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3’:HIKLLA=]U[YU]:?k@p@d@e@a"; AVRIL 2018 DOM 7,40 € - BEL 7,40 € - LUX 7,40 € - ALL 8,20 € - ESP 7,40 € - GR 7,40 € - ITA 7,40 € - PORT.CONT 7,40 € -
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L’édito par Dominique Leglu
Directrice de la rédaction
Singularité(s)
L’
émotion ? Ce fut la tristesse. En ce jour du témoignage de la recherche inextinguible du cosmolo-
14 mars 2018, alors que nous nous apprêtions giste, dont l’équation de la température de Hawking est un
à faire parvenir à l’imprimerie ce numéro de bon exemple (lire p. 6). Cette recherche, alliée à celle d’un
La Recherche, était annoncée la mort d’un autre grand savant britannique, Roger Penrose, avançait
grand cosmologiste. Et bien plus encore. Celle d’un une explication mathématique à l’origine de notre Uni-
scientifique qui avait su communiquer sa passion pour vers. Et démontrait aussi la « nécessité » de l’existence de
l’Univers, du Big Bang aux trous noirs, à des millions de singularités de l’espace-temps, comme les trous noirs et
profanes. Stephen Hawking, professeur à l’université de le Big Bang (lire p. 10). Son travail fut une quête ardente de
Cambridge, perclus de ses membres à cause de la mala- la compréhension la plus fondamentale de notre Univers.
die de Charcot, en était devenu une icône, le « savant »
contemporain le plus connu au monde. Les plus jeunes OUTRE CES PAGES qui ouvrent le numéro, le dossier
l’avaient découvert à travers la série The Big Bang Theory consacré à la neuroscience des émotions, piloté par
et parce qu’il avait eu son personnage chez Les Simpson. notre journaliste spécialiste Gautier Cariou, a de quoi
Les chercheurs et les universitaires, grâce à son apport bouleverser. Aujourd’hui, en effet, on découvre qu’il est
sur « des choses tout à fait fondamentales, en particulier possible de libérer de leur peur et de leur angoisse ceux
sur l’évaporation des trous noirs », comme nous le rap- qui ont vécu un traumatisme. Et tout particulièrement
pelait l’astrophysicien Hubert Reeves. ces personnes qui ont eu à traverser l’épouvante d’atten-
Pour l’hommage que nous voulions rendre à cet être si tats terroristes, comme ceux de 2015 à Paris (lire p. 46).
singulier, il était évident que le sommaire de La Recherche Grâce aux travaux sur la reconsolidation de la mémoire
devait être bouleversé. Et ce, afin de rappeler à nos lecteurs d’Alain Brunet, de l’université McGill, au Canada, et de
ce que furent les travaux de ce théoricien. Nous avons Pascal Roullet, de l’université Paul-Sabatier, à Toulouse,
donc choisi de publier à nouveau, en grande partie, le dos- les patients atteints de trouble de stress post-traumatique
sier approfondi qui lui avait été consacré en 2013 et qui ont vu leurs symptômes s’atténuer fortement. Personne
prend aujourd’hui toute sa dimension. Tel un legs, un ne veut crier au miracle, mais l’espoir est bien là.
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ACTUALITÉS DOSSIER
16 actualités 38 dossier
16 Paléoanthropologie L’homme de Neandertal,
cet artiste méconnu LA SCIENCE DES ÉMOTIONS
19 Neurosciences La neurogenèse en question 40 Ralph Adolphs et David J. Anderson : « Les émotions
20 Biologie Dessine-moi une cellule doivent être étudiées en fonction des effets qu’elles
22 Physique Le silicium, un nouveau composant produisent » Propos recueillis par Gautier Cariou
prometteur des processeurs quantiques 46 Vaincre la peur traumatique Gautier Cariou
23 Chimie Un marqueur pour les cellules souches 50 Nos facultés cognitives sous influence
tumorales David Sander et Patrik Vuilleumier, avec Gautier Cariou
de vie du neutron
27 Biologie marine À chaque âge son venin 56 ASTROPHYSIQUE Proxima du Centaure,
28 Phylogénétique Une nouvelle date de naissance astre d’un système à trois étoiles
pour les plantes terrestres Pierre Kervella, Frédéric Thévenin et Christophe Lovis
63 LA CHRONIQUE MATHÉMATIQUES
Bien plus que des médailles !
Roger Mansuy
80 livres
64 HISTOIRE DES SCIENCES Un physicien mort
deux fois Nicolas Chevassus-au-Louis COMMENT (BIEN) FAIRE
68 ÉPIDÉMIOLOGIE L’évaluation du vaccin contre DE LA SCIENCE ?
la grippe, un défi de taille Cécile Klingler
80 Difficile mondialisation Jeremy Baumberg
71 LA CHRONIQUE NEUROSCIENCES
83
ESO/SErgE bruniEr/Frédéric TapiSSiEr/piErrE KErvElla - cHucK painTEr/STanFOrd univErSiTY librariES
Du Big Bang
aux trous noirs
SES DATES
LE 8 JANVIER 1942, Stephen Hawking naît Il est élu membre de la Royal Society.
à Oxford, au Royaume-Uni, jour anniversaire 1980 Il devient titulaire de la chaire de
de la mort de Galilée. mathématiques de l’université de Cambridge.
1963 Alors qu’il vient d’être accepté à l’université 1988 Il publie son premier livre de vulgarisation,
REUTERS/MIKE HUTCHINGS
Présenté par les médias comme un « pur esprit » coupé du monde, le physicien
britannique Stephen Hawking était au contraire entouré d’un réseau complexe
d’hommes et de machines qui participaient activement à ses recherches.
Ce chercheur d’exception
était l’opposé du solitaire ”
La Recherche Pourquoi avez-vous choisi que l’on nomme les social studies of science, qui se
de consacrer un livre à Stephen Hawking ? sont attachées depuis trente ans à démystifier la
Hélène Mialet Je me suis intéressée à Stephen science, montrant qu’elle n’est pas le produit d’indi-
Hawking parce que ce scientifique d’exception appa- vidus rationnels et isolés, mais celui d’un environne-
raissait dans les médias comme la figure du génie ment social ou collectif et matériel. Stephen Hawking
solitaire. Il incarnait aussi parfaitement la vision car- apparaît donc comme un contre-exemple.
tésienne de l’esprit « désincorporé ». Son histoire en HÉLÈNE MIALET Votre travail le conirme-t-il ?
faisait un homme ne pouvant ni bouger, ni parler, si SOCIOLOGUE Non, c’est tout l’inverse. Stephen Hawking était loin
ce n’est par la médiation d’une machine. En 1963, à DES SCIENCES d’être « désincorporé » : il était bien plus « incor-
l’âge de 21 ans, il a développé une maladie neurolo- Elle enseigne poré » que n’importe qui ! Parce que, précisément,
gique provoquant une atrophie irréversible de tous à l’université York, à il ne pouvait rien faire par lui-même. Par néces-
les muscles. Puis, en 1985, il a contracté une pneu- Toronto, au Canada. sité, tout était délégué à un réseau complexe de
monie à la suite de laquelle il a subi une trachéotomie machines et d’humains qui l’entouraient. J’ai donc
qui lui a fait perdre définitivement la voix. La ques- cherché à comprendre comment il communiquait.
tion que je me suis posée est : comment produisait-il Tout mon travail a consisté à étudier chaque partie
de la science ? Pour le public, la réponse est simple : de ce corps collectif qui lui permettait d’être, d’agir
dans sa tête. Et cela correspond bien au mythe selon et de penser.
lequel, pour produire de la science, il n’y a pas besoin Ces outils pour communiquer constituaient-ils
de corps, de collègues, d’institutions. Qui plus est, les premières extensions de ce corps ?
c’était un théoricien. L’image du pur esprit qui peut Oui, et à ce titre, le programme mis au point par
accéder aux lois de l’Univers uniquement grâce à son Walt Waltosz, de Word Plus Inc., qu’il a donné à
cerveau est dans son cas poussée à l’extrême. Hawking en 1985, était extrêmement innovant d’un
Cette image n’est-elle pas contraire à ce que point de vue technologique. Ce dispositif lui per-
montre un courant de la sociologie des sciences ? mettait, en scannant un écran avec un léger mou-
C’est précisément ce qui m’intéressait. Si Stephen vement de ses doigts posés sur un commutateur,
Hawking pouvait produire de la science par sa seule de choisir ses mots, de construire ses phrases qu’un
pensée, il remettait en question les théories de ce synthétiseur restituait vocalement. Quand il a
DR
chez Stephen Hawking parce que sa condition l’obli- Cette question va d’ailleurs bien plus loin : elle nous
geait à déléguer encore plus. Pour moi, ce fonction- Retrouvez l’intégralité force à réfléchir à la forme d’humanité vers laquelle
nement n’a finalement rien d’exceptionnel, mais il de cet entretien sur notre site nous allons, toujours plus connectée. n
était bien plus visible qu’ailleurs. www.larecherche.fr Propos recueillis par Hélène Le Meur
S
tephen Hawking était professeur lucasien du XXe siècle et de ce début de XXIe siècle. Dans
émérite de mathématiques de l’université les années 1960 et 1970, à une époque où la plu-
de Cambridge, au Royaume-Uni, l’une des part de ses confrères théoriciens s’intéressaient
chaires de mathématiques les plus presti- essentiellement à la physique des particules,
gieuses au monde. Isaac Newton, père de la gravita- lui travaillait sur la relativité générale, théorie
tion universelle, et Paul Dirac, découvreur de l’anti- de la gravitation qu’Einstein a mise au point en
matière, sont deux de ses seize illustres prédécesseurs 1915. Il voulait découvrir l’origine de notre Uni-
à cette chaire, créée il y a trois cent cinquante ans. vers, et il était décidé à lui trouver une raison
DOCTEUR
Pourquoi Stephen Hawking a-t-il été choisi pour EN PHYSIQUE mathématique… Pour y parvenir, il remit la gra-
leur succéder ? « Sa remarquable combinaison de THÉORIQUE vitation au goût du jour et transforma ce que les
courage, de vision et d’intuition lui a permis de pro- de l’université de scientifiques de l’époque savaient de ses fonde-
duire des idées qui ont transformé notre compré- Cambridge, sous la ments mathématiques.
hension de l’espace et du temps, des trous noirs et de direction de Stephen Avec Roger Penrose, mathématicien britannique,
l’origine de notre Univers », répond un de ses plus Hawking, Christophe il démontra la nécessité de l’existence de singula-
Galfard partage avec
anciens collègues, James Hartle, professeur de phy- rités de l’espace-temps que sont les trous noirs et
le grand public, depuis
sique à l’université de Californie, à Santa Barbara, le Big Bang. Puis, seul, il découvrit que les trous
2006, les avancées de
aux États-Unis. la physique moderne noirs n’étaient pas si noirs que ça, qu’ils s’évapo-
Pour son combat face à la maladie et ses ouvrages via des conférences raient, et qu’une théorie du tout, qui unirait en un
YLE/PARAD MEDIA
de vulgarisation, Stephen Hawking était certaine- et des livres. formalisme unique le très grand et le très petit, la
ment le scientifique contemporain le plus connu gravitation et la physique quantique, était la seule
au monde, mais surtout l’un des physiciens théo- à pouvoir l’expliquer. Cette découverte lui permit
riciens les plus remarquables de la seconde moitié enfin de s’attaquer à sa quête originelle, et il fut le
premier scientifique à proposer, avec James Hartle, fois dans l’espace et dans le temps. Hoyle, chef de file
une explication mathématique à l’origine de notre de ce courant de pensée qui rejetait l’idée d’un Big
Univers. Retour sur ces trois travaux exceptionnels. Bang (c’est d’ailleurs lui qui l’a nommée ainsi, pour
la dénigrer), était rattaché à l’université de Cam-
1. Des singularités dans l’Univers bridge. Mais un autre groupe de scientifiques s’y
Dans les années 1960 et 1970, les nouveaux accé- était constitué sous la direction de Dennis Sciama,
lérateurs de particules permettaient, tous les ans, que certaines conclusions de Hoyle laissaient per-
des découvertes dignes d’un Prix Nobel. La nature plexe. Stephen Hawking faisait partie de ce groupe.
dévoilait ses secrets, et ces secrets correspon- Il collaborait alors avec Roger Penrose sur les impli-
©2013 WARNER BROS ENTERTAINMENT INC / PARAMOUNT PICTURES CORPORATION - PIERRE CARRIL
daient étonnamment bien aux prédictions théo- cations mathématiques de la relativité générale.
riques. Le monde quantique était donc à l’hon-
neur, et rares étaient les chercheurs qui travaillaient
sur la relativité générale, c’est-à-dire sur notre Uni-
vers dans son ensemble. À la suite d’une confé-
Fig. 1 La singularité
rence sur la gravitation, Richard Feynman, Prix
Nobel de physique, écrivait d’ailleurs à sa femme :
« Je n’y apprends rien. Parce qu’il n’y a pas d’expériences
dans ce domaine, il n’est pas actif, et peu des meilleurs
chercheurs travaillent dessus. » Et de conclure : « Rap-
pelle-moi de ne plus jamais retourner à une conférence
sur la gravitation. »
Certains chercheurs étaient pourtant en train de
créer la cosmologie moderne. Après la Seconde
Guerre mondiale, la thèse en vogue pour expli-
quer l’histoire de notre Univers était celle mise en Une singularité est une région de notre Univers
où toutes les grandeurs deviennent ininies
avant par trois scientifiques de renom : Fred Hoyle, – courbure de l’espace-temps, température,
Thomas Gold et Hermann Bondi. Dans le modèle densité, pression… C’est un endroit où la relativité
générale cesse d’être valable. Les deux exemples
stationnaire qu’ils proposaient, notre Univers avait les plus connus sont le Big Bang et les trous noirs.
été, est et sera toujours identique à lui-même, à la
Les équations qui régissent cette théorie, les maîtriser ses propres prédictions. Le Big Bang était
équations d’Einstein, sont une mise en relation soudain devenu inaccessible à la relativité géné-
entre énergie et géométrie. Pour comprendre une rale, mais Stephen Hawking avait alors à peine
géométrie et, éventuellement, son évolution, il 30 ans, la maladie semblait lui laisser un sursis, et
faut donc avoir une idée de l’énergie qui s’y trouve. il n’abandonnait pas sa quête d’une explication à
Stephen Hawking et Roger Penrose s’attelèrent à l’origine de tout.
cette étude en considérant des conditions énergé-
tiques théoriques suffisamment raisonnables pour 2. L’évaporation des trous noirs
qu’elles correspondent autant que possible à la Le problème, avec le Big Bang, c’est que lorsqu’il a
matière du monde réel. lieu, il englobe la totalité de notre Univers. Même
Leurs résultats, connus aujourd’hui sous le nom de théoriquement, il est impossible d’y faire évoluer
théorèmes de Penrose-Hawking, sont sans appel : la quoi que ce soit, vu que tout fait partie de la singu-
relativité générale prédit l’existence, dans le passé larité. Les trous noirs, en revanche, sont localisés, et
de notre Univers, d’une singularité, c’est-à-dire d’un finis. On peut tout à fait imaginer des objets évoluant
endroit où notre Univers est si petit, où tout devient autour, loin de l’horizon qui cache leur singularité.
si extrême, que même la relativité générale n’est plus En 1974, Stephen Hawking s’attaqua donc à un pro-
utilisable (1) . C’est cette singularité que nous appe- blème inédit : tenter de voir, théoriquement, com-
lons aujourd’hui le Big Bang. Mais ce n’était pas tout. ment se comporte une particule quantique si on
Les mêmes calculs montraient qu’une singularité l’envoie, depuis l’infini, vers un trou noir. Pour la
apparaissait aussi au cœur d’astres dont la densité gravitation, il prit la géométrie du plus simple des
dépasse un seuil limite, et que nous appelons des trous noirs, celui de Schwarzschild, qui ne tourne
trous noirs (Fig. 1) . pas et qui n’est pas chargé électriquement. Pour
En une série de théorèmes mathématiques, la partie quantique, il prit ce que l’on appelle un
Roger Penrose et Stephen Hawking avaient non champ scalaire, le plus simple des champs quan-
seulement rendu obsolètes les idées d’un Univers tiques, que nous appellerons ci-dessous, pour
stationnaire, mais ils avaient aussi prouvé que la simplifier, une particule quantique. En relativité
relativité générale, la vision d’Einstein, n’est pas générale, il est assez simple de connaître l’éner-
complète : les singularités la rendent incapable de gie nécessaire à une particule pour qu’elle puisse
Antiparticule Singularité
rayonnement particule-antiparticule
du trou noir.
Temps
imaginaire
Temps
peuvent tirer dix millions de flèches pour véri- quantique, il faut ajouter tous ces chemins en
fier si une théorie fonctionne bien. Mais pour l’Uni- leur donnant, à chacun, un certain poids. Tous les
vers, c’est beaucoup plus compliqué. phénomènes observables dans les accélérateurs
Non seulement il est impossible de voir son origine, de particules peuvent aujourd’hui être décrits par
mais il est aussi exclu d’en comparer plusieurs les cette vision, et Feynman reçut le prix Nobel pour
uns avec les autres. La science ne peut apparem- ces travaux en 1965.
ment que se poser la question de son évolution, pas En partant de l’idée que l’Univers devrait, d’une
de son état initial. Au début des années 1980, c’est certaine manière, être aussi quantique dans son
pourtant ce que Stephen Hawking a fait, avec son ensemble que les particules qu’il contient, Ste-
collègue James Hartle (3) . Pour cela, ils ont à nou- phen Hawking et James Hartle se sont dit qu’il était
veau dû emprunter à la physique quantique une peut-être la somme de tous les Univers possibles. Le
certaine vision de ce qu’est la réalité. point d’arrivée peut être pris comme étant l’Univers
tel que nous le voyons aujourd’hui. Mais le point de
Selon son hypothèse, départ, quel est-il ?
Les deux physiciens ont non seulement posé cette
l’Univers a été créé à partir de question mathématiquement, mais ils ont en plus
suggéré une réponse, qui peut se résumer ainsi : la
rien, par une fluctuation quantique ” fonction d’onde de l’Univers s’obtient en addition-
Dans les années 1940, pour comprendre le monde nant tous les Univers qui n’ont pas de bord initial.
quantique, Feynman a inventé un formalisme Dit comme cela, cela peut paraître étrange, mais le
fondé sur l’idée suivante : toute particule, pour aller bord dont il est ici question n’est pas un bord phy-
PIERRE CARRIL
d’un endroit à un autre, doit pouvoir emprunter sique. C’est un bord mathématique, dans une repré-
tous les chemins possibles et imaginables. D’après sentation géométrique de l’Univers qui ne corres-
lui, pour décrire le fonctionnement du monde pond pas nécessairement à celle qui est utilisée
Livres choisis
Une brève histoire Trous noirs Georges et les secrets La Brève Histoire
du temps et bébés univers de l’Univers de ma vie
Sorti en 1988, son En 1993, il publie un Avec sa fille, Lucy, Dans son
premier livre grand recueil rassemblant Stephen Hawking autobiographie,
public est un essais et se lance en 2007 le physicien se
immense succès conférences dans la confie sur son
qui le fait connaître essentiellement vulgarisation pour parcours et sur
dans le monde sur les trous noirs. enfants au travers ce qui l’a poussé
entier. Reprenant l’histoire de la Abordant la relativité restreinte, des aventures cosmiques du à embrasser la voie de la science,
cosmologie, il parcourt l’Univers la relativité générale, la jeune Georges. Quatre autres mais aussi sur sa maladie,
du Big Bang aux trous noirs (le mécanique quantique, il tente de ouvrages suivront. Celui-ci a été qui l’a gravement handicapé.
sous-titre du livre). Les derniers nous faire comprendre comment coécrit avec Christophe Galfard, Par ailleurs, plusieurs films
chapitres sont cependant ardus. naissent les univers… qui fut élève du physicien. racontent la vie du savant.
DR
Flammarion, 2017, 288 p., 6 €. Odile Jacob, 2000, 208 p., 8,90 €. Pocket Jeunesse, 2011, 288 p., 7,50 €. J’ai Lu, 2014, 173 p., 6 €.
L’homme
de Neandertal, cet
artiste méconnu
Des paléoanthropologues ont daté des peintures rupestres situées en Espagne à plus de 64 800 ans,
soit 20 000 ans avant l’arrivée d’Homo sapiens dans la région. Leur auteur serait l’homme de
Neandertal : cette utilisation des symboles le rapproche cognitivement de l’homme moderne.
relative de la méthode de data- lectuelle vis-à-vis de l’homme thropologie évolutionniste à obtenir la couleur souhaitée
tion employée (lire ci-contre). moderne. Mais si Homo nean- Leipzig, en Allemagne, « l’émer- et mettre en place une source
Ces premières traces de l’acti- derthalensis était capable de gence de la culture matérielle de lumière suffisante pour
vité artistique de Neandertal donner forme à des symboles symbolique représente un seuil réaliser leur œuvre. À cela
cées, à Barcelone, également de ce qu’on sait déjà théorique- Pendant des décennies, il a William Rowe-Pirra
auteur de l’étude. ment depuis un siècle », précise généralement été accepté que (1) D. L. Hoffmann et al., Science,
Ainsi, pour certains, cette Antoine Balzeau. l’art en tant que tel commen- 359, 912, 2018.
