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Garde à vue (F 1981) 1

Jerôme Martinaud – MARTINAUD. Polizeichef – DIVISIONNAIRE.


Antoine Gallien – GALLIEN. Polizist – POLICIER.
Marcel Belmond – BELMOND. Jabelin – JABELIN.
Chantal Martinaud – CHANTAL MART. Fils de Berthier – BERTHIER.
Adami – ADAMI. Mechaniker – MECHANICIEN.

BELMOND.
D'accord... marche quand il a le temps, ce
méchant...

–––––
(31 décembre. Nuit de la St.Sylvestre. 21
heures.)

JABELIN.
Bonjour.

ADAMI.
C'est à quel sujet?

JABELIN.
On m'a volé ma voiture.

ADAMI.
Ah, vous êtes le troisième! Et surement pas
le dernier.

JABELIN.
Les autres, je m'en fous. Qu'ils crèvent!

ADAMI.
Si j'en disais autant, on n'avancerait pas,
hein? Monsieur...?

JABELIN.
Jabelin. Jean-Marie Jabelin.

ADAMI.
Jabelin... Jean-Marie.

––––––

GALLIEN.
Bonsoir, maître. Je vous pris de m'excuser,
mais il y avait un tel trafic a Saint-Jean,
j'ai cru que je ne sortirerais jamais.

MARTINAUD.
Ça roule mieux?

GALLIEN.
Non. Et l'autre, où est-il passé?

MARTINAUD.
C'est chercher un café. Quand il est sorti
je lui ai dit de m'en rapporter un, je ne
suis pas sûr qu'il ait entendu. Il est un peu
comme vous, votre collegue, il n'écoute que
ce qui l'arrange.
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GALLIEN.
Ah non, alors là, vous êtes injuste. Je pas
seulement écoute á ce que vous me dites,
mais je note tout. Enfin, j'espère que tout
ça sera bientôt classé. – Mais qu'est-ce que
c'est que ça? – Vous avez marché sur la
table?

MARTINAUD.
Non, c'est l'autre, il a fallu qu'il...
Dites donc... Est plutôt un bel homme, votre
divisionnaire. On (dit) qu'il porte une
perruque.
C'est vrai?
J'ai l'air aigri, mais je n'ai pas reçu de
carton. La poste a dû le perdre...

GALLIEN.
Vous avez des regrets?

MARTINAUD.
Oui. C'est gentil, ces fêtes-là... Les
embrassades sous le gui, les dernières
histoires belges... ça permet aux dames
de sortir leurs bijoux, de danser avec leurs
amants et de les présenter à leur mari...
Vous êtes marié, M. l'inspecteur?

GALLIEN.
Oui, je l'ai été. 3 fois. Il parait que je
suis très chiant.
Mais je vous en prie, asseyez-vous, maître.
Vous savez, je ne sais pas pourquoi on vous
a dérangé un soir de réveillon... On voulait
simplement clarifier quelques points de
détails. Notamment cette histoire de chien,
là.
Mme Martinaud ne vous attend pas?

MARTINAUD.
Non, non... ma femme ne m'attend pas, non.

GALLIEN.
Bonsoir, Belmond.

BELMOND.
Tu le veux?

GALLIEN.
Et le café de M. Martinaud?

BELMOND.
C'est celui-là.

GALLIEN.
Si c'est le café de M. Martinaud, c'est le
café de M. Martinaud.

MARTINAUD.
Peut-être je n'en prenne pas, je suis déjà
énervé comme ça.
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Merci tout de même.

GALLIEN.
On s'apprêtait à parler
du chien, maître Martinaud et moi.

BELMOND.
Ah? Oui? Mais attendez...
quel chien?

MARTINAUD.
Je sens qu'on va atteindre
des sommets...

GALLIEN.
Je dois dire que, moi aussi,
cette histoire de chien... Enfin, je dois
bien lire ce qui est écrit. Voyons...
Voilà...
Le soir du 3, vous vous promeniez avec le
chien de vos voisins, les époux Brunet.
C'est bien ça?

MARTINAUD.
Oui, oui, c'est ça, c'est ça. C'est ça,
comme tous les soirs.
J'aime les chiens.

GALLIEN.
Alors, si vous les aimez les chiens,
pourquoi vous n'en avez pas à vous?

MARTINAUD.
Parce que ma femme ne les aime pas. Elle
préfère les chats.

BELMOND.
Vous avez un chat?

MARTINAUD.
Non, ça fait des saletés. Ma femme aimerait
un chat qui ne fait pas de saletés.

BELMOND.
Un chat, ça fait moins de saletés qu'un
chien.

MARTINAUD.
Ce que fait plus de saletés, c'est les
serins. Ma femme n'en voulait pas non plus,
mais j'ai tenu bon. Ça m'arrive parfois...
Eh oui, le serin, le chien des voisins...

GALLIEN.
Comment s'appelle-t-il?

MARTINAUD.
Brunet.

GALLIEN.
Non, le chien.
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MARTINAUD.
Tango.

GALLIEN.
Oui, tango, setter irlandais...
ça a du flair, ces chiens-là.

BELMOND.
Des chiens de chasse.

GALLIEN.
Ah, je comprends ce sont de sacrés chiens de
chasse!

MARTINAUD.
Ils sont des chiens de chasse si on les
enmène à la chasse...
Tango, ça sera plutôt un chien d'agrément.

BELMOND.
Tango, ça s'écrit
comme un tango?

MARTINAUD.
Oui. Comment voulez-vous que ça s'écrive?
Comme paso doble?

GALLIEN.
Dans toutes vos dépositions, vous dites:
"Quand j'ai découvert le corps."
Vous ne parlez jamais du chien.

MARTINAUD.
Et alors?

GALLIEN.
C'est le chien qui aurait dû
trouver le corps, normalement...
Ah non, attendez... au temps pour moi. Dire
que j'ai potassé le dossier toute la
soirée...

MARTINAUD.
Dans les embouteillages.

GALLIEN.
Ah non, vous avez raison, M. Brunet affirme
que vous n'étiez pas avec tango ce soir-là.
Il dit bien que vous avez l'habitude de vous
promenir avec, mais pas ce soir-là. Pas le
soir du 3.

MARTINAUD.
Il ne sait plus ce qu'il dit,
le père brunet. Il picole!

GALLIEN.
Moi, je veux bien, mais alors, Mme Faure,
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commerçante au numéro 12, ne sait plus ce


qu'elle dit, Espéru Marcel au 19, même
chose...
Vous êtes le seul à savoir ce que
vous dites dans le quartier... Qu'est-ce que
je dois croire, moi?

MARTINAUD.
Eux.

GALLIEN.
Vous savez, maître, moi, je n'ai rien contre
vous. Aucune animosité. Je dirais même aucun
sentiment. Parce que si en plus je devais
cultiver des sentiments envers tous ceux qui
défilent dans ce bureau...

MARTINAUD.
Disons tout de même un certain acharnement.

GALLIEN.
M. Martinaud, deux petites filles ont été
violées et tuées à 8 jours d'intervalle, et
je veux savoir par qui. Alors, vous ou un
autre, je vous jure ça m'est complètement
égal.

MARTINAUD.
Ne dites pas ça. C'est pas vrai.

GALLIEN.
Ah, si.

MARTINAUD.
C'est pas vrai! Un raton ou un nègre violant
les petites filles, c'est une affaire
quelconque...
Par contre, si c'est moi, maître Martinaud,
notaire, alas, c'est inespéré dans une
carrière de flic. Hein?
Les journaux, les interviews, la télé, si
tout va bien...
c'est pas vrai, ça? Avouez...

GALLIEN.

Ècoutez, nous ne voulons pas renverser les


rôles. Bon, d'accord, admettons que je sois
dévoré d'ambition, mais alors, les époux
Brunet, Mme Faure et M. Espérou, pourquoi
vous accableraient-ils?

MARTINAUD.
Parce que je suis riche, que j'ai une belle
maison - et une jolie femme. Or, il se
trouve que je ne mérite rien de tout ça.
J'ai une intelligence et un physique très
moyen. Les médiocres se résignent à la
réussite des êtres d'exception. Ils
applaudissent les surdoués, les champions,
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mais la réussite d'un des leurs, ça les


exaspère. Elle les frappe
comme une injustice...
Je suis sur que vous avez reçu des lettres
anonymes...

GALLIEN.
Oh, pas plus que d'habitude.
Non... non, enfin, pas beaucoup plus...
Les français aiment bien écrire
à la police, que voulez-vous j'y fasse?
Oui, j'ai reçu des tas de lettres. Il est
question de fraude fiscale, plein de choses
comme ça... Plus deux viols, naturellement.
Même certaines de ces lettres vont jusqu'à
suggérer que votre femme en aurait
été l'instigatrice. Pour d'autres,
simple spectatrice.
Par contre, voyez-vous, dans aucune de ces
lettres on ne fait état de votre médiocrité.
De bizarrerie, oui, mais pas de médiocrité.

BELMOND.
De toute façon, deux témoins affirment
ensemble que le chien n'était pas avec vous
le 3.

MARTINAUD.
Non, non.

GALLIEN.
Comment, non?

MARTINAUD.
Permettez...
Ils ne disent pas qu'il n'y avait pas de
chien. Ils disent qu'ils ne l'ont pas
remarqué. C'est souligné.

