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Dans son Commentaire du Cantique des Cantiques, Origène estime que « les plantes et les
animaux renferment l’analogie et le signe des choses célestes…, l’image et la figure du monde
invisible ».
Une telle intuition ouvre le registre de la symbolique universelle, invite à une lecture verbale des
animalia qui nous entourent, en voyant en eux non pas des objets d’analyse et de description,
comme le fait le naturalisme mais des supports d’intellection. Les objets cessent alors d’être des
idoles pour devenir icônes, cercles d’ondes et de formes qui les débordent de l’intérieur.
L’immense peuple des symboles déjà se lève, s’avance vers nous, nous observe avec des « regards
familiers », voile et dévoile successivement les réalités qu’ils signent. Encore convient-il d’établir
en eux sa conscience, d’acquérir l’« œil spirituel » dont parle Djalâl ed-dîn Rumî. Un symbole ne
s’abandonne pas, il se fait lentement investir, conquérir. Yves-Albert Dauge écrit qu’« il ne livre sa
richesse que proportionnellement à la force du regard qui le scrute » [1].
Par la richesse de leur contenu et leur polysémie, l’arbre et l’oiseau se prêtent particulièrement à
l’herméneutique, qui est art de décryptage, découverte de saveurs infuses, déploiement qualitatif de
tous les possibles. Pour peu que nous sachions déplier les feuilles et les ailes, nous découvrirons vite
qu’ils ne sont point « soldats fanfarons » : leurs rumeurs ni leurs trilles ne ressemblent aux
boniments littéralistes ; ils sont plus qu’ils ne disent, recèlent plus qu’ils ne révèlent. Et nous
saurons bientôt que la symbolique distille plus qu’elle n’additionne : elle est département de la
systémique.
L’arbre égale l’homme à la «puissance ronde»
Qui de nous n’a vu, abandonné sur la plage, un de ces débris naufragés qu’on nomme « arbre flotté
», dont les formes fantastiques font croire à quelque monstre échoué, à un homme venu d’îles
fabuleuses ? Nous regardons, intrigués, cette part de nous-mêmes que nous fûmes ou craignons de
devenir. Encore n’est-ce là qu’un symbole approximatif, avorté, un symbole au degré zéro.
De tout temps s’est imposée l’équation : l’arbre égale l’homme ; avec simplement, là, davantage de
muscles inscrits, là, davantage de rondeurs feuillues. Le vocabulaire s’en souvient, qui parle du
tronc, des racines, du cœur, parle d’un vieillard encore vert. L’Inde ici s’ébroue dans le fleuve des
correspondances spéculatives [2]. L’arbre qu’on abat, lui aussi, jette une plainte ; et ce n’est point
sentimentalité romantique : l’enregistrement de sa mort indique un véritable spasme. L’arbre et
l’homme se construisent en trois étages : le monde chthonien où s’enfoncent les racines (de
l’imaginaire et de l’inconscient), le monde célestiel où s’élancent les frondaisons (de l’imaginal et
du supraconscient), le monde intermédiaire, le fût (du mental et du conscient).
D’antiques croyances nous veulent nés de l’arbre, qui lui-même est fils de l’Homme
primordial.
Quelle tribu australienne ne prétend descendre d’un ficus ou d’un mimosa ? Quel peuple ne
craindrait, y portant la hache, de blesser la jeune fille qui dort dans l’aulne sacré, fille des sœurs de
Phaéton, dont Ovide a dit la « métamorphose » ? L’homme, écrit Mircea Eliade, « n’est que
l’apparition éphémère d’une nouvelle modalité végétale » [3]. Les Pères de l’Église identifient le
Christ à l’arbor fructifera, et la croix à un surgeon de l’Arbre sauveur du Jardin (et c’est ce qui nous
fait encore « toucher du bois » pour conjurer le malheur). Quand l’aveugle guéri jette son premier
regard, il s’écrie : « Je vois des hommes comme des arbres qui marchent [4]. » De la ressemblance à
l’identification, il n’y a qu’un fil, celui qui sépare l’arbre de l’écorce : « Chêne est mon nom »,
déclare Taliesin, le barde druidique. Jusque dans les temps modernes, l’arbre et le héros meurent
ensemble [5]. La crémation du cadavre accompagne celle des bûches : les cendres, maintenant
mêlées, sont pleines de vertus fertilisantes.