(2) A. W. G. Pike et al., Science, 336, 1409, 2012.
découverte contribue à réha- Pourquoi l’homme de Nean- çait il y a 40 000 ans, avec les (3) J. Jaubert et al., Nature, 534, 111, 2016.
biliter l’homme de Neandertal, dertal a-t-il fait l’objet de tant premières grandes peintures (4) A. Gomez-Olivencia et al., J. H. E.,
qui n’est pas la brute primitive d’idées réductrices ? Selon rupestres réalisées par Homo 117, 13, 2018.
Biologie
écrire ce qu’il se Pierre-Gilles-de-Gennes, à système immunitaire. Avec son Pour faire comprendre le rôle
C’ mais significatif. Le
groupe de Lieven Un retard à combler
Vandersypen, de l’université de Le géant Intel ne s’y est pas
Delft, aux Pays-Bas, a conçu trompé, qui, tout en travail-
une puce quantique en sili- lant sur la filière supraconduc-
cium/germanium de deux trice, collabore avec le groupe
qubits – l’équivalent quantique de Delft. « Dans quelques mois,
des bits classiques –, capable nos prototypes seront réalisés
d’exécuter des algorithmes très dans les installations de l’indus-
rudimentaires (1) . « On peut triel, ce qui accélérera le rythme
donc parler d’un processeur à des progrès », souligne Lieven
deux qubits programmable, et Vandersypen. Ce sera néces-
celui-ci est le premier réalisé saire pour combler le retard du
avec la filière silicium », com- silicium, qu’il estime « à plu-
mente Benoît Bertrand, du Leti, sieurs années. Nous sommes en
institut du CEA. Deux autres train de tester un circuit à trois
principes de composants qubits et nous passerons dès que
quantiques – l’un utilisant des possible à cinq, puis dix ». Mais
ions piégés et l’autre des cir- Cet assemblage coaxial à haute fréquence est utilisé pour délivrer la concurrence progresse : un
cuits supraconducteurs – ont des signaux à des puces quantiques. groupe britannique vient d’an-
déjà fait beaucoup mieux, avec noncer une percée importante
plusieurs dizaines de qubits pendant plusieurs dizaines de concurrents, ce qui laisse augu- sur les ions piégés, en amélio-
manipulés en même temps. millisecondes, contre 10 à rer d’une meilleure capacité de rant nettement leur vitesse de
Mais le silicium possède un 100 microsecondes pour les mise à l’échelle – qui reste fonctionnement (2) .
triple avantage. D’abord, les supraconducteurs, même si les encore à démontrer. « Cela Denis Delbecq
qubits qu’il permet de réaliser ions piégés font beaucoup pourrait s’avérer décisif pour (1) T. F. Watson et al., Nature,
interagissent peu avec leur mieux (environ 1 minute). De des processeurs quantiques de doi:10.1038/nature25766, 2018.
environnement, ils peuvent plus, le circuit silicium est millions de qubits. » Car si (2) V. M. Schäfer et al., Nature,
donc être conservés en l’état beaucoup plus petit que ses quelques centaines de qubits doi:10.1038/nature25737, 2018.
Chimie
photo). « Les CSC sont mino- (1) Y.-A. Lee et al., Angew. Chem. Int. M° Porte de St-Cloud
ritaires dans les tumeurs ; on Ed., doi:10.1002/anie.201712920, 2018. (Navette stationnée avenue Félix d’Hérelle)
378
déjà inscrits
sur la liste 573
d’attente au nouveaux
inscrits durant
477
1er janvier
l’année
patients greffés
22 De 0 à 17 ans
30 De 18 à 29 ans
236 De 30 à 55 ans
163 De 56 à 65 ans
626 639 632
556 563
26 Plus de 66 ans
526
462
430
408 397
294
patients greffés
13 213 depuis 1968 en France
138
75
36
7 9 9 8 5 11 7 10 11 19
1
1968 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996
Absence de données 3 3
19
19
sortis de la liste d’attente
pour aggravation
474
patients
48
sortis de la liste d’attente
pour d’autres raisons
non greffés Contre-indication, départ
à l’étranger, amélioration…
15 De 0 à 17 ans
26 De 18 à 29 ans
231 De 30 à 55 ans
328
demeurant
177 De 56 à 65 ans
sur la liste au
1er janvier 2017
25 Plus de 66 ans
471 477
423 La baisse des années 1990
398 397 410 peut s’expliquer par
366 370 358 366 360 359 356 la diminution des décès
339 accidentels, par
321 328 316 319 317
283 l’augmentation du nombre
de donneurs âgés
(ce qui est un facteur
limitant pour les
prélèvements cardiaques)
ou encore par les progrès
de la cardiologie
interventionnelle.
1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016
Géologie
DE L’EAU EN Physique
PROFONDEUR
Il y aurait de l’eau dans
Désaccord persistant
le manteau terrestre. En
effet, des inclusions de
sur le temps de vie du neutron
glace ont été retrouvées Une nouvelle mesure très précise de la durée de vie du neutron confirme un écart
dans des diamants. La entre deux méthodes expérimentales. Une divergence toujours incomprise.
structure cristalline de la
glace (glace VII) indique
qu’elle s’est formée n termes d’espé- une région limitée de l’espace, cette méthode : 887,7 secondes,
à plus de 610 kilomètres
de profondeur.
E rance de vie, tous les
neutrons ne sont
comme s’ils étaient prisonniers
d’une bouteille. Compter à dif-
à un peu plus de deux secondes
près ( 2 ) . L’écart entre les
O. Tschauner et al., Science, pas égaux. Ceux qui demeurent férents moments combien il mesures « faisceau » et « bou-
359, 1136, 2018. au sein des noyaux des atomes reste de neutrons à l’inté- teille » est largement supérieur
qui nous entourent jouissent rieur permet de déduire leur aux incertitudes.
d’une vie stable, quasi éternelle. temps de vie moyen. Résultat :
Mais ceux qui sont libres de 877,7 secondes, avec une préci- Sources d’erreurs
Biologie marine
Cette espèce d’anémone étoilée vit accrochée aux rochers des Jérusalem, ont découvert que la composition du venin changeait
fonds marins. Adulte, Nematostella vectensis ne mesure pas plus fortement au cours de sa vie. Pendant sa phase larvaire,
de 2 centimètres. Elle capture de petits poissons ou de petites Nematostella produit un venin protecteur : si elle est avalée par
crevettes à l’aide de son venin, composé de diverses molécules, un prédateur, celui-ci la recrache immédiatement. Lorsqu’elle
des toxines, produites et larguées par des cellules situées sur ses grandit et devient elle-même un prédateur, son venin s’adapte
tentacules. En l’étudiant, des chercheurs de l’Institut Alexander en produisant un type de toxine différent. Mathias Germain
Silberman des sciences de la vie, de l’université hébraïque de Y. Y. Columbus-Shenkar et al., eLife, doi:10.7554/eLife.35014, 2018.
D liards d’années, la
vie sur Terre s’est
nismes aussi anciens n’est pas
une mince affaire. Les cher-
est sans doute lui-même plus
complexe qu’on ne le croyait.
cantonnée à des formes aqua- cheurs ont utilisé les don-
tiques. Le plus ancien fossile de nées de plusieurs centaines de Modélisation du climat
plante terrestre connu, du gènes de plantes pour dresser Ces travaux sont en cohérence
genre Cooksonia, date d’il y a un arbre phylogénétique des avec l’apparition des premiers
420 millions d’années. Mais végétaux terrestres. Ils se sont animaux terrestres, des arthro-
une équipe menée par Philip appuyés sur l’hypothèse de podes. Avant cette étude, la
Donoghue, de l’université de l’horloge moléculaire : si des datation des fossiles animaux
Bristol, au Royaume-Uni, vient mutations génétiques appa- suggérait une apparition en
de faire reculer cette date de raissent à un rythme régulier milieu terrestre antérieure à
plusieurs dizaines de millions au cours du temps, alors plus celle des plantes. « Mais cela
d’années (1) . La première vie on constate de mutations entre semblait surprenant que les
végétale terrestre remonterait deux espèces, plus leur dernier animaux arrivent avant les
au milieu du Cambrien, il y a ancêtre commun est éloigné plantes et ne se nourrissent que
500 millions d’années. sur l’échelle du temps. des maigres bactéries présentes
« À leur apparition, les plantes « L’équipe a également uti- à la surface terrestre », souligne
terrestres mettent en forme lisé des fossiles de plantes pour Marc-André Selosse.
le monde moderne, expose Le plus vieux fossile de plante étalonner l’arbre phylogéné- Cette nouvelle date de nais-
Marc-André Selosse, profes- terrestre connu jusqu’à présent tique : grâce aux plus vieux fos- sance des plantes terrestres
seur du Muséum national était du genre Cooksonia. siles connus pour un groupe n’est pas définitive, mais elle
d’histoire naturelle, à Paris. donné, on estime l’âge d’appa- constitue une grande avan-
Par l’accumulation de leur bio- de l’effet de serre, et donc une rition d’une branche de l’arbre, cée ; les chercheurs devront la
masse et en contribuant à l’al- baisse des températures. Elles explique Marc-André Selosse. prendre en compte pour modé-
tération des roches, les plantes constituent aussi une source de On peut ensuite inférer l’âge de liser le climat de l’époque, par
terrestres font diminuer le nourriture pour les animaux groupes dont on ignore l’an- exemple. Aline Gerstner
dioxyde de carbone atmosphé- terrestres qui colonisent alors cienneté. » De plus, à la base de (1) J. L. Morris et al., PNAS, 115, E2274, 2018.
rique, entraînant une réduction les terres émergées. » l’arbre, il existe trois lignées que (2) M. N. Puttick et al., Curr. Biol., 28, 733, 2018.
Médecine
UN AGENT Santé
DE LA DOULEUR
CHRONIQUE
Insufisance cardiaque :
Des chercheurs
des universités de
la thérapie cellulaire progresse
Montpellier et de Quatre ans après la première greffe de cellules chez des insuffisants cardiaques,
Strasbourg ont mis en la stratégie se confirme et s’affine en démontrant le rôle protecteur des vésicules
évidence l’implication produites par les cellules greffées.
de la molécule FLT3,
produite par les cellules
souches du sang, dans reffer des cellules progénitrices car-
G
100 nm
la mise en place d’une diaques à des malades en insuffisance
douleur chronique. cardiaque semble sûr et faisable. C’est
C. Rivat et al., Nat. Commun., ce que suggèrent les résultats obtenus par un
doi:10.1038/s41467-018-03496-2, essai chez six malades depuis 2014 (1) . L’expéri-
2018. mentation menée par le chirurgien Philippe
Menasché, à l’hôpital européen Georges-Pom-
pidou à Paris, consistait à profiter d’une procé-
dure de pontage coronarien pour transplanter à
des personnes en insuffisance cardiaque (qui ne
530 pouvaient pas être transplantées et ne répon-
daient plus aux traitements), un « patch », sorte
de pansement de cellules progénitrices car-
diaques issues de cellules souches embryon-
MÉDICAMENTS VITAUX naires humaines. Une vésicule extracellulaire, ou exosome, vue en
ont été en rupture Mais si cette stratégie de médecine régénéra- cryomicroscopie.
d’approvisionnement trice peut désormais progresser vers des essais
en 2017, selon l’Agence qui testent son efficacité, d’autres études laissent à des souris opérées pour reproduire une insuf-
nationale de sécurité penser que l’effet cardioprotecteur de la greffe fisance cardiaque et a alors constaté que les vési-
du médicament. pourrait être obtenu autrement. Ce dernier ne cules extracellulaires activent près d’un millier de
serait ainsi pas dû à l’intégration des cellules pro- gènes appartenant à une cinquantaine de voies
génitrices dans le cœur, mais à leur production de signalisation reliées aux fonctions cardiaques
Réseaux sociaux de petites vésicules d’une taille nanométrique, et de régénération cellulaire (2) . En 2018, l’équipe
DES FAKE NEWS les vésicules extracellulaires, naturellement char- française a reproduit ce résultat avec des vési-
ULTRARAPIDES gées en protéines, ARN messagers et micro-ARN. cules issues de cellules progénitrices cardiaques,
Une véritable « Le fait que les vésicules extracellulaires portent dérivées cette fois de cellules pluripotentes
information met six fois les fonctions protectrices des cellules greffées avait induites, un protocole qui permet de s’affran-
plus de temps à atteindre été proposé pour la première fois en 2010, grâce chir des questions éthiques et logistiques que
1 500 personnes qu’une aux travaux de l’équipe de Sai Kiang Lim, à Sin- posent les cellules souches embryonnaires (3) .
fausse nouvelle. C’est ce gapour », souligne Clothilde Théry, chercheuse Si les mécanismes d’action, au niveau molécu-
qui a été constaté par une Inserm à l’Institut Curie et membre fondatrice laire, restent à déterminer, ces résultats suggèrent
équipe du MIT après une des sociétés internationale et française pour les que l’effet cardioprotecteur pourrait être obtenu
LABORATOIRE DU PR MENASCHE, INSERM U 970
étude sur le réseau social vésicules extracellulaires. par l’administration des seules vésicules extra-
Twitter. La faute aux cellulaires. Celles-ci pourraient être injectées par
algorithmes ? Non, ce Technique moins invasive cathéter, une technique bien moins invasive que
sont les utilisateurs De son côté, l’équipe de Philippe Menasché la greffe d’un patch. Aline Aurias
lambda qui réagiraient l’a testé à deux reprises. En 2016, elle a collecté (1) P. Menasché et al., J. Am. Coll. Cardiol., 71, 429, 2018.
de façon émotionnelle. des vésicules extracellulaires issues de cellules (2) A. Kervadec et al., J. Heart Lung. Transplant., 35, 795, 2016.
S. Vosoughi et al., Science, 6380, progénitrices cardiaques, dérivées de cellules (3) N. El Harane et al., Eur. Heart J., doi:10.1093/eurheartj/
1146, 2018. souches embryonnaires. Elle les a administrées ehy012, 2018.
Le prix
du numérique
uand on cherche à établir le d’employés. En avril 2013, l’application de voit bien que ce n’est pas vous qui payez
Q « prix du numérique », c’est vite
la confusion. Les services du
messagerie instantanée WhatsApp comp-
tabilisait 200 millions d’utilisateurs dans
les machines et les salaires des informati-
ciens. » Mesdames et messieurs qui diri-
Web sont souvent gratuits, mais le coût le monde, avec seulement 50 employés. gez de grandes entreprises, relativisez ! Si
d’une usine moderne de microprocesseurs Le logiciel d’un service du Web peut, lui, des ordinateurs font une part importante
peut être astronomique. Le fabricant être reproduit à l’infini à un coût nul. C’est du travail, – disons 80 %, pour 20 % des
taïwanais TSMC vient notamment de lan- un bien non rival – que j’utilise WhatsApp coûts –, ce n’est pas cher, même si cela
cer la construction d’une usine de fabrica- n’empêche personne de faire de même. représente une grosse somme d’argent.
tion de puces de 5 nanomètres – une Reste à construire des fermes de serveurs
miniaturisation extrême des circuits – pré- pour accueillir les données, mais elles sont VOUS POUVEZ néanmoins poser la
vue pour 2020, pour près de 20 milliards de mutualisées entre tous les utilisateurs. Pour question de savoir pourquoi ce coût. Une
dollars ! Pour prendre un autre exemple, Facebook, en 2011, le coût d’exploitation première explication tient aux exigences
quel est le point commun entre la céra- n’était que d’environ 1 dollar par utilisateur de qualité. Quand un service de votre
mique d’une amie, Nathalie Domingo, et téléphone dysfonctionne, c’est souvent
un smartphone sophistiqué ? Le prix. D’un embêtant, mais acceptable. Quand, dans
côté, quelques heures de labeur d’une une transaction bancaire, le bénéficiaire
grande artiste ; de l’autre, les résultats de est crédité, mais que le logiciel oublie de
mois de travail d’une armée de chercheurs Les services débiter le payeur, ça l’est moins. Les entre-
brillants et d’ingénieurs de talent. D’un gratuits du Web prises exigent, à juste titre, un haut niveau
côté, le luxe d’une pièce unique ; de l’autre, de sûreté et de sécurité de fonctionne-
des fonctionnalités extraordinaires. La
ont des coûts ment. La résilience aux pannes (sûreté) et
conception d’un smartphone revient très d’exploitation aux attaques (sécurité) se paie. Une autre
cher mais, comme il est fabriqué massive- modestes ” explication vient de la complexité des
ment dans des usines hyperautomatisées, grandes entreprises. De fait, chacune est
son coût marginal de production très bas mensuel actif (1) . Chaque utilisateur sup- unique. Ainsi, une grande banque exige la
fait qu’il y en a plus de 30 millions en plémentaire apporte plus de profit et, effet conception, le développement, le déploie-
France aujourd’hui. réseau oblige, accroît l’attractivité du ser- ment, la maintenance de logiciels com-
vice. Avec la publicité, les géants d’Internet plexes « sur mesure » de grande qualité.
NOUS NOUS SOMMES également habi- sont assis sur des mines d’or. Comme tout cela est unique, pas question
tués à des services gratuits sur Internet, Dans ce contexte, il faut citer le cas des logi- de mutualiser les coûts. La combinaison
que ce soient des moteurs de recherche, ciels libres ou ouverts. Mis à disposition de « qualité et sur-mesure », cela ne vous rap-
comme Google ou Qwant, des réseaux tous, ils deviennent en quelque sorte des pelle pas la haute couture ? Quand le direc-
sociaux, par exemple Facebook, ou des « biens communs ». Ce modèle se déve- teur des systèmes d’information vous pré-
services de musique, tel Deezer. Acces- loppe réellement : les serveurs du Web sentera une note un peu salée, pensez que
sibles quel que soit le niveau de revenu sont souvent des logiciels ouverts, comme vous vous offrez du Dior ou du Chanel… n
de l’utilisateur, ces services géniaux sont nombre d’outils de programmation utilisés (1) tinyurl.com/utilisateur-Facebook
INRIA / PHOTO C. LEBEDINSKY
protéines jouent un second la maladie de Parkinson, on observe que développement des symptômes moteurs.
rôle. « Elles sont capables de les neurones concernés sont rajeunis, leur Il reste à connaître les efets sur l’homme.
s’échapper de la cellule qui les
258 3 questions à
Horst Hippler, président de la Conférence
des recteurs d’université allemands (HRK)
START-UP sont issues des
sociétés d’accélération du
transfert de technologies
« Créer des réseaux
(Satt) depuis 2011. Ces d’excellence
structures de droit privé, nées
dans le giron des universités et
européens »
des organismes de recherche, Quel bilan tirez-vous du
sont aujourd’hui au nombre rapprochement des systèmes d’études
de 14. Elles revendiquent supérieures européens initié en 1998,
10 000 projets détectés qui fera l’objet d’une conférence
au sein des laboratoires. ministérielle en France en mai 2018 ?
L’idée initiale était d’accroître la mobi- jour. Ils ne devraient pas seulement por-
lité des étudiants. En chiffres absolus, elle ter sur l’enseignement, mais aussi sur la
a augmenté, mais pas en chiffres rela- recherche et l’innovation. Le processus a
tifs puisque le nombre d’étudiants s’est aussi besoin d’être soutenu par les profes-
accru… Le deuxième objectif était de per- seurs, parce qu’en ne visant que l’ensei-
Nominations
2,25 % Élisabeth Kohler devient d’évaluer la prise en compte access au sein du Centre
directrice de la Mission pour la du genre dans la politique européen de stratégie
place des femmes au CNRS. du CNRS et de promouvoir politique, dont l’objectif est de
CET INDICATEUR de l’effort Cet observatoire est chargé l’égalité femmes-hommes au rendre disponibles en accès
ROLF SCHULTEN/ULLSTEIN BILD /GETTY IMAGES - DR
de recherche, publié par d’impulser, de conseiller et sein des instituts de recherche. libre les publications
l’OCDE, montre que la France Le Français Jean-Éric scientifiques financées sur
y contribue davantage depuis Paquet prend la place de fonds publics d’ici à 2020.
2007, même si elle afiche Robert Jan-Smits au poste Alioune Fall devient
une diminution qui coïncide de directeur général de la président du conseil
avec un changement recherche et de l’innovation scientifique du Cirad. Il est
méthodologique. Elle reste de la Commission européenne. également directeur de l’Institut
cependant loin de l’objectif Ce dernier a été nommé sénégalais de recherches
européen des 3 %. Élisabeth Kohler ambassadeur pour l’open agricoles depuis 2013.
sion de connaissances (aux étudiants, aux nisme public travaillera notamment sur Talents prometteurs 2018
chercheurs, mais aussi aux industriels) le « digestat », matière issue de la métha- de L’Oréal-Unesco pour
sur ces bases de données décentralisées nisation et destinée à l’épandage agricole. les femmes et la science.
sin de paillasse. Allant vite en besogne, mais, faute d’intérêt pour des substances de l’Institut Gaston-Berger financée par Saint-Gobain.
