Vous êtes sur la page 1sur 10

Votre document sur labase-lextenso.

fr - 11/06/2022 14:55 | UNIVERSITE BRETAGNE


OCCIDENTALE

Les conditions de travail après la loi de transformation


de la fonction publique : la recherche d'un équilibre
entre réorganisation du cadre de gestion des agents
et reconnaissance de nouveaux droits
Issu de Revue du droit public - n°1 - page 89
Date de parution : 01/01/2021
Id : RDP2021-1-007
Réf : RDP janv. 2021, p. 89
Auteur :

 Par Hélène Pauliat, Professeur de droit public Observatoire des mutations institutionnelles et
juridiques (OMIJ, Limoges)

La loi du 6 août 2019 est une loi de transformation de la fonction publique, mais elle s’inspire largement
de principes et règles applicables au secteur privé. Le constat a été fait sur les institutions, le recours aux
contractuels, la rupture conventionnelle… La structure même de la loi appelle quelques remarques : le
titre II souhaite « transformer et simplifier la gestion des ressources humaines », tandis que le titre III
s’attache à « simplifier le cadre de gestion des agents publics », ce qui, on l’avouera volontiers, n’établit
pas une distinction claire… Certaines dispositions peinent alors à trouver leur place dans une logique
législative peu accessible. Pour autant, même si les débats parlementaires n’ont pas permis de mettre en
exergue une réelle cohérence d’ensemble du texte, la loi redéfinit largement les conditions de travail des
fonctionnaires et des agents publics, en tentant de concilier des impératifs quelque peu antagonistes : la
simplification voulue du cadre de gestion, qui en réalité apparaît comme un rappel de certaines
obligations parfois oubliées ou écartées, s’accompagne de la reconnaissance de nouveaux droits aux
agents de la fonction publique.

Ainsi le resserrement des conditions d’exercice des fonctions est-il tempéré par des mécanismes
nouveaux d’accompagnement des agents, pour mieux tenir compte de leurs contraintes personnelles et
familiales ; l’on pourrait presque parler de « fonction publique à visage humain »… ; ce faisant, le droit
de la fonction publique s’oriente davantage vers un droit des ressources humaines, plus individualisé mais
dans un cadre générique qui demeure statutaire. La réorganisation du cadre de travail du fonctionnaire (I)
s’accompagne dès lors d’une prise en compte de la personne du fonctionnaire (II).

I. — UNE RÉORGANISATION DU CADRE DE


TRAVAIL DU FONCTIONNAIRE
Compte tenu des errements que l’on a pu connaître, plusieurs rapports pointant les dérives de certaines
structures publiques, la loi insiste sur la réorganisation du temps de travail, alors que la durée paraissait
acquise (A) ; mais alors que ce rappel aux règles, doublé d’une mise en parallèle avec le secteur privé,
apparaît comme une rigidité du système, le texte de 2019 ouvre quelques perspectives pour une
renégociation raisonnée des conditions de travail dans l’administration publique (B).

A. — Une réorganisation nécessaire du temps de travail


Le temps de travail fait partie de ces questions que les directions des ressources humaines envisagent avec
beaucoup de précautions tant le domaine est sensible… La loi de 2019 harmonise la durée légale du
temps de travail (1), tout en permettant certains aménagements justifiés (2).
1. Une durée de travail législativement harmonisée
Les textes relatifs à la durée de travail dans la fonction publique fixent la durée légale à 1 607 heures
annuelles soit 35 heures par semaine1. Plusieurs rapports ont cependant insisté sur la méconnaissance de
cette obligation par de nombreux fonctionnaires, de l’État2 et des collectivités territoriales3. En 2016, la
mission conduite par M. Philippe Laurent évaluait à 1 627 heures la durée moyenne de travail annuel dans
la fonction publique de l’État, hors enseignants, magistrats, militaires et médecins hospitaliers. Elle
déplorait cependant la survivance, dans certaines administrations, de régimes plus favorables dépourvus
de base légale. Elle relevait surtout des disparités très sensibles, d’une administration à l’autre, dans la
compensation des sujétions particulières affectant certains emplois, notamment le travail nocturne ou
dominical. C’est pourquoi la mission concluait à la nécessité d’harmoniser les régimes dérogatoires pour
sujétions et d’en réexaminer la liste tous les 5 ans. La définition de ces régimes dérogatoires relève du
pouvoir réglementaire. La Cour des comptes, dans son rapport annuel 2016, relevait une moyenne
annuelle de 1 562 heures par an dans les collectivités territoriales françaises, la durée annuelle étant ainsi
rarement conforme à la réglementation. On note ainsi que les collectivités territoriales, principalement les
communes, perdent 1 à 2 semaines de travail par agent4. Les durées sont parfois très éloignées des
exigences légales5.

