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Cahiers de linguistique et de

civilisation hispaniques
médiévales

Calila e Dimna : conte du Moyen Âge et récit primordial. La


version castillane du XIIIe siècle et une possible lecture
Estrella Ruiz-Gálvez Priego

Resumen
Dentro de la antología de cuentos que lleva su nombre, el relato de Calila e Dimna desempeña el papel de introducción
declarativa de lo que podemos estimar ser el tema fundamental del libro: la meditación sobre el pacto y las diversas
formas y razones de la asociación.

Résumé
Au sein du recueil de contes qui porte son nom, le récit de Calila et Dimna joue un rôle d’introduction déclarative sur ce
qui peut être estimé comme thème fondamental du livre: la méditation sur le pacte et les diverses formes et raisons de
l’association.

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Ruiz-Gálvez Priego Estrella. Calila e Dimna : conte du Moyen Âge et récit primordial. La version castillane du XIIIe siècle
et une possible lecture. In: Cahiers de linguistique et de civilisation hispaniques médiévales. N°25, 2002. pp. 293-306;

doi : https://doi.org/10.3406/cehm.2002.1244

https://www.persee.fr/doc/cehm_0396-9045_2002_num_25_1_1244

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Calila et Dimna :
conte du Moyen Âge et récit primordial.
La version castillane du XIIIe siècle
et une possible lecture

Estrella R-G P

Université de Caen
SEMH
SIREM, GDR 2378, CNRS

R
Au sein du recueil de contes qui porte son nom, le récit de Calila et Dimna
joue un rôle d’introduction déclarative sur ce qui peut être estimé comme
thème fondamental du livre : la méditation sur le pacte et les diverses
formes et raisons de l’association.

R
Dentro de la antología de cuentos que lleva su nombre, el relato de Calila e Dimna
desempeña el papel de introducción declarativa de lo que podemos estimar ser el tema
fundamental del libro : la meditación sobre el pacto y las diversas formas y razones de la
asociación.

, n° , , p. 


On a l’habitude de ne voir dans le Calila et Dimna qu’un recueil de contes,
véritable livre de recettes pour tout ce qui concerne la vie pratique, l’as-
tuce et la débrouillardise1. Ancêtre des Fables de la Fontaine et héritier du
Pantcha Tantra, le livre arrive en Occident à travers les versions arabes2.
Néanmoins, ce récit, qui mérita l’attention d’un homme aussi savant et
averti que l’était Alphonse X de Castille, se prête aussi à d’autres lectures.
L’ouvrage que le roi entreprit de faire traduire de l’arabe au castillan
autour de l’année 12513 avait déjà parcouru un long chemin. Tel qu’il
arrivait entre ses mains, il était le résultat d’une traduction/adaptation
réalisée par Ibn Almoqaffa, qui entreprit au VIIIe siècle la traduction en
arabe à partir du pehlevi.
Ce dernier était persan de nation et mazdéen de naissance, mais les
circonstances avaient fait de lui un sujet des califes omeyyades et abbas-
sides et un musulman plus ou moins sincèrement converti4. Une lecture
parallèle du Pantcha Tantra5 et du Calila de Ibn Almoqaffa montre très vite

1. Don Marcelino MENÉNDEZ y PELAYO attribue au Calila et Dimna « cierto sentido utilitario,
un concepto de la vida muy poco desinteresado y que concede más de lo justo a la astucia y a la maña… », Orí-
genes de la novela, Buenos Aires, 1945, p. 40 (La première édition date de 1905).
2. J’ai utilisé pour ce travail trois éditions modernes du Calila et Dimna de Ibn Almoqaffa. Une
française, celle de André MIQUEL, faite à partir du manuscrit de la bibliothèque d’Aya Sofia,
daté de 1221 : Kalila et Dimna, Paris : Klincksieck, 1980, et deux espagnoles, celle de Juan
Manuel CACHO BLECUA et María Jesús LACARRA, faite à partir du manuscrit A de la
Bibliothèque de l’Escorial (version castillane du XIIIe siècle) : Calila et Dimna, Madrid : Castalia,
1984, et celle de Marcelino VILLEGAS et Abdalà BENALMOCAFFA, Calila et Dimna,
Madrid : Alianza Editorial, 1991. Cette édition utilise la version établie en 1816 par Sylvestre
de Sacy. Sur les très nombreuses versions du Calila et Dimna, voir C. BROCKELMANN, Ency-
clopédie de l’Islam, t. 2, p. 737-741, Paris-Leyde, 1927. Voir aussi C. CHAUVIN, Bibliographie des
ouvrages arabes ou relatifs aux arabes, t. 2, Leipzig, 1897.
3. La date de la traduction castillane est controversée. Le manuscrit de l’Escorial finit en indi-
quant que le livre fut traduit en latin et « en romance » par ordre de l’infant don Alphonse en
1299. Il s’agit bien sûr de l’ère hispanique, ce qui correspond à l’année 1261, or don Alphonse
fut couronné en 1252. On peut envisager l’existence d’une erreur de copiste qui aurait écrit
1299 au lieu de 1289, ce qui permettrait de dater le livre de 1251, alors que don Alphonse était
encore infant. Sur la question, voir entre autres l’introduction à l’édition du Calila e Dimna de
Juan Manuel CACHO BLECUA et María Jesús LACARRA.
4. Milieu du VIIIe siècle, vers 750. Sur Ibn Almoqaffa, Cl. HUART, Encyclopédie de l’Islam,
op. cit., t. 2, p. 429.
5. Le Pantcha Tantra ou les cinq livres des fables indiennes, version française de l’Abbé
DUBOIS, Paris, 1872. Réédition, introduction et notes de G. DELEURY, Paris : Imprimerie
nationale, 1995.
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combien le passage en Perse a été déterminant pour l’évolution du récit,


