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Abstract. Before Ṯābit b. Qurra’s translation, there was a first Arabic version of Nico-
machus’ Introduction to arithmetic. Full of mistakes, it was revised by an anonymous
student of al-Kindī. Thanks to the part that Freudenthal and Levy have edited and trans-
lated, we are now able to identify this reviser as Aḥmad b. al-Ṭayyib al-Saraḫsī, who
we also identified as the author of the Rasā᾿il Iḫwān al-Ṣafā᾿ . The comparison of the
gloss written by this reviser with a new fragment of Saraḫsī on one part, and with the
“ Epistles of the Brethren in Purity ” on the other, corroborate Saraḫsī’s authorship of
the epistles. Furthermore, studying the misunderstandings on Nicomachus’ text in this
kindianised version gives a new light on al-Kindī’s attempt to unify philosophy and on
the specific ontology of the Brethren in Purity.
Résumé. Avant celle de Ṯābit b. Qurra, l’Introduction arithmétique de Nicomaque de
Gérase fit l’objet d’une première traduction fautive révisée par un élève d’al-Kindī.
Grâce à la partie éditée et traduite par Freudenthal et Lévy, nous pouvons désormais
identifier ce réviseur comme étant Aḥmad b. al-Ṭayyib al-Saraḫsī, que nous avons par
ailleurs reconnu comme auteur des Rasā᾿il Iḫwān al-Ṣafā᾿ . La comparaison des gloses
de ce réviseur d’une part avec un fragment inédit d’al-Saraḫsī et d’autre part avec les
« Épîtres des Frères en Pureté » corrobore l’attribution des épîtres à al-Saraḫsī. En outre,
l’étude des contresens de cette version kindisée du texte de Nicomaque nous renseigne
mieux tant sur la tentative kindienne d’unifier la philosophie que sur la spécificité de
l’ontologie des Frères en Pureté.
La première traduction arabe de l’Introduction arithmétique de Nicomaque
de Gérase constituait, au moment où Ṯābit b. Qurra s’empara du texte grec, un vé-
ritable palimpseste portant la trace de multiples interventions entre lesquelles la
voix de Nicomaque était devenue difficile à cerner. C’est que, outre l’empreinte
du traducteur syriaque et sa conversion approximative en arabe par Ibn Bahrīz,
elle contenait des corrections et des gloses inspirées par al-Kindī et introduites
dans le texte par un de ses disciples resté anonyme. Cette dernière empreinte est
elle-même double puisque, dans ses corrections, parfois il rapporte le commen-
taire d’al-Kindī tiré de ses leçons orales sur l’ouvrage et, à d’autres moments,
ce sont ses propres remarques qu’il donne. La traduction de Ṯābit à partir de la
langue originale restitua sa clarté au texte.
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262 GUILLAUME DE VAULX D’ARCY
1
Freudenthal et Lévy, « De Gérase à Bagdad : Ibn Bahrīz, al-Kindī, et leur recension arabe
de L’Introduction arithmétique de Nicomaque, d’après la version hébraïque de Qalonymos
ben Qalonymos d’Arles », in Régis Morelon et Ahmed Hasnawi (éd.), De Zénon d’Élée à
Poincaré : Recueil d’études en hommage à Roshdi Rashed (Louvain-Paris : Peeters, 2004),
p. 479-544.
2
Gad Freudenthal et Mauro Zonta, « Remnants of Ḥabīb ibn Bahrīz’s Arabic translation of
Nicomachus of Gerasa’s Introduction to arithmetic », in T. Langermann et J. Stern (éd.),
Adaptations in innovations (Louvain : Peeters, 2007), p. 67-82.
3
L’importance de l’arithmétique en général et de Nicomaque en particulier dans l’économie
des épîtres mathématiques des Frères en Pureté a déjà été remarquée par Carmela Baffioni,
« Citazioni di autori antichi nelle Rasā᾿il degli Ikhwān al-Ṣafā᾿: il caso di Nichomacho di
Gerasa », in Gerhard Endress et Remke Kruk (éd.), The Ancient tradition in Christian and
Islamic hellenism : Studies on the transmission of Greek philosophy and sciences dedicated to
H. J. Drossaart Lulofs on his ninetieth birthday (Leyde : Centrum voor Niet-Westerse Studies,
1997), p. 3-28. Malheureusement, malgré la précision de son analyse comparée avec la version
de Ṯābit, Baffioni, en l’absence de l’édition de la version de Ibn Bahrīz ne pouvait pas parvenir
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AḤMAD B. AL-ṬAYYIB AL-SARAḪSĪ 263
Nous avons donné ailleurs des arguments en faveur de l’identité entre al-
Saraḫsī et l’auteur des Épîtres des Frères en Pureté 4 . Surgit ici une troisième
silhouette, celle du réviseur. Il convient donc de montrer ici sa cohérence d’une
part avec l’œuvre nominale d’al-Saraḫsī et d’autre part avec les Épîtres prouvant
par là que ce sont les trois manifestations d’un même auteur, les trois reflets d’un
même être.
à des conclusions déterminantes. Voir ses conclusions, p. 24-5. La version complète par Ibn
Bahrīz de l’Introduction arithmétique n’existe que sous sa forme manuscrite et dans sa version
hébraïque ; éditer et traduire ce texte constituerait une tâche outrepassant largement notre
compétence. Nous nous limiterons donc au prologue que Lévy et Freudenthal ont eu le soin
de nous rendre accessible.
