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Le mot et la chose
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2. Cf. par exemple Thomas d’Aquin – Leon. 1886-…, IV, 478a (Summa theologiae
Ia, q. 46, a. 1, ob. 1). On trouvera un bonne sélection des définitions scolastiques
du terme mundus dans le lexique d’Altenstaig 1576, 203r ; Collegium Conimbri-
cense Societatis Iesu 1608, 8b (Commentaria in quatuor libros de caelo Aristotelis
Stagiritae, I, c. 1, q. 1, a. 2) : « Mundus magnus, quod proprie universum vocatur,
est tota creaturarum collectio ».
3. Sur l’archéologie de la pluralité des mondes, voir les enquêtes de Benz 1978 ;
Dick 1982, et plus particulièrement sur la cosmologie médiévale, la synthèse de
Grant 1994.
4. Cf. Duhem 1913-59, IX, c. 20 (« La pluralité des mondes »), 363-430, en par-
ticulier l’affirmation suivante (380) : « Le décret de 1277 marque un renverse-
ment complet des opinions des maîtres parisiens quant à la pluralité des mondes.
Avant ce décret, ils accumulent des arguments tirés de la physique d’Aristote
dans le but d’établir que l’existence de plusieurs mondes est impossible […].
Après le décret, tous les théologiens sont convaincus que Dieu pourrait créer
plusieurs mondes s’il le voulait ».
5. Cet argument sera récurrent dans toutes les paraphrases « orthodoxes » au texte
d’Aristote : on ne peut accepter aucune pluralité de mondes, car cela impliquerait
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5. que la terre d’un monde soit mue vers le centre d’une autre, puisque tous les corps
simples d’une même espèce se meuvent naturellement vers le même lieu. C’est par
exemple ainsi que l’exprimera encore le dominicain Savonarola 1542, 149 (VI,
§ 18 : « Non possunt poni plures mundi ») : « Si enim essent plures mundi, oporteret quod
terra unius ferretur ad centrum alterius, quia omnia corpora simplicia eiusdem speciei
feruntur ad eundem locum naturaliter, et similiter dicendum est de aliis corporibus. Hoc
autem est impossibile, quia et terra ascenderet et ignis descenderet, praeterea mundus
constat < corr. eonstat > ex tota sua materia, id est comprehenditur tota materia mundi
sub coelo, et continet omnia genera corporum… » Le fait que de telles paraphrases
littérales qui paraissaient accepter la doctrine aristotélicienne de l’unité du monde
alors qu’elles allaient à l’encontre des principes théologiques, aient pu se perpétuer
jusqu’au XVIIe siècle, témoigne du fait qu’une forme de « pluralisme épistémolo-
gique » (L. Bianchi) s’est maintenue jusque très tardivement. En revanche, la
validité « absolue » de ces arguments devait céder le pas aux arguments théolo-
giques en faveur de la pluralité des mondes, comme on le verra plus loin.
6. Cf. « 34 (27). Quod causa prima non posset plures mundos facere », avec la biblio-
graphie des interprétations dans Piché 1999, 90-91. Sur l’impact de ces con-
damnations sur la cosmologie, voir l’étude classique de Grant 1979, 211-244 ;
Grant 1982, 537-539. Ce problème a généralement été abordé dans les nom-
breuses études historiques consacrées à la distinction entre puissance absolue et
puissance ordonnée. Voir notamment à titre de synthèse les contributions de Boul-
nois 1994, 45-48 (« La pluralité des mondes ») et Bianchi et Randi 1993, 76-85
(« Toute-puissance divine et pluralité des mondes »). À titre d’étude de cas, voir
Pernoud 1973, ainsi que les nombreux travaux de Randi 1989 ; Randi 1990.
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11. be different » ; Knuuttila 1982, 355 : « Thus it was not Leibniz who invented the
idea of possible worlds ; the idea is present in Duns Scotus’ modal theory, and this
new view of modal notions constitutes the general basis of fourteenth-century modal
logic » ; Knuuttila 1993, 143 : « Scotus considered the domain of intelligible being,
which is actualized in God’s intellect, as consisting of all thinkable individuals, their
properties and their mutual relations. Because many possibilities are mutually exclu-
sive, the domain of possible states of affairs must be structured into “possible worlds”
on the basis of compossibility relations. (It should be noted here that although Scotus”
theory of modality can be characterized as an intuitive predecessor of possible worlds
semantics, he did not himself use the notion of a possible world in a technical sense) ».
C’est également l’avis de Honnefelder 1990, 98 : « […] Scotus < unterscheidet
> zwischen einer Klasse der schlechthin möglichen und einer Klasse der kontingent
gewählten complexa. Alle in der zweiten Klasse möglichen Elemente müssen auch Ele-
mente in der ersten sein, nicht aber umgekehrt. Oder, um es mit dem späteren Spra-
chgebrauch bei Wolff und Leibniz auszudrücken : Die kontigent gewählte Welt ist eine,
aber auch nur eine der möglichen Welten . » Plus récemment, Honnefelder 1997
a proposé une autre archéologie en signalant la présence de ces motifs scotis-
tes chez Comenius et Alsted. On trouvera d’autres reformulations explicites de
la doctrine scotiste sous forme de « mondes possibles » dans Langston 1990,
241 : « We can recast Scotus’ analysis in terms of possible worlds. Instead of thinking
about consistent sets of possibilities presented to God, we can think of God’s intellect
as presented with an infinite number of possible worlds » ; ainsi que Van der Lecq
1998 ; Söder 1999, 199-215. Nous souscrivons pour notre part aux réserves
formulées au sujet de cette historiographie par Ramelow 1997, 14 : « Hier wird
aber zu eilig von der modernen Modallogik her der Begriff der möglichen Welten auf
Duns Scotus übertragen. Belegbar ist er bei Duns Scotus nicht ».
