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LE MYSTÈRE DU SQUELETTE FANTÔME
RetoUR
À CasTle KeY
Jack Carter se leva d’un bond et attrapa son sac à dos sur le porte-
bagages. Le trajet entre Londres et la côte de Cornouailles avait duré une
éternité ! Il se sentait aussi impatient qu’engourdi, presque déconnecté,
comme s’il avait voyagé dans l’espace.
– On est arrivés ! dit-il à Scott, tandis que le train s’arrêtait à
Carrickstowe. Debout ! Vite !
Son frère entrouvrit un œil ensommeillé. À 14 ans, Scott se comportait
toujours de manière nonchalante. À croire qu’il voulait paraître exactement le
contraire de Jack.
– Cool ! Il n’y a pas le feu !
Mais Jack savait qu’il faisait semblant de ne pas être aussi surexcité que
lui.
Lorsqu’ils avaient découvert l’île de Castle Key la première fois, au début
de l’été précédent, ils avaient craint le pire. À coup sûr, ils allaient s’ennuyer
à mourir. Jack avait même imaginé toutes sortes de plans pour s’enfuir.
Puis ils avaient rencontré Emily Wild, qui vivait dans un phare transformé
en gîte près du port, et tout avait changé. Emily et son petit chien Drift les
avaient entraînés dans d’incroyables enquêtes… et un monde caché.
Ensemble, ils avaient déniché un passage secret dans des grottes1, affronté le
fantôme du grenier d’un château2 et la malédiction d’un rubis3, retrouvé un
ancien trésor4…
Et ce n’était sûrement pas fini.
Voilà pourquoi, quand leur père, archéologue, leur avait proposé de passer
les vacances de la Toussaint chez leur tante Kate, ils n’avaient pas hésité une
seule seconde. M. Carter partait assister à une conférence en Allemagne, et
eux, ils s’apprêtaient à vivre de nouvelles aventures extraordinaires !
Un quart d’heure plus tard, ils pédalaient avec énergie sur l’étroite route-
digue le long de la mer. Ils avaient emporté leurs vélos pour circuler
librement.
Alors qu’ils se dirigeaient vers le sud, Jack inspira l’air marin avec
délice. Il aimait retrouver cette lande couverte de bruyère, cette côte
déchiquetée, le cri des mouettes, l’odeur des embruns… Scott éprouvait la
même sensation, il le devinait à son sourire !
Ils traversèrent le terrain de foot, le village, la grand-rue et, enfin,
tournèrent dans la ruelle de l’église. Ça grimpait mais, debout sur leurs
pédales, ils foncèrent. Parvenus en haut, ils posèrent leurs bicyclettes contre
le mur du jardin et coururent jusqu’au cottage des Roches.
Tante Kate les attendait sur le seuil, souriante, essayant de maintenir les
mèches grises qui s’échappaient de son chignon.
– Ah, vous voilà ! dit-elle, comme s’ils étaient partis de chez elle le matin
même. Je vous ai préparé un pain d’épice au gingembre.
Jack sourit. La délicieuse cuisine de tante Kate était l’autre raison qui leur
avait tant donné envie de revenir.
Ils l’embrassèrent affectueusement, heureux de la revoir. Au même instant,
une voix joyeuse les appela. Emily ! Elle arrivait également en vélo, ses
longs cheveux bruns défaits, son inévitable sac sur le dos. Dans le panier du
porte-bagages, le petit Drift était installé. Le regard brillant, les oreilles
dressées, c’était un chien aussi drôle qu’intelligent. « Emily sans Drift, ce
serait comme des frites sans ketchup, ou du chocolat chaud sans
marshmallows ! » pensa Jack.
– Et elle est déjà là ! constata-t-il, admiratif.
– Elle a dû nous guetter avec ses jumelles ! renchérit Scott.
Les trois amis échangèrent des checks enthousiastes, puis ils saluèrent
Drift. Le chien appartenait à leur équipe de super détectives en herbe. Il lança
un bref aboiement, comme s’il avait compris.
– Venez donc goûter ! insista tante Kate. Jack et Scott, vous pourrez ranger
vos affaires dans votre chambre plus tard.
– Merci, mais en fait on a déjà un problème à régler, annonça Emily d’un
air désolé. Vicky White vient de m’appeler : quelqu’un a libéré tous les
lapins de la ferme de Roshendra !
Scott et Jack échangèrent un rapide coup d’œil.
– Dur, dur, ils vont terroriser les touristes, plaisanta Scott.
– Je préviens l’armée, et toi, Emily, contacte le Premier ministre. Il faudra
sans doute déclarer l’état d’urgence, ajouta Jack.
Emily leva les yeux au ciel. Elle avait oublié à quel point les deux frères
pouvaient être moqueurs !
– Ce ne sont pas des lapins ordinaires. Ils sont…
– Mutants ? coupa Scott. Aïe, c’est encore plus grave ! Une bande de
lapins mutants a envahi l’île de Castle Key… Au secours !
Emily ne put s’empêcher de rire.
– Ils sont juste beaux… Très beaux. Ils ont remporté un concours, et, pour
la famille White, ils représentent beaucoup. Vicky m’a demandé si on pouvait
l’aider à les retrouver.
Jack regarda tante Kate. Partir dès maintenant, ce ne serait pas poli… En
plus, un superbe pain d’épice trônait sur la table.
– Allez-y ! proposa aussitôt la vieille dame, visiblement amusée. Vous
vous installerez à votre retour, et je mets le gâteau dans un sac pour que vous
puissiez l’emporter !
Environ une heure plus tard, tous les lapins, sauf un, avaient été retrouvés.
Il n’était que 18 h 30, mais la lumière du jour baissait rapidement, et un épais
brouillard commençait à tomber. L’ambiance n’était plus aux longues soirées
d’été sous un ciel étoilé !
Soudain, Jack aperçut une petite bête qui décampait dans les fourrés. Il se
précipita pour l’attraper.
– Je t’ai eue !
Ouaf !
Ouaf ? Depuis quand les lapins aboient ?
Se relevant, Jack vit qu’il tenait un animal noir et brun.
– Drift !
Le chien d’Emily aboya de nouveau joyeusement et bondit par terre. Puis il
fila vers les buissons en reniflant avec avidité.
– À mon avis, il adore notre nouvelle mission ! s’esclaffa Emily. Ça doit
lui ouvrir l’appétit ! Ah, ça y est, il a repéré le dernier !
Elle ramassa un petit lapin marron et le tendit à Vicky qui alla aussitôt le
mettre à l’abri. Elle referma soigneusement le clapier.
– C’est chouette que vous soyez venus. Je vous dois encore une fière
chandelle ! Merci !
Pendant les grandes vacances, la jeune fille avait été accusée d’avoir volé
le trésor saxon du musée de Castle Key et, sans l’intervention de Scott, Jack
et Emily, elle aurait fini en prison.
– Ne nous remercie pas, on aime rendre service, assura Emily.
« Et vivre des aventures ! » compléta Jack en son for intérieur.
