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Résumé
Contre une thèse récemment soutenue, selon laquelle ὑπάρχειν désignerait, chez les Stoïciens, « un mode d'être propre à un
incorporel » (in Archiv f. Begriffsgesch., 1969, XIII, 2), on montre, à partir des textes allégués (et d'autres), que l'opposition entre
les corps et les incorporels ne saurait, dans l'état actuel de la recherche, fournir aucun critère de distinction dans l'emploi des
deux verbes. La question intéresse, plus particulièrement, la théorie du temps (Plutarque, De comm. not., 41 et Arius Didyme, fr.
26).
Goldschmidt Victor. ῾Υπάρχειν et ὑφιστάναι dans la philosophie stoïcienne. In: Revue des Études Grecques, tome 85, fascicule
406-408, Juillet-décembre 1972. pp. 331-344;
doi : https://doi.org/10.3406/reg.1972.1214
https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1972_num_85_406_1214
ύπάρχειν se dit aussi bien des incorporels que des corps, il n'y a
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conception du temps, celle d'un présent étendu et actuellement
existant, étant en cause, la question se pose de savoir comment,
par opposition au ύπάρχειν du présent, il faut concevoir le ύφεστάναί
du passé et du futur.
J'avais proposé d'entendre par ύφεστάναί la subsistance dans
la seule pensée, selon le mode d'existence des incorporels. M. Hadot,
à la suite de H. Dôrrie, pense qu'il s'agit d'une réalité objective
et « en soi », déterminée par la loi du Destin, et que ύφιστάναι,
loin de convenir à l'existence affaiblie des incorporels, « signifie
en général chez les Stoïciens le fait du ' subsister en soi ' » (1).
Il allègue en faveur de sa réfutation des arguments terminologiques,
sur lesquels je reviendrai et, surtout, un texte de Plutarque (de
comm. not., 41, 1081 G = S.V.F., II, 519), où ύφεστάναί, appliqué
au passé et à l'avenir, désigne une « réalité ' en soi ' » (2), opposée
à l'inexistence du présent.
Il est permis, préalablement, de s'interroger sur la pertinence
de cette traduction platonisante de ύφιστάναι par « subsister en
soi » : les textes doxographiques réservent l'existence en soi, traduite
par ύφεστώσα καθ' αυτήν, aux Idées de Platon (Aëtius : Dox.
G/·., 308, 17 ; Galien : Dox. Gr., 615, 12), alors que pour exprimer
l'inconsistance ontologique des Idées platoniciennes, où ils ne
voient que de simples έννοήματα, les Stoïciens les qualifient de
ανύπαρκτοι (Arius Didyme : Dox. Gr., 472,5), et non pas, comme
on devrait s'y attendre, dans ce cas qui fournit comme l'expérience
cruciale pour l'hypothèse soutenue, de ανυπόστατοι.
·
aurait là une recherche lexicographique à faire, importante pour
l'étude du vocabulaire stoïcien, et qui tentera peut-être tel de nos
jeunes chercheurs. Elle n'est pas indispensable, ici. Il suffit de
constater que l'interprétation proposée n'a rien d'« impossible ».
2° Est-elle recommandée par le contexte? Il paraît difficile
de le contester. La comparaison, esquissée à la fin du passage,
avec l'attribut s'applique évidemment, non pas seulement au
présent (qui indique un accident actuel), mais encore au passé
et au futur qui, précisément, sont des attributs qui ne sont pas des
accidents actuels et donc, semble-t-il, ne peuvent « subsister »,
en tant qu'exprimables incorporels, que dans la seule pensée.
3° Gomment a-t-on pu, pour commenter l'opposition ύπάρχειν-
ύφιστάναι, mettre en peine le Destin? Toutes les définitions
stoïciennes, à cet égard, s'accordent : le Destin est le Logos qui détermine
le passé, le présent, le futur — et les détermine également. La
théorie du Destin ne peut rien nous enseigner sur une différence
d'existence entre le présent, d'une part, le passé et le futur, d'autre
Ύπάρχειν et ύφιστάναι dans la philosophie stoïcienne 343
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son commentaire ne s'y oppose — que le bénéfice de cette remarque
devrait être étendu au présent aussi bien, sans compter que Bréhier,
pour justifier son commentaire, avait invoqué le principe : « Toute
enunciation est vraie ou fausse », ce qui nous laisse, en tout état
de cause, dans le domaine des incorporels, comme d'ailleurs
l'ensemble de la comparaison avec les formes verbales.
A quoi, alors, nous servira le débat? ■— II s'agit de préparer
l'antithèse dans laquelle ύπάρχειν « désigne un mode d'être propre
à un incorporel, par opposition avec la substantialité corporelle » (2).
Il ne faut donc, à aucun prix, que ύφεστάναι, dans notre texte,
désigne le mode d'existence des incorporels. Mais, si passé et futur
ne sont pas des incorporels, quel statut leur assignera-t-on ? Quand,
sur l'autorité de M. Dôrrie, on a assuré que passé et futur seuls
comportent « subsistance et durée » (3), a-t-on prouvé par là et
ira-t-on jusqu'à soutenir que ce soient des corps? La
«subsistance », on l'a dit, le Destin l'accorde également aux trois modes
du temps, et, quant à la « durée », comment la traduire en grec
stoïcien, si ce n'est par πλάτος c'est-à-dire par le mot dont les textes
sont unanimes pour réserver l'application au présent? Enfin, on
s'en veut d'avoir à rappeler que l'enseignement constant des
auteurs classe le temps parmi les incorporels, et cela globalement
et sans faire, si l'on peut dire, acception de « parties ». La distinction
entre les incorporels et les corps ne saurait donc servir à commenter
une opposition de deux termes qui se situent conjointement au
niveau de cet incorporel qu'est le temps. Que l'idée d'actualité
Victor GOLDSCHMIDT.