et à quel point celui-ci en a été transformé.
Ibn Almoqaffa a fait précéder sa version du livre d’un prologue sur
l’intérêt du récit et sur les différents niveaux de lecture auxquels il pouvait
donner lieu. Il transmet ensuite une introduction qui raconte l’histoire du
livre ; sa Quête et son quêteur, un « menge » c’est-à-dire un médecin, Ber-
zebuey, qui passe en Inde pour chercher « les feuilles et les herbes » qui
donnent la vie… Au bout de sa quête il y a un Livre, le Calila et Dimna,
dont les feuilles contiennent un Savoir qui fait Vivre et qui, devenant
Sagesse permet une forme d’immortalité6.
À la suite de Berzebuey, le lecteur entreprend la quête de la Sagesse,
qui est fondamentalement prise de conscience. Par la suite, le livre égrène
son rosaire d’apologues qui s’insèrent dans le cadre global du dialogue
entre le roi Dicelem et son conseiller philosophe Burduben. Dans la ver-
sion castillane d’Alphonse X7 – qui sert de base à cet article – le livre se
compose de 18 chapitres comprenant de très nombreux apologues, très
hétéroclites en apparence, mais que je considère comme étant axés sur le
thème du Pacte – accord ou association – et de ses corollaires : les notions
de Fiabilité et Fidélité.
L’ouvrage explore les diverses circonstances qui peuvent mener deux
êtres à échanger leur « foi », la « fides » du contrat. L’accord, ses motiva-
tions, ses limites ne sont certes pas évoqués sous l’énoncé aride de la for-
mule juridique, mais, dissimulés sous les apparences de la fable animale,
pointent partout les éléments du contrat, et bien sûr la notion de
« consensus ». Un aspect de l’ouvrage qui ne pouvait pas échapper au roi
des Siete partidas.

Un récit, celui de Calila e Dimna, retiendra ici notre attention, et ce


pour plusieurs raisons. Ce conte, qui donne son nom à l’ensemble du
recueil, est placé en première position : il est par là même signifiant en
soi. S’ajoute à cette position clé la teneur même du récit, car le conte
illustre un cas de traîtrise, un cas « d’infidélité » à la foi donnée. Autre-
ment dit, ce recueil sur le pacte, la fiabilité et la « fiance », s’ouvre par une
histoire où l’on a failli au pacte. Calila et Dimna est l’histoire d’une
défaillance et d’une traîtrise.
On pourrait alors l’interpréter comme une mise en garde, comme un

6. La quête de Berzebuey n’est pas sans rappeler l’épopée de Gilgamesh, mais contrairement
à ce dernier, Berzebuey arrive à trouver une forme d’immortalité, grâce à la Sagesse acquise
au moyen du livre.
7. Dicelem et Burduben s’appellent Dibxalim et Paydeba dans la version de Sylvestre de Sacy,
et Debchelim y Bidpai dans celle de André Miquel.
  - 

appel à la « méfiance » vis-à-vis de cette faillibilité, de cette « labilité »


qui est une donnée de base, une contrainte dont il faut prendre
conscience et qu’il faut absolument intégrer.
Le livre serait alors une longue méditation sur les limites de la fiabilité,
un appel à la prudence. J’ajoute à cela que l’intrigue démarre par une
« chute », et que le récit fait intervenir les notions de « choix » et de
« déchéance », ensemble d’éléments qui m’incitent à entreprendre une
lecture non anecdotique du récit, une lecture qui s’attachera à mettre en
évidence l’existence d’un récit exemplaire, qui ne serait que la mise en
scène du drame des commencements. Un récit où il serait question de
destin et de liberté de choix, de fidélité et de faillibilité.
En entreprenant cette lecture, je ne fais d’ailleurs que suivre l’invita-
tion de Ibn Almoqaffa. Ce dernier rappelait que le livre avait « un seso
escondido »8 : un sens caché qu’il fallait découvrir. Quelques indices don-
nent à penser que le traducteur castillan du XIIIe siècle s’est aussi essayé à
comprendre ce « sens caché » du récit fabuleux.

