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Logistique & Management

Management logistique et outils de gestion :


un dialogue nécessaire

Aurélien ROUQUET
Reims Management School, CRET-LOG Les aut
arouquet@yahoo.fr F. Lusch
Pascal LIEVRE William
Shipp e
Université d’Auvergne Clermont-Ferrand I
de leurs
PascalLievre@wanadoo.fr sur les p
cet artic
grandem
L’objet de l’article est de proposer un rapprochement entre le champ du suggest
management logistique et celui des outils de gestion. Dans une première partie, la anonym
Zachari
nécessité d’instaurer aujourd’hui un tel rapprochement est d’abord justifiée. Il est le Char
alors argumenté qu’au vu de la dimension pratique de la logistique et de Enterpr
Researc
l’importance prise récemment en sciences de gestion par le thème de son sou
l’instrumentation, le management logistique ne saurait plus désormais négliger
cette question. Afin d’initier ce rapprochement, les principaux résultats de la
littérature sur les outils de gestion sont alors présentés dans une deuxième partie. Il
y est rappelé qu’un outil de gestion peut être vu comme la combinaison de trois
éléments : un substrat technique, une philosophie gestionnaire et une vision
simplifiée de l’organisation. Pour finir, dans une troisième partie, le management
logistique est soumis à la grille de lecture que constitue la littérature sur les outils de
gestion. Dans ce cadre, il est souligné qu’il n’y a pas réellement d’outils de gestion
qui soient en propre ceux du management logistique, mais que l’émergence du
management logistique a entraîné la création d’un certain nombre de nouveaux
outils de gestion dont le point commun est une certaine philosophie gestionnaire,
couplée à une certaine vision de l’organisation.

Introduction dard d’évaluation logistique en vigueur dans


l’industrie. Normalement, le responsable
Olivier est directeur logistique. Aujourd’hui, local doit lui présenter un diagramme des flux
Olivier doit assister au comité directeur de son
de l’usine, ainsi qu’une première version d’un
entreprise, qui se tient comme tous les lundis à
protocole logistique à faire signer par tous les
9h30. Au cours de la séance, Olivier doit faire
fournisseurs au moment des contrats. Dans la
le point sur le déploiement de l’échange de
données informatisé (EDI) auprès des four- journée, il faut de surcroît qu’Olivier trouve le
nisseurs, qui est l’un des projets que le PDG temps de consulter ses courriels. En effet, le
juge stratégique. Olivier et son équipe ont pris commercial d’Alfa, qui est le principal client
un peu de retard sur le planning, en raison de de l’entreprise, doit lui avoir transmis son
problèmes rencontrés pour interfacer le tra- indicateur de taux de service logistique pour
ducteur EDI avec le progiciel de gestion inté- le mois dernier. Olivier espère que les résul-
gré (PGI) de l’entreprise. Puis, l’après-midi, tats seront bons. Le mois précédent, un pro-
Olivier doit se rendre dans l’une des six usines blème informatique avait rendu les étiquettes
du groupe pour s’entretenir avec le respon- d’identification par codes-à-barres illisibles.
sable logistique local du déploiement du stan- Suite à cette panne informatique, les dysfonc-

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tionnements dans la chaîne logistique s’é- traités militaires de Sun Tzu, Jomini ou Clau- 1-
taient multipliés, et le taux de service logis- sewitz ; celui des outils de gestion (Hatchuel
tique de l’entreprise était tombé sous les 90 %. et Weil, 1992 ; David, 1996), qui s’inscrit dans 2 - Infir
la lignée des multiples travaux sur la tech-
Ainsi que l’illustre ce bref (et imaginaire) nique qui jalonnent l’histoire des sciences
récit, un logisticien mobilise quotidiennement humaines et sociales, tels ceux des anthropo-
un nombre important d’outils de gestion : logues qui ont étudié le rapport homme / outil
EDI, PGI, étiquette d’identification, taux de depuis le néolithique, ou bien encore ceux des
service, protocole logistique, etc. Mais qu’est philosophes qui ont cherché à rendre compte
ce qui fait que nous pouvons identifier ces de la genèse des objets techniques (Simon-
outils de gestion comme relevant de la logis- don, 1965).
tique ? D’autres opérateurs vont utiliser les
mêmes outils et pour autant, ils ne vont pas se Dans cette optique, notre contribution s’orga-
déclarer « logisticiens ». Pouvons-nous nisera en trois parties. Dans une première
défendre la thèse qu’il n’y aurait qu’une seule partie, nous discuterons du peu d’intérêt mon-
manière d’utiliser ces outils de gestion qui tré jusqu’à présent par le management logis-
serait apparentée à une démarche que l’on tique à cette question des outils de gestion.
pourrait qualifier de logistique ? Cette idée est Nous argumenterons alors qu’au vu de la
contestée par de nombreux travaux, aussi bien dimension pratique et opérationnelle de la
au sein des sciences de gestion (Tixier et al., logistique, et de l’importance prise récem-
1996) qu’au sein des sciences de l’ingénieur ment en sciences de gestion par ce thème de
(Pimor, 2003) ; ils convergent vers l’idée du l’instrumentation, le management logistique
caractère multiple de la logistique. Dans un ne saurait désormais plus négliger cette ques-
travail récent, Lièvre (2007) émet d’ailleurs tion. Afin de pouvoir initier un rapproche-
l’hypothèse qu’il y aurait au moins quatre ment entre les deux champs, nous
façons de faire de la logistique : toutes seraient présenterons brièvement dans une deuxième
légitimes, mais dans le même temps, toutes partie les principaux résultats de la littérature
seraient relativement orthogonales les unes sur les outils de gestion. Notamment, nous
avec les autres. Selon cette perspective, pou- rappellerons qu’un outil de gestion peut être
vons-nous alors parler d’outil de gestion vu comme la combinaison de trois types d’é-
propre à la logistique ? léments en interaction (Hatchuel et Weil,
1992) : un substrat technique, une philo-
De manière générale, ces questions n’ont pas sophie gestionnaire et une vision simplifiée de
fait l’objet d’une attention spécifique de la l’organisation. Enfin, dans une troisième
part de la littérature logistique. Cela est relati- partie, nous soumettrons le management
vement étonnant quand on observe que, logistique à la grille de lecture que constitue la
depuis ses origines, la logistique se veut une littérature sur les outils de gestion. Il sera alors
pratique, et qu’elle revendique le caractère souligné qu’il n’y a pas réellement d’outils de
opératoire de la production de son savoir. Cela gestion qui soient en propre ceux du manage-
l’est d’autant plus qu’à la suite des travaux ment logistique, mais que l’émergence du
fondateurs de Berry (1983) sur ce qui n’était management logistique a entraîné la création
alors qu’une « technologie invisible », les d’un certain nombre de nouveaux outils de
sciences de gestion ont produit une réflexion gestion, dont le point commun est une cer-
importante sur les outils de gestion : sur leur taine philosophie gestionnaire, couplée à une
« nature » (Hatchuel et Weil, 1992), sur la certaine vision de l’organisation. En guise de
manière dont ils se « contextualisent » dans les conclusion, nous suggèrerons quelques pistes
organisations (David, 1996), sur leurs diffé- de recherche en vue d’approfondir le dialogue
rents « modes d’existence » (Moisdon, 1997), initié ici entre management logistique et outils
etc. de gestion.
L’objet de l’article est justement de proposer
un rapprochement entre les deux champs de la De la nécessité du dialogue
logistique et de l’instrumentation de gestion. logistique / outils de gestion
Précisément, il s’agira ici de faire dialoguer
deux corpus théoriques qui ont récemment Alors que la plupart des auteurs s’accordent à
émergé en sciences de gestion et qui se sont dire que le management logistique a une visée
pour l’instant ignorés : celui du management pratique et une dimension opérationnelle, il
logistique (Tixier et al., 1983 ; Aurifeille et est surprenant de constater que celui-ci ne
al., 1997), qui n’est qu’un moment de la s’est pour l’instant pas intéressé à ses outils de
longue histoire logistique née notamment des gestion. Cela apparaît d’autant plus étonnant