11. Duns Scot – Vat. 1950-…, II, 282 (Ordinatio I, dist. 2, pa. 2, q. 1-4, § 262) : « Dico
quod possibile logicum differt a possibile reali, sicut patet per Philosophum V Met.,
cap. de potentia. Possibile logicum est modus compositionis formatae ab intellectu,
cuius termini non includunt contradictionem, et ita possibilis est haec propositio : “Deum
esse”, “Deum posse produci” et “Deum esse Deum” ; sed possibile reale est quod acci-
pitur ab aliqua potentia in re sicut a potentia inhaerente alicui vel terminata ad illud
sicud at terminum ».
12. Duns Scot – Vat. 1950-…, II, 178 (Ordinatio I, dist. 2, pa. 1, q. 1-2, § 86) : « Dico
quod non voco hic contingens quodcumque non-necessarium vel non-sempiternum, sed
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12. cuius oppositum posset fieri quando illud fit » ; Duns Scot – Vat. 1950-…, XVII,
495 (Lectura I, dist. 39, q. 1-5, § 50) : « Haec autem possibilitas logica non est
secundum quod voluntas habet actus successive, sed in eodem instanti : nam in
eodem instanti in quo voluntas habet unum actum volendi, in eodem et pro eodem
potest habere oppositum actum volendi ». Sur les origines de ce modèle, voir la
mise au point de Dumont 1995.
13. Sur le rapport entre cette théorie de la contingence et la question du libre-
arbitre, voir Dumont 1992. Nous avons tenté une analyse de l’influence de ce
modèle dans les théories modernes de la liberté d’indifférence dans Schmutz
2002.
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14. Cf. Lovejoy 1936. Cette interprétation de l’aristotélisme a été proposée par
Hintikka 1973, et elle a été appliquée pour décrire la logique modale de l’aris-
totélisme médiéval dans les études réunies par Knuuttila 1981. Pour une cri-
tique de la lecture d’Aristote par Hintikka, voir notamment l’étude de Van
Rijen 1989.
15. Cf. à titre d’exemple le témoignage du dominicain renaissant Soncinas 1579,
293b (In XII Met., q. 20) : « […] Dupliciter dicitur aliquid esse possibile : uno modo
secundum aliquam potentiam, sicut possibile est Sortem moveri, quia habet aliquam
potentiam motivam. Alio modo ex non repugnantia terminorum, ut dicitur V et IX
Met. ». L’expression se trouve encore dans l’Allemagne du XVIII e siècle : voir
Kant – Festugière 1967, 87.
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16. Thomas d’Aquin – Leon. 1886-…, IV, 293a (Summa Theologiae Ia, q. 25, a. 3).
17. Cf. Thomas d’Aquin –Leon. 1886-…, IV, 293a (Summa Theologiae Ia, q. 25, a. 3,
trad. A.-D. Sertillanges) ; ou plus succinctement Thomas d’Aquin – Leon. 1886-
…, XIII, 354b (Summa contra Gentiles II, c. 37) : « Possibile autem fuit ens creatum
esse, antequam esset, per potentiam agentis, per quam et esse incoepit, vel propter habitu-
dinem terminorum, in quibus nulla repugnantia invenitur ». L’analyse du possible
chez Thomas d’Aquin a fait l’objet d’un travail très complet par Stolarski 2001.
18. Cf. Thomas d’Aquin – Leon. 1886-…, XI, 171b (Summa Theologiae IIIa, q. 13,
a. 1, in corp.) : « < Deus > habet potentiam activam respectu omnium quae possunt
habere rationem entis, quod est habere omnipotentiam » ; Thomas d’Aquin 1886-…,
XIII, 329b (Summa conta Gentiles II, c. 25) : « […] Deus dicatur non posse quid-
quid est contra rationem entis, inquantum est ens ». À titre d’exemple d’une para-
phrase moderne de ce passage, qui fait aussi équivaloir habere rationem entis à
esse possibile : voir Suárez – Vivès 1856-1861, I, 227b (Prima pars Summae Theo-
logiae de Deo uno et trino…, III, c. 9, § 14) : « […] comprehendi sub illo quidquid
habere potest rationem entis, utique possibilis ».
19. Comme on le trouve par exemple dans une Physique parisienne anonyme de
1273, éditée par Zimmermann 1968, 25 : « Deus potest omne quod habet ratio-
nem possibilis simpliciter ».
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20. Cf. par exemple Honnefelder 1997, 283 : « […] eine Welt von “absolute possibi-
lia” wie sie Scotus in dieser Form erstmals eingeführt hat ».
