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La chute des cours du nickel intervient brutalement en 1972, suivie par le choc
pétrolier de 1973. Le territoire plonge dans la crise. La violence des événements
des années 1980 masque un temps les enjeux économiques, mais ceux-ci sont
vite replacés au centre du débat lors de la signature des accords de Matignon,
dont le rééquilibrage entre les trois provinces (Sud, Nord et Îles) constitue la
pièce maîtresse.
On compte actuellement sept sociétés minières en Calédonie, dont les deux plus
importantes sont la SLN (filiale de la société Eramet, cf. notes n°s 6 et 7) et la Société des
Mines du Sud Pacifique (SMSP), entreprise à capitaux publics, contrôlée par la Province
Nord. L’histoire récente du nickel calédonien s’est en fait déroulée en trois actes. En
1990, on assiste à la création de la Société de Financement et d’Investissement de la Province
Nord, la SOFINOR, dont l’objectif est l’acquisition de la SMSP, qui appartenait
jusqu’alors au groupe Lafleur4. Cela devait permettre d’élever le patrimoine minier au
rang de bien commun appartenant à la collectivité. En moins de cinq ans la SMSP
devient le premier exportateur calédonien de minerai de nickel. L’importance du
nickel dans les affaires calédoniennes est confirmée lors de la signature, le 1er février
1998, de l’accord de Bercy, préalable indispensable à la conclusion, trois mois plus
tard, de l’accord de Nouméa5. À Bercy, l’État français, le Territoire de la Nouvelle-
Calédonie, Eramet6 et sa filiale la SLN7 fixent les modalités de l’échange des massifs du
4
Après plus d'une année de négociations, la SOFINOR acquiert 85 % de la Société Minière
du Sud Pacifique moyennant 15 millions d’euros. La SMSP a pour principale activité un
contrat de tâcheronnage, pour la SLN, sur les sites de Ouazenghou et Taom. Elle n'a pas de
domaine minier en propre.
5
L'accord de Nouméa, signé le 5 mai 1998 par le Premier ministre français et les responsables
politiques calédoniens, repousse de 15 ou 20 ans le référendum d’autodétermination, inscrit
dans les accords de Matignon de 1988 et prévoit, de façon irréversible, d'importants
transferts de compétences de l'Etat français à la Nouvelle-Calédonie. Dans la continuité des
accords de Matignon, l’accord de Nouméa vise un rééquilibrage économique entre les
provinces de la Nouvelle-Calédonie.
6
Eramet est une société multinationale minière et métallurgique (basée à Paris). Elle emploie
plus de 13 000 salariés et dispose de très nombreux sites industriels en Amérique, en
Europe, en Afrique et en Asie. Outre la SLN, Eramet est propriétaire de l’usine du Havre-
Sandouville qui retraite le minerai produit par la SLN pour obtenir du nickel pur. Depuis
juillet 2000, le territoire de la Nouvelle-Calédonie est actionnaire d’Eramet à hauteur de 5%
du capital et de la SLN, à hauteur de 30% du capital.
7
La SLN dispose de sites miniers (Thio, Kouaoua, Népoui-Kopéto, Tiébaghi et Kaala
Gomen) et de l’usine métallurgique de Doniambo (ITSEE, 2000, p. 210) ; ses effectifs sont
de 2 700 personnes, environ.
Depuis quelques années, afin d'attirer l'attention des industriels et de les inciter à
investir en Nouvelle-Calédonie, l’État et le gouvernement calédonien mettent
régulièrement en avant l’accord de Nouméa qui garantit au territoire une stabilité et
une visibilité politique à plus d’une dizaine d’années. En effet, l’accord de Nouméa
repousse à 2015, voire à 2018, les problèmes institutionnels qui bloquaient jusqu’alors
le développement de l’archipel. La période actuelle, avec plusieurs projets
considérables associant des firmes multinationales (FMN), pourrait amorcer une
nouvelle, et forte, hausse de l'exploitation du nickel calédonien.
8
L’attribution du massif du Koniambo à la SMSP est subordonnée à plusieurs conditions:
(i) l’achèvement des études de faisabilité du projet métallurgique, (ii) la décision de
construire l’usine du Nord et (iii) la réalisation, avant le 31 janvier 2007, d’un programme
d’investissements d’un montant minimum de 100 millions $ US.
