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Markos Kapsaskis

Populations indigènes et conflits environnementaux : le Cauca, symbole de


résistance dans un milieu hostile

carte
Colombie

département du
Cauca

La Colombie est un pays avec une très grande diversité de populations indigènes même si ce
n'est pas un des pays avec un plus fort taux de population indigène. On compte environ 1.300.000
indigènes, c'est à dire aux environs du 4% de la population nationale i. Cependant, il existe au sein
de ses frontières plus de 80 ethnies différentes avec plusieurs familles linguistiques et il y a malgré
tout une grande ignorance dans l'imaginaire national par rapport à l'existence de cette diversité. Le
droit indigène connaît une montée d'importance depuis la Constitution de 1991 et leur intégration à
la scène nationale fut en augmentation depuis la deuxième moitié du XX ème siècle.

Cependant il faut beaucoup nuancer puisque même si on peut apporter ces données optimistes sur la
diversité du pays et la reconnaissance de cette diversité et les droits qui y découlent la réalité est très
loin de la théorie. C'est un des pays avec le plus d'inégalités au monde avec un coefficient de Gini
qui s'approche de 60, devant le Brésil et beaucoup de pays africains (selon les données de la Banque
Mondiale). En plus, on constate l'existence d'un centre politique et économique avec des périphéries
très marginalisées et assez peu intégrées dans la mondialisation dont bénéficie une grande partie de
la population. wtf

Par ailleurs le pays connaît un des conflits les plus anciens du monde, avec des groupes armés
héritiers de la Guerre froide. On y retrouve notamment les FARC qui se créent en 1964 et qui sont
en partie une conséquence de cette inégalité qui commence à se creuser lors du XX ème siècle.
Cette guérilla doit son essor aux difficultés qu'a connu l'État national à contrôler tout le territoire
national du fait de la complexité du territoire. Mais à cette variable d'une rébellion armée marxiste-
léniniste, s’additionnent d’autres variables dans l'équation de la guerre. Dans les années 1980 les
grands propriétaires et une élite économique du pays met en place des armées privées qui peu à peu
commencent à mener une lutte pour le territoire avec les FARC. De plus, le narcotrafic en essor
donne une nouvelle impulsion à cette guerre qui devient aussi une lutte pour la domination du
lucratif marché de la drogue. Mais la richesse du pays ne se retrouve pas uniquement dans
l'exploitation et la transformation de la feuille de coca : on y retrouve dans son territoire des terres
très riches, c'est d'ailleurs un des pays avec le plus de richesses naturelles au monde. De l'or, du
pétrole, de la biodiversité, trois Cordillères des Andes et la liste continue...

Il y a une région de la Colombie qui rassemble tous ces variables : le Cauca. Ce département de la
Colombie a toujours été central dans l'histoire du conflit puisqu'il a toujours été un bastion militaire
des FARC du fait de sa complexité géographique qui lui donne des atouts géostratégiques. Cette
région est aussi riche en or et en minerais de tout type. La végétation et la faune sont aussi
abondantes et les terres des plaines ¨caucanas¨ sont très fertiles. Il y a eu donc toujours un intérêt de
la part des acteurs armés pour ce riche territoire.

Cependant, ce pays n'est pas seulement riche par sa nature, c'est aussi un des territoires avec le plus
de population indigène en Colombie. Depuis les époques de la colonie on y retrouve des indigènes
de plusieurs ethnies comme les Nasa (qui conforment la majorité) ou les Kokonuko. Ces
populations représentent environ 20% de la population du département en étant le reste des métis ii,
des blancs ou des communautés afro-colombiennes. En juillet 2012, une crise politique éclate au
sein de ces territoires. Une attaque des FARC à Toribío (communauté Nasa) avec des victimes dans
la côté civil et une augmentée de la militarisation étatique dans la zone entraînent un soulèvement
organisé par l'organisation indigène de la région, le Consejo Regional Indigena del Cauca
(désormais CRIC). Ce soulèvement prouve d'une force organisationnelle très forte et d'une
radicalité étonnante de la part des communautés indigènes qui demandent la démilitarisation du
territoire et l'expulsion des acteurs armés. Dans la capitale, les gens se demandent pourquoi ces
indigènes veulent expulser l'armée nationale qui est censée de les protéger des guérillas terroristes iii.
Le président refuse de retirer l'armée et il se déplace dans ces populations pour entamer un dialogue,
qui débouche sur des promesses déjà faites.

Photo parue dans plusieurs journaux


nationaux lors de la crise de 2012

Cette crise met en évidence un problème régional dont la plupart du pays n'avait pas connaissance.
Pourquoi ces indigènes se soulèvent et revendiquent une autonomie territoriale dans le cadre d'une
guerre dans leur territoire ? Jusqu'à quel point est volontaire le gouvernement de reconnaître cette
autonomie ? D'où provient ce problème ? Ce sont beaucoup de questions qui ont des réponses
différentes selon le point de vue politique. C'est pourquoi une analyse plus détaillée de cette
résistance indigène est nécessaire. Le contexte dans lequel ils surgissent est très important et peut
être cerné en tant que facteur structurel de la mobilisation mais ce contexte n'est pas indissociable
de l'organisation intérieure de ce mouvement collectif au Cauca. Mais la façon dont se constitue le
mouvement à travers ses facteurs externes et internes n'est pas le seul enjeu de cette analyse. Il faut
aussi cerner la forme dont ces mobilisations sont faites et considérer leur impact dans les différentes
échelles de la globalisation, du village autogéré aux courts internationales en passant par les médias
de la capitale.

On peut donc se demander : comment le CRIC se constitue en tant que mouvement social et
acteur politique dans un milieu hostile et jusqu'à quel point parvient-il à agir sur la réalité nationale
et internationale ?
On verra tout d'abord le contexte dans lequel naît ce mouvement, avec des facteurs structurels
hostiles au mouvement social dans la logique d'une structure d'opportunité politique plutôt fermée et
la relation qu'existe entre les formes de domination violentes et la présence de ressources naturelles.
Ensuite on analysera la forme dont se constitue le CRIC, organisation et plate-forme de résistance
aussi intérêts politiques...
des communautés autochtones de la région. On verra comment naissent leurs revendications
politiques et leur forme d'organisation ainsi que l'idéologie et leur dimension cognitive commune.
Finalement, on verra comment le répertoire d'action qu'ils utilisent leur permet ou pas d'avoir un
impact à plusieurs échelles que ce soit dans le local, le national ou l'international et comment ce
répertoire se diversifie.

I] Le Cauca : un structure hostile et une violence mariée aux richesses


1) Une malédiction des ressources ?

Lorsqu'on étudie le conflit armé en Colombie il existe un très fort préjugé et c'est que là où il
y a pauvreté, il y a aussi de la violence. Ce préjugé est très critiquable puisqu'il néglige d'autres
facteurs liés à la violence et parce qu'il peut être en soi contesté. On peut d'ailleurs constater que le
conflit tend à prendre plus d'importance dans les zones où il y a des richesses et des nouvelles
exploitations. L'analyse de Camilo Echandía Castilla dans son livre ¨Dos décadas de escalamiento
del conflicto armado en Colombia¨ se situe dans cette optique là. On peut remarquer une forte
corrélation entre les escalades de violence et l'augmentation d'exploitations de n'importe quelle
ressource.