Mme White apparut sur le seuil de la maison en s’appuyant sur des
béquilles. Lorsqu’elle sut que ses lapins bien-aimés étaient tous sains et
saufs, elle en eut les larmes aux yeux. Elle invita les trois amis à s’installer à
la grande table de la cuisine et leur apporta des gâteaux et du chocolat chaud.
Drift eut droit à un biscuit qu’il croqua avec gourmandise, assis à côté d’un
vieux labrador assoupi devant la cheminée.
– C’est étrange, dit Vicky en posant sa tasse. Les lapins ne se sont pas
échappés tout seuls. Quelqu’un a dû faire exprès de les faire sortir.
– Qu’est-ce qui te fait dire ça ? demanda Emily.
– Je suis sûre d’avoir bien refermé les clapiers après les avoir nourris à
midi. Quand maman est allée les voir cet après-midi, toutes les portes étaient
ouvertes, y compris celle de la grange. Les lapins sont malins… mais ils ne
savent pas encore enlever un verrou !
À ce moment-là, Laura Roberts fit irruption dans la pièce, en chaussettes.
Elle avait ôté ses bottes d’équitation boueuses. Avec ses cheveux blonds
attachés en queue-de-cheval et ses yeux bleus, Laura aurait pu passer pour la
plus jeune sœur de Vicky. En réalité, elle était employée au centre équestre
de la ferme. Heureuse de retrouver Scott, Jack et Emily, elle s’attabla avec
eux. La conversation se concentra rapidement, de nouveau, sur ce qui venait
de se produire avec les lapins.
– Tu as remarqué quelque chose de bizarre, aujourd’hui ? demanda Vicky à
Laura.
Laura haussa les épaules.
– Pas vraiment.
Emily la contempla aussitôt avec un regain d’intérêt. « Pas vraiment »
équivalait à « Oui » !
– Qu’est-ce que tu as vu ? Quand ? interrogea-t-elle.
– C’était pendant notre promenade à cheval de l’après-midi… J’ai cru voir
un truc bizarre derrière les arbres, au milieu de la lande.
– « Bizarre » comment ? fit Scott.
– Je sais que vous allez rire, mais j’ai eu l’impression que c’était… un
squelette ! avoua Laura. Ça m’a flanqué une de ces trouilles !
Elle réprima un frisson.
– C’est sûr, j’ai dû halluciner. C’était certainement des branches, un jeu
d’ombres… En plus, il y avait un brouillard à couper au couteau.
– Tu regardes trop de films d’horreur, dit Vicky, amusée.
Jack, Scott et Emily échangèrent un coup d’œil. Des serrures qui se
déverrouillaient toutes seules ? Un squelette dans la lande brumeuse ?
Voilà qui annonçait le début d’un nouveau mystère !
L’arTiCLe
DAns Le JoURNal
Ça S’aGgrAVe
fraNCHemenT BIzaRre
VIve Le SuRf !
La maRChe
aUx fLamBeaUx
– Tadam !
Jack pirouetta sur lui-même dans le salon.
– Qu’est-ce que tu en penses ?
Scott regarda son frère de la tête aux pieds. Son visage était couvert de
talc, taché de rouge sang, et une espèce de gant en caoutchouc pendait de la
manche de son tee-shirt blanc en lambeaux.
– Tu es carrément plus beau que d’habitude.
Il esquiva la fausse main que Jack lui balança et, riant de sa propre blague,
acheva de se préparer. Il noua un foulard rouge sur sa perruque de
dreadlocks, ajusta une large ceinture de cuir et enfila ses bottes de pirate.
Après quoi, il s’admira dans le miroir. Il n’était pas mal en capitaine Jack
Sparrow !
– Et c’est parti ! lança-t-il gaiement. Emily nous a réservé une bonne place
pour qu’on puisse regarder la parade…
paNIQUe
SaUVÉ De JUsTessE
Scott n’avait jamais eu aussi peur de sa vie. C’était encore pire que d’être
piégé au fond des grottes du Vent-Huant7. D’un instant à l’autre, Jack risquait
de périr brûlé ou de s’écraser au sol.
– Scott, fais quelque chose ! cria son frère.
– Tiens bon, j’arrive !
Sauf que Scott n’avait aucune idée de la manière dont il allait sauver son
frère.
Soudain, le bruit d’un moteur le fit sursauter. Il se retourna, abasourdi. Ça
provenait d’une camionnette dont la plate-forme était décorée comme un
paysage de conte de fées. Le moteur tournait… et cala, avant de repartir. Puis
il aperçut Emily au volant…
Il se précipita.
– Dépêche-toi ! dit-elle. Il faut qu’on place ce camion sous la fenêtre. Sauf
que moi, je ne peux pas toucher les pédales avec mes pieds, je suis trop
petite.
Scott comprit aussitôt son plan. À l’arrière du véhicule étaient installés un
canapé et des coussins… De quoi amortir la chute de Jack.
Sans la moindre hésitation, il prit le volant. Emily et Drift se poussèrent
sur le siège côté passager. Il n’avait jamais manœuvré un tel véhicule,
seulement un kart ou un quad, mais il avait regardé des centaines d’épisodes
de Top Gear. Une pédale d’accélérateur, un embrayage… Il se débrouillerait.
Bon sang ! Il se débrouillerait pour piloter un hélicoptère si nécessaire !
– J’ai déjà enlevé le frein ! s’écria Emily. Démarre !
Concentré comme jamais, Scott débraya, passa la première et accéléra
brutalement. La camionnette fit une embardée. Emily attrapa le volant et le
tourna juste à temps pour éviter une collision avec une charrette décorée de
fleurs. Ils la heurtèrent sur le côté mais Scott garda le pied enfoncé.
– C’est bon, j’assure ! clama-t-il en reprenant le volant.
Il fit pivoter les roues et fonça en direction du bâtiment en feu. Une horde
de sorcières, fantômes, vampires, fées et cow-boys accouraient à présent
vers eux, mais il les ignora.
Un instant plus tard, il immobilisa la camionnette en dessous de l’endroit
où Jack s’accrochait désespérément.
– Saute ! hurlèrent Emily et Scott en même temps.
– Saute ! répéta en écho la foule.
Jack se laissa tomber en arrière, échappant enfin aux flammes, de plus en
plus violentes.
Scott se rua dehors, terrifié à l’idée de ce qu’il s’apprêtait à découvrir.
Son frère était-il brûlé ? Blessé ?
Il le trouva assis au milieu d’un amas de tissus roses et de fausses fleurs, le
visage noirci de suie, son tee-shirt couvert de faux sang en lambeaux… Mais
sain et sauf.
– Je l’ai retrouvé ! dit Jack en brandissant l’appareil photo de tante Kate.
Miraculeusement, il était resté suspendu en bandoulière autour de son cou.
Jack éclata de rire et serra Drift contre lui. Le petit chien l’avait rejoint et
lui léchait affectueusement la figure.
