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Communication et langages

Planète 20 ans après


Jacques Mousseau

Résumé
En octobre 1961 — il y a donc vingt ans — paraissait le numéro 1 d'une nouvelle revue d'idées ; elle était éditée par une équipe
de trois jeunes écrivains et éditeurs. Le premier tirage : 7 000 exemplaires correspondait à leurs disponibilités financières. Ce
numéro 1 fut réimprimé en quelques semaines à 100 000 exemplaires. L'aventure de la revue "Planète" commençait.

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Mousseau Jacques. Planète 20 ans après. In: Communication et langages, n°50, 3ème-4ème trimestre 1981. pp. 89-97.

doi : 10.3406/colan.1981.3487

http://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_1981_num_50_1_3487

Document généré le 23/09/2015


PLANETE:

20 ANS APRES

par Jacques Mousseau

En octobre 1961 — il y a donc vingt ans — paraissait le numéro 1 d'une


nouvelle revue d'idées ; elle était éditée par une équipe de trois jeunes
écrivains et éditeurs. Le premier tirage : 7 000 exemplaires correspondait à leurs
disponibilités financières. Ce numéro 1 fut réimprimé en quelques semaines à
100 000 exemplaires. L'aventure de la revue « Planète ■ commençait.

Le titre de Planète surgit fréquemment au détour d'une lecture,


suivi le plus souvent d'un coup de griffe de l'auteur. Ma plus
récente rencontre, je l'ai faite à la page 125 de La Stratégie du
verbe, de Gilbert Millet, édité par Dunod. « Souvenons-nous de
l'étonnant succès, il y a quelques années, du Matin des
Magiciens et de la revue Planète », y est-il écrit. Un livre, un auteur —
il est spécialisé dans le conseil en recrutement de cadres —
un éditeur qui ne présageaient pas cette référence.
Il est de règle que Planète soit mis à toutes les sauces. Depuis
vingt ans, cette publication, qui a eu une vie somme toute brève,
est l'objet de malentendus, la source d'ambiguïtés dont la plus
constante est d'être loué oralement et dénigré par écrit, parfois
par les mêmes gens. Ces attitudes témoignent que les préjugés
sont tenaces, et les réflexes conditionnés durables bien au-delà
des circonstances qui les ont établis. Dans les années 60,
l'usage était de glorifier Planète dans les salons et de l'éreinter
dans les gazettes. L'usage s'est maintenu, la louange étant
accentuée par la nostalgie, et le dénigrement rendu plus flou
par l'absence d'argumentation. Planète à la fois profite et
souffre d'une rente de situation.
Si le succès de Planète a été étonnant, alors le monde culturel
dans lequel nous sommes plongés ne doit pas cesser d'étonner ;
et les esprits qui voulaient brûler la revue doivent le fuir
épouvantés. Il n'est pas un des thèmes majeurs qui firent de Planète
une provocation et un scandale dont ne se soient depuis emparés
la presse, la radio, la télévision, l'édition et — plus frappant
et plus inattendu car les professeurs furent les contempteurs
les plus virulents de la revue — l'Université. Le mouvement
Planète 20 ans après

Planète s'est dilué dans la masse en se banalisant, comme tant


d'autres avant lui. Si diverses autres causes n'avaient pas
concuru à la fin de l'entreprise, son triomphe culturel aurait
sonné le glas de son succès commercial. A un certain moment,
tous les boutiquiers en produits culturels se mirent à proposer
la marchandise Planète, la griffe en moins. Planète était
condamné par ce dumping.

