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1.

LE RÉCIT

1.1. Le RÉCIT est centré sur l’assertion des « énoncés de faire ». Le 'faire' sous-jacent ŕ
tout récit et l’énonciation narrative se manifestent ŕ la surface par une suite ordonnée et cohérente de
séquences textuelles narratives. Pour devenir récit, un événement doit ętre raconté sous la forme d’au
moins deux propositions temporellement ordonnées et formant une histoire.
(1) L’enfant pleurait. La mčre le prit dans ses bras.
Ce qui fait d’un texte un récit, c’est, d’une part, sa dimension chronologique (épisodique ou
événementielle) et, d’autre part, sa dimension configurationnelle. Ce qu’on pourra symboliser par le
tableau suivant (voir J.-M. ADAM, 1984 (a) et 1985):

1.2. Pour ce qui est de la dimension chronologique, il s’agit au fond d’une causalité narrative
chrono-logique, basée sur un rapport de consécution temporelle et causale et sur la permanence d’un
acteur constant. Soit dans (1) l’enfant, repris dans la premičre et la seconde proposition. Le récit
minimal (1) pourrait ętre rendu par des énoncés plus explicites de forme:
(1)(a) L’enfant pleurait. Alors sa mčre le prit dans ses bras pour le consoler.
(1)(b) L’enfant pleurait. Mais lorsque sa mčre le prit dans ses bras, il s’est aussitôt calmé.
(1)(c) L’enfant pleurait. Voilŕ pourquoi la mčre le prit dans ses bras.
(1) pourrait également ętre exprimé au moyen d’un connecteur temporel ou causal:
(1') La mčre prit l’enfant dans ses bras parce qu’il pleurait.
(1'') La mčre prit l’enfant dans ses bras alors qu’il commençait ŕ pleurer / au moment oů il s’est mit
ŕ pleurer.
Il y a dans (1), comme dans (1)(a) - (c) et (1') - (1'') une succession événementielle temporelle
de type antériorité(t) —> postériorité(t+n) établie entre les deux propositions constitutives; cette
succession temporelle se double d’un rapport de causalité: CAUSE (l’enfant pleurait) —> EFFET (la
mčre le prit dans ses bras). L’auditeur / destinataire du récit s’efforce toujours d’établir la cohérence
entre les propositions.
Pour qu’il y ait récit - écrit J.-M. ADAM (1984 (a): 14) - il faut que l’on puisse postuler un
enchaînement de propositions du type:
I: A est X ŕ l’instant t1 .
II: L’événement Y arrive ŕ A (ou A fait Y) ŕ l’instant t2.
III: A est X' ŕ l’instant t3.
Un FAIRE 'transformateur' - en termes greimassiens - , basé sur un changement d’état, sépare
un état initial E0 de l’état final Et. « Pour avoir un récit, il faut donc des balises temporelles chargées
de marquer la succession des faits (t1, t2, t3, tn) et un cours des événements manifesté au moyen de
prédicats en opposition (X et X') et qui décrivent l’état de l’acteur constant (A) en différents points de la
chronologie:

/ t1 / ——> / t2 / ——> / t3 /

A est X lY arrive ŕ A l A est X'


A fait Y

La donnée la plus importante pour affirmer qu’une suite de propositions constitue un récit
cohérent se situe au niveau:
- de la récurrence de A (l’acteur - personnage constant);
- des rapports entre les prédicats initial (X) et final (X') (voir J.-M. ADAM, 1984: 14).

2. Dans une perspective narratologique moderne, il paraît indispensable de déchronologiser la


vision intuitive du récit pour la « relogifier » (selon un mot de R. BARTHES dans son « Introduction ŕ
l’analyse structurale des récits », in Communications 8, 1966: 12), en envisageant le texte narratif ŕ
partir:
(a) de la constance des participants (acteurs);
(b) de la logique des rapports entre les prédicats;
(c) de la succession des processus.

2.1. Toujours est-il que la dimension chrono-logique du récit repose sur un enchaînement de
cinq types de séquences narratives ou macro-propositions, ŕ męme d’exprimer sa structure inhérente.
Ces macro-propositions sont nommées:
P1: Orientation ou état initial du récit;
P2: Complication ou événement, fait, action, qui présente, le plus souvent, un caractčre
inattendu;
P3: Action ou évaluation;
P4: Résolution ou nouvel élément modificateur;
P5: Morale ou état final.
Selon les différentes orientations de la grammaire textuelle, ces cinq moments essentiels du
noyau narratif connaissent également d’autres désignations:
P1: Situation stable ou équilibre initial;
P2: Force perturbatrice;
P3: État de déséquilibre, dynamique ou 'FAIRE' transformateur;
P4: Force inverse ou force équilibrante;
P5: Équilibre nouveau ou équilibre terminal.
Ces cinq moments narratifs nucléaires déterminent ce qu’on a nommé 'l’hypothčse
superstructurelle' de la grammaire du récit.

