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CHEZ AVERROÈS
Cristina Cerami
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ISSN 0014-2166
ISBN 9782130733973
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Introduction
Le « par soi » (καθ’ αὑτό) est sans aucun doute l’une des notions cruciales
de l’ontologie et de l’épistémologie aristotéliciennes. Elle est notamment au
cœur de la théorie du savoir dressée dans les deux livres des An. Post.1 et elle
est à plusieurs reprises examinée au cours de l’étude qui, dans la Métaphyisque2,
est censée nous conduire à la définition de ce que sont l’être et la substance
première. Dans l’ensemble de ces textes, Aristote affirme l’existence d’une plu-
ralité de sens de cette notion et assure qu’il est nécessaire d’en saisir les carac-
téristiques propres pour pouvoir comprendre de quelle façon chacun d’eux a
trait au savoir en général et à la science de l’être en particulier.
Il demeure toutefois difficile de comprendre si, dans chacun de ces textes,
les différentes acceptions du « par soi » peuvent se ramener à un sens unique
et si, dans leur ensemble, ces textes nous fournissent des séries concordantes
de sens. Les lecteurs anciens et modernes d’Aristote se sont efforcés de répon-
dre à ces deux questions3, en essayant tantôt de montrer la nécessité d’une
lecture unitaire de l’ensemble des analyses consacrées au « par soi », tantôt de
souligner les raisons de leur relative incompatibilité.
1. Le texte de référence est à ce propos An. Post. I 4. Mais d’autres passages du traité
sont également fondamentaux, voir notamment An. Post. I 7, 75 a39-41 ; I 10, 76 b6-11.
2. Deux chapitres sont à ce propos cruciaux dans la mesure où ils sont au moins en partie
explicitement consacrés à fournir les différents sens de « par soi ». Il s’agit de Met. Δ18 et Δ7.
Dans d’autres textes, la notion de « par soi » occupe un rôle clé, notamment en Met. Z6, mais
Aristote ne fournit pas un traitement exhaustif des divers sens de l’expression.
3. C’est notamment le cas des interprètes du Moyen Âge latin (pour une synthèse
des lectures des commentateurs latins, voir A. Marmodoro, « La nozione aristotelica di per
se e la tradizione esegetica », Documenti e Studi sulla tradizione filosofica medievale, 11, 2000,
pp. 1-34). Cependant, une tendance du même type se retrouve aussi chez les auteurs modernes
(M. Mignucci, L’argomentazione dimostrativa in Aristotele, Editrice Antenore, Padova, 1975,
pp. 59-75 ; C. Kirwan, Aristotle’s Metaphysics. Books Γ, Δ and Ε, Clarendon Press, Oxford,
1971, pp. 168-170 ; J. Van Rijen, Aspects of Aristotle’s Logic of Modalities, Kluwer Academic
Publishers, Dordrecht - Boston - London, 1989, pp. 167-177 et partiellement dans J. Barnes,
Aristotle’s Posterior Analytics, Clarendon Press, Oxford, 1975, pp. 112-121).
Les Études philosophiques, n° 1/2016, pp. 217-241
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implique une relation de prédication entre le sujet et son prédicat par soi.
C’est en effet relativement à cette lecture que son interprétation se révèle
aussi originale que significative. Dans une perspective plus vaste, cette
étude confirmera la volonté chez Averroès de tenir ensemble sa théorie de
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propriétés des prémisses certaines (al-muqaddimāt al-yaqīniyya), en faisant
ainsi comprendre que le chapitre I 3 interrompt une discussion unitaire qui,
commençant au chapitre I 2, se poursuit au chapitre I 4. En effet, explique
Averroès, si le chapitre I 2 présente les propriétés des prémisses certaines (à
savoir i. le fait d’être causes de la conclusion, ii. d’être vraies, iii. d’être plus
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6. Voir Averroès, Grand Commentaire et Paraphrase des Seconds Analytiques d’Aristote
(éd.‘A. Badawī), Qism al-Turāṯ al-‘Arabī, Koweit, 1984 (dorénavant Averroès, GC An. Post.),
p. 215, 17-216, 8.
7. Le début du chapitre I 4 reprend en effet l’une des deux conditions du savoir scienti-
fique énoncées en I 2, 71 b9-16 : nous avons savoir scientifique lorsque nous savons que la
chose qu’on connait ne peut pas être autrement qu’elle n’est.
8. Averroès, GC An. Post. I, pp. 179-184.
9. Cette caractéristique a été relevée dans la traduction des An. Post. attribuée à Abū Bišr
Mattā, qui suit le texte grec de très près (cette traduction a été éditée par ʿA. Badawī dans
ʿA. Badawī (éd.), Manṭiq Arisṭū, 3 vols., vol. II, Wikālat al-maṭūʿa-Dār al-qalam, Beirut-Kuwait,
1970). Mais elle se retrouve également dans la traduction anonyme qu’Averroès commente
dans son Grand Commentaire, qui est souvent tellement loin de l’original qu’elle ressemble
plus à une paraphrase qu’à une simple traduction. Sur les traductions arabes des An. Post., voir
A. Elamrani-Jamal, Aristote de Stagire, Organon (4), Les Seconds Analytiques, Tradition arabe,
dans R. Goulet (dir.), Dictionnaire des philosophes antiques, t. I, CNRS Éditions, Paris 1989,
pp. 521-24. Pour une étude de leur milieu d’origine, voir H. Hugonnard-Roche, « Averroès
et la tradition des Seconds Analytiques », dans G. Endress, J.A. Aertsen et K. Braun (eds.),
Averroes and the Aristotelian Tradition. Sources, Constitution and Reception of the Philosophy of
Ibn Rushd (1126-1198), Brill, Leiden-Boston-Köln, 1999, pp. 172-187.
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Averroès explique que seule la démonstration absolue, identifiée au syllo-
gisme apodictique, nous donne une certitude absolue, car elle parvient à la
conclusion en utilisant des principes qui sont antérieurs pour nous et anté-
rieurs dans l’ordre de l’être12. En revanche, le syllogisme appelé signe, à relier
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10. Sur cet aspect de la traduction arabe des An. Post. et l’influence qu’elle a pu avoir
sur la théorie du savoir d’al-Fārābī, voir encore Black, « Knowledge (ʿIlm) and Certitude
(Yaqīn) », art. cit.