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qu’historiquement, pour ce qui est tout du des organisations. Pour être plus précis, la
moins du cas de la France, les premiers tra- littérature s’est jusqu’à présent limitée à ana-
vaux sur le management logistique et sur les lyser et étudier de manière séparée et succes-
outils de gestion sont apparus à la même sive un certain nombre d’outils de gestion
époque –au début des années 1980 – et par- donnés et particuliers, sans se demander à
viennent à des conclusions similaires. quelles conditions leurs usages pouvaient
Aujourd’hui, avec la place de plus en plus effectivement relever de la logistique.
grande accordée en sciences de gestion aux
Figure 1 : Implicatio
outils de gestion, il semble toutefois crucial Sans être exhaustif, mentionnons ici que les de développement d
pour le management logistique de mettre fin à chercheurs se sont par exemple intéressés : à
cette situation et de mener une réflexion l’EDI et à la manière dont il a été adopté et uti-
approfondie sur le thème des outils de gestion. lisé au sein des supply chains (Walton, 1994) ;
à la standardisation inter-organisationnelle et
Les outils de gestion : une technologie
aux difficultés associées aux interactions
invisible pour la logistique ?
entre plusieurs standards dans les supply
Comme le traduisent la majorité des défini- chains (Fabbe-Costes et al., 2006) ; aux indi-
tions, l’une des caractéristiques fondamenta- cateurs de mesure de la performance au sein
les du management logistique est que celui-ci des supply chains et à la manière dont ils sont
s’intéresse avant tout à un objet tangible : les définis (Gunasekaran et Kobu, 2007). Par ail-
flux physiques. Ainsi, Paché (1994, p. 11) leurs, à un niveau d’abstraction plus élevé,
note que l’approche logistique peut être plusieurs auteurs pointent du doigt l’impor-
définie comme une « technologie de la maî- tance, sur le plan du management logistique,
trise des flux expédiés vers les clients (pro- des différentes technologies de l’information
duits finis, pièces détachées), transférés entre et de la communication (TIC) et, plus globale-
ou au sein d’unités de production (demi-pro- ment, du système d’information et de commu-
duits, en cours) et, enfin, reçus de fournisseurs nication logistique de l’entreprise (SICLE)
(matières premières, composants) ». De la (Fabbe-Costes, 2000).
même manière, Aurifeille et al. (1997, p. 1)
voient dans la logistique « une compétence de Management logistique et outils de
gestion et de pilotage des flux », qui a pour but gestion : des évolutions parallèles
« d’optimiser le couple coût / niveau de ser-
vice ». Le fait que le management logistique ne se
soit pas réellement intéressé à la question des
Dans ce cadre, la littérature s’accorde logi-
outils est d’autant plus étonnant qu’histori-
quement sur le fait que la logistique possède
quement, les réflexions sur le management
une forte dimension pratique et opération-
des flux logistiques et sur le rôle des outils de
nelle. Bien sûr, le management logistique ne
gestion dans les organisations ont émergé en
se réduit pas à cette dimension, et possède
France à une même époque… et aboutissent
également une portée stratégique (Fabbe-
alors à des conclusions similaires ! D’un côté,
Costes et Colin, 2003). D’ailleurs, comme le
le management logistique s’est, comme on le
note Lièvre (2007, p. 9), « c’est dans l’articu-
sait, développé significativement en France au
lation entre le niveau stratégique et le niveau
début des années 1980, la plupart des auteurs
opérationnel que se joue la logistique ». Tou-
s’accordant pour voir dans son émergence à
tefois, la dimension opérationnelle est bien
cette époque une réponse à la crise ayant suivi
prépondérante et première : quoi qu’il arrive,
le second choc pétrolier (Fabbe-Costes,
pour le logisticien, il faut acheminer les pro-
2004). Ainsi, la première thèse consacrée à
duits vers les clients pour que ceux-ci soient
l’étude des stratégies logistiques des entrepri-
livrés en temps et en heure !
ses a été soutenue en France en octobre 1981
Au vu de l’importance de cette dimension, on au CRET-LOG par Jacques Colin, et le pre-
s’attendrait a priori à ce qu’un certain nombre mier ouvrage de référence à avoir été publié
de travaux en logistique se soient penchés sur sur le sujet date de 1983 (Tixier et al., 1983).
cette question fondamentale des outils de ges- Dès cette époque, ces travaux fondateurs met-
tion : sans mobiliser des outils et des techni- tent en avant le cœur de « l’idée logistique », à
ques en effet, comment gérer de manière savoir la nécessité de rechercher une optimi-
opérationnelle les flux physiques ? Pourtant, sation globale des flux, et de « supprimer les
dans le champ du management logistique, il dysfonctionnements résultants d’approches
existe à notre connaissance peu de travaux qui fractionnées des processus de circulation de
ont été menés sur le statut des outils de gestion produits, informations et compétences »
utilisés par les logisticiens et les autres acteurs (Mathe et Tixier, 1987, p. 13).