Dans la zone du Cauca on peut retrouver beaucoup de ces richesse notamment l'or (et autres
minerais), la coca, la marihuana et l'exploitation agricole lié à la propriété de terres fertiles. Depuis
longtemps, la région est une zone avec une concentration de la terre très élevée et la culture dans les
basses régions est très prospère mais a toujours été liée à des conflits d'appropriation de la terre
comme c'est le cas dans beaucoup de régions du pays. Ceci est fait à travers plusieurs moyens,
certains très clairement illégaux et d'autres beaucoup moins évidents et qui restent dans le flou
légal. D'ailleurs les lieutenants ont connu une alliance historique aux paramilitaires et le processus
d'expropriation de la terre de la part des ¨hacendados¨ est une constante dans le territoire national.
Tout au long du XIX ème et du XX ème siècle le vol de terres connaît une croissance et les moyens
pour le faire sont d'une grande variété. Lorsque les populations locales essayent de récupérer ces
terres et combattre ce phénomène elles sont souvent victimes de menaces qui vont souvent jusqu'à
l'accomplissement. Cet article de la page du CRIC nous montre comment ils accordent une place
spéciale à cette question dans la problématique régionale en passant du national au local et on peut
voir aussi ce caractère avec les luttes de Quintín Lame et d'autres indigènes au XIX ème et au XX
ème siècle. Un cas qui illustre très bien ceci est l'occupation des ¨haciendas¨ qui ont mené à une
massacre en 1991 : la massacre de Caloto qu'on exposera plus tard dans l'analyse.

Un autre facteur qui prend beaucoup d'importance de nos jours c'est le boom qui connaît l'industrie
minière. L'actuel président de la Colombie Juan Manuel Santos, parle d'une ¨locomotive minière¨ et
on voit dans la dernière décennie une augmentation des titres d'exploitation ou d'exploration iv.
Malgré une résistance et une théorique autonomie de la part des populations impliquées, les
logiques d'exploitation sont quand même très agressives. Le Code minier de 2001 a défini l'industrie
minière comme une activité d'intérêt public ce qui permet d’exproprier n'importe quel particulier.
Ce qui arrive souvent c'est que des communautés qui exploitaient déjà un territoire se retrouvent
face à des demandes de la part de multinationales et se retrouvent dans une position où il ne peuvent
rien dire car il n'ont pas suivi le processus nécessaire pour l'obtention du titre v. Ainsi les
multinationales ont pris beaucoup de terrain dans l'appropriation légale des territoires. On peut
d'ailleurs remarquer dans la carte annexe sur l'exploitation minière dans le Cauca, que lorsque une
entreprise ne peut pas s'approprier de terres protégées, elle demande des enclaves autour des
territoires protégés et souvent ils influent dans le cours de fleuves ou créent d'autres dommages
environnementaux. Et ces problèmes légaux d'expropriation et de contamination ne sont pas les
seuls emmenés par l'or dans le territoire. L'apparition d'intérêts économiques peuvent entraîner une
militarisation du conflit pour protéger des multinationales exploitantes ou aussi une logique très
particulière aux FARC et aux groupes armés de permettre l'exploitation en percevant un ¨impôt de
guerre¨vi. Ainsi les multinationales mais aussi les miniers illégaux sont soumis à des payements qui
vont permettre d'accroître la capacité militaire des groupes armés dans la région. D'ailleurs cette
économie de l'or dans la région du Cauca est en train de devenir une source de financement des
FARC un peu plus importante que le ressource traditionnellement lucratif dans la zone : les
stupéfiants.

Historiquement, le Cauca fut une région clé dans la question du narcotrafic. Son éloignement
géographique, ainsi que le contrôle historique des FARC et le climat, s’entremêlent en tant que
facteurs pour développer une économie qui tourne autour de la coca et de la marihuana. Selon le
rapport de monitorage des cultures de coca en Colombia (2011) de l'UNODC, les revenus moyens
par hectare de coca pour un cultivateur qui ne vend que la feuille de coca (sans la traiter) se
calculent aux environs de $6.500.000 pesos par an ou $541.000 pesos par mois, ce qui correspond
plus ou moins à 260 euros par mois. La marihuana par ailleurs, selon une recherche sur le terrain
dans le territoire du Cauca (lien) nous informe qu'une paysanne indigène gagne $793.000 pesos par
mois tandis que si elle vend de la banane, elle doit payer $20.000 pesos pour un bus en comptant
que si elle vend cinq branches de banane elle fera $7.000 pesos. On explique aussi qu'avec cette
affaire, ce sont les trafiquant qui viennent dans les villages et qui payent en effectif. Les FARC,
selon l'article, font payer l'impôt non pas aux paysans mais aux trafiquants qui viennent acheter la
drogue. Le marché de marihuana du Cauca est un des plus importants du pays, d'ailleurs beaucoup
plus que celui de la coca du Cauca. Dans la capitale du pays, le nom ¨Corinto¨ se retrouve souvent
dans la bouche des fournisseurs : c'est une région du Cauca, utilisée ici pour nommer le type de
marihuana qui se cultive là-bas. On voit donc une logique de financement des groupes armés qui a
été une des grandes variables du conflit étant le narcotrafic une activité centrale de tous les groupes
armés. Par ailleurs le caractère illégal de cette économie entraîne une accumulation de moyens
informels de contrôle de ce marché, notamment la violence. La volonté de contrôler les territoires
stratégiques (le Cauca est un corridor entre les zonas cocalères du Sud, la vallée du Magdalena et le
Pacifique) peut être à simple vue conçu comme un facteur d'importance lié aux ressources et à la
violence. Mais ceci n'est pas seulement une variable explicative, elle a une explication liée à la
pauvreté. En regardant les chiffres du début du paragraphe on peut très bien comprendre que pour
un paysan pauvre c'est beaucoup plus rentable de cultiver ces produits que de cultiver des biens de
subsistance pour les vendre. Cependant, ces cultures illicites permettent la criminalisation et la
stigmatisation du gouvernement qui d'ailleurs affiche une justification pour militariser la zone, des
fois avec la collaboration des États-Unis comme avec le plan Colombia qui font de la Colombie le
deuxième pays au monde le plus aidé militairement par les États-Unis. Dans ce cas la militarisation
du conflit s'accompagne de fumigations souvent très nocives pour l'environnement et les
populations qui habitentvii.