La science des
ÉMOTIONS
TATE PHOTOGRAPHY/TATE, LONDRES, DIST. RMN-GRAND PALAIS © SUCCESSION PICASSO 2018
La Recherche Quand est née la David J. Anderson Cela dépend la clé de l’expression des émo-
« neuroscience de l’émotion », de la façon dont vous définis- tions, ce qui peut sembler évident
qui est aussi le titre du livre sez la neuroscience. Je pense rétrospectivement, mais qui ne
que vous allez publier ? que Ralph et moi-même voyons l’était pas pour beaucoup de gens
Ralph Adolphs L’idée que les cette question sous l’angle de à l’époque. Une autre avancée
émotions constituent un phéno- nos sous-domaines respectifs et majeure fut la démonstration, par
mène distinct des autres types des organismes vivants que nous le neuroscientifique suisse Walter
d’événements mentaux a une très étudions, qui sont très différents. Hess en 1928, qu’une stimulation
longue histoire en psychologie et Selon moi, la première considé- cérébrale spécifique provoque une
en philosophie. Déjà, dans l’Anti- ration neuroscientifique sérieuse réponse émotionnelle spécifique.
quité, Aristote avait distingué les concernant l’émotion nous vient En stimulant l’hypothalamus
émotions – qu’il appelait les « pas- de Charles Darwin et de sa mono- d’un chat, il avait montré que ce
sions » – du raisonnement. Cepen- graphie L’Expression des émotions dernier devenait soudainement
dant, la neuroscience de l’émotion, chez l’homme et les animaux, « enragé ». Plus tard au XXe siècle,
parfois aussi baptisée neuro- publiée en 1872. Darwin consi- Ralph Adolphs et les scientifiques ont commencé
science affective, est très récente. dérait le système nerveux comme David J. Anderson, The à étudier plus systématiquement
Neuroscience of Emotion, les régions du cerveau impliquées
Princeton University Press, dans les réactions de peur condi-
Contexte L’étude des émotions constitue un champ de à paraître le 12 juin 2018, tionnée. Aujourd’hui, il existe de
recherche commun à la psychologie et aux sciences cognitives. 376 p., 37,95 £. nombreuses techniques nouvelles
L’arrivée des techniques d’imagerie cérébrale a fait se rencontrer ces et efficaces permettant de mesurer
disciplines autrefois cloisonnées, chacune ayant ses traditions, son et de manipuler l’activité cérébrale
vocabulaire et ses approches spéciiques. Le livre The Neuroscience lors d’expositions émotionnelles
of Emotion est une tentative d’uniier ces traditions et de créer les chez les animaux de laboratoire.
fondations d’une nouvelle science des émotions. R. A. D’ailleurs, bon nombre des
concepts actuels étaient tout
simplement hors de portée avant subjectives, conscientes, des en étudiant toutes les espèces.
que n’apparaissent des techniques « sentiments ». Nous soutenons Toutefois, il y a des gens qui sont
(*) L’optogénétique
avancées pour étudier les émo- que non, car cela exclurait de en total désaccord avec nous.
est une méthode qui permet
tions d’un point de vue neuro- fait les animaux des travaux sur de rendre des neurones R. A. C’est la raison pour laquelle
scientifique. L’optogénétique (*) l’émotion, puisque nous n’avons sensibles à la lumière. nous avons écrit le livre. David et
ou l’imagerie cérébrale fonction- aucun moyen de savoir s’ils ont De quoi stimuler moi en avons eu assez de ce que
nelle par résonance magnétique des sentiments subjectifs ou pas. spécifiquement un type nous lisions sur les émotions.
(IRMf) sont deux méthodes qui ont Or nous en sommes convain- cellulaire en laissant D. J. A. Nous nous sommes assis
les autres intacts.
explosé dans la dernière décennie cus : nous avons beaucoup à au Café at Broad [un café près
seulement. Dans son acception apprendre sur les émotions de leurs laboratoires sur le cam-
moderne, je pense vraiment que pus de Caltech, ndlr] où nous
la discipline est toute nouvelle. avons commencé à esquisser des
modèles, des idées sur la façon
Qu’est-ce qu’une émotion ?
D. J. A. Il n’y a pas de consen-
Nous avons beaucoup de construire les principes fon-
sus sur cette question. En par- à apprendre en étudiant dateurs d’une science de l’émo-
ticulier sur le fait que les émo- tion. Notre livre a été conçu en
toutes les espèces ”
CALTECH
le terrain. Nous voulions de caractéristiques correspon- la manière dont elles sont physi-
proposer un cadre commun que dant à des dimensions telles que quement constituées. Nous pro-
psychologues et neurobiologistes l’intensité, la valence (négative ou posons qu’elles soient étudiées
pourraient utiliser. positive), le temps durant lequel comme des fonctions qui ont évo-
Dans la littérature scientiique, elles persistent, etc. (Fig. 1) lué et qui ont permis aux espèces
il est pourtant souvent question D. J. A. Le but est de donner au lec- (animaux ou humains) de s’adap-
d’émotions « primaires » : teur des informations et un cadre ter et donc de survivre dans des
la joie, la colère, la peur, pour réfléchir au sujet. Nous uti- conditions spécifiques. Mais ces
la tristesse, la surprise lisons le terme « émotions » pour fonctions doivent être décou-
et le dégoût. désigner des « états internes » qui vertes, elles ne peuvent pas sim-
D. J. A. L’idée que ces six émo- engagent le cerveau et le corps. Au plement être postulées en tant
tions particulières soient « pri- sein d’une même espèce, ces états que définitions.
maires » doit être révisée. Les possèdent certaines propriétés D. J. A. Il y a certaines fonctions
émotions existaient bien avant générales communes. De la même assez évidentes : fuir un préda-
qu’il y ait des mots pour les nom- façon, des états internes donnés teur – l’émotion associée serait
mer, et le langage courant n’est possèdent des propriétés générales donc la peur –, éviter l’ingestion
pas adéquat pour les caractéri- communes à différentes espèces. d’un aliment empoisonné – l’émo-
ser. Néanmoins, je suis d’accord Ils ont des fonctions importantes, tion associée serait le dégoût. Mais
avec certains scientifiques, tel le notre livre traite des émotions en
regretté neurobiologiste estonien général, pas de leur nombre exact
Jaak Panksepp [mort en avril 2017, La signification ou des noms que nous devrions
ndlr]. Il soutenait qu’il existe cer- leur donner.
tains états émotionnels fonction- de la peur doit être révisée Selon vous, quand les émotions
nels de base, conservés à travers
les espèces, qui sont essentiels à
et affinée ” seraient-elles apparues ?
R. A. L’idée de base est qu’elles
la survie. Mais la façon dont nous Ralph Adolphs, professeur de psychologie à Caltech sont nées au cours de l’évolu-
les nommons est juste une affaire tion, lorsque les réflexes simples
de sémantique. qui sont d’aider les organismes n’étaient plus suffisants à la sur-
R. A. Il est en effet peu probable à prendre des « décisions » cri- vie des espèces. En résumé,
qu’un mot particulier, utilisé pour tiques pour leur survie et pour leur lorsque de meilleures capaci-
décrire une émotion, corresponde reproduction. tés d’apprentissage, de prise en
à une catégorie scientifique. En Vous avez donc une vision compte du contexte et de flexibi-
fait, nous plaidons pour une évolutionniste des émotions ? lité dans les comportements ont
vision dimensionnelle des émo- R. A. Oui. Nous mettons l’ac- été nécessaires.
tions, qui permettrait de mieux cent sur une vision fonctionnelle D. J. A. Je considérerais les émo-
les caractériser. Plutôt que de leur des émotions. Selon nous, elles tions comme une invention évo-
donner un nom, nous proposons doivent être analysées en fonction lutive qui se situerait quelque part
de les définir au moyen d’une liste de ce qu’elles produisent et non de entre les réactions réflexes et le
traitement cognitif complexe (la
pensée et le raisonnement). Les
émotions dotent les animaux d’un
« faisceau » de réponses comporte-
mentales à des situations particu-
lières, qui peuvent être rapidement
déployées sans que le sujet passe
trop de temps à penser aux coûts et
aux avantages d’une décision don-
née. Comme le dit Ralph, les com-
portements compris dans ce fais-
ceau sont flexibles : un animal peut
SPL/COSMOS
Ces gravures montrant des expressions faciales et des postures humaine et animales sont tirées « choisir » de s’immobiliser ou de
de l’ouvrage de Charles Darwin L’Expression des émotions chez l’homme et les animaux (1872). s’enfuir lorsqu’il voit un prédateur.
L’analyse de l’expression considérable sur notre sur le rôle des émotions dans
faciale n’est-elle pas aussi un cognition, en particulier sur la la prise de décision ?
bon moyen d’étudier l’émotion ? prise de décision. Comment les R. A. Il suggérait que la prise de
R. A. Il est vrai que nous attribuons scientiiques en sont venus à décision complexe – et particu-
facilement des émotions aux cette nouvelle conception ? lièrement sociale – nécessite ce
gens à partir de leurs expressions R.A. L’un des principaux jalons mécanisme utilisant ce qu’il a bap-
faciales. Cependant, nous avons est le livre L’Erreur de Descartes, tisé des « marqueurs somatiques ».
souvent tort ! Elles ne sont certai- publié en 1994 par mon mentor Le principe est le suivant : lorsque
nement pas un diagnostic fiable Antonio Damasio. Il a soutenu, l’on prend une décision, on en éva-
des émotions. Chez les humains, sur la base de découvertes scien- lue au préalable les conséquences.
il existe de nombreuses causes tifiques faites grâce à des patients On imagine le résultat. Ce dernier
d’expressions faciales autres que atteints de lésions au niveau du est associé à une valence (positive
des émotions. Par exemple, un cortex préfrontal, que les émo- ou négative), qui est encodée dans
acteur peut reproduire l’expres- tions sont absolument néces- le cerveau comme un état futur de
sion faciale de son choix. Chez les saires à la prise de décision. notre corps. Cette représentation
animaux, nous ne savons généra- D. J. A. La prise de décision n’est interne constitue le marqueur
lement pas ce qu’elles signifient. pas un processus unitaire. Pour somatique. Or nous prenons les
D. J. A. Elles jouent néanmoins un utiliser une analogie, on pourrait (*) La
mémoire décisions pour lesquelles nos mar-
rôle important dans le compor- penser qu’une prise de décision
déclarative concerne queurs somatiques indiquent que
notre capacité à stocker
tement social. Nous, et d’autres est contrôlée par un ensemble et à récupérer de façon nous nous sentirons le mieux.
animaux, communiquons avec complexe d’engrenages et que intentionnelle des Avons-nous aujourd’hui une
d’autres membres de notre espèce les émotions ne seraient qu’une informations factuelles, bonne compréhension de la
– et même avec d’autres espèces – couverture jetée sur ces derniers, relatives à des expériences façon dont nos émotions
vécues ou à des concepts
à travers nos expressions faciales, et donc une entrave à leur bon affectent nos décisions ?
appris.
nos vocalisations et notre posture. fonctionnement. Au contraire, D. J. A. Je dirais que le champ
On pourrait avancer le fait que la la prise de décision peut suivre ne fait que s’ouvrir. Tout ce que
manifestation des émotions à tra- plusieurs voies, l’une affective et nous savons, c’est que les émo-
vers les expressions faciales serait l’autre cognitive, chacune ayant tions influencent les décisions.
apparue au cours de l’évolution ses propres ensembles d’engre- Mais nous ne savons pratique-
avec la vision binoculaire, c’est-à- nages. Selon la situation, notre ment rien des détails. Comme
dire chez les animaux dont les yeux cerveau arbitre et doit décider je l’ai mentionné, certaines per-
se situent sur le devant de la tête, lesquels utiliser. sonnes soutiennent qu’il existe
et non sur les côtés comme c’est le Pouvez-vous dire un mot de différents types de processus
cas chez les oiseaux, les poissons la théorie d’Antonio Damasio décisionnels impliquant diverses
ou les baleines… De fait, si deux
organismes dotés d’une vision
binoculaire se font face, il est iné-
Fig. 1 Les sept caractéristiques de l’émotion
vitable qu’ils détectent chez l’autre
des changements dans l’arrange-
ment des muscles faciaux. PERSISTANCE AUTOMATICITÉ
INTENSITÉ
R. A. Un bon exemple de la fonc- Un état émotionnel dure Le contrôle des comportements dépend
Une émotion peut
dans le temps et peut de processus émotionnels ou volontaires.
tion sociale des expressions émo- varier en intensité.
donc affecter la cognition Les premiers sont prioritaires sur les
tionnelles est le sourire. La psy- et le comportement. seconds. Une spéciicité des humains
VALENCE En cela, il se distingue par rapport à d’autres animaux est leur
chologue Paula Niedenthal et Une émotion peut d’un rélexe. capacité, bien supérieure, à réguler leurs
son équipe, de l’université de être positive ou émotions et donc leurs comportements.
négative.
Wisconsin-Madison, aux États-
INFOGRAPHIE : MURIEL SEISSER
Vaincre la peur
traumatique
La terreur ressentie lors d’un événement violent peut mener à un état de stress
post-traumatique. Les personnes sont alors sujettes à des reviviscences brutales de
leur traumatisme et ne peuvent plus vivre normalement. De nouveaux protocoles
de soins sont aujourd’hui déployés à grande échelle. Le principe ? Atténuer
l’émotion liée au souvenir grâce à la prise d’un médicament : le propranolol.
Q
le 11 septem- mars ou crises éveillées), elles stress post-traumatique à l’Institut
bre 2001 ? Les revivent et ressentent une peur qui Douglas et professeur au départe-
personnes s’apparente à celle vécue durant ment de psychiatrie de l’université
interrogées l’événement. Et elles n’ont aucun McGill, au Canada. Or la particu-
ont souvent
un souvenir très détaillé de cette
journée. Elles se rappellent le lieu
contrôle sur leur survenue. Un
indice associé au souvenir suffit à
provoquer ces flashs : une odeur,
3,5 % larité des souvenirs traumatiques
est qu’ils ne s’atténuent pas. L’émo-
tion de peur liée au traumatisme
où elles étaient, ce qu’elles faisaient un son, une couleur. Progressi- reste intacte. »
et les émotions qu’elles ont ressen- vement, cela les amène à éviter
ties quand elles ont appris la nou- certaines situations ou certaines DES ADULTES Pathologie de la mémoire
velle des attentats. Ces « souvenirs personnes qui pourraient leur rap- sont touchés par Ce trouble est aujourd’hui éga-
flash », dont l’existence a été mise peler l’épisode traumatique. le trouble de stress lement identifié comme une
au jour en 1977 par les psycholo- Bien entendu, il est tout à fait nor- post-traumatique pathologie de la mémoire. Lors-
gues américains Roger Brown et mal, pour une victime, de revivre la aux États-Unis. qu’on mémorise un événement,
James Kulik, se forment lors d’un peur ressentie au moment de l’évé- le souvenir qui lui est associé
événement public marquant. nement. Mais lorsque ces revivis- contient deux parties : une com-
Mais qu’en est-il des victimes et cences perdurent plusieurs mois posante contextuelle et une com-
des témoins directs de tels évé- après les faits, c’est que la per- posante émotionnelle. La pre-
nements ? Ils peuvent développer sonne a développé un TSPT. « De mière concerne le moment et le
ce que l’on appelle un trouble de fait, la destinée normale d’un sou- lieu de l’événement, mais aussi les
stress post-traumatique (TSPT), venir émotionnel est de s’émous- odeurs, les sons perçus. La seconde
qui peut également survenir après ser avec le temps, explique Alain concerne les émotions éprouvées
un viol, une agression physique ou à ce moment-là. Ces deux compo-
un accident brutal. santes sont gérées par deux struc-
Selon l’Association américaine
Contexte Le concept de « trouble de stress tures cérébrales distinctes qui
de psychiatrie, 3,5 % de la popu- post-traumatique » (TSPT) est apparu au début des communiquent entre elles : l’hip-
lation adulte aux États-Unis années 1970, en référence aux séquelles psychologiques pocampe et l’amygdale. « Chez les
est aujourd’hui touchée par ce des combattants américains revenus du Vietnam. Le patients en état de TSPT, il y a ce
trouble. Les personnes qui en TSPT a ensuite été élargi notamment aux violences que l’on appelle une “surmémo-
sont atteintes connaissent des sexuelles. Il a été inscrit oiciellement, en 1980, au risation” de l’information émo-
épisodes de reviviscence intense Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. tionnelle, détaille Pascal Roullet,
de leur traumatisme. Lors de ces neuroscientifique spécialisé dans
les mécanismes de la mémoire et contraignant pour les patients, que la majorité des gens ayant
du stress post-traumatique à l’uni- mettant en jeu la prise d’un bêta- suivi le protocole en ont retiré des
versité Paul-Sabatier, à Toulouse. bloquant – le propranolol – déjà bénéfices. Et que certains sont
L’information contextuelle est connu et utilisé contre l’hyperten- même en rémission complète.
alors liée à une information émo- sion. En janvier dernier, il a publié
tionnelle disproportionnée. Quand les résultats d’un essai clinique, Lecture à voix haute
on observe par résonance magné- démontrant une efficacité de ce Le principe ? On demande aux
tique fonctionnelle [IRMf] le cer- protocole dans 70 % des cas (1) . patients de mettre par écrit le
veau de patients atteints de TSPT, souvenir à l’origine de leur trau-
on constate d’ailleurs une suracti- matisme, en détaillant ce qu’ils
vation de l’amygdale, témoignant ont ressenti. Une fois par semaine
d’une charge émotionnelle trop
La destinée d’un pendant six semaines, ils lisent
importante (Fig. 1) . » Avec le temps, souvenir émotionnel est de ensuite ce texte à voix haute lors
l’activité de l’amygdale devrait de consultations d’une quin-
diminuer, mais ce n’est pas le cas s’émousser avec le temps ” zaine de minutes. Une heure et
chez les personnes atteintes de Alain Brunet, psychologue à l’université mcGill demie avant chaque lecture, les
Antoine Antoniol/Getty imAGes/AFP
tré, pour la première fois chez la de Paris MEM primer. Une fois réactivée, l’infor- est que, dans notre étude en double
souris, que le propranolol détériore au 01 42 16 15 35. mation contenue dans nos sou- aveugle, les patients sous placebo
spécifiquement la mémoire émo- venirs peut être modifiée, avant qui ont suivi la même procédure que
tionnelle (2) . En 2003, Alain Brunet d’être reconsolidée, puis restockée. ceux sous propranolol présentent
et l’équipe de Guillaume Vaiva, chef « Lorsque le patient lit le compte- eux aussi une forte diminution des
du service de psychiatrie du CHU rendu de son traumatisme, le symptômes du TSPT, révèle Pascal
Roullet. Cela signifie que ce qui est Le médicament serait donc essen- prendre fin au mois de juin (lire
important pour réduire la charge tiel pour stabiliser l’amélioration p. 48). Le but ici n’est plus de prou-
émotionnelle d’un souvenir trau-
matique semble davantage lié à la
de l’état des malades à long terme.
Avant la publication ou la présen-
2/3 ver l’efficacité du protocole, mais
de le mettre en œuvre, de montrer
procédure de réactivation/reconsoli- tation de ces résultats cliniques, qu’il peut être utilisé dans la pra-
dation qu’au produit. » Une conclu- Alain Brunet travaillait déjà avec tique clinique courante, qu’il per-
sion que les chercheurs tiennent à Bruno Millet, psychiatre à l’hôpi- met une économie de moyens et
nuancer, dans la mesure où les tal de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. DES PATIENTS qui de ressources, et que l’interven-
patients sous placebo atteints des Depuis septembre 2016, dans le suivent le protocole tion, tout aussi efficace, est plus
troubles les plus sévères sont sujets cadre du projet Paris Mémoire vive de réactivation/ rapide que les autres.
à des rechutes. Ils constatent ainsi (ou Paris MEM), ils déploient le reconsolidation Pour Alain Brunet, l’objectif est
un taux de rechute de 25 % chez protocole auprès des victimes des sous propranolol aussi d’attester que l’on peut enfin
les patients sous placebo, contre attentats de 2015. Le recrutement guérissent. intervenir sur des catastrophes de
0 % chez ceux sous propranolol. est toujours en cours et devrait masse. « En 2001, j’avais ressenti
une grande impuissance en tant
que clinicien, témoigne-t-il. À la
C
haque jour, nous normaux et pathologiques. Il est ne sont pas des modules indé-
réagissons à un ainsi apparu que notre système pendants, mais interagissent en
flux important limbique (*) – et en particulier permanence. Les processus émo-
de stimuli pro- l’amygdale –, longtemps considéré tionnels et cognitifs sont donc liés.
1 2
venant de notre comme notre cerveau émotionnel, Mais quelle est la nature de ce lien ?
PSYCHOLOGUE environne- communique très fortement avec Comment nos émotions affectent-
ET NEUROLOGUE ment. Notre cerveau intègre ces les régions corticales, considérées elles nos capacités cognitives ?
Professeur de
informations sensorielles et, en jusque-là comme notre cerveau Ces questions sont au cœur des
psychologie, David
conséquence, produit des com- cognitif. Ce résultat a deux consé- « sciences affectives », nées il y a
Sander (1) s’intéresse
aux mécanismes
portements complexes pour que quences particulièrement intéres- une vingtaine d’années, et dont
impliqués dans le nous nous adaptions au mieux santes. D’une part, il suggère que le l’université de Genève s’est fait
déclenchement de à diverses situations. Quel rôle cerveau émotionnel n’est pas res- une spécialité, avec la création, dès
l’émotion et à leurs joue l’émotion dans notre façon treint au système limbique, mais 2005, d’un centre national de com-
effets sur le d’y réagir ? Les techniques d’ima- mobilise un large réseau distribué pétence sur les émotions et autres
comportement. gerie cérébrale, couplées à des dans tout le cerveau, y compris ses processus affectifs.