Comme les feuilles du tremble, ces images encore extérieures de l’homme se laissent retrousser au
moindre souffle, offrent autant de paysages intérieurs. L’arbre que Nabuchodonosor, le roi fou, voit
en rêve, le désigne lui-même, lui dénonce un moi hypertrophié au point de se prendre pour le Soi.
La chute des écorces, sous la pression du tronc qui s’octroie un nouvel anneau de croissance,
matérialise celle des « écorces » qui empêchaient l’homme de voir et d’être. — Le sapin illuminé de
nos enfances, s’il réitère et perpétue l’Arbre paradisiaque, révèle d’abord l’image spectrale du corps
subtil avec ses points énergétiques, ses vibrations astrées, ses nœuds psychiques, les chakra, que
traverse le serpent de la Kundalini pour atteindre au sommet de la tête, lequel rassemble, sous forme
de lotus aux mille pétales ou d’étoile à cinq branches, toutes les polarités de l’être dans la
conscience extatique. Telles représentations de l’Arbre de Jessé se souviennent des trois rameaux
séphirotiques, qui les entrelacent à plaisir, à la façon des trois artères de l’anatomie hindoue, dans
l’entrecroisement floral des nadi, devenues les « cheveux d’anges » du sapin de Noël.
Si, quittant les plans du microcosme humain, nous nous élevons maintenant aux plans
macrocosmiques, l’arbre se révèle à nous comme l’axe premier, central, autour duquel gravitent les
tempêtes et les astres, la ronde des phénomènes, les rêves de toutes créatures.
L’Axis Mundi n’indique plus seulement ici les directions de l’espace ou les saisons de l’homme, la
convergence d’une synergie entre l’effort ascétique venu d’en-bas et la Grâce s’inclinant vers une
rencontre ; il est la colonne vertébrale du cosmos où se mêlent les moelles telluriques et
ouraniennes, l’échelle des métamorphoses où s’élaborent les sucs, les résines, l’implosion d’une
puissance patiente, concentrée, qui n’est autre que la force créatrice du Tout-Cela. En lui se
manifeste le Circuit énergétique divin, l’incessante, libre et profuse circulation des dynameis
ascendantes et descendantes. Au centre de l’« Invariable Milieu », l’arbre est alors le Médiateur,
dont les frondaisons sphériques remplissent la voûte du Ciel, dont les racines peuplent les
labyrinthes de la Terre. Image de l’univers, il prend l’énorme pour devise. Ses proportions
augmentent jusqu’au délire, à mesure qu’il abonde en significations. L’arbre magique qui se tient
devant le palais du Prophète est d’une dimension telle qu’un cheval au galop mettrait un siècle
avant de sortir de son ombre. Émergeant à grand-peine des profondeurs nocturnes, le frêne géant
Yggdrasil, dont l’Irmensul germanique est le doublet, recouvre toute la terre ; les nuages sont ses
feuilles, les étoiles, ses fruits.
Cette cosmicité peut emprunter à la sexualité son langage. L’arbre qui sort du ventre de la Grande
Déesse, à Mohenjo-Daro, annonce le lotus (Brahma) issu du nombril du Non-manifesté (Vishnou).
Dont rapprocher naturellement l’Arbre de Jessé, l’ancêtre de nos généalogies, qui déploie toute la
suite des rois de Juda [8], ainsi que l’arbor philosophica des alchimistes, tenant lieu de sexe à un
homme étendu, (la materia prima) [9].
L’axe central et les deux courants cosmiques se retrouvent dans le « Fuseau de la Nécessité », que
Platon assimile à un pilier de diamant, image de l’invisible et de l’immuable [10]. Le foudre (vajra)
en est la version tibétaine, lequel traverse et illumine les mondes à la vitesse de l’éclair, et dont les
six branches indiquent le double pouvoir de création et de destruction. Le soufisme recourt au
même symbolisme quand il parle de l’arbre de l’« Intellect » parcourant la hiérarchie des mondes :
les branches et les feuilles correspondent alors aux différenciations de l’Esprit dans les multiples
états d’existence.
