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Émile Amélineau

Le manuscrit copte de la Bibliothèque nationale, contenant les


actes du concile d'Éphèse
In: Comptes-rendus des séances de l année - Académie des inscriptions et belles-lettres, 34e année, N. 3, 1890.
pp. 212-219.

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Amélineau Émile. Le manuscrit copte de la Bibliothèque nationale, contenant les actes du concile d'Éphèse. In: Comptes-
rendus des séances de l année - Académie des inscriptions et belles-lettres, 34e année, N. 3, 1890. pp. 212-219.

doi : 10.3406/crai.1890.69795

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1890_num_34_3_69795
— 2Γ2 —

comme dans les poèmes normands. Mais il est clair que la


date de cette peinture , même si elle se rapportait à la forme
de la tradition dont le renouvellement de Graindor de Douai
nous a conservé une version remaniée , ne saurait rien prouver
pour la date de cette version, la seule sous laquelle nous
soit maintenant connue la primitive «chanson d'Antioche».

N° XVI.

LE MANUSCRIT COPTE DE LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE,


CONTENANT LES ACTES Dû CONCILE D'ÉPHÈSE, PAR M. AMELINEAU.
(séance du g mai 1890.)

Parmi les acquisitions récentes qu'a faites la Bibliothèque


nationale, il en est une remarquable à plus d'un titre : c'est
celle d'un manuscrit, malheureusement acéphale et incomplet,
ayant rapport au concile d'Ephèse, le troisième des grands
conciles œcuméniques et l'un des plus importants pour l'his
toire de l'Église.
Personne n'a moins confiance que moi dans la valeur his
torique des manuscrits coptes, au moins pour écrire l'histoire
telle que nous l'entendons : les Egyptiens en général, et les
Coptes leurs descendants en particulier, entendaient l'histoire
d'une tout autre manière que nous ne le faisons. Aussi je crois
qu'on doit peu s'attendre à trouver dsns la littérature copte
des œuvres historiques; mais on y peut trouver, et le manus
criten question en est un exemple frappant, des œuvres pr
imitivement écrites en grec, perdues dans le texte original et
conservées seulement dans la traduction copte.
Le manuscrit en question est, non pas une histoire du conc
ile d'Ephèse, mais une histoire pittoresque et détaillée des
petits événements du concile et de ce qui se passait à la cour,
comme dans la ville de Gonstantinople , à l'occasion du concile.
On y trouve certaines pièces officielles, entre autres des pièces
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déjà connues et publiées dans la grande collection de Labbe :


ces pièces sont parfaitement traduites et rendent le sens des
originaux grecs autant que pouvait le faire la langue copte.
La présence de ces pièces est très importante, car leur authent
icitéest indéniable et fait présager que l'authenticité des
autres documents qui s'y trouvent , mais qui sont inconnus
jusqu'ici, est tout aussi indéniable. En effet, sauf la date
finale, que l'on ne rencontre pas dans tout le cours du manus
crit, rien ne peut faire un seul instant douter de l'authent
icité
desdites pièces et tout concourt au contraire à l'affirmer
et à la proclamer hautement. On n'y trouve, cela va sans dire,
rien qui sente le génie copte : tout y rappelle le génie gréco-
byzantin. Si la date des documents n'est pas donnée, en r
evanche celle des principaux faits est parfaitement indiquée et
rien ne s'oppose à ce qu'elle so'it acceptée avec la plus grande
confiance. C'est pourquoi j'ai cru bon d'appeler l'attention de
l'Académie sur ce précieux manuscrit.
Le manuscrit est acéphale; mais il y manque seulement le
premier feuillet : il en manque de même deux autres dans
la suite de l'ouvrage ; mais les lacunes sont ainsi placées qu'on
peut presque à coup sûr dire ce qu'il y avait dans les feuillets
absents. Le manuscrit commençait par une lettre de Cyrille à
l'archimandrite des communautés pakhômiennes qui, en ce
temps-là, se nommait Victor. La lettre de l'archevêque au
moine comprenait sans aucun doute la convocation de l'em
pereur Théodose, et Cyrille mandait à Victor d'avoir, toute
affaire cessante, à se rendre à Alexandrie pour y prendre ses
ordres et partir ensuite pour Constantinople. Victor obéit
aussitôt, et en dix jours, ce qui était peu, il s'était rendu de
son monastère à Alexandrie. Là , il reçut les instructions sur
ce qu'il avait à faire; puis, après un séjour d'environ trois
semaines près de son mandant, il s'embarqua pour Con
stantinople, où il arriva après vingt-quatre jours de navigation.
— 214 —