21. Cf. Guillaume d’Auvergne – Switalski 1976, 53 (De Trinitate, § 8) : « Possibilitas
igitur materialium potentia est efficientis vel creatoris, nisi fortasse possibilitas dicatur
in eis privatio prohibitionis sui esse, quaedam enim prohibent suum esse ut chimaera,
in cuius intentione clauditur contrarietas naturarum non compatientium se. Homo
vero, cum consideratus fuerit in se, non invenies in intentione eius, quod prohibeat
suum esse, eo quod de intentione naturarum, quae in eo conveniunt, non sit in eis
discrepantia aut repugnantia », un passage souligné par Solère 2000, 281 ;
Guillaume d’Auxerre, Summa aurea I, app. 26, I, 325.
22. Cf. Duns Scot – Vat. 1950-…, VI, 343 (Ordinatio I, dist. 42, q. un., § 9) : « […]
prout omnipotens dicitur qui potest in omnem effectum et quodcumque possibile (hoc
est in quodcumque quod non est ex se necessarium nec includit contradictionem)… » ;
ibid., 354 (Ordinatio I, dist. 43, q. un., § 7) : « Possibile, secundum quod est ter-
minus vel obiectum omnipotentiae, est illud cui non repugnat esse et quod non potest
ex se esse necessario » ; et pour l’invocation de Métaphysique ∆ 12, voir ibid., II,
282 (Ordinatio I, dist. 2, pa. 2, q. 1-4, § 262).
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de Moerbeke avait rendu par la forme latine des possibilia non secun-
dum potentiam 27, et c’est à ce lieu textuel que tous les scolastiques
se réfèrent lorsqu’ils affirment que le possible se définit indépen-
damment d’une cause « par la non-contradiction des termes ». Or,
on s’aperçoit que l’invocation de ce passage par les scolastiques était
en réalité bien plus une glose qu’une citation textuelle, puisqu’à
aucun endroit de ce texte, le Stagirite n’avait parlé du principe de
non-contradiction qu’eux-mêmes invoquent. Il y formulait certes
l’ancêtre de l’exemple utilisé par Thomas d’Aquin, en affirmant
« qu’il est possible que l’homme soit assis, car il n’est pas nécessai-
rement faux qu’il ne soit pas assis ». En revanche, il ne parlait pas de
répugnance entre sujet et prédicat, ni de cohaerentia terminorum,
comme le firent la plupart de ses commentateurs médiévaux. Aristote
faisait seulement appel à des jugements de vérité ou de fausseté, et
il continuait en décomposant la même définition de trois manières :
si le possible peut se définir en un sens comme « ce qui n’est pas
nécessairement faux », il peut aussi se dire « ce qui est vrai », ou
encore « ce qui peut être vrai » 28. Les médiévaux pouvaient dès lors
être autorisés à interpréter ce passage dans des termes purement
propositionnels : Guillaume d’Auxerre fait par exemple équivaloir
possibile et potens esse verum, au nom de la convertibilité entre l’être
et le vrai 29. De même, Thomas d’Aquin intègre le possible dans le
cadre d’une classification des jugements, en concluant qu’il est
vrai, et donc possible que Socrate qui est debout puisse s’asseoir,
mais qu’il est faux et donc impossible qu’il soit un âne 30. Faisant
cela, il opère toutefois un déplacement significatif par rapport à la
lettre d’Aristote, en affirmant que non seulement le vrai et le faux
font l’objet d’un jugement ou d’une proposition, mais aussi le pos-
sible et l’impossible, qui acquièrent ainsi le statut de modalités de
27. Ibid., 110 (1019b35) : « Hec quidem igitur possibilia non secundum potentiam. Que
uero secundum potentiam omnia dicuntur ad primam unam… ».
28. Ibid., (1019b31-32).
29. Guillaume d’Auxerre – Ribailler 1980, I, 326 (Summa aurea I, app. 26) : « […]
possibile, secundum quod dictum est de possibili, fundatum est super verum. Idem
enim est “possibile” quod “potens esse verum” ».
30. Cf. Thomas d’Aquin – Marietti 1950, 258b (In libros Metaphysicorum, V,
§ 971) : « Ideo cum dicit “alio modo”, ponit alium modum, quo dicuntur aliqua
impossibilia, non propter privationem alicuius potentiae, sed propter repugnantiam
terminorum in propositionibus. Cum enim posse dicatur in ordine ad esse, sicut ens
dicitur non solum quod est in rerum natura, sed secundum compositionem proposi-
tionis, prout est in ea verum vel falsum ; ita possibile et impossibile dicitur non solum
propter potentiam vel impotentiam rei : sed propter veritatem et falsitatem composi-
tionis vel divisionis in propositionibus ».
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Si l’on s’en tient à la lettre d’Aristote, c’est la réalité qui est impos-
sible, et la proposition fausse, et inversement, la réalité qui est possi-
ble et la proposition vraie.
