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ENSEIGNEMENT DE LA NUTRITION
Ont participé à cet ouvrage :
Coordination de la rédaction :
J.-L. BRESSON
Département de Physiologie – Hôpital des Enfants Malades, Paris
Collège des Enseignants de Nutrition
ENSEIGNEMENT DE LA NUTRITION
Tome 1 – Physiologie
A. Boulier
s o m m a i r e
2. Dépense énergétique 31
E. Jequier
3. Substrats énergétiques 43
I. Les glucides – J. Schmitz, J. L. Bresson
II. Les lipides – C. Couet
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1
Évaluation de l’état nutritionnel :
la composition corporelle de l’homme
Méthodes de mesure, résultats
A. Boulier
1. Évaluation physiologique de l’état nutritionnel : la composition corporelle de l’homme
L macroscopiquement de nom-
breux éléments de densités et
de nature très différentes
Initialement, la masse corporelle (P) a été
divisée en deux compartiments seulement : la
masse grasse (MG) et la masse maigre (MM):
Graisse, Os, Protéines, Eau etc. dont les
quantités sont maintenues dans des propor- P=MM+MG
tions remarquablement constantes chez
l’homme normal. On regroupe sous le nom La masse grasse (MG) comprend les
de « compartiment » ou « masse » certains lipides amorphes (triglycérides surtout)
éléments ayant une valeur physiologique qu’il faut distinguer du tissu graisseux qui,
voisine : par exemple le compartiment
lui, comprend en plus de l’eau et de la
graisseux, la masse musculaire.
masse maigre sèche. Ce compartiment
La taille de ces compartiments permet représente environ 15 % du poids du corps
d’abord de distinguer les individus « nor- chez l’homme jeune et 23% chez la femme.
maux », c’est-à-dire observés le plus fré- Sa densité est de 0,90 g/ml à la température
quemment et se portant bien sur une longue du corps.
période d’observation (sujet maigre, musclé,
gras) puis de déceler le risque pathologique La masse maigre (MM) représente le
ou la pathologie elle-même : sujet obèse,
reste de la masse corporelle c’est-à-dire le
sujet dénutri, sujet œdémateux.
poids moins la masse grasse. Il s’agit d’un
La mesure de la composition corporelle
ensemble complexe comprenant en particu-
est indirecte chez l’homme vivant. La
lier l’eau, les protéines, la masse calcique.
séparation directe des compartiments, par
analyse chimique, a toutefois été réalisée Sa densité moyenne est de 1,10 g/ml. Ce
dans un petit nombre de cas post mor- compartiment est plus important physiologi-
tem [1]. Ceci a permis de vérifier la validité quement que le précédent puisqu’il contient
des premières techniques indirectes. Depuis des éléments vitaux dont la disparition peut
peu, des méthodes comme l’activation neu- entraîner la mort. On peut diminuer de plus
tronique ou la résonance magnétique de 50 % ses stocks graisseux sans prendre de
nucléaire permettent de faire des mesures risque (certains sportifs ont 4 à 5 % de grais-
directes de certains compartiments de se seulement), par contre, si l’on diminue de
l’homme vivant (graisse, protéines, cal- moitié la masse de protéines le risque vital
cium). devient considérable car les défenses de
l’organisme diminuent d’autant [2].
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A. Boulier
12
1. Évaluation physiologique de l’état nutritionnel : la composition corporelle de l’homme
Hommes
Femmes
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A. Boulier
Figure 1 et 2
Notes sur l’utilisation des courbes de corpulence
MESURES
L’indice de corpulence P/T2 est calculé à partir de P = poids (kg) et T = taille (m). Exemple : pour
un sujet de 21 ans dont P = 60 kg et T = 1,65 m, P/T2 = 22, valeur proche de la moyenne.
CHOIX DE LA MÉTHODE
Un excès ou un déficit pondéral ne peuvent être appréciés par la seule mesure du poids car il faut
aussi tenir compte de la taille. L’indice P/T2 rend possible cette appréciation. Étant faiblement cor-
rélé à la taille et fortement corrélé au poids, l’indice P/T2 évalue la corpulence (masse corporelle
indépendante de la taille) et prédit le degré d’adiposité chez l’enfant (1) et chez l’adulte (2) ; il peut
alors être utilisé comme indicateur de l’état nutritionnel.
