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LA PHILOSOPHIE DE LA NATURE À L'ÂGE CLASSIQUE

Author(s): Jean Largeault


Source: Revue Philosophique de la France et de l'Étranger , JANVIER-MARS 1986, T. 176,
No. 1, PHILOSOPHIE SCIENCES (JANVIER-MARS 1986), pp. 59-80
Published by: Presses Universitaires de France

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/41093975

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LA PHILOSOPHIE DE LA NATURE

À L'ÂGE CLASSIQUE

La philosophie de la nature a pour trait principal de mettre


correspondance, sous un formalisme unique, plusieurs domaines
la réalité : mathématique, physique, biologique, linguistique
formalisme utilisé n'est pas regardé comme un instrument de pen
mais considéré comme décrivant une réalité ontologique sou
jacente. Il est clair que les rationalistes classiques ne disposaient
des moyens mathématiques que leur métaphysique eût demandé
D'où l'impression de porte-à-faux que donnent leurs théories. D
autre côté il est tout à fait erroné de voir en eux des précurseu
maladroits et naïfs de la science positive.

1.1. F. Bacon : les formes. Il se situe à la transition de la scol


tique aux tendances modernes. Il montre un goût pour l'encyclo
pédisme et de l'intérêt pour la méthode. La croyance que les do
ne sont féconds que si on sait les ménager d'une manière rationn
et qu'une méthode peut remplacer l'intelligence ou dispenser d'
tiative intellectuelle, lui est commune avec Descartes. La métho
pour Bacon consiste à s'affranchir de préjugés, à ne pas se conten
de mots, à se libérer des autorités, à savoir douter. C'est l'essen
de la méthode cartésienne. L'ambition de ces penseurs est de plani
la recherche scientifique ou la découverte en sorte qu'elle soit s
traite aux aléas individuels. Il est probable aussi, que, éclairés par
naufrage de la scolastique, ils souhaitaient, par la formulation d'
méthode, assurer une base solide au nouveau savoir. D'aprè
Novum Organum, ou Indicia de interpretalione naturae, l'interp
Revue philosophique, n° 1/1986

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talion consiste à discerner


les effets naturels. Nous a
sance des causes, c'est-à-dir
des phénomènes différent
tent moins. Pour distingu
priétés. L'instrument de l
conduit des faits aux form
dépend d'une forme, ma
plusieurs formes possibles
déterminer laquelle reteni
toutes les observations dis
interprète les tables obten
active.
La forme de Bacon est proche de la cause formelle d'Aristote
ou de l'Idée platonicienne, c'est la chose même (ipsissima res) ou sa
définition. Il félicite Platon d'avoir assigné la forme pour objet à la
science. La forme au sens baconien rappelle aussi les pratiques
alchimistes, d'ailleurs considérées défavorablement. Pour procéder
à une transmutation, il faut savoir reconnaître la forme des métaux
sous des apparences ou des espèces différentes. Une forme naturelle
est un ensemble de natures simples (froid ou chaud, jaune, pesant,
malléable...), c'est-à-dire est composée d'ingrédients variés separa-
bles et substituables par d'autres ingrédients venus d'autres formes.
Les formes simples sont des qualités (chaleur, couleur, poids, etc.),
qui peuvent résider dans des individus distincts. Les formes simples
seraient celles d'individus, et les formes composées, celles d'espèces.
Les espèces mettent en jeu plusieurs formes. Dans chaque corps, une
nature naturante maintient unis les éléments de la forme. En cette
acception, la forme manifeste l'essence de la chose, la source d'où
jaillissent ses qualités particulières (fons emanationis ) . Ces deux sens
de la forme baconienne (définition ou concept d'une part, loi ou pro-
cessus d'autre part) semblent s'exclure : d'après l'un, la forme
est la nature simple qui constitue l'essence de la chose, d'après le
second la forme est la loi du processus de formation ou de croissance.
Gela tourne vers Platon par un côté, vers Démocrite par l'autre.
A la notion de forme, Bacon juxtapose une notion de qualité.
Ces qualités (chaud, coloré, dense, pesant, etc.), il les appelle des
schématismes ou figures cachées de parcelles invisibles ; ces schéma-
tismes s'adaptent aux formes simples. Rechercher les formes, c'est
chercher ces ordres ou figures cachés (schématisme latents) ou des
mouvements cachés (processus latents). Un exemple de processus
caché est le mouvement des molécules sous-jacent à la chaleur ou à

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nos sensations de chaleur. Ce mouvement et


théorie, constituerait l'essence de la chaleur.
« Les formes sont des fictions de l'esprit hu
appeler lois de l'activité et du mouvement. »
processus latents sont indispensables à conna
la loi qui les décrit pour pouvoir produir
modifier. Ainsi la théorie autant que la prat
naisse la loi. Tout cela est assez platonicien, p
dérait les Idées comme des causes.
L'idée de changements de figure ou de mouvement se retrouve
dans Descartes. Il semble que Bacon a conçu les qualités comme
des mouvements de petites parcelles, sans admettre l'atomisme.
Il tient le vide pour inconcevable, et les parcelles sont indéfiniment
divisibles. Les schématismes et processus sont cependant logés
dans ces parcelles et on aurait finalement un atomisme sans atomes !
La postérité a simplifié la doctrine de Bacon. De son fatras
on a surtout retenu le dédain de la théorie, l'orientation pragma-
tique vers le bien-être de l'homme et le pouvoir sur la nature.
On a omis ou négligé les aspects scolastiques. Réputé pour être
l'initiateur de « la méthode expérimentale », il ne l'a jamais pra-
tiquée. Il a tiré son savoir des livres. Descartes et Leibniz l'ont
utilisé et même pillé. Bacon a mis en circulation mainte absurdité
qui s'est transmise jusqu'à nous sans que nous sachions qu'elle
remonte à lui. E.g. « savoir c'est pouvoir », comme si connaître des
causes suffisait pour être en mesure d'agir sur elles ; imputer aux
illusions des sens la façon dont les choses nous apparaissent lors-
qu'elle diffère des explications scientifiques ; la croyance que l'esprit,
avant de recevoir des impressions, est une table rase, etc. D'autres
idées lui sont probablement attribuées à tort, par exemple que les
théories sont inutiles et que la science est une accumulation de maté-
riaux, une banque de données. Il a affirmé l'importance de l'hypo-
thèse, même si elle est un ballon d'essai, une « première vendange »,
une conjecture provisoire. La vérité, pensait-il, se découvre mieux
à partir de l'erreur qu'à partir du chaos. « Gitius emergit veritas ex
errore quam ex confusione. » II ne se fait pas forcément une peinture
sommaire de l'induction, et celle par « enumeration simple », qui
consiste à se contenter des cas favorables en négligeant ceux où le
phénomène n'arrive pas, est justement le type de raisonnement qu'il
critique (il le range parmi les « idoles de la tribu »). Malgré cela,
Bacon accorde peu d'importance à la déduction, et il ne voit pas que
c'est, au dernier acte, la déduction qui fournit une preuve de
l'hypothèse obtenue inductivement. Il croit que l'induction peut

