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{ L E S Pe t i t s ma ti ns}
Márcia Bechara
La maison
des fauves
Pour Eddie
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jungle, bêtes mythologiques et cruelles, régies par une morale d’un autre
temps. Dans l’aile nord, Juan, et seulement Juan, entrait. Nous ne nous
aventurions pas dans cette zone située au-delà des frontières de la peur.
C’est à côté du dresseur que nous compatîmes, en juin dernier,
au sort de la jeune Laïca, sur les omoplates de qui se mirent à pousser
de gracieuses ailes mêlées de plumes multicolores. Elle geignait beau-
coup, déshéritée de sa fragile condition humaine, n’ayant plus de famille
à elle, plus de racines, plus de calme et plus de clan. Maintenant les
fauves l’attendaient.
Laïca se rendait compte qu’il lui fallait se lier avec les fauves,
tous : l’avantagé de la vie, le maladroit, le ferme et le fort, l’immense
animal de la vie. Elle endura les souffrances dues aux horreurs de ce
passage dans le nouveau monde, puis se tut. Nous nous sommes sentis,
peu à peu, plus proches d’elle. Parce que, voyez-vous, il y a plusieurs
types de fauves, ceux qui naissent ici et ceux qui renaissent ici, mais tous
nous y mourons.
Dans cette condition mortelle, nous nous sommes approchés
d’elle, délicatement, pour ne pas lui causer d’agitation. Laïca n’a pas
flanché, malgré son immense tristesse. Elle avait de la douceur et du
respect, mais nullement la vocation de phénix qu’il lui fallait assumer.
Pénétrer l’aile nord, ce vide sans espoir, et rejoindre les siens, les
animaux-énigmes, cela, elle ne le pouvait pas.
Contre la volonté du lion, elle s’offrit à sa cohorte pour être
dévorée.
Elle n’a pas attendu le lever du jour, s’est placée sans peur face à
la tanière des félins avant qu’ils partent en chasse. Mues par l’instinct,
attirées par l’odeur du sang qui jaillissait d’une blessure qu’elle s’était
infligée de ses propres griffes, les bêtes ont dévoré Laïca avant que sa
véritable nature la transforme. On raconte que les lions geignaient en
dévorant ses doux viscères et qu’ils n’ont plus jamais été les mêmes
après ce jour, accablés par la malédiction d’avoir dévoré un animal
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Jean-Louis Parrot
Borgne
C’est l’histoire d’un homme et d’un âne, tous les deux misérables
et gris.
L’homme, c’était Borgne, un zonard qui affirmait à qui voulait
bien l’entendre, qu’une armée de rats hantait les caniveaux. Des rats,
peut-être après tout qu’il y en avait, qui aurait pu le dire… Personne ne
restait suffisamment près de lui pour vérifier s’il disait vrai.
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luisants, comme remplis d’huile : des taons, des guêpes, des moustiques,
des mouches venaient se délecter de ses plaies et virevoltaient autour de
sa carcasse aux arêtes pointues, de ses oreilles grignotées par la gale et
jusqu’au fil de ses dents rectilignes dans une ronde incessante qui sifflait
de fureur.
II boitait mais n’était pas facile à approcher. Dès qu’il jugeait une
présence trop proche, il ruait. Ses sabots labouraient la boue, des
zigzags soulevaient sa peau, dressant en éventail des poils rêches comme
de vieux paillassons. II émettait un geignement affreux, rauque et
sonore, en arquant au maximum son cou vers l’avant et en faisant vibrer
ses babines.
Il se mettait à braire à pleins poumons, sa cage thoracique se
gonflant et se dégonflant :
– Hiiii-haaannn... Hiiii-haaann...
Borgne
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– Sale carne !
Des poings se mirent à pleuvoir sur le ventre mou de la bête avec
un bruit de tambour, mat et profond.
Ils poussèrent l’animal qui bascula sur lui-même vers une pente
plus raide, dégringolant jusque dans une clairière de boue.
Là, quelques fringues souillées pourrissaient entre des carcasses
de voiture. C’était chez eux, les gardiens de la misérable décharge, un
voyou aux yeux pâles et sa sorcière affamée. La femme commença à
glaner du bois, le dos rond, ses mains crochues dépiautant des bouts de
cageots. Un feu monta rapidement de la boue, éclairant le couple hale-
tant, qui grimaçait de haine... L’homme s’approcha et resserra les liens
de l’âne.
– Tu es à moi maintenant ! dit-il en lui décochant un coup dans
les flancs, le feu se déchirant dans ses yeux.
Borgne se leva. Ses pieds nus s’enfoncèrent dans l’eau du caniveau
glacé. Il tituba dans la nuit, remonta la rue en tirant des bords incer-
tains, de poubelle en réverbère, de réverbère en seringue et en bouteille
de vin. II aboutit dans un bar, plein à craquer, et cria à la cantonade :
– Un blanc !
– Dehors ! siffla un doigt qui pointait vers la porte.
– Un blanc ! Un blanc ! répétait Borgne, agitant les bras, postil-
lonnant, dément..
Puis, il essaya de se servir seul, mais la bouteille – oh, malheur –
roula, explosa sur le sol…
Les conversations s’étaient arrêtées. Un silence suivit et Borgne
se précipita vers la porte mais la foule se referma sur lui. Une panique
abjecte l’envahit. II cria à pleins poumons et une grêle de coups s’abat-
tit sur son crâne.
par la faim. À côté d’eux, l’âne gémissait. À travers le fil de fer qui sciait
ses naseaux, il émettait un sanglot continu, sa robe grise soulevée de
frissons. Il souffrait, frottant obstinément depuis des heures sa
mâchoire contre le sol, et avalait de la terre, se râclait jusqu’au sang.
Soudain, il réussit à faire glisser le fil de fer le long de ses babines
et put mordre.
Il brouta les chiffons qui entravaient ses sabots, se releva et détala
dans un galop brinquebalant, ses liens enchevêtrés volant autour de lui.
Il franchit un terrain vague et déboula sur une place bondée de gens.
Un cri de dégoût l’accueillit. L’âne hésita, tremblota sur ses flancs et fit
face. La foule s’approcha, hypnotisée par la vision d’horreur crachée de
sa décharge. Un concert de klaxons éclata et l’âne repartit. Il esquiva
une voiture. Une autre pila devant lui. Alors, il avança son cou et se mit
à braire de désespoir :
– Hiiii-haaan... Hiiii-haaan...
Comme il retroussait à nouveau ses babines ruisselantes d’é-
cume, la foule se précipita sur lui. Il dérapa sur les pavés et remonta
l’avenue en claudiquant, fut contraint de prendre une ruelle puis une
autre, une autre encore.