Scott sentit ses genoux flancher. La peur, le contrecoup, le soulagement…
Des larmes lui vinrent aux yeux. Emily pleurait également de joie.
Puis les choses s’accélérèrent. Des gens surgirent près d’eux, d’autres
grimpèrent pour aider Jack à descendre. Des flashs crépitèrent tandis que
Jessica Jones photographiait la scène.
– Heureusement, Jack va bien ! s’exclama-t-elle d’une voix tremblante.
Quand j’ai appris qu’il y avait un incendie ici – d’abord, je n’y ai pas cru,
puis j’ai vu les flammes… –, j’ai aussitôt appelé les pompiers.
– Oh, mon décor magique est saccagé ! se plaignit Mme Loveday.
Mais personne ne l’écouta…
Des sirènes retentissaient. Des gyrophares bleus illuminèrent la nuit et,
bientôt, deux camions de pompiers, une voiture de police et une ambulance
arrivèrent.
Les policiers éloignèrent immédiatement les curieux. Les pompiers
déroulèrent des tuyaux et entreprirent d’éteindre le brasier. Deux
ambulanciers se précipitèrent auprès de Jack.
– Il a de nombreuses coupures sur la tête et les bras, observa l’un d’eux
pendant qu’ils l’installaient sur une civière.
Son collègue acquiesça.
– On dirait qu’il a perdu beaucoup de sang.
– C’est de l’encre rouge. Il est déguisé en zombie, précisa Scott.
– Il a quand même de sérieuses brûlures, répliqua l’ambulancier en
montrant les paumes cramoisies de Jack.
– Aïe ! fit Jack.
– On va nettoyer tes plaies et t’emmener à l’hôpital pour t’examiner. Mais
qu’est-ce que tu faisais dans cette usine en feu ? ajouta l’infirmer d’un air
perplexe.
– Oui, on aimerait bien le savoir, renchérit Emily.
Jack s’efforça de sourire.
– Après avoir retrouvé l’appareil photo, j’ai récupéré ma main. Puis j’ai
vu un squelette qui courait au loin…
Le secouriste fronça légèrement les sourcils.
– Je vois. C’est peut-être plus sérieux que ça n’en a l’air, chuchota-t-il à
l’autre infirmier. Il délire. Il souffre peut-être d’un traumatisme crânien.
Ils l’installèrent dans l’ambulance.
– Non, rassurez-vous, il est toujours comme ça, intervint Scott. Où est
passé notre squelette ? demanda-t-il à Jack. Est-ce qu’il avait une grosse
tête ?
– J’ai failli cramer, je te signale. Comment j’aurais pu remarquer ce genre
de choses ?
– Mais qu’est-ce qu’il faisait à l’intérieur ? insista Emily.
– Il aspergeait les locaux d’essence, évidemment ! s’exclama Jack.
Soudain, il se redressa en pointant le doigt.
– Il est là-bas !
Se retournant, Scott aperçut un squelette qui s’enfuyait, main dans la main
avec Robin des Bois et une sirène. Mais le squelette ne devait pas avoir plus
de huit ans.
– Ah non, là ! s’écria Jack.
Emily fit signe que non.
– C’est Dotty. Je reconnais sa voix d’ici, elle essaie de calmer Mme
Loveday.
Jack s’allongea sur la civière et ferma les yeux. Maintenant, des squelettes
apparaissaient partout. Mais le vrai squelette avait de nouveau disparu.
Le RÉseaU
De TanTe KaTe
Scott attendit que tante Kate soit repartie dans la cuisine. Puis il adressa
un grand sourire à Emily et Jack.
– Jessica Jones arrive en première place dans notre liste de suspects !
annonça-t-il sur le ton d’un présentateur d’émission de radio.
Mais Emily secoua la tête.
– Jessica aurait commis ces crimes pour se venger de ne pas avoir obtenu
le prix ? Non, je n’y crois pas. Vous l’imaginez, elle qui est si brillante, se
déguiser en squelette pour semer la pagaille ?
– Ce n’est pas parce que tu la trouves super cool avec son joli sac et ses
gadgets qu’elle est au-dessus de tout soupçon, se moqua Jack. Tu es la
première à nous répéter qu’on ne doit pas laisser nos émotions influencer
notre jugement.
– La piste « Jessica Jones » est la meilleure, renchérit Scott. Tante Kate a
dit que cette journaliste s’est montrée mauvaise joueuse. Donc elle a envie de
se venger. Elle se transforme en squelette, commet ses délits, enlève son
déguisement et hop ! elle apparaît comme par miracle quelques instants plus
tard pour réaliser un reportage… qui est forcément un scoop !
Emily ébaucha une moue perplexe.
– Si tu as raison, ça expliquerait qu’elle soit toujours sur place aussi vite.
Et on peut se demander comment Jessica a su que les lapins de la ferme
Roshendra s’étaient échappés, vu qu’elle passait juste devant la maison. Et
Miranda Clarke, la voisine du maire, a dit que Jessica avait frappé à la porte
de chez elle vraiment très tôt, donc elle était déjà au courant des vols…
Après un silence, elle ajouta :
– Non, désolée, pour moi, cette théorie ne colle pas. En plus, Jessica a
presque paniqué quand elle a vu que Jack avait été piégé dans l’usine en feu !
Si c’est elle qui a allumé l’incendie, ce n’est pas logique.
– Mais elle aurait très bien pu attendre que tout le monde ait quitté l’usine
et mettre le feu en croyant que l’endroit était vide, fit remarquer Scott.
Normal qu’elle ait été horrifiée en s’apercevant qu’il y avait encore
quelqu’un ! Elle n’avait pas eu l’intention de tuer quiconque !
– Tu as raison, admit Emily. Le squelette s’attaque à des choses
matérielles, pour provoquer un maximum de dégâts, pas à des personnes. Il
ne veut ni blesser ni assassiner… Là, on est d’accord. Mais comment
expliquer ce qui est arrivé à Jago Merrick ? Pourquoi Jessica aurait saccagé
ses bateaux ? Lui, il ne faisait pas partie du jury !
– Ah, les trous dans ces coques sont comme des trous au milieu de ton
hypothèse, dit Jack à Scott.
Et il esquissa une grimace moqueuse. Montrer que son frère pouvait se
tromper, ça lui plaisait.
Scott haussa les épaules.
– D’accord, là, quelque chose cloche. Mais si on fouinait un peu plus, on
découvrirait peut-être d’autres liens entre Jessica et Jago Merrick.
Ils restèrent silencieux un moment. Puis Jack se leva d’un bond, comme
actionné par un ressort.
– Euréka ! Je viens d’avoir une idée d’enfer !
– Tu veux qu’on aille te chercher plus de glace ? Oublie tout de suite,
prévint Scott.
Jack pointa sa cuillère vers lui.
– Puisque tu me le proposes, ce n’est pas de refus. Bon, vous voulez savoir
à quoi je pense, oui ou non ?
– On t’écoute, marmonna Scott.
– Alors, tante Kate a dit que le lauréat du prix s’appelle Neil Denton. Je
me trompe ou on l’a rencontré au manoir de Pendragon quand Savannah Shaw
a disparu8 ?
