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Revue des Sciences Religieuses

Introduction à la vie et à l'œuvre de Henri Suso


Alois-Maria Haas, Wolfgang Wackernagel

Abstract
Introduction to the life and work of Henri Suso.
Henri Susso, an important representative of the rhineland mystics, is not well known to the french public. In his article, A.-M.
Haas summarizes his life and work, as well as the secondary scholarship on the same, and shows to what extent research on
Suso might develop in the coming years.

Résumé
Représentant important des mystiques rhénans, Henri Suso est assez peu connu du public français. Dans son article, A.M.
Haas fait le point sur la vie et l'œuvre de celui-ci, ainsi que sur les travaux qui lui sont consacrés, montrant à quel point les
études relatives à Suso peuvent se développer dans les années à venir.

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Haas Alois-Maria, Wackernagel Wolfgang. Introduction à la vie et à l'œuvre de Henri Suso. In: Revue des Sciences
Religieuses, tome 70, fascicule 1, 1996. Les mystiques rhénans. pp. 154-166 ;

doi : https://doi.org/10.3406/rscir.1996.3353

https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1996_num_70_1_3353

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Revue des sciences religieuses 70 n° 1 (1996), p. 154-166

INTRODUCTION À LA VIE ET À L'ŒUVRE


DE HENRI SUSO *

Henri Suso OP (1235-1366) est l'un des rares auteurs spirituels


du XIVe siècle à avoir légué une œuvre aussi riche et aussi diversifiée.
En ce sens, il demeure difficile à classer. Cependant, il est possible
de dire pourquoi de telles tentatives pour définir sa personne et son
œuvre sont, la plupart du temps insatisfaisantes. La structure de sa
personnalité a dû être exceptionnellement complexe : ses capacités
et ses dons émotionnels aussi bien qu'intellectuels se situaient au-
dessus de la moyenne. Dans son œuvre, cela se traduit par le fait qu'à
côté de possibilités d'expression poétiques puissantes (aussi bien en
latin qu'en allemand), le discours philosophique pouvait agir de façon
déterminante dans une large part de son œuvre. On ne saurait rendre
justice à celle-ci, et à son auteur, qu'en évitant toutes les approches
unilatérales dans l'interprétation. En d'autres termes : seule une
démarche interprétative synthétique, qui tienne compte de la
complexité du talent de Suso dans le domaine littéraire, rhétorique
aussi bien que dans celui de ses capacités émotionnelles et cognitives,
est en mesure de s'approcher de son œuvre. C'est ce que nous allons
faire brièvement dans la suite.

I. Vie

Né le jour de la fête de S. Benoît (le 21 mars, cf. Vita, Chap. 16),


vers 1295/97, à Constance ou dans sa région sous le nom de Henri
von Berg, il prit par la suite, et par hommage envers sa mère, le nom
de sa famille, à savoir Sus ou Sus. A l'âge de 13 ans, vers 1308/10
il entra au couvent des Dominicains à Constance. Une donation des
parents à ce couvent de l'île, en raison de l'admission précoce de
leur fils, semble lui avoir causé du tourment pendant plus d'une
décade, jusqu'à ce que Maître Eckhart le délivra de cette crainte - sans
doute lors de ses études à Cologne. Suso reçut l'éducation habituelle :

Traduction Wolfgang Wackernagel.


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une année de noviciat couronné par h profession simple (vers 1309),


environ deux ou trois années d'enseignement élémentaire du latin
ainsi que de la spiritualité de l'Ordre (Ecriture Sainte, office, règle
de l'Ordre, littérature et pratique ascétique). Vinrent ensuite quelques
années (1313/14 - 1318/19) d'études philosophiques : deux ou trois
années de Philosophie rationnelle {philosophia rationalis = toute la
logique aristotélicienne) dans un couvent de la Natiô Suebica ou en
Alsace, deux ou trois années d'étude de la philosophia realis
(physique, géométrie, astronomie, métaphysique aristotélicienne). Les
deux ou trois années d'études de la théologie (Bible et Sentences de
Pierre Lombard) ont peut-être été accomplies dans un Studium par-
ticulare à Constance ou à Strasbourg (1319-22). Ensuite, Suso a été
assigné au Studium générale de Cologne pour la suite de ses études
(1323/24 - 1327), c'est là qu'il connut l'influence du maître Eckhart.
Vers 1326/27, il retourne pour 20 ans comme lecteur à Constance,
afin d'instruire les frères de la communauté et prendre la
responsabilité scientifique du couvent. Entre 1329 et 1334 il semble avoir été
démis de cette fonction, sans doute à l'occasion du Chapitre général
et provincial de l'ordre à Maastricht de 1330, où Suso fut soupçonné,
voire accusé d'hérésie, et semble avoir reçu un sévère reproche (une
humiliation rapportée dans sa Vita, chap. 23, sans que lieu ni date ne
soient précisés) (1). C'est à cette époque - alors que Suso avait
environ 40 ans - qu'est advenu ce tournant dans sa vie qu'il décrit comme
un « moment autobiographique » (2) : en observant un chien jouer
avec un chiffon, il reconnaît qu'il ne lui est plus permis de continuer
à disposer de lui-même et de son corps de manière ascétique - s'il
ne veut pas aller à la rencontre d'une mort certaine et se tuer à force
de pratiques ascétiques -, mais que dans un abandon mystique, il doit
laisser les souffrances venir à lui de l'extérieur comme des envoyées
de Dieu {Vita, chap. 20, p. 58,3s<7. ; cf. aussi les Lettres : 368,27 sq.
et 443,7 sq. ; ainsi que les allusions à la scène du chiffon dans
363,22 s*/, et 421,23-422,3). Ce passage est inspiré de l'exemple des
Vies des anciens Pères, cependant, il n'en est pas moins significatif
pour les circonstances de la vie de Suso. Dès lors, l'orientation de sa
vie se modifie complètement. Au lieu de se concentrer sur le couvent
et son espace intérieur et de mener une vie d'ermite, Suso s'avance
désormais dans la zone dangereuse d'une activité de missionnaire et
de prédicateur. Il s'expose et participe aux événements de son temps.
Il se peut que ce soit justement la tournure de tels événements qui

