Directeur de la publication : Edwy Plenel

www.mediapart.fr
1

Or, le problème, c’est que Pierre Estoup, qui, selon

des sources concordantes, a joué un rôle décisif dans
Tapie : nouvel indice d'un arbitrage
la rédaction de la sentence arbitrale, alimente des
frauduleux soupçons depuis de longs mois. Sentant que l’arbitre
PAR LAURENT MAUDUIT
ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 28 MAI 2013 est peut-être le maillon faible de l’histoire qui a fait
sa fortune, Bernard Tapie répète à qui veut l’entendre
La justice a sans doute mis la main sur un nouvel
qu’il ne le connaissait pas avant que le tribunal arbitral
indice décisif qui pourrait lui permettre d’établir la
ne soit composé. Il l’a ainsi redit sur Europe 1 (à
preuve que l’arbitrage en faveur de Bernard Tapie a
écouter ci-dessous, à partir de 4’15’’), le 23 mai
été arrangé. À la suite d’une perquisition effectuée le
dernier, le jour où commençaient les auditions de
14 mai dernier dans l’une des résidences secondaires
Christine Lagarde devant la Cour de justice de la
de l’un des trois arbitres, Pierre Estoup, les policiers
République (CJR) :
ont en effet saisi un livre de Bernard Tapie, avec une
dédicace à Pierre Estoup datée du 10 juin 1998, alors Vidéo disponible sur mediapart.fr

que l’homme d’affaires avait toujours prétendu qu’il

ne connaissait pas l’arbitre, et que ledit arbitre avait
signé avant l’arbitrage un document attestant qu’il
n’était lié à aucune des parties en conflit.

— « Un arbitre aurait pu être proche de vous ? »

Bernard Tapie © Reuters
On ne peut donc pas exclure que cette dédicace
constitue un rebondissement majeur dans la longue
histoire du scandale Tapie, conduisant éventuellement
à une procédure en révision de l’arbitrage, qui pourrait
déboucher sur l’obligation faite à Bernard Tapie de
rembourser les 403 millions d’euros publics qu’il a
perçus, au terme de la sentence rendue le 7 juillet 2008.
C’est le site Internet de L’Express, dans un article à
paraître dans l’hebdomadaire, qui révèle la trouvaille
de la police : « Lors d'une perquisition effectuée le 14
mai à l'un des domiciles de cet ancien magistrat de
haut rang, les policiers ont saisi un livre de Bernard
Tapie dédicacé de sa main le 10 juin 1998. Ces
quelques lignes manuscrites ne laissent guère de doute
sur la proximité entre les deux hommes. Tapie y loue le
“courage” du “Président Estoup”, l'assurant même de
son “infinie reconnaissance”. En complément, il écrit :
“je vous remercie avec toute mon affection”. »
demande-t-on à Bernard Tapie.
— « Pourquoi vous dites cela ? Je ne l’ai jamais connu
de ma vie. (…) Je ne l’ai jamais connu avant. Je ne
savais pas qui c’était », rétorque Bernard Tapie.
Et le même Bernard Tapie répète à peu près la
même chose le lendemain, 24 mai, à l’occasion
d’un entretien avec Le Parisien. Or, s’il insiste sur
le fait qu’il ne connaissait pas l’arbitre, c’est que
ce point risque de s’avérer décisif. En amont de
l’arbitrage, pour attester de leur indépendance, tous
les arbitres doivent en effet signer un engagement de
révélation, au terme duquel ils doivent dire s’ils ont
eu une relation d’affaires ou de travail avec l’une des
parties en confrontation – dans le cas présent, soit
Bernard Tapie, soit son adversaire, le Consortium de
réalisation (CDR, la structure publique dans laquelle
ont été cantonnés en 1995 les actifs douteux de l’ex-
Crédit lyonnais). Dans le cas du scandale Tapie, cette
exigence a même été durcie, puisque les trois arbitres
ont été soumis à une obligation de révélation étendue,
puisqu’ils étaient contraints de révéler s’ils avaient eu
aussi des relations du même type avec les avocats des
parties.

