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Vita Latina

Les XVIIe et XVIIIe siècles français face à la pédagogie du latin


Bernard Colombat

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Colombat Bernard. Les XVIIe et XVIIIe siècles français face à la pédagogie du latin. In: Vita Latina, N°126, 1992. pp. 30-43;

doi : 10.3406/vita.1992.1315

http://www.persee.fr/doc/vita_0042-7306_1992_num_126_1_1315

Document généré le 24/05/2016


Les XVIIe et XVIIIe siècles français

face à la pédagogie du latin

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Il s'agira ici, non de juger ces deux interprétations — complètement opposées et


qui doivent beaucoup à leurs cadres idéologiques respectifs —, mais d'exploiter ce
qu'elles ont par nous de provocant et de les éclairer du point de vue qui est le
nôtre : celui de la stricte évaluation de l'efficacité pédagogique, pour la période
allant de 1650 à 1780. C'est en ce sens que nous y reviendrons dans la conclusion,
mais auparavant nous analyserons le jugement des auteurs à la fois sur
du latin à leur époque et sur leur propre connaissance de cette langue ; puis
nous étudierons les changements intervenus dans les finalités de l'apprentissage
du latin et dans les moyens utilisés, ce qui nous conduira à dresser une typologie
sommaire des méthodes latines alors élaborées.

*
* *

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A partir de ] 650 — mais certaines plaintes humanistes laissent à penser que la
situation n'est pas réellement nouvelle —, on se plaît d'une part à déplorer la
de l'enseignement du latin, et l'état lamentable de la connaissance des élèves
dans ce domaine, d'autre part à estimer qu'on pourrait faire beaucoup mieux. En
1644, Lancelot commence ainsi VAdvis au lecteur de sa Nouvelle Méthode Latine
(1- éd.) :
" II y a long temps que plusieurs personnes ont remarqué, que la manière dont
on se sert d'ordinaire pour apprendre le Latin aux Enfans, est fort embrouillée
& difficile, & qu'il eust esté à souhaitter qu'on leur rendist plus agréable l'entrée
d'une chose aussi utile, comme est la connoissance de cette langue. "
Les efforts de Lancelot ne suffiront pas, apparemment, puisque le leitmotiv qui
se développe, à propos de l'enseignement du latin, de 1650 à 1800, est : perdre son
temps et s'ennuyer. Il est en quelque sorte cristallisé dans cette citation tirée des
Entretiens sur les sciences de B. Lamy (1684) et constamment reprise durant tout
le XVIIIe siècle, que ce soit par les grammairiens ou par les auteurs de plans
:
"
Quand je me souviens de la manière qu'on m'a enseigné, il me semble qu'on
me mettait alors la tête dans un sac, et qu'on me faisait marcher à coup de
fouets, me châtiant cruellement toutes les fois, que n'y voyant point, j'allais de
travers. Car en vérité je n'y voyais goutte, et la même chose m'arrivait que si l'on
m'eût fermé effectivement les yeux. "

En 1751, l'abbé Pluche (3) plaint autant les élèves astreints au travail de la
"composition
altérée " comme
(4) queauparavant,
les maîtres grâce
: il espère
à la que
méthode
la santé
qu'il
de propose,
ces derniers
et P.-N.
ne sera
Chan-
plus

geux soutient, en 1773 (5), que "dans l'éducation ordinaire, les Maîtres ne sont
pas moins dégoûtés par leurs élèves qu'ils ne les dégoûtent ; grande preuve de
l'imperfection moderne. " De là un affreux gâchis de temps, qui varie selon le
des auteurs de six ans (e.g. Encyclopédie, art. collège) au " tiers de sa vie "
(6) . Et pour quel résultat ?
" La plupart de ceux qui étudient le latin y perdent les huit et dix ans qu'ils y
mettent. Communément il ne leur en reste rien ; presqu'aucun d'eux n'entend
le Latin ; et ceux qui croient l'entendre n'osent le parler. Ils se rendent justice. "
(Pluche, 1751).
Il faut mettre en parallèle ces lamentations et la mutation qui s'opère alors dans
la perception de la langue. Il est assez difficile de dater le moment à partir duquel
on a renoncé à avoir une réelle " compétence " (au sens chomskyen du terme) du
latin. Dès 1587, le grand grammairien espagnol Sanctius affirme qu'il faut
à parler latin afin de ne pas altérer la langue. En France, un débat (7) a déjà
lieu en 1636-1637 pour savoir s'il faut utiliser le latin pour la rédaction des
scientifiques. A partir de 1670, avec la Querelle des Anciens et des Modernes,
s'est posée la question de la préséance du latin ou du français, en particulier en ce
qui concerne l'agencement du discours, le point de départ étant la question du
choix de la langue pour l'inscription à porter sur les monuments. Ce qu'on
retiendra ici de ces débats, c'est moins les doutes émis sur l'aptitude du latin à

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véhiculer de l'information scientifique (thèse de Cureau de la Chambre), ou sur sa
clarté pour exprimer la pensée (thèse de Le Laboureur, cf. infra), que ceux qui
portent sur la validité linguistiqsue du latin moderne. On rappellera les
de Boileau à ce sujet :
" C'est une étrange entreprise que d'écrire une langue étrangère quand nous
n'avons point fréquenté avec les Naturels du Pays et je suis assuré que si
Térence et Cicéron revenaient au monde ils riraient à gorge déployée des
Ouvrages latins des Fernels, des Sannazar et des Murets [sic) [...].
Il y a beaucoup de français dans tous les vers latins des Poètes français qui
en latin aujourd'hui. Vous me ferez plaisir de parler de cela dans votre
Académie et d'y agiter la question Si on peut bien écrire une langue morte. "
(Lettre à Brossette du 6 octobre 1701).

