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Quels savoirs socio-politiques appropriables par

des systèmes de développement territorial ?

Intervention de David CAPES

Maître de conférences associé Université Bordeaux 4

Chercheur associé au CERVL CNRS UMR 5116

Consultant associé au Creder

Programme CR 5 Systèmes complexes et politiques territoriales.

Congrès AISLF Tours Juillet 2004.

AISLF Juillet 04 Programme CR 5 Systèmes complexes et politiques territoriales.


Intervention David Capes < david.capes@wanadoo.fr > 33_6-87 29 78 03
2

Dans Les épistémologies constructivistes,1 Jean-Louis Le Moigne se réfère, entre autres


sources, à la théorie de “l’action intelligente”2 de John Dewey [1859-1952] pour promouvoir
un effort que devraient faire les sciences sociales et de l'ingénieur pour : “assurer le statut et
l’organisation épistémologique des connaissances qu’elles produisent.” En nous appuyant sur 3

des activités de Consultant en développement territorial depuis 1990, et d'Enseignant-


chercheur associé à l'Université Montesquieu depuis 1999, puis Chercheur associé au Centre
CERVL UMR 5116 CNRS/IEP de Bordeaux, nous voulons nous inscrire dans cette
orientation pour interroger la place que tient la production de savoirs socio-politiques
appropriables dans le contexte d'une pratique d’activation de potentiels de développement
territorial.

La position personnelle et institutionnelle que nous occupons nous conduit à développer


une épistémologie appliquée qui vise à formaliser et contrôler les conditions qui permettent
d’obtenir et d'améliorer la production d“assertibilité garantie”4. Nous avons pris au mot la
théorie de l'enquête de J.Dewey pour développer - à partir d'une position socio-
professionnelle de Consultant puis d'Universitaire associé - une pratique de "recherche-
intervention" (influencée par la synthèse de Jean Dubost ) visant à considérer les acteurs
5

sociaux et politiques impliqués dans des activités d'élaboration et mise en œuvre de politiques
de développement territorial comme des agents cognitifs, partenaires à part entière. 6

Dans : Logique, la théorie de l’enquête, John Dewey définit trois conditions logiques qui
accompagnent la méthode scientifique : “(a) le statut des conceptions théoriques comme
hypothèses qui (b) ont une fonction dans le contrôle de l’observation et de la transformation
pratique ultime des phénomènes antécédents, et qui (c) sont éprouvées et continuellement
révisées à partir des conséquences qu’elles produisent dans l’application existentielle” (op.
cit. p609).

1
Jean-Louis Le Moigne, Les épistémologies constructivistes, Presses Universitaires de France, Paris, 128p, deuxième
édition corrigée : 1999.
2
L’expression est de John Dewey lui-même, voir par exemple p 596 dans Logique, la théorie de l’enquête, 1ère édition
américaine en 1938, traduction française de Gérard Deledalle réédition Presses Universitaires de France, Paris, 1993, 693p.
3
Le Moigne, op. cit., p95.
4
Cette expression est proposée par John Dewey dans le but de ne pas faire dépendre l’activité scientifique d’un projet de
production d’une “vérité”. Voir p166 dans La philosophie américaine de Gérard Deledalle, (De Boeck Université, Bruxelles,
1987, 300p). Tom Burke dans Dewey’s New Logic, a Reply to Russel, (University of Chicago press, Chicago, 1994, 288p)
montre que l’épistémologie de John Dewey anticipe les approches cognitivistes contemporaines même si elle est rarement
mentionné dans les ouvrages d’épistémologie (Russel, justement y est pour quelque chose). Par exemple, Bas Van Fraassen
est cité comme “l’une des principales figures de la philosophie des sciences actuelle” par Anouk Barberousse, Max Kistler et
Pascal Ludwig dans La philosophie des sciences au XXe siècle, (Flammarion, Paris, 2000, 353p) parce qu’il “propose de
remplacer la notion de théorie vraie par celle de théorie empirique adéquate ” (p 320), mais cet ouvrage ne mentionne pas
John Dewey. C'est ce même passage de la vérité à la garantie d'assertibilité que l'on peut retrouver dans un article paru dans
le N° 280 de la revue Science, en 1998, pp 208-209 : "From the World of Science to the World of Research".
5
Jean Dubost, L’intervention psycho-sociologique (Presses Universitaires de France, Paris, 1987, 350p).
6
Hormis l'ouvrage : Logique, c'est The Public and its problems, qui permet de théoriser cette approche (Ed H. Holt, New
York, 1927/, Swallow Press, Athens, USA, 1987, 236p; traduction française par Joëlle Zask publiée en 2003 chez Farrago).