(1) Préface à L'Horloge de la Sagesse, p. 30. Cf. note 15. Les œuvres
allemandes de Suso sont citées d'après l'édition : K. Bihemeyer, Heinrich Sense. Deutsche
Schriften, Stuttgart, 1907 (rééd. Frankfurt am Main, 1961).
(2) M. Wehrli, Formen mittelalterlicher Erzàhlung. Aufsàtze, Zurich 1969,
16 sq.
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l'ont amené - davantage qu'on ne le pensait jusque-là - à modifier


son attitude à rencontre de sa pratique ascétique. La situation
temporelle, telle qu'elle se reflétait à Constance, était embrouillée et
difficilement saisissable : en 1342, il y eut une insurrection des
corporations contre la domination des patriciens ; en 1343, une mauvaise
récolte conduisit à la famine, une crue menaça la ville. C'était vers
cette époque que Suso fut nommé Prieur du couvent de Constance
(Vita, chap. 43, p. 145,17 : in der grossen tûri ; 146,1 sq. ; HS 1,5, K
415,26 sq.). Cependant, il ne résida plus à Constance dès ce moment
- vers 1342 ou 1343. Adversaire décidé de l'empereur Louis de
Bavière et Dominicain fidèle au Pape, et donc obéissant à l'Interdit
proclamé par ce dernier, il aura sans doute quitté la ville avec la
plupart des frères de son ordre en 1338 (fin 1338 / début 1339, Henri
de Nôrdlingen ne le trouve déjà plus à Constance) (3), ou il sera parti
en exil en 1339, jusqu'en 1346 ou 1349 à Diessenhofen chez les
Dominicaines de Katharinental, ou encore dans le couvent des
Ecossais, qui se trouvait devant les portes de la ville. Il est vraisemblable
que Suso soit déjà retourné à Constance en 1346, car en 1347 - ainsi
qu'il ressort d'une lettre de Henri de Nôrdlingen à Margareta Ebner
(fin 1347 / début 1348) (4), dans lequel celui-ci se détourne du
« Doux » (dem Suseri) - a dû se produire cette fâcheuse affaire, dans
laquelle la bonne réputation de Suso fut massivement troublée par les
accusations d'une femme qu'il avait soutenue, et qui lui attribuait la
paternité de son enfant. Suso aura sans doute déjà été transféré dans
un autre couvent lorsque le général de l'ordre arrive à Constance,
accompagné du provincial de Teutonie, pour soumettre cette affaire
à l'examen. L'innocence de Suso est avérée (sans doute au chapitre
provincial de 1354, à Constance) - à un moment où il a depuis
longtemps déployé un nouveau cercle d'activités à Ulm.
Sur la base des informations données par Suso lui-même, on peut
savoir quelles furent ses tâches durant les 20 ans d'activité à
Constance. L'Ordre des Dominicains, tel que le connurent Suso et
bien d'autres avec lui, était loin de se trouver dans une période
d'apogée dans la première moitié du 14e siècle : l'on assistait partout à
une réduction de l'idéal originaire de l'Ordre. Le maintien du vœu
de pauvreté, ainsi que le cursus des études étaient particulièrement
mal observés. Des positions honorifiques au sein de l'Eglise et des
privilèges ont laissé s'évanouir la sévérité originelle pour céder la
place à une nonchalance dans le mode de vie, qui n'avait plus grand
chose à voir avec le statut originel des mendiants. C'est face à cette