C’est donc dans l’établissement des modalités à un niveau pro-
positionnel – au niveau de l’enuntiabile – que l’on peut observer un
déplacement très significatif par rapport à la lettre d’Aristote chez
les médiévaux : sans pour autant nier un seul instant que le possible
et l’impossible soient fondés dans les choses elles-mêmes, les scolas-
tiques parvenaient ainsi à isoler en plus des concepts purement pro-
positionnels du possible et de l’impossible, qui allaient s’exprimer
dans une série de nouvelles expressions latines : Guillaume d’Auxerre
estime que lorsqu’on parle du possibile simpliciter, le critère n’est pas
le fait d’être créable, mais au contraire le fait d’être énonçable (enun-
tiabile), et ceci que l’on considère la possibilité de la chose, de la pro-
position ou bien de l’agent 32. Il avait lui-même également déjà résolu
le cercle vicieux consistant à définir la puissance active par la puis-
sance passive et vice-versa, en parlant d’un possible par potentia
formalis, introduisant ainsi un nouveau type de puissance inconnu
d’Aristote, qui manifeste une capacité positive et non seulement
passive comme celui de la potentia materialis 33. Thomas d’Aquin
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34. Thomas d’Aquin – Leon. 1886-…, IV, 293a (Summa Theologiae Ia, q. 25, a. 3) ;
Thomas d’Aquin – Marietti 1949, 14a (De potentia, q. 1, a. 3) ; ibid., 95a (q. 3,
a. 17, ad 10) : « […] quod antequam mundus esset, possibile erat mundum fieri, non
quidem aliqua potentia passiva, sed solum per potentiam activam agentis. Vel potest
dici, quod fuit possibile non per aliquam potentiam, sed quia termini non sunt disco-
haerentes, huiusmodi scilicet propositionis : Mundus est. Sic enim dicitur esse aliquid
possibile secundum nullam potentiam, ut patet per Philosophum in V Met. » La
même opposition se retrouve chez Durand de Saint-Pourçain 1563, 95vb (In
I Sententiarum, dist. 42, q. 2, § 9), qui oppose les « possibilia secundum potentiam
activam vel passivam » au « possibile absolute secundum habitudinem terminorum
qui sibi invicem non repugnant ».
35. Duns Scot– Vat. 1950-…, II, 282 (Ordinatio I, dist. 2, pa. 2, q. 1-4, § 262) :
« Dico quod possibile logicum differt a possibile reali, sicut patet per Philosophum V
Met., cap. de potentia. Possibile logicum est modus compositionis formatae ab intel-
lectu, cuius termini non includunt contradictionem, et ita possibilis est haec propositio :
“Deum esse”, “Deum posse produci” et “Deum esse Deum” ; sed possibile reale est
quod accipitur ab aliqua potentia in re sicut a potentia inhaerente alicui vel termina-
ta ad illud sicud at terminum. » Le syntagme de possibile logicum, dont la pater-
nité est jusqu’à preuve du contraire attribuée à Jean Duns Scot, comme l’avait
déjà remarqué le travail pionnier de Faust 1932, 239 sq. ; à compléter par Deku
1956 ; Pape 1966, 36-37, est donc tout au plus une invention terminologique,
et non proprement conceptuelle, contrairement à ce que suggère aujourd’hui
une historiographie influente, représentée principalement par les travaux de
Knuuttila 1981 ; Knuuttila 1982, 354-355 ; Knuuttila 1996, ainsi que par
ceux de Honnefelder 2002 ; Söder 2001. Solère 2000, 275-281, démontre
qu’un tel concept est déjà en germe dans les discussions de la toute-puissance
dans les grandes sommes du début du XIIIe, notamment chez Guillaume
d’Auvergne et Guillaume d’Auxerre. Notons enfin que l’historiographie du
début du XXe siècle, ignorante du Moyen Âge, par exemple Pichler 1912,
attribuait encore la paternité du concept d’une « pure possibilité logique » à
Leibniz !
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36. Cf. Duns Scot– OPh. 1997, IV, 520 (In IX Metaphysicorum, q. 2, § 33) : « […]
potentia logica, quia illa quantum est de se posset esse sine activa […] ».
37. Pour reprendre une expression française de Leibniz – Gerhardt 1875-1890, II,
55 (Lettre à Arnauld, 14.VII.1686). L’expression traduit la formule scolasti-
que du pure ou encore mere possibile, qui n’est pas médiévale mais bien typique
de la scolastique moderne : on la trouve par exemple très précisément définie
avec le concept de « monde purement possible » par Mauro 1670, 167 (Quaes-
tiones de praedicamentis, q. 47) : « Possibile strictissime, seu mere possibile est, quod
neque est impossibile, neque necessarium, neque existens pro ulla differentia
temporis. In hoc sensu alter mundus est pure possibilis, quia ita potest esse et non
esse, ut nunquam sit extiturus. » ; Izquierdo 1659, I, 269b (Pharus Scientiarum,
disp. 11, q. 1, § 9) : « Quod in praesenti controvertitur, est in quo consistat re ipsa
possibile metaphysice, quod absolute et simpliciter tale est, praesertim, quod pure est
possibile, aut saltem cum praecisione a sua absoluta existentia iudicatur possibile,
seu, quod idem est, quae fundamenta dentur ex parte rerum, ut vere dicantur possi-
bilia (c’est nous qui soulignons) ».
38. Cf. sur ce point quelques exemples dans Schepers 1963, 902-903.
39. Une fois de plus jusque Leibniz – Gerhardt 1875-1890, II, 316 (De causa Dei) :
« […] Omnia possibilia, seu quae non implicant contradictionem ».
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40. Telle avait été la thèse au centre du travail de Faust 1932 ; Solère 2000, 273
parle également d’une « décosmologisation radicale du concept de possible »
dans la métaphysique médiévale, et Söder 2001 a caractérisé la doctrine aris-
totélicienne comme une « cosmo-logique » par opposition à l’« onto-logique »
développée (selon lui) principalement par Duns Scot.