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De l’autre côté, les premiers travaux sur les sur les outils de gestion (Hatchuel et Molet,
outils de gestion ont été initiés en France au 1986) et qui a parallèlement développé une
sein du Centre de Recherche en Gestion approche « logistique » (Molet, 2006).
(CRG) de l’Ecole Polytechnique et du Centre
de Gestion Scientifique (CGS) de l’Ecole des Les outils de gestion : un thème au cœur
Mines, au tout début des années 1980. Ainsi, des sciences de gestion
même s’il n’a pas été formellement édité, Une Notre thèse est qu’il est aujourd’hui absolu-
technologie invisible : l’impact des instru- ment nécessaire pour le management logis-
ments de gestion sur l’évolution des systèmes tique de s’intéresser enfin à cette question des
humains, qui est usuellement considéré outils de gestion. Cela semble d’autant plus
comme l’ouvrage fondateur en France d’une important aujourd’hui que la question des
réflexion sur les outils de gestion, date de outils et des instruments de gestion, après
1983, c’est-à-dire de la même année que l’ou- avoir été longtemps occultée, fait désormais
vrage de Tixier et al. (1983). De surcroît, en l’objet d’une forte attention de la part de la
mettant au centre de son analyse les outils et communauté gestionnaire. Ainsi, à la suite
instruments de gestion, M. Berry aboutit à des réflexions initiées au sein du CRG de
quelques conclusions qui n’auraient alors nul- l’Ecole Polytechnique (Berry, 1983 ; Girin,
lement étonné un lecteur avisé sur le plan 1995) et du CGS de l’Ecole des Mines de Paris
logistique. Qu’on en juge plutôt par ce bref (Hatchuel et Molet, 1986 ; Hatchuel et Weil,
extrait de l’introduction (Berry, 1983, p. 2, 1992 ; David, 1996 ; Moisdon, 1997), de nom-
souligné par nous) : breux chercheurs en sciences de gestion se
sont dernièrement emparés de ce thème.
« Les instruments de gestion et d’évaluation
appliqués à chacune des parties de l’organi- D’un côté, certains auteurs se sont efforcés de
sation sont spécialisés et partiels ; cette spé- proposer une réflexion globale sur l’instru-
cialisation répond à une division des rôles et il mentation de gestion (Gilbert, 1998), tandis
apparaît normal que le commerçant, le fabri- que d’autres se sont plutôt focalisés sur une
cant, le financier, etc. relèvent de critères dif- dimension plus particulière, comme la ques-
férents et disposent d’instruments propres à tion de l’appropriation des outils (de Vaujany,
leur fonction : ces instruments sont les 2005 ; Grimand, 2006). Par ailleurs, certains
moyens d’une division de la vigilance. Mais auteurs se sont intéressés à des types d’outils
cette spécialisation des critères rend impos- de gestion particuliers, comme les outils de
sible une cohérence globale des choix. Il y a gestion des compétences (Oiry, 2001), ou les
alors une contradiction entre les critères tra- outils de gestion inter-organisationnels (Rou-
ditionnels de la bonne gestion, fondés sur la quet, 2008). D’autres auteurs, encore, ont étu-
croyance en une rationalité universelle posée dié la mise en place d’outils de gestion dans
a priori, et la marche effective d’une organi- des organisations spécifiques, telles par
sation, régie par une juxtaposition de logi- exemple les organisations universitaires
ques locales engagées dans une incessante (Solle, 2001). Enfin, certains auteurs ont
confrontation. La cohabitation de ces logi- récemment proposé de développer une
ques antagonistes est facilitée par le flou sur approche narrative des outils de gestion dans
l’information, l’excédent de moyens et l’opa- les organisations, et de considérer ces derniers
cité sur les pratiques, facteurs qui rendent comme des textes (Detchessahar et Journé,
d’ailleurs difficile l’analyse d’une organisa- 2007).
tion et remettent en cause la pertinence de
certaines applications de l’informatique ou En outre, notons qu’à rebours des habitudes,
des rationalisations de la gestion suggérées ces réflexions sur les outils de gestion nées en
face à la crise ». sciences de gestion commencent à être mobi-
lisées au sein d’autres disciplines des sciences
Ainsi, alors même que les réflexions sur cha- humaines et sociales. C’est notamment le cas
cun de ces deux thèmes ont été initiées à une en sociologie, qui a vu certains auteurs utiliser
même époque et avaient pour point de départ une grille d’analyse de moyenne portée, com-
des constats similaires – l’existence au sein posée d’ingrédients qui, selon les propos de
des organisations de plusieurs logiques loca- Moisdon (2006), font écho à certaines 5 - Nos analyses
principalement po
les non cohérentes – la littérature logistique et réflexions sur les outils de gestion, en vue d’a- revues suivantes :
celle sur les outils de gestion ont connu jus- nalyser l’histoire et la mise en place d’innova- Stratégie logistiq
qu’à présent un développement parallèle. La tions dans les organisations (Segrestin, 2004). Magazine, Supply
seule exception notable concerne les travaux Par ailleurs, suivant une toute autre perspec- Magazine en Fran
Management aux
de Hugues Molet à l’Ecole des Mines de Paris tive, certains sociologues ont récemment uti-
qui, de fait, a participé aux travaux fondateurs lisé le concept d’outils de gestion pour mettre