(3) Ph. Strauch, éd., Margaretha Ebner und Heinrich von Nôrdlingen, 1882,
réimpr. Amsterdam 1966, p. 215 sq., Lettre XXXI.
(4) Ibid., p. 86 sq., Lettre LI.
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décadence que se définit le domaine d'activité de Suso : il consacre


toutes ses forces à la cura animarum, en vue d'une réforme de l'Ordre
selon l'esprit de sa constitution originelle. C'est pour accomplir ce
but qu'il fera différents voyages en Suisse, en Alsace et dans la région
rhénane. Les deux sermons qui nous restent ne semblent pas
témoigner d'une activité pastorale dans une large société, mais semblent
plutôt émaner d'une parole adressée à de petits groupes, ou à des
individus isolés. Il s'agissait certainement de dames nobles, qu'il
cherchait à faire entrer au couvent de Béguines, dont il visitait les
maisons en tant que conseiller spirituel, mais surtout de moniales de
son propre Ordre, que Suso assistait spirituellement avec tact et
habileté. Des visites de Suso dans différents couvents de Dominicaines,
parfois assez éloignés, sont attestées : à St Katharinental près de Dies-
senhofen, à Ôtenbach près de Zurich, à Adelhausen près de Fribourg
en Breisgau, à Unterlinden près de Colmar, différents couvents
figurant dans les termini du couvent des frères prêcheurs de Constance (5),
mais surtout à Toss près de Winterthur, où résidait la confidente de
Suso : Elsbeth Stagel, qu'il assistait et encourageait spirituellement
depuis son entrée au couvent vers le milieu des années trente jusqu'à
sa mort, vers 1260. On peut également vérifier que Suso avait des
contacts avec des frères de son Ordre, ainsi qu'avec d'autres croyants
intéressés au mouvement de réforme mystique de son époque : Ainsi,
il a certainement connu Jean Fuoterer de Strasbourg, Jean Tauler ainsi
que le prêtre Henri de Nôrdlingen. La vie de Suso à Ulm, où il résida
depuis 1347/8 jusqu'à sa mort, était sans doute guère différente de
celle qu'il mena à Constance : il entreprend des voyages pastoraux
et missionnaires, rédige sa Vita et son testament littéraire sous la
forme de Y Exemplar. Pour le reste, on ne sait que peu de choses de
sa vie à Ulm. Une source fiable évoque son amitié avec le bénédictin
Walter de Bibra (= Bibrach), du couvent de Wiblingen. Suso mourut
le 25 Janvier 1366 à Ulm, où il fut enterré dans l'église des Prêcheurs.
La foule, présente à son enterrement, témoigne déjà de la grande
estime qu'il connut au sein de l'Ordre et dans l'Eglise. Le 16 Avril
1831, Henri Suso est proclamé bienheureux par le pape Grégoire
XVI.

II. Œuvre et doctrine

La doctrine de Suso est inséparable de son mode de transmission


littéraire. Celle-ci est assurée par une édition de dernière main,
appelée Y Exemplar et compilée vers 1362/63, laquelle comprend sa Vita,

(5) B 114.
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le Livre (ou livret) de la Sagesse éternelle {Buchlein der ewigen Weis-


heit = Bdew, entre 1328-30), le Livre de la Vérité (Buchlein der
Wahrheit = Bdw, rédigé entre 1327-29, mais probablement terminé
qu'en 1329/30) (6) et le Livre des Lettres (Briejbuchlein = BJb, avec
un choix de 1 1 parmi les 28 lettres compilées par Elsbeth Stagel dans
GBfb). On dispose encore, sous forme de copies séparées, de YHoro-
logium Sapientiae (= HS), du Grand Livre des Lettres (Grosse Brief-
buch = GBfb), de quatre Sermons et du Livre de l 'amour (Minnebù-
chlein).

L 'Exemplar

Suso a complété les « Quatre bons livres » (3,2) de son « Livre-


Modèle », rédigé par lui-même, à l'aide d'images (7) (en général 12)
et de paroles dont l'expressivité devait « par leur attirance, élever à
nouveau vers le Dieu aimable » (4,27 sq.) l'homme tiré vers le bas
(déprimé) par le monde. Il en résulte un problème d'esthétique et de
représentation, à savoir comment il est possible de « parler en
images » (3,3) de ce qui est « au-dessus de tous les sens et au-dessus de
l'entendement humain » (191,7), bref : « comment est-il possible de
former sans images (bildlos gebilderi) et de prouver sans mode (wise-
los bewisen - 191,6 sq.) »? La solution lui est déjà donnée dans le
bildlos gebilden : Le sans image doit être communiqué par
l'entremise des images, en sorte que l'on « chasse l'image par des images »
{bild mit bilden us tribe - 191,9). De cette démarche, Suso va faire
son programme littéraire.