L’
Rappelons brièvement l’histoire : Senceba est un bœuf qui lors d’un
voyage fait une chute. Il glisse, selon le Pantcha Tantra, il tombe dans un
trou, selon Ibn Almoqaffa. Dans les deux cas il est abandonné par son
maître et donné pour mort. Néanmoins il se rétablit et s’installe dans une
proche prairie sans savoir que le roi Lion tient à côté sa cour. Ce dernier,
en entendant les beuglements de Senceba, dont il ignore la nature, est
mort de peur, mais dans son entourage il y a deux comparses très dési-
reux de rentrer dans sa faveur. Ce sont Calila et Dimna : deux renards
selon le Pantcha Tantra, deux chacals chez Ibn Almoqaffa, deux loups-
cerviers selon la version d’Alphonse de Castille. Ces derniers vont ame-
ner Senceba auprès du roi Lion. Senceba fait serment d’allégeance et le
roi lui donne sa foi.
La confiance s’installe entre eux, tant et si bien qu’il n’y a plus de place
pour Calila et Dimna. Le lion et le bœuf sont, selon la version d’Al-
phonse, « Dos que se aman ».
Dimna décide alors de semer la zizanie entre eux et amène le lion à

8. « Si el entendido alguna cosa leyere deste libro es menester que lo afirme bien, et que entienda lo que leyere, et
que sepa que ha otro seso encobierto, ca si no lo sopiere no le terna pro lo que leyere », J. M. CACHO et
M. J. LACARRA, éd. cit., p. 92. « La première chose à faire quand on veut étudier ce livre est
de le lire dès le principe de façon exhaustive et avec persévérance (en se disant bien) qu’une
connaissance parfaite ne se réduit pas à (lire) le livre jusqu’au bout, si cette lecture reste en deçà
d’une exacte compréhension de l’ouvrage, car il n’est d’aucune utilité ni d’aucun intérêt à celui
qui le lit… », version de A. MIQUEL, éd. cit. Le « sens caché » est, certes, un lieu commun de
la littérature médiévale, mais la version d’Alphonse est la seule à en faire mention expresse.
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briser le pacte d’amitié et à tuer le bœuf. Dans le Pantcha Tantra, les deux
renards se frottent les mains et jouissent de la faveur du lion. Dans la ver-
sion de Ibn Almoqaffa traduite par Alphonse, un chapitre surajouté
raconte les remords du lion, l’enquête sur Dimna et le châtiment de ce
dernier.
Une morale se dégage dans les deux cas : l’astuce peut autant, sinon
plus, que la force.
Un avertissement aussi : il faut se méfier des faibles qui sont toujours
rusés.

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La chute et ses conséquences physiques
a. L’incomplétude
D’après le livre de la Genèse, l’histoire de l’humanité a commencé par
une Chute qui a entraîné une déchéance, or c’est aussi par une chute,
celle de Senceba, que commence l’histoire de Calila et Dimna.
En fait, les protagonistes sont Senceba le bœuf et le roi Lion, mais
Senceba est rentré en scène en glissant, et ce glissement, cet état de chute, est
l’image et la métaphore de toute son histoire. D’ailleurs, Ibn Almoqaffa
ne se contente pas d’un simple glissement, chez ce dernier Senceba tré-
buche et tombe dans un trou – véritable image du tombeau – dont on
n’arrive pas à le sortir. Dans les deux cas, la chute a provoqué une
déchéance. Voici que cet animal de prix, le plus beau qu’avait son maître,
est abandonné comme chose sans valeur. Estropié lors de la chute il est
donné pour perdu.
La chute est certes une réalité matérielle, mais elle est aussi symbole
d’un état de fragilité car Senceba est un bœuf, c’est à dire un être amputé,
incomplet. Passif. De plus, et comme conséquence de sa chute, il est
devenu boiteux. Senceba est, en somme, incomplet et défectueux, faible malgré
les apparences car il manque de cette fermeté qui rend les êtres solides.
La circonstance n’est point passée inaperçue pour le lecteur chrétien
du Moyen Âge. Ainsi, lorsque quelques années plus tard don Juan
Manuel, neveu du roi Alphonse, reprend dans ses contes du Conde Lucanor
l’anecdote des amis puissants brouillés par les intrigues des petits malins,
il mettra en scène un lion et un taureau, mais il donnera un sens très dif-
férent à l’histoire, et le dénouement sera tout autre. Les deux amis se bat-
tront entre eux, mais il n’y aura pas de mise à mort, et le Lion ne man-
gera pas le Taureau9. Or, détail d’importance : au commencement de
9. Don JUAN MANUEL, El Conde Lucanor (écrit vers 1335). L’édition consultée est celle de
Guillermo SERÉS, Barcelona : Crítica, 1994.
  - 