9
Pour l’État, le coût financier de ce transfert est de 158 millions d’euros auxquels il
convient d’ajouter 152 millions d’euros déjà donnés à la SLN pour compenser l’échange
des massifs.
Le projet du Nord vise une extraction par pyrométallurgie11. Ce projet est le fruit
d'une collaboration entre l'entreprise canadienne Falconbridge12 et la SMSP, qui
ont signé un protocole d'accord en 1996 pour la construction de l'usine13. Il est
prévu une extraction dans le massif de Koniambo, au nord-ouest de la
Calédonie, dont les ressources sont évaluées à 150 millions de tonnes. L'usine
serait installée au pied du massif du Koniambo à Voh14. Ce projet correspond à
10
À ce jour, la société russe Norilsk, une des sociétés d’État russes avec Severonickel et
Yuzhuralnickel (ITSEE, 2000, 218), est le numéro un mondial du nickel, avec une
production annuelle de 223 000 tonnes. Viennent ensuite INCO, avec une production de
146 000 tonnes, Falconbridge, avec une production de 87 000 tonnes, et Eramet avec un
peu moins de 60 000 tonnes.
11
La pyrométallurgie est la technique traditionnelle d'extraction des métaux. Elle se fonde sur
l'obtention de métaux à partir de leurs minerais ou de concentrés de minerais, au moyen de
techniques utilisant le feu.
12
Falconbridge se trouve parmi les plus gros producteurs mondiaux de nickel, cuivre, cobalt et des
métaux du groupe du platine (ITSEE, 2000, 198).
13
La SMSP détient 51% du capital. Elle apporte son domaine minier, son expertise
professionnelle et son implantation locale. Falconbridge détient 49% du capital. Le groupe
canadien apporte une technologie qu’il maîtrise et il se porte garant du financement qui
sera supporté par la future société d’exploitation commune.
14
Pour une présentation plus détaillée de la genèse des projets et de l'historique des sociétés, voir ISEE
(2002).
15
Latérites : minerai de nickel basse teneur (entre 1,5% et 2% de nickel contenu) (ITSEE,
2000, 196). Garniérites : entre 2,2% et 3% de nickel contenu.
16
L’hydrométallurgie recouvre l’ensemble des procédés d’extraction de métaux par mise en
solution (solvant acide ou basique) et par des traitements de lixiviation (lessivage) et
d’électrolyse.
17
Le brevet de ce procédé hydrométallurgique a été vendu à INCO par le Bureau de
Recherches Géologiques et Minières (BRGM) en 1992, en même temps que sa filiale
SOPROMINES (qui devient alors la Compagnie des Mines de Xéré). Le BRGM est un
organisme public français, chargé en particulier, d'effectuer des recherches sur les
techniques d'extractions minières. Il réalise, également, des travaux de cartographie
géologique en France et outre-mer.
INCO est propriétaire à 85% de la Compagnie des Mines de Xéré, 15% restant
détenus par le BRGM de France19. Cette compagnie est une "holding" possédant 69
concessions minières pour le nickel, le cobalt et le chrome. Goro Nickel SA, créée
en Nouvelle-Calédonie en 1992, est une filiale en propriété exclusive de la
compagnie20. Son actif comprend 7 concessions minières et des droits couvrant 5
950 ha, une usine pilote, ainsi que les droits sur les technologies de traitement mises
au point par INCO. Les relations entre les acteurs industriels impliqués dans le
projet d'usine du Sud sont rassemblées sur le schéma 1. Le dernier acteur est la
Province Sud, qui est l’interlocuteur d’INCO au niveau politique et réglementaire.
En juillet 2002, la Province Sud a attribué à INCO un permis de recherche A
(PRA)21 sur le gisement de Prony (contigu à celui de Goro, cf. carte), sans
aucune contrepartie de la part de la FMN22.
Schéma 1
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à l’auteur)
Les traits pleins représentent les participations, les pointillés représentent une simple relation
industrielle (BTH est le maître d’œuvre qui bâtit l’usine).
18
Soit donc un équivalent de 3,2 millions de tonnes de nickel pur.