Pour cerner de plus près la perception qu'ont les lettrés des XVIIe et XVIIIe
de la langue latine, on utilisera deux indices : le sort de l'expression " langue
morte " et les remarques sur l'ordre des mots. La formule " langue morte " — que
nos dictionnaires s'accordent à faire remonter à la fin du XVIIe siècle — se trouve
déjà sous la plume de Cureau de la Chambre en 1636, de Du Roure en 1661 (8),
alors que Besnier, en 1674, insiste sur la dualité du latin, langue morte et vivante à
la fois (9). Au XVIIIe siècle, la métaphore Langue morte est devenue commune, et
l'image n'est plus ressentie comme telle (10). L'expression est évidemment
de connotations. Péjorative pour les partisans du changement. Ainsi, dans
l'article collège de Y Encyclopédie, dû à D'Alembert, elle est constamment
synonyme de "langue à l'utilité contestable" (11). Mais langue morte est aussi
synonyme de langue prestigieuse. A une époque où toute évolution d'une langue
est sentie comme une dégradation, la langue morte présente l'avantage de ne plus
offrir prise à Faction du temps. L'idée est ancienne et remonte au moins à la
Renaissance : on la trouve chez Erasme et Muret, on la retrouve chez Besnier
(1674), Du Roure (1683), Vanière (1763). De ce fait la langue morte réclame une
méthodologie différente de celle utilisée pour les langues vivantes : selon Fure-
tière (1690), "il faut apprendre [les langues mortes] par les règles de la
", alors que " les langues vivantes sont celles qu'on peut apprendre par la
fréquentation des peuples qui la parlent ".

Les remarques faites sur l'ordre des mots latins ne sont pas moins intéressantes.
Rappelons d'abord que depuis le Moyen Age, on travaille sur un ordre des mots
fixe, que la Syntaxis de Despautère (ca. 1513) contient encore un chapitre
ordo grammaticae constructionis, imposant un ordre déterminé des
et que des grammaires scolaires plus récentes (12) présentent un exercice
de reconstruction de l'ordre des mots. Le passage du latin au français dans
de traduction obligeait à réfléchir à la question, et dans ces conditions, on
comprend que l'ordre des mots ait été au centre des querelles idéologiques. C'est
le point qui fournit le plus d'arguments à Le Laboureur (13) pour montrer que la
langue latine est incohérente. Ce dernier manifeste une conception de l'ordre des
"mots
l'avantage
naïvement
de dire
" franco-centrique
les choses par ordre,
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32
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mais avec non moins de naïveté, Lancelot observe, à propos de la figure de
nommée " hyperbate ", que " les Romains ont tellement affecté le
figuré, qu'ils ne parlent presque jamais autrement " (NML\ 1653),
Les philosophes des Lumières, très préoccupés par la question d'un ordre
des mots, ont été contraints de dépasser ce stade de la réflexion qui verrait la
" nature " du côté du français et la " figure " du côté du latin. On n'approfondira
pas ici le débat qui oppose, entre autres, ceux qui voient l'ordre naturel du côté du
français (les rationalistes fixistes, Du Marsais et Beauzée en tête), Condillac,
adepte d'un sensualisme génétique, qui interprète l'organisation de la phrase,
qu'elle soit latine ou française, comme la création d'un tableau, et ceux (e.g. Bat-
teux et Pluche) qui considèrent que l'ordre naturel est suivi par le latin, car il peut,
grâce à ses marques flexionnelles, marquer " la continuité de l'action, et le progrès
des circonstances qui se succèdent" (Batteux, 1751). Ce qu'on retiendra ici, c'est
uniquement ce sentiment, partagé par tous les participants au débat : nous ne
sommes pas plus capables que les Anciens eux-mêmes de connaître les règles qui
président à l'ordre des mots en latin, car ce dernier est laissé au gré des habitudes
de chaque auteur. Il faut donc être très humble devant cette langue (14) et savoir
renoncer, comme le préconise D'Alembert, à en reconnaître " toutes les finesses ".
Mais ce n'est pas très grave puisque, on va le voir, les objectifs ont changé.

*
* *

Jusqu'au XVII1 siècle, l'apprentissage du latin est orienté vers l'acquisition


d'une " compétence " aussi complète que possible de cette langue. C'est dans cette
perspective qu'il faut envisager les gros ouvrages que sont ceux d'un Despautère,
d'un Vossius ou d'un Lancelot. Comment avoir une pratique étendue de la langue,
si l'on ne connaît pas les règles des genres, le détail des déclinaisons, la fabrication
des prétérits et supins ? Si l'ensemble de ces règles occupe les pages 79 à 422 de la
NML3 de Lancelot, ce n'est pas forcément par excès d'une " pédagogie de la
", comme le dit Snyders, c'est simplement parce que l'on attend toujours
de l'élève à la fois qu'il " produise " de mémoire du latin et qu'il produise du latin
correct. A moins de se contraindre — comme le prescrit encore la Ratio des
— à parler constamment latin — et un latin contrôlé, pour éviter qu'il n'évolue
comme un idiome autonome—, il n'y a guère d'autre moyen. Et c'est là qu'est le
défaut du système de Port-Royal : toutes les règles en latin permettaient de
le latin, toutes ces règles traduites en français ne le permettent plus, mais
obligent à un prodigieux effort de mémoire.
On comprend alors les mutations profondes dans les finalités assignées à cet
apprentissage. On partira d'un passage de Lefebvre de Saumur (15) pour
ces dernières :
" C'est qu'en toute langue il n'y a que trois degrés : le premier, c'est d'entendre,
le second, de composer, et le troisième de parler sur le champ. Or cet ordre est

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l'ordre de la nature, et ici la nature et la raison, c'est la même chose, et, partant,
tout homme qui prend un autre chemin, abandonne la raison, parce qu'il ne
suit pas la nature. "

Trois fins : entendre (comprendre) ; composer ; parler sur le champ. S'il est peu
probable que les théoriciens de l'apprentissage des langues vivantes soient
aujourd'hui d'accord sur cette progression, c'est pourtant celle qui est évoquée le
plus fréquemment au XVIII' siècle.