11. Sur cette tripartition et notamment sur la théorie Averroïste du signe, voir les arti-
cles de A. Elamrani-Jamal, « La démonstration du signe (burhān al-dalīl ) selon Ibn Rušd
(Averroès) », Oriens-Occidens, 3, 2000, pp. 41-59 et H. Hugonnard-Roche, Logique et phy-
sique : la théorie aristotélicienne de la science interprétée par Averroès, Medioevo, 27,
2002, pp. 141-164. Pour une analyse du commentaire à An. Post. I 2, voir M. Di Giovanni,
« Demonstration and First Philosophy. Averroes on Met. Zeta as a Demonstrative Examination
(al-faḥṣ al-burhānī) », Documenti e Studi sulla Tradizione Filosofica Medievale, 20, 2009,
pp. 95-126. Pour une étude de l’influence qu’al-Fārābī a eu sur Averroès et sur l’application de
cette théorie à sa philosophie naturelle, voir Cerami, Génération et Substance, op. cit., pp. 320-
325.
12. Averroès précise que la plupart des démonstrations mathématiques appartiennent à
ce type de démonstrations.
13. Cette identification se retrouve déjà dans la doctrine de la preuve tekmériodique
de Philopon, voir D.R. Morrison, « Philoponus and Simplicius on tekmeriodic Proof »,
D.A. Liscia, E. Kessler et C. Methuen (eds.), Method and Order in Renaissance Philosophy of
Nature : The Aristotle Commentary Tradition, Aldershot, Ashgate, 1997, pp. 1-22.
14. La propriété de la sphéricité de la lune, par exemple, à partir de la façon dont sa
lumière se répand pendant son cycle de révolutions.
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produit par les démonstrations absolues, qui opèrent en revanche par ce qui
est cause de notre connaissance de la conclusion et cause de l’être du phéno-
mène énoncé dans la conclusion15.
En estimant que le chapitre I 4 étudie les caractères des prémisses cer-
taines, Averroès intègre le chapitre dans ce même cadre doctrinal. On verra
alors que c’est à la lumière de cette théorie gradualiste qu’Averroès interprète
aussi la notion de « par soi » et que l’un des grands enjeux de cette lecture
sera précisément celui de garantir le caractère véritablement scientifique de
la démonstration du signe.
La deuxième remarque que le texte d’Averroès appelle permet de mieux
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clarifier l’apport du chapitre I 4 dans le cadre plus limité des premiers cha-
pitres des An. Post. D’après ce qu’Averroès nous dit, il faut comprendre que
l’étude de I 4 précise, mais en un sens fort fonde, celle de I 2. En effet, ce
chapitre est, dans son ensemble, consacré à la seule propriété de la néces-
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Et après avoir établi que les prémisses démonstratives doivent être nécessaires, il
entreprend de rechercher les propriétés et les conditions par lesquelles ces prémisses
sont nécessaires et par lesquelles on sait qu’elles le sont, car à partir de ces propriétés
et ces caractères on peut distinguer ce qui est nécessaire de ce qui ne l’est pas, puisque
ces propriétés sont plus connues pour nous que le nécessaire et qu’elles lui sont
propres18.
C’est donc dans le cadre d’une recherche sur le nécessaire que l’étude du
chapitre I 4 s’inscrit, non seulement parce qu’au début du chapitre Aristote
renvoie à la condition de la nécessité dictée en I 2, mais parce que les pro-
priétés qu’Aristote définit en I 4, celle d’être dit « de tout » (‘alā al-kull), celle
d’être « par soi » (bi-al-ḏāt), celle d’être « universel » (kulliyyi), définissent en
tant que telles la nécessité des prémisses :
Puisque son but est de clarifier les propriétés qui appartiennent en propre aux
prémisses nécessaires et que celles-ci sont au nombre de trois (i. la première est que
la prédication porte sur tout <le sujet>, ii. la deuxième est qu’elle est par soi et iii. la
troisième qu’elle est universelle), il rappelle d’abord qu’il est nécessaire d’expliciter
ce que signifient ces noms, puis il montre que ces propriétés appartiennent néces-
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sairement aux prémisses démonstratives19.
(τὸ κατὰ παντός), « par soi » (καθ’ αὑτό) et « universel » (τὸ καθόλου),
sont pour Averroès autant de conditions que les prémisses démonstratives
doivent remplir pour pouvoir être nécessaires (ḍarūriyya). Cela, comme on
vient de le remarquer, va en un sens au-delà de ce qu’Aristote nous disait
explicitement. En effet, s’il est vrai qu’Aristote lui-même, aux lignes 73 b16-
1820, semble entériner l’équation entre les choses dites par soi (καθ’ αὑτά),
celles qui sont en vertu de soi (δι’ αὑτά) et celles qui sont par nécessité (ἐξ
ἀνάγκης), il ne nous dit pas expressément que les trois notions, le κατὰ
παντός, le καθ’ αὑτό et le καθόλου, constituent l’ensemble des conditions qui
définissent la nature de la nécessité des prémisses démonstratives. En ce qui
concerne le « par soi », il faudra notamment comprendre si les conditions de
nécessité dictées dans le chapitre sont remplies par la seule démonstration
absolue ou par celle du signe et celle de la cause aussi.
On peut en outre souligner que, d’après Averroès, les trois propriétés
étudiées dans le chapitre déterminent à chaque fois un type de prédication
(ḥaml )qui lie le prédicat à son sujet. Il s’agit autrement dit, dans tous les cas,
de types de prédications dans lesquelles chacun des trois opérateurs définit la
façon dans laquelle le prédicat se rapporte au sujet. Dans le cas du « par soi »,
cela signifie que c’est toujours le type d’appartenance du prédicat au sujet
qui est en jeu21. Cela va de soi dans le cas des deux premiers sens du « par
soi » énumérés en I 422. Le rôle que jouent les deux autres sens de « par soi »
(celui présenté aux lignes 73 b5-1023, par soi3, et celui présenté aux lignes
73 b10-1624, par soi4), qui ne semblent pas de façon évidente avoir un lien
avec le type de prédication reliant le prédicat de la prémisse à son sujet, est
en revanche moins clair dans ce cadre.
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démonstratives. Cette idée est confirmée dans le commentaire à la partie du
chapitre consacrée à cette notion. Après avoir clarifié de quelle façon l’expres-
sion « de tout » désigne l’une des « conditions de la nécessité », Averroès
affirme que le fait qu’un prédicat appartienne par soi à un sujet constitue la
deuxième propriété qui rend les prémisses d’une démonstration nécessaires.