– Exact. Il écrivait un article sur le responsable de la communication de
Savannah. Neil travaille aussi pour le Quotidien de Carrickstowe, conclut
Emily.
– Donc il connaît forcément Jessica Jones, poursuivit Jack. Si on allait le
voir ? On lui posera quelques questions et on verra si on est sur la bonne
piste avec cette histoire de vengeance. Avouez : je suis un génie, pas vrai ?
– OK ! répondit Emily en riant. C’est une idée géniale. Et même si je suis
sûre que Jessica est innocente, plus on aura d’informations sur elle, mieux ce
sera !
Neil reporta son attention sur Jack, Scott et Emily. Une moue navrée se
dessina sur ses lèvres.
– Jessica ne pouvait pas être à la ferme de Roshendra mardi après-midi.
Elle participait à une émission en direct.
– Vous êtes sûr ? demanda Scott, visiblement déçu.
– À cent pour cent. Elle effectuait un reportage sur le tournoi de golf
d’Exeter. Je le sais parce que j’étais censé m’en occuper, mais j’ai dû couvrir
un autre événement et Jessica m’a remplacé.
– C’était à quelle heure ? demanda Emily.
Neil sourit.
– Tu sais comment c’est, au golf. Les choses traînent et traînent… Jessica a
dû passer la journée à prendre des notes pour la rubrique sportive de
l’édition du lendemain. Si vous réussissez à visionner l’enregistrement de
l’émission, vous la repérerez sûrement. Elle n’a pas dû quitter les lieux avant
18 heures.
– Effectivement, quand Jessica est arrivée à la ferme, on allait partir et il
était environ 19 heures. Exeter est à une heure de route, donc ça colle, conclut
Emily.
– Vérifions pour le reste. Les bateaux… Quand est-ce que ça s’est
produit ? interrogea Neil.
Emily jeta un coup d’œil au schéma qu’elle avait dessiné.
– Mardi soir. D’après une vidéo de sécurité que la police a récupérée, le
coupable se trouvait au port à 3 h 47.
Neil pianota sur le clavier de son portable.
– Je vais jeter un coup d’œil sur le planning de tous les journalistes… Ah,
voilà. Bon, eh bien, pas de chance pour votre théorie : Jessica était à
l’aéroport de Bristol mardi soir. Elle réalisait un reportage sur l’arrivée de
l’équipe de foot brésilienne. Les joueurs sont en vacances et en stage de
préparation en même temps dans un endroit secret, quelque part en
Cornouailles. Vous avez dû en entendre parler.
Jack sourit d’un air réjoui.
– Plutôt deux fois qu’une ! Je suis un fan.
– Je te comprends !
Amusé, Neil consulta d’autres fichiers.
– L’avion a atterri à l’aube. J’ai une copie du compte rendu de Jessica :
l’équipe a franchi la douane à 4 h 25 du matin. Elle y était forcément pour
leur poser des questions.
Scott esquissa une grimace.
– OK, notre hypothèse tombe à l’eau. Je parie que Jessica a également un
solide alibi pour le soir où les médailles du maire ont été volées.
– En béton, même, confirma Neil. On était ensemble pour présenter la
remise du trophée de la meilleure innovation commerciale en Cornouailles,
dans un hôtel de Truro.
Après un silence, il ajouta avec un sourire indulgent :
– Vous avez de la suite dans les idées, tous les trois. Mais cette fois, vous
avez fait fausse route. Vous pouvez rayer Jessica de la liste des suspects.
Une demi-heure plus tard, arrivant au cottage des Roches, ils trouvèrent un
mot de tante Kate les informant qu’elle était partie faire des courses.
– Si ça se trouve, c’est la sœur jumelle de Jessica, déclara Scott. On peut
facilement vérifier puisque Neil Denton nous a dit que les parents de Jessica
étaient de Plymouth, et qu’ils sont morts dans un accident de bateau quand
elle était petite. Plymouth n’est pas une grande ville. Les journaux ont dû en
parler…
– Et préciser qui a survécu ! compléta Emily. Jessica doit avoir entre
vingt-huit et trente ans. Il faut regarder les archives des années 89-94.
C’était presque trop facile. Scott ouvrit Internet sur le smartphone qu’il
avait acheté grâce à la récompense qu’on lui avait remise après l’opération
de l’or disparu. Il tapa quelques mots-clés et ne tarda pas à découvrir un
article, paru aussi bien dans les journaux locaux que nationaux en août 1990.
« Une fête à bord d’un yacht se termine par une double tragédie. » Tel était
le titre de l’article. Tous les trois se rapprochèrent pour le lire sur le petit
écran du portable.
« Mike Jones (48 ans), homme d’affaires criblé de dettes, et sa femme
Claudia (27 ans), mannequin, étaient à bord de leur yacht, le Silver Dawn, en
vacances aux Caraïbes, quand un ouragan a éclaté. Le bateau a coulé.
D’après les comptes rendus des garde-côtes, les six passagers ainsi que
l’équipage se sont noyés. Mike Jones venait d’être mis en faillite suite à de
mauvais investissements. Ils ont laissé deux enfants, des jumelles âgées de 3
ans : Jessica et Juliette… »
– Juliette Jones ! s’exclama Jack en levant un poing victorieux.
– Je le savais ! dit Emily. C’est à Juliette qu’on parlait quand on était Chez
Dotty et… Scott, pourquoi tu regardes mes cheveux comme ça ? demanda-t-
elle tout à coup. Je sais que la pluie les fait gonfler mais…
– Ne bouge pas ! l’interrompit Scott. Je viens d’avoir une autre idée.
Il fonça dans le vestibule et en revint avec une vieille cagoule en laine
noire accrochée depuis une éternité sur le portemanteau de l’entrée.
– Tu veux bien l’enfiler ? En mettant bien toutes tes mèches à l’intérieur,
s’il te plaît.
Emily obtempéra. Qu’avait-il en tête ? Une blague stupide ? Lorsqu’elle
eut enfoui ses dernières boucles à l’intérieur, il déclara d’un ton triomphant :
– Et voilà ! Alors ? À qui ça vous fait penser ?
– Un braqueur de banque qui veut rester anonyme ? répondit Jack.
Il jeta un coup d’œil perplexe à son frère.
– Tu te sens bien, tu es sûr ? Si ça se trouve, le poisson que tu as charrié
pour le vieux Bob a eu un drôle d’effet sur toi…
Scott haussa les épaules.
– N’importe quoi. Observe plutôt Emily ! Sa tête est grosse… Vraiment
grosse. Comme celle du squelette sur l’enregistrement de la caméra de
sécurité. Le crâne avait l’air gonflé, enflé… Miranda Clark a dit qu’elle avait
remarqué la même chose quand elle l’a vu dans le jardin. Les cheveux de
Jessica sont encore plus épais et bouclés que ceux d’Emily. C’est parce
qu’elle les cache sous une cagoule que la tête du squelette paraît énorme !
