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A PROPOS DE L'ANALYSE DES JUGEMENTS UNIVERSELS DANS LA "LOGIQUE DE PORT-

ROYAL"
Author(s): Roger SCHMIT
Source: Revue Internationale de Philosophie , NOVEMBRE 1994, Vol. 48, No. 190 (4),
PORT-ROYAL (NOVEMBRE 1994), pp. 481-484
Published by: Revue Internationale de Philosophie

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/23954317

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A PROPOS DE L'ANALYSE
DES JUGEMENTS UNIVERSELS
DANS LA LOGIQUE DE PORT-ROYAL

Roger SCHMIT

Parmi les nombreux points de rupture qui opposent la logi


moderne à la logique traditionnelle figure également l'interprétat
qu'il convient de donner des propositions universelles. Dans l'optiq
de la tradition aristotélicienne, celles-ci enveloppent tout natu
ment une assertion d'existence implicite ou explicite : énoncer
proposition universelle revient à porter un jugement sur des indiv
existants (')· Autrement dit, la logique traditionnelle ne dissocie p
l'usage de la copule de l'affirmation de l'existence, de sorte qu
reste solidaire d'une «ontologie réelle» (2).
Ce n'est qu'au cours du 19e siècle que cette vue sera mise en
question. Réexaminée successivement par J. F. Herbart, H. Lotze, C
Sigwart et F. Brentano, l'interprétation existentielle de la proposit
universelle sera définitivement rejetée par G. Frege. Désormai
logiciens distinguent clairement la fonction de la prédication d
fonction de l'assertion de l'existence. Aux yeux de Frege, cette in
vation traduit un choix conceptuel qui obéit essentiellement au so
de la simplification logique. En effet, admettre qu'une notion aus
fondamentale que l'universalité enveloppe deux idées distinctes
l'occurrence l'universalité stricto sensu et l'affirmation de l'existen
susceptibles d'être combinées au moyen de la conjonction heurte l

(1) D. Vernant, Introduction à la philosophie de la logique, Bruxelles, 1986, pp


32.

(2) E. Husserl, Formale und transzendentale Logik. Versuch einer Kritik der logi
schen Vernunft, hrsg. ν. P. Janssen, Den Haag, 1974. pp. 53-54.

Revue Internationale de Philosophie 4/1994 - n° 190 - pp. 481-484.

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principes mêmes de l'analyse logique (3). Aussi Frege interprète-t


la proposition universelle en termes de conditionnelle en lui déni
toute valeur existentielle. Du fait que la conditionnelle univer
représente une relation purement hypothétique, sa vérité reste par
ment compatible avec la fausseté de l'antécédent. Ainsi l'éno
«Tous les hommes sont mortels» est à considérer comme vrai alors

même qu'il n'y aurait aucun homme. Cette interprétation de la pro


position universelle présente en outre l'avantage de rendre compte de
discours portant sur des êtres qu'on ne tient pas pour existants ou
dont l'existence n'est pas assurée. En revanche, c'est par les proposi
tions existentiellement quantifiées que doit s'exprimer l'assertion
d'existence (4).
Comme le souligne le traitement des inférences immédiates dans
La Logique ou l'Art de Penser, celle-ci reste tributaire de la concep
tion classique de la proposition universelle (5).
Toutefois l'analyse des propositions relatives déterminatives (res
trictives) qui y est développée comporte deux propositions remar
quables, qui s'inscrivent effectivement en faux contre la conception
existentielle des propositions universelles. Arnauld et Nicole citent en
premier lieu le jugement «Que les Juges qui ne font jamais rien par
prières & par faveur, sont dignes de louanges» tout en précisant
qu'«on ne dit pas pour cela qu'il y ait aucun Juge sur la terre qui
soit dans cette perfection » (6). La proposition précédente est destinée
à mettre en évidence la différence fondamentale qui existe entre la
structure logique des relatives explicatives et la structure des relatives
déterminatives. En effet, la structure sous-jacente des premières est
telle que les propositions complexes résultantes impliquent le juge

(3) G. Frege, «Brief an Husserl vom 9.12.1906», in G. Gabriel et alii (éds),


Wissenschaftlicher Briefwechsel, Hamburg, 1976, pp. 105-6: «Ich gebrauche nun die
Wendung mit 'Alle' so, daß ich die Existenz weder mitmeine, noch als zugestanden
voraussetze... Der Grund für meine Festsetzung ist die Einfachheit. Es ist untunlich, eine
Ausdrucksform, wie die mit 'Alle', die man als Grundform in der logischen Betrachtung
verwenden will, so zu gebrauchen, daß damit zwei unterscheidbare Gedanken zugleich
ausgedrückt werden in einem Satze, der nicht aus zwei durch 'und' verbundenen Sätzen
besteht.» Sur la préhistoire de cette critique, cf. R. Schmit, «Allgemeinheit und Existenz.
Zur Analyse des kategorischen Urteils bei Herbart, Sigwart, Brentano und Frege», Grazer
philosophische Studien, 23, 1985, pp. 59-78.
(4) D. Vernant, ibidem, pp. 28-32.
(5) A. Arnauld et P. Nicole, La Logique ou l'Art de Penser. Edition critique par P.
Clair et F. Girbal, Paris, 1981, pp. 116-118.
(6) Ibidem, p. 127.