1/3
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
La dédicace embarrassante
Or, on sait que Pierre Estoup avait déjà manqué à
cette obligation de révélation étendue. Révélé par
Mediapart le 21 mai 2011 (lire Affaire Tapie :
le rapport secret qui accable Christine Lagarde),
le rapport de la Cour des comptes établissait très
clairement que l’arbitre avait masqué le fait qu’il avait
eu dans le passé des relations de travail avec l’avocat
de Bernard Tapie, Me Maurice Lantourne. On peut le
vérifier dans ce rapport de la Cour des comptes, ci-
dessous, aux pages 31 et 32 :
On a ainsi appris, à la suite de la publication de
ce rapport que, dans le passé, Pierre Estoup avait
participé à trois autres arbitrages, dont Me Lantourne
était aussi partie. C’est d’ailleurs l’un des points sur
lesquels Christine Lagarde est mise en difficulté, car il
s’agissait d’un motif de récusation de cet arbitre, qui
avait ainsi manqué à son obligation de transparence.
Et ce motif de récusation pouvait conduire à une
annulation de la sentence. Or, non seulement l’ex-
ministre des finances n’a pas fait jouer ce motif de
récusation, mais de surcroît, elle a caché au Parlement
ce fait gravissime.
Le soupçon d’arbitrage arrangé s’épaissit donc d’un
seul coup s’il s’avère que Pierre Estoup ne connaissait
pas seulement Me Maurice Lantourne – car après tout,
tous deux sont des habitués des procédures d’arbitrage
et il n’est pas surprenant que leurs chemins se soient
croisés – mais aussi Bernard Tapie.
Interrogé par L’Express, Bernard Tapie assure que
cette dédicace n’a rien de compromettant : « Le 10 juin
1998, reconnaissez que c'est très loin de l'arbitrage
de 2008... Heureusement que je n'ai pas rédigé cette
dédicace après l'arbitrage, on m'aurait accusé de
le remercier pour cela ! Je maintiens que je ne
connaissais pas Estoup. C'est un avocat qui m'avait
demandé cette dédicace pour lui, parce qu'il avait été
remarquable dans je ne sais plus quelle affaire. J'ai
accepté de la rédiger, comme je l'ai fait des dizaines de
fois, comme le font tous ceux qui rédigent un livre. Les
intéressés pourront le confirmer à la police si elle le
souhaite. Par ailleurs, si Pierre Estoup avait quelque
2/3
2
chose à cacher sur ses relations avec Bernard Tapie,
il n'aurait pas gardé un livre de moi avec une telle
dédicace », fait-il valoir.
Il n’empêche ! Les trois juges qui enquêtent sur
l’affaire risquent de prolonger leurs investigations
pour comprendre pourquoi Bernard Tapie manifeste
dans cette dédicace à Pierre Estoup son « infinie
reconnaissance » – ce n’est pas le genre de choses
que l’on écrit à un lecteur inconnu – ni pourquoi il
s’autorise même à lui dire son « affection » – il faut là
encore bien se connaître pour user de telles formules
qui révèlent en général une forte intimité.
D’un seul coup, c’est peut-être tout l’édifice de
l’arbitrage qui va être ébranlé. Car, comme l’a
expliqué récemment, dans un entretien vidéo avec
Mediapart, le professeur de droit Thomas Clay (lire
Tapie : pourquoi un recours en révision est
urgent !), les délais de recours contre l’arbitrage sont
dépassés, sauf s’il apparaît un élément frauduleux
inconnu au moment de l’arbitrage, attestant que
celui-ci aurait pu ne pas être régulier. Dans cette
hypothèse, nous expliquait le juriste, le CDR aurait
intérêt à se porter partie civile dans l’information
judiciaire actuelle – celle-là même qui a conduit aux
perquisitions – car le CDR aurait alors accès au dossier
de l’instruction et pourrait vérifier s’il existe bel et bien
un élément frauduleux, ce qui pourrait lui permettre,
dans un second temps, d’introduire un recours en
révision contre l’arbitrage devant la Cour d’appel