Emily examina son reflet dans le miroir au-dessus de la cheminée.
– Tu as raison ! s’exclama-t-elle. Ça tient la route, ce que tu dis.
Et elle ôta lentement la cagoule. Sa chevelure s’ébouriffa quelques
secondes à cause de l’électricité statique. Jack et Scott se mirent à rire.
– On a l’impression que tu viens d’apercevoir un fantôme ! plaisanta Jack.
Emily esquissa une grimace.
– C’est peut-être vrai…
Puis elle soupira.
– Maintenant, on sait qu’il y a deux femmes qui se ressemblent comme
deux gouttes d’eau. Mais laquelle s’amuse à se déguiser en squelette pour se
venger ? Et de quoi ?
14
Le MYstÈRe
S’ÉPaIsSIT
Emily jeta un coup d’œil par la fenêtre. Il avait cessé de pleuvoir et, à
présent, le soleil brillait tellement qu’une brume légère s’élevait du jardin de
tante Kate. Drift se dressa et mit les pattes sur le rebord de la fenêtre,
regardant à l’extérieur avec envie.
– Pauvre Drift ! Il s’est vraiment ennuyé, ce matin. Il mérite d’aller courir.
Les oreilles de Drift se dressèrent aussitôt. « Courir » ? Emily avait bien
dit « courir » ? Enfin !
– Je sais ! On va l’emmener faire une longue balade dans les collines, du
côté de la lande des Contrebandiers.
– On pourrait emporter un pique-nique, suggéra Jack. C’est bientôt l’heure
du déjeuner, et on a besoin de reprendre des forces après tous ces efforts.
À ce moment-là, tante Kate s’engouffra dans la maison. Elle s’installa
immédiatement devant son vieil ordinateur et se mit à pianoter sur son clavier
à toute allure. Lorsque les trois amis lui demandèrent si elle pouvait leur
préparer quelque chose à manger, elle les regarda par-dessus ses lunettes
d’un air préoccupé.
– Prenez ce que vous voulez dans le réfrigérateur. Je n’ai pas le temps, il
faut que je finisse d’écrire le discours d’accueil de Rex Malone…
– Rex Malone ? Le célèbre auteur de romans policiers ? s’étonna Emily.
– Lui-même. Il donne une conférence demain soir, à la salle communale où
sont invités les adhérents de l’association des écrivains de Cornouailles.
Bien sûr, l’événement sera très médiatique. Il y aura des journalistes.
– Tante Kate ! s’exclama Scott sur le ton de la plaisanterie. Je croyais que
Dirk Hazard était ton écrivain favori. Si jamais il apprend que tu lui préfères
soudain Rex Malone…
La vieille dame se mit à rire.
– Oh, mon chéri, je suis certaine qu’il me comprendrait.
Puis elle reporta son attention sur ce qu’elle était en train de rédiger.
Dans la cuisine, Scott choisit des gâteaux et des biscuits pendant qu’Emily
concoctait d’appétissants sandwichs. Habituée à aider ses parents en cuisine,
elle était douée !
– Ne coupe pas le jambon trop finement, recommanda Jack. Et pas de
moutarde pour moi, mais du beurre. Scott, pense à récupérer le reste de pizza
dans le frigo.
– Fais-le toi-même, répliqua Scott. On n’est pas tes serviteurs !
– Oui, mais… mes bandages ! gémit Jack en montrant ses mains.
Scott fronça les sourcils.
– Arrête d’exagérer autant, tu veux bien ?
– Exagérer ? Pourquoi ? intervint distraitement Kate en les rejoignant.
Elle leur apportait de vieux cerfs-volants.
– Emportez-les. Ils appartenaient à votre père et à votre oncle Tim quand
ils étaient enfants. Ils sont restés enfermés depuis tant d’années, inutilisés…
Et si vous vous amusiez à les faire voler ? Il y a du vent, ce sera
merveilleux !
« Moi, je n’aime pas trop ce genre de balade », pensa Jack tandis qu’ils
grimpaient à flanc de colline. C’était ennuyeux. Et à quoi bon accomplir tant
d’efforts pour redescendre de l’autre côté ensuite ? Heureusement, le ciel
était bleu, constellé de nuages floconneux qui semblaient se pourchasser
comme des moutons. Les oiseaux chantaient, Drift gambadait joyeusement, et
bientôt, ils pourraient se régaler du pique-nique qu’ils avaient emporté !
Tout en marchant, ils parlaient de l’enquête. N’avaient-ils pas découvert la
clé du mystère ? Du moins, l’une des clés…
– Normal que tous les alibis de Jessica aient été aussi parfaits, commenta
Scott. Elle s’est débrouillée pour que sa sœur jumelle, Juliette, se trouve
dans des lieux publics, bien visible : un tournoi de golf, l’aéroport, une
remise de prix, la marche aux flambeaux…
– Et comme Jessica se déguise en squelette, personne ne la reconnaît,
compléta Emily.
– C’est un plan redoutablement efficace, résuma Jack.
Ils franchirent une petite clôture et empruntèrent un sentier qui continuait à
monter. La côte devenait raide ! Enfin, ils parvinrent au sommet d’où le
spectacle était magnifique : la mer à perte de vue illuminée par le soleil, la
côte, la lande…
Ils s’installèrent sur des roches plates et mangèrent avec appétit. Puis Scott
s’allongea pour se reposer et Jack essaya de faire voler un cerf-volant.
Il partit en courant… Mais rien ne se produisit.
– Comme ça ! indiqua Emily.
Elle lui montra comment tenir la bobine qui se dévidait au fur et à mesure
qu’elle allongeait les foulées, lançant le cerf-volant en même temps. Il
s’éleva soudain, porté par le vent, et se mit à planer en déployant ses ailes.
Une tête de tigre était dessinée dessus.
– Tiens, là tu réussis à te servir de tes mains, marmonna Scott, les yeux
rivés sur son frère qui insistait pour reprendre le fil et le diriger. Mais pour
se beurrer son sandwich, tintin !
À son tour, il se leva et, grâce à l’aide d’Emily, manœuvra le second cerf-
volant, qui était à rayures multicolores.
Pendant que Jack et Scott s’amusaient, suivis par Drift, Emily sortit son
carnet et le posa sur ses genoux. Elle écrivit ses dernières conclusions,
ajoutant un alibi pour chaque délit sur la carte où figurait l’ensemble des
suspects. Sur la page opposée, elle avait déjà inscrit le nom des membres du
jury de ce fameux prix annuel attribué à un journaliste d’investigation. Ils
étaient cinq, songea-t-elle, sauf que, jusqu’à présent, Jessica n’en avait visé
que trois : Mme White, M. Price – le maire –, et Nancy Chen. Il en restait
donc deux : tante Kate et lord Huddlestone.
Jessica n’était pas le genre de personne à s’arrêter en si bon chemin… Elle
devait préparer d’autres attaques.
Emily ajouta donc deux cercles à son schéma, pour Katherine Trelawney
dite tante Kate et lord Huddlestone. Sous les noms, elle griffonna une série de
points d’interrogation.