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en lumière leur rôle « dans la dynamique de la lité, la question des outils et des techniques ne
domination propre aux entreprises post-for- saurait être dissociée de celle de l’organisa-
diennes » (Maugeri, 2007, p. 1). Comme l’ex- tion. Précisément, ils vont avancer que si les
plique Maugeri (2007, p. 2), l’intérêt porté par outils s’appuient sur des techniques plus ou
les sociologues aux outils de gestion s’ex- moins sophistiquées, on ne peut définir ce
plique notamment « par leur valeur heuris- qu’ils sont sans « s’appuyer sur une concep-
tique dans la description du comportement tion de l’action collective » (Hatchuel, 2001,
des entreprises face à un marché qui s’est p. 13). Ainsi, il est possible d’utiliser « une
transformé et mondialisé ». règle de trois » ou un « calcul abscons » pour
établir le « plan de fabrication d’un atelier ».
Toutefois, « au-delà des différences qu’entraî-
Les outils de gestion : principaux nent la méthode de calcul », il faut pour mettre
résultats en œuvre un tel plan « se demander ce que l’on
entend par « établir un plan de production », si
Au vu du caractère pratique et opérationnel de
ce « plan est acceptable par ceux à qui il est
la logistique, et de l’importance prise récem-
destiné, et ce que l’on fera des surprises que
ment en sciences de gestion par le thème de
cette idée nous réservera » (Hatchuel, 2001,
l’instrumentation, rapprocher logistique et
p. 13).
outils de gestion est selon nous nécessaire.
Afin de pouvoir initier dans une troisième Au final, à l’aide d’une conceptualisation
partie un tel rapprochement, un préalable est explicitant parfaitement l’inévitable « intrica-
toutefois de présenter brièvement la littérature tion entre les outils de gestion et les formes
sur les outils de gestion, avec lequel un lecteur d’organisation » (Hatchuel, 2001, p. 13), Hat-
avisé sur le plan logistique n’est pas forcé- chuel et Weil (1992, p. 123) vont définir un
ment familier. Sans pouvoir en donner un outil de gestion comme « un conglomérat sin-
aperçu exhaustif, nous allons donc, dans cette gulier, constitué par spécification de trois élé-
deuxième partie, rappeler comment cette litté- ments de nature différente mais en
rature appréhende la nature des outils de ges- interaction » :
tion et choisit de classer les outils en différents • Un « substrat technique ». Il s’agit de
types, puis indiquer quels sont les trois « l’abstraction qui permet à un outil de ges-
niveaux d’analyse qu’elle considère pour tion de fonctionner » (David, 1996, p. 7)
comprendre la vie des outils de gestion. (exemples : les règles formelles utilisées,
les éléments concrets mobilisés, les algo-
Nature des outils de gestion : une structure rithmes éventuels).
ternaire
• Une « philosophie gestionnaire ». Il s’agit
Tout d’abord, un résultat essentiel auquel est du « système de concepts qui désigne les
parvenue la littérature sur les outils de gestion objets et les objectifs qui forment la cible de
a trait à la nature de ces dispositifs. A l’ori- la rationalisation » (Hatchuel et Weil, 1992,
gine, cette question faisait notamment débat à p. 124) et qui confére au « substrat tech-
la fin des années 1970, au sein de la commu- nique » une « nature managériale ».
nauté de la recherche opérationnelle (Hat- • Une « vision simplifiée de l’organisation ».
chuel et Molet, 1986). D’un côté, on voyait en Il s’agit de la « scène primitive » qui est as-
effet les spécialistes de la recherche opéra- sociée à l’outil et lui confère une « vertu
tionnelle souligner les mérites en mobilisatrice » (Hatchuel et Weil, 1992,
elles-mêmes des différentes techniques quan- p. 125). Celle-ci évoque les « rôles que doi-
titatives qu’ils mobilisaient. De l’autre, on vent tenir un petit nombre d’acteurs som-
voyait les analystes des organisations mairement, voire caricaturalement
remettre en cause l’efficacité de ces différen- décrits » dans le fonctionnemenent de l’ou-
tes techniques, et observer qu’en pratique, til (Hatchuel et Weil, 1992, p. 125) et/ou
celles-ci engendraient « mécaniquement des brosse à grands traits « la nature et la lo-
choix et des comportements échappant aux gique d’interaction des savoirs générés »
prises des volontés des hommes », condui- par l’outil de gestion (David, 1996, p. 12).
saient « les organisations dans des directions
voulues parfois par personne » et les rendaient Grâce à cette définition, notons que ces
« rebelles aux efforts de réforme » (Berry, auteurs vont renouveler la vision « instrumen-
1983, p. 2). tale » avec laquelle la plupart de la littérature
appréhendait jusqu’alors les outils de gestion
Dans le cadre d’une contribution fondamen- (Moisdon, 1997). Ainsi, à côté de la thèse tra-
tale permettant de sortir de ce débat, Hatchuel ditionnelle, qui indique que les outils peuvent
et Molet (1986) vont alors suggérer qu’en réa- être utilisés pour « normer les comporte-