Professeur à la expériences comportementales, réseaux corticaux. D’autre part, il
faculté de médecine ont affiné notre compréhen- montre que le « système émo- Événement déclencheur
de l’université de sion des processus émotionnels tionnel » et le « système cognitif » Encore faut-il en préciser les
Genève, Patrik
termes. En effet, « chacun sait
Vuilleumier (2) étudie
ce qu’est une émotion, jusqu’à ce
en particulier les Contexte Depuis Platon, émotion et cognition ont souvent qu’on lui demande d’en donner
bases cérébrales
des émotions, de été considérées comme des forces opposées dans l’esprit humain. une définition. » C’est le paradoxe
la perception visuelle, Depuis les années 1990, les études en imagerie cérébrale et la re- relevé en 1984 par Beverley Fehr
de l’attention et cherche auprès de patients cérébrolésés ont fortement remis en et James Russel, alors psycholo-
de la conscience. cause cette vision. Ainsi, des personnes atteintes de lésions dans gues à l’université de la Colombie-
des structures cérébrales impliquées dans l’émotion peuvent pré- Britannique, à Vancouver. Depuis,
senter non seulement des troubles émotionnels, mais aussi cognitifs. les sciences affectives ont vu naître
plusieurs modèles de l’émotion.
DR
relatif aux couleurs, à la forme a associé une lumière rouge à un réseaux cérébraux pour attribuer
et aux autres caractéristiques du choc électrique, alors elle conserve au stimulus une valeur de dan-
portefeuille. Cette forme d’atten- la mémoire de cette association ger et activer les régions motrices
tion mobilise les régions parié- négative et permet au cerveau dans qui produisent une action (sur-
tales et frontales du cerveau. Les son ensemble de considérer la cou- saut, immobilisation, fuite…). Elle
premières créent le but : retrou- leur rouge comme pertinente et d’y informe l’hypothalamus, qui va
ver le portefeuille. Les secondes réagir de manière adaptée. En clair, engendrer une modification de la
permettent une représentation selon la pertinence d’un stimulus, respiration, une augmentation du
interne de cet objet et préparent l’amygdale peut déclencher – ou rythme cardiaque et une sécrétion
le système visuel pour le rendre non – une série de réactions. d’hormones du stress. Elle inhibe
sensible aux caractéristiques spé- Car cette structure cérébrale est aussi l’activité de certaines régions
cifiques de l’objet perdu. La pré- un véritable chef d’orchestre. préfrontales, interrompant ainsi
sence du portefeuille dans le Elle est connectée à de nom- l’attention volontaire.
champ visuel engendre ainsi une breuses aires cérébrales corti- Par ailleurs, les neurones amyg-
réponse neuronale beaucoup plus cales et sous-corticales, notam- daliens vont envoyer une infor-
forte que tout autre objet. ment les régions motrices, les mation en retour vers les neu-
régions préfrontales, ou encore rones des régions visuelles. Cela
Véritable chef d’orchestre l’hypothalamus et le tronc céré- va amplifier la réponse du sys-
L’attention émotionnelle est d’un bral, tous deux impliqués dans tème visuel et améliorer ainsi la
autre ordre. Lorsque l’on perçoit un le contrôle de la sécrétion d’hor- perception et l’attention. Résul-
stimulus émotionnel, ce n’est pas mones, la respiration et le rythme tat : dès que l’ours apparaît dans
le système attentionnel du cor- cardiaque. Mieux, l’amygdale peut votre champ de vision, alors le pre-
tex préfrontal qui est directement commander directement l’activité mier but – rechercher votre por-
mobilisé, mais l’amygdale, dont de ces régions. Par exemple, lors- tefeuille – est abandonné, votre
la fonction principale semble être qu’elle évalue un stimulus néga- attention se focalise sur l’ours et
d’associer une valeur affective à tif comme pertinent – un ours qui vos comportements seront modi-
un objet ou à un stimulus. Si, dans apparaît devant vous –, elle est fiés en fonction de cette nou-
une expérience passée, l’amygdale capable d’interagir avec d’autres velle situation.
l’odorat ou l’audition. La prosodie tention dès lors qu’ils ont préala- l’activité de l’hippocampe, favo-
du langage (la mélodie de la voix) blement été associés à une odeur risant une bonne consolidation
joue par exemple un rôle crucial : agréable (4) . D’autres études se de la mémoire. Enfin, la récupé-
une voix qui exprime la colère est sont également interrogées sur la ration correspond au rappel du
plus saillante qu’une voix neutre et capacité de la nourriture à capter souvenir. Or plus un souvenir
est émotionnellement fort, La résilience du cerveau est par rapport aux volontaires soumis
plus il est vivace. Il existe néan- à des clips neutres. Au contraire,
moins un débat scientifique pour liée à la capacité de chacun les volontaires soumis à un clip
savoir si, et dans quelles condi- positif avaient davantage tendance
tions, les individus mémorisent
à réguler ses émotions à attribuer des émotions posi-
mieux ou non les détails contex- tives à ces mêmes images repré-
tuels d’un souvenir émotionnel pour étudier ce que l’on appelle sentant des expressions faciales
que ceux d’un souvenir neutre. « l’état de repos », c’est-à-dire ambiguës. L’inertie émotionnelle
Les difficultés à se rappeler ces l’activité cérébrale au repos. Cette et les changements de configura-
détails pourraient s’expliquer par technique constitue un moyen tion dans le cerveau biaisent donc
le fait que, dans le cerveau, les unique d’étudier l’activité dyna- les jugements et les prises de déci-
éléments contextuels (où, quand, mique spontanée des réseaux neu- sion. Et ces effets sont accentués
comment) sont codés séparément ronaux. Lorsque vous ressentez 5 chez les personnes anxieuses
6
des éléments émotionnels : les une émotion, l’amygdale participe ou dépressives (7) .
premiers dépendent surtout d’un à une modification de l’état global 3 Toutes ces études montrent à quel
codage lié à l’hippocampe, alors du cerveau. Cette nouvelle confi- 4 point l’activité du cerveau est
que les seconds dépendent sur- guration met quelques minutes 2 modulée par les processus émo-
tout d’un codage lié à l’amygdale. à revenir à son état de départ, un 1 tionnels, mais aussi à quel point
Comme cette dernière contribue phénomène que nous avons bap- il est capable de revenir à son état
fortement à la récupération des tisé « l’inertie émotionnelle ». La peur engendre de départ. Cette résilience du cer-
souvenirs émotionnels, cela expli- Tant que le cerveau ne revient pas une activation de veau, sans doute liée à la capacité
querait pourquoi on se souvient à sa configuration initiale, nos per- l’amygdale (1), qui des individus à réguler leurs émo-
tant des informations émotion- ceptions, jugements ou prises de active l’hypothalamus tions, s’annonce donc comme
nellement saillantes, mais moins décision sont modulés par l’épi- (2), et les cortex une piste intéressante pour mieux
cingulaire (3), visuel
des informations de contexte, sode émotionnel que nous venons comprendre certaines pathologies
(4), préfrontal (5)
plus neutres (6) . de vivre. Pour le montrer, nous telles l’anxiété ou la dépression, ou
et pariétal (6). Ces
avons diffusé à des volontaires régions modulent la pour évaluer l’efficacité d’inter-
Temps d’inertie installés dans une IRM des clips sécrétion d’hormones ventions thérapeutiques. n
L’émotion a donc une emprise très vidéo au contenu négatif, positif du stress, l’état d’éveil,
(1) P. Vuilleumier, Trends Cogn. Sci., 9, 585, 2005.
forte sur la cognition et sur notre ou neutre. Immédiatement après, l’attention, la prise de
cerveau. Mais pendant combien on leur demandait de classer des décision, la perception (2) P. Vuilleumier et al., Nat. Neurosci.,
7, 1271, 2004.
de temps ? Un champ de recherche images représentant différentes et la mémoire.
(3) T. Brosch et al., Emotion, 7, 685, 2007.
actuel étudie justement les traces expressions faciales dans diverses
(4) E. Pool et al., Cognition, 130, 348, 2014.
laissées par les expériences émo- catégories émotionnelles, variant
(5) E. Pool et al., Psychol. Bull., 142, 79, 2016.
tionnelles dans nos circuits céré- de la peur à la joie. Résultat : les
(6) A. Montagrin et D. Sander,
braux et évalue les conséquences volontaires soumis au clip néga- Behav. Brain Sci.,
sur nos comportements. Il fait tif avaient davantage tendance à doi:10.1017/S0140525X15001879, 2016.
appel à l’imagerie par résonance attribuer des émotions négatives (7) E. Qiao-Tasserit et al., Plos One,
magnétique fonctionnelle (IRMf) aux expressions faciales ambiguës, 12, e0171375, 2017.
Hors-série n° 25, La Cognition, Folio, 2018. Neuroscience, Cambridge psychotraumas, dont la mission Le laboratoire E3 Lab, à
mars-avril 2018, p. 89. n Francis Eustache, Mémoire University Press, 2013. est de développer des interactions l’université de Genève.
n M.-L. Théodule, « Nos et Émotions, Le Pommier, 2016. n Antonio Damasio, L’Erreur entre recherche clinique et n affective-sciences.org
émotions modulent notre n David Sander et Klaus Scherer, de Descartes, Odile Jacob, 2010. recherche fondamentale Le site du Swiss Center
mémoire », Hors-série n° 22, Traité de psychologie n Joseph LeDoux, Le Cerveau des autour du trouble de stress for Afective Sciences.
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QUÊTE SUR LA
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19/03/2018 16:1
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itteraire.com
Parmi la multitude d’étoiles de
la Voie lactée, on a tracé sur cette
photographie l’orbite de Proxima
autour d’Alpha du Centaure et, à
droite, la constellation de la Croix
du Sud, comme point de repère.
J
ohannesbourg, Afri- observations supplémentaires l’une de l’autre (A et B) et similaires
que du Sud, octobre permettent de mesurer la dis- au Soleil, et Proxima Centauri, une
1915. En comparant tance de cette nouvelle venue, qui naine rouge beaucoup plus petite
deux plaques pho- apparaît légèrement plus proche que notre étoile, sont en réalité liées
1 2
tographiques prises qu’Alpha Centauri. L’astre, baptisé par la gravitation et constituent
à cinq ans d’inter- Proxima du Centaure – ou Proxima un système stellaire triple. C’est
valle d’une région voisine d’Alpha Centauri – par Robert Innes lui- en effet la meilleure façon d’ex-
du Centaure – ou Alpha Centauri –, même, détrône alors sa voisine pliquer pourquoi ces trois étoiles
qui détient alors le statut d’étoile la au titre d’étoile la plus proche du 3 de la constellation du Centaure,
plus proche du Soleil, l’astronome Système solaire. ASTROPHYSICIENS situées à respectivement 4,37 et
ESO/SErgE bruniEr/Frédéric TapiSSiEr/piErrE KErvElla - dr
écossais Robert Innes découvre Mais, au-delà du record, les astro- Pierre Kervella (1) 4,24 années-lumière – un peu plus
une autre étoile, à la luminosité nomes soupçonnent très vite est astronome à de 40 000 milliards de kilomètres –
très faible, qui semble se déplacer qu’Alpha Centauri, composée en l’Observatoire de de la Terre ont le même mouve-
Paris (Lesia). Frédéric
dans la même direction (1) . Des fait de deux étoiles très proches ment apparent sur la sphère céleste
Thévenin (2) est
directeur de recherche
et se trouvent toutes dans un petit
volume d’espace.
Contexte Depuis sa découverte en 1915, les astronomes
CNRS à l’Observatoire
Cela ne constitue pas pour autant
de la Côte d’Azur, à
soupçonnaient Proxima de former un système stellaire triple avec Nice. Christophe une preuve. Plusieurs tentatives ont
les étoiles Alpha Centauri A et B. Des observations viennent enin Lovis (3) est maître eu lieu depuis pour démontrer ce
de le démontrer. Ce résultat permet du même coup de donner un d’enseignement lien avec certitude, mais jusqu’ici
et de recherche
âge à l’étoile la plus proche du Soleil et, avec elle, à sa planète sans succès. Pour la première fois,
à l’Observatoire
potentiellement habitable, Proxima b, détectée récemment.
de Genève.
grâce à des observations menées
à l’observatoire européen de
Astrophysique
La Silla, au Chili, nous avons connues avec une précision relative déplacements apparents dans cha-
prouvé que les trois astres for- meilleure que 0,1 %. On peut ainsi cune des trois directions de l’espace :
ment bien un système unique, au en déduire que la distance actuelle dans le plan du ciel (deux directions)
sein duquel l’étoile Proxima orbite entre Alpha Centauri et Proxima est et selon la ligne de visée (la direction
autour du couple Alpha Centauri (2) . de 13 000 unités astronomiques (une Terre-Proxima). Sa vitesse dans le
Pour arriver à cette conclusion, unité astronomique est la distance plan du ciel est connue avec préci-
la clé a été de mesurer avec une moyenne entre la Terre et le Soleil), sion grâce à des observations astro-
grande précision la vitesse relative soit 2 000 milliards de kilomètres. métriques qui, depuis des décen-
de Proxima par rapport à Alpha Les masses du triplet d’étoiles sont nies, mesurent le changement de
Centauri. Si cette vitesse est trop elles aussi bien connues ( 3 ) , au position de l’astre.
élevée, cela signifie que Proxima même titre que leurs autres pro- En revanche, sa vitesse selon la
s’échappe de l’attraction gravita- priétés physiques. Jumelles du ligne de visée – la vitesse radiale –,
tionnelle d’Alpha Centauri A et B. Soleil, Alpha Centauri A et B sont (*) L’effet Doppler c’est-à-dire la vitesse avec laquelle
Si elle est suffisamment faible, c’est aussi massives que lui, à 10 % près. désigne le changement elle se rapproche ou s’éloigne de la
qu’elle est en orbite autour de ces Proxima, elle, de nature très dif- apparent de la fréquence Terre, n’avait jusqu’ici pas pu être
deux étoiles. La vitesse limite entre férente, « pèse » huit fois moins d’un signal (son, lumière) évaluée avec une précision suffi-
émis par une source mobile
ces deux scénarios est appelée que notre étoile, pour un diamètre sante. Il faut dire que cette mesure,
et reçu par un observateur
vitesse de libération. Elle est d’au- six fois inférieur et une luminosité de fixe. La variation de réalisée par spectrographie, est
tant plus faible que la distance à seulement deux millièmes de celle fréquence est proportionnelle plus délicate à effectuer. Il s’agit
l’objet qui exerce l’attraction gravi- du Soleil. Avec ces valeurs, on calcule à la vitesse relative entre d’analyser, dans la lumière émise
tationnelle est grande. Sur Terre par la vitesse de libération de Proxima l’observateur et la source. par l’étoile, certaines raies spec-
exemple, la vitesse de libération d’un – à sa position actuelle –, relative- trales bien spécifiques. Par effet
objet situé à sa surface est d’environ ment à Alpha Centauri : elle est de Doppler (*) , la longueur d’onde de
40 000 km/h – la vitesse que l’on 545 m/s (à plus ou moins 11 m/s), ces raies – autrement dit, leur cou-
doit conférer aux sondes spatiales soit environ 2 000 km/h. leur – a été décalée vers le bleu si
que l’on veut par exemple envoyer Reste maintenant à mesurer la l’étoile se rapproche de nous ou
explorer le Système solaire. vitesse de Proxima par rapport au vers le rouge si l’astre s’éloigne. En
couple d’étoiles, et cela avec une mesurant précisément la longueur
Spectrographes ultraprécis précision meilleure que quelques d’onde apparente d’une raie, on
Dans le cas d’Alpha Centauri et dizaines de mètres par seconde. Le peut, connaissant sa valeur intrin-
de Proxima, il faut connaître à la niveau de précision doit en effet sèque grâce à des expériences en
fois leurs masses et la distance qui être équivalent à une petite fraction laboratoire, déterminer son déca-
les sépare pour calculer la vitesse seulement de la vitesse de libéra- lage dû à l’effet Doppler et, de là,
de libération. Les positions des tion de Proxima, sans quoi il serait mesurer la vitesse radiale de l’objet.
trois étoiles dans le ciel ont été mesu- impossible de savoir si la vitesse Jusqu’à présent, les spectrographes
rées avec une grande précision par le de l’étoile est inférieure ou supé- n’avaient pas atteint le niveau de
satellite européen Hipparcos il y a rieure à celle-ci. Pour déterminer la précision nécessaire pour mesurer
plus de vingt ans. Quant à leurs dis- vitesse de notre plus proche voisine, la vitesse radiale de Proxima. Mais
tances au Système solaire, elles sont il faut additionner l’ensemble de ses les choses ont changé avec l’arri-
vée récente de nouveaux instru-
Pierre KervellA/NASA-eSA-HST (STSci/AUrA)-NSA/SDO
en
l
lei
aC
aC
er
im
tur
pit
ox
Alpha Centauri
a été détectée en 2016, justement 200 000
273
ment orbital, ces dernières pro- aujourd’hui
voquent un très léger déplacement
Proxima
de leur étoile ; c’est cette petite varia-
tion qui trahit la présence d’une ou M/S
de plusieurs planètes. La mesure
repose sur la comparaison des La trajectoire de Proxima autour d’Alpha Centauri a pu être tracée en
spectres lumineux successifs de C’EST LA VITESSE projection sur le fond du ciel. Sa position est indiquée pour les millénaires
l’étoile avec un spectre moyen pris de Proxima par à venir : la période de son orbite est de 550 000 ans.
comme référence. En utilisant plu- rapport au couple
sieurs milliers de raies, le décalage d’étoiles Alpha leur décalage Doppler – n’est pas la vitesse de 22 204 m/s, à 32 m/s
relatif d’un spectre par rapport à Centauri, à 49 m/s mesurée en laboratoire avec une près. Pour parvenir à une telle pré-
celui de référence est mesuré avec près. Cela montre précision suffisante. Nous avons cision, nous avons pris en compte,
une très bonne précision. Pour la que ces trois donc eu recours à un autre type de en plus du décalage Doppler dû
découverte de Proxima b, on a ainsi astres sont liés raies spectrales, jamais encore uti- au déplacement de l’étoile dans
détecté une variation de vitesse de gravitationnellement. lisées pour ce genre d’étude, mais l’espace, deux autres effets subtils
son étoile de 1,4 m/s, avec une pré- déjà présentes dans les données col- qui affectent eux aussi son spectre
cision de 20 cm/s (4) . lectées par Harps : des raies dites en lumineux et viennent donc « faus-
PIERRE KERVELLA/ESO/DIGITIZED SKY <SURVEY2/DAVID DE MARTIN/MAHDI ZAMANI/OBSERVATOIRE DE PARIS
Astrophysique
I
l est facile de se tromper suite finie de symboles, dont l’ob- deux sortes : le système consi-
en tentant d’établir une jectif est de convaincre du bien- déré (S) et la propriété à vérifier (P).
démonstration. Une erreur fondé d’un résultat. D’un autre Et, en théorie de la démonstration,
courante de lycéen consiste côté, les logiques infinitaires s’inté- le système lui-même peut s’expri-
à partir du résultat que l’on ressent à des propriétés temporelles mer par une formule. Ainsi, chacun
veut prouver – une égalité de nature infinie. De telles logiques de ces objets va être codé par une
par exemple –, à faire une série de sont utilisées pour la spécification formule, c’est-à-dire une chaîne de
manipulations qui font revenir sur et la vérification des programmes symboles que l’on écrit . Autre-
ce résultat, et à en conclure que le de tous les jours : par exemple, ment dit, on a deux formules (S)
résultat est vrai. Or ce qui paraît être s’assurer qu’un ascenseur n’ou- et (P), et on cherche à vérifier
une erreur de logique permet dans vrira jamais ses portes entre deux l’implication (S) => (P). L’impli-
certains cas de prouver de nou- étages, etc. « Le travail remarquable (*)Un raisonnement cation est importante car, si elle est
veaux résultats. On obtient alors ce qu’a mené Amina Doumane fait le co-inductif est un vraie, cela signifie que le système S
raisonnement qui porte
que l’on appelle une preuve circu- pont entre ces deux disciplines, sou- satisfait la formule (P) et, plus lar-
sur des objets infinis.
laire ou infinitaire. Dans un cadre ligne Paul-André Melliès, de l’uni- gement, que tout comportement
bien défini, Amina Doumane, cher- versité Paris-Diderot, en s’appuyant du système valide la propriété.
cheuse post-doctorante à l’École sur une notion nouvelle et en plein
normale supérieure de Lyon, est développement de démonstration Une logique expressive
parvenue à prouver un théorème logique infinitaire, qui permet de Par exemple, si le système est une
important de l’informatique théo- raisonner de manière inductive et machine à café, une propriété est
rique à l’aide de ce type de preuve. co-inductive (*) à la fois. » le fait que, chaque fois que l’on
Autrement dit, elle a montré que « Mes travaux s’inscrivent dans le mettra une pièce, la machine four-
les preuves infinitaires (ou cir- cadre de la théorie de la démonstra- nira un café (ou bien le fait que l’on
culaires) étaient bien de vraies tion », confirme Amina Doumane. ne puisse pas introduire de pièce
preuves utilisables. Les objets que l’on traite sont de dans la machine si elle est à court
Jusqu’ici, il existait un écart qui d’eau ou de café). Les formules
semblait irréductible entre la théo- sont écrites à l’aide d’un forma-
rie de la démonstration en logique
Contexte La théorie de la démonstration est lisme logique baptisé « m-calcul ».