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découvrir la forme. Les hi


entendre par forme une lo
tative constante, et Bacon
En fait l'idée de loi d'évolu
essence rentre dans la forme.
Une autre contribution de Bacon dont le souvenir nous a été
transmis par le langage philosophique, est sa théorie des idoles, dont
il distinguait quatre sortes : les idoles communes à l'espèce humaine
(idola iribus) ou idoles de la tribu, tiennent à nos tendances à l'expli-
cation anthropomorphique ou anthropocentrique : nous inclinons à
penser les choses dans leurs rapports à nous plutôt qu'à l'univers,
c'est-à-dire à supposer que nous sommes la mesure des choses;
nous tendons aussi à surestimer l'ordre et la régularité dans le monde.
Par exemple la règle, qu'utilisent Copernic, Galilée, et Newton,
que la nature suit toujours les voies les plus simples, ressortirait
aux idoles de la tribu. Les idoles de la caverne (idola specus) vien-
nent de l'individualité (des dispositions particulières des individus).
Les idoles du marché (idola fori) sont les illusions dues à la puissance
des mots sur la pensée (critique nominaliste du langage abstrait). Les
idoles du théâtre (idola Ihealri) sont dues à la force des idées reçues,
au conformisme propagé par les traditions et les enseignements.
Bacon, de même que Descartes, soumet la scolastique à une
critique sévère qui a souvent fait illusion en empêchant de recon-
naître l'étendue de ses emprunts à la tradition. Il est impossible
d'être entièrement novateur. Dans le domaine intellectuel, il n'y a
jamais de rupture radicale ni de création ex nihilo. (On fait aujour-
d'hui, autour des « révolutions scientifiques », un bruit assez vain.)

1.2. Galilée contre le qualitatif aristotélicien et médiéval. La


physique de Galilée est une théorie du mouvement selon le dictum
latin « Ignorato motu, ignoratur natura », traduction d'Aristote
(Physique, III). Appliquant les idées mécanistes aux apparences
matérielles, Galilée distingue des qualités premières (étendue,
figure, mouvement, impénétrabilité), et des qualités secondes (cha-
leur, couleur, saveur). Les unes correspondent à des propriétés de
l'objet, les secondes résultent en partie des affections de nos sens.
On peut concevoir une matière séparée des qualités secondes ; on
ne peut pas en concevoir hors du temps et de l'espace. Les sensations
impliquent des mouvements réels ; en cela les qualités secondes sont
une réalité sous forme de mouvements dont la vitesse et la direction
sont variables. Ainsi tout phénomène relève d'une explication
mathématique et mécanique. Gela contredisait le point de vue

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La philosophie de la nature 63

qualitatif de la physique aristotélienne et mé


duit Tidée d'étudier les variations quantit
dans la chute libre. Le point de vue de la qua
à la mesure, aux applications pratiques, et au
Cette conception implique le déterminisme,
comme par Kepler, aux notions de « loi natur
de la nature », dont l'origine remonte à Pyt
doctrine des Idées survit sous la forme de l'h
du monde physique se répartissent en espèce
transfère la notion de l'Idée des substance
rapports de causalité entre les états des chose
des lois de l'enchaînement des faits. Dans les
nous remontons des effets aux causes. « La connaissance des effets
nous mène à rechercher et à trouver les causes ; autrement nous ne
ferions que marcher à l'aveuglette, et notre démarche serait même
moins sûre que celle des aveugles, puisque ceux-ci savent où ils
veulent aller, tandis que nous ne saurions pas à quoi nous espérons
aboutir. »
Galilée définit la cause comme une condition suffisante et néces-
saire de l'effet : « La cause est ce dont la présence est toujours suivie
de tel effet » (la cause est condition suffisante), « et qu'il suffit d'éli-
miner pour que l'effet ne se produise pas » (la cause est condition
nécessaire).
Le principe de causalité peut s'énoncer :
(1) « A causes identiques, effets identiques », ou « Mêmes causes,
mêmes effets ».
Conformément à (1), Galilée soutient que quand il y a variation
de l'effet, il y a variation dans la cause : « S'il est vrai que pour chaque
effet il y a une seule cause première, et qu'entre la cause et l'effet
il existe une connexion ferme et constante, il s'ensuit nécessairement
que chaque fois qu'on observe dans l'effet une altération ferme et
constante, il y a aussi altération ferme et constante dans la cause. »
Fauk-il admettre la réciproque ? « Illa certa causa non est quae
sublata non tollitur effectus », i.e. une cause qui n'est pas nécessaire
à l'occurrence de l'effet n'est pas une cause certaine. C'est peut-être
de là qu'on a tiré la maxime « sublata causa, tollitur effectus »,
c'est-à-dire que la cause est condition nécessaire de l'effet. Si A est
cause de B, B doit disparaître quand on supprime A. Pour le coup
cela est faux, car il arrive que l'on puisse perturber ou modifier les
causes sans supprimer l'effet.
L'énoncé (1) n'empêche pas que des causes différentes puissent
avoir des effets identiques. Le principe admis par Galilée suppose