4
Guillaume de Vaulx d’Arcy, La philosophie mathématique des Épîtres des Frères en Pureté
(Paris : Belles Lettres, 2018), p. 22-48. Des éléments peuvent aussi être trouvés dans notre
ouvrage, Guillaume de Vaulx d’Arcy, Taysīr rasā᾿il Iḫwān al-Ṣafā᾿ (Le Caire : al-Hay᾿a al-
miṣriyya al-῾āmma lil-kitāb, 2017).
5
Voir Freudenthal et Lévy, « De Gérase à Bagdad », p. 509.
6
Franz Rosenthal, Aḥmad b. aṭ-Ṭayyib as-Saraḫsī : A scholar and a littérateur of the ninth
century (New Haven, CT : American Oriental Society, 1943), p. 24.
7
Voir Ulrich Rudolph (éd.), Philosophie in der islamischen Welt 8. – 10. Jahrhundert, nouvelle
éd. remaniée (Bâle : Schwabe Verlag, 2012), p. 153.
8
Guillaume de Vaulx d’Arcy, « Al-Saraḫsī versus al-Kaskarī : Plus qu’une dispute religieuse,
un événement philosophique », Bulletin d’études orientales, 66 (2017) : 275-321
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264 GUILLAUME DE VAULX D’ARCY
Enfin, la relation du réviseur à son destinataire est clairement celle d’un pré-
cepteur à sa noble pupille, relation qui fait immédiatement penser à celle qu’en-
tretenait al-Saraḫsī avec Aḥmad b. Ṭalḥa, celui qui deviendra le calife al-Mu῾taḍid
en 892. Le mode d’adresse du réviseur à son lecteur témoigne d’un certain rang :
J’ai bien saisi, [Sire] – que Dieu perpétue ta gloire –, ce que tu as indiqué ; que
9
Voir Freudenthal et Lévy, « De Gérase à Bagdad », p. 514.
10
Al-Nadīm, Kitāb al-fihrist, éd. Ayman Fū᾿ād Sayyid (Londres : Mū’assasa al-furqān lil-turāṯ
al-islāmī, 2009), vol. 2, p. 357.
11
Voir Vaulx d’Arcy, « Al-Saraḫsī versus al-Kaskarī ».
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AḤMAD B. AL-ṬAYYIB AL-SARAḪSĪ 265
12
Freudenthal et Lévy, « De Gérase à Bagdad », p. 514-516.
13
Freudenthal et Lévy, « De Gérase à Bagdad », p. 542.
14
Al-Kindī nommait volontiers les destinataires de ses épîtres « frère louable (al-aḫ al-
maḥmūd) » ou parfois « frère pieux (al-aḫ al-ṣāliḥ) ». Les rasā᾿il utilisent constamment « mon
frère (yā aḫī ) » et occasionnellement « ô frère bienfaisant et miséricordieux (ayyuhā al-aḫ
al-bārr al-raḥīm) ».
15
Freudenthal et Lévy, « De Gérase à Bagdad », p. 490.
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266 GUILLAUME DE VAULX D’ARCY
ture de l’Introduction, non plus les subtilités techniques mais la portée philoso-
phique. Ce parcours qui mène de la propédeutique arithmétique à la philosophie
est bien celui de l’enseignement chez al-Kindī et sa Quantité des livres d’Aristote
et il peut être assimilé au parcours initiatique que constituent les Rasā᾿il.
Pour en terminer avec ces adresses, l’hypothèse que le destinataire est al-
Mu῾taḍid, dont al-Saraḫsī fut le précepteur, est tout à fait cohérente avec la chro-
nologie établie pour cet ouvrage. En effet, Freudenthal est revenu sur le sujet
dans un autre article, en compagnie cette fois de Zonta. Ils ont effectué une ana-
lyse linguistique comparée de l’original grec, de fragments de la version arabe
d’Ibn Bahrīz non modifiée par le kindien et conservés dans un texte de Ya῾qūbī,
de la traduction hébraïque de Qalonymos et de la version de Ṯābit b. Qurra ; ils
ont ainsi pu juger le style de traduction (paraphrastique ou littéral) et estimer la
datation de la révision. Ya῾qūbī ayant écrit peu avant 873, les deux chercheurs en
concluent :
The recension associated with al-Kindī was apparently committed to writing only
after his death, and thus after the Ta᾿rīḫ was completed 16 .
Notons que la façon dont le réviseur évoque son maître « Abū Yūsuf » renvoie
en effet à un souvenir enfoui dans sa mémoire et non à une consultation présente.
Al-Mu῾taḍid naquit en 857 et dut prendre al-Saraḫsī pour précepteur vers
l’âge de 15 ans 17 . Et il est dit qu’il a déjà lu la version non révisée. On peut donc
supposer que la révision fut écrite entre 872 et 877 environ, un prince destiné à
régner n’en restant pas aux études théoriques longtemps après l’adolescence. Et
il est même possible que ce soit cet intérêt porté à l’Introduction arithmétique
qui ait amené al-Saraḫsī à rédiger la révision, et ensuite le prince à commander
une nouvelle traduction à Ṯābit b. Qurra. En effet, la critique que prononce le ré-
viseur à l’encontre de la version d’Ibn Bahrīz a pu inciter un mécène, peut-être
al-Muwaffaq, père d’Aḥmad et alors régent, ou al-Mu῾taḍid lui-même, à une telle
commande.
