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QUI A INVENTÉ LES MONDES POSSIBLES ?

Le mot et la chose

Rien ne semble plus naturel à l’intelligence du philosophe d’aujour-


d’hui que l’idée d’autres mondes possibles. Mais derrière l’évidence
de la notion se bousculent plusieurs concepts de « monde possible »,
qui nous paraissent à première vue liés mais dont on verra qu’on
doit en réalité les distinguer soigneusement les uns des autres : par
« mondes possibles », nous pouvons en effet songer à des mondes
purement imaginaires ou simplement à des mondes futurs, ou
encore à d’autres planètes ou étoiles, peuplées de créatures d’un
autre type. Les plus sobres d’entre nous penseront que le monde
possible n’est en réalité rien de plus qu’une autre manière de con-
sidérer notre monde, c’est-à-dire un monde peuplé des mêmes êtres
que le nôtre, mais dans lequel le cours des choses se déroulerait
différemment. Cette dernière conception, la plus sobre, est peut-
être aussi la plus moderne, puisqu’elle évoque immanquablement
ces pages si belles de la fin des Essais de Théodicée, dans lesquelles
Leibniz parlait « d’une infinité de mondes possibles » comparable à
une infinité d’appartements d’une même pyramide dans lesquels
se déroulerait chaque fois différemment une même histoire 1. Nom-
breux ont été ceux qui, au cours des dernières décennies, ont tenté
d’aller au-delà de Leibniz et de mettre au jour plus précisément les
origines exactes d’un tel discours sur les mondes possibles, et les
pistes qu’ils ont explorées, généralement en direction du Moyen Âge
tardif, ont été multiples. Pourtant, à notre connaissance, il n’y a
aucune explication de la formation historique de ce concept de
« mondes possibles » qui se tienne parfaitement à la hauteur du mot
et de la chose : tantôt on explique l’origine du mot, mais on ne

1. Leibniz – Gerhardt 1875-1890, VI, 364 (Théodicée, § 416).

Cahiers de Philosophie de l’Université de Caen, no 42


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trouve pas vraiment la chose, c’est-à-dire la conception leibnizienne


d’une infinité de mondes possibles qui se distinguent par une série
de conditions contrefactuelles ; tantôt on explique l’origine de la
chose, mais force est de reconnaître qu’on ne trouve que difficile-
ment sous la plume des médiévaux l’expression latine équivalente
de mundi possibiles.
Du mot et de la chose, c’est sans doute la seconde qui pose le
plus problème : de quoi parlons-nous en effet lorsque nous parlons
de « mondes possibles » ? Il convient de distinguer entre trois gran-
des manières de parler de mondes possibles :
(1) La première est une conception purement cosmologique : dire
qu’il y a plusieurs « mondes possibles » signifie qu’il peut y avoir
d’autres « planètes » comme la nôtre, d’autres étoiles, dont le nom-
bre peut être fini ou infini, selon la cosmologie que nous adoptons.
L’adjectif possible signifie ici pouvant coexister actuellement avec notre
monde. D’après cette conception cosmologique, la capacité d’exis-
tence est donc présupposée, mais en tant que coexistence avec l’exis-
tence de notre monde.
(2) La seconde est une conception purement littéraire : il y a plu-
sieurs mondes possibles, dans le sens où il y a d’autres mondes ima-
ginaires ou fictionnels, dans lesquels peuvent se produire des choses
absolument fantastiques, sans rapport avec ce que nous connaissons.
L’adjectif possible signifie ici fictif ou imaginaire. D’après cette con-
ception littéraire ou imaginaire, la capacité d’existence n’est donc
aucunement présupposée.
(3) La troisième conception enfin est purement épistémologique :
un monde possible n’est en fait rien d’autre qu’un agencement dif-
férent de notre monde, avec les mêmes créatures, les mêmes subs-
tances, voire les mêmes propriétés, mais agencées différemment.
L’adjectif possible dans l’expression a ici le sens d’un simple opéra-
teur modal, exprimant le fait qu’un monde peut être autrement qu’il
n’est. Dans cette dernière conception, la capacité d’existence est donc
présupposée, mais pas au sens d’une coexistence effective et actuelle
avec notre monde : l’existence d’un monde possible exclut celle d’un
autre, sans pour autant annuler sa possibilité.
Notre hypothèse de départ est que ces trois conceptions doivent
être soigneusement distinguées, même si elles se sont régulièrement
croisées dans l’histoire et qu’elles continuent à se croiser dans notre
propre sens commun. Elles obéissent pourtant chacune à une struc-
ture conceptuelle déterminée, elles ont chacune une histoire déter-
minée, et ont été chacune exprimées par des mots bien déterminés.
Passons dès lors à l’examen des mots :

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(1) Dans le premier cas, le modèle cosmologique, on parle en effet


depuis longtemps de monde (mundus), mais aussi d’univers (uni-
versum). Tantôt on pourra concevoir le monde comme la « collection
des créatures », créée par Dieu, tantôt on le concevra comme un
« macrocosme » englobant à la fois Dieu et les créatures, une distinc-
tion courante dans les commentaires médiévaux au traité pseudo-
aristotélicien De mundo ainsi qu’au traité aristotélicien du ciel 2. De
ce point de vue cosmologique, le problème des mondes possibles
est en fait celui de leur pluralité, et il s’est dès lors exprimé dans la
tradition latine par les formules de la pluralitas mundorum, et a sou-
vent été abordé dans les commentaires aux Sentences sous forme de
la question, « Dieu peut-il créer d’autres mondes », sous-entendu des
mondes différents et séparés du nôtre – avec une autre matière pre-
mière par exemple – sans qu’il soit précisé qui habite exactement ces
mondes 3. Sur ce point, le médiévisme d’aujourd’hui, même s’il s’en
défend souvent, reste encore largement tributaire d’hypothèses for-
mulées il y a un siècle par l’historien des sciences Pierre Duhem 4 : la
spéculation proprement chrétienne sur la toute-puissance divine
aurait mis en question la cosmologie d’origine aristotélicienne qui
n’admettait qu’un monde unique et aurait relativisé ainsi la physi-
que héritée de l’Antiquité. D’un point de vue strictement aristoté-
licien, l’univers (ou le monde) est en effet composé de toute la matière
possible, et il ne peut donc pas être multiplié ; il n’y a pas d’autres
corps en dehors du ciel ; tous les corps étant mus vers le centre, il
ne peut y en avoir qu’un seul et unique, sans quoi le mouvement
deviendrait incompréhensible 5. Or, on sait que les condamnations

2. Cf. par exemple Thomas d’Aquin – Leon. 1886-…, IV, 478a (Summa theologiae
Ia, q. 46, a. 1, ob. 1). On trouvera un bonne sélection des définitions scolastiques
du terme mundus dans le lexique d’Altenstaig 1576, 203r ; Collegium Conimbri-
cense Societatis Iesu 1608, 8b (Commentaria in quatuor libros de caelo Aristotelis
Stagiritae, I, c. 1, q. 1, a. 2) : « Mundus magnus, quod proprie universum vocatur,
est tota creaturarum collectio ».
3. Sur l’archéologie de la pluralité des mondes, voir les enquêtes de Benz 1978 ;
Dick 1982, et plus particulièrement sur la cosmologie médiévale, la synthèse de
Grant 1994.
4. Cf. Duhem 1913-59, IX, c. 20 (« La pluralité des mondes »), 363-430, en par-
ticulier l’affirmation suivante (380) : « Le décret de 1277 marque un renverse-
ment complet des opinions des maîtres parisiens quant à la pluralité des mondes.
Avant ce décret, ils accumulent des arguments tirés de la physique d’Aristote
dans le but d’établir que l’existence de plusieurs mondes est impossible […].
Après le décret, tous les théologiens sont convaincus que Dieu pourrait créer
plusieurs mondes s’il le voulait ».
5. Cet argument sera récurrent dans toutes les paraphrases « orthodoxes » au texte
d’Aristote : on ne peut accepter aucune pluralité de mondes, car cela impliquerait

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doctrinales à partir du XIIIe siècle ont toujours insisté sur la nécessité


de considérer d’autres lois physiques, le caractère surnaturel de la
toute-puissance divine ne pouvant pas être normé par ce qu’Aris-
tote avait décrit pour le monde naturel. C’était en particulier le cas
des célèbres condamnations de 1277, dont l’une des thèses con-
damnées affirmait justement que « la première cause ne peut faire
plusieurs mondes » 6. Il est donc bien question ici de mondes, mais
pas de « mondes possibles » dans un sens proprement modal ou épis-
témologique : il y est question d’une pluralité de mondes réels, ima-
ginés chacun avec des lois qui ne correspondent généralement pas
à celles qui régissent le nôtre, dont la toute-puissance divine est le
garant. À la Renaissance et à l’époque moderne, de multiples che-
mins ont poursuivi cette hypothèse qui conduisait du « monde clos »
à « l’univers infini » : il suffit de penser aux célèbres dialogues de
Giordano Bruno sur l’Infinité des mondes ou de Fontenelle sur la
Pluralité des mondes – un ouvrage encore cité de manière inspirée par
Impez Barbican, le président du Gun Club du roman De la Terre à
la Lune de Jules Verne, qui donna à ce modèle l’une de ses derniè-
res lettres de noblesse.
(2) Le deuxième concept, qualifié peut-être improprement de
littéraire, est aussi vieux que l’imagination humaine. Des poètes

5. que la terre d’un monde soit mue vers le centre d’une autre, puisque tous les corps
simples d’une même espèce se meuvent naturellement vers le même lieu. C’est par
exemple ainsi que l’exprimera encore le dominicain Savonarola 1542, 149 (VI,
§ 18 : « Non possunt poni plures mundi ») : « Si enim essent plures mundi, oporteret quod
terra unius ferretur ad centrum alterius, quia omnia corpora simplicia eiusdem speciei
feruntur ad eundem locum naturaliter, et similiter dicendum est de aliis corporibus. Hoc
autem est impossibile, quia et terra ascenderet et ignis descenderet, praeterea mundus
constat < corr. eonstat > ex tota sua materia, id est comprehenditur tota materia mundi
sub coelo, et continet omnia genera corporum… » Le fait que de telles paraphrases
littérales qui paraissaient accepter la doctrine aristotélicienne de l’unité du monde
alors qu’elles allaient à l’encontre des principes théologiques, aient pu se perpétuer
jusqu’au XVIIe siècle, témoigne du fait qu’une forme de « pluralisme épistémolo-
gique » (L. Bianchi) s’est maintenue jusque très tardivement. En revanche, la
validité « absolue » de ces arguments devait céder le pas aux arguments théolo-
giques en faveur de la pluralité des mondes, comme on le verra plus loin.
6. Cf. « 34 (27). Quod causa prima non posset plures mundos facere », avec la biblio-
graphie des interprétations dans Piché 1999, 90-91. Sur l’impact de ces con-
damnations sur la cosmologie, voir l’étude classique de Grant 1979, 211-244 ;
Grant 1982, 537-539. Ce problème a généralement été abordé dans les nom-
breuses études historiques consacrées à la distinction entre puissance absolue et
puissance ordonnée. Voir notamment à titre de synthèse les contributions de Boul-
nois 1994, 45-48 (« La pluralité des mondes ») et Bianchi et Randi 1993, 76-85
(« Toute-puissance divine et pluralité des mondes »). À titre d’étude de cas, voir
Pernoud 1973, ainsi que les nombreux travaux de Randi 1989 ; Randi 1990.

