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XYZep

| LE BULLETIN DU CENTRE ALAIN-SAVARY |


INSTITUT NATIONAL DE RECHERCHE PÉDAGOGIQUE
É D U C AT I O N P R I O R I TA I R E
ISSN 1276-4760
éditorial

Autorité et discipline…
ZOOM
« Faire avec, c’est faire
avec les autres… » : un collège témoigne

RECHERCHE
C omment lutter contre la violence scolaire ? Ce matin, une grande radio
nationale est sur le terrain : elle raconte l’exemple d’une école qui, par des
« comités d’enfants », travaille au quotidien à construire des réponses. On y
Les devoirs : s’en acquitter
ou s’y mettre vraiment ?
discute des papiers dans la cour et des « gardiens de propreté » qu’on a décidé
BOUSSOLE
d’instituer, du festival de poésie, du garage à vélo, du potager de l’école, des jeux
Internats d’excellence à la Une
dans la cour et des règles de non-violence à respecter… Pour les enseignants
interrogés, l’objectif est de « mieux vivre ensemble », « créer des rapports autres
que la seule soumission à l’autorité », par le dialogue. On fait se rencontrer grands
RESSOURCES
Formation de formateurs à l’INRP
et petits autour d’une table pour que « la parole de chacun soit prise en compte,
parce que tous les élèves sont des citoyens avec une voix égale », dit l’enseignante
interrogée. On fait des débats pour « apprendre à se contrôler » même quand son
ENTRETIEN
L’École en Catalogne :
équipe de foot a perdu, « parce qu’on est dans une école laïque où on n’est pas là
Luci Nussbaum
pour se moquer des différences » précise un élève. « On travaille pour que les élèves
prennent les projets en main, pour permettre à l’élève d’agir sur son environnement »
précise la directrice. Et dans ce cas-là, la violence baisse « parce qu’ils sont moins BRÈVES
dans un univers contraint ». « L’enfant fait l’école à son image, et non l’inverse »,
« parce que le tout sécuritaire n’est pas la réponse, et que c’est avec de l’humain,
les échanges et la vie qu’on trouve des solutions », conclut-elle l’entretien. DOSSIER
Selon les points de vue pédagogiques, on pourra sourire de cette tentative De la reconnaissance
d’instaurer dans l’école un monde si différent de l’extérieur, ou la juger essentielle
à l’action professionnelle. On pourra y voir vains efforts ou éthique profession- professionnelle
nelle. Mais au-delà des opinions, l’exemple illustre l’évolution de la manière de Le métier enseignant ne se confond
voir un enfant : le modèle de l’enfant « discipliné », assujetti pour qu’il puisse pas avec la seule activité en classe.
apprendre, s’est estompé dans celui de l’enfant « raisonnable », doué du droit Devant l’ampleur de « ce qu’il y a
de comprendre ce qu’il y a à apprendre ou à respecter. Et c’est aujourd’hui à faire », la question de l’évaluation
souvent le modèle de l’enfant « épanoui » qui occupe l’espace social, capable et de la reconnaissance
de contribuer à définir les règles, autonome et citoyen presque par nature. professionnelle se pose
À un moment où le débat sur l’autorité envahit l’espace médiatique, on ne saurait sous de nouvelles formes,
sans dégâts collatéraux laisser dans l’ombre ce débat de normes : l’enfant n’est qui interrogent à la fois les
pas l’égal de l’adulte, l’autonomie se conquiert au terme d’un long processus évaluateurs, les formateurs,
éducatif organisé par les enseignants avec patience, et les concepts qui aident et la communauté professionnelle
à penser se structurent progressivement dans la conquête des savoirs discipli- dans son ensemble.
naires. La normativité scolaire requise pour apprendre ne se confond pas avec Quatre chercheurs ont développé
la soumission ou l’autoritarisme. Tenir sa classe, disent les jeunes enseignants, leur point de vue dans un séminaire
c’est pouvoir revenir à ce qu’on a à faire à l’École : apprendre. Et les procédés de formation à l’INRP,
mis en œuvre pour y parvenir ne valent que pour faire vivre la « discipline », et les participants nous livrent
dans les deux sens du terme. Faire autorité, autoriser, devenir auteur, les mots leurs impressions à chaud.
valent pour les élèves comme pour les professeurs. Vive l’étymologie.
Patrick Picard, centre Alain-Savary

INRP, Lyon, 4 mai 2010


rdv

Éducation au plurilinguisme : NUMÉRO

36|
enjeux et perspectives pour l’éducation prioritaire
Informations : <http://cas.inrp.fr/CAS>
avril
2010
« Faire avec, c’est aussi faire avec les autres »
Zoom

Dans un collège « ordinaire » de périphérie urbaine, une équipe travaille depuis plusieurs années à construire des réponses
collectives aux difficultés d’apprentissages de leurs élèves, avec le souci de relier dispositifs spécifiques et classe ordinaire.

Propos recueillis par Pour les enseignants présents, domine les consignes dans les évaluations, que je peux
l’impression que cette idée se diffuse dans adapter sans trop de travail supplémentaire
Patrick Stéfani, CAS-INRP
l’établissement, avec les élèves qui sont pour mes autres classes ».
passés dans cette sixième, mais aussi avec « Moi, en histoire-géographie, explique
Depuis cinq ans, le collège les autres. Les pratiques de cette classe Anne, je retrouve mes élèves de 6e dans les
Jean-De-Tournes, à Fontaines- spécifique se diffusent, avec des « petits deux classes de 5e, et je vois les fruits : je
trucs ». Par exemple, l’enseignant qui a trouve qu’ils sont à l’aise, surtout capables de
sur-Saône (69), a mis en la classe en dernière heure de la journée dire explicitement ce qu’ils ne comprennent
place une classe particulière prend cinq minutes de son cours pour faire pas. C’est sans doute parce que nous avons
en 6e, « la classe à réussite relire l’agenda collectivement, pour vérifier beaucoup insisté sur le rôle de l’erreur, on les
personnalisée », rassemblant les devoirs. « C’est une nouvelle routine qui a désinhibés. Mais les aides que nous avons
remplace ce qu’on faisait sans y penser ». mis en place sont positives, ils ne sont pas
des élèves en difficultés, avec un Parfois, bien sûr, l’enseignant oublie, ou juge assistés ».
effectif allégé. Dès son origine, que c’est une contrainte. Mais les élèves
sont les premiers à le rappeler, s’il oublie. Aider à préparer l’interrogation
ce projet est porté par un groupe
« On s’est ainsi rendu compte que certains ne Dans le cadre de l’accompagnement éducatif,
d’enseignants chevronnés, qui
notaient pas ce qu’il y avait à faire, et on prend les enseignants préparent les devoirs à venir,
n’ont pas pris cette décision le temps de le faire noter correctement à la fin en petits groupes de quatre ou cinq élèves.
sans questionnements : risque du cours, pas à la sauvette après la sonnerie. Du coup, ils communiquent entre eux sur
d’abaissement des exigences, Cela demande un effort minime, de changer les sujets à venir dans les devoirs. « Le gros
la routine ». de notre travail, là encore, c’est de se rendre
effet ghetto… Jackie, professeur de maths arrivée depuis compte que les élèves en difficulté manquent
XYZep a pris rendez-vous avec peu dans l’établissement, travaille avec une d’explicite, sont perdus dans ce qu’il faut faire,
l’équipe, un soir après les cours, classe de 5e dont huit viennent de cette et ne savent pas où investir leur énergie ».
pour se faire raconter l’histoire… classe de « 6e 1 » : « je trouve que c’est dif- Quand on prépare un contrôle, on les aide
ficile à gérer, sans avoir l’expérience du travail donc à identifier le cœur de la notion, les
qui a été fait avant ». Sa collègue précise : savoirs de la leçon, ce sur quoi le contrôle
Nathalie, professeur de SVT, se remémore la « Avant, on les répartissait dans toutes les 5e, va porter.
genèse du projet : « Nous avons passé beau- parce que nous étions conscients des risques « Systématiquement, lorsque j’annonce la
coup de temps à travailler ensemble sur une de faire une filière. Mais on s’est aperçu que prochaine interrogation, je leur demande quel
question apparemment simple : pourquoi les c’était un peu brutal. Alors, nous avons choisi va en être le contenu. De plus en plus, ils sont
élèves n’y arrivent pas ? Et notre réponse, de de les répartir dans deux classes de 5e, en nous capables d’identifier ce qui vient d’être travaillé
plus en plus, c’est « parce qu’ils ne savent pas appuyant sur les nouveaux collègues qui souhai- dans le cours, mais aussi le type de tâches qu’ils
ce qu’on attend d’eux ». Ils ont compris la régu- taient s’investir dans l’expérience, à partir de vont avoir au contrôle : faire un graphique, faire
larité du cadre de la classe, qu’ils réclament journées de formation que nous avons pu avoir un tableau, mettre en relation des documents,
lorsqu’il n’est pas là. C’est un contrat clair du rectorat. Nous ne voulions pas que ce projet savoir des définitions par cœur… Parfois, ils
passé entre eux et nous : s’ils n’ont pas com- soit associé à quelques enseignants, avec le ris- m’annoncent des choses, et je peux préciser :
pris, on fera ce qu’il faut pour les aider. Bien que qu’il tombe avec le départ des initiateurs. « non, ce n’est pas encore le moment, vous
sûr, de nombreux enseignants ont cette éthi- Nous avons donc cherché à diffuser, chacun n’êtes pas assez bons là-dessus pour qu’on
que. Mais nous avons vraiment fait l’effort pour dans nos disciplines, pour prendre l’habitude de en fasse un objet de contrôle ». Ils s’appro-
le rendre explicite et partagé, avec nos élèves, partager cette expérience. On a compris que prient les notions qu’ils doivent connaître, ils
et c’est ce qui fait la différence. C’est le cœur ce qu’on faisait avec ces sixièmes pouvait aussi comprennent que nous n’allons pas les piéger
de notre projet : rendre explicite ce que l’École nous servir dans les autres classes. Par exem- par une lubie, et donc le statut du contrôle
demande souvent trop implicitement. » ple, nous avons fait tout un travail pour préciser change, et nous aussi on change… ».
Une collègue précise : « Mais pour être francs,
nous avons pris conscience, entre nous, que ça
nous obligeait à revoir un peu notre manière de
préparer le contrôle, pour réaliser notre part
du contrat… ».
« Ici, j’ai parfois l’impression d’être en
formation. Et pourtant j’ai travaillé longtemps
en ZEP sans avoir ce type de préoccupation »
précise Jackie. Je me rends compte à quel
point ces enfants ont besoin d’un cadre for-
malisé, comme un panneau qu’on leur mon-
trerait régulièrement pour leur dire « faites
attention à ça ! ».