l’histoire de don Juan Manuel, il n’y avait pas eu de « Chute », et en


conséquence l’opposant du Lion ce n’était pas un bœuf, mais un Tau-
reau…

b. La Tache
Cette vision du bœuf – taureau amputé –, animal incomplet et donc
destiné à être chair à consommer, est confortée par la caractérisation que
le traducteur castillan a donnée à Calila et à Dimna : « los mestureros
falsos ».
Notons d’abord que ces derniers sont aussi en situation de Chute.
Anciens conseillers du roi, Calila et Dimna sont aujourd’hui en disgrâce.
Ils se trouvent en dehors du pouvoir, éloignés du roi, « a la puerta del
rey »10.
Le traducteur d’Alphonse qualifie les deux comparses de « mestureros ».
Le mot vient de « mestura », mélange, et de « mixtura », teinture11. Il
désigne ce qui est bariolé, teint, mélangé. L’espagnol médiéval ajoute au
terme le sens secondaire de menteur, semeur de zizanie12.
Ne s’arrêtant pas au qualificatif, voilà que notre traducteur donne aux
traîtres une nouvelle nature. Renards dans le Pantcha Tantra, chacals chez
Ibn Almoqaffa, ils deviennent des loups-cerviers dans la version cas-
tillane. Sont incorporés ainsi des nouveaux éléments à la notion de « mes-
tura », car le loup-cervier, le lynx, est un félin subtil et intelligent. Il glisse
silencieusement : on ne le voit pas venir, mais son regard perçant, « l’œil
de lynx », lui permet de voir ce que les autres ne perçoivent pas. C’est
ainsi que Dimna a percé à jour le secret du Lion : sa peur et sa faiblesse.
De plus, il porte une fourrure superbement tachetée, qui inscrit dans
son physique sa « mestura », sa nature d’être « taché », maculé.
Son nom double (loup-cervier), explicite en lui-même la nature de sa
« mestura » : c’est un être double, loup et cervier. Caractérisation parfaite
pour ce Dimna que le récit qualifie de personnage à « deux faces et à

10. « Estamos a la puerta del rey […] e non somos de los que fablan con el rey sus fechos… »,
J. M. CACHO BLECUA et M. J. LACARRA, éd. cit., p. 125. « Nous sommes préposés à la
porte du roi […] et nous ne faisons pas partie de cette classe de gens qui attendent que les rois
leur adressent la parole ou leur donnent des ordres. » A. MIQUEL, éd. cit., p. 52. On notera
les différences entre les deux versions, qui ne sont proches qu’en apparence. Le préposé à la
porte est le portier, mais « être à la porte du roi », ou de quelqu’un d’autre, signifie un état de
disgrâce, une mise à l’écart qui correspond en fait à la situation de Calila et Dimna. Dans Le
Pantcha Tantra, Carataca et Damanaca sont aussi des favoris en disgrâce.
11. Mistura : mezcla, acción de mezclar o mezclarse. Chisme, delación. Mesturar : revelar, descubrir uno el
secreto, denunciar o delatar… Martín ALONSO, Diccionario medieval español, Salamanque, 1986.
12. Parmi les très nombreux travaux de Michel PASTOUREAU, sur la symbolique des taches,
des rayures et des mixtures, voir « Jésus teinturier. Histoire symbolique et sociale d’un métier
réprouvé », Médiévales, 29, 1995, p. 47-62.
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double langue »13. Quoi de plus antinomique, de plus imprévisible que


réunir dans un seul être le loup, assimilé au diable dans les bestiaires du
Moyen Âge, et le cerf, symbole christique reconnu ?
Il faut noter qu’il s’agit d’un choix délibéré du traducteur castillan,
lequel connaissait parfaitement le chacal et le terme arabe qui le
nomme14.
D’ailleurs, cette tache du loup/cervier, identifiée comme signe exté-
rieur de traîtrise, évoque très fortement la « macula » du péché originel.
Un sujet théologique qui se trouve au cœur des débats du XIIIe siècle
entre maculistes et immaculistes. Au cœur aussi des préoccupations doc-
trinaires du IVe concile du Latran, qui matérialise dans la rouelle impo-
sée aux juifs l’idée d’infidélité. La Tache est la marque du péché et le
péché est toujours infidélité. Tendance à faillir.
Le choix du traducteur castillan a une importance considérable. La
tache du lynx met en évidence l’incomplétude du bœuf. À eux deux, le lynx
et le bœuf incarnent dans cette version castillane les deux conséquences
du péché originel, les traces de la Chute selon les théologiens : souillure
et incomplétude15. Excès et défaut.