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Il précise toutefois que parmi les sens de « par soi » énumérés dans le cha-
pitre seuls les deux premiers ont un rapport avec la démonstration au sens
strict, car seuls les deux premiers définissent l’appartenance nécessaire d’un
prédicat à un sujet.
Averroès explique ainsi que les deux types de prédicats par soi présentés
au début du chapitre (les prédicats par soi1 et par soi2) s’opposent dans leur
ensemble aux prédicats accidentels et divisent avec ces derniers la classe des
prédicats25. Il précise ensuite que l’opposition entre prédicats essentiels et pré-
dicats accidentels doit être comprise comme une opposition entre propriétés
nécessaires et propriétés non-nécessaires du sujet. Dans ce cadre, le but de
l’étude du « par soi » sera de définir les critères qui permettent de distinguer
les différents sens de l’expression propres aux prémisses démonstratives et
d’expliquer si et de quelle façon les deux impliquent la notion de nécessité.
À cette fin, Averroès considère d’autres types de prédicats par soi qui
pourraient à tort être considérés comme propres aux prémisses démonstra-
tives ; puis il définit le troisième sens de « par soi » dans l’ordre d’An. Post. I 4
(par soi3) et explique les raisons pour lesquelles, tout en n’étant pas propre
à la démonstration, ce sens est mentionné dans le chapitre. Avant même
d’examiner les « par soi » qui ont trait à la démonstration au sens strict,
22. Aristote, An. Post. I 4, 73 a34-37 : « Est dit appartenir par soi à une chose tout
ce qui lui appartient comme élément de son ce que c’est » ; ibid., a37-39 : « On parle aussi
d’appartenance par soi dans tous les cas où des choses appartiennent à d’autres, lesquelles sont
contenues dans la formule qui montre ce que sont les premières. » Dorénavant respectivement
par soi1 et par soi2
23. Aristote, An. Post. I 4, 73 b5-10 : « De plus j’appelle “par soi” ce qui n’est pas dit
d’un autre substrat, par exemple “le marchant” est “marchant” en étant quelque chose d’autre,
et de même pour le blanc, par contre la substance, c’est-à-dire tout ce qui signifie un ceci,
n’est pas ce qu’elle est en vertu du fait d’être quelque chose d’autre. J’appelle donc “par soi” les
choses qui ne sont pas dites d’un substrat, et accidents celles qui sont dites d’un substrat. »
24. Aristote, An. Post. I 4, 73 b10-11 : « De plus, d’une autre façon, appartient par soi
à chaque chose ce qui lui appartient du fait de soi. »
25. Averroès, GC An. Post. I, p. 222, 15-18.
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examinons ces cas, en commençant par celui qui d’après Averroès est équi-
voque par rapport aux autres. Cela, comme Averroès l’affirme, permettra de
mieux comprendre les sens propres à la démonstration26.
2.1/ Le par soi des substances premières
En suivant une tradition qu’on peut faire remonter au moins à Alexandre
d’Aphrodise, Averroès considère que le troisième sens de « par soi » (par soi3)
évoqué aux lignes 73 b5-1027, désigne une façon d’exister et non pas une
façon d’être prédiqué28. Pour cette raison, assure Averroès, ce sens n’a pas de
rapport direct avec l’objet du chapitre et il est même équivoque par rapport
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aux autres sens examinés. En commentateur charitable, toutefois, il assure
qu’Aristote a eu raison d’en faire mention, non pas pour l’intérêt direct que
ce sens peut avoir dans la théorie de la démonstration, mais pour l’intérêt
pédagogique qu’un tel développement possède :
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Puisque son but est de fournir les espèces des modalités de ce qui se dit par soi,
et qu’il a déjà mentionné à ce propos les deux espèces qui sont propres aux prémisses
démonstratives, il rappelle à ce propos aussi une troisième espèce, non pas parce que
c’est quelque chose qu’on utilise dans les prémisses démonstratives, mais à la façon
dont il incombe à celui qui enseigne ce qui est dit par homonymie de distinguer le
terme homonyme selon l’ensemble de ses sens et de pointer à celui qui est visé29.
Le troisième sens évoqué en I 4, assure donc Averroès, est homonyme aux
autres. Cette homonymie, comme il l’explique dans la suite du commentaire,
vient du fait que l’expression « par soi » dans cette acception ne s’oppose pas
à l’expression « par accident », comme dans le cas des deux premiers sens,
mais à l’expression « en et par autre chose ». Pour cette raison, la propriété
d’être par soi en ce sens n’est vraie que des substances premières et permet de
départager ces dernières des accidents individuels :
Et son propos Et on dit par soi de toutes les substances individuelles30 veut dire
que l’on dit de chacune des substances individuelles qu’elle est par soi au sens où
elle n’est pas par autre chose. Ce sens s’oppose à « ce qui est par autre chose », à
savoir l’accident. Et son propos par exemple celui qui marche (en effet, le sens de « la
marche » n’est pas le même sens de ce dont la marche est prédiquée) et par exemple le
blanc veut dire que ces individus <sont> comme le marchant individuel, non pas
la marche individuelle qui existe dans le marchant. En effet, le sens de la marche
est distinct du sens de ce dont la marche se prédique, puisque le marchant n’existe
pas en quelque chose d’autre, alors que la marche existe en quelque chose d’autre,
à savoir dans le marchant. […]. Et après avoir informé que l’un des sens de « ce qui
est par soi » désigne les substances individuelles et avoir montré par des exemples la
différence entre celles-ci et les accidents individuels, il entreprend de définir les sub-
stances individuelles et il dit et tout ce qui est visé par la désignation et ce dont l’être
n’est pas dans une chose et qui ne se dit pas d’une chose qui subsiste, est par soi. Il veut
dire : ces individus sont ceux qui sont visés par la désignation, dans la mesure où ils
n’existent pas dans une autre chose (contrairement aux accidents individuels), ni ne
se prédiquent d’un substrat par soi, je veux dire d’une façon naturelle31.
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remaniement du texte d’Aristote qu’une traduction. À la différence de l’ori-
ginal grec, le texte arabe affirme d’emblée que le troisième sens de par soi
désigne une propriété propre aux substances premières (on dit par soi de toutes
les substances individuelles premières). Il traduit ensuite le reste des conditions
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propres à ce sens de « par soi » de sorte qu’elles ne puissent désigner que des
substances premières.