C’est alors que l’évidence lui sauta aux yeux.
– Scott ! Jack ! Venez vite !
Soudain, elle savait où et quand le squelette risquait de frapper encore une
fois.
15
SuR Le TerRaIN
Jack entendit Emily l’appeler. Il leva les yeux, la vit lui faire des signes…
Et se prit les pieds dans une touffe d’herbe. Il tomba, roula jusqu’en bas de la
colline… Et s’emmêla au fur et à mesure dans le fil du cerf-volant. Lorsqu’il
s’immobilisa enfin, il était ficelé comme une mouche dans une toile
d’araignée. Croyant que c’était un jeu, Drift lui bondit dessus.
– Non ! cria-t-il.
Emily et Scott accoururent.
– Ça va ? demandèrent-ils à l’unisson.
Jack ferma les yeux. C’était si tentant ! S’il feignait de s’être foulé la
cheville, ils seraient obligés de le porter jusqu’à la maison. Mais il avait
juste sali son tee-shirt… et froissé sa fierté.
– Ça va.
Emily sourit.
– Ouf !
Elle s’assit à côté de lui et ajouta sans se soucier de l’état dans lequel se
trouvait Jack :
– Je suis sûre que Jessica Jones va s’attaquer aux deux autres membres du
jury : lord Huddlestone et… tante Kate.
Dorénavant, elle appelait ainsi la vieille dame. Avec la même affection
que s’il s’était agi de quelqu’un de sa famille.
– Et je sais quand elle pourrait frapper de nouveau. Demain soir, à la
conférence prévue à la salle communale ! Un écrivain célèbre est invité…
– Et tante Kate a prévenu qu’il y aurait des journalistes ! renchérit Scott.
Jessica va sûrement réaliser un reportage pour le Quotidien de
Carrickstowe. Sauf qu’il ne s’agira pas de Jessica…
– Mais de Juliette, compléta Emily d’un ton surexcité. Pendant ce temps,
Jessica, déguisée en squelette, appliquera un nouveau plan diabolique qui
visera tante Kate…
Tout en parlant, elle posa son carnet sur le ventre de Jack et compléta son
graphique.
– Dis donc, tu me prends pour une table ? protesta Jack. Et si vous me
filiez un coup de main ? Je suis ficelé comme un rôti !
Mais Emily et Scott étaient tellement absorbés qu’ils ne prêtèrent pas
attention à lui.
– J’ai une idée, dit Scott. On va vérifier si Jessica doit être envoyée sur
place demain soir.
Il prit son portable et composa un numéro.
– Le Quotidien de Carrickstowe ? Je voudrais parler à Neil Denton, s’il
vous plaît.
Quelques instants plus tard, il raccrocha et sourit à Emily d’un air
triomphant.
– Neil a jeté un coup d’œil au planning : Jessica sera présente pendant la
conférence à partir de 19 heures. Elle a prévu une interview avec Rex
Malone.
– Je m’en doutais, murmura Emily, ignorant Jack qui se tortillait pour
s’extirper des fils du cerf-volant.
Drift s’efforçait de l’aider en tirant sur la cordelette avec ses dents.
– Qu’est-ce qu’elle pourrait bien vouloir faire à tante Kate ?
– Les autres fois, Jessica s’est attaquée à quelque chose qui était lié aux
métiers des gens dont elle veut se venger, répondit Scott.
– Mais tante Kate est écrivain ! intervint Jack. Comment Jessica pourrait
l’empêcher d’écrire ? En lui déchirant son dico ? En lui volant son stylo ?
– Tante Kate écrit avec un ordinateur, rappela Scott.
Puis ses yeux brillèrent.
– Jessica va sûrement essayer de le lui abîmer ! Elle n’a qu’à insérer un
CD infecté pour détruire tous les fichiers de tante Kate.
– Pas si un antivirus est installé, objecta Emily.
Scott secoua la tête.
– Tu as déjà vu son PC ? Il est préhistorique. C’est tout juste s’il a un
écran ! On devrait prévenir l’inspecteur Hassan, au cas où…
– Impossible, l’interrompit Emily. On n’a aucune preuve. On ne sait pas si
les sœurs Jones travaillent ensemble. C’est notre théorie. Mais on peut
essayer de les surprendre en flagrant délit.
– D’accord, on peut toujours essayer, dit Jack. En attendant, please, vous
pourriez me filer un coup de main ?
À force de se démener, il n’avait réussi qu’à s’entortiller encore plus.
– La corde me serre tellement que bientôt, mon cerveau ne sera plus
irrigué ! gémit-il, plaisantant à moitié.
– Ça m’étonne que tu t’en rendes compte, se moqua Scott.
Et, enfin, il s’accroupit pour aider son frère.
Ce soir-là, à exactement 18 h 30, les trois amis et Drift prirent place dans
le petit château fort de l’aire de jeux. Un épais brouillard commençait à
tomber, enveloppant le paysage de nappes grisâtres. Leur plan était établi :
Emily et Drift suivraient Juliette Jones jusqu’à la salle communale où se
déroulerait la conférence pendant que Scott et Jack fileraient Jessica jusqu’au
cottage des Roches.
– Vérifions notre matériel, chuchota Emily. Appareil photo ? J’utiliserai
celui de mon portable.
Jack montra celui de tante Kate.
– Tu as enclenché la fonction d’enregistrement « jour et heures » ?
s’inquiéta Emily. C’est super important pour prouver que les deux sœurs sont
à des endroits différents aux mêmes moments.
– Euh, laisse-moi réfléchir… J’ai dû la mettre en route au moins six fois
depuis que tu me l’as demandé. Et tiens, c’est bizarre, elle est toujours en
marche.
Emily ignora son commentaire moqueur.
– Vous n’avez pas de semelles qui grincent, hein ? J’ai limé les griffes de
Drift pour qu’il ne fasse pas de bruit sur le macadam.
Jack réprima un fou rire. On aurait pu croire qu’Emily plaisantait… Mais
non.
– Et on porte des vêtements sombres pour passer inaperçus dans la nuit,
ajouta Scott.
« Oh, non, lui aussi, il s’y met ! » songea Jack en sortant une barre
chocolatée de sa poche.
– J’ai apporté des provisions. On doit garder suffisamment d’énergie pour
faire le guet avec efficacité. Et je vais manger maintenant au cas où le papier
crisserait.
– Tu as raison, dit Emily le plus sérieusement du monde.
Puis elle consulta sa montre.
– Dépêche-toi. Il est presque 19 heures. Elles vont arriver d’un instant à
l’autre.
Ils étaient prêts.
Ils n’avaient plus qu’à attendre que le piège se referme.
Scott et Jack regardèrent les feux arrière rouges disparaître dans la nuit
brumeuse.
– On a un plan B ? demanda Jack.
Scott secoua la tête. Ils avaient été tellement certains que Jessica se
rendrait au cottage des Roches qu’ils n’avaient rien envisagé d’autre.
