Vous êtes sur la page 1sur 37

Année universitaire 2019-2020 (2e semestre)

Consen7r ou résister ?
Muriel Salle – Maîtresse de conférences
(Université Claude Bernard – Lyon1)

muriel.salle@univ-lyon1.fr

Université Lyon 1 – 2020 – Contenu sous Licence Creative Commons BY-NC-SA muriel.salle@univ-lyon1.fr
INTRODUCTION : Où est le problème ?

Toutes les femmes ne sont pas féministes, et pourtant… POURQUOI ?

Les femmes travaillent presque 3 mos de plus pour gagner


autant que les hommes (Equal Pay Day le 25 mars 2020,
initative de l’ONG BPW)

La violence domesJque : 1e cause de mortalité pour


les femmes de 19 à 44 ans (Amnesty InternaJonal)
Et pourtant… encore plus dans le contexte actuel
« Ces dernières semaines, tandis que s'aggravaient les
pressions économiques et sociales et que la peur s'installait,
le monde a connu une horrible flambée de violence
domes;que», a déploré le secrétaire général des Na;ons
unies Antonio Guterres, le 5 avril.

Le « monde d’après » sera-t-il féministe ?


Ou bien marqué par un retour à la « normale / norme mâle » ?
I. Les étapes et alternatives dans la prise de conscience

Ignorer

Informer Entendre
Pour soi-
même
Savoir Agir

Collec:vement
« On se le persuade encore davantage en considérant
de quelles façon les femmes mêmes supportent leur
condi8on. Elles la regardent comme leur état naturel.
Soit qu’elles ne pensent point à ce qu’elles sont, soit
que naissant et croissant dans la dépendance, elles la
Ignorer considèrent de la même manière que font les
hommes. »
(François Poullain de la Barre, De l’égalité des deux sexes,
Informer discours physique et moral où l’on voit l’importance de se défaire
des préjugez, 1673)
« Je crois qu’il y a une soif de faux combats »
« J’en ai marre qu’on m’apprenne ce qu’est une
femme libérée »
« En s’érigeant en vic<me on ne triomphe jamais »
h?ps://homodominatus.com/
Informer Entendre
« Il n’est pas aussi évident que le sens commun le prétend
qu’avant d’en avoir esquissé la pratique on pense préalablement
une transformation des rapports sociaux et qu’on appréhende
intellectuellement avec clarté cette transformation avant de
l’entreprendre. Toutefois, quelles qu’en soient les modalités,
quelle que soit la place occupée par ses producteurs, ce qui en
définitive est, ou sera, la théorie est d’abord conscience, celle
précise de la place qu’on occupe. »
Colette Guillaumin, «Femmes et théories de la société : remarques
Informer sur les effets théoriques de la colère des opprimées ». Sociologie et
Sociétés, 13 (2), 19-31.

Savoir Agir
Informer
Pour soi-
même
Savoir Agir

Collec7vement
OU
RESISTANCE SOUMISSION

?
II. Une vrai complexité conceptuelle
« Même les femmes les plus indépendantes et les plus
féministes se surprennent à aimer le regard conquérant des
hommes sur elles, à désirer être un objet soumis dans les bras
de leur partenaire, ou à préférer des tâches ménagères – les
peDts plaisirs du linge bien plié, du peDt-déjeuner joliment
préparé pour la famille – à des acDvités censément plus
épanouissantes. Ces désirs, ces plaisirs sont-ils incompaDbles
avec leur indépendance? Est-ce trahir les siècles de féminisme
qui les ont précédées? Peut-on aJendre que les hommes
fassent le «premier pas» et revendiquer l’égalité des sexes?
Les récents scandales sexuels qui ont agité le monde enDer
ont jeté une lumière crue sur ces ambivalences et sur l’envers
de la dominaDon masculine : le consentement des femmes à
leur propre soumission. » (Manon Garcia, 2017)
Conférence de Manon Garcia, Université de Harvard, Février 2018.
SOUMISSION En ligne

« La philosophie n’a pas, jusqu’à aujourd’hui, conceptualisé la soumission comme telle.


D’un côté, la philosophie poli;que classique a formé et étudié les concepts de domina;on, de
pouvoir, de subordina;on, de servitude ; d’un autre côté la philosophie morale, notamment dans ses
liens avec la psychologie sociale, a pu théma;ser les concepts de volonté, d’obéissance, d’influence
ou encore d’amour, mais la soumission n’a pas le rang d’un concept, elle n’est pas l’objet de l’étude
et de la conceptualisa;on des philosophes.
CeDe absence s’explique par le fait que la philosophie – et la philosophie poli;que fondée sur le
droit naturel en par;culier – conçoit la liberté comme la valeur centrale de la vie humaine et, de ce
fait, dépeint la soumission, comprise comme l’aHtude de celui qui ne résiste pas ac;vement à la
domina;on, comme une anomalie, une impossibilité ou une faute morale. Pour autant, l’expérience
de la soumission est quo;dienne et largement partagée, et il semble que ceDe expérience ait
quelque chose à dire de la nature du pouvoir. »
Attitude Expérience
contre-nature commune
SOUMISSION ¹ DOMINATION

