On peut considérer qu’un pays, anciennement pauvre, émerge lorsqu’il suscite
l’intérêt et se démarque de la masse des nations sous-développées et situées en marge des échanges mondiaux de biens, de services et d’idées. L'émergence est définie comme « un processus de transformation économique soutenue qui se traduit par des performances aux plans social et humain, et qui prend place dans un contexte politique et institutionnel stable susceptible d'en assurer la soutenabilité ». L’émergence économique constitue, ainsi, une transition décisive vers la convergence avec les pays développés, dans le contexte de la mondialisation. Elle marque un réel point tournant, faisant passer un pays pauvre d’un équilibre de faible croissance à un meilleur équilibre de croissance forte, durable et diversifiée. Mais, à partir de quel moment, dans son cheminement vers le progrès économique, peut-on considérer qu’un pays est réellement devenu émergent ? Cette question est d’autant plus pertinente, qu’aujourd’hui, plusieurs pays, sur tous les continents, prétendent avoir atteint le stade de l’émergence ou sont en voie de l’être. Et, il est d’autant plus difficile de les départager, qu’il n’existe à ce jour, aucune définition consensuelle de la notion d’émergence.
1. Traits et les caractéristiques de l’émergence économique
a) L’émergence économique, un processus et un résultat L’émergence est un processus lorsqu’elle décrit la dynamique enclenchée par un pays sous développé pour s’extirper de la trappe qui le maintien dans la pauvreté et évoluer vers le haut, pour sortir la tête de l’eau et se donner les moyens de se développer. Dans ce cas-ci, on peut parler de pays émergeant, pour souligner le fait qu’il s’agit d’un changement en cours de mise en œuvre. Il s’agit d’un processus vertical qui requiert la mobilisation d’une grande force motrice pour briser les handicaps qui empêchaient, jusqu’ici, le pays de se développer. L’émergence économique peut, également, représenter un résultat atteint par un pays, dans sa marche vers le développement intégral. Ayant fourni, dans le passé récent, de nombreux efforts, pour se mettre aux normes de compétitivité globale, le pays, anciennement pauvre, réussit à sortir la tête de l’eau. Il devient un pays émergé. Il peut, dès lors, dans le cadre d’un processus horizontal, évoluer sereinement vers les rivages du développement et converger avec les pays les plus avancés. b) Pays émergeant et pays émergé Dans la littérature, les deux termes de pays émergeant et de pays émergé sont confondus. Or, il est important de les distinguer car, dans son processus d’émergence, le pays, anciennement pauvre, doit d’abord chercher à converger avec le niveau atteint par les pays émergés. Il ne doit pas viser à converger avec un pays particulier, mais avec le niveau de référence atteint par le groupe de pays émergés à un instant donné. Ceci parce que le pays, éventuellement ciblé, évolue lui aussi et lorsque le pays anciennement pauvre atteint finalement le niveau de référence des pays émergés, peut-être que le pays ciblé aura déjà largement dépassé le niveau de pays émergé et effectué de grands pas vers le développement intégral (en devenant prédéveloppé). Le processus en jeu est, donc, une convergence vers un niveau de développement donné (celui de l’émergence), et non une convergence absolue avec des pays de référence. Pour émerger, un pays pauvre doit ainsi s’aligner sur les meilleures pratiques des pays ayant atteint le niveau de l’émergence (les pays émergés). De ce fait, c’est comme s’il mettait les pendules à l’heure et se donnait les mêmes conditions initiales que les pays émergés. Le pays pauvre qui démarre un chantier d’émergence doit, donc, à travers des réformes profondes, engager un processus de transformation structurelle et viser à s’aligner sur les facteurs de base des pays émergés : 1) transition démographique, 2) scolarisation, 3) capacité de générer une épargne publique, 4) adaptation du tissu productif à la demande, régionale et mondiale, 5) infrastructures, etc.. La convergence conditionnelle à la Barro (voir encadré 1 ci-dessous) peut, alors, s’enclencher, pour le pays pauvre, de manière inexorable, vers le