GALLIEN.
Belmond, viens voir une seconde.
C'est quoi, cette embrouille?
Il a raison, maître Martinaud, ils ne disent
pas que le chien n'était pas là, ils disent
ne pas l'avoir remarqué.

MARTINAUD.
Et alors, ce n'est pas pareil?

GALLIEN.
Ah non. Non, ce n'est pas pareil du tout,
non.

BELMOND.
Ils disent
qu'ils n'ont pas remarqué.
Ça veut dire qu'il n'était pas là
ou qu'il y était, non?

MARTINAUD.
Excusez-moi... ça change quoi?
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BELMOND.
Si le chien était avec vous, c'est lui
qui aurait dû découvrir le corps.

MARTINAUD.
Je vous repète ça change quoi?

GALLIEN.
Ah oui, c'est vrai, ça change quoi? Ce n'est
même pas le chien qui nous a téléphoné, non?

MARTINAUD.
Je n'ai pas soufflé... Dites, M.
L'inspecteur, quand votre collegue m'a
convoqué, m'a parlé d'un petit détour, d'un
petit crochet par chez vous. Ça fait une
heure que je suis là! Personne ne s'est
demandé si j'avais autre chose à faire, et
pourtant, j'ai. Enfin, j'ai... j'avais.

GALLIEN.
Oui, vous avez raison, maître,
malheureusement j'ai peur que les choses ne
durent un peu plus longtemps que prévu.
D'ailleurs, si vous voulez appeler chez
vous, je vous en pris. Faites d'abord le
zéro pour avoir le standard.
Tu viens, Belmond?

–––––––––––

GALLIEN.
Tiens, mercier.

BELMOND.
On va où maintenant? Hein? Parce que merci
pour le truc:
"Viens voir, Belmond, ce n'est pas ça qui
est écrit" – Tu veux me faire passer
pour un charlot, quoi?

GALLIEN.
Tu as de la monnaie?

BELMOND.
Qu'est-ce que tu me veux avec ton histoire
de chien? A mon avis, l'histoire de chien ne
tient pas debout.

GALLIEN.
Un notaire qui accepte de passer son
réveillon chez les poulets, ça ne tient pas
debout non plus. Rien ne tient debout.

BELMOND.
Pour toi il est coupable ou est-il pas
coupable?

GALLIEN.
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Quand je lis le dossier, oui, mais quand je


suis devant lui, je suis moins sûr.

MARTINAUD.
Excusez-moi, Messieurs,
mais vous pouvez revenir. Ça ne répond pas
chez moi... Vous pouvez... vous pouvez
revenir.

–––––––––––––

GALLIEN.
Non, merci, j'ai mon poison personnel. Si
vous avez soif, il y a un distributeur dans
le couloir.

BELMOND.
C'est l'inspecteur Belmond qui a les
pièces...

GALLIEN.
La petite Geneviève Lebailly, vous la
connaissiez un peu – ou très bien?

MARTINAUD.
Elle avait 8 ans, j'en ai 50.
Un homme de mon âge ne peut pas bien
connaître une gosse de 8 ans.

GALLIEN.
D'après les gens du quartier,
c'était une enfant très enjouée, très
spontanée, non?

MARTINAUD.
Rieuse, oui.
Pas sauvage pour un sou.

GALLIEN.
Qui aurait suivi
n'importe qui...

MARTINAUD.
C'est ça, qui aurait suivi
n'importe qui, de... de préférence un
notaire.

GALLIEN.
Non, non, je ne dis pas ça.

MARTINAUD.
Non, non, non. Non, vous ne le dites pas,
non.

BELMOND.
Bon alors, qu'est-ce que je tape, moi?

GALLIEN.
Tu tapes, "Pas sauvage
pour un sou".
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MARTINAUD.
Non, non, non, vous tapez tout! Les
questions et les réponses! Ils sont
tellement ignobles vos questions, quand vous
en avez honte! C'est pas vrai? Alors à
partir de maintenant, j'exige que tout soit
consigné!
Ça vous fera peut-être changer de ton!

GALLIEN.
Bon, d'accord.
Alors, âge, profession, situation de
famille?

MARTINAUD.
Merde, alors!

GALLIEN.
Nom, prénom, profession, Martinaud?

MARTINAUD.
On me l'a déjà demandé 20 fois!

GALLIEN.
Mais pourtant c'est moi qui vous le demande!
C'est que vous voulez qu'on tape tous les
demandes et les réponses, alors, j'attends
les réponses! Vous vous appelez Martinaud –

MARTINAUD.
Oui.

GALLIEN.
Jérôme.

MARTINAUD.
Oui. Jérôme Charles Emile.

GALLIEN.
Notaire, 43 Boulevard de Lattre, Jobourg,
Manche?

MARTINAUD.
Oui.

GALLIEN.
Vous êtes marié?

MARTINAUD.
Oui.

GALLIEN.
Sans enfant?

MARTINAUD.
Oui. Sans enfant.

GALLIEN.
Pourquoi? Ça fait des saletés?

MARTINAUD.
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Je n'ai pas d'enfant parce que ma... parce


que ma femme ne peut pas en avoir.

GALLIEN.
Elle ne peut pas ou ne veut pas?

(J;)
Oh, à partir d'un moment, où elle ne peut
pas...

GALLIEN.
Vous pourriez en adopter. Vous promenez bien
le chien des autres!

MARTINAUD.
Ça c'est d'un tacte, d'une élégance...

GALLIEN.
Et ça, bordel de merde, ça, c'est élégant,
ça?
Quand les gendarmes sont arrivés au lieu, la
petite Geneviève Lebailly était comme ça, à
plat ventre. Elle était à plat ventre et
vous l'avez reconnue...

MARTINAUD.
Oui, à son survêtement, à ses cheveux, je ne
sais plus. C'est bien des questions de flic,
hein? Comme si on ne reconnaissait pas, même
de dos, quelqu'un qu'on a vu 100 fois!

GALLIEN.
Mais oui...

MARTINAUD.
Et il m'arrive, c'est même à cause du
survêtement que je me suis suivi que l'était
mercredi! La petite allait au stade tous les
mercredis.
Attendez, attendez...
Le mercredi 3... il a raison, le père
Brunet, il n'a pas pu remarquer le chien, il
était déjà dehors, il jouait sur le terrain.
Oui, oui... je l'ai appelé.
Je l'ai appelé.

GALLIEN.
Et il vous a suivi.

MARTINAUD.
Ah oui, bien sûr!

BELMOND.
Pas con, Tango, hein?

GALLIEN.
Je pense bien qu'il n'est pas con.
Dites-moi, Martinaud, franchement, est-ce
que vous savez pourquoi vous êtes là?
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C'est ça, oui. Vous êtes là parce que vous


êtes soupçonné. C'est comme ça, de témoin,
vous êtes devenu suspect. De fil en
aiguille...
Il y a eu quelque part comme un... comme un
glissement, voyez-vous. Et en suis sûr que ça
ne vous a pas échappé.

MARTINAUD.
Pas vraiment. C'est la raison
du glissement qui m'échappe.

GALLIEN.
Deux petites filles
ont été tuées, maître. Deux enfants.
La première le 25 novembre sur la plage de
Saint-Clément - et la seconde le 3 décembre
sur le terrain communal de Jobourg, à deux
pas de chez vous. Or, il se trouve que,
malheureusement pour vous, le jour du
premier meurtre vous êtes dans le secteur,
et que le soir du second vous êtes à pied
d'oeuvre, puisque c'est vous qui découvrez
le corps.

MARTINAUD.
Et qui préviens la police.

GALLIEN.
Vous savez, maître, les murs de cette pièce
ne suffiraient pas à graver le nom de tous
les assassins qui ont, soi-disant, découvert
le corps de leur victime.
D'ailleurs, à y réfléchir, c'est normal, car
ce sont les premiers informés.

MARTINAUD.
Vous avez une interprétation très
personnelle du devoir
civique, M. l'inspecteur. Je ne me souviens
plus qui a dit...

GALLIEN.
Vous ne vous souvenez pas de grandchose.

MARTINAUD.
..."On n'est plus
en sécurité dès qu'on passe dans un
commissariat." Avec vous, composer le numéro
de la police donne déjà la chair de poule.

GALLIEN.
Bon alors, si vous voulez bien, laissons de
côté provisoirement ce coup de téléphone et
voyons...

MARTINAUD.
Pourquoi? Pourquoi? Le préposé a
formellement authentifié ma voix.

GALLIEN.
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C'est exact.

MARTINAUD.
Je remarque pour une fois qu'un témoignage
m'est favorable, on passe à autre chose,
c'est tout.

BELMOND.
L'inspecteur a dit "Provisoirement".

GALLIEN.
Merci, Belmond.

MARTINAUD.
Bon... très bien. Et maintenant, on va
parler de quoi? De chiens? D'oiseaux?