Servitude Rela9on hiérarchique ver9cale, l’un agissant sur les


Sujétion ac9ons de l’autre en les déterminant
Complicité Dominant > Dominé
Rapport de pouvoir

Simple influence Exercice de la violence


Supériorité intellectuelle, Séduc9on, Charisme
Contrainte, Force physique

Concept flou : domination masculine, domination


culturelle, domination sexuelle…
Concept considéré comme négatif ou pas
SOUMISSION Disposi,on à obéir

Fait d’obéir
Volonté active
Ac,on de se rendre Volonté passive
après avoir comba>u (résignation, absence de
résistance)

Forte connotation sexuelle

Soume>re force et contrainte

dépendance et obéissance
« être soumis » / « se soumettre »
CONSENTEMENT Privé / Public

Ac4f / Passif « Qui ne dit mot, consent »

« J’ai longtemps pensé que l’acte de consen4r relevait de l’in4mité la plus grande, mélange
de désir et de volonté dont la vérité gisait dans un moi profond. Lorsque j’ai entendu ce mot
consentement dans des enceintes poli4ques, Parlement européen, débats télévisuels,
discussions associa4ves, j'ai compris qu’il pénétrait l'espace public comme un argument de
poids.
Je voyais bien que la raison du consentement, u4lisée pour défendre le port du foulard, ou
exercer le mé4er de pros4tuée, s'entourait de principes poli4ques avérés, la liberté, la liberté
de choisir, la liberté offerte par notre droit ; et la résistance, la capacité de dire non à un
ordre injuste. Car dire “oui”, c'est aussi pouvoir dire “non” »
(Geneviève Fraisse, Du consentement, 2017)
Actif « Je décide, je choisis »

Passif « Je n’en peux…, mais »

Tacite
Consentement Eclairé
Implicite

Dans le CNRTL, « Consentant-e : Qui répond favorablement aux désirs d'un homme »
III. Céder, ça n’est pas consentir
« Quand céder n’est pas consen7r. Des déterminants matériels et
psychiques de la conscience dominée des femmes, et de quelques-
unes de leurs interpréta7on en ethnologie », in L’anatomie poli,que,
catégorisa,ons et idéologies du sexe, 1991. disponible en ligne
« L'idée de consentement des dominé(e)s, comme celle du partage des
idées dominantes, renvoie à la subjectivité, à la conscience du sujet
dominé. Mais, justement, quelle est-elle ? Avant de conclure au
Nicole-Claude "consentement", il faudrait s'assurer que, pour chaque société, on ait
Mathieu (1937-2014)
pris la mesure des limitations de la conscience que les femmes
peuvent subir. Une partie des limitations mentales est inextricablement
liée à des contraintes physiques dans l'organisation des relations avec
les hommes, l'autre est plus immédiatement une limitation de la
connaissance sur la société. »

Pour consentir, il faut SAVOIR qu’on consent, avoir pris la mesure des termes du contrat.
Nicole-Claude Mathieu, L’arraisonnement des femmes. Essais en anthropologie des sexes, 1985

Esclavage

Servage Consentement à la
domination ??

Sexage
(Cole9e L’exemple des Joolas du Sénégal
Guillaumin)
Le choix (?) du
dispowerment

« Dans la perspecQve de l’asservissement (d’une populaQon),


il faut brider ses systèmes de référence… Panorama social
Frantz Fanon destructuré, mise à sac des schèmes culturels, valeurs
Psychiatre
(1925-1961) bafouées, écrasées, vidées »
? Les contraintes
physiques

Conscience
médiatisée

« Partage » des
idées
CONTRAINTES … et leurs implications
PHYSIQUES MENTALES limitatives

1. Travail permanent Division sexuelle du


travail
2. Travail sous-équipé
(Paola Tabet) Travail salarié / Travail
domesNque
Confusion / charge mentale
Travail productif /
Travail reproductif

FATIGUE
Les contraintes
physiques
Une analyse marxiste du travail reproduc?f
« Par quelles interven?ons techniques et sociologiques sur
3. Reproduction le corps (afin non seulement de limiter la procréa?on mais
(Paola Tabet) aussi, et surtout, d'y contraindre) passe-t-on d'une simple
poten&alité biologique à une reproduc?on imposée ? »

4. Portage des jeunes


enfants

5. Lien aux enfants


limita?on physique
limita?on mentale
6. Malnutrition relative
des femmes
CONSCIENCE « l'envahissement du conscient et de l'inconscient des femmes par
MEDIATISEE leur situation objective de dépendance aux hommes et le type de
structuration du moi qui en découle »
(Nicole-Claude Mathieu)
« Le maître croît et dit que l'âne aime la carotte, mais l'âne ne
« PARTAGE » des possède pas de représentation d'une carotte sans bâton,
idées contrairement à son maître (il ne partage donc pas "les mêmes"
représentations). L'âne consent, tout en espérant la carotte, à ne pas
être battu. On pourrait tout aussi bien appeler cela "refus" que
"consentement" »
(Nicole-Claude Mathieu)
Un renouvellement de la ques/on minoritaire dans les années 1970
S"gmate