II emportait avec lui un mémorandum sur ce qu'il avait à obtenir


de l'empereur, et ce mémorandum se trouve tout au long dans
le manuscrit.
Lorsqu'il fut arrivé à Constantinople, il trouva la ville en
ébullition et presque en révolte; car le jour de son arrivée
coïncidait avec le départ de Nestorius pour Ephèse. L'empe
reur
le reçut dès le lendemain et Victor eut à faire ses efforts
pour remplir sa mission au contentement de Cyrille : il n'y
réussit qu'en partie, car, si l'empereur ne nomma son repré
sentant à Ephèse aucun de ceux que Victor devait s'efforcer
d'écarter de tout son pouvoir, il ne nomma pas davantage
celui dont Victor devait poser et appuyer la candidature.
Tout marcha assez bien jusqu'au moment où les évêques se
trouvèrent réunis à Ephèse. Alors les difficultés sérieuses com
mencent. Tout d'abord l'empereur Théodose avait prescrit aux
évêques de ne tenir de session que lorsqu'ils seraient tous
réunis, leur promettant d'appuyer la décision prise à l'unani
mité de toute son autorité. Le concile ne put donc se réunir
au moment dit, car Tévêque d'Antioche, Jean, et quelques
autres n'étaient pas arrivés, prétextant qu'ils étaient retenus
dans leur diocèse par une horrible famine et que ce n'était pas
le moment de quitter les âmes que Dieu leur avait confiées.
Il fallut donc attendre plus de deux semaines, et finalement
tenir la première session en leur absence. On sait ce qui s'en
suivit. Mais pendant les jours de l'attente, un assez grand
nombre de difficultés s'élèvent entre le concile et l'autorité
civile d'une part, entre les membres de la droite du concile,
si je puis ainsi m'exprimer, et ceux de la gauche d'autre part.
L'envoyé impérial et les chefs du concile étaient loin de s'en
tendre : chaque courrier apportait à Constantinople des rapports
de Candidien très hostiles au concile; quoique les évêques
se plaignissent que l'on eût gardé toutes les issues de la ville
et qu'on eût coupé toutes lés communications extérieure*,
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cependant chaque rapport de Candidien était bientôt suivi


d'une lettre de Cyrille qui réfutait les dires du comte des do
mestiques. Ces lettres étaient adressées aux trois représentants
de Cyrille près de l'empereur, lesquels étaient différents des
représentants du concile; car, si le concile avait en quelque
sorte sa police ou son ambassade près de la cour, l'archevêque
d'Alexandrie avait aussi la sienne, composée de deux évêques
et de Victor. Par les lettres de Cyrille, nous savons ce qu'on
lui reprochait, ce qu'il pensait du comte Candidien, de l'em
pereur, du concile et comment cet habile homme tirait parti
de tous les moyens qu'il avait en son pouvoir pour parvenir à
son but. Quoique nous n'ayons pas les rapports de Candidien,
nous pouvons en décrire le contenu, grâce au soin que Cyrille
prenait de les réfuter point par point, de citer les propres
paroles du comte et de prévoir en quelque sorte, par un in
stinct de divination , sur quels points il fallait insister davan
tage, parce que sans doute le comte Candidien avait insisté
ou devait insister avec plus de force sur les mêmes arguments
et les mêmes événements.
Je ne peux entreprendre de résumer ici tous les événe
ments racontés dans le manuscrit copte, ni toutes les lettres
de Cyrille à ses ayants cause; je me contenterai d'appeler
l'attention de l'Académie sur deux points principaux, sur une
conférence qui eut lieu entre Victor et l'empereur Théodose
avant le concile, ainsi que sur les scènes dont la grande église
de Constantinople fut le théâtre après la condamnation de Nes-
torius.
Peu après son arrivée, l'empereur convia Victor à une nouv
elle conférence, car il l'avait reçu dès son débarquement; il
voulait conférer avec lui sur la lettre qu'il devait remettre au
comte Candidien pour le concile. Victor se hâta de répondre
à l'appel de l'empereur, «parce qu'il était convenable au su
prême degré d'envoyer le comte au Synode avec les lettres de
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l'empereur, afin qu'on ne fît aucune violence aux pieux


