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Communications

La clé des songes


Jacques Dubois, Francis Edeline, Jean-Marie Klinkenberg, Philippe Minguet, François
Pire, Hadelin Trinon

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Dubois Jacques, Edeline Francis, Klinkenberg Jean-Marie, Minguet Philippe, Pire François, Trinon Hadelin. La clé des songes.
In: Communications, 16, 1970. Recherches rhétoriques. pp. 103-109;

doi : https://doi.org/10.3406/comm.1970.2216

https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1970_num_16_1_2216

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La clé des songes

On a coutume de répéter que le rêve est symbolique. La clé des songes le traite
comme tel, puisqu'elle lui impute un double sens, celui qu'il a dans le récit du
rêveur et celui que lui prête l'oniromancien. Pourtant l'interprétation ne
procède pas au hasard. Elle se conforme en fait, sinon en droit, à des règles de
transformation qui correspondent expressément aux tropes de l'ancienne rhétorique.
C'est ce que nous voudrions montrer à partir d'un échantillon représentatif de
l'oniromancie populaire : The Victorian Book of Dreams1. Si l'interprétation était
laissée à l'arbitraire pur, n'importe quel symbole onirique pourrait annoncer
n'importe quel événement. Par exemple, la « plante » qui est symbole de mort
selon le Livre, pourrait annoncer un succès, ou tout autre chose. Mais
l'interprétation ne relève pas du seul caprice de l'interprète. Ce caprice, qui est indéniable,
est réglé. Il témoigne du choix plus ou moins délibéré d'une métabole explicative.
Pour une symbolique générale, la plante est communément symbole de vie. Si
en rêve une plante pousse de votre corps, ce pourrait être un nouvel arbre de
Jessé. Pour le victorien il n'en est rien. Il ne retient du signifié « plante » que la
notion de « mortalité » et dès lors il ne voit en elle, par synecdoque, que le signal
d'une mort prochaine. A telle enseigne, les seuls arbres dont le rêveur ne doive
pas trop craindre la valeur augurale sont ceux qui poussent lentement.
On fait grand cas aujourd'hui de la surdétermination des symboles. A cet
égard le Livre frappe par sa pauvreté. Il est bien des symboles dont le sens varie
selon l'âge, le sexe, la profession du rêveur ou la situation occasionnelle, mais
beaucoup sont univoques. La figure du « roi », par exemple, n'est jamais que le
signe d'un futur esclavage. Un psychanalyste y verrait l'image du père ou, quand
d'aventure le lecteur s'y reconnaît, l'illustration de son narcissisme ou de sa
mégalomanie. En tout état de cause, il ne décidera qu'une fois établies les
associations qui rattachent le symbole onirique à la réalité vécue. Le Livre des rêves
ne s'embarrasse pas de telles précautions. Ce n'est pas qu'il soit surréaliste. Il
n'ouvre aucune porte sur l'infini du possible, sur le labyrinthe de l'inconcsient

1. The Victorian Book of Dreams, édité par Marion Giordan (London, Hugh Evelyn,
1964). Dans le corps de l'article nous désignerons souvent cet ouvrage par « le Livre ».
Nous avons comparé cette clé à d'autres similaires (par ex. Claudius, La nouvelle clé des
songes, Paris, Verda) sans que nos conclusions en soient infirmées, quant au
fonctionnement essentiellement rhétorique du genre considéré. Quant au contenu, il varie bien
entendu en fonction du contexte socio-culturel : on verra en l'occurrence comment
l'idéologie victorienne se trouve figée et le personnage du Victorien moyen aussi constamment
présent que le Viennois fin-de-siècle dans la Traumdeutung.

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ni sur ce tiers-monde dont parlent certains poètes. Il est foncièrement réaliste,