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Nous avons donc expérimenté depuis le début des années 1990 des conceptions opératoires
d'une planification participative de développement territorial, qui utilise l'enquête socio-
politique comme un moyen de produire des connaissances appropriables par des acteurs :
1_sociaux, 2_économiques, 3_administratifs et 4_politiques intervenant sur un territoire
(l'expression socio-politique couvrant la chaîne de productions de valeurs par ces 4 catégories
d'acteurs). Ces conceptions se traduisent par des modalités de management d’interactions
produisant des représentations utiles pour éclairer et guider des décisions d'intervention visant
à créer ou améliorer des activités économiques ou sociales et des conditions d’existence sur le
territoire donné. Ce faisant, nous avons suivi la proposition de Gérard Deledalle qui écrit dans
son introduction à la Logique : “Il [John Dewey] offre une hypothèse. Il appartiendra aux
chercheurs - à tous les chercheurs et pas seulement aux logiciens - aux chercheurs engagés
dans l’enquête anthropologique surtout, de l’expérimenter.”7

L'expression "intervention-recherche" correspond à cette conception d'une enquête sociale


qui ne se considère pas comme une production de connaissance objectivant la meilleure
représentation possible d'une réalité sociale (représentation obtenue par application d'une
méthodologie sensée maîtriser les influences que subit le Chercheur et sa communauté
académique). Nous ne sommes plus dès lors dans la problématique d'un effort de
rapprochement de la "demande sociale" par les chercheurs qui doivent dans le même temps
veiller à ne pas "perdre leur objectivité et leur indépendance", mais dans un besoin d'analyse
épistémologique associée au process de production de connaissances prenant le système
d'interaction : [Chercheurs <=> Acteurs sociaux] comme un système d'agents cognitifs, qui
constitue un contexte dans lequel les Chercheurs ont une responsabilité méta-cognitive. 8

Dans le prolongement de l'approche deweyenne, le Chercheur est partie prenante d'une


“matrice bio-physique et socio-culturelle”9, qui déterminent : 1/ des modalités d’appropriation
possible des résultats de la recherche, 2/ des formes d’interactions qui produisent ces résultats,
3/ des conséquences possibles d’actions découlant des résultats de la recherche, ou encore, 4/
des appréciations de la valeur de ces conséquences, etc.10

7
Op. cit. page 9.
8
Les auteurs de Repenser la science, (Belin, Paris, 2003, 320p) sous l'expression "mode 2 de la recherche" décrive les
tenants et aboutissants de cette conception pour la pratique scientifique et les méthodologies et épistémologies qui la fondent.
9
Les chapitres II et III de Logique, la théorie de l’enquête décrivent en ces termes les conditions de l’enquête scientifique
en général et en sciences humaines en particulier (1993, pp 81-119). Ces conceptions de Dewey peuvent organiser
théoriquement des démarches d’activation du développement territorial. Les processus vitaux sont, selon Dewey, “produits par
l’environnement aussi bien que par l‘organisme; car ils sont une intégration” (op. cit. p 83) et ils exigent le “maintien d’un
environnement unifié”, de sorte que le but de la recherche scientifique et de l’action intelligente en général est “l’institution
d’une relation intégrée” (pp 83-84-86). Ainsi, la matrice culturelle, insérée elle même dans la matrice biologique (au sens
environnemental du terme) est caractérisée par les usages de signes et symboles comme des moyens de procéder à une
symbolisation qui caractérise les activités communes, des moyens d’évaluer les situations existentielles et de déterminer des
fins et moyens d’agir sur elles : “Les mots signifient ce qu’ils signifient en connexion avec les activités communes qui
produisent une conséquence commune à laquelle tous participent.” (op. cit. p114)
10
Considérer les conséquences de la recherche comme une partie intégrante de la démarche globale de production
scientifique ne doit pas être considéré comme une conception relevant d'un utilitarisme primaire. Si John Dewey, par exemple
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Au regard de l'histoires des idées des premiers pragmatistes, nous pouvons dire que nous
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appliquons une approche "social-pragmatiste" parce que nous proposons des arrières-plans
théoriques de pilotage de recherche-intervention :
- qui prolonge l'application de principes de contrôle de validité épistémique inspirés du
pragmatisme de Pierce, pour lequel, par la méthode scientifique, on peut analyser comment :
"les différentes sortes de croyance se distinguent par les divers modes d'action qu'elles
produisent", 12

