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Depuis le XIXe siècle, le travail en " troupe " ou au sein d’un orchestre
permanent est très minoritaire : dans les music-halls, les théâtres, les cabarets
ou les scènes lyriques, l’embauche " au cachet " a toujours été monnaie
courante. C’est une pratique ancienne, qui existait bien avant l’instauration d’un
régime d’assurance-chômage particulier pour les intermittents. Le travail au
projet est même l’une des caractéristiques intrinsèques du travail des artistes et
des techniciens. Ce système est lié à un mécanisme structurellement
déséquilibrant : en France comme ailleurs, dans le monde du spectacle, il faut,
pour détecter les talents et dénicher des formes particulières d’originalité,
beaucoup de candidats afin de pouvoir sélectionner les plus prometteurs ou les
mieux armés pour des carrières incertaines. C’est vrai des artistes plus que des
techniciens.
Dans les années 1930, ces formes d’emploi " intermittentes " ont reçu pour la
première fois une qualification juridique particulière. En 1937, sous le Front
populaire, des conventions collectives se sont ainsi appliquées au secteur des
spectacles. Grâce à cette avancée sociale majeure, le travail a été mieux
encadré dans les théâtres, les bals, les cirques, la variété, le music-hall, le
cinéma ou l’opéra. C’est dans ces conventions que l’on trouve pour la première
fois le terme juridique de " salarié intermittent ". Il n’est pas encore question,
dans ces années-là, de constituer un mécanisme particulier d’assurance-
chômage, mais dans le sillage de ces conventions se crée, en 1939, la caisse
des congés spectacles, qui distribue depuis lors des congés payés aux artistes
ou aux techniciens qui travaillent pour de multiples employeurs.
Le chômage des artistes et des techniciens existe, bien sûr, dans tous les pays
occidentaux, mais la France est la seule à leur offrir un régime particulier
d’indemnisation. Il y a eu des tentatives de transposition du système français,
en Suisse et en Belgique notamment, mais elles ont fait long feu ou sont
restées très éloignées du modèle français. Si la France fait figure d’exception,
c’est parce que ce régime d’assurance-chômage est le fruit d’une construction
historique très longue.
Dans la plupart des autres pays, les artistes travaillent dans des structures
permanentes comme des orchestres ou des troupes de théâtre – c’est le cas en
Allemagne – ou sont considérés comme des free-lances ou des indépendants –
c’est le cas dans le monde anglo-saxon. Il existe, à l’étranger, des dispositifs
particuliers pour prendre en compte la spécificité des artistes, en Allemagne -
notamment, mais ils passent par la Sécurité sociale, pas par l’assurance-
chômage.
Au début des années 1980, le système a connu un tournant majeur. Après son
élection, en 1981, François Mitterrand a mis en place une grande politique
culturelle d’Etat – le budget du ministère a doublé et les collectivités locales ont
suivi le mouvement. Des compagnies de théâtre, de danse, de cirque ont été
créées, la musique s’est développée, les festivals se sont multipliés. Cette
création d’emplois n’a pas donné naissance à des emplois permanents dans
des troupes ou des maisons de la culture : elle s’est faite d’abord par
l’intermittence, qui a constitué un levier extraordinaire pour cette nouvelle offre
car elle permettait de rémunérer des artistes et des techniciens pour des coûts
réduits et dans une flexibilité complète.
Au cours de ces années, l’Etat et plus encore les collectivités territoriales ont -
financé une croissance très rapide de l’offre dans le spectacle vivant. Si l’emploi
intermittent a énormément progressé, dès les années 1980, c’est aussi en -
raison de la fin du monopole de la radio et de la télévision publiques. Pour
nourrir la nouvelle offre radiophonique et télévisuelle, il a fallu faire travailler des
techniciens qui ont, eux aussi, été massivement embauchés comme
intermittents. Le système était très avantageux, notamment pour les structures
fragiles comme les radios libres, les nouvelles chaînes de télévision ou les
boîtes de production : un certain nombre d’entre elles se situait entre
l’entrepreneuriat et le secteur associatif, et l’intermittence correspondait
parfaitement à leur tentative d’innovation et à leur économie fragile.
Ces évolutions ont fait exploser le nombre d’intermittents : pour ceux que
recensait la caisse des congés spectacles, ils étaient en effet 9 000 en 1980,
123 000 en 2002, 130 000 en 2012 ! Il a fallu prendre la mesure des effets de
cette croissance car les comptes des annexes VIII et X de l’Unedic se
déséquilibraient à grande vitesse. Au début des années 2000, les partenaires
sociaux (sauf la CGT) ont décidé de modifier les règles d’indemnisation pour
contenir la croissance démographique déséquilibrée du secteur, et s’ensuivit la
longue crise de 2003 – l’Etat a finalement été obligé de recourir à un
mécanisme de correction temporaire de la réforme.
Le monde de l’intermittence est caractérisé par trois facteurs : une totale liberté
pour les employeurs, une forte attractivité des métiers et une solution de
sécurisation du chômage. Si l’on combine ces trois facteurs, on obtient le
cocktail explosif de l’intermittence : le volume de travail augmente rapidement,
le nombre d’intermittents progresse plus vite encore, l’adossement au chômage
indemnisé s’accroît, et le déficit, mécaniquement, se creuse.
Le système permet de tout savoir sur les salariés : on connaît, pour chaque
intermittent, le nombre d’heures de travail, les congés payés, les revenus, les
indemnités chômage. Sur le comportement des employeurs, en revanche, on
ne veut rien savoir. Or le système leur offre des avantages considérables : dans
l’intermittence, la souplesse d’embauche est totale et la dépense salariale peut
varier en fonction des projets, à l’heure près. Ces avantages dont rêveraient
beaucoup d’employeurs ont un prix invisible : c’est la part assurantielle du
travail des intermittents.
Ce mécanisme nous vient tout droit de l’origine du droit social français, avec la
loi sur les accidents du travail de 1898 : les cotisations varient en fonction du
nombre d’accidents constatés dans l’entreprise et du niveau de risque de leur
activité. Ma proposition entre en outre en résonance avec l’accord
interprofessionnel de 2013, qui est un premier pas vers la modulation des
cotisations en fonction du taux d’utilisation, par les entreprises, des contrats
courts. C’était une vieille revendication de la CGT et ce fut une proposition de
Martine Aubry lorsqu’elle était ministre des affaires sociales ! Une fois ces
principes posés, il faut, bien sûr, prendre en compte la diversité du monde des
spectacles.