On peut donc voir qu'avec les ressources naturelles (en tenant compte, bien sûr, du caractère
¨naturel¨ de la coca et la marihuana) viennent les problèmes. Cette analyse de ces économies, en
parallèle avec l'analyse de Camilo Echandía Castilla qui montre la corrélation entre violence et
richesse peut nous approcher du concept de la ¨malédiction des ressources¨. Cette explication
économique du manque de développement de certains pays en relation avec la présence de richesse
a été très critiquée mais dans cette approche on s'intéresse à une ¨sous-notion¨ de ce concept qui est
la relation entre ressources et conflits. Les conclusions qu'on a pu en tirer de cette analyse des
ressources nous montre que cette relation est bien présente dans le Cauca et on peut notamment
retrouver quelques catégories de cette notion : la ¨ressource de guerre¨, qui explique que les groupes
armés accroissent leur capacité militaire grâce aux ressources et donc rallongent le conflit, et la
¨guerre de ressource¨ qui soutient la thèse que les acteurs armés vont lutter pour le contrôle et
l'exploitation de ces ressourcesviii. Cependant, cette relation entre les ressources naturelles et la
violence n'est qu'une partie de l'analyse du cadre structurel auquel se situe notre cas. On va analyser
d'autres facteurs liés aux problèmes et à la résistance du CRIC.

2) La marginalisation du Cauca : structure d'opportunités politiques fermée ?

La violence n'est pas le seul problème du Cauca. Lorsque les indigènes essayent de mettre
en évidence leurs problèmes ou à les résoudre ils se heurtent à des nombreux problèmes. Le
gouvernement réprime ouvertement leurs manifestations et justifie cela souvent par la guerre qui
existe dans la région. Noam Chomsky critique l’appellation ¨terroriste¨ lors de l'étude de conflits ou
de la réalité puisqu'il nuit à la compréhension de la réalité en instituant deux champs inexistants ix.
Ce discours a été souvent écouté dans les discours des politiciens. Et qui dit terrorisme en
Colombie, dit répression. Mais cette répression physique se relie à des facteurs comme la
stigmatisation des médias, de l'opinion publique ou des faits comme l'éloignement géographique de
la contestation. Ce sont tous des facteurs qu'on pourra prendre en compte pour analyser quelques
variables structurelles qui peuvent influencer l'action collective dans la région.

Tout d'abord on va analyser la logique de la répression dans le Cauca. Dans un cadre de la structure
d'opportunité politique on retrouve toujours un groupe de ¨challengers¨ face à l'État, mais dans ce
cas là on ne retrouve pas la logique de répression avec seulement deux protagonistes. Ici, les
opportunités politiques sont dues à plusieurs acteurs qui permettent ou pas la liberté de
mobilisation. Une variable importante dans ce concept de la SOP est la logique de répression de
l'État et ici on va donc analyser la répression des différents acteurs. Tout d'abord il y a une grande
stigmatisation de la part du gouvernement envers les indigènes du Cauca. Il y a eu déjà des
déclarations où on devine une subtile suggestion de la complicité entre FARC et CRIC et parfois
même avec aucune subtilité en les traitant de terroristes et de narcotrafiquants. On peut voir souvent
dans les discours d'Alvaro Uribe, l'ex-président de Colombie cette stigmatisation médiatique.
Lorsqu'il y a des manifestations, comme lors de la Minga Indigena de 2008, les forces de l'ordre
reçoivent souvent l'ordre de réprimer les manifestations. Face à la violence de ces derniers, le
gouvernement évoque un discours de ¨victimisation¨ des forces de l'ordre. On accuse les
manifestations d'être ¨infiltrées par des narco-terroristes¨ et on évoque des policiers sans défense
face à une foule armée. Cependant, les méthodes utilisées vont de la menace jusqu'à l'usage d'armes
de feu en passant par des grenades manufacturées et des armes blanches. Les indiens, eux, ne
portent pas d'armes, au moins dans ce qu'on peut percevoir dans plusieurs vidéos. On peut voir aussi
des alliances entre le privé et le public dans le cas des multinationales qui ont souvent beaucoup de
protection de la part de l'État soit par protection soit par négation des fonctions lors des plaintes des
communautés. Et cette alliance ne se fait pas seulement avec l'État, il y a déjà eu des cas où les
indigènes ont reçu des menaces de la part des FARC puisqu'ils s'opposent à des projets miniers de
grande échèle qui apporte du financement à ce groupe armé x. (CIT) Pour la question de la terre, les
revendications des autochtones est réprimée par plusieurs moyens. Tout d'abord l'État a déjà assumé
des discours qui délégitiment ces revendications. En 200.... Alvaro Uribe a déclaré que les
nouveaux lieutenants c'étaient les indigènes et qu'ils possèdent plus de 30 millions d’hectares dans
le pays. Pourquoi alors leur donner plus ? Cependant ce que ce discours n'évoque pas c'est que 25
millions de ces terres sont en territoire amazonien et dans les grandes plaines et que ce sont des
¨réserves naturelles¨ ce qui implique la possession de ce territoire par l'État dans des grandes
étendues avec une faible population. Mais aussi dans cette affaire des terres, les revendications
connaissent des difficultés de la part d'un autre acteur : les lieutenants, qu'avec leur richesse peuvent
payer des milices privées pour intimider la population et lutter pour le contrôle territorial. Ainsi
lorsque des indigènes s'opposent à des propriétaires et réclament du territoire, ils sont souvent
victimes de menaces qui leur empêchent d'agir.

Mais la répression n'est pas le seul facteur de fermeture de la SOP. On peut aussi percevoir d'autres
facteurs culturels ou géographiques. Le Cauca est un des départements de la Colombie avec le plus
de manque d'infrastructure et souvent entre les villages il y a très peu de connections (les quelques
unes qui existent sont dans des conditions déplorables). Par ailleurs la géographie montagneuse
oppose une plaine à la montagne où se retrouvent la plupart des villages indigènes. Ceci implique
beaucoup de choses, tout d'abord, la complexité de la mobilisation dans des conditions d'isolement.
Comment s'organiser en tant que communauté dans un territoire si compliqué ? Les transports sont
chers, les activités économiques deviennent difficiles à mener et la question de l'invisibilité de la
périphérie se met en évidence. Comment les gens du pays peuvent savoir ce qui se passe réellement
dans ces endroits isolés et comment les indigènes peuvent s'exprimer sur la scène nationale ? L'État
aussi connaît des difficultés : comment peut-on construire des hôpitaux et des écoles dans les
villages, comment peut-on combattre l'illégalité dans un territoire aussi complexe ? On voit donc
une difficulté géographique qui entraîne beaucoup de problèmes et cela est percevable dans le
manque d'infrastructure de la région. Mais ceci n'est pas le seul isolement, on connaît aussi un
isolement de la part des médias et d'une certaine variable culturelle qui est le racisme. Lors de la
crise de 2012, on a pu constater dans la presse nationale une image qui tournait : celle d'un militaire
pris par les bras et les jambes lors d'une expulsion de l'armée (voir image au début du travail). Les
gens dans la capitale commencent à parler de ¨l'humiliation de l'armée¨ face à des ¨indios¨. Ce terme
¨d'humiliation¨ en parallèle avec le terme ¨indio¨ nous prouve d'un certain racisme à l'égard de ces
populations avec l'imaginaire d'un pouvoir central qui défend toute la population nationale et qui se
heurte à des ¨êtres inférieurs¨ qui ne comprennent pas que l'armée les protège. Le manque de
connaissance de la réalité de la part des populations urbaines et des autres coins du pays permet que
ce type de discours soit pris et il y a une impossibilité ou au moins une très grande difficulté pour
les indigènes de contre-informer ce qui tourne dans les médias.