Geneviève Alméras
Troncatures
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Troncatures
Aussitôt que cette pensée lui traverse l’esprit, Lila sait que son
quart d’heure de sérénité est terminé et qu’elle ne reviendra pas à ses
révisions d’examen et à la troncature des polyèdres. Elle clique sur
fichier, positionne le point d’insertion sur quitter, clique à nouveau et
les webcams disparaissent de l’écran, avec leurs images de jour et de
nuit, d’intérieurs et d’extérieurs. Des images. Rien que des images.
Qui veut savoir qui rentre avec qui ? Qui cela peut-il bien
intéresser ? Qui veut savoir qui va faire quoi ? Ça ne regarde personne.
De toute manière, il est l’heure et ce soir encore, elle ne se remettra pas
au travail malgré ses résolutions, ce soir encore elle va le faire.
« Et de rentrer ensemble ne veut pas dire grand-chose », martèle
une voix dans sa tête, obstinément, qu’elle n’arrive pas à chasser, « pense
à ceux que tu vas croiser dans un instant », dit la voix. Elle clique sur
l’icône, n’a même pas à saisir son identité et son mot de passe puisqu’ils
sont préenregistrés et vérifie d’un coup d’œil que, bien sûr, il n’est pas
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en ligne. Sur l’écran son visage immobile la nargue, sourire figé, cheveux
étales, sa mèche blanche vissée sur son front, qu’aucune main ne chas-
sera ce soir. Toutes les lignes d’adresse sont dans la même rubrique, la
sienne et les autres, personne n’est connecté, ni lui ni aucun de ses cor-
respondants – qui d’ailleurs aurait l’idée de l’être pendant cette période
des fêtes ? Elle reste hors ligne et se dit que d’une certaine façon, c’est
plus simple qu’il n’y ait personne de connu, que gérer plusieurs iden-
tités à la fois est toujours acrobatique.
Cliquant une deuxième fois, elle fait apparaître une deuxième
fenêtre identique, la positionne de l’autre côté de l’écran et saisit l’iden-
tité de son double : Milalove, puis le mot de passe. Là il y aura du
passage, elle le sait, puisqu’elle est visible par tous les connectés, y
compris de parfaits inconnus, qui ne connaissent d’elle qu’une liste de
centres d’intérêt préétablie, sur laquelle elle a coché la rubrique « parte-
naires ». Elle a immédiatement un message, une fenêtre s’ouvre, puis un
deuxième onglet ; en trente secondes elle est assaillie. Le premier inter-
locuteur se comporte en habitué, il devait être là les jours précédents,
elle répond à son bonjour, supputant déjà, à l’affichage, que ce mot-là
serait le seul mot propre de la conversation qui allait s’ensuivre. La
déferlante démarre, missives en direct, clignotements d’écran, deman-
des de conversations audio et vidéo – qu’elle refuse systématiquement.
D’une seconde sur l’autre, les messages tombent en rafales, ne lui lais-
sant pas le temps de respirer, tous les mêmes, tant par leur dactylogra-
phie incertaine que par le contenu de leurs textes, phrases amputées,
verbes et sujets aux appariements incertains, mots réduits à leur plus
simple expression, tronqués, mutilés, accents occultés, espaces
manquants, lettres pilonnées au clavier, clignotements de la machine tel
un halètement silencieux. Elle répond du tac au tac, cliquant d’un
onglet sur l’autre, n’utilisant parfois qu’un signe de ponctuation, un
point d’interrogation ou d’exclamation tapé au hasard, comptant sur
l’interlocuteur pour lui trouver un sens – ou ne pas s’y arrêter. Que leur
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Troncatures
importe ce qu’elle peut avoir à leur dire, en réalité ? Ils ne voient d’elle
qu’une photo aguicheuse qui ne la représente même pas et le clignote-
ment du message qu’elle renvoie, cliquant dès réception, sourds et aveu-
gles à ce qui n’est pas la nécessité de l’instant.
Comme les soirs précédents, elle en repère un dans la masse, un
nouveau, pour autant qu’elle soit capable de s’en souvenir, qui fait
quelques efforts d’écriture et de prise de contact. Elle répond alors un
peu plus sérieusement, semblant se laisser faire la cour, puis, après une
ou deux questions tests qui ne donnent pas les réponses escomptées, lui
demande brusquement ce qui le rend si certain du sommeil de sa
femme et s’il est bien sûr qu’elle est toujours dans la pièce d’à côté.
Comme elle s’y attendait, la fenêtre se ferme brutalement, sans qu’elle
sache si l’interlocuteur est déçu ou s’il redoute soudain d’avoir été iden-
tifié et piégé. Un de moins. Quand elle en a assez, elle fait un copier-
coller de sa phrase et l’adresse à quelques autres, qui interrompent
aussitôt le dialogue. Deux d’entre eux la traitent d’allumeuse, un
troisième de lesbienne, elle ferme les fenêtres, cliquant méthodique-
ment sur les croix une par une, puis se déconnecte en constatant qu’elle
ne vient pas à bout de quelques irréductibles dont la frappe indigente
la laisse désespérément froide, pour répétée qu’elle soit.
Terminé.
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Dominique Pascaud
Tourbillons et
friselis
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Tourbillons et friselis
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Tourbillons et friselis
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d’interpréter tes paroles. Reste caché. Reste dans l’ombre. La soirée t’at-
tend sereine, plus loin.
Tu sens un souffle bref, un bruit furtif de tissu, une masse
sombre pénétrer ton champ de vision puis le dos d’une main qui vient
s’écraser violemment sur ta joue. Une claque expédiée par le dernier de
la bande, à la fois ferme et nonchalante, qui atterrit parfaitement sur la
moitié de ton visage. Un geste brutal et détaché. Une torgnole de
maître d’école punissant sans prévenir un innocent. Un geste précis et
sûr. Du bourreau vers sa victime, sans appel. Gratuit, brusque et
implacable. Tu n’as rien vu venir. Tu poses ta main sur ta peau qui
chauffe instantanément. Personne ne s’arrête, ni eux, ni vous. Tout le
monde poursuit son chemin. Ton pote est à deux mètres de toi. Tu sais
ce qui vient de se passer mais sans vraiment l’évaluer. Tu ne te retournes
pas. Peut-être continueraient-ils à vous emmerder, il ne vaut mieux pas
les défier. Ce type d’événement te fait croire à une fatalité. Cela devait
être ainsi.
Ton pote ralentit. Il demande ce qu’il y a, voyant tes sourcils bas
et ta main toujours posée sur la joue. « Un des types m’a filé une
claque. » C’était plus violent qu’une claque car donnée avec le dos de la
main, avec les têtes des métacarpes directement contre ta peau. Mais tu
ne t’es pas fait battre. Il n’y a pas eu de baston. Ni même de coups. Tu
ne souffres pas réellement. Tu ne pourras pas dire : un mec m’a frappé.