"Entendre": deux réalités sous ce mot: dans un collège jésuite du XVII'


siècle, c'est entendre (on sera sensible à l'ambiguïté du mot) le maître qui ne parle
que latin ; dans une école où l'on pratique les méthodes " modernes " au XVIIIe
siècle, c'est entendre le langage silencieux des auteurs classiques qui "parlent"
par le biais des traductions interlinéaires. Dans le premier cas, il ne s'agit même
pas d'un but à atteindre ; c'est une nécessité première ; dans le second, c'est
devenu la finalité principale. Mais il y a loin entre entendre un latin abâtardi
ânonné dans une classe, et entendre les grands auteurs ; de fait, au XVIIIe siècle,
les enfants donnés en exemple ne sont pas ceux qui jargonnent un latin douteux,
mais ceux qui traduisent à livre ouvert. Et l'on cite à l'envi l'exemple du fils de
Lefebvre, prématurément décédé à l'âge de quatorze ans, et qui, selon son père :
" savait Y Enéide de Virgile, Térence, Phèdre, les Métamorphoses d'Ovide, Sal-
luste, la première comédie de Plaute [...] et les trois premiers livres de Tite-
Li ve ; en outre les autres petits auteurs qu'il faut savoir pour entendre ceux dont
je viens de parler." (1702)

Les grammairiens philosophes du XVIIIe siècle considèrent cette fin comme


essentielle, sinon unique. Ainsi, selon Du Marsais (16), "le but principal des
latines, c'est d'entendre les auteurs latins, et non pas de mettre du français en
latin ", Le point de vue est repris, dans l'article méthode de Y Encyclopédie, par
Beauzée qui estime que les langues mortes sont à étudier " comme moyen ", alors
que les langues vivantes sont à étudier " comme fin ".

" Composer " : à l'origine, thème et composition sont la même chose, puisque le
thème n'est justement que le développement d'un thème (sujet) donné dans une
donnée, français ou latin. Le thème " latin " a mauvaise presse : pour les élèves, il
est souvent synonyme de " malheur " et chez la plupart des auteurs, il est de bon ton
de fulminer contre lui dans un premier temps, avant de recommander l'exercice du
thème d'application. Ce qu'on condamne absolument dans les milieux modernistes,
c'est : 1) de commencer par la composition ; 2) de composer en latin sur des sujets
d'actualité, ce qui implique un mauvais latin et accapare trop l'élève. Mais pour Du
Marsais, le thème " met de la variété dans les études ", et Beauzée juge utile, " quand
le disciple a acquis une certaine force "„ de " lui donner le françois de quelque chose
qu'il a déjà expliqué, & lui en faire retrouver le latin" (Encyclopédie, art. thème).
Cependant le discrédit du thème augmentera jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, sans que
les auteurs renoncent à en proposer une méthode. Par exemple, Clément de Boissy,
dans son traité L'art des langues (1777), reprend à son compte la condamnation du
thème, mais sa Grammaire latine (1776) consacre 163 pages à la "méthode fran-
çoise-latine, ou manière de traduire la langue françoise en langue latine".

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Quant à la composition, c'est-à-dire à la rédaction proprement dite d'ouvrages
en latin, elle est également remise en cause. Dans un opuscule intitulé Examen de
la latinité du P. Jouvenci (1766), Valart reproche au Père d'avoir fait plus de 90
fautes en moins de 24 pages ! Si l'on s'accorde à trouver l'attaque de Valart
certains s'interrogent sur la validité du latin écrit au XVIIIe siècle. Dans son
Discours sur la langue latine prononcé à l'Académie des Belles Lettres de La
Rochelle, De Lavau entreprend de montrer que la langue latine est " un nouvel
idiome " ; celui-ci est né de l'entreprise des gens de la Renaissance : il "tient une
espèce de milieu entre l'ancienne langue latine et leur langue maternelle [ ... ], ne
fut ni l'une ni l'autre [...], garda le fonds de la première pour le temps et les
expressions, et prit beaucoup de la seconde pour le tour et l'arrangement ". Mais
" que pouvaient-ils faire de plus ? On ne compose point avec régularité dans une
langue étrangère ; comment auraient-ils pu composer poliment dans une langue
morte ? " (Mercure de France, mars 1756). Il ne faut pas pour autant abandonner
le " latin moderne ". Toujours selon De Lavau (ibid.), " cette langue, toute récente
qu'elle soit, a ses lois, ses utilités, ses agréments [ ... ]. Ainsi loin de la mépriser on
doit la cultiver avec d'autant plus de soin qu'elle est la clef de la littérature
ancienne". Et De Radonvilliers (17) montre qu'on a quatre raisons de garder
l'usage d'écrire en latin : a) " C'est la langue du culte public " ; b) " C'est la langue
des sciences " ; c) " C'est un lien de plus entre les hommes, et surtout entre les gens
de lettres " ; d) Cette langue reste, malgré ses différences avec le latin de Cicéron,
"une langue belle, harmonieuse, expressive".