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l'univocité du rapport ca
et la robustesse de ce rap
une seule cause première
la géométrie et non dépou
comme évident « qu'à u
efficiente correspondra
l'effet, et multipliée pa
suppose la proportionate
tionalité étant supposé ég
on double les vitesses. D
pouvons « mesurer par la
soit qu'il s'agisse d'étend
perfection et la noblesse
fection (la symétrie) des
est une transformation q
qui est telle que l'objet co
symétrique, si nous le to
sons d'un motif à un mot
considérer qu'un objet te
gone régulier, parce que l
du cercle sont plus nomb
polygone. Une sphère, so
pour le symbole de la pe
Galilée propose une sor
« principe de Curie » (Sur
1894), qui énonce que l'eff
cause (le groupe de symét
de transformations que le
pas être plus petit). La
principe correct stipule
tains effets, la symétrie
ou bien la dissymétrie d
causes. C'est donc la perf
les effets, ou bien la per
grande que celle des cause
des effets doive toujours
peuvent être plus symé
dissymétrie provenant d'
En termes généraux, des
les causes, doivent laisser
tiques produisent des eff
perturbe les causes), mais

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La philosophie de la nature 65

inchangés n'ont pas besoin de laisser les ca


mêmes effets peuvent être engendrés par
Ainsi les transformations qui laissent l'eff
laisser toutes les causes inchangées. On dit q
(ou le groupe de symétrie) de la cause est un
de symétrie de l'effet.
Galilée était-il conscient que les lois phys
par certaines transformations ? En tout ca
n'y a pas symétrie des lois physiques par
On ne peut pas doubler la taille d'un bâtimen
des matériaux. Leur solidité ne varie pas d
que leurs dimensions. Galilée avait remarqu
forme et de matériaux identiques, le plus
Cela tient à ce que quand la taille croît de 1
et le poids, qui varient dans des proportion
rapport de 1 à 28, c'est-à-dire sont huit fo
soit le matériau employé, il y a une limite
des objets qui fait, qu'au-delà de cette di
s'effondre par son propre poids. C'est ce
d'échelle ». La nature et les architectes com
tailles croissantes en utilisant des structure
des entretoises ou par des membranes, c
augmentant la solidité.
Galilée cherchait des causes mécaniques
de pesanteur, en ajoutant qu'il faut cherch
Il doutait qu'expliquer par la pesanteur f
ignorons ce qu'elle est. La notion risque alor
d'être la couverture d'une « qualité occulte
Galilée avait vu que la causalité (en méc
est liée à la symétrie dès les fondement
principe de raison suffisante est déjà invoq
un corps céleste placé symétriquement par
ne s'écarte pas sans cause de sa position ; il
même Archimède montre que si deux objet
sur les plateaux d'une balance, elle restera
n'y a pas de cause qui la fasse incliner d'un c
Aristote (Physique, IV (8), 214 b) réfute ce
le mouvement n'existe pas sans vide par l'a
le vide il n'y a aucune raison qu'un corps s
en sorte que le mouvement devrait continue
de vue fmitiste d'Aristote, cette conséquen
à la symétrie demande une cause. L'exig
RP

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encore en relation avec un


celle par rapport au dép
seul le mouvement relati
ment absolu ; il n'y a pas
mouvement rectiligne un
être invariantes sous une
de celui de Lorentz).
Aristote s'appuie sur le p
le mouvement d'inertie. Le même raisonnement conduit Galilée
à l'admettre. Il procède lui aussi par expériences de pensée, et y
joint des expériences réelles (le plan incliné, l'examen de phéno-
mènes courants). Il est parvenu, en partie par des voies a priori, à
reconnaître qu'il faut une force pour arrêter le mouvement ; la force
n'est pas la cause de la vitesse, elle est la cause du changement dans
la vitesse, c'est-à-dire la cause de l'accélération. (L'accélération est
le taux de changement de la vitesse ; attendu que la vitesse est à la
fois une grandeur - au sens de nombre - et une direction, l'accélé-
ration peut se manifester par un changement de direction.) Bref le
mouvement d'inertie se présente déjà comme une conséquence du
principe de raison : un corps qui se déplace en ligne droite à vitesse
constante n'a aucune raison de finir sa trajectoire, il y faut une cause
(une force). Sinon il n'y a pas de raison qu'il s'arrête.
Abordant le sujet du principe d'inertie, Descartes (Principes de
la philosophie, II, § 37) le justifie par l'absence d'une raison, c'est-à-
dire d'une cause conceptuelle : « De cela aussi que Dieu n'est point
sujet à changer, et qu'il agit toujours de même sorte, nous pouvons
parvenir à la connaissance de certaines règles, que je nomme les
lois de la nature, et qui sont les causes secondes des divers mouve-
ments que nous remarquons en tous les corps, ce qui les rend ici
fort considérables. La première est que chaque chose en particulier
continue d'être en même état autant qu'il se peut, et que jamais
elle ne le change que par la rencontre des autres. Ainsi nous voyons
tous les jours, lorsque quelque partie de cette matière est carrée,
qu'elle demeure toujours carrée, s'il n'arrive rien d'ailleurs qui
change sa figure ; et que, si elle est en repos, elle ne commence point
à se mouvoir de soi-même. Mais lorsqu'elle a commencé une fois de
se mouvoir, nous n'avons aussi aucune raison de penser qu'elle doive
jamais cesser de se mouvoir de même force, pendant qu'elle ne
rencontre rien qui retarde ou qui arrête son mouvement. De façon
que si un corps a commencé une fois de se mouvoir, nous devons
conclure qu'il continue par après de se mouvoir, et que jamais il ne
s'arrête de soi-même. »