Comme mouvement descendant de l’Esprit et déploiement de l’univers, l’arbre se plait, se préfère
inversé. Il est alors l’Ashvattha, « l’impérissable pipal » de la Bhagavad-Gîtâ [11]. Ses racines
plongent dans le suprême Brahman ; ses bourgeons correspondent aux objets des sens ; ses branches
— les cinq éléments —, nourries des « tendances » fondamentales (guna), désignent le monde
manifesté. Entre ces racines qui s’étendent au plan supra-physique et ces branches qui s’étendent au
plan matériel, l’homme erre jusqu’au moment où il tranchera avec l’épée du détachement les liens
de tout désir pour atteindre la Libération.
Réceptacle du sacré, support d’apparitions divines, l’arbre exalte le numineux. Ce qu’au règne
animal est le lion, le chêne l’est au règne végétal. La massue d’Héraclès est faite de son bois ; et
l’on sait que le latin robur désigne à la fois la « force » et le « rouvre ». L’arbre n’exprime pas
seulement l’archétype de la puissance — le plus évident —, mais ceux de la grâce, de l’harmonie et
de la générosité, de la croissance et de l’amour. Chef-d’œuvre de la substance universelle,
surrection de l’Être éternel — qu’il ait été créé avant les luminaires, les bêtes et l’homme, dénote, à
l’encontre de la vision évolutionniste, sa haute spécificité spirituelle —, l’arbre arbore les Noms
divins comme autant de phylactères ontologiques, de trophées provocants. Jusqu’en ses cavernes de
feuilles, voix d’orage ; jusqu’au bout de ses ramilles, masse transparente, vigueur extasiée,
profération du Logos, théophanie. Tout en haut, l’imperceptible momentum pendulaire, qui mesure
les instants dont est faite l’éternité. Quoi d’étonnant qu’un Joachim de Flore, dans son Liber
figurarum, ait lu à travers l’Arbre de l’Apocalypse l’Age du Père — la « Loi » de l’Ancien
Testament —, l’Age du Fils — la « Foi » du Nouveau —, et l’Age du Saint-Esprit — la
réconciliation eschatologique des Gentils et des Juifs —, seule véritable vision où le « sens de
l’Histoire » n’est pas course aux abîmes, mais approfondissement et intériorisation croissante de
l’histoire d’amour entre Dieu et l’humanité ?…
La guerre des deux arbres
Dans la mythologie hindoue, l’Ashvattha désigne la « station » ou la « résidence » du « Cheval » ;
celui-ci désigne le Soleil en tant que principe spirituel, fruit de l’Arbre du Monde. Dans la
mythologie biblique, le même Arbre du Monde, le même fruit de vie. Aussi longtemps qu’Adam
s’en nourrit, il est un avec l’Un aux lèvres de la béatitude. Mais ce qui débute comme un conte de
fées métaphysique tourne au drame policier. Pourquoi les crimes, les crues de sang, les fléaux et la
mort ?… Le coupable n’est autre que celui qui mène l’enquête. Ce qui se révèle à sa stupeur, c’est
l’existence d’un second Arbre, celui de la science du bien et du mal, l’arbre de la Dualité, dont il
était interdit à Adam de goûter [12]. En transgressant l’ordre, l’homme rompt avec l’Unité. Il vivrait
désormais dans la séparation ; sa conscience deviendrait discontinue et fragmentaire, son être,
multiplicité cancéreuse. Rigueur succèderait à Grâce. Dès lors que l’Adversaire de l’Un inspirerait à
l’homme le péché dualistique, l’Arbre de Vie — l’Esprit divin et vivifiant — lui deviendrait
inaccessible. Les mythes le situent aux lointains de la terre, dans les profondeurs océanes, au
sommet de quelque montagne. Des monstres le gardent, des Chérubins armés de glaives
flamboyants… Fils du désert, l’Islâm mentionne le « Jujubier de la Limite », le Sîdrat al-Muntahâ,
qui marque le seuil de l’inconnaissable, l’extrémité frontalière que même les âmes les plus
rapprochées de Dieu ne peuvent dépasser sous peine de se déchirer aux épines.