LEVER LES LIEVRES DE L'INCONSCIENT COLLECTIF


L'entreprise de Louis Pauwels — est-il nécessaire de rappeler
qu'il fut le fondateur, le directeur et l'animateur de Planète,
lancé à la suite du succès considérable du livre qu'il avait
écrit avec Jacques Bergier, le Matin des Magiciens — prenait
appui sur un certain nombre d'idées simples qui, à l'époque,
étaient des idées neuves. D'abord parler de ce dont personne
ne parlait. Dans les années 60, la presse était à peine moins
conformiste qu'aujourd'hui. Les sommaires des publications,
des quotidiens ou hebdomadaires étaient tous identiques ; ne
variait que le point de vue sur le sujet abordé, encore pouvait-on
le prédire en fonction du titre du périodique. Planète a levé des
lièvres tapis dans l'ombre de la mémoire et de l'inconscient
collectif. La démarche d'Actuel, aujourd'hui, se rapproche de
celle qui fut la sienne, il y a vingt ans /C'était une idée de
journaliste qui comportait une dose de malédiction car, parmi
les sujets que personne n'abordait, figurait un nombre élevé de
sujets tabous. La vie existe-t-elle ailleurs dans l'Univers ? Une
telle vie peut-elle avoir engendré des intelligences supérieures
qui rendent visite à la Terre ? Certaines civilisations disparues
n'étaient-elles pas plus raffinées que la nôtre ? Le cerveau
humain est-il doté de pouvoirs que nous n'utilisons pas ?
Deuxième ingrédient du cocktail Planète: pratiquer l'ouverture
d'esprit. La revue préférait les idées aux théories, et les théories
aux doctrines. A l'époque, la pensée doctrinaire dominait la
culture ; la science elle-même en était infestée. Pauwels
demandait aux gens qui avaient des idées de monter au front et de
mettre leurs idées à l'épreuve du feu, en réclamant le droit à
l'erreur. L'essentiel était d'agiter les esprits, et de les faire
o rêver. Car — bien avant le discours de C.P. Snow sur les deux
^ cultures — Planète a réintroduit la pensée et le langage litté-
g, rai res dans les domaines de la science. Son ambition a été de
| rendre la connaissance scientifique exaltante et gaie, non pas
5 seulement pour quelques chercheurs qui y consacraient leur
£ vie, mais pour le grand public. Elle a présenté la science comme
c l'aventure majeure du siècle, soulignant la présence des fer-
♦= ments façonniers de l'avenir dans ses théorèmes. Cette vision
•| était défendue secrètement par quelques-uns, mais elle n'était
| pas populaire. Planète a été leur tribune et le carrefour où ils
O
oE se sont rencontrés. Comment la revue aurait-elle pu exister
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sans une troupe de militants, minoritaires dans leur milieu,


qu'elle a fait sortir de l'incognito et rassembler?
Denis Gabor, prix Nobel pour l'invention de l'hologramme,
accusait d'aveuglement les esprits chagrins qui reprochaient aux
xx siècle de ne plus construire de cathédrales. Vous ne savez
pas voir, leur disait-il, notre siècle construit la magnifique
cathédrale abstraite de la science. Planète s'est emparé de l'image
qui la confortait dans ses convictions. Par son goût des
formules, des citations — placées en tête d'articles ou en légendes
de photographies — par son souci du style, la revue ne se
classait dans aucun genre et les englobait tous. Son directeur,
Louis Pauwels, ne s'affirmait-il pas avant tout poète. Un cahier
d'art pouvait jouxter un article sur le code génétique ; une
étude sur l'erotique cathare, un exposé sur l'avenir de
l'informatique. Des peintres, des dessinateurs, des écrivains,
aujourd'hui installés dans la célébrité, y ont été publiés pour la
première fois. Planète a lancé — ou relancé — l'art fantastique,
créant une expression pour ce nouveau courant, « le réalisme
fantastique ».

