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Les athées ne peuvent plus s’appuyer sur la science pour démontrer que Dieu n’existe pas. Les croyants
peuvent-ils à leur tour invoquer les découvertes de la science pour prouver Dieu? pickup - stock.adobe.com
Ils retracent donc avec fougue les étapes de la plus époustouflante odyssée
scientifique de l’humanité. En 1992, l’astrophysicien nobélisé George Smoot
a photographié la première lumière cosmique d’un Univers encore vagissant,
380.000 ans après le Big Bang. Son image montrait un ovale bleuté, taché
de couleurs safran et orangées. C’est à lui que l’on doit d’avoir dit devant la
Société américaine de physique: «C’est comme voir le visage de Dieu.»
Il n’est pas le seul à parier sur un grand architecte. Quelques études ont été
faites, par exemple aux États-Unis, en 2009, où le Pew Research Center a
sondé «les scientifiques et les croyances aux États-Unis». On y apprend
qu’une majorité de scientifiques américains croient en «quelque chose»
(51 %), contre une minorité d’athées (41 %).
Bien sûr, l’argument d’autorité n’est pas le bon. Quand bien même tous les
scientifiques seraient des athées militants, cela n’empêcherait pas de croire
en Dieu. Mais il donne le ton d’un changement d’époque. Car la validation du
Big Bang au début des années 1960 a fait les affaires des trois
monothéismes, tant ce récit correspond à celui de la création du Monde dans
l’Ancien Testament - laissons de côté les littéralistes qui s’accrochent à l’idée
d’un monde créé en six mille ans.
Dès 1951, Pie XII s’était enthousiasmé: «Il semble en vérité que la science
d’aujourd’hui ait réussi à se faire le témoin du “Fiat lux” initial.» Mais il s’était
aussi montré prudent: «Les faits jusqu’ici constatés ne constituent pas un
élément de preuve.»Le génial Georges Lemaître, prêtre et physicien belge
trop sous-estimé, qui a eu l’intuition en premier du Big Bang, nous invitait lui
aussi, dès ces années-là, à ne pas confondre «cosmologie et théologie».
Et ils ont raison d’insister sur l’évolution d’une science de moins en moins
dogmatique sur les questions religieuses. Les athées ne peuvent plus
s’appuyer sur la science pour démontrer que Dieu n’existe pas. Les croyants
peuvent-ils à leur tour invoquer les découvertes de la science pour prouver
Dieu? Les auteurs vont jusque-là. Ils affirment que rien ne naît de rien, et
que s’il y a eu un Big Bang c’est qu’il y avait avant lui quelque chose de plus
fort encore: une intelligence suprême.
Pourtant, parler d’un «avant», c’est encore s’inscrire dans le temps. Or, le
temps est né avec le Big Bang. Il est donc aussi absurde de demander «quel
est le nord du pôle Nord» (Stephen Hawking), que de supposer un
événement avant l’événement, un temps avant le temps. On en reste donc à
une question sans réponse: comment quelque chose peut-il naître de rien?
Ou, plus prosaïquement: qui a mis en marche l’horloge?
Un point est acquis: les chercheurs, qu’ils soient athées ou non, admettent le
questionnement métaphysique. C’est déjà un immense pas en avant pour les
croyants, quel que soit leur culte particulier. Après tout, même Albert Einstein
avait fini par accepter l’idée d’un Dieu, «cause première des choses». Une
autre tâche sera pour nos auteurs de réconcilier ce Dieu champion des
chiffres et des particules avec le Dieu d’amour du Nouveau Testament.
Les progrès des mathématiques et de la physique ont été tels que des
questions que l’on croyait à jamais hors de portée du savoir humain, comme
le temps, l’éternité, le début et la fin de l’Univers, l’improbabilité des réglages
de l’Univers et de l’apparition de la vie, sont devenues des sujets de science.
Ces avancées scientifiques qui ont surgi au début du XXe siècle ont entraîné
un renversement complet de la pensée par rapport à la tendance des siècles
précédents, où l’on jugeait le champ scientifique incompatible avec toute
discussion relative à l’existence de Dieu.