On voit donc dans une approche d'opportunités politiques, une structure fermé pour les demandes
des indigènes. Cette structure est très semblable dans le temps depuis le début du conflit, voir avant,
et on perçoit des variables de fermeture politique dans le domaine du politique, du géographique et
du culturel. On pourrait peut-être trouver d'autres facteurs d'analyse de cette structure. Par exemple
parler d'une frustration relative des populations concernées avec un écart entre ce qu'ils attendent,
en regardant la richesse de leur territoire et en écoutant les promesses qu'ont fait plusieurs
gouvernements au fil des années, et ce qu'ils obtiennent vraiment du système politique actuel. Ou
bien on pourrait aussi montrer que la division qu'a connu la droite colombienne au pouvoir avec
l'élection de Juan Manuel Santos, qui démarque une vision moins ¨guérrériste¨ que celle d'Uribe,
peut permettre une ouverture d'opportunités. Le domaine du légal peut aussi prendre une certaine
pertinence avec l'adoption de la Constitution de 1991 qui reconnaît certains droits aux autochtones.

Mais même si cette analyse peut être complexifiée et que ces facteurs extérieurs expliquent sans
doute certains aspects du mouvement ils ne sont pas à prendre comme le tout explicatif de la
contestation dans le Cauca. On s'intéressera donc par la suite aux facteurs internes à la Constitution
du CRIC en tant qu'acteur social et politique.

II] La naissance du CRIC: développement d'une identité et outils


organisationnels
1) La constitution du CRIC, une mobilisation des ethnies locales et un système
d'organisation politique

En 1971, une organisation indigène est née dans le Cauca : Le CRIC (Consejo Regional
Indigena del Cauca). Cette organisation est un enjeu central des intérêts à défendre et ce n'est pas
qu'une simple étape dans la défense de ces intérêts. Elle joue un rôle actif depuis le jour de sa
création et même de nos jours elle est un acteur politique et social qui est instrumentalisé comme un
outil de résistance. Comment est-ce que le CRIC mobilise ses ressources humaines pour atteindre
un degré d'organisation aussi élevé avec l'unité de plusieurs ethnies différentes?

Tout d'abord on peut voir le CRIC comme la constitution d'une coalition pour tenter de compenser
les déséquilibres de pouvoir au sein du pays. Les acteurs régionaux indigènes profitent de l'unité de
plusieurs ¨cabildos¨ pour pouvoir créer une plate-forme politique avec plus de puissance. Le
¨cabildo¨ est l'entité administrative reconnue par la loi 89 de 1890 relative aux ¨resguardos¨
indigènes. Les ¨resguardos¨ sont un terme légal pour désigner des territoires indigènes avec un
certain degré d'autonomie. Cette institution du ¨resguardo¨ connaît ses prémices dans l'époque
coloniale et il persiste de nos jours, avec 519 resguardos dans tout le territoire colombien, dont 59
datent de l´époque coloniale. Ainsi, une multiplicité d'ethnies dans la région du Cauca peuvent
s'unifier en tant qu'entité politique, une organisation qui permette de trouver une unité dans la lutte
politique et pouvoir mobiliser les militants lors de l'action collective xi. Cette organisation fait preuve
d'une grande effectivité avec des mobilisations considérables depuis sa création et une capacité
mobilisatrice très organisée xii. On voit des leaders qui parviennent à faire parvenir le discours
politique de l'organisation comme Feliciano Valencia qui devient l'image du mouvement indigène et
qui agit en tant que représentant lors de la Minga en 2008 ou bien lors de la crise de 2012. Nous
pouvons aussi remarquer une dimension normative de la mobilisation puisque l'appartenance à la
communauté et au CRIC génère une certaine solidarité au sein de celle-ci et une notion de
responsabilité envers la communauté. Ainsi, lors des mobilisations, cela devient courant que la
plupart de la population indigène soit mise en utilité. C'est donc un mouvement qui connaît une
capacité mobilisatrice et qui peut aussi être utilisé en tant que plate-forme de contestation. Mais la
contestation ne vient pas seulement dans le plan de la mobilisation : on peut aussi percevoir une
réussite à percer le système politique colombien avec la nomination par le CRIC de leaders
indigènes. C'est notamment le cas de Jesus Enrique Piñacué, un leader indigène qui fut élu plusieurs
fois au Sénat national et qui fut auparavant vice-président et président du CRIC. C'est ainsi que des
points de leur plate-forme politique peuvent être menés sur la table du législatif national.

D'une autre part on retrouve la constitution d'un programme politique concret avec des
revendications issues des problématiques régionales. Récupérer les ¨resguardos¨ qui
traditionnellement appartenaient aux communautés, étendre les ¨resguardos¨ déjà existants,
consolider les ¨cabildos¨, ne pas payer les ¨terrajes¨ (impôt issu du travail de la terre dans les
propriétés agricoles), faire connaître les lois sur les indigènes et exiger leur juste application,
défendre l'histoire, la langue et les coutumes indigènes et former des instituteurs indigènes pour
éduquer en tentant compte la spécificité culturelle xiii. À ces sept points programmatiques
s’additionnent deux points avec le progrès organisationnel du CRIC : consolider les structures
économiques communautaires et défendre les ressources naturelles. On voit donc un processus de
création d'un programme politique avec une diversité d'acteurs qui s'unifient. Ils divisent par ailleurs
leur mobilisation dans trois projets : politique, économique et culturel avec plusieurs délégations en
charge de ces projets. L'utilisation du droit indigène et sa consolidation avec la juridiction de la
Cour Constitutionnelle colombienne permettent la prise de force de cette force politique indigène
avec la reconnaissance d'une autonomie assez considérable. Cette autonomie et ce projet politique
peuvent se voir dans l'organisation administrative des ¨cabildos¨, on voit une application de la
justice propre avec des entités de santé et d'éducation communautaires et on peut voir aussi la
notion de gestion qu'ils possèdent avec l'existence de la ¨Guardia Indigena¨, un mécanisme de
contrôle qui consiste à établir une espèce de police civile où les membres sont pas seulement des
hommes adultes mais aussi des femmes, des enfants et des vieux. Le symbole de cette autorité est le
bâton de commandement et lors de problèmes comme les affrontements armés, ce mécanisme leur
permet d'organiser la résistance et aider les personnes en danger.

On voit donc une capacité organisationnelle très forte et une rationalité dans la constitution d'une
union autour des moyens légaux disponibles. Étant donné que le CRIC a une organisation élevée et
qu'ils sont coupés du centre de pouvoir, ses membres sont très souvent menés à la mobilisation dans
un cadre de mobilisation de ressources. En plus la constitution d'une espèce de coalition qui tente de
compenser le déséquilibre de pouvoir relève d'une volonté de s'organiser et pas seulement d'une
émergence contestataire aléatoire dans le cadre d'un milieu structurellement propice à la
contestation. Mais cette organisation n'est pas seulement de l'ordre physique et administratif, il y a
aussi une création d'identité et une dimension cognitive qui prend place.