A L'INSTANT DU DECLIN DE L'ART ABSTRAIT


« II y a un autre monde mais il est dans celui-là » : cette clé
fournie par Paul Eluard ouvrait de nombreuses portes. La science
révélait la trame cachée de l'univers ; telle était aussi la mission
de la peinture ou de la littérature. Ce que le savant décryptait
par la raison, l'artiste l'approchait par l'intuition. Planète les
faisait se rejoindre et dialoguer. Jean Paulhan et Roger Caillois
y ont présenté des photographies de minéraux prises au
microscope électronique : des toiles contemporaines. A l'instant du
déclin de l'art abstrait et de la croissance du Nouveau Réalisme,
inventé par le critique d'art Pierre Restany, Planète frayait sous
les moqueries sa propre voie, en faisant redécouvrir Gustave
Moreau à ses lecteurs et en leur présentant Fuchs, Lamy,
Clayette, Tatin, le Colas, Cat ou Ljuba. Cet art jailli du rêve,
du fantasme, de l'inconscient est partout présent aujourd'hui
dans les galeries ; il était qualifié d'anecdotique, il y a vingt ans,
et rejeté dans les ténèbres du pompiérisme.
Topor, Carelman, Serre, Gourmelin illustraient régulièrement les
nouvelles de science-fiction ou de littérature fantastique
publiées par Planète. « La Sentinelle », d'Arthur C. Clarke a été
publiée dans la revue avant que Stanley Kubrik en tire le
scénario de « 2001, l'Odyssée de l'espace ». Elle a fait connaître
plus d'auteurs étrangers qu'elle n'a promu d'écrivains français.
La science-fiction et le fantastique se rangeaient sur le
troisième rayon de la bibliothèque, le roman policier occupant le
second en ce temps-là, et n'avaient pas encore suscité de
nombreux talents dans notre pays. Lovecraft et Bradbury étaient
ses maîtres, que peu de lecteurs français fréquentaient. Jacques
Planète 20 ans après

Bergier et Jacques Sternberg traquaient dans les publications


anglo-saxonnes les chefs-d'œuvre de la nouvelle qu'ils
traduisaient ensuite.
Les inquisiteurs qui montaient la garde autour de la pensée
française menacée de perversion, ont accusé la revue de laisser
croire, par la confusion des genres entretenus dans ses pages, -
que les rêveries de l'imaginaire seraient indubitablement les
réalités de demain. Planète fut tout uniment taxée de
pornographie pour avoir présenté les admirables photographies de
nus de Bill Brandt ou de Lucien Clergues. Les responsables
étaient accusés de machiavélisme commercial : le sexe en
vitrine pour vendre une marchandise plus austère. Aux aguets
de tout ce qui bougeait dans les mentalités, Planète avait
simplement pressenti le bouleversement des mœurs proche. Une
rubrique régulière, baptisée successivement « l'amour en
question » et « l'amour à refaire », explorait les nouveaux rapports
amoureux en train de s'établir sous l'effet conjugué des loisirs,
de la contraception, du féminisme, de la psychanalyse et d'autres
forces au travail qui, aujourd'hui encore, ne sont pas toutes
appréhendées. Elle a publié une étude sur Wilhelm Reich,
« le docteur de l'orgasme », alors complètement inconnu en
France — pour en sourire d'abord, car il n'est pas aisé de
s'abstraire de tous les préjugés dominants, sourire vite corrigé
par un lecteur vigilant et informé.

CONTRE LES ESPRITS FROIDS ET SEPTIQUES...


« Ah ! le monde est si beau qu'il faut ici porter quelqu'un qui
du matin jusqu'au soir soit capable de ne pas dormir ! » La
petite équipe de Planète s'émerveillait avec Paul Claudel et,
contre les esprits froids et sceptiques, communiquait son
émerveillement au lecteur. De cet état d'esprit, je me souviens,
comme d'un embrasement joyeux qui nous animait chaque matin
quand nous nous retrouvions pour une nouvelle journée de
travail. Nous nous communiquions nos lectures, nos réflexions, les
informations glanées ici ou là. Jacques Bergier était imbattable
dans cette course à l'inédit. Sa moisson quotidienne de livres
le plus souvent anglo-saxons, d'articles, de faits étranges, de
© personnages étonnants aurait suffi à remplir un numéro de la
"^ revue. Il fallait suivre les pistes, débrouiller leurs tracés
§, emmêlés, mais on était certain de ne pas s'ennuyer sur les
|> voies ouvertes par Bergier et de ne jamais revenir bredouilles.
•S Lorsque le titre de Planète apparaît dans un livre et un article,
« à la fois se réveille en moi la tristesse que suscitaient les
§ calomniateurs et une foule de souvenirs. Pour cet article commé-
■*= morant le vingtième anniversaire de la naissance de Planète,
•| j'ai choisi de m'en tenir à ces réminiscences spontanées et de
| délaisser les dossiers que j'ai conservé et la collection de la
E revue pourtant à portée de main. Dans une série d'articles inti-
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tulée « La Philosophie de Planète », Pauwels revient