De nombreux abus étaient dénoncés, avec des aménagements du temps de travail ou des dérogations à la
durée légale en dehors de tout fondement juridique. Le législateur avait en effet autorisé les employeurs
territoriaux à maintenir en application, par décision expresse de leur organe délibérant prise après avis du
comité technique, les régimes plus favorables mis en place antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi
n° 2001-2 du 3 janvier 2001. La loi pose donc le principe général d’un temps de travail de 1 607 heures
annuelles, alignant ainsi le régime applicable aux fonctionnaires et agents publics sur celui des salariés du
secteur privé6. Pour la fonction publique territoriale, le texte prévoit d’étaler dans le temps le passage
définitif aux 1 607 heures annuelles : les régimes de travail plus favorables antérieurs à 2001 seront
abrogés, ce qui contribuera à l’harmonisation de la durée de travail dans l’ensemble de la fonction
publique. Les collectivités ou établissements concernés disposent d’un délai d’un an, à compter du
renouvellement de leurs assemblées délibérantes ou de leurs conseils d’administration, pour statuer sur les
règles relatives au temps de travail de leurs agents. Cette disposition s’applique immédiatement. Les
collectivités peuvent toutefois engager, dès le 8 août 2019, des négociations locales afin de définir les
nouvelles règles de travail. Le gouvernement remettra au Parlement, à l’issue du délai d’un an à compter
de la publication de la loi, un rapport sur les actions mises en œuvre pour se conformer à cette durée
légale pour la fonction publique de l’État. La durée légale doit cependant être respectée globalement ;
ainsi, un certain nombre d’études ont montré que la durée moyenne de temps de travail dans la fonction
publique de l’État était de 1 640 heures avec parfois des moyennes de 1 728 heures pour les agents
publics occupant un emploi à temps complet. L’harmonisation du temps de travail doit être appréhendée à
la fois s’agissant du plancher et du plafond.

2. Une durée de travail pragmatiquement aménagée


L’harmonisation ne signifie pas uniformisation totale ou interdiction de dérogations. Mais celles-ci
doivent être fondées sur un texte juridique clair. Ainsi la pratique du temps partiel7 peut être utilisée dans
le cadre d’un dispositif de retour à l’emploi après une maladie ou une longue maladie ; le gouvernement
est en effet habilité à prendre des ordonnances visant à étendre les possibilités de recours au temps partiel
pour raisons thérapeutiques8 ; le recours au télétravail, même ponctuel, prévu par la loi, lui ne doit pas
déroger à la durée du temps de travail, là encore pour faciliter l’exercice de ses missions par un agent. En
revanche, l’article 46 de la loi prévoit des aménagements horaires pour allaitement9, ce qui contribue à un
rapprochement avec les salariés du secteur privé et les dispositions du Code du travail10 : « Pendant une
année à compter du jour de la naissance, un fonctionnaire allaitant son enfant peut bénéficier d’un
aménagement horaire d’une heure maximum par jour, sous réserve des nécessités du service, et selon des
modalités définies par décret en Conseil d’État »11. Cette disposition apparaît classique au regard des
contraintes limitées qui s’imposent alors à l’employeur public.