évêques. » Dès qu'il fut arrivé, l'empereur fit mander le ques
teur du palais avec le brouillon de la lettre qu'on était con
venu d'adresser au concile; il voulait l'examiner avec Victor
avant de la faire écrire sur parchemin. Le questeur com
mença donc de lire; mais dès les premiers mots Victor l'arrêta.
La lettre débutait en effet ainsi : «L'empereur César Théodose,
avec Valentinien, victorieux, triomphant, à qui l'on rend
gloire en tout temps, écrit aux pieux et saints JNestorius, Cyr
ille et aux autres religieux évêques.» Victor interrompit
donc le lecteur pour dire : r Le commencement de la rédaction
de cette lettre n'est pas ce qu'il faut; car si tu mets Nestorius
en tête de tous les évêques, ce n'est pas dire qu'on doit le
juger sur la foi; mais c'est dire que c'est lui qui est juge. Qui
osera désormais blâmer son voisin? S'il en est ainsi, il y aura
trouble et sédition dans le concile. Ce qu'il faudrait, selon le
rang des évêchés et le temps des épiscopats, c'est de nommer
Cyrille le premier, car il était évêque longtemps avant Nes
torius; mais il vaut mieux, afin d'éviter tout scandale , écrire
seulement ainsi : les pieux rois, etc., écrivent aux évêques
réunis dans la métropole d'Éphèse. » L'empereur, qui, par une
question, avait motivé la dernière partie de cette réponse,
ordonna d'y faire droit et d'effacer les noms qui se trouvaient
en tête de la lettre. Malheureusement, en cet endroit, il
manque un feuillet et nous ne pouvons savoir s'il fut apporté
beaucoup de changements à la lettre écrite dans la chanc
ellerie impériale : mais ce qui est conservé nous sert à voir
comment le moine Victor comprenait sa mission. Cette ma
nière parut mieux encore dans une autre circonstance, où les
représentants de Cyrille, chargés de remettre à l'empereur un
mémoire justificatif du concile, ne furent reçus d'abord que
séparés : les deux évêques admis en présence de Théodose , le
mémoire à la main, se virent refuser tout accommodement
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par l'empereur, qui ne reçut point le mémoire et congédia les


deux évêques d'une manière qui ne dénotait pas un très grand
crédit pour eux; Victor, réservé pour la fin, prit le mémoire
des mains des deux évêques, entra hardiment en présence de
l'empereur et l'amena à lui permettre de lire le mémoire tout
entier, quoiqu'il fût consacré à défendre le concile et à att
aquer le comte Gandidien.
Lorsque la condamnation de Nestorius eut été prononcée,
l'empereur ne voulut pas d'abord la reconnaître, parce que le
concile n'avait pas attendu l'arrivée de Jean d'Acrtioche et
qu'elle n'avait pas été prononcée même à l'unanimité des
évêques présents à la première session du concile, puisque
trente-trois évêques avaient suivi le parti de Nestorius. Le
parti du concile à Constantinople ne pouvait être content des
dispositions de l'empereur; il résolut de forcer la main au
gouvernement par une manifestation à laquelle prendraient part
les moines et le parti catholique. Cette manifestation eut deux
journées. Dans la première journée, tous les moines qui se
trouvaient à Constantinople se portèrent au palais de l'empe
reur,en traversant les principales rues de la ville et en chan
tant des couplets que nous a conservés le manuscrit; ils ré
clamaient la présence de l'empereur; mais Théodose ne parut
pas. Le lendemain on se réunit dans la grande église et le
peuple, les moines réclamaient du clergé qu'on leur lût les
actes du Synode et la condamnation de Nestorius , qu'on savait
avoir déjà été envoyée à Théodose. Les cris de la multitude ,
ses exclamations sont conservés tout au long dans le manuscrit.
On leur répondit qu'on ne pouvait pas leur lire ces actes dans
l'office du matin, qu'on préviendrait l'empereur et qu'à l'office
du soir on pourrait sans doute déférer à leurs désirs. Ce
n'avait été qu'un leurre. A l'office du soir on ne pouvait et
on ne voulait pas plus leur lire les actes qu'au matin. Le
peuple se fâcha alors, réclama que le clergé de Constantinople
xfiii. 15
— 218 —

