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Victor HUGO (1802-1885)

Amour secret
toi d'o me vient ma pense, Sois fire devant le Seigneur ! Relve ta tte abaisse, toi d'o me vient mon bonheur ! Quand je traverse cette lieue Qui nous spare, au sein des nuits, Ta patrie toile et bleue Rayonne mes yeux blouis. C'est l'heure o cent lampes en flammes Brillent aux clestes plafonds ; L'heure o les astres et les mes changent des regards profonds. Je sonde alors ta destine, Je songe toi, qui viens des cieux, A toi, grande me emprisonne, A toi, grand coeur mystrieux ! Noble femme, reine asservie, Je rve ce sort envieux Qui met tant d'ombre dans ta vie, Tant de lumire dans tes yeux Moi, je te connais tout entire Et je te contemple genoux ; Mais autour de tant de lumire Pourquoi tant d'ombre, sort jaloux ? Dieu lui donna tout, hors l'aumne Qu'il fait tous dans sa bont ; Le ciel qui lui devait un trne Lui refusa la libert. Oui, ton aile, que le bocage, Que l'air joyeux rclame en vain, Se brise aux barreaux d'une cage, Pauvre grande me, oiseau divin ! Bel ange, un joug te tient captive, Cent prjugs sont ta prison, Et ton attitude pensive, Hlas, attriste ta maison. Tu te sens prise par le monde Qui t'pie, injuste et mauvais. Dans ton amertume profonde Souvent tu dis : si je pouvais ! Mais l'amour en secret te donne Ce qu'il a de pur et de beau, Et son invisible couronne, Et son invisible flambeau ! Flambeau qui se cache l'envie, Qui luit, splendide et clandestin, Et qui n'claire de la vie Que l'intrieur du destin. L'amour te donne, douce femme, Ces plaisirs o rien n'est amer, Et ces regards o toute l'me Apparat dans un seul clair, Et le sourire, et la caresse, L'entretien furtif et charmant, Et la mlancolique ivresse D'un ineffable panchement, Et les traits chris d'un visage, Ombre qu'on aime et qui vous suit, Qu'on voit le jour dans le nuage, Qu'on voit dans le rve la nuit, Et les extases solitaires, Quand tous deux nous nous asseyons Sous les rameaux pleins de mystres Au fond des bois pleins de rayons ; Purs transports que la foule ignore, Et qui font qu'on a d'heureux jours Tant qu'on peut esprer encore Ce dont on se souvient toujours. Va, sche ton bel oeil qui pleure, Ton sort n'est pas dshrit. Ta part est encor la meilleure, Ne te plains pas, ma beaut ! Ce qui manque est bien peu de chose Quand on est au printemps vermeil, Et quand on vit comme la rose De parfums, d'ombre et de soleil. Laisse donc, ma douce muse, Sans le regretter un seul jour, Ce que le destin te refuse Pour ce que te donne l'amour !

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