C’était juste une claque. Ton copain s’excuse presque de n’avoir rien vu.
Il te demande si ça va. Il a l’air soucieux et contrarié que cela se soit
passé ainsi.
Tu te figes et te retournes finalement. Ils sont loin et ivres. Ils ont
sûrement déjà oublié cette rencontre. Ils ne pensent qu’à la prochaine
altercation. Ils ne sont déjà plus dans cet instant qui t’a figé. Tu ne les
intéresses pas. Pas de castagne avec toi. Pas si tu restes à ta place. Pas si
tu continues ton chemin.
Tu penses que tu aurais dû mettre ton manteau plutôt que ton
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Votre pote qui vous attend. La musique. Les garçons et leur bière
à la main. L’odeur de l’alcool et du tabac froid. Les filles. Les regards
fuyants.
François Claude-Félix
La galère de l’infini
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La galère de l’infini
devenaient longs et plus ils chassaient toute autre image – même cet
infini horizon liquide qui miroitait aux rayons du couchant.
Bientôt le nom des nombres allait lui manquer. Personne n’était
allé au-delà de mille milliers. Aucun troupeau n’avait jamais compté
autant de têtes. Comment franchirait-il cette limite ? Comme la
cadence ralentissait, il pouvait imaginer des solutions. Car s’il inter-
rompait son compte, qu’adviendrait-il de son esprit ? Il était vide de
toute sensation, de tout souvenir autre que cette énumération immé-
moriale ; et si son esclavage ne finissait jamais, les nombres l’accompa-
gneraient-ils jusqu’au bout de sa vie ?
Le rythme diminuait de plus en plus, en même temps que se
rapprochait le nombre fatidique. Le vent s’était levé et forcissait. La
galère roulait d’un flanc sur l’autre ; on avait hissé une voile qui
secourait à peine l’équipage, tant le bâtiment était lourd du butin
arraché aux nefs génoises ou catalanes assaillies depuis son départ de
Tunis. La carène arrondie embarquait des paquets de mer qui balayaient
la chiourme et rinçaient les ponts des immondices accumulés par les
deux cents hommes enchaînés aux bancs. Une odeur de sel neuf et
d’iode remplaçait la puanteur du temps calme que l’on venait de
traverser. Dans cet air vivifié, les nombres de Juste se dispersaient
rageusement et se perdaient dans le fracas des giclées d’eau tiède.
Les yeux brûlants, il se préparait à l’échéance. Avant la nuit, il
faudrait l’affronter. Dix centaines de mille – et ensuite ? Une vague
déferla à ses pieds. L’aviron était devenu plus léger. Juste ne comprit pas
qu’il s’était brisé au ras de la coque. La galère gîtait. Le compte s’était
interrompu. Les hommes luttaient pour se détacher du banc. Les fouets
tournoyaient, tentant de maintenir la cadence de ceux dont les rames
étaient encore utiles. Les voiles étaient déchirées. Des lambeaux de tissu
et des espars encombraient le pont, étouffant les hommes.
Une lumière balaya le ciel, encore lointaine, trouvant son chemin
au travers de trouées que ménageaient les nuages. Le phare
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La galère de l’infini
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Guillaume Siaudeau
Lapin de garenne
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Ludovic Maubreuil
Scéno-dysgraphie
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Scéno-dysgraphie
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Scéno-dysgraphie
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pas égaux, elle n’en perdait pas moins l’équilibre, surtout lorsque sous
les coups de butoir du chien, la cloison sur sa droite se gondolait
soudain.
Sonia Volto !
Le mégaphone se faisait à présent séducteur, la voix cassée qui
flatte puis implore, riche d’attendrissantes variations mélodiques.
Chaque nouvelle main tendue, aux doigts cuivrés et aux ongles limés
court, était un leurre qu’il lui fallait saisir quand même, ne serait-ce que
pour s’en effrayer ensuite. Tout comme le miel insistant à l’intérieur des
joues et le parfum caramélisé à chaque croisement de couloirs, ces
sensations la troublaient malgré la certitude de leur absence, souvenirs
intenses de moments jamais vécus, qui lui donnaient à bon compte du
panache et de la mélancolie.
(…)
Entre deux nausées, Sonia Volto découvrit au fond de sa poche
cinq cachets supplémentaires, enfouis dans un mouchoir. Radieuse à
présent, elle choisit d’ouvrir une porte vitrée qui donnait sur le terrain
vague alentour, espérant chasser le chien enragé ou tout au moins s’as-
surer de sa réelle présence. Elle se sentait prête. Prête à menacer, à s’em-
porter sans mesure. Un animal porteur d’une telle violence méritait
qu’on lui apprenne l’autorité ! Combien d’enfants et de vieillards
devaient donc mourir sous les dents de semblables bêtes avant qu’enfin
l’humanité ne réagisse ! Le chien est un traître potentiel qui n’attend
que votre faiblesse pour vous faire sentir combien sa sauvagerie se porte
bien !
Violence ! Mérites !
Autorité des traîtres, violence des chiens !
Les vieillards et les enfants.
Sous les dents…
En dépit de ses efforts, la porte ne s’ouvrait pas. Ce n’est
qu’après qu’elle réalisa qu’elle était condamnée. Juste derrière, l’animal
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Denis Sigur
La file d’attente
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La file d’attente
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La file d’attente
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aussi nus que l’Enfant Jésus, à passer des tests devant des médecins pour
savoir lesquels d’entre nous seraient pris dans l’équipe. Tu t’en souviens,
Marek ? Marek le Grand qu’on t’appelait ! Deux buts par match en
moyenne, un pied droit magique pour un sacré bon sang d’avant-centre,
pas vrai ?
Marek jeta un regard inquiet autour de lui avant de se retourner
vers son compagnon. Un instant, ils se dévisagèrent, retrouvant en
l’autre les traits de l’adolescent qu’ils avaient été.
– C’est bien loin tout ça, dit Marek.
– Moi, je m’en souviens comme si c’était hier ! s’exclama Albert.
– C’est loin je te dis, répondit son ami en désignant sa jambe.
Albert découvrit une longue cicatrice brune qui suivait la ligne
du tibia, de la cheville jusqu’au genou.
– Un accident, il y a quinze ans, dit-il comme pour s’excuser.
Depuis, je boite, souffla-t-il avant de se retourner.
La colonne avança d’un pas. Quelque part, sur la gauche, le chien
se mit à aboyer férocement.
– Tais-toi maintenant, dit la nuque de taureau au croissant de
lune. Ce n’est pas le moment de s’attendrir sur le passé.