prononçât l'anathème contie Nestorius, ce à quoi le clergé


se soumit. Bientôt après un référendaire, nommé Dometius,
arriva du palais et proposa au peuple de lui lire les lettres du
concile au clergé de Constantin ople. Il voulait gagner du
temps; mais le peuple ne voulut rien entendre et redoubla ses
cris. On lui répondit que l'empereur avait reçu des nouvelles
très importantes et qu'il tenait conseil à ce sujet. Le peuple
répondit que c'était le Christ qui avait rendu Théodose victo
rieux de ses ennemis et que l'empereur devait à son tour pro
téger le "Christ contre ceux qui l'outrageaient. Le tout était
entremêlé de cris furieux de : Brûlez Nestorius tout vif!
brûlez-le (ainsi que d'autres personnages dont les noms sont
donnés)! Puis on réclama de nouveau la lecture des actes et
le référendaire se rendit au palais·. Le clergé, pour se justifier
d«s accusations portées contre lui, répondit que Nestorius
avait été excommunié, il est vrai, mais que Cyrille et Memnon
l'avaient été aussi. A cette annonce, le tumulte et les cris
redoublèrent et le peuple, voyant qu'il n'obtenait rien,
annonça l'intention de coucher dans l'église. La relation ne
dit pas si, de fait, lé peuple coucha dans l'église; mais on l'y
retrouve pendant l'office du lendemain, et, comme on lisait
les diptyques, comme on mentionnait le nom de Cyrille, le
tumulte recommença de nouveau. Force fut de lire les actes
du concile et l'on commença par la sacra impériale, celle
qu'avait surveillée Victor; puis vinrent tout au long les actes
de la première session , et c'est au cours de ces dernières pièces
que le manuscrit prend fin.
Il est regrettable qu'il en soit ainsi , car les événements qui
suivirent se passèrent plutôt à Gonstantinople qu'à Éphèse, et
nul doute que Victor n'y ait pris part, stimulé par les lettres
de Cyrille. Π est encore plus regrettable que nous n'ayons pas
les pièces du parti vaincu T car nous connaîtrions le double
jeu des deux adversaires. Quoi qu'il en soit,, le manuscrit de la
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Bibliothèque nationale est très important : sans doute, comme


je l'ai dit, il ne change pas la face de l'histoire et ne fait paç
connaître de graves événements; mais il est d'une grande
valeur en ce qu'il nous permet de connaître souvent les dispo
sitions que les personnages avaient en agissant et le mobile
auquel ils obéissaient, ce qu'il est avant tout important de
connaître pour pouvoir tirer les lois historiques et morales,
sans lesquelles l'histoire n'est qu'un vain amas de faits.

N° XVII.

NOTICE SUR LES CELTES D'ESPAGNE,


PAR M. H. D'ARBOIS DE JUBAJNVILLE.
(SÉANCE Dû .16 MAI 189Ο.)

Un des faits les plus importants de l'histoire celtique est la


conquête de l'Espagne par les Celtes, vers l'an 5 00 avant notre
ère. Elle a été dans notre siècle le sujet de trois importants
travaux allemands : les auteurs sont Guillaume de Humboldt(1),
M. Henri Kiepert^2) et George Phillips^. Le second de ces
mémoires, celui de M. Kiepert, est peut-être le plus inté
ressant.
Avec l'incontestable compétence géographique qui distingue
d'une façon si remarquable tous les travaux du savant auteur,
on y trouve à l'adresse des conquérants de l'Espagne une
pointe d'ironie qui, associée comme condiment à l'érudition

M Prûfung dm· Untersuchungen ûber die Urbewohner Hispaniens vermitteht der


vaikischen Sprache , 1871, Berlin, Diiminier, in-&°.
M Beitrag zur alten Ethnographie der lberiscken Halbinsel, dans le Monatsbericht
de l'Académie royale des sciences de Prusse à Berlin, mars i864, p. iA3-i65.
(3> Die Wohnsitze derKelten aufder Pyrenàischen Halbinsel, dans les Sitzungs-
berichte dé l'Académie impériale des sciences de Vienne, classe de philosophie
et d'histoire, livraison de juillet 1 872 , p. 695-763.

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