Choix et Occasion. Destin et Finitude


L’être humain qui se cache sous le masque animal est donc incomplet et
entaché. Défectueux, en somme. Il se détermine en fonction de cette nature
défectueuse à laquelle s’ajoutent les circonstances du hasard.
Dans le récit, Senceba, qui aurait dû mourir lors de sa chute, se réta-
blit. Il renaît et le destin lui accorde une nouvelle chance, une nouvelle
opportunité.
Senceba est libre, ses maîtres sont partis, il est fort à nouveau, quoiqu’il
boite. Il peut décider de son cadre de vie. Or Senceba décide de rester là
où il est, là où l’occasion, le hasard, l’a placé.
Néanmoins, ce choix qui est fait en fonction du bon pâturage, et qui
cadre bien avec son caractère passif d’être cassé par la « Chute », com-

13. « Ca tu eres de dos fazes et de dos lenguas… », J. M. CACHO BLECUA et M. J. LACARRA,


éd. cit., p. 174.
14. Le chacal est dit « abnue » de ibn awi, et il apparaît comme tel dans l’histoire du chameau
que Senceba raconte à Dimna, « El camello que se ofreció al león ». Là-dessus, voir Estrella RUIZ-
GÁLVEZ PRIEGO, « Des chutes néfastes du mesturero falso et du pacte d’amitié », Crisol, n° 21,
1996, p. 115-123.
15. Le christianisme du XIIIe siècle pointe souvent dans le Calila e Dimna d’Alphonse de Cas-
tille. Ainsi l’exclamation lancée par Dimna lors de son procès : « et este es el lugar del sermón si fuese
creido et de los enxemplos si oviesen pro ». M. J. CACHO BLECUA et M. J. LACARRA, éd. cit.,
p. 186. Bien sûr, cette exclamation n’apparaît pas dans les autres versions, mais elle évoque
bien l’activité des frères mineurs et des frères prêcheurs, grands utilisateurs d’exemples sur les
places du marché.
  - 

porte des risques : Senceba devra cohabiter avec des carnivores, car la
contrée est sous l’emprise du roi Lion. Il a donc librement choisi de vivre
dangereusement.
Dans le contexte global du conte, il s’agit autant d’une deuxième
opportunité offerte par la chance que d’une attitude face au choix, face
au destin, car la voix du récit, en fait celle de Burduben le philosophe du
roi, intercale ici l’histoire d’un homme qui fuit devant le danger.
Menacé par un loup, l’homme se lance dans la rivière. Il échappe de
justesse à la noyade, mais il meurt écrasé par un mur qui s’effondre sur
lui.
Senceba reste, l’homme fuit, mais nul n’échappe à son destin, et celui-
ci aboutit toujours à la mort.
Fuir ? Rester ?
Dimna prend un autre chemin. Il décide d’aller au devant de la For-
tune. N’acceptant pas la médiocrité de sa situation, ne voulant pas rester
« à la porte du roi », il décide sans plus attendre d’aller à la rencontre de
la fortune. De tenter sa chance.
« El hombre de gran corazón puja de la vil medida a noble… » dit-il, et il s’em-
presse de raconter maints apologues qui illustrent son idée.

Senceba, dont les beuglements font trembler le lion, semble être cette
chance que Dimna attend. Ce dernier offre ses bons services d’intermé-
diaire et amène devant le roi un Senceba tout aussi effrayé que le lion.
Tous les deux lui sont certes reconnaissants, mais l’amitié qui s’est instal-
lée entre eux a définitivement laissé Dimna « à la porte ».
Burduben, le philosophe, reprend alors la parole et raconte une his-
toire à récits enchaînés, fort compliquée de prime abord : celle du « reli-
gieux volé »16, qui peut se résumer en peu de mots : nous sommes tou-
jours les agents de notre fortune. Notre devenir se réalise à travers nous
par nos choix, heureux ou malheureux. Un point de vue que Senceba fait
sien lorsque le moment du malheur arrive et qu’il se déclare responsable
de son infortune :
Veo que soy llegado a la amargor en que yaze la muerte, e por la tribulación que había
en parte de haber ca quien me metió en compañía con el león, él comedor de carne y yo come-
dor de yerba, sino entremetiéndome yo con cobdicia e con gula, ca estas me echaron en
esta tribulación…
La « tribulación »… Autrement dit : les tourments de la situation où se
trouve Senceba, sont – « en parte », en partie –, la conséquence de son
intromission, – « entremetiéndome yo » –, la conséquence de sa décision de

16. J. M. CACHO BLECUA et M. J. LACARRA, éd. cit., p. 137-141. A. MIQUEL, éd. cit.,
p. 64-68.
   :        

rester avec le Lion, dans cette plaisante prairie, sorte de Jardin des
délices…
Plus tard, Dimna aura aussi à constater la part de responsabilité qui lui
incombe dans son propre malheur…
La Finitude est, en somme, le destin de l’homme déchu, mais dans la
façon où il arrive à cette fin, jouent le hasard et sa propre initiative ; son
intromission. Senceba a pris sa décision poussé par la sensualité : « gula »,
c’est-à-dire gloutonnerie et avidité. Dimna se décide en fonction de son
orgueil et de son ambition17.