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antiques à la science-fiction contemporaine, en passant par les uto-


pies politiques, rien ne nous empêche d’imaginer d’autres mondes
possibles. Ces mondes ont en commun d’être différents du nôtre,
sur tous les plans : il peut s’agir de mondes aux lois physiques diffé-
rentes, de mondes aux lois politiques différentes ou encore de mon-
des peuplés d’êtres purement imaginaires. Dans le monde de
Rabelais par exemple, rien ne semble s’opposer à ce que les femmes
accouchent par l’oreille. Ces fictions n’obéissent pas nécessaire-
ment à ces schémas purement arbitraires : Marie-Luce Demonet a
récemment fait observer que certains des exemples rabelaisiens
étaient en fait étroitement liés à la multiplication des hypothèses
impossibles dans la logique de son temps, que Rabelais avait ridi-
culisée avec brio mais dont il connaissait en réalité très bien les
ressorts : « Si mon mulet transalpin volait, mon mulet transalpin
aurait des ailes » peut-on encore lire chez l’auteur de Pantagruel.
Cet exemple amusant est en fait une variante d’un exemple très
sérieux qu’on trouve dans de nombreuses dialectiques pour démon-
trer la validité des propositions conditionnelles 7. Rien n’empêche
donc d’imaginer un monde dans lequel les mulets, ou bien Mer-
cure ou encore le cheval Pégase auraient des ailes. La logique des
propositions conditionnelles, qui sont toujours vraisemblables
alors qu’elles ne supposent rien dans l’être réel (conditionalis nihil
ponit in esse, disait un axiome bien connu de la logique médiévale),
paraît donc ouvrir à de tels « mondes possibles » qui sont à la fois ima-
ginaires et vraisemblables. Toutefois, même si ces jeux fictionnels
se révèlent bien appuyés sur des subtilités logiques, on ne trouvera
pas pour autant chez Rabelais ni chez d’autres auteurs de la tradi-
tion une réflexion systématisée sur la fiction sous l’appellation de
«mondes possibles». Comme a tenté de le montrer Lubomír Dolez̆el il
y eut bien une sorte de « première version » d’une « poétique des
mondes possibles », mais celle-ci ne se fit justement que sous
l’influence de Leibniz et de Wolff à partir du XVIIIe siècle en Allema-
gne. Et cette tradition fut vite oubliée, ce qui explique que le con-
cept de monde n’a en général été utilisé par la critique littéraire que
comme « façon de parler » pour évoquer par exemple « le monde de
Rabelais » ou « le monde de Crime et Châtiment » 8. Ce n’est finalement

7. Cf. à ce propos Demonet 1993. Le rapport entre l’aristotélisme scolastique et


la création littéraire est également étudié dans Demonet 2002.
8. Selon l’enquête réalisée par Dolezĕl 1990, 33-52 ; cette première poétique des
mondes possibles a été développée par J. J. Bodmer, J. J. Breitinger et A. G.
Baumgarten (Dolezĕl 1998, 231n24).

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que beaucoup plus récemment que la critique littéraire d’inspiration


analytique du XXe siècle s’est à nouveau emparée du concept de
« monde possible » pour expliquer les phénomènes de création 9.
(3) Le troisième concept, à savoir le concept qualifié d’épisté-
mologique, sera celui qui nous intéressera en priorité, puisque c’est
avec le développement de ce dernier concept qu’est véritablement
apparue l’expression mundi possibiles. Or, l’idée qu’il y ait une plu-
ralité épistémologique de mondes possibles et non une pluralité phy-
sique ou réelle ne semble émerger sous cette forme exacte qu’après
ce que nous appelons, faute de mieux, le « Moyen Âge ». Les mondes
possibles dont il est question ne sont pas d’autres mondes poten-
tiellement existant à côté du nôtre, mais ce sont des mondes pure-
ment abstraits, certes réellement créables, mais qui « coexistent »
de manière a priori purement mentale à notre propre monde réel.
Leur contenu est défini à partir d’une série de conditions contre-
factuelles élaborées à partir de notre monde : à partir d’états de
choses de notre monde, on pose des conditions qui conduiraient à
la modification de ces états de choses. La fonction de la projection
de tels mondes n’est plus de prouver la non-limitation de la toute-
puissance divine par la philosophie naturelle d’Aristote, mais sim-
plement de prouver le caractère contingent et non nécessaire de
notre propre monde réel.
C’est assurément un tel concept épistémologique qu’avait mobi-
lisé Leibniz à la fin de la Théodicée, un ouvrage dont la vocation
morale ne faisait aucun doute. Aussi, c’est généralement dans le
but de faire une « archéologie » de ce concept leibnizien que diver-
ses tentatives ont été faites pour trouver au Moyen Âge l’anticipa-
tion d’une telle théorie. Celle qui est aujourd’hui la plus influente
dans l’historiographie est la voie royale du scotisme, défendue par
l’autorité de Simo Knuuttila ainsi que de Ludger Honnefelder. S’ils
concèdent que Duns Scot n’a pas utilisé techniquement l’expres-
sion de « mondes possibles », il en aurait déjà développé le concept 10.

9. Cf. l’ouvrage classique de Goodman 1978 ; et les études nombreuses de


Dolezĕl 1989, Dolezĕl 1998, Ronen 1994, Pavel 1975 et Pavel 1980.
10. Dès ses premières recherches, Simo Knuuttila utilisait le concept de « monde »
pour décrire la doctrine scotiste : Knuuttila 1981, 227 : « The new idea in Scotus’
modal theory is to consider several alternative states of affairs at the same time and with
respect to same moment of time. When Scotus introduces […] a class of logical possi-
bilities, which are also real possibilities, it seems that all logical possibilities are not real
alternatives to the actual world. We have seen earlier that the structure and the laws
of the nature set certain limits on real possibilites. But the possibility of willing othe-
rwise is a real alternative because it does not demand that the structure of the actual world

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Leur hypothèse de base est double : premièrement, Duns Scot aurait


été le premier à extraire du concept aristotélicien de potentia, tou-
jours lié à un acte et donc à un rapport de causalité, un concept de
pure « puissance logique » ou de possibile logicum, défini abstraitement
comme tout ce qui est concevable sans contradiction 11. Deuxième-
ment, Duns Scot aurait encore été le premier à critiquer le concept
aristotélicien de contingence – défini par la mutabilité – et à le redé-
finir de manière « synchronique » comme la capacité d’être et de ne
pas être au même instant :
[…] je n’appelle pas contingent tout ce qui n’est pas nécessaire ou
n’est pas éternel ; par contre je me réfère à quelque chose dont
l’opposé est possible au moment où il existe 12.

11. be different » ; Knuuttila 1982, 355 : « Thus it was not Leibniz who invented the
idea of possible worlds ; the idea is present in Duns Scotus’ modal theory, and this
new view of modal notions constitutes the general basis of fourteenth-century modal
logic » ; Knuuttila 1993, 143 : « Scotus considered the domain of intelligible being,
which is actualized in God’s intellect, as consisting of all thinkable individuals, their
properties and their mutual relations. Because many possibilities are mutually exclu-
sive, the domain of possible states of affairs must be structured into “possible worlds”
on the basis of compossibility relations. (It should be noted here that although Scotus”
theory of modality can be characterized as an intuitive predecessor of possible worlds
semantics, he did not himself use the notion of a possible world in a technical sense) ».
C’est également l’avis de Honnefelder 1990, 98 : « […] Scotus < unterscheidet
> zwischen einer Klasse der schlechthin möglichen und einer Klasse der kontingent
gewählten complexa. Alle in der zweiten Klasse möglichen Elemente müssen auch Ele-
mente in der ersten sein, nicht aber umgekehrt. Oder, um es mit dem späteren Spra-
chgebrauch bei Wolff und Leibniz auszudrücken : Die kontigent gewählte Welt ist eine,
aber auch nur eine der möglichen Welten . » Plus récemment, Honnefelder 1997
a proposé une autre archéologie en signalant la présence de ces motifs scotis-
tes chez Comenius et Alsted. On trouvera d’autres reformulations explicites de
la doctrine scotiste sous forme de « mondes possibles » dans Langston 1990,
241 : « We can recast Scotus’ analysis in terms of possible worlds. Instead of thinking
about consistent sets of possibilities presented to God, we can think of God’s intellect
as presented with an infinite number of possible worlds » ; ainsi que Van der Lecq
1998 ; Söder 1999, 199-215. Nous souscrivons pour notre part aux réserves
formulées au sujet de cette historiographie par Ramelow 1997, 14 : « Hier wird
aber zu eilig von der modernen Modallogik her der Begriff der möglichen Welten auf
Duns Scotus übertragen. Belegbar ist er bei Duns Scotus nicht ».
11. Duns Scot – Vat. 1950-…, II, 282 (Ordinatio I, dist. 2, pa. 2, q. 1-4, § 262) : « Dico
quod possibile logicum differt a possibile reali, sicut patet per Philosophum V Met.,
cap. de potentia. Possibile logicum est modus compositionis formatae ab intellectu,
cuius termini non includunt contradictionem, et ita possibilis est haec propositio : “Deum
esse”, “Deum posse produci” et “Deum esse Deum” ; sed possibile reale est quod acci-
pitur ab aliqua potentia in re sicut a potentia inhaerente alicui vel terminata ad illud
sicud at terminum ».
12. Duns Scot – Vat. 1950-…, II, 178 (Ordinatio I, dist. 2, pa. 1, q. 1-2, § 86) : « Dico
quod non voco hic contingens quodcumque non-necessarium vel non-sempiternum, sed

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Pareille notion de contingence impliquerait selon Knuuttila la


considération de « complexes », states of affairs ou « mondes » alter-
natifs au même moment parmi lesquels la volonté divine peut alors
choisir d’en actualiser l’un plutôt que l’autre. Avec de telles « com-
plexes » dont le contenu est défini par un concept abstrait de possibi-
lité logique, on semble en effet se situer au seuil d’une conception
spécifiquement épistémologique de « mondes possibles ». Il ne reste
en réalité qu’un seul problème dans cette démonstration : à aucun
endroit, du moins à notre connaissance, Jean Duns Scot ne parle
de mondes possibles au pluriel, tout au plus de compossibilité de pré-
dicats pour définir un « possible » individuel. Plus encore, lorsqu’il
cherche à donner un contenu à son concept de possibilité logique,
il utilise presque toujours des exemples singuliers comme la possi-
bilité de la pierre ou d’une créature, définies comme non-contra-
dictoires. De même, lorsqu’il explique son concept de contingence
« synchronique », il fait toujours appel à des individus ou à des objets
singuliers, en particulier dans l’analyse du libre arbitre : il est pos-
sible pour Pierre de pécher et de ne pas pécher, et par conséquent
Pierre est libre 13. Nous sommes ici dans l’analyse de situations indi-
viduelles, et non de mondes possibles.

Le concept de pur possible

Comment en est-on alors venu à parler de « mondes possibles » (mundi


possibiles) dans un sens strictement « épistémologique » ? Notre hypo-
thèse est que le concept moderne de monde possible est en fait le
résultat historique du détachement d’un concept purement épisté-
mologique à partir d’un concept au départ purement cosmologique.
On pourra décrire ce processus en trois étapes, qui correspondent
à autant « d’ingrédients » conceptuels : le premier ingrédient est le con-
cept de monde ; le second est un concept de possibilité défini comme

12. cuius oppositum posset fieri quando illud fit » ; Duns Scot – Vat. 1950-…, XVII,
495 (Lectura I, dist. 39, q. 1-5, § 50) : « Haec autem possibilitas logica non est
secundum quod voluntas habet actus successive, sed in eodem instanti : nam in
eodem instanti in quo voluntas habet unum actum volendi, in eodem et pro eodem
potest habere oppositum actum volendi ». Sur les origines de ce modèle, voir la
mise au point de Dumont 1995.
13. Sur le rapport entre cette théorie de la contingence et la question du libre-
arbitre, voir Dumont 1992. Nous avons tenté une analyse de l’influence de ce
modèle dans les théories modernes de la liberté d’indifférence dans Schmutz
2002.

