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La tyrannie de la réalité

Les jeunes étudiants, qui ont hâte d’exalter leur « maturité », se disent réalistes et non
idéalistes. Ils croient vraiment avoir atteint le summum de la maturité en optant pour le
principe qui dit : « ca a toujours été comme ca, nous n’y pouvons rien ». Examinons cette
phrase de plus près. Ca a toujours été comme ca ? Il y a toujours une première fois. Nous
n’y pouvons rien ? Nous n’y pouvons rien ou nous pouvons peu ? Tout d’abord, « rien » et
« peu » ne sont pas synonymes. Puis, ce n’est pas parce que notre action ne va pas
changer le monde entier et ne connaitra pas de gloire universelle que nous devons nous en
abstenir. C’est comme si un petit enfant mourant de faim vous demandait à manger et vous
refusez de lui donner quoique ce soit sous prétexte que dans tous les cas, que vous l’aidiez
ou pas, il y aurait toujours la famine en Afrique. C’est ce qui se passe couramment, mais
certes de façon moins évidente. Dans certaines situations, notre inaction et manque
d’initiative sont intolérables. L’essentiel ne réside pas dans l’importance du résultat mais
dans l’importance de notre effort. Nous ne pouvons affirmer que telle chose est impossible
avant d’avoir nous-mêmes agi et accompli notre devoir. Ne pas agir parce que le résultat
risque de ne pas nous satisfaire, ne signifie pas pour autant que nous sommes réalistes mais
plutôt révèle un caractère lâche et hypocrite. Cette « folie de grandeur des résultats » nous
paralyse et fait de nous des observateurs passifs d’une réalité morbide.

Plus grave encore, la véritable tyrannie de la réalité se manifeste lorsque la déception et le


désespoir atteignent leur apogée. Cet état d’esprit déplorable nous conduit à une
dangereuse confusion entre ce qui est et ce qui devrait être. D ans ce cas, que nous
finissons par croire que telle situation n’est pas simplement ce qu’elle est mais aussi ce
qu’elle devrait être. Ceci met un terme à toute tentative de réforme ou même de remise en
cause de la situation. Pourquoi vouloir réformer ce que nous tenons pour bon ? La situation
politique au Liban est particulièrement victime de cette pensée. Le réservoir précieux de
créativité, d’ambition et de travail que constitue la jeunesse n’est pas exploité à fond en
raison de la « démission » des jeunes. Motiver et activer les étudiants est indispensable au
développement économique, social et politique du pays. Partout dans les pays développés,
c’est au sein des universités que s’avancent et s’achèvent les projets de recherche et les
activités novatrices les plus importantes. Cet effort estudiantin contribue considérablement
au développement de ces pays. Le Liban qui en a particulièrement besoin, souffre
énormément de son absence.

Comment donc un jeune étudiant peut-il aider son pays aujourd’hui ? Tout d’abord en ôtant
le masque du réalisme hypocrite. Ce qu’il faut savoir c’est que le réalisme ne s’oppose pas
radicalement à l’idéalisme. Il ne s’agit pas d’idéologies pour choisir l’une des deux. La
sagesse consiste à savoir distinguer la place de chacune et son utilité. En étant idéalistes
dans la pensée, nous arrivons à comparer la réalité avec nos convictions. La remise en cause
de la situation actuelle serait alors possible. Nées alors une ambition d’agir et une volonté
de changement. Le cas inverse aurait obligatoirement empêché tout mouvement de
réforme et une soumission à la réalité. Toutefois, s’il nous est utile d’être idéalistes dans
notre réflexion, le réalisme, quant aux moyens d’agir, est aussi important. Il ne s’agit pas
d’être des penseurs idéalistes qui ne font que rêver et espérer, ou d’autres qui dépensent
leur énergie et perdent leur temps gratuitement, en raison du manque de réalisme dans la
façon de mener leur projet. Etre pragmatique et réaliste est essentiel lorsque l’on mène un
projet concret afin d’optimiser les résultats, mais se cacher derrière le pragmatisme et le
réalisme afin d’en faire des prétextes pour ne pas agir, produit les effets contraires de ces
principes qui se veulent avant tout utilitaristes. Dans le cas des étudiants libanais, ce qui
pourrait y avoir de plus inutile est l’inaction. Pourtant, l’action ne doit pas être ou
extraordinaire ou ne pas être du tout. Un modeste engagement de la part de chacun dans
l’exercice de la véritable citoyenneté, qui contrairement aux idées reçues ne consiste pas
simplement à exercer ses droits politiques mais inclut tout combat mené en vue d’une amélioration de la société,
est déjà un acte utile. Un acte peu utile ou révolutionnaire ? Quelle importance ! C’est d’ailleurs aux circonstances
de le décider. Quant à nous, quel que soit le résultat, nous aurions la conscience tranquille d’avoir rempli notre
devoir.

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