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Le développement de la finance
islamique au Maroc : quelles
adaptations du cadre législatif et
réglementaire ?
Introduction
À l’heure où la honte s’abat sur la finance globalisée, il en est une qui sort,
elle, la tête haute de la tempête financière qui sévit : la finance islamique. À croire
qu’il fallait en arriver là pour comprendre que l’on a beaucoup à apprendre de ces
techniques reposant sur une économie d’éthique ! Alors que la finance islamique a
aujourd’hui plus de 61 ans, l’occident commence, depuis quelques années, à s’y
intéresser vraiment
La finance islamique correspond à un marché rentable, pouvant profiter à
tous, et pas seulement à quelques-uns, et qu’elle a du sens pour les pays non-
musulmans dans la mesure où elle répond à des besoins très largement universels.
Acteur peu connu de la finance mondiale il y a encore quelques années, la
finance islamique connaît aujourd’hui un développement qui suscite intérêts et
convoitises, dans plusieurs pays de confession musulmane et même en Europe, où
plusieurs pays s’interrogent sur la manière d’intégrer cette finance alternative aux
côtés des activités conventionnelles.
La finance islamique se développe étonnamment vite. Depuis ses débuts il
y a une trentaine d’années, le nombre d’institutions financières islamiques dans le
monde est passé d’une seule en 8475 à plus de 611 aujourd’hui dans plus de 75
pays. Elles sont concentrées dans le Moyen-Orient et l’Asie du Sud-Est (Bahreïn et
la Malaisie étant les principaux centres), mais apparaissent aussi en Europe et aux
États-Unis.
Actuellement au Maroc, des milliers de personnes repoussent les offres
classiques proposées par les banques et ne traitent avec ces dernières qu’en cas de
besoin extrême, les jugeant non conformes aux préceptes de l’islam. Du coup, elles
se retrouvent en dehors des circuits formels. Ces personnes trouvent parfois
réponse à leurs besoins dans des circuits parallèles avec tous les dangers de
récupération, politique notamment, que cela représente. La prise de conscience
chez les responsables du secteur bancaire, quoique tardive, est louable.
Le développement de la finance islamique au Maroc ne nécessiterait pas un
« bouleversement » du droit positif d’une part, car celui-ci permettait de créer et
de distribuer des produits compatibles avec la loi coranique, comme par exemple la
création d’organismes de placement collectif en valeurs mobilières répondant aux
critères de la finance islamique ; d’autre part, que certains dispositifs juridiques et
fiscaux existants étaient, dans leur mécanisme, proches des principes requis par la
finance islamique.
Problématique
Qu’est donc cette finance islamique dont on parle beaucoup sans vraiment
toujours savoir ce dont il s’agit ? Est-ce une finance d’un genre nouveau ou peut-on
la rattacher à la finance classique ? Au-delà de la finance, n’illustre-t-elle pas une
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Interdiction de l’intérêt (pas de « riba »), interdiction de l’incertitude, de la spéculation (pas
de « gharar », ni de « maysir »), interdiction d’investir dans des secteurs illicites (pas de «
haram »), principe de partage des pertes et des profits, principe « d’asset-backing ».
11 septembre 2001. Ces deux évènements conjoints ont alimenté une sur-liquidité
dans le Golfe persique, laquelle a réussi à se recycler dans cette même région2.
En quoi consiste la finance islamique ?
La finance islamique se distingue de la finance conventionnelle par le fait
qu’elle ne se cantonne pas dans le rôle du prêteur : elle agit en véritable partenaire
financier du porteur de projet avec un système de partage des risques, de la
responsabilité et des revenus. La banque islamique est partenaire à part entière
avec le client dans son projet dès lors que celui-ci est passé par des règles d’analyse
et de gestion de risque. Les revenus sont partagés en fonction de l’importance de
l’investissement et prévoient un bonus conséquent au porteur du projet. Il s’agit,
en fait, d’un partenariat intelligent capital /travail.
Le fait que les lois islamiques interdisent de verser ou de toucher un intérêt
n’implique pas qu’elles défendent de gagner de l’argent ou encouragent le retour à
une économie fondée uniquement sur les espèces ou le troc. Elles incitent toutes
les parties à une transaction à partager le risque et le bénéfice ou la perte.