2 ■ XYZep | NUMÉRO 36 | MARS 2010 |


La place de l’oral
Christophe rebondit : « Dans une formation
interne à l’établissement, il y a deux ans, nous
avons pris conscience que les élèves parlent
peu en classe, et souvent les mêmes ». Du
coup, il laisse de plus en plus les élèves
verbaliser, reprendre les consignes, s’appro-
prier collectivement les notions essentielles
du cours. Le collège a même mis en place
un outil : chaque classe sait qu’en début de
cours, un groupe de quatre « gardiens de la
mémoire » doit redire l’essentiel de ce qui a
été appris au cours précédent, dans chaque
discipline. « Tout en étant très appuyés sur le elle ne récite pas de leçon, elle exprime son formateur extérieur, pour partager l’histoire de
contenu disciplinaire de nos cours, nous inté- vécu, très proche de ses collègues… l’établissement, du projet, en le formalisant
grons progressivement des compétences, en les tous ensemble de manière explicite ».
contextualisant : « prendre la parole en public » Co-préparation, Un collègue poursuit l’idée : « On pourrait
peut s’enseigner avec des critères précis pour travail en commun ? imaginer qu’on donne aux établissements qui
les 6 e ». Sa collègue de maths poursuit : Le projet a donc généré du travail en le demandent les moyens de coordination, ou le
« contrairement à ce qu’on entend parfois, commun, variable selon les disciplines. En statut d’un « chargé de mission » mandaté par
nous avons l’impression que cette manière de maths et en histoire-géo, c’est devenu une ses pairs pour prendre la responsabilité d’orga-
travailler sert notre matière ». habitude. Les nouveaux collègues qui arri- niser, d’élargir le noyau… Sinon, à un moment,
vent dans l’établissement prennent leur place ça manque. On se met en avant devant les
Qu’est-ce qui grince ? dans le projet. « Ce qui marque, c’est qu’ici, autres collègues, mais ils peuvent aussi être
Essentiellement le temps, ressource la plus on parle d’élèves en train d’apprendre, on peut fondés à nous demander au nom de quoi nous
rare dont on dispose, ici comme ailleurs. partager ses doutes. On se sent faire partie prenons cette responsabilité… ».
D’abord, la question des horaires, des pro- d’un collectif. On identifie les « points durs » « Pour un travail d’expérimentation, il faut bien
grammes après lesquels on court, des heures du programme ». que les heures qu’on y passe soient comptées.
supplémentaires, des moyens disponibles, « Mais pour les 3e, j’ai toujours peur de trop Sinon, au bout d’un moment, le travail entre
des enseignants qui sont à cheval sur plu- limiter les choses, de trop simplifier par rap- deux portes, entre midi et deux, le bénévolat,
sieurs établissements… « Lorsqu’un collègue port à ce que vont attendre les collègues du ça a ses limites… » pointe Jackie.
est moins présent dans l’établissement, il lycée. Par exemple, on s’est pris en pleine figure
est plus difficile de le mobiliser sur un pro- un taux de résultat au brevet inférieur à ce Le travail de l’enseignant,
jet collectif, simplement parce qu’on se voit qu’on pouvait attendre ». Mais ce doute est entre individuel et collectif
moins ». consubstantiel de l’activité d’enseignant : « On prend en compte les enfants, en ayant
Mais la tension entre programme et accompa- « Engager cette démarche, c’est forcément moins le fantasme de l’élève idéal. On respecte
gnement ne semble pas encore résolue dans douter, prendre des risques. Chaque discipline le travail que chacun fait, de manière ordinaire,
les classes qui suivent la 6e. Entre « prendre a une histoire , une spécificité, et une des mais on s’appuie sur ce travail « ordinaire » de
du temps pour réussir » et « valider l’année richesses de notre travail me semble d’avoir chacun pour tenter d’aller plus loin, de déve-
comme les autres », les équilibres sont fragi- commencé à lever les barrières, à échanger lopper le collectif, avec précision et exigence.
les. « Ce sont aussi des choix à faire, explique entre disciplines, ce que je n’ai que trop Pourquoi ici ? « Parce qu’on est d’accord pour
Nathalie. En SVT, je peux décider de m’en tenir rarement vu dans ma carrière. On ne reste « faire avec », pour accompagner ceux qui
à ce qui est essentiel, sans noyer le savoir par de pas exécutants d’une prescription élaborée en en ont besoin, sans limiter nos exigences. »
multiples histoires que je raconte. Tout le pro- dehors de nous, on y met du nôtre pour penser explique Nathalie.
gramme, mais rien que le programme. Et je ne notre métier. Et ça fait du bien. Les projets que Christophe résume l’entretien qui touche
suis pas plus en retard avec ces classes qu’avec nous menons ne sont plus sur la périphérie de à sa fin : « On a lu, les uns et les autres, des
les autres classes, ce qui est pour moi le signe notre travail, comme un simple supplément. tas de livres qui expliquent ce qu’il faut faire
que je « parle vrai ». Mais il faut oser se dire On est sur le cœur de notre métier, sur ce qui dans la classe. Mais c’est la mise en œuvre
entre nous qu’on n’y arrive pas du premier coup, se passe réellement en classe ». qui est difficile. C’était notre pari : ne pas
et que c’est variable d’un collègue à l’autre, dans être « innovants », mais prendre une ou deux
l’équipe ». Insatisfactions ? idées qui nous semblaient importantes et les
« Prendre du temps pour en gagner plus tard, « Bien sûr, on a encore des élèves qui, malgré pousser au cœur de la classe, modestement,
et mieux cibler l’essentiel d’un cours, dans un nos attentions, « se ramassent » en 4e ou en en ayant conscience de nos limites et de nos
travail didactique et disciplinaire difficile, ce 3e » ose Anne. « Certes, reprend Nathalie, erreurs ». Se mettre autour d’une table, et
sont vraiment nos deux préoccupations essen- on n’arrive pas à les faire réussir tous. Mais mieux comprendre comment les élèves
tielles, reprend Christophe, le professeur au départ, aucun ne réussissait ». Son souci apprennent. Concrètement, dans la classe,
d’EPS. Mais c’est compliqué ». est davantage la pérennisation du projet : en se construisant des outils pour le faire.
Sandrine, prof de lettres classiques, retenue comment intégrer les nouveaux collègues Nathalie a le dernier mot : « En me sentant
par une réunion, arrive en retard, et abonde qui arrivent ? Comment élargir le noyau dur ? co-engagée, avec les collègues, je dépasse le
sans le savoir les dires de ses collègues : « je Comment leur faire « prendre le relais », sentiment de lassitude ou de solitude, parce
vais fixer l’essentiel de ce qu’il y a à retenir, ce leur faire partager tout en respectant leur que je fais aussi pour l’équipe, et que je suis
qui doit être su par tous. Avant, j’y faisais moins liberté professionnelle ? « Nous n’avons pas garant pour elle de ce que j’ai à faire. Le cadre
attention. Je suis sortie de l’implicite, et ça a toujours le temps d’avoir les temps d’incorpo- nous tient. « Faire avec », c’est aussi faire avec
vraiment de l’impact sur ce qu’ils compren- ration nécessaires, par des temps spécifiques les autres… ». ■
nent du cours ». Les présents sourient. Non, dégagés, dès le début de l’année, avec ou sans

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recherche

Le travail, les devoirs…


Entretien avec Patrick Rayou (université Paris 8) qui vient de diriger la publication d’un ouvrage publié aux PUR,
« Faire ses devoirs, enjeux cognitifs et sociaux d’une pratique ordinaire ».

Vous reprenez à votre compte C’est parce que les élèves


l’expression « métier d’élève » ? ne comprennent pas ce qu’ils
font à l’École ?
Oui, car regarder leur travail, c’est bien
regarder un métier, ce qu’ils font de ce qu’il y Pour mieux comprendre, la notion de malen-
a à faire, pour y « faire face », y jouer son iden- tendus sociocognitifs nous semble un appui
tité et son estime de soi. On sait que certains intéressant. Elle permet de ne pas culpabi-
élèves s’empêchent de réussir tant ils sont liser les acteurs, qu’ils soient enseignants ou
pris par des comportements mimétiques qui élèves.
les rendent incapables de sortir de leur socia- En effet, nombreux sont les malentendus dans
lisation entre pairs. Les élèves sont aujourd’hui le travail scolaire, entre le registre moral et
aussi peu sûrs du sens de l’École que les ensei- le registre d’apprentissage. Un travail impro-
gnants, ils y cherchent une motivation stable ductif n’est pas forcément un non-travail. Les
au fil des épreuves qui mettent en jeu leur « décrocheurs » peuvent être physiquement

