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Aux origines des courses de « Tête de rivière »…

Résumé – Des courses de « Tête de rivière » ont été disputées en Grande-Bretagne dès le
début du XIXème siècle : il s’agissait de courses « à l’abordage » s’étendant sur plusieurs jours.
Ce n’est qu’en 1926 qu’un entraîneur génial, Stephen Fairbairn, rénova ce type de courses en
procession, en lui donnant la forme festive que nous connaissons à présent, pour servir de
contrôle hivernal d’entraînement.

Il n’est pas nécessaire de remonter au déluge1 ni même à la première course contre la montre
– et à la vie, à la mort - attestée historiquement, en 427 avant notre ère2, pour retrouver
l’origine des courses dites de Tête de rivière. Il suffit de remonter aux origines modernes de
notre sport, non pas aux premières courses entre bateliers de la
Tamise, au début du XVIIIème siècle, mais bien plutôt à la fin
de ce même siècle, lorsque les écoliers du collège d’Eton
commencèrent à utiliser des bateaux mus à l’aviron pour
parader et disputer des courses. Très tôt, au début du XIXème
siècle, dans les collèges, les Universités (les mariniers
professionnels furent exclus de ces compétitions après 1824),
Figure 1 - Départ de Bump race
une forme de compétition, les courses à l’abordage (bump
(Oxford, 1825) races 3 ), apparut, pour établir la hiérarchie des équipages et
faire émerger la ‘tête de la rivière’ (‘The Head of the River’),
cette expression devant être entendue dans un sens analogue à celui de ‘la tête de la classe’,
i. e. les plus rapides sur l’eau. Le premier règlement écrit,
retrouvé, de telles courses (celui de l’Université d’Oxford)
remonte à 1826. Ces spectaculaires courses entre lourdes
embarcations à six rameurs – les huit sont apparus à peu près à
ce moment-là – permettaient, au sens propre, de visualiser la
hiérarchie des équipages, les meilleurs se trouvant, à leur terme,
en tête du cortège des bateaux en compétition.
Ces courses à l’abordage ne disparurent jamais et sont encore
Figure 2 - Bateau à clins de bois (1812)
disputées de nos jours, elles font partie de la tradition
britannique de l’aviron. On se dispense à présent le plus souvent du choc au rattrapé, le
rattrapage valant choc dès lors que l’équipage rattrapé le reconnaît… Nos bateaux nous sont
reconnaissants de l’abandon d’une coutume si cruelle (pour eux) et si humiliante (pour
l’équipage vaincu).

© Remi Portal, 2008.


Les progrès techniques dans la réalisation des bateaux de
compétition se diffusèrent rapidement : apparition des
portants, vers 1828, allègement des bateaux en bois, v. 1840,
réalisation de bateaux ultra-légers en papier enduit, v. 1868, et
surtout avènement de la coulisse, v. 1869, et du tolet pivotant
(1875), entraînèrent une modification du coup d’aviron (qui
se codifia en un style raide, dit « orthodoxe ») et un

Figure 3 - 4+ (1854)
formidable développement de notre sport. De nombreuses
régates furent créées, tant en Grande-Bretagne que dans toutes
les possessions britanniques, aux États-Unis, où les principales avancées techniques virent le
jour, ou en France et dans d’autres pays. De nombreuses compétitions de toutes formes furent
ouvertes tant aux bateaux courts qu’aux bateaux longs, dans toutes les catégories que nous
connaissons à présent4, sans que soient abandonnées les courses de ‘Tête de rivière’, sous leur
forme originale.

Mais il fallut attendre le début du XXème siècle pour qu’un entraîneur génial, Stephen
Fairbairn, qui fut le premier à promouvoir :
− un entraînement systématique en endurance (« Milages make champions ! ») tout en
reconnaissant que ramer sur de longues distances n’est pas en soi suffisant pour
développer la capacité à courir,
− une modification radicale du coup d’aviron – Fairbairn accordait bien davantage
d’importance à son efficacité qu’à sa perfection formelle –
− et, surtout, globalement, un enseignement de l’aviron fondé sur le principe de plaisir,
rénovât tant l’esprit que les modalités pratiques de la course de ‘Tête de rivière’.

Cette petite révolution, dont les effets sont encore ressentis de nos jours, eut lieu il y a bientôt
82 ans, le dimanche 12 décembre 1926, sur la Tamise, là où elle est soumise à l’influence de
la marée5 (The London Tideway). Insistons sur le choix du dimanche, proprement sacrilège, à
l’époque, pour les courses d’amateurs : Stephen Fairbairn voulait que le plus grand nombre de
rameurs pût participer à la course, et non seulement les oisifs et les étudiants. 23 équipages
seulement (des ‘huit’) participèrent à cette première course suivant une formule entièrement
nouvelle qui n’a guère varié depuis lors. Il s’agissait en effet d’une course contre la montre
(Fairbairn exclut d’emblée toute idée d’abordage), en procession, les départs étant rapprochés,
car Fairbairn était d’avis, justifié par l’expérience, qu’il n’y a pas de meilleur stimulant que de
voir arriver un autre bateau devant soi !