Aux lignes 73 b5-10, en effet, Aristote formule trois propriétés carac-
térisant ce sens de « par soi » : est par soi en ce sens « ce qui signifie un
ceci » (ὅσα τόδε τι σημαίνει), « ce qui n’est pas ce qu’il est en vertu du fait
d’être quelque chose d’autre » (οὐχ ἕτερόν τι ὄντα ἐστὶν ὅπερ ἐστίν)
et « les choses qui ne sont pas dites d’un substrat » (τὰ μὲν δὴ μὴ καθ’
ὑποκειμένου). Ces trois propriétés semblent définir autant de conditions
que doit remplir ce qui est par soi en ce sens. Cependant, Aristote ne pré-
cise pas si elles sont, dans leur ensemble, suffisantes et nécessaires ou si
quelque chose qui n’en remplit qu’une partie peut également se dire par
soi en ce sens. En faisant cela, il laisse ouverte la possibilité que ces condi-
tions puissent, au moins en partie, être satisfaites par autre chose que les
substances premières, notamment les substances secondes32.
Le texte arabe, en revanche, ne laisse aucun doute sur l’interprétation
du propos d’Aristote. En effet, les trois caractères sont traduits dans l’ordre
comme désignant : « tout ce qui est visé par la désignation », « ce dont l’être
n’est pas dans une chose » et « ce qui ne se dit pas d’une chose qui subsiste ».
Ce ne sont donc que les substances premières, par opposition aux accidents
inhérents en elles, qui peuvent correspondre à une telle description. En
lisant cette traduction, Averroès ne peut qu’admettre cette interprétation,
en concluant donc que ce sens de « par soi » départage les substances indi-
viduelles de tout ce qui existe en et par quelque chose d’autre, à savoir les
accidents individuels33.
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types de prédicats puissent rentrer dans le cadre de la science démonstrative
élaborée dans le traité.
En effet, en correspondance des lignes 73 b16-18, de façon beaucoup
plus explicite que le texte grec, la traduction arabe affirme qu’il n’y a que
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deux espèces de « par soi » utilisées dans la démonstration, à savoir les deux
premiers types de prédicats, qui sont à la fois nécessaires et essentiels35.
Contre toute extension possible de la signification du « par soi » démons-
tratif à d’autres prédicats par soi, Averroès se sent donc contraint d’expli-
quer en quoi ces autres prédicats n’ont pas de place dans la théorie de la
démonstration36. Il s’attaque d’abord au cas des termes corrélatifs dans une
digression intégrée à son commentaire des lignes 73 b4-5 et reporte la dis-
cussion de la cause efficiente à la partie du commentaire relative au sens du
« par soi » désignant la cause37.
Les termes corrélatifs, explique-t-il, pourraient être considérés à la fois
comme des prédicats par soi qui échappent à la subdivision donnée par
Aristote au début du chapitre et qui doivent être intégrés à la théorie de la
démonstration. En effet, précisément dans la mesure où l’un est nécessaire à
la définition de l’autre, ils devraient faire partie des prédicats des prémisses
démonstratives. Averroès va contrer cette possibilité, en précisant quel type
d’objet est visé par la connaissance démonstrative et la théorie de la défi-
nition qui y est associée :
Nous disons :
le but <d’Aristote> ici est de fournir les dispositions et les règles qu’il est utile
d’utiliser dans la plupart des choses existantes, et ce sont les choses qui possèdent des
définitions au sens véritable, car il n’y a de définitions que des choses composées, les-
quelles possèdent une existence complète. Quant aux choses simples qui possèdent
une existence incomplète, je veux dire celles dont l’existence n’est quasiment que
dans l’esprit, comme les choses relatives, celles-là ne possèdent pas de définitions au
ils appartiennent. Mais la question demande à être creusée. Sur ce débat chez Aristote, voir
J.L. Ackrill, Aristotle’s Categories and De Interpretatione, Oxford University Press, Oxford, 1963.
34. Averroès, GC An. Post. I, p. 222, 18-20.
35. Ibid., p. 226, 10-13.
36. Ibid., p. 223, 1-3.
37. Aristote, An. Post. I 4, 73 b10-16.
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sens véritable. En effet, si cela n’était pas le cas, leur explication serait circulaire. C’est
pourquoi aucun des deux relatifs n’est cause de l’autre, à la façon dont les causes sont
causes (ʿilal) des causés38.
Ces lignes et les suivantes, qui closent la digression sur les relatifs, nous
donnent d’un seul coup trois informations essentielles, d’abord sur la lecture
qu’Averroès propose du « par soi », puis sur sa théorie de la définition et,
enfin, sur le statut qu’il attribue à la logique en tant que science. Averroès
nous dit en effet que seuls les étants composés, conçus comme les seuls êtres
complets, peuvent être véritablement définis. Cette affirmation confirme
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ainsi la lecture qu’Averroès propose de Met. Z, qui consiste à admettre que
seuls les étants composés de matière et forme peuvent avoir une essence
et par conséquent être objets d’une définition39. Ces lignes nous éclairent
également sur le fait que si tous les « par soi » en jeu dans la démonstration
ne sont pas des causes, au moins certains le sont. Cela, comme on va le voir,
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tration. En effet, même si le « par soi » en ce quatrième sens ne définit pas les
prédicats des prémisses des démonstrations absolues, il peut appartenir aux
prédicats des démonstrations des causes et du signe :
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En reliant d’une façon stricte les livres I et II, Averroès affirme ainsi que
la démonstration absolue est en un sens le reflet de la définition ou, comme
il le dit, « une définition en puissance ». Pour cette même raison, on ne peut
utiliser dans ce type de démonstration que les prédicats qui sont nécessaires
au sujet dans le sens où ils le constituent et rentrent, pour cela même, dans
sa définition. C’est aussi pourquoi les causes internes à la chose, en tant que
telles, peuvent figurer dans des prédicats démonstratifs, alors que les causes
agentes, en tant qu’externes à la chose, ne le peuvent pas. On peut en inférer
que les causes formelle et matérielle peuvent toutes les deux figurer dans des
démonstrations, car Averroès nous dit dans son GC de la Physique que les
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deux sont internes à la chose46.