- qui assume le pragmatisme généralisé de William James, en considérant que les agents
cognitifs avec lesquels de la connaissance (plus ou moins actionnable) est produite, utilisent
des outils de pensée dont ils savent déterminer la valeur au regard de leurs conséquences et
des résultats qu’ils produisent,
- qui insiste après John Dewey sur l'application de ces principes au développement social
et démocratique (c'est ce que souligne le préfixe "social-") : le but ultime qui doit guider le
contrôle de production de connaissances étant l'amélioration des conditions et milieux
d'existence des acteurs sociaux, la société ayant elle-même pour but l'actualisation des
potentialités personnelles (ce qui intègre une perspective personnaliste).

Mais dans la lignée d'approches comme celle de la sociologie des mouvements sociaux, ou
en psychosociologie d'intervention sur les systèmes, nous pensons qu'il faut développer des
13

dispositifs de recherche qui permettent d'appliquer des démarches complémentaires (au sens
du complémentarisme en sciences sociales proposé par G.Devereux), comme par exemple :
- une production de connaissance objectivante relevant de l'ambition positiviste
traditionnelle,
- une enquête socio-politique associant les agents cognitifs concernés.

Relevant de cette première démarche, ce sont par exemple les expertises en économie et
finances locales, les études de marché, les analyses quantitatives de ressources, les
évaluations environnementales, etc, qui tiennent ce rôle d'effort d'objectivation qui permet de
structurer l'enquête collaborative. Dans le titre de notre intervention, l'expression "système de

dans Liberalism and social action, (Prometheus Books, New York, 1935/1991, 93p), insiste sur le rôle majeur de la pensée de
Jeremy Bentham,[1748-1832] qui, le premier a marqué la pensée libérale et progressiste par le principe d’une évaluation de
toute action organisée par ses conséquences sur la vie concrète des individus (op. cit. p 26). Ce premier utilitarisme très
réducteur, il ne constitua qu'une base du second utilitarisme de John-Stuart Mill,[1806-1870] qui, enrichi par les idéaux
romantiques d’auteurs comme Coleridge [1772-1834], ou encore par la pensée de Saint-simon [1760-1825] et par plusieurs
aspects de la pensée socialiste, fut à l’origine de nombre de conceptions progressistes et pragmatistes. Pour une présentation
d'autres aspects de Bentham, moins connus mais qui sont très utiles pour une compréhension de caractère central de la
médiatisation de l'action publique, on pourra lire de Christian Laval : Jeremy Bentham, le pouvoir des fictions, (Presses
Universitaires de France, Paris, 1994, 125p).
11
Cf. Gérard Deledalle, La philosophie américaine, De Boeck, Bruxelles, 1998, 300p.
12
Op. cit. p 68.
13
Notons tout particulièrement l'ouvrage : Pour une sociologie d’intervention de G.Herreros, (Erès, Ramonville, 2002, 219p)
qui propose une approche sociologique qui a de nombreux points communs avec notre pratique, il prend appui sur des sources

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développement territorial" désigne pour partie les phénomènes qui correspondent à ces
expertises ; les caractéristiques socio-politiques, la dynamique interpersonnelle ou d’autres
facteurs psychosociologiques ou socio-culturels complémentant la représentation opératoire
qui guide l’élaboration de scénarios d’actions et l’aide à la décision.

Spécialement pour cette deuxième démarche, accepter de partir de l'évidence d'une


inévitable intégration des Chercheurs aux matrices socio-cognitives, soulève des enjeux
philosophiques et éthiques que Raymond Carpentier dans La connaissance d’autrui 14

organisent autour du concept de participation comme “connaissance active d’autrui”.