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La philosophie de la nature 67

Leibniz admet le principe d'inertie au tit


du principe de raison suffisante, et il cite «
déjà employé par Aristote » : « Quicquid
moveri eodem modo, nisi superveniet imp
qui se meut se meut toujours de même faç
vienne un obstacle »).
Inversement, la causalité conduit à la sym
classique on commence par établir les loi
conduit à voir que certaines grandeurs son
tité de mouvement par translation spatiale,
temporelle. Le moment angulaire h = r
rotation spatiale, autrement dit les direc
Tout cela demandait un acte d'abstraction car nous faisons une
différence entre une horizontale, une verticale, et une oblique, entre
l'immobilité et le mouvement rectiligne régulier, etc. Mais si les lois
de la nature n'étaient pas invariantes par déplacement dans le
temps et dans l'espace ou par changement d'orientation des appareils,
il serait difficile d'avoir une science physique.
D'une façon générale, des principes de conservation sont liés
à des symétries.
On a pu inverser l'ordre de la découverte, qui généralement va de
la causalité vers la symétrie. Au lieu de s'élever des lois du mouve-
ment aux symétries, on pose des symétries et on dérive les lois du
mouvement ou des principes de conservation. Par exemple on écrit le
lagrangien et on déduit les lois du mouvement moyennant un prin-
cipe variationnel. Cette méthode a priori pourrait s'appeler « phy-
sique des principes » (H. Poincaré). Entre le lagrangien L(i/', y, t)
et les lois du mouvement, le principe de la moindre Action assure la
liaison. Annuler la première variation de l'intégrale de L(y', y, t) dt
entre a et 6 pour tous les mouvements y = q(t) qui prennent le
système dans une position donnée à l'instant a et le laissent dans une
autre position à l'instant 6, implique (condition nécessaire) certaines
équations, dites d'Euler-Lagrange. La ligne, si elle existe, qui rend
minima ou maxima l'intégrale d'Action, doit être cherchée parmi
les mouvements qui satisfont aux conditions d'Euler-Lagrange. Il
a été démontré qu'à toute transformation de symétrie, sous laquelle
le lagrangien est invariant, est associée une loi de conservation.
Autres exemples de théorie de principe : les deux Relativités
d'Einstein, l'équation de Dirac ont pour origine des considérations
de symétrie des lois physiques. Récemment des théories sont appa-
rues, qui sont basées sur l'idée que les symétries peuvent servir à
définir des interactions. C'est le cas des théories à symétrie locale,

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qui requièrent l'existence


de phase qui dépend du p
Ce qui pose une énigme,
universellement vrai : la
jours réalisée par les état
partiellement. Pourquoi l
La nature a des symétrie
lois de conservation (de l
moment angulaire, de la
aussi des symétries appro
ne sont jamais tout à fait
d'une structure plus gran
interagit avec le tout et i
dent la symétrie imparfa
disparaissent peut s'exp
brisées par une autre inte
on la débraye. Par exemp
proton qui ont la même
charge électrique. Le lagr
des nucléons, est invaria
topique : rien à voir ave
ces particules sont interc
de l'interaction électro-m
de parité - non-distincti
par les interactions forte
Il y a donc passage de la
à la causalité, et en sens i
verte empiriquement ou
mathématisée, tend à réd
en s'élevant du niveau d
actions causales à leur ex
l'examen de l'histoire. Ai
versa une crise quand on
mécanique ne pouvait pas
culté fut résolue par la R
groupe de Lorentz, modi
changement des notions
tique met en lumière d
années 25, on découvrit u
qui a des valeurs multipl
de Planck h. Les fonction
symétriques (statistique

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La philosophie de la nature 69

demi-entier sont antisymétriques (statist


fermions). Ces notions abstraites permettent
chimiques et la table des éléments atomiques
que les noyaux atomiques ne se conforment
spin et statistique. Les lois de conservation
Paruli les sauva en introduisant l'hypothèse
trino, qui fut par la suite corroborée.

2. Descartes : une philosophie de constructi


pour but de fixer les découvertes, de systém
qu'une vision confuse ou éparpillée, en enchaî
thèses supposées valables. Des causes, il comm
finales, dont abusaient les médiévaux : l'expl
est trop facile, c'est souvent celle de la paresse
cher le fonctionnement ou les véritables cau
notre philosophie la recherche des causes fina
pas tant présumer de nous-mêmes que de cr
voulu faire part de ses conseils » (Principes, I
déjà été formulée par Galilée : comment pou
les raisons du Tout-puissant ? (L'argument e
que de théorie de la connaissance.)
On croit que Descartes a introduit l'expérie
rimente pas et observe moins qu'Aristote.
claire et distincte répond nécessairement un
nément - qu'il faut d'abord poser les fondem
de la physique, et que de là le reste se dédui
on ne construit pas une science en procéda
vers le haut, comme on fait pour les maisons
Descartes envisageait de déduire un systèm
de principes simples. Il disait qu'il se souciait
ment le monde est fait s'il ne pouvait éga
doit par nécessité avoir été fait ainsi. Ave
contemporains, il partage la tendance à l'aff
répandue à l'époque, et il surestime les mo
xvne siècle, aucune science n'était mûre pou
La forme deductive des spéculations carté
semblant de certitude mathématique. Ne s' e
riences, ni de mesures, ni d'observations, De
des réponses infaillibles sur toutes les questio
sur la philosophie, au lieu de dériver la ph
sciences (c'est ce qu'on appelle « travailler en
principes évidents (alors que, selon lui, la gr