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ments, au sens de les rendre conformes à un compte (David, 1998). Le premier niveau
“optimum” postulé par l’outil », cette défini- d’analyse est celui du processus d’implémen-
tion conduit à souligner que les outils peuvent tation d’un outil de gestion dans une organisa-
également favoriser « la connaissance et l’ex- tion donnée. C’est à ce niveau qu’il est
ploration du réel » (Moisdon, 1997, p. 8). En possible d’analyser « l’interaction entre l’ou-
effet, puisqu’ils véhiculent par définition des til de gestion et l’organisation » et « d’étudier
« visions simplifiées des organisations » au dans le détail les transformations réciproques
sein desquelles ils sont censés fonctionner, les de l’outil par l’organisation et de l’organisa-
outils de gestion peuvent être utilisés pour tion par l’outil » (David, 1998, p. 51). Par ail-
« investiguer le fonctionnement organisation- leurs, comme l’illustre la célèbre étude de
nel », pour « accompagner une mutation » ou Chandler (1989) sur la diffusion de l’organi-
encore pour « explorer du nouveau » (Mois- sation matricielle, un deuxième niveau d’ana-
don, 1997, pp. 34-36). lyse est celui de la courbe de vie d’un outil de
gestion au sein des organisations. Enfin, un
Typologie des outils de gestion : orientation troisième et dernier niveau d’analyse est celui
relation / connaissance de « l’histoire des firmes et des marchés »
Outre ce résultat essentiel portant sur la nature (David, 1998, p. 50).
des outils de gestion, David (1996) va par ail- Comme le note Hatchuel (2001, p. 25), l’é-
leurs suggérer que les outils de gestion peu- tude de ce troisième niveau d’analyse suggère
vent être classés en trois types, en fonction de qu’il existe des « vagues de rationalisation
leur « orientation relation / connaissance ». communes à un grand nombre d’entrepri-
Comme son nom l’indique, cette variable, qui ses », qui conduisent celles-ci à se transformer
renvoie à la théorie axiomatique de l’action et qui « s’accompagnent de vagues d’outils de
collective développée par Hatchuel (2001), gestion nouveaux » (David, 1998, p. 51).
vise à souligner que les outils de gestion peu- Ainsi, le développement de la production de
vent être plus ou moins orientés sur les « rela- masse est lié à l’émergence des outils de l’or-
tions » ou sur les « connaissances ». Ainsi, il ganisation scientifique du travail [OST]
est possible de distinguer selon David (1996, (exemples : diagramme de Gantt, chronomé-
p. 6) : trage). De même, le basculement vers une
• Les « outils orientés connaissance ». Ils économie de la variété s’avère indissociable
sont centrés sur la « production de connais- du développement des outils du marketing et
sances », indépendamment « des modifica- du contrôle de gestion (exemples : ciblage,
tions organisationnelles que leur utilisation segmentation, comptabilité analytique).
suppose » (exemples : système expert, ou- Enfin, l’apparition d’un capitalisme à innova-
tils de la recherche opérationnelle). tion intensive trouve sa source dans la concep-
• Les « outils orientés relation ». Ils décri- tion d’outils visant à améliorer les
vent d’abord « une forme d’organisation coordinations horizontales (exemples :
particulière des relations entre les acteurs », gestion de projet, évaluation des
même « si la question de savoir quelles compétences) (Tableau 1).
connaissances seront produites par cette or-
ganisation se pose nécessairement par la
suite » (exemples : structure décentralisée, Management logistique et outils
équipe projet). de gestion
• Les « outils mixtes ». Se situant sur un Les principaux résultats de la littérature sur
« continuum » entre « outils orientés les outils de gestion étant posés, nous allons
connaissance » et « relation », ils s’adres- enfin pouvoir, dans cette troisième partie, ini-
sent « simultanément aux relations entre tier un dialogue entre logistique et outils de
acteurs et aux connaissances produites, les gestion. Précisément, nous nous proposons de
deux dimensions étant présentes dans le soumettre le management logistique à la grille
nom même qu’on leur a donné » (exemple : de lecture que forme la littérature sur les outils
contrat d’objectifs). de gestion. Dans ce cadre, nous allons
Outil de gestion et organisation : les trois défendre l’idée qu’il n’y a pas réellement
niveaux d’analyse d’outils de gestion qui soient en propre ceux
du management logistique, mais que l’émer-
Enfin, la littérature sur les outils de gestion gence du management logistique a entraîné la
souligne que, pour comprendre la vie des création d’un certain nombre de nouveaux
outils dans les organisations, trois niveaux outils de gestion, dont le point commun est
d’analyse interdépendants doivent être pris en une certaine philosophie gestionnaire,