Il convient maintenant de passer à une analyse comparée des Rasā᾿il avec les
gloses écrites de la main du réviseur.
16
Freudenthal et Zonta, p. 79.
17
Rosenthal, Aḥmad b. aṭ-Ṭayyib as-Saraḫsī : A scholar and a littérateur of the ninth century,
p. 19 : « as-Saraḫsī was appointed instructor to al-Mu῾taḍid when the prince was about fifteen
years old ».
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AḤMAD B. AL-ṬAYYIB AL-SARAḪSĪ 267
Pour s’en tenir d’abord à une considération générale, trois éléments peuvent
être notés. Le premier élément est didactique, il concerne l’importance donnée
aux introductions.
Plus d’une fois, j’ai entendu notre maître dire ceci : là où s’exprime le mieux la
philosophie de ces deux personnages, je veux dire Ptolémée et Nicomaque, c’est dans
les introductions à leurs ouvrages – pour Ptolémée dans l’introduction à l’Almageste
et pour Nicomaque dans l’introduction au Livre d’arithmétique. En effet, les intro-
ductions de ces deux ouvrages touchent aux sujets les plus nobles de la philosophie
et elles occupent, quant à la connaissance, un rang élevé 18 .
Les Rasā᾿il sont justement composées d’épîtres pensées comme autant de
muqaddimāt wa-madāḫil à chacune des sciences philosophiques. En outre, la
source principale des épîtres mathématiques est l’Introduction arithmétique de
Nicomaque 19 .
Le deuxième élément est stylistique : le propos liminaire évoque un écart
entre la concision d’al-Kindī et la volubilité propre du réviseur qu’il s’oblige à
réfréner.
Ce propos, en dépit de sa brièveté, parviendra à réaliser ce qu’un long discours ne
serait pas parvenu à réaliser et il ne saurait être surpassé par un exposé excessivement
long. J’aurai abandonné [dans ces cas] ce que j’avais voulu dévoiler par le biais de
longs discours, au profit de son propos concis. Pour cette raison, je m’abstiendrai
d’embellir ce livre et d’en rajouter 20 .
Le réviseur ne peut s’empêcher justement d’en rajouter et de répéter longue-
ment sa différence avec la concision kindienne, manifestant par là la vérité de
son dire. Or, ce contraste fondamental s’applique parfaitement à la concision
proverbiale d’al-Kindī et à l’amplitude des Rasā᾿il.
Le troisième élément est thématique et consiste dans la représentation que se
fait le réviseur de la transmission des textes anciens :
Tu avais étudié le célèbre Livre d’arithmétique, qui se trouve entre nos mains,
lequel a été établi et composé par Nicomaque de Gérase, le Pythagoricien, et ce
dans la version que nous avions suivie pour corriger ce texte – sous l’autorité de
18
Freudenthal et Lévy, « De Gérase à Bagdad », p. 516.
19
Cela avait déjà été compris par Bernard Goldstein, « A treatise on the number theory from
a tenth-century Arabic source », Centaurus 10/3 (1964) : 129-60. Nous le détaillons dans
notre traduction des épîtres mathématiques : Iḫwān al-Ṣafā᾿, La philosophie mathématique
des Épîtres des Frères en Pureté, trad. Guillaume de Vaulx d’Arcy (Paris : Belles Lettres,
2018).
20
Freudenthal et Lévy, « De Gérase à Bagdad », p. 514-6.
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268 GUILLAUME DE VAULX D’ARCY
notre maître […], correction qui en a éliminé les idées erronées de Ḥabīb ibn Bahrīz
le Nestorien, lequel l’avait traduit du syriaque en arabe pour Ṭāhir ibn al-Ḥusayn
l’ambidextre 21 .
Le texte original a été corrompu dans sa transmission et son explication par
Ibn Bahrīz, mais al-Kindī l’a émondé de ces idées trompeuses. Ce cas du Livre
arithmétique illustre à merveille la thèse des Rasā᾿il sur la transmission scienti-
fique exposée justement dans l’épître sur l’arithmétique :
Mais à mesure que leurs discours s’y rapportant s’allongeaient et du fait qu’ils
furent transmis d’une langue à l’autre par des gens qui n’en saisissaient pas le sens et
ne connaissaient pas les intentions de l’auteur, la compréhension du sens devint inac-
cessible à ceux qui étudiaient de tels livres et les buts des écrivains firent problème
à ceux qui les cherchaient 22 .
Le sens est perdu au moment de la traduction et pose problème aux étudiants.
Cela exige alors une entreprise d’épuration ou d’introduction qui en restitue le
sens fondamental 23 . C’est bien ce que fait le réviseur de façon particulière, c’est
bien ce que font les Rasā᾿il avec l’ensemble des sciences.
21
Freudenthal et Lévy, « De Gérase à Bagdad », p. 514.
22
Épître 1, I 77. Nous citons les Rasā᾿il Iḫwān al-Ṣafā᾿ dans l’édition préparée par Buṭrūs al-
Bustānī (Beyrouth : Dār al-ṣādir, 1957).
23
Notons qu’on retrouvera un même argument chez Abū al-Barakāt al-Baġdādī, dans le propos
liminaire d’Al-Mu῾tabar fī al-ḥikma, éd. Jaydar Abād (Istanbul : Jam῾iyya dā᾿irat al-ma῾ārif,
1939), p. 2-3. On pourrait donc nous opposer qu’il s’agit là d’un topos d’autant plus courant
qu’il est ancré dans le mythe islamique d’un Coran originel, révélation par la suite corrompue
jusqu’à son retour dans sa pureté originelle avec la prophétie de Muḥammad. L’objection ne
contredit donc pas le parallèle entre les deux textes, mais l’ancre culturellement.