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70 Jean Largeault

sont pas), il admet retend


qui occupe un espace n
L'étendue constitue le c
misme : la matière est di
distinction d'Aristote entre le monde céleste et le monde sublunaire :
la matière est la même partout, et « sa nature consiste en cela seul,
qu'elle est une chose étendue ». Les corps matériels agissent les uns
sur les autres par contact et de proche en proche (il n'existe
pas de vide). Descartes conçoit les causes comme homogènes à
leurs effets, lesquels sont ramenés au mouvement. Les actions ne
peuvent se communiquer que par le mouvement. Tous les phéno-
mènes doivent s'expliquer par la figure i.e. la forme (géométrie),
et le mouvement (ou le repos), sans qu'il y ait lieu de faire appel à
des qualités occultes. La conservation du mouvement est une ten-
dance à la conservation de la forme, le principe d'inertie résultant
a priori de la règle que rien ne se modifie sans raison (principe de
raison suffisante). C'est ce que Descartes avait pu trouver dans
Bacon et dans Galilée. La physique cartésienne, qui est d'ailleurs
un ensemble d'hypothèses schématiques (sans aucun effort de mathé-
matisation), tend à réduire les causes à des causes formelles. Les
historiens (Y. Belaval, Leibniz critique de Descartes, 1960, p. 446)
relèvent que l'homogénéité des effets et des causes se heurte à un
obstacle : la relation causale est de deux types, mouvement trans-
formé pour la substance étendue, régularité de succession pour la vie
mentale. « Le dualisme des substances entraîne un dualisme dans la
théorie de la causalité », la causalité formelle dans l'étendue se
doublant d'ailleurs d'un libre arbitre dans les âmes. Descartes, qui
méprise la théorie aristotélienne des causes, manque à distinguer la
cause et la raison - en tant que représentation conceptuelle de la
cause ; il ne se doute pas que le passage de l'une à l'autre ne va pas de
soi. A des exceptions près (e.g. l'idée newtonienne d'éliminer des
forces inertielles par un changement de repère), les formalismes de
causalité formelle apparaîtront en physique seulement plus tard
(fin du xviiie siècle : mécanique analytique de Lagrange ; xixe siècle :
dynamique hamiltonienne ; 1905 : Relativité restreinte, etc.) ; ils
sont devenus fondamentaux. On peut dire que Descartes se donne
des causes - qu'il appelle de grands principes - d'où il déduit les
effets. Ce qui possède une valeur intelligible possède a priori une
valeur causale : « J'ai dessein d'expliquer les effets par leurs causes,
non pas les causes par leurs effets » (op. cit., III, § 4). En réalité
Descartes identifie la nature, la matière, etc., avec des abstractions
ou avec des propriétés géométriques qui sont élaborées par la raison.

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La philosophie de la nature 71

II pense que ses définitions sont absolument va


et il néglige de comparer ce qu'il en déduit à l'e
n'est pas condamnable en soi, mais les abstr
portent la marque de son imagination plutôt q
(atomes crochus, matière cannelée, etc.). Newto
ront contre l'arbitraire cartésien, qui ne s'appu
matiques ni sur la vérification empirique ou e
mettre à la charge de Descartes son extraordin
son dédain à l'égard de Galilée, de Fermât, et d
que lui ; porter à son crédit le fait qu'il était i
du savoir de son temps. Dans le domaine de l'e
tentatives sont risibles, d'un amateurisme d
Pécuchet. Il lui manque l'intuition physique qu
Mais à l'époque on ne faisait généralement g
cartes, faute, en partie, d'instruments de pr
raille l'apriorisme imaginatif cartésien, n'a pas
l'observation sérieuse. Il était seulement plus s
tiques ; le calcul infinitésimal lui permet de p
applications et de mieux formuler les lois de la
ni Leibniz n'ont été habiles à accorder la raison
qu'ils prétendaient le faire. Leibniz a prévu le d
expérimentale qui risque d'étouffer la raison par
sive des observations dispersées » (Y. Belav
Danger qui n'était pas immédiat, et concernait

3. Newton : le laconisme en méthodologie. Que


Principia Mathematica (1686-1687) ont été l'
prétation positiviste. Après avoir formulé m
loi de gravitation, qui rend compte des orbite
ajoutait : « Je n'ai pas encore pu faire dériver
raison des propriétés de la pesanteur, et je n'i
thèses. » D'après les commentateurs, cela est ce
s'abstient de faire des hypothèses. (Mais d'où s
tation ?) On lui a prêté une méthode inductiv
comprise comme une accumulation d'expérie
impliquer l'hypothèse comme par sommation.
tiques, elles auraient été pour Newton un instr
auquel on peut obtenir des résultats ou des pr
quantitatif. Pour résumer, toute une tradit
attribue à Newton l'invention de la « méthode
est éloigné de ce positivisme idéaliste :
D'abord le texte cité signifie plutôt : « Je ne

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72 Jean Largeault

thèses fictives » ou gratui


siens qui forgent des m
sorte. Newton gardait par
se jugeait pas en mesure de
l'expérimentation. « Je ne
écrivait-il en 1672 (d'apr
III, p. 557). Il n'a jamais s
Celles qui peuvent être p
causae).
La découverte ne résulte pas d'accumuler des faits. Il faut avoir
une idée pour que les faits prennent un sens en y confrontant l'idée.
La méthode newtonienne combine l'induction (l'hypothèse), la
déduction, et la comparaison des conséquences déduites aux résul-
tats de l'expérience.
Les mathématiques ne sont pas seulement un guide déductif
dans le calcul des relations entre les phénomènes, elles révèlent une
réalité plus profonde que celle que l'on perçoit par les sens. Par
exemple l'espace et le temps absolus sont plus réels que l'espace et
le temps sensibles. Newton calcule des quantités, Descartes donne
des apparences d'explication. Mais pourquoi les calculs de Newton
marchent-ils ? La réponse est que certaines structures mathéma-
tiques sont adaptées à certaines structures physiques et peuvent les
représenter. Par exemple les équations différentielles de degré 2
(positions et vitesses comme conditions initiales), représentent le
mouvement de points matériels.
Descartes voit dans la nature (il préférait dire : « le monde »
ou « l'univers ») une machine dont connaître le programme ou le
secret suffît à déduire le fonctionnement. Pour lui la nature n'est
pas un cosmos ; elle se réduit à l'étendue douée du mouvement que
le Créateur lui a donné. Newton conçoit la nature comme un ensemble
de puissances ou d'activités. « Nous qui avons pour objet non pas
les arts mais l'avancement de la philosophie, ne nous bornant pas à
considérer seulement les puissances manuelles, mais toutes celles
que la nature emploie dans ses opérations, nous traitons principale-
ment de la pesanteur, la légèreté, la force élastique, la résistance des
fluides et les autres forces de cette espèce, soit attractives soit
répulsives ». Par exemple la gravitation, puissance naturelle ou
qualité, est amenée par la théorie à l'expression mathématique.