À
l ’occasion du stage de formation capacité à se mettre au travail autonome et là, mais intellectuellement absents. « Vous vous
de formateurs organisé à l’INRP ne leur permettent pas toujours de distinguer relâchez » dit le professeur à l’élève qui, ayant
par le centre Alain-Savary autour l’évaluation de leur travail et l’évaluation de parfois réellement travaillé à la maison, se sent
de « être élève en éducation prioritaire », leur personne… méjugé, refuse de « se rejeter lui-même ».
Patrick Rayou a présenté ses travaux, Les élèves tendent alors à confondre, pour
et a bien voulu répondre aux questions se mettre en règle, la tâche à réaliser avec ce
d’XYZep. Qu’entendez-vous par les qu’il y a à apprendre.
« épreuves » de la scolarité ? La forme scolaire met en jeu des processus
Votre dernier ouvrage revient Ces épreuves ne sont pas les mêmes dans les qui ont tendance à externaliser les tâches,
sur un problème qui préoccupe différents segments de la scolarité. Alors qu’ils à faire travailler en dehors de la classe et de
les enseignants : « est-ce que ont globalement confiance, au primaire, dans l’établissement où l’on demande aux élèves
les élèves travaillent ? » des savoirs qui font grandir, ils s’en méfient d’être déjà autonomes avant même d’avoir
au collège lorsque les résultats fléchissent et appris comment l’être. Dans une étonnante
Question rituelle de conseil de classe, en édu- que les efforts ne semblent pas récompensés. division du travail, on introduit de nouveaux
cation prioritaire ou ailleurs, mais un peu plus Les garçons, comme l’a montré Dubet, se acteurs, non enseignants et non-qualifiés, à
lancinante en éducation prioritaire. On a du grandissent en empruntant des comportements qui on demande de « faire apprendre » dans
mal en effet à corréler les résultats et la nature de « durs » dans la cité, les filles en se fardant l’individualisation et les dispositifs périphé-
du travail, puisque, les voyant rarement tra- pour afficher une maturité que les jugements riques, ce qui n’a pas été appris dans la classe
vailler, on ne sait pas exactement ce qu’ils font. scolaires méconnaissent. Les épreuves sco- ou l’établissement. On peut parler ici de
Anne Barrère dégage une loi implicite du sys- laires ne sont pas seulement cognitives, elles « sous-traitance » et reprendre à Jean-Paul
tème : qui travaille doit réussir, et qui réussit le « exposent » aussi les élèves : qui y apparaîtrait Payet son expression de « dévolution du sale
doit à son travail. Cette loi fonctionne pour les « grand » prend le risque de se dévaloriser aux boulot ».
« bosseurs » et les « fumistes », pour repren- yeux du groupe de pairs, comme le montre Pour progresser vers la réussite de tous ces
dre sa typologie, mais beaucoup moins pour De Singly avec les « adonaissants ». Si au pri- élèves qui ont besoin de l’école, je le répète,
les « forçats » et les « touristes » qui échouent maire, le chouchou est envié, puisqu’on aime la il faut aller à la rencontre du travail de l’autre.
ou réussissent malgré tout. C’est une manière maîtresse, on dénonce au collège les « pitres » C’est aussi difficile pour les élèves que pour
de quantifier l’effort, d’apprécier l’engage- et les « bouffons » qui choisissent le camp des les enseignants. La division des tâches est
ment moral des élèves, mais pas d’appréhen- adultes, avant qu’au lycée on ne plaigne les un artifice commode devant la difficulté à y
der les processus à l’œuvre dans le travail « pauvres types » incapables d’avoir un point parvenir. ■
d’apprentissage. de vue que l’école n’aurait pas formaté.
Car il faut comprendre que le travail à l’École
est un travail spécifique, comme l’a montré
Guy Vincent. On ne travaille pas à l’École
(ou pour l’École) comme dans le reste de la Faire ses devoirs, enjeux cognitifs et sociaux
société : ceux qui posent les questions feignent d’une pratique ordinaire, PUR, 2010.
par exemple d’ignorer les réponses, dans un
construit social, des unités de temps, de lieu Chacun des chapitres de cet ouvrage présente
et d’évaluation qui structurent un monde une approche spécifique : recul historique, enquêtes
recomposé et artificiel. Cette forme scolaire de terrain, exemples contextualisés, point de vue
républicaine est « poreuse », car le succès de
des familles…
l’École (avec une certaine pédagogisation de la
vie sociale) a pour contrepartie la pénétration Sylvie Cadolle, Valérie Caillet, Frédéric Charles, Séverine Kakpo,
de normes de comportements et de savoirs qui bel.
Martine Kherroubi, Patrick Rayou, Janine Reichstadt, Nicolas Sembel.
l’interrogent, la remettent en cause.

4 ■ XYZep | NUMÉRO 36 | MARS 2010 |


Internats à la Une
Boussole

Dans le cadre du Grand Emprunt, le conseil des ministres a décidé de promouvoir les « internats d’excellence », avec la création prévue
de 20 000 places. Onze internats sont annoncés dans les académies pour la rentrée 2010.
<http://www.education.gouv.fr/cid50541/internats-d-excellence.html>

Anne-Marie Benhayoun
L’internat a longtemps favorisé la scolari- constructions nouvelles ou des solutions pratique d’activités sportives, scientifiques ou
sation des enfants de milieux populaires alternatives d’accueil en liaison avec les col- culturelles, l’accès aux nouvelles technologies
ou issus de régions rurales. Dans les lectivités territoriales. et sur des partenariats internationaux ».
années 2000, un premier plan de relance À ce jour, on compte 2 900 places labellisées
a été initié. En 2008-2009, dans l’ensei- Les internats d’excellence internat d’excellence. L’objectif est de 4 000
gnement secondaire public, près de 4 % Ils constituent un des dispositifs du volet en 2011 et 20 000 à terme, soit dans des
des élèves sont internes, surtout en lycée éducation du plan « Espoir Banlieues » lancé structures spécifiques nouvelles (Sourdun,
où un établissement sur deux dispose en février 2008. Ils s’adressent à des col- Douai…), soit dans des internats existants
d’un internat (moins de 5 % des collèges). légiens, lycéens et étudiants « motivés, qui (20 places par établissement au maximum),
41 977 aides à l’internat ont été versées méritent, travaillent, ont des bons résultats souvent par transformation des internats de
à des élèves boursiers d’établissements mais dont on sait que les conditions de tra- réussite éducative créés en 2005 par le plan
publics. vail à la maison sont un peu compliquées » de cohésion sociale.
Les internats développent des projets édu- (F. Amara). Ils ont donc vocation à accueillir Les préfectures sont appelées à financer à
catifs spécifiques articulant hébergement, des élèves issus d’établissements d’éduca- hauteur de 2000 euros les places occupées
socialisation et apprentissages, inscrits dans tion prioritaire et des quartiers de la poli- par des élèves issus des quartiers priori-
les projets d’établissement. Dans chaque tique de la ville. taires. 200 millions du « Grand Emprunt »
académie, un plan de développement de Il s’agit de « renforcer l’accompagnement y seront consacrés, sur les 500 millions
l’internat dresse l’inventaire des ressources personnalisé des élèves à travers un projet d’euros affectés à la mission « enseignement
existantes, repère les besoins, envisage des pédagogique axé sur l’aide aux devoirs, la scolaire ». ■

Retour sur investissements


ressources

Le stage de formation de formateurs « Être élève en éducation prioritaire » organisé à l’INRP a donné l’occasion de croiser
les points de vue de chercheurs de différentes disciplines et de présenter plusieurs expériences concrètes.
Les enregistrements des séances de travail et les supports utilisés par les intervenants, sont consultables en ligne.
<http://www.inrp.fr/formation-formateurs> (rubrique formations 2009-2010)

À
l ’issue de la semaine, une synthèse
des stagiaires a permis de reproblé-
matiser, du point de vue des acteurs,
les questions « en tension » dans l’Éducation
Prioritaire, autour de plusieurs axes :

– d’un point de vue sociologique, C. Benayed,


D. Frandji et F. Oeuvrard ont insisté sur les
effets de la concurrence grandissante entre
établissements scolaires et montré les
changements dans la manière de penser les
politiques « d’égalité des chances » ;
– les « partenariats » entre l’École et ses
différents interlocuteurs (familles, associa- – la question des modalités d’apprentissage, point de vue, nécessite à la fois du temps et
tions, autres services de l’État, collectivités) des dispositifs et lieux de l’aide et d’accom- de l’impulsion, pour ne pas se contenter de
ont été discutés avec l’éclairage du PRE de pagnement des élèves, très présents dans les “refiler les patates chaudes” ». Pour cela,
Givors, par P. Perier ; réformes en cours, dans le premier comme organiser avec respect la « controverse
– le « rapport au savoir », les représenta- dans le second degré, ont été abordés par professionnelle » semble générateur de
tions des élèves et des enseignants face aux C. Felix et P. Rayou. progrès, pour croiser les pratiques péda-
tâches scolaires et extrascolaires ont été Au total, ces questions centrées sur l’élève gogiques plutôt que de céder à l’injonction
au cœur des interventions de J. Bernardin, ont renforcé, aux yeux des participants, de « l’urgence du changement ». Le cen-
d’A. Armand, de S. Kakpo, mais aussi de la question des cadres collectifs de travail tre Alain-Savary est une des ressources
l’expérience construite à Cherbourg. Dans pour travailler sur le terrain ces questions pour y contribuer, aux côtés des pilotes
une focale un peu différente, les rapports souvent entremêlées. Extrait de la synthèse aca dé miques et locaux de l’éducation
complexes entre la langue parlée hors l’école des stagiaires : « Faire circuler les savoirs, prioritaire et des équipes engagées dans
et la langue requise à l’École ont été précisés comprendre les logiques de l’autre, impliquer le travail quotidien, dans le premier et dans
par V. Boiron, J. Boutet et P. Lambert ; chacun, quels que soient son métier et son le second degré. ■