" Parler " : on se souvient que Sanctius avait renoncé, dès 1587, à cet ultime but,
qui est resté longtemps le fondement de la pédagogie jésuite. Au XVIII siècle, à
propos du latin parlé, on peut recencer trois points de vue :
1) le latin parlé est utile : langue de communication entre personnes savantes
dans toute l'Europe, utile pour les examens et les thèses ;
2) le latin parlé est souvent détestable, comme on le voit dans les pays de
du Nord ;
3) il faudrait parler un latin pur. Dans cette intention s'est élaboré le mythe —
qui deviendra récurrent — de la ville où l'on ne parlerait que latin : on le trouve au
XVIe siècle chez Sperone Speroni, Lamy s'en fait l'écho en 1684, La Condamine
en 1751, Maupertuis en 1752 (18) :
" II ne faudroit que confiner dans une même ville tout le latin de son pays ;
ordonner qu'on y prêchât, qu'on y plaidât, qu'on n'y jouât de la comédie qu'en
latin. Je crois bien que le latin qu'on y parleroit ne seroit pas celui de la cour
d'Auguste, mais aussi ce ne seroit pas celui des Polonais. "
Mais la plupart renoncent à cette hypothèse, du fait de son aspect utopique
(Simon, 1759), ou même franchement inutile (Beauzée, art. méthode de YEncy-
clopédie ; Coyer, 1770). Il n'y aura donc pas de nouvelle " renaissance " du latin au
XVIIIe siècle, malgré tout l'intérêt qu'on porte à cette langue, dont il faut examiner
maintenant les méthodes.

*
* *

35
Si les auteurs s'accordent à reconnaître des limites à la connaissance du latin ou
à déplorer l'état de son apprentissage, ils s'accordent aussi à penser qu'on pourrait
considérablement amender ce dernier, chacun étant persuadé de la supériorité de
sa méthode sur celle du concurrent. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre
Nouvelle méthode ... tellement galvaudée qu'elle doit éveiller la méfiance
sur sa réelle nouveauté, et son intérêt pédagogique. Les nouvelles méthodes
dès les années 1 640, mais, au XVIIIe siècle, le débat devient général grâce à
l'écho que lui donnent les discussions pédagogiques développées dans les
(19) et dans les " plans d'éducation ", un genre qui se répand très rapidement
à partir de 1750 (20). Néanmoins les latinistes n'ont pas attendu les débats des
Lumières pour tenter d'améliorer leur pratique pédagogique, comme le montrent
les adaptations de la grammaire de Despautère.
Rappelons ce que représentent les Commentarii Grammatici de Despautère,
dans l'édition de R. Estienne (1537) : plusieurs livres (21) auparavant publiés
séparément, et 692 pages d'un grand in-folio. Cet ensemble est disparate : il
des exposés élémentaires, comme les Rudimenta, et, à la suite de règles en
vers, des discussions fort savantes, qui révèlent la marque de Josse Bade — ainsi
dans la Syntaxe — et qui en font un livre du maître. Sur le plan doctrinal, l'ouvrage
est un mixte de principes humanistes et de survivances médiévales, ce qui rend
son utilisation difficile. Il fallait donc rendre à l'élève cet ensemble monumental,
et c'est ce qu'ont tenté de faire les continuateurs. Outre une évolution au niveau
graphique (22), les adaptations peuvent se récapituler ainsi : résumer (Pélisson,
1530) ; organiser, dresser des tableaux (Vereept, 17571-2) ; traduire (Dupréau,
1584, Behourt, 1627 et autres éd.) ; refaire les règles en vers (Dupleix, 1644) ;
illustrer (Couvay, 1649) ; glosser (le Despauire glosé, 1649) ; introduire des
de distraction culturelle (Pajot, 1650) ; enfin combiner plusieurs de ces
procédés (Tanquerel, 1633 ; Bobye, 1646 ; Ducreux, 1654 ; Gaudin8, 1704). On a
là en abrégé la plupart des procédés appliqués par la suite et l'on se contentera de
faire deux remarques :
1) sur le plan pédagogique, le remplacement — observable dans le " Behourt "
par exemple — du commentaire initial par des gloses progressivement traduites en
français sur les règles en vers permet une acquisition par la pratique et par le va-
et-vient incessant entre les deux langues ;
2) sur le plan théorique, les adaptateurs intègrent des éléments extérieurs (par
exemple, recours de plus en plus important à l'ellipse) qui, au lieu de compléter la
doctrine, y introduisent des contradictions et détériorent ainsi encore un peu plus
un ouvrage déjà peu clair, ce que Lancelot ne manquera pas de remarquer. Il
n'empêche que les ouvrages de ce type constitueront en France la base de
du latin avant d'être détrônés par la Nouvelle Méthode Latine.

" grammaire
On peut opposer
causiste "à l'ensemble
la traditiondes
despautérienne
ouvrages humanistes
et regrouper
dont lessous
auteurs
le terme
(Sca-
liger, Ramus, Sanctius) entendent traiter des " causes " de la langue latine, et au-
delà rechercher les principes généraux du langage et de sa description. Il en
résulte un intérêt beaucoup plus grand, par exemple, pour l'origine et le londe-
ment des catégories linguistiques, et leur combinaison dans la phrase, que pour la

36
morphologie. Ce courant se maintient très fortement au XVII1 siècle avec les
ou les épigones de Sanctius que sont Scioppius, Vossius, et surtout Lancelot,
dont la Nouvelle Méthode Latine, d'abord inspirée de Despautère, combine une
morphologie approfondie et une syntaxe inspirée des principes sanctions (23).
Cette double origine et cette polyvalence feront de la NML une référence à la fois
pour les théoriciens de la grammaire générale et pour les pédagogues, qui y
un réservoir d'exemples et une garantie sur le plan doctrinal.