et il est abstrait. Il ignore quasiment l'existence du rêveur. Le lecteur ne s'y
trouve guère confronté à ses actes passés ni même, paradoxalement, à ses rêves.
Le rêve dont le Livre est sensé partir est escamoté, réduit qu'il est d'abord à
quelques symboles isolés et ensuite aux événements « réels » qu'il prétend
annoncer. Le Livre met en présence du victorien inconnu, du victorien typique à qui
il vole son rêve pour le réduire à des symboles appauvris qui le plus souvent
n'ont qu'une valeur de signes. Ces signes enfin qui, dans une perspective
prédictive, pourraient annoncer n'importe quel événement, n'annoncent en fait que
quelques événements précis, obtenus par l'usage fantaisiste de tropes privilégiés.
Si l'on ne pose pas la question de légitimité, si l'on se borne à considérer la clé
des songes comme un système sémiologique second dont on ne considérerait
que la cohérence interne, on peut dire qu'elle est faite d'une série de relations
à deux termes : le symbole onirique ayant valeur de signifiant, son « sens » ayant
valeur de signifié. La combinaison des deux donne un signe, au sens saussurien,
ce que nous avons appelé symbole onirique étant ce que communément on
appellerait un indice x.
Un système sémiologique se caractérise souvent par l'arbitraire de la relation
signifiant-signifié. Dans ce système particulier qu'est la clé des songes,
l'interprète au contraire s'ingénie à nous faire croire qu'il existe un lien nécessaire entre
les deux termes, pourvu du moins qu'on procède du premier vers le second.
Aujourd'hui cette prétention fait sourire, tant l'événement prétendu inévitable est
aléatoire. Il n'empêche que des générations naïves ont cru à cette apparence de
nécessité et que l'arbitraire, longtemps méconnu, a dû être redécouvert. Les
raisons de cette crédulité tenace sont nombreuses.
1. Le Livre, péremptoire, est un livre au sens fort. Il n'admet pas la
controverse. Il ne pose pas de questions, il fournit des réponses. Son allure apodictique
en impose.
2. Dans l'ensemble, il rassure et nous verrons que sa fonction d'assurance-vie
est liée au recours fréquent à l'antiphrase qui permet de convertir les symboles
inquiétants.
3. Comme le courrier du cœur, il parle d'amour et de richesse et, sur le mode
magique, il indique le moyen de les obtenir. Mode d'emploi du futur, il montre
à qui pourrait diriger ses rêves quels symboles il faut y introduire pour se
ménager un avenir favorable. Pour assumer cette fonction, il recourt notamment à
des métaphores éprouvées. Ex :
monter un beau cheval = faire un riche mariage
traverser un pont = promesse de prospérité
Selon le même procédé, a manger des homards » est présage d'un nouvel amour
et le « pudding » est le gage d'un héritage prochain.
4. Comme l'horoscope, il parle de l'avenir et, comme lui, il reste assez vague
pour qu'on ne lui impute pas trop souvent de vice rédhibitoire. A cet égard, nous
le verrons, il trouve dans la synecdoque un de ses modes d'interprétation favoris.
5. Le Livre est un lexique. Les symboles qu'il recense ne font pas un rêve. Il

1. Pour éviter toute équivoque, disons que la clé des songes est un système de signes
pour deux raisons : 1° parce qu'il est un système sémiologique, 2° parce qu'il est
prédictif. Au sens 2, mieux vaudrait peut-être parler de signaux.