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couplée à une certaine vision de l’organisa- Tableau 1 : Trois vagues de rationalisation et leurs grappes d’outils de
tion. Puis nous soulignerons que ces nou- gestion (adapté de David, 2003)
veaux outils de gestion, apparus avec le
management logistique, sont principalement Vague de Rapports de Compétence
des outils de gestion orientés relation. Enfin, rationalisation concurrence organisationnelle critique
nous nous placerons au niveau d’analyse qui 1. Age de la Bureau des méthodes de production
est celui de l’histoire des firmes et des mar- production de Prix (OST : diagramme de Gantt,
chés, et analyserons l’émergence du manage- masse chronométrage, etc.)
ment logistique et de ces nouveaux outils de Marketing et contrôle de gestion
gestion comme constituant une vague de 1 + largeur et
2. Economie de la (segmentation, ciblage, positionnement,
rationalisation. profondeur des
variété couple produit marché, comptabilité
gammes
analytique et évaluation des coûts, etc.)
Des outils de gestion logistique ?
1 + 2 + Vitesse de Coordinations horizontales (outils de la
Partant des travaux sur les outils de gestion, 3. Capitalisme à conception et de gestion de projet, outils d’évaluation des
nous pouvons, à un premier niveau, nous innovation intensive renouvellement des compétences, systèmes de knowledge
demander s’il existe ou non des outils de ges- produits management, etc.)
tion logistique, c’est-à-dire des outils dont on
puisse dire qu’ils sont caractéristiques du
management logistique. De notre point de vent des outils de gestion. En effet, quelles
vue, ce n’est pas le cas. En effet, s’il existait que soient les techniques sous-jacentes, les
effectivement de tels outils de gestion, il logisticiens pensent toujours l’utilisation d’un
devrait être possible, comme l’ont fait Hat- outil par rapport à un même « système de
chuel et Weil (1992) pour le cas de l’OST, de concepts ». Ainsi, par opposition par exemple
la GPAO, de la recherche opérationnelle et des aux outils du taylorisme, qui s’inscrivent dans
systèmes experts, de décrire ici les trois élé- « une logique d’accroissement de la producti-
ments qui composent de tels outils de gestion vité du travail humain » (Hatchuel et Weil,
(substrat technique, philosophie gestion- 1992, p. 123), l’utilisation par un logisticien
naire, vision de l’organisation). d’un outil de gestion se fait en rapport avec un
objet, les flux, et vise un objectif, qui est d’as-
Or, qui prend soin d’observer les outils de ges- surer le fonctionnement harmonieux, continu,
tion utilisés au quotidien par les logisticiens fluide et rapide de ces flux au sein de l’organi-
est forcé de constater que ces outils reposent sation et plus largement tout au long de la sup-
sur une variété quasi infinie de substrats tech- ply chain.
niques, au sein de laquelle il est bien difficile
de dégager des similitudes. Ainsi, ces outils De même, quelles que soient les techniques
de gestion font appel : à des opérations élé- mobilisées, les logisticiens pensent l’utilisa-
mentaires de calcul, qui rendent possible la tion des outils de gestion en relation à des
mesure du taux de service logistique ; à des visions simplifiées des organisations qui pos-
ordinateurs et à des langages informatiques, sèdent des caractéristiques communes. Même
qui supportent le fonctionnement de l’EDI si l’identité et le nombre des acteurs fluctuent
avec les clients et/ou avec les fournisseurs ; à selon l’outil considéré, un logisticien envi-
des emballages en plastique et en carton, qui sage ainsi toujours l’utilisation d’un outil de
permettent concrètement le transport des piè- gestion dans le cadre d’une scène qui ras-
ces ; à des algorithmes mathématiques, qui semble certains des acteurs de l’organisation
aident à résoudre des problèmes d’optimisa- jouant un rôle dans la circulation des flux. Au
tion complexes ; à des protocoles écrits, qui sein de ces scènes primitives, il s’agit alors à
sont signés avec les fournisseurs en vue de chaque fois de penser la mise en place de meil-
s’accorder sur les conditions logistiques des leures relations entre les acteurs convoqués,
échanges ; à des symboles graphiques, sans afin d’atteindre une plus grande transversalité
lesquels il serait impossible de réaliser le dia- au sein de l’organisation. On peut d’ailleurs
gramme des flux d’une usine, etc. remarquer la forte prégnance de cette vision
transversale des organisations en consultant
Toutefois, si l’on laisse de côté les substrats les nombreuses représentations graphiques
techniques sur lesquels reposent les outils de utilisées par la littérature en vue de retracer les
gestion utilisés par les logisticiens, et que l’on grandes étapes de l’histoire du management
se concentre sur les deux autres éléments qui logistique (la Figure 1 en donne un bon
définissent un outil de gestion, une unité peut exemple).
être trouvée ! Cela est notamment évident
lorsque l’on se focalise sur la philosophie ges- Au passage, notons ici que ces visions organi-
tionnaire avec laquelle les logisticiens se ser- sationnelles simplifiées peuvent aussi bien

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Figure 1 : Interfaces internes, externes, directes et transactionnelles nous, toujours en lien avec une philosophie
de la logistique gestionnaire prenant pour cible les flux et
dans le cadre d’une vision transversale de
l’organisation. Pour le dire autrement, loin de
trouver appui dans des substrats techniques
particuliers, le management logistique cons-
titue avant tout une approche des organisa-
tions, une manière d’appréhender celles-ci
dans le cadre d’une philosophie gestionnaire
donnée et associée à une vision simplifiée et
transversale de l’organisation. « Peu importe
la technique (flacon), pourvu que l’on ait le
regard logistique (ivresse) ! » pourrait-on
dire.