La Vita

La plupart des remarques préliminaires concernent


l'autobiographie de Suso : craignant une mauvaise interprétation ou une
répression posthume, il publie la description de sa vie de son vivant, non

(6) Voir mon essai de datation, que j'avais déjà - en m'appuyant sur J. Koch
et L. Cognet - proposé en 1971 (A. M. Haas, Nim din selbes war. Studien zurLehre
von der Selbsterkenntnis bel Meister Eckhart, Johannes Tauler und Heinrich Seuse,
Freiburg / Schweiz, 1971, 155). L. Sturlese a discrètement repris cette datation dans
sa préface à H. Seuse, Das Buch der Wahrheit. Kritisch hg. von L. Sturlese und
R. Blumrich. Mit einer Einleitung von L. Sturlese, Hamburg 1993, p. XVIII.
(7) A propos de ces images, cf. A. Diethelm, Durch sin selbs unerstorben
vichlichkeit hin zu grosser loblichen heilikeit. Kô'rperlichkeit in der Vita H. Seuses,
Bern, 1988, et chez M. Kersting, Text und Bild im Werk Heinrich Seuses. Unter-
suchungen zu den illustrierten Handschriften des Exemplars, Diss. Mainz 1987. A
propos du contexte de la théorie de l'image chez Suso, cf J. Hamburger, «
Biography, Hagiography and Legend in the Interpretation of Medieval Art : The Case of
Heinrich Suso », L 'Art et les révolutions. Section 7 : Recherches en cours, Strasbourg
1992, p. 5-23.
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sans en soumettre quelques échantillons au provincial de Teutonie,


Bartholomée de Bolsenheim (f 1362) ; ce dernier meurt après avoir
approuvé la chose lue, en sorte qu'il sera appelé à accréditer le reste
depuis le ciel, sous forme d'une vision. Ensuite, Suso associe la
rédaction de la Vita à sa relation amicale avec Elsbeth Stagel, au couvent
de Tôss : elle lui aurait demandé des informations sur sa genèse
spirituelle, depuis ses débuts en passant par ses progrès jusqu'à son
accomplissement, afin de les retenir par écrit, jusqu'à ce que Suso,
s'étant rendu compte de ce vol spirituel, aurait exigé la remise des
textes, les aurait partiellement détruits, avant d'être empêché d'en
détruire le reste par un message céleste. La plus grande partie de la
Vita viendrait de là, il lui aurait ajouté encore quelques passages
édifiants. La question reste ouverte de savoir si « la participation de
Stagel [...] est à ranger dans le cadre d'une fiction imposée par le
modèle générique du roman de chevalerie ». (8) Dans son
Autobiographie, Suso reprend en effet le motif stylistique du roman courtois,
avec son double cursus. Une première partie (chap. 1-20) décrit Suso
dans l'état d'une active imitation de la souffrance du Christ.
Accompagné de visions et d'extases, il entre dans une « souffrance christi-
forme » {ein cristfoermig liden - 134,5 sq.) : il se taille le nom de
Jésus (IHS) sur la poitrine, et s'inflige toutes sortes de martyrs :
flagellations, silence, application d'une chemise faite de clous
d'airain, port en permanence d'une croix de bois hérissée de clous,
mains liées, privation de chaleur en hiver, renoncement à la nourriture
et à la boisson, abandon de tout soin corporel, une porte en guise de
lit, d'innombrables venjen (prostrations)... Dans une vision décisive,
il lui est recommandé de renoncer à ces exercices de pénitence, à
l'exemple des Pères du désert (9) : comme un chien joue avec un