2) Le processus d'acculturation et le développement d'une unité cognitive

On peut remarquer dans le processus de création du CRIC une intégration de plusieurs


dimensions cognitives qui tournent autour d'une définition du ¨nous¨ et du ¨eux¨. Plusieurs types de
discours se constituent soit en tant que créateurs d'unité et même dans la conception d'une
¨ethnogenèse¨. Ce discours sers à créer une unité mais aussi à se défendre des attaques
qu'impliquent les signalements de la part des autorités.
Tout d'abord on verra comment se constitue la définition de l'indigène ¨caucano¨ en tant que peuple
autochtone mais aussi en tant que paysan. Dans un cahier du CRIC paru en 1973, c'est à dire deux
années après la création du mouvement, on peut apprécier deux paragraphes qui définissent
l'identité du CRIC. Tout d'abord ils énoncent ¨Somos campesinos ¨, ils expliquent que la majorité
travaillent dans les grandes propriétés des lieutenants. Ils énoncent aussi les problèmes de l'époque
liés à la question de la terre qui sont d'ailleurs les problèmes de beaucoup de paysans en Colombie
qu'ils soient indigènes ou non. Ceci est d'ailleurs évoque dans le document : ¨Los indígenas de
parcelas chiquitas, los terrajeros, los peones y los comuneros, estamos todos explotados. Como los
campesinos de otras partes. Igual que los campesinos de toda Colombia¨. Ensuite ils ne se
catégorisent pas seulement dans le terme paysan mais aussi dans le terme indigène. Les peuples du
Cauca ont été au contraire des indigènes de l'Amazonie en contact constant avec la culture
occidentale et ils ont connu un processus d'acculturation au long des siècles. De nos jours ils sont
conscients de cette intégration et de cette compréhension des valeurs occidentales et même si
parfois ils habitent comme n'importe quel paysan, ils se revendiquent d'une culture. Ainsi dans le
document de 1973 ils énoncent ¨Somos Indios¨. Ils expliquent la descendance des nations indigènes
qui habitaient l'Amérique avant les ¨envahisseurs¨ espagnols. Ils défendent aussi le fait qu'ils
possèdent des vielles coutumes et des langues propres, une musique qu'ils apprécient, des vêtements
traditionnels et beaucoup d'aspects culturels qui les unifient. On voit donc l'utilisation d'une histoire
commune et d'une revendication positive du terme ¨indio¨. D'ailleurs ce processus d'adoption d'une
identité indigène ne se limite pas au territoire du Cauca et c'est le CRIC qui est à l'initiative dans les
années 80´s des réunions qui précèdent l'ONIC (Organisation Nationale Indigène Colombienne) qui
regroupe des représentants des ethnies de tout le territoire.

Mais cette dimension d'appartenance et d'identité n'est pas la seule dimension cognitive constituée
et partagée au sein du CRIC. Ils revendiquent aussi une tradition de résistance face aux tentatives
d'enlèvement de la terre et face à l'exploitation capitaliste. On peut voir la tradition de résistance
avec la ¨martyrisation¨ de certains personnages ainsi qu'en se posant en victimes d'une histoire
teintée d'injustices. Le personnage de Quintín Lame est très parlant de cette dimension identitaire au
sein du CRIC qui se revendique comme continuateur de la lutte de ce personnage. Il fut un indigène
qui au début du XX ème siècle a combattu l'appropriation des terres indigènes de la part des
lieutenants. Lorsqu'il y avait une vague d'appropriation des territoires, cet homme Nasa est allé dans
la capitale pour chercher les archives de la colonie et lorsqu'il a retrouvé les archives et il les a
ramenés dans la région, les autorités l'ont emprisonné sous l'influence des lieutenants locaux.
Cependant il fut libéré (et recapturé et relibéré beaucoup de fois) et il continua sa lutte contre
l'expropriation des terres indigènes. L'utilisation dans le discours du CRIC de ce personnage et de
son héritage nous prouve qu'il y a la constitution d'une certaine identité autour de la résistance et
d'une autre notion importante : la terre. La terre est considérée comme un enjeu central de la lutte
indigène dans le Cauca et la défense de ce territoire dans un pays qui connaît le plus fort chiffre de
déplacement forcé devient forcement une identité puissante. Un récit oral dans le cahier du CRIC
évoque ce ¨que les grands parents racontent¨ : c'est une histoire qui dit qu'avant, les indigènes
vivaient même sur la plaine du Cauca, près de Popayan (capitale du département). Mais les blancs
ont commencé à les attaquer jusqu'à les déplacer de plus en plus haut vers la montagne. Ainsi les
blancs sont arrivés au village de Silvia, qui auparavant étaient Guambía et où vivaient les
guambianos. Ensuite un blanc est arrivé et a demandé à louer un terrain pour construire un moulin,
puis un autre terrain pour avoir des animaux. D'un jour à l'autre ce n'était plus une relation amicale
mais de domination et les territoires commencèrent à être expropriés. La suite est l'histoire des
luttes légales et organisationnelles pour récupérer ces terrains à travers plusieurs moyens et en se
heurtant à des procédés sournois de la parte des ¨blancs¨. On voit donc une défense des territoires
comme constante de cette identité. La question de la culture est aussi centrale avec la défense des
langues et des traditions orales. Au sein de la page institutionnelle du CRIC on perçoit la
différenciation faite entre les indigènes qui préservent ou non leur langue et on peut voir un désir de
formation de professeurs indigènes et d'une éducation bilingue dans leur programmes de
développement.

Mais toutes ces dimensions identitaires s'additionnent en fait à une perception de la réalité qui les
entoure, avec une intégration de leur cosmologie et aussi à une interprétation du système politique
actuel. Un exemple très parlant de ceci est l'opposition qui est faite entre capitalisme carnivore et
défense de la sacralité de la terre. À ceci s'oppose une cosmologie où l'humain est seulement un
intégrant du monde. On peut voir cette opposition qui est faite dans un article publié dans le site
web du CRIC. Ici est expliqué la conception des indigènes du Cauca sur utilitariste du capitalisme
moderne et sur l'extractivisme latino américain : ¨la forêt a été éloignée de la proximité de l'homme,
ensuite fragmentée en plusieurs éléments qui puissent être manipulés et plus récemment
mercantilisés. La forêt ainsi est convertie dans une pluralité de ressources ou bien un fournisseurs
de biens et services écosystémiques. Ainsi l'arbre disparaît et est remplacé par cinq pieds cubiques
de bois, qui coûtent cent dollars¨. À cette conception s'oppose celle des indigènes avec un droit de la
nature et une convivialité de l'être humain au sein de la terre avec son milieu naturel. La forêt ne
doit plus être perçue comme utile mais ayant des valeurs intrinsèques et donc l'être humain perd son
endroit privilégié au sein de la terre. La défense de l'environnement est aussi une autre constante de
cette identité et de cette définition de l'autre qui s'oppose à eux avec une volonté d'exploiter de
façon irrespectueuse ces ressources naturelles. La sacralité du territoire et l'appropriation
symbolique de l'espace a lieu. D'une autre part à la violence des acteurs armés, le CRIC développe
une image de paix et de résistance non armée. L'État et les groupes illégaux sont d'autant perçus
comme des ¨barbares¨ qui arrivent pour violenter les indigènes et ensuite les accuser d'être des
victimaires. Face à cette barbarie, ils s'efforcent de combattre ceci en développant cette identité
pacifiste.