B. — Une renégociation cantonnée des conditions de travail


Si la durée de travail doit être respectée, le législateur prend le prétexte de la loi et de la réflexion sur les
conditions de travail et ce cadre de gestion simplifié pour aborder un sujet très délicat, celui de la grève
dans les services publics locaux12 (1). La loi tente alors, pour la première fois, d’identifier des services
publics qui seraient essentiels à la vie du pays (2).

1. Une réforme du droit de grève dans les services publics locaux


Il est prévu que dans les collectivités territoriales et leurs établissements publics, l’autorité territoriale et
les organisations syndicales qui disposent d’au moins un siège dans les instances de participation puissent
engager des négociations en vue de la signature d’un accord visant à assurer la continuité d’un certain
nombre de services publics, « dont l’interruption en cas de grève des agents publics participant
directement à leur exécution contreviendrait au respect de l’ordre public, notamment à la salubrité
publique, ou aux besoins essentiels des usagers de ces services ». L’accord, qui doit déterminer les
fonctions et le nombre d’agents indispensables pour garantir la continuité du service, les conditions dans
lesquelles l’organisation du travail est adaptée et les agents présents affectés, sera approuvé par
l’assemblée délibérante. En l’absence de conclusion d’accord dans un délai de 12 mois après le début des
négociations, les services, les fonctions et le nombre d’agents indispensables pour garantir la continuité
du service sont déterminés par une délibération de l’organe délibérant. Le texte prévoit également les
modalités selon lesquelles les agents concernés doivent se déclarer grévistes, selon un mécanisme qui
correspond à celui qui est utilisé dans les transports terrestres de voyageurs et qui repose sur une
obligation d’information de l’employeur, sanctionnée disciplinairement13. Si l’exercice du droit de grève
en cours de service entraîne un risque de désordre manifeste dans l’exécution du service, l’autorité
territoriale peut imposer aux agents ayant décidé de faire grève d’exercer ce droit dès leur prise de service
et jusqu’à son terme, ce qui réduit la souplesse antérieure.

Cette disposition, qui ne paraissait pas s’imposer dans une loi de transformation de la fonction publique,
ne figurait pas dans le texte initial, mais a été introduite au Sénat lors des débats parlementaires. Cela a
été justifié par le fait que les textes législatifs encadraient l’exercice du droit de grève dans la fonction
publique de l’État et dans la fonction publique hospitalière, mais qu’aucun dispositif législatif n’existait
pour la fonction publique territoriale. Selon le sénateur auteur d’un amendement, « il faut prendre en
compte la réalité et la qualité du service public, ainsi que sa continuité ; il faut permettre le droit de grève
dans nos collectivités territoriales avec pour préalable l’information de l’autorité territoriale dans un délai
raisonnable, pour que celle-ci puisse s’organiser et remplir les missions qu’elle doit remplir pour répondre
aux attentes de nos concitoyens »14. L’objectif était donc de combler un vide juridique, mais aussi
d’éviter les grèves perlées, susceptibles de désorganiser le service public et de défavoriser grandement les
usagers ; le service de cantine scolaire a été largement évoqué lors des débats. Un effort est fait pour la
négociation et le dispositif est calqué sur les textes nationaux en matière de grève dans les transports.

2. Un champ d’application spécifique


La loi met cependant l’accent sur certains services publics, considérés comme essentiels : collecte et
traitement des déchets des ménages, transport public de personnes, aide aux personnes âgées et
handicapées, accueil des enfants de moins de 3 ans, accueil périscolaire, restauration collective et
scolaire. La condition pour encadrer l’exercice du droit de grève repose bien sur l’idée que l’interruption
du service contreviendrait au respect de l’ordre public, la salubrité publique ou aux besoins essentiels des
usagers.