Albert entendit son voisin de droite pleurnicher sur son ventre
rond et fripé. Le vieux, entre deux sanglots, psalmodiait sans cesse la
même phrase : « J’ai été un petit enfant… J’ai été un petit enfant… »
Albert fut tenté de lui poser la main sur l’épaule et de le récon-
forter. Il faillit dire : « Mais tu l’es encore mon ami. Cet enfant est
toujours là, bien vivant… »
À l’autre bout de la rangée, le chien et son maître se remirent à
aboyer. Albert renonça à venir en aide au vieil homme. Il n’avait pas
assez d’énergie pour deux. Ici, chacun devait puiser ses forces au plus
profond de ses entrailles. Albert retourna à ses souvenirs, abandonnant
le vieux à sa mélopée.
– Hé, Marek ! Au Racing aussi, j’étais derrière toi ; je veux dire
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La file d’attente
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La file d’attente
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mathématique qui n’avait rien à voir aves les aptitudes physiques réelles
de ceux qu’il avait en face de lui… Moi, je ne voulais pas faire mon
service. J’étais amoureux ; je ne voulais pas quitter ma fiancée… Elle
s’appelait Rosa…
– Et ? questionna David, alors qu’Albert marquait une pause.
– J’avais calculé que Marek était numéro quatre. J’étais donc le
numéro un de la nouvelle série. Marek serait réformé et moi je devrais
quitter ma Rosa…
Le vent avait brusquement changé de direction, rabattant sur la
cour l’odeur âcre crachée par la cheminée. Ils toussèrent à l’unisson. Sur
ordre, le premier rang se disloqua. Ils avancèrent d’un pas. Plus que
quelques mètres, et ils se retrouveraient devant les sélectionneurs.
Albert reprit son histoire. Les paroles affluaient maintenant au
rythme de son cœur qui s’emballait.
– Je regardais la lune dessinée sur le cou de Marek et, encore une
fois, j’ai prié très fort pour qu’elle exauce mes vœux…
– Tu as été réformé ? demanda David, tournant légèrement la
tête en direction d’Albert.
– Quand je suis arrivé devant le médecin, dit Marek à voix basse,
reprenant le récit à son compte, il s’est aperçu que j’avais oublié de
remplir mon flacon d’urine. Il m’a fait quitter les rangs pour me
renvoyer aux toilettes. Albert venait juste après moi… Il a été réformé
à ma place. On m’a envoyé sur la frontière alsacienne. Nous ne nous
sommes plus revus jusqu’à aujourd’hui…
Il y eut des cris, des coups de sifflet, des aboiements furieux. La
rangée qui les précédait se disloqua brusquement. Certains de ceux qui
la composaient s’en allèrent dans un petit trot grotesque vers les
baraquements de bois, situés sur la gauche de l’esplanade. Les autres
s’acheminèrent en troupeau compact vers le bâtiment de briques et sa
grande cheminée.
Devant eux, à présent, une table, derrière laquelle étaient assis
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Jan Thirion
Le voyage à dos
de caillou
Elle parle dans le creux de ses mains. Elle me décrit sa vie en peu
de mots. Je ne suis pas avec elle dans cet endroit qu’elle doit absolument
quitter. Je n’existe pas pour elle. Je suis à des milliers de kilomètres et je
pense à elle. J’entends son cœur battre. Elle ne se lamente pas. Elle n’est
pas résignée. Puisque les autres partent, elle partira aussi. L’avenir est
ailleurs. Toutes les filles capables de marcher veulent tenter leur chance
et franchir la frontière.
Chez elle, fille signifie domestique, esclave, bête de somme, mais
également objet sexuel, génitrice à la portée toujours malvenue. Cette
vie de chienne des montagnes ne tient pas la comparaison avec le mirage
de l’autre pays colporté par la rumeur. Là-bas, on revit. Les femmes
sont accueillies à bras ouverts. Elles trouvent du travail et sont en
mesure d’envoyer de l’argent à la famille restée ici. Et puis, on peut se
marier et avoir une vie normale, paisible.
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défense. Les proies tombent les unes après les autres, soit sous les balles,
soit dans des filets. Toutes les balles ne sont pas létales. Certaines sont
hypodermiques. Elles endorment sur le coup. Plus tard, les prisonnières
se réveillent entourées de soudards ivres. S’ensuivent les sévices qui
peuvent aller jusqu’au cannibalisme. Aussi étonnant que celui puisse
paraître au troisième millénaire, il y a encore de la chair humaine au
menu des conducteurs de 4x4.
Notre héroïne échappe aux fusils à lunette. Elle parvient à attein-
dre la dernière clôture. La volonté lui donne encore assez d’énergie pour
l’escalader. Une chance, l’endroit n’est pas électrifié et, du mirador, on
ne semble pas vouloir donner l’alerte. De l’autre côté, des policiers qui
s’aperçoivent de son manège viennent l’encourager, même s’ils ne
l’aident pas. Une poutre métallique lui permet de se hisser en se
blessant le moins possible aux pointes des barbelés. Elle sait monter aux
arbres. Les hommes en uniforme l’applaudissent quand elle atterrit sur
le sol de leur pays. Il y a la musique d’une radio pour l’accueillir au
poste. On lui donne une boisson chaude. On la félicite. Elle ne
comprend pas tout. Les sourires qu’on lui décoche lui suffisent.
De chaque côté de la frontière, les hommes se ressemblent. La
porte se referme.
Je vais à la ligne pour signifier que le temps passe et que je n’ai
pas envie de décrire la suite. Aucune des autres filles, ayant réussi à
franchir la frontière comme notre héroïne, ne survivra plus de quelques
jours. La police a le droit de vie et de mort sur les immigrés. Elle abuse
de son pouvoir comme n’importe quelle bande armée.
Notre amie inconnue, notre héroïne fictive a fui la mort lente
chez elle pour aller mourir plus rapidement ailleurs. Grâce à elle, j’ai ce
texte qui n’a de valeur que par le bref destin que je lui ai imaginé.
Imaginé ? Plus ou moins, parce qu’il n’arrête pas de se passer des choses
semblables dans le monde. Cette courte nouvelle est son tombeau. Il est
vide forcément. Écrire est un prétexte. Raconter soulage, mais savoir ne
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Sylvain Josserand
Albert
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Je longe ensuite les villas des riches avec leurs pontons privés, je
dépasse les bungalows, puis le camping. Le courant me porte bien au-
delà de cette gargote ouverte l’été, une oasis pour les randonneurs.
« Quatre carottes cinq tomates, pensé-je. Tu dois sortir une bouteille
de la cave en rentrant ! » Ça ne va pas recommencer ! À chaque partie
de pêche la même litanie : Quatre carottes cinq tomates, tu dois sortir
une bouteille de la cave en rentrant ! Je me bouche les oreilles. Rien n’y
fait… Sortir l’attirail de pêche, trouver une occupation… Ah oui !