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purus, ou mieux, actus omnium possibilium 41, qui n’est lui-même pas
soumis à l’actualisation ou à un quelconque type de causalité. De
même, les « possibles » (ea quae sunt in potentia, ou bien les possibilia
comme on dira plus communément) sur lesquels s’exerce sa puis-
sance ne pouvaient pas être interprétés à partir des mêmes princi-
pes physico-cosmologiques d’Aristote et transmis par Averroès, pour
lequel toutes les formes sont en puissance dans la matière première
et en acte dans le premier moteur 42. Or, le Dieu des Chrétiens ne
créée pas à partir d’une matière première mais bien ex nihilo, ce qui
implique dès lors d’attribuer aux choses possibles un statut différent
de celui qu’elles avaient dans le monde aristotélicien. Si les choses
créables ne peuvent pas simplement préexister dans une matière
première donnée, elles peuvent en revanche jouir d’un certain sta-
tut dans l’intellect divin, en vertu duquel elles apparaissent comme
« possibles » : avant que le monde ne fut effectivement créé, sa « pos-
sibilité était purement intellectuelle », affirmait par exemple une
formule remarquable de l’Averroès latin 43.
C’est ainsi que va apparaître l’introduction d’un « monde intel-
lectuel » avant la création, éternellement possible avant sa création
car pensable de toute éternité par un Dieu éternel comme non-
contradictoire. Le mundus intelligibilis des anciens va ainsi progres-
sivement devenir un mundus possibilis chez les médiévaux : parce que
pensé (« intelligé ») par Dieu, il est aussi possible. Mais en vertu de
la validité univoque du principe de non-contradiction pour l’intel-
lect divin et humain, de nombreux auteurs médiévaux ont pu défi-
nir cette possibilité du monde de manière extrêmement abstraite,
faisant même abstraction de Dieu, puisque tout intellect peut con-
cevoir la non-contradiction d’un état de choses. Ils définissent dès
lors cette possibilité du monde non seulement en excluant la toute-
puissance (toujours mise entre parenthèses) mais aussi l’omniscience
divine qui n’est pas considérée comme constitutive de la possibilité
de ce monde. Les formules de Thomas d’Aquin sont restées vagues
à ce propos, mais sont révélatrices : lorsqu’il affirme qu’avant la
41. Cf. Thomas d’Aquin–Leon. 1886-…, XIII, 295b (Summa conta Gentiles II, c. 15).
42. Cf. Aristote – Tricot 1991, 260 (Métaphysique Z 7, 1032a20-22) : «… tous les
êtres qui sont engendrés, soit par la nature, soit par l’art, ont une matière, car
chacun d’eux est capable à la fois d’être et de ne pas être, et cette possibilité,
c’est la matière qui est en lui ».
43. Averroes Latinus –Zedler 1961, 117 (Destructio Destructionum, disp. 1) : «Nam pos-
sibilitas hic est intellectualis, sicut est ante mundum apud Philosophos ». Signalons
que la question des « mondes possibles » dans la cosmologie averroïste et dans la
« scolastique » arabe a fait l’objet des études récentes de Kukkonen 2000 et 2001.
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46. Duns Scot – Vat. 1950-…, II, 136 (Ordinatio I, dist. 2, pa. 1, q. 2, § 22) : « < Propo-
sitio per se nota > dicitur per se nota quia quantum est de natura terminorum nata
est habere evidentem veritatem contentam in terminis, etiam in quocumque intel-
lectu concipiente terminos. Si tamen aliquis intellectus non concipiat terminos, et
ita non concipiat propositionem, non minus est per se nota, quantum est de se : et sic
loquimur de per se nota (c’est moi qui souligne). » ; ibid., VI, 296 (Ordinatio I,
dist. 36, q. un., § 60) : «… Et quare homini non repugnat et chimaerae repugnat,
est, quia hoc est hoc et illud illud, et hoc quocumque intellectu concipiente quia
– sicut dictum est – quidquid repugnat alicui formaliter ex se, repugnat ei, et quod non
repugnat formaliter ex se, non repugnat » (c’est nous qui soulignons).
47. Compton Carleton 1649, 82b (Philosophia universa, disp. 18, s. 3, § 7). Quelles
qu’aient pu être les divergences de Thomas d’Aquin et de Jean Duns Scot sur
d’autres questions modales, en particulier sur la définition de la contingence,
les scolastiques modernes n’ont dès lors jamais vu d’opposition réelle entre ces
deux grandes autorités médiévales sur la définition du possibile quoddammodo
a se, appréhendable par tout intellect, comme allait l’expliquer le jésuite salman-
tin Lynch 1654, II, 146 (Physica, IV, tr. 2, c. 3, § 13) : « […] Non esse impossi-
bile, quod multi dicunt, possibilitatem creaturarum non esse a Deo, sed quodammodo
a se. Namque in primis id videtur manifeste tueri ac docere Angelicus Praeceptor, I
p. q. 25 a. 3 (…), quibus verbis possibilitatem et impossibilitatem a se ipsis et non a
Deo aliave causa esse pespicue tradit. Consentit Scotus in I dist. 43, q. un., ubi docet,
rerum possibilitatem et impossibilitatem esse ex sola habitudinem terminorum et non
a Deo, tametsi in esse intelligibili seu cognito sint a Deo ».