Ces dispositions appellent deux remarques quant à l’influence d’une telle mesure sur le droit des services
publics et de l’action publique :

– d’une part, la loi semble déterminer elle-même ce qu’il faut entendre par services publics essentiels ou
fondamentaux, ce que les textes ne prévoient pas au niveau national, et alors même que certains États
européens ont identifié ce qui devait être considéré comme des services publics indispensables15… La
question se pose donc de savoir quels éléments ont été retenus pour donner une telle liste16, sachant que
ce ne sont pas nécessairement l’ensemble des missions des services publics cités qui doivent être prises en
compte, mais certaines parmi elles. Est-ce alors une première tentative effectuée par le législateur pour
parvenir à identifier un jour au niveau national les services publics indispensables, qui mériteraient que
soit organisé un service minimum ? Même si ce dernier terme a été utilisé lors des débats parlementaires,
il est clair que, comme au niveau national, il ne s’agit pas de créer un service minimum, mais un service
prévisible. Les propositions de loi continuent pourtant à fleurir pour imposer un véritable service
minimum dans les transports17… ;

– d’autre part, comment va-t-on pouvoir qualifier l’atteinte au respect des besoins essentiels des usagers ?
Autant le premier critère est relativement simple à envisager (pas de collecte des déchets, atteinte à la
salubrité publique), autant la notion de besoins essentiels apparaît très vague… Le juge administratif aura
ainsi à se prononcer sur cette notion pour en déterminer les contours. Et quels seront les agents concernés
puisque sont visés « ceux qui participent directement à l’exécution de ces services », ce qui renvoie à un
critère jurisprudentiel que l’on sait peu aisé à manier puisqu’il a été abandonné dans le contentieux du
recrutement contractuel des agents.

La réorganisation du cadre de travail des agents publics n’innove pas fondamentalement ; la loi opère plus
une remise en ordre et un rappel au respect des textes qu’elle ne crée des mécanismes nouveaux. En
revanche, la loi apparaît plus originale en ce qu’elle privilégie une approche de gestion des ressources
humaines plus qu’une approche statutaire, en appréhendant la personne du fonctionnaire au-delà de son
cadre de fonctions et de l’exercice de son activité professionnelle.

II. — UNE PRISE EN COMPTE DE LA


PERSONNE DU FONCTIONNAIRE
C’est en ce sens que l’esprit de la loi innove davantage que le texte même. La dimension individuelle,
personnelle de l’agent est en effet prise en compte. La réflexion porte sur le fait que le fonctionnaire ne
peut contribuer à une administration efficace, performante et en mesure de fournir des services de qualité
que s’il est lui-même dans des conditions de travail et personnelles satisfaisantes. C’est ainsi que le
fonctionnaire est appréhendé par la loi de 2019 dans son environnement général avec ses contraintes (A) ;
mais il est aussi accompagné dans l’évolution de sa vie personnelle qui peut avoir des répercussions sur sa
vie professionnelle, prenant en considération d’éventuels accidents de la vie (B).

A. — Un fonctionnaire appréhendé dans son environnement


général
Pour garantir la qualité de l’administration publique, il est nécessaire de veiller au bien-être du
fonctionnaire, à ses conditions de travail, à sa santé. C’est la raison pour laquelle le législateur a tenté de
renforcer les droits du fonctionnaire pendant des périodes de congés (1) ; mais, de manière plus
spécifique, il a essayé d’appréhender le fonctionnaire en tant qu’individu, en tenant compte de ses
contraintes personnelles et familiales, dans la mesure où elles peuvent avoir une incidence sur sa manière
de servir et son implication dans le service (2).

1. Un renforcement des droits pour certains congés


L’objectif de plusieurs dispositions éparses est de tenter de rééquilibrer les dispositifs pour arriver à des
déroulements de carrière équilibrés et pour ne pas pénaliser les fonctionnaires qui ont des enfants.

Le jour de carence en cas de congé maladie18 n’est plus applicable aux femmes enceintes dès le moment
où elles ont déclaré leur grossesse à leur employeur19, ce qui revêt une portée symbolique, mais pas
uniquement ; on prend en compte ainsi les désagréments éventuellement liés à cette situation et la gestion
de l’exercice de leurs activités par les femmes enceintes est assouplie.

Les droits à avancement et à promotion sont maintenus dans la limite d’une durée de 5 ans sur l’ensemble
de la carrière en cas de congé parental ou de disponibilité pour élever un enfant. De même, les régimes
indemnitaires versés aux fonctionnaires territoriaux sont maintenus de plein droit lors des congés de
maternité, de paternité et d’adoption20.
Ces deux mesures correspondent à des engagements de l’accord relatif à l’égalité professionnelle entre les
femmes et les hommes dans la fonction publique du 30 novembre 201821 et traduisent ainsi dans le droit
les fruits de la négociation.