Monter les lignes ! Mettre des appâts aux hameçons, jeter des croûtes
de pain dans l’eau. Lancer les lignes, fixer les cannes à la barque. Et
attendre, attendre… Une famille de colverts s’approche en V de mon
frêle esquif. À quoi ça sert tout cela ? Ils forment une famille eux ! Toi,
qu’est-ce t’es devenu ? Quatre carottes cinq tomates, tu dois sortir une
bouteille de la cave en rentrant ! Mais que l’on me fiche la paix ! Je n’en
veux plus de vos carottes et de vos tomates !
– Monsieur Albert ?
– Hum…
– Monsieur Albert ? Monsieur Albert !
– Quoi ?
– Pure visite de routine.
– Pourquoi je suis ici ?
– Ça ne dépend pas de moi.
– De qui alors ?
– Hum, hum…
– Pourquoi je reste là ?
– Je ne sais pas, bonsoir, Monsieur Albert…
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Jean-François Dalle
Pretty Vacant
There’s no point in asking us you’ll get no reply
Oh just remenber a don’t decide
I got no reason it’s all too much
You’ll always find us
Out to lunch !
C’est Théo qui avait appelé pour l’annonce. Gloria, collée à lui,
pressait l’écouteur sous ses cheveux de geai pour surtout ne rien perdre
de ce que disait cette vieille. Ça leur avait paru tentant, à tous les deux,
d’acheter cet atelier de la rue Ordener. Toulouse-Lautrec y avait peint.
À moins que ce ne fût Marie Laurencin, avait ajouté la propriétaire.
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Enfin, elle en était sûre : c’était soit l’un soit l’autre ! Et de ça, elle était
formelle...
Ils y sont donc allés, rue Ordener, Gloria et lui, pour dépenser
leurs gros sous. La porte s’est ouverte sur un appartement igno-
minieusement coquet, ripoliné avec un zèle sadique et le savoir-faire
d’un compagnon : trois couches merdiques venues des années soixante-
dix, du temps où l’on avait encore un bon goût de chiottes bien triste,
sans pour autant renoncer à l’amour du bel ouvrage ! Trois couches
donc, bien têtues, appliquées pour défier l’éternité. Seule, la verrière qui
n’avait pas eu à souffrir mille restaurations témoignait de la beauté
enfouie de l’atelier tout entier. Il lui incomberait donc de délivrer cette
Atlantide qui, provisoirement, n’était qu’une bonbonnière gerbante.
– Théo, t’as vu l’alcôve ? Juste pour le pieu, la chaîne, la téloche...
Hein ?
Pour les rejoindre sur la mezzanine où elles se tenaient devant
l’alcôve en question, Théo dut emprunter un colimaçon à rampe façon
western : grossier comme du Lapeyre, folklorique comme un saloon.
Il hésita avant d’être courageux. Ces deux femmes partageaient
une connivence religieuse. Gloria et cette vieille se tenaient au bord de
cette « grotte » dans un mimétisme prodigieux. Leurs classes respec-
tives, leurs appartenances sociales, le fossé des générations, tout était
mystérieusement aboli, fondu, distillé dans une essence qu’il pensa être
féminine... Elles l’attendaient, simples et droites comme deux cierges
allumés à la gloire d’on ne sait quoi, attentives à ce qu’il ne vienne pas
tout bousiller. À la fois vacillantes et résolues, elles se dressaient comme
deux gardiennes d’un royaume étrange où, à l’évidence, coffres, tiroirs,
alcôves, vagins, berceaux et autres cavités tenaient une place exorbitante.
C’est à peine s’il osa franchir ce seuil au-delà duquel semblait
frémir quelque chose d’ancestral, voire de reptilien... Théo opta néan-
moins pour un courage en demi-teinte :
– L’alcôve... ça fait crèche. C’est très mignon. Mais y a quand
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Pretty Vacant
Mais plus fort que le caprice de cet achat, Gloria et lui avaient
senti confusément, dès l’appel téléphonique, que cet atelier, qui avait
une histoire, pourrait les relier au destin qu’ils voulaient tous les deux
pour lui, comme si associer le nom de Théo à celui de peintres célèbres
suffirait à relancer ses envies chancelantes de peindre, et qu’ils pussent
ainsi, ensemble, espérer encore s’opposer à la nausée conquérante qui le
dévorait la nuit et commençait à gâcher leurs jours.
Et même si elle venait tard, la Providence, même si elle l’avait
baladé sacrément ces derniers temps, la Providence, ils voulurent, ce
jour-là, presque en douce, forcer le destin et abattre la seule carte qu’ils
pensaient posséder, pas la plus glorieuse, celle d’un pari un peu
honteux, la carte d’accès à la grâce pour lui, payée en francs lourds par
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La rue Ordener fut à eux et deux mois avaient suffi pour tirer un
premier bilan. C’était bon de boire des double express aux terrasses, les
jours de marché, d’écluser des kirs rue Lepic. Autrement, rien. L’atelier ?
Il était sans travail et donc sans odeur : ni de travaux, ni de toiles. Cet
atelier, si pressé d’en découdre, n’était devenu tout compte fait rien
d’autre qu’un dortoir pour elle et une niche pour lui. Bien sûr, ils étaient
encore autorisés à être heureux, faire l’amour à cette femme si belle était
toujours la norme, mais le souffle qu’il attendait, tardant à le soulever,
son esprit n’avait su que dériver sur une mer d’huile...
Pourtant, Dieu sait s’il en avait appelé aux grands rugissants !
Les fracas !... Son souhait le plus cher, ça, les fracas n’est-ce
pas ?!... Tout casser ! Être cassé !... Mahler à tue-tête, Pretty Vacant en
boucle ! Jusqu’à fendiller la Butte entière !
Mais non. La rue Ordener connaissait une paix désarmante. Si
le gros projo s’était bien allumé, il n’avait éclairé qu’un gros poisson
blanc, de ceux qui ont renoncé à la couleur tant ils vivent à l’écart de
tout, déjà loin dans les abysses. L’interrogatoire, fût-il mené sans
concession, n’avait pas abouti : le radium avait brûlé Théo sans le guérir.
Il regardait ses pinceaux bien trop en évidence, son chevalet bien
trop grand, même ici.
– Le cachet ! Le cachet ! se répétait-il pour se crucifier. Putain,
la misère !
Dès l’âge de vingt ans, quelles que fussent ses raisons, Théo avait
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Pretty Vacant
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original dont Théo s’était servi avait dû être arraché d’un porno seven-
ties, franchement teuton dans l’âme avec des couleurs luxuriantes
comme dans Derrick… Il représentait une blonde fermement debout :
cheveux raides et sales, seins petits et tristes, pas de taille.