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laisse donc libre cours à une surinterprétation individuelle qui peut, chez un
amateur favorablement prévenu, sauvegarder l'autorité du Livre.
Quoi qu'il en soit des raisons qui ont favorisé le succès de pareils ouvrages,
ils sont aujourd'hui désuets. Les raisons en sont aussi claires et nombreuses. Que
de croyants ont attendu en vain le bonheur prévu! Combien aussi ont pu se
perdre dans le dédale de rêves complexes proposant des symboles dont la valeur
s'annule. Un exemple : qui rêverait qu'il mange du homard à une noce se verrait
ainsi prédire à la fois la mort et un nouvel amour. Mais la suspicion inspirée
par les clés des songes a aussi un fondement rhétorique. Si elles ne privilégiaient
pas telle métabole pour l'interprétation de tel symbole, elles cesseraient d'être
abstraites et elles n'empêcheraient pas, comme elles le font, l'interprétation
« sur le plan du sujet » dont parle Jung, sans laquelle le rêve perd son sens en
perdant son contexte.
Aujourd'hui le Livre des rêves ne peut plus guère intéresser que l'amateur de
curiosités, le sociologue ou le sémiologue. Le sociologue peut y découvrir sous
l'analyse des symboles une morale d'époque qui détermine partiellement le cours
de l'interprétation. Sous la trame symbolique se profilent en effet quelques uns
des principes qui gouvernaient la conduite du victorien moyen : « Enrichissez-
vous !» — « Croissez et multipliez !» — « Malheur à celui par qui le scandale
arrive ! » On a beau dire que les songes nous enlèvent aux vicissitudes de la vie
quotidienne, la clé nous y ramène et fait voir ainsi son assujettissement à
l'idéologie en cours. Comme d'un roman psychologique, deux héros, si l'on peut dire,
se détachent : le victorien et la victorienne, nantis d'amis généralement faux,
cupides et libidineux, de bonnes, de juges et de quelques comparses. Il y aurait
beaucoup à dire aussi sur l'absence dans le Livre du Père et de la Mère. N'y ren-
contre-t-on pas des huîtres, des dauphins et des rhinocéros ? En fait, le Livre
nous indique moins ce que rêvait le victorien que ce dont il rêvait, ce qu'il
attendait de la vie. La monotonie des interprétations se fonde sur le catalogue des
besoins et des désirs du victorien moyen et si celui-ci, n'ayant pas lu Freud, ne
réalisait peut-être pas ses désirs en rêve, il pouvait du moins les réaliser en cours
d'interprétation, car l'événement prévu par le Livre ne diffère de l'événement
souhaité des freudiens que par une excessive pudeur ou par une insistance
obsédante sur les questions d'argent, bref par des détails liés aux mœurs du temps.
Du point de vue sémiologique, la clé des songes est un bel exemple de
construction rhétorique privilégiant telle ou telle métabole à des fins explicatives. Cela du
reste permet de saisir une des raisons de la fragilité des nouvelles clés qui, de
près ou de loin, s'inspirent de la psychanalyse. En présentant le rêve comme un
mode de réalisation des désirs refoulés, Freud a donné une sorte de passe-partout
que beaucoup récusent, mais qui ne manque pas de garanties. Par contre, le
répertoire de symboles qu'il propose dans sa Traumdeutung à partir de l'ouvrage
de Stekel Die Sprache des Traumes a tout d'une clé des songes, même si Freud
s'en défend. Il en a les défauts, dont le principal est d'être assujetti à la mode et
donc d'être appelé à être tôt ou tard démodé. Les raisons, indiquées par Freud,
en sont qu'il réduit le « travail » du rêve à quelques opérations abstraites dont
la métaphore est la plus courante et qu'il fait fi en outre de la surdétermination
des symboles. Le primat accordé à la sexualité qui a tant contribué à discréditer
cette clé qui n'ose pas dire son nom n'en est peut-être pas le défaut primordial.
On peut admettre que l'inconscient soit pavé de mauvaises intentions ou qu'il
affectionne les plaisanteries de corps de garde. Ce qui est moins admissible, et
ce que Freud lui-même n'admettait sans doute que pour rendre sa clé populaire,

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c'est que des opérations rhétoriques soient privilégiées sans caution. Or c'est
précisément ce qui arrive dès qu'on passe de l'interprétation circonstancielle à
l'interprétation stéréotypée. Seuls un naïf ou un amateur de systèmes peuvent
faire cas de telles abstractions. Un connaisseur de la symbolique peut s'en plaindre
et beaucoup, comme Jung, ne s'en sont pas privés, quand il s'est agi de dénoncer
le recours abusif à la métaphore dans le symbolisme sexuel des freudiens.
Pourquoi en effet un serpent serait-il un symbole phallique ? Pourquoi la chambre
symboliserait-elle à toute force l'organe féminin, sinon parce que la
métaphore est la métabole privilégiée par la psychanalyse abstraite ?
Quelle que soit son inspiration, une clé des songes limite le champ sémiolo-
gique. Dans le Livre des rêves, l'interprétation est subordonnée à une morale
rigoriste. Le désir d'être bien marié plutôt que bien aimé, celui d'occuper une
belle position sociale, de gagner ses procès et d'hériter par surprise fixent, ou du
moins limitent, le matériau des métaboles. Dans la clé freudienne, le coït plus
ou moins incestueux, les organes qu'il suppose, remplissent le même office. A
ces préférences thématiques correspondent des préférences rhétoriques.
L'antiphrase, nous le verrons, rassure le victorien qui craindrait pour sa vie ou sa
fortune, en exorcisant la mort et en découvrant des promesses de richesse dans les
symboles les plus divers. De temps à autre aussi elle lui rappelle qu'il est mortel
et exposé aux faillites et aux naufrages, mais comme pour l'inviter à la prudence.
Quant au freudien, il découvre dans la métaphore l'outil adéquat pour la
traduction de symboles qui doivent, pour l'essentiel, renvoyer à quelques « scènes »
toujours désirées et qui pour cela se répètent en rêve sous des formes variées
que la métaphore réduit à n'être que ce qu'elles sont : des analogies.
Par leurs choix rhétoriques, les clés constituent des symboliques pauvres. On
peut s'en plaindre et n'accorder aucun crédit à la valeur faussement explicative
du trope élu pour l'élucidation d'un symbole. On peut aussi voir dans cette
rhétorique restreinte qui néglige certaines possibilités pour en imposer d'autres
un gage de succès auprès du lecteur moyen. Si un symbole est surdéterminé,
voilà qui n'arrange rien pour l'amateur d'explications faciles. La clé des songes
est plus attrayante qui propose une table de correspondances souvent univoques
où le rêveur curieux, mais paresseux, trouve ce qu'il cherche : un peu de
simplicité. Si l'on récuse la simplicité dont les clés peuvent se prévaloir, on peut les
améliorer, mais on dispose alors, si l'on peut dire, d'un trousseau dont le mode
d'emploi pose des problèmes à la raison pratique. Au serpent phallique on
préférera celui du caducée, le vil tentateur ou l'animal à ras de terre. Dans ce
dernier cas, on substitue à la métaphore freudienne une métonymie, l'animal
symbolique valant pour le sol où il rampe d'ordinaire. Tous les symboles du Livre
peuvent être ainsi réévalués. Prenons l'exemple du « chant ». On pourrait croire
que chanter en rêve soit de bon augure. Mais non. Comme la cigale, si vous
chantez en rêve, bientôt vous danserez, car vous devez vous attendre aux pires
déboires. Cette interprétation montre assez comment l'arbitraire est travesti en
nécessité par le biais du trope élu. Par synecdoque, le chant, étant un aspect du
bonheur, pourrait l'annoncer, plutôt qu'un événement funeste. Par métalepse,
il pourrait présager un succès, puisque dans la réalité vigile il en est souvent la
conséquence. Le Livre recourt bien à cette inversion de l'antécédent et du
conséquent quand il s'agit d'élucider des symboles comme celui du dauphin. De cet
animal qu'il juge pourtant « magnifique » il ne retient qu'un aspect négatif. C'est
toujours un mauvais augure au point que celui qui a rêvé d'un dauphin peut
dire : « J'ai vu la mort en rêve. » On voit d'où vient le privilège accordé à cette