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AḤMAD B. AL-ṬAYYIB AL-SARAḪSĪ 269
[…] Sur cet exemple s’exprime la situation de la forme dans la matière et la situa-
tion de la matière par rapport à la forme jusqu’à ce que toutes les choses s’épuisent
dans la matière primordiale qui est la forme de l’existence et c’est tout 27 .
La remarque du réviseur donnait à la matière la propriété de faire passer du
non-être à l’être, et c’est bien « la forme de l’existence » qui constitue l’essence
de la matière dans les Rasā᾿il Iḫwān al-Ṣafā᾿ . L’expression n’y est pas isolée,
mais résulte bien d’une conception originale cherchant à résoudre la contradic-
tion qu’implique le fait que la matière est la troisième émanation cosmique, donc
un principe intelligible. Il y est dit que « la matière primordiale est une forme
spirituelle 28 », celle de l’existence en général, support alors des formes particu-
lières qui viendront s’y inscrire. La conséquence est alors une appréhension de
la matière effective et de la forme en termes de relatifs : le coton est la matière
du fil, du fait qu’il lui préexiste ; de même, le fil est la matière du tissu et le tissu
la matière de la chemise 29 . La matière particulière se caractérise alors par son
antécédence dans l’existence. La matière est bien cause du passage d’une forme
individuelle du non-être à l’être. Le corollaire de cela est que les formes sont in-
dividuelles, et que les espèces constituent une abstraction abandonnant certaines
des différences formelles 30 .
24
Freudenthal et Lévy, « De Gérase à Bagdad », p. 526.
25
Voir Aristote, Métaphysique, livre .
26
Épître 15, II 7.
27
Épître 15, II 8.
28
Épître 35, III 235.
29
Épître 32, III 183.
30
Voir, par exemple, l’épître 19, II 102 : « Nous disons qu’il n’y a aucune montagne, ni mer ni
terre ni île ni fleuve ni région ni pays sur Terre, qu’il soit grand ou petit, apparent ou caché, qui
n’ait une ou de nombreuses propriétés qui lui soient propres à l’exclusion des autres ; » ou, au
niveau humain, l’épître 9, I 374 : « Sache frère, que Dieu te vienne en aide et nous soutienne
de son souffle divin, que toute communauté de croyants et tout groupe de religieux possèdent
un art qui les singularise et que ne possèdent pas les autres, un métier où ils excellent et se
distinguent des autres… »
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270 GUILLAUME DE VAULX D’ARCY
Une deuxième intervention, plus anecdotique, peut être relevée dans la suite
de la page. Concernant les incorporels, il a été ajouté : « à savoir les neuf catégo-
ries » et, avant la liste des mouvements individuels, il est précisé qu’on compte
« six mouvements ». Bref, il ne s’agit de rien de plus qu’un ajout chiffré. Quelle
importance à donner le nombre des choses ? Cela n’a d’intérêt en effet pour
personne, sauf pour qui considère la science véritable comme un repérage des
nombres inscrits dans la nature, conception qu’on retrouve en particulier dans les
Rasā᾿il Iḫwān al-Ṣafā᾿ qui l’appliquent aux catégories et aux mouvements 31 .
Enfin, une troisième intervention mérite d’être relevée bien qu’elle ne consti-
tue apparemment qu’une paraphrase redondante de l’argument de la disparition,
ou de la co-suppression.
L’auteur du livre [Nicomaque] dit : Ce qui montre que l’art de l’arithmétique
est, par nature, antérieur aux autres [sciences], c’est que sa disparition entraînerait
la disparition des autres, alors que la disparition de celles-là n’entraînerait pas sa
disparition à elle 32 .
À ce propos de Nicomaque est surajouté le commentaire suivant :
En effet, si le nombre disparaît, les [choses] comptées n’ont plus d’existence. En
revanche, il n’est pas vrai que si les [choses comptées] n’existent pas, le nombre
disparaît 33 .
Ce que Nicomaque dit à propos de la science, le réviseur le dit au niveau
du nombre. Mais la nécessité de l’affirmation est moins évidente. En effet, si les
sciences tirent leur principe de l’arithmétique, la disparition de cette dernière en-
traîne la disparition des sciences. Mais dans le cas du nombre, qui donne la quan-
tité des choses, sa disparition retirerait-elle vraiment l’existence des choses alors
que le nombre n’est pas la cause de leur existence ? En fait, ce sont les Rasā᾿il
qui nous éclairent ici. Si la forme de l’argument se trouve déjà dans l’épître 1
à propos du rapport de l’un aux autres nombres 34 , son contenu lui-même est
présent dans l’épître 35, « sur l’intellect et les intelligibles » :
31
Pour le rang 9+1 (9 accidents + 1 substance) des catégories, voir l’épître 5, I 199, et l’épître
11, I 407-8 ; pour le rang des mouvements, voir l’épître 8, I 279. Le rang y est de 6+1, aux
mouvements individuels étant ajouté le mouvement circulaire des orbes.
32
Freudenthal et Lévy, « De Gérase à Bagdad », p. 538.
33
Ibid.