GALLIEN.
Du premier meurtre,
si vous le voulez bien. Saint-Clément. Les
dunes de Saint-Clément... Ce n'est pas
vieux, ça remonte à six semaines. Le matin
du 25 novembre, un mardi, la plage côté sud,
on découvre le cadavre d'une enfant, Pauline
Valera, 8 ans. Violée, assassinée...
strangulation.
Ça a dû se passer dans le blockhaus, elle a
couru et le tueur l'a rattrapée sur la
plage.
Le même jour, on retrouve votre voiture en
station irrégulier sur le port, à moins d'un
km des dunes.
Elle avait dû y rester toute la nuit, des
gendarmes ayant relevé le numéro à 7h 15 ou
7h 20: En effet, le montres du gendarme
Berger et de l'autre différaient de quelques
minutes – j'éspère vous n'allez pas chicaner
là-dessus?

MARTINAUD.
Je ne dis rien.

GALLIEN.
On retrouve le corps
de la petite une demi heure plus tard.

MARTINAUD.
On avait remis
les montres à l'heure?

BELMOND.
Antoine, me dis ce que me retient de
lui envoyer la bécane à la gueule.

GALLIEN.
C'est le règlement, Belmond.
Tout simplement le règlement. J'avoue,
maître, que s'il n'y avait pas ce putain de
règlement...

MARTINAUD.
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Mais vous m'avez déjà interrogé là-dessus


100 fois, j'ai répondu 100 fois. Alors,
puisqu'on n'est pas à Scotland Yard,
permettez-moi de vous dire, Messieurs, que
vous commencez à me faire chier!

GALLIEN.
Ce n'est pas indispensable d'enregistrer
cette parenthèse...

MARTINAUD.
Peut-être pas.

BELMOND.
Moi, c'est comme on veut.

GALLIEN.
Votre voiture était sur le port. Bon. Mais
vous, pendant ce temps-là, vous étiez où?

MARTINAUD.
Au bistrot, chez ma soeur ou au bistrot, je
ne me rappelle plus.

GALLIEN.
C'est vrai oui, j'oubliais le bistrot. Votre
soeur, le bistrot, eh... Malheureusement, le
patron du bistrot ne se souvient pas de vous
avoir vu. Pas du tout.
Quant à la visite chez votre soeur malade...
La vésicule, oui... Vous connaissez la
formule: "Vous n'êtes ni parent ni allié
avec l'accusé" – même si on enlève le mot
accusé, le contexte familial...

MARTINAUD.
Si son témoignage est
irrecevable, pourquoi est-ce que l'autre...

BELMOND.
Parce que je suis flic, moi!

MARTINAUD.
Pourquoi avoir harcelée ma soeur avant
qu'elle ne passe sur le billard? Ce qui
entre nous: c'est extrèmement délicat...

BELMOND.
Elle n'a pas l'air d'être au mieux avec
vous, votre soeur. Avant vous debarquais à
Saint-Clément, vous ne vous étiez pas vus
depuis une paye, c'est vrai, ça.

MARTINAUD.
On se voit moins depuis son mariage, c'est
normal. Mais qu'est-ce que le mariage de
Jeanine a faire avec l'histoire de la petite
Valéra?

GALLIEN.
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Ah, ça... l'inspecteur Belmond a surement


son idée?

BELMOND.
Votre soeur a épousé un artiste peintre?

MARTINAUD.
Un peintre, oui.

BELMOND.
Un certain van K...

GALLIEN.
Van Kenpen. Joss Van Kenpen. Il peint des
trucs pas mal, d'ailleurs.

MARTINAUD.
Bien sûr vous connaissez la peinture de
Joss?

GALLIEN.
Oh, quelques toiles, comme ça...

BELMOND.
C'est quand même à cause de ce van Kenpen
que vous ne voyez plus votre soeur – je veux
dire jusqu'à cette visite à Saint-Clément.

MARTINAUD.
M'arrive de la voir en cachette.

GALLIEN.
Cachette de son mari?

MARTINAUD.
Non!

GALLIEN.
C'est vrai, votre femme ne vous a pas
accompagné à Saint-Clément. Elle devait
certainement avoir quelque chose d'autre à
faire ce jour-là?

MARTINAUD.
Ma soeur et elle
ne s'apprécient pas beaucoup.

GALLIEN.
Vous voulez dire pas du tout?

MARTINAUD.
C'est compliqué.
C'est très compliqué.
Au début, ça allait, ça allait très bien.
Elles allaient au cinéma, dans les
expositions... Je crois même qu'elles
s'entendait plutôt bien et puis – et puis,
Joss a commencé à vendre pas mal de
tableaux. Et alors là, à partir de là...
Comment dire?
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GALLIEN.
Votre femme a été jalouse de votre soeur.

BELMOND.
Elle s'envoyait le peintre.

MARTINAUD.
J'ai l'impression que ma femme pensait que
c'est le genre(?) qu'elle aurait du épousé.

GALLIEN.
Un artiste plutôt qu'un notable.

MARTINAUD.
C'est ça, quelqu'un dont on parle.

GALLIEN.
On va peut-être bientôt parler beaucoup de
vous, maître Martinaud.
Dites-moi, c'est après ou avant la visite à
votre soeur que vous êtes allé dans ce
bistrot?

MARTINAUD.
Après. J'avais trouvé Jeanine amaigrie, très
fatiguée, et j'étais bouleversé. Je suis
allé boire un verre et... je n'ai pas fait
attention, j'ai garé ma voiture au mauvais
endroit.

GALLIEN.
Et au mauvais moment.
Et vous êtes resté combien de temps dans le
bistrot?

MARTINAUD.
Je n'ai pas fait attention!
A peine 1 h...

GALLIEN.
Et après?

MARTINAUD.
Apres, je suis retourné chez ma soeur.

GALLIEN.
Directement?

MARTINAUD.
Presque.

GALLIEN.
Presque... Mais pas tout de suite,
Martinaud. Pas tout de suite. Vous avez
d'abord fait un tour du côté du phare.
Il est splendide, le phare de Saint-Clément,
non?

MARTINAUD.
Oui, en effet, j'ai fait un saut jusqu'au
phare.
Garde à vue (F 1981) 16

GALLIEN.
Pour prendre l'air?

MARTINAUD.
Vous venez de dire vous même que le phare
est splendide, je suis allé voir le phare.
Il y a bien des gens qui viennent de
Paris...

GALLIEN.
D'accord, d'accord. Bon. Vous avez vu le
phare, et après?

MARTINAUD.
Après? Que vouliez-vous que je fasse? Je
vous l'ai dit! Ma voiture était sur le port,
je suis retourné chez ma soeur. 12 Rue des
Lorientais.

GALLIEN.
Par la plage?

MARTINAUD.
Par la plage?

GALLIEN.
Oui. Parce que pour retourner à pied du
phare à la rue des Lorientais, il faut
obligatoirement longer la plage.

MARTINAUD.
Oui, ça me parait évident.

GALLIEN.
Ce qui est moins évident, c'est
le corps de Pauline Valera, maître. Celui
qui a fait ça est forcement passé par la
plage... Il est forcement passé par la
plage, comme le coupable du viol de la
petite Geneviève Lebailly, lui est
forcément...

MARTINAUD.
Pourquoi "celui qui a fait ça", ou "le
coupable", "l'assassin"? Donnez lui un nom,
à ce fantôme: dites "Maître Martinaud,
notaire", parce que vous en êtes persuadé.

GALLIEN.
Pas tout à fait, Martinaud. Pas tout à
fait... C'est pour ça que vous êtes
encore là, d'ailleurs.

MARTINAUD.
Je suis là parce que je le veux bien, parce
que l'autre m'a demandé de venir.
Maintenant, je m'en vais!

GALLIEN.
Rasseyez-vous, maître. Vous ne partez pas.
Garde à vue (F 1981) 17

MARTINAUD.
Pardon? Comment ça, je ne pars pas? Ah oui,
mais alors là, attention, mes bons amis!
Parce que vous n'avez plus tellement de
possibilités! C'est la relaxe pure et
simple, ou la garde à vue - ou vous me
déferez au parquet.

GALLIEN.
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais
j'aimerais assez la garde à vue.

(Abblende)

BELMOND.
Vous pouvez passer
un coup de fil.

MARTINAUD.
A qui?

GALLIEN.
A qui vous voulez. A votre avocat, par
exemple. Vous avez le droit de l'appeler,
mais il ne pourra pas venir. C'est comme ça.

MARTINAUD.
Je n'ai pas d'avocat.
Plus exactement, je n'en ai plus. Une
histoire de 3 piques contrés et chutés...

GALLIEN.
Demain, si vous êtes déféré au juge
d'instruction, il vous faudra un avocat.
Maître Kellman, qui a plaidé mon divorce,
est très brillant. J'ai perdu... mais
brillant. Si vous voulez la perpétuité, j'ai
son téléphone.
Ou alors, l'inspecteur Belmond va vous
soumettre une liste.

BELMOND.
Vous devez en connaître. Il y a
même un chinois, si ça vous tente.

MARTINAUD.
J'en ai déjà un. Mon acupuncteur.

GALLIEN.
J'aimerais que vous sortiez libre de ce
bureau, Martinaud. Je ne sais pas pourquoi.
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MARTINAUD.
Moi, je sais. C'est parce que
je vous fais rire.

GALLIEN.
Il peut vous arriver de m'agacer, de me
surprendre, et même de me séduire, oui,
pourquoi pas.
Mais tant que j'aurai l'idée dans ma tête
que vous avez tué deux enfants, vous n'avez
aucune chance de me faire rire, Martinaud.