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ce qui est logiquement concevable et pouvant se produire sans con-


tradiction ; et le troisième est le passage au pluriel, celui du mundus
possibilis aux mundi possibiles qui, comme on va le voir, est moins
trivial qu’il n’y paraît. Notre hypothèse est que le mélange de ces
trois ingrédients s’est réalisé de manière différenciée entre les XIIIe
et XVIIe siècles, et qu’il n’est devenu systématique qu’à l’époque
moderne.
De ces trois ingrédients, celui qui paraît le plus problématique
est le concept de « pur possible ». Pourquoi insister sur la « pureté » de
ce concept ? Parce que dans la tradition aristotélicienne qui a forgé
l’ancêtre du concept sous forme des dynata, la possibilité paraissait
toujours liée à son autre, à savoir l’actualité. Selon une reconstruction
aujourd’hui influente – celle de l’école logique finlandaise, illustrée
notamment par les travaux de Jaakko Hintikka – ne serait possible
pour Aristote que ce qui d’une manière ou d’une autre peut deve-
nir actuel, un principe baptisé naguère de « principe de plénitude »
par Arthur Lovejoy 14. Tous les possibles tendent vers leur actuali-
sation dans le temps, ce qui signifie que l’actualisation et la cause
qui actualise rentrent dans la définition de tout possible. Il ne sera
pas question de se lancer ici dans une analyse de la légitimité de cette
interprétation, mais plutôt de voir que les médiévaux n’ont en fait
pas spontanément compris Aristote de cette manière. Car lorsqu’ils
se réfèrent à la métaphysique d’Aristote pour expliquer le « possible »
qui fait l’objet de la toute-puissance divine, tous répètent à partir
du XIIIe siècle une formule assez stéréotypée, à savoir possibile dici-
tur dupliciter : soit selon une puissance, soit de manière logique ou
absolue 15. Thomas d’Aquin avait par exemple mis en garde contre
une circulatio in manifestatione omnipotentiae, un « cercle vicieux » dans
l’explication de la toute-puissance : on n’explique en effet rien en
définissant la toute-puissance de Dieu par le pouvoir de faire tout
ce qui est possible, mais on se contente de définir le même par le

14. Cf. Lovejoy 1936. Cette interprétation de l’aristotélisme a été proposée par
Hintikka 1973, et elle a été appliquée pour décrire la logique modale de l’aris-
totélisme médiéval dans les études réunies par Knuuttila 1981. Pour une cri-
tique de la lecture d’Aristote par Hintikka, voir notamment l’étude de Van
Rijen 1989.
15. Cf. à titre d’exemple le témoignage du dominicain renaissant Soncinas 1579,
293b (In XII Met., q. 20) : « […] Dupliciter dicitur aliquid esse possibile : uno modo
secundum aliquam potentiam, sicut possibile est Sortem moveri, quia habet aliquam
potentiam motivam. Alio modo ex non repugnantia terminorum, ut dicitur V et IX
Met. ». L’expression se trouve encore dans l’Allemagne du XVIII e siècle : voir
Kant – Festugière 1967, 87.

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même 16. Pour échapper à ce cercle, il convient dès lors d’introduire


un autre terme entre la puissance et le possible, en s’appuyant sur
une distinction canonique entre deux sens du possible qu’il faisait
remonter à un passage du cinquième livre de la Métaphysique :

[…] d’après le Philosophe, le possible se prend en deux sens. On


peut l’envisager par rapport à quelque pouvoir particulier, comme
si l’on dit possible à l’homme ce qui est soumis à la puissance de
l’homme [mais] […] on ne dit alors rien de plus que ceci : Dieu est
tout-puissant parce qu’il peut tout ce qu’il peut. Reste que Dieu
soit dit tout-puissant parce qu’il peut tout le possible absolument
parlant, et telle est l’autre façon de concevoir le possible. Or, on dit
une chose possible ou impossible absolument d’après le rapport des
termes : possible, parce que le prédicat ne répugne point au sujet,
par exemple que Socrate s’assoie ; impossible absolument, parce
que le prédicat répugne au sujet, comme ceci, que l’homme soit un
âne 17.

La toute-puissance divine s’étend seulement aux êtres dont la


possibilité est ratifiée par un tel critère logique : Dieu n’a de puissance
qu’à l’égard des choses qui peuvent avoir une ratio entis ou une ratio
factibilis, excluant le contradictoire et le chimérique, concluait le
Docteur Angélique 18, ou encore simplement une ratio possibilis sim-
pliciter, pour reprendre une autre expression typique du XIIIe siècle 19.
Il est dès lors surprenant de voir les spécialistes du scotisme affirmer
presque systématiquement que le Docteur Subtil aurait été le « pre-

16. Thomas d’Aquin – Leon. 1886-…, IV, 293a (Summa Theologiae Ia, q. 25, a. 3).
17. Cf. Thomas d’Aquin –Leon. 1886-…, IV, 293a (Summa Theologiae Ia, q. 25, a. 3,
trad. A.-D. Sertillanges) ; ou plus succinctement Thomas d’Aquin – Leon. 1886-
…, XIII, 354b (Summa contra Gentiles II, c. 37) : « Possibile autem fuit ens creatum
esse, antequam esset, per potentiam agentis, per quam et esse incoepit, vel propter habitu-
dinem terminorum, in quibus nulla repugnantia invenitur ». L’analyse du possible
chez Thomas d’Aquin a fait l’objet d’un travail très complet par Stolarski 2001.
18. Cf. Thomas d’Aquin – Leon. 1886-…, XI, 171b (Summa Theologiae IIIa, q. 13,
a. 1, in corp.) : « < Deus > habet potentiam activam respectu omnium quae possunt
habere rationem entis, quod est habere omnipotentiam » ; Thomas d’Aquin 1886-…,
XIII, 329b (Summa conta Gentiles II, c. 25) : « […] Deus dicatur non posse quid-
quid est contra rationem entis, inquantum est ens ». À titre d’exemple d’une para-
phrase moderne de ce passage, qui fait aussi équivaloir habere rationem entis à
esse possibile : voir Suárez – Vivès 1856-1861, I, 227b (Prima pars Summae Theo-
logiae de Deo uno et trino…, III, c. 9, § 14) : « […] comprehendi sub illo quidquid
habere potest rationem entis, utique possibilis ».
19. Comme on le trouve par exemple dans une Physique parisienne anonyme de
1273, éditée par Zimmermann 1968, 25 : « Deus potest omne quod habet ratio-
nem possibilis simpliciter ».

18
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mier » à autonomiser le concept de possible par rapport à la causalité


et au passage à l’acte 20, quand on s’aperçoit que même les premiè-
res grandes sommes de l’aube de la scolastique, en traitant de la
toute-puissance divine, avaient déjà préparé cette voie : Guillaume
d’Auvergne raisonnait par la voie négative en affirmant que la pos-
sibilité peut se caractériser comme une « absence d’empêchement
à être » (privatio prohibitionis sui esse), par opposition à la chimère
dans le concept (intentio) de laquelle sont incluses des natures
opposées entre elles et Guillaume d’Auxerre estimait aussi que la
toute-puissance a pour limite de ne pas réaliser des contradictoi-
res 21. Quelques années après Thomas d’Aquin, Jean Duns Scot
n’allait sur le fond rien dire d’autre : il définissait le possible qui fait
l’objet de la toute-puissance comme ce qui n’est pas nécessaire de
soi-même et qui n’inclut pas de contradiction, et pour définir ce
dernier il ne manquait d’ailleurs pas d’invoquer le même passage de
la Métaphysique d’Aristote que le Docteur Angélique 22.
En se référant systématiquement à ce double fondement causal
et logique, la réflexion scolastique sur le possible révèle à quel point
elle reste d’un côté tributaire du vocabulaire aristotélicien dans
lequel les termes de dynamis et de dynaton ont acquis leur première
conceptualisation, mais aussi à quel point elle en a transformé cer-
tains présupposés fondamentaux. Dans le passage invoqué de la
Métaphysique, Aristote avait effectivement proposé deux tentatives
d’explication de ces dynata ou « choses qui sont en puissance ». En
premier lieu, les dynata sont définis en tant que kata dynamin, c’est-
à-dire en tant qu’ils sont susceptibles de faire l’objet d’une puissance

20. Cf. par exemple Honnefelder 1997, 283 : « […] eine Welt von “absolute possibi-
lia” wie sie Scotus in dieser Form erstmals eingeführt hat ».
21. Cf. Guillaume d’Auvergne – Switalski 1976, 53 (De Trinitate, § 8) : « Possibilitas
igitur materialium potentia est efficientis vel creatoris, nisi fortasse possibilitas dicatur
in eis privatio prohibitionis sui esse, quaedam enim prohibent suum esse ut chimaera,
in cuius intentione clauditur contrarietas naturarum non compatientium se. Homo
vero, cum consideratus fuerit in se, non invenies in intentione eius, quod prohibeat
suum esse, eo quod de intentione naturarum, quae in eo conveniunt, non sit in eis
discrepantia aut repugnantia », un passage souligné par Solère 2000, 281 ;
Guillaume d’Auxerre, Summa aurea I, app. 26, I, 325.
22. Cf. Duns Scot – Vat. 1950-…, VI, 343 (Ordinatio I, dist. 42, q. un., § 9) : « […]
prout omnipotens dicitur qui potest in omnem effectum et quodcumque possibile (hoc
est in quodcumque quod non est ex se necessarium nec includit contradictionem)… » ;
ibid., 354 (Ordinatio I, dist. 43, q. un., § 7) : « Possibile, secundum quod est ter-
minus vel obiectum omnipotentiae, est illud cui non repugnat esse et quod non potest
ex se esse necessario » ; et pour l’invocation de Métaphysique ∆ 12, voir ibid., II,
282 (Ordinatio I, dist. 2, pa. 2, q. 1-4, § 262).

19
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pour subir une modification ou pour exister 23. Dans sa traduction


de la Métaphysique, Guillaume de Moerbeke avait rendu ces dynata
kata dynamin par l’expression de possibilia secundum potentiam : le
possible est ici considéré ontologiquement, sous l’angle du passage
à l’acte, comme ce qui « peut » être en vertu d’une cause efficiente
ou d’une puissance active, définie comme « le principe du mouve-
ment ou du changement qui est dans un être ou dans le même être
en tant qu’autre » 24. Les autres termes latins utilisés pour désigner
cette dynamis ont souvent insisté sur la passivité : on parle de sim-
ple potentia, d’aptitudo, d’ordinabilitas ou encore de possibilitas, un
terme qui pouvait dès lors donner lieu à un jeu de mots facile avec
passibilitas pour désigner la capacité toujours « passive » de recevoir
un acte de la part d’une puissance active 25.
Cette première voie d’explication des dynata en tant que kata
dynamin ouvrait immédiatement sur une deuxième : après être passé
de la puissance à son contraire – l’impuissance – et avoir expliqué
l’impossible comme « ce dont le contraire est nécessairement vrai »,
Aristote aboutit finalement à une définition du possible comme ce
dont l’opposé n’est pas nécessairement faux 26. La définition du
possible fait ici l’économie de toute référence à une puissance active,
raison pour laquelle Aristote qualifiait ces possibles de dynata ou kata
dynamin par opposition aux dynata kata dynamin, ce que Guillaume

23. Aristote, Métaphysique ∆ 12, 1019a20 sq.


24. Ibid., 1019a15.
25. On doit notamment à Guillaume d’Auvergne de rappeler une ingénieuse nomen-
clature, qui tout en définissant toujours la « possibilité » comme une puissance
passive apte à recevoir les influences (impressiones) des puissances actives, diffé-
rencie entre le règne naturel, moral et rationnel : Guillaume d’Auvergne –Swital-
ski 1976, 54 (De Trinitate, § 8) : « Quidam tamen potentiam in naturalibus, potestatem
in moralibus, possibilitatem in rationalibus, magis quidem secundum euphoniam, quam
secundum analogiam, assignaverunt ». Voir également les formules de l’Avicenna
Latinus – Van Riet 1977-1980, I, 195-196 (Liber de philosophia prima IV, c. 2) :
« Deinde < philosophi > postquam invenerunt rem quae habet potentiam secundum
communem usum, sive sit fortitudo sive vehementia potentiae, cum autem non est con-
dicio illius potentiae ut ex ea sit agens in effectu, sed, inquantum est potentia, habet
possibilitatem agendi et possibilitatem non agendi, transumpserunt nomen potentiae
ad possibilitatem. Rem igitur quae est in termino possibilitatis dixerunt esse in poten-
tia, et possibilitatem recipiendi et suae passibilitatis vocaverunt potentiam passibilita-
tis. Deinde perfectionem huis potentiae vocaverunt actum, quamvis non sit actus sed
passio, sicut motio et figuratio et alia huiusmodi (c’est nous qui soulignons) ».
26. Aristoteles Latinus – Vuillemin-Diem 1976, 109-110 (Métaphysique D 12,
1019b27-35) : « […] possibile, quando non necesse fuerit contrarium falsum esse, ut
sedere hominem possibile ; non enim ex necessitate non sedere falsum. Ergo possibile
quidem uno modo, sicut dictum est, quod non ex necessitate falsum significat, alio
uero uerum esse, alio contingens ».

