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Vincent Rouzé
Éditeur
Association Mélanie Seteun
Référence électronique
Vincent Rouzé, « Michael BULL, Sound Moves. Ipod Culture and Urban Experience », Volume ! [En ligne], 10
: 1 | 2013, mis en ligne le 30 décembre 2013, consulté le 06 février 2017. URL : http://
volume.revues.org/3591
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Michael Bull, Sound Moves. Ipod Culture and Urban Experience, Oxon, Routledge,
2007.
Sound Moves, ouvrage non traduit de l’universi- communication et des médias, ce travail retrace
taire britannique Michael Bull, paru en 2007, a une les manières dont chacun personnalise musicale-
place importante dans l’élaboration du champ de ment ces parcours et activités quotidiennes et en
recherche sur l’écoute et les pratiques musicales analyse les enjeux.
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de nos vies quotidiennes. Michael Bull rappelle porelle, spatiale, sensorielle et sociale de notre
alors les dualités conceptuelles entre la pos- engagement urbain.
ture critique de Theodor Adorno portant sur la
Au fil de la lecture, si nous comprenons le choix
consommation culturelle et l’assujettissement
de l’iPod eu égard à la place de cet appareil sur
aux logiques de répétition industrialisées et la
le marché et la mythologie qui l’entoure à cette
posture cognitiviste de Henri Bergson, que l’au-
teur fait sienne, de la nécessité de considérer les époque (Rouzé, 2010), nous regrettons qu’il ne
formes d’appropriation cognitive et la construc- soit pas plus amplement justifié et mis à distance.
tion de l’expérience. Dans cette perspective, le De fait, à aucun moment les stratégies de contrôle
chapitre huit, montre comment l’iPod devient un développées par Apple pour rendre ce produit
outil d’individuation dans des espaces de travail « mythique » et incontournable ne sont mises en
toujours plus ouverts et collectifs. Chacun met perspective. L’association de « stars » musicale
en adéquation les musiques choisies et la dyna- avec l’appareil, les publicités mettant en scène
mique de travail demandée. Ajoutons que si ces les groupes « incontournables » du moment, les
initiatives sont principalement individuelles, elles logiques de DRM par exemple 1, la vente unitaire
peuvent également devenir collectives lorsque des morceaux… ne semblent pas, pour l’auteur,
la musique est diffusée via un socle « amplifica- avoir d’influence sur les « tactiques » personnelles
teur ». Ce constat pose alors en filigrane la ques- étudiées. Au grès de la lecture, nous avons donc
tion de la fonctionnalisation de la musique et de parfois l’étrange impression de lire les prescrip-
son influence sur la performance et la producti- tions d’usage pensées et marketisées par l’entre-
vité. prise Apple.
Ce cadrage théorique lui permet également d’ex- De plus, si le sous-titre annonce une analyse de la
pliquer que si les auditeurs écoutent de manière « culture de l’iPod et des expériences urbaines »,
répétitives des morceaux musicaux, ce n’est pas rien n’est dit sur d’autres formes d’usages parti-
tant par abrutissement, ni parce qu’ils sont sous cipant à cette culture. Les usages éducatifs (outil
l’emprise d’une « mimesis » inconsciente, large- universitaire), culturels (audio-guide dans les mu-
ment critiquées par Marcuse, que d’une volonté sées) ou encore militaires 2, pourtant inhérents au
de prise de contrôle, de gestion personnali- développement de l’appareil et à la stratégie de
sée des dynamiques corporelles, sensorielles et la marque, sont totalement occultés.
émotionnelles en fonction de la situation et de
leur humeur. Surgit alors un point fondamental : Enfin, puisque le propos s’inscrit dans une dé-
chaque morceau est le fruit d’une histoire propre marche sociologique, il nous paraît dommage
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qui s’incorpore à l’histoire personnelle de chacun. que la musique ne soit considérée que sous le
Les entretiens montrent très clairement comment filtre de l’appareillage technologique. Si l’on sai-
une musique devient une pièce mémorielle du sit bien la personnalisation contextualisée de la
puzzle affectif de leur vie. Elle agit alors comme musique, rien n’est dit en revanche sur son acqui-
un marqueur temporel existentiel et nostalgique. sition. Comment choisit-on la musique ? Fait-elle
Ce constat permet à l’auteur de conclure sur l’im- l’objet d’échanges entre utilisateurs, de « télé-
portance de la musique dans la construction tem- chargements illégaux » ou encore d’achats ? Ces
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Sound Moves
formes d’acquisitions de la musique à la fois indi- technique souvent éludé des réflexions sur les
viduelles et collectives, couplées à des variables pratiques musicales. Il offre ainsi une vision com-
socio-culturelles permettraient de nuancer le plémentaire des travaux sur l’écologie et l’envi-
propos et peut-être de montrer les incidences ronnement sonores ou encore ceux traitant de
sur la constitution des playlists autant que sur la création musicale dans les espaces urbains et
de possibles formes de « distinctions sociales » ruraux. La présence de l’auteur dans la création
reconfigurant, différemment ou non l’occupation de l’ESSA (European Sound Studies Association)
sociale de l’espace et les formes d’appropriation en est le reflet 3. En d’autres termes, ce livre nous
de l’espace urbain. paraît essentiel en ce qu’il ouvre de nombreux
horizons de discussions sur ce qu’est la musique,
Si ces critiques ouvrent sur d’autres perspectives
ce que nous en faisons et ce qu’elle nous fait faire
de recherches aujourd’hui engagées, retenons
au quotidien.
que la publication de cet ouvrage a eu le grand
mérite d’interroger la fonctionnarisation musi-
cale quotidienne au travers du prisme de l’objet Vincent ROUZÉ