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50. Cf. Conimbricenses 1608, 119b (I, c. 9, q. 1 : « Possintne per divinam potentiam
plures mundi esse, an non ? », a. 2 : « Sit igitur conclusio omnino certa : posse a Deo
plures effici mundos. ») ; Suárez – Vivès 1856-1861, XXVI, 47a (Disputationes
metaphysicae, disp. 29, s. 3, § 37) : « […] non enim est dubium quin Deus potuerit
plures mundos efficere […] » ; Rubio 1625, I, c. 9, q. 2, 70 : « Possibiles sunt plures
mundi specie ac numero distincti […] Non repugnat ex parte divinae omnipotentiae,
neque ex parte rei faciendae. Ergo possibile est, utroque modo fieri plures ». Il qualifie
plus haut cette position de « opinio communis et vera. » ; de même dans le camp
de la scolastique franciscaine, la conclusion est la même et on y emploie aussi
fréquemment le syntagme « mondes possibles », par exemple chez Punch
1672, disp. 21, q. 1, § 1, 596b : « De facto unicus tantum est mundus ; sed plures
sunt possibiles » ; Jacinto de Olp 1698, 594b : « […] in productione alterius vel plu-
rium aliorum mundorum nulla prorsus est repugnantia, vel implicantia : ergo pos-
sunt a Deo alii mundi produci ».
51. C’est ainsi qu’on le trouve par exemple chez Piccolomini 1608, II, q. 2, 277 :
« Possunt viri hi sapientia splendissimi de uno et multitudine conciliari, quia nomine
mundi vel intelligimus totum et universum absolute, adeo ut haec sit essentia et con-
ditio eius, si recte sentit Divus Thomas, nam includentia contradictionem non cadunt
sub potestatem, at si intelligimus perfectum et totum solum in parte, ac ut placuit opi-
fici, sic ut unum ita plures creare valuisset, non tamen infinitos, ut recte sentit Scotus,
quia repugnat numero, magnitudini, et cuilibet ex alio pendenti ut actu sit infinitum. »
Cette distinction est ensuite commune : Conimbricenses 1608, 122b (I, c. 9,
q. 1, a. 2) : « Universum bifariam accipi : nunc pro omnium rerum creatarum, quae
uspiam sunt, complexu, quo modo unum duntaxat universum dari potest, cuius par-
tes forent plures mundi si extarent : nunc pro iis tantum, ex quibus unus aliquis mun-
dus coagmentatur ; quo pacto non repugnat plures rerum universitates, eiusdem
imperii provincias, a Deo condi. » ; Garnier ca. 1650, 126-127 : « Quaeritur an uni-
cus sit tantum mundus. Mundi nomine intelligi potest vel haec machina cuius in
medio sumus, vel universum formaliter quam universum. Implicat contradictionem
duos esse mundos, si nomine intelligatur universum, nam impossibile est ut duo sint
quorum unum quodque. Sed id omne quod est, at universum est omne quod est. Fieri
potest ut duo sint aut plures mundi, si hoc nomine intelligatur talis machina ex cae-
lestibus et elementaribus corporibus constans, quae deserviat homini mortali. » ; Punch
1672, disp. 21, q. 1 (« An mundus sit unus ? »), § 1, 596b : « Si caperemus mundum
pro universitate rerum corporearum, quae de facto fuerint, sunt et et erunt, certum
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51. est mundum esse unum : illa enim universitas est una ; posset tamen in hoc sensu dari
alius mundus, quia alia universitas rerum posset esse. Item si caperemus mundum
pro universitate omnium rerum corporearum possibilium, adeo mundus esset unus, ut
nec essent plures possibiles ».
52. Rubio 1625, 73 (Commentarii in libros Aristotelis Stagiritae de caelo et mundo, I,
c. 9, q. 3) : « […] Valde probabile censeo, posse Deum sua potentia absoluta produ-
cere alios et alios mundos perfectiores, secundum numerum et speciem in infinitum,
ita ut quibuscunque productis possit novos alios, ac distinctos utroque modo produ-
cere. […] Ex hoc enim sequitur possibiles esse alios mundos in infinitum perfectiores.
Nam sicut possunt aliae creaturae perfectiores in infinitum produci a Deo, ita pos-
sunt diversis modis sub eo, ac inter sese ordinari, ita ut quaelibet data ordinatione,
possit dari alia perfectior in infinitum, et proinde alius, atque alius mundus perfectior
sine termino, quia mundus non est aliud, quam ordinatio diversarum creaturarum
sub uno principio ac inter sese ». Ce qui sépare ici Rubio de Leibniz est l’émer-
gence d’un nouveau paradigme théologique, celui de la « nécessité morale de
Dieu à créer le meilleur des mondes possibles », dont l’histoire a été remarqua-
blement retracée par Knebel 2000.
53. Rubio 1625, 71 (I, c. 9, q. 2) : « Quod vero non repugnet fieri plures mundos eius-
dem speciei probatur, quia nulla potest ostendi repugnantia in eo, quod fiat aliud ele-
mentum terrae eiusdem speciei cum isto ».