Cependant les contraintes pratiques ne permettaient pas de se contenter de ce


type d'ouvrages. Ce dont avaient besoin les pédagogues, c'était moins de théorie
que de
" parce
recettes
quepratiques.
l'analogieCertaines
est le fondement
sont très de
simples
toutes: en
les 1644,
langues
Lancelot
"
(NML1, Advis
au lecteur), l'idée de faire imprimer les désinences nominales ou verbales en
et avec des caractères spécifiques, ainsi que celle de pouvoir visualiser d'un
coup les quatre conjugaisons disposées sur le verso de la première page et sur le
recto de la suivante. Une innovation plus importante est d'abandonner la forme du
manuel, et de composer, comme l'a fait l'oratorien Condren en 1640, six tables
(déclinaisons, genres, conjugaisons, prétérits, supins, syntaxe) destinées à être
affichées dans la chambre de l'élève. A côté de cette simplification dans la
plusieurs types d'ouvrages facilitent l'apprentissage : certains existent
depuis longtemps, d'autres sont apparus plus récemment. Examinons-les.

— Les " colloques ", destinés à favoriser un apprentissage naturel du latin,


à jouer leur rôle : Coustel (24) recommande encore les Colloques
d'Erasme, malgré leu ancienneté : " C'est une nécessité, faute d'autres, de s'en
servir, en attendant qu'on aye quelque chose de meilleur". N. Mercier en édite
une version expurgée. Les Colloques de Mathurin Cordier deviennent plus
accessibles grâce à la traduction qu'on met en regard (traduction par Gabriel
Chapuis, en 1586, anonyme en 1672).
— Les recueils d' " élégances " ou de " phrases latines ", dans la lignée de Valla
ou d'Hadrien Castellesi (dit Cardinal Hadrien), suscitent des imitations : en
1683, Verwey en réunit un grand nombre dans son Thésaurus cultae latinitatis ;
ces ouvrages permettent au traducteur de trouver rapidement l'expression
latine.
— Les traités des " particules ", dont le prototype est celui de l'Italien Horace
Tursellin (25), servent à donner le bon usage des conjonctions, prépositions,
adverbes, mais aussi des pronoms^ tous réunis sous ce terme générique de "
". Le " Tursellin " a connu un grand succès : il est recommandé par Jou-
vency, les Rationes jésuites du XVIIIe siècle ou le Traité des Etudes de Rollin. Il
donna l'occasion à des traductions (26) qui permettaient de comparer l'usage
respectif de ces petits mots en latin et en français.
— Il existe des méthodes de thème, dont la plus remarquable est celle de Gui
Bretonneau, principal du collège de Pontoise : Méthode curieuse et toute
pour acheminer à la Langue latine par l'observation de la française (1645
et nombreuses rééditions). Bretonneau se rend parfaitement compte de
de la grammaire latine, telle qu'elle est présentée par Despautère par

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exemple, pour traiter certaines questions, car tout ne passe pas par les règles de
convenance et de régime. Par exemple, on ne peut se contenter de traduire
en latin "sans boire", "avant que de boire", ce qui donne les
expressions agrammati cales : *sine bibere, * antequam bibere. C'était là poser
parfaitement le problème de la nécessité d'une grammaire différentielle
Le résoudre était autrement difficile, comme le montrent les titres
des cinq premiers chapitres portés dans la table des matières (27). En effet
n'a d'autre moyen que de partir de contextes, qui lui permettent par
exemple de différencier le que derrière les verbes d'affirmation, à traduire par
quod* ou mieux par un accusatiuus cum infinitiuo, et le que derrière les verbes
d'empêchement, à traduire par quin. Le résultat est, comme l'auteur le
lui-même, un " recueil bigarré et entremêlé de tant de choses différentes ".
— Dans une optique presque tout orientée vers la fabrication de textes latins, les
méthodes de version sont beaucoup moins nombreuses que celles de thème.
Une pourtant est passée à la postérité, les Règles de la traduction ou Moyens
pour apprendre à traduire du latin au français (1660) de Gaspard de Tende,
dont le but est avant tout pratique. Elle répond à des questions du genre : dans
quelles occasions peut-on ajouter dans la traduction Monsieur, Madame,
à un nom propre ? A côté de cela, on trouve des préoccupations plus
strictement syntaxiques, mais tout est dans un beau désordre. Par exemple,
pour une raison de suivi alphabétique, la règle sur la traduction par Monsieur
succède à une règle sur " l'interrogeant " qui prescrit l'inversion verbe-article
(c'est ainsi que Gaspard de Tende désigne je) et précède une règle sur la
d'atténuer les métaphores dans la traduction.

Tous ces ouvrages sont autant de moyens pratiques pour aborder concrètement
les problèmes de traduction : on peut constater leur succès dans le fait que
Gaullyer réunisse, de 1716 à 1719, la plupart de ces méthodes dans ses Règles
pour la langue latine et françoise (28).
Le XVIIIe siècle ne pouvait cependant se contenter de cet ensemble hétéroclite
de recettes empiriques. Lorsque Du Marsais présente en 1722 son Exposition
d'une méthode raisonnée pour apprendre la langue latine, suivie du " Carmen Sae-
culare " d'Horace mis en versions interlinéaires, il a également un but pratique,
mais sans que ce dernier remette en cause les principes de la grammaire générale.
L'interlinéaire — qui n'est pas une nouveauté (on s'en sert en particulier entre le
grec et le latin) et qui entre en concurrence avec les constructions chiffrées, fort
utilisées aussi — doit, selon Du Marsais, permettre de passer du latin au français, et
inversement, par une théorie générale du langage : c'est elle, et non les structures
françaises, qui doit dicter les transformations à opérer sur un latin " reconstruit et
suppléé " pour les besoins du passage. La méthode va connaître un succès
tout en faisant l'objet de doutes de la part de certains " philosophes "
Beauzée) ou de contestations vigoureuses venant de ceux qui refusent une
réorganisation du texte latin (Chompré, Pluche). Mais il est vrai qu'elle va donner
lieu à des imitations qui ne manifestent pas la même rigueur théorique.
De tout temps, certains auteurs ont eu pour but essentiel de donner à
du latin une image plaisante : Couvray illustre de petites vignettes la pre-