Appuyant sa conception sur les travaux de Maurice Blondel, William James, Jean Piaget, Kurt
Lewin, Emmanuel Mounier... il propose une association des agents cognitifs concernés par
l'effort de connaissance : “Le problème pour une connaissance scientifique d’autrui, c’est
donc d’élaborer un mode d’émergence de la personne qui, après avoir pris pleine conscience
des dangers d’appauvrissement auxquels est exposé tout acte d’une telle connaissance,
élabore une méthodologie fondée sur une doctrine qui développe la richesse de la personnalité
d’autrui.” (op. cit. p 102). Nous reviendrons sur les enjeux de ce développement des
ressources propres agents cognitifs impliqués dans le système de développement territorial au
moment de proposer une typologie des savoirs socio-politiques appropriables. Mais pour la
définition de l'hypothèse centrale de la recherche-intervention c'est moins cet arrière-plan
personnaliste que nous sollicitons qu'une approche social-pragmatiste.

Cette approche social-pragmatiste se définit par le principe d'une participation des acteurs
sociaux au contrôle des valeurs que produit l'effort de connaissance. Loin de se réduire à une
utilité pratique, ces valeurs peuvent être décrites comme pouvant couvrir différentes
dimensions :
- épistémique et pragmatique (quelles sont les garanties de scientificité apportées par les
15

modalités de coproduction, de mise en forme et de diffusion d’informations ?, quels sont les arrière-
plans à partir desquels ces informations peuvent prétendre représenter une “réalité” ?, comment ces
représentations garantissent-elles un contrôle des conséquences des actions visant à modifier des
composantes de cette réalité ? ),
- pragmatique et pédagogique (quelles sont les conséquences concrètes probables ou
constatables de l’appropriation et de l’utilisation de ces informations par les récepteurs visés ?,
comment les conditions d'appropriation sont-elles favorisées et optimisées pour une modification des
systèmes de représentation et pour une maîtrise de l'actionnabilité du savoir produit ? ),
- éthique et axiologique (quels buts d’intérêt public, territorial ou collectif sont visés ?, quelles
formes de valorisation des ressources humaines sont promues ?, quels principes de justice sociale et
de préservation/valorisation de l'environnement sont appliqués ?...).

théoriques similaires (y compris pragmatistes) pour développer une conception de la recherche-intervention comme relevant
d'une logique de relation d'aide et d'accompagnement, l'intervention produisant une "plus-value cognitive ou affective".
14
Raymond Carpentier La connaissance d’autrui , Presses Universitaires de France, Paris, 1963, 123p.

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Bien que la recherche-intervention procède par reconnaissance de situations


problématiques imposant une réflexion agissante, et la définition d’actions, elle applique un
principe d'“activation socio-politique” l’organisation d’une visée d’actions prenant en compte
la globalité des enjeux socio-économiques et politico-administratifs des situations. Cette
activation socio-politique de développement est envisagée comme un “procès” au sens vieilli
en français de “déroulement d’actions”, qui a été emprunté pour la construction du mot
anglais “process” qui a gardé ce sens. Le procès d’intervention est un ensemble de
16

procédures et processus par lesquels se trouvent favorisées et contrôlées démocratiquement, et


qui produisent deux types d’intervention sur le système territorial de potentialisation et
d’actualisation (concepts empruntés à Stéphane Lupasco ) : 17

- la potentialisation de situation de développement (par expression et/ou reconnaissance de


potentialités),
- l’actualisation de potentialités de développement (ce qui au final se traduira par une
valorisation de ressources humaines et /ou environnementales).
Le schéma suivant peut résumer l’application de la démarche :

enquête visant à définir des possibles interventions sur ce qui est


actualisable ou potentialisable dans une situation dynamique :

potentialisations
actualisations activation de de
de potentiels situations
potentialités

Dans le cadre d’un effort d’ajustement des deux modalités d’intervention pré-cités, il faut
insister spécialement sur la coordination qu’il s’agit organiser entre :
- des discours et projets prescriptifs, des dynamiques intersubjectives d’aide à la décision et
de facilitation de gestion des situations socio-politiques, et