inlassablement sur l'esprit de l'entreprise. Il me semble ne pas avoir
besoin de m'y référer pour ne pas le trahir. Planète a été une
centrale d'énergie. Non seulement nous mêlions tout, mais nous
nous mêlions de tout : deux crimes impardonnables en un temps
où chacun était très tôt affublé d'une étiquette qui lui collait
à la peau pour la vie. La science était le champ où nous aimions
le plus nous ébattre, mais nous ne faisions pas appel aux
écrivains scientifiques réputés les plus sérieux — nous disions
les plus conformistes. Nous promouvions une recherche
artistique, sans critique d'art attitré. Nous défendions la science-
fiction mais sans attirer les premiers spécialistes français de
cette nouvelle littérature. Face à l'establishment culturel, notre
stratégie et notre tactique étaient nulles. Nous attendions que
viennent à nous les individus et non les coteries. Nous
craignions les chapelles qui nous auraient tenus prisonniers. Nous
voulions être la plaque sensible où venait s'inscrire l'image
imprécise encore du moment en train de se faire.

...NOUS AVONS ETE DES MEDIUMS


Pauwels utilisait souvent le mot médiumnité pour définir notre
attitude d'esprit. Nous avons été des médiums car, je le répète,
le monde te! qu'il est aujourd'hui, avec ses curiosités, ses
réalisations et ses interrogations, était annoncé dans Planète.
Il n'est pas jusqu'aux aspirations spirituelles contemporaines
qui n'aient été pressenties. Le moindre de nos crimes, aux yeux
de nos adversaires, ne fut pas notre insistance à dénoncer la
sécheresse du scientisme et à rappeler que le besoin de
religion est au cœur de l'homme. La pensée du père Teilhard de
Chardin — homme de science et homme de spiritualité, ce qui
ne pouvait que nous séduire — agitait alors les églises et
Planète fut pour cette pensée un lieu d'accueil, moins par
adhésion réfléchie et totale à ses propositions que par
conviction qu'il fallait être attentif aux frémissements de la pensée
religieuse.
Plusieurs études ont été, pour le même motif, consacrées aux
philosophies et aux religions orientales. Faute d'une attention
soutenue à ces évolutions, nous en recueillons aujourd'hui les
dégénérescences — d'un côté les superstitions qui tiennent
lieu de sciences, de l'autre les sectes qui tiennent lieu d'églises.
Qu'on ne fasse pas à Planète le procès facile d'être l'un des
responsables de cette dégradation de l'intelligence et de la
spiritualité. Elle a voulu l'inverse — une évolution maîtrisée
et non subie des institutions traditonnelles. La crainte que la
pensée pourrait se dévoyer était présente dès l'origine de la
revue.
Planète a été conçue dans le train Lille-Paris au cours d'une
conversation entre Louis Pauwels, qui en serait l'animateur, et
Planète 20 ans après