– Alors, on fonce derrière elle ! s’exclama Jack.
Et, se dressant sur ses pédales, il partit en trombe.
– Tu te prends pour Lance Armstrong ? cria Scott. On ne va jamais la
rattraper !
– Elle ne peut pas aller vite à cause du brouillard. Et, à moins qu’elle ne
veuille quitter l’île…
Scott se mit à pédaler derrière son frère. Après tout, oui, autant essayer…
Sinon, face à Emily, ils auraient la honte !
Ils contournèrent le village par le nord, filèrent le long du terrain de foot et
des premiers champs de lande sauvage. Leurs phares diffusaient une lumière
vacillante mais suffisante pour qu’ils puissent rouler à vive allure.
Mais… aucun signe de la voiture de Jessica devant la ferme de Roshendra.
Ils dépassèrent la route menant au lac de Polhallow et continuèrent à toute
vitesse. Scott sentait qu’il s’essoufflait ; ses muscles lui faisaient mal.
– Inutile, on n’y arrivera pas…
– Là ! s’écria Jack.
Scott aperçut alors deux points fixes et rougeoyants, un peu plus loin.
– Hourra ! s’exclama Jack. Je te l’avais dit !
Et il accéléra.
– Ce n’est peut-être pas elle…
– Mais peut-être que si !
Ils laissèrent leurs bicyclettes derrière un fourré et s’approchèrent
doucement. Jack avait vu juste : c’était la voiture de sport gris métallisé,
garée en contrebas. Quelques secondes plus tard, la conductrice en sortit.
Elle était affublée du déguisement d’un squelette… avec une grosse tête.
– Bingo ! chuchota Jack.
Jessica ajusta un volumineux sac à dos, alluma une puissante lampe torche
et partit en courant dans le brouillard, vers le site où se dressaient de
nombreux menhirs.
Lui emboîtant le pas, Scott et Jack faillirent trébucher sur le sentier
caillouteux. Ils traversèrent le terrain hérissé d’énormes rochers, un endroit
effrayant le jour… Et, à cette heure, c’était pire. Mieux valait ne pas penser
aux histoires de fantômes que le vieux Bob leur avait racontées.
Bientôt, ils comprirent où Jessica allait…
Elle filait en direction de la mine d’étain désaffectée qui appartenait à lord
Huddlestone. Le lieu était dangereux. Toutes sortes de panneaux interdisaient
l’accès aux tunnels abandonnés depuis longtemps : « Attention, danger de
mort ! », « Risques d’éboulis », « Ne pas entrer sous peine d’amende »…
Mais Jessica était en train de s’y aventurer.
Scott s’immobilisa, hésitant.
– On n’y va pas.
– Tu rigoles ? Et on la laisse s’échapper ? répliqua Jack. Pas question !
Et sans attendre de réponse, il se lança aux trousses de la journaliste.
Scott envoya un texto à Emily pour la prévenir : « JJ est à la mine… »
Il appuya sur la touche « Envoi » et se précipita derrière son frère.
Scott attrapa le sac à dos que Jessica avait laissé, l’ouvrit et en extirpa
avec précaution trois bâtons de dynamite attachés ensemble avec un épais
Scotch gris.
– Waouh, fit Jack, abasourdi. Ça ressemble à ce qu’on voit dans les
dessins animés.
– Sauf que c’est vrai. Il y en a trois autres comme ça.
– Et regarde où les charges sont placées, poursuivit Scott d’une voix
sourde. Près de tunnels noyés.
– Noyés ?
– Pleins d’eau. Une eau sûrement toxique, polluée par des métaux et
d’autres produits, qui se déversera dans la rivière et le lac de Polhallow. Ça
va contaminer la flore, la faune…
– Non, parce qu’on va agir, décida Jack. Dès que JJ revient, on l’attaque.
Toi, vise ses jambes, moi, ses bras.
– Et si elle était armée ? Je n’ai pas envie qu’on se retrouve ligotés ici
pendant qu’elle mettra son maudit plan à exécution !
– Qu’est-ce que tu proposes, alors ? Qu’on retourne tranquillement à la
maison ?
– Non, j’ai une meilleure idée…
De nouveau, Scott étudia le diagramme.
– Elle a tout indiqué, vraiment tout : les fils des six bâtons de dynamite
conduisent au tunnel principal, jusqu’à l’entrée. Elle a même écrit « BC » :
boîtier de commande, je parie. C’est de cet endroit qu’elle va déclencher les
explosions pour ne pas y laisser sa peau.
– Génial ! Donc on y va et on éteint les flammes avant que ça fasse boum ?
– On n’est plus au Far West, se moqua Scott. Aujourd’hui, ça fonctionne
avec un dispositif électrique. Les fils sont reliés à de petits détonateurs.
Dans le sac, il récupéra effectivement une bobine de câbles attachés à une
extrémité, à une sorte de capsule métallique de forme ovale.
– Jessica a juste à appuyer sur un bouton, ça génère du courant
électrique… Et tout explose.
– Pigé. Alors on récupère vite ce boîtier de commande, dit Jack sur un ton
où perçait une note de panique. Elle risque de revenir d’une seconde à
l’autre.
– Sauf que le boîtier n’est pas là ! Elle l’a sûrement avec elle. On sort et
on prévient la police. Mais avant…
Scott prit l’appareil photo que Jack avait gardé autour du cou.
– On garde une preuve.
– Dépêche, je l’entends !
Scott eut juste le temps de photographier le schéma. Ils se ruèrent dans le
premier tunnel, pile au moment où Jessica s’engouffrait dans l’entrepôt.
– On est en route…
À l’autre bout de la ligne, la voix de l’inspecteur Hassan était ferme.
– Et j’envoie une équipe de pompiers au cas où tes amis seraient piégés à
l’intérieur. On sera là d’ici dix minutes. Tu restes dehors et tu nous attends.
Compris, mademoiselle Wild ? Ne fais rien de stupide !
– Non, non, promit Emily.
Elle coupa la communication et s’appuya contre un rocher sur lequel était
fixé un écriteau portant l’inscription « Eau contaminée ».
Drift se blottit contre elle en gémissant. Emily le caressa.
– Je sais. Moi aussi, j’espère que Jack et Scott vont bien.
Son chien renifla les marrons qu’elle avait gardés dans la main. Puis il
renifla le sol et fila à toute vitesse vers l’entrée de la mine.
– Reviens ! appela Emily. La police arrive !
Mais Drift flaira l’air, et poursuivit. Il avait forcément senti Jack et Scott ;
leur peur, le danger qu’ils couraient… Il voulait les sauver tout de suite ! Il
aboya deux fois pour s’assurer qu’il avait capté l’attention d’Emily puis il
bondit dans le tunnel noir.