38
mière partie du Despautère (1649) ; G. de Foigny imagine une grammaire latine
qui s'apprend en jouant aux cartes (L'usage du jeu royal de la langue latine,
1674) ; le Père du Cerceau met en scène la grammaire de Despautère dans une
pièce intitulée La défaite du solécisme par Despautère (1705). Plus
De Vallange, dans son Art d'enseigner le latin aux petits enfans en les
et sans qu'ils s'en aperçoivent (1730), fait l'inventaire des " sciences
propres à cacher aux enfants l'étude du latin " ; il propose une "
latine enjeu de cartes ", une " grammaire latine digitale ", une " grammaire
latine musicale " ; il séduit les petites filles par des accessoires féminins, ou des
jouets, mais il y a encore les écrans grammaticaux, quand les élèves " sont obligés
d'être auprès du feu ", les bourses grammaticales avec des médailles et des jetons
faits ad hoc, les pâtisseries (déjà présentes dans le Depueris d'Erasme) ou les
allégoriques. Dans le genre, la tentative la plus " sérieuse " semble celle de L.
Dumas, avec son " bureau tipografique ". L'idée de Dumas est d'apprendre à lire,
puis à composer en latin et en français, en faisant de l'élève un ouvrier typographe.
Elle est réalisée avec un très grand soin tant au niveau matériel (instruments
accessoires variés, dont certains sont portatifs) que sur le plan pédagogique.
Dumas éprouve rapidement le besoin de réformer l'orthographe, et est
attentif aux réactions de l'enfant : au moindre signe de dégoût, il est enlevé
de son " cabinet" qu'il retrouve comme une récompense. Sa méthode connaît un
succès important, en particulier dans les milieux éclairés.

Beaucoup de grammairiens déploient leur imagination non dans le sens d'une


aide pédagogique, mais dans celui de l'ingéniosité gratuite. En 1722 et 1727,
l'abbé G.-E. Frémy (29) réussit le tour de force de regrouper l'essentiel de la
latine en une seule règle, dite règle monosyllabique parce qu'elle se réduit à
AD, qui permet d'atteindre la forme latine adéquate en fonction de la structure
de la phrase française. A désigne la préposition française à, D la préposition
de ; l'analyse des syntagmes dans lesquels ces prépositions apparaissent — ou
n'apparaissent pas — permet d'établir la forme qu'aura le mot latin correspondant
(30). La méthode fournit en outre tout un ensemble d'aides à l'interprétation, en
déterminant une typologie de la traduction (31) et en utilisant un système
de " hiéroglyphes ", auxiliaires locaux à la traduction. En fait la méthode est
à la fois conceptuellement inconsistante (malgré sa recherche d'universaux,
comme celle de " nominateur ", Frémy reste prisonnier des marques formelles) et
trop complexes pour servir à un usage pédagogique. Autre exemple aussi
: le sabir de Changeux (1773), qui n'a aucune intention pédagogique, mais
qui se veut une grammaire universelle : si le projet n'aboutit pas, c'est parce que
l'auteur hésite constamment entre la création d'une langue universelle (syntaxe
simplifiée) et celle d'un outil universel de description des langues naturelles
(numérotation des marques).

Mais la grammaire est-elle nécessaire ? On se pose souvent la question au X Vlïl


siècle et, si l'apprentissage par la méthode directe n'est plus guère possible après
1650, on continue à citer l'exemple de Montaigne, qui avait appris ainsi le latin
(avant de l'oublier au collège de Guyenne), on répète sans cesse le précepte de
Quintilien (1, 6, 27) : Aliud [est] Latine, aliud grammatice loqui, on se plaît à rap-

39
eler que les Anciens apprenaient le grec par imprégnation, mais surtout pas par
a grammaire (32). Locke, puis Du Marsais préconisent un apprentissage par
"routine". Certains auteurs préfèrent à la métaphysique grammaticale la
" méchanique " (cf. le titre de l'ouvrage de Pluche) qui doit permettre de passer
directement d'une langue à l'autre sans système intermédiaire abstrait (33).
Tout cela va dans le sens d'une méfiance à l'égard de la grammaire, dont
éléments suffiront : pour Pluche, " il ne faut ni syntaxe, ni particules, ni
ni larmes " ; pour Morelly (1743), " il ne faut parler à un enfant, ni de
syntaxe, ni de méthode, que quand il est presque en état d'expliquer un bon
auteur à livre ouvert ". En tout cas, il n'y a pas de lien entre la grammaire
et l'étude des langues, comme le soutient L. Bouchot (34). Lhomond,
que " la métaphysique ne convient point aux enfans " (Grammaire Latine,
1780 : Préface), considère comme objectifs raisonnables de l'étude d'une langue :
1) de connaître l'usage ; 2) de connaître la raison de cet usage, ce qui suffit à " la
faible intelligence des enfans ' (ibid.).
11 n'en reste pas moins que le latin se maintient au centre des préoccupations
de la grammaire " métaphysique ". On en veut pour preuve — et c'est par là qu'on
finira cet inventaire — la passionnante grammaire latine qui se dessine au gré de
l'accumulation des articles de YEncyclopédie sous la plume de Du Marsais, puis
de Beauzée. Après le français, c'est la langue qui se présente tout naturellement
aux auteurs pour l'illustration de leur théorie : cela ne se passe pas sans mal pour
les données factuelles, en particulier de la part d'un Beauzée qui fournit sans
doute la description la plus atypique du latin qu'on ait pu donner, mais aussi l'une
des plus intéressantes. Poussant à l'extrême le principe de Sanctius (un seul sens et
une seule fonction pour un morphème donné), Beauzée construit une grammaire
latine dans laquelle, par exemple, un accusatif est toujours le complément d'une
préposition, et le subjonctif toujours introduit par une conjonction de
l'ellipse étant la seule possibilité de réduire les phrases échappant au carcan
de cette correspondance biunivoque entre forme et fonction.