On peut comparer les déposants des banques islamiques à des
investisseurs ou actionnaires, qui reçoivent des dividendes quand la banque fait un
bénéfice ou perdent une partie de leurs économies quand elle subit une perte. Le
principe consiste à lier le rendement du contrat islamique à la productivité et à la
qualité du projet, pour assurer une répartition plus équitable de la richesse.
Les instruments financiers islamiques prennent la forme de contrats entre
les fournisseurs et les utilisateurs de fonds afin de gérer le risque. Du côté des
avoirs, les banques islamiques mènent des activités d’investissement et de négoce
conformément aux divers contrats existants. Du côté des dépôts, les fonds sont
surtout mobilisés sur la base d’un contrat Moudaraba ou d’un prêt sans intérêts
(Qard Al-Hasan). Globalement, les banques islamiques offrent aux déposants
quatre catégories de comptes : courant, d’épargne, d’investissement et
d’investissement à objectifs spécifiques.
«C’est parce qu’ils ont dit que le commerce est similaire à l’usure. Allah a
permis le commerce et interdit l’usure. Celui qui a compris le conseil de son
Seigneur et arrêté gardera ses anciens bénéfices et son état est remis à Allah. Celui
qui reprendra écopera de la vengeance d’Allah». Ce verset traduit clairement la
prohibition radicale de l’usure et toutes les transactions y afférent dans la Charia
islamique. Mais ce n’est pas le seul. Sourat Albakara regorge de textes qui
confirment ce jugement divin et menace les contestataires des pires châtiments
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En Afrique, il existe 412 millions de Musulmans qui pourraient exprimer à terme des
demandes importantes en matière de finance islamique auprès des pays du Golfe persique. Il
est possible donc que la finance islamique fasse office de pont entre le continent africain et le
Moyen-Orient.
dans l’au-delà. «O croyants! Craignez Allah et abandonnez les gains qui vous
restent des transactions usurières si vous êtes des croyants. Sinon, attendez-vous à
une guerre de la part d’Allah et de son prophète.
Si vous arrêtez, vous gardez vos capitaux sans subir ni faire subir de
l’injustice à autrui». Aucun autre péché n’est passible d’une telle punition dans
l’islam.
Les transactions commerciales et financières en islam ne dépendent pas
uniquement de la finalité de profit. Le principe de solidarité et de gain mutuel y est
privilégié.
L’introduction de l’usure annule ce deuxième aspect et provoque des
dépassements qui nuisent à l’honnêteté de la relation commerciale, selon les
textes religieux. A commencer par les profits abusifs obtenus sans implication dans
l’activité économique financée. Il y a aussi l’expropriation non justifiée des deniers
d’autrui. Sans oublier la nuisance au principe de solidarité entre le prêteur et
l’emprunteur.
A noter que bon nombre d’économistes qualifiés de «rouges» adhèrent à
cette vision. Ils ont sévèrement critiqué le système bancaire actuel. Et pour cause,
les banques accaparent la majeure partie de la valeur ajoutée des entreprises
endettées. Ce qui pénalise énormément le développement de l’activité
économique, selon eux.
La finance islamique repose sur cinq piliers : pas d’intérêt, pas
d’incertitude, pas de secteurs illicites, obligation de partage des profits et des
pertes et principe d’adossement à un actif tangible.
Quel est le marché potentiel de la finance islamique ?
Aujourd’hui, il pèse 511 milliards de dollars. Mais quel poids est-il en
mesure d’atteindre à l’avenir si tous les Musulmans de la planète en viennent à
avoir accès au crédit, à un compte en banque et à une carte de paiement ? Son
volume potentiel est estimé à 4 billions de dollars. Autrement dit, la finance
islamique a de beaux jours devant elle et c’est pourquoi elle continuera à attirer de
nouveaux entrants, en particulier dans le Golfe persique où il ne se passe pas un
mois sans qu’un établissement financier respectueux des principes de la Charia
n’ouvre ses portes.
Le cadre législatif de la finance islamique au maroc
Il était grand temps que le Maroc prenne le « TGV » de la finance islamique.
Voilà 28 ans déjà que des négociations ont été entamées avec la Banque Centrale
et le Ministère des Finances pour un projet de création d’une première banque
islamique en 1980. Celle-ci n’a finalement pas vu le jour.
Le Maroc accuse un retard en la matière puisqu’il fait partie des trois seuls
pays arabo-musulmans à ne pas avoir de banque islamique.
