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Imaginons… Et si le robot « Perseverance » trouvait des traces de vie sur Mars ? La foi chrétienne
en serait-elle ébranlée ? Sans doute, mais pas condamnée pour autant.
Quelques semaines plus tôt, les médias du monde entier bruissaient d’une annonce
faite par un éminent astrophysicien, le directeur de l'unité d'astronomie de Harvard,
Avi Loeb : l’astéroïde Oumuamua, qui a traversé le système solaire en 2017, serait
en fait… le vestige d’un vaisseau extraterrestre. Hypothèse décriée par la
communauté scientifique, mais qui a eu un retentissement certain.
Et Dieu dans tout cela ?
Au-delà des effets d’annonce et des rêves de « petits hommes verts », la recherche
scientifique actuelle rend l'hypothèse de l'existence d’une forme de vie
extraterrestre plus probable que jamais. Que ce soit en raison de la découverte
d’exoplanètes, toujours plus nombreuses,
(https://www.lavie.fr/actualite/geopolitique/nouvelle-planete-vieille-question-
sommes-nous-seuls-au-monde-nbsp-10758.php)ou bien, sur Terre, des recherches
sur les « extrêmophiles », ces organismes qui se révèlent capables de survivre dans
des conditions extrêmes.
Mais si la vie était possible ailleurs que sur Terre – sous une forme intelligente ou
non –, que deviendrait une religion telle que le christianisme ? Serait-elle toujours
valable ? Plus que les autres religions peut-être, pour lesquelles l'idée de
l’Incarnation n'a pas la même centralité, le christianisme pourrait être chamboulé
par une telle annonce.
« Une telle découverte viendrait inévitablement bousculer une tradition qui met
l’homme au centre, avec le souci de la dimension incarnée “terrestrement” du Christ
», confirme le théologien Jacques Arnould, chargé des questions éthiques au Centre
national d’études spatiales (Cnes) et auteur de Turbulences dans l'Univers. Dieu, les
extraterrestres et nous (Albin Michel, 2017). Au point de la faire éclater en
morceaux ? « Non », répond-il d’emblée, car le cœur de la foi ne serait, en réalité, pas
touché. Et même si le sujet a été âprement débattu, « nos prédécesseurs ont eu la
sagesse de ne pas trancher », indique-t-il.
Car la question n’est en rien nouvelle pour les chrétiens. Les premiers débats
prennent même leur source dans la philosophie grecque. Au Moyen Âge, les
théologiens se divisent en deux camps. Il y a d'un côté ceux qui, comme Thomas
d’Aquin à la suite d’Aristote, affirment l’unicité de la Terre. Selon eux, celle-ci est
unique, placée au centre d’un monde fini. Ils préfèrent le déterminisme d’une
intelligence supérieure à l’inquiétante pluralité des mondes, suggérant que la Terre
aurait une place quelconque dans l’Univers.
Face à eux, se trouvent ceux qui défendent au contraire la pluralité des mondes,
accordant plus de place au hasard. Ils insistent sur la puissance créatrice de Dieu,
qui serait capable de créer autant de mondes qu’il le souhaite. En 1277, un débat de
ce type a lieu à la Sorbonne.
« Quand au XVIIe siècle, sous l’effet des théories de Copernic, le monde se révèle
bien plus grand qu’on ne l’imaginait et que la Terre perd sa centralité dans l’Univers,
la question de la pluralité ou non des mondes éclate », raconte encore le théologien.
La possibilité de plusieurs planètes habitables devient admise.
Au XVIIIe siècle, dans le sillage des parutions de Newton, on voit des traités d'astro-
théologie, comme celui de William Derham en 1715, en faire un principe de base
pour la réflexion théologique. Les débats se portent alors sur la Rédemption, c’est-
à-dire le rachat du genre humain par la mort du Christ sur la croix.
Si l’on peut désormais admettre que Dieu se révèle dans l'immensité de l’espace
créé, certains penseurs veulent néanmoins préserver la particularité de la Terre.
Pour eux, le Christ ne peut pas s’être incarné – a fortiori avoir été crucifié –
plusieurs fois. Pour d’autres, il faut au contraire imaginer que le Christ ait pu
s’incarner dans une entité martienne.
D’autres encore imaginent que la Rédemption a lieu uniquement sur Terre et que
son pouvoir rédempteur peut se diffuser dans l’espace. Jusqu’à ce que les
théologiens se mettent en retrait pour laisser la science parler en premier, dans le
courant du XXe siècle, les discussions vont donc bon train et les arguments
s’entremêlent : le théologique prend parfois le pas sur les arguments purement
physiques.