Son pied posé sur un tabouret, elle montrait une de ses bottes
blanches nacrées. Autrement, elle était nue. Le modèle tenait une ciga-
rette allumée devant les lèvres grises de sa vulve qui, devenant une
bouche, semblait ainsi tirer une bouffée... Une idée faussement extra-
ordinaire en soixante-dix pouvait-elle, même revisitée à d’autres fins,
devenir une image méritant qu’un peintre s’y attarde trente ans plus
tard ? Théo l’avait espéré dans un premier temps.
Il avait choisi de peindre en grand ce modèle de femme sur un
linoléum assez rare, sorte de bouillonnement improbable en 3D de lilas
blancs, de pivoines, de camélias et de roses. La tonalité générale étant
un rose mauve que Théo avait utilisé tel quel pour figurer la peau. Un
simple cerne noir suffisait à faire surgir cette femme du fond. Le
volume des chairs était rendu par plus ou moins d’estompage du cerne.
Personnage et fond étant de même couleur, le tout avait pris des allures
de bas-relief.
Il n’y avait eu que très peu d’écart entre son ambition de départ
et la réalisation qui vivait à présent. C’est à peine si l’effet obtenu ne
dépassait pas son objectif : vulgarité de la mise en œuvre, casting
irréprochable pour cette drôle d’Allemande plus très jeune. Associé à
certains matériaux comme ces vieux sandows sans âge utilisés pour
tendre le lino sur un châssis rouillé à l’os, le montage avait fini par trou-
ver sa place dans cette harmonie crépusculaire qu’il avait hardiment
souhaitée.
Aussi, Théo avait-il là, face à lui, le fruit fidèle de son rêve, un
objet dressé et tragique : cet immense santon porno à côtoyer chaque
jour. S’agissait-il d’un calvaire ? Théo aurait dû le sentir, or il ne sentait
pas la passion qui devait s’y trouver. Si calvaire il y avait, il était de ceux
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Pretty Vacant
Théo sentit une puissante odeur de lessive. Elle lui rappela l’en-
fance. Plus précisément le bonheur de l’enfance. Quand il ouvrit les
yeux, des femmes pliaient des draps, faisaient mille choses à la fois.
Aucune ne perdait de temps. D’ailleurs autour de lui, tout semblait si
précieux…
Malgré ce labeur sans faiblesse, tout ici était ralenti comme si la
glycérine avait chassé l’air. Théo avait l’impression d’être dans une buan-
derie phénoménale. Il regarda encore un instant le travail de ces Noires
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qui portaient toutes une courte cornette dans la lumière brisée des
stores. Ici, le soleil n’était-il pas trop blanc ? La Nouvelle-Orléans,
pensa-t-il... Il referma les yeux.
Il sentit une main lui caresser le front.
– Salut, mon p’tit con...
Théo voulut répondre mais sa bouche ne s’ouvrit même pas. Il
voulut la rassurer d’un geste fort. Son bras ne bougea pas.
Théo voyait que Gloria retenait des pleurs. Elle se mit à lui
caresser le front plus rapidement et de façon plus appuyée.
– C’est rien, calme-toi... Hein ? C’est pas grave. Repose-toi,
maintenant.
Au contraire, ses yeux se firent impérieux.
– Ne t’en fais plus, Théo... Tu as eu un petit acc... Et puis,
merde ! non, Théo, tu n’as pas eu d’accident !
Gloria sortit de l’enveloppe kraft confidentielle une palanquée
de radios. Théo regarda autour de lui. Maintenant il remarquait tous
ces malades qui dormaient en plein jour. Il regarda ce que Gloria lui
tendait en tremblant. Il fut fasciné par la radio de son crâne : il y avait
une immense tâche blanche sur sa tempe outremer. Il voulut lire le laïus,
mais la lecture, elle aussi, bizarrement, lui était interdite.
– C’est toi qu’as fait ça, Théo... Y a un mois. J’étais dans mon
bain et tu t’es tiré une balle dans les chiottes ! Y avait qu’une cloison
entre nous, pourquoi ?! Merde, Théo ! Si les gens comme toi y meurent,
alors c’est trop horrible…
jusqu’à mi-cuisses
s’échappait une diarrhée orange.
Gloria fit comme si de rien n’était.
Pourtant
en un millième de seconde
Théo sut
qu’elle avait vu.
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Danielle Lambert
Roissy-Paris
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Roissy-Paris
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pluie, entre les reflets du ballast, parmi les ombres dansantes des quais.
Un passager parle soudain de cadavre. Il sera le seul. Pour tous les
autres, il s’agira du corps, asexué, indifférencié, entier ou pas, vivant ou
pas. Humain ou pas.
sion mêlées. Analyse non pas froide mais distante. Incroyable et incer-
taine banalité de Paris.
Bernardo Toro
Luz
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où, en rentrant de l’école, elle trouvait une nouvelle lettre sur le vide-
poche, elle courait s’enfermer dans sa chambre et ouvrait le tiroir.
L’ancienne lettre était toujours là, lisse, épaisse et un peu grasse, elle
hésitait à la cueillir. Elle prenait un coupe-papier, des ciseaux, une
règle, et finissait par demander de l’aide à sa mère. De retour dans sa
chambre, elle parcourait la lettre rapidement, rangeait la nouvelle à sa
place et fermait à clef le tiroir. De cette manière, il y avait toujours une
lettre de son père qui l’attendait dans sa commode.
Mais ce jour-là, il y en avait deux.
– Et s’il m’apporte quelque chose ?
– Antonio ne peut pas t’apporter un cadeau à chaque fois qu’il
vient me voir.
Luz fit glisser son assiette et tendit le couteau à sa mère.
– Je voudrais juste lui dire bonsoir.
– Ce soir, on dîne entre adultes.
– Mais regarde, il fait encore jour !
La nuit n’était pas encore tombée, mais la mer avait pris une
teinte grasse et le ciel s’était mis à bleuir. Le silence était devenu plus
profond, comme si la sonnerie avait aspiré les bruits de la ville pour les
relâcher au moment où le dentiste appuierait sur le bouton. Elle se
lèverait d’un bon et pendant un instant tout serait à nouveau possible :
courir vers le portail, le remercier du cadeau, ajouter un couvert. Prises
de vitesse, les contraintes qui comprimaient sa vie s’assoupliraient.
Être la fille de sa mère ne serait plus une obligation, mais un rôle dont
elle s’acquitterait avec brio. Mais son élan se heurta au silence de sa
mère qui semblait perdue dans ses pensées.
Elle ne pouvait plus continuer à se cacher derrière sa fille. Ce
soir, elle lui avait promis une réponse et elle allait la lui donner.