34
« L’un est le fondement (aṣl) et l’origine (manša’) des nombres. Par conséquent, si l’un est
retiré de l’existence, les nombres le sont aussi par son retrait. En revanche, si les nombres sont
retirés de l’existence, l’un ne l’est pas. Nous disons alors : c’est le deux qui est le premier
nombre dans l’absolu, le nombre est donc la multiplicité (kuṯr) des unités, et la première
multiplicité est deux » (épître 1, I 57).
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AḤMAD B. AL-ṬAYYIB AL-SARAḪSĪ 271
Le Créateur, le Très Haut, est dans toute chose et avec toute chose sans pour
autant s’y mélanger et s’y mêler, de la même façon que l’un est dans tout nombre et
tout nombré (ma῾dūd). Par conséquent, si l’on enlève l’un de tout existant (mawjūd),
on peut en conjecturer (tawahhamnā) le retrait de tout le nombre. Mais si le nombre
est enlevé, l’un ne l’est pas. De la même façon, si le Créateur n’était pas, il n’y aurait
rien du tout d’existant. Mais si les choses disparaissaient, Il n’en disparaîtrait pas
avec 35 .
Ici, l’un est mis en rapport tant avec le nombre, comme dans l’épître 1, qu’avec
le nombré, comme cela le fut dans l’Introduction arithmétique. Il faut com-
prendre deux niveaux dans le raisonnement permis par l’analogie entre le rap-
port de l’un au nombre et au nombré d’une part et le rapport de Dieu aux choses
d’autre part. Le premier niveau est ontologique : la négation de Dieu est im-
possible car, sans lui, l’existence même des choses est impensable. Le second
niveau, qui nous intéresse ici, est épistémologique, il concerne l’annulation du
nombre : les choses demeurent, mais elles ne sont plus nombrées. Cela signifie
qu’elles restent perceptibles, mais qu’elles ne sont plus connaissables. C’est là
une idée importante d’al-Kindī 36 , mais qu’on ne trouve reliée à la forme nico-
maquienne de cet argument que dans les Rasā᾿il.
1.3. Transition
35
Épître 40, III 348-9.
36
En effet, les choses sont des substances, mais elles ne sont connaissables qu’au moyen des
catégories de la quantité et de la qualité, sur lesquelles sont construites les quatre sciences ma-
thématiques. Voir Ya῾qūb b. Isḥāq al-Kindī, « Kammiyya kutub Arisṭū », in Rasā’il al-Kindī
al-falsafiyya, éd. ῾Abd al-Hādī Abū Rīda (Le Caire : Dār al-fikr al-῾arabī, 1950), p. 362-84, ici
p. 370-2.
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272 GUILLAUME DE VAULX D’ARCY
De la même façon, concernant ce qui est soumis à l’étendue, il en est qui est
immobile dépourvu de mouvement, d’autre qui est en mouvement et qui tourne. On a
alors ici aussi deux autres sciences dont on connaît par elles les réalités de l’étendue,
on connaît par l’une la réalité de la chose immobile et dépourvue de mouvement, il
s’agit de la géométrie, et on connaît par l’autre la réalité de la chose en mouvement
et qui tourne, il s’agit de l’astronomie (῾ilm al-kura) 38 .
Les éditeurs proposent une généalogie de cette erreur, l’attribuant « bien en-
37
Freudenthal et Lévy, « De Gérase à Bagdad », p. 530-2.
38
Nīqūmāḫus al-Jārāsīnī, Kitāb al-madḫal fī ῾ilm al-῾adad, éd. Wilhelm Kutsch, trad. Ṯābit b.
Qurra (Beyrouth : Imprimerie catholique, 1959), p. 14 = f. 6a, l. 1-10.
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AḤMAD B. AL-ṬAYYIB AL-SARAḪSĪ 273
39
Voir Freudenthal et Lévy, « De Gérase à Bagdad », p. 532, note 99. L’hypothèse avait déjà
été formulée à propos de cette même confusion concernant la géométrie comme science de
la qualité, plutôt que de l’étendue comme chez Aristote, mais cette fois-ci dans La Quantité
des livres d’Aristote d’al-Kindī. Voir M. Guidi et R. Walzer, « Uno scritto introduttivo allo
studio di Aristotele », in Atti della Reale Accademia d’Italia, memorie della Classe di scienze
morali, storiche e filologiche, série 6, vol. 6, fasc. 5, « Studi su al-Kindī », partie I (1940),
p. 375-419, ici p. 387.
40
Marwan Rashed, « Al-Kindi, the categories and the best possible world », article inédit.
41
Dans la traduction de Ṯābit, p. 101.
42
Voir l’épître 6, I 245-6 : « Sache que le rapport (nisba) est de trois espèces, soit selon la
quantité, soit selon la qualité, soit selon les deux pris ensemble. Pour celui qui se fait selon la
quantité, on parle du rapport arithmétique ; celui selon la qualité, on parle du rapport géomé-
trique ; et pour celui qui se fait selon les deux pris ensemble, on parle du rapport harmonique
et musical (tā᾿līfiyya wa mūsiqiyya) ».
43
Voir al-Kindī, « Kammiyya kutub Arisṭū », p. 370-1.
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274 GUILLAUME DE VAULX D’ARCY
De l’ouvrage d’al-Saraḫsī Sur les catégories, un seul fragment nous est par-
venu grâce à un recueil de citations conservé dans le manuscrit Ayasofia 4855.