En analysant la question dans le cadre plus large de sa théorie plurielle de
la démonstration, Averroès semble ensuite nuancer l’affirmation qu’il vient
de prononcer :
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Si cette espèce fait partie des prédicats des démonstations absolues, c’est quelque
chose qui demande un examen. Car il est difficile de prouver l’être de la chose en
vertu de l’agent. En effet, quand on pose l’existence de l’agent, l’existence du patient
ne s’ensuit pas. Et de même, il est rare de prouver <l’existence> des accidents qui
se trouvent dans la chose en vertu de sa cause agente. Si, donc, cette prédication
appartient aux espèces de la prédication démonstrative, ce n’est que dans le cas des
signes ou dans les démonstrations des causes et non pas dans les démonstrations
absolues qui sont des définitions en puissance. C’est pourquoi Aristote ne l’a pas
comptée parmi les prédicats démonstratifs47.
Averroès nous dit ainsi que les prédicats qui expriment la cause agente pour-
raient dans certains cas rentrer dans les démonstrations absolues, mais que
dans la plupart des cas cela n’est pas possible. En effet, dit-il : « Il est difficile
de prouver l’être de la chose en vertu de l’agent. En effet, quand on pose
l’existence de l’agent l’existence du patient ne s’ensuit pas. » La cause agente,
en revanche, peut rentrer dans les démonstrations de la cause et du signe48.
En élargissant la notion de démonstration, Averroès peut ainsi sauver
le texte d’Aristote et confirmer sa lecture générale du traité. Il n’y a que
deux sens démonstratifs du « par soi », lorsqu’on considère la démonstration
absolue, mais il y en a trois, si l’on considère aussi la démonstration de la
cause et du signe.
Et dans son propos Les espèces du par soi utilisées dans la démonstration sont au
nombre de deux, « la démonstration » signifie la démonstration absolue, non pas
toutes les espèces de la démonstration. En effet, la relation entre la cause agente
peut rentrer seulement soit dans les signes soit dans les démonstrations des causes.
Pour cela, celui qui croit que les prédicats qui se trouvent dans toute démonstration
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sont l’une des deux espèces de cette prédication se trompe, comme semble être le
cas du propos d’Abū Naṣr <al-Fārābī> dans son livre. En effet, les causes qui sont
externes à la chose ne sont pas prises dans les définitions des choses, si ce n’est par
accident, je veux dire quand il arrive que la cause agente existe dans la chose et
qu’elle n’est pas séparable d’elle, comme l’interposition de la terre entre le soleil et
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la lune dans l’éclipse, car celle-ci est la cause agente et coïncide avec l’éclipse elle-
même. Et de même, la fin ne rentre pas dans la définition sauf quand la différence est
ignorée et qu’elle est utilisée à sa place. Et en général, celui qui pose que chacune des
quatre causes peut être prise comme terme dans les démonstrations absolues et qui
admet que la totalité des espèces des prédicats démonstratifs est au nombre de deux
(i : <quand> les prédicats sont dans la définition des sujets ; ii) <quand> les sujets
sont dans les définitions des prédicats), se contredit sans s’en rendre compte. Et on
pourrait croire que c’est ce que Abū Naṣr <al-Fārābī> a fait49.
Cependant, dans ce cas, comme dans tous les autres similaires, si l’on
peut utiliser la cause agente dans la définition du sujet, c’est simplement
parce que celle-ci coïncide avec le sujet lui-même. C’est en ce sens qu’Aver-
roès précise que la cause agente ne rentre dans la définition que par accident.
En un sens analogue, Averroès nous dit que la cause finale, considérée du
coup comme une cause externe à la chose, ne rentre dans les définitions que
parce qu’on peut l’utiliser à la place de la différence, quand cette dernière est
inconnue.
Pour cette raison, ce serait une erreur de croire que ces cas valent comme
règles générales pour toute démonstration absolue. Cela, nous dit Averroès,
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est le cas d’al-Fārābī50. Comme souvent dans les critiques qu’Averroès for-
mule contre ses prédécesseurs, al-Fārābī est accusé d’une erreur double, car
non seulement il a prononcé des affirmations fausses, mais il s’est également
contredit. En effet, en considérant que le quatrième sens de « par soi » peut
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se ramener à la même classe que les deux premiers, tout en affirmant avec
Aristote que seules deux espèces de prédication par soi se trouvent dans
toutes les démonstrations, il s’est contredit. De surcroît, pour cette même
raison, il s’est trompé, car il a admis que « chacune des quatre causes peut
être prise comme terme dans les démonstrations absolues ». De fait, explique
Averroès, on ne peut à la fois n’admettre que deux types démonstratifs de
prédicats par soi et affirmer que l’agent et la fin peuvent se trouver dans des
démonstrations absolues. Cela serait d’une part auto-contradictoire, puisque
le sens du par soi propre à la cause agente est véritablement un sens différent
par rapport aux deux premiers, d’autre part faux, puisque toutes les démons-
trations ne se servent pas de cette cause.
50. Al-Fārābī, Kitāb al-Burhān, dans al-Mantiq ‘inda al-Fārābī, édition, présentation et
notes par M. Fakhrī, Dār al Machreq, Beyrouth, 1987, IV vol.
51. Ce qui ne veut pas dire que la division des prédicables se recoupe parfaitement avec
la division établie par l’opposition entre les deux premiers sens de par soi et les accidents ; car,
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arabes. Contre al-Fārābī, Averroès assurera que tout nécessaire est essentiel,
mais que tout essentiel n’est pas nécessaire. Contre Avicenne, il prouvera que
les prédicats par soi2 sont véritablement nécessaires. Ce résultat, comme on
voudrait le montrer, ne peut être atteint qu’en admettant que le « par soi »,
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Puisque par soi se dit de trois façons52, il commence par la première et il dit Et
on dit “par soi” (bi-al-ḏāt) de tous les prédicats qui sont pris dans les définitions des sujets.
Par exemple, la ligne est prise dans la définition de triangle et le point dans la ligne, parce
qu’il est essentiel dans la définition de la ligne et il veut dire : l’un <des types> de pré-
dicats qui sont dits être par soi (bi-al-ḏāt) est le prédicat qui est pris dans la définition
du sujet en étant la définition complète ou bien une partie de la définition, comme
la ligne dans la définition du triangle (en effet, la définition du triangle est “ce qui
comme on le verra, les propres, conçus comme des prédicats par soi2 co-extensionnels au sujet,
ne constituent qu’une sous-classe de la classe des prédicats par soi2.