BELMOND.
Ceux en rouge sont ceux qui répondent la
nuit.

MARTINAUD.
Prenez une épingle, fermezles yeux et piquez
au hasard.

BELMOND.
Ce n'est peut-être pas votre intérêt...

GALLIEN.
Rappelez chez vous, ça répondra peut-être.

MARTINAUD.
Non.

GALLIEN.
C'est bien normal?

MARTINAUD.
Et vous, vous êtes normal? Passer la nuit de
réveillon à parler de viol, de meurtre...
Occupez-vous de vos affaires. Je suis assez
grand pour appeler ma femme si j'en ai
envie.

GALLIEN.
Henri?
Merci, a toi aussi. Bonne année.
Est-ce que quelqu'un a appelé à Jobourg du
24, tout a l'heure?
Oui... j'attends... 22-71-10.
Merci, Henri.
Je vais vous demander de bien vouloir vider
vos poches.

MARTINAUD.
Euh... non... ça ne va pas?

BELMOND.
Complètement... tout sur la table.

GALLIEN.
Vous pouvez vous rasseoir, maître.
Toi aussi, Belmond.
C'est votre femme?
Je ne la voyais pas comme ça.
Garde à vue (F 1981) 19

MARTINAUD.
Moi non plus.
C'est dommage... c'est vraiment dommage que
vous ne soyez pas venu au Boulevard de
Lattre. Vous auriez peut-être compris.

BELMOND.
J'etais chez vous, moi!

MARTINAUD.
Oui, mais vous, vous n'avez rien compris.
Essayez de vous rappeler - la topographie
des lieux, comme on dit chez vous.

BELMOND.
En bas, il y a le...

MARTINAUD.
Non, en haut. Ce qui est instructif, c'est
le haut.

BELMOND.
Je n'ai rien vu de passionnant!

GALLIEN.
Il n'a pas dit passionnant, mais instructif.

MARTINAUD.
Merci.

BELMOND.
En haut de l'escalier, il y a un couloir.

MARTINAUD.
Oui.

BELMOND.
Un long couloir.

MARTINAUD.
15 m!

BELMOND.
Possible...

MARTINAUD.
Certain!

BELMOND.
Trois chambres, si je me souviens, deux
grandes et une petite.

MARTINAUD.
La chambre des enfants, la chambre d'ami et
la nôtre. La chambre des enfants est restée
vide, la chambre d'ami est devenue la
chambre de ma femme, et la nôtre est devenue
la mienne. Entre ces deux chambres, un
couloir de 15 mètres.
Beaucoup de choses peuvent séparer un
couple: L'adultère, la maladie, la mort...
Garde à vue (F 1981) 20

moi, je suis séparé de ma femme par un


couloir. Un couloir de 15 mètres.
Simplement... simplement, enfin, un désert
de 15 mètres. Et au bout de ce désert, une
porte fermée a clé. Vous ne savez
certainement pas ce que c'est de frapper à
une porte qui ne s'ouvre pas, M.
l'inspecteur...

BELMOND.
[Je tape?]
Un autre café?

GALLIEN.
Oui.

MARTINAUD.
Cette fois, je peux avoir un café, cette
fois, non?
...
Je peux bouger, moi aussi?
Ah! Epatant! Vraiment très amusant!
"Un autre café?"
Ne me faites pas le coup de la conversation
entre 4 yeux! Vous me prenez vraiment pour
un con!

GALLIEN.
Au contraire, je vous crois très
intelligent, Martinaud. Un embrouilleur de
1er ordre! Je vous interroge sur deux
petites filles violées, etranglées, et la
conversation dévie sur votre femme, sur un
couloir, sur une porte... pourqoui pas...
Seulement, maintenant que vous m'avez mené à
cette porte, il va falloir l'ouvrir. Je veux
savoir ce qu'il y a derrière, moi.

MARTINAUD.
Vous le savez très bien.

GALLIEN.
Vous ne préférez pas le dire
avec des mots a vous?

MARTINAUD.
Je les ai retournés dans ma tète des nuits
et des nuits, les mots. Ne vous gênez pas...

GALLIEN.
D'accord. Alors, je vais vous dire ce qu'il
y a derrière cette porte. Il y a Mme
Martinaud, Chantal Martinaud. qui vous
refuse son lit. Et depuis combien de temps,
ça? Des mois? Des années? Peut-être depuis
le début?

MARTINAUD.
Ah... tout de même pas!

GALLIEN.
Garde à vue (F 1981) 21

Alors, quand?

MARTINAUD.
En plein milieu de notre voyage de noces.
Qu'est-ce que vous dites de ça, mon petit
père? L'originalité de nos rapports sexuels,
c'est qu'ils se sont déglingués presque tout
de suite. 5 ou 6 semaines de folle passion –
on se cachait dans les auberges, c'était
amusant - et tellement nouveau pour moi.
L'impression de vivre en marge. Oui, de
faire des cochonneries. De faire des
cochonneries auxquelles je pensais le
lendemain à mon étude en recevant mes
clients. Jusqu'au jour où Chantal m'a
demandé ma main. Oh, moi, je n'osais même
pas y penser... Alors bon, c'est elle...

GALLIEN.
...qui a décidé.

MARTINAUD.
Oh, vous ne la connaissez pas. Ce n'est
jamais aussi direct. Toujours en spirale...

GALLIEN.
Et alors?

MARTINAUD.
Alors, mariage... Venise... Hôtel
D'Agnelli... C'est là que tout s'est
détraqué. La jeune mariée a commencé à avoir
des migraines à répétition, elle s'est mise
à trouver que j'avais des idées fixes. Ma
soi-disant perversité l'étonnait, parait-
il... Mais l'étonnement n'a pas duré
longtemps. Il y a eu le dégout, la
répugnance... ça s'est gangrené tout
doucement. Bref, quand je suis rentré
Boulevard de Lattre, je me suis retrouvé au
fond du couloir avec ma brosse à dents. Vous
voyez ça...

GALLIEN.
Je vois, oui.

MARTINAUD.
Qu'est-ce que voyez-vous? Qu'est-ce que
voyez vous, M. Gallien? Rien, rien de rien!
Et vous savez pourquoi? Parce que vous
poursuivez votre histoire pendant que je
vous en raconte une autre!

GALLIEN.
Oui, mais ce n'est pas pour l'autre que vous
êtes là. Je m'en fous complètement des
migraines de Mme Martinaud, de vos brosses à
dents, de maître Martinaud à poil dans le
couloir!
Ce que je vois, c'est un couloir plus long,
plus noir, avec Pauline Valera et Geneviève
Garde à vue (F 1981) 22

Lebailly au bout! Et je veux que ce couloir


m'amené aux plages de Saint-Clément, je veux
que ce couloir m'amené au terrain communal
de Jobourg – et je veux que ce couloir
m'amène à l'assassin.

MARTINAUD.
Inspecteur, je vais vous dire une bonne
chose. Si j'avais le courage de tuer, ce
n'est pas les petites filles que je
choisirais. Oh, non!... Vous n'avez jamais
eu envie de tuer quelqu'un, vous?

GALLIEN.
L'inspecteur Belmond peut-être quelquefois,
oui...

MARTINAUD.
Une de vos 3 femmes, jamais?

GALLIEN.
La première, peut-être... et encore, pas
sérieusement, non. Elle faisait des bouquets
admirables. On ne tue pas une femme qui aime
les fleurs.

MARTINAUD.
Je ne vois pas bien pourquoi...

BELMOND.
Tiens, Tintin! Où ça en est?

GALLIEN.
On progresse, on progresse...
Écoutez, Martinaud, tout le monde a sommeil,
tachons de faire vite. Allons-y, allez.
Bon! Alors... On a découvert le corps de la
petite Valera à 8 h. Et, d'après le légiste,
la mort remontait à 5 h environ. Donc, ça
nous fait du 3 h du matin. Mais... vous
étiez encore en train d'admirer le phare à 3
heures?

MARTINAUD.
Vous me voyez à 3 h du matin
au pied d'un phare?

GALLIEN.
Non, mais j'aimerais autant que quelqu'un
vous y ait vu. Votre soeur ne sait plus
quand vous êtes rentré...

MARTINAUD.
Moi non plus! On ne fait pas
forcement attention à ça!

GALLIEN.
Dites-moi, pendant votre balade là, le phare
a fonctionné, il était allumé?

MARTINAUD.
Garde à vue (F 1981) 23

Evidemment! Sinon, je ne l'aurais pas vu! Il


y avait un putain de brouillard...

GALLIEN.
...à ne pas mettre un notaire dehors...

MARTINAUD.
Oui... pourtant pas.

GALLIEN.
Pourtant, vous étiez dehors, et vous n'avez
rencontré personne?

MARTINAUD.
Non, monsieur.

GALLIEN.
Vous n'avez rien entendu?

MARTINAUD.
Si. Juste le ressac.

GALLIEN.
Ah, le ressac...
Rien d'autre?

MARTINAUD.
Non.

GALLIEN.
Pas de voix? Personne?...

MARTINAUD.
Je ne me le rappelle pas.

GALLIEN.
Vous voulez que je vous croie?

MARTINAUD.
Je m'en fous!

BELMOND.
Oh! Je ne suis pas une rotative, moi!

GALLIEN.
Donc, en somme, vous n'avez rien vu, rien
entendu.

