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Le drame romantique

et avant de les analyser séparément, il est convenable de repérer, sous forme de schéma, les points les
plus intéressants et remarquables des trois œuvres qui font l’objet de ce travail :

1. La Préface de Cromwell (1927) : constitue la théorisation du drame romantique en tant que genre
indépendant. Il prône la suppression des unités de lieu et de temps et propose le mélange des genres.

2. La Préface d’Hernani (1833) : suppose la détermination du public et la revendication de


l’engagement de l’écrivain à leur côté.

3. La Préface de Ruy Blas (1838) : signifie la défense du mélange des genres, de la tolérance et de la
liberté.

5. Analyse des œuvres théoriques

Dans ce moment de mêlée et de tourmente littéraire, qui faut-il plaindre, ceux qui meurent ou ceux qui
combattent ?[4]

Comme j’ai déjà eu l’opportunité de remarquer[5], la préface, du point de vue strictement technique,
appartient à ce que l’on connaît comme le « paratexte » de l’œuvre et elle a comme objectif d’en
développer ou encore d’en justifier des aspects concernant le fond ou la forme. À cette époque, et
notamment chez Victor Hugo, les préfaces saisissent par leur longueur et par leur engagement du côté
des revendications, justifications et argumentations. Les préfaces de Hugo constituent des vrais
manifestes avec un caractère critique, polémique et extraordinairement novateur.

Comme l’on a déjà souligné à plusieurs reprises, Victor Hugo peut être considéré comme le père du
romantisme et comme l’initiateur du drame romantique, mais aussi c’est le révélateur de la théorie
littéraire qui changera son siècle, c’est le déclencheur de la bataille la plus polémique et qui a
bouleversé le panorama littéraire de son temps.

La poétique hugolienne se fonde sur la liberté qui s’exprime par le refus des normes et des règles
classiques.

5.1. Le drame romantique : La Préface de Cromwell

Parmi les trois œuvres qui dont l’objet de cette analyse, la Préface de Cromwell contient le corpus
théorique le plus abondant et remarquable. D’abord, il ne faut pas négliger que la date de parution de
cet ouvrage coïncide avec le commencement de l’axiomatisation, de la part de l’auteur, autour de ce qui
deviendra le drame romantique.

Dans cette préface, Hugo formalise sa « théorie du drame ». L’auteur fait appel à la dualité intrinsèque
de l’homme et de la nature, leurs contrastes inhérents et leurs contradictions. La poésie doit répondre
donc à cette circonstance ; elle doit être le reflet de la totalité de cette complexité. En plus, et pour
renforcer ce principe, il faudrait unifier le grotesque et le sublime, associer les tons et les genres,
toujours en quête d’une représentation de la réalité, les êtres et les choses totale et complète.

Du jour où le christianisme a dit à l’homme : « Tu es double, (…) » ; de ce jour le drame a été crée.
(…) La poésie née du christianisme, la poésie de notre temps est donc le drame ; le caractère du drame
est le réel ; le réel résulte de la combinaison toute naturelle de deux types, le sublime et le grotesque,
qui se croisent dans le drame, comme ils se croisent dans la vie et dans la création[6]. (…) On voit
combien l’arbitraire distinction des genres croule vite devant la raison et le goût.[7]

En tout cas, ce qui constitue l’aspect le plus remarquable, celui qui parsème tout le texte, c’est le
concept de liberté créatrice. Après avoir défendu le dépassement des règles d’unité de temps et de lieu,
l’abolition de toute norme réductrice de la création artistique, l’exaltation d’une langue française riche,
dynamique et vivante, Hugo prône le renouvellement des dogmes littéraires, l’autonomie dans la
production littéraire et, avant tout, la liberté.

5.2. Le rôle du public : La Préface de Ruy Blas

Dans ce cas, l’auteur commence son récit par identifier le public qui, d’après lui, est composé de trois
types ou « espèces ».

D’abord, il y a le groupe des femmes, caractérisé par la passion, la recherche des émotions el le goût
pour le plaisir du cœur. Elles cherchent à être émues et l’écrivain doit en répondre par la tragédie qui
est l’analyse de la passion.

Ensuite, l’auteur définie l’espèce des penseurs, qui cherchent le plaisir de l’esprit et à être enseignés.
Ce groupe se reconnaît dans les méditations et il se verra satisfait par la comédie, chargée de dépeindre
l’humanité.

Finalement, on trouve la foule, le peuple, qui cherche des émotions, de l’action et le plaisir d’être
amusé. D’après l’auteur, le mélodrame correspond à ce type d’espèce.