Seulement elle ne savait pas laquelle. Dès qu’elle semblait tenir sa
réponse, son esprit se dressait pour lui opposer mille arguments. Elle
n’avait pas envie de les entendre. Elle préférait tout concéder en bloc.
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Luz
Mais tout de même, c’était pour sa fille et pas contre elle qu’elle allait
prendre une décision. Luz était encore trop jeune pour comprendre.
Elle lui tendit la pomme qu’elle avait fini d’éplucher.
– Je t’ai déjà dit que je n’ai plus faim.
– Et moi, je t’ai déjà dit que je voulais que tu montes te
coucher !
Ce soir-là, Luz ne se lava pas les dents, ne récita pas ses prières,
ne lut pas la lettre de son père. Quand la sonnerie retentit, elle était
déjà couchée, les bras en croix, le nez tourné vers le plafond, cherchant
en vain à se vider d’elle-même : clefs, devoirs, contrôles. Soudain une
voiture flanquée de deux ailes se posa, telle une mouche, au milieu de
sa pensée. C’était une chose vraiment incompréhensible, un obstacle
qui l’empêchait d’avancer. Elle releva la tête et tendit l’oreille à la
recherche d’une solution. Des choses inconcevables sous la lumière
redevenaient possibles dès la nuit tombée. Un matin, en ouvrant les
volets, elle avait retrouvé la plage infectée d’algues. Personne n’avait
l’air de savoir quel combat ou festin ou maladie avait poussé la mer à
vomir ses entrailles. Elle glissa sa main sous oreiller et attrapa la clef
du tiroir.
Bien sûr, le dentiste était déjà là, en train de boire son whisky
sur la terrasse. Il avait profité d’un léger assoupissement pour glisser
sa Renault sous les sapins. Elle ausculta à nouveau le silence. Aucune
parole, pas même le murmure des vagues. Mais soudain, derrière sa
tête, un coup sec, comme un drapeau qui claque dans le vent. De tous
les côtés surgissaient des drapeaux, ils retentissaient les uns après les
autres comme des coups de fusil dans le noir. C’est alors que le
dentiste lâcha le bouton de la sonnette et que deux coups brefs, vifs,
éclatants vinrent éclairer la chambre comme un phare. Pour Luz, ce fut
un soulagement. Encore un, reconnut-elle, en songeant à la nuit où elle
avait failli mourir. Il lui avait demandé de ne pas regarder la seringue,
de penser à son chat, elle avait bien un chat. Ça y est, c’était fini,
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l’aiguille n’avait pas quitté sa gencive qu’elle n’avait déjà plus mal.
Elle attrapa la clef sous l’oreiller, alluma la lampe et se leva si
vite que le sol tangua sous ses pieds. Elle tourna doucement la clef
dans la serrure et ouvrit le tiroir. Les lettres étaient là dans une boîte à
chaussures.
Elle prit la première lettre sur le tas, c’est-à-dire la plus récente,
et referma à clef le tiroir. Les pneus de la voiture crissèrent sur le
gravier. Elle alluma la lampe du bureau et approcha l’enveloppe. Son
nom tapé à la machine, deux ailes déployées, l’emblème de l’armée de
l’air, un tampon mauve frappé en biais, SANTIAGO. Quel âge
pouvait-elle avoir ? Elle jouait dans sa chambre, quand elle avait
entendu des cris. Ses parents se disputaient dans le salon. Parfois sa
présence servait à les calmer, mais à d’autres moments, on lui criait
sèchement de remonter dans sa chambre et de ne plus ressortir. Elle ne
savait pas quel parti prendre, mais descendit quand même quelques
marches.
Luz ne comprenait pas les raisons de ces disputes, mais perce-
vait, aux inflexions de la voix, les menaces, la douleur, la colère et
l’instant où les mots ne suffisaient plus. Sa mère éclatait en sanglots et
son père partait en claquant la porte. Ce fut encore le cas ce matin-là,
la mère éclata en sanglots et le père se retourna pour partir. L’instant
d’après, la femme prit l’un des bougeoirs de la table basse et se jeta sur
son mari en criant. Luz poussa un cri plus animal qu’humain. Ses
parents levèrent les yeux aussitôt. Elle voulut remonter, mais c’était
trop tard. « Mais qu’est-ce que tu fais là, Luz ? » C’était sa mère, cette
même femme qui ce soir ouvrait la porte de sa maison à un homme
qu’elle connaissait depuis seulement quatre mois. N’était-ce pas trop
précipité ? Probablement, mais jusqu’à présent son intuition ne lui
avait jamais fait défaut. Antonio avait un bon fond et adorait sa fille.
Il aurait pu être un très bon ami, une personne sur laquelle on pouvait
toujours compter. Mais il ne s’agissait plus d’amitié. La portière de sa
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Luz
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Luz
était revenu avec un immense seau de pop-corn qu’ils avaient vidé dans
un parking en écoutant des milongas. Il fallait oublier tout de suite les
pop-corn, si elle voulait retenir ses larmes. Elle éprouvait un sentiment
nouveau, celui du secret, de la duplicité, de la « vie intérieure ».
Grandir était bâtir un mur autour de soi. Elle ne pouvait pas décevoir
son père, surtout après la journée qu’il venait de lui offrir. Jamais il ne
lui avait accordé autant de temps, jamais elle ne l’avait senti aussi
proche, et c’était précisément pour préserver cette intimité qu’il lui
fallait cacher sa gratitude.
Ils passèrent la nuit dans cet hôtel tout en carrelages et glaces et,
pour la première fois de sa vie, Luz prit l’ascenseur. Le lendemain, ils
reprirent la route de bonne heure. Fidèle à la règle qu’on lui avait
apprise, Luz ne posa aucune question et regarda, d’abord intriguée,
puis de plus en plus lasse, les forêts de sapins se succéder pendant des
kilomètres. Au bout d’une très longue descente, ils débouchèrent sur
un grand terrain plat entouré de grilles. Son père fit un signe au garde
et la barrière se leva. Luz ne fut pas surprise de voir un groupe
d’hommes en uniforme mettre la main sur la tempe et faire claquer les
talons. Elle trouva tout aussi naturel de voir une enfilade d’avions à la
queue étoilée sur une piste d’atterrissage. En revanche, quand son père
ressortit de la cabane de la FACH avec un casque dans chaque main,
un frisson lui parcourut le dos.
Elle ferait mieux d’aller se coucher. Le passé n’était jamais fini,
il se recomposait sans cesse sous ses yeux distribuant son lot d’espoirs
et de déceptions. Elle tourna légèrement la tête et regarda la succes-
sion de profils alignés comme des cartes à jouer. C’était elle, Luz Arce,
multipliée à l’infini, mais toujours la même. Pourquoi sa mère ne
pouvait pas en faire autant ?