(8) K. Grubmûller, « Die Viten der Schwestem von Tôss und Elsbeth Stagel »,
ZfdA 98 (1969), p. 171-204, ici 196, par référence à K. Ruh, Altdeutsche Mystik.
Ein Forschungsbericht, WW / (1957) p. 135-146, p. 212-231, ici 222. Ces deux
auteurs tendent à considérer la participation de Stagel comme un artifice romanesque.
B. Stoll avance cependant des arguments valables contre cette thèse de l'artifice :
« Die theologischen Denkfiguren bei Elsbeth Stagel und ihren Mitschwestern », in :
B. Acklin Zimmermann, Denkmodelle von Frauen im Mittelalter, Freiburg /
Schweiz,
"Vita" », ZfdA
1994, 122
p. 149-172,
(1993) p.ici285-311.
149 - 152. Cf. aussi W. Blank, « Heinrich Seuses
(9) Cf. L. Gnâdinger, Das Altvâterzitat im Predigtwerk Johannes Taulers, in :
Unterwegs zur Einheit. Festschrift H. Stirnimann, Freiburg/Schweiz, 1980, p. 253-
267, ici p. 258 ; P. Michel, Seuse als Diener des gôttlichen Wortes, in : A. M. Haas
et. al., éds., Das « einig Ein ». Studien zur Théorie und Sprache der deutschen Mystik,
Freiburg / Schweiz 1980, 281-367, ici 363. A propos du phénomène de réception,
cf. K. Kunze, U. Williams, Ph. Kaiser, « Information und innere Formung. Zur
Rezeption der "Vitaspatrum" », in : Wissensorganisierende und wissensvermittelnde
Literatur im Mittelalter. Perspektiven ihrer Erforschung, éd. par N. R. Wolf,
Wiesbaden 1987, p. 123-142 ; W. William-Krapp, « Nucleus totius perfections . Die Alt-
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chiffon, ainsi il lui sera désormais infligé de la part d'autrui (chap. 20).
Ce tournant dans la 40ème année de sa vie lui apporte aussi
l'élévation dans l'ordre de chevalerie spirituelle (selon Job 7,1). D'autres
lui infligent des souffrances, comme à un chevalier dans un tournoi :
diffamations, atteintes au corps et à la vie, ruptures de fidélité de la
part de proches lui adviennent par batailles rangées, comme il en va
habituellement de l'enchaînement d'aventures du roman courtois. A
côté de menaces extérieures, il y a celles qui surviennent du dedans :
doutes quant à l'Incarnation divine, mélancolie, peur de la damnation.
Des visions le consolent et lui donnent la certitude d'avoir été élu de
Dieu (parmi d'autres amis de Dieu lui apparaît aussi Maître Eckhart).
Dans la seconde partie (chap. 33-53) les souffrances de Suso se
poursuivent : jalousie, infortune et désespoir sont décrits ; ils ne se réfèrent
♦ plus à l'ascension de Suso, mais ils sont des exemples pour Elsbeth
Stagel, qui doit être conduite au détachement intégral. Au chapitre 45,
la partie narrative est interrompue avec une référence à l'adoption
par Elsbeth de l'adoration du nom de Jésus. Suivent huit instructions
théoriques concernant les questions les plus élevées de l'expérience
mystique : à propos du vrai et du faux intellect, à propos du
détachement, de l'Unitrinité divine. En voici la quintessence : « Un
homme détaché ne doit plus avoir d'image de la créature, être
"imagé " (formé) avec le Christ, et "surimagé " (c 'est-à-dire, formé
de manière éminente) dans la déité. » (193,31 sq. - Ein gelassener
mensch muoss entbildet werden von der creatur, gebildet werden mit
Cristo, und ùberbildet in der gotheit.) La richesse littéraire de la Vita
est relativisée par le principe fondamental énoncé au commencement,
à savoir que « toutes ces images et toutes ces paroles imagées sont
aussi éloignées de la vérité sans image, et aussi dissemblables qu 'un
marais noir de la splendeur du soleil. » (193,31)
S'il est admis, depuis Schwietering (10), que le Livre, « qui
s'intitule le Doux » (7, 1 - daz da haisset der Sûse) peut être considéré, en
dépit des prologues mystificateurs, comme une authentique
biographie, de nombreuses questions concernant précisément l'auteur de
cette œuvre demeurent ouvertes. On peut certes lui accorder un
caractère mystagogique, à savoir que cet ouvrage cherche à restituer, « de
manière à constituer des images » (3,3 - mit bildgebender wise) et à
l'aide de « paraboles constitutives d'images » (191,1 - bildgebender
glichnus) l'occurrence du salut chrétien dans le miroir d'une vie
humaine. En cela il demeure intrinsèquement que celui qui relate est

vâterspiritualitât in der "Vita" Heinrich Seuses », in : Festschrift Walter Haug und


Burghart Wachinger, 2 vol., Tubingen 1992, 1, p. 407-421.
(10) J. Schwietering, « Zur Autorschaft von Seuses Vita », 1953, in : K. Ruh,
éd., Altdeutsche und altniederlàndische Mystik, Darmstadt 1964, p. 309-329.
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identique à l'objet dont il parle : la sainteté s'auto-identifie dans son


caractère de modèle.

Le Livre de la Sagesse éternelle

Le Bdew (Bùchlein der ewigen Weisheit) a lui aussi son


contexte : la mère de Suso lui est un modèle en raison de sa
participation aux souffrances {mitliden - 142,25) de la Passion du
Christ, la propre « mélancolie » de Suso l'incite à considérer la
souffrance du Christ (256,24 sq.), ainsi que la possibilité d'obtenir
ainsi l'indulgence dans la punition temporelles de péchés
(258,1 sq.). Dans une contemplation intérieure, le Serviteur de la
Sagesse éternelle reçoit 100 considérations. Elles constituent le
fondement du Bdew et ont trouvé leur place dans la troisième partie.
Il s'agit de brèves invocations à Jésus et Marie à propos des
stations de la souffrance du chemin de croix (du Christ) qu'il récite
quotidiennement dans sa prière au cloître et dans le chœur de
l'église. La première partie du Bdew contient vingt considérations
sur la souffrance du Christ. Rédigée sous forme de dialogue,
l'allégorie de la Sagesse éternelle (tantôt féminine, tantôt masculine et
prenant les traits de Jésus Christ) et de son serviteur Suso y sont
montrés en conversation permanente. La principale doctrine de ce
dialogue, qui repose sur le Livre biblique de la Sagesse c'est la
nécessité de traverser la souffrance du Christ pour celui qui veut
parvenir dans la Déité « non devenue » : « si tu veux me contempler
dans ma déité non devenue (in miner ungewordenen gotheit), il te
faut apprendre à me reconnaître et à m 'aimer ici dans la
souffrance de mon humanité» (203,8 sq.). Telle est la voie royale
(Nb. 21,22), pour parvenir à la Déité (11). La seconde partie du
Bdew traite de la mort physique et spirituelle ; un aperçu de la
damnation (la seconde mort, selon Ap. 20,14) devient une nouvelle
occasion de méditer sur la mort du Christ, et de se préparer ainsi
de manière adéquate à la mort (12). A la fin du Moyen Age, la
première et la troisième partie du Livre de la Sagesse éternelle ont
servi de titre de méditation. Et, aux XIVe et XVe siècles, le Livre de
la Sagesse éternelle, dans son ensemble, a été diffusé comme livre
de méditation.