19
10 % serait promis par INCO au territoire de la Nouvelle-Calédonie, mais cette annonce
n’a pas été formalisée.
20 La société comptait 127 employés en 2002. La construction de l'usine a été confiée à un
consortium international d'ingénierie, BTH, qui groupe les entreprises Bechtel, Technip et
Hatch.
21
C’est un permis qui dure 6 ans, pendant lesquels la firme a l’exclusivité des recherches
menées sur le site.
22
Cette décision a entraîné de vives contestations, et une plainte au pénal pour corruption et
prise illégale d'intérêts a été déposée par L. Ballande, propriétaire du groupe Ballande
(propriétaire de la Société des Mines de Tontouta), qui avait initié un autre projet d’usine à
Prony (Pronico), projet qui s’est vu opposer un refus de permis de recherche par la
Province Sud, le 5 juillet 2002, jour où INCO a obtenu le sien de cette Province.
La staple theory24 est une théorie selon laquelle la croissance économique générale
de certains pays est déterminée par leurs exportations de produits primaires25.
Cette théorie vaut pour les pays dont le marché domestique est limité et dans
lesquels le facteur travail est peu abondant par rapport aux autres facteurs et le
facteur ressources naturelles abondant par rapport aux autres. Ces pays ont alors
un avantage comparatif concernant les biens à forte intensité de ressources
naturelles (les produits primaires). Le pays concerné doit, de fait, se spécialiser
dans les produits primaires, l'exportation de ces produits fixant alors le rythme
de la croissance économique26. Il y a un effet direct sur la croissance (effet égal
à la part des exportations de produits primaires dans le PIB), et un effet
indirect, qui correspond à la diffusion de la croissance du secteur exportateur
aux autres secteurs de l'économie.
23
Nous privilégions le projet le plus avancé. Les effets décrits sont également valables dans
le cas du projet du Nord (avec en outre l'effet de rééquilibrage économique entre les
provinces).
24
Staple signifiant (produits) primaires.
25
La staple theory a été initialement développée par Harold Innis en 1930, pour expliquer
l'histoire économique du Canada.
26
Pour que le secteur exportateur soit un secteur moteur, il faut qu'il soit indépendant des
autres secteurs (dans le cas contraire, il ne peut tirer la croissance des autres secteurs car sa
propre croissance est bridée par sa dépendance vis-à-vis de ces secteurs).
27
Comme le marché domestique est réduit, l’échelle de production initiale est faible. Quand
la production se développe, le coût marginal est inférieur au coût moyen. Cette situation
peut cependant être temporaire, si des investissements de capacité ne sont pas réalisés.
28
C'est "l'étape de maturité", au cours de laquelle le marché domestique prend suffisamment
d'importance, de sorte que l'exportation n'est plus le seul débouché (Sid Ahmed, 1988,
727).
29
L'exploitation des ressources naturelles connaît, à long terme, des rendements
décroissants, de sorte que les profits auront tendance à se réduire (à la manière de la
théorie de la rente des auteurs classiques). Mais surtout, une augmentation continue de
l'offre de produits primaires provoquera obligatoirement une baisse des cours mondiaux.
Une telle baisse entraînera le secteur exportateur dans une crise économique, qui se
transmettra à l'ensemble de l'économie nationale, puisque l'absence de diversification ne
permettra pas à d'autres secteurs de compenser les difficultés rencontrées par les
exportations. Cette situation a été analysée par Watkins, qui lui a donné le nom de staple
trap "(piège du développement par les produits primaires") (Watkins, 1963, 151) ; c'est
une situation qu'ont connue de nombreux pays en développement.
Examinons les effets de liaison présentés supra : (2) effet de liaison aval30, (1)
effet de liaison amont, (3) effet de liaison de la demande finale.
Le deuxième effet de liaison (aval) dépend de la mesure dans laquelle les biens
exportés sont transformables. A priori, plus le bien exporté incorpore de valeur
ajoutée et plus il se prête à un effet aval, puisqu’il sera utilisé dans un processus
de création de valeur ajoutée. Considérant que la totalité de la production de
nickel et dérivés est exportée, il n’existe pas d’industrie locale qui aurait pu être
avantagée par une augmentation de l’extraction minière (puisque aucune
n’utilise le nickel comme bien intermédiaire). Cet effet semble non valide dans
le cas de la Nouvelle-Calédonie. Les deux autres effets sont plus intéressants.