Ayant écrit cela, on peut alors noter qu’histo-


riquement, l’émergence du « regard » logis-
tique a permis de « régénérer » un certain
nombre d’outils de gestion qui étaient alors
déjà en usage dans les entreprises. Ainsi, suite
à l’innovation logistique, il n’a plus été ques-
tion de penser un emballage seulement
comme un moyen de protéger les produits ou
comme un vecteur du marketing, mais aussi
comme un objet à faire circuler tout au long de
être intra-organisationnelles (un diagramme
la chaîne logistique. De même, la perfor-
des flux de l’usine, qui met en scène les fonc-
mance d’une machine au sein d’un atelier n’a
tions achats, production et distribution),
plus été évaluée par rapport à un taux de ren-
qu’inter-organisationnelles (un protocole
dement synthétique et/ou à un taux de
logistique entre client et fournisseur, qui met
non-qualité, mais aussi par rapport au temps
en scène les acteurs de la relation marchande
d’écoulement du flux de production transitant
que sont le commercial et l’acheteur). Par ail-
par la machine considérée. Mais si elle a per-
leurs, soulignons qu’au sein de ces visions, le
mis de « régénérer » certains outils de gestion
logisticien apparaît rarement, alors qu’il joue
existants, l’innovation logistique a également
un rôle crucial dans le fonctionnement des
conduit à la création d’un certain nombre de
outils. Cette difficulté pour le logisticien à
nouveaux outils de gestion ! En effet, pour
penser sa place dans l’organisation, fréquem-
pouvoir transformer les organisations selon le
ment soulignée par la littérature (Fabbe-Cos-
« regard » logistique, se contenter de rééva-
tes et Meschi, 2000), est sans doute liée à la
luer les outils de gestion en usage était bien
manière dont celui-ci se représente son action.
sûr insuffisant et la mise au point d’un certain
Alors qu’il voit avant tout son action comme
nombre de nouveaux outils de gestion s’im-
une action de mise en relation des acteurs de
posait (exemples : les divers indicateurs de
l’organisation, il est par nature problématique
performance logistique, les diagrammes des
pour le logisticien de se mettre lui-même en
flux, les protocoles logistiques).
scène ! Apparaître explicitement, c’est en
effet devenir un acteur à part entière de l’orga-
nisation. Mais comment alors penser sa Faisant appel à des substrats techniques
propre relation aux autres acteurs ? divers et variés, ces nouveaux outils de ges-
tion qui sont apparus en vue d’instrumenter le
Si nous nous résumons, les outils de gestion « regard » logistique ont naturellement pour
utilisés par les logisticiens prennent donc cible les flux et sont porteurs d’une vision
appui sur des substrats techniques divers et transversale de l’organisation. Au sein de
variés, au sein desquels nulle unité ne peut être l’ensemble des outils de gestion, ces divers
dégagée. Cette multiplicité des substrats tech- outils de gestion forment une classe particu-
niques mobilisés par le management logis- lière, que l’on pourrait ici appeler « logis-
tique rend impossible le fait de caractériser tique ». Non pas que les outils de gestion qui
certains outils comme étant en propre ceux de sont membres de cette classe soient les seuls
la logistique. Cependant, quelles que soient et uniques outils de gestion sur lesquels le
les techniques considérées, l’usage d’un outil management logistique prend appui, mais
de gestion par un logisticien s’inscrit, selon plutôt que ces outils soient impensables avant

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que n’émerge le management logistique et Tableau 2 : Orientation des outils de gestion apparus
qu’ils en constituent une conséquence. avec le management logistique (élaboration personnelle)
Des outils de gestion principalement Outils de gestion Outils de gestion
orientés relation orientés relation orientés connaissance
Ayant mis en lumière qu’il n’existe pas réelle- Outils d’interface : Kanban, Outils d’évaluation : indicateur de taux de
ment d’outils de gestion logistique, mais que diagramme des flux, protocole service logistique, indicateur de temps de
l’émergence du management logistique a logistique, EDI, GPA cycle, standards d’évaluation de la logistique
conduit à la création d’un certain nombre de
nouveaux outils de gestion, nous pouvons,
dans un deuxième temps, nous interroger sur mesure de taux de service, indicateur de temps
ce qui caractérise ces nouveaux outils. de cycle, standards d’évaluation de la logis-
Notamment, si nous reprenons la typologie tique, etc. Le Tableau 2 présente le type d’o-
proposée par David (1996), nous pouvons ici rientation relation / connaissance des outils de
nous demander si ces outils de gestion sont gestion apparus avec le management logis-
plutôt des outils qui sont orientés relation, ou tique.
plutôt des outils qui sont orientés connais-
La vague de rationalisation logistique et
sance.
ses outils de gestion
De notre point de vue, ces outils de gestion
Au final, si l’on se place au niveau d’analyse
sont d’abord et avant tout des outils qui sont
qui est celui de l’histoire des entreprises et des
orientés relation. Cela découle du fait que
marchés, nous pouvons, à la suite des travaux
dans le cadre de la vision transversale des
de David (2003) présentés plus haut (voir le
organisations qui est associée au manage-
Tableau 1), analyser l’émergence du manage-
ment logistique, il s’agit avant tout d’agir aux
ment logistique et de ces nouveaux outils de
interfaces inter-fonctionnelles et inter-organi-
gestion comme constituant une vague de
sationnelles, c’est-à-dire de penser la meil-
rationalisation. Précisément, il est possible,
leure mise en relation entre un certain nombre
comme le suggère Rouquet (2007), de rendre
des acteurs des organisations. Ainsi des tech-
compte de l’apparition de cette vague de
niques de Kanban, qui visent principalement à
rationalisation en considérant respectivement
organiser de manière nouvelle le transfert
ses conséquences à deux niveaux d’analyse
d’information entre les acteurs des organisa-
organisationnels : le niveau intra-organisa-
tions. Ainsi des diagrammes des flux, dont
tionnel et le niveau inter-organisationnel.
l’objet est de modéliser la circulation des pro-
duits entre les acteurs des organisations. Ainsi A un niveau intra-organisationnel, nous pou-
des protocoles logistiques signés entre clients vons observer que l’apparition du manage-
et fournisseurs, qui décrivent avant tout une ment logistique a entraîné la création dans les
nouvelle forme de relation entre ces derniers. entreprises des figures d’acteurs que sont les
Ainsi encore, comme son nom même l’in- logisticiens et a conduit à la mise en place de
dique, de l’EDI ou des diverses techniques nouveaux outils de gestion intra-organisation-
d’approvisionnement comme par exemple la nels tels les diagrammes de flux, le Kanban,
GPA. etc. A un niveau inter-organisationnel, nous
pouvons remarquer que cette vague de ratio-
S’ils sont majoritairement orientés relation,
nalisation a amené les rapports marchands
les nouveaux outils de gestion apparus suite à
entre les entreprises à évoluer et à ne plus s’or-
l’émergence du management logistique com-
ganiser autour des seuls critères existants
prennent également un certain nombre d’ou-
(exemples : prix, qualité), mais aussi autour de
tils qui sont orientés connaissance. En effet, la
la capacité des entreprises à livrer rapidement
mise en place de meilleures relations entre les
et de manière fiable les produits. En pratique,
acteurs sert un objectif précis, à savoir l’ob-
ce changement au sein des relations marchan-
tention d’une meilleure continuité et rapidité
des a, entre autres, été instrumenté par la mise
des flux au sein des organisations. Or, il faut
en œuvre d’un certain nombre d’outils de ges-
bien développer des outils pour évaluer le
tion inter-organisationnels, et en particulier
niveau d’atteinte de cet objectif désigné par la
par l’apparition de standards inter-firmes
philosophie gestionnaire logistique ! Ainsi,
(taux de service logistique, d’évaluation
c’est naturellement que l’émergence du
logistique, etc.).
management logistique a conduit à la création
d’un certain nombre d’outils d’évaluation et Notons ici que l’on retrouve ces mêmes chan-
de mesure, qui sont quant à eux, par défini- gements lorsque l’on considère d’autres
tion, orientés connaissance : indicateur de vagues de rationalisation, comme par