20
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de Moerbeke avait rendu par la forme latine des possibilia non secun-
dum potentiam 27, et c’est à ce lieu textuel que tous les scolastiques
se réfèrent lorsqu’ils affirment que le possible se définit indépen-
damment d’une cause « par la non-contradiction des termes ». Or,
on s’aperçoit que l’invocation de ce passage par les scolastiques était
en réalité bien plus une glose qu’une citation textuelle, puisqu’à
aucun endroit de ce texte, le Stagirite n’avait parlé du principe de
non-contradiction qu’eux-mêmes invoquent. Il y formulait certes
l’ancêtre de l’exemple utilisé par Thomas d’Aquin, en affirmant
« qu’il est possible que l’homme soit assis, car il n’est pas nécessai-
rement faux qu’il ne soit pas assis ». En revanche, il ne parlait pas de
répugnance entre sujet et prédicat, ni de cohaerentia terminorum,
comme le firent la plupart de ses commentateurs médiévaux. Aristote
faisait seulement appel à des jugements de vérité ou de fausseté, et
il continuait en décomposant la même définition de trois manières :
si le possible peut se définir en un sens comme « ce qui n’est pas
nécessairement faux », il peut aussi se dire « ce qui est vrai », ou
encore « ce qui peut être vrai » 28. Les médiévaux pouvaient dès lors
être autorisés à interpréter ce passage dans des termes purement
propositionnels : Guillaume d’Auxerre fait par exemple équivaloir
possibile et potens esse verum, au nom de la convertibilité entre l’être
et le vrai 29. De même, Thomas d’Aquin intègre le possible dans le
cadre d’une classification des jugements, en concluant qu’il est
vrai, et donc possible que Socrate qui est debout puisse s’asseoir,
mais qu’il est faux et donc impossible qu’il soit un âne 30. Faisant
cela, il opère toutefois un déplacement significatif par rapport à la
lettre d’Aristote, en affirmant que non seulement le vrai et le faux
font l’objet d’un jugement ou d’une proposition, mais aussi le pos-
sible et l’impossible, qui acquièrent ainsi le statut de modalités de

27. Ibid., 110 (1019b35) : « Hec quidem igitur possibilia non secundum potentiam. Que
uero secundum potentiam omnia dicuntur ad primam unam… ».
28. Ibid., (1019b31-32).
29. Guillaume d’Auxerre – Ribailler 1980, I, 326 (Summa aurea I, app. 26) : « […]
possibile, secundum quod dictum est de possibili, fundatum est super verum. Idem
enim est “possibile” quod “potens esse verum” ».
30. Cf. Thomas d’Aquin – Marietti 1950, 258b (In libros Metaphysicorum, V,
§ 971) : « Ideo cum dicit “alio modo”, ponit alium modum, quo dicuntur aliqua
impossibilia, non propter privationem alicuius potentiae, sed propter repugnantiam
terminorum in propositionibus. Cum enim posse dicatur in ordine ad esse, sicut ens
dicitur non solum quod est in rerum natura, sed secundum compositionem proposi-
tionis, prout est in ea verum vel falsum ; ita possibile et impossibile dicitur non solum
propter potentiam vel impotentiam rei : sed propter veritatem et falsitatem composi-
tionis vel divisionis in propositionibus ».

21
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propositions énoncées à propos d’un sujet donné. Or, ce que paraît


dire exactement ce passage de la Métaphysique, c’est que si le vrai
et le faux sont des propriétés du jugement, qui expriment com-
ment la chose est ou n’est pas, il n’en va pas ainsi du possible et de
l’impossible, qui restent des propriétés de la chose, comme en
témoigne l’exemple avancé à cet endroit :

[…] il est impossible que le rapport de la diagonale au côté du carré


soit commensurable, car une telle proposition est fausse, et son con-
traire est non seulement vrai, mais encore nécessaire 31.

Si l’on s’en tient à la lettre d’Aristote, c’est la réalité qui est impos-
sible, et la proposition fausse, et inversement, la réalité qui est possi-
ble et la proposition vraie.
C’est donc dans l’établissement des modalités à un niveau pro-
positionnel – au niveau de l’enuntiabile – que l’on peut observer un
déplacement très significatif par rapport à la lettre d’Aristote chez
les médiévaux : sans pour autant nier un seul instant que le possible
et l’impossible soient fondés dans les choses elles-mêmes, les scolas-
tiques parvenaient ainsi à isoler en plus des concepts purement pro-
positionnels du possible et de l’impossible, qui allaient s’exprimer
dans une série de nouvelles expressions latines : Guillaume d’Auxerre
estime que lorsqu’on parle du possibile simpliciter, le critère n’est pas
le fait d’être créable, mais au contraire le fait d’être énonçable (enun-
tiabile), et ceci que l’on considère la possibilité de la chose, de la pro-
position ou bien de l’agent 32. Il avait lui-même également déjà résolu
le cercle vicieux consistant à définir la puissance active par la puis-
sance passive et vice-versa, en parlant d’un possible par potentia
formalis, introduisant ainsi un nouveau type de puissance inconnu
d’Aristote, qui manifeste une capacité positive et non seulement
passive comme celui de la potentia materialis 33. Thomas d’Aquin

31. Aristote, Métaphysique, ∆ 12, 1019b24-26.


32. Guillaume d’Auxerre – Ribailler 1980, I, 326 (Summa aurea I, app. 26) : « Sicuti est
triplex veritas, scilicet rei et dictionis et prima veritas, et in quacumque istarum veritatum
enunciabile sit verum et sit simpliciter verum, sicut patet in hoc enunciabili : mundum
fuisse futurum, quod fuit verum ab eterno, non prima vel secunda veritate, sed tertia tan-
tum. Ita triplex est possibilitas : possibilitas rei et possibilitas dictionis et possibilitas primi
potentis, et quacumque istarum aliquod enunciabile est possibile, simpliciter possibile ».
33. Ibid. : « Hoc enim est possibile Deo, et tamen non simpliciter possibile, quia cum dicitur
possibile simpliciter, dicitur possibile a potentia formali, sicut prius dictum est ». Sur
33. l’analyse du possible chez Guillaume d’Auxerre, voir Solère 2000, 279-280
pour ce passage.

22
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parlait quant à lui du possibile secundum seipsum 34, une expression


qui rappelle qu’il n’y a aucune « relativité » par rapport à une cause
ou puissance dans ce dernier type de possible, et précise à maintes
reprises que cela ne se dit pas seulement dans les choses, mais aussi
dans les propositions. Albert le Grand soulignait encore plus clai-
rement le caractère propositionnel de cette définition du possible en
opposant le possibile de dicto au possibile de re. En forgeant l’expression
de possibile logicum opposé au possibile reale et systématiquement défini
comme « un mode de composition formé par l’intellect, dont les ter-
mes n’incluent pas de contradiction », Jean Duns Scot n’invente dès
lors aucun nouveau concept, mais seulement un terme qui jusqu’à
preuve du contraire semble être apparu effectivement pour la pre-
mière fois sous sa plume 35.
Résumons les caractéristiques de ce « possible absolu ». En pre-
mier lieu, il se définit comme totalement indépendant de toute

34. Thomas d’Aquin – Leon. 1886-…, IV, 293a (Summa Theologiae Ia, q. 25, a. 3) ;
Thomas d’Aquin – Marietti 1949, 14a (De potentia, q. 1, a. 3) ; ibid., 95a (q. 3,
a. 17, ad 10) : « […] quod antequam mundus esset, possibile erat mundum fieri, non
quidem aliqua potentia passiva, sed solum per potentiam activam agentis. Vel potest
dici, quod fuit possibile non per aliquam potentiam, sed quia termini non sunt disco-
haerentes, huiusmodi scilicet propositionis : Mundus est. Sic enim dicitur esse aliquid
possibile secundum nullam potentiam, ut patet per Philosophum in V Met. » La
même opposition se retrouve chez Durand de Saint-Pourçain 1563, 95vb (In
I Sententiarum, dist. 42, q. 2, § 9), qui oppose les « possibilia secundum potentiam
activam vel passivam » au « possibile absolute secundum habitudinem terminorum
qui sibi invicem non repugnant ».
35. Duns Scot– Vat. 1950-…, II, 282 (Ordinatio I, dist. 2, pa. 2, q. 1-4, § 262) :
« Dico quod possibile logicum differt a possibile reali, sicut patet per Philosophum V
Met., cap. de potentia. Possibile logicum est modus compositionis formatae ab intel-
lectu, cuius termini non includunt contradictionem, et ita possibilis est haec propositio :
“Deum esse”, “Deum posse produci” et “Deum esse Deum” ; sed possibile reale est
quod accipitur ab aliqua potentia in re sicut a potentia inhaerente alicui vel termina-
ta ad illud sicud at terminum. » Le syntagme de possibile logicum, dont la pater-
nité est jusqu’à preuve du contraire attribuée à Jean Duns Scot, comme l’avait
déjà remarqué le travail pionnier de Faust 1932, 239 sq. ; à compléter par Deku
1956 ; Pape 1966, 36-37, est donc tout au plus une invention terminologique,
et non proprement conceptuelle, contrairement à ce que suggère aujourd’hui
une historiographie influente, représentée principalement par les travaux de
Knuuttila 1981 ; Knuuttila 1982, 354-355 ; Knuuttila 1996, ainsi que par
ceux de Honnefelder 2002 ; Söder 2001. Solère 2000, 275-281, démontre
qu’un tel concept est déjà en germe dans les discussions de la toute-puissance
dans les grandes sommes du début du XIIIe, notamment chez Guillaume
d’Auvergne et Guillaume d’Auxerre. Notons enfin que l’historiographie du
début du XXe siècle, ignorante du Moyen Âge, par exemple Pichler 1912,
attribuait encore la paternité du concept d’une « pure possibilité logique » à
Leibniz !

