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Enquête sur la "famille" des Boulogne Boys

LE MONDE | 27.11.06 | 13h51 • Mis à jour le 27.11.06 | 15h48

Les Boulogne Boys ont ouvert un registre posthume virtuel sur Internet
pour rendre hommage à l'un des leurs, Julien Quemener, tué jeudi 23
novembre par un policier qui cherchait à protéger un supporter de
confession juive après le match PSG-Hapoël Tel Aviv. Quelque 500
messages de soutien ont été déposés en trois jours sur le site de ce
groupe radical, réputé proche de l'extrême droite, essentiellement par des
fans du PSG mais aussi par d'autres ultras français ou européens.

Le registre traduit l'émotion et la colère de la "famille ultra" pour qui la


"victime", porteuse, selon un site internet proche du mouvement hooligan
(pariscasuals.com), de la "carte 255" des Boulogne boys, a été transformé
en "coupable". Claude, 18 ans, membre des "BB85" (référence à la
création du mouvement en 1985), un des groupes qui occupe la tribune
Boulogne au Parc-des-Princes, exprime ainsi sa solidarité avec le
supporter tué et sa colère face à la justice, à la police, aux hommes
politiques et aux médias. "Courage à sa famille et à ses proches", a-t-il
simplement écrit sur le registre.

Dans le mouvement ultra depuis cinq ans, Claude, intérimaire, nous dit
avoir "immédiatement apprécié" cet univers. Comme tous ses camarades,
il a exigé de témoigner sous couvert de l'anonymat et en changeant son
prénom. "Les valeurs qui y sont représentées ne sont nulle part ailleurs",
explique-t-il, par mail, en évoquant "l'honneur", la "fierté", le sentiment
d'appartenir à un groupe et "l'amitié qui se crée entre les membres qui
devient au fil du temps une grande famille". Lui affirme ne pas participer
aux actes de violence commis par "certains" mais seulement souhaiter
défendre "ses valeurs, ses racines, sa région, son honneur, son club".

Membre des "Boys", Franck, 20 ans, étudiant, évoque la "ferveur


inépuisable" de la tribune. "Un Boys ne meurt jamais. RIP (Repose en
paix). Un Boys qui te salue", a-t-il écrit sur le registre. "Un groupe ultra,
c'est une famille. On peut ne vivre que de ça", nous indique-t-il, plus tard,
par courrier électronique, en racontant qu'il est d'abord venu au KOB (kop
of Boulogne) pour "l'ambiance".

Hervé, cadre de 29 ans, parle de fraternité dans les tribunes. Lui


fréquente les "Boys" depuis une dizaine d'années et appartient à
l'association depuis six ou sept ans. "Je suis passé par toutes les tribunes
mais c'est à Boulogne que j'ai trouvé la mentalité qui me plaît", déclare-t-
il au cours d'un entretien par messagerie instantanée.

L'association des Boulogne Boys, qui compterait environ un millier de


membres, selon la police, revendique ce fonctionnement clanique et
l'"amour du groupe", vanté dans les tracts distribués dans le "bloc B3" de
la tribune Boulogne lors du premier match de championnat, en août.
"Après avoir franchi le premier pas du cartage, il vous faudra avant tout
vous intégrer dans le groupe, le comprendre et surtout respecter sa
philosophie", avertissait ce numéro de La Voix des Boys, imprimé sur une
feuille A4 par l'association. Celle-ci assure se financer grâce aux adhésions
(15 euros par an) et à la vente de "matos", des produits dérivés, siglés
Boulogne Boys.

Les règles d'engagement des "Boys" sont rappelées dans la "charte"


interne. "Que cela soit au Parc (des Princes), mais surtout en
déplacement, le groupe peut régulièrement être sous la menace. De la
petite altercation à l'agression, tout le monde doit se sentir concerné,
indique le texte, distribué à chaque nouvel adhérent. Le groupe, c'est tout
le monde. Pas question pour certains de partir, à leur guise, seul de leur
côté et pas question pour d'autres de laisser certains se démener seuls.
L'union doit être le maître mot, les Boulogne Boys ne doivent être qu'un."

L'association, dont le logo est une tête de mort, se déclare "apolitique".


Les Renseignements généraux considèrent néanmoins que les Boulogne
Boys abritent l'une des franges les plus dures des supporteurs du PSG,
avec une trentaine d'individus classés parmi les plus dangereux (Le Monde
du 25 novembre). Des membres du kop de Boulogne (le "kop" est
l'emplacement dans le stade où se réunissent les supporteurs ultras) ont
récemment été condamnés, début novembre, pour avoir agressé des
Français d'origine sénégalaise en marge du match Le Mans-PSG.

Sur le registre posthume, les références extrémistes sont nombreuses.


Plusieurs signataires ont ainsi choisi des pseudos comprenant le chiffre 88
- une double référence à la huitième lettre de l'alphabet (H) pour signifier
"Heil Hitler". Un nombre important de messages reprennent aussi
l'acronyme ACAB, qui signifie "All cops are bastards" (tous les flics sont
des bâtards), un des signes de reconnaissance de la mouvance hooligan,
porté à l'origine par des skinheads. Des ultras de l'AS Rome, de l'Inter
Milan, du Sparta de Prague, de clubs allemands, espagnols, néerlandais,
serbes sont d'ailleurs venus témoigner de leur soutien sur le registre.

Membre "actif", c'est-à-dire particulièrement impliqué, Hervé refuse


l'étiquette d'extrême droite mais parle d'une tribune "patriote". "On aime
la France, on est fiers d'être parisiens", explique ce cadre en entreprise.
Nicolas, 18 ans, étudiant dans le domaine paramédical, supporteur du PSG
depuis l'âge de 7 ans, abonné à Boulogne depuis l'âge de 13 ans, membre
des "Boys" depuis cette année, dit n'avoir "jamais fait de cris de singe" ou
"insulté un Arabe ou un Noir".

"Je ne refuse pas la vérité concernant une partie de la tribune, mais qui
tend à devenir de plus en plus faible. Je suis français, j'habite en banlieue
calme, je n'ai rien contre personne, ni les étrangers, ni les gens de
couleur, ni les jeunes de banlieue", souligne le jeune homme.

Franck reconnaît que des skinheads venaient dans la tribune mais il


assure qu'ils ont presque tous disparu. Le mouvement reste néanmoins
tourné "vers l'extrême droite", indique-t-il : "De plus en plus, il y a entre
jeunes une violence anti-Blancs. Nous, nous condamnons ça en disant que
la France, c'est notre pays." Les Boulogne Boys s'étaient d'ailleurs
violemment affrontés, en 2005, avec un autre groupe, les Tigris, qui
rassemblent des jeunes issus de l'immigration au Parc des Princes.

"Olive", originaire de Paris, et membre de la "famille Boulogne", reprend


un argumentaire similaire. Sur le registre, il s'adresse directement à Julien
Quemener : "Tu étais la cible idéale : blanc et membre de la tribune
Boulogne. Aucune association, aucun lobby ne te défendra", écrit-il en
signant "Kop of Boulogne. Honneur, fidélité". Un autre camarade, dont le
pseudonyme est Ingomer, dit prier pour la victime, reprenant une
sémantique classique à l'extrême droite : "Tu es mort en martyr, victime
de la barbarie anti-française, "laïque" et républic-haine." Les "Boys"
promettent de poursuivre l'hommage à Julien Quemener lors du prochain
match au Parc des Princes, contre Toulouse, dimanche 3 décembre.
Luc Bronner

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