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Tableau 3 : Le management logistique, une vague de rationalisation


(élaboration personnelle à partir de David [2003] et Rouquet [2007])

Vague de Figures Outils de gestion Rapports Standards


rationalisation d’acteurs intra-firmes marchands inter-firmes
1. Age de la Bureau des OST : diagramme de
production de méthodes de Gantt, chronomètre, Prix –
masse production etc.
Standards ISO qualité,
Direction Cercles de qualité, 1 + Qualité des
2. Qualité standards de
qualité poka-yoke, etc. produits
performance, etc.
1 + 2 + Rapidité et Standards de taux de
3. Management Direction Diagramme de flux,
fiabilité des service, d’évaluation
logistique logistique Kanban, etc.
livraisons logistique, etc.
Standards de
Outils de gestion de 1 + 2 + 3 + Vitesse
4. Innovation Direction co-conception, de
projet, de knowledge de conception des
intensive ingénierie qualité des données
management, etc. produits
CAO, etc.

exemple celle ayant trait à la qualité. Ainsi, à d’Aurifeille et al. (1997). Ainsi, nous avons
un niveau intra-organisationnel, celle-ci a été défendu l’idée qu’il n’y avait pas réellement
marquée par l’émergence au sein des firmes d’outils de gestion logistique, au sens où le
d’une nouvelle figure d’acteur – le respon- management logistique prend appui sur une
sable qualité – et par l’apparition d’un certain très grande variété de substrats techniques.
nombre d’outils intra-organisationnels, tels Précisément, nous avons défendu la thèse que
les cercles de qualité, le poka-yoke, etc. Par le management logistique constituait d’abord
ailleurs, à un niveau inter-organisationnel, et avant tout une manière d’appréhender les
cette vague de rationalisation est liée à l’ap- techniques dans le cadre d’une philosophie
parition d’un certain nombre de standards gestionnaire qui prend pour objet les flux et
inter-firmes (exemples : standards ISO qua- d’une vision transversale de l’organisation.
lité, standards de mesure de qualité PPM), qui Toutefois, nous avons souligné que l’émer-
ont permis de faire évoluer les rapports mar- gence du management logistique avait
chands, afin que soit mieux pris en compte le conduit au développement d’un certain
critère « qualité ». Partant de l’âge de la nombre de nouveaux outils de gestion qui ont
production de masse, le Tableau 3 résume les permis d’instrumenter le « regard » logis-
implications intra-organisationnelles et inter- tique, outils dont nous avons vu qu’ils étaient
organisationnelles des vagues de rationalisa- principalement orientés relation.
tion constituées par le management logis-
tique, par la qualité et, enfin, par l’innovation Pour conclure, notons que la perspective que
intensive. nous avons adoptée converge avec les analy-
ses de Lièvre (2007). A partir d’une vision
Conclusion plus extensive de la logistique, mais qui
intègre le moment que constitue le manage-
L’objet de l’article était d’amorcer un dia- ment logistique, celui-ci suggère en effet de
logue entre le champ de la logistique et celui retenir comme seul invariant du « regard »
de l’instrumentation de gestion. Pour cela, logistique une certaine philosophie gestion-
nous avons choisi de nous focaliser sur deux naire en termes de processus. Toutefois, afin
corpus théoriques qui se sont construits à la de pouvoir réellement élargir notre propos à
même période et qui, pour l’instant, s’étaient cette vision plus extensive de la logistique,
largement ignorés : celui du management des recherches empiriques doivent être
logistique (Aurifeille et al., 1997) et celui des menées. Notamment, il serait selon nous inté-
outils de gestion (Hatchuel et Weil, 1992). ressant, dans le cadre de futures recherches,
Dans ce cadre, à partir de la notion d’outil de de prendre pour objet les outils de gestion
gestion construite par Hatchuel et Weil mobilisés par la logistique dans d’autres
(1992), puis étendue par David (1996), nous contextes que l’entreprise (exemples : logis-
avons proposé une première lecture de la tique humanitaire, logistique de projet). Par
logistique telle qu’elle s’est développée en ailleurs, toujours en vue de construire un pont
tant que management transversal au sens entre les deux champs que constituent la

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Logistique & Management

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