MARTINAUD.
Si! Un vacarme extraordinaire! Un poivrot,
quelque part, qui voulait reconquérir
l'Algérie. Le ressac, le bruit de la mer...

BELMOND.
Et les mouettes...

MARTINAUD.
Non!

BELMOND.
Pourquoi pas les mouettes?
Garde à vue (F 1981) 24

MARTINAUD.
Parce qu'à cette heure-là, les mouettes,
elles dorment!

GALLIEN.
Entre le moment où personne
ne vous a vu rentrer et celui où personne ne
vous a vu sortir, du temps s'est écoulé.
Combien? Une heure? Demi heure?...

MARTINAUD.
A peu près.

GALLIEN.
Le temps nécessaire pour violer et étrangler
Pauline Valera.

BELMOND.
Bander par un froid pareil, il faut le
faire!

MARTINAUD.
Cette remarque est frappée au coin du bon
sens. A verser au dossier de la défense!
C'est très très amusant! Je vous promets que
le jour de la reconstitution...

BELMOND.
On tirera l'affaire au clair!

MARTINAUD.
Vraiment très drôle!...

GALLIEN.
Tu n'as pas bientôt fini?

BELMOND.
Hein?

GALLIEN.
Je te demande si tu as fini, espèce de con!
Bon, je crois que tu as bien fait de parler
de la météo, tu vois. Merci, Belmond.
Indépendamment de la parenthèse
physiologique de l'inspecteur Belmond,
tellement plaisante je conviens...

MARTINAUD.
Non, non, excellente!
Vraiment excellente!... hein?

GALLIEN.
N'est-ce pas incroyable de trainer la nuit
par un tel temps?

MARTINAUD.
C'est encore plus incroyable de la part
d'une enfant de 8 ans. Il fallait bien
qu'elle soit là pour que je la tue... non?
Garde à vue (F 1981) 25

Vous auriez pas, s'il vous plait, une


cigarette, M. L'inspecteur?

GALLIEN.
Non.

MARTINAUD.
Vous n'êtes pas très beau joueur...

GALLIEN.
Mais je ne joue pas, moi, M. Martinaud. Mes
questions ne vous feront pas gagner un
paquet de lessive ou un voyage sur Air
Inter. Elles risquent de vous boucler pour
le reste de votre vie, en taule ou chez les
dingues. Je répète pour la troisième fois:
Vous n'avez rien entendu alors que vous
étiez près du phare?
Oui?
Mais entrez, mon dieu!

ADAMI.
Pardon de vous déranger. Tu peux venir?

GALLIEN.
Veuillez m'excuser un instant.
Faites comme chez vous.

MARTINAUD.
On ne va quand même pas
en rester là ...

ADAMI.
Prends ton imper,
c'est le patron.

MARTINAUD.
Dites, inspecteur...
Que vouliez-vous que j'entende près de ce
putain de phare?

GALLIEN.
La corne de brume, M. Martinaud. La corne de
brume.

MARTINAUD.
Il biche, votre chef, dites-moi. C'est bien
la première fois! Parce qu'avec le chien, il
n'est pas allé loin. Avec la petite Valera
dehors à 3 h du matin, il n'a pas fait un
triomphe non plus! Par contre, la corne de
brume, alors, là... chapeau, M.
l'inspecteur!
Enfin – provisoirement.

––––––––––––––

DIVISIONNAIRE.
Comment expliquez-vous ça? Ça a l'apparence
et la couleur du caviar, pourquoi ça n'en
serait pas?
Garde à vue (F 1981) 26

S'il vous plait...


Excusez-moi.
Bonsoir, Gallien.

GALLIEN.
Bonsoir, monsieur.

DIVISIONNAIRE.
Vous voulez boire un verre, grignoter
quelque chose?

GALLIEN.
Je suppose que vous ne m'avez amené pour ça,
M. le divisionnaire...

DIVISIONNAIRE.
Non, bien sûr. Ça fait 3 heures que vous le
tenez là-haut!

GALLIEN.
Tenir, tenir est un bien grand mot. J'ai
affaire à une anguille!

DIVISIONNAIRE.
J'ai remarqué que la plupart des maniaques
sexuels sont intellectuellement très au-
dessus de la moyenne. Sinon, où iraient-ils
chercher tout ça?

––––––––––––––

MARTINAUD.
Dites... ce sont les insignes de la
police... Vous avez le macaron de la police
des frontières?

BELMOND.
"Il fallait bien que Pauline Valera soit
dehors pour que je la tue"... Je me suis
arrêté de taper à quel moment?

MARTINAUD.
Quand il vous a traité de con.

BELMOND.
Je vous admire, Martinaud. Si... on vous
parle de petites filles violées et
étranglées, et vous gardez le sens de
l'humour.

MARTINAUD.
Etranglées et violées.

BELMOND.
J'ai dit quoi?

MARTINAUD.
Vous dites: "Violées et étranglées". Si vous
dites "Violées et étranglées", je réponds
non. Par contre, si vous dites "Etranglé et
Garde à vue (F 1981) 27

violées", alors là, je réponds oui. Enfin,


oui... peut-être. Il faut faire attention.
Avec moi ce n'est pas d'importance, mais les
questions, il faut les poser dans le bon
ordre, M. Belmond.
Sinon...
Comment?
On ferme?

BELMOND.
Si ça se trouve, c'est la môme qui vous a
embarqué derrière les dunes... C'est vrai,
ce sont de drôles de petites salopes
maintenant! Plus tard, ça devient des
grandes salopes, et encore plus tard, des
vieilles salopes...

MARTINAUD.
Vous êtes obsédé, vous, avec les salopes.

BELMOND.
Ce ne sont pas elles qui m'intéressent. Mais
plutôt comment vous vous y prenez. Les
vieilles, pas de problème, mais les
jeunettes, ca court vite! Racontez-moi...
Allez, dites-moi! Comment vous faites?
Vous les touchez, comme ça?
Non?...
C'est comme ça? "Comment tu t'appelles, mon
petit chat?"
"Pauline... "
"Oh, Pauline... "
"C'est gentil, ça... c'est trognon!"

MARTINAUD.
Vous me faites mal!

BELMOND.
Toi aussi, tu leur fais mal! Toi aussi!...

MARTINAUD.
Vous êtes dingue!

BELMOND.
C'est qui, le dingue?!

––––––––––––––––

DIVISIONNAIRE.
Ne le bousculez pas trop. N'utilisez la
garde à vue qu'en dernier recours.

GALLIEN.
Dites donc, le crincrin, il est pire que
l'année dernière!

DIVISIONNAIRE.
Ne me dites pas qu'il est déjà en garde à
vue?
Garde à vue (F 1981) 28

GALLIEN.
Eh bien, si. Depuis
une heure et demi.

DIVISIONNAIRE.
Oh là là ...

GALLIEN.
"Oh là là ", oui, je sais bien...
mais sinon, il foutait le camp!

–––––––––––––––

BELMOND.
Tu les as tuées toutes les deux, ordure?

MARTINAUD.
Attendez que l'autre revienne.

BELMOND.
C'est ça que tu leur as fait?
Ou ça, non?
Mais où tu vas?
Hein? Les petites filles... salaud!
Les petits culs... fumier!
Je vais t'arranger, moi!

MARTINAUD.
Oh!

POLICIER.
Il n'est pas revenu, M. Gallien?

BELMOND.
Qu'est-ce que tu veux quoi, toi?
Merde!...

MARTINAUD.
Oui, merde!
Bon, ça suffit maintenant. Moi, je m'en
vais!

POLICIER.
Non!

MARTINAUD.
Je veux sortir, nom de dieu!

BELMOND.
Martinaud!

POLICIER.
Mais où il va?

BELMOND.
Ho! Allez...

MARTINAUD.
Lachez-moi, merde!
Garde à vue (F 1981) 29

BELMOND.
Ne faites pas le con!
Venez, bon dieu!

POLICIER.
Ne bouge pas!

BELMOND.
Alors, maître, il ne faut pas paniquer comme
ça! Qu'est-ce qui vous a pris? Du calme...
Je ne vous ai pas fait mal...
Ne restez pas là ! Il n'y a rien à voir!

–––––––––––––––––

BERTHIER.
Lachez-moi, merde! Je suis mineur et je vous
encule tous!

GALLIEN.
Il est gracieux... qui c'est?

POLICIER.
Le fils Berthier.

GALLIEN.
Berthier?!

POLICIER.
Il a tiré une bagnole, une japonaise. Il l'a
pliée boulevard Edgar Quinet.

GALLIEN.
Il va être content, ton père.

BERTHIER.
Les japonaises, a part les motos, c'est de
la merde!

GALLIEN.
Il fallait voler une moto... tu l'as pliée
comment?

BERTHIER.
Dans un lampadaire. J'aurais préféré me
faire un flic, un bon gros comme toi!

GALLIEN.
Moi, je ne suis pas gros, je suis enveloppé.

POLICIER.
Antoine?

GALLIEN.
Quoi?

POLICIER.
Euh...
Garde à vue (F 1981) 30

GALLIEN.
Qu'est-ce que tu as?

POLICIER.
C'est la nuit des grandes fatigues...

GALLIEN.
Pourquoi tu me dis ça?