niveau de l’émergence lui permettant d’obtenir, au bout du processus, les traits qui caractérisent les pays émergés. c) Dynamique d’émergence et mondialisation Pour pouvoir amorcer une dynamique d’émergence, tout pays en développement doit désormais tenir compte, dans la définition et dans la mise en œuvre de sa stratégie économique, de la donnée que constitue la nouvelle mondialisation qui offre autant d’opportunités que de contraintes. Il doit chercher à exister sur la carte des réseaux mondiaux de production et d’échanges d’idées et de savoirs, de capitaux, de biens et de services, sous peine de perdre en productivité, en compétitivité globale et en dynamisme économique. Le choix gagnant en matière stratégique peut, ainsi, se résumer au diptyque suivant : attraction des investissements – développement des exportations et des marchés. En mettant en œuvre avec succès ce diptyque, le pays en développement augmente ses chances de cesser d’être un perdant de la mondialisation, s’intègre mieux dans l’économie globale et bénéficie d’une croissance économique potentielle forte. Un autre impératif de la mondialisation, c’est la transformation structurelle de l’économie, qui se manifeste notamment par « un transfert massif de ressources d’un secteur à un autre du fait de changements intervenus au niveau des fondamentaux et des politiques économiques. Concrètement, cela signifie un changement de la composition sectorielle du produit intérieur brut ; la part du secteur primaire en termes d’emploi et de production allant à l’industrie et à des services modernes. Cela suppose, également, une utilisation plus grande des technologies et une meilleure productivité dans tous les secteurs». Cette transformation structurelle, promue par les économistes «structuralistes», favorise la hausse de la productivité des facteurs et contribue, donc, à la soutenabilité de la croissance (conformément au modèle néo-classique révisé de Solow). Pour les pays désireux de recevoir une aide internationale, une contrainte supplémentaire s’ajoute : celle de satisfaire les conditionnalités (explicites ou implicites) du Fonds monétaire international(FMI) et de la Banque mondiale (BM) qui mettent en avant : le maintien d’un cadre macroéconomique sain, la levée des distorsions potentiellement créées par les politiques de protection et de subvention ainsi que l’orientation de l’économie vers l’extérieur (« outward looking policy »). Pour émerger et donner à la croissance un caractère soutenable, un pays pauvre doit, en effet, mettre en place des politiques volontaristes pour convaincre les investisseurs de venir et de demeurer chez lui, et chercher à s’insérer dans l’économie mondiale. Les réformes attachées à cette exigence constituent les prérequis, les fondements ou les leviers de l’émergence. Le graphique 4 ci-dessous représente les liens entre les prérequis (leviers) et les caractéristiques de l’émergence économique. d) L’émergence est multidimensionnelle Le concept d’émergence dépasse la seule dimension économique pour couvrir plusieurs autres aspects. Dans son acception la plus large, le concept épouse parfaitement les différentes problématiques contenues dans les nouveaux Objectifs du Développement Durable (ODD) fixés par la Communauté des Nations pour l’horizon 2030. Il englobe, ainsi, des considérations liées à l’économie, au social, à l’environnement et à la gouvernance. Émergence économique et progrès social l’émergence suppose l’amélioration de la qualité de vie des populations et la constitution, progressive ,d’une large classe moyenne qui bénéficie, non seulement d’un niveau de richesses et de consommation amélioré, mais également de facilités de crédit, d’opportunités d’éducation, de formation et d’emplois de qualité, de transformations sociodémographiques, d’une meilleure couverture sanitaire et d’un rallongement de l’espérance de vie, de possibilités d’accès à un logement décent et équipé et à des services d’infrastructures de base modernes (eau, assainissement, électricité, technologies de l’information, transports, information diffusée par les médias, marchés urbains et ruraux, accès aux services et documents administratifs, etc.).Inversement, l’émergence