52. La troisième façon, comme on l’a expliqué, est celle qui définit le rapport par soi
qui lie la cause à l’effet.
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6 avril 2016 10:14 - Philosophie arabe - Collectif - Études philosophiques - 155 x 240 - page 233 / 312
est limité par trois lignes” ; la ligne joue donc dans la définition du triangle le rôle de
partie de la différence) et comme le point qui est pris dans la définition de la ligne,
car la ligne se définit par le fait d’être délimitée par deux points, comme la surface est
définie par le fait d’être délimitée par une ou plusieurs lignes et le corps est ce qui est
délimité par une ou plusieurs surfaces. Le point est donc pour la ligne comme une
partie de la différence, car sa différence est constituée dans son entier par le nombre
et le point, je veux dire le fait que les points soient deux. Et son propos parce qu’il est
essentiel (ḏātiyya) dans la définition (ḥadd) de la ligne veut dire que le point ne rentre
dans la définition de la ligne que par le fait qu’il lui est essentiel. Et de même, la ligne
ne rentre dans la définition du triangle que parce qu’elle lui est essentielle. C’est cela
qu’il veut dire par son propos En effet, les deux sont essentiels pour la ligne et le triangle,
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c’est-à-dire le point pour la ligne et la ligne pour le triangle. Et ce prédicat est soit la
définition complète soit une partie de la définition et dans ce cas soit la différence
soit le genre soit une partie de la différence ou du genre53.
des prédicats qui appartiennent par soi1 à leur sujet, à savoir la définition, la
différence et le genre. Averroès précise ainsi que l’ensemble de ces prédicats
et de leurs parties appartiennent par soi (bi-al-ḏāt) en ce premier sens à leur
sujet, car tous sont soit la définition soit rentrent dans la définition (ḥadd )
du sujet. D’une façon de prime abord circulaire, il nous dit ensuite que ces
prédicats constituent ou rentrent dans la définition du sujet, parce qu’ils lui
sont essentiels (ḏātiyya)54.
Dans ce cas non plus, on ne peut comprendre la lecture d’Averroès sans
faire appel au texte arabe commenté, qui est ici comme ailleurs un rema-
niement du texte grec. Aristote affirmait dans ces lignes55 qu’appartient par
soi à une chose « tout ce qui lui appartient comme élément de son ce que c’est
(τί ἐστι) ». En considérant le cas de la ligne et du point, il affirmait que les
deux appartiennent par soi à leur sujet puisque la substance (οὐσία) de leurs
sujets en est constituée (ἐκ τούτων ἐστί) et qu’ils sont contenus dans le « ce
que c’est » (τί ἐστι) de ces derniers.
Le traducteur arabe reformule ce texte, plus qu’il ne le traduit. Il le fait,
tout d’abord, en introduisant la notion d’« essentiel » (ḏātiyyi) en sus de celle
de « par soi » (bi-al-ḏāt) et en posant une identité entre le fait que quelque
chose constitue la substance d’une autre et le fait que cette chose lui soit
essentielle ; puis, en explicitant le lien causal entre cette propriété et le fait
de rentrer dans la définition du défini. La conséquence principale d’un tel
remaniement est donc qu’on retrouve dans le texte d’Aristote une distinction
entre « être par soi (bi-al-ḏāt) » et « être essentiel (ḏātiyyi) »56 et l’idée que
53. Averroès, GC An. Post. I, p. 219, 12-220, 3. Cf. al-Fārābī, Kitāb al-Burhān, p. 28,
17-29.2
54. Averroès considère que les deux exemples choisis par Aristote, de la ligne vis-à-vis du
triangle et du point vis-à-vis de la ligne, constituent deux cas de parties de la différence du sujet.
55. Voir Aristote, An. Post. I 4, 73 a34-37.
56. Il faut pourtant remarquer que les deux expressions bi-al-ḏāt et ḏātiyyi sont souvent
utilisées pour traduire la seule expression καθ’ αὑτό. Dans tous les cas, toutefois, ce redou-
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culier qu’Averroès entend la nécessité des prédicats par soi et qu’il nie que
les prédicats par soi de la cause agente soient nécessaires. À ce moment-là,
on verra également que cette même interprétation de l’essentiel permet de
comprendre en quel sens, dans le cas des prédicats par soi2, c’est toujours le
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prédicat qui est essentiel au sujet, même si c’est celui-ci qui rentre dans la
définition de celui-là.
3.2/ Le par soi2 : la nature du sujet
Avant de considérer l’interprétation qu’Averroès propose du par soi2, une
première remarque factuelle prouve d’emblée l’importance qu’il accorde à
cette notion. En effet, si Averroès consacre au par soi1 une vingtaine de lignes
de son commentaire, il dédie au par soi2 pas moins de sept pages de l’édition
Badawī. On voudrait montrer que l’importance que cette notion occupe dans
la théorie du savoir d’Averroès s’explique à la lumière de l’enjeu épistémique
que cette notion implique. C’est elle en effet qui constitue l’assise logique de
la démonstration du signe. En ce sens, le grand effort d’Averroès est de mon-
trer que ces prédicats, tout en n’étant pas constitutifs de l’essence du sujet, lui
sont véritablement essentiels et nécessaires. Pour ce faire, Averroès doit aller
au-delà de la lecture purement syntaxique que les textes d’Aristote semblent
attester et asseoir la nécessité de ces prédicats sur une analyse sémantique du
sujet. Il le fera, notamment, en posant une distinction entre « la substance »
du sujet et sa « nature » :
Puisque les prédicats essentiels (ḏātiyya) se disent de deux espèces : l’une est celle
des prédicats qui sont pris dans la définition des sujets (et ces prédicats se trouvent
dans la catégorie de la substance et dans chacune des autres catégories), <Aristote>
entreprend de mentionner la seconde classe de prédicats essentiels, à savoir celle qui
est le contraire de la première, je veux dire que ce sont les sujets qui sont pris dans
les définitions des prédicats. Et les prédicats de cette sorte ne sont que des accidents,
c’est pourquoi on les caractérise comme accidents essentiels. Quant au sujet, il se
trouve dans la catégorie de la substance et dans les autres catégories. Ils sont de deux
sortes : ou bien c’est le sujet lui-même qui est pris dans leur définition ou bien c’est
son genre ou le genre de son genre, tant que celui-ci ne dépasse le genre examiné, je
veux dire le genre de l’art dans lequel se trouve cet accident essentiel ; et ce qui est
pris ici se comporte comme une différence58.