Les facteurs de la chute : le Tentateur, la Tentation et la Ruse


Le bœuf et le lion s’aiment… Voilà un état de choses qui n’arrange pas
les affaires de Dimna ! Ce dernier s’apprête donc à séparer les deux amis.
Il incarne en même temps le Tentateur et la Tentation.
Dimna raisonneur, intelligent et logique, explique à son compère
Calila que pour récupérer sa place auprès du roi il faut absolument que
Senceba disparaisse.
Son discours s’étage sur trois niveaux, structurés à la façon d’un syllo-
gisme. D’abord il pose les conditions générales du succès social. Ensuite
il constate que Senceba constitue une entrave à son succès personnel, un
succès auquel il a droit.
Il s’ensuit, de tout cela, qu’il faut faire disparaître Senceba.
Il évoque ensuite, et en parfait sophiste, l’intérêt du Lion égaré, selon
lui, par son amour pour Senceba. Conclusion :
Il doit faire disparaître Senceba.
Il montre enfin qu’il peut éliminer Senceba, car il est rusé et souvent la
ruse peut plus que la force18 :
Dixo Calila, commo puedes tu matar a Senceba que es más valiente que tú et (ha) más
mando, e ha más vasallos et más amigos ?
Dixo Digna : — Non cates a eso, ca todas las cosas non se fazen por fuerça et algunt flaco
llegó con su faldrimiento et con sus artes et con su enseñamiento a lo que non pueden fazer
muchos fuertes et muchos valientes19.

17. « N’eût été le destin qui me fixait ce terme, je ne serais jamais resté en compagnie du Lion,
il mange de la viande et moi de l’herbe. Ah ! infâme avidité et infâme espérance ! ce sont elles
qui m’ont précipité dans l’abîme et qui m’empêchent d’en sortir… », A. MIQUEL, éd. cit.,
p. 85. On notera que dans cette version sensiblement différente de celle d’Alphonse, c’est le
destin et non une erreur de choix qui est le responsable du drame. A. MIQUEL fait justement
noter la différence qui existe entre la version des faits que propose son édition et celle proposée
par la traduction de Keith Falconer. Dans cette traduction faite à partir de la version syriaque,
la responsabilité est attribuée au choix : « and whom shall I accuse except my own choice ». Voir
note 43, p. 329 de l’édition de A. MIQUEL.
18. J. M. CACHO BLECUA et M. J. LACARRA, éd. cit., p. 141-142.
19. Ibid.
  - 

Dimna est un maître de la parole. Être de « deux langues et de deux


faces », comme le dit le récit ; il est l’incarnation de la ruse, laquelle, à son
niveau, est toujours verbale. Sa parole, souvent cajoleuse, mais toujours
adroite et acérée, est une arme très redoutable, une arme mortelle.
En fait, le conte, à ce niveau du récit, est une sorte de dissertation sur
la ruse, ses formes et ses manières. La brillante démonstration faite par
Dimna sur ce que peut être la ruse verbale, le sophisme, est suivie d’une
série d’apologues qui illustrent les diverses manifestations de la ruse. Son
mécanisme complexe.
Cette dernière est présentée comme une arme maléfique, au manie-
ment particulièrement dangereux, car, de par sa nature ambiguë et
mélangée, de par son essence double, elle est insaisissable. Dotée de vie
propre, imprévisible, elle peut échapper au contrôle de celui qui croit
l’utiliser. Elle peut se retourner contre lui, glisser d’entre ses doigts… « Il
y a des ruses qui tuent celui qui les fait. »
La ruse est « tordue » et son cheminement est imprévisible. Elle est la
forme première de la Tentation, le Mal sous l’apparence du Bien. Dotée
d’existence propre, elle commence par séduire et posséder celui par qui
elle agira. Ainsi Dimna est, de l’aveu de Calila, une victime de la ruse :
« te ha vencido el engaño y la lozanía »20.
La ruse au niveau du comportement consiste à ne jamais faire les
choses directement mais à utiliser la force ou la sottise d’un tiers pour
parvenir aux buts fixés. Elle est l’arme du tentateur, qui est toujours un
manipulateur.
Dans le récit qui nous occupe, Dimna va utiliser la force et la sottise du
lion pour se débarrasser de Senceba. Il va, pour cela, introduire le doute
et la peur chez le Lion, à qui il fera croire en l’existence d’une conspira-
tion contre lui. Il va donc « tenter » la fidélité et l’amitié du Lion, lequel,
succombant aux soupçons, tuera Senceba.
Le comportement de Dimna répond à la logique de tout ce qui est
maculé, « mesturado », car la tache est souillure, et la souillure salit les
autres… Elle se propage et se répand. Elle pourrit et infecte par le
contact.