économique ne peut être durable que si certains prérequis sont satisfaits dans le domaine social. Emergence économique et durabilité environnementale La préservation de l’environnement constitue un facteur-clé pour rendre la croissance économique soutenable à long terme. Toute stratégie d’émergence doit, donc, viser à bâtir une économie verte, c’est-à-dire des investissements publics et privés qui ciblent une réduction des émissions de carbone et de la pollution, une amélioration de l’efficacité énergétique et de la gestion des ressources naturelles, et une réduction de la perte de la biodiversité. Émergence économique ainsi que la qualité des institutions et de la gouvernance Le rôle des institutions est bien mis en évidence par les économistes dits «institutionnalistes», comme Douglas North (1990) qui postulent que la croissance n’est soutenable qu’en présence d’institutions de qualité dans le pays considéré. A cet effet, Kaufmann et al. (2005) a élaboré un indicateur synthétique de la bonne gouvernance (mesurant la qualité des institutions) et incluant les droits humains et démocratiques, la stabilité politique et l’absence de violence politique, l’efficacité du gouvernement, la simplicité et la rapidité des procédures administratives, le respect des règles de droit et la lutte contre la corruption. Testant cet indicateur, FMI (2005) a trouvé qu’il existe une forte corrélation entre la bonne gouvernance et le niveau du revenu national par tête. En particulier, l’Afrique subsaharienne aurait multiplié son PIB par tête de deux fois et demie si ses institutions étaient établies au niveau de la qualité moyenne des institutions dans le monde. FMI (2005) a également découvert que les institutions exercent un impact significatif sur la croissance économique future, en ce qu’elles favorisent la durabilité des bonnes pratiques en matière de politique économique. En outre, des institutions de qualité permettent de réduire la volatilité de la croissance et facilitent, donc, la réalisation des objectifs économiques et sociaux du pays considéré.
2. Eléments de base de l’émergence économique
a) Les composantes de l’émergence Au total, l’émergence se manifeste notamment par la transformation structurelle et par l’amélioration des performances des facteurs de production, dans un cadre macroéconomique sain, par la densification et la modernisation du réseau d’infrastructures, par la préservation de la durabilité environnementale, par le développement du niveau et du cadre de vie, par la construction d’institutions fortes, par le renforcement des capacités des citoyens, par le changement des attitudes et des valeurs et par « un mouvement haussier de l’ensemble du système social » (Gunnar Myrdal : le drame asiatique (1968)). b) Prérequis et caractéristiques de l’émergence économique Pour émerger et donner à la croissance un caractère soutenable, un pays pauvre doit, en effet, mettre en place des politiques volontaristes pour convaincre les investisseurs de venir et de demeurer chez lui, et chercher à s’insérer dans l’économie mondiale. Les réformes attachées à cette exigence constituent les prérequis, les fondements ou les leviers de l’émergence. Le graphique 4 ci-dessous représente les liens entre les prérequis (leviers) et les caractéristiques de l’émergence économique. c) Critères de l’émergence économique Tenant compte du contexte particulier des pays sous-développés, sept critères de l’émergence économique sont identifiés pour parvenir à l’émergence économique, à savoir : 1) La stabilité politique ; 2) L’urbanisation importante ; 3) L’extension du marché intérieur ; 4) La qualité des infrastructures ; 5) La monétarisation de l’économie et l’existence d’un marché financier développé ; 6) La diversification de l’économie et l’ouverture au marché extérieur ; 7) La croissance soutenue et durable. Bien cerné, le concept d’émergence viendrait, ainsi, apporter une grande contribution à la théorie du développement. Car, jusqu’ici, le seul but fixé aux nations pauvres est de chercher à converger avec les pays riches. Chaque aspect peut être mesuré par un ensemble de variables économiques. C’est l’objet de notre deuxième chapitre.