XYZep | NUMÉRO 36 | MARS 2010 ■ 5


Al principat de Catalunya, l’escola és en català…
entretien

Entretien avec Luci Nussbaum


par Marie-Odile Maire-Sandoz, centre Alain-Savary, et Patricia Lambert, ICAR

Luci Nussbaum, est professeure d’autres problèmes : d’abord, parce que les directives, l’administration incite à un travail
familles rencontrent souvent d’autres diffi- prenant en compte la diversité des élèves, la
à la faculté de sciences
cultés que les seules difficultés linguistiques, réalité montre que chaque établissement fait
de l’éducation de l’Université ensuite parce que la société ne reconnaît bien ce qu’il veut.
autonome de Barcelone pas spécialement l’arabe, le penjâbî ou une
(Espagne). Elle dirige un groupe de langue régionale des Philippines. Quelles sont vos pratiques
Avant la décentralisation des politiques de chercheur-e-s au sein
recherche sur les enseignements
scolaires, l’accueil des enfants étrangers des établissements scolaires ?
et interactions plurilingues
était une des composantes d’un programme
(GRIEP). Dans un contexte national d’éducation compensatoire (educa- Nous concevons notre activité de chercheurs
institutionnel bilingue catalan/ ción compensatoria) s’adressant à tous les en souhaitant répondre à une question qui
castillan de la Catalogne, enfants en difficulté à l’école, quelle qu’en peut paraître simpliste : comment faire de
le premier axe de recherche soit la nature : médicale, socioculturelle, la recherche qui soit utile pour l’école, et
linguistique, etc. Dorénavant, le système pas seulement pour nous ? Pour ce faire,
de cette équipe est l’éducation
éducatif espagnol — et donc catalan — est nous constituons des équipes tripartites,
et la scolarisation en deux langues. complètement décentralisé et sous la res- composées d’enseignants, de chercheurs
Un autre axe de travail intègre, ponsabilité entière de chaque territoire. et d’étudiants. Nous construisons ensemble
suite à d’importantes vagues Si à Madrid le programme d’édu cation la thématique de nos recherches-actions,
d’immigration qui ont débuté compensatoire perdure, ce n’est plus le nous déterminons une question qui semble
cas en Catalogne. En effet, dans le but de importante, et concevons un protocole pour
dans les années quatre-vingt-dix,
diminuer la stigmatisation des élèves en tenter de résoudre le problème, ou au moins
des problématiques liées à l’accueil difficulté, les autorités ont décidé de s’y d’y voir plus clair. Il est évident qu’au-delà du
et la scolarisation d’enfants prendre autrement, même si quelques hasard des rencontres, nous devons d’abord
de migrants. dispositifs spécifiques pour certains élèves construire les conditions d’une confiance
ont été maintenus. réciproque, ce qui doit être une qualité
Les établissements autonomes dans leur professionnelle du chercheur-intervenant.
organisation scolaire doivent néanmoins Malgré les difficultés, de nombreuses expé-
Comment se définissent les remettre chaque année un plan de travail riences montrent qu’il est possible de bâtir
politiques d’établissements dans élaboré à partir de leurs contraintes et de des projets communs. Nous prati quons
l’accueil scolaire des enfants leurs spécificités locales. Par exemple, un « l’observation participante » dans les établis-
de migrants en Catalogne établissement implanté dans un quartier sements, ce qui demande que l’enquêteur-
espagnole ? populaire urbain n’aura pas le même plan trice trouve et se voit accorder une place
qu’un autre en milieu rural. Ce plan est au sein de la communauté avec laquelle il va
En Espagne, en Catalogne, l’école est ensuite validé par les inspecteurs. Souvent travailler. Offrir des matériels didactiques,
catalane, et on enseigne en catalan. Pour le traitement de la diversité des élèves proposer de la formation à de nouvelles
les enfants espagnols dont la langue fami- constitue un axe important, dès le primaire, approches didac tiques, présenter les
liale est le castillan 1, l’école a conçu un mais les choix pédagogiques qui sont faits premiers résultats de la recherche en cours
programme d’immersion, qui repose sur peuvent être très différents d’un établis- ne suffisent pas à gagner la confiance totale
trois principes : sement à l’autre. Dans le secondaire, des des enseignant-e-s face à la recherche. Notre
– la reconnaissance de la langue de la famille positionnements idéologiques sont visibles : expérience nous a montré que la contre-
lorsqu’elle n’est pas la langue de l’école il est souvent décidé de créer des classes partie la plus efficace est celle de partager
(le castillan est une langue de l’état en spécifiques pour les enfants qui ont des les tâches d’enseignement. Cette option
Espagne), problèmes, dans le but de laisser travailler constitue, pour les jeunes chercheurs et les
– l’accord des parents pour que les enfants les autres sereinement. Ces classes spéci- futurs enseignants, une excellente occasion
soient scolarisés dans une langue qui n’est fiques sont confiées à des enseignants d’acquérir des compétences profession-
pas celle du foyer, spécialisés. Ce choix est souvent objet nelles et de l’expérience du métier. Pour les
– une attitude compréhensive des ensei- de débat au sein des équipes éducatives. chercheurs plus expérimentés, entrer dans
gnants lorsqu’un enfant s’exprime en Certains souhaitent faire de la diversité un les classes et partager la responsabilité avec
espagnol (en castillan). objet de travail collectif, quand d’autres s’y les enseignants permet de vérifier dans la
Évidemment, pour les enfants de migrants refusent au nom de la qualité des condi- pratique ce qui a été théorisé par ailleurs.
allophones2, l’immersion en catalan pose tions d’apprentissages pour les élèves dits Cela peut aussi rapidement constituer
ordinaires. J’insiste sur le fait que ces choix une source d’inspiration pour de nouvel-
1. Le castillan désigne la langue espagnole relèvent uniquement de la dynamique de les questions de recherche. Il s’agit d’une
parlée en Espagne
l’établissement, sans que les instances supé- option complexe, difficile : observer et être
2. allophone : personne qui, dans un terri-
toire donné, a pour langue maternelle une rieures ne donnent pas toujours des orien- observé-e. Mais sans ce type de recherche
autre langue que la ou les langues officielles. tations à suivre. Si dans les discours et les collaborative je ne pourrais pas enseigner à

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l’université comme je le fais actuellement, métier. Ils participent au travail d’élabora- Mais nous avons dû constater que le projet
je ne ferais que restituer des connaissances tion, et contribuent beaucoup à la construc- que nous avions imaginé était très difficile à
lues dans les livres. tion de matériel. mettre en œuvre concrètement, parce qu’il
Bien sûr, toute collaboration n’amène pas demandait à ces élèves nombre de com-
Ne craignez-vous pas que ce type forcément une réussite magique des élè- pétences qu’ils ne possédaient pas encore,
de fonctionnement ne brouille ves. J’ai le souvenir d’une autre école pri- notamment pour pouvoir questionner un
les cartes ? maire où la question qui nous était posée adulte ou mobiliser des connaissances histo-
était « Comment travailler avec des enfants riques. Nous avons dû convenir qu’il fallait
Non, nous sommes chacun dans notre qui sont d’origine étrangère sur une théma- réorganiser en profondeur notre dispositif.
métier. Nous travaillons ensemble, nous tique comme la guerre civile d’Espagne ? ». Cette expérience nous a montré que la colla-
tirons des conclusions ensemble. Prenons un Les enseignants se demandaient comment boration entre chercheurs et enseignants
exemple récent où nous avons travaillé sur faire avec ces enfants dont la famille ne conduit à renforcer la modestie des uns et
la description des compétences des élèves s’inscrit pas dans cette histoire. Nous avons des autres… ■
étrangers nouvellement arrivés en Catalogne. échafaudé une démarche qui visait à faire
Nous avons construit un référentiel à partir interviewer, par nos jeunes élèves, des
de la date d’arrivée, de l’origine étrangère, personnes qui avaient vécu des événements
et en tenant compte du type de socialisation dramatiques.
linguistique proposé par l’école. Nous effec-
tuons d’abord un ensemble d’enregistre-
ments que nous transcrivons, et que nous
analysons. Ces matériaux alimentent nos
travaux, nos congrès et publications de cher-
cheur-e-s. Mais avec les enseignants, nous
construisons des démarches pédagogiques
et nous élaborons des supports qui pourront
être transférés à d’autres. Nous mettons
aussi en place des processus d’évaluation.
Si les enseignants qui s’engagent dans ce type
de travail ne reçoivent pas de gratification
financière, il me semble néanmoins, qu’en
échange, cette collaboration est positive
pour eux. Ce travail conjoint est désormais
reconnu comme de la formation continue,
qui compte dans la validation de leurs acquis
de l’expérience (VAE), pour l’obtention de
diplômes.
Pour les stagiaires, c’est une occasion de voir
et d’expérimenter un travail coopératif entre
enseignants, de comprendre comment on
travaille ensemble pour créer de nouveaux
outils. C’est aussi une excellente formation à
la construction de démarches pédagogiques.
Les stagiaires observent et apprennent le

Le système éducatif catalan


L’éducation des enfants de 0 à 6 ans (Educación De 12 à 16 ans les enfants accèdent aux quatre Après l’ESO, les élèves peuvent envisager de
Infantil) se compose de 2 cycles : le jardin d’enfants années de l’École Secondaire Obligatoire (edu- passer le bachillerato (baccalauréat, cycle de deux
(jardín de infancia) de 0 à 3 ans et la maternelle cación secundaria obligatoria — ESO), étape nouvelle ans, options Sciences de la Nature et de la Santé,
(parvulario) de 3 à 6 ans. dans le système éducatif, organisée en cycles de Humanités et Sciences Sociales, Technologie, Arts),
De 6 à 12 ans les enfants étudient dans les 6 classes 2 ans. Les matières sont organisées en 115 crédits, engager une formation professionnelle ou entrer
de l’école primaire (Educación primaria), première constitués d’unité de 35 heures. Certains crédits dans le monde du travail.
étape obligatoire du système éducatif. Trois cycles sont communs à tous, d’autres sont variables Le système éducatif catalan dispose de services
de 2 ans se succèdent : cycle initial, moyen et (renforcement des matières de base ou options). spécifiques pour apporter les réponses aux besoins
supérieur. Au cycle moyen les enfants étudient une Des crédits de synthèse mettent en application éducatifs particuliers des élèves intégrés dans des
langue étrangère, et éventuellement une seconde pratique des connaissances acquises dans les diffé- écoles ordinaires, ou dans des écoles spécialisées.
au cycle supérieur. rentes matières. Les évaluations utilisent les termes Des équipes d’évaluation et d’orientation psycho-
À l’école primaire, on recommande d’utiliser les suivants de « excellent, très bien, bien, suffisant et pédagogique (Equipo de Asesoramiento y orientación
termes suivants pour l’évaluation : PA (progresse insuffisant ». Lorsque les élèves terminent l’ESO, ils Psicopedagógica — EAP) contribuent aux diagnostics,
normalement - Progresa adecuadamente) ou NM obtiennent le diplôme de fin d’études secondaires et des enseignants spécialisés peuvent co-intervenir
(à besoin de progresser - Necesita mejorar) Un (Graduado en Educación Secundaria), ou peuvent avec les enseignants dans les classes ou dans des
enfant ne peut redoubler qu’une seule fois à l’école suivre un « programme de garantie sociale » destiné situations d’aide individualisée ou en petit groupe.
primaire. à préparer leur entrée dans le monde du travail.