William Derham, philosophe et théologien, a écrit en 1715, un traité d'astro-théologie. Les débats se portent alors sur
la Rédemption, c’est-à-dire le rachat du genre humain par la mort du Christ sur la croix. • LIBRARY OF CONGRESS
Chez les non-chrétiens, il n’est pas rare non plus que l'hypothèse d'une vie
extraterrestre devienne un argument contre la foi chrétienne. À la fin du XVIIIe
siècle, l’intellectuel britannique Thomas Paine, acteur de la Révolution française,
écrit dans le Siècle de la raison que la possibilité d’autres mondes habitables « rend
le système de foi chrétien immédiatement petit et ridicule ».
« Celui qui pense qu'il croit aux deux n'a que peu pensé aux deux », poursuit-il avec
ironie. « Aujourd’hui, ajoute Jacques Arnould, on retrouve cette critique d’une foi
étriquée qui se prendrait pour le nombril du monde chez certains astronomes
comme Jill Tarter, qui a inspiré l’héroïne du film Contact. »
Comme on l’a vu, ce géocentrisme n’est pourtant pas un article de foi du
christianisme, même s’il a pu en irriguer la pensée. Cette ouverture – ou cette
prudence – va s’affirmer au siècle dernier. « Le théologien Pierre Teilhard de
Chardin, à partir de son expérience de scientifique (il était géologue et
paléontologue, ndlr), se tourne au milieu du XXe siècle vers un Univers qui apparaît
beaucoup plus grand, voire infini, que celui des siècles précédents, rapporte
Jacques Arnould. Ouvert à la possibilité d’une conscience extraterrestre, il renoue
avec une vision du Christ cosmique élaborée par les Pères de l'Église. »
Kepler-22 b est la première planète découverte (en 2011) à l'intérieur de la zone habitable d'une étoile semblable au
Soleil, et où l'eau à l'état liquide pourrait exister. Cette exoplanète mesure 2,4 fois la taille de la Terre. (Tableau d'un
artiste). • NASA/AMES/JPL-CALTECH
Son ouverture sur la question est à la fois surprenante, quand on connaît son
approche théologique plutôt classique, et évidente au regard de sa production
littéraire. Son ami J.R.R. Tolkien raconte qu’ils s’étaient lancé un défi : Lewis écrirait
un roman qui explore le voyage dans l’espace quand Tolkien se consacrerait au
voyage dans le temps.
Si Tolkien n’a pas rempli sa part du contrat, Lewis a bien produit une trilogie
cosmique, parue entre 1938 et 1945. Dans le deuxième tome, on peut lire ce
passage, cité par le journaliste Jonathan Merritt dans le magazine américain The
Week (https://theweek.com/articles/442144/why-christians-should-board-space-
exploration): « Soyez confiants, petits immortels. Vous n'êtes pas l'unique voix que
toutes choses expriment, pas plus qu'il y aurait un silence éternel en ces lieux où
vous ne pouvez aller. »
« Comment croire, sans faire preuve d'une arrogance absurde, que nous seuls ayons
reçu ce privilège ? », écrit-il plus tard dans son essai Religion and Rockets paru en
1958, initialement publié dans un article du journal Christian Herald intitulé : «
Allons-nous perdre Dieu dans l’espace ? ». Ces extraterrestres seront ils des êtres
rationnels, doués d’un « sens spirituel » et marqués par le péché ?
Si ces trois critères sont établis, et s’ils n’ont pas été déjà touchés par une
rédemption divine, il serait alors du devoir des croyants de les évangéliser, peu
importe leur apparence extérieure.
À la fin de sa vie, lors d’un entretien publié en 1963 par le journaliste américain
Sherwood Eliot Wirt, Lewis confiait redouter « avec horreur » le contact avec
d’autres planètes habitées, « si elles existent ». Car nous ne leur apporterions selon
lui que « notre péché », « notre avidité » et établirions un « nouveau colonialisme ».
Pour éviter cela, l’écrivain pose une condition préalable à la rencontre avec des
aliens : que nous soyons « spirituellement éveillés », que « sur Terre nous soyons
réconciliés avec Dieu ».
Cette introspection fondamentale, les chrétiens du passé l’ont déjà assumée dans
d’autres domaines, suggère d'ailleurs le théologien. C’est la folie de François
d’Assise qui affirme que la prédication est adressée à la création toute entière,
plantes et animaux compris.
Reste à savoir si la foi personnelle des croyantes et des croyants pourra supporter
une telle rencontre... et quels changements intérieurs elle susciterait. Mais en
attendant des nouvelles de Mars, il est probable qu'ils aient tout le temps d’y
réfléchir encore un peu.