Le premier effet de liaison (amont) est d'autant plus fort que les industries
domestiques sont capables de fournir les biens intermédiaires du secteur
exportateur à un coût compétitif. De fait, il est dans la stratégie officielle de
Goro Nickel et du BTH d'employer un maximum d'entreprises calédoniennes,
sous réserves qu'elles soient compétitives31, ce qui induirait des effets positifs
pour l'économie locale. Parmi les effets induits, deux types peuvent être
distingués.
30
L'ordre est modifié, pour traiter d'abord l'effet le moins plausible.
31
Les entreprises calédoniennes ont l'avantage de connaître parfaitement l'environnement
local ; elles peuvent ainsi bénéficier d'un avantage en terme de compétitivité-qualité, plutôt
qu'en terme de compétitivité-prix.
32
Respectivement transport minier par voies terrestres et maritimes (incluant le chargement et
le déchargement des navires).
Cependant l'effet direct sur l'emploi local devrait être limité, comme en
témoigne l'arrivée massive de main-d'œuvre philippine33. On estime que les
effets durables devraient se traduire, pour le Sud par la création de 1000
emplois directs et de 1700 emplois indirects (CCI-NC34, 2002)35 Pour le Nord,
on avance les chiffre de 800 emplois directs et de 2000 emplois indirects (mais
l'évaluation est plus complexe que pour le Sud, où le projet a déjà débuté).
33
La main-d’œuvre philippine n’est pas, contrairement à la main-d’œuvre locale, représentée par des
syndicats puissants. Le statut de cette main-d'œuvre est dérogatoire au droit du travail (et a fait
l'objet d'une loi du pays, votée le 11 janvier 2002). Les ouvriers Philippins (qui doivent venir pour
des périodes d’un an plus six mois maximum) resteront affiliés à la sécurité sociale de leur pays, le
coût sera alors négligeable pour l'entreprise. Ils seront payés au salaire minimum
calédonien (nettement inférieur au SMIC métropolitain), mais l'entreprise pourra
également déduire tous les avantages accessoires (logement près du chantier, repas,
transports, loisirs). La limite est fixée à moins de deux tiers du salaire minimum. La durée
hebdomadaire de travail sera de 39 heures, et pourra exceptionnellement être portée à 60
heures.
34
Sur le site de la CCI de Nouvelle-Calédonie : http://www.cci.nc/html/cci_info.asp
35
A titre de comparaison, les effectifs des travailleurs sur mines pour toute la Calédonie
étaient à 1740 en 2000.
36
Le Congrès a adopté à l'unanimité, une loi du pays (l’Accord de Nouméa de 1998 a fait
passer la Nouvelle-Calédonie du statut de Territoire d’outre-mer à celui de Pays d’outre-
mer) accordant un régime fiscal privilégié pour les projets portant sur un investissement
supérieur à 50 milliards de francs CFP (420 millions d'euros) et créant au moins 500
emplois. Sont concernés les projets mettant en œuvre des procédés innovants, mais
également ceux implantés dans des zones géographiques dépourvues des infrastructures
nécessaires ou hors bassin d'emploi. Les entreprises minières et métallurgiques sont ainsi
exonérées d'impôts sur les sociétés, de contribution des patentes, de contribution foncière,
de la taxe sur les services (TSS), des droits d'enregistrements et de la taxe hypothécaire.
Ces exonérations valent dès la phase de construction et se prolongent 15 ans pendant la
phase d'exploitation commerciale ; elles peuvent enfin être majorées d'une durée de 5 ans
pendant laquelle les avantages fiscaux sont réduits de moitié. De plus, l’État accorde une
défiscalisation concernant les équipements, qui pour le projet Goro Nickel s’est élevée à
350 millions $ US.
imposée sur ses bénéfices futurs, à hauteur de 35% (cf. infra, conclusion) ; en
conséquence, il est improbable que le projet permette de financer des services
nouveaux pour la population. Pour ces raisons, on peut fortement douter que
l’effet de liaison de la demande finale soit opérant dans le cas des futures
exploitations du nickel calédonien.