15
Nous réservons l’adjectif “épistémologique” pour désigner une démarche globale de réflexion associée à l’activité
scientifique. Par “épistémique” nous entendons la recherche de garanties de scientificité restreintes aux pratiques d'évaluation
de la communauté scientifique.
16
Voir page 1637 dans le Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey, DicoRobert, Paris,
1992.
17
Pour Stéphane Lupasco, il est possible de proposer une systématisation conceptuelle des pratiques scientifiques
contemporaines à partir d’un certains nombre de concepts issues d’une approche énergétique de la réalité selon laquelle les
situations physiques-biologiques-psychiques sont des états d’antagonisme énergétique entre : actualisation et potentialisation
(cf. Les trois matières, Union Générale d’Éditions, Paris, 1960, 187 p). L’ouvrage de Marc Beigbeder : Contradiction et nouvel
entendement , (Bordas, Paris, 1972, 582 p) prolonge cette approche et en montre le caractère structurant et fécond pour une
redéfinition des sciences humaines contemporaines et de leurs applications.
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- des approches quantitatives et objectives précisant, configurant, mesurant le possible et


préconisant le souhaitable.

Hormis cette dynamique contradictoire qui met en tension [actualisation-potentialisation],


une rationalité gestionnaire de microéconomie d’intervention d’activation du développement
territorial, s’applique également pour structurer en spirale une intervention enchaînant des
phases que l’on peut résumer ainsi :
A ] Un agencement de moyens et de ressources et des aptitudes à les mobiliser existent
initialement (avec la nécessité de circonscrire un espace-temps définissant une situation et des
personnes concernées par la situation sur une durée donnée et pour des enjeux spécifiques) ;
B ] du temps et des moyens sont consommés pour une activité de gestion d’informations,
de connaissances et d’interactions visant à produire des “représentations” d’améliorations
possibles de la situation initiale ; ces représentations que l’on doit chercher à produire sous
des formes appropriables par les personnes concernées, puis actionnables (ce qui suppose que
des ressources immatérielles et physiques, en compétences et en moyens doivent pouvoir être
mobilisées pour planifier et concrétiser les actions);
C ] des résultats sont visés et constatés en termes : soit de modification des aptitudes de
compréhension et capacité d’action sur la situation, soit de planification d’actions produisant
un changement concret de la situation initiale, la vérification pouvant portée sur : les
modifications constatées des représentations, les actions découlant de ces changements, les
résultats produits par ces actions, les valeurs associées aux représentations, changements ou
résultats reconnus par les personnes concernées…
D/A’ ] un agencement de moyens et de ressources et des aptitudes à mobiliser ces éléments
existent finalement (initialement, pour une nouvelle intervention inaugurée par une étape A’).

Les principes d’une intervention ayant été précisés, nous allons proposer une matrice
d’analyse des objectifs et résultats d’appropriation de connaissances socio-politiques
produites et diffusées dans des contextes d’élaboration de politiques de développement
territorial.
Cette matrice croise 5 catégories d’agents cognitifs possiblement impliqués dans
l’intervention sur la situation de développement territorial et 5 dimensions d’appropriation des
savoirs socio-politiques produits dans le contexte de l’intervention.
Les 5 catégories d’agents cognitifs sont :
A- les personnes et groupes bénéficiaires de l’action d’intérêt public, territorial ou collectif,
B- les personnes et groupes partenaires de l’action d’intérêt public, territorial ou collectif,
C- les leaders de partenaires ou bénéficiaire de l’action publique,
D- les élus, administratifs et techniciens intégrés au système de développement territorial,
E- les leaders (internes ou externes) de dynamiques de développement territorial.
Les 5 dimensions d’appropriation de connaissances et compétences découlant de
l’intervention de développement territorial sont :
1_ l’intrapsychique (le « vécu des personnes » et les représentations associées),
2_ le psychosocial (les dynamiques interpersonnelles et les représentations associées),
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3_ le sémio-rhétorique (les signes et discours ; via supports de communication),


4_ le cybernétique (les systèmes d’information et de pilotage, automatisés ou non),
5_ le socio-politique (le management des systèmes de décision/médiatisation/action).