Cet unicum est mentionné d’une part par Muḥsin Mahdī dans son édition du
texte d’al-Fārābī qui le précède (63a-70b) sous le titre : Al-As᾿ila al-lāmi῾a wa-
al-ajwiba al-jāmi῾a 46 , et d’autre part par Hans Daiber dans son édition du texte
de Qusṭa b. Lūqā qui lui succède en 78b 47 . Les deux philologues divergent sur le
découpage de la citation à attribuer à al-Saraḫsī, Mahdī faisant l’hypothèse d’une
citation longue 48 . Le décalage entre 71 et 72 est dû à une erreur de pagination
sur le manuscrit lui-même, erreur corrigée depuis. Daiber opte, quant à lui, pour
une version courte qu’il limite aux lignes 1-9 du folio 71a. La suite jusqu’à 78b4,
il la décrit ainsi :
Les citations et fragments suivants [appartiennent] aux questions de logique, de
psychologie et de physique, ils sont référés comme ayant leur source chez les muta-
kallimūn (71a, 9) ; al-Šayḫ (probablement Ibn Sīnā ; f. 71a, 12) […] 49 .
Pour preuve qu’il ne s’agit plus d’al-Saraḫsī, des extraits tirés d’Abū al-Barakāt
al-Baġdādī, de l’imām al-Ġazālī et autres encore ont été identifiés par Daiber.
L’erreur de Mahdī est qu’il s’en est tenu aux marques de mise en page : seuls les
44
I 267.
45
I 409.
46
Al-Fārābī, Kitāb al-milla wa nuṣūṣ uḫrā, éd. Muḥsin Mahdī (Beyrouth : Dār al-mašriq, 1968),
présentation de Mahdī p. 34-8, texte p. 93-115.
47
Hans Daiber, « Qosṭā Ibn Lūqā (9. JH.) über die Einteilung der Wissenschaften », in Fuat
Sezgin (éd.), Zeitschrift für Geschichte der Arabisch-Islamischen Wissenschaften (Francfort :
Institut für Geschichte der Arabisch-islamischen Wissenschaften, 1990), p. 93-129.
48
Al-Fārābī, Kitāb al-milla wa-nuṣūṣ uḫrā, préface de M. Mahdī, p. 35 : « Puis suit l’épître
d’al-Saraḫsī sur les catégories dont le début est “ de l’épître d’Aḥmad b. al-Ṭayyib al-Saraḫsī
Les dix catégories… ” (72 wa) et la fin “ s’il y avait quelque mouvement pour que… et ceci
(ḫalafa) ” (79 ẓad). »
49
Daiber, « Qosṭā Ibn Lūqā (9. JH.) über die Einteilung der Wissenschaften », p. 96.
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AḤMAD B. AL-ṬAYYIB AL-SARAḪSĪ 275
débuts des textes d’al-Fārābī, d’al-Saraḫsī et de Qusṭā étant indiqués par un titre
à l’encre rouge. Cela met en valeur certains auteurs nommés et non la sépara-
tion des citations. En effet, Mahdī remarque déjà que dans le texte qu’il a édité
pourtant au nom d’al-Fārābī, de nombreux fragments sont tirés d’al-Mas῾ūdī 50 .
Al-Fārābī n’est sûrement l’auteur que de la première citation (63a, l. 1-4) où il
affirme la préférence qu’il donne au terme « le premier (al-aḥad) » sur le terme
« l’un (al-wāḥid) » 51 . À la ligne 6, la citation est introduite par « les linguistes
affirment : ». On n’est donc déjà plus chez al-Fārābī. Le manuscrit constitue un
recueil par un lettré de citations courtes sur des sujets très variés de philosophie.
Concernant l’authenticité du passage proprement attribué à al-Saraḫsī, elle est
tout à fait fiable. D’abord, les erreurs d’attribution constatées dans le manuscrit
par Mahdī concernent uniquement la mise en page de la copie, non pas les noms.
Ensuite, al-Saraḫsī est bien réputé avoir commis un livre résumant les Catégo-
ries d’Aristote 52 . Enfin, notre analyse va montrer que le texte tient parfaitement
sa place dans la succession d’al-Kindī, comme en témoigne la distinction entre
catégories simples et catégories composées.
وهي ينقسم. المقو الع ر، أ[ من رسالة أحمد بن الطيب السرخسي٧١]
وكم، جوهر كسماء وأرض: والبسيطة أربعة أقسام. أما بسيطة وأما مركبة.قسمين
. ومضاف كضعف النصف ونصف الضعف، وكيف كبياض وسواد،كذراعين وثلثة
، أين وهي من يركب جوهر مع مكان كف ن في السوق: والمركبة ستة أقسام
وملك وهي. وهي من يركب جوهر مع زمان ككان ف ن أمس ويكون غدًا،ومتى
ونصبة وهي من يركب جوهر مع.من يركب جوهر مع جوهر كف ن عبد وخادم
وهي من يركب جوهر مع كيف كف ن، وفاعل.جوهر كف ن متسلق على ا ٔرض
. وهي من يركب جوهر مع كيف كمنقطع ومخرق، ومنفعل.يقطع وف ن يخرق
50
Al-Fārābī, Kitāb al-milla wa nuṣūṣ uḫrā, p. 35.
51
On sait en effet al-Fārābī substitua « le premier » (al-awwal) à l’appellation du principe on-
tologique par « l’un » dans le kindisme et qu’il écrivit une épître Sur l’un et l’unité. Voir
al-Fārābī, Kitāb al-wāḥid wa-l-waḥda, éd. Muḥsin Mahdī (Casablanca : Dār Tūbqāl, 1990).