23
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causalité 36. Même s’il ne passe jamais à l’acte, il reste considéré


comme possible et ne tombe donc pas sous l’axiome aristotélicien
strict selon lequel tout possible non réalisé à un moment ou à un
autre serait un concept vide et superflu. C’est la raison pour
laquelle les scolastiques modernes ont baptisé ce possible de pure
possibile ou de mera possibilitas, une expression qui ne me semble
pas médiévale 37, mais propre aux auteurs du XVIIe siècle pour dési-
gner l’espace ténu mais essentiel situé entre les choses qui se réalise-
ront un jour et celles qui ne peuvent jamais se réaliser et sont de
pures chimères. En se détachant de la causalité, ce concept de pur
possible met également fin à une synonymie médiévale fréquente
entre possibilité et contingence – qui est notamment à la base des
carrés logiques de la syllogistique et omniprésente en physique dans
l’analyse des phénomènes du monde sublunaire 38. Deuxième
caractère essentiel, ce possibile logicum se définit à partir du principe
de contradiction : s’il est possible que l’homme soit assis, c’est non
seulement qu’il n’est pas nécessairement faux qu’il ne soit pas
assis, comme dit Aristote, mais c’est aussi qu’il n’y a pas de con-
tradiction entre le fait d’être Socrate et le fait d’être assis. Un état
de choses est donc possible s’il peut être pensé comme n’incluant
pas de prédicats contradictoires, au contraire précisément de
l’impossible, qui est défini corrélativement comme ce qui implique
toujours contradiction. Tout au long du Moyen Âge et de l’époque
moderne 39, la définition purement logique du possible a toujours été
indéfectiblement liée au caractère premier et incontournable pour

36. Cf. Duns Scot– OPh. 1997, IV, 520 (In IX Metaphysicorum, q. 2, § 33) : « […]
potentia logica, quia illa quantum est de se posset esse sine activa […] ».
37. Pour reprendre une expression française de Leibniz – Gerhardt 1875-1890, II,
55 (Lettre à Arnauld, 14.VII.1686). L’expression traduit la formule scolasti-
que du pure ou encore mere possibile, qui n’est pas médiévale mais bien typique
de la scolastique moderne : on la trouve par exemple très précisément définie
avec le concept de « monde purement possible » par Mauro 1670, 167 (Quaes-
tiones de praedicamentis, q. 47) : « Possibile strictissime, seu mere possibile est, quod
neque est impossibile, neque necessarium, neque existens pro ulla differentia
temporis. In hoc sensu alter mundus est pure possibilis, quia ita potest esse et non
esse, ut nunquam sit extiturus. » ; Izquierdo 1659, I, 269b (Pharus Scientiarum,
disp. 11, q. 1, § 9) : « Quod in praesenti controvertitur, est in quo consistat re ipsa
possibile metaphysice, quod absolute et simpliciter tale est, praesertim, quod pure est
possibile, aut saltem cum praecisione a sua absoluta existentia iudicatur possibile,
seu, quod idem est, quae fundamenta dentur ex parte rerum, ut vere dicantur possi-
bilia (c’est nous qui soulignons) ».
38. Cf. sur ce point quelques exemples dans Schepers 1963, 902-903.
39. Une fois de plus jusque Leibniz – Gerhardt 1875-1890, II, 316 (De causa Dei) :
« […] Omnia possibilia, seu quae non implicant contradictionem ».

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les scolastiques du principe de non-contradiction. Il convient d’insis-


ter ici sur ce critère de la pensabilité : pour qu’un possible puisse être
considéré comme tel, indépendamment d’une cause, il faut au
moins qu’il soit pensable. Cette absence de contradiction, Dieu
peut la penser, mais la pensée de Dieu n’en est pas la seule mesure
ni le fondement, puisque tout intellect, même fini et créé, peut
appréhender ce premier principe selon lequel une chose ne peut
pas à la fois être et ne pas être, ou ne peut pas avoir à la fois une
propriété et une autre qui la nie, comme dans le cas d’un objet fic-
tif qui unirait les propriétés du bouc et celles du cerf dans un même
animal. C’est ce qui a permis à l’unanimité des médiévaux de définir
l’homme comme possible et le bouc-cerf comme impossible, et
partant, d’affirmer que Dieu peut créer le premier mais pas le
second.

Le concept de monde créable

Il est temps d’introduire maintenant le deuxième ingrédient, qui est


celui de monde. C’est en fait facile, puisque tant Thomas d’Aquin
que Jean Duns Scot l’ont en quelque sorte fait pour nous. La raison
pour laquelle ce critère de la « pensabilité » ou de l’« énonciabilité »
du possible est devenu si déterminant par rapport au seul critère de
la créabilité était également un besoin spécifiquement théologique.
La conception chrétienne d’un Dieu conçu comme une intelligence
omnisciente, susceptible de créer ex nihilo, exigeait en effet la révi-
sion d’un autre aspect de la doctrine aristotélicienne du possible, à
savoir toute la cosmologie sous-jacente 40. La scolastique latine du
Moyen Âge pouvait se servir utilement de la doctrine aristotélicienne
de la puissance et de l’acte pour expliquer la création, mais seule-
ment au prix de quelques déplacements conceptuels. Si le monde
créé leur apparaît comme purement en « puissance » avant d’être
posé en acte par le Créateur, ce dernier se singularise par le fait qu’il
n’a besoin d’aucun autre acte qui jouisse d’une priorité ou d’une
antériorité par rapport à lui pour se mettre en mouvement : Dieu
peut dès lors, selon une formule scolastique classique, devenir actus

40. Telle avait été la thèse au centre du travail de Faust 1932 ; Solère 2000, 273
parle également d’une « décosmologisation radicale du concept de possible »
dans la métaphysique médiévale, et Söder 2001 a caractérisé la doctrine aris-
totélicienne comme une « cosmo-logique » par opposition à l’« onto-logique »
développée (selon lui) principalement par Duns Scot.

25
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purus, ou mieux, actus omnium possibilium 41, qui n’est lui-même pas
soumis à l’actualisation ou à un quelconque type de causalité. De
même, les « possibles » (ea quae sunt in potentia, ou bien les possibilia
comme on dira plus communément) sur lesquels s’exerce sa puis-
sance ne pouvaient pas être interprétés à partir des mêmes princi-
pes physico-cosmologiques d’Aristote et transmis par Averroès, pour
lequel toutes les formes sont en puissance dans la matière première
et en acte dans le premier moteur 42. Or, le Dieu des Chrétiens ne
créée pas à partir d’une matière première mais bien ex nihilo, ce qui
implique dès lors d’attribuer aux choses possibles un statut différent
de celui qu’elles avaient dans le monde aristotélicien. Si les choses
créables ne peuvent pas simplement préexister dans une matière
première donnée, elles peuvent en revanche jouir d’un certain sta-
tut dans l’intellect divin, en vertu duquel elles apparaissent comme
« possibles » : avant que le monde ne fut effectivement créé, sa « pos-
sibilité était purement intellectuelle », affirmait par exemple une
formule remarquable de l’Averroès latin 43.
C’est ainsi que va apparaître l’introduction d’un « monde intel-
lectuel » avant la création, éternellement possible avant sa création
car pensable de toute éternité par un Dieu éternel comme non-
contradictoire. Le mundus intelligibilis des anciens va ainsi progres-
sivement devenir un mundus possibilis chez les médiévaux : parce que
pensé (« intelligé ») par Dieu, il est aussi possible. Mais en vertu de
la validité univoque du principe de non-contradiction pour l’intel-
lect divin et humain, de nombreux auteurs médiévaux ont pu défi-
nir cette possibilité du monde de manière extrêmement abstraite,
faisant même abstraction de Dieu, puisque tout intellect peut con-
cevoir la non-contradiction d’un état de choses. Ils définissent dès
lors cette possibilité du monde non seulement en excluant la toute-
puissance (toujours mise entre parenthèses) mais aussi l’omniscience
divine qui n’est pas considérée comme constitutive de la possibilité
de ce monde. Les formules de Thomas d’Aquin sont restées vagues
à ce propos, mais sont révélatrices : lorsqu’il affirme qu’avant la

41. Cf. Thomas d’Aquin–Leon. 1886-…, XIII, 295b (Summa conta Gentiles II, c. 15).
42. Cf. Aristote – Tricot 1991, 260 (Métaphysique Z 7, 1032a20-22) : «… tous les
êtres qui sont engendrés, soit par la nature, soit par l’art, ont une matière, car
chacun d’eux est capable à la fois d’être et de ne pas être, et cette possibilité,
c’est la matière qui est en lui ».
43. Averroes Latinus –Zedler 1961, 117 (Destructio Destructionum, disp. 1) : «Nam pos-
sibilitas hic est intellectualis, sicut est ante mundum apud Philosophos ». Signalons
que la question des « mondes possibles » dans la cosmologie averroïste et dans la
« scolastique » arabe a fait l’objet des études récentes de Kukkonen 2000 et 2001.

26
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création du monde, « on » peut dire (dicitur) « qu’il est possible que


le monde soit » 44, il laisse dans le flou la question de savoir si ce « on »
se rapporte à l’intellect divin ou à un intellect abstrait quelconque.
Mais quelle que soit la solution envisagée, cela signifie que le prin-
cipe de possibilité logique s’impose bien à tout intellect – y compris
en dernière instance à l’intellect divin. Jean Duns Scot a repris la
même hypothèse, et Pierre Auriol a formulé le lien entre le principe
de possibilité logique et l’univocité des connaissances humaine et
divine de manière beaucoup plus évidente et systématique : le Doc-
teur Subtil affirme fréquemment que si avant la création du monde
on imaginait un intellect quelconque ou simplement un acte de juge-
ment affirmant « le monde est possible », indépendamment de toute
puissance créatrice, cet énoncé serait vrai en raison de la non-con-
tradiction des termes qui le composent 45. La formule du quocumque
intellectu concipiente, qui revient fréquemment sous sa plume, permet

44. Thomas d’Aquin – Marietti 1949, 39b (De potentia, q. 3, a. 1, ad 2) : « Antequam


mundus esset, dicitur possibile fieri mundum, quia non erat repugnantia inter prae-
dicatum enuntiabilis et subiectum », avec le même argument en ibid., 95a (De
potentia, q. 3, a. 17, ad 10) ; Thomas d’Aquin – Leon. 1886-…, IV, 479a-b
(Summa Theologiae Ia, q. 46, a. 1, ad 1) : « Antequam mundus esset, possibile fuit
mundum esse, non quidem secundum potentiam passivam, quae est materia ; sed
secundum potentiam activam Dei. Et etiam secundum quod dicitur aliquid absolute
possibile, non secundum aliquam potentiam, sed ex sola habitudine terminorum, qui
sibi non repugnant ; secundum quod possibile opponitur impossibili, ut patet per Phi-
losophum, in V Met. » À noter que la traduction très néo-scolastique du P. A.-
D. Sertillanges rend ces passages en utilisant l’expression de « monde possible » :
« On parle d’un monde possible avant le monde réel ». Que la possibilité du
monde soit « activement » dans le Créateur est une formule classique, utilisée
par Guillaume d’Auvergne, mais sans la corréler encore systématiquement à la
puissance logique : Guillaume d’Auvergne – Switalski 1976, 54 (De Trinitate,
§ 8) : « Possibile namque fuit mundum esse antequam mundus esset, sed possibilitas
ista fuit potentia creatoris […] quoniam et de materia et de forma primitivis verum
est, quod possibile fuit ipsas esse antequam essent ».
45. Duns Scot – Oph. 1997, IV, 514 (In IX Metaphysicorum, q. 2, § 18) : « […] illa
potentia < scil. logica > est modus quidam compositionis factae ab intellectu, causa-
tus ex habitudine terminorum illius compositionis, scilicet quia non repugnant. Et licet
communiter correspondeat sibi in re aliqua potentia realis, tamen hoc non est per se
de ratione huius potentiae. Et sic possibile fuisset mundum fore ante eius creationem,
si tunc fuisset intellectus formans hanc propositionem “mundus erit”, licet tunc non
fuisset potentia passiva ad esse mundi, nec etiam activa, posito hoc per impossibile,
dum tamen sine contradictione posset fore potentia ad hoc activa » ; Duns Scot – Vat.
1950-…, IV, 118 (Ordinatio I, dist. 7, § 27) : « Si ante mundi creationem mundus
solum non fuisset, sed per impossibile, Deus non fuisset sed incepisset a se esse, et tunc
fuisset intellectus ante mundum componens hanc “mundus erit”, haec fuisset possi-
bilis quia termini non repugnarent, non tamen propter aliquod principium in re pos-
sibili, nec propter activum sibi correspondens ».