D’après cette axiomatisation se dégage la pertinence du mélange des genres. Selon Victor Hugo, le
public c’est un ensemble hétérogène qui a des motivations aussi divergentes devant une pièce de
théâtre quelconque. C’est justement la complexité du public prise dans sa réunion ce qui donnera lieu à
l’opportunité de dépeindre la totalité dans le drame. L’auteur doit donc savoir répondre aux besoins et
aux attentes de son public, il doit être capable d’offrir tout ce qu’il réclame.
De cette évidence se déduit la loi du drame. (…) créer et faire vivre, dans les conditions combinées de
l’art et de la nature, des caractères, c’est-à-dire, et nous le répétons, des hommes ; dans ces hommes,
dans ces caractères, jeter des passions qui développent ceux-ci et modifient ceux-là, (…) faire sortir de
la vie humaine, c’est-à-dire des événements grands, petits, douloureux, comiques, terribles, qui
contiennent pour le cœur ce plaisir qu’on appelle l’intérêt, et pour l’esprit cette leçon qu’on appelle la
morale : tel est le but du drame.[8]

5.3. Tolérance et Liberté : La Préface d’Hernani

Dans ce moment de mêlée et de tourmente littéraire, qui faut-il plaindre, ceux qui meurent ou ceux qui
combattent ?[9]

Cette citation qui ouvre la préface constitue une vraie déclaration d’intentions en même temps que
souligne le caractère et le tempérament de Victor Hugo. Même s’il s’agit du jeune poète Charles
Dovalle tué en duel, cette formule arrive dans un moment décisif et ouvre la voie de ce qui sera la
bataille esthétique et littéraire qui n’a jamais connu le siècle.

On a déjà repéré, à l’occasion de la division chronologique du mouvement romantique, que la


publication et la subséquente révolution qui entraîne cette pièce ouvre la deuxième phase du courant,
celle qui sera dominée par les tensions, les provocations et les revendications les plus profondes et
engagées. Grâce à Hernani, Hugo se couronne en tant que père du romantisme et comme écrivain à
énorme succès. Sa préface constitue le manifeste des modernes et tout un chant à la liberté créatrice et à
la tolérance. La Préface d’Hernani suppose déjà le bouleversement de la théorie littéraire de l’époque et
le texte est retouché par la censure avant même sa représentation. La première de la pièce, le 25 février
1830, donne lieu à la fameuse bataille où s’affrontent les modernes, menés par Théophile Gautier, et
l’opposition classique.

Outre la Préface de Cromwell, considéré comme le manifeste du drame romantique, la Préface


d’Hernani présente, elle aussi, plusieurs caractéristiques du genre, comme c’est le cas de l’abandon des
unités de temps et de lieu. Pour cette trame, l’action dure plusieurs mois et on se déplace beaucoup
dans l’espace. Quant à l’action, elle est éclatée entre une intrigue sentimentale et une intrigue politique.
D’autre part, Hugo se réclame du goût romantique pour « la couleur locale ». le personnage d’Hernani
constitue l’idéal romantique : solitaire et fragilisé par son sens exacerbé de l’honneur, il est déterminé
par la fatalité et le destin qui le mène à la mort, après avoir vécu un amour sublime et impossible. De
même, on y trouve le mélange des genres et des tons.

Victor Hugo commence par définir le système politique idéal, à savoir le libéralisme. D’après lui, et vu
que la littérature doit être le reflet et le produit direct de la société, la liberté politique et la liberté en
littérature vont de pair ; la deuxième constitue le résultat naturel et logique de la première. De cette
manière, il faut chercher et lutter pour la liberté de la société et, donc, pour la liberté dans l’art. Cette
lutte en quête de la liberté et de la vérité constitue toute une révolution.
En révolution, tout mouvement fait avancer. La vérité et la liberté ont cela d’excellent que tout ce
qu’on fait pour elles et tout ce qu’on contre elle les sert également. Or, après tant de grandes choses
que nos pères ont faites, et nous avons vues, nous voilà sortis de la vieille forme sociale ; comment ne
sortirions-nous pas de la vieille forme poétique ? À peuple nouveau, art nouveau. [10]

Finalement, l’auteur fait appel, encore une fois, au rôle et à la portée du public dans la direction que la
nouvelle littérature doit prendre. Le public doit ressentir que la société dans laquelle il évolue est, d’une
part dominée par cette liberté et, d’autre part fidèle à la réalité. A travers du libéralisme littéraire, le
public arrivera au libéralisme social ; la pièce devient alors l’instrument de persuasion, de connaissance
et de diffusion des idées romantiques.

Et cette liberté, le public la veut telle qu’elle doit être, se conciliant avec l’ordre, dans l’État, avec
l’art, dans la littérature. (…) le public est toujours aussi, lui, consciencieux et libre. [11]

Après la bataille d’Hernani, la pièce obtient un énorme succès et son auteur est consacré définitivement
comme le chef de file du mouvement romantique. C’est la victoire de la vérité, la nouveauté et la
liberté.

Conclusions

Pour récapituler en quelque lignes tout ce que l’on vient d’exprimer, il est convenable de reprendre les
idées principales que l’on a formulé en tant que résumé définitif.

D’abord, tenons compte que l’œuvre théorique de Victor Hugo se développe dans un contexte
historique et social fortement bouleversé où se mêlent des revendications politiques et
des réclamations littéraires et artistiques, mettant en évidence que, reprenant l’idée principale qui
ouvre ce travail, société et littérature sont intimement liées.

Ensuite, rappelons que l’auteur se réclame des influences stylistiques ainsi comme de la société dans
laquelle il vit pour en faire son matériel de création littéraire et pour développer sa production dans
l’étape du romantisme la plus féconde et riche.

Mettons l’accent finalement sur le fait que Victor Hugo a mérité d’être considéré le précurseur du
drame romantique et d’avoir énoncé les théories les plus révolutionnaires et novatrices, du point de vue
littéraire mais aussi social, de tout son siècle.

La portée d’un tempérament comme celui de Victor Hugo se répand, non seulement tout au long de son
époque, mais aussi dans le panorama littéraire de tous les temps.

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