2. Une activité tenant compte des contraintes familiales


L’article 45 de la loi harmonise le régime des autorisations spéciales d’absence (ASA) pour motifs
familiaux au profit des agents publics (fonctionnaires et contractuels des trois versants de la fonction
publique) fondé sur un référentiel commun : ces autorisations sont liées à la parentalité et à certains
événements familiaux. Cette disposition, introduite par un amendement à l’Assemblée nationale, est
bienvenue dans la mesure où la pluralité de textes applicables au sein de la fonction publique engendrait
une grande diversité de régimes et de pratiques qu’il était difficile de comprendre ou d’expliquer. De plus,
le décret auquel renvoyaient les dispositions de la loi du 26 janvier 1984 n’a jamais été pris et chaque
collectivité avait donc développé sa propre doctrine en la matière22. Un décret en Conseil d’État, qui
devait être publié début 2020, déterminera la liste des ASA, leurs conditions d’octroi, celles qui sont de
droit.

La loi innove surtout par l’instauration générale du congé de proche aidant23, également prévu par le
Code du travail. Ce congé peut être accordé à un fonctionnaire pour une durée de 3 mois renouvelable
dans la limite d’un an sur l’ensemble de la carrière lorsque l’un de ses proches, défini par référence au
Code du travail, présente un handicap ou une perte d’autonomie d’une particulière gravité. Ce congé peut
être fractionné ou pris sous la forme d’un temps partiel. L’agent ne perçoit pas de rémunération, mais ce
congé est assimilé à une période de service effectif et est pris en compte pour la constitution et la
liquidation des droits à pension. La rémunération est une question qui n’est pas tranchée de manière
définitive lors des débats parlementaires ; elle est prévue dans la loi de financement de la sécurité
sociale24 et sera mise en œuvre en octobre 202025. Des dispositions ont été mises en place pour les
salariés depuis la loi sur l’adaptation de la société au vieillissement du 28 décembre 201526 et précisées
en 2016… Il faut donc attendre plus de 3 ans pour que de tels mécanismes soient transposés à la fonction
publique, alors que les problématiques sont identiques ; elles sont liées à la personne du travailleur et non
à la particularité des missions ou métiers de la fonction publique.

B. — Un fonctionnaire accompagné en cas d’accident de la vie


La loi cherche à accompagner les agents publics et fonctionnaires tout au long de leur carrière
professionnelle. Des dispositifs particuliers sont ainsi mis en place pour tenter de prévenir l’usure
professionnelle (1), mais aussi pour trouver des solutions si l’agent n’est plus apte physiquement à
exercer ses fonctions (2). Le législateur conçoit alors la performance de l’Administration à travers le bien-
être et la capacité des agents à la rendre efficace.