Ce qui pouvait tourner à la tragédie définitive s’apaise dans une lumière réconciliatrice : la
dialectique des deux rivaux s’y estompe et s’y fond. Identifiée à l’Arbre de Vie, la Croix est faite du
bois de la Dualité après avoir été l’instrument de la Chute, ce dernier devient celui du Salut. L’Arbre
des Séphiroth, qui sont, on le sait, les « Numérations métaphysiques », les « Émanations » de la
Divinité, ses « yeux » et ses « lampes », rassemble, lui aussi, les deux Arbres de la Miséricorde et de
la Justice, réunis dans la « colonne médiane » où les deux tendances s’équilibrent. De même, la
croix du Christ figure sur le Golgotha entre celles du bon et du mauvais larrons.
Dans le Zohar, l’Arbre de Vie, qui « s’étend d’en-haut vers le bas » — il appartient donc bien, lui
aussi, à la famille des « inversés », — est dit « Arbre de Lumière ». Ce qui l’apparente au Buisson
ardent, qui s’enflamme de lui-même, et à Vanaspati, le « Seigneur des arbres », identifié au dieu
Agni. Enfin, quoique dans un contexte différent, le Koran parle à son tour d’un « arbre béni »,
(chargé d’influences spirituelles), un olivier dont l’huile entretient la lumière d’une lampe, (Allâh
lui-même), par opposition à l’« arbre maudit » [13]. Sohravardî voit dans le premier « l’Imagination
intellective » qui ouvre sur « l’Imaginal » par opposition à « l’imaginaire » qui ne dépasse pas le
monde sensible et illusoire, tout en le dénaturant [14]. Ce serait évoquer une autre guerre ; elle n’est
en réalité qu’une conséquence de la première : l’imaginaire n’est qu’un des mille aspects de la
Chute originelle.
Tous les peuples ont voué un culte à l’arbre ; non point l’arbre en tant que tel, mais bien à cause des
réalités psychologiques, sapientielles et métaphysiques dont est porteur ce « candélabre de la
noirceur ». Si, comme l’écrit Mircea Eliade, le Tout existe à l’intérieur de chaque fragment
significatif, ce n’est pas parce que la loi de la « participation » est vraie, c’est parce que tout
fragment significatif répète le Tout [15].
A plus forte raison quand le fragment se multiplie, quand l’arbre commet cette excroissance : la
forêt. Séjour des élémentaux et des hamadryades, des brigands et des ermites, sainte solitude, lieu
d’initiation chevaleresque et mystique, image de l’âme surprise dans ses profondeurs tourmentées,
reflet de la simplicité ramifiée des principes ontologiques, cette « forêt aventureuse » incantée par la
Geste médiévale est bien encore un arbre — mais un arbre immensifié.
L’oiseau enseigne la sagesse aux humains
Qui dit arbre dit ciel, qui dit arbre et ciel dit oiseau. L’arbre est le temple dont le nid est le
sanctuaire. Quant à l’oiseau, il est symbole par excellence, dans la mesure où tout symbole est clé
d’une vérité initiatique : figurativement, l’oiseau est bien une clé, celle qui ouvre les abîmes d’en-
haut. Indissociable de l’arbre, juchée à son sommet, la cigogne dit le principe spirituel présidant à
l’Œuvre alchimique. Autre perspective : tandis que l’arbre exprime la totalité cosmique, l’oiseau en
exprimera l’aspect céleste et féminin, comme le serpent l’aspect terrestre et masculin.
Mais autant la grandeur de l’un propose une globalité difficilement sécable, autant la petitesse de
l’autre suscitera plutôt l’exploration par le menu.
Si l’arbre engendre la forêt, l’oiseau, lui, pond un œuf. Le symbolisme de l’œuf est d’abord
cosmologique : il intéresse l’univers. Toutes les traditions évoquent le même Ovule, une certaine
flottaison sur le primitif Océan, une certaine couvaison par un cygne royal dont Léda est un
prototype. Image de la potentialité universelle, il délimite le monde par sa forme, prépare en se
scindant la polarisation de l’Androgyne. Sa coquille fournit la Terre, base solide, assise matérielle
de la création ; le blanc, l’Eau, l’élément humide et souple, l’intermédiaire unificateur, et aussi la
Lune ; le jaune, le Feu, le fluide subtil et vivifiant, et le soleil ; enfin, le germe, l’Air, l’initiale
vibration centrale, contenant l’œuf entier qui contient le monde entier. L’œuf n’est qu’un point dans
l’univers, le plus petit de la nature, mais c’est un point qui est le Tout : l’« embryon d’or » de
l’hindouisme [28].