4. Les problèmes des rationalistes : V accord de la pensée et du réel,


la cohérence causale. Descartes estimait que la pensée se connaît
mieux que l'étendue : l'existence de la seconde est subordonnée à

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La philosophie de la nature 73

l'existence de la première, puisque la pensé


ment, tandis que l'étendue n'est saisie qu'à
tation et qu'elle a besoin d'une preuve. C'ét
tion de l'idéalisme. D'autre part les mod
sentir, vouloir, n'ont que des rapports d
l'étendue, i.e. figure et mouvement.
Le dualisme cartésien des substances a en
systèmes. L'idéalisme du sujet pensant d
lisme de Berkeley et à la critique psycholog
des modes de l'étendue dans ses rapports a
gine des systèmes monistes de Spinoza et d
la pensée et celui de la nature se rejoignen
stances cartésiennes, réduites à la conditio
dans la substance unique, indivisible et im
soit qu'elles se correspondent fonctionnell
préétablie (Leibniz). Une autre tentative de
lien causal que Descartes avait laissé ent
l'étendue et du mouvement d'une part, ceu
perception d'autre part, est l'occasional
variante d'harmonie préétablie. Dieu opère
à l'occasion des changements d'état de l'â
d'état de l'âme à l'occasion du mouvemen
la loi des relations causales qu'il applique
est un déterminisme ou un prédéterminism
causal que pour Dieu : l'efficace réel ou la m
agissent les unes sur les autres est invisibl
constatons que des lois de correspondance
l'idéalisme berkeleyen (l'être est ce qui app
stances ni causes. La nature perd le faib
qu'elle garde encore dans le système de Ma
de loi ne peut même plus se formuler. Die
et de l'harmonie des phénomènes c'est-à
en nous.

Descartes avait critiqué les pré- cartésiens, i.e. l


Spinoza, Leibniz, Berkeley et Hume portent la cri
s'est pensé depuis Descartes. Hume nie qu'on pu
conceptions à des mots tels que « force », « action »
Il ne conserve pas le sentiment de la force ou de
Ses principes sont les suivants : « Toutes les perce
sont des existences distinctes ; l'esprit ne perçoit ja
réelle entre des existences distinctes ».
Ces doctrines ont un point commun : éviter le réalisme des causes

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74 Jean Largeault

efficaces qui avait engendr


tielles des scolastiques. O
(essences : Spinoza, Leibn
soit des lois de successio
(Hume).

5. Le réalisme dialectique : ce qui est objet pour une pensée est


aussi sujet dans la réalité.

5.1. Spinoza : des formes aux forces. Le parallélisme entre l'être


et la connaissance, ou entre la nature et l'entendement, n'est réalisé
que pour les degrés les plus élevés de la connaissance. La plus haute
est celle par l'essence ou par la cause, mais la cause dont il s'agit est
la cause formelle. Par exemple lorsqu'on dit que deux droites paral-
lèles à une troisième sont parallèles entre elles, on ne fait pas allusion
à une cause efficiente. La cause d'une essence n'est pas un événement
temporel, c'est cette essence elle-même (qui est alors cause de soi),
ou bien une autre essence. Toutes les essences étant reliées entre
elles, la connaissance d'une essence inclut celle des rapports qu'elle
entretient avec les autres essences - autrement dit c'est le savoir
d'une structure. (La définition ne suffit pas, il faut connaître des
théorèmes !) « Une essence n'est donnée que si elle est déterminée
par le système des essences. Par suite pour affirmer la réalité d'une
essence, c'est le système tout entier qu'il faudrait connaître, et non
pas seulement une idée isolée » (A. Rivaud, Les notions d'essence et
d'existence dans la philosophie de Spinoza, 1905, § 53, p. 68). D'autre
part le monde sensible est peuplé d'existences ou de choses singu-
lières et changeantes, qui ne se confondent pas avec les essences.
Avec elles s'introduit un second degré de causalité, qui se développe
dans le temps. Exactement comme pour Descartes, l'effet et la cause
apparaissent comme des données successives et hétérogènes. Spinoza
considère cette seconde causalité, transitive et temporelle, comme
découlant de la première, immanente et éternelle, bien qu'elle en
soit distincte. Elle tient son efficace de la causalité immanente et
éternelle qui la meut : ainsi ordinairement les faits s'enchaînent les
uns aux autres ; en certains cas, la causalité efficace peut s'ajouter
à la cause formelle, l'essence ou la forme exerçant une action causa-
tive (pouvoir des formes). Les deux causalités, l'une essentielle et
éternelle, l'autre qui s'exerce dans la durée, s'unifient à titre de deux
modes de l'action divine, deux expressions d'une même force. La
difficulté du spinozisme est de préserver au monde sensible quelque
réalité, tout en lui ménageant de converger avec le monde idéal dans

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La philosophie de la nature 75

l'unité divine. Les modes finis, c'est-à-dire l


ne se déduisent pas des attributs divins (le
dans les attributs de la substance et ils son
s'opèrent dans les attributs). Ils constitu
Dieu est immanent. Tous les êtres sont ani
n'étant pas exclusive de loi formelle inflexible
et de l'inanimé résulte de la complexité
individus ou dans les organismes, est une c
qui se marque par une certaine proporti
repos, proportion stable relativement à to
rieurs. Les historiens appellent parfois dédu
du système spinoziste. Elle leur semble
serait-il meilleur d'adopter un point de vu
de logique et de parler d'un passage des f
formel à l'efficace.