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sitif d’enseignants « innovateurs », gaison ou productions d’écrits que ar ticles présentent notamment
brèves et questionne l’ambiguïté du terme,
lorsque l’institution tente de réhabiller
les deux coauteurs ont rassemblé
plusieurs écrits rendant compte de
des résultats de recherche sur la
construction des premières compé-
L’autorité éducative avec de nouveaux termes ce qui se leçons expérimentées dans les classes tences orthographiques, le soutien en
dans la classe, douze situations rapproche de classiques formations. et en formation. lecture ou l’analyse de l’enseignement
pour apprendre à l’exercer Un entretien avec le Canadien Jean- Soucieuses de présenter aux élèves de la lecture.
Pierre Boutinet analyse la montée de ces contenus non comme des vérités La rubrique « Varia », décalée par
Bruno Robbes, ESF, 2010 l’accompagnement comme un signe à asséner, mais comme de vraies rapport à l’axe du dossier, revient sur
Entre une société de la consom- de la déstabilisation dans des institu- connaissances scientifiques inscrites les dispositifs d’aide à la parentalité
mation qui vante le mérite du « tout tions devenues fragiles. dans une histoire, elles présentent par (F. Giuliani) et les représentations de
est possible , tout de suite » et les Dans les comptes rendus de lecture, le menu une trentaine de démarches, l’autonomie des élèves dans le second
valeurs de l’École, le hiatus est Frédéric Saujat rend compte et de la classification grammaticales des degré (R. Gasparini).
évident, d’autant plus si l’École devient discute l’approche de R. Wittorski sur mots aux règles de conjugaison, en
un lieu de consommation comme les le développement professionnel (voir passant par l’accord du par ticipe f Les règles du métier
autres. Si tous les enseignants savent dossier de ce numéro, p. II). passé, toujours avec le parti pris de la dans la formation
qu’apprendre est difficile, exige temps confiance dans les capacités insoup- des enseignants débutants
et efforts, de plus en plus d’élèves
La réussite éducative, çonnées des élèves à comprendre
Jacques Méard et Françoise Bruno,
sont loin de ce modèle, et ne font
un dispositif questionné les notions qu’ils ont été amenés à
Octarès, 2009
pas la différence entre norme sco-
par l’expérience construire…
À partir de vingt-six situations de
laire et normativité sociale, entre
autorité et autoritarisme. L’ouvrage Coordonné par Véronique Laforest, formation précisément décrites, les
INJEP éditions, 2010 Cléo, français, auteurs énoncent des recommanda-
de B. Robbes a l’immense mérite de
Depuis plus de vingt ans, les projets manuel d’entraînement tions inhabituelles en direction des
trouver un juste équilibre : ni recettes
factices qui exonéreraient l’enseignant éducatifs locaux se construisent Antoine Fetet, Retz, 2010 formateurs : énoncer des règles de
de sa posture professionnelle, ni dis- en prenant appui sur les dispositifs Avec le CE1 et le CE2, le manuel de métier, rechercher un accord, multi-
cours surplombant. Les « trois lois proposés par l’État et les caisses CM1 continue sur la lancée de cette plier les formulations génériques
fondatrices de toute vie sociale » d’allo ca tions familiales. Depuis la collection qui articule une grande et circonstanciées pour établir des
reposent à leur juste place l’asymétrie « loi de cohésion sociale » en 2005, expertise didactique sur les appren- liens de signification, s’appuyer sur
entre le professeur et l’élève, passée le DRE (Dispositif de réussite éduca- tissages à mener, avec des situa- des dilemmes, établir des contro-
en revue à travers des cas concrets. tive) est venu bousculer et enrichir tions d’entraînement suffisamment verses, envisager le développement
Un ouvrage essentiel où l’on trouvera le travail local, en privilégiant des répétitives pour espérer installer des enseignants eux-mêmes et pas
la confirmation, si c’était nécessaire, logiques d’accompagnement de progressivement des automatismes seulement leurs apprentissages. Ils
que la « tenue de classe » n’est rien parcours individuel et en favorisant nécessaires à la fin de l’école primaire. interrogent l’absence de « genre
sans de solides repères didactiques la mobilisation d’équipes pluridiscipli- En témoignent deux par ties très formateur » et de communauté de
et pédagogiques acquis dans l’expé- naires sur les territoires. développées sur l’apprentissage de pratiques chez ceux qui sont censés
rience progressive du métier, et que Cet ouvrage, largement composé la compréhension et du lexique, qui apprendre le métier aux débutants.
le détail de ce qui se passe dans la de témoignages de praticiens et de permettent à l’enseignant d’installer Une question dont l’actualité ne
classe et dans l’établissement peut chercheurs, pose un regard engagé progressivement un travail de plus devrait pas décroître dans les mois
faire la différence. et parfois distant, à partir du regard en plus autonome des élèves sur des à venir.
croisé des collectivités territoriales compétences essentielles.
L’accompagnement et de l’éducation populaire, qui ne se Enseigner à l’école
dans la formation confond pas avec ceux des acteurs de Enseignement maternelle, de la recherche
l’Éducation nationale. Bernard Bier, et apprentissage, entre aux gestes professionnels
Recherche et formation n° 62 chargé d’études à l’INJEP, revient psychologie et didactiques
Que recouvre le terme « accom- Agnès Florin et Carole Crammer,
sur les débats générés autour de ces Revue française de pédagogie n° 168
pagnement », désormais largement Hatier, 2009
dispositifs, avec le but de dépasser Quand on est professeur d’EPS face
employé pour rendre compte de Préparer avec ambition la suite de la
l’antagonisme individuel/collectif, à des élèves difficiles, comment faire
processus très divers ? Formation et scolarité tout en prenant en compte les
défend la place d’une éducation non pour à la fois ne pas entrer en conflit
accompagnement sont-ils complé- besoins des plus jeunes, leur bien-être,
formelle et revendique une « éthique avec les élèves dès l’entame du cours,
mentaires ou antagonistes, comme la dynamique de leur développement
de l’intervention » pour chacun des asseoir l’EPS comme une discipline
le demande en ouverture Annette et de leur vie sociale, c’est l’intention
partenaires. d’enseignement exigeante , faire
Gonnin-Bolo ? Maela Paul prend le de cet ouvrage qui propose de solides
temps d’une perspective historique travailler les élèves, ne pas renoncer repères et des pistes concrètes, même
Faire réussir les élèves en à ses convictions concernant son rôle pour le jour de la rentrée…
sur le concept, et montre ses glisse-
français, de l’école au collège et sa mission d’enseignant, parvenir
ments sémantiques successifs. Jean-
Claude Mouton s’intéresse au travail Jeanne Dion et Marie Serpereau, à garder le contrôle de la classe,
des maîtres-formateurs lorsqu’ils Delagrave, 2009 échauffer physiquement les élèves
travaillent avec les professeurs d’école C’est avec l’ambition affichée de pour ne pas risquer d’accident… C’est
dans leur stage de « pratique accom- répondre aux questions des ensei- cette multiplicité des enjeux du « réel Rubrique réalisée avec le concours
pagnée », et met à jour les dilemmes gnants soucieux de faire vivre à de l’activité » qui est présentée par de la Veille scientifique et technolo-
avec lesquels ils doivent composer. leurs élèves des pratiques efficaces la contribution de Nathalie Monnier gique de l’INRP :
Françoise Cros revient sur un dispo- en grammaire, orthographe, conju- et Chantal Amade-Escot. D’autres <www.inrp.fr/vst/>.

XYZep est une publication du centre Alain-Savary de l’INRP | ISSN 1276-4760


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Benhayoun, Myriam Chéreau, Daniel Frandji, Marie-Odile Maire-Sandoz, Olivier Meunier, Catherine Pérotin, Patrick Stéfani |
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INRP | Centre Alain-Savary | Centre national de ressources sur les pratiques éducatives et sociales en milieux difficiles |
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8 ■ XYZep | NUMÉRO 36 | MARS 2010 |
DOSSIER | XYZep | Numéro 36 | avril 2010

De la reconnaissance
professionnelle
La formation de formateurs « Du travail en éducation prioritaire », qui a eu lieu à l’INRP en mars 2010,
a été l’occasion de revenir sur le travail enseignant. La question du « développement professionnel »,
reliée à celle de l’évaluation, a été une des thématiques traitées. Avec une idée qui a traversé les interventions
et les débats : finalement, entre élèves et enseignants, la réussite des uns est très liée à celle des autres…

Évaluer, c’est donner de la valeur…


Patrick Picard, centre Alain-Savary

Et si le travail enseignant était un travail « faire classe », l’institution demande de plus


comme un autre, ni plus, ni moins, où ce en plus aux établissements de s’attaquer aux
qu’il y a à faire ne va jamais de soi, et où problèmes sur lesquels l’État peine à trouver
l’écart est par nature grand entre ce qu’on des réponses. La question de l’évaluation
arrive à faire et ce qu’on aimerait faire ? et de la reconnaissance professionnelle se
Pendant longtemps, on a fait comme si la re-pose sous de nouvelles formes, encore
noble mission dont la République adoubait balbutiantes certes, mais passionnantes. Il
les enseignants suffisait à faire le sens du est question de chercher ensemble à faire
métier. Les « hussards » n’existaient pas par ce qu’on n’arrive pas à faire. Parce que « la
eux-mêmes, ils n’étaient qu’incarnation meilleure manière de défendre son travail, c’est
de l’autorité de la Nation. Puis, l’avancée de s’y attaquer », dit Yves Clot. ■
des sociologues aidant, on les suspecta
grandement de n’être que le bras armé
de la reproduction sociale mise à jour par
Bourdieu et consorts. Au fur et à mesure que
la massification avançait, et que les enfants
de pauvres persistaient à moins réussir que
les autres, on ne fut pas loin de les considérer
comme psychorigides, plus amoureux de la
férule et des beaux textes que de l’ascension
sociale des plus humbles. Il y a quelques
années, Dubet n’hésitait pas à se demander
publiquement si les enseignants n’étaient
pas prêts à « refermer derrière eux la porte de
l’ascenseur social ».
Comme en témoignent les paroles des
différents experts que nous avons sollicités
pour éclaircir le tableau, il semblerait que
les choses soient un peu plus polymorphes,
au fur et à mesure qu’on comprend mieux
l’épaisseur des gestes de métiers. En plus de