Comme Aristote le suggérait, Averroès définit d’emblée les prédicats par soi2
par opposition aux prédicats par soi1, comme étant les prédicats dans la défi-
nition desquels rentre le sujet. Il précise aussitôt que cette seule distinction
ne suffit pas à rendre compte de la nature de ces prédicats. En effet, pour
les distinguer du premier type de prédicats par soi, il faut intégrer à cette
première opposition la division catégorielle qui distingue les prédicats dans
la catégorie de la substance des prédicats dans les autres catégories. Averroès
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explique ainsi que les prédicats par soi2 appartiennent toujours à des caté-
gories accidentelles, tandis que les prédicats du premier type en fonction de
leur sujet peuvent aussi se trouver dans la catégorie de la substance59. C’est
en raison de ces deux propriétés, à savoir le fait d’appartenir à la classe des
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Et de même, le pair et l’impair dans le nombre63, car tout nombre est soit pair soit
impair. […] Et son propos et les sujets de toutes ces choses sont pris dans leurs définitions
veut dire par les sujets ici le genre qui est divisé par ces accidents opposés d’une divi-
sion première et c’est le genre des sujets dont ces accidents sont prédiqués de façon
universelle. Et il n’a pas fourni d’exemple d’accidents dans la définition desquels sont
pris les sujets eux-mêmes, c’est-à-dire les propres, comme le rire pour l’homme et le
hennissement pour le cheval, car cela est manifeste64.
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dire que les prédicats appartenant à cette sous-classe (par exemple, le droit
ou le courbe, le pair ou l’impair) sont des prédicats par soi2 du sujet (sans
doute, telle ligne ou tel nombre), car le genre du sujet (à savoir la ligne et
le nombre) est divisé de ce prédicat et de son opposé (le droit et le courbe,
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le pair et l’impair) d’une division première. Dans ce cas, précise Averroès, les
prédicats par soi2 sont prédiqués du genre du sujet de façon universelle.
Les propres, nous dit Averroès, appartiennent à la seconde sous-classe de
prédicats par soi2, car c’est au sujet lui-même et non pas à son genre, que le
prédicat appartient. Dans ce cas, évidemment, la question de l’opposition ne
se pose pas, car le prédicat est coextensif au sujet. Aristote, nous dit Averroès,
ne fournit pas d’exemple de cette sous-classe. Il est, cependant, absolument
clair pour lui que les propres font partie des prédicats par soi2.
Averroès nous dit ensuite que la délimitation du sujet est par ailleurs
fondamentale, car elle définit le caractère épistémique des démonstrations
dans les prémisses desquelles ces prédicats se trouvent. Il assure ainsi
que l’« ascension générique » du sujet à son genre ne doit pas franchir la
limite fixée par le genre-sujet de la science dans laquelle on démontre65.
Averroès en explique les raisons dans une digression de son commentaire
des lignes 73 a37-73 b4 :
On pourrait ainsi croire que le genre pris dans la définition du prédicat n’a pas
comme condition de ne pas dépasser le genre de l’art, je veux dire de ne pas être
le genre de son genre, et c’est ce qu’estime Abū Naṣr <al-Fārābī>. En effet, il dit
dans son livre que les accidents essentiels sont soit premiers, et ce sont les accidents
dans lesquels se divise le genre de l’art en question, soit non premiers et ce sont les
accidents dans lesquels se divise le genre du genre de cet art. Mais cela est une erreur
manifeste. En effet, s’il y avait des accidents essentiels dans la définition desquels
était pris le genre du genre de l’art, il serait possible qu’il y en ait certains dans la
définition desquels soit pris le genre du genre du genre, jusqu’à parvenir au genre
suprême. Car il n’y a aucune différence entre le genre du genre de l’art et le genre du
genre qui l’outrepasse vers le haut quant au fait d’être chacun d’eux au-delà du genre
de l’art. Par conséquent, si on pouvait admettre que les accidents essentiels ou du
moins une partie d’eux étaient de cette sorte, les arts se mélangeraient et les accidents
essentiels seraient communs à plusieurs arts. Mais quand les choses partagent les
accidents essentiels, elles partagent les mêmes substances66, de sorte que des étants
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différents appartiendraient à une même nature. Or cela est le comble de l’absurde
et de l’impossible67.
de prédicats par soi2, non premiers, dans la définition desquels serait pris le
genre du genre-sujet de l’art en question68, Averroès assure qu’il faut fixer
clairement la limite de la remontée au genre-sujet. Les conséquences de ce
dépassement générique du côté du sujet seraient à la fois épistémologiques
et ontologiques.
D’un point de vue épistémologique, en effet, une fois admise la possibi-
lité de dépasser le genre-sujet, rien ne nous empêcherait de remonter jusqu’au
genre suprême du sujet. Il faudra alors admettre l’existence d’accidents essen-
tiels communs à plusieurs sciences. Pour cela même, cependant, en accord
avec la théorie de la démonstration, on n’aurait plus de cloisonnement réel
entre les différentes disciplines, qui perdraient du coup tout statut scienti-
fique69. D’un point de vue ontologique, en outre, si on pouvait dépasser le
genre-sujet, on serait également contraint d’admettre que les choses diffé-
rentes appartenant à ce genre suprême partageraient les mêmes propriétés
par soi2. Cela, toutefois, nous obligerait à admettre que des choses différentes
puissent appartenir à une même nature. Ce qui, conclut Averroès, est non
seulement faux, mais aussi absurde.
La raison pour laquelle des choses différentes ayant les mêmes prédicats
par soi2 appartiendraient à la même nature n’est pas immédiatement évi-
dente. Averroès nous dit que c’est parce que les choses qui « partagent les
accidents essentiels, partagent les mêmes substances ». Cette affirmation,
66. En traduisant avec le latin, cf. Averroès cordubensis In Aristotelis Posteriorum, f. 70 B.
Cette leçon est confirmée par la traduction arabo-hébraÏque.