5.2. Leibniz : l'harmonie préétablie comme système de causalité


formelle. Touchant la causalité, Leibniz cherche à découvrir sous le
rapport causal, donc sous le changement, quelque chose qui demeure
invariable à travers les transformations des phénomènes.
(1) D'abord il renforce le principe de causalité en principe de
symétrie ou de raison suffisante. Le principe de raison est une loi
de la nature et une condition d'intelligibilité du réel. Il n'y a pas
d'effet sans cause, et toute cause est aussi une cause conceptuelle,
c'est-à-dire une raison. Que cette correspondance existe, cela n'est
pas démontré et constitue plutôt un axiome du réalisme dialectique.
Le principe de raison sert aussi à justifier l'induction, autant qu'elle
est un raisonnement par analogie, plutôt qu'une généralisation de
logiciens. « L'analogie est fondée en ceci que ce qui s'accorde ou
s'oppose en de nombreux cas, nous soupçonnons qu'il s'accorde ou
s'oppose aussi dans des données voisines, conformément aux pre-
miers cas » (Leibniz in Y. Belaval, op. cil., p. 522).
(2) La cause égale l'effet. Leibniz modifie le mécanisme cartésien
en introduisant les notions de force et d'énergie. A la « quantité
de mouvement » (vecteur, non pas grandeur scalaire, contrairement
à ce que Descartes avait cru), il substitue la force vive, c'est-à-dire
deux fois l'énergie cinétique. La quantité de mouvement est la
mesure de la force qui engendre une certaine vitesse, plus exacte-
ment la force égale la variation de la quantité de mouvement. Mais
la force vive, qui mesure la force agissant pendant le parcours d'un
intervalle donné, est une énergie. La somme des forces vives est
positive. La somme des « quantités de mouvement » pour l'univers

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76 Jean Largeault

est nulle. Cela rend implau


niques. A cette occasion L
des effets. « La même quan
entier est égal à sa cause t
entre la cause et l'effet n
s'ensuit que la « réalité vra
mouvement ; elle est quel
ou le changement de lieu.
vation pour les forces plu
phénomène. Ces considérat
tées : d'abord il faut ajo
l'énergie potentielle, ce qu
en mécanique. Ensuite, au
un équivalent mécanique d
loi de conservation de l'én
Le principe que la cause é
(a) II est une exigence de
quelque chose qui demeu
transformation des phéno
(b) Lorsque la relation c
est cause de x », la foncti
variations de la cause y so
dans l'effet x :

dy = f[x) dx,

c'est-à-dire que localement les (variations des) causes sont propor-


tionnelles aux (variations des) effets, il y a une proportionate des
effets et des causes (cf. (1) ci-dessus, § 1.2). Cette hypothèse de
continuité permet à Leibniz de faire ce que Descartes ne pouvait
pas, rapprocher l'effet de la cause. (Descartes admettait la disconti-
nuité du temps et du mouvement.) De plus dans l'univers leibnizien
tout se tient ou s'implique (relations internes, « entr' expression »).
(c) C'est un principe d'extrémum ou plutôt de stationarité, en
liaison avec l'idée de déterminisme ou de détermination univoque
des effets par les causes.
(d) Leibniz a eu l'idée qu'à une singularité de fonctions réelles
est liée une forme remarquable. Ce qui l'intéresse, c'est l'unicité de
la forme au point d'équilibre qu'il appelait un maximum ou un
minimum. (Dans le maximum ou le minimum, ce n'est pas la gran-
deur qui lui importe, en dépit du commentaire inepte de L. Couturat,
reproduit par Y. Belaval, op. cit., p. 406.) De même qu'à propos du
principe de la moindre Action (pressenti par Leibniz ou tenu par lui

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La philosophie de la nature 77

pour évident), « dans un mouvement libre,


mouvement est ordinairement un maximum
son optique est qualitative. Cela a aussi un r
minisme. « Le plus déterminé devient le plus
volonté souveraine » (ibid., p. 407). De tout
Spinoza et de Leibniz est Tordre immanent à l
de la beauté, de l'unité et de l'harmonie du cos
des lois ontologiques. La condition qu'on en
l'existence du déterminisme.
(e) Enfin l'ordre est fondé téléologiquement. Si l'effet dépassait
la cause, une partie de l'effet serait sans cause, ce qui est incompa-
tible avec (1). Réciproquement, si l'effet était moins que la cause, la
perfection diminuerait (principe de symétrie !), et d'ailleurs aucune
cause ne serait reproductible. Les deux hypothèses contredisent la
sagesse divine. L'équivalence entre la cause et l'effet ne résulte pas
seulement des mathématiques et de la mécanique ; elle a une racine
téléologique. (Dans le système leibnizien, la finalité ne sert pas à
expliquer des phénomènes ; elle intervient comme élément consti-
tutif de la réalité, exigé par une conjecture fondamentale d'intelli-
gibilité des existences.)
Conclusion. Les systèmes classiques reposent sur une opposition
entre un univers intelligible et un univers de nos perceptions ou du
sensible. Cette antithèse, présente dans la philosophie depuis Par-
ménide, est un des articles du platonisme. Ces deux mondes, les
classiques les hiérarchisent et essaient d'expliquer le second par le
premier. Le premier est celui des essences, le second celui des choses
singulières (Spinoza), ou bien respectivement des monades et des
phénomènes (ceux-ci étant les manifestations d'un ordre objectif :
Leibniz). Parallèlement il existe deux grands genres de connaissance,
l'une par les idées ou les notions communes, connaissance dont le
prototype est représenté par les vérités et la déduction mathéma-
tiques, l'autre par la perception ou les sens (connaissance empirique).
Le premier genre de connaissance est regardé comme supérieur au
second.