(11) J. Bûhlmann, Christuslehre und Christusmystik des Heinrich Seuse,


Luzern, 1942, p. 197 sq.
(12) Cf. A. M. Haas, Todesbilder im Mittelalter. Fakten und Hinweise in der
deutschen Literatur, Darmstadt 1989, p. 172 sq. ; Sermo mysticus. Studien zu
Théologie und Sprache der deutschen Mystik, Freiburg / Schweiz 1989, p. 468 sq. ; Geis-
tliches Mittelalter, Freiburg / Schweiz 1984, p. 492 sq.
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Le Livre de la Vérité

Dans le Bdw (Buchlein der Wahrheit), il est question d'une


distinction entre des gens qui aspirent d'une part à une simplicité
ordonnée, d'autre part à une liberté désordonnée (327,27 sq.). S'adressant
à un public de moniales (13) il poursuit l'intention didactique de les
aider à bien comprendre les positions théologico-mystiques
développées par Eckhart en réponse aux erreurs des Béghards et des Partisans
du Libre Esprit. La Vérité, en tant qu'avocate de la Sainte Ecriture
et des théologiens les plus instruits et les mieux exercés (328,4 s^.),
donne des renseignements sur les points névralgiques de la mystique
eckhartienne : le détachement et sa disposition dans l'abysse divin,
de la distinction entre la Déité simple et le Dieu trinitaire, la relation
des créatures à Dieu, l'Incarnation (Dieu y adopte une nature
humaine, mais pas une personne humaine), de l'union de l'homme
avec Dieu, maintenant et dans l'au-delà (le moi humain est un néant,
mais, même dans le plus grand oubli, il demeure et s'achemine vers
la transformation de lui-même en Dieu) finalement, la liberté ainsi
que le mode de vie approprié au chrétien (un moi détaché est un moi
christiforme - [335,26] qui demeure toujours créature, même lorsqu'il
se sent uni à Dieu). Au vic chapitre apparaît le « sauvage sans nom »
pour demander une liberté sans restriction, une vie mue par lui-même,
sans distinction entre Dieu et le monde. Le disciple met en garde
contre cette liberté d'esprit déraisonnable qui consiste à ne pas
pouvoir discerner entre Dieu et le monde. A la fin sont discutées des
questions pratiques concernant un mode de vie approprié pour la
Vérité et son Serviteur. Dans l'ensemble, ce livre (qui n'a jamais été
recopié séparément) est un témoin éloquent de l'actualité des
enseignements eckhartiens, mais en même temps, il s'agit aussi d'une
intense mise en scène de Suso dans son rôle de Serviteur de la Vérité.

Le petit Livre des Lettres

Le Bfb (Briejbùchlein), qui est constitué par un abrégé de onze


lettres choisies parmi le Grand Livre des Lettres, n'a pas suscité
l'estime de Muschg (14). Cependant, Suso réalise dans cette
composition une intention mystagogique, en échelonnant les lettres dans le
sens d'un itinéraire mystique allant du débutant jusqu'à l'amitié de
Dieu la plus élevée.

(13) D. Kuhlmann, Heinrich Seuses « Buch der Wahrheit». Studien zur Text-
geschichte, Diss. Wûrzburg, 1987.
(14) W. Muschg, Die Mystik in der Schweitz. 1200-1500, Frauenfeld, 1935,
p. 258.
VIE ET ŒUVRE DE HENRI SUSO 163

Horologium Sapientiae (L 'Horloge de la Sagesse)

Après la nouvelle édition de L'Horloge de la sagesse réalisée par


Pius Kunzle(15), il est devenu évident qu'il s'agit d'une nouvelle
rédaction élargie du Livre de la sagesse éternelle en langue latine, en
augmentant les considérations de ce livre par des réflexions sur des
faits relatifs au couvent et aux études, ainsi que sur des prises de
position actuelles dans la politique ecclésiale. D'autre part, ainsi que
Kûnzle l'a supposé, il se peut qu'un vécu personnel, les noces avec
la Sagesse éternelle, ait contribué à une accentuation du degré
émotionnel dans VHS, car « il ne fait aucun doute que l'idéal des noces
spirituelles avec la Sagesse éternelle est nettement plus accentué dans
VHS que dans le Bdew » (16). UHS apporte du nouveau dans trois
domaines : « D'abord, des énoncés autobiographiques (1,1 ; et
partiellement dans 1,5 et 13 ; 11,1 et 7) ; deuxièmement, par rapport à
l'expérience mystique personnelle de Suso, l'importance
prédominante des noces spirituelles, qui a pour fonction d'éveiller le plus
grand nombre de personnes possible à l'amour renouvelé de Dieu
(11,7-8) ; troisièmement, une invitation d'une part à une Annonciation
salutaire (11,6), et d'autre part à la réforme de la vie de l'Ordre (1,5),
de l'ardeur du pasteur d'âmes (1,12) et des études (11,1), en opposant
les signes du déclin à l'idéal auquel il convient d'aspirer » (17).