de Paris. C’est cette procédure qui pourrait un jour
contraindre éventuellement Bernard Tapie à rendre
son magot de 403 millions d’euros.
Un arbitrage pour André Tarallo et Omar
Bongo
On comprend donc l’intérêt décisif de cette découverte
faite lors de cette perquisition chez Pierre Estoup.
S’agit-il de l’élément décisif qui pourrait ouvrir la
voie à un recours en révision ? À tout le moins, c’est
un tremblement de terre pour Bernard Tapie car les
juges d’instruction vont vérifier ce qui les liait dans le
passé. Et ces recherches risquent fort de déboucher sur
d'autres révélations, car cela va toujours beaucoup plus
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
vite lorsque l’on sait ce qu’il faut trouver. Au bout de
ces vérifications, sinon dans cette dédicace elle-même,
il y va peut-être de la remise en cause de l’arbitrage.
Cette nouvelle mise en cause de Pierre Estoup n’est pas
faite pour surprendre. Dans les jours qui suivaient la
sentence, Mediapart mettait en ligne, le 24 juillet 2008,
une longue enquête sur lui, révélant qu’il avait déjà été
au cœur de vives controverses publiques (lire Affaire
Tapie : Pierre Estoup, un très « étrange » arbitre).
En particulier, il a été critiqué pour les conditions dans
lesquelles il a procédé à un précédent arbitrage, dans
le cas de l'affaire Elf. Si on lit le jugement rendu le
mercredi 12 novembre 2003 par le tribunal de grande
instance de Paris, présidé par un magistrat très réputé
Directeur de la publication : Edwy Plenel
Directeur éditorial : François Bonnet
Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS).
Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007.
Capital social : 32 137,60€.
Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des
publications et agences de presse : 1214Y90071.
Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Gérard Cicurel, Laurent Mauduit,
Edwy Plenel (Président), Marie-Hélène Smiéjan, Thierry Wilhelm. Actionnaires directs et
indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Gérard Desportes, Laurent Mauduit, Edwy
Plenel, Marie-Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société
Doxa, Société des Amis de Mediapart.
3/3
3
pour son intégrité, Michel Desplan, la mise en cause
est même très lourde et chargée de sous-entendus : il
y est précisé que ce précédent arbitrage a été réalisé «
dans d'étranges conditions ».
Un arbitrage réalisé dans « d'étranges conditions » qui
n'a « aucune valeur probante » aux yeux d'une cour de
justice de la République : ces mots résonnent à tout le
moins comme un blâme à l'encontre de Pierre Estoup.
Et voilà que le même Pierre Estoup est au cœur, dix
ans plus tard, d’une nouvelle controverse. Mais cette
fois, ce ne sera pas sans frais : il risque d’avoir des
comptes à rendre à la justice. Et surtout, ce sera peut-
être à cause de lui que Bernard Tapie devra rendre ses
403 millions d’euros prélevés sur les deniers publics…
Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 Paris
Courriel : contact@mediapart.fr
Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08
Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 90
Propriétaire, éditeur, imprimeur et prestataire des services proposés : la Société Editrice
de Mediapart, Société par actions simplifiée au capital de 32 137,60€, immatriculée sous le
numéro 500 631 932 RCS PARIS, dont le siège social est situé au 8 passage Brulon, 75012
Paris.
Abonnement : pour toute information, question ou conseil, le service abonné de Mediapart
peut être contacté par courriel à l’adresse : serviceabonnement@mediapart.fr. Vous pouvez
également adresser vos courriers à Société Editrice de Mediapart, 8 passage Brulon, 75012
Paris.