François Richaudeau, qui serait l'ordonnateur des réalités


concrètes (financement, impression, diffusion). A l'arrivée en
gare du Nord, le choix d'un format carré, voisin de celui d'un
livre, et (a liste des principales rubriques étaient arrêtés. Le
maquettiste Pierre Chapelot donna forme aux souhaits de
typographie et de mise en pages des concepteurs. L'équipe
embryonnaire se réunissait et travaillait dans les locaux d'un Club de
livres au 8, rue de Berri à Paris. Plus tard, la revue et ses
satellites s'installèrent au large dans un immeuble des Champs-
Elysées. Le premier numéro de Planète parut en octobre 1961.
Il fut imprimé à 7 000 exemplaires et retiré huit fois pour
atteindre une diffusion de 100 000 exemplaires. Aucune
campagne de publicité n'avait accompagné son apparition dans les
kiosques. Le rappel du Matin des Magiciens, publié deux années
auparavant, avait suffi à créer un succès dès ce premier numéro.
Les auteurs en étaient tous bénévoles. Pauwels avait fait appel
à ses amis et à ses collaborateurs dans ses activités de
l'époque.

APPLIQUER L'ESPRIT SCIENTIFIQUE AUX FAITS MAUDITS


J'avais donné pour ce n° 1 historique une étude sur l'hypnose
pour laquelle j'avais puisé l'essentiel de la documentation dans
une série d'articles publiés par Playboy aux Etats-Unis. En 1961,
l'hypnose était redevenu un sujet interdit malgré les précédents
de Charcot et de Freud. A l'époque était maudit tout ce qui
était mystérieux et était mystérieux tout ce que la science
n'expliquait pas. L'acupuncture et l'homéopathie — deux sujets
abordés par Planète dans des numéros ultérieurs — faisaient
passer pour des charlatans ou des naïfs ceux qui s'y
intéressaient. A ce compte-là, s'être taillé un succès peut, aux yeux
du lecteur d'aujourd'hui, paraître un jeu d'enfant. Il faut faire
un effort de mémoire pour réaliser le changement de mentalité
intervenu au cours de ces vingt années. Les gens se vantent
en public de consulter une voyante. Ils confient leur «corps et
leur esprit à des thérapeutes dont ils ignorent la formation et
la qualification. Les extra-terrestres sont un sujet banal de
conversation. La télépathie est un jeu de société et les rêves
prémonitoires une façon de se rendre important. Toute civili-
sation, pourvu qu'elle soit éloignée dans le temps ou l'espace,
est jugée supérieure à la nôtre. Planète n'en demandait pas
| tant ; elle appelait même le contraire du spectacle actuel. Sa
S requête était que soit appliqué l'esprit scientifique à tous les
« faits maudits, selon l'expression de Charles Fort. On a adopté
§ tous les mystères et jeté le sens critique par-dessus bord.
*S L'anticonformisme d'hier est devenu le conformisme du jour, en
•g perdant ses vertus toniques.
| Très vite, Planète assura ses arrières et put payer ses auteurs,
S puis envisager d'engager un premier collaborateur. Je fus celui'
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là. A partir du n° 5, mon nom a figuré au générique de la revue


