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de l’affaire Tapie. Depuis le 25 février de cette


année 2005, c’est Thierry Breton qui est ministre des
Affaire Tapie : Mediapart retrouve la note
finances. À l’époque, quand il entre en fonction à
disparue de Bercy la tête de Bercy, l’affaire Tapie ne fait encore guère
PAR LAURENT MAUDUIT
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 28 MARS 2013 de vagues. Le consortium de réalisation (CDR, la
structure publique dans laquelle ont été cantonnés, en
Une note secrète de Bercy, établie en 2005 par trois
1995, les actifs douteux du Crédit lyonnais) a gagné
« sages », recommandait à l'État de refuser toute
son procès en première instance face à Bernard Tapie
transaction avec Bernard Tapie, si celle-ci devait
et attend donc l'appel avec sérénité.
aboutir à une indemnité supérieure à 145 millions
d'euros ou si une fraction de cette somme devait Quand la cour d'appel se prononce, le 30 septembre
tomber, en net, dans sa poche. Mediapart publie ce 2005, c’est un séisme à Bercy : l'arrêt estime que
document qui ruine la défense de Christine Lagarde. des fautes ont été commises par le Crédit lyonnais
lors de la revente en 1994 du groupe Adidas pour le
Dans un article récent, Mediapart révélait l’existence
compte de Bernard Tapie et que celui-ci a été lésé. La
d’une note secrète, en possession du ministère des
cour d’appel condamne le CDR à verser 135 millions
finances, susceptible de ruiner la défense de la
d’euros à Bernard Tapie – 135 millions qui sont en
directrice générale du Fonds monétaire international
fait 145 millions, car l'arrêt a commis une erreur dans
(FMI), qui est visée par une enquête de la Cour de
l’addition des dommages retenus.
justice de la République (CJR), pour « complicité
de faux » et « complicité de détournement de fonds À l’époque, le ministre des finances a donc un choix
publics » (lire Tapie : la note secrète qui ruine la difficile à faire, car il est soumis à une double pression
défense de Lagarde). Mais cette note, dont ne dispose contradictoire. D’un côté, il y a le patron de l’époque
pas la justice, nous n’avions pas pu à l’époque en du CDR, Jean-Pierre Aubert (qui est le filleul de
publier le fac-similé car nous n’avions pas pu consulter François Mitterrand), qui veut à tout prix se pourvoir
le document original. Après avoir frappé, en vain, à en cassation – mais Thierry Breton peut naturellement
de nombreuses portes au ministère des finances pour être circonspect, car l'arrêt de la cour d'appel lui a fait
obtenir ce document, nous n’en avions donc publié que comprendre que le dossier était juridiquement moins
les principaux extraits. solide que ce qu’on lui avait dit. Et puis de l’autre, il y a
le ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, et son bras
Cette note, qui est en fait une lettre d’une page et que
droit Claude Guéant, qui font le siège de Bercy pour
personne n’a voulu ou pu nous fournir à Bercy, nous
défendre les intérêts de Bernard Tapie et promouvoir
avons pourtant fini par la retrouver. La voici :
une solution à son avantage.
Sur mediapart.fr, un objet graphique est disponible à cet endroit.
Pour sortir de ce guêpier et rendre une décision
Dans notre précédent article, nous expliquions incontestable, Thierry Breton a donc l’idée, en
l’importance de ce document. Celui-ci établit que novembre 2005, de constituer un groupe de
Christine Lagarde a choisi délibérément une procédure personnalités chargées d’étudier toutes les pièces
de règlement du contentieux Tapie-Crédit lyonnais, en du dossier et de formuler une recommandation
sachant à l’avance qu’elle serait contraire aux intérêts traçant, entre les différentes options possibles – de
de l’État et à ceux des contribuables. En clair, cette la transaction avec Bernard Tapie au pourvoi en
note confirme que Christine Lagarde a commis des cassation – celle qui correspond le mieux aux intérêts
fautes majeures, qui ont fait le jeu de Bernard Tapie. de l’État.