L'étude des effets de liaison semble peu favorable à des effets d’entraînement
du nickel sur l'économie calédonienne, à l'exception du second type d’effet et
des possibles effets positifs sur l'emploi. Notons aussi qu'il existe un effet
global (le "syndrome hollandais"), susceptible de bloquer les effets de liaison en
distordant l'économie37.
L'étude des effets attendus de l'usine du Sud laisse augurer d’une situation
favorable pour la FMN, via les exemptions et des effets nuls ou très incertains
pour le territoire. Pourtant la FMN a pris la décision de geler le projet. Pour
éclairer cet apparent paradoxe, nous analysons dans la section suivante les
conséquences, pour la Calédonie et la FMN, de la suspension du projet.
37
Voir Nowak (1998), pour une présentation et une analyse de ce phénomène. Voir Lagadec
et Perret (2000) et Perret (2002) pour ses possibles manifestations en Nouvelle-Calédonie,
que les auteurs considèrent improbables : "les conséquences néfastes du syndrome
pourraient bien ne pas pouvoir se manifester car déjà présentes. L’économie calédonienne
est déjà une économie artificielle, avec un ensemble d’industries non concurrentielles qui
n’existent que grâce à la protection commerciale qui leur est accordée, et qui ne trouvent
des débouchés sur place que grâce au pouvoir d’achat artificiellement soutenu par les
transferts de la métropole et l’indexation de la rémunération des fonctionnaires.
L’économie calédonienne vérifie déjà une structure déséquilibrée, la croissance d’un
secteur ne créerait donc pas ce déséquilibre" (Perret, 2002, 35).
En décembre 2002 le chantier est arrêté et le projet est interrompu. Est alors
mis en avant un dépassement d'environ 45% du budget. Après cette décision,
un redémarrage du chantier est régulièrement annoncé, sans qu'une date précise
soit jamais communiquée. En tout état de cause, INCO conserve les avantages
déjà octroyés et surtout le permis de recherches sur le gisement de Prony.
La suspension du projet a pour effet direct de supprimer les effets positifs sur
l'emploi local de la construction de l'usine. Les problèmes économiques de la
suspension sont à chercher du côté des investissements déjà réalisés par des
entreprises calédoniennes dans l'optique de la réalisation du projet. Ces
investissements (actuellement difficiles à quantifier) deviendront non
amortissables pour les entreprises calédoniennes si le projet est définitivement
stoppé (sinon, il y aura un décalage dans le temps). Le matériel acheté devra,
autant que possible, être réorienté vers d'autres chantiers. L'investissement
public pourrait alors permettre un débouché (se poserait, dès lors, le problème
du financement). Mais, même dans ce cas, persiste le problème des
défiscalisations : les exemptions fiscales ont été accordées à ces investissements
dans le cadre de la mine ; elles pourraient être retirées, et des investissements
initialement rentables risquent de ne plus l'être.
Un autre effet négatif est à considérer. Le projet du Sud prévoit la construction
d'une centrale thermique de 100 mégawatt, en partenariat avec la compagnie
calédonienne d'électricité, puisque la centrale devrait également fournir de
l'énergie au territoire. L'arrêt du projet compromettrait, de fait, la construction
de la centrale.
A long terme, si l'arrêt du projet devait se confirmer le coût ne serait qu’un coût
d'opportunité pour INCO, alors que la Calédonie se trouverait, en quelque
sorte, dans une situation de blocage, liée au PRA accordé à INCO. Ce PRA
permet à la firme de ne pas produire, tout en empêchant un concurrent
d’effectuer des recherches. Le PRA correspond à six ans de permis de
recherche. A l'issue de cette période, INCO devrait obtenir la concession sur le
site. La concession peut être perdue si l'entreprise n'y fait pas de travaux, mais
seulement au terme de 25 ans. Pendant une longue période, la Calédonie perdra
le contrôle des ressources naturelles du Sud. S'il existe un réel potentiel de
développement, il subira une totale mise entre parenthèses. Le nickel étant en
pratique la seule ressource du territoire (la pêche est presque inexistante, le
tourisme connaît une stagnation chronique), cela donne la mesure de l'ampleur
du coût social. La réalisation des projets miniers aurait permis d'envisager que
la part de la population active calédonienne employée dans le nickel passe de
4%, actuellement, à 10% (CCI-NC38, 2002), ce qui montre l’incidence qui était
attendue de ces opérations sur l’emploi.