*
* *

La " grammaire latine " de Beauzée est un cas extrême, et globalement sans
mais elle s'inscrit dans un éventail de méthodes dont la variété est
Au moins en ce qui concerne strictement le latin, la période étudiée n'est
pas très riche d'innovations théoriques : certes la grammaire latine bénéficie de
certaines avancées, comme la mise en place de la notion de phrase complexe (avec
en particulier " la proposition incidente " de Port-Royl, qui permet une ébauche
des concepts de relatif de liaison ou de proposition infinitive). Il n'en reste pas
moins que le cadre général, fondé sur les variations morphosyntaxiques, est en
place depuis longtemps.
Ce qui est vraiment nouveau, c'est la multitude des approches, l'inventivité des
pédagogues. Revenons aux deux points de vue dont nous sommes parti : nous
souscrirons, au moins partiellement, à tous les deux. De Rochemonteix n'a pas
tort de dire que la méthode de Port-Royal marque la fin de l'enseignement classi-

40
que : exactement elle marque la fin de la prétention à former une " compétence "
de la langue latine. Traduire une grammaire latine rédigée en français n a pas été
une opération anodine, qui n'aurait eu pour conséquence anodine que d'alléger la
"croix" des élèves confrontés aux difficultés de l'apprentissage du latin. Cela
revenait en fait à renouveler complètement l'approche, à situer le latin par
au français, à prendre — implicitement ou explicitement — des positions sur le
statut respectif des deux langues, alors même que, pour l'une, une vulgate
n'était pas encore constituée. Snyders a également raison, sur un point :
la Nouvelle Méthode Latine, dans les 940 pages de sa troisième édition par
exemple, n'est pas l'instrument idéal pour apprendre le latin. Lancelot a
commis une erreur d'appréciation : traduire Despautère ou Sanctius
en français ne facilite pas, comme on pourrait le croire, l'initiation, car cela en
évacue l'aspect le plus intéressant : l'apprentissage de la langue par la langue, bien
plus important en soi que la règle à formuler.
C'est en cela que les "Behourt" devaient être de remarquables moyens
: ils permettaient par leur jeu complexe d'explicitations et de gloses de
se familiariser avec cette langue, de la pénétrer peu à peu, ce du moins avant que le
français, dans les dernières éditions, ne phagocytât presque complètement le texte
latin.
Ceci nous amène à notre conclusion : une bonne grammaire latine est une
méthode adaptée à son objet. La mince grammaire latine de Lhomond ne remplit
bien son rôle que par rapport à la grammaire française qui lui est associée, et que
parce qu'on a renoncé depuis longtemps à attendre de l'élève qu'il manie les
des noms latins avec autant d'aisance qu'il le fait pour les noms français. Quant
à notre point de départ, la Nouvelle Méthode Latine de Port-Royal, elle remplira
aussi un rôle essentiel pendant 150 ans : simplement, ce n'est pas celui, attendu,
de " méthode " pédagogique, mais celui de réservoir d'érudition, de contrôle de la
" performance ", pour des enseignants qui doutent de plus en plus de leur propre
"compétence" en ce qui concerne une langue qui leur paraît —c'est un
paradoxe — certainement plus lointaine qu'elle ne nous le semble à nous-mêmes
aujourd'hui.

Bernard COLOMBAT
Université Stendhal-Grenoble III et CNRS-URA 381

ADNOTATIONES

(1) Un collège de Jésuites aux XVIIe et XVIIIe siècles : le collège Henri IV de La Flèche, Le Mans,
1889, vol. 3, pp. 140-1. Pour des raisons de place, nous limiterons au maximum (parfois à un
auteur et une date) les références des textes cités ou évoqués, essentiellement des grammaires
latines ou des plans d'éducation. Pour plus de détail, le lecteur se reportera à notre thèse : Les
figures de construction dans la syntaxe latine (1500-1 780), à par. dans la Bibliothèque de
Grammaticale (Peeters).