Cette note, qui, à ce jour, n’a jamais été rendue La constitution de ce groupe ne sera rendue publique
publique, date de 2005. Pour en comprendre que quelque temps plus tard, le 16 décembre 2005,
l’importance, il faut se replacer dans le contexte par un communiqué de presse du ministère des

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finances. On trouvera ci-dessous une reproduction de C’est ce qu’ils font, avant même l’échéance prévue.
ce communiqué, qui peut par ailleurs être toujours Le 22 décembre 2005, ils remettent donc au ministre
consulté sur le site Internet de l’Agence des des finances cette courte lettre qui présente leurs
participations de l’État (APE). recommandations et que nous avons donc retrouvée.
Et c’est cette lettre qui risque de ruiner aujourd’hui
la défense de Christine Lagarde. Elle fixe en quelque
sorte le code de bonne conduite auquel le ministre des
finances de l’époque – ou ses successeurs – ne doit pas
déroger. En clair, elle n’indique pas la voie à suivre,
mais trace les lignes jaunes à ne pas franchir. Or ce
sont précisément ces lignes jaunes qui ont ensuite été
allègrement franchies par Christine Lagarde.
Dans cette lettre, les trois chargés de mission ne disent
pas que la voie judiciaire est la seule possible pour
l’État. « Si un pourvoi en cassation contre l’arrêt de
Aucun « versement en numéraire à Bernard la cour d’appel de Paris du 30 septembre 2005 peut
Tapie » s’appuyer sur des arguments sérieux, les contentieux
passés afférents à ce dossier montrent toutefois que la
Dans ce communiqué, on apprend que « le groupe des
voie judiciaire n’est pas exempte d’aléas », écrivent-
trois hautes personnalités indépendantes est composé
ils.
de MM. Jean-Marie Coulon, ancien premier président
de la cour d’appel de Paris, Philippe Rouvillois, Et c’est à ce point de leur raisonnement que la
inspecteur général des finances honoraire (et ancien note revêt une grande importance car voici ce
président de la SNCF – ndlr), et Bernard Cieutat, qu’ajoutent les trois auteurs : « Dans ces conditions,
ancien président de chambre à la Cour des comptes». la recherche d’une solution transactionnelle nous
apparaît envisageable du point de vue des intérêts
La composition de ce groupe de personnalités au-
de l’État, à trois conditions : 1. Qu’elle permette
dessus de tout soupçon marque une rupture dans la
d’éteindre tous les contentieux liés directement ou
gestion par l’État de ce dossier difficile et embrouillé.
indirectement à cette affaire (y compris les actions
Alors que dans les années antérieures, sous Laurent
engagées par les actionnaires minoritaires de CEDP)
Fabius comme sous Nicolas Sarkozy, Bernard Tapie a
(la CEDP est l’un des holdings du groupe Tapie,
fait le siège de Bercy, pour la première fois un ministre
rebaptisée ultérieurement Bernard Tapie Finances –
des finances trouve le bon moyen pour faire cesser les
ndlr) ; 2. Qu’elle permette de clore la liquidation sans
manigances dans les coulisses du ministère et arrêter
pour autant entraîner de versement en numéraire à M.
une stratégie irréprochable.
Bernard Tapie ; 3. Qu’en tout état de cause, le montant
Les trois « hautes personnalités » – sorte d’arbitres des sommes abandonnées ou versées à la liquidation
avant l’heure – ont carte blanche. Elles peuvent pour solde de tous comptes net de la fiscalité sur
accéder à toutes les pièces du dossier pour se forger la transaction reste en deçà de la condamnation
une conviction. Leur seule obligation est de formuler au principal fixé par l’arrêt du 30 septembre 2005,
une recommandation avant la mi-janvier 2006, date en prenant en compte l’erreur matérielle qu’elle
butoir avant laquelle le CDR et son actionnaire à comporte. »
100 %, l’Établissement public de financement et de
À l’époque où elle est remise à Thierry Breton, la
restructuration (EPFR), doivent se prononcer sur un
note a une double utilité. Elle éclaire le ministre des
éventuel pourvoi en cassation.
finances sur ce qu’il convient de faire à court terme.