DOMINATION ASSIGNATION
iden/taire

Correction

Oubli
S"gmate
Négociation

Renversement
Erving Goffman,
1975
Empowerment
ROLE ACTIF des
EXPERIENCE minoritaires

Capacité d’agir des


individus et des
collectivités pour assurer
leur bien-être

Droit de participer aux


décision les concernant

Barbara Solomon, 1976


S’exprimer
Donner la priorité
au point de vue des
opprimé·es
Acquérir le pouvoir de
surmonter la domina9on

Conscience Conscience libérée Paulo Freire,


Pédagogie des opprimés, 1968
dominée
EDUCATION

Méthode de la conscientisation : prise de conscience critique

Conscience Raising Groups féministes (EU 1960’s)


Fin de l’isolement : « The personal is political »
ANALYSE

Pra$que de
l’autoconscience Self-help

1969
« Le féminisme débute quand la femme cherche la résonance de
soi dans l’authen$cité d’une autre femme parce qu’elle comprend
que la seule façon de se retrouver soi-même est dans son espèce.
Non pas pour exclure l’homme, mais en se rendant compte que
l’exclusion que l’homme retourne contre elle exprime un
problème de l’homme, une frustra$on à lui, une incapacité à lui,
une habitude à lui de concevoir la femme en vue de son équilibre
patriarcal. »

(Rivolta Femminile, Milan, janvier 1972)


Remise en cause du modèle de développement « top down »
REMEDIATION

Sa@sfac@on des besoins


fondamentaux
(autonomie économique)

Renforcement du
pouvoir des
femmes Sa@sfac@on des besoins
stratégiques
(qui ont trait à l’établissement
de rela@ons égalitaires dans la
société)

Caren Grown et Gita Sen, 1987


: Que faire de la colère ?
CONCLUSION
Une émotion interdite aux femmes ?

Double standard

« Bien que le traditionnel stéréotype de la femme «pleureuse» et de l’homme


«stoïque» se soit adouci ces 20 dernières années (…) l’un des plus forts stéréotypes relatif
au genre continue à être corrélé aux émotions »
(Fivush et Buckner, « Gender, sadness and depression », 2000).
Hélène Pedneault, Apologie de la colère des femmes, 1999. En ligne

« La colère peut être stérilisante ; l’indigna=on, féconde » car l’indigna=on « ORGANISE la


colère, ORIENTE son feu, le documente, jeJe les cris inu=les aux vidanges, et donne du
souffle seulement aux colères qui sont facteurs de changement ».

Dans l’indigna=on, la colère s’addi=onne à celles des autres, devient collec=ve, devient
« u=le ».
Audre Lorde (1934-1992)
A écouter en ligne

The Uses of Anger : Women Responding to Racism

« Anger, used, does not destroy. Hatred does. »

Ecoute « It is not the anger of other women that will destroy us but our
refusals to stand still, to listen to its rhythms, to learn within it, to
move beyond the manner of presentation to the substance, to tap
that anger as an important source of empowerment »
Précision
« But the strength of women lies in differences between us
as creative, and in standing to those distortions which we
inherited without blame, but which are now ours to alter. Prise en
The angers of women can transform difference through compte des
insight into power. For anger between peers births change, différences
not destruction, and the discomfort and sense of loss it
often causes is not fatal, but a sign of growth. »

« I cannot hide my anger to spare you guilt, nor hurt


feelings, nor answering anger; for to do so insults and Refuser la
trivializes all our efforts. Guilt is not a response to anger; it culpabilité
is a response to one’s own acFons or lack of acFon. If it
leads to change then it can be useful, since it is then no
longer guilt but the beginning of knowledge. »
Susan Stryker (1961 - )
Professeure de Gender Studies à l’Université d’Arizona

Rage Survivre à la
Fureur queer binarité
transgenre

« Let yourself be angry that the price for visibility is the constant threat of
violence, anti-queer violence to which practically every segment of this society
contributes. Let yourself feel angry that there is no place in this country where
we are safe, no place where we are not targeted for hatred and attack, the self-
hatred, the suicide – of the closet »
Sara Ahmed (1969 – ) Philosophe australo-britannique

« Les rabat-joie féministes (et autres sujets obstinés ) »


Avec Oristelle Bonis, dans Cahiers du Genre 2012/2 (n° 53)

« to refuse the place in which you are placed is to be seen as causing


trouble, as making others uncomfortable. There is a poliScal struggle
about how we aTribute good and bad feelings, which hesitates around the
apparently simple quesSon of who introduces what feelings to whom. »
(The Promise of Happiness, Duke University Press, 2010)
Injonc(on à la
Tone policing
pédagogie
moyen de minimiser, d’invisibiliser
ou de déformer la parole d’une
minorité

Une tac(que de contrôle,


imposant des critères
d’acceptabilité prédéfinis par le
discours dominant

Vous aimerez peut-être aussi