La paternité farabienne de cette citation est donc digne de foi. En revanche, la suivante concer-
nant le croyant et la distinction entre une soumission religieuse et une soumission mondaine
ne peut lui être associée.
52
Al-Nadīm, Kitāb al-fihrist, vol. 2, p. 196.
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276 GUILLAUME DE VAULX D’ARCY
53
Myriam Salama-Carr, La Traduction à l’époque abbasside (Paris : Didier Érudition, 1990),
p. 69.
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AḤMAD B. AL-ṬAYYIB AL-SARAḪSĪ 277
la catégorie de la position est rendue chez al-Kindī par le terme al-mawḍū῾ alors
que les Rasā᾿il emploient le mot al-nuṣba.
Cela aurait pu constituer une objection supplémentaire à l’attribution des
Rasā᾿il à al-Saraḫsī s’il n’y avait pas eu ce fragment qui montre que la rupture
avait été opérée par al-Saraḫsī lui-même. En effet, ce dernier emploie, comme les
Rasā᾿il, le terme al-nuṣba plutôt qu’al-mawḍū῾ usité chez son maître. On ne peut
pas expliquer cette différence par une évolution de la traduction des Catégories
d’Aristote, en supposant qu’al-Kindī utilise le lexique de la version d’Ibn al-
Muqaffa῾ alors qu’al-Saraḫsī et les Rasā᾿il utiliseraient la version d’Isḥāq b. Ḥu-
nayn, car cette dernière traduit la position par al-mawḍū῾ 54 . On a donc un choix
tout à fait singulier et distinctif d’al-Saraḫsī et des Rasā᾿il qui peut s’expliquer
par l’influence d’al-Jāḥiẓ sur al-Saraḫsī 55 .
Quant à la catégorie de la relation, elle acquiert chez al-Saraḫsī le statut
qu’elle aura dans les Rasā᾿il. Pourquoi ce changement ? On peut penser qu’il
s’agisse d’une systématisation de la théorie combinatoire des catégories dans le
kindisme, pour des raisons numérologiques et de cohérence avec les autres do-
maines du réel. En effet, le découpage entre une catégorie initiale (substance)
puis quatre catégories simples tout en conservant le nombre de dix catégories
générales respecte la progression 1-4-10 qu’on retrouve ailleurs. L’épître 5 l’ap-
plique à toute une série de domaines, dont la logique :
Dans l’épître sur la logique, nous montrons également que la substance est comme
l’un, et les neuf autres catégories comme les neuf unités, dont quatre précèdent le
reste 56 .
On retrouve analogiquement dans la suite du texte le rôle combinatoire des
quatre premières entités en physique : tout corps est composé de substance, lon-
gueur, largeur et profondeur ; et en métaphysique, les dix principes intelligibles
sont au premier chef quatre, le créateur, l’intellect, l’âme et la matière.
Notons enfin, plus marginalement, que l’exemple de relation retenu dans le
texte d’al-Saraḫsī se retrouve aussi dans les Rasā᾿il qui n’en reste pas au para-
digmatique cas de la paternité :
Les deux relatifs peuvent aussi résider dans des noms différents, comme le père
54
Voir Aristote, Manṭiq Arisṭū, éd. ῾Abd al-Raḥman Badawi (Le Caire : Dār al-kutub, 1948),
« Kitāb al-maqūlāt », p. 6.
55
Ce terme était en effet très usité chez al-Jāḥiẓ qui l’employait, entre autres, dans ce sens. Voir
James E. Montgomery « Jahiz’s Kitab al-bayan wa’l-tabyin » in Julia Bray (éd.), Writing and
representation : Muslim horizons (London : Routledge, 2006), p. 91-152, ici p. 129.
56
Épître 5, I 19.
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278 GUILLAUME DE VAULX D’ARCY
La seconde erreur de traduction présente dans la version d’Ibn Bahrīz est plus
subtile mais bien plus décisive. Elle concerne le statut de la science arithmétique.
Cette dernière est dite première sur les autres sciences mathématiques. C’est
dans la justification de cette primauté que les deux traductions divergent. Voici
d’abord le texte d’Ibn Bahrīz :
Nicomaque dit : La première d’entre ces quatre sciences, celle qui a antériorité
sur les autres par nature, celle dont la vérité est la mieux établie, celle qui engendre
les autres, celle dont dérive leur origine et à partir desquelles elles croissent, c’est
l’art de l’arithmétique.
Ce n’est pas parce que c’est elle qui préexiste dans le plan du Créateur, mais
parce qu’elle est comme un modèle, un patron, dont sont dérivées les propriétés des
choses que [le Créateur], qu’Il soit béni, a fait naître à partir du fondement [ou : de
l’élément] et qu’Il a perfectionnées selon les propriétés spécifiques de chacune.
L’auteur du livre [Nicomaque] dit : Ce qui montre que l’art de l’arithmétique
est, par nature, antérieur aux autres [sciences], c’est que sa disparition entraînerait la
disparition des autres, alors que la disparition d’une de celles-là n’entraînerait pas sa
disparition à elle. En effet, si le nombre disparaît, les [choses] comptées n’ont plus
d’existence. En revanche, il n’est pas vrai que si les [choses comptées] n’existent pas,
le nombre disparaît. Par exemple : l’animal est antérieur par nature à l’homme, car
lorsque l’animal disparaît, l’homme disparaît avec lui. En revanche, il n’est pas vrai
que si l’homme disparaît, l’animal disparaît 59 .