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Et comme Bernard Tapie ne sollicite dans les jours qui la voie de l’arbitrage, alors que ses services, et
suivent aucune transaction, le CDR obtient le feu vert tout particulièrement l’Agence des participations de
pour introduire un pourvoi devant la Cour de cassation. l’État, y étaient opposés, au motif que le recours
Un pourvoi très opportun puisque finalement, en 2006, à l’arbitrage pouvait s’avérer illégal en matière de
la Cour de cassation annulera partiellement l'arrêt finances publiques. Au motif aussi que la Cour de
rendu en appel, l’estimant beaucoup trop favorable à cassation avait si nettement encadré les choses que
Bernard Tapie. Mais, surtout, la note fixe la feuille de la confrontation judiciaire était en train de tourner à
route de la puissance publique pour l’avenir. l’avantage du CDR et qu’il suffisait de laisser la justice
Les trois personnalités ne déconseillent pas à l’État ordinaire achever son travail.
d’accepter une solution transactionnelle avec Bernard Mais Christine Lagarde n’a jamais considéré que
Tapie, mais à une première condition impérative : cette cet argument était solide. Et dans sa défense, elle a
transaction devra être encadrée de telle sorte que les toujours fait valoir que l’arbitrage était une procédure
sommes éventuellement versées par le CDR au groupe amiable, qui présentait de forts avantages. La note
de Bernard Tapie, à l’époque en faillite, permettent secrète de 2005 permet de la prendre au mot et d’établir
de clore la liquidation, sans que, en bout de course, qu’envers et contre tout, elle n’a veillé à établir aucun
de l’argent ne tombe dans la poche de Bernard Tapie. des garde-fous qui étaient dans ce cas-là nécessaires.
C'est dit clair et net : aucun « versement en numéraire Imaginons en effet que Christine Lagarde était de
à Bernard Tapie » ! Les trois « sages » valident donc bonne foi et que le recours à l’arbitrage a été
ce qui est à l’époque la stratégie du CDR vis-à-vis envisagé sans arrière-pensées ni manigances. Dans
de Bernard Tapie, connue sous ce mot d’ordre : « Ni cette hypothèse, la note de 2005 dit alors les assurances
failli ! Ni enrichi ! » que la ministre des finances aurait dû prendre
Les fautes de Christine Lagarde pour encadrer l’arbitrage. Elle aurait dû donner des
Et la seconde condition fixée par les trois personnalités instructions écrites aux représentants de l’État siégeant
est, avec le recul, tout aussi importante, car ils disent au sein de l’EPFR, actionnaire à 100 % du CDR,
qu’en cas de transaction, un autre encadrement devra pour qu’ils ne donnent leur feu vert à l'arbitrage
être prévu, de telle sorte que cette transaction « reste qu’à deux conditions impératives : que le compromis
en deçà de la condamnation au principal fixée par d’arbitrage signé par les parties prévoie explicitement
l’arrêt du 30 septembre 2005, en prenant en compte que les indemnités éventuelles allouées à la liquidation
l’erreur matérielle qu’elle comporte ». Soit les 135 ne dépassent pas 145 millions d’euros et qu’en net,
millions d’euros prévus par l'arrêt rendu en appel et Bernard Tapie ne gagne pas un sou dans l’opération.
les 10 millions d’erreur, soit un plafond total de 145 Du même coup, la note permet de cerner les fautes en
millions d’euros. cascade dont pourrait avoir à rendre compte Christine
Résumons. Si l’État accepte éventuellement une Lagarde devant la CJR. La première faute, c’est
transaction, édictent les trois « sages », celle-ci ne d’avoir accepté que le compromis d’arbitrage ne soit
devra jamais déboucher sur un versement au profit de pas encadré par ces deux garde-fous édictés en 2005.
la liquidation supérieur à 145 millions d’euros et pas Car au bout du compte, on sait ce qui advenu. Le
un seul centime ne devra tomber en net dans la poche compromis d’arbitrage – qui aurait été, de surcroît,
de Bernard Tapie. Limpide. contrefait après son adoption par le CDR, selon la Cour
des comptes – a seulement prévu (si l’on peut dire !)