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d’établir à partir de l’univocité des connaissances la validité univer-


selle du principe de possibilité logique, et est plus généralement le
trait caractéristique des « propositions connues par elles-mêmes »
ou « premiers principes » qui s’imposent à tout intellect : les choses
contradictoires sont impossibles au même titre que les choses non-
contradictoires sont possibles, quocumque intellectu concipiente 46.
On se trouve finalement devant un paradoxe presque dérangeant
pour le sens commun théologique : pour le Docteur Subtil comme
déjà pour le Docteur Angélique, le monde est créé par Dieu, mais
il n’est pas seulement possible parce que Dieu peut le créer. Il est
possible en fonction de ses propres critères, car il n’y a pas de répu-
gnance dans ses prédicats essentiels : mundus enim non est possibilis
per voluntatem Dei, sed per sua praedicata intrinseca, allait écrire un
influent jésuite anglais du XVIIe siècle 47. De nombreux théologiens
– professionnels ou en herbe, comme Montaigne ou Descartes –
ont été scandalisés par la manière dont un principe de non-contra-
diction « humain, trop humain » semble ainsi borner l’étendue de la
toute-puissance divine. Pourtant, c’est à partir de ce principe que
dès le XIIIe siècle a émergé une réflexion sur le « monde possible »
défini de manière purement épistémologique : il s’agit en fait de
notre monde, en tant que conçu abstraitement avant sa création.

46. Duns Scot – Vat. 1950-…, II, 136 (Ordinatio I, dist. 2, pa. 1, q. 2, § 22) : « < Propo-
sitio per se nota > dicitur per se nota quia quantum est de natura terminorum nata
est habere evidentem veritatem contentam in terminis, etiam in quocumque intel-
lectu concipiente terminos. Si tamen aliquis intellectus non concipiat terminos, et
ita non concipiat propositionem, non minus est per se nota, quantum est de se : et sic
loquimur de per se nota (c’est moi qui souligne). » ; ibid., VI, 296 (Ordinatio I,
dist. 36, q. un., § 60) : «… Et quare homini non repugnat et chimaerae repugnat,
est, quia hoc est hoc et illud illud, et hoc quocumque intellectu concipiente quia
– sicut dictum est – quidquid repugnat alicui formaliter ex se, repugnat ei, et quod non
repugnat formaliter ex se, non repugnat » (c’est nous qui soulignons).
47. Compton Carleton 1649, 82b (Philosophia universa, disp. 18, s. 3, § 7). Quelles
qu’aient pu être les divergences de Thomas d’Aquin et de Jean Duns Scot sur
d’autres questions modales, en particulier sur la définition de la contingence,
les scolastiques modernes n’ont dès lors jamais vu d’opposition réelle entre ces
deux grandes autorités médiévales sur la définition du possibile quoddammodo
a se, appréhendable par tout intellect, comme allait l’expliquer le jésuite salman-
tin Lynch 1654, II, 146 (Physica, IV, tr. 2, c. 3, § 13) : « […] Non esse impossi-
bile, quod multi dicunt, possibilitatem creaturarum non esse a Deo, sed quodammodo
a se. Namque in primis id videtur manifeste tueri ac docere Angelicus Praeceptor, I
p. q. 25 a. 3 (…), quibus verbis possibilitatem et impossibilitatem a se ipsis et non a
Deo aliave causa esse pespicue tradit. Consentit Scotus in I dist. 43, q. un., ubi docet,
rerum possibilitatem et impossibilitatem esse ex sola habitudinem terminorum et non
a Deo, tametsi in esse intelligibili seu cognito sint a Deo ».

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Le concept d’une pluralité de mondes possibles

Il nous reste maintenant à franchir une dernière étape, et dynami-


ser ce modèle pour passer du monde possible aux mundi possibiles,
c’est-à-dire du singulier au pluriel. Au lieu d’un monde unique –
notre monde avant sa création dans l’esprit divin – il convient main-
tenant de passer au concept d’une multiplicité de mondes possibles,
également représentés et « présents » dans l’esprit divin. Or, dans
cette mise au pluriel, le concept épistémologique semble à nouveau
croiser le concept proprement cosmologique.
Dans les commentaires tardo-médiévaux et modernes au De caelo
et mundo d’Aristote, on voit en effet fréquemment apparaître des
raisonnements impliquant une pluralité de mondes possibles définis
non plus seulement comme d’autres étoiles ou d’autres terres, mais
comme des mondes abstraits résultant de pures expériences de pen-
sée. L’affirmation du pouvoir « absolu » de Dieu de créer d’autres
univers ou d’autres mondes est ainsi devenue le point de départ de
multiples expérimentations secundum imaginationem dans la physi-
que mais aussi dans la logique tardo-médiévales 48. Dans un com-
mentaire parisien au De caelo d’attribution douteuse (peut-être Jean
Dullaert, ca. 1470-1513), l’auteur évoque le pouvoir de Dieu de
créer une infinité de mondes contenant exactement 1000 hommes
chacun 49. D’une manière générale, le discours sur les mondes pos-
sibles saute aux yeux dès que l’on ouvre n’importe quel cours du
type De caelo et mundo produit dans le cadre de la philosophie et
théologie scolastique post-tridentine. On voit qu’il y est régulière-
ment question de « mondes possibles », et bien au pluriel. Ces manuels
commencent en général par rapporter les définitions classiques du
concept de monde héritées d’Aristote et de la scolastique médiévale.
Ensuite, ils discutent généralement de deux questions également
parfaitement médiévales : d’abord la question de l’éternité du monde,
qu’ils rejettent avec une écrasante majorité, et ensuite la question
de la pluralité des « mondes possibles » que Dieu pourrait créer.
Comme leurs prédécesseurs médiévaux, tous les scolastiques moder-
nes répondent par l’affirmative : de facto, ils concèdent qu’il n’y a

48. Sur le développement des hypothèses per impossibile ou secundum imaginationem


dans la physique tardo-médiévale, voir la synthèse des recherches dans de Libera
1990, ainsi que les études de cas de Hugonnard-Roche 1991 et 1997.
49. Cf. Dullaert (?) 1523, q. 1, s.f. : « […] quod Deus potest creare infinitos mundos et
admitto quod in quolibet illorum possint esse praecise 1 000 homines ».

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qu’un monde, le nôtre, mais de potentia absoluta, Dieu pourrait en


créer infiniment plusieurs 50. Les scolastiques pouvaient même ten-
ter de faire passer cette conclusion pour aristotélicienne en jouant
habilement sur la distinction entre deux sens des concepts de mundus
et d’universum : si l’on entend par « monde » ou « univers » l’ensem-
ble des choses créées, alors il est évident que Dieu pourrait créer une
pluralité d’autres mondes ou univers, contrairement à ce qu’affir-
mait Aristote. Si en revanche on entend par « monde » ou « univers »
l’ensemble formé par Dieu lui-même et les mondes créables, alors
il n’y a pas de désaccord entre le Stagirite et la théologie, puisqu’on
peut alors considérer le monde comme unique 51.

50. Cf. Conimbricenses 1608, 119b (I, c. 9, q. 1 : « Possintne per divinam potentiam
plures mundi esse, an non ? », a. 2 : « Sit igitur conclusio omnino certa : posse a Deo
plures effici mundos. ») ; Suárez – Vivès 1856-1861, XXVI, 47a (Disputationes
metaphysicae, disp. 29, s. 3, § 37) : « […] non enim est dubium quin Deus potuerit
plures mundos efficere […] » ; Rubio 1625, I, c. 9, q. 2, 70 : « Possibiles sunt plures
mundi specie ac numero distincti […] Non repugnat ex parte divinae omnipotentiae,
neque ex parte rei faciendae. Ergo possibile est, utroque modo fieri plures ». Il qualifie
plus haut cette position de « opinio communis et vera. » ; de même dans le camp
de la scolastique franciscaine, la conclusion est la même et on y emploie aussi
fréquemment le syntagme « mondes possibles », par exemple chez Punch
1672, disp. 21, q. 1, § 1, 596b : « De facto unicus tantum est mundus ; sed plures
sunt possibiles » ; Jacinto de Olp 1698, 594b : « […] in productione alterius vel plu-
rium aliorum mundorum nulla prorsus est repugnantia, vel implicantia : ergo pos-
sunt a Deo alii mundi produci ».
51. C’est ainsi qu’on le trouve par exemple chez Piccolomini 1608, II, q. 2, 277 :
« Possunt viri hi sapientia splendissimi de uno et multitudine conciliari, quia nomine
mundi vel intelligimus totum et universum absolute, adeo ut haec sit essentia et con-
ditio eius, si recte sentit Divus Thomas, nam includentia contradictionem non cadunt
sub potestatem, at si intelligimus perfectum et totum solum in parte, ac ut placuit opi-
fici, sic ut unum ita plures creare valuisset, non tamen infinitos, ut recte sentit Scotus,
quia repugnat numero, magnitudini, et cuilibet ex alio pendenti ut actu sit infinitum. »
Cette distinction est ensuite commune : Conimbricenses 1608, 122b (I, c. 9,
q. 1, a. 2) : « Universum bifariam accipi : nunc pro omnium rerum creatarum, quae
uspiam sunt, complexu, quo modo unum duntaxat universum dari potest, cuius par-
tes forent plures mundi si extarent : nunc pro iis tantum, ex quibus unus aliquis mun-
dus coagmentatur ; quo pacto non repugnat plures rerum universitates, eiusdem
imperii provincias, a Deo condi. » ; Garnier ca. 1650, 126-127 : « Quaeritur an uni-
cus sit tantum mundus. Mundi nomine intelligi potest vel haec machina cuius in
medio sumus, vel universum formaliter quam universum. Implicat contradictionem
duos esse mundos, si nomine intelligatur universum, nam impossibile est ut duo sint
quorum unum quodque. Sed id omne quod est, at universum est omne quod est. Fieri
potest ut duo sint aut plures mundi, si hoc nomine intelligatur talis machina ex cae-
lestibus et elementaribus corporibus constans, quae deserviat homini mortali. » ; Punch
1672, disp. 21, q. 1 (« An mundus sit unus ? »), § 1, 596b : « Si caperemus mundum
pro universitate rerum corporearum, quae de facto fuerint, sunt et et erunt, certum

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Parmi la nuée de commentaires sur ce sujet, celui composé par


le jésuite Antonio Rubio (au retour de son enseignement au Mexi-
que et imprimé en 1615, année de sa mort) est particulièrement
instructif pour notre propos : d’abord, parce que Rubio utilise fré-
quemment l’expression latine de mundi possibiles ; ensuite, parce
qu’à la question classique de savoir si Dieu peut créer des mondes
possibles « plus parfaits » ou « infiniment meilleurs », notre jésuite
utilise également déjà l’image d’un « ordre » de mondes de plus en
plus parfait qui sera reprise par Leibniz, mais sans pour autant con-
céder que « notre monde » se situe au sommet de cette échelle en
tant que « meilleur » 52. Enfin et surtout, ce commentaire est inté-
ressant car Rubio y prend le temps de laisser vagabonder son ima-
gination cosmologique, et nous donne des exemples concrets de ce
qu’il entend par ces « autres mondes possibles » que la plupart de
ses contemporains se contentaient en général seulement de suggé-
rer. D’abord, ces autres mondes peuvent être de la même espèce
(d’autres « terres » par exemple) 53, ou encore différents en nombre
ou en espèce. Dans ce cas, alors que dans notre monde, le lieu natu-
rel des corps graves et légers est situé sous le ciel, rien ne nous empê-
che d’imaginer d’autres mondes possibles créés par Dieu dans
lesquels les cieux auraient d’autres vertus et d’autres influences, de
telle sorte qu’ils agiraient par exemple sans mouvement ou selon
un type différent de mouvement. Ou encore, on pourrait imaginer
des mondes possibles avec d’autres nombres d’éléments ou de corps