Alors, Emily se précipita derrière lui. À l’entrée du souterrain, elle alluma
sa lampe torche. Drift s’était figé, une patte en l’air. Dès qu’il la vit, il poussa
un léger aboiement et repartit dans le tunnel. Parvenu au bout, il tourna. « J’ai
promis à l’inspecteur de ne rien faire de stupide, songea Emily. Mais ce n’est
pas stupide d’essayer de sauver Scott et Jack avec Drift. Surtout si je me
débrouille pour ne pas me perdre ! »
Il fallait juste qu’elle laisse des repères derrière elle. Fouillant son sac,
elle trouva le fil du cerf-volant qui s’était emmêlé autour de Jack. Elle l’avait
rangé en formant une grosse pelote, et oublié. Exactement ce dont elle avait
besoin ! Elle en attacha l’extrémité à un clou fixé sur un montant en bois près
de l’entrée puis, gardant la cordelette à la main, rejoignit Drift en courant.
Jack peinait à suivre Scott. Pour lui, les jeux étaient faits. Game over. Ils
se trouvaient au milieu d’un dédale souterrain invraisemblable, et bientôt
sans lumière : la batterie de son phare de vélo commençait à faiblir. S’ils
survivaient à l’explosion des six bâtons de dynamite, ils seraient piégés par
les éboulis ou balayés par les torrents d’eau. Dur. Il avait échappé au pire en
se sauvant d’un incendie trois jours plus tôt, et voilà qu’il risquait de nouveau
de périr dans des conditions terribles…
Démoralisé, il ne réagit même pas quand un nouveau rat fila entre ses
pieds.
Sauf que le rat lui lécha la cheville. Jack sursauta. Un mutant géant ?
Ensuite, le rat aboya.
– Drift ?
Jack faillit s’évanouir de soulagement. Il tomba à genoux et serra le petit
chien dans ses bras. Peut-être hallucinait-il… Tant pis !
– Emily ? s’écria Scott au même instant. Waouh, c’est toi !
Levant les yeux, Jack fut ébloui par une torche aussi aveuglante qu’un
rayon laser.
– Tu nous as trouvés ! Tu es géniale !
– Elle est géniale, oui. Tu sais comment on sort d’ici ? demanda Scott à
Emily.
– Bien sûr, sinon, je ne serais pas venue ! ajouta Emily en montrant le fil
qu’elle tenait. Suivez-moi !
– On se grouille, Jessica a des explosifs, dit Jack tandis qu’ils emboîtaient
le pas à Emily.
– Je sais ! Vous avez repéré l’endroit d’où elle veut tout faire sauter ?
– C’est près de l’entrée du tunnel principal, répondit Scott.
Ils s’y engouffrèrent quelques minutes plus tard. Jack n’en croyait pas ses
yeux. Scott et lui n’avaient fait que tourner en rond pendant si longtemps !
Soudain, Scott retint Jack et Emily.
– Elle est là ! chuchota-t-il.
Ils risquèrent un œil vers l’entrée. Dans le halo de brouillard éclairé par la
lune, on distinguait une silhouette déguisée en squelette, accroupie, en train
de s’éclairer à l’aide d’une lampe torche. Elle manipulait un boîtier…
– Elle veut connecter le fil du détonateur, murmura Emily.
– Ce fil-là ?
Jack montra, du bout du pied, un câble électrique au sol.
– J’imagine que oui. Il doit se diviser un peu plus loin pour se relier aux
six bâtons de dynamite, dit Scott à mi-voix.
Jessica Jones venait de se relever. Elle tenait un appareil dans la main.
– Il faut l’arrêter, décida Emily. La police arrivera trop tard.
– Tu as gardé la pince coupante de tante Kate ? demanda Scott.
Emily fouilla dans son sac et lui tendit le faux tube de rouge à lèvres.
– Tu penses vraiment à tout, observa Jack.
– Je suis organisée, dit Emily. Si tu provoques un court-circuit, ça
explosera quand même, ajouta-t-elle à l’attention de Scott, devinant ce qu’il
voulait faire.
– On n’a pas le choix. Jessica déclenchera tout dans une minute.
– Vas-y, encouragea Jack.
Emily acquiesça d’un signe de tête.
Scott s’agenouilla et glissa le câble entre les lames. Il ferma les yeux et
actionna la pince. Un déclic retentit…
Et rien n’explosa.
Un peu plus loin, Jessica secouait désespérément la télécommande qu’elle
finit par lancer sur le sol.
– Tu as réussi ! s’exclama Emily.
Au même instant, trois silhouettes apparurent derrière Jessica, lui barrant
le passage.
– Qu’est-ce qui se passe, ici ? interrogea l’inspecteur Hassan d’un ton
sévère.
Sa forte voix résonna dans le souterrain.
Jack souleva les deux morceaux de câble sectionné.
– Plus grand-chose, je crois !
21
Une PetiTe
ÎLe TRaNQUIlle ?
Une fois que l’inspecteur Hassan se fut assuré que personne n’était piégé
dans la mine, il écouta les explications des trois amis. Ses coéquipiers et lui-
même félicitèrent chaleureusement Emily, Scott et Jack. Grâce à eux,
l’énigme du squelette était résolue, on comprenait l’origine des différents
accidents qui avaient secoué l’île, et on venait d’éviter une terrible
catastrophe qui aurait pollué la rivière et le lac de Castle Key.
Jessica Jones fut conduite au commissariat, et Juliette Jones arrêtée par des
collègues de l’inspecteur Hassan. Ce dernier raccompagna les trois amis au
cottage des Roches – on leur rapporterait leurs vélos plus tard –, et ils
retrouvèrent tante Kate, qui revenait de la conférence accompagnée de Rex
Malone.
– Décidément ! Qu’est-ce qu’ils ont fait, encore ? s’inquiéta tante Kate.
Jack, tu es blessé ?
– Ils vont tous bien, assura l’inspecteur Hassan. Mais ils viennent de
passer une soirée quelque peu mouvementée !
– Ma chère Kate, je croyais que tu avais choisi Castle Key pour son calme,
observa Rex Malone d’un ton amusé. Je pense que tu serais plus tranquille à
Piccadilly Circus, en plein cœur de Londres !
Puis il s’adressa à Scott, Jack et Emily :
– Nous avons eu droit à une descente de police en pleine conférence. Ils
ont arrêté cette journaliste aux magnifiques cheveux roux alors que nous
venions de terminer l’interview. Je crois qu’elle s’appelle Jessica Jones.
– Juliette Jones, rectifia Scott. Elle a prétendu être Jessica. En fait, il s’agit
de sa sœur jumelle…
– Et Jessica, elle, avait des choses beaucoup plus importantes à faire !
compléta Jack.
Rex et tante Kate échangèrent un coup d’œil amusé. Ou complice ? Ils
semblaient très bien se connaître, tous les deux…
ADVENTURE ISLAND
LE MYSTÈRE DU SQUELETTE FANTÔME
Titre original
The Mystery of the Vanishing Skeleton
© Helen Moss 2011
Carte, © Leo Hartas 2011
Publié pour la première fois en 2011
par Orion Children’s Books
Une division de Orion Publishing Group Ltd
(Orion House, 5 Upper St Martin’s Lane, London WC2H 9EA)