1. Des dispositifs RH pour prévenir les difficultés de l’agent


La loi prévoit que les agents qui occupent des emplois présentant des risques d’usure professionnelle
bénéficient d’un entretien carrière, qui constitue un droit. Le texte prend donc en compte un élément
particulier, qui ne s’assimile ni à la pénibilité de la fonction, ni à la santé de l’agent directement, ni à l’âge
du fonctionnaire. L’usure professionnelle n’est pas cantonnée à l’altération de l’état physique d’un
fonctionnaire ou d’un agent ; elle peut être de nature psychique ou psychologique. Il est finalement
intéressant que la loi de transformation de la fonction publique arrive à énoncer la question et à tenter de
trouver une solution. C’est la première fois qu’un texte législatif reconnaît qu’il existe des carrières
longues, de plus en plus compte tenu de la durée de cotisations pour pouvoir obtenir une pension de
retraite complète, qui peuvent devenir pénibles27. Il faut donc prendre en compte le fait que l’agent, au
bout d’un certain nombre d’années, ne pourra plus être en mesure de remplir certaines fonctions. Il est
alors important pour les autorités administratives de pouvoir anticiper des évolutions de carrière, qui vont
nécessiter des reclassements. La gestion des ressources humaines est ici déterminante ; il ne faut pas que
ce reclassement soit perçu par l’agent comme un déclassement, une remise en cause ou un échec en
termes de carrière. Les DRH devront donc innover pour tenter de valoriser les perspectives de l’agent qui
se trouverait dans une telle situation. Il s’agit là d’une question de santé et de qualité de vie au travail, que
certaines collectivités territoriales ont essayé d’appréhender28.
2. Une prise en compte améliorée de l’inaptitude physique
Le droit à une période de préparation au reclassement de l’agent consacré, dans la fonction publique
territoriale29, subit des modifications quant au point de départ du délai, ce qui pose quelques difficultés
de calcul. Une formation pendant les congés est précisée ; en effet, selon l’article 40 de la loi, pendant son
congé pour raison de santé, « le fonctionnaire peut, sur la base du volontariat et avec l’accord de son
médecin traitant, suivre une formation ou un bilan de compétences »30. Cette possibilité, qui est à mettre
en lien avec une évolution professionnelle subie du fait de l’usure professionnelle, va permettre d’éviter
une procédure conduisant à un licenciement pour inaptitude physique. De manière plus générale, la loi
habilite le gouvernement à intervenir dans le domaine de la loi pour simplifier les règles relatives à
l’aptitude physique à l’entrée dans la fonction publique31.

La loi renforce les droits des agents en situation de handicap et non plus d’agents handicapés, le texte
imposant une modification de la terminologie32. Une priorité en matière de mutation leur est accordée33.
Le gouvernement est habilité à prendre par ordonnances des mesures visant à renforcer la formation des
agents les moins qualifiés, des agents en situation de handicap et des agents les plus exposés aux risques
d’usure professionnelle afin de favoriser leur évolution professionnelle34. Un chapitre est consacré dans
la loi à la nécessité de favoriser l’égalité professionnelle pour les travailleurs en situation de handicap.
Tout agent a le droit de consulter un référent handicap35, chargé de l’accompagner tout au long de sa
carrière et de coordonner les actions de l’employeur dans le domaine de l’accueil des personnels en
situation de handicap. En cas de changement de fonction, un agent en situation de handicap va pouvoir
conserver son environnement de travail adapté, ce qui lui permettra d’être directement opérationnel dans
ses nouvelles missions. La loi prévoit également de prendre en compte la situation de handicap dès le
recrutement dans la fonction publique, avec l’adaptation des épreuves des concours, par exemple, en
laissant un temps de repos nécessaire aux personnes concernées36. Une procédure de promotion
dérogatoire est mise en place pour les agents en situation de handicap37.

La loi apporte des innovations sur un certain nombre de points relatifs à la carrière du fonctionnaire. Elles
sont disséminées dans le texte, ce qui tend à faire perdre de vue la cohérence d’ensemble de ces
dispositions ; mais la ligne directrice demeure claire : tenter d’articuler le plus possible les dispositions du
droit de la fonction publique avec celles du secteur privé, ce qui peut avoir une influence favorable, et
prendre en compte l’agent public en tant qu’individu, pour accompagner ses évolutions de carrière en
fonction de ses contraintes et de ses évolutions personnelles et familiales. Un bilan serait intéressant à
réaliser dans 2 ou 3 ans !

1 –

(1) D. n° 2000-815, 25 août 2000 relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la
fonction publique de l’État et dans la magistrature ; circ. 31 mars 2017. Des aménagements sont possibles
selon les fonctions occupées par l’agent, CE, 20 févr. 2013, n° 351316, Union générale des fédérations de
fonctionnaires CGT : JCP A 2013, n° 21, note Jean-Pierre D. – V. Planchet P., « L’application des
35 heures dans la fonction publique territoriale », AJDA 2001, p. 1078 ; id., « L’annualisation du temps
de travail dans la fonction publique », RFDA 2001, p. 436.