comme rédacteur en chef. Pendant près de sept années,
l'application et la mise en forme des décisions, du choix, des idées
de l'équipe dirigée par Louis Pauwels fut ma tâche
quotidienne — tâche exaltante et absorbante. Exaltante car, à
vingt-huit ans, j'étais placé au cœur d'un mouvement d'idées
et de recherches, d'un lieu géographique vers lequel
convergeaient des écrivains, des artistes, français d'abord, puis bientôt
étrangers qu'attirait Planète comme la lumière des lampes attire
les phalènes. Absorbante, car il fallait vaquer et veiller à tout,
de la mise en forme d'articles parfois hâtifs sous l'œil d'un
styliste exigeant, Louis Pauwels, à la fabrication et à la diffusion
sous l'œil d'un gestionnaire non moins exigeant, François
Richaudeau. Aimé Michel, le physicien Jean Charon, Rémy
Chauvin, professeur de zoologie, André de Cayeux, professeur
de géologie, Robert Philippe, agrégé d'histoire, Charles Noël
Martin. René Alleau, Raymond de Becker, furent les amis et
collaborateurs de la première heure. Ils se multiplièrent et se
diversifièrent très vite. Jacques Bergier conduisit dans nos
bureau l'Autrichien Robert Jung, Arthur C. Clarke qui venait de
s'installer à Ceylan, et Sprague de Camp que nous admirions.
Alan Watts, dont nul en France n'avait entendu parler en dépit
de la parution chez Payot de son livre sur le Zen, vint
spontanément nous voir. Quelques mois plus tard, il allait nous
rendre sensibles et présents à la signification profonde du
mouvement « hippy ».
UN ESPRIT ET UN MOUVEMENT PLANETE
Nous étions débordés. Très rapidement, l'esprit Planète essaima
hors de la revue pour s'exprimer sous d'autres formes. Une
première collection de livres naquit: « L'Encyclopédie Planète ».
Elle a approfondi les thèmes de la revue. Un volume paraissait
tous les deux mois — en premier : Les Sociétés secrètes, par
René Alleau — en alternance avec un numéro de la revue dont
le rythme de parution était bimestriel.
Pauwels et ses amis durent faire face à des demandes de confé
rences. Jean-Louis Barrault leur offrit l'Odéon et le cycle de
causeries données à l'automne 1962 par Pauwels, Bergier,
Chauvin et Charon sous les lambris dorés du théâtre archi-
comble fut un défi lancé au Paris des arts et des sciences. La
jeunesse se pressait sans pouvoir entrer, sur le parvis du
théâtre, dont elle s'emparerait de force quelques années plus
tard, pour écouter Pauwels et Bergier, le premier énonçant des
idées subversives dont il ciselait la forme, le second figé dans
son fauteuil sur la scène immense, assénant de sa voix
chevrotante à l'accent indéfinissable des informations ou des
hypothèses qu'il choisissait les plus dérangeantes possibles.
La province, puis l'étranger souhaitèrent voir, entendre et lire
Planète 20 ans après

ces hommes qui tenaient un langage différent. Des éditions de


Planète furent lancées au Brésil, en Italie, en Hollande sur des
initiatives locales qu'il fallait cependant soutenir. A Paris, le
succès stimulait les adversaires. Il fallait à la fois ne pas ployer
sous le poids des amis et affronter les attaques des ennemis.
L'Union Rationaliste, dont nous découvrions l'existence, était
la plus acharnée à dénoncer les erreurs de Planète. Un épais
livre parut dans lequel « les messieurs en noir de la Sorbonne »,
comme nous les surnommions, prirent sur un ton docte et
lugubre le contre-pied de ce que nous énoncions. La grande
presse, du Monde à Arts (cet hebdomadaire a disparu depuis),
accusait Planète de travestir la vérité scientifique, de pervertir
les esprits, de promettre des mirages ; on nous fit des procès
pour une photo mal cadrée. Ces empoignades nous faisaient
mal ; elles n'étaient exemptes ni d'arrière-pensées, ni de coups
bas. Nous réagissions à contretemps, affichant un temps
l'indifférence pour passer brusquement à la contre-attaque. Je me
souviens d'un texte de Pauwels intitulé « Le matin des ânes »
qui dut réchauffer quelques biles tiédissantes.
Planète suscitait aussi des ralliements. Le Club Méditerranée,
soucieux de proposer un peu de culture sous les palmiers, nous
proposa en 1964 d'organiser des causeries dans son village de
Sicile, Cefalu. Une association naquit entre PJanète, le Club
Méditerranée, un club de livres, le C.A.L. et les Jeunesses
Musicales de France pour promouvoir « la culture du xxe siècle ».
Par la suite, Planète devait créer seule l'Association pour la
Rencontre des Cultures, l'A.R.C. Elle attirera à Paris les
derviches tourneurs de Konya, la ville sainte de Turquie et le
Vaudou haïtien. En apothéose d'une série de manifestations
inédites, elle remplit le Palais des Sports pour trois
représentations de la « 9* Symphonie » mise en scène par Maurice Béjart.
Le grand chorégraphe était éloigné de la capitale depuis
plusieurs années. Planète eut l'audace de financer la venue à Paris
de l'énorme corps de ballet qui interprétait sur scène l'œuvre
de Beethoven.