XYZep est une publication du centre Alain Savary de l’INRP ■ I


DOSSIER | XYZep | Numéro 36

Du développement apprentissages, issus des pratiques, échappent


à la conscience directe des acteurs. Lorsque

professionnel…
des professionnels sont tuteurs de débutants,
ils peuvent avoir du mal à expliciter aux
néophytes comment ils s’y prennent.
Mais dans un métier, on a aussi à apprendre
Richard Wittorski des choses en étant confrontés à l’inédit.
On essaie de recourir, dans la « réflexion-
La question du développement professionnel est action », à des ressources externes (notices,
une question d’actualité : toutes les institutions guides) pour y puiser des ressources pour
Richard Wittorski, internationales, de Bologne à Lisbonne, parient modifier ses habituelles « façons de faire ».
professeur à l’université
sur le développement des personnes. Réclamer Ces nouvelles compétences « mentalisées »
de Rouen, auteur de
la « professionnalisation » peut être synonyme peuvent être davantage explicitées.
« Professionnalisation et
développement professionnel », d’une plus grande autonomie, d’une plus En organisant la « réflexion sur l’action »,
L’Harmattan, 2007, et grande reconnaissance sociale. Mais le mot en formalisant collectivement les pratiques
« Comment les enseignants est polysémique, et chacun y investit un sens existantes, on fait prendre un recul sur
apprennent-ils leur métier ? », différent : du point de vue des employeurs, l’activité, en demandant de « mettre en mots »
L’Harmattan, 2008. « professionnaliser », c’est renforcer l’efficacité sur ce qui est fait. On « désincorpore » les
du travail réalisé, en fonction du poste de compétences, on fait de sa propre activité
travail, pas forcément former à l’exercice un objet d’apprentissage.
d’une profession. L’invocation galopante des Une autre logique, complémentaire, qu’on
« compétences transversales » requises se fait la nomme « accompagnement », « tutorat »,
souvent au détriment même de l’existence de « coaching », est une situation où on apprend
corps professionnels constitués. La tension à l’aide d’un tiers qui aide à se décentrer,
sociale autour de cette notion peut donc être à voir autrement les choses, à faire des
grande. « traductions culturelles », pour reprendre les
Dans l’Éducation nationale, le référentiel mots de Calon-Latour.
des dix compétences propose un modèle Les apprentissages professionnels peuvent donc
du « bon professionnel » : c’est celui qui être catégorisés, selon les objets sur lesquels
aurait toutes les compétences requises. Cette ils s’exercent : compétence d’action, d’analyse
injonction montre la vision que l’institution des situations ou de « gestion de l’action ». Les
a de l’enseignant, qu’elle tente de traduire « routines » (compétences incorporées) sont
dans l’offre de formation. Mais cette très efficaces pour faire face aux situations
« identité prescrite » ne dit rien de ce que les spécifiques avec des micro-ajustements.
professionnels vont effectivement devenir, Certaines sont même « transférables »,
comment ils vont se construire, développer transmissibles, réinvestissables.
des convictions, revendiquer certaines formes
de reconnaissance, se construire une image Des dispositifs différents
de leur propre place dans l’univers social. pour des apprentissages spécifiques
C’est pourquoi je propose un pas de côté avec
l’expression « développement professionnel », Apprentissages « sur le tas », enseignement
qui renvoie davantage à la dynamique des magistral, formation alternée,
personnes. Entre l’institution, les groupes accompagnement, analyse de pratiques sont
et les individus, des « transactions » vont donc autant de « dispositifs » qui réfèrent à
donc avoir lieu, qui vont amener (ou non) ces différents processus mis en œuvre par les
« reconnaissance », attribution de valeur et sujets pour « apprendre » à faire leur métier.
de place. Chacune renvoie à une figure d’enseignant
culturellement marquée : transmission
Quelles modalités magistrale, alternance entre expérience
de développement professionnel ? concrète et mise à distance théorique,
accompagnement, tutorat, compagnonnage
On peut très bien apprendre son métier « sans par exemple…
s’en apercevoir », dans les tâches ordinaires, La « négociation identitaire » et l’évaluation
« sur le tas », par de minuscules modifications sont des moments essentiels à travers lesquels
successives. Quand on demande aux l’institution peut, entre ses attentes et
professionnels de dire « comment ils s’y l’identité vécue des personnes, leur « attribuer
prennent » pour faire ce qu’ils ont à faire, des compétences » qui vont développer, ou
c’est difficile. Jacques Leplat définit ces non, un sentiment de compétence au travail
compétences comme « incorporées », attachées susceptible de développer leur pouvoir
au corps et à l’expérience immédiate. Ces d’action. ■

II ■
DOSSIER | XYZep | avril 2010

Le soutien du métier L’usure et les difficultés sont accrues du fait


d’avoir à justifier plus souvent qu’auparavant
son travail et sa manière de faire alors même
Françoise Lantheaume que les repères collectifs du métier sont
plus incertains. L’absence d’une évaluation
Il a fallu longtemps pour que les sociologues reconnue et acceptée par les enseignants (celle
s’intéressent de près au travail enseignant, de la hiérarchie ou à travers les tests nationaux
et dépassent le fait que l’École reproduisait ou internationaux) accentue le manque de
les inégalités. On pointe encore souvent leur reconnaissance dont souffrent les enseignants,
« résistance au changement ». Dans les années malgré une opinion publique favorable, ainsi
quatre-vingt, la « professionnalisation » que le montrent les sondages successifs.
émerge comme un projet politique, plus Françoise Lantheaume,
qu’une revendication des enseignants eux- Quels soutiens ? maître de conférence à
mêmes. Mais petit à petit, on sort de l’ère l’université de Lyon 2, à l’ISPEF
(Institut des sciences et pratiques
du soupçon ou de la commisération. Le Les principaux soutiens sont le métier et
d’éducation et de formation).
rôle du contexte de travail devient central l’institution. Or, l’inspection est souvent
pour comprendre ce qui se passe dans perçue comme une épreuve, les inspecteurs A notamment publié :
l’enseignement. Les ergonomes et la clinique suspectés de juger davantage la « mise La Souffrance des enseignants,
de l’activité mettent à jour l’écart entre le en scène » que le quotidien du travail… une sociologie pragmatique
travail prescrit et le travail réel, et montrent Christophe Dejours distingue le « jugement du travail enseignant,
à quel point la subjectivité est convoquée d’utilité » posé par le supérieur pour apprécier en collaboration avec C. Hélou,
dans le travail. C’est un moment historique la conformité, et le « jugement de beauté », porté PUF, 2008
où s’opposent ceux qui imaginent la « fin » par les pairs : faire le travail selon les règles du Les enseignants de lycée
du travail et ceux qui soulignent plutôt la métier, mais avec un style personnel inventif, professionnel face aux réformes :
« faim » de travail et la place centrale qu’il qui va enrichir le métier. Si les enseignants tensions et ajustements
occupe dans la vie humaine (Dejours, Clot), estiment parfois que le jugement d’utilité dans le travail, INRP, 2008.
comme élément essentiel de l’humanité et n’est pas pertinent (« qu’est-ce que le principal
de la culture… sait de ma discipline ? »), ils ne construisent
Le travail enseignant ne se résume pas pas pour autant le cadre collectif du débat de
à l’horaire hebdomadaire de service. Le normes professionnelles. Il ne leur reste que
métier est de plus en plus « bourgeonnant » « l’idéal » du travail qui est une tyrannie, car
d’excroissances, avec un cœur de plus en plus face à l’idéal de tout ce qu’il faudrait faire, on
difficile à identifier. L’intensification du travail est toujours minable… Les enseignants font
est réelle : le commandement vertical est pourtant leur travail et traduisent bon an mal
remplacé par un pilotage managérial, par projet, an les prescriptions, ajustant leur activité, ce
avec injonction à l’initiative locale pour régler qui exige du temps du fait de l’adaptation au
les difficultés. Or, il n’est pas plus simple de se contexte et de la transformation des gestes
mettre d’accord localement : chaque individu de métier : processus interactif complexe.
est sommé de contribuer au projet, quelle que Quand ce temps manque, des stratégies
soit sa position hiérarchique, et de construire défensives se développent, n’entraînant aucun
ses propres arbitrages face aux dilemmes développement ni pour les professionnels ni
qu’il rencontre, grâce à ses caractéristiques pour l’institution.
personnelles. Or, cette autonomie prescrite
est largement empêchée, essentiellement du Nous sommes assurément dans une période
fait d’organisations du travail inadaptées, de de crise, c’est-à-dire aussi une période
contradictions dans les prescriptions, d’un de développement potentiel. Le but de
mode de management parfois autoritaire. La l’éducation reste cependant d’intégrer
tension entre prescription de l’autonomie les petits de l’Homme dans la société.
et son empêchement est source d’usure. Le Cette question ne peut relever des seuls
sentiment de « surcharge » vient à la fois de enseignants ; aussi ont-ils tout intérêt à entrer
la multiplication réelle des tâches et de la en débat avec la société et entre eux pour
difficulté psychologique ressentie devant tout débattre du projet politique éducatif et des
ce qu’on ne parvient pas à faire, notamment solutions aux problèmes rencontrés dans
devant la difficulté à mobiliser les élèves au le travail. Ce travail de mobilisation sociale
travail scolaire. Le décalage entre le prévu et et professionnelle pourrait être l’occasion
le réalisé, malgré la « prise de tête » dans la de dire l’importance et la fierté du métier,
préparation du cours, rend poreuses la vie la créativité permanente dont il fait preuve
personnelle et la vie professionnelle, surtout pour faire face à l’inattendu. C’est un bon
lorsque le public scolaire est éloigné des codes antidépresseur dans un contexte pas toujours
scolaires. réjouissant. ■