2.2. Le réarrangement pratiqué par J.-M. ADAM (1984 (a)) parmi ces séquences narratives lui a
permis d’estimer que le texte narratif est constitué en premier lieu d’une macro-proposition MORALE
ou simple État final (P5), déterminant l’HISTOIRE (ou intrigue proprement-dite). L’HISTOIRE est elle-
męme décomposée en une ORIENTATION (ou État initial, P1) suivie du DÉROULEMENT du récit.
Soit une premičre structure triadique:

(i) Tn ——> Pn - Orientation + Déroulement + Pn l État final l


Morale

Le DÉROULEMENT peut ętre décomposé ŕ son tour:

Déroulement ——> Événements + Pn l Action l


Évaluation
ou ÉVÉNEMENTS ��> Pn - Complication + Pn - Résolution.

La RÉSOLUTION résulte de l’action d’un acteur anthropomorphe et, plus rarement, d’un
événement fortuit. Cette séquence narrative mentionne parfois le résultat de l’action - événement. Il en
découle une seconde triade enchâssée dans la première:
(ii) Déroulement ��> Pn - Complication + Pn Action +
Évaluation
Pn - Résolution.

3. Quant à la dimension configurationnelle du récit, elle détermine la figure qui ordonne les
éléments constitutifs du récit dans un tout signifiant et significatif. La macro-structure sémantique du
texte narratif est sous-tendue par un acte de jugement réflexif. Un nombre d’inférences globales
conduisent le lecteur / récepteur ŕ saisir le récit comme ensemble unitaire. La dimension
configurationnelle « nous renvoie au-delŕ de la suite d’événements affectant les acteurs - personnages
vers le récit en acte (J.-M. ADAM, 1984 (a): 19). La macro-structure sémantique configurationnelle est
en rapport direct avec la situation de discours, en rapport avec les actes de discours accomplis
indirectement par le récit: REPROCHER, CONSEILLER, SUPPLIER, DEMANDER, etc.
Sa vocation pragmatique est ainsi incontestable.

4. Le temps fondamental du récit est, en français, le passé simple. Temps étroitement lié ŕ
la notion d’événement, le passé simple marque des événements projetés dans le passé et constituant
une histoire, révolue et sans lien avec l’expérience ou la pensée présentes du locuteur. Le passé
composé, par contre, exprime des faits passés conçus comme ayant des incidences sur la
contemporanéité de l’énonciation. Avec le passé simple, l’imparfait, le plus-que-parfait, le présent
(temps indivis et caméléonesque!), le futur périphrastique témoignent des différentes couches de
l’énonciation narrative et du rôle du repérage temporel dans le décryptage des différents niveaux de la
fiction narrative [44].
Soit ce fragment de Madame Bovary:
(2) Une nuit, vers onze heures, ils furent réveillés par le bruit d’un cheval qui s’arręta juste ŕ la
porte. La bonne ouvrit la lucarne du grenier et parlementa quelque temps avec un homme resté en
bas, dans la rue. Il venait chercher le médecin; il avait une lettre. Nastasie descendit les marches en
grelottant, et elle alla ouvrir la serrure et les verrous, l’un aprčs l’autre. L’homme laissa son cheval, et,
suivant la bonne, entra tout ŕ coup derričre elle. Il tira de dedans son bonnet de laine ŕ houppes grises
une lettre enveloppée dans un chiffon, et la présenta délicatement ŕ Charles, qui s’accouda sur
l’oreiller pour la lire. Nastasie, prčs du lit, tenait la lumičre, Madame, par pudeur, restait tournée vers la
ruelle et montrait le dos (G. Flaubert).
On y observera le rôle du passé simple et l’emploi de l’imparfait comme marqueur des arręts du
récit.
La narrativité sous-tend des textes apparemment informatifs.
Soit cet entrefilet de l’actualité française qui retrace des événements par l’emploi du présent:
(3) Farouchement opposé ŕ la vente des frégates ŕ Taďwan, Roland Dumas revient d’une visite
officielle ŕ Pékin - en avril 1991 - avec un nouveau schéma. Il convainc le président de s’y rallier. La
guerre entre les clans se termine alors. Sur fond de sociétés offshore, de transferts d’argent, de
commissions occultes (LE POINT, 1325, février 1998).

5. Le type narratif s’actualise de façon dominante dans: le reportage (sportif ou journalistique),


le fait divers, le roman et la nouvelle, les contes, l’histoire (ou le récit historique), la fable, la
parabole, les publicités narratives, le récit politique, le cinéma et la bande dessinée, les
histoires drôles et le récit oral en général; les dépositions de témoins et les procčs-verbaux
d’accidents peuvent apparaître comme une limite du type.

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