mathématique et les logiques infi- en plein essor depuis les années 1960 et l’établisse- Pour quelle raison avoir choisi cette
nitaires telles qu’on les utilise en ment d’une correspondance entre les démonstrations logique ? « Il en existe beaucoup
informatique. D’un côté, la théo- formelles d’un système logique et les programmes d’autres, mais le m-calcul a l’avan-
rie de la démonstration s’intéresse informatiques. Elle est aujourd’hui très utilisée dans tage d’être une logique expressive,
aux arguments finitaires par nature. le cadre de la vériication automatique. dans le sens où elle permet d’ex-
Une démonstration logique est une primer des comportements
Informatique
Bien plus
que des médailles !
ommençons par une petite L’organisation des congrès est l’enjeu Mais les motivations de l’équipe d’or-
C devinette : qu’est-ce qui a lieu
un été tous les quatre ans, qui
de nombreuses discussions, tant scien-
tifiques que géopolitiques, et l’histoire
ganisation et de ses nombreux soutiens
dépassent ce cadre classique. Il s’agit de
se balade de pays en pays et dont on ne mouvementée du XX e siècle a beau- profiter de cette occasion pour dévelop-
parle dans nos grands médias nationaux coup contraint le choix des villes hôtes. per davantage certains points de poli-
qu’à travers les médaillés français ? Si Aujourd’hui, la procédure est plus simple : tique scientifique.
vous pensez aux Jeux olympiques, vous l’Union mathématique internationale
avez sûrement oublié que vous êtes en réunit son assemblée générale en amont PAR EXEMPLE, l’ouverture, prônée
train de lire la chronique Mathéma- du congrès pour décider de la prochaine par Paris, du congrès aux pays en voie de
tiques ! J’évoque en réalité le Congrès ville qui l’hébergera. En juillet 2018, l’as- développement, notamment grâce à des
international des mathématiciens (ICM) semblée tranchera s’il s’agit de Paris ou bourses pour faire venir des étudiants
et, si j’en parle aujourd’hui, c’est parce de sa rivale, Saint-Pétersbourg. Il y aura de ces pays, est un premier pas vers une
que la ville de Paris est candidate pour bien entendu des présentations, des avis pérennisation d’accords de coopéra-
accueillir cet événement en 2022. d’experts, des débats et sûrement un peu tion scientifique internationale pour les
Un bref rappel historique s’impose : ces de lobbying… universités françaises. Plus localement,
rencontres incontournables des mathé- accueillir les entreprises, et notamment les
maticiens du monde entier ont com- personnes qui y pratiquent les mathéma-
mencé à la fin du XIXe siècle, alors que ces tiques, permet de renouer des liens disten-
derniers tentent de collaborer par-delà les dus entre collègues et de redéfinir notre
frontières encore douloureuses héritées C’est l’occasion communauté dans un sens plus large.
de la guerre franco-allemande de 1870. de développer Enfin, mettre en évidence l’impact des
mathématiques dans des domaines dyna-
PREMIÈRE VILLE hôte, Zurich accueille
des points miques et innovants de l’économie fournit
en 1897 plus de 200 mathématiciens. À de politique un moyen efficace de valoriser cette disci-
Paris, en 1900, l’Allemand David Hilbert scientifique ” pline dans toute la société.
énonce sa fameuse liste des vingt-trois pro- La candidature française promeut de
blèmes pour le siècle. La suivante est, La question naturelle pour quelqu’un nombreux enjeux et sa réussite permet-
pour d’évidentes raisons de diplomatie, d’extérieur est alors : pourquoi est-il trait de fixer un cap pour toute notre com-
de l’autre côté du Rhin, à Heidelberg, en important de candidater, voire d’organi- munauté. Alors, en attendant de connaître
1904. On ne va pas énumérer les congrès, ser le Congrès international des mathé- les lauréats 2018 de la médaille Fields,
dont la liste s’étendra cet été avec l’ajout maticiens ? Il s’agit certes d’accueillir soyez derrière nous : nous espérons bien
de Rio de Janeiro. Mentionnons toutefois plusieurs milliers de mathématiciens plus que des médailles ! n
celui de 1924, à Toronto – le premier hors – plus de 5 000 à Séoul en 2014 – et d’en-
d’Europe, dont le principal organisateur tendre des exposés de très grande qua- Roger Mansuy, professeur au lycée Louis-le-Grand,
est le Canadien John Charles Fields –, celui lité, d’organiser des événements satellites à Paris, est membre du comité pour la candidature de Paris
de 1932 qui se tient à nouveau à Zurich – l’Assemblée générale qui aurait lieu à à l’organisation de l’ICM 2022 (tinyurl.com/ICM-Paris-2022).
– avec la première femme conférencière, Strasbourg, des écoles d’été pour étu- Plus de détails sur www.icm2022-paris.
la mathématicienne russo-suisse Sophie diants ou jeunes chercheurs un peu par- com, site dédié à la candidature de Paris
Piccard –, celui de 1936 à Oslo – où l’on tout en France –, de profiter d’un coup à l’organisation de l’ICM 2022 (avec
remet les deux premières médailles Fields, de projecteur, notamment médiatique, des témoignages de soutien), et sur les
réseaux sociaux @ICM_Paris_2022
grâce à l’héritage de l’homme déjà cité. sur l’école mathématique française…
DR
Un physicien
mort deux fois
Le 1er avril 1968 s’éteignait le physicien soviétique Lev Landau,
des suites d’un grave accident de voiture survenu en 1962,
année même de son prix Nobel. Le parcours de cette personnalité haute
en couleur résume la vie scientifique en URSS, entre liberté et répression,
goût du savoir pur et recherche d’applications militaires.
L
ev Davidovitch prive à ces mêmes températures tsars, où il naît en 1908 à Bakou
Landau détestait de toute résistance électrique ; ou – capitale de l’actuel Azerbaïdjan –
q u’ o n l’ a p p e l l e, encore la physique des particules. d’un père ingénieur et d’une mère
comme le veut la Son nom reste attaché à plusieurs médecin, l’enfant précoce à la
coutume russe, par phénomènes : le diamagnétisme mèche rebelle aurait eu une tare :
son prénom suivi (propriété universelle de la matière celle d’être d’origine juive, ce
de son patronyme, en plus de la conduisant, lorsqu’elle est sou- qui eût compliqué, voire empê-
son nom de famille. Point de Lev mise à un champ magnétique, ché, tout accès aux études supé-
Davidovitch donc, mais un simple à créer une aimantation de sens rieures et à une carrière universi-
« Dau », surnom qui fut le sien sa opposé) de Landau, les niveaux de taire. Avec la révolution bolchevik,
vie durant. Polyglotte, parlant tant Landau (qui décrivent les orbites de nouveaux horizons s’ouvrent à
le russe que l’allemand, l’anglais et de particules chargées dans un lui. En 1924, il part pour Léningrad
le français, Landau aimait à plai- champ magnétique) ou encore (désormais Saint-Pétersbourg) et
santer sur une possible prononcia- l’amortissement Landau (repré- sa prestigieuse université d’État.
tion de son nom dans notre langue : sentant un transfert d’énergie entre Il obtient rapidement l’occasion,
« l’âne Dau ». Il va sans dire qu’il une onde et des particules), dont rare pour un Soviétique, de voya-
n’y avait là qu’ironie, tant il était la formalisation mathématique ger à l’étranger.
conscient de ses très hautes facul- a valu à Cédric Villani la médaille
tés intellectuelles. Fields en 2010. Élan révolutionnaire
De fait, l’approche théorique de Quel fut donc l’homme capable Son grand tour européen de la
Landau est au cœur de l’actuelle d’une telle contribution à l’histoire physique ressemble à celui que
physique de la matière condensée. de la physique ? Dans la Russie des faisaient les artistes romantiques
Ses travaux, appliquant la physique en Italie au début du XIXe siècle.
quantique réputée abstraite à des À Cambridge, il travaille avec
problèmes concrets, ont apporté
Contexte Lev Landau a disparu il y a tout juste Ernest Rutherford et Paul Dirac.
des contributions inestimables cinquante ans. Ce brillant chercheur a joué un rôle es- À Zurich, avec Wolfgang Pauli.
à plusieurs domaines. Citons la sentiel dans l’histoire de la physique. Appliquant, dans À Copenhague, avec Niels Bohr,
superfluidité, état de la matière ses travaux, la physique quantique à des problèmes dont il se sentira toujours l’élève.
qui la rend dépourvue, à des tem- concrets, il a légué son nom à plusieurs phénomènes, Pour mentors, quatre Prix Nobel :
pératures très basses, de toute vis- tels que le diamagnétisme de Landau. voilà ce qui peut s’appeler une
cosité ; la supraconductivité, qui la belle formation, alors que Landau
a déjà publié une dizaine d’articles. de l’URSS révolutionnaire des À l’effervescence créatrice de
Lorsque l’université de Léningrad années 1920, qui donnait, en l’URSS des années 1920 succèdent
lui délivre, en 1934, son doctorat musique, en peinture ou en lit- les grandes purges de la fin des
de physique mathématique, il est térature, des Chostakovitch, des années 1930, puis les années de
déjà un chercheur en vue dans le Lissitzky, des Boulgakov et des guerre contre l’Allemagne nazie,
petit milieu, très internationalisé, Maïakovski. Landau partageait et enfin la glaciation des dernières
de la physique théorique, alors leur enthousiasme révolution- années staliniennes jusqu’à la
pleinement engagée dans sa révo- naire. « Il pensait que la révolu- mort du dictateur en 1953. Com-
lution quantique. tion russe avait apporté la liberté ment l’esprit libre et indépendant
Du reste, il n’a pas attendu son doc- individuelle à de nombreuses qu’était Landau, précisément tout
torat pour fonder son école. Depuis personnes et il souhaitait que ces ce que détestait l’URSS stalinienne,
1932, il dirige le département de
physique théorique de l’Institut
de physique et de technologie de
dernières soient toujours plus
nombreuses », note le Néerlan-
dais Hendrik Casimir, l’un de ses
1938 a-t-il traversé ces années terribles ?
Manifeste antistalinien
Kharkov, dans l’actuelle Ukraine. anciens collaborateurs, dans un Durant des décennies, on n’a rien
Sa manière très particulière d’en- recueil posthume de souvenirs sur su en Occident du sort de Landau
seigner déroute parfois. « Atten- le physicien (1) . C’EST L’ANNÉE pendant le stalinisme. Tout juste
tion, il mord », a-t-il placardé à l’en- En 1935, Landau publie dans les au cours de laquelle déclara-t-il, en 1964 au quotidien
trée de son bureau. « Les méthodes Izvestia, journal de l’élite cultu- Lev Landau a été Komsomolskaïa Pravda, dans un
d’enseignement de Landau étaient relle soviétique, un article intitulé arrêté, la nuit du article qui fut ensuite repris dans
sévères et parfois brutales. Mais « La bourgeoisie et la physique 28 avril, avant d’être la presse occidentale, qu’il avait été
il faut reconnaître qu’il était tout contemporaine », dans lequel il détenu pendant arrêté pendant les grandes purges
aussi brutal et sans pitié lorsqu’il souligne que le nouveau régime un an dans les geôles staliniennes. « On m’accusait d’être
critiquait le travail d’autres scien- offre une opportunité nouvelle staliniennes. un espion allemand. Maintenant,
tifiques », se souvient son ancien pour le développement d’une cela me semble même parfois amu-
élève Igor Dzyaloshinskii. physique théorique débarrassée sant mais, alors, croyez-moi, je n’en
L’émergence de Landau est de l’idéalisme et de la spiritualité ai pas ri. J’ai passé un an en prison,
TASS/GETTY
indissociable de cette période qu’il attribue à l’aristocratie et à la et il était clair que je n’aurais pas
d’extrême créativité intellectuelle bourgeoisie vaincues. résisté six mois de plus : j’étais
tout simplement en train de être. Ne voyez-vous pas, camarades, plus hautes autorités soviétiques.
mourir. (2) » Dans les années 1990, que Staline est en train de perpétrer Il a écrit à Staline en personne pour
l’ouverture partielle des archives un coup d’État fasciste ? » À l’exa- défendre Landau, arguant de son
soviétiques a permis d’y voir miner de près, le dossier policier extrême importance pour l’URSS,
plus clair sur le sort de ce physi- n’affirme pas que Landau est l’au- en particulier pour l’étude théo-
cien exceptionnel capturé par la teur de ce manifeste. Il tient en rique de la supraconductivité, alors
machine totalitaire. revanche pour acquis qu’il en avait en plein essor.
À lire le dossier Landau du NKVD, connaissance, en même temps que L’avenir donna raison à Kapitsa
la police politique stalinienne (3) , son collègue physicien Yuri Rumer sur le fond, mais ce n’est pas sur
il est clair que tout autre que lui et son ami Moissey Koretz, arrê- l’étude de la supraconductivité
eût été fusillé pour de tels actes. Le tés comme lui la nuit du 28 avril que Landau va apporter une aide
dossier contient en effet copie d’un 1938. Tous deux passeront plus de précieuse à l’État soviétique. En
manifeste aux accents aussi vigou- dix années au goulag. Landau, lui, 1945 explosent les bombes ato-
reusement communistes qu’an- est libéré après un an de détention miques à Hiroshima et Nagasaki.
tistaliniens. « La grande cause de dans les geôles soviétiques. L’URSS cherche à tout prix à rat-
la révolution d’Octobre a été lâche- C’est au physicien Piotr Kapitsa que traper son retard militaire sur les
ment trahie. Des millions de gens Landau doit sa libération. Le futur États-Unis rivaux. Kapitsa refuse
ont été jetés en prison, et personne Prix Nobel de physique (en 1978) a de participer à ce nouvel effort de
ne sait quand son tour viendra d’y intercédé sans relâche auprès des guerre. Landau accepte. Durant
3
plusieurs années, il se consacre à 1 Le physicien Lev
des calculs mathématiques indis- Landau (au premier
pensables à l’élaboration des pre- rang, 2e en partant de
mières bombes nucléaires (1949), la droite) a été l’élève
puis thermonucléaires (1953) du Prix Nobel Niels
Bohr (au premier rang,
soviétiques, qui permettent à
2e en partant de la
l’URSS de revenir dans la course.
gauche), ici en 1930
En 1946, puis en 1952, il reçoit le à Copenhague.
prix Staline, plus haute récom- 2 Avec son collègue
pense de l’URSS, étonnante réha- Evgueni Lifchitz
bilitation de celui qui, moins de (à gauche), ici en 1948,
quinze ans plus tôt, était voué au
SCIENCE MUSEUM/S.S.P.L./COSMOS - EMILIO SEGRE VISUAL ARCHIVES/AMERICAN INSTITUTE OF PHYSICS/SPL/COSMOS - AKG-IMAGES/SPUTNIK
il a écrit un cours de
goulag. Lucide, Landau se décrit physique théorique,
en 1957, dans des discussions télé- encore cité aujourd’hui
phoniques captées par la police dans des publications Des médicaments de pointe sont jamais pu supporter la souffrance.
politique soviétique, comme « un de pointe. envoyés du Royaume-Uni et les La moindre douleur m’empêche de
3 Le chercheur est
esclave couvert d’honneur ». meilleurs médecins internatio- travailler. (4) » Tragique ironie du
décédé le 1er avril 1968,
naux – dont le célèbre neurochirur- sort, Landau reçoit le prix Nobel de
Soins intensifs à Moscou.
gien canadien Wilder Penfield, physique en 1962, neuf mois après
Le 7 janvier 1962, le physicien est qui a laissé son nom à plusieurs son accident. L’académie suédoise
victime d’un très grave accident troubles neurologiques – sont a souhaité distinguer ses travaux
de la circulation dans la banlieue appelés au chevet du physicien, appliquant la théorie quantique
de Moscou. De la carcasse de sa plongé dans un coma profond. En à la description des mouve-
voiture, le physicien, de constitu- vain ou presque. ments au sein de l’hélium liquide
tion fragile, presque malingre, est Les soins intensifs qui lui ont superfluide. Il est le quatrième
extrait moribond, avec une fracture été prodigués ont certes sauvé Soviétique à recevoir le Nobel de
du crâne, de multiples contusions Landau de la mort, mais le savant physique. Mais son état ne lui per-
thoraciques et les jambes broyées. ne recouvrera jamais toutes ses mettra pas d’aller à Stockholm le
Mais un homme comme Dau ne facultés intellectuelles. Il quitte recevoir. Il décède le 1er avril 1968,
peut mourir, se dit-on, tant parmi l’hôpital, où il a passé plus de à Moscou, sans avoir jamais repris
ses amis physiciens qu’au plus deux ans, transformé. L’homme ses travaux. n
haut niveau de l’URSS. La diplo- insolent, fantaisiste et drolatique Nicolas Chevassus-au-Louis
matie soviétique autant que l’In- sort du coma capricieux, irritable
(1) Isaak Khalatnikov, Landau, the Physicist
ternationale informelle des physi- et morose. Le journaliste améri- and the Man : Recollections of L. D. Landau,
ciens se mobilisent pour le sauver. cain Alexandre Dorozynski, qui Pergamon Press, 1989.
Quelques mois avant la crise des le rencontre en décembre 1963, (2) Le Monde, 11 juillet 1964.
missiles de Cuba, qui éclatera en fait la connaissance d’une « mince (3) G. Gorelik, Scientific American, 277, 71, 1997.
octobre, la guerre froide marque silhouette recroquevillée » qui (4) Alexander Dorozynski, Landau,
une pause et les échanges entre lui déclare : « J’aimerais pouvoir l’homme qu’on n’a pas laissé mourir,
les deux blocs sont possibles. refaire de la physique, mais je n’ai Robert Laffont, 1965.
Épidémiologie
F
i n m a r s, q u a n d Plusieurs paramètres entrent en consacré à l’immunisation aux âges
paraîtra cet article, jeu. D’une part, le vaccin lui-même. extrêmes de la vie. Du coup, consi-
l’épidémie saison- Faute d’une solution universelle dérer l’ensemble des plus de 65 ans
nière de grippe en contre toutes les souches du virus comme une seule et même catégo-
France métropoli- grippal, le vaccin doit être modifié rie ne reflète pas la réalité clinique
taine sera probable- chaque année pour correspondre de cette tranche d’âge.
ment terminée. Et, comme chaque aux souches en circulation. Trois Enfin – et surtout –, évaluer l’effi-
année, l’efficacité du vaccin aura ou quatre souches vaccinales sont cacité du vaccin contre la grippe
suscité nombre de débats. La ques- choisies huit mois avant le début de chez les personnes âgées se heurte
tion est légitime. En France, le vac- l’épidémie dans l’hémisphère Nord, au fait que, cinquante ans après la
cin est recommandé à tous ceux sur la base des souches alors en cir-
auxquels la grippe fait courir des culation dans l’hémisphère Sud. La composition
risques de complications graves, Mais, étant donné les modalités de
soit 11 à 12 millions de personnes, propagation des virus grippaux et
du vaccin doit
dont 9 millions de personnes âgées leur capacité à muter, il arrive que être modifiée
de plus de 65 ans. Parmi ces der- souches circulantes et souches vac- chaque année
nières, 4,5 millions s’étaient fait vac- cinales diffèrent. Auquel cas le vac-
ciner lors de l’hiver 2016-2017. Mais, cin est peu, voire pas, efficace. généralisation de cette vaccination,
aussi surprenant que cela puisse on ne peut plus mener d’études
paraître, évaluer l’efficacité du vac- Études observationnelles contrôlées des sujets répartis aléa-
cin contre la grippe saisonnière L’état général de la personne vac- toirement dans deux groupes : les
représente encore un défi pour les cinée et de son système immuni- vaccinés et les non-vaccinés. La rai-
épidémiologistes. Et plus encore taire compte aussi. Il existe, chez son ? Ça ne serait plus éthique. Les
chez les personnes âgées. les personnes âgées, des change- épidémiologistes doivent donc se
ments qualitatifs et quantitatifs des contenter d’études observation-
cellules immunitaires, qui altèrent nelles comparant, dans la vraie vie,
Contexte Depuis plus de cinquante ans, la vac- leurs capacités de défense. De plus, soit la survenue de la grippe chez
cination contre la grippe est recommandée aux per- « la population des plus de 65 ans est des sujets vaccinés et chez des sujets
sonnes âgées (65 ans et plus), qui paient le plus lourd très hétérogène », rappelait récem- non vaccinés, soit le statut vaccinal
tribut à cette maladie en termes d’hospitalisations et ment Gaëtan Gavazzi, spécialiste de de personnes ayant une grippe et
de décès. Mais évaluer son eicacité n’est pas si facile. l’infectiologie du sujet âgé au CHU celui de personnes non malades. Or
de Grenoble, lors d’un colloque les biais possibles sont nombreux.