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interprétation. Le dauphin étant, selon des témoins plus ou moins légendaires,


une sorte de saint-bernard de la mer, sa présence est le signe d'un grave danger.
Il n'est donc pas considéré comme bel animal, mais uniquement comme
sauveteur et sous prétexte que dans des cas rarissimes il s'est trouvé à point
nommé pour secourir un naufragé, le conséquent éventuel valant pour
l'antécédent, le dauphin n'augure rien de bon. Dans la même perspective, on peut se
demander pourquoi la blessure et la mort sont fastes, alors que la noyade est à
prendre comme telle. Dans les deux premiers cas, l'antiphrase prévaut, dans le
troisième la synecdoque impose le symbole de la noyade comme valant pour
toute forme de désagrément extrême.

LES MÉTABOLES PRIVILÉGIÉES

1. L'antiphrase.
Dans le corpus considéré, plus d'un tiers des symboles s'interprète par
antiphrase. Les psychanalystes connaissent bien ce mode de représentation par le
contraire. Dans sa Traumdeutung Freud en donne divers exemples, considérant
qu'elle est un des modes de représentation préférés du travail du rêve. Elle le
cède pourtant en importance et en fréquence à d'autres modes de formation.
Dans la clé victorienne son rôle est capital. Quand on examine la nature des
symboles ainsi traduits on est tenté de considérer que l'interprète vise par là à
exorciser le rêve en le privant de ses connotations inquiétantes. En effet la plupart
des symboles traités reçoivent un sens rassurant. Qui rêve qu'il est grièvement
blessé, mort, fou, en face d'un fantôme, étouffé, torturé, en pleurs ou rédigeant
un testament peut avoir un réveil pénible, mais le Livre le rassure. Hélas,
s'il est aimé, s'il se marie ou s'il trouve un trésor, le rêve est néfaste. L'antiphrase
joue donc dans les deux sens, même si la proportion des symboles dont
l'interprétation « tourne bien » est nettement supérieure à celle des symboles dont le
sens peut inquiéter. Peut-être cet abus de l'antiphrase a-t-il pour fonction de
sauvegarder le prestige de l'interprète. Si les symboles avaient la signification
que le bon sens leur prête, à quoi bon recourir au Livre ? Pour être lu et adopté,
il devait rappeler que l'intuition immédiate est mauvaise conseillère en matière
de rêves. Enfin l'antiphrase est sans doute imposée par la nature de
l'interprétation. Les symboles étant forcément fastes ou néfastes, il n'y a que deux termes
à cette interprétation : le bonheur et le malheur. Souvent ils sont spécifiés,
tantôt en mariage, fortune, héritage, puissance, amitiés, etc., tantôt en naufrage,
maladie, mort, pauvreté, bonheur perdu, mariage raté, etc. De toute manière,
ces termes restent opposables et la dichotomie favorise peut-être le recours à
l'antiphrase. En tout cas, si un terme possède un contraire il est presque toujours
symbolisé par lui. De là une série de termes opposés qui valent l'un pour l'autre :
mariage = séparation travail = indolence
plaisir = déception amour = solitude.
Parfois l'antiphrase est moins franche, la mort valant, par exemple, pour la noce.
Elle peut aussi se combiner à une métaphore : la petite vérole est gage de richesse.
2. La synecdoque.
La synecdoque est plus fréquente encore que l'antiphrase. La raison en est
simple. Étant donné que le sens du rêve reste vague, consistant très souvent en