Un tableau permet de définir 25 modalités possibles d’appropriation de savoirs socio-


politiques par croisement des 5 catégories socio-cognitives et des 5 dimensions
d’appropriation :
E1 E2 E3 E4 E5
D1 D2 D3 D4 D5
C1 C2 C3 C4 C5
B1 B2 B3 B4 B5
A1 A2 A3 A4 A5

La lecture du tableau s’effectue de bas en haut, le point de départ et l’aboutissement de la


dynamique de développement territorial étant la mobilisation de bénéficiaires et co-
réalisateurs de l’action publique [ligne A], et nombre de situations pouvant être mieux gérées
lorsque des personnes appartiennent à la fois à la catégorie A et E.
Pour donner des exemples de modalités d’appropriation, nous allons appliquer le tableau à
une intervention-recherche complète que nous avons menée pour répondre à une triple
demande associant : une Chambre d’agriculture et la Mutualité sociale agricole, un Conseil
général et son Service d’action sociale, la Préfecture, le service public de l’emploi et de
l’agriculture (Direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation
professionnelle, ANPE, Direction départementale de l’agriculture). Une enquête auprès
d’employeurs agricoles a permis d’identifier comment ils pouvaient s’organiser en
groupements d’employeurs annualisant des emplois saisonniers et améliorant l’attractivité des
emplois. Une enquête auprès de bénéficiaires de RMI via les assistantes sociales du Conseil
général et de la MSA et les associations d’insertion a permis de repérer sur quelles
dynamiques de recrutement et d’accompagnement ont pouvait s’appuyer pour compléter
l’effort de structuration de l’emploi par les agriculteurs. Les politiques territoriales de
l’emploi des intercommunalités ont été identifiées en vue de définir des partenaires sur des
zones infra-départementales pour l’organisation des activités des groupements d’employeurs
et des programmes en faveur de l’insertion.
Dans le cadre de ce programme d’intervention, les modalités d’appropriation ont été les
suivantes : A1= des bénéficiaires du RMI auprès de qui une enquête a été réalisée pour
envisager leur disposition à s’impliquer dans un programme d’insertion ont développé une
confiance vis-à-vis des promoteurs de ce programme en cours de conception, l’enquête a
produit une connaissance des obstacles aux démarches personnelles d’insertion dans un emploi
agricole; A2= les programmes de redynamisation socio-professionnelle accompagnant la mise
en place des groupements d’employeurs ont générer des dynamiques de groupe d’entraide (à
prolonger sur les sites de travail agricole); A3= des supports de communication clarifiant les
parcours d’insertion en agriculture, les contacts à prendre et les démarches administratives à
réaliser, ainsi que les savoirs de base à maîtriser ont été conçus et diffusés ; A4= les systèmes
d’information (spécialement de la MSA et de la DDA) ont été systématiquement utilisés et