Du même coup, on comprend mieux pourquoi que le plafond… de l’indemnité au titre du préjudice
Christine Lagarde va se trouver dans une position moral ne devrait pas dépasser la somme de 50 millions
pour le moins inconfortable, quand elle sera interrogée
par les magistrats de la CJR. D’abord parce
qu’elle devra expliquer pourquoi elle a privilégié

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d’euros. En clair, la directive « Ni failli ! Ni enrichi ! » administration, celles de deux des avocats consultés, et
a été violée. Et pas le moindre plafond n’a été instauré a donné des instructions écrites allant à l’inverse pour
pour l’indemnité principale. que les représentants de l’État écartent l’éventuelle
Bafouant sans vergogne, et avec l’accord de la ministre introduction d’un recours contre la sentence.
des finances, les recommandations des trois « sages », La troisième faute est tout aussi flagrante. Apprenant
les arbitres ont pour finir alloué une indemnité totale à à l’automne 2008 que l’un des arbitres avait manqué à
Bernard Tapie de 403 millions d’euros, dont 240 à 300 ses obligations de révélations étendues et n’avait pas
millions d’euros en net sont tombés dans sa poche. affiché les trois arbitrages auxquels il avait procédé
À l’aune de cette note confidentielle, la deuxième dans le passé avec Me Maurice Lantourne, l’avocat de
faute de Christine Lagarde tombe aussi sous le sens. Bernard Tapie, Christine Lagarde avait une nouvelle
Car, dans l’hypothèse, assez peu vraisemblable, où elle occasion, la dernière, de faire respecter les conseils
aurait pu être mal informée ou dans l’hypothèse, tout des trois personnalités. Ce manquement constituait
aussi peu crédible, où ses instructions n’auraient pas en effet un motif d’annulation de l’arbitrage, ce qui
été respectées, elle aurait pu se ressaisir, au lendemain aurait permis à Christine Lagarde de récupérer les
du 7 juillet 2008, quand elle a appris la somme 403 millions d'euros. Or, non seulement Christine
finalement allouée à Bernard Tapie. Et du même coup, Lagarde ne l’a pas fait jouer, mais de plus, elle a
arguant de la ligne de conduite recommandée à l’État caché au Parlement que ce motif d’annulation avait été
en 2005 par les trois « sages », elle aurait pu faire valoir découvert.
qu’elle donnait sur-le-champ des instructions écrites En bref, c’est comme si la note secrète de 2005
au représentant de l’État au conseil de l’EPFR, pour avait été passée à la broyeuse. Officiellement, on n’en
qu’ils votent en faveur de l’introduction d’un recours trouve plus trace. Et, de toutes façons, cela tombe
contre l’arbitrage. bien, parce que, à partir de 2007, à Bercy comme
Elle avait d’autant plus de raisons de le faire, que à l’Élysée, on n’avait plus la moindre envie d’en
deux des quatre avocats consultés à l’époque par respecter les recommandations. C'est ce qui vaut à
l’État recommandaient vivement l’introduction d’un Christine Lagarde d'être convoquée par la CJR et qui
tel recours – mais pas, il est vrai, Me Gilles August, pourrait entraîner une très probable mise en examen.
l’un des avocats du CDR, qui a fait récemment l’objet Boite noire
d’une perquisition (et qui se trouve par ailleurs être Cet article reprend une partie des explications
aujourd’hui le conseil de… Jérôme Cahuzac dans et de l'historique de l'affaire accompagnant notre
son affaire de compte non déclaré en Suisse). Or on enquête précédente, qui révélait une partie de la note
sait ce qu’il est finalement advenu : la ministre des confidentielle.
finances a balayé les recommandations de sa propre

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