Le symbolisme de l’œuf est aussi alchimique : il intéresse le microcosme humain. Aux différents
constituants énoncés correspondent le Soi (le germe), l’esprit intellectif (le jaune), le corps psycho-
mental (le blanc), l’enveloppe psychique (la coquille). A la fois vase et contenu, l’Œuf
philosophique désigne aussi la « matière première » enfermée dans l’athanor, d’où s’envolera le «
poussin », l’énergie mercurielle, l’âme libérée. Il faudra ouvrir l’œuf à l’aide d’un glaive tranchant,
c’est-à-dire le diviser dans ses éléments pour recréer le chaos d’où naîtra le tao. Ce glaive guérit en
blessant ; il est le rayon de conscience qui brise et discrimine, donne accès à plus que lui-même : à
une conscience qui est connaissance [29].
La richesse de signification et l’intensité de vie dont l’œuf est porteur justifient peut-être mieux le
respect que, dans leur végétarisme, les pythagoriciens lui vouaient ; elles expliquent un peu la
coutume de ces œufs de Pâques dont on ne comprend plus guère le sens, mais qui, lourds d’un
savoir secret, s’obstinent à tomber, une fois l’an, du haut du ciel, dans les jardins de l’athéisme —
sans se briser !
Le symbolisme ornithologique est inséparable du symbolisme dendromorphe. Nous n’en avons
repéré que quelques traits. Suffisamment néanmoins pour en percevoir la complexité. On mettrait
aisément en corrélation, dans une perspective archaïque, les plumes et les feuilles, les ailes et les
branches, les pattes et les racines, les œufs et les fruits. Certaines stylisations persanes vont jusqu’à
confondre la face de l’un et le profil de l’autre. L’arbre et l’oiseau s’unissent dans la cohérence d’un
savoir, dans une parfaite circulation du sens, où tous les plans sont reliés et intégrés.
Par-delà leur identité respective et leur unité commune, l’un et l’autre nomment Dieu. Ils en
retiennent la force et la grâce, la verticalité irradiante, l’omniprésence insaisissable. Mais
l’écrasante mâture de l’un refuse la matière dont elle témoigne, traduisant ainsi par ajoures
successifs l’immatérialité de l’Esprit, cependant que l’humilité de l’autre ne rappelle pas seulement
l’exquise pauvreté du Divin, mais proclame le rapport de l’azur à l’humus — en nommant Dieu, ils
disent l’homme. Mais si l’arbre lui montre ce qu’il est, l’oiseau lui indique ce qu’il devrait être, tout
comme le miroir lui renvoie sa figure réelle, quand l’icône le renseigne sur le visage qu’il doit
devenir. L’un et l’autre sont les révélateurs de notre réalité extérieure et profonde, immédiate et
pérenne.
La contemplation de tels symboles ne nous révèle pas seulement à nous-mêmes ; elle est
purification, ascèse des yeux, rencontre de la beauté dont s’incorporer l’essence. Elle provoque
aussi un perpétuel émerveillement, une stupeur tranquille devant l’intelligence, la délicatesse, la
puissance des choses créées, une exaltation d’enfant équanime, découvrant que tout symbole est
poésie. Elle aiguise l’attention et la perspicacité du regard ; elle entraîne à l’éveil, à la
discrimination, à la mémoire de ce qui vient. Elle confère à l’homme qui s’y exerce le pouvoir de
l’oiseau d’Athéna sur l’olivier sacré : voir dans la nuit.
BIBLIOGRAPHIE
L’Arbre
Beigbeder O. : Lexique des symboles. Zodiaque, 1969.
Champeaux G. (de) et dom S. Sterckx : Introduction au monde des symboles. Zodiaque, 1976.
Chevalier J. et Gheerbrant A. : Dictionnaire des Symboles. R. Laffont, 1969.
Eliade M. : Traité d’histoire des religions. Payot, 1964.
Guénon R. : Symboles fondamentaux de la science sacrée. Gallimard, 1962.