Le grand Livre des lettres

La préoccupation centrale des vingt-huit lettres, qui sont adressées


à différentes dominicaines, ainsi qu'à Elsbeth Stagel, consiste à
montrer le chemin de l'amour accompli, qui seul conduit à l'union avec
la Sagesse éternelle. Le Cantique, les Psaumes, les prophètes, les
Pères de l'église, les saints et les auteurs antiques - par exemple
Ovide, « le maître de l'amour » (434,1) sont pris à témoin contre
l'amour trompeur de ce monde. Au nom de l'amour divin, on invite
à l'amour de soi et de toute créature. La combinaison
amour/souffrance est le point culminant des lettres, en sorte qu'on assiste à une
répartition de la souffrance et de l'accomplissement de l'amour :
« plus on est troublé ici à propos de Dieu, plus on sera joyeux là-bas
avec Dieu » (490,23 sq.). Des indications précises et proches de la
pratique servent à mener à la véritable chevalerie spirituelle. La der-

(15) P. Kûnzle, éd., Heinrich Seuses Horologium Sapientiae. Erste kritische


Ausgabe unter Benùtzung der Vorarbeiten von D. Planzer OP, Freiburg / Schweiz,
1977.
(16) Ibid., p. 52.
(17) Ibid., p. 53.
164 A.-M. HAAS

nière lettre - « testament de l'amour » (494,14) - résume encore une


fois toutes les pensées qui mènent à la pureté de la vie.

Le Livre de l'amour

Ce petit ouvrage est un « traité-mosaïque », qui puise dans


différentes sources de la mystique de Passion (18). Son authenticité n'est
pas avérée ; Molinelli-Stein suppose qu'il s'agit d'une œuvre précoce
de Suso, une « première ébauche du Livre de la sagesse
éternelle» (19).

La langue et le style

Suso lui-même a une conscience aiguë de son statut d'auteur, et


ses efforts stylistiques et langagiers tendent manifestement à rendre
ses assertions aussi vivantes que possible. Son principe spirituel et
stylistique, qui consiste à chasser les images par d'autres images, se
trouve en rapport contradictoire avec une conscience esthétique de
l'actualité non réitérable de la musique, ou d'une parole « coulant
d'un cœur vivant à travers des lèvres vivantes » ; celle-ci lui semble
- une fois qu'elle a été couchée sur le « parchemin mort » (tovt ber-
mit) - « étrange en langue allemande » - comme de pâles roses
coupées (199,14 $#.). Sur le plan générique, c'est le dialogue qui
prédomine, alors que stylistiquement, c'est le genus dicendi sublime (20),
avec sa stratégie de diction émotionnelle chargée de décor (sans que
les autres niveaux stylistiques ne s'estompent - en particulier dans la
Vita). Le style très narratif (en particulier dans la Vita) où se dessine
une tendance à de brefs récits caractéristiques de la nouvelle (par
référence à Yaventiure courtoise) renforce dans leur élan
l'actualisation des rapports affectifs. Le ton instructeur et docte ne manque
certes pas (dans Bdw et Bdew), mais là aussi, on ressent cette tendance
à le rendre vivant dans le cadre d'un dialogue. On a aussi observé
avec raison une tendance à former des unités stylistiques que l'on
puisse embrasser d'un coup d'œil(21); les différentes parties sont
soigneusement composées et elles s'intègrent dans un tout bien formé,

(18) Cf. Ruh, comme note 8, p. 245 « Studien ùber Heinrich von St. Gallen »,
2s. F. Schweiz. Kirchengeschichte 47 (1953), p. 246 sq.
(19) B. Molinelli-Stein, Suso als Schriftsteller (Rhetorik und Rhytmus in
seiner Prosa), Diss. Tubingen,
"Minnebùchleins" (H. S. ?) », 1966
Festschrift
; surtout
W. : Mohr,
« Ein Gôppingen,
Beitrag zur 1972,
Echtheitsfrage
p. 313-354.
des
(20) Cf. Molinelli-Stein, 1966, comme note 19, 32 sq.
(21) G. VON Siegroth-Nellessen, Versuch einer exakten Stiluntersuchung fur
Meister Eckhart. Johannes Tauler und Heinrich Seuse, Miinchen, 1979, p. 280. Voir
surtout H. Stirnimann, « Mystik und Metaphorik. Zu Seuses Dialog », Freiburger
Zs.f.Phil. und Theol. 25 (1978), p. 233-303.
VIE ET ŒUVRE DE HENRI SUSO 165

tandis que domine dans la structure fine du discours, un style riche


en métaphores et en images, avec en partie des influences provenant
du dialecte souabe (diminutifs...).