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reconfigurés en vue de favoriser des croisements de données pour viser des rapprochement entre
employés et employeurs dans le nouveau contexte de groupements d’employeurs ; A5= les
actions de médiatisation dans la presse locale de la démarche de création d’emplois agricoles
plus attractifs, ont été coordonnées avec la structuration des groupements d’employeurs et les
actions à connotation plus coercitives comme les convocations à des réunions d’information
collective. B1= des agriculteurs ont été interpellés dans leurs conceptions et attitudes
relationnelles vis-à-vis des employés effectifs ou potentiels, des assistantes sociales de terrain et
associations d’insertion ont été incitées à modifier leurs conceptions pour participer à des efforts
de facilitation des relations employés-employeurs dans le secteur agricole ; B2= la génération de
groupements d’employeurs locaux a résulté de la structuration de dynamiques de groupes de
projet ; B3= des supports émanant de la Chambre d’agriculture et de la MSA informaient du
programme en cours et incitaient à participer aux groupes de projet ; B4= la mobilité réduite des
demandeurs d’emploi étant un facteur limitant majeur, les systèmes d’information ont été
organisés pour identifier au plus près les opportunités de rapprochement employés-employeurs ;
B5= stratégiquement, des efforts sur des sites pilotes ont été privilégiés pour pouvoir accentuer
la médiatisation de l’action sur la base de réussites concrètes. C1= plusieurs confrontations ont
eu lieu avec des leaders de syndicats d’agriculteurs opposés à la démarche d’effort de
recrutement de locaux bénéficiaires du RMI (préférant une main d’œuvre étrangère moins
exigeante), confrontations visant à lever les obstacles à leur participation et leur soutien aux
actions programmées ; C2= l’animation de réunions restreintes avec les leaders syndicaux a
permis d’accompagner le changement de prises de position individuelles en prenant appui sur
l’émergence d’une stratégie collective (intervention de type Lewinienne) engageant en retour
des changements d’attitudes personnelles ; C3= les discours diffusés par la Chambre
d’agriculture ont évolués en prenant en compte le leadership d’opposition syndicale ; C4= les
services de gestion de la Chambre d’agriculture ont analysé leurs bases de données pour
interpeller leurs bénéficiaires les plus à même de tirer profit des actions en groupements
d’employeurs ; C5= une alliance objective de co-pilotage de la démarche s’est traduite par une
gestion commune de la situation par la Préfecture et la Chambre d’agriculture pour contourner
les positions du syndicat d’opposants par une progression du programme : projets concrets
réussis, médiatisation, affichage des objectifs et annonce de nouvelles décisions. D1= la
recherche de partenaires territoriaux s’accompagnait d’une évaluation de la volonté des acteurs
territoriaux de se confronter à une problématique exigeant un engagement personnel de
leadership local ; D2= l’obstacle majeur à surmonter pour l’organisation de groupes de projets
locaux pour l’emploi agricole était le déficit d’habitudes de collaboration entre élus locaux et
organisations agricoles, il a fallu développé un savoir-faire d’action collective; D3= le Conseil
général a médiatisé auprès des élus locaux son programme en faveur de l’emploi en agriculture,
parallèlement à la promotion de ses politiques publiques en partenariat avec les collectivités
infra-départementales, insistant sur l’intérêt d’une implication des intercommunalités dans ce
type de démarche ; D4= une analyse systématique des accords-cadre de partenariat
département-intercommunalité(s) a été réalisée en vue de repérer les possibilités de positionner
un projet de soutien à un groupement d’employeurs local ; D5= l’intervention du Conseil
général et des services départementaux de l’Etat a été complémentaire de l’action de
mobilisation des agriculteurs et de leurs organisations professionnelles, se traduisant par une
facilitation administrative, l’appui aux partenariats locaux et l’organisation de programmes
d’insertion socio-professionnelle. E1= le président de la Chambre d’agriculture au centre des
conflits de valeurs et d’intérêts du programme a géré les agressions, et développé des
compétences de management stratégique et de « leadership collaboratif »18 ; E2= un groupe de
pilotage départemental interpersonnel et inter-institutionnel a été au centre de la démarche ; E3=
la coordination et la synchronisation des discours produits a permis de gérer l’évolution des
attitudes et positions vis-à-vis des objectifs du projet ; E4= l’implication inter-institutionnelle et
spécialement les capacités de contrainte de la Préfecture sur les services de l’Etat a permis de
coordonner l’utilisation des systèmes d’information ; E5= l’harmonisation et la synchronisation

18
Cf. Leadership collaboratif, Chrislip David D., Larson Carl E., Jossey Bass, San Francisco, 1994, 192p.
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des modalités d’actions des institutions partenaires, a favorisé un renforcement des différentes
étapes de décision/médiatisation/action, sur le mode d’une ingénierie concourante (voir ci-
après).

Cet exemple montre bien qu’hormis la mise en œuvre d’une enquête d’activation des
potentiels, qui développe les compétences des agents cognitifs, spécialement dans le contexte
de conception et accompagnement de politiques de développement territorial, l’intervention-
recherche doit assumer une responsabilité de conduite du changement qui doit chercher à
coordonner 3 logiques : celle de la PARTICIPATION des acteurs économiques et sociaux
(ceux-ci sont nécessairement les co-réalisateurs de l’action publique), celle de la DECISION
politique-administrative (ou administrativement-politique), celle de la MEDIATISATION de
l’action publique, (qu’il s’agisse de ses phases de conception ou de mise en œuvre, et plus
rarement d’évaluation). La dynamique de développement territorial doit gérer : 1_les
divergences dans les buts visés par ces trois logiques, 2_leurs caractères asynchrones, 3_les
connaissances et compétences mobilisées ; cet impératif relève de ce que les gestionnaires
appellent « ingénierie concourante ».