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54. Rubio 1625, 70 (I, c. 9, q. 2) : « […] Ordo huius mundi consistit in situ corporum
gravium et levium sub caelo. Sed poterit Deus producere alios caelos habentes alias
virtutes et influentias, ita ut sine motu, vel medio alio motu diverso valde operentur,
atque etiam alium numerum elementorum, seu corporum simplicium, quae sub caelo
illo contenta haberent naturas et conditiones, potentiasque motivas diversas a grav-
itate et levitate et alio modo longe diverso ordinarentur inter sese et cum caelo, in quo
nulla potest excogitari repugnantia alicuius momenti : ergo possibiles censendi sunt
plures mundi specie diversi ».
55. Rubio 1625, 70-71 (I, c. 9, q. 2) : « Quod cum hac sola limitatione intelligendum
censeo, ut ex parte speciei humanae (eo modo, quoad mundum pertinet) non sit pos-
sibile, quod fiant plures mundi specie distincti, quia non videtur mihi possibile fieri
alium hominem specie distinctum ».
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56. Cette hypothèse a déjà été avancée par Knebel 1991a, 13 et Ramelow 1997,
57, 469 sq. qui qualifie le discours sur les mondes possibles de « Epiphänomen
des scientia-media-Diskurses ». La scientia media a donné lieu à une immense
littérature, tant pour reconstruire ses origines, ses développements au cours
du XVIIe chez divers théologiens, son rôle de détonateur des fameuses querel-
les de auxiliis (voir à ce propos l’article toujours essentiel de Vansteenberghe
1929), ses implications pour le traitement du problème philosophique de la
vérité des futurs contingents (par exemple Craig 1988), ou encore sur sa plau-
sibilité dans la théologie contemporaine (par exemple Dekker 2000, avec une
importante bibliographie). Sur ses origines dans l’aristotélisme portugais du
XVIe siècle, voir le travail de recherche remarquable de Reinhardt 1965 ; pour
une analyse historique précise de l’imposition de son discours, voir les études
incontournables tant du point de vue historique que conceptuel de Knebel
1991b ; Knebel 2000 ; Ramelow 1997. Pour une analyse précise de la position
de Suárez à son égard, voir Sagüés 1948.
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57. Molina – Rabeneck 1953, 340 (Concordia, IV, disp. 52) ; trad. dans Aubin 2002,
368.
58. Sur cette question, voir la reconstruction de Knebel 2000.
59. Sur la dépendance de ce modèle moliniste à l’égard du concept scotiste de
contingence, voir l’exposé de Molina – Rabeneck 1953, 155-156 (q. 14, a. 13,
disp. 24 : « Utrum voluntas, in quo temporis puncto aliquid vult, libera sit ad illud
idem volendum nolendumve, et e contrario ». La proximité des vues de Molina
avec certaines propositions de Scot a été étudiée en détail par Dekker 1995.
60. Cicéron, De divinatione I, LV, 125 : « Fatum […], id est ordinem seriemque
causarum ».
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Leibniz 61. Par contre, c’est pour décrire le même type de problème
que l’expression de mundus possibilis et de mundi possibiles se géné-
ralise à la même époque chez d’autres auteurs jésuites praticiens de
la scientia media ou scientia conditionata. L’une des plus anciennes
apparitions du syntagme dans ce contexte se trouve chez nul autre
que Francisco Suárez, qui dans un manuscrit de jeunesse utilise
l’expression de l’infinité des mondes possibles pour expliquer le
processus par lequel Dieu choisit finalement de créer « ce monde-
ci, avec ces anges, avec ces hommes, avec ces secours de la grâce » 62.
Cela ne signifie bien entendu aucunement que Suárez puisse être
considéré comme « l’inventeur » du concept, dans la mesure où un
dépouillement systématique de manuscrits et d’imprimés du XVIe-
siècle consacrés à la prescience divine mettrait immanquablement à
jour d’autres occurrences chez d’autres auteurs. Par contre, le
Doctor Eximius se révèle bien à la pointe d’un mouvement doctrinal
qui extrait le concept de « monde possible » de la cosmologie pour
l’introduire dans la théologie fondamentale et morale : le « monde
possible » auquel fait allusion ici Suárez n’a en effet rien avoir avec le
« monde possible » de son contemporain et coreligionnaire Antonio
Rubio : il s’agit d’un concept épistémologique, utilisé dans le cadre
d’une argumentation théologico-morale, et non d’un concept cos-
mologique utilisé dans le cadre d’une argumentation physique.
61. Cf. Leibniz – Gerhardt 1875-1890, VI, 106 (Théodicée, § 8) : « J’appelle monde
toute la suite et toute la collection de toutes les choses existantes, afin qu’on
ne dise point que plusieurs mondes pouvaient exister en différents temps et
différents lieux » ; Leibniz – Ak. 1923-…, VI/4, 1378 (Conversatio cum D. Stenone) :
« Sed causa ejus prima est eadam quam seriei, nempe idearum in intellectu divino
constitutarum et rerum possibilium naturam exprimentium constitutio talis, ut opti-
mum sit in summa hanc potius quam illam seriem eligi ».