Ainsi, une série d’études, menées à vaccination sur la mortalité toutes Cette étude, « bien menée » selon
la fin des années 1990 et au début causes résultait donc davantage Daniel Lévy-Bruhl, a montré une
des années 2000, attribuaient à la du meilleur état de santé général efficacité du vaccin de 4,6 % pour
vaccination contre la grippe une des vaccinés que de la vaccination la prévention de la mortalité toutes
efficacité allant de 25 à 50 % dans la elle-même. Cela expliquait aussi causes, et de 47 % pour la morta-
réduction de la mortalité hivernale une autre étrangeté des premières lité liée à la grippe. Cela dans un
des personnes de plus de 65 ans, études : le fait qu’elles mesurent contexte où environ 60 % des plus
« toutes causes confondues ». « Il
aurait fallu, au préalable, s’interro-
ger sur la part de la grippe dans la
une efficacité vaccinale même en
été, hors période grippale. 11-12
MILLIONS
de 65 ans étaient vaccinés.
« En France, poursuit l’épidémio-
logiste, nous avons utilisé ce taux
mortalité hivernale », commente Base de données de 4,6 % de réduction de la morta-
l’épidémiologiste Daniel Lévy- Face à cette bizarrerie, et avant lité toutes causes pour estimer l’im-
Bruhl, responsable de l’unité char- même que le biais soit identi- pact de la vaccination sur la morta-
gée des infections respiratoires et fié, le statisticien américain Bruce C’EST LE NOMBRE lité liée à la grippe entre juillet 2000
de la vaccination à Santé publique Fireman avait, dès 2009, proposé DE PERSONNES, et mai 2009. » Résultat : pendant
France, l’agence nationale française une méthode permettant de cal- en France, à qui cette période, la grippe a provoqué
de santé publique. culer l’efficacité vaccinale réelle à la grippe fait courir environ 9 000 décès chaque hiver
En 2007, démonstration fut faite partir des données d’efficacité vac- des risques de et la vaccination a évité 2 500 décès
que la grippe n’était responsable, cinale suspectes. Comment ? En complications annuels supplémentaires, ce qui
au plus, que de 10 % des décès en soustrayant l’efficacité vaccinale graves, et pour traduit une efficacité du vaccin
INSTITUT PASTEUR/CHARLES DAUGUET
hiver chez les plus de 65 ans (1) . Le estivale (le biais) de l’efficacité vac- lesquelles la contre la mortalité liée à la grippe
principal biais aux études initiales cinale hivernale apparente (3) . Il vaccination est donc de 35 %. « La couverture vaccinale
fut identifié en 2011 : les seniors les l’a ensuite mise en œuvre en utili- recommandée. des personnes âgées était alors de
mieux vaccinés sont les personnes sant une base de données, le Kaiser 62 % en moyenne, précise Daniel
de 70 à 75 ans, tandis que la cou- Permanente, incluant les données Lévy-Bruhl. Avec la couverture vac-
verture vaccinale décroît chez les de santé et de vaccination d’environ cinale actuelle, qui est d’environ
plus âgés, pourtant souvent plus 300 000 personnes âgées résidant en 50 %, le nombre moyen de décès évi-
fragiles (2) . L’impact attribué à la Californie, sur la période 1996-2005. tés chaque année est d’environ
Épidémiologie
35 %
2 000, pour 9 000 décès effectifs. » chez des personnes se plaignant de où l’efficacité vaccinale est très
Ces modalités d’analyse évitent un syndrome grippal respiratoire, dans faible. Ainsi, durant la saison grip-
biais dont Gaëtan Gavazzi regrette deux réseaux : l’un en médecine de pale 2016-2017, marquée dans
qu’il soit, encore trop souvent, ville, l’autre en hôpital (27 hôpitaux l’hémisphère Nord par la prédo-
ignoré : la difficulté à estimer la mor- de 10 pays européens). minance de la souche H3N2, l’effi-
talité due à la grippe à partir des cer- cacité vaccinale n’a été que de 25 %
tificats de décès. « Chez les personnes Des cas et des témoins C’EST LE TAUX chez les personnes âgées de 65 à
âgées, insiste-t-il, la mortalité liée à Sur le plan épidémiologique, les D’EFFICACITÉ 79 ans, et de 10 % chez ceux âgés
la grippe est souvent indirecte. Par personnes malades dont la grippe du vaccin contre de plus de 80 ans (4) . La souche
exemple, la grippe est un facteur est confirmée après analyse viro- la mortalité liée H3N2 était pourtant bien présente
déclenchant d’accident vasculaire logique sont les « cas », tandis que à la grippe chez dans le vaccin.
cérébral ou de crise cardiaque, le plus les personnes malades dont l’ana- les personnes âgées. Au vu de tout cela, que conclure ?
souvent quelques mois après l’infec- lyse virologique est négative sont Tout dépend de la façon dont on
tion grippale. Or ces cas ne sont pas les « témoins ». « Contrairement considère les données. « L’efficacité
répertoriés dans les registres comme à ce qui se passait dans les études intrinsèque n’est qu’un des para-
étant dus à la grippe, ce qui biaise antérieures, on est donc raisonna- mètres entrant en ligne de compte,
à la fois l’évaluation du nombre de blement sûr que les ‘‘témoins’’ ont souligne Gaëtan Gavazzi. 10 % d’ef-
décès liés à cette maladie et l’évalua- autant été exposés aux virus en cir- POUR EN ficacité pour contrer une maladie
tion de l’efficacité du vaccin. » culation que les “cas” », explique SAVOIR PLUS courante provoquant de nombreux
Les décès indirects ne sont pas Daniel Lévy-Bruhl. Donc la com- n tinyurl.com/donnees- décès aura toujours beaucoup plus
non plus pris en compte dans l’ap- paraison entre les uns et les autres surveillance-grippe d’impact que 99 % d’efficacité pour
proche dite « negative-design », est plus rigoureuse. » Sans comp- Le bulletin épidémiologique contrer une maladie rare. » Quant
développée depuis une dizaine ter qu’avec la confirmation virolo- de la grippe, publié toutes les à Daniel Lévy-Bruhl, il concède
d’années en Amérique du Nord, gique, on a la certitude que ce qu’on semaines par Santé publique volontiers qu’« un taux moyen de
ainsi qu’en Europe via le projet appelle « grippe » en est bien une, et France. protection de 35 % est très déce-
I-Move (lire ci-dessous). Cette pas un « syndrome grippal ». n www.flunewseurope.org vant pour un vaccin. Sans parler
approche reste néanmoins inté- Que disent les chiffres ? Les Le réseau européen de des années où il est inférieur ! Mais,
ressante, car elle permet d’estimer ordres de grandeur des résultats surveillance de la grippe. ajoute-t-il, cela vaut le coup d’évi-
presque « en temps réel » l’efficacité concordent avec les résultats anté- ter 2 000 décès chaque année, même
du vaccin contre la survenue de la rieurs, avec cette différence que, si cela concerne essentiellement
grippe, en s’appuyant sur la réalisa- étant obtenus année par année, des personnes dont l’espérance de
tion de tests virologiques effectués ils mettent en exergue les années vie est limitée. À l’heure actuelle, je
pense que, comme le vaccin contre
la grippe saisonnière n’a pas d’ef-
PROJET I-MOVE : UN FINANCEMENT MENACÉ ? fet secondaire grave, il faut pour-
suivre la vaccination des personnes
En 2007, le Centre européen pour données d’eicacité vaccinale au âgées, quand bien même, dans les
la prévention et le contrôle des fur et à mesure de l’épidémie. deux tiers des cas, ce ne sera pas
maladies (ECDC) lance I-Move, Cela permet notamment d’adap- efficace. Il faut aussi continuer à
un réseau de laboratoires chargé ter les modalités d’action : « Si améliorer nos modalités d’évalua-
d’évaluer l’eicacité du vaccin nous voyons que le vaccin n’est tion de l’efficacité du vaccin, ainsi
contre la grippe. « Nous voulions pas eicace, nous conseillons que l’efficacité des mesures “de bon
connaître son efet protecteur aux professionnels de santé de sens”, telles que le lavage des mains,
“dans la vraie vie”, explique davantage recourir aux médica- ou le port de masque quand on
Pasi Penttinen, responsable du ments antiviraux », précise Pasi est grippé. » n Cécile Klingler
Pasi Penttinen,
programme « grippe et virus res- Penttinen. Mais I-Move+ béné-
de l’ECDC, au forum (1) L. Simonsen et al., Lancet Infect. Dis.,
piratoires » à l’ECDC. Travailler iciait d’un inancement tempo-
Proimunizare, en 2016. 7, 658, 2007.
à l’échelle européenne nous of- raire, qui s’achève en octobre. Et
(2) T. S. Hottes et al., PLoS ONE, 6, e22618, 2011.
frait une puissance statistique satisfaisante. » un inancement pérenne par les États membres
(3) B. Fireman et al., Am. J. Epidemiol.,
OCTAV GANEA
Dix ans plus tard, I-Move et son volet I-Move+ ne semble pas être à l’ordre du jour. 170, 650, 2009.
consacré aux personnes âgées fournissent des www.i-moveplus.eu (4) M. Rondy et al., Eurosurveillance,
22(41):pii=17-00645, 2017.
Portrait
MASAYO TAKAHASHI
Les yeux grands ouverts
sur la médecine régénérative
Dévouée à ses patients atteints de maladies oculaires, Masayo Takahashi
est une pionnière de la recherche sur les cellules souches. Avec son
équipe, cette spécialiste de l’œil a réussi, en 2014, la première greffe de
cellules rétiniennes produites à partir de cellules de peau d’un malade.
Son dernier défi : une greffe à partir de cellules de donneurs.
S
i Masayo Takahashi de la rétine. La patiente, elle, est scolaires. Mais ses parents, s’ils sont
confie ne pas une femme de 70 ans souffrant de prêts à financer ses études univer-
aimer être un lea- dégénérescence maculaire liée à sitaires, veulent qu’elle s’assure un
der ou sortir du
lot, c’est néan-
moins à sa persé-
10
MOIS
l’âge (DMLA), maladie dégénérative
de la rétine. Mais, à peine quelques
mois après le début de l’essai,
bon emploi. Ils lui donnent le choix :
soit elle intègre une grande univer-
sité, soit, si elle n’en est pas capable,
vérance qu’elle doit d’être devenue celui-ci doit être stoppé : il y a des elle entre dans une grande entre-
une figure pionnière de la médecine anomalies dans les cellules prévues prise. Ce sera la faculté de médecine
régénérative. En septembre 2014, pour être implantées chez un deu- de l’université de Kyoto, après un été
cette discrète Japonaise de 56 ans C’EST LE TEMPS xième malade. Loin de se découra- studieux à préparer les concours.
coordonne en effet le premier essai qu’il a fallu pour ger, l’ophtalmologiste et chercheuse
mondial de chirurgie cellulaire produire les cellules au centre de biologie du dévelop- Départ aux États-Unis
pour la cécité humaine. Elle utilise rétiniennes à partir pement à l’Institut Riken, à Kobe, se En 1986, son diplôme en poche, elle
pour cela des cellules adultes dif- de la peau de la remet au travail et, en 2017, relance choisit de se spécialiser en ophtal-
férenciées (comme les cellules de patiente, lors du un nouvel essai, avec un protocole mologie, pensant que cette spé-
la peau), qui ont été « reprogram- premier essai de différent (lire p. 74). cialité – moins chronophage que
mées » pour avoir le même pouvoir greffe en 2014. Un père employé de bureau, une d’autres – lui permettra de fon-
que les cellules souches embryon- mère femme au foyer et une sco- der une famille avec celui qu’elle
naires : baptisées « cellules plu- larité sans vagues : rien ne prédis- épouse bientôt, Jun Takahashi, un
ripotentes induites » (iPS), elles posait cette native d’Osaka à la ex-camarade de classe spécialisé en
sont capables de se différencier en carrière qu’elle mène aujourd’hui neurochirurgie. Elle mène ainsi en
n’importe quelles cellules de l’orga- depuis trois décennies. Si ce n’est parallèle sa thèse sur les patholo-
nisme – en l’occurrence, en cellules peut-être son prénom : en japo- gies du système visuel et sa forma-
nais, « Masayo » signifie « qui gou- tion de chirurgienne, puis s’installe
verne une génération ». Après un dans son poste de clinicienne oph-
Contexte Les pathologies visuelles touchent parcours en école primaire exem- talmologiste assistante à l’univer-
285 millions de personnes dans le monde, selon plaire, elle intègre un lycée sans sité de Kyoto.
l’Organisation mondiale de la santé. La médecine uniforme, plus libre que l’établis- Le point de bascule se fait en 1995,
régénérative est l’un des outils les plus prometteurs sement japonais archétypal. Elle se lorsque son mari et elle partent
pour les traiter, grâce à des cellules souches très par- met alors à la guitare électrique et aux États-Unis pour un an, au Salk
ticulières, dites « pluripotentes induites ». reprend les tubes de Led Zeppelin, Institute de San Diego, dans le labo-
au détriment partiel de ses résultats ratoire du neuroscientifique Fred
pesé dans la balance. cellules souches neurales adultes. une collaboration avecYoshiki Sasai,
Vingt ans plus tard, Rusty Gage se On découvre alors à peine leur exis- un ancien camarade de promotion,
souvient encore de cette décision tence. Jusqu’ici, on pensait que la chercheur au centre de biologie du
avec enthousiasme. « J’ai vraiment neurogenèse s’arrêtait à l’adoles- développement à l’Institut Riken
eu de la chance que Masayo rejoigne cence et qu’une régénération chez de Kobe. Celle-ci débouche rapide-
mon laboratoire. L’œil était un sys- l’adulte était impossible. Avec son ment sur la preuve de concept que
tème auquel nous nous intéressions approche déjà très clinique des ces cellules peuvent être utilisées
beaucoup, mais je n’avais pas une pathologies de l’œil, elle voit rapi- pour le traitement de pathologies
grande expérience dans le domaine. dement leur potentiel pour la de la rétine, chez le primate (1) .
Portrait
Fin 2005, le duo obtient une du patient à traiter, éliminant les équipe. En juillet 2013, le minis-
première mondiale : la différencia- risques que le greffon soit rejeté. tère de la Santé japonais donne son
tion de cellules ES humaines en neu- L’année suivante, en 2007, Shinya approbation à l’utilisation des cel-
rones, dont des cellules de rétine (2) . Yamanaka utilise sa technique sur lules iPS pour un essai clinique de
Si les résultats sont prometteurs, des cellules matures humaines (4) . traitement chirurgical de la dégéné-
l’utilisation de cellules issues d’em- Entre-temps, son contrat avec l’uni- rescence maculaire liée à l’âge. En
bryons soulève des questions versité de Kyoto terminé, Masayo (*) L’épithélium septembre 2014, les six patients de
éthiques, qui freinent l’approbation Takahashi a rejoint le centre de bio- désigne la couche externe l’essai ont été recrutés et la première
d’un éventuel essai clinique par le logie du développement de l’Insti- pigmentée de la rétine. greffe a lieu sur une patiente de
ministère de la Santé. À cela s’ajoute tut Riken, à Kobe. À l’annonce du 70 ans atteinte de DMLA : il s’agit de
la nécessité d’utiliser des immu- résultat de Shinya Yamanaka, elle remplacer une partie de la rétine par
nodépresseurs pour éviter un rejet lui fait part de son espoir : amener un feuillet d’épithélium (*) rétinien
de la greffe, alors que ses patients les cellules iPS en clinique sous sain, généré à partir des cellules de
sont principalement des personnes cinq ans. Shinya Yamanaka se sou- peau de la patiente. La chirurgie est
âgées. La chercheuse hésite donc à vient : « Techniquement, c’était un succès et stabilise la vision de la
tenter le passage en clinique. malade, lui épargnant les injections
La solution viendra d’ailleurs. Il existe de nombreux outils intra-oculaires qui étaient jusqu’ici
Fin juin 2006, un compatriote le seul traitement enrayant la dégra-
de Masayo Takahashi, Shinya
pour la déficience visuelle, mais les dation de son acuité visuelle.
Yamanaka, de l’université de Kyoto, patients ne les connaissent pas ” Mais, en novembre 2014, le minis-
annonce avoir réussi à reprogram- Masayo Takahashi tère de la Santé fait passer une régle-
mer des cellules de souris adultes mentation qui rebat les cartes. Des-
en cellules iPS, grâce à un cocktail faisable, mais je doutais que cela tinée à encadrer le développement
de quatre gènes (3) . La méthode puisse être si rapide. Nous devions de la médecine régénérative avec les
du biologiste – qui recevra le prix encore améliorer la technologie meilleures conditions de sécurité,
Nobel de médecine en 2012 pour et obtenir l’approbation du gou- elle impose la supervision d’une
ce travail – répond aux question- vernement. » Cela prendra finale- institution médicale pour tout
nements éthiques et médicaux de ment sept ans. essai clinique utilisant des cellules
Masayo Takahashi : elle évite l’usage Une réussite et une rapidité que souches humaines. Le Riken étant
controversé de cellules souches Shinya Yamanaka attribue entiè- un institut de recherche public, l’es-
embryonnaires, et elle permet rement au leadership de Masayo sai dirigé par Masayo Takahashi doit
d’utiliser directement les cellules Takahashi et à la robustesse de son être stoppé. Au même moment, le
lules iPS obtenues n’ont donc pas le même été grefés entre mars et novembre 2017. Ce-
génotype que celles du malade. Les cellules pendant, le 16 janvier dernier, la chercheuse
rétiniennes qui dérivent de ces iPS sont- a annoncé qu’un patient, opéré en juin 2017,
elles compatibles avec la rétine qui doit Les cellules iPS peuvent se différencier avait dû être réopéré pour un œdème de
être traitée ? La chercheuse et ses collègues en n’importe quelles cellules de l’organisme. la rétine. Si cet efet secondaire sérieux ne
ont montré que, s’il y a compatibilité du signiie pas qu’il y a eu rejet de la grefe, la
système d’antigènes HLA – des protéines de et receveur, les cellules iPS allogéniques corrélation avec l’implantation des cellules
surface impliquées dans le déclenchement grefées ne provoquent pas de rejet, même iPS va devoir être éclaircie.
des réactions immunitaires – entre donneur sans traitement immunosuppresseur (1) . Au (1) S. Sugita et al., Stem Cell Rep., 7, 635, 2016.
de l’étude, prévue d’ici deux ans. tions existantes pour la déficience (5) M. Mandai et al., NEJM, 376, 1038, 2017.
Environnement
A
l’échelle mon- ces données en tenant compte de conservation au Muséum natio-
diale, 14,8 % deux indicateurs différents, très peu nal d’histoire naturelle, à Paris.
des terres utilisés jusqu’à présent : la diversité Actuellement, 13 % de la diver-
et 5,1 % des phylogénétique et la diversité fonc- sité phylogénétique des oiseaux
océans sont tionnelle, qu’ils ont ajoutées à l’in- et 23 % de celle des mammifères
des aires protégées. Une surface dicateur communément utilisé, la n’est pas protégée. Or une exten-
déjà importante. Pourtant, son richesse des espèces. sion de 5 % seulement des aires
expansion de 5 % seulement per- La diversité phylogénétique fait protégées équivaudrait à sauve-
mettrait de tripler la variété d’es- référence à la richesse de l’his- garder 3 743 espèces supplémen-
pèces protégées, selon Wilfried toire évolutive des espèces. « Ces taires (aussi bien chez les oiseaux
Thuiller, du laboratoire d’éco- approches de conservation se que chez les mammifères), soit
logie alpine de Grenoble, et son fondent sur l’idée qu’il faut privi- 18 000 millions d’années d’histoire
équipe ( 1 ) . C’est la conclusion
d’un travail de longue haleine, pre-
nant en compte pour la première
légier les espèces “originales” d’un
point de vue évolutif, celles qui ont
divergé des autres il y a longtemps,
3 743 évolutive cumulée ! Par exemple,
pour les oiseaux, la protection de
l’ibis géant, actuellement considéré
fois les données concernant plus ou les assemblages d’espèces qui par l’Union internationale pour la
de 15 000 espèces d’oiseaux et de portent une grande quantité d’his- conservation de la nature (UICN)
mammifères, les seules pour les- toire évolutive, par exemple parce C’EST LE NOMBRE comme « en danger critique d’ex-
quelles il existe des données glo- qu’ils contiennent des espèces d’espèces tinction », permettrait à elle seule
bales exhaustives – actuellement, éloignées les unes des autres, et supplémentaires de préserver 57 millions d’années
26 % de ces espèces, soit 3 850, ne donc complémentaires », indique d’oiseaux et de d’histoire évolutive, c’est-à-dire
se retrouvent dans aucune zone Alexandre Robert, du Centre mammifères que si l’on cumule toutes les années
permettrait de d’évolution qui ont été nécessaires
protéger l’extension pour arriver à cette espèce.