38
http://www.cci.nc/html/cci_info.asp
Pour dissiper les doutes quant à son engagement en Calédonie, INCO affirme
que l'investissement déjà réalisé (750 millions $ US) est un point de non-
retour40. On comprend bien cependant que l'intérêt d'une FMN est de pouvoir
jouer sur la concurrence entre au moins deux pays d'accueil pour maximiser les
avantages obtenus (voir sur ce point Haaland et Wooton, 1998). En
développant le projet de Goro, cela permettait d'obtenir des concessions de la
part des autorités locales canadiennes de Voisey's Bay (menace de produire en
Calédonie si les avantages étaient insuffisants au Canada). Dans ce cas, le coût
39
Comme ce serait le cas, par exemple, pour la pêche.
40
Pour juger de la pertinence réelle de cet argument, il faudrait connaître la part du coût qui
est spécifique à la transformation par lixiviation et la part qui peut servir à une simple
exploitation du minerai. De plus, les résultats de l'usine pilote peuvent vraisemblablement
aussi servir à Voisey's Bay.
Dès lors, le projet de Goro n'est plus prioritaire, et ne revêt, grâce au PRA
obtenu, aucune urgence (voir supra, note 21). Selon cette logique, la reprise du
projet ne devrait intervenir qu'après la fin des travaux de Voisey's Bay, soit au
plus tôt en 2006.
Une décision récente laisse augurer d’une stratégie plus complexe et plus
favorable pour la FMN. Scott Hand, le Pdg d'INCO, a déclaré en avril 2003
qu'INCO envisage de construire une usine pour traiter en Chine une partie de
son produit fabriqué à Goro42. Il s'agit d'une contradiction avec l'objectif
affiché de production de nickel pur, qui constituait un des objectifs de l'usine
pilote, et c'est sur cette base qu'a été lancé le projet d'usine en 2001.
41
The Financial Post, 15 janvier 2003, cité par Pitoiset (2003, 8)
42
Petroleum news, 27 avril 2003 (www.petroleumnews.com).
Cette décision, bien que présentée comme positive par les responsables de la
Province Sud, semble mettre fin aux incertitudes sur le futur du projet : la
transformation du minerai se fera en partie hors de Calédonie. Plus cette part
sera importante et moins il y aura de retombées pour cette entité, la
transformation étant nettement l'étape d'exploitation la plus créatrice de valeur
ajoutée. Considérant la différence de coût en main-d'œuvre, il semble logique
que, lorsque l'activité sera lancée en Chine, toute la transformation s'y
déroulera.
Plus intéressante pour INCO, la vente de minerai à une de ses filiales devrait
permettre à la firme de réaliser son profit en Chine, l'usine de Goro elle-même
n'en dégageant pas ou peu, en vendant sa production à sa filiale à prix coûtant
ou à un prix légèrement supérieur ; la filiale située en Chine réalise le profit, via
le raffinage. Ainsi la firme éviterait l'imposition prévue de 35% ses profits
futurs en Calédonie (en fonction des zones, la fiscalité chinoise sur les
entreprises prévoit des taux s’élevant de 0 à 24%). Dans ce cas, elle aura
maximisé ses avantages, avec une contrepartie fiscale nulle pour la Calédonie,
une contrepartie en emplois très faible43, mais avec un coût. Le coût, pour la
Nouvelle-Calédonie, concerne, à court terme, l'amortissement des
investissements déjà réalisés dans le cadre du projet, et surtout, à long terme, la
perte de contrôle d'une grande part de sa ressource, puisque INCO y bénéficie
d'une option durable.
CONCLUSION
La spécificité d'une FMN est de jouer sur la localisation de ses activités pour
maximiser son profit (dans le cas du nickel, la localisation est contrainte par les
gisements, mais il y a autant de localisations possibles que de gisements).
Notons que, quel que soit le discours, la FMN n'aura jamais de volonté de
participer au développement du pays qui l'accueille. Un pays bien doté en
matières premières, sauf à supposer qu'il ait les moyens de les exploiter lui-
même, n'a pas de garantie de se développer à travers elles44.