On voit donc un processus de création d'identité collective qui ne se base pas seulement dans une
¨ethnogenèse¨ mais autour de plusieurs degrés d'identité et de traditions qui se traduisent dans une
dimension cognitive commue proche du frame analysis dans le cadre des sciences sociales. Les
acteurs de l'organisation partagent désormais une vision cognitive commune qui permet une prise de
décision face aux problèmes qu'ils affrontent. Cette vision cognitive se résume dans leur devise :
unité, terre et culture. Ce processus d'identification et la capacité organisationnelle qui s'est
développé avec le CRIC lui a permis d’émerger en tant que mobilisation collective et en tant
qu'acteur social et politique de la région du Cauca, malgré la structure hostile qu'on a analysé dans
la première partie. Cependant, ce groupe ne possède pas seulement une capacité organisationnelle
et une identité commune, ils ont un répertoire d'action concret et ils ont exercé une influence à
plusieurs échelles.

III] Action collective du CRIC : quel impact ?


1) Un répertoire d'action collective en diversification

Minga Indígena de 2008 por la vida

On a bien vu que le CRIC est un acteur de la scène politique et sociale d'importance centrale
dans la région du Cauca mais comment agit-il ? Auparavant ses actions se limitaient à une prise de
position, et parfois à des occupations territoriales dans les ¨haciendas¨ xiv mais de nos jours ce
mouvement connaît une diversification de son répertoire d'action collective. Tilly lui-même en
théorisant ce concept, parle d'une modernisation des actions avec le temps et on peut voir comment
les variations dans la structure et les logiques répressives entraînent une diversification et une
modernisation de ces moyens. Cependant, il est très difficile de cerner ce répertoire et de le
catégoriser étant donné qu'il y des typologies difficiles à faire, comme par exemple le fait de se
demander si la Colombie est un pays démocratique. On peut pas faire des distinctions comme celle
de pays démocratique/non démocratique puisque il y a bien des caractéristiques d'une démocratie
mais des défaillances dans plusieurs aspects de ceci.

Tout d'abord on constate une utilisation de moyens d'action collective qui se heurtent au pouvoir. Ce
sont des procédés qui ne sont pas de l'ordre du légal et qui transigent l'ordre existant. Dans ce
répertoire on peut trouver des procédés comme le blocage de routes, l'occupation de terrains ou bien
l'expulsion de façon organisée des acteurs qu'ils rejettent dans leur milieu social et économique. Ces
formes d'action collective relèvent du ¨réactif¨ ou du ¨proactif¨ en utilisant le vocabulaire de la
sociologie des mouvements sociaux. Ils relèvent du domaine du ¨réactif¨ lorsqu'ils rétablissent des
revendications mises en cause ou du ¨proactif¨ lorsqu'ils avancent des revendications jamais
auparavant exercées. Un exemple d'action collective du domaine du ¨proactif¨ est le siège que les
indigènes font aux exploiteurs miniers qui arrivent dans la région pour exploiter les ressources
naturelles. Dans un article de La Silla Vacía, une occupation d'industrie minière est racontée. Les
indigènes ont tout d'abord avertit aux travailleurs qu'ils pouvaient pas exploiter là, ils se sont plaint
face aux autorités mais après six mois rien ne s'est passé. C'est alors qu'un groupe de près de 600
indigènes est arrivé sur place et les ont obligé à partir. Dans le documentaire de Roméo Langlois
Pour tout l'or de la Colombie, on peut aussi voir vers la fin(49:50) la façon dont les indigènes
s'attaquent aux exploitations minières. Ces communautés avaient déjà proclamé que dans leurs
territoires nul ne pourrait exploiter les ressources minières et ils avaient reconnu une certaine
reconnaissance du gouvernement de leur autonomie. Ils sont donc en train de rétablir une
revendication déjà faite à travers de moyens plutôt hors de ce qui est ¨acceptable¨ de la part du
gouvernement. Dans d'autres cas on peut voir que ces moyens d'action entraînent une très forte
répression de la part de l'État. Lors de l'occupation de ¨haciendas¨ en 1991, des engagements avec la
force publique a lieu et suite à cela, une massacre a lieu suite à des menaces faites aux leaders
communautaires. Un rapport de la CIDH fait une analyse de ce cas là. Mais ils peuvent aussi
avancer des revendications jamais auparavant exercées. Ce fut notamment le cas pendant la crise de
2012, lorsqu'ils ont demandé l'expulsion définitive de tous les acteurs armés, c'est à dire armée
nationale comprise. Suite à la négative de partir, les indigènes se sont mobilisés pour défaire les
bases militaires pièce par pièce et sont même allés jusqu'à prendre les armés de l'armée par la force.
On voit donc une action collective d'une empreinte assez radicale qui peut redéfinir des
revendications existantes ou en créer des nouvelles.

Mais le répertoire d'action collective du CRIC n'est pas seulement du domaine de ¨l'illégal¨
puisqu'ils font aussi des actions pacifiques d'autant que des ¨performances¨. L'objectif politique de
ces actions collectives peuvent relever de plusieurs ordres mais un des ordres de majeure
importance est la visibilisation face à l'isolement qu'on a étudié. Le cas le plus évident est la Minga
por la Vida d'octobre 2008. Une grande marche du Cauca jusqu'à Bogota a eu lieu avec pour
objectif de se faire écouter par la scène nationale et de sortir de l'isolement qu'ils éprouvent dans le
Cauca. Cette rupture de la logique centre-périphérie en parallèle avec le caractère pacifique de la
marche et l'aspect symbolique de la date (12 octobre 2008, anniversaire de ¨découverte¨ de
l'Amérique) font de cette performance une date importante dans l'histoire du CRIC. L'alliance avec
d'autres secteurs de la société comme les étudiants ou d'autres groupes indigènes ainsi que
l'expression d'un programme politique à plusieurs points et pas seulement une demande spécifique
témoigne de l'envie de visibilisation. Par ailleurs, face aux répression qu'exercent les différents
acteurs du conflit, un renouvellement des tactiques a encore lieu. On peut remarquer ceci avec par
exemple l'utilisation des nouveaux moyens de communication. L'utilisation de l'internet et des
moyens audiovisuels sont une preuve de ceci. La page institutionnelle du CRIC a été en constante
amélioration depuis le début de cette recherche et à la date d'aujourd'hui elle connaît un bon design
et beaucoup d'informations ainsi qu'une publication constante de communiqués. Par ailleurs
l'utilisation de médias comme la vidéo ont permis aux indigènes de contrer certaines accusations de
la part de politiciens en montrant la répression aux yeux du public national pendant que le
gouvernement les accusait de victimaires et suggérait que les forces de l'ordre étaient plutôt les
victimes. C'est dans cette optique que Alvaro Uribe a dû demander pardon au pays, suite à ses
accusations envers les indigènes d'être infiltrés par les FARC et de l'affirmation que la force
publique n'utilise pas des armes. Des vidéos ont montré le contraire et cela fut un grand scandale à
l'époque (cela fut dans le temps de la Minga en 2008). L'organisation d'évènements comme le
Festival de cinéma indigène offrent un espace de diffusion de ces nouvelles pratiques collectives.