51. est mundum esse unum : illa enim universitas est una ; posset tamen in hoc sensu dari
alius mundus, quia alia universitas rerum posset esse. Item si caperemus mundum
pro universitate omnium rerum corporearum possibilium, adeo mundus esset unus, ut
nec essent plures possibiles ».
52. Rubio 1625, 73 (Commentarii in libros Aristotelis Stagiritae de caelo et mundo, I,
c. 9, q. 3) : « […] Valde probabile censeo, posse Deum sua potentia absoluta produ-
cere alios et alios mundos perfectiores, secundum numerum et speciem in infinitum,
ita ut quibuscunque productis possit novos alios, ac distinctos utroque modo produ-
cere. […] Ex hoc enim sequitur possibiles esse alios mundos in infinitum perfectiores.
Nam sicut possunt aliae creaturae perfectiores in infinitum produci a Deo, ita pos-
sunt diversis modis sub eo, ac inter sese ordinari, ita ut quaelibet data ordinatione,
possit dari alia perfectior in infinitum, et proinde alius, atque alius mundus perfectior
sine termino, quia mundus non est aliud, quam ordinatio diversarum creaturarum
sub uno principio ac inter sese ». Ce qui sépare ici Rubio de Leibniz est l’émer-
gence d’un nouveau paradigme théologique, celui de la « nécessité morale de
Dieu à créer le meilleur des mondes possibles », dont l’histoire a été remarqua-
blement retracée par Knebel 2000.
53. Rubio 1625, 71 (I, c. 9, q. 2) : « Quod vero non repugnet fieri plures mundos eius-
dem speciei probatur, quia nulla potest ostendi repugnantia in eo, quod fiat aliud ele-
mentum terrae eiusdem speciei cum isto ».

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simples, ou encore avec des puissances différentes 54. La seule limi-


tation, révélatrice, que pose Antonio Rubio est la définition de
l’homme : à ses yeux, il est impossible d’imaginer d’autres mondes
possibles dans lesquels l’homme serait différent en espèce 55.
Cette irréductibilité de l’homme laisse peut-être entrevoir la
modernité qui s’est introduite dans ces commentaires à l’apparence
très traditionnelle : pour Rubio, dans tous les mondes possibles,
l’homme doit garder ses mêmes caractères essentiels, sans quoi on
ne pourrait plus parler d’homme. Pourtant, il nous semble que ces
commentaires modernes au de mundo ne forment en réalité rien de
plus qu’une toile de fond au développement d’un autre discours,
plus proprement épistémologique cette fois-ci, au sujet la « pluralité
des mondes possibles », dont ces mêmes auteurs sont à l’origine.
En effet, comme les scolastiques eux-mêmes le concèdent, il y est
toujours seulement question du monde sensible – même s’il contient
des éléments suprasensibles comme les anges et les âmes rationnel-
les. La question se pose dès lors de savoir si ces auteurs ne parlent
pas aussi des « mondes possibles » en un autre lieu, d’un point de
vue purement intelligible cette fois-ci. La réponse est bien entendu
positive, et eux-mêmes nous renvoient à cet endroit généralement
à la théologie, et plus précisément aux questions sur la science et
les idées divines. Or, dans ces questions, on trouve également fré-
quemment dès la fin du XVIe siècle des discussions sur l’infinité
des mondes possibles que Dieu peut créer, mais il ne s’agit pas ici
de mondes « sensibles », mais de mondes « intelligibles » représentés
par l’intelligence divine. On y trouve aussi l’idée que dans chacun
de ces mondes possibles, il y a une infinité de combinaisons pos-
sibles : par exemple un monde dans lequel Pierre décide de trahir le
Christ, et un autre monde dans lequel Pierre décide de ne pas tra-
hir le Christ. Dans ces spéculations, la question morale l’a totalement

54. Rubio 1625, 70 (I, c. 9, q. 2) : « […] Ordo huius mundi consistit in situ corporum
gravium et levium sub caelo. Sed poterit Deus producere alios caelos habentes alias
virtutes et influentias, ita ut sine motu, vel medio alio motu diverso valde operentur,
atque etiam alium numerum elementorum, seu corporum simplicium, quae sub caelo
illo contenta haberent naturas et conditiones, potentiasque motivas diversas a grav-
itate et levitate et alio modo longe diverso ordinarentur inter sese et cum caelo, in quo
nulla potest excogitari repugnantia alicuius momenti : ergo possibiles censendi sunt
plures mundi specie diversi ».
55. Rubio 1625, 70-71 (I, c. 9, q. 2) : « Quod cum hac sola limitatione intelligendum
censeo, ut ex parte speciei humanae (eo modo, quoad mundum pertinet) non sit pos-
sibile, quod fiant plures mundi specie distincti, quia non videtur mihi possibile fieri
alium hominem specie distinctum ».

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emporté sur la simple description physique du contenu de ces mon-


des. Les hommes qui peuplent ces différents mondes sont bien les
mêmes du point de vue de l’espèce, comme dans la cosmologie de
Rubio, mais leurs actions et la valeur de celles-ci sont différentes.
Aussi, alors que le concept de « pure possibilité logique » s’était déve-
loppé dans les querelles médiévales sur la toute-puissance et que le
concept de monde possible avant la création rappelait les problèmes
de cosmologie aristotélicienne, ce sont maintenant les querelles
spécifiquement modernes sur le libre-arbitre, la prescience et la
prédestination divine qui vont entrer en jeu et voir éclore le con-
cept épistémologique d’une pluralité de mondes possibles. Cela
n’a été possible qu’à la faveur d’un nouvel affinement de l’instru-
mentaire doctrinal de la théologie catholique qui s’est réalisé à ce
moment de l’histoire, sous le double effet d’un renouveau institu-
tionnel de la scolastique médiévale et des querelles tridentines visant
à réaffirmer l’absolue liberté de l’homme et la contingence de l’ordre
du monde contre le « nécessitarisme » imputé à la théologie protes-
tante. En particulier, c’est l’invention d’un nouveau type de science
divine qui a été capital pour dynamiser le modèle classique de la
connaissance divine du monde avant sa création : il s’agit de la
fameuse doctrine de la scientia media, née dans le contexte ibérique
au XVIe siècle 56.
Afin d’expliquer d’une nouvelle manière l’accord entre la pres-
cience divine et la liberté des hommes, le jésuite espagnol Luis de
Molina avait introduit dans la distinction thomiste classique entre
science de simple intelligence (portant sur le pur possible, repré-
senté dans les idées divines) et science de vision (portant sur l’actuel,
dépendant de la volonté) un troisième type de science qu’il avait

56. Cette hypothèse a déjà été avancée par Knebel 1991a, 13 et Ramelow 1997,
57, 469 sq. qui qualifie le discours sur les mondes possibles de « Epiphänomen
des scientia-media-Diskurses ». La scientia media a donné lieu à une immense
littérature, tant pour reconstruire ses origines, ses développements au cours
du XVIIe chez divers théologiens, son rôle de détonateur des fameuses querel-
les de auxiliis (voir à ce propos l’article toujours essentiel de Vansteenberghe
1929), ses implications pour le traitement du problème philosophique de la
vérité des futurs contingents (par exemple Craig 1988), ou encore sur sa plau-
sibilité dans la théologie contemporaine (par exemple Dekker 2000, avec une
importante bibliographie). Sur ses origines dans l’aristotélisme portugais du
XVIe siècle, voir le travail de recherche remarquable de Reinhardt 1965 ; pour
une analyse historique précise de l’imposition de son discours, voir les études
incontournables tant du point de vue historique que conceptuel de Knebel
1991b ; Knebel 2000 ; Ramelow 1997. Pour une analyse précise de la position
de Suárez à son égard, voir Sagüés 1948.

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baptisée scientia media. Cette dernière désigne l’aspect de l’omnis-


cience divine qui correspond à la connaissance que Dieu possède,
avant toute détermination de sa volonté, des décisions qui seraient
prises par les volontés finies des hommes dans n’importe quel hypo-
thétique ordre de choses 57. À travers cette science moyenne, Dieu
sait ce que va faire Pierre s’il était placé dans telle ou telle condition
particulière, en l’occurrence, dans tel ou tel monde possible avant
le choix de créer l’un d’entre eux : on peut imaginer à côté du monde
dans lequel Pierre renie le Christ un monde dans lequel Pierre ne
le renie pas, et ainsi de suite. Dans son esprit, Dieu peut dès lors
se représenter toutes sortes de mondes possibles correspondant à
des situations alternatives, parmi lesquelles sa volonté choisit – le
critère de ce choix (meilleur des mondes ou monde quelconque)
restant une question certes moralement essentielle, mais concep-
tuellement secondaire pour notre propos 58. L’invention de ce concept
présupposait à la fois une logique des raisonnements conditionnels
en matière contingente, ainsi qu’un concept « scotiste » de contin-
gence dépendant d’une volonté divine capable de vouloir une chose
et son contraire au même moment 59, deux thèmes très cultivés dans
la scolastique ibérique du XVIe siècle et dont en particulier les théo-
logiens de la jeune Compagnie de Jésus avaient recueilli l’héritage.
Bien que la philosophie de la religion analytique contemporaine
– florissante en particulier aux États-Unis – attribue communément à
Molina une telle réflexion sur les « mondes possibles », on peut tou-
tefois rester réticent à attribuer au jésuite espagnol la réelle paternité
de ce concept. La raison est une fois de plus lexicographique : si
conceptuellement Molina pense bien quelque chose qui ressemble
à des « mondes possibles », dont le contenu est déterminé par des
conditions contrefactuelles, il n’utilise – à notre connaissance – jamais
le terme, mais lui préfère celui, très ancien et hérité notamment de
Cicéron, de series rerum ou encore de ordines rerum et causarum 60,
les « séries de choses » dont parle d’ailleurs aussi assez fréquemment

57. Molina – Rabeneck 1953, 340 (Concordia, IV, disp. 52) ; trad. dans Aubin 2002,
368.
58. Sur cette question, voir la reconstruction de Knebel 2000.
59. Sur la dépendance de ce modèle moliniste à l’égard du concept scotiste de
contingence, voir l’exposé de Molina – Rabeneck 1953, 155-156 (q. 14, a. 13,
disp. 24 : « Utrum voluntas, in quo temporis puncto aliquid vult, libera sit ad illud
idem volendum nolendumve, et e contrario ». La proximité des vues de Molina
avec certaines propositions de Scot a été étudiée en détail par Dekker 1995.
60. Cicéron, De divinatione I, LV, 125 : « Fatum […], id est ordinem seriemque
causarum ».