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ment exprimé par la relative, si bien qu'elles sont réductibles logi


quement à un rapport de conjonction. Par contre, cette analyse ne
s'applique pas aux secondes (7). Ainsi la proposition mentionnée plus
haut n'implique pas que les juges dans leur totalité soient impartiaux
ni que tous soient dignes de louanges, mais elle affirme de façon
restrictive que les juges impartiaux méritent d'être loués. Ceci signi
fie que la loi de formation de la proposition en question diffère de
celle qui régit les propositions complexes comportant une relative
explicative. Plus précisément, elle est fondée sur deux opérations
logiques distinctes : 1) la formation d'une idée unique complexe
ayant pour parties constituantes la relative restrictive et son antécé
dent; 2) le jugement proprement dit qui affirme la convenance réelle
entre cette idée totale et l'attribut «digne de louanges». Il est impor
tant de noter que l'opération (1) a pour fonction de composer une
idée et non de former un jugement. Ceci signifie que la relative
restrictive y joue le rôle d'idée constitutive, sans être effectivement
affirmée. En d'autres mots, ensemble avec son antécédent elle com
pose une seule idée complexe (8).
Or, ce qui est mis en évidence par la théorie de Port-Royal, c'est
que cette idée complexe possède la propriété remarquable d'avoir une
valeur de vérité. Que l'idée soit qualifiable de vraie ou de fausse, est
expliqué par le fait qu'elle est elle-même fondée dans un jugement.
La complexité qui dans la doctrine de Port-Royal est reconnue aux
relatives restrictives tient à l'exigence de cohérence qui caractérise le
discours rationnel. Dans l'optique classique, l'emploi cohérent d'une
expression telle que «les juges qui ne font jamais rien par prières &
par faveur » repose en fait sur un jugement préalable qui assure la
compatibilité des idées constitutives. En somme, la relative restrictive
ne constitue pas de jugement au sens strict du terme, mais enveloppe
(implique) «une affirmation tacite & virtuelle, non de la convenance
actuelle de Γ attribut au sujet auquel le 'qui' se rapporte; mais de la
convenance possible». Dans cet ordre d'idées, la relative restrictive
incluse dans la proposition «Les esprits qui sont quarrés, sont plus
solides que ceux qui sont ronds» est à considérer comme fausse, en
raison de l'incompatibilité patente de ses idées constitutives (9).

(7) ν. Chomsky, La linguistique cartésienne. Un chapitre de l'histoire de la pensée


rationaliste, Paris, 1969, pp. 65-68.
(8) A. Arnauld et P. Nicole, ibidem, p. 122.
(9) Ibidem, p. 127.

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Comme on peut s'en rendre compte, la théorie des relatives restr


tives, par le biais de la composition des idées, est logiquement lié
problème de l'imaginaire. Ceci veut encore dire qu'elle confronte
auteurs infailliblement à la difficulté soulevée par l'interpréta
logique des propositions dans lesquelles apparaissent des conce
vides au sens de Frege.
Il est certain que la doctrine de Port-Royal, selon laquelle to
relative restrictive implique un jugement tacite affirmant la com
bilité des idées constitutives, soulève plus de problèmes qu'elle n'e
résout. En premier lieu, elle risque d'oblitérer l'irréductible op
tion entre le jugement (la proposition) et l'idée (le concept), effec
ment admise dans La Logique ou l'Art de Penser et réaffirmée av
force chez Frege. D'autre part, la notion de compatibilité, telle
Arnauld et Nicole semblent la concevoir, manque de précision
effet, elle nous paraît fondée sur la compréhension (signification)
idées constitutives, si bien qu'elle s'avère irréductible à la con
diction logique et, pour devenir opérante, nécessite en conséquen
définition d'un critère de démarcation qui la distingue de la simp
fausseté matérielle. A titre d'idée incompatible, Arnauld et N
citent l'idée à'«esprit quarré». Or, à notre sens, cet exemple devra
souligner toutes les difficultés que soulève la formulation d'u
critère.
Mais, pour notre propos, la doctrine des relatives restrictives e
avant tout révélatrice des difficultés auxquelles se voit confronté
discours classique lorsqu'il est contraint de parler d'êtres prob
tiques ou non-existants. A cet égard, la deuxième proposition est
éloquente encore que la première. Partant de l'occurrence d'
incompatibles, il n'y a qu'un pas à franchir pour dissocier la préd
tion de l'affirmation de l'existence. Evidemment, les auteurs de
La Logique ou l'Art de Penser ne tirent pas cette conclusion. Il
n'empêche que les tensions conceptuelles que la doctrine des rela
tives restrictives occasionne et qui restent malheureusement inex
ploitées produisent une fêlure dans le discours logique classique : en
effet, loin de constituer des cas marginaux sans portée réelle, les deux
contre-exemples révèlent une défaillance essentielle de l'analyse clas
sique des propositions universelles, laquelle sera seulement corrigée
bien plus tard.

Centre Universitaire de Luxembourg.

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