2 –

(2) Jevakhoff A., Chartier J., Régimes dérogatoires aux 35 heures dans la fonction publique de l’État,
Rapport Inspection générale des finances (IGF), févr. 2019 ; v. Pauliat H., « Dérogations aux 35 heures
dans la fonction publique de l’État : des pratiques pas toujours justifiées ! », JCP A 2019, act. 286.

3 –

(3) Laurent P., Rapport sur le temps de travail dans la fonction publique, mai 2016, 1 570 heures pour la
fonction publique territoriale.

4 –
(4) Habchi H., « Gestion des ressources humaines dans les collectivités territoriales : les enseignements et
rapports d’observations des chambres régionales des comptes », JCP A 2018, p. 2308.

5 –

(5) Habchi H. (op. cit.) indique ainsi que les chambres régionales des comptes (CRC) soulignent une
durée de 1 530 heures (CRC Nouvelle-Aquitaine, Commune de Talence, 16 janv. 2017), 1 531 heures
(CRC Pays de la Loire, Commune d’Allonnes, 27 sept. 2017), 1 440 heures (CRC PACA, Communauté
d’agglomération du Grand Avignon, 11 juin 2018) ou encore 1 472 heures (CRC Auvergne Rhône Alpes,
Commune de Commentry, 17 oct. 2017), parfois avec le paiement d’heures supplémentaires…

6 –

(6) C. trav., art. L. 3121-27.

7 –

(7) D. n° 2004-777, 29 juill. 2004 relatif à la mise en œuvre du temps partiel dans la fonction publique
territoriale ; Jean-Pierre D., « Mise en œuvre du temps partiel dans la fonction publique territoriale »,
JCP A 2004, n° 38.

8 –

(8) L. n° 2019-828, 6 août 2019, art. 40, 4° ; Ord. n° 2020-1447, 25 nov. 2020, art. 9.

9 –

(9) Le décret permettant l’application concrète de cette possibilité n’a pas encore été édicté… et
l’article 44 de la loi n’a pas été inséré au sein du statut général de la fonction publique.

10 –

(10) C. trav., art. L. 1225-30 à L. 1225-33 et R. 1225-5 à R. 1225-7.

11 –

(11) La Cour de justice de l’Union européenne est attentive aux risques de discrimination pouvant peser
sur les femmes allaitantes (CJUE, 19 sept. 2018, n° C-41/17, Gonzalez Castro : JCP S 2018, 1321, note
Cavallini J. ; JCP A 2018, 2122, note Jean-Pierre D.).

12 –

(12) L. n° 2019-828, 6 août 2019, art. 56.

13 –

(13) L. n° 2007-1224, 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les
transports terrestres réguliers de voyageurs.

14 –

(14) Amendement n° 434.

15 –

(15) Ainsi, et pour aller au-delà de l’Union européenne, le Code du travail québécois indique qu’un
service public est considéré comme essentiel lorsque son absence représente un danger pour la santé ou
pour la sécurité de la population. Pour l’Italie, les services publics essentiels sont ceux ayant pour objet de
garantir la jouissance des droits de la personne protégés par la Constitution. Au Portugal, ce sont les
entreprises ou établissements dont l’activité a pour but de satisfaire des besoins sociaux absolument
nécessaires. Au Royaume-Uni, ce sont les activités qui permettent d’assurer à la communauté ce qui est
essentiel à la vie (v. Sénat, Service des affaires européennes, L’organisation d’un service minimum dans
les services publics en cas de grève, document de travail, janv. 1999).

16 –

(16) L’amendement sénatorial établissait une telle liste pour éviter une censure du Conseil constitutionnel
pour incompétence négative du législateur.

17 –

(17) Proposition de loi n° 166 (Sénat, 2019-2020) tendant à assurer l’effectivité du droit au transport, à
améliorer les droits des usagers et à répondre aux besoins essentiels du pays en cas de grève, texte adopté
par le Sénat le 4 février 2020.