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DOSSIER | XYZep | Numéro 36

Évaluer : Analyser, juger, évaluer :


de quoi parle-t-on ?
des élèves comme Épistémologiquement, il me semble nécessaire

des enseignants… de faire la différence entre l’observation ou


l’analyse d’une pratique, telle que peuvent
la pratiquer les formateurs, et l’évaluation,
qui est d’une autre dimension, qui suppose
Anne Jorro un regard de confrontation avec un système
d’attente, potentiellement générateur de
Anne Jorro, L’évaluation est avant tout une pratique conflit. Confronter une pratique réelle
professeur à l’université
sociale qui, dans le contexte éducatif, est à un référentiel imposé est très souvent
Toulouse-Le Mirail,
ressentie par les acteurs du terrain comme polémique : il serait utopique de vouloir
responsable de la composante
EVACAP (Évaluation une pratique imposée, notamment lorsqu’on superposer le prescrit et le réel, et l’utilisation
et professionnalisation se penche sur les évaluations nationales et de « grilles de critères » n’y change rien. Au
des acteurs et des contextes). les situations dans lesquelles les enseignants contraire, elles montrent encore mieux le
sont mis pour traiter la question. Cette « jeu » qu’il faut accepter entre les deux,
A notamment publié :
pratique imposée les plonge dans une non par tolérance, mais pour accepter le fait
La reconnaissance « insécurité évaluative » : le sentiment de qu’entre l’attendu et le « mis en œuvre »,
professionnelle : évaluer, vouloir « bien faire » se confronte à de le décalage est réel. Tant qu’on ne prendra
valoriser, légitimer », Presses nombreuses questions professionnelles, non pas conscience que la confrontation à un
Universitaires d’Ottawa, pas pour lire les évaluations, mais pour en référentiel est nécessairement polémique,
2009 ; Évaluation et
tirer parti. La question de « comment faire on aura peur d’évaluer, et on ne pourra pas
développement professionnel,
à partir des évaluations ? » reste toujours en accepter l’évaluation pour ce qu’elle est : un
L’Harmattan, 2007 ;
Professionnaliser le métier suspens. Les difficultés sont réelles, et du moment inconfortable qui permet d’explorer
d’enseignant, ESF, 2002 ; coup, le sentiment d’impuissance gagne. les possibles.
L’enseignant et l’évaluation. Second obstacle, la résurgence du « jugement
Des gestes évaluatifs en question, Les enseignants se disent eux-mêmes parfois professionnel » par rapport à l’évaluation,
De Boeck Université, 2000 peu satisfaits de leur propre évaluation actuellement très présent au Canada ou en
professionnelle : la brièveté de leurs entretiens Suisse. Cela voudrait dire qu’on serait capable
d’évaluation peine à rendre compte, selon de faire un jugement rationnel sur des actes
leur point de vue, de la richesse des gestes éducatifs dont une grande part échappe à
professionnels qu’ils mettent en œuvre la conscience des acteurs qui les mettent en
au quotidien, et pose la question de la œuvre. C’est une vision du processus éducatif
reconnaissance professionnelle des acteurs. qui devient rigide.
Au contraire, évaluer, c’est d’abord attribuer
Ces pratiques sociales autour de l’évaluation de la valeur, comprendre l’efficience d’un
sont donc affectivement très chargées, acte, confirmer que ce qui a été fait « tient la
les ressentis sont nombreux, et les gestes route », mais aussi accepter d’entrer dans la
professionnels se construisent sur le tas, régulation, l’ajustement, l’intersubjectivité,
sans être toujours travaillés en formation, la relativité des points de vue à partir de
avec des pratiques clandestines, bricolées, choix et de critères élaborés collectivement,
équivoques. Lorsque les enseignants évaluent explicitement, dans le but de rendre une
leurs classes, leurs pratiques ne sont donc pas situation plus opératoire. Mais un critère
à l’abri de quiproquos et de malentendus, d’évaluation n’est jamais « objectif » en
pour les élèves ou les parents. soi : ce n’est qu’un choix accepté par un
collectif.

Du « donner conseil »
au « tenir conseil »

Évaluer, c’est mettre en œuvre des compétences


théoriques, méthodologiques (respecter les
temps spécifiques de l’évaluation formative
ou de l’évaluation certificative), mais aussi
sémiotiques et communicationnelles (savoir
observer, savoir entendre les appels de ceux
qu’on évalue, savoir se taire au lieu de tenir
trop vite conseil). Qu’on soit enseignant avec

IV ■
DOSSIER | XYZep
DOSSIER | XYZep
| Décembre
| avril 2010
2009

des élèves, formateur avec des stagiaires ou


inspecteur avec des enseignants, le processus
n’est sans doute pas si différent…
C’est aussi pratiquer des gestes et des manières
d’agir qui évitent l’humiliation, se renforcent
d’éthique et d’humilité, et permettent d’aider
celui qu’on évalue à porter un regard « un peu
exigeant » sur son activité. Il faut pour cela
accepter de ne pas passer en revue l’ensemble
des compétences requises par le référentiel,
ne pas se contenter de se centrer sur ce qui est
prescrit, communiquer sur la situation réelle. Une expérience niçoise
C’est cette relation de dialogue qui permet
de passer du « donner conseil » prescriptif au En lycée professionnel avec Joëlle Tozzo, nous
« tenir conseil », dans une co-élaboration de avons réuni des enseignants volontaires,
pistes de travail, qui aide celui qu’on évalue autour de la question de « préparer un élève à
à faire des choix « tenables » pour lui, qui apprendre », en passant du temps à regarder
va renforcer sa propre « reconnaissance « comment les élèves faisaient pour faire ».
au travail », lui permettre de s’engager, de Collectivement, les enseignants ont ainsi
s’enrôler dans la décision à venir, de se dégagé plusieurs postures d’apprentissages :
projeter dans l’action. La reconnaissance les élèves sont-ils excessivement focalisés sur
découle de cette instance dialogique, dans la tâche ? Demandent-ils ou non de l’aide ?
une « manipulation consciente et positive », Utilisent-ils les outils à leur disposition ?
comme le disait Jean-Pierre Astolfi. Mobilisent-ils ce qu’ils ont déjà appris ?
Échangent-ils ou non entre eux autour de
À chaque évaluation son rôle leur action pour identifier ce sur quoi ils
butent ? Prennent-ils le temps de la posture
Concernant l’évaluation dans les réflexive au lieu de se débarrasser de la tâche ?
apprentissages, la différence entre l’évaluation Nous savons tous que cette culture de la
formative et l’évaluation certificative est plus « réflexivité » n’est pas naturelle, et doit en
que jamais à faire, sur le terrain. On constate permanence être sollicitée dans les activités
que les évaluations proposées confondent d’apprentissage, dans le but d’un retour
parfois les deux rôles. On ne laisse pas assez construit, d’une « secondarisation » de ce
de temps aux élèves pour apprendre, dans qu’on a appris, avec l’aide du groupe…
une surenchère de contrôles qui contracte
le temps et ne permet pas la durée dans les Mieux comprendre
apprentissages. Or, pour les élèves comme ce qu’il ne comprend pas
pour les enseignants, l’évaluation postule
une posture engagée dans les apprentissages. Apprendre à mieux comprendre comment
L’accompagnement des élèves ou des fait l’élève (ou l’acteur) dans son activité me
enseignants commence là : c’est à partir semble un enjeu essentiel de la formation.
de l’action, de l’expérimentation, de la L’analyse des niveaux de complexité
reformulation que la réflexion et l’ajustement des tâches et des situations en est une
prennent source. Enrôler dans l’action, agir composante, notamment pour organiser à
avec, et faire agir ensemble dans les pratiques, l’école une gradation des exigences au fur
restent toujours à gagner dans l’ordinaire de et à mesure que la scolarité avance. Pour s’y
la classe pour que les notions prennent sens retrouver, la typologie à trois niveaux1 de 1. voir par exemple
chez les élèves ou les enseignants. Bernard Rey me semble efficace, en articulant <http://enseignement.be/
Cela demande d’installer des repères pour le travail sur les compétences « élémentaires » index.php?page=23939>
faire (Que fait-on ? Pour quoi faire ? Avec l’aide qui renvoient à des situations connues et
de quoi et de qui ? Avec quelles règles du jeu ? répétitives connues de l’élève, les compétences
Dans quelle pluralité de points de vue ?). Cela « élémentaires avec cadrage » qui nécessitent
demande de faire des pauses intermédiaires, des rapprochements et des interprétations,
collectives pour évoquer les ressources à et des compétences « complexes » qui
mobiliser, pour repréciser ce qu’on a à faire, nécessitent non seulement d’interpréter, mais
mentaliser, mais aussi individuelles lorsque surtout de convoquer des savoirs issus de
l’enseignant accompagne spécifiquement plusieurs domaines dans une tâche inédite,
certains, se préoccupe de la manière dont ils et de mobiliser des rapprochements avec des
manipulent les critères requis. Le langage a catégories de problèmes déjà rencontrés. ■
dans ce processus une grande importance.

XYZep est une publication du centre Alain-Savary de l’INRP ■ V


DOSSIER | XYZep | Numéro 36

Le travail comme développement personnel :


à quel prix ?
Dominique Bucheton

Dominique Bucheton, La « conscience » professionnelle, c’est d’abord de vocabulaire », « manque de motivation »,


professeur à l’université pouvoir avoir conscience de ce qu’on fait, et « trop d’hétérogénéité », « hyperactivité » :
de Montpellier 2, directrice
donc pouvoir s’ajuster avec l’aide d’instruments ces litanies amènent trop de réponses « de
du LIRDEF (Laboratoire
interdisciplinaire de recherche
adaptés. C’est nécessaire, et c’est difficile. bon sens » à mon avis insuffisantes, voire
Mais « c’est d’abord l’éthique professionnelle inefficaces. J’invite au contraire à résister
en didactique education
singulière collective qui nous tient ». aux lieux communs, qu’ils viennent des
et formation).
élèves, des collègues, des instructions, de
A notamment publié Depuis une vingtaine d’années, on sait que l’institution, mais aussi de soi-même, pour
ou dirigé : le développement des enseignants, comme rester en vigilance. Contre la théorie du
– L’agir enseignant : celui des élèves, est à la fois langagier, manque, ceux qui trouvent quelques clés sont
des gestes professionnels affectif, cognitif, mais aussi dans la capacité ceux qui portent un autre regard sur les élèves,
ajustés, Octares, 2009 ; d’être avec l’autre, de parler de soi, d’entrer développent un haut niveau de conscience
– L’atelier dirigé d’écriture en conflit quand c’est nécessaire. La professionnelle et une posture éthique.
au CP : une réponse difficulté du métier, la complexité de l’agir-
à l’hétérogénéité des élèves, enseignant, c’est d’être obligé de travailler sur Des outils pour comprendre
Delagrave, 2009.
l’ensemble de ces développements, qui sont les gestes professionnels
– Le développement
indissociables, même si l’un ou l’autre prend
des gestes professionnels
dans l’enseignement du parfois le dessus. Mais l’analyse nécessite des outils pour
français : un défi pour la Les langages et les systèmes sémiotiques sont décrire et instrumenter. C’est pourquoi nous
recherche et la formation, le creuset à l’intérieur duquel ces identités, ces avons développé notre modèle du « multi-
De Boeck, 2008 . développements se structurent, se mélangent. agenda de préoccupations enchâssées » :
Il nous faut continuer à apprendre à observer étayage, tissage, pilotage, atmosphère
à la loupe, très finement, ces multiples résonnent dans la complexité et l’urgence des
activités langagières. C’est souvent celui gestes professionnels requis dans l’urgence
qui parle qui se structure, et il faut donc quotidienne de la classe.
apprendre à laisser les espaces nécessaires L’efficience est du côté d’un « jeu partagé »
pour se développer à ceux qui doivent entre élèves et enseignants. Il faut donc aller
apprendre, élèves ou enseignants… regarder de plus près comment l’efficience
Trop longtemps séparés, les espaces didactiques des enseignants se fait en « changeant
et pédagogiques sont indissociables, et il faut de braquet » en fonction de la difficulté
observer comment ils se renforcent les uns rencontrée, notamment en fonction des
les autres, souvent de manière indissociable « postures d’élèves » qu’ils rencontrent : peu
dans les contextes difficiles. Il faut donc, d’autorisation à penser, difficulté à prendre
selon moi, que les enseignants aient des de la distance, détournement de consigne,
compétences didactiques extrêmement implication exclusive dans le « faire » plutôt
développées, parce que pour apporter de que dans le réflexif, refus de travail…
l’aide à des élèves, la compréhension de la
nature de leurs difficultés est indispensable. Dans tout travail, on n’a jamais le temps de
tout anticiper : il faut se lancer dans l’action,
Une double dynamique tout en sachant qu’il faudra trouver des
espaces pour suspendre le faire.
La réussite de l’élève est donc liée à celle de Nous avons travaillé à décortiquer les postures
l’enseignant : il faut créer les conditions de d’enseignants, notamment en regardant
cette double réussite, dans la formation, et dans des ateliers de classe comment ils
l’horizon immédiat me semble à cet égard aident, comment ils renvoient des feedbacks,
difficile. Il faut réfléchir au développement notamment linguistiques. Selon les postures,
conjoint des élèves et des maîtres, résister aux de l’accompagnement au contrôle, en passant
réponses hâtives et aux doxas qui circulent, par le surétayage, les différentes dimensions
qui font confondre symptôme et problème de l’activité enseignante prennent une
à traiter : « manque d’attention », « manque place plus ou moins grande. L’enseignant