On voit bien une diversification du répertoire d'action collective dans le temps, et ceci lié aux
différents types de revendications ou d'objectifs politiques portés par le CRIC. On voit des actions
plus ou moins ¨acceptables¨ avec des adaptations aux moyens de répression de la part de l'État et à
l'isolement médiatique duquel ils sont victimes. Cependant on peut se demander la vraie
répercussion de cette action collective et essayer d'établir un bilan de l'impact du CRIC dans la
réalité tant locale qu'internationale.

2) Les vrais impacts du CRIC : quel bilan ?

On a bien vu que le CRIC s'impose comme acteur et qu'il utilise plusieurs formes d'action collective
pour revendiquer une multiplicité de demandes liées à son programme politique. Mais cependant de
nos jours le Cauca reste une des régions les plus inégales de la Colombie, avec des atteintes toujours
aussi fortes envers les droits humains et les promesses et les stigmatisations de la part de Bogota
continuent. Il y a vraiment un bilan positif ou au moins une incidence sur la réalité ? On verra cette
incidence à plusieurs échelles, dans le domaine du local, du national et de l'international.

En premier lieu, on verra que dans le domaine du local la résistance du CRIC a bien des
effets dans le quotidien des habitants. La résistance contre leurs problèmes régionaux peut être
perçue comme effective à cause de plusieurs faits. Tout d'abord, dans le secteur de l'extractivisme ils
sont déjà parvenus à fermer beaucoup de mines et à expulser beaucoup d'exploitants qui arrivent
dans la région. Cet article du journal national El Espectador nous montre que les indigènes ont
réussi à expulser de leurs terres plusieurs projets d'exploitation minière. Par ailleurs en 2008 les
indigènes du Cauca ont réussi grâce à la mobilisation de plusieurs de leurs membres (300 selon un
article du ministère d'éducation) à libérer sept fonctionnaires des régions indigènes qui avaient été
capturés par les FARC pendant qu'ils se déplaçaient dans le département. La façon dont les
indigènes s'organisent se révèle donc assez efficace face aux problèmes qu'ils affrontent dans la
région et malgré la persistance de ces problèmes on voit bien qu'il y a une résistance active avec des
faits qui prouvent des effets positifs. En plus on voit bien une montée de l'autonomie qu'ils
revendiquent. La Juridiction Spéciale Indigène a beaucoup progressé en Colombie avec plusieurs
décisions de la Cour Constitutionnelle qui reconnaît l'autonomie accordée par l'article 246 de la
Constitution de 1991. Ainsi, les institutions issues du cabildo prennent plus d'importance au jour au
jour et la capacité organisationnelle dans la région connaît des importantes améliorations malgré la
constante pauvreté et les problèmes de violence.

Ensuite on peut remarquer une des principales avancées et c'est la visibilisation dans la scène
nationale et internationale. L'isolement médiatique qu'ils subissent et la stigmatisation a bien pu être
en partie brisée lors de ces actions collectives et au jour au jour ils apparaissent dans les médias
nationaux. On arrive à voir des journalistes qui informent dans les principaux médias suite à les
problèmes issus des mobilisations et de la répression. Dans ce cas là, une écrivain du Journal le plus
proche du pouvoir, fait un article dans lequel elle explique la stigmatisation que subissent ces
communautés à travers le profil d'un leader (Feliciano Valencia) et l'humanisation de celui-ci. Les
stigmatisations du gouvernement et les conflits liés à la crise de 2012 s'opposent à un autre fait : la
naissance de sa fille. On pourrait analyser beaucoup d'articles de ce type là et les prises de position
sont variées. Certains parlent du CRIC comme une force politique légitime dans le pays, d'autres
comme des victimes du gouvernement et des FARC, d'autres comme des victimes de l'industrie
minière et la liste continue. Mais le fait est que le journalisme national connaît un écho face aux
revendications du Cauca, ce qui avant n'était pas le cas. En plus des journalistes indépendants plus
proches du travail de champ vont briser l'isolement de la région et l'éloignement du fait de la
violence et vont aller sur le terrain pour enregistrer et documenter ce qui arrive. C'est le cas du
documentariste Hollman Morris qui est allé à plusieurs reprises dans le Cauca pour documenter les
actions du CRIC. Dans le documentaire sur la Minga indígena de 2008, le documentariste ne donne
pas seulement la parole à plusieurs personnages issus du CRIC comme le leader Feliciano Valencia,
mais il expose aussi les images de répression policière. Mais le support national n'est pas seulement
médiatique. L'alliance de plusieurs secteurs de la société à la cause du CRIC est une preuve de la
rupture de l'isolement. Les secteurs défenseurs des droits de l'homme et plusieurs factions de la
gauche revendiquent un support aux indigènes du Cauca et ils les posent en tant qu'exemple à suivre
dans la politique nationale. On voit donc, au delà de l'identité qu'ils développent, une vraie
influence de cette dimension cognitive sur la réalité et ces secteurs vont qualifier parfois cette
organisation comme ¨pionnière de résistance¨ contre le secteur extractive-capitaliste. Ainsi le
discours du local passe à la réalité nationale. Et pas seulement à la réalité nationale : dans le
domaine de l'international un exemple est très parlant: dans la même optique d'analyse, le
documentariste Roméo Langlois pose les Nasa en tant qu'exemple à suivre suite à une analyse
complexe du pays et du problème minier. Dans la rhétorique et l'organisation du documentaire, on
voit un secteur capitaliste minier qui nourrit un conflit aux dimensions inhumaines et à la fin, un
peuple au sud de la Colombie qui résiste à cela : les Nasa. Ainsi avec la phrase finale on voit
l'influence du discours d'identité et de résistance du CRIC. ¨Mais en attaquant pour la première fois
une installation minière, les Nasa envoient un message clair : leurs montagnes sacrés valent plus
que tout l'or de Colombie¨. Mais dans le secteur international le support n'est pas seulement
médiatique, il est aussi de l'ordre du légal. Ainsi cette visibilisation du CRIC permet à des
personnages de renommée internationale comme le juge Baltazar Garzón d'avoir connaissance des
problèmes régionaux et agir. Lors de la crise en 2012 il s'est rendu pour agir en intermédiaire et il a
dénoncé beaucoup de problèmes. Il a parlé de la nécessité de faire appel à des cours internationales
pour défendre la cause des indigènes face à la répression des différents acteurs. Ceci peut être bien
le cas d'ONG's et d'une très grande diversité d'acteurs dans le monde.