67. Averroès, GC An. Post. I, p. 220, 21-221, 11.
68. Al-Fārābī, Kitāb al-Burhān, p. 30, 4-5, 7-13 ; 31, 11-32, 22.
69. Je laisse ici de côté la question du type de savoir auquel pourraient appartenir
les prémisses communes à plusieurs genre-sujets. Dans la suite du commentaire, Averroès
semble laisser ouverte la possibilité qu’un tel savoir existe, sans toutefois qu’on puisse consi-
dérer ces prémisses communes comme appropriées (Averroès, GC An. Post. I, p. 221, 12-17).
Il est évident qu’une telle question est d’une importance capitale dans la définition de la
science métaphysique. Sur cette question, voir M. Di Giovanni, « Averroes and the Logical
Status of Metaphysics », dans M. Cameron et J. Marenbon (eds.), Methods and Methodologies.
Aristotelian Logic East and West, 500-1500, Brill, Leiden-Boston, 2010, pp. 53-74.
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6 avril 2016 10:14 -Philosophie arabe - Collectif - Études philosophiques - 155 x 240 - page 238 / 312 6 avri
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lignes 73 b16-25, au moment où Aristote, d’après Averroès, affirme que seuls
les deux types de prédicats par soi1 et par soi2 ont trait à la démonstration et
en explique les raisons :
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Et <Aristote> n’a dit Ceux-ci en effet sont à la fois nécessaires et essentiels que parce
que tout essentiel n’est pas nécessaire, non pas parce que tout nécessaire n’est pas
essentiel, comme le croit Abū Naṣr <al-Fārābī>. En effet, l’opinion d’Aristote est
le contraire de celle-ci, je veux dire que tout nécessaire est essentiel, comme cela va
devenir manifeste après. Et après avoir informé que dans le cas de ces <prédicats>
l’essentiel est nécessaire, il en fournit la cause, en affirmant parce que leur apparte-
nance aux sujets est nécessaire et il veut dire que ces accidents essentiels sont néces-
saires par opposition aux accidents essentiels non nécessaires, je veux dire la plus
grande partie, comme la canitie dans l’homme, par le fait que l’appartenance de ces
accidents à leurs sujets est quelque chose de nécessaire qui ne peut être soustrait à
leur sujet70.
Et après avoir évoqué que l’appartenance de ces accidents à leurs sujets est néces-
saire, il en fournit la cause, en affirmant Et chacun des deux opposés se trouve dans la
ligne : soit le droit soit le courbe ; et dans le nombre : le pair et l’impair, et il veut dire
l’appartenance à leurs sujets n’est nécessaire que parce que chacun d’eux avec son
opposé est compris dans le sujet et par cela le sujet est divisé par ces <deux opposés>
d’une division première, comme le courbe et le droit sont compris dans la nature
de la ligne et l’impair et le pair dans la nature du nombre. En effet, toute ligne est
soit droite, soit courbe. Et ce qui est ici mentionné fournit la différence entre les
accidents essentiels et non essentiels. C’est pourquoi quand nous ne comprenons pas
cette délimitation, nous ne réalisons pas que ces accidents sont essentiels. C’est pour-
quoi quand des accidents appartiennent à quelque chose et que <leur opposition>
n’est pas comprise dans le genre de cette chose dont ces accidents se prédiquent ou
bien qu’elle ne lui est pas appropriée, ces accidents n’appartiennent pas par soi à ce
dont ils se prédiquent71.
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dicats par soi2 prouve le caractère problématique de ce type de prédicats.
Averroès nous dit que, dans leur cas, le caractère nécessaire de leur lien au
sujet est moins évident, mais ne doit pas être remis en cause. Il explique ainsi
que leur nécessité vient du fait que chacun d’eux avec son opposé est compris
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dans le sujet qui est divisé de ces deux prédicats opposés d’une division pre-
mière. Il assure aussitôt que cela revient à dire que les prédicats dans leur
opposition sont délimités par « la nature » (al-ṭabῑʿa) du sujet.
Pour qu’il y ait nécessité et pour que ce lien se révèle à nous, nous dit
Averroès, il faut impérativement que les prédicats par soi2 soient compris
dans la nature du sujet, de sorte que ces prédicats divisent le sujet d’une divi-
sion première. Même si Averroès ne reprend pas l’ensemble du textus dans
le corps de son commentaire, cette idée est déjà présente dans la traduction
arabe. En correspondance des lignes b20-21, le traducteur arabe ajoute en
effet la phrase « l’opposition <de ces prédicats> se trouve dans la nature de ce qui
reçoit l’opposition », absente du texte grec.
La nécessité des prédicats par soi2, conclut donc Averroès, repose sur une
analyse sémantique du sujet de la prédication. La condition de co-extensivité
peut, à la limite, suffire pour expliquer la nécessité des propres, mais non
pas la nécessité de l’autre sous-classe de prédicats par soi2. Pour prouver que
ces prédicats sont véritablement nécessaires, il faut montrer qu’ils respectent
cette condition qu’on peut appeler « sémantique », c’est-à-dire montrer qu’ils
divisent le genre du sujet d’une division première.
Un passage du GC à An. Post. I 13 nous confirme que la nécessité des
prédicats par soi2 implique le respect de cette condition « sémantique » et il
nous révèle en même temps la cible polémique ultime d’Averroès72. Dans
le chapitre I 13, Aristote discute de la possibilité de convertir un syllogisme
du fait en un syllogisme du pourquoi. Il affirme que cette convertibilité est
possible à la condition que les prédicats, dont les rôles sont invertis dans
les deux syllogismes, soient réciprocables. En correspondance du deuxième
exemple donné par Aristote à propos de cette convertibilité, à savoir celui
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totalité du sujet seulement en vertu de « ce qu’on voit par le sens », comme
le noir pour le corbeau ou le blanc pour la neige75. Les prémisses du signe,
pour le dire autrement, n’ont pas de véritable nécessité, car la seule possibi-
lité qu’on a de prouver leur universalité repose sur une connaissance senso-
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Conclusion
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substitue à une lecture purement extensionnelle des propriétés par soi, une
lecture intensionnelle et fonde sur celle-ci sa défense de l’inférence qui nous
permet de remonter des propriétés liées à la nature du sujet aux causes de
ces propriétés et du sujet lui-même : le signe. En préservant la nécessité des
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Cristina Cerami
(CNRS, Paris : UMR 7219/SPHERE)
* Je tiens à remercier Silvia Di Donato pour ses suggestions et pour avoir comparé
les textes arabes avec la traduction hébraÏque, ainsi que Ziad Bou Akl pour ses conseils et
remarques.