Les éléments que nous avons soulignés correspondent à ce que Lévy et Freu-
57
Épître 11, I 410.
58
En tout cas, cette distinction entre l’aristotélisme, comme doctrine de la nature, et le pytha-
gorisme, comme doctrine métaphysique, est caractéristique des Rasā᾿il. Voir l’épître 42, III
467-8, III 473, III 513.
59
Freudenthal et Lévy, « De Gérase à Bagdad », p. 537-8.
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AḤMAD B. AL-ṬAYYIB AL-SARAḪSĪ 279
60
La proposition est à la ligne 8 et le faqaṭ n’apparaît qu’à la ligne 16 ! On comprend avec la
complexité de la phrase la possibilité de l’erreur de traduction.
61
L’antécédent peut être soit l’arithmétique (ṣinā῾a), soit les choses (al-ašyā᾿ ).
62
Le terme est pris ici dans son acception platonicienne d’eidos. Voir Rüdiger Arnzen, Pla-
tonische Ideen in der arabischen Philosophie : Texte und Materialien zur Begriffsgeschichte
von suwar aflatuniyya und muthul aflatuniyya (De Gruyter, 2011), p. 80-1.
63
Nīqūmāḫus al-Jārāsīnī, Kitāb al-madḫal fī ῾ilm al-῾adad, p. 16 = f. 9, l. 5-20. Pour compa-
raison, la traduction anglaise du texte original, in Nicomachus of Gerasa, Introduction to
arithmetic, trad. Martin Luther d’Ooge (Londres : Macmillan, 1926), p. 187 : « Which then
of these four methods (quadrivium) must we first learn ? Evidently the one which naturally
exists before them all, is superior and takes the place of origin and root and, as it were, the
mother of the others. And this is arithmetic, not solely because we said that it exists before all
the others in the mind of the creating God like some universal and exemplary plan, relying
upon which as a design and archetypal example the creator of the universe sets in order his
material creation and makes them attain to their proper aim ; but also because it is naturally
prior in birth, inasmuch it abolishes other sciences with itself, but it does not abolishes toge-
ther with them. For example ‘animal’ is naturally antecedent to ‘man’, for abolish ‘animal’
and ‘man’ is abolished ; but if man is abolished, it no longer follows that ‘animal’ is abolished
at the same time. »
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280 GUILLAUME DE VAULX D’ARCY
64
Il suffit de comparer avec l’ordonnance des sciences chez son collègue Ḥunayn b. Ishāq pour
constater qu’il ne s’agit pas simplement d’un ordre traditionnel, mais qu’il est bien le résultat
d’une méditation philosophique. Voir Ḥunayn b. Isḥāq, Adāb al-falāsifa, éd. ῾Abd al-Raḥman
Badawi (al-Kuwayt : al-Munaẓẓama al-῾arabiyya lil-tarbiyya wa al-ṯaqāfa wa al-῾ulūm, 1975),
p. 55 : « La première chose que le sage [Aristote] enseigne à son disciple lors de la première
année est l’écriture grecque, puis il l’élève à la grammaire et à la poésie, puis à l’art de compter
(al-ḥisāb), puis à la géométrie, à l’astronomie, à la médecine et à la musique. Après cela, il
l’élève à la logique puis à la philosophie, à savoir les sciences des influences célestes (al-āṯār
al-῾ulwiyya). Ce sont là les dix sciences que l’étudiant apprend pendant dix ans. »
65
Al-Kindī, « Kammiyya kutub Arisṭū », p. 373-6.
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AḤMAD B. AL-ṬAYYIB AL-SARAḪSĪ 281
66
Ya῾qūb b. Isḥāq al-Kindī, Œuvres philosophiques et scientifiques d’al-Kindī, trad. Roshdi
Rashed et Jean Jolivet (Brill, 1998), vol. 2, p. 129-31.
67
Épître 1, I 49.
68
Épître 1, I 52.
69
Épître introductive, I 21.
70
Nous détaillons ce point crucial dans Iḫwān al-Ṣafā᾿, La philosophie mathématique des
Épîtres des Frères en Pureté.
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282 GUILLAUME DE VAULX D’ARCY
71
Voir l’épître 1, I 55 : « Et sache, frère, que les rangs du nombre, dans la plupart des nations,
sont au nombre de quatre, de la façon dont nous l’avons évoqué, alors qu’ils sont de seize
chez les Pythagoriciens. »
72
Ou providence.
73
Épître 39, III 339.
74
Épître 22, II 350.
75
Épître 40, III 358.
76
Épître 42, III 498.
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AḤMAD B. AL-ṬAYYIB AL-SARAḪSĪ 283
2.3. Conclusion
77
Épître 42, III 470-1. Ce passage, document précieux d’histoire de la théologie musulmane,
porte sur la cause de la création, entre la volonté divine de la mu῾tazila et la science divine de
la falsafa ; il finit par proposer deux voies à cette dernière, l’une déterministe et l’autre qui
conçoit la prescience divine comme une sagesse.
78
Nīqūmāḫus al-Jārāsīnī, Kitāb al-madḫal fī ῾ilm al-῾adad, p. 18.
79
Pour l’idée de livre de la nature dans les Rasā᾿il, voir l’épître 45, IV 42, et l’épître 48, IV
167-8.
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