41
(2) " D'une part, le pédagogue veut tout prévoir, tout régler — et c'est pourquoi il croit de son devoir
de citer toutes les exceptions, même fort rares f ... ]. D'autre part il ne pense pas du tout pouvoir
se fier à un sens de la langue, une sensibilité, une accoutumance linguistique [...]; tout doit être
appris par règle, car c'est de s'imposer à chaque instant une règle, de plier sa volonté à une règle
qui constitue l'essentiel de l'éducation ". (La pédagogie en France aux XVIIe et XVIIIe siècles,
Paris, 1965, p. 71).
(3) La mécanique des langues et Vart de les enseigner, Paris.
(4) " Vous les voyez tristement assis et dans un repos qui fait leur supplice. Grand silence.
profonde. Choix de mots. Réformes de tour. Enfin il sera dit qu'ils composent en latin. "
(5) Bibliothèque grammaticale abrégée, Paris.
(6) P. Chompré, Introduction à la langue latine par la voie de la traduction, Paris, 1751.
(7) Entre le médecin Cureau de la Chambre, Nouvelles conjectures de la digestion, et Belot,
de la langue latine.
(8) II prescrit de '" savoir entre les langues vivantes, la Françoise, et entre les langues qu'on appelle
mortes, la Latine, qui est la plus universelle ".
(9) étant
" Si elle
fixeestetencore
arrêtéevivante
par unparusage
l'étendue
constant
de son
et déterminé.
usage ; elle "a les avantages des Langues Mortes,
(10) Malgré la réactivation de Bertrand (1797) dans sa protestation : " Non, je n'imiterai point ces
insensés qui, parce que la langue latine n'est plus vivante, la repoussent comme un cadavre. "
(11) "Je sais que le latin étant une langue morte, dont presque toutes les finesses nous échappent,
ceux qui passent aujourd'hui pour écrire le mieux en cette langue, écrivent peut-être fort
mal " ; " la plupart [ des langues vivantes ] seraient plus utiles à savoir que des langues mortes,
dont les savants sont seuls à portée de faire usage. "
( 12) Cf. par ex. une Grammatica latina anonyme à l'usage des écoles du Palatinat (Hanau, 1624), ou
encore les interpretationes de Ch. de La Rue dans ses éditions ad usum Delphini (1675).
(18) Avantages de la langue française sur la langue latine, Paris, 1667.
(14) Par exemple, Pluche évoque ainsi ses inquiétudes lors de la rédaction de la version latine de sa
Mécanique des langues (De linguarum artificio et doctrina) : " Ce ne fut pas sans inquiétude que
j'acceptai la commission de parler [sic] une langue qui ne m'est pas ordinaire. Mon Latin
m'était fort suspect, et quoique je l'eusse peut-être quelque peu dégrossi par un assez long usage
des Anciens, j'appréhendais qu'en écrivant en latin les gallicismes ne me jouassent plus d'un
tour. "
(15) Méthode pour commencer les humanités grecques et latines, Saumur, 1672 ; 2e éd. 1702.
(16) Les véritables principes de la grammaire, 1729 [Paris, 1797].
(17) De la manière d'apprendre les langues, Paris, 1768.
(18) Lettres sur le progrès des sciences.
(19) En particulier V Année littéraire de Fréron, le Journal des Savants, les Mémoires de Trévoux et
le Mercure de France.
(20) D. Julia a réédité 65 de ces plans sur microfiches (La réforme de l'enseignement au Siècle des
Lumières, 1 750-1 791, Paris, s.d. [ 1 976 ] ).
(2 1) Kudimenta, Prima pars (— morphologie), Syntaxis + De reciprocis, Ars versificatoria, De accen-
tibus, de carminum generibus, De figuris, Ars epistolica, Orthographia (+ un Index).
(22) Cf. J. Hébrard " L'évolution de l'espace graphique d'un manuel scolaire : le Despautère de 1512
à 1579", Langue française, 59, 1983, pp. 68-87.
(23) E. g. monocatégorisation des morphèmes, réduction par l'ellipse à un certain nombre de
constructionnels canoniques. Nous ne nous étendrons pas ici sur la tradition sanctienne,
pour importante qu'elle soit, parce que c'est en fait la mieux connue aujourd'hui.
(24) Règles de l'éducation des enfants, Paris, 1687.
(25) De particulis Latinae locutionis, 1598.
(26) Cf. Ph. Monet, Ligatures des langues française et latine, réciproquement appariées et
rendues les unes par les autres, ou Explication des menus mots Français et Latins, qui font
la liaison de la structure au langage (1629) ; R. Ogier, Inventaire des particules françoises
(À 1637) ; F.-A. Pomey, Les particules françoises, méthodiquement exprimées en latin (1666).

42
(27) 1. Diverses observations sur la particule Française que [60 pages dans l'éd. de 1645] ; II. Pour
réduire en diverses sortes l'infinitif français, quand il est accompagné de quelque préposition et
conjonction ; III. De quelle façon se doit exposer l'infinitif, quand la particule de le devance, et
comment on le doit distinguer d'avec le gérondif en di ; IV. Pour réduire le participe au verbe ;
V. Comment se doit faire la réduction des mœufs [= modes] finis à l'infinitif, aux temps
de l'oraison [...].
(28) L'ouvrage combine (outre un traité de versification) à la fois :
— des Rudiments [■■■], avec une syntaxe,
— une Méthode contenant les premiers principes pour traduire le Français en Latin,
— des Règles d'élégance pour la prose latine,
— et des Règles pour traduire le latin en françois.
soit un échantillonnage assez complet des procédés alors en usage.
(29) Essai d'une nouvelle méthode ..., Paris ; cf. J.-C. Chevalier, Histoire de la syntaxe, Genève, 1968,
pp. 625-33.
(30) " La règle AD est le signe et comme le symbole de la conformité des idées de la Syntaxe
avec la Syntaxe Latine. "
(3 1) De la traduction " grammaticale ou étiologique ", la plus proche du texte latin, à la traduction
" paraphrasée intellectuelle " qui consiste dans une paraphrase très libre, en passant par une
traduction " synonime ".
(32) " La grammaire étoit connue à Rome, elle y étoit cultivée ; mais on ne l'employoit pas pour
enseigner les Langues." (De Radonvilliers, 1768) /"Les anciens Romains connaissaient la
grammaire, mais ils n'avaient garde de s'en servir pour apprendre les Langues. Ils les
par l'usage, et se perfectionnaient dans leur connaissance par l'étude des principes. "
(Carpentier, 1775).
(33) Cf. De Radonvilliers (1768) : "J'appelle méchanisme l'emploi des inflexions et des particules
pour lier les idées. Un François veut lier ces idées ville, Rome ; il insère entre deux la particule
de, et il dit, la ville de Rome. Un Latin veut lier les mêmes idées, il n'emploie pas de particule,
mais il donne la même inflexion aux deux mots, et il dit, urbs Roma, urbis Romae, urbem
Romani. Voilà un exemple du différent méchanisme. "
(34) Différence entre la grammaire et la grammaire générale raisonnée. Cette dernière ne peut servir
d'introduction pour aucune langue, s.d. [1760].

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