POLICIER.
Parce que l'en haut, Belmond a empiétré
Martinaud.

GALLIEN.
Hein?!

POLICIER.
Oui...

–––––––––––––––

ADAMI.
Tenez.
Ce n'est pas beau... on ne vous a pas
arrangé!

MARTINAUD.
Il ne m'a pas arrangé!
Sans parler des coups de pied... Je ne peux
plus respirer!

POLICIER.
On appelle un docteur?

GALLIEN.
Non, M. Martinaud est assez grand pour
appeler un docteur.

MARTINAUD.
Il me faudrait plutôt un radiologue, j'ai la
cloison petée. Laissez, je vais me
débrouiller. Et puis, foutez-moi la paix! Ne
restez pas là , je vous ai dit que je ne
pouvais pas respirer! Merde!

GALLIEN.
Il a raison, dégagez. Merci...
Toi aussi, Belmond.

BELMOND.
Quoi, mol aussi?

GALLIEN.
Tu ne trouves pas que tu nous
as déjà assez emmerdés comme ça?

BELMOND.
Qu'est-ce qu'il y a? J'ai la vérole ou quoi?
Regardez-moi cette bande de faux culs!
Garde à vue (F 1981) 31

Ils sont beaux... et le plus beau, c'est


quand même toi! Car s'il avait craqué, tu
trouvais des aveux signés! Ça vous aurait
tous arrangés!

GALLIEN.
Oui, mais voilà, il n'a pas craqué...

MARTINAUD.
C'est dommage... Vous n'avez plus qu'à
espérer que je sois coupable maintenant...
Car si j'avais tué les gamines, on
dérouillait le sadique, ça pouvait
s'arranger... Mais si je n'ai tué personne,
les sadiques changent de camp!

BELMOND.
Bon, d'accord!

MARTINAUD.
Vilain temps, messieurs...

GALLIEN.
Ècoutez, Martinaud, qu'est-ce que vous
voulez? Des excuses? Je désapprouve
officiellement les méthodes de M. Belmond.
Ça vous va comme ça?

MARTINAUD.
Rien du tout. Où il a foutu sa liste des
avocats?

GALLIEN.
Vous avez l'intention de porter plainte?

MARTINAUD.
Coups et blessures devant témoins!

GALLIEN.
Quels témoins? Pour une coupure au front?

MARTINAUD.
Je crois que j'aime encore mieux Belmond.

GALLIEN.
Comment?

MARTINAUD.
J'ai dit que j'aime encore mieux Belmond! Il
y a deux catégories de flic: les spontanés
et les tordus. Vous faîtes partie des
tordus! Parce que je vais vous dire une
bonne chose, moi: votre coup de la corne de
brume toute à l'heure, hein, ça c'est
particulièrement tordu! Parce que ça veut
dire quoi, ça veut dire que si je ne l'ai
pas entendue, c'est que j'étais ailleurs?
C'est ça? Eh bien, oui, j'étais ailleurs!
J'étais ailleurs, mais pas où vous croyez!
Pas sur les dunes de Saint-Clément, non,
j'étais – sur une pute! Voilà! Sur une pute
Garde à vue (F 1981) 32

j'étais, parfaitement, sur une pute. Alors,


qu'est-ce que vous voulez, je ne passe pas
ma vie que dans les couloirs, je vais chez
les putes! Le contraire de Chantal: les
putes sont des femmes qui vous donnent
beaucoup de choses pour relativement peu
d'argent! C'est comme ça.
Exactement.

GALLIEN.
Minuit, tiens.

ADAMI.
Bonne année, Antoine.

GALLIEN.
Bonne année, mon vieux.

MARTINAUD.
Je suppose qu'on ne s'embrasse pas...

ADAMI.
Je le préviens...

GALLIEN.
Tu as oublié quelque chose?

ADAMI.
Non, mais... C'est Mme Martinaud qui vient
d'arriver. Elle vient voir son mari. Qu'est-
ce qu'on lui dit?

GALLIEN.
Qu'est-ce qu'on lui dit, Martinaud?
Bon. Je vais tacher de vous arranger ça.

–––––––––––––

GALLIEN.
On vous a laissée dans le noir, Madame?
Voilà!
C'est mieux comme ça, non?

CHANTAL MART.
Mon mari est chez vous depuis des heures, M.
l'inspecteur.

GALLIEN.
Oui, je sais, madame. Et ça risque de durer
encore un moment...

CHANTAL MART.
Vous l'avez arrêté?

GALLIEN.
Non... c'est une simple garde à vue.

CHANTAL MART.
Et ça va pourquoi?
Garde à vue (F 1981) 33

GALLIEN.
Je ne suis pas sûr d'être obligé de vous
répondre, mais vous devez surement le
savoir.

CHANTAL MART.
J'ai habituellement le sens de l'humour,
mais je trouve le vôtre détestable. Je suis
venue voir mon mari et j'exige...

GALLIEN.
Vous n'avez rien à exiger, Madame.
Pardonnez-moi, je n'ai pas l'habitude de
parler sur ce ton.

CHANTAL MART.
Qu'est-ce qui peut m'empêcher de voir mon
mari?

GALLIEN.
Rien. A part d'une seule petite chose –
c'est lui qui ne veut pas vous voir.
Vous ne voulez pas enlever votre veste?

CHANTAL MART.
Si.

GALLIEN.
Je vous en prie. Vous voulez boire quelque
chose de chaud? Du café? Du thé?

CHANTAL MART.
Je veux bien du thé. Merci.

GALLIEN.
Henri? Tu peux me monter du thé au 60? Hein?
Oui, du thé. Du thé! Tu sais ce que c'est,
oui ou non? D'accord. Merci.
Vous ne voulez vraiment pas vous asseoir?

CHANTAL MART.
Vous savez, tout à l'heure, c'est moi qui ai
éteint la lumière.
Merci.

GALLIEN.
Pardon.
Vous êtes venue pour me parler, Mme
Martinaud. Alors, parlons... mais de quoi?

CHANTAL MART.
De moi, par exemple.

GALLIEN.
Vous voulez dire de votre couple?

CHANTAL MART.
Ce n'est pas le mot que j'emploierais.

GALLIEN.
A cause des deux chambres?
Garde à vue (F 1981) 34

CHANTAL MART.
Ah... il vous a parlé de ça? Et de quoi
encore?

GALLIEN.
De Venise, du Boulevard de Lattre, du
couloir...

CHANTAL MART.
Je vois...

GALLIEN.
Oui, certainement. Mais pour moi, c'est un
peu moins clair. D'après les dires de votre
mari... enfin, ce que j'en ai compris,
n'aurait-il pas été plus simple d'envisager
une séparation, ou même le divorce?...

CHANTAL MART.
Vous êtes ici depuis combien de temps, M.
Gallien?

GALLIEN.
Six ans.

CHANTAL MART.
Alors, vous connaissez suffisamment la
ville... Vous me situeriez parfaitement si
je vous dis qu'avant mon mariage, j'habitais
le quartier Saint-Louis.

GALLIEN.
Oh, c'est bien!

CHANTAL MART.
Du côté impair.

GALLIEN.
Encore là, c'est encore mieux!

CHANTAL MART.
Non, ne vous trompez pas, ce n'est pas un
signe de fortune. L'argent, c'est le
Boulevard de Lattre.

GALLIEN.
Ah...

CHANTAL MART.
Mes parents dinaient souvent d'une tranche
de jambon, mais n'auraient à aucun prix
habité ailleurs. Mais tout ça vous est
étranger, n'est-ce pas?

GALLIEN.
Oh, mes parents ont habité un deuxpièces
pendant 35 ans dans le 20e arrondissement et
n'ont jamais déménagé. Alors...
Garde à vue (F 1981) 35

Je ne voudrais pas vous paraître indélicat,


mais votre mariage, on ne peut pas appeler
ça une erreur de jeunesse...

CHANTAL MART.
De jeunesse, non.
Apres mes études, M. L'inspecteur, j'avais
le choix. Travailler, mais dans quoi?
Me marier? Mais avec qui?
Ou de coucher à gauche et à droite.
Dans nos familles, il se trouve toujours un
ami de son père pour vous emmener à Ibiza...

GALLIEN.
Pourqoui pas, vous étiez majeure.

CHANTAL MART.
Oh, largement. Mais je tenais de ma mère
quelque talent de pianiste et une vertu
ridicule.

GALLIEN.
Et c'est alors qu'est arrivé
le prince charmant. C'est ça?

CHANTAL MART.
Vous savez, je ne fais
que réaliser le rêve de toute une génération
de garces bien élevées: épouser Jérôme
Martinaud, docteur en droit, héritier de
l'étude Martinaud...

GALLIEN.
Héritier unique? Mais... et sa soeur?

CHANTAL MART.
Il a bien une soeur? La pauvre... Il lui a
juste laissé quelques royalties et une
bicoque.

GALLIEN.
A Saint-Clément?

CHANTAL MART.
Il vous en a dit, des choses...
Pas tout.
Je crains même c'est le plus intéressant
qu'il ait laissé dans l'ombre... Il est
ignoble, Martinaud, dès qu'il cesse d'être
maître Martinaud. Ignoble...

GALLIEN.
Il est si encombrant que ça, Martinaud, pour
son couloir? Oui, parce que malgré le désir
évident que vous avez de lui voir couper la
tête, votre mari, aux yeux de la loi, est
toujours innocent.