L’homme faillible et labile : crime et châtiment


Le Lion a failli à sa parole. Dimna a trahi la confiance de son roi. Il l’a
trompé sur Senceba, il a été doublement traître et déloyal.
Le récit du Pancha Tantra finit par l’éclat de rire des deux renards qui se
moquent des deux puissants bernés. Dans le récit de Ibn Almoqaffa, les

20. J. M. CACHO BLECUA et M. J. LACARRA, éd. cit., p. 171. Dans la version de


A. MIQUEL, « tu es dominé par la perfidie et la fatuité », p. 97.
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choses se déroulent autrement. Sitôt le meurtre accompli, le lion éprouve


des remords et commence à se poser des questions. Le cœur lourd, il
exprime des doutes et des regrets. Commence alors un chapitre ajouté
par Ibn Almoqaffa, celui du Procès de Dimna, qui pourrait être une illus-
tration de ce principe du retour de la ruse dont parle souvent le récit21.
On cherche alors à inculper Dimna en l’accusant non pas du meurtre
du « pur » Senceba – c’est d’ailleurs le Lion qui l’a tué – mais du crime
d’infidélité, du crime de traîtrise envers le roi.
Dimna a été déloyal, il a manqué à la fidélité du pacte, il a trompé son
seigneur… mais on manque de preuves matérielles. On se rabat alors sur
les signes extérieurs de traîtrise : son physique, mais sans évoquer pour
autant la présence de ces taches qui sont, je le rappelle, une exclusivité de
la version d’Alphonse X. On parle de son regard, de ses sourcils, etc.
… el que ha el ojo siniestro pequeño et guiña dél mucho, et tiene la nariz inclinada faza la
diestra parte, et tiene las cejas alongadas, et entre las cejas tres pelos et quando anda abaxa
la cabeza et cata siempre en pos de si, et salta todo el cuerpo, et el que estas señales ha en si
es mesturoso et falso traidor, et todas estas señales son en este lazrado aperçibidas22…
C’est le cuisinier du roi qui a parlé ici. Son accusation, très maladroite,
est adroitement retournée par Dimna. Ce pauvre sot confond la cause
avec ses effets, et Dimna répond que le physique ne peut pas être respon-
sable du comportement de quelqu’un, ne serait-ce que parce que per-
sonne n’est responsable de son physique. Le corps n’oblige pas à un com-
portement, il n’y a pas de déterminisme physique…
Néanmoins, c’est Dimna lui-même qui va nous dire à quel point le
corps peut parler, combien il peut trahir et dénoncer, car la tache peut se
cacher, être invisible à l’œil nu, mais elle agit, et c’est par son action
qu’elle manifeste son existence. Cette existence, c’est Dimna qui va la
déceler chez le cuisinier qui l’accuse, en révélant à son tour les taches
cachées de ce dernier : le cuisinier est hernieux, il a la gale il est teigneux :
« ayúntanse en ti todas las malas tachas, ca eres potroso, et as mal de figo, et eres tiñoso,
et as albarraz en las piernas… »23.
La tache est ici souillure, et pourriture secrète et infectieuse. C’est la
traîtrise de l’accusation contre Dimna qui a révélé son existence.

21. La présentation de la ruse, image de la perfidie qui se retourne contre celui qui l’emploie,
se retrouve à plusieurs reprises. Dans l’édition J. M. CACHO BLECUA et M. J. LACARRA,
voir p. 145, 171 et 173.
22. L’accusation du cuisinier est en accord avec les théories physionomiques du Moyen Âge
dont on trouve maints témoignages autant chez les musulmans que chez les chrétiens. La
réponse de Dimna est une fois de plus une réfutation du fatalisme et une revendication de res-
ponsabilité.
23. « Tu es hernieux, affecté d’hémorroïdes que tu grattes tout le jour, tu as les membres distordus et tu réunis
toutes les turpitudes de la création », A. MIQUEL, éd. cit., p. 125.
  - 

La tache semble ainsi liée à l’idée d’infidélité et de traîtrise. Dimna


était l’accusateur de Senceba, le cuisinier est accusateur d’un Dimna en
situation difficile… Le récit présente encore un cas d’accusateur tacheté.
En effet le rapport entre le nom double, la fourrure tachetée et le com-
portement ambigu est conforté par la présence dans le récit d’un autre
personnage, le léo/pard24 qui assume le rôle, combien trouble, de l’es-
pion dénonciateur.
Le procès de Dimna traîne par manque de preuves, mais le léo/pard
rode autour de la maison de Calila, sous prétexte de chercher du feu. Il
surprend alors la conversation entre Calila et Dimna, en fait les aveux de
Dimna, et s’empresse non point d’accuser directement Dimna, mais de
communiquer le renseignement à la mère du Lion, tout en lui deman-
dant le secret. Cette dernière agit donc selon son intime conviction, en
connaissance de cause, mais sans pouvoir utiliser directement le témoi-
gnage du léo/pard qui se débarrasse de Dimna en utilisant la force de la
Lionne mère, mais sans se compromettre…
On n’obtiendra pas pour autant les aveux de Dimna. Ce dernier,
fidèle cette fois-ci à lui-même, à son caractère « satanique », meurt sans
aveu ni repentir, et donc sans pardon, comme il est dit dans le récit.