Contexte Les politiques de conservation de la biodiversité des zones protégées
s’appuient généralement sur deux critères majeurs : la vulnérabi- de 5 %. Fonctions écologiques
lité des espèces et leur diversité essentiellement mesurée par la La diversité fonctionnelle, elle,
richesse en espèces. Pourtant, la prise en compte d’indicateurs regroupe les fonctions écologiques
complémentaires, comme la diversité phylogénétique ou la diversité assurées par les espèces. Un éco-
fonctionnelle, permettrait de mener une politique plus eicace. système avec une grande diver-
sité fonctionnelle se composera
donc à la fois d’herbivores, de car- autres, puisque seulement 35 % des la lumière des espaces protégés exis-
nivores, d’insectivores, d’animaux aires ainsi définies (principalement tants, les exigences de protection des
nocturnes et diurnes, de pollinisa- situées en Amérique du Sud et en diversités phylogénétique et fonc-
teurs… Cet aspect est un peu mieux Indonésie) ont à la fois une grande tionnelle des espèces. Et ceci chez
JEAN-PAUL CHATAGNON / BIOSPHOTO - FRANK LANE PICTURE AGENCY/MARTIN HALE/BIOSPHOTO
pris en compte, dans les aires proté- diversité phylogénétique et une deux groupes de vertébrés distincts :
gées actuelles, que la diversité phy- grande diversité fonctionnelle. les mammifères et les oiseaux ».
L’ibis géant, ici
logénétique, mais cela ne repré- Selon Denis Couvet, du Centre Cependant, Alexandre Robert
au Cambodge, est
sente tout de même que 12 % de d’écologie et des sciences de la en danger critique relève une limite de cette approche
cette diversité, que ce soit chez les conservation au Muséum national d’extinction, selon par indicateurs. Tout d’abord, le
oiseaux ou chez les mammifères. d’histoire naturelle, à Paris, « c’est l’Union internationale modèle ne prend pas en compte
« Puis, en fonction de ces critères, un excellent travail d’écologie. Il pour la conservation le « degré réel de menace qui pèse
nous avons utilisé des algorithmes examine, de manière novatrice et à de la nature. sur chaque élément de biodiversité
qui prennent en compte la répar- (c’est-à-dire une espèce, une branche
tition connue de toutes les espèces. de la phylogénie ou une fonction
Ces derniers ont permis de détermi- écologique), ce qui devrait être un
ner des sites “optimaux” en termes critère de hiérarchisation des efforts
de protection de la biodiversité », de protection – et ce qui l’est sou-
explique Wilfried Thuiller. C’est la vent dans la réalité ». Ensuite, tous
première fois que ces algorithmes ces éléments n’ont pas forcément
sont utilisés à un niveau mondial, besoin d’être également protégés :
avec ces indicateurs. La prise en certaines espèces subsistent très
compte simultanée de ces deux bien hors de ces zones. Néanmoins,
aspects définit des zones priori- selon lui, ces limites « mineures et
taires assez distinctes les unes des relatives » n’empêchent pas ce
Environnement
Ces cartes, établies par le laboratoire d’écologie alpine de Grenoble, montrent les zones
travail d’intégrer « la réalité et prioritaires dans le cadre de l’expansion de 5 % des supericies des aires protégées dans le
la complexité du monde ». En plus monde au proit de diférents types de diversité, pour les oiseaux et les mammifères. Si ces
zones étaient protégées, la diversité totale sauvegardée pourrait presque tripler par rapport à
de regarder la conservation de la la situation actuelle. Chaque carte montre un scénario choisi : le scénario 1 vise à protéger toute
biodiversité par le prisme d’indi- la biodiversité rare ; la seconde carte indique les zones maximisant la diversité totale protégée
cateurs différents, les auteurs se (le nombre d’espèces protégées globalement), au détriment de certaines espèces rares.
sont en effet posé la question de
l’échelle d’action la plus efficace : à l’échelle locale, et d’un point de vue important. « Cette approche est
vaut-il mieux gérer ces stratégies fonctionnel, sa présence est impor- plus efficace, acquiesce Alexandre
de conservation de manière glo- tante, puisqu’elle permet de régu- Robert, dans le sens où, selon eux,
bale ou locale ? « C’est presque une ler les populations d’herbivores. » elle requiert de moins grandes sur-
question philosophique, qui consiste Ce point de vue est partagé par faces pour atteindre ses objectifs. » Au
à se demander, pour simplifier, s’il Alexandre Robert, qui pointe le fait contraire, les auteurs remarquent
est préférable de protéger un peu de que la stratégie de protection glo- la relative inefficacité d’une stra-
tout globalement, ou de préserver bale a peu de sens pour la diver- tégie optant uniquement pour la
un écosystème dans sa globalité à sité fonctionnelle parce que, jus- protection de zones extrêmement
l’échelle locale », concède Wilfried tement, « les rôles fonctionnels des riches en biodiversité – les hotspots
Thuiller. Un exemple embléma- espèces qui permettent le bon fonc- de biodiversité –, tels que Mada- L.POLLOCK/W.THUILLER - KEITH & LIZ LAIDLER/ARDEA/ BIOSPHOTO
tique de cette problématique, pour tionnement des écosystèmes sont gascar, l’Asie du Sud-Est ou encore
la France : la protection du loup. À importants essentiellement au l’Amérique centrale et du Sud. Par
l’échelle du pays, en effet, l’animal niveau local ». exemple, en privilégiant l’approche
est sur la liste des espèces à proté- algorithmique proposée pour déter-
ger. Toutefois, s’il est rare en France, Espèces endémiques Le petit pangolin miner les sites optimaux plutôt que
il est plus abondant dans d’autres Wilfried Thuiller et son équipe vit dans les régions les hotspots de biodiversité, 5 % d’ex-
pays européens, comme l’Ukraine ont par ailleurs montré qu’une tropicales et pansion reviendrait à protéger 90 %
ou la Russie. « D’un point de vue approche locale donnait la priorité équatoriales d’Afrique d’espèces rares, contre 30 % dans le
taxonomique et phylogénétique, on aux aires riches en espèces endé- (ici, au Ghana) et cas du choix des hotspots.
d’Asie du Sud-Est.
pourrait donc penser qu’il est inu- miques, ne vivant qu’à cet endroit. « La conclusion majeure que nous
tile de le protéger, car il est représenté En termes de biodiversité, l’éta- avons pu tirer de notre travail est
à l’extérieur, commente le spécia- blissement d’aires protégées dans qu’il est possible de faire beaucoup
liste. Pourtant, lorsque l’on se place ces zones entraîne un gain très mieux avec peu, conclut Wilfried
Thuiller. Mais il faut garder à l’esprit and globally endangered). Déve- zones immenses. C’est une mission
que ce travail est théorique : dans loppé par la société zoologique impossible pour eux », déplore
les faits, c’est beaucoup plus com- de Londres, il vise à identifier les Wilfried Thuiller. Pour lui, il est
pliqué. » Et cela, pour plusieurs espèces en danger et avec une his- nécessaire de mettre en place une
raisons. Tout d’abord parce que, toire évolutive riche, pour amélio- action concertée au niveau interna-
comme le note Alexandre Robert, rer leur conservation et préserver tional et surtout de fournir une aide
si ces zones sont censées protéger leur avenir (2) . Parmi ces animaux, financière et matérielle. « Beaucoup
la biodiversité de l’action humaine, on retrouve le pangolin de Chine, de zones protégées perdent peu à peu
il faut considérer « qu’elles ne pro- le dauphin du Gange ou encore leur capacité de protection réelle
tègent pas réellement la biodiversité l’almiqui paradoxal, un des der- sous les pressions financières liées à
de menaces comme le changement niers représentants d’une lignée leur exploitation, tout en étant tou-
climatique ». Ensuite, et surtout, de musaraignes ayant cohabité jours considérées comme des zones
parce que « le problème des poli- avec les dinosaures, il y a 76 mil- protégées », renchérit Alexandre
tiques de conservation actuelles est lions d’années. Robert (3) . Denis Couvet conclut :
qu’elles sont souvent focalisées sur Enfin, ce n’est pas parce qu’une « Ce travail est un premier jalon.
l’espèce rare, emblématique », ajoute aire est classée comme proté- L’étape suivante sera d’examiner
Wilfried Thuiller. Les indicateurs gée qu’elle l’est dans les faits. « Les les possibilités pour que les popula-
ici pris en compte ne sont pas du zones les plus riches en biodiversité tions acceptent et s’approprient de
tout considérés dans les stratégies sont généralement situées dans les telles stratégies de préservation. » Ce
de conservation. Il n’existe qu’une pays les plus pauvres : il y a de nom- POUR EN qui suppose, selon lui, de dévelop-
seule initiative, le programme breux parcs nationaux avec très SAVOIR PLUS per de nouvelles activités, comme
EDGE (pour evolutionarily distinct peu de gardes censés surveiller des n mol.org l’agroécologie et l’écotourisme,
Le site Map of Life, dont sont qui conviennent non seulement à
extraites la majeure partie des leurs exigences mais aussi, et sur-
L’ÉQUIPE LAURÉATE EN ENVIRONNEMENT données utilisées dans l’étude. tout, à celles de la biodiversité. n
Bérénice Robert
n Laura J. Pollock, Wilfried Thuiller et Walter Jetz ont remporté
le prix La Recherche pour la publication : (1) L. J. Pollock et al., Nature, 546, 141, 2017.
Laura J. Pollock et al., « Large conservation gains possible (2) www.edgeofexistence.org
for global biodiversity facets », Nature, 546, 141, 2017. (3) M. B. Mascia et al., Biol. Conserv.,
169, 355, 2014.
O remonter la naissance
de la science moderne
au XVIIe siècle. Galilée, fondant
Difficile
mondialisation
sa démarche scientifique sur
l’expérience, l’empirisme, annonce
la rupture. Il n’est bien évidemment
pas le seul savant à avoir marqué
l’histoire des sciences par sa
méthode – on pense par exemple La science est un écosystème à part entière, peuplé d’une
à Amedeo Avogadro, auquel variété d’acteurs. Pour le physicien britannique Jeremy
Catherine Bréchignac consacre un Baumberg, la diversité de cet univers est aujourd’hui menacée
chapitre dans L’Irrésistible Envie de
par la mondialisation. D’où la nécessité d’inventer de nouveaux
savoir. Mais qu’en est-il aujourd’hui ?
Deux livres à paraître, du physicien types d’institutions dédiées à la gouvernance de la recherche
Jeremy Baumberg (en anglais) et et d’autres moyens d’encourager les scientifiques et leurs idées.
du chercheur en sciences sociales
Thibault Le Texier, s’interrogent sur
le sujet. Le premier, au travers d’une a science est l’un des grands est-elle bonne pour la science, ou non ?
L
réflexion générale sur l’« écosystème succès de nos civilisations, En tant que scientifique, j’ai évolué dans
de la recherche » à l’heure des depuis l’Antiquité grecque tous les milieux : dans de grandes entre-
données massives, de la big science jusqu’à l’ère moderne, en prises industrielles (chez IBM et Hitachi),
et du « publier ou périr » ; le second passant par le Moyen Âge dans de petites structures, etc. Mais jamais
en revenant de manière critique arabe et la Renaissance je n’ai été autant intrigué par la manière
sur la méthodologie de l’expérience européenne. C’est l’un des moteurs clés de pratiquer la science que depuis que je
de Stanford, dont les résultats ont de notre prospérité, de notre capacité à suis revenu dans le milieu universitaire, il
fait sensation en psychologie au causer des problèmes, mais aussi de notre y a une vingtaine d’années.
début des années 1970. Avec, en capacité à les résoudre. Elle a stimulé notre Ici, mes collègues se plaignent à chaque
filigrane, cette interrogation : la curiosité pour le monde qui nous entoure, changement : quand on leur interdit de
mondialisation et l’émergence et, au-delà, pour l’Univers. Mais la façon transférer des crédits alloués à la recherche
des médias grand public ne sont- dont nous faisons la science est-elle la pour acheter de l’équipement, quand on
elles pas en train de provoquer une même qu’auparavant, ou est-elle en train prélève des fractions de plus en plus impor-
nouvelle rupture dans la manière d’évoluer, alors que les politiques dans tantes des budgets pour financer les admi-
de faire la science ? n le domaine fluent et refluent sans cesse ? nistrations… Pourtant, vu de l’extérieur, le
Vincent Glavieux Autre interrogation : la mondialisation fait même que nous ayons des universités
milieux et cultures de mondialisation sur la richesse, liser d’ingéniosité pour simplement réussir
recherche, s’interrogeait alors la diversité de la science, et où à survivre dans cette « jungle ».
Princeton University sur ce système dans lequel il esquisse des suggestions de La notion d’écosystème de la recherche,
Press, 248 p., 24,95 £, il évolue depuis plusieurs changement. Une réflexion qu’il à laquelle j’ai longuement réfléchi, ren-
à paraître le 15 mai 2018. décennies et sur lequel il entend continuer sur Internet : voie bien évidemment à des créations
connaissait finalement peu de www.thesciencemonster.com positives, comme l’innovation technolo-
gique ou les modèles mathématiques
force la difficulté à discerner le bon grain ce que l’on constate, par exemple, dans sur la base de comptes-rendus rédigés par
intellectuel de l’ivraie et à suivre l’évolution le domaine des matériaux en couches un ensemble d’évaluateurs externes, eux-
d’un domaine. D’autant que, si le nombre minces (de l’épaisseur d’un atome), que mêmes imprégnés par des critères d’« utilité
de scientifiques augmente – il double tous l’on explore en informatique dans l’espoir pour la société » et d’« excellence » ?
Histoire
de constater à quel point cette concur-
rence implacable a conduit à réduire la
valeur des scientifiques à un seul et unique
nombre : leur indice « h ». Si ce facteur per-
met d’évaluer la productivité de chaque
chercheur – de manière d’autant plus pré-
cise aujourd’hui que la publication numé-
rique des recherches a été généralisée –, il
d’un mensonge
impose une compétition insoutenable
qui, encore une fois, n’est salutaire ni En 1971, l’expérience de Stanford, sur la
pour l’estime que les chercheurs ont d’eux- situation carcérale, est arrêtée précocement.
mêmes, ni pour la diversité et l’excellence Selon le psychologue américain Philip Zimbardo,
de la recherche.
son concepteur, elle montre que c’est le
Refondre nos systèmes contexte de la prison, plutôt que la personnalité
C’est pourquoi, personnellement, je suis des participants, qui est à l’origine d’attitudes
de plus en plus convaincu de la nécessité violentes. Ce travail, largement repris par la
d’insuffler une espèce d’anarchie créa- suite, est dénoncé par Thibault Le Texier dans Histoire d’un
trice dans la communauté scientifique. mensonge, dont nous publions ici des extraits en exclusivité.
Il me semble également indispensable
d’inventer de nouveaux types de centres
et d’institutions dédiées à la gouvernance
de la recherche. Il faut aussi développer de La prison fut donc hasard en deux groupes. Une moitié
nouvelles façons d’encourager la science, construite dans les fut assignée au rôle de gardiens, l’autre
les scientifiques et les idées. Une initiative sous-sols du départe- au rôle de prisonniers. Neuf prison-
actuelle me semble d’ailleurs intéressante ment de psychologie niers furent répartis par groupes de trois
dans cette optique. Elle propose de finan- de Stanford, au Jordan Hall. Les portes dans trois cellules, et neuf gardiens par
cer le développement d’un nouveau type de trois bureaux furent remplacées par groupes de trois en trois tours de garde
de scientifique, dont le rôle serait similaire des portes à barreaux et les deux extrémi- (de 10 heures à 18 heures, de 18 heures
à celui d’un curateur sur le Web : compiler tés du couloir qui desservait ces bureaux à 2 heures et de 2 heures à 10 heures).
les nouvelles publications qui sortent dans furent scellées. D’un côté se trouvait la Les gardiens restants furent priés de
un domaine de connaissances précis, les salle de repos des gardiens, qui leur ser- rester chez eux et de se tenir prêts à
classer, les évaluer, afin de mieux identifier vait aussi de vestiaire, et de l’autre une intervenir en renfort si besoin. Les pri-
les champs inexplorés. salle réservée aux expérimentateurs sonniers qui n’avaient pas été retenus
La refonte de nos systèmes me paraît peut- depuis laquelle ils pouvaient filmer le furent remerciés.
être d’autant plus pertinente que je tra- couloir en enfilade à travers une petite En arrivant du commissariat, chaque
vaille à Cambridge, dans une université ouverture cachée par un voile. C’est dans prisonnier fut amené dans le couloir,
vieille de plus de 800 ans, qui fait partie ce couloir qu’auraient lieu les repas, les les yeux toujours bandés, pour y être
de l’élite traditionnelle. Mais c’est aussi séances de comptage et les visites. Du fouillé, déshabillé et aspergé d’un spray
parce que je suis sensible à l’évolution du côté du couloir opposé aux cellules se par les gardiens – « une procédure imagi-
monde qui nous entoure – je suis un agent trouvait un petit placard portant l’inscrip- née d’une part pour l’humilier et d’autre
(secret) du changement –, et parce que la tion « Le trou », destiné à servir de cellule part pour être sûr qu’il n’amène aucun
diversité me semble être un élément cru- d’isolement. Les toilettes étaient plus loin microbe dans notre prison » (1) préci-
cial à la vitalité d’un écosystème. Or la rési- dans le hall et les prisonniers devraient y sera Zimbardo dans le diaporama (le
lience de la science est actuellement mise être conduits les yeux bandés. […] spray était en fait un simple déodo-
à l’épreuve. n Après avoir été sélectionnés par les rant). Les uns après les autres, les pri-
(1) « Unesco Science Report : Towards 2030 », expérimentateurs, les vingt-quatre étu- sonniers reçurent ensuite leur uniforme,
tinyurl.com/unesco-towards-2030-report, 2015. diants volontaires furent répartis au composé d’une blouse portée sans
sous-vêtements et ornée d’un numéro Quand Zimbardo Les gardiens reçoivent un véritable mode
de matricule sur le buste et dans le dos ; affirme que les gardiens d’emploi leur indiquant comment fabri-
ils devaient aussi traîner jour et nuit une n’ont reçu « aucune instruction quer de toutes pièces cet environnement
lourde chaîne cadenassée à la cheville spécifique ni aucune formation leur social pathogène. Zimbardo leur explique
droite et garder un bas en nylon sur la détaillant comment se comporter », c’est par exemple pendant cette même journée
tête, comme s’ils avaient eu le crâne rasé. complètement faux. […] Zimbardo et ses d’intégration : « Nous pouvons créer de l’en-
Le matricule, l’uniforme et ce bonnet ridi- assistants leur annoncent sans détour nui ; nous pouvons créer un sentiment de
cule étaient censés les pousser à se sentir pendant leur journée d’intégration, le frustration, nous pouvons créer un senti-
émasculés et anonymes. samedi 14 août 1971, les objectifs qu’il ment de peur en eux, à un certain degré ;
Les gardiens eux aussi furent déguisés pour faut atteindre. […] Zimbardo leur confie nous pouvons créer une notion d’arbitraire,
renforcer leur anonymat – mais également aussi ce jour-là qu’il a « une bourse pour que leur vie est complètement sous notre
leur virilité : uniformes kaki militaires, étudier les conditions qui produisent contrôle, sous le contrôle du système, vous,
matraques, sifflet autour du cou et lunettes des mouvements de foule, de la violence, moi, Jaffe, et donc ils n’auront absolument
spéciales aux verres argentés cachant une perte d’identité, un sentiment d’ano- aucune intimité. […] »
leurs yeux et leurs émotions. Zimbardo nymat ». Il leur dit encore : « On met en
jouait quant à lui le rôle de directeur de place une prison physique pour étudier [Zimbardo a aussi] prévu
prison, son étudiant en licence David Jaffe ce que ça fait, et voilà quelques-unes des depuis le début de ne pas
s’était vu attribuer le rôle de gardien chef variables psychologiques communes que libérer les prisonniers à leur guise.
et deux de ses thésards, Curt Banks, grand l’on a découvertes. Et on veut recréer dans Le protocole qu’il soumet le 31 juillet 1971
Noir baraqué, et Craig Haney, longs che- notre prison cet environnement psycholo- au comité d’éthique de Stanford précise clai-
veux châtains et barbiche à la Zimbardo, gique. » La scène a été filmée : on voit Zim- rement que les prisonniers « seront amenés
jouaient ses lieutenants, à mi-chemin bardo, disant cela, montrer du doigt un à croire qu’ils ne peuvent pas sortir, sauf pour
entre lui et Jaffe dans la hiérarchie minia- tableau noir où Jaffe a recopié la liste des une urgence. Une équipe médicale sera là
ture de cette prison fantoche. L’équipe variables que lui a donnée son professeur : pour examiner toutes les demandes de libé-
d’expérimentateurs était cependant sup- « Ennui, Frustration, Peur Arbitraire, Perte ration. […] Nous découragerons les sujets à
posée tenir un rôle très secondaire par rap- de vie privée, Perte de liberté d’action, Perte quitter l’expérience ». […] Les prisonniers
port aux gardiens. […] d’individualité, Impuissance (2) . » […] n’ont en fait que trois moyens de sortir :
tomber malade, faire une dépression ner-
veuse ou obtenir une autorisation spéciale
des expérimentateurs. […]
anxiété, de son aisance, mais aussi de son un classique de la psychologie expéri- et leurs progrès en lecture ont « aug-
état de fatigue, de son excitation et de son mentale, où il révèle que les attentes des menté d’une façon beaucoup plus sensible
intérêt pour l’expérience (il ne fera pas expérimentateurs influent bel et bien que celui du reste de leurs camarades non
passer un test de la même manière aux sur les performances des sujets, même signalés à l’attention de leurs maîtres » (4) .