On voit bien un impact réel dans la perception cognitive et dans l'aspect matériel à plusieurs
échelles. La résistance territoriale effective et l’accroissement de l'autonomie au local et le
changement de la perception d'acteurs dans le national et l'international a lieu avec l'alliance d'autres
secteurs de la société civile, colombienne et globale. Dans ce sens là, les actions collectives du
CRIC ont une vraie effectivité et elles montrent une capacité d'adaptation aux changements
structurels du milieu comme l'ouverture aux médias et à la globalisation.

Ainsi on a vu au fil de cette analyse que le CRIC a un vrai impact dans la réalité avec des
moyens d'action très divers. Malgré des conditions très difficiles pour exercer leur résistance et un
milieu très hostile cette organisation politique s'impose comme une unification de plusieurs ethnies
et en tant que coalition pour faire face aux inégalités et à la marginalisation du Cauca. Il s'impose
pas seulement en tact qu'acteur politique avec des revendication concrètes mais aussi en tant
qu'acteur social de la région avec une capacité mobilisatrice très importante. Cette analyse peut être
faite en mobilisant plusieurs concepts de la sociologie des mouvements sociaux et témoigne de la
nécessité d'une complexité scientifique puisque ce n'est pas seulement un facteur qui détermine la
mobilisation collective mais une pluralité de variables tant externes qu'internes. Et même si les
inégalités persistent dans la région et les problèmes structurels liés au conflit et aux ressources, une
vraie portée de ces actions collectives est appréciable. C'est dans cette optique là que ce mouvement
est pionnier en Colombie et en Amérique Latine puisqu'ils sont un des acteurs régionaux qui
parviennent à défendre le plus véhément leurs intérêts dans une optique de défense
environnementale et culturelle. Le CRIC a d'ailleurs été l'initiateur du mouvement indigène en
Colombie puisqu'ils ont eu l'initiative des réunion préliminaires pour créer l'ONIC et imposer un
projet politique indigène dans le pays, un pays avec un faible pourcentage de populations
autochtones mais avec une très grande diversité et des enjeux socio-politiques très importants.

Bibliographie

LIVRES :
-Consejo regional indigena del Cauca Popayan- Nuestras luchas de ayer y de hoy / Consejo regional
indigena del Cauca - Popayan : CRIC, 1973 - 36 p. : ill. ; 24 cm - Cartilla del CRIC

-Indígenas y represión en Colombia , Centro de Investigación y Educación Popular, FRIEDE JUAN

-Consejo Regional Indígena del Cauca-CRIC : diez años de lucha, historia y documentos, Centro de
Investigación y Educación Popular, [1981] -- 260 p. ; 21 cm

- Dictionnaire des mouvements sociaux, Olivier Fillieule et al. 2009. 656 pages, Collection
Références (Presses de Sciences Po)

-Dos décas de escalamiento del conflicto armado en Colombia, Camilo Echanía Castilla, 2006,
prensa del Externado

DOCUMENTS EN LIGNE :

- MATHIEU, Lilian. Contexte politique et opportunités. In AGRIKOLIANSKY, Éric, FILLIEULE,


Olivier, SOMMIER, Isabelle dirs. Penser les mouvements sociaux : conflits sociaux et
contestation dans les sociétés contemporaines. Paris : La Découverte, 2010, p. 39-54.

ARTICLES :
-http://www.elespectador.com/impreso/temadeldia/articulo-363049-crisis-el-cauca-cartas-sobre-
mesa
-http://www.elespectador.com/noticias/nacional/articulo-375783-indigenas-nasa-cerraron-minas-de-
oro-santander-de-quilichao
-http://www.elespectador.com/noticias/actualidad/vivir/articulo-381034-el-no-rotundo-de-los-nasas-
mineria
-http://www.eltiempo.com/archivo/documento/MAM-495371
-http://www.cric-colombia.org/
-http://www.semana.com/problemas-sociales/hemos-venido-despertar-colombia-feliciano-valencia-
lider-indigena/117943-3.aspx
-http://www.arcoiris.com.co/2012/07/las-razones-detras-del-conflicto-en-el-cauca/
-http://datos.bancomundial.org/indicador/SI.POV.GINI
-http://www.lasillavacia.com/historia/las-polemicas-del-codigo-minero-que-tendra-que-enfrentar-
renjifo-35697
-http://www.lasillavacia.com/historia/la-fiebre-por-el-oro-le-llevo-una-nueva-guerra-al-norte-del-
cauca-31273
-http://www.revistadonjuan.com/interes/marihuana-de-corinto-cien-por-ciento-campesina/9630844

VIDEOS
-http://vimeo.com/43866542
-http://www.youtube.com/watch?v=-Ai2wRvFjrI&feature=youtu.be&t=3m18s
-http://www.youtube.com/watch?v=oGFUPsAKzl8&feature=youtu.be&t=5m4s
-http://www.youtube.com/watch?v=kh0yftJCSd0
i Les données sur les populations indigènes varient mais les sondages officiels de 2011 établissent la population
indigène aux environs de 1.300.000 habitants dans tout le territoire national.
ii Selon les chiffres du CRIC mais aussi selon les chiffres officiels
iii http://www.elespectador.com/opinion/columna-362189-cinco-mitos-sobre-los-indigenas-del-cauca
iv http://www.lasillavacia.com/historia/la-fiebre-por-el-oro-le-llevo-una-nueva-guerra-al-norte-del-cauca-31273
v Voir documentaire de Roméo Langlois: pour tout l'or de Colombie ou des articles de La Silla vacía expliquant le
code minier.
vi http://www.lasillavacia.com/historia/la-fiebre-por-el-oro-le-llevo-una-nueva-guerra-al-norte-del-cauca-31273
vii http://prensarural.org/spip/spip.php?article1224
viii Natural resources and violent conflict: options and actions. Bannon, Ian and Collier, Paul (eds), (2003)

ix Noam Chomsky, The Culture of Terrorism (South End, 1988), pp. 43, 77
x http://www.lasillavacia.com/historia/la-fiebre-por-el-oro-le-llevo-una-nueva-guerra-al-norte-del-cauca-31273
xi Indígenas y represión en Colombia , Centro de Investigación y Educación Popular, FRIEDE JUAN
xii http://www.cric-colombia.org/portal/consejeria/consejeria-actual/
xiii Consejo regional indigena del Cauca Popayan- Nuestras luchas de ayer y de hoy / Consejo regional indigena del
Cauca - Popayan : CRIC, 1973 - 36 p. : ill. ; 24 cm - Cartilla del CRIC
xivIndígenas y represión en Colombia , Centro de Investigación y Educación Popular, FRIEDE JUAN

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