43
D'autant plus faible que l'activité ne sera pas transformatrice.
44
Historiquement, on constate que les pays développés sont souvent dépourvus de
ressources naturelles (le cas typique étant le Japon). De nombreux pays bien dotés ont subi
une exploitation de leurs ressources, parfois par la colonisation. Ces pays ne se sont pas
développés par leurs ressources naturelles : pays pétroliers, ou, plus anciennement,
Amérique du Sud, avec les métaux précieux.
gel ou l'arrêt du projet peut-il servir cet objectif ? La réponse est positive.
Retarder l'exploitation ne signifie pas perdre la ressource et peut faire monter
les cours. Un gel permet d'échelonner les profits dans le temps, en jouant sur la
variable cours.
La concurrence entre les deux sites a permis à INCO d'obtenir un maximum
d'avantages au Canada. Les avantages déjà obtenus en Calédonie (exemptions
fiscales pendant 15 ans d'exploitation), auraient alors servi à en obtenir d'autres
au Canada. Dès lors il est logique que l'exploitation de Goro soit repoussée
(exploitation prioritaire du site qui a assuré en dernier des avantages, c'est-à-dire
Voisey's Bay). En prenant une option sur le gisement de Prony, cela garantissait
à la firme une absence de concurrent. La firme peut alors jouer la concurrence
entre deux pays, sans avoir à la subir45. Fort logiquement, l'influence déjà
considérable des FMN sur les États se renforce quand elles peuvent les mettre
en concurrence. Une stricte logique économique aurait voulu que le gisement
de Prony soit conservé, afin de garder un pouvoir de négociation vis-à-vis
d'INCO, par la possibilité d'installation, à ses côtés, d'une entreprise
concurrente46. En outre, l'Etat, pour des raisons politiques liées au rééquilibrage
entre les provinces, financera le projet du Nord. Or, il n'est pas sûr que les deux
usines ne se concurrencent pas. Cela joue en faveur de l'attentisme.
45
Le Président de la Province Sud a justifié ce choix par la nécessité d'"évaluer rapidement le
gisement de Prony-Ouest (…), et surtout pour n'avoir dans le Sud qu'une seule usine" (cité
par Pitoiset, 2003, 5).
46
Une plainte a été déposée, pour tenter de déterminer une possible corruption des
décideurs.
47
La flèche (2) correspond à l'effet (1), (3) correspond à (3) et (4) à (2).
48
À long terme, l'épuisement des ressources non renouvelables risque d'entraîner un taux de
croissance négatif de l'économie. Pour contrecarrer ce risque, il est nécessaire de
substituer aux ressources naturelles des inputs reproductibles. Le risque de dépression
dépend donc des élasticités de substitution entre les ressources non renouvelables et les
inputs reproductibles. Il est cependant difficile de faire des études empiriques sur ce point,
du fait de la forte intégration verticale dans les industries des ressources naturelles (qui
fait qu'il n'y a pas de prix de marché disponible pour les ressources naturelles non
renouvelables). Une étude de Halvorsen et Smith contourne ce problème et étudie le cas
de l'industrie canadienne des mines de métaux. Les auteurs montrent, à partir d'une étude
économétrique, que l'élasticité de substitution entre les ressources non renouvelables et les
inputs reproductibles est égale à l'unité. Ce résultat positif laisse donc présager une
continuation de la croissance dans le long terme, malgré l'épuisement progressif des
gisements de ressources non renouvelables (Halvorsen et Smith, 1986, 402-403). Pour
que les inputs puissent se substituer à la ressource, il est nécessaire que leur productivité
soit de plus en plus importante. C'est le progrès technique qui permet une telle tendance.
On retrouve ici les enseignements de la théorie de la croissance endogène, par rapport au
rôle de l'éducation dans la croissance : "(les) innovations permettent d'accroître sans cesse
le contenu en connaissance, c'est-à-dire le contenu immatériel des biens produits dans
l'économie ; simultanément, le contenu en ressource de ces biens diminue. Finalement,
cette substitution progressive de la connaissance à la ressource permet de maintenir une
croissance à long terme positive malgré la raréfaction progressive de la ressource"
(Grimaud, 1998, 164).
BIBLIOGRAPHIE
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