III. Influence posthume

L'influence de Suso dans les arts plastiques, la littérature et le


culte est remarquable. L'histoire complète de sa réception n'a pas
encore été écrite.
L' Horloge de la sagesse de Suso n'a pas tardé a être traduite dans
les langues populaires européennes : en 1389, en français (éditions
imprimées 1493, 1499, ...), en néerlandais (entre 1360-80), en Italien
(xv* s.), dans la langue de la Bohème (fin du XIVe s.), en danois (XVe s.)
et en suédois (vers 1500). Toutes ces traductions ont donné lieu à
différentes éditions imprimées (Paris 1470, 1479 ; Venise 1492,
1536 ; Cologne 1496, 1501, 1509...), en sorte que l'œuvre de Suso a
pu avoir une influence assez forte dans les différentes spiritualités
nationales. Remarquable est l'influence d'//5 aux Pays-Bas, où
l'influence de Suso est nette, sur la Devotio Moderna et limitation
par exemple du Christ (surtout aux \\f et IVe livre). Les canonistes de
Windesheim, Ludolf de Saxe dans sa Vita Jesu Christi, Hugo de
Balma, Nicolas de Cues, Jean Gerson et bien d'autres personnalités
significatives de l'histoire de la spiritualité se sont référés à Suso.
Cependant, la réception de Suso ne s'est pas limitée à VHS, mais
elle n'a pas tardé à concerner aussi son œuvre allemande. Des éditions
imprimées en résultèrent à Augsburg, en 1482 et 1512. Déjà
auparavant, Suso était connu, apprécié et recommandé auprès des Amis de
Dieu de Strasbourg, dans les sermons de l'Ordre dominicain (Otto
de Passau, Marquard de Lindau, Jean Nider), dans des couvents de
moniales et des cercles de laïcs, au xvie siècle auprès des jésuites
(Pierre Canisius, Frédéric von Spee), et aussi parmi les piétistes.
Même Herder se réfère encore avec bienveillance à Suso.
La personne de Suso a également connu une vénération
particulière (22). Sa littérature spirituelle, qui a été diffusée de manière
unique dans le Moyen Age tardif et dans la modernité naissante, maintint
éveillée la mémoire d'un « Saint », qui s'était lui-même décrit comme
tel. A cela s'ajoutait une vénération qui se manifeste aussi dans des
objets de dévotion. Tous ces documents iconographiques et cultuels
témoignent d'une spiritualité qui est 'moderne' en ce sens, que l'indi-

(22) A. M. Walz, « Der Kult Heinrich Seuses », in : E. M. Filthaut, éd., Hein-


rich Seuse. Studien Zum 600. Todestag. 1366-1966, Kôln, 1966, p. 437-455.
166 A.-M. HAAS

vidualité d'un Bienheureux s'y prend elle-même littérairement en


charge.

Historique de la recherche

Jusque dans les années soixante de ce siècle, la recherche s'est


d'une part intéressée à la question de l'authenticité de la Vita
(trouvant avec l'article de Schwietering (23) un arrêt provisoire), à celle
de sa structure et de sa construction littéraire (24) et à son caractère
unique ; d'autre part, elle s'est attachée à des questions concernant le
contenu religieux et spirituel de son œuvre (Buhlmann et al.) (25), sa
position dans le cadre de la philosophie et de la théologie de son
temps. La vénération concrète a aussi toujours trouvé sa place dans
l'intérêt pour Suso. Les Mélanges de 1966(26) constituent un
tournant : l'influence posthume de Suso y occupe une place importante,
la géographie et la sociologie des manuscrits, mais aussi la
problématique thématique du style et de la manière d'écrire y est aussi
discutée. A l'opposé d'une valorisation indiscutable de Suso dans le
cadre de l'histoire de la spiritualité, la recherche est restée hésitante
à s'occuper de Suso. Un verdict de la psychologie moderne
concernant la pratique ascétique et l'émotivité de Suso a sans doute joué un
rôle dans cette hésitation. Cependant, tous les signes semblent
désormais indiquer la reprise d'une intense étude de cette œuvre (27).

Alois Maria Haas


Université de Zurich

(23) Cf. note 10.


(24) A. Holenstein-Hasler, Studien zur Vita Heinrich Senses, Diss. Zurich,
Freiburg / Schweiz, 1968.
(25) Cf. note 11.
(26) Cf. note 22.
(27) Voir A.-M. Haas, Kunst rechter Gelassenheit. Themen und Schwerpunkte
von Heinrich Senses Mystik, Bem, Peter Lang, 1995.

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