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bonheur ou malheur imprécis, les signes qui l'annoncent sont vis-à-vis du sens
prétendu dans un rapport de partie à tout ou d'espèce à genre.
1) Si un homme porte en rêve des cheveux longs, l'interprète en conclut qu'il
est efféminé et qu'il faillira dans des situations exigeant du courage. Les cheveux
longs ne sont qu'un aspect de la féminité. En tenant ce trait distinctif pour
suffisant, le Livre en fait un symbole, comme si la féminité était résumée
par la longueur des cheveux. Autant dire que la partie vaut arbitrairement pour
le tout.
2) Souvent le Livre apprend au lecteur qu'il échappera à un danger. A cet
égard il suffit que le rêveur ait réussi à s'enfuir de l'endroit où il se trouve. La
fuite qui est une manière parmi d'autres d'éviter un danger prend valeur de
modèle, l'action particulière valant pour une classe d'actions similaires qui ont
pour point commun de mettre à l'abri. De même, il y a diverses manières de
connaître des déboires. La noyade en est une et nous avons vu que sa
représentation onirique suffit à prédire les pires désagréments.
3. La métaphore.
De la synecdoque à la métaphore il n'y a qu'un pas. Dès que le malheur ou le
bonheur est spécifié, le rapport se trouve fondé sur une analogie. Selon la
procédure synecdochique, « manger des homards » pourrait valoir pour tout bonheur
à venir, mais, dans ce cas, l'interprète s'engage davantage : le bonheur consiste
précisément dans un nouvel amour. Tant que le bonheur reste vague, il ne permet
que la synecdoque. S'il est défini, la métaphore s'impose. Parfois il est difficile de
statuer sur la nature de la métabole employée. Qui monte en rêve un beau cheval
épousera une personne riche. On peut y voir une métaphore un peu crue, mais si
le beau cheval est un aspect de la richesse on peut aussi voir à l'œuvre le principe
pars pro toto. Une telle connivence n'est pas due au hasard. Elle tient à la nature
de la métaphore qui peut toujours être construite à partir de deux synecdoques,
l'une allant de la partie au tout et l'autre procédant inversement. C'est
une chance pour des oiseaux que de quitter leur cage. La représentation onirique
de leur fuite peut donc valoir comme bon présage (synecdoque), mais selon le
Livre elle vaut en outre comme signe d'un mariage rapide. Qu'a fait l'interprète,
sinon combiner une synecdoque généralisante et une synecdoque
particularisante ? La fréquence des synecdoques s'explique aisément si elles sont des
métaphores avortées. Les manœuvres abortives sont menées par l'ignorance et la
prudence de l'interprète. En prédisant un grand bonheur ou malheur il ne court pas
plus de risques qu'un fabricant d'horoscopes. En d'autres termes, le préjugé
prédictif dont se targue le Livre des rêves limite le recours à la métaphore. Les
analogies ne peuvent pas s'imposer sans rencontrer la résistance de l'événement que
le rêve est sensé prédire. Rien de tel, notons-le, en psychanalyse. Le phallus peut
être figuré de cent manières, puisqu'il participe simplement de l'expression d'un
désir en instance de réalisation.
4. La métonymie.
Rares sont les métonymies pour la raison sans doute qu'elles se fondent sur
un rapport contingent ( « cloches » = mariage, « perruque » = ennuis avec la
justice). Le seul point commun entre une perruque et une comparution au
tribunal est le port de la perruque par les juges britanniques. La relation peut
paraître artificielle et donc peu convaincante si on la compare aux précédentes.
Disons pour terminer qu'on n'en finirait pas de noter l'éclectisme qui a présidé

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à l'élaboration de cette clé des songes. La seule porte qu'elle ouvre donne sur les
soucis du Victorien moyen. En usant des possibilités d'une rhétorique généralisée,
on peut démonter le Livre des rêves en montrant sa relation 1°) à l'idéologie et aux
mœurs de l'époque et 2°) à un régime préférentiel d'application de procédures
rhétoriques. Le Livre relève d'une rhétorique pauvre dont on peut faire justice
en considérant n'importe lequel des symboles considérés.

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