VI ■
DOSSIER | XYZep | décembre 2010

« professionnel » est celui qui a la capacité de enseignants débutants dans les classes, on
circuler sur ces différentes postures, alors que observe qu’ils passent d’une vision globale
les plus débutants se cantonnent sur un type de la classe à une capacité progressive à
de rôle. Nous pensons qu’il y a des liens entre comprendre les spécificités de chaque élève.
les postures déployées par les enseignants Petit à petit, le regard s’aiguise, qui permet
et celles manifestées par les élèves : certains de comprendre les difficultés spécifiques de
formatages scolaires ne sont pas propices à chaque situation d’enseignement, largement
l’installation de la réflexion… invisibles au premier abord. L’aide se
personnalise, l’étayage se diversifie, passant
Un exemple en situation réelle du contrôle à l’accompagnement, voire au
« lâcher-prise ».
Dans les situations d’atelier dirigé que
nous suivons de près, l’enseignant se rend L’identité professionnelle se construit, passe
disponible auprès d’un petit groupe pour de l’incertitude à la critique. C’est pourquoi
observer, comprendre, diagnostiquer et il est nécessaire de créer des espaces de
accompagner sur les problèmes didactiques, professionnalisation où les stagiaires soient
affectifs, cognitifs des élèves, mais aussi mettre dans une perspective de faire réussir leurs
en place des gestes d’études et des postures élèves, sans trop d’éparpillement sur des
d’apprentissages : cognitives (questionner, objets multiples, dans une forte continuité
faire des liens), sociales (demander, aider, pour permettre le développement de
discuter), langagières (nommer, argumenter, l’enseignant dans ses premières années de
expliciter) avec la mise en place de gestes métier.
d’études spécifiques à chaque discipline, qu’il Pour un débutant, le sentiment de réussite
faut explicitement enseigner. est aussi une condition première du
Lorsqu’on observe les évolutions des développement professionnel. ■

Un multi-agenda de préoccupations enchâssées

Donner du sens à la situation


et au savoir visé

Tissage

Objet de
Étayage savoir, Atmosphère
techniques L’Ethos
Faire
comprendre Créer
Faire dire et
Faire faire maintenir
des espaces
Pilotage dialogiques
des tâches
Gérer les contraintes
de l’espace et du temps
de la situation Dominique Bucheton, 2010

XYZep est une publication du centre Alain-Savary de l’INRP ■ VII


DOSSIER | XYZep | Numéro 36
35

Inspection
des enseignants :
Ce qu’ils en disent… pour comprendre toutes les dimensions du
métier dont parle D. Bucheton ». Le local
est sans doute un échelon pertinent.
plongée en eaux Ils sont formateurs, inspecteurs, coordon- Mais avec quel accompagnement ? Cette
troubles ? nateurs, référents, enseignants, conseillers perspective recompose nécessairement les
pédagogiques, et ont participé à la formation métiers : formateurs, chefs d’établissements,
C’est à partir du travail de sur « le travail en éducation prioritaire » inspecteurs… « Et eux, qui les aide à
sa thèse que Xavier Albanel, à l’INRP. Comment les approches des changer ? ».
docteur en sociologie, publie intervenants renforcent, éclairent ou « J’ai bien entendu qu’il faut résister, et d’abord
« Le travail d’évaluation, l’ins-
mettent en question leurs vécus sur la à soi-même, mais il faut s’attaquer ensemble
pection dans l’enseignement
secondaire » (Octarès, 2009). question ? Quelques traces partielles de leurs à ce qu’on a à faire ». « Chaque niveau doit
À partir de l’analyse de cinq témoignages à chaud… D’abord, de vraies reconfigurer la prescription, explique Lantheaume.
cents rapports d’inspection surprises : « J’ignorais que la sociologie se Encore faut-il en prendre le temps. C’est ce
et d’entretiens avec des ins- préoccupe du travail enseignant », « je découvre que nous faisons dans notre circonscription
pecteurs et des enseignants, de nouvelles pratiques de formation, appuyées sur pour dépasser le seul « pour ou contre » l’aide
il questionne la légitimité de l’activité ordinaire et les multiples préoccupations individualisée. Pas simple ».
l’évaluation des enseignants de l’enseignant ». Et un changement de regard Parce qu’au bout du compte, on revient
du second degré. pas si simple qu’il n’y paraît : « Pas facile de toujours sur le cœur de métier : « L’élève en
Destinée selon lui à un
se départir du jugement a priori pour comprendre difficulté est d’abord en difficulté cognitive. Dans
triple objectif (hiérarchiser
les personnes, s’assurer progressivement les logiques qui sous-tendent ou hors la classe, nous devons comprendre mieux
de la conformité du l’action d’un enseignant. La distinction entre la nature de ces difficultés, plus que leur origine.
travail et détecter les l’analyse, l’évaluation et le jugement faite par Différents métiers y travaillent, de l’enseignant
dérapages, recadrer par Anne Jorro me donne envie de creuser. » à l’assistant d’éducation, qui se croisent peu, et
des recommandations), Au titre de la satisfaction, les stagiaires ne savent pas forcément ce que font les uns et les
l’évaluation réalisée lui soulignent le fait d’avoir entendu l’inventivité autres, pour comprendre mieux ce que les élèves
semble relever d’une du métier. « Quoi qu’on en dise, les pratiques ne comprennent pas ».
« doctrine » sur laquelle évoluent sans arrêt. Il faut à la fois transmettre et Bref, de quoi repartir avec de nouvelles pistes
évalués et évaluateurs
conserver les gestes efficaces plutôt que d’enjoindre et renforcer, là où on est, le pouvoir d’agir :
peinent à s’accorder. Quand
les inspecteurs pensent le changement ». Conservatoire, observatoire, « Le métier peut être beau quand on arrive à
accompagner la pratique laboratoire, les mots de R. Goigoux ont fait réussir quelque chose. On n’ose même plus
didactique, les enseignants mouche. le dire ». ■
se sentent jugés, et pas
forcément sur l’ensemble des Quel cœur de métier ?
tâches qui leur incombent,
L’offre de formation INRP pour 2010-2011
leur expérience étant « sous- À partir des interventions de F. Lantheaume va paraître. Parmi les propositions du centre
exploitée ». Conséquence, ou de R. Wittorski, l’idée de « développement Alain-Savary :
les recommandations
des inspections semblent
professionnel » est questionnée. Comment • Professionnalité enseignante,
peu suivies d’effet et trouver sens au travail lorsqu’on n’a plus de la recherche à la formation
insuffisamment partagées l’impression de « faire du bon boulot » ? « Je (du 8 au 10 novembre 2010)
dans les groupes de pairs, du suis frappée de voir à quel point le sort des élèves • Accompagnement personnalisé
fait de leur seule dimension et des enseignants est lié : le travail scolaire et réformes (du 18 au 21 octobre 2010)
individuelle. est un tissage dans lequel chacun prend de la • Apprendre, enseigner, piloter en éducation
valeur dans le regard de l’autre, mais quand prioritaire (du 17 au 21 janvier 2011)
X. Albanel ne tire pas de ça ne marche pas ? ». Face à l’impression de • Diversité langagière à l’École : accueillir
conclusion sur d’éventuelles tout avoir à affronter à la fois, les individus et scolariser les élèves nouvellement
alternatives : faut-il arrivés en France (du 9 au 12 mai 2011)
risquent de ne pas se trouver à la hauteur.
augmenter le rôle du chef Des renseignements ? <cas@inrp.fr> et
d’établissement pour intégrer « Notre métier a une tradition individuelle,
renforcée par la défense des prés carrés des uns <http://www.inrp.fr/formation-formateurs>
toutes les dimensions du
travail ? Intégrer une part et des autres. Travailler en équipe, ce n’est pas
d’évaluation au mérite ? Or penser tous pareil, c’est au contraire reconnaître
le système actuel « qui ne les rôles spécifiques, la confrontation, la
fonctionne pas parfaitement conflictualité sur la manière de s’y prendre,
semble finalement convenir à et trouver des occasions de parler vraiment du
tous les acteurs ». travail, en observant, en confrontant ».
Évidemment, les temps pour le faire sont
Au risque de ne pas
constituer les ressources maigres, surtout dans un moment où la
collectives pour développer formation semble suspendue à un fil fragile.
leur métier, comme l’indique « C’est sûr, il faut repenser la formation, des
F. Lantheaume (voir p. III) ? débutants comme des chevronnés, avoir des
temps réflexifs, se mettre à distance, s’outiller

VIII ■

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