premiers volontaires et aux derniers). Les quand ces sujets sont des souris. Il ima- Si les résultats de Pygmalion à l’école ont
attentes et les espoirs d’un expérimen- gine l’année suivante de tester cet effet été depuis remis en cause, l’existence de
tateur peuvent biaiser en particulier la avec des professeurs et des enfants dans multiples « biais de l’expérimentateur » a
manière dont l’objet de l’expérience et ses une école publique élémentaire de Cali- été solidement établie. […]
hypothèses sont choisis, dont les volon- fornie ; après avoir choisi 20 % des élèves
taires sont recrutés ou dont les données au hasard il confie à leurs maîtres que,
sont récoltées et traitées ; en règle générale, d’après ses évaluations, ces enfants sont Lorsqu’il monte son
plus l’expérimentateur est impliqué et plus capables de grands progrès […]. Rosenthal expérience, Zimbardo […] sait
les sujets le sont aussi. […] et sa collègue Lenore Jacobson publient les qu’il crée une situation
résultats de cette étude en 1968 sous le titre aux exigences multiples, et cela d’autant
En 1966, Rosenthal Pygmalion à l’école, et le livre devient vite plus que les gardiens sont informés par
regroupe ses recherches un best-seller international. De fait l’expé- avance des objectifs poursuivis par les
sur les biais de l’expérimentateur rience a été concluante : en huit mois, le expérimentateurs et que tous les parti-
dans un ouvrage qui devient rapidement QI des enfants présentés comme brillants cipants connaissent l’objet de cette
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livres Sélection du mois
es sciences de l’homme et de la société sont-elles physique plaide surtout pour un examen de conscience de notre
L
des sciences mathématiques comme les autres ? rapport aux sciences : il n’y a pas d’un côté des sciences exactes
Question passionnante à laquelle Pablo Jensen ou dures, et de l’autre des sciences molles ou inexactes ! Il y a
s’attache autant à répondre qu’il nous invite à y des sciences qui cherchent, non pas tant à expliquer ou à com-
réfléchir. Et son livre tombe à point nommé, tant prendre qu’à approcher, par les chemins de la raison, une forme
l’époque semble être à l’anathème plus qu’au de réalité extérieure aux outils qu’elles construisent et mobilisent.
débat ou à la controverse scientifique, notamment lorsqu’il s’agit C’est le caractère rigoureux de la mise en œuvre d’outils ration-
des méthodes des sciences sociales. D’aucuns ne nels, dans le cadre d’hypothèses bien précisées, qui
s’en étonneront pas, pour qui la faiblesse ou la fait science, et non les outils eux-mêmes. Ainsi, il ne
beauté (c’est selon !) de ces sciences est justement suffit pas d’utiliser des mathématiques pour faire de
de n’être pas exactes. Précisément, partons de cette la « bonne » science. Des pans entiers des sciences
expression : « Ce n’est pas une science exacte. » Et sa économiques l’ont démontré, souvent plus à nos
variante : « Ce n’est pas mathématique. » Comme dépens qu’à ceux d’économistes peu soucieux de
si les sciences dites exactes étaient plus « faciles » démarche scientifique – lire l’excellente tribune du
– avez-vous déjà essayé d’isoler des atomes dans physicien Jean-Philippe Bouchaud, dans Nature,
une pince optique, de concevoir la gravitation uni- lors de la crise des subprimes (1) .
verselle ou de trouver une bonne définition de la Nombre de mauvaises polémiques (les sciences
température ? Et puis, comme si toute mathéma- sociales en ont souffert récemment, comme l’a
tique était déterministe – alors que probabilités et montré l’émission « Répliques » d’Alain Finkielkraut
modélisation stochastique font la part belle à l’in- sur France Culture, le 3 février dernier, intitulée « La
déterminisme et à l’incertitude. grande querelle des sociologues ») ne reposent que
Si les sciences « exactes » semblent plus rigoureuses, c’est en rai- sur la volonté fort peu scientifique d’excommunier une chapelle
son de causes que Pablo Jensen analyse finement. Il ne faut pas méthodologique, alors même que ni chapelle, ni volonté d’excom-
confondre la fiabilité du savoir construit par une science et la munication ne devraient trouver matière à exister dans quelque
rigueur des outils qu’elle met en œuvre. Certes, la physique semble champ scientifique que ce soit. Le livre de Pablo Jensen foisonne
pouvoir compter sur la belle rigueur de ses théories mathéma- d’exemples qui dressent un magnifique panorama permettant de
tiques. Mais n’oublions pas que « la déraisonnable efficacité des comprendre à quel point la multiplication des points de vue peut
mathématiques dans les sciences naturelles », comme le souli- être féconde en matière de raisonnement et de démarche scien-
gnait le physicien hongrois Eugene Wigner, Prix Nobel en 1963, tifique. Après tout, le seul risque que l’on court, en utilisant deux
ne doit pas manquer de surprendre. Pourquoi les théories mathé- approches, n’est jamais que de trouver les mêmes résultats ! n
matiques parviennent-elles à de tels succès en physique ? Ceci (1) J.-P. Bouchaud, Nature, 455, 1181, 2008.
demeure mystérieux. Mais cette efficacité des mathématiques en Seuil, 336 p., 22 €.
CHRISTINE CHAUDAGNE - DR
ASTRONOMIE Zoologie
Astronomies du passé PORTRAITS
DE LA VIE SAUVAGE
Lorsque l’on évoque l’histoire de l’astronomie,
la référence aux Grecs arrive très souvent en tête,
suivie parfois de celle aux Babyloniens. Les plus
connaisseurs citeront les Chinois et les Arabes. Mais, Le photographe londonien Tim
comme l’illustre Yaël Nazé, astronome à l’université Flach nous convie à un fascinant
de Liège, toutes les cultures se sont intéressées aux face-à-face avec le monde animal.
astres et toutes ont développé des mythologies à leur propos Pour ce recueil de clichés consacré
– jusqu’à notre société technologique, avec les immanquables aux espèces en danger d’extinction,
Martiens. Ces contes anciens se doublent régulièrement de prédictions, il détourne les codes du portrait ha-
de modélisations plus ou moins complexes, mises à la portée de tous bituellement réservé aux humains.
dans cet ouvrage bien illustré. Dans les derniers sanctuaires de
Yaël Nazé, Belin, 240 p., 25 €. la vie sauvage ou dans des zoos,
il réussit à cadrer ses sujets sur un
fond neutre pour mettre en valeur
NEUROSCIENCES leur personnalité. Le lecteur est ainsi confronté, droit dans les
yeux, au sifaka couronné, délicat lémurien dont l’habitat, à
L’Homme glial Madagascar, se réduit comme peau de chagrin. L’animal se tient
Les cellules gliales ont longtemps été perçues dans une posture presque humaine – assis, les bras autour des
comme de simples supports pour les neurones. Elles genoux, comme un enfant recroquevillé au fond d’un canapé. Nul
forment en réalité un réseau complexe, capable de besoin de lire la légende, on comprend la situation désespérée
communiquer avec ces derniers et même d’intégrer de l’animal. Au il des pages, on plonge dans le regard efronté
l’information synaptique. Et si les neurosciences du macaque nègre des Célèbes, dans celui, pétillant, du panda
avaient un regard tronqué sur le fonctionnement roux, dans les yeux mystérieux du rhinopithèque du Yunnan…
cérébral ? C’est le message essentiel de ce livre, qui Tim Flach fait également le point sur des détails magniiques,
est un appel à faire se rencontrer les neurosciences et les « gliosciences ». comme les cils de l’éléphant, les antennes des escargots Partula
Car l’étude des cellules gliales constitue une grille de compréhension ou les lignes de la main d’un orang-outan. Grâce à ces images
du cerveau inédite. À la clé, de nouvelles pistes et cibles thérapeutiques complétées par des informations sur les espèces, l’ouvrage de
prometteuses contre les maladies neurodégénératives. Tim Flach, tel un album de famille, nous relie à la nature.
Yves Agid et Pierre Magistretti, Odile Jacob, 208 p., 23 €. Tim Flach, Heredium, 336 p., 79 €.
PALÉOANTHROPOLOGIE GLACIOLOGIE
Biologie MATHÉMATIQUES
PROFONDEURS
incongrus
Qu’est-ce qui constitue un bon casse-tête ? Un
problème qui nécessite une dose de logique, de la
« Dans deux aquariums au moins, les poulpes ont appris à éteindre sagacité, et que l’on finit par résoudre sans y passer
les lumières en aspergeant les ampoules lorsque personne ne les des jours… Écrivain britannique, Alex Bellos
regardait, provoquant ainsi un court-circuit », raconte, dans cet a rassemblé une centaine de ces problèmes,
ouvrage consacré au plus intelligent des invertébrés, le philosophe classiques et moins classiques, à l’origine parfois
des sciences australien Peter Godfrey-Smith. En captivité, les ancienne. Un peu de dénombrement, l’incontournable théorème de
poulpes reconnaissent leurs gardiens, même en uniforme, et ils Pythagore, et vous êtes équipé pour vous y attaquer. À moins
en préfèrent certains à d’autres. Ils peuvent dévisser le bouchon qu’une astuce ne débloque la situation. Et si vous séchez, les solutions
d’un bocal pour atteindre de la nourriture et agir en fonction de sont très explicites. Un ouvrage de référence.
qui les regarde. Une grande partie de leurs neurones se situent Alex Bellos, Flammarion, 384 p., 21,90 €.
dans les bras. Chaque ventouse de leurs tentacules en possède
ainsi jusqu’à 10 000 pour traiter les signaux tactiles et gustatifs
– ce qui leur procure des capacités sensorielles importantes HISTOIRE DES TECHNIQUES
et d’extraordinaires habiletés
comportementales, caractéris- L’Analogie dans les techniques
tiques synonymes de conscience. L’analogie est souvent la source de nos
Pour l’auteur, ces animaux sont raisonnements, lorsque nous étendons une relation
devenus intelligents car ils sont bien connue entre deux objets à d’autres que nous
lexibles, aventureux et oppor- ne connaissons pas. Elle est primordiale dans
tunistes. Il mène son enquête l’apprentissage, dans l’invention, dans la
en puisant dans la littérature transmission des techniques. Comment, par
scientiique et en rencontrant exemple, Léonard de Vinci en a-t-il fait usage pour
plongeurs et biologistes. Un livre ses machines de vol ? En rassemblant des contributions d’historiens,
instructif, fourmillant d’anec- de psychologues cognitivistes, de philosophes ou encore
dotes surprenantes. d’archéologues, cet ouvrage analyse en détail le rôle de ce concept.
Peter Godfrey-Smith, Flammarion, Sophie A. de Beaune, Liliane Hilaire-Pérez et Koen Vermeir (dir.),
352 p., 21 €. CNRS Éditions, 302 p., 32 €.
U
ne révolution se prépare ! Demain, nous n’aurons plus par des gastronomes, le verdict était, dans l’ensemble, positif.
besoin de tuer des milliards d’animaux chaque année Seul problème : le coût de ce burger, d’environ 300 000 dollars.
pour agrémenter nos repas : la viande sera cultivée Mais, pour les partisans de cette viande synthétique, ce « détail »
dans des récipients à partir de cel- était en passe d’être résolu. D’ailleurs, en 2018, un
lules de muscles. Telle est la thèse de Paul Shapiro, tel burger ne coûte déjà plus qu’une dizaine de
précédemment vice-président de l’organisation de dollars. Selon Paul Shapiro, le succès de la « viande
protection animale Humane Society of the United propre » ne saurait donc tarder. Il n’y aura bientôt
States. Dans ce livre, préfacé par Yuval Noah Harari, plus qu’à la produire en grande quantité et à obtenir
il raconte pourquoi ce procédé biotechnologique les autorisations des autorités compétentes pour
a toutes les chances d’entraîner la fermeture des qu’elle se retrouve dans nos assiettes.
abattoirs. Ses premiers promoteurs, au début des Bien sûr, des opposants l’accuseront de ne pas être
années 2000, étaient consternés par l’ineicacité « naturelle ». Toutefois, à l’aide d’exemples, Paul
de l’élevage – la quantité de calories que l’on retire Shapiro montre que ce type d’opposition ne dure
d’un animal est très faible par rapport à celle qu’on pas longtemps. Comment résister à de la viande
lui fournit pour grandir –, par les dégâts environne- high-tech qui, tout en ayant le même goût que
mentaux engendrés et par son incapacité prochaine l’ancienne, est plus saine (car on maîtrise ce qu’elle
à fournir de la viande à une population mondiale qui s’accroît. contient), plus rentable, plus éthique et moins destructrice de
La solution la plus simple serait d’en diminuer drastiquement la l’environnement ? Des irréductibles voudront peut-être continuer
consommation. Cependant, malgré la montée en puissance du vé- à manger des animaux. Mais, si l’auteur a raison, leur désir inira
ganisme, la population reste globalement très attachée à son steak. par apparaître comme particulièrement cruel…
Il faut trouver une autre voie : le premier burger produit à partir Thomas Lepeltier, chercheur indépendant, Oxford
de cellules de vache a ainsi été créé en 2013. Après dégustation Gallery Books, 2018, 256 p., 20 £.
ÉNERGIE ANTHROPOLOGIE
FEU
des Vosges et de la plaine
d’Alsace est ici présentée
grâce à une collection
Source de vie ou de destruction, le feu fascine comprenant des pierres
l’homme depuis qu’il le maîtrise. Pourtant, rares, accompagnées
cet élément échappe parfois à son contrôle, d’outils et d’objets servant
se répand et consume. C’est ce qu’il s’est à l’exploitation des mines
produit en 2015 à la Cité des sciences et de et au travail des métaux.
l’industrie, lors d’un incendie occasionnant Colmar (Haut-Rhin),
de lourds dégâts. Cette année, la Cité prend Musée d’histoire naturelle
sa revanche et expose le feu sous tous ses et d’ethnographie
aspects : son rôle déterminant dans l’évolu- tinyurl.com/Colmar-musee géologues, ethnologues
tion de l’homme, ses fonctions pratiques, et et paléoanthropologues
sa place dans les croyances et dans l’art. À Jusqu’au ont fouillé l’histoire de ce
travers divers jeux collaboratifs – permettant 3 mars 2019 site qui a parfois été un
entre autres d’enquêter sur un incendie –, Tous humains lieu sacré ou un terrain de
des installations audiovisuelles, des maquettes et des modélisations de Construite sur les données chasse. Le Muséum de
laboratoire, cette exposition propose de redécouvrir cet élément. Quels scientifiques de La Rochelle propose de
sont les phénomènes responsables de la combustion ? Quelles sont les ré- paléoanthropologie les découvrir comment, grâce
actions impliquées ? Quelles sont les caractéristiques physico-chimiques plus récentes, cette à des fossiles et des
d’une lamme ? Le grand public pourra également trouver des réponses exposition est une enquêtes ethnologiques,
à ces questions, et comprendre comment contrôler ou combattre le feu à plongée dans la longue les chercheurs ont mené
travers des interviews de pompiers. Un événement qui veut sensibiliser et histoire de l’humanité à leurs études pour
responsabiliser petits et grands face au feu. l’aide de cartes, de reconstituer les
Du 10 avril 2018 au 6 janvier 2019, Paris, Cité des sciences et de l’industrie fossiles, de supports 100 000 ans d’histoire
www.cite-sciences.fr/fr/au-programme/expos-temporaires/prochainement/feu numériques et de cette montagne.
d’animations. L’occasion La Rochelle (Charente-
de rappeler que, au-delà Maritime), Muséum
climatiques, les Jusqu’au des clichés, il n’existe pas tinyurl.com/la-montagne-de-
EXPOSITIONS infrastructures produisant 23 décembre différentes races Pa-Hang
de l’énergie hydraulique Minéral’Orgie d’homme mais bien une
Jusqu’au 4 mai et la consommation –, Qu’ils soient métalliques seule espèce humaine, Du 12 avril
Pyrénées : tous du fait de l’homme. (or, argent, cuivre, fer…) originaire d’Afrique et qui au 16 septembre
ressources d’hier Cette exposition de ou non (quartz, fluorite, compte désormais plus de Apprendre
et d’aujourd’hui photographies propose silicate…), les minéraux 7,5 milliards d’individus de la nature
au grand public une ont joué un rôle majeur sur Terre. Comment se servir des
randonnée dans ces dans l’histoire de Poitiers (Vienne), ressources de la nature
montagnes pleines de l’homme. La richesse et la Espace Mendès France de manière plus
ressources et raconte diversité minéralogique tinyurl.com/tous-humains responsable ? C’est
l’histoire de leur la question que pose
exploitation, notamment Jusqu’au cette exposition qui invite
celle des mines, 10 mars 2019 à réfléchir à un avenir
qui ont laissé une Pa Hang, la plus propre pour
empreinte toujours montagne habitée l’environnement.
visible de nos jours. La montagne de Pa Hang, Grâce aux installations
Glaciers, lacs et rivières Toulouse (Haute- située au nord-est du interactives et aux
des Pyrénées voient leur Garonne), Observatoire Laos, a abrité tantôt manipulations proposées,
niveau fluctuer en Midi-Pyrénées des animaux sauvages, les visiteurs pourront
fonction de divers critères tinyurl.com/agenda- tantôt des communautés se familiariser avec la
– les changements Pyrenees humaines. Archéologues, bionique, discipline
paléontologue,
expliquera les avantages
évoquera, lors de
cette conférence, GRAVITÉ ZÉRO
et les inconvénients les troubles que sont
de tailles aussi massives. la bipolarité, la Les étoiles et l’immensité des espaces intersidéraux stimulent, chez l’homme,
La Rochelle (Charente- schizophrénie et la le désir de la conquête spatiale. Cette exposition propose au grand public
Maritime), Muséum dépression. Il abordera de se replonger dans l’histoire de cette aventure cosmique à travers une
tinyurl.com/dinosaures- également les différentes trentaine d’œuvres d’art. Pour les réaliser, les artistes se sont appuyés
gigantisme approches thérapeutiques sur les témoignages de scientiiques, d’ingénieurs et d’historiens, ain
actuellement possibles : de relater les rêves, les réussites et les déceptions liés à la conquête de
Le 25 avril leurs enjeux, leurs l’espace. Les visiteurs pourront découvrir la première œuvre d’art réali-
à 19 h 45 fonctionnements, sée dans l’espace, « Télescope Intérieur », imaginée par Eduardo Kac et
Les troubles leurs avantages, réalisée grâce à la collaboration de Thomas Pesquet, qui était à bord de
psychiatriques : leurs inconvénients la Station spatiale internationale. Une œuvre qui prend tout son sens en
mieux les et leurs limites. gravité zéro, lorsqu’elle dérive et décrit des formes et des lettres diverses.
connaître Paris, Cité internationale En somme, cette exposition est une véritable exploration artistique de
Redwan Maatoug, interne universitaire l’aventure spatiale.
en psychiatrie et tinyurl.com/troubles- Du 6 avril au 7 octobre, Toulouse (Haute-Garonne), Les Abattoirs
spécialisé en addictologie, psychiatriques www.lesabattoirs.org/expositions/gravite-zero
+
les addictions
attribuait
point jusque
sur les là l’invention
avancées C’est
comme en conjuguant
rigide et immuable,
de l’outil
qui à Homo
permettent habilis, dont
d’envisager des
peutrecherches
se déformer que! les
les plus vieux représentants
de nouvelles méthodes scientifi ques convergent
La Recherche explore
n’ont
de queavec
soin, 2,4 ou
millions
sans d’années. vers une meilleure
cette révolution
Dans ce numéro, La Recherche
médicament. compréhension des
conceptuelle dans son
fait le point sur ce que l’on sait origines de la vie.
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de nos ancêtres.
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ET MATHÉMATIQUES
Ces pages proposent un choix d’énigmes et de casse-tête pour solliciter votre esprit
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mathématique n’est nécessaire. Quoique…
Phobie du « 13 »
8 1 6
Les techniciens d’une compagnie de téléphonie attribuent
3 5 7 à un groupe d’abonnés tous les nombres de six chiffres possibles.
Toutefois, le président de la compagnie étant superstitieux, ils
4 9 2 souhaitent éviter que le « 13 » soit appelé par erreur et éliminent tous
les numéros pouvant le contenir, au début, à l’intérieur ou à la fin.
Saurez-vous faire de même avec
neuf nombres premiers différents ? Combien de numéros sans « 13 » peuvent être distribués ?
Un tonneau
pour deux
Deux vignerons se retrouvent
abandonnés sur une île déserte,
avec du vin plein un tonneau
classique – comme on en fabrique
Saurez-vous remettre sur la spirale les mots du poète français Christian Bobin ? par révolution d’un arc de cercle
autour d’un axe vertical.
Souhaitant partager
équitablement, ils décident
Trissection que l’un va boire la moitié
du contenu, puis laisser son
compagnon boire le reste.
Pages réalisées
par Pierre Berloquin,
Solutions dans le prochain numéro Créalude
lité. L’exemple du physicien allemand nécessite vraiment la sollicitation des Jean-Gabriel Ganascia est professeur d’informatique
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CHAMPION DU MONDE & MGEN Vie, n°441 922 002, MGEN Filia, n°440 363 588, mutuelles
soumises aux dispositions du livre II du code de la Mutualité - MGEN
CHAMPION OLYMPIQUE Action sanitaire et sociale, n°441 921 913, MGEN Centres de santé,
DE BIATHLON n°477 901 714, mutuelles soumises aux dispositions du livre III du
code de la Mutualité.