CHANTAL MART.
Ne jouons pas sur les mots...
Garde à vue (F 1981) 36

GALLIEN.
C'est dommage, il y en a d'amusants. Tenez,
par exemple, "devoir conjugal". Martinaud
l'emploie souvent, celui-là. Et d'après lui,
vous ne l'auriez jamais accompli avec autant
de... de bonne humeur qu'avant votre
mariage, ce devoir... vrai?

CHANTAL MART.
Vrai. Peut-être parce que ce n'était pas
encore un devoir...

GALLIEN.
Un investissement?

CHANTAL MART.
Pourquoi, pourquoi devenez-vous grossier?

GALLIEN.
Excusez-moi.
Ça ne vous dérange pas?

CHANTAL MART.
Quand je ne fume pas, si.

GALLIEN.
Pardon.

CHANTAL MART.
Merci.

GALLIEN.
Pour en revenir aux déclarations de votre
mari, ce serait au retour de votre voyage de
noces que le ménage se serait gangrené. Il a
employé ce mot-là: "gangrené". Et au retour
de Venise, il aurait trouvé ses affaires au
bout du couloir... C'est vrai?

CHANTAL MART.
Faux.

GALLIEN.
Depuis combien de temps faites-vous chambre
à part?

CHANTAL MART.
Depuis un soir de noël, il y a 10 ans. C'est
presque un anniversaire... Aujourd'hui, il a
peur, parce qu'il fait partie de ces hommes
qui espèrent toujours que les choses
s'arrangeront à condition qu'on n'en parle
pas. Il a raison...

GALLIEN.
D'espérer?

CHANTAL MART.
D'avoir peur.

––––––––––––
Garde à vue (F 1981) 37

ADAMI.
Mandarine?

MARTINAUD.
Non, merci.

––––––––––––

CHANTAL MART.
On passait tous les noëls à Louviers, chez
mon frère et sa femme. C'était à cause de
leur fille Camille. On n'a pas d'enfant, et
à l'époque elle était... comment vous
dire... une charmante petite fille. Il y a
des enfants comme ça qui ont quelque chose
de magique, une grâce spéciale.
C'était une soirée agréable, on était
parfaitement heureux, comme une famille doit
l'être à noël. Camille découvrait ses
jouets... le père noël l'avait gaitée. Elle
était ravie, un peu énervée, peut-être...
Jérôme ne s'occupait que d'elle, n'avait
d'yeux que pour elle.
Ma belle-soeur avait merveilleusement
organisé les choses. Elle a des gouts
provinciaux, mais il faut croire qu'ils
aiment ça. Ils sont heureux, c'est
l'essentiel. Jérôme continuait de bavarder
avec la petite. Personne ne leur prêtait
attention. Personne ne s'occupait d'eux. En
somme, une simple réunion de famille, une
fête tranquille...
Après le repas, j'ai trié les cadeaux avec
ma belle-soeur: les livres qu'elle ne lirait
jamais, les bijoux que je ne porterais pas.
Il ne restait plus personne dans la salle à
manger, rien que Jérôme et Camille. J'avais
oublié un des cadeaux au pied de l'arbre, je
suis allée le chercher sans raison
véritable... A moins que ça ne s'appelle
l'intuition...
Ils étaient là. Il lui parlait, elle
écoutait. Je ne pourrais pas vous répéter
les mots, mais c'était... comment dire?...
Il lui parlait comme à une femme. Elle
semblait comprendre. Et puis, il a dû sentir
que j'étais là.
Je me souviens de Camille, de son sourire...
Il n'avait pas le droit de la faire sourire
comme ça.

GALLIEN.
En somme, vous avez continué de vivre
ensemble, mais chacun au bout du couloir.

CHANTAL MART.
Vous savez, ces choses-là, pour moi, n'ont
jamais été un problème. Tout ce côté
Garde à vue (F 1981) 38

physique du mariage, si une femme décide que


c'est sans importance...
Et même si j'avais décidé que les choses
redeviennent normales, il y a des images qui
ne s'effacent pas.

GALLIEN.
Mme Martinaud – tout ce que vous venez me
dire peut expliquer, à la rigueur, un
comportement. Mais, moi, madame, je suis
policier. Or, pour inculper Jérôme Martinaud
de deux meurtres, il me faut une preuve.

CHANTAL MART.
Je l'ai.

––––––––––––––

MARTINAUD.
Et l'autre, il l'écoute!
Elle est en train de raconter n'importe quoi
et il l'écoute!
Me permettez que je vais m'ouvrir les veines
aux toilettes.

ADAMI.
Ça arrive, maître. Vous plaisantez, mais...

MARTINAUD.
Oh, à cette heure-ci, on ne sait plus si on
plaisante ou si on rêve... On ne sait plus
ce qu'on fait...

––––––––––––––

CHANTAL MART.
Inspecteur?
Je peux connaître votre opinion maintenant?

GALLIEN.
Mon opinion, madame, n'a pas beaucoup
d'importance, puisque, de toute façon, elle
ne changera rien à la vôtre, n'est-ce pas?

–––––––––––––––

ADAMI.
Maître Martinaud parle de s'ouvrir les
veines...

GALLIEN.
Allors bon!

MARTINAUD.
Qu'est-ce qu'elle vous a dit, Chantal
Martinaud?

GALLIEN.
Garde à vue (F 1981) 39

Vous aimez les bains de boue, maître?

MARTINAUD.
Les bains de boue... Qu'est-ce qu'elle a
raconté comme conneries?

GALLIEN.
Vous n'aviez qu'à venir! Vous auriez pu tout
savoir, vous avez refusé. Il faut savoir ce
que vous voulez, mon petit vieux.

MARTINAUD.
Vous le savez, ce que vous voulez !

GALLIEN.
Oui. Je non seulement sais ce que je veux,
mais je sais ce que vous ne voulez pas.
Bien... En attendant et pour fixer les
esprits, si on revenait à cette soirée du 3?

MARTINAUD.
C'est la soirée Valera, ça?

GALLIEN.
Non, c'est la soirée Lebailly.

MARTINAUD.
Ce n'est pas celle que je préfère. On a déjà
tout dit, non?

GALLIEN.
Ah non.
C'est pourquoi je vous demande si vous aimez
les bains de boue. La petite Geneviève,
c'est bien dans le fossé que vous l'avez
trouvée, non? Quel temps faisait-il, ce
soir-là?

MARTINAUD.
Ah, la météo, maintenant!

GALLIEN.
Il semble que dans la soirée il y avait eu
un gros orage, vous vous rappelez? Mais il
devait être dégoutant, ce fossé, non? Je ne
comprends pas très bien, vous avez tout le
terrain communal pour vous balader, et vous
atterrissez là-dedans...

MARTINAUD.
Evidemment!
J'avais aperçu le corps.

GALLIEN.
Ah?... Mais comment avez-vous fait pour
l'apercevoir, Martinaud? Vous étiez sur des
échasses?

MARTINAUD.
Non, pas ce jour-là, non.
Garde à vue (F 1981) 40

GALLIEN.
On ne peut rien voir du terrain communal!
Absolument rien! Il y a des orties hautes
comme ça!

MARTINAUD.
Désolé, je ne vous suis pas.

GALLIEN.
Comment ça?

MARTINAUD.
Désolé, mais je ne suis pas votre ligne de
raisonnement, je suis désolé.

GALLIEN.
Mais si, vous me suivez à la trace. Le
terrain communal, les orties, le fossé avec
le cadavre et le petit bois. Comment ce
fait-il que vous ne m'avez jamais parlé du
petit bois?

MARTINAUD.
Et vous, pourquoi vous ne me dites pas ce
que ma femme vous a dit?

GALLIEN.
Il y avait des feuilles mortes sur les
semelles de la petite Lebailly, et ça tombe
des arbres! Or, sur le terrain communal de
Jobourg, il y a un arbre, et il est mort!
Donc, la gosse venait du petit bois. Et
vous?

MARTINAUD.
Quoi, moi?

GALLIEN.
Vous veniez de Jobourg ou du petit bois?

MARTINAUD.
Je n'en sais rien.

GALLIEN.
Décidez-vous à savoir!

MARTINAUD.
Les feuilles mortes, le petit bois,
Jobourg... ça devient complétement
surréaliste!

GALLIEN.
Il y a autre chose qui est bien plus
surréaliste que ça: c'est maître Martinaud
rentrant chez lui coudes au corps.

MARTINAUD.
Pardon?

GALLIEN.
Garde à vue (F 1981) 41

Vous êtes rentré chez vous en courant.


Pourquoi?

MARTINAUD.
J'avais trouvé le corps!

GALLIEN.
Pourquoi rentrer chez vous?

MARTINAUD.
Pour téléphoner!

GALLIEN.
Il y a deux cabines téléphoniques sur le
terrain. Alors, pourquoi rentrer chez vous?

MARTINAUD.
Je ne sais pas, moi... J'étais sous le choc,
voilà!

GALLIEN.
Votre femme vous a entendu rentrer?

MARTINAUD.
Je ne sais pas si elle m'a entendu ou pas!
Elle s'en fout! Ça ne l'intéresse pas.

GALLIEN.
Bon, vous rentrez chez vous, le téléphone
est en bas et vous montez au 1er, pourqoui?