Les approches dites d’ingénierie concourante permettent en effet de prendre en compte


cette complexité. Pascale Bossard la définit ainsi : "l’ingénierie concourante est davantage
19

une construction sociale qu’une construction technique et procédurale" qui se caractérise par
une direction globale de management de projet et “une nouvelle forme de coordination qui
favorise l’expression des différents points de vue, la négociation entre les différentes
expertises tout au long du processus de conception”. Françoise Darses, dans le même
20

ouvrage, insiste sur la recherche d’une meilleure adéquation de cette démarche avec les
21

processus cognitifs de conception, lorsque les différents acteurs sont associés pour mieux
définir la “situation-problème”, objet de la conception. Une ingénierie concourante de projet
22

d’intérêt public, territorial ou collectif doit agir (avec les membres du système concerné) sur
différentes variables de façon concomitante :
-1 La représentation de la situation socio-politique, du point de vue des différentes
personnes concernées par ses caractéristiques actuelles, son évolution probable et les
possibilités d’action sur elle, la définition dans le temps et selon des modalités de contrôle de
son déroulement d’un projet d’activation de potentialités d’intervention sur la situation.
-2 La prise en compte des modalités existantes ou à créer qui peuvent assurer une
concrétisation des actions potentielles, les conditions à réunir pour garantir une chronologie

19
Sous la direction de Pacale Brossard, Claude Chanchevrier, Pierre Leclair, Ingénierie concourante, de la technique au
social, Economica, Paris, 1997, 166p.
20
Op. cit. p 28.
21
Op. cit. pp 39-55.
22
C’est une expression-clé de John Dewey dans Logique, la théorie de l’enquête, (op. cit.) Donald A. Schön l’utilise pour
construire une proposition de méthodologie de gestion collaborative des politiques publiques sociales dans le texte “Generative
Metaphor : A Perspective on Problem-Setting in Social Policy”, paru dans Metaphor and Thought, 1979, New York, Cambridge
University Press, pp 254-283. Réédité dans le Tome 7 de Changement planifié et développement des organisations, Presses
Université du Québec, Québec, 1992, pp 311-344.
AISLF Juillet 04 Programme CR 5 Systèmes complexes et politiques territoriales.
Intervention David Capes < david.capes@wanadoo.fr > 33_6-87 29 78 03
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lissant les phases de : conception générale, stratégie validée, conception détaillée,


évaluation/appropriation, tests, ajustements, réalisation, évaluation continue, re-conception... 23

-3 Les garanties de légitimité, d’autorité de management, de liberté d’application d’une


démarche participative et de capacité de contrôle dans la gestion du déroulement de
l’intervention, la médiatisation des phases devant servir le projet plutôt que se servir du projet,
-4 La cohérence entre les objectifs visés par la conception et la programmation du projet
socio-politique, et les moyens humains et les compétences mobilisables pour le mener à bien,
l’efficience mesurée par la rapport : investissements de moyens / retours sur investissements.

Dans le contexte d’intervention d’activation de potentiels d’un système de développement


territorial, nous avons vu que seule une structuration inter-institutionnelle permettant de gérer
le plus large ensemble d’enjeux, de compétences et de capacités d’allocation de moyens sur le
territoire d’action concerné garantissait l’application des principes d’ingénierie concourante.
Ces conditions favorables étant plus exceptionnelles que fréquentes, les intervenants qui sont
limités dans leurs marges d’initiative ou les leaders qui ne peuvent que négocier leurs
capacités de pilotages de projet, doivent développer des compétences d’interpellation de
partenaires s’ils veulent produire des efforts d’harmonisation et de synchronisation des
appropriations cognitives socio-politiques concomitantes aux décisions de développement
territorial.

23
Inspiré des pp 189-225 dans L’ingénierie simultanée et la gestion d’informations, de Patrick Bourdichon, (Hermes, Paris,
1994, 249p).
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