Les conditions du succès d’une telle formule furent très vite éprouvées ; ce sont :
− un chronométrage fiable et un établissement rapide des résultats de la course
(conditions assez difficiles à remplir, à l’époque),
− des départs suffisamment rapprochés pour qu’un équipage puisse espérer dépasser le
précédent,
− la possibilité, pour les spectateurs, d’identifier les équipages depuis la berge afin de
pouvoir s’intéresser pleinement au déroulement de la course : des plaques furent
apposées sur les bateaux, en complément aux couleurs des tenues et aux dossards.

La course fondée par Stephen Fairbairn, The Head of the River Race, connut très vite un
succès croissant (jusqu’à 154 équipages avant la guerre), en dépit de la polémique causée par
le choix du dimanche pour la courir – la question de l’amateurisme faisait rage – et des

© Remi Portal, 2008.


difficultés de chronométrage et d’établissement du classement : seul le vainqueur croyait
fermement à sa validité ! La course eut lieu chaque année depuis sa fondation, sauf pendant la
deuxième guerre mondiale. Très tôt, elle attira les rameurs des clubs étrangers à la Tideway,
non aguerris aux difficultés propres à cettte partie du cours de la Tamise, où les conditions de
navigation peuvent être difficiles.

Et, surtout, The Head of the River Race essaima dans le monde entier6, elle s’ouvrit à toutes
catégories d’embarcations, aux femmes… Cette course est intimement liée à l’histoire de
notre sport dont elle reflète fidèlement l’esprit actuel. Comme Fairbairn le voulait en la créant,
c’est tout à la fois un contrôle d’entraînement hivernal et une fête, car la joie de ramer et de
lutter n’est jamais si grande que lorsqu’on est nombreux sur l’eau, ensemble.

1
Nous l’avons vérifié pour vous, Noé n’avait pas emporté d’aviron et l’Arche a touché terre en s’échouant sans
pouvoir être dirigée à l’aviron.
2
Lors de la guerre du Péloponnèse, les Athéniens décidèrent de tuer tous les habitants mâles de la Cité de
Mytilène, dans l’Île de Lesbos (proche de la côte d’Asie, au Nord-Est de la mer Égée), qui s’était rapprochée de
Sparte, ennemie d’Athènes avec laquelle elle était en conflit d’influence, et d’en réduire femmes et enfants à
l’esclavage. Ils envoyèrent une trirème pour apporter à Mytilène – distante d’environ 400 km – le funeste décret.
Mais les Athéniens, conscients de l’injustice et surtout de l’inutilité de cette décision de punir les habitants de
cette cité, qui cesserait dès lors de verser un tribut, se ravisèrent le lendemain et l’Ecclesia rapporta ce décret.
Les 170 valeureux rameurs de ce deuxième vaisseau, motivés par la promesse
d’une prime exceptionnelle en cas de succès, firent force de rames (Thucydide
rapporte qu’ils continuaient à ramer tout en mangeant leur portion de farine
délayée dans du vin et de l’huile, et qu’ils dormaient et ramaient par bordées…) et
abordèrent dans le port de Mytilène au moment où le décret mortifère fut lu : il put
être aussitôt rapporté sans que son exécution eût pu commencer. [Rappelons que la
Trirème (bas-relief) nage, à bord des trirèmes, où les rameurs étaient disposés sur trois étages de bancs,
était assez similaire au coup d’aviron moderne, les rameurs exerçant une poussée sur leurs jambes, un coussin
étant interposé entre leurs fesses et le banc de nage. Chaque rame, d’un peu plus de 4 m de longueur, n’était mue
que par un seul rameur. Les rameurs étaient des citoyens-soldats, hommes libres, et non esclaves. Tentez
d’imaginer la promiscuité et la fraternité de ces hommes partageant une embarcation d’environ 36 m de longueur,
risquant leur vie ou leur liberté…]
3
Dans ces courses, les équipages se tenaient alignés le long de la rivière, à intervalles réguliers, et partaient tous
en même temps. Le but était de rattraper l’équipage situé devant et d’éviter d’être rattrapé par le bateau suivant.
Si un bateau était abordé par le suivant, un “bump” (choc) lui était reconnu. De la course pouvaient donc résulter
des dommages aux bateaux. Aussi, pour éviter des avaries, le barreur de l’équipage pouvait reconnaître un
‘bump’ sans qu’il y eût effectivement choc. Le lendemain, l’équipage auteur d’un ‘bump’ partait devant les
équipages qui avaient subi un choc. La compétition durait plusieurs jours et les positions atteintes à son terme
étaient retenues pour fixer les positions de départ l’année suivante… Les Universités d’Oxford et de Cambridge
pratiquent deux fois par an de telles courses, pour leurs équipages de ‘College’ (premières années d’études).
4
Des skiffs légers sont apparus dès le début du XIXème siècle et les bateaux à quatre rameurs, avec ou sans
barreur, à la fin des années 1860.
5
Le choix de ce site implique des contraintes horaires.
6
En France, une première course de « Tête de rivière » fut organisée, en 1933, par la Société Nautique de la
Bourse, sur la Marne (bassin de Bry – Le Perreux – Joinville). Depuis 1998, le Grand National à Huit tente de
faire revivre cette mythique Tête de Rivière de Joinville, disparue dans les années 60.

© Remi Portal, 2008.

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