cinq seuls grands bronzes qui nous
soient parvenus de l'époque classique.
L’artiste qui a représenté la tête de
l’Aurige était soucieux du réalisme (les yeux
sont des pierres colorées) et du détail (les
boucles de cheveux sont sculptées).A
l’inverse, dans la Tête de Giacometti, l’œil et le
nez sont à peine suggérés, par des traits en
creux. La forme même de la tête n’est pas
réaliste, puisqu’elle évoque un carré et non un
ovale.
Cette œuvre peut être qualifiée d’abstraite.
L’abstrait est le résultat du processus
d’abstraction qui consiste à « enlever », à
« retirer ». ainsi, « faire abstraction de »
consiste  « à ne pas tenir compte de » .
L’art abstrait représente bien des réalités
de la vie quotidienne, mais elles ont été
dépouillées, par l’artiste, de certains détails et
leurs formes ont été simplifiées. Si le
spectateur a souvent été déconcerté par une
œuvre abstraite, c’est parce qu’il continue à la
contempler, selon les critères de l’art que les
artistes modernes remettent justement en
question ! Voici les principaux :
a) Le refus d’opposer la création artistique et
production technique.
b) L’art comme expression de l’essence des
choses.
c) La couleur
A) Le refus d’opposer la création artistique et
production technique.
Si le sculpteur donne traditionnellement forme à une
matière, en la ciselant, l’artisan réalise un objet technique,
en assemblant différents éléments préfabriqués. Or, avec
sa Tête de Taureau, Picasso adopte le procédé technique
de la soudure d’éléments. De plus il assemble cette tête
avec des éléments pris d’une bicyclette ; le guidon, pour
représenter les cormes et la selle pour représenter la tête.
L’œuvre d’art est même désacralisée, car Picasso voudrait
qu’elle ne soit pas précieusement conservée, dans un
musée, mais puisse être transformée en objet technique.
 
B) L’art comme expression de l’essence des choses.

Pour déterminer l’essence ou la définition


de l’arbre, il faut retenir les éléments
communs entre le chêne, le sapin,… et faire
abstraction de leurs différences. D’autre part,
l’esprit du spectateur n’est plus focalisé sur les
détails de l’œuvre. Il ne doit pas blâmer la
pauvreté de la représentation, mais il doit aller
chercher sa richesse, dans ce qu’elle exprime.
Magritte, Les
vacances de
Monsieur Hegel
Dans son tableau, les Vacances de Monsieur Hegel, le
peintre René Magritte a représenté des éléments de la vie
quotidienne (un verre et un parapluie), de manière
figurative. Mais, la composition n’est pas réaliste, puisque
le verre est posé sur le parapluie, qui « flotte » dans les
airs. Or, le verre a pour fonction de recueillir l’eau qu’on y
verse, alors que le parapluie a pour fonction d’écarter
l’eau qui tombe. Ces deux fonctions contraires évoquent
la théorie de la dialectique hégélienne, selon laquelle les
contraires ne restent pas opposés (posés face à face),
mais finissent par se rencontrer et par s’inverser.
Pour le sculpteur roumain Brancusi,
l’œuvre d’art doit représenter l’essence des
choses et donc ne pas s’embarrasser de détails
réalistes.
Sa muse endormie représente la tête
d’une femme posée à même le sol, sans socle.
Le poli du bronze traduit la sérénité du
sommeil et la tête est représentée seule, car
dans le sommeil, l’individu oublie son corps.
C) La couleur

L’art abstrait se libère de la contrainte de


l’art figuratif : il ne s’impose pas de
représenter quelque chose que le spectateur
peut identifier. Mais il privilégie l’effet que
l’œuvre produit sur le spectateur. C’est
pourquoi la couleur joue un rôle souvent
important et ne se limite pas à reproduire la
couleur réelle des objets représentés.
https://www.centrepompidou.fr/fr/videos/vid
eo/vassily-kandinsky-avec-larc-noir
Conclusion

Loin de nous éloigner de la réalité ou de


nous tromper sur sa nature, l’artiste nous
rapproche finalement de notre réalité quotidienne
et de notre condition humaine. Toutefois, elle
nous montre cette réalité sous un jour totalement
nouveau, qui peut nous déconcerter. C’est en ce
sens qu’il faut comprendre l’affirmation de Braque
dans son ouvrage le cubisme, « L’art est fait pour
troubler, la science pour rassurer. »

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