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Notons que dès 2007 la Banque centrale marocaine avait autorisé les établissements de
crédit à commercialiser trois produits financiers islamiques (Mourabaha, Ijara et
Moucharaka) sous l’appellation de produits financiers alternatifs mais avait sommé les
banques à ne pas faire appel à leur connotation islamique dans leurs campagnes publicitaires,
ce qui a contribué à freiner nettement leur développement. Le chiffre d’affaires de ces
produits, déjà modeste, a même chuté passant de 900 millions de dirhams en 2010 à 800
millions de dirhams en 2011.
A. – Imposition du profit
Le régime d’imposition est celui des bénéfices industriels et commerciaux
en raison de la qualification de contrat de vente de la Murabaha conclu entre un
financier (banque ou intermédiaire financier) et un client. Le profit est
immédiatement imposable, et il est aussi pris en compte dans la détermination du
résultat imposable de manière étalée linéairement sur la durée du différé de
paiement.
Le profit est assimilé par l’administration fiscale aux intérêts. Il est assez
déroutant de constater que le traitement fiscal des profits réalisés par les
opérations de financement islamiques est le même que celui réservé aux intérêts,
alors que le droit musulman interdit sans ambiguïté la stipulation de l’intérêt.
Certes, un éclaircissement était attendu. En revanche, un tel éclaircissement doit
supporter des critiques pour ne pas obscurcir l’esprit de la loi islamique.
musulman exclut toute forme de rémunération usuraire. Or, il est encore une fois
intéressant de voir que le droit ne s’attache point à une qualification juridique
extranationale mais « accommode » un nouvel instrument de financement.
La déductibilité est également conditionnée par le fait que le financement
serve l’intérêt de l’entreprise. Cela suppose que les intérêts versés constituent une
charge pour elle et que les titulaires de Sukuks aient soit la qualité d’associé
minoritaire, soit d’emprunteur.
L’effort du gouvernement est à souligner pour le développement de la
finance islamique. Néanmoins, des interrogations demeurent. Si le pouvoir
règlementaire a introduit de nouveaux instruments de financement, ou plus
précisément a décidé d’en tenir compte d’un point de vue fiscal, il revient au
législateur de les introduire plus solidement dans l’ordonnancement juridique
marocain.
Le dispositif présenté, est celui appliqué en France. Le chantier vient de
Débuter au Maroc, et Rome ne s’est pas faite en un jour !
Conclusion
Le Maroc a tout à gagner en intégrant la finance islamique. La finance
islamique peut apporter des ressources fraiches au Maroc. Des ressources estimées
entre 3 et 7 milliards de dollars venant des pays du Golfe, de la Malaisie, de
l’Indonésie mais, aussi, des communautés arabo-musulmanes vivant en Europe.
L’arrivée de la finance islamique permettra, également, d’augmenter le taux de
bancarisation en répondant à une frange de la population marocaine en attente de
ce type de produit financier conforme à la « charia ». D’après certains pronostics, le
taux de bancarisation passerait ainsi de 69% à 55% avec l’implantation de la
banque islamique. Autre aspect positif, l’arrivée des banques islamiques va
favoriser la «culture entrepreneuriale», actuellement en perte de vitesse, ainsi que
le climat de confiance dont a cruellement besoin l’environnement des affaires dans
notre pays. En effet, avec l’arrivée de la banque islamique, les banques
conventionnelles qui sont confortablement installées, seront amenées à financer
davantage les PME/PMI, à financer la croissance et à améliorer leurs services, au-
delà de la situation de monopole qui pénalise le client marocain. Enfin, la banque
islamique va permettre au Maroc de se positionner véritablement comme hub
financier régional an Afrique et dans la région MENA.
La finance islamique ne représente pas une activité à la mode. Elle repose
sur de nombreux principes sous-jacents et se distingue notamment par son
caractère participatif. Les modifications à apporter doivent consister à les rendre,
compatibles avec les principes de la Charia, de façon à ce qu’ils bénéficient à
l’ensemble du cadre juridique marocain, lequel a des implications au niveau de la
finance islamique.
Bibliographie
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MARTENS A., La Finance islamique : fondements, théorie et réalité, Cahier 20-
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Michel Galloux, Environnement juridico-politique et performances financières
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UREF/AUPELF NE 93- 35, 1993.
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Stanislas Ordody, Le financement de l'entrepreneuriat (le modèle du système
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