MARTINAUD.
Je suis allé dans la salle de bains.

GALLIEN.
Téléphoner?

MARTINAUD.
J'avais envie de dêégueuler! J'avais la
chiasse! Ça vous va?!

GALLIEN.
Oui. A cause du choc?

MARTINAUD.
Oui, c'est ça. Probablement à cause du choc.

GALLIEN.
Dites-moi, Martinaud... des imperméables,
vous en avez combien? Comme celui-là,
combien?

MARTINAUD.
Deux.
Deux!

GALLIEN.
Pareils? Identiques?

MARTINAUD.
Garde à vue (F 1981) 42

Non, mais évidemment, identiques! Dans les


impers, vous avez deux modèles. Vous avez
avec ou sans ceinture. Moi, je préfère avec
– ça m'avantage –

GALLIEN.
Mais ce qui vous arrive, ça ne va pas?

MARTINAUD.
Si! Ça va, mon petit vieux, ça va. Ça va
très bien. Continuez.

GALLIEN.
Vous êtes tout pale...

MARTINAUD.
Non, non, ça va, Gallien. De toute façon,
vous n'êtes pas très frais non plus. Arrêtez
de tourner autour du pot maintenant! Sur la
soirée du 3, qu'est-ce que vous voulez
savoir - de net et précis?!

GALLIEN.
Ce que vous faisiez dans le petit bois. Ce
que vous faisiez dans le petit bois et à
Saint-Clément.

MARTINAUD.
A Saint-Clément, comme j'ai eu l'honneur de
vous le dire, j'étais avec une putain.

GALLIEN.
D'accord. Le nom de la fille, le nom de
l'hôtel, l'adresse?

MARTINAUD.
Il n'y avait pas d'hôtel. Il n'y avait pas
d'hôtel. C'était une pute qui draguait en
voiture, une amazone, comme on les appelle.

GALLIEN.
Lamentable...

MARTINAUD.
Quoi donc?

GALLIEN.
Votre argument. Lamentable...

MARTINAUD.
Ce n'est pas un argument,
c'est un alibi!

GALLIEN.
Il est navrant, votre alibi. Vous attendez
deux heures du matin pour m'avouer que vous
allez aux putes? Vous n'arrêtez pas de
mentir depuis que vous êtes là! Votre soeur
malade que vous voyez à peine, une heure
passée dans un bistrot où personne ne vous a
reconnu, une promenade au phare, puis, plus
Garde à vue (F 1981) 43

de promenade au phare, et maintenant une


putain anonyme! Dites-moi, Martinaud, quand
me direz-vous quelque chose que je puisse
croire?

MARTINAUD.
Elle vous a parlé de Camille, hein? Eh bien,
dites-le... dites-le qu'elle est venue vous
parler de ça. Un mobile pour violer des
enfants... Elle est venue vous parler de
Camille - et tout est parfait pour vous
maintenant. C'est clair... Vous avez bien de
la chance. Je suis le vilain petit canard.
Tonton bec-de-lièvre... Evidemment, c'est
plus facile à dire comme ça, que de raconter
une histoire d'amour.

GALLIEN.
Mais qu'est-ce qui vous arrive, Martinaud?
Hein? Qu'est-ce qui vous prend? Où est-ce
que vous partez avec votre canard, votre
bec-de-lièvre? Je voulais simplement vous
parler de votre imper, c'est tout.

MARTINAUD.
Vous avez raison.
Parlons plutôt des impers, c'est plus
important.

GALLIEN.
Mais oui! Heureusement que vous avez deux
impers... Qu'avez-vous fait de l'autre?

MARTINAUD.
L'autre?

GALLIEN.
Celui du terrain communal.

MARTINAUD.
Je l'ai remis à la police.

GALLIEN.
Ah non. Non, Martinaud. Celui que vous avez
remis à la police était parfait - pas de
traces de boue... rien. Impeccable!

MARTINAUD.
Et alors?

GALLIEN.
Et alors, vous continuez de mentir,
Martinaud... Vous n'êtes pas allé vomir en
rentrant chez vous. Vous vous êtes changé.

MARTINAUD.
Ah bon? Pourquoi?

GALLIEN.
Parce qu'il y avait du sang sur votre imper.
Garde à vue (F 1981) 44

MARTINAUD.
Oui, forcément, j'ai voulu la reconnaître,
je l'ai touchée.

GALLIEN.
C'est un imper impeccable que vous avez
remis à la police! Pourquoi? Parce que celui
de Jobourg, l'autre, c'est celui-là!

MARTINAUD.
Vous n'avez aucune preuve.

GALLIEN.
Si.
Le ticket du teinturier. Que votre femme est
allée chercher elle-même. Le meurtre le
jeudi, le teinturier le lendemain... Un
assassin impeccable, dans des vêtements bien
propres!

MARTINAUD.
Non, ce n'est pas ça... C'est simplement
que...

GALLIEN.
Quoi, Martinaud?

MARTINAUD.
Je ne pensais pas... Je ne pensais pas
qu'elle irait jusque-là.

GALLIEN.
Votre femme ne vous aime pas beaucoup, mon
petit vieux.

MARTINAUD.
Non. Ça pas... pas trop. Il faut dire qu'à
ce point-là, ça devient... presque marrant.

GALLIEN.
Vous avez tué Valera?

MARTINAUD.
Oui.

GALLIEN.
Et Lebailly?

MARTINAUD.
Oui.

GALLIEN.
Les deux?

MARTINAUD.
Oui, les deux. Les deux. Oui... tué et
violé... c'est moi.

GALLIEN.
Vous êtes prêt à faire une déposition?
Garde à vue (F 1981) 45

MARTINAUD.
Qu'est-ce que je fais d'autre? Qu'est-ce que
je fais d'autre?

––––––––––––––––

DIVISIONNAIRE.
Ah, Antoine! Bravo, mon vieux! Votre
ténacité a porté ses fruits!
Dites-moi...

GALLIEN.
Oui?

DIVISIONNAIRE.
Que s'est-il passé avec Belmond? On m'a dit
que...

GALLIEN.
Ah, non. Rien du tout.

DIVISIONNAIRE.
C'est bien ce que je me disais.
Et Martinaud?

GALLIEN.
Adami prend sa déposition, et puis...

DIVISIONNAIRE.
C'est?...

GALLIEN.
Oui.

DIVISIONNAIRE.
Elle ne prend pas ça trop mal?

GALLIEN.
Non, elle est très courageuse...

–––––––––

MECHANICIEN.
Vas-y! Tout droit! Allez!...

POLICIER.
Excusez-moi, madame, mais il va falloir
patienter 5 minutes, on doit décharger la
voiture là.

CHANTAL MART.
J'ai tout mon temps...

POLICIER.
Merci, madame.

MECHANICIEN.
Vas-y! Encore! Vas-y... stop! Attends une
seconde!
Garde à vue (F 1981) 46

Dis donc... viens voir un peu! C'est quoi,


ce truc?

POLICIER.
Ça? C'est du sang, mon petit...
Hé, Antoine! Tu peux venir?
Viens, s'il te plait.

DIVISIONNAIRE.
A qui est cette bagnole?

POLICIER.
A un certain Jabelin. Il nous a emmerdés
toute la soirée parce qu'on lui avait volé
sa tire.

DIVISIONNAIRE.
Et où il est? Vous l'avez laissé repartir?

POLICIER.
Non. On lui a téléphoné, il poireaute au
commissariat.
Et Martinaud?

DIVISIONNAIRE.
Quoi, Martinaud? Maître Martinaud!
Ça, c'est l'affaire de M. Gallien, maître
Martinaud!

–––––––––––––

MARTINAUD.
Apres,
j'ai transporté le corps... Non, plutôt,
j'ai trainé le corps. Je crois que
l'inspecteur Gallien préfère le mot
"trainer". J'ai trainé le corps du petit
bois jusqu'au fossé.

ADAMI.
Ce que vous appellez le petit bois, c'est le
bois de Jobourg? Il me faut des noms, M.
Martinaud...

MARTINAUD.
Oui, c'est ça. Mettez "le petit bois". Le
petit bois de Jobourg...

–––––––––––––––

MARTINAUD.
Alors, c'est le vrai, celui-là? Vous êtes
bien sûr?
Ça remue, là-dedans... ça s'agite! Oui, je
comprends... Avouer deux crimes pour
échapper à tout ça, à tout ce gâchis... S'il
n'était pas arrivé, j'aurais bien fait
l'affaire, non?
Garde à vue (F 1981) 47

GALLIEN.
Allez, ça va comme ça, Martinaud. Soyez
gentil, allez-vous-en maintenant! Allez
reprendre vos...

MARTINAUD.
Allez reprendre votre imper et retournez
dans votre couloir, c'est ce que vous allez
dire, n'est-ce pas?

GALLIEN.
Foutez le camp, Martinaud.

MARTINAUD.
Il y a... Il y a quand même une question que
je voudrais vous poser. Une seule. Si
c'avait été indispensable, tout a fait
indispensable, est-ce que vous auriez fait
citer Camille à la barre?

GALLIEN.
Quelle Camille?

–––––––––––––––

MARTINAUD.
Gallien!
Gallien!

(1er janvier. 7 heures du matin.)

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