18 –

(18) Ce jour de carence a été introduit dans la fonction publique par la loi n° 2011-1977 du 28 décembre
2011 de finances pour 2012, supprimé par l’article 126 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de
finances pour 2014 et rétabli par l’article 115 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances
pour 2018. L’article 8 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’état d’urgence sanitaire a suspendu son
application pendant la crise pour les fonctionnaires et pour les contractuels.

19 –

(19) L. n° 2019-828, 6 août 2019, art. 84.

20 –

(20) L. n° 2019-828, 6 août 2019, art. 29. Ce maintien des primes est déjà pratiqué dans les fonctions
publiques de l’État et hospitalière, et il s’agit ici de le généraliser pour le versant territorial.

21 –

(21) Pour le jour de carence non applicable à la femme enceinte, action 4.2 de l’accord ; pour la
conservation des droits à avancement et à promotion, action 3.4.

22 –

(22) V. Di Folco C. et Hervé L., Rapport du Sénat sur le projet de loi n° 570 (2018-2019), juin 2019,
article 17 ter du texte en discussion.

23 –

(23) L. n° 2019-828, 6 août 2019, art. 40 ; D. n° 2020-1557, 8 déc. 2020.

24 –

(24) L. n° 2019-1446, 24 déc. 2019 de financement pour la sécurité sociale, dont l’article 68 modifie le
CSS, art. L. 168-8 et s.

25 –
(25) À compter de cette date, le congé du proche aidant, fractionnable dans une limite de 3 mois et
renouvelable, sera rémunéré à hauteur de l’allocation journalière de présence parentale, soit 43 € par jour
pour les personnes vivant en couple et 52 € par jour pour une personne seule.

26 –

(26) L. n° 2015-1776, 28 déc. 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, art. 53 modifiant
C. trav., art. L. 3142-24.

27 –

(27) V. l’amendement CL568 déposé par M. Pascal Brindeau sur l’obligation de l’entretien en cas de
risque d’usure professionnelle (Rapport sur le projet de loi de transformation de la fonction publique, AN,
n° 1924, mai 2019, p. 477).

28 –

(28) Fréminville (de) S., « La mobilité préventive contre l’usure professionnelle », Gaz. cnes 22 juill.
2016, relatant l’expérience de la métropole de Toulouse.

29 –

(29) Ord. n° 2017-53, 19 janv. 2017 portant diverses dispositions relatives au compte personnel d’activité,
à la formation et à la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique ; D. n° 2019-172, 5 mars
2019 instituant une période de préparation au reclassement au profit des fonctionnaires territoriaux
reconnus inaptes à l’exercice de leurs fonctions ; note d’information, 30 juill. 2019.

30 –

(30) Statut de la fonction publique territoriale, art. 85-1 ; statut de la fonction publique d’État, art. 63.

31 –

(31) L. n° 2019-828, 6 août 2019, art. 40 : « Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution,
le gouvernement est habilité à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi visant
à […] 3° Simplifier les règles applicables aux agents publics relatives à l’aptitude physique à l’entrée
dans la fonction publique, aux différents congés et positions statutaires pour maladies d’origine non
professionnelle ou professionnelle ainsi qu’aux prérogatives et obligations professionnelles des agents
publics intervenant dans les dossiers d’accidents du travail et de maladies professionnelles ». Ces
ordonnances doivent être prises dans le délai de 12 mois à compter de la publication de la loi du 6 août
2019, v. Ord. n° 2020-1447, 25 nov. 2020.

32 –

(32) L. n° 2019-828, 6 août 2019, art. 92, qui modifie les statuts généraux de la fonction publique.

33 –

(33) L. n° 2019-828, 6 août 2019, art. 25.

34 –

(34) L. n° 2019-828, 6 août 2019, art. 59, 3°, ces ordonnances doivent être prises dans un délai de 18 mois
à compter de la publication de la loi du 6 août.

35 –
(35) L. n° 2019-828, 6 août 2019, art. 32 modifie sur ce point L. n° 83-634, 13 juill. 1983, art. 6 sexies.

36 –

(36) L. n° 2019-828, 6 août 2019, art. 32.

37 –

(37) L. n° 2019-828, 6 août 2019, art. 93.

Vous aimerez peut-être aussi