« C’est le plus petit casque que j’ai pu trouver, ma puce. J’espère
qu’il fera l’affaire. »
Le métal de la carlingue ronronnait sous leurs pieds. Un
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Luz
suppliant de ne pas s’en aller, parce qu’une mère n’est rien sans sa fille.
Elle ferma les battants de l’armoire à pharmacie. Depuis
quelque temps, quand elle se regardait dans la glace, elle se demandait
quel rapport il y avait entre elle et son visage. Dans la rue, parfois, elle
trouvait étrange que les voisins la reconnaissent. Et elle songeait à la
manière dont elle pourrait en parler à sa mère. « C’est totalement
absurde, Luz ! Je n’ai jamais entendu quelque chose d’aussi farfelu ! »
Elle n’avait su trouver les mots qu’il fallait. Ou alors elle était trop
intelligente. Il n’empêche, elle passait trop de temps devant la glace.
Soit à diriger son armée de sosies, soit à essayer de comprendre
pourquoi son visage ne lui ressemblait pas vraiment. Dans la rue elle
scrutait les passants, dans le bus elle observait les passagers. Luz était
une orpheline, à la recherche de son visage. Elle se souvenait l’avoir vu
un matin, son vrai visage, pas le masque qu’elle portait tous les jours,
flottant sur la porte vitrée de la cantine où à dix heures elle prenait un
verre de lait.
Elle retourna dans sa chambre sûre d’avoir oublié quelque
chose. Tout à l’heure elle avait oublié les sandales et maintenant elle
avait un peu mal à la gorge. Elle se recoucha et adopta sa position
habituelle, les bras en croix, le nez tourné vers le plafond. Sa clef ? Où
était sa clef ? Un filet de lumière s’allongea au pied du mur, la porte
poussa un cri aigre de mouette. Sa mère apparut soudain en ombre
portée sur la fente du couloir.
– Ma petite souris fait toujours semblant de dormir ?
Elle alluma, s’approcha du lit et posa un baiser sur le front de
sa fille. Dans ses yeux, pâles comme ces fleurs que les papillons visi-
tent au crépuscule, l’ennui, l’impatience, le désir de redescendre au plus
vite.
– Il est là ?
– Oui, il vient d’arriver.
– Et alors ?
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– Alors rien.
– Et pourquoi tu es montée ?
– Pour voir si tout allait bien.
Luz se tourna vers le mur et ferma les yeux. Le craquement du
sommier lui rappela le bruit insupportable des glaçons dans le whisky.
« Juste un doigt, Clara. N’oubliez pas que je conduis ! » Malgré son
discernement, Luz confondait souvent mémoire et imagination. Aussi,
quand elle imaginait le dentiste, assis devant la baie vitrée, en train de
faire tourner les glaçons. « Quelle belle vue, vous avez là, Clara ! Et si
nous allions finir notre boisson sur la terrasse ? » Elle ne faisait que se
rappeler la scène qu’elle avait vécue la première fois, quand le dentiste
était venue la voir, elle, sa « plus jolie patiente ». Ils s’étaient assis sur
les chaises longues et étaient restés un long moment en silence à
contempler la digue et les lampadaires du Paseo. Luz serrait la boîte
de chocolats contre sa poitrine et pensait à la peine qu’elle était en
train de faire à son père.
« Quelquefois, quand le temps se gâte et que terre et ciel se
confondent dans une même crasse, on est soulagé d’apercevoir les
lumières de quelque village. On met le cap sur elles, rassuré d’avoir
trouvé une brèche dans l’orage. Au bout d’un moment, on s’aperçoit
qu’on poursuit des étoiles ! »
Autrefois mère et fille s’asseyaient côte à côte sur la terrasse à
penser au même homme et à contempler le même ciel. « Quel gâchis
tout de même que cette lune ! se lamentait la mère. Je suis sûre qu’à
Santiago le ciel est plombé ! »
– Tu veux que je te laisse la lumière ?
La mère déposa un dernier baiser sur le front de sa fille et
éteignit la lumière. Elle était déjà dans le couloir quand sa fille l’ap-
pela.
– Quoi, ma fille ?
– Maman ?
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Luz
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Luz
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Elle lui avait encore dit ce matin : ses seringues ou les klaxons,
il n’y a d’autre solution.
Et elle se demandait qui elle allait bien pouvoir appeler à
l’avenir, quand elle serait seule avec la mort.
Et peut-être bien qu’elle viendrait. Mêmes yeux, mêmes mots,
mais une autre odeur mêlée à la sienne.
« Tu as toujours mal, ma puce ?
– Tu ne les vois pas ? »
– Quoi ma fille ? »
Les aiguilles accrochées de branche en branche ou alors un
appartement minuscule où à la place des mouettes on entendrait les
pigeons.
Combien de gens dans la même personne ?
Sa mère, en gants et cheveux relevés, au bras d’un homme plus
âgé. Sa mère, un foulard gris autour du cou, dans la salle d’attente du
dentiste. Sa mère à genoux au pied de l’escalier la suppliant de ne pas
l’abandonner, car une mère n’est rien sans sa fille.
Luz sortit la tête de sous l’oreiller et cria : « Jamais ! » Mais sa
mère ne pouvait plus l’entendre, elle et son hôte étaient rentrés dans le
salon pour dîner.
Luz lâcha la clef et tenta de se relever, mais ses bras n’obéis-
saient plus à ses ordres. Elle chercha d’instinct un appui, une arête, un
coude qui puisse la soutenir ou du moins l’empêcher de se répandre,
mais il n’y avait rien, juste l’explosion de son cœur et le reflux de la
sueur. Ses yeux le supplient, mais le dentiste ne veut rien entendre. Ce
n’est pas de sa faute, ce sont les murs qui hurlent et les lumières du
paseo qui aspirent son front et soulèvent la marée de son ventre, alors
que aplatie sur le lit, elle entend les semelles du dentiste monter
marche après marche et glisser le long du couloir. « Maman, cria-t-elle,
je ne veux pas qu’il entre ! Maman, je ne veux pas qu’il me pique !
Maman, s’il te plaît, je n’ai plus assez de clefs ! »
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Repères
bibliographiques
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{ L E S Pe t i t s ma ti ns}
Revue de création littéraire
11, allée Francis-Lemarque
94100, Saint-Maur-des-Fossés
ruesaintambroise@gmail.com
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Directeur de la publication
Bernardo Toro
Comité de lecture
Marianne Brunschwig, Françoise Cohen, Luc-Michel Fouassier,
Élisabeth Lesne et Bernardo Toro
Maquette
Lpm d’après Labomatic
Achevé d’imprimer
par TREFLE Communication, Paris
en novembre 2010
N° d’impression : 7731
dépôt légal : novembre 2010
Imprimé en France