Cette vision soutenait la croyance que l'ordre des existences


(causalité physique visible ou efficace), l'ordre idéal des essences
dans la réalité en soi (causalité formelle), et l'enchaînement rationnel
des idées, se correspondent. C'est ce que F. Enriques appelle « réa-
lisme dialectique » (Causalité et déterminisme dans la philosophie et
V histoire des sciences, 1941, p. 40), que Spinoza résume par une
phrase admirable : « Ordo et connexio idearum idem est ac ordo et
connexio rerum » (Ethique, II, vii). Descartes, réduisant les causes

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78 Jean Largeault

à des mouvements, avait


causes et des effets, pu
mouvement. « Géométriq
efficaces étaient élucidée
siens veulent aussi ramen
ils voient un principe d'in
mouvement, action par
plus cohéremment, de la
d'ontologique à la fois,
pensait avoir rendue gé
exprime la causalité form
cartes plus en accord avec
soutenu une conception n
qui admet des forces dan
causes » (L'expérience hum
1949, chap. XXIII). Cette
que les mathématiques so
logie ; que les causes ne s
relations légales. D'ailleurs
lité pourvu qu'on écrive d
égard à leur structure, n
vulgaire. Enfin sous l'ang
ne tient pas (cf. Y. Belava
Comment apprécier la co
progrès de la physique ? L
de la mathématisation o
confiance des classiques d
l'expérience et l'expérimen
vicg, rien de commun. En
tique et au monde intellig
empirique et sur le mond
grande valeur des création
tiques dans le calcul ou la
« morgue philosophique »
n'est pas « l'esprit ». C'est
reflète mieux le fond de l
réalité la plus réelle. Le
s'expliquent par les relatio
découvrir parce que comm
En bref ni Leibniz ni Spin
scolastiques mal dégrossis
dement réaliste est qualit

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La philosophie de la nature 79

positivistes. Il ne survit pas au changeme


fin du xviie siècle.
Leibniz a introduit dans la physique des principes de stationarité,
dont Euler et Maupertuià comprennent l'importance, mais dont se
méfient les hommes des Lumières. Le xvme siècle est orienté vers
les philosophies de la pluralité et de l'expérience. (Dès le fin du
xviie siècle, l'influence de Leibniz en science et en philosophie est
neutralisée par la publication des Principia de Newton. A dire vrai,
depuis les années 1300, les philosophes prêchaient les vertus de
l'expérience. On en parlait toujours, on en faisait peu. Les choses
changèrent après les 1700.) Le terme de cette évolution est un ren-
versement du rationalisme des trois grands classiques. Le vrai
concernait les essences; l'expérience était l'affaire de l'opinion, la
science consistait en déductions nécessaires touchant la réalité des
substances et des causes. Les êtres particuliers et changeants avaient
une réalité sans être la réalité. Du point de vue empiriste, c'est
juste le contraire. Les substances et les causes étant jugées hors de
portée, le monde de la science physique se réduit aux observables
(phénoménisme) ; le raisonnement mathématique continue de
passer pour nécessaire, mais ses objets étant réputés des abstractions
logiques, il n'a valeur que d'intermédiaire de calcul (instrumenta-
lisme). La vérité, autant qu'elle a un sens, concerne la connaissance
sensible ; la science porte sur les phénomènes dont l'enchaînement
est décrit par des lois. Que la causalité implique l'idée de succession
temporelle constante n'avait pas effleuré l'esprit des rationalistes
classiques. Où ils parlent de loi, ils entendent non pas la succession
mais la règle de la série : la loi persiste sous la suite des termes, elle
est la formule de l'évolution des états d'un individu. La loi en tant
que fondée sur la mesure et exprimant des rapports de quantité leur
est étrangère. On attribue à D. Hume l'abandon de la cause pour la
loi - entendue comme relation quantitative. Le pas décisif fut
accompli par des cartésiens, qui trouvent dans les relations de l'âme
et du corps un mystère insondable. A la réflexion il leur semble
ensuite que le même genre de circonstance incompréhensible se
répète chaque fois que des objets ont à interagir. Ces théologiens
(A. Geulinx, N. Malebranche) attribuent donc la causalité à Dieu
et restreignent la connaissance à la face extérieure des choses.
Malebranche admet qu'il y a un sens à chercher la raison suivant
laquelle s'articule le plan divin ; il n'y en a aucun à vouloir com-
prendre la volonté divine, la puissance qui la met en œuvre et
engendre l'effet. Ainsi nous pouvons, à la rigueur, attraper des
miettes de cause formelle. La causalité véritable, l'efficace, nous est

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80 Jean Largeaull

cachée. Le point nouveau


actions transitives et qu'
formelles, contrairemen
classiques. Le second poin
tives sont le fait de la pu
cause. Il ne reste à la scie
de succession régulière. H
branche et le positivisme
digme épistémologique (l
unifiée par un détermin
un progrès univoque, c
d autres crurent trop vol
Jean Largeault.

BIBLIOGRAPHIE

Outre les ouvrages mentionnés dans le texte, et que j'ai utilisés, on


peut consulter :
H. Bergson, Uévolution créatrice, 1907, chap. IV.
H. Höffding, Histoire de la philosophie moderne, I, Alean, 1908, 549
Ch. Renouvier, Histoire et solutions des problèmes métaphysiques, Ale
1901, 477 p.
R. Thom, Paraboles et catastrophes, Flammarion, 1983, 193 p.
- Sur la méthode expérimentale, Le Débat, 1985, n° 34, p. 12-20.
J. Largeault, Systèmes de la nature, Paris, Vnn, 1985, 245 p.

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