62. Cf. Suárez – Gonzales Rivas 1948, 122 (Quaestio utrum Deus certa et infallibili
scientia praecognoscat quid unaquaequae voluntas libere effectura essent in quocum-
que eventu et in quisbuscumque circumstancis, etiam in iis effectibus qui de facto non
sunt futuri, composé durant les premières années du professorat de Suárez à
Alcalá, v. 1585-1589) : « Nam, supposita illa praescientia, optime intelligimus ex
infinitis hominibus et angelis et mundis possibilibus quos Deus cognovit in sua simpli-
ci intelligentia, mere gratis et voluntarie, sine ulla alia causa, decrevisse aeternum
regnum et ecclesiam triumphantem ad gloriam suam creare ex Christo, iis hominibus
et iis angelis constantem ; et ad hunc finem assequendum, ex innumeris rationibus et
modis possibilibus, quos cognoscebat, elegisse hunc, scilicet, creationem huius mundi,
cum his hominibus, his angelis, his auxiliis et aliis rebus, et conservare illum et guber-
nare tali modo quo infallibiliter perveniret ad illum numerum electorum […] » Ce
passage avait déjà été relevé par Knebel 1991a, 13, qui signale également Ruiz
de Montoya 1629, 823 : « […] supponendo possibiles esse creaturarum series et
coordinationes infinitas, non solum in aliis mundis infinitis possibilibus, sed etiam in
hoc unico mundo ».
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63. Cf. par exemple Arriaga 1669, 521b (Disputationes physicae, disp. 14, s. 14,
§ 129, 521b) : «… posse a Deo creari alium mundum continguum huic, quod verum
omnino est ».
64. Cf. par exemple Hurtado de Mendoza 1635, 596r-596v (Disputationes de Deo,
disp. 29, § 97), dans Schmutz 2003, II, 650 : « Haec secunda consequentia vide-
tur clara. Tres enim sunt status in quibus possit concipi mundus ut distinctus a Deo :
status mundi secundum se, status mundi ut non existentis, status mundi ut existentis
[…] Pro illo priori < 596v > mundus non fuit non existens realiter, nec existens rea-
liter, quia in eodem signo visus est alius mundus qui non existit realiter, visi sunt ergo
mundi ut praecisi ab existentia et non existentia exercita ».
65. Aristote, Catégories, 5, 4b9-11.
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l’esprit divin, suivant une vieille voie scotiste dont Leibniz n’est peut-
être pas si éloigné lorsqu’il dit que « ces mondes sont tous ici, c’est-
à-dire en idées » 66. D’autres estimaient que ces mondes possibles
n’avaient qu’un être purement négatif qui est celui de leur non-
incompossibilité avec le monde actuel 67, d’autres qu’il s’agissait de
pures présuppositions d’existence, et pour d’autres encore il s’agis-
sait seulement des relations purement logiques qui servent de « véri-
facteurs » ou de « falsificateurs » de ces énoncés 68. Au XVIIe siècle
déjà, il y avait donc déjà des « réalistes modaux » durs et modérés, des
actualistes, des possibilistes, et toutes ces autres écoles qui depuis
la remise au goût du jour de ces questions hautement scolastiques
par Saul Kripke, David Lewis, Alvin Plantinga et tant d’autres, peu-
plent désormais les départements de philosophie anglo-saxons 69.
Conclusion
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dans un autre travail 70. Dans la présente étude, notre seul souci
aura été de reconstruire la rencontre entre une expression latine
bien déterminée – mundi possibiles – et une chose ou un concept lui
aussi bien déterminé – la représentation d’états de choses contre-
factuels. Pourquoi avons-nous donc été si soucieux de chercher
une correspondance exacte entre le mot et la chose ? Le philosophe
a-t-il vraiment besoin de s’embarrasser de recherches lexicographi-
ques aussi laborieuses ? Dans l’absolu, certainement non, pour
autant que l’on se mette d’accord sur les définitions des choses dont
nous parlons. Mais dans ce cas particulier, il nous semble que la
reconstruction exacte de l’histoire du concept puisse aussi être un
réel exercice de philosophie, dans la mesure où cette reconstruction
permet de montrer qu’il existe bien différents concepts de « mondes
possibles » qui restent souvent confondus dans notre sens commun.
Ce n’est qu’à l’aube de ce qu’on appelle la modernité qu’a réelle-
ment fini par émerger le concept de monde possible que nous uti-
lisons encore communément aujourd’hui dans la « sémantique des
mondes possibles » : à savoir un concept purement épistémologique
et au fonctionnement bien défini. Ce concept se distingue à la fois
du concept cosmologique « d’autre monde réel » mais n’a aussi rien
à voir avec les concepts littéraires de « mondes fictionnels ». Un tel
concept de monde possible n’invite pas vraiment à la rêverie, à ima-
giner d’autres étoiles, des utopies politiques ou des romans fantas-
tiques. Les mondes possibles modernes ne sont pas des mondes
dans lesquels les enfants naissent par l’oreille ni dans lequel les ânes
ont des ailes, mais ce sont simplement des mondes dans lequel les
participants d’un colloque brestois auraient décidé de rester chez
eux au lieu de prendre le train. Force est de reconnaître que l’hypo-
thèse n’est guère enthousiasmante. Implicitement, elle signifie que
notre monde est bien le seul monde réel, puisque sa réalisation
implique la négation de la réalisation actuelle de tout autre monde
possible. La projection des mondes possibles reste alors seulement
une tentative d’explication – de consolation, diront certains – du
fait que notre monde réel n’aurait pas nécessairement dû être tel
qu’il est, mais qu’il aurait en réalité toujours pu être autrement.
Jacob SCHMUTZ
Université Paris Sorbonne – Paris-IV
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Références bibliographiques
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