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Leibniz 61. Par contre, c’est pour décrire le même type de problème
que l’expression de mundus possibilis et de mundi possibiles se géné-
ralise à la même époque chez d’autres auteurs jésuites praticiens de
la scientia media ou scientia conditionata. L’une des plus anciennes
apparitions du syntagme dans ce contexte se trouve chez nul autre
que Francisco Suárez, qui dans un manuscrit de jeunesse utilise
l’expression de l’infinité des mondes possibles pour expliquer le
processus par lequel Dieu choisit finalement de créer « ce monde-
ci, avec ces anges, avec ces hommes, avec ces secours de la grâce » 62.
Cela ne signifie bien entendu aucunement que Suárez puisse être
considéré comme « l’inventeur » du concept, dans la mesure où un
dépouillement systématique de manuscrits et d’imprimés du XVIe-
siècle consacrés à la prescience divine mettrait immanquablement à
jour d’autres occurrences chez d’autres auteurs. Par contre, le
Doctor Eximius se révèle bien à la pointe d’un mouvement doctrinal
qui extrait le concept de « monde possible » de la cosmologie pour
l’introduire dans la théologie fondamentale et morale : le « monde
possible » auquel fait allusion ici Suárez n’a en effet rien avoir avec le
« monde possible » de son contemporain et coreligionnaire Antonio
Rubio : il s’agit d’un concept épistémologique, utilisé dans le cadre
d’une argumentation théologico-morale, et non d’un concept cos-
mologique utilisé dans le cadre d’une argumentation physique.

61. Cf. Leibniz – Gerhardt 1875-1890, VI, 106 (Théodicée, § 8) : « J’appelle monde
toute la suite et toute la collection de toutes les choses existantes, afin qu’on
ne dise point que plusieurs mondes pouvaient exister en différents temps et
différents lieux » ; Leibniz – Ak. 1923-…, VI/4, 1378 (Conversatio cum D. Stenone) :
« Sed causa ejus prima est eadam quam seriei, nempe idearum in intellectu divino
constitutarum et rerum possibilium naturam exprimentium constitutio talis, ut opti-
mum sit in summa hanc potius quam illam seriem eligi ».
62. Cf. Suárez – Gonzales Rivas 1948, 122 (Quaestio utrum Deus certa et infallibili
scientia praecognoscat quid unaquaequae voluntas libere effectura essent in quocum-
que eventu et in quisbuscumque circumstancis, etiam in iis effectibus qui de facto non
sunt futuri, composé durant les premières années du professorat de Suárez à
Alcalá, v. 1585-1589) : « Nam, supposita illa praescientia, optime intelligimus ex
infinitis hominibus et angelis et mundis possibilibus quos Deus cognovit in sua simpli-
ci intelligentia, mere gratis et voluntarie, sine ulla alia causa, decrevisse aeternum
regnum et ecclesiam triumphantem ad gloriam suam creare ex Christo, iis hominibus
et iis angelis constantem ; et ad hunc finem assequendum, ex innumeris rationibus et
modis possibilibus, quos cognoscebat, elegisse hunc, scilicet, creationem huius mundi,
cum his hominibus, his angelis, his auxiliis et aliis rebus, et conservare illum et guber-
nare tali modo quo infallibiliter perveniret ad illum numerum electorum […] » Ce
passage avait déjà été relevé par Knebel 1991a, 13, qui signale également Ruiz
de Montoya 1629, 823 : « […] supponendo possibiles esse creaturarum series et
coordinationes infinitas, non solum in aliis mundis infinitis possibilibus, sed etiam in
hoc unico mundo ».

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C’est donc véritablement dans les cours de théologie que le nou-


veau concept, proprement épistémologique, de mondes possibles
acquiert sa systématisation moderne, signe de plus, s’il en fallait,
de l’extraordinaire créativité conceptuelle de la théologie post-tri-
dentine à une époque où la physique scolastique restait elle-même
trop souvent bridée par les interdits et les censures. La question du
lieu physique de la création de ces mondes possibles passe ici au
second plan : il n’est plus question de savoir si ces mondes peuvent
être créés en nombre infini ou encore de manière « contiguë » à notre
monde existant, comme l’exprimait joliment Rodrigo de Arriaga
dans ses propres spéculations cosmologiques 63, mais il est désor-
mais question de leur lieu ou encore de leur « état » ou « statut » intel-
ligible. Ces mondes sont en effet systématiquement analysés comme
des mondes « abstraits », car faisant abstraction de la disjonction entre
existence et non-existence, et désignent non pas « le » monde mais
les différentes « versions » possibles de notre monde avant sa créa-
tion 64. Une fois acquise cette mise au pluriel systématique du syn-
tagme mundus possibilis à travers la projection de ces mondes possibles
dans l’esprit divin, la très riche scolastique ibérique allait se poser
tout au long du XVIIe siècle une série de questions proprement méta-
physiques sur ces mondes possibles qui ne manquent pas d’évoquer
celles qui taraudent encore aujourd’hui les spécialistes de la possible
worlds semantics : la principale est celle de « l’engagement ontologique »
(ontological commitment) d’un tel discours, à savoir la question de
savoir quel type d’entité un tel discours présuppose à côté du monde
existant en acte. Tous les scolastiques admettaient en effet comme
« dogme philosophique » le fameux axiome d’Aristote affirmant que
ab eo quod res est, vel non est, propositio dicitur vera vel falsa 65. Com-
ment dans de telles conditions dire quelque chose de vrai sur des
mondes qui n’existent pas, puisqu’ils sont purement possibles ? Cer-
tains estimaient qu’il suffisait de leur conférer un « être objectif » dans

63. Cf. par exemple Arriaga 1669, 521b (Disputationes physicae, disp. 14, s. 14,
§ 129, 521b) : «… posse a Deo creari alium mundum continguum huic, quod verum
omnino est ».
64. Cf. par exemple Hurtado de Mendoza 1635, 596r-596v (Disputationes de Deo,
disp. 29, § 97), dans Schmutz 2003, II, 650 : « Haec secunda consequentia vide-
tur clara. Tres enim sunt status in quibus possit concipi mundus ut distinctus a Deo :
status mundi secundum se, status mundi ut non existentis, status mundi ut existentis
[…] Pro illo priori < 596v > mundus non fuit non existens realiter, nec existens rea-
liter, quia in eodem signo visus est alius mundus qui non existit realiter, visi sunt ergo
mundi ut praecisi ab existentia et non existentia exercita ».
65. Aristote, Catégories, 5, 4b9-11.

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l’esprit divin, suivant une vieille voie scotiste dont Leibniz n’est peut-
être pas si éloigné lorsqu’il dit que « ces mondes sont tous ici, c’est-
à-dire en idées » 66. D’autres estimaient que ces mondes possibles
n’avaient qu’un être purement négatif qui est celui de leur non-
incompossibilité avec le monde actuel 67, d’autres qu’il s’agissait de
pures présuppositions d’existence, et pour d’autres encore il s’agis-
sait seulement des relations purement logiques qui servent de « véri-
facteurs » ou de « falsificateurs » de ces énoncés 68. Au XVIIe siècle
déjà, il y avait donc déjà des « réalistes modaux » durs et modérés, des
actualistes, des possibilistes, et toutes ces autres écoles qui depuis
la remise au goût du jour de ces questions hautement scolastiques
par Saul Kripke, David Lewis, Alvin Plantinga et tant d’autres, peu-
plent désormais les départements de philosophie anglo-saxons 69.

Conclusion

Nous avons tenté de donner un aperçu des différentes solutions


apportées à cette question du fondement ontologique du possible

66. Leibniz – Gerhardt 1875-1890, VI, 362 (Théodicée, § 414).


67. C’est par exemple la position de Caramuel Lobkowitz 1642, § 2772 : « Respondeo
nihilominus quaestio, eodem plus minus sensu esse verum dicere, Antichristum nunc
esse futurum, ac dicere, Novos mundos nunc esse possibiles, ratio est quia quando
dicimus nunc esse alterum mundum affectum possibilitate ; sed dicimus, vel hoc instans
non habere repugnantiam aut incompossibilitatem cum existentia alterius mundi ; vel
existentiam alterius mundi secundum sua praedicata essentiala non esse incompossibilem
cum hic instanti : unde haec et similes assertiones admittendae sunt in sensu negativo
potius quam positivo ; quia dicere alterum mundum non habere repugnantiam ut nunc
existat. Mundus igitur qua nunc possibilis non est mundus affectus relatione possibilitatis
connotante hoc nunc temporis, sed est mundus carens repugnantia et impossibilitate exis-
tendi in hoc nunc. Male ergo diceretur esse possibilis nunc positive ; bene tamen nunc
negative : quoniam si possibilitatem respicimus, impossibilis non est ; si illud nunc
contemplamur ; illud mundus possibilis non connotat, sed nec habet repugnantiam et
incompossibilitatem cum illo. La doctrine des « mondes possibles » de Caramuel a
fait l’objet d’une étude par P. Dvořák 2000, ainsi que quelques indications sur le
contexte de ce passage dans Schmutz 2001.
68. Cf. par exemple Sémery 1686, I, 522 : « Nos cohaerenter ad ea, quae dicturi
sumus in libris Perihermeneias, dicimus hanc propositionem : Alter mundus est
possibilis, esse necessario veram absque eo quod existat ipsius verificativum. Verifi-
catur autem haec propositio per obiectum ipsius, quod non est, sed potest esse, sicut
v.g. haec alia : Antichristus peccabit, verificatur per peccatum quod non est, sed
erit. Ipsa igitur non repugnantia praedicatorum ex quibus constat mundus est et veri-
ficativum propositionis Mundus est possibilis et eiusdem mundi possibilitas ».
69. Notamment depuis l’ouvrage classique de Lewis 1973, dont une partie con-
sacrée aux « mondes possibles » est reprise dans Loux 1979 ; sur cette tradi-
tion, voir la synthèse récente de Girle 2003.

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dans un autre travail 70. Dans la présente étude, notre seul souci
aura été de reconstruire la rencontre entre une expression latine
bien déterminée – mundi possibiles – et une chose ou un concept lui
aussi bien déterminé – la représentation d’états de choses contre-
factuels. Pourquoi avons-nous donc été si soucieux de chercher
une correspondance exacte entre le mot et la chose ? Le philosophe
a-t-il vraiment besoin de s’embarrasser de recherches lexicographi-
ques aussi laborieuses ? Dans l’absolu, certainement non, pour
autant que l’on se mette d’accord sur les définitions des choses dont
nous parlons. Mais dans ce cas particulier, il nous semble que la
reconstruction exacte de l’histoire du concept puisse aussi être un
réel exercice de philosophie, dans la mesure où cette reconstruction
permet de montrer qu’il existe bien différents concepts de « mondes
possibles » qui restent souvent confondus dans notre sens commun.
Ce n’est qu’à l’aube de ce qu’on appelle la modernité qu’a réelle-
ment fini par émerger le concept de monde possible que nous uti-
lisons encore communément aujourd’hui dans la « sémantique des
mondes possibles » : à savoir un concept purement épistémologique
et au fonctionnement bien défini. Ce concept se distingue à la fois
du concept cosmologique « d’autre monde réel » mais n’a aussi rien
à voir avec les concepts littéraires de « mondes fictionnels ». Un tel
concept de monde possible n’invite pas vraiment à la rêverie, à ima-
giner d’autres étoiles, des utopies politiques ou des romans fantas-
tiques. Les mondes possibles modernes ne sont pas des mondes
dans lesquels les enfants naissent par l’oreille ni dans lequel les ânes
ont des ailes, mais ce sont simplement des mondes dans lequel les
participants d’un colloque brestois auraient décidé de rester chez
eux au lieu de prendre le train. Force est de reconnaître que l’hypo-
thèse n’est guère enthousiasmante. Implicitement, elle signifie que
notre monde est bien le seul monde réel, puisque sa réalisation
implique la négation de la réalisation actuelle de tout autre monde
possible. La projection des mondes possibles reste alors seulement
une tentative d’explication – de consolation, diront certains – du
fait que notre monde réel n’aurait pas nécessairement dû être tel
qu’il est, mais qu’il aurait en réalité toujours pu être autrement.

Jacob SCHMUTZ
Université Paris Sorbonne – Paris-IV

70. Voir notre thèse de doctorat : Schmutz 2003.

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