CHERCHER DERRIERE LA TRAME DES APPARENCES


Ces réalisations brillantes mirent plus en péril les finances de
g la revue qu'elles ne les enrichirent. Rien n'avait préparé une
» équipe de journalistes et d'éditeurs, accablée de besognes, à
S) résoudre les problèmes d'une organisation de spectacles et à
§> déjouer les pièges. Nous nous dispersions et nous en avions
2 conscience. Mais nous étions portés par un courant d'enthou-
« siasme que nous ne pouvions endiguer sous peine de décevoir.
§ Nous avions l'impression d'entendre notre public nous mur-
% murer après ia parution de chaque numéro de la revue, ap-ès
H chacune des actions inventées : étonnez-nous.
| Planète était venue secouer un monde qui commençait à s'en-
| nuyer. Chacun de nous furetait pour découvrir un thème inédit
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ou un artiste en devenir. Jacques Bergier arrivait le matin au


bureau, sa serviette bourrée de livres qu'il déversait sur nos
bureaux après les avoir dévorés à une vitesse record. Nous ne
cherchions pas à rendre compte du monde, nous voulions faire
surgir celui qui se dissimulait derrière la trame des apparences.
Louis Pauwels nous apprenait à mettre en valeur, en soignant
la forme, les idées jaillies au cours d'une conversation avec un
de nos visiteurs, les documents découverts dans les revues et
les livres étrangers. Nous concevions chaque article comme une
composition dont la force et l'harmonie naissaient du rapport,
souvent de contrepoint, entre le texte, les titres et
l'iconographie. Pour chaque numéro, nous nous réunissions autour d'une
vaste table, parfois dans nos bureaux, le plus souvent chez
Pauwels, pour monter la revue comme un mécano. Nous
mettions en scène les personnages — les articles — d'une pièce
à grand spectacle. Aucun détail n'était négligé. Nous plongions
dans nos dictionnaires pour découvrir la citation qui, placée en
légende, donnerait toute sa valeur à l'illustration, qui elle-même
placée en regard d'un article donnerait toute sa valeur au texte.
Une journée passait dans la fièvre et le rire qui font les séances
fructueuses de travail.
Cette aventure-là a duré sept ans. Les collections de livres
qu'il faudrait faire mieux qu'évoquer — dont les fameuses
anthologies Planète animées par Jacques Stemberg — d'autres
revues, dont Plexus, pour laquelle Henry Miller nous aurait offert
le titre d'un de ses livres, ont été nourries par Planète et se
sont nourries de la revue. Planète était le pivot d'un ensemble
qui a été déstabilisé par les événements de Mai 68. Des lézardes
annonciatrices de difficultés à venir existaient peut-être, François
Richaudeau s'était déjà retiré de l'entreprise en 1966. Mais 68 a
été l'irruption fatale du politique dans un univers mental qui
l'avait éludé. Non que des querelles idéologiques aient alors
opposé les membres de l'équipe Planète. Leur rapport au monde
plus que le rapport des êtres entre eux fut bouleversé à ce
tournant de l'histoire de France. La prise de conscience du fait
politique fut confuse et lente. Mais à partir de cette date, sans
que l'évidence s'impose tout de suite, elle allait en particulier
entraîner Louis Pauwels ailleurs. Définitivement.
La revue Planète n'est pas morte au lendemain de Mai. Elle a
changé de mains. Certains de ses satellites, collections et
publications, ont quitté son orbite. Les forces et les rôles se sont
distribué autrement. Des hommes ont disparu ; d'autres ont
survenu. « Un nouveau Planète » a existé sous diverses formes
et avec diverses formules. Le nom de Louis Pauwels y a été lié ;
je ne suis pas sûr que son esprit y ait été très présent.
L'aventure s'est poursuivie — et terminée — sans moi. La comète
était passée ; la queue de la comète a continué à occuper le
ciel pendant quelques mois. Je ne regardais plus de ce côté.
Jacques Mousseau

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