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L’homme est donc faillible et très fragile. Incomplet et entaché, son juge-
ment a besoin d’être éclairé. Cette histoire, première du récit, est une
véritable mise en garde contre la fragilité de toute fidélité et de tout enga-
gement humain. Elle est aussi une mise en scène du mécanisme de la
ruse, vêture du Mal qu’il faut savoir démasquer et fuir.
Les 13 chapitres qui suivent cet avertissement, dans la version d’Al-
phonse de Castille, présentent toutes les circonstances qui peuvent don-
ner lieu à l’accord, depuis celles qui, fondées sur l’amour, offrent les
meilleures garanties, jusqu’à ces autres qui avancent les raisons de l’inté-
rêt. Restent enfin ces circonstances qui rendent l’accord absolument
impossible.
L’ouvrage apparaît ainsi comme étant articulé au tour de l’axe de la
Fidélité/Infidélité, et c’est probablement cette vision des choses qui attira
l’attention d’Alphonse X. Lui, le maître des Partidas était particulièrement
réceptif à une vision des relations humaines fondées sur l’accord des
volontés et sur la bonne foi des contractants. Tout le mal du monde

24. Le double nom de léopard révèle un double mélange. Voici que selon les bestiaires du
Moyen Âge le léopard serait un bâtard, né de l’adultère (sic) de la lionne avec un « Pard » tout
à fait vilain. Voir là-dessus J. P. CLÉBERT, Dictionnaire du symbolisme animal, Paris : Albin
Michel, 1971.
   :        

venait de ce manquement à la parole et tout avait commencé par ce pacte


passé avec Dieu au Paradis, que l’homme n’avait pas su tenir.
Le livre qu’il fit traduire pourrait, selon cette hypothèse, sous-titrer
ainsi ses chapitres :

Table du Calila et Dimna dans l’axe de la Fidélité/Infidélité


(numéros de chapitres, version d’Alphonse de Castille)

III. « Du Lion et du Bœuf (deux amis fidèles et un « mesturero » infidèle) :


La Fidélité vaincue.
IV. Le procès de Dimna : Le châtiment de l’Infidélité.
V. La colombe au collier (deux purs amis) : La Fidélité réciproque.
VI. Les hiboux et les corbeaux (les faux amis) : La Fidélité trompeuse.
VII. Le singe et la tortue (deux amis et une épouse) : L’ami trahi par Fidé-
lité à l’épouse : Deux Fidélités en concours.
VIII. Le religieux, le chien et la vipère : La Fidélité ignorée ou méprisée.
IX. Le chat et la souris (deux ennemis naturels accordés pour la circons-
tance) : La Fidélité circonstanciée.
X. Le roi et l’oiseau Catra (l’acte irréversible qui empêche toute amitié) :
La Confiance impossible.
XI. Ceredano Elbed et Beled : La Fidélité à l’ami, même si pour cela il
faut aller à son encontre.
XII. L’archer, la lionne et le chacal : La Fiabilité de celui qui a acquis
conscience de la souffrance des autres par sa propre souffrance.
XIII. Le religieux et son hôte : Être Fidèle à soi même.
XIV. Le lion et le loup-cervier religieux : La Fidélité éprouvée.
XV. L’orfèvre et le religieux : Reconnaissance et Fiabilité (l’ingrat n’est
pas fiable).
XVI. Le fils du Roi et ses compagnons : Fidélité à la volonté de Dieu.
Convenir à son destin.
XVII. Les deux cormorans et le canard : La Méfiance est souvent néces-
saire.
XVIII. Le renard, la colombe et le héron : Celui qui prêche la Méfiance
aux autres et se Fie lui-même

On peut objecter à l’encontre de la lecture ici proposée son côté par


trop judéo-chrétien, mais la version de Ibn Almoqaffa porte en elle-
même de telles possibilités de lecture. Sans être à proprement dire syn-
crétique, sa version, qui ne fait allusion à aucune religion en particulier,
réunit des éléments qui appartiennent au patrimoine commun de plu-
  - 

sieurs d’entre elles au point que juifs, maures et chrétiens pouvaient trou-
ver leur compte dans sa lecture25.
Le traducteur castillan, en introduisant les notions de tache et de
« mestura » – habile traduction du terme « menteur » –, et en changeant
la nature du traître, a souligné l’existant. Il a ouvert une possibilité de lec-
ture particulièrement apte à être saisie par la chrétienté du XIIIe siècle,
mais cette possibilité était sous-jacente dans ce récit, traduit du pehlevi
par un homme, certes converti à l’Islam, mais éduqué dans le maz-
déisme, et gardant sans doute le souvenir de Mithra, dieu des pactes,
garant de la vérité, figure éminente d’une religion fondée sur l’idée d’un
Choix primordial.

Nota : Les traductions en langue française renvoient systématiquement à l’édition


d’André Miquel, citée ci-dessus (note 2).

25. Sur la réception du texte de Calila et Dimna dans les pays islamiques, voir A. CHRAÏBI,
« La réception de Kalila et Dimna par la culture arabe », Crisol, 21, p. 77-88.

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