Le Big Bang, en troisième, est théorisé dans les années 1920 par Friedmann
et Lemaître puis confirmé en 1964. Il décrit le début de l’Univers de façon si
précise et spectaculaire qu’il a provoqué une véritable déflagration dans le
monde des idées, au point que, dans certains pays, c’est au péril de leur vie
que les scientifiques l’ont défendu ou étudié. […]
[…] Il est révélateur, par exemple, que l’on préfère consacrer beaucoup de
temps et d’argent à la recherche d’éventuels extraterrestres, comme dans le
cadre du programme SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence), plutôt
que de consacrer un peu d’attention à l’hypothèse d’un dieu créateur. S’il
existe, qu’est-il, en effet, sinon un super-extraterrestre? Contrairement à de
potentiels extraterrestres, son existence est plus probable et mieux admise,
et les traces de son action dans l’Univers plus tangibles. Un tel déséquilibre
manifeste finalement une forme de peur. Pour un esprit matérialiste, capter
des signes lointains de vie extraterrestre est certes palpitant, mais n’implique
pas une remise en question existentielle ; au contraire, prendre conscience
que Dieu existe se fait au risque d’un immense bouleversement intérieur.
Non, parce que comme nous l’avons vu, il est possible à la science d’affirmer
que la cause du Big Bang est non spatiale, non temporelle et non matérielle,
ce qui est déjà beaucoup! En s’appuyant sur le principe de causalité, qui fait
partie intégrante de la science, on peut de manière très scientifique conclure
à «l’incomplétude» de notre Univers. La science est dans ce cas dans une
démarche «apophatique», c’est-à-dire qu’on parle de réalités que l’on ne
peut déduire que de manière indirecte et ne qualifier que de manière
négative, sans avoir la moindre connaissance des phénomènes en jeu. On
ne peut donc pas a priori avoir de connaissance directe de «l’avant Big
Bang» et cet état du pré-espace-temps restera sans doute à jamais à
l’extérieur du domaine de la science expérimentale.
Le prix Nobel de physique Roger Penrose, en 2015. HANS KLAUS TECHT/APA-PictureDesk via AFP
Mais cela n’empêche pas les plus grands physiciens d’essayer d’imaginer ce
«quelque chose» qui existait avant le mur de Planck. Un exemple? La
théorie développée depuis une dizaine d’années par sir Roger Penrose, de
l’université d’Oxford, prix Nobel de physique 2020. Cet ancien compagnon
de pensée du célèbre physicien de Cambridge, Stephen Hawking, a écrit
une série d’articles scientifiques ainsi qu’un livre passionnant titré dans
l’édition anglaise: «Que s’est-il passé avant le Big Bang?» De son côté
également, bravant le scepticisme obstiné de ses collègues, l’astrophysicien
Georges Efstathiou, directeur du prestigieux Institut de cosmologie à
l’université de Cambridge, n’a pas hésité à déclarer en mars 2013: «Il est
parfaitement possible que l’Univers ait connu une phase avant le Big Bang,
et que l’on puisse suivre l’histoire de l’Univers jusqu’à cette période
précédant le Big Bang.» Et déjà, en 1993 - treize ans avant d’obtenir le prix
Nobel -, George Smoot avait pris le risque de poser dans son livre Les Rides
du temps cette question prophétique: «Qu’y avait-il avant le Big Bang? Qu’y
avait-il avant le commencement du temps?»
C’est là que notre quête devient passionnante. En effet, puisqu’il est clair
pour tous que l’espace, le temps et la matière naissent ensemble, cela veut
dire qu’en deçà de l’instant de Planck, le temps, l’espace et la matière
n’existaient pas encore. Cette conclusion parfaitement logique est partagée
par tous les scientifiques adeptes du modèle standard de la physique. En
poussant un peu plus loin le raisonnement, on en déduit donc qu’à la place
du temps, il ne pouvait donc exister que quelque chose d’intemporel. De
Car si, comme Stephen Hawking, nous considérons qu’avant le Big Bang le
temps était imaginaire, alors la matière ne pouvait pas exister. Qu’y avait-il à
la place? Justement, quelque chose d’immatériel, qui pourrait être
l’information. La boucle serait alors bouclée: avant le Big Bang - plus
exactement à l’instant zéro - le temps serait, dans ce cas-là, encore
purement imaginaire et la réalité n’existerait à ce stade que sous la forme
d’une information pure, une sorte de code d’essence mathématique. Une
information primordiale, qui aurait pu «programmer», avec une précision qui
défie l’imagination, la naissance de l’Univers au moment du Big Bang puis
son évolution tout au long des milliards d’années. D’où cette question qu’il
est légitime de poser: s’il existait une information mathématique avant le Big
Bang, qui est donc le fabuleux «programmeur» derrière un tel code?
Le réglage fin
Le «réglage fin» (fine tuning, selon une autre expression de Fred Hoyle en
1953) des données initiales, lois, constantes et structures de l’Univers, est un
fait incontournable que personne ne conteste aujourd’hui, comme le
reconnaissent les plus grands savants, souvent agnostiques, dont l’opinion
Dieu, la science, les preuves. L’aube d’une révolution, de Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies, Guy
Trédaniel éditeur, 566 p., 24 €. sp