Jung C.G. : Les Racines de la Conscience. Buchet Chastel, 1971.
L’Oiseau
Attar F. ad-dîn : Le langage des Oiseaux. Ed. Sinbad.
Bachelard G. : L’Air et les Songes. J. Corti, 1943.
Charbonneaux-Lassay L. : Le Bestiaire du Christ. Chacornac, 1940.
Chevalier J. et Gheerbrant A. : Dictionnaire des symboles. R. Laffont, 1969.
Eliade M. : Le Chamanisme et les Techniques archaïques de l’extase. Payot, 1968; passim.
NOTES :
1 Virgile, maître de sagesse. Milan, Arché, 1984. Ce regard est « une potentialité qu’il faut
actualiser, une faculté qu’il faut éduquer ».
2 Par exemple, en Brihad-âranyaka-upanishad, III, 9, 28 : analogie entre les poils et les feuilles, la
peau et l’écorce, la chair et les éclats, le sang et la sève, les tendons et l’aubier, la moelle et la
moelle. On y ajouterait les bras et les branches.
3 Traité d’histoire des religions. Payot, p. 258.
4 Marc, VIII, 24. Texte qui a pu inspirer à Shakespeare, dans Macbeth, V, 4, l’allusion au bois de
Birnam en marche vers Dunsinane.
5 Peu après la mort de Jung, le 6 juin 1961, la foudre fendit sur toute sa longueur le peuplier au pied
duquel le sage de Küsnacht aimait s’asseoir.
6 Koran, XVIII, 65-82.
7 Le latin arbor est du genre féminin : l’arbre est la mère des fruits, tout en se déclinant sur le
modèle des mots masculins : elle est une mère qui se féconde elle-même. On peut remarquer que le
poète est, lui-aussi, androgyne, mais inversement ; poeta est du masculin : le poète est un homme,
mais se décline sur le modèle des mots féminins : un homme relié à ce que d’aucuns nomment
l’anima.
8 Isaïe, XI, 1-3.
9 Image reproduite dans les Racines de la conscience, de Jung, (figure 131).
10 République, X, 615 c-d.
11 Bhagavad-Gîtâ, XV, 1-4. Voir de même Rig-vêda, I, 24, 7, et Katha-upanishad, VI, 1. Il est dit
nyagrodha, « croissant vers le bas » : Aitareya-brâhmana, VII, 30 ; Shatapatha-brâhmana, XII, 2, 7,
3.
12 Genèse, II, 17.
13 Koran, XXIV, 35 et XVII, 62.
14 L’Archange empourpré. Fayard, p. 113, sqq.
15 Opere citato, p. 232-233.
16 Le chinois connaît un jeu de mots semblable entre ki, « coq », et ki, « de bon augure ».
17 Fioretti, XVI.
18 L’Air et les songes. J. Corti ; p. 101.
19 Phèdre, 246 d.
20 « L’intelligence (manas) est plus rapide que l’oiseau », déclare le Rig-vêda, VI, 9, 5.
21 Mahâbhârata, Shanti parvan, 239, 24.
22 Enseignement de Râmakrishna, 516 : « Si vous chantez le nom de Hari en frappant des mains,
les oiseaux des mauvaises pensées s’envoleront de l’arbre de votre corps. »
23 Matthieu, VI, 26.
24 Mundaka-upanishad, III, 1, 1 : « Deux oiseaux, compagnons inséparablement unis, résident sur
un même arbre. L’un mange le fruit de l’arbre, l’autre regarde sans manger. » Version à peine
différente dans la Shvetâshvatara-upanishad, IV, 6.
25 Koran, XVII, 13.
26 Matthieu, XIII, 32.
27 Livre des Rois, II, 2, 11.
28 Dans la Chândogya-upanishad, III, 19, 1-2, il est dit que la moitié inférieure de la coquille était
d’argent et donna la terre ; la moitié supérieure était d’or et donna le ciel. La membrane externe
produisit les montagnes, la membrane interne, les nuages et le brouillard. Le fluide intérieur donna
l’océan ; les veines donnèrent les rivières.
29 Voir l’Atalante fugitive, de Michel Meier, emblème VIII.
(Revue 3e Millénaire. Ancienne série. No 14. 1984)