Les courbes du poids selon l’âge d’une part et de la taille selon l’âge d’autre part (3), sont indis-
pensables pour suivre la croissance d’un enfant. Les courbes de l’indice P/T2 selon l’âge donnent
des indications complémentaires : elles permettent de situer la corpulence d’un sujet par rapport à
la population donnée en référence et de suivre son évolution. Cette méthode qui utilise simultané-
ment les trois paramètres poids, taille et âge, révèle les phases ascendantes et descendantes de la
corpulence comme le font les mesures directes (ex. : plis cutanés). Pendant la croissance, on
observe 3 phases : augmentation de la corpulence jusqu’à 1 an, diminution jusqu’à 6 ans, suivie
d’une nouvelle augmentation. L’âge auquel débute la seconde montée de la courbe (en moyenne
vers 6 ans) est un facteur prédictif de l’évolution de l’adiposité : plus il est précoce plus l’adiposité
ultérieure risque d’être élevée (4, 5). A l’âge adulte la corpulence moyenne de la population aug-
mente jusqu’à 65 ans, puis décroît.
COURBES DE CORPULENCE (1 mois à 85 ans et plus) préparées par Marie-Françoise Rolland-Cachera, chargée
de Recherches, Section Nutrition, Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM), 44, che-
min de Ronde, 78110 Le Vésinet, France.
1988 - Tous droits réservés pour tous pays/All rights reserved for all countries.
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1. Évaluation physiologique de l’état nutritionnel : la composition corporelle de l’homme
La Densitométrie hydrostatique :
Longtemps considérée comme la référence
or de la composition corporelle, elle est basée Une simulation avec ces formules montre
sur le principe d’Archimède, et consiste à qu’une erreur de seulement 1 % sur la den-
déterminer avec une grande précision la sité supposée de la masse maigre (1,09 au
densité du corps humain [1,10] : lieu de 1,10) abaisse le pourcentage de
graisse calculée de 3,3 % (soit une erreur
relative de 15 %). Une telle erreur peut sur-
venir en physiologie si l’on applique impru-
(d : densité corporelle, M : masse en Kg, demment ces formules à l’enfant, dont la
V : volume en litre) masse maigre est plus hydratée que chez
La mesure de d se fait par « pesée hydro- l’adulte, ou en pathologie si le sujet mesuré
statique » c’est-à-dire la pesée successive présente des œdèmes. Une inflation de un
dans l’eau et dans l’air: (Mair et Meau) litre d’eau suffit à modifier la densité de la
masse maigre de 1 %. Des résultats expéri-
mentaux proches de cette simulation ont été
retrouvés par Bunt et coll. [11]. Les résul-
tats de cette technique, de même que ceux
de toutes les méthodes dérivées (plis cuta-
avec VR = volume résiduel pulmonaire qu’il nés, densité mesurée aux rayons X) sont
faut mesurer, VGI volume des gaz du tractus parfois d’interprétation difficile chez le
digestif, deau = densité de l’eau. malade à moins d’y associer une mesure de
Connaissant la densité de deux des com- l’eau totale. On peut alors utiliser la formu-
posants du corps, c’est-à-dire la graisse le de SIRI corrigée qui s’obtient de la
(dg = 0,9) et la masse maigre (dm = 1,1), même façon que la précédente, mais en
on peut calculer la proportion de chacun
tenant compte de l’eau corporelle :
d’eux. La fraction du poids du corps en
graisse (Fg) s’obtient avec l’équation :
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A. Boulier
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1. Évaluation physiologique de l’état nutritionnel : la composition corporelle de l’homme
17
A. Boulier
500
U = Z x I loi d’Ohm pour courant alterna-
tif, Z est calculé, U et I mesurés 450
et V = L x s d’où 400
Z = impédance, I = intensité du courant,
350
U = tension du courant
L = longueur du conducteur 300
r = résistivité, s = section du conducteur,
V = volume d’eau mesuré 250
Ainsi, seules la taille (L) du patient et les 0,1 1,0 10,0 00,0 00,0 00,0 00,0 00,0
1 10 00 00 00
1 10 1 00
impédances Z (fig. 4) à basse et haute fré-
quence sont utiles pour calculer les volumes FRÉQUENCE (Hz)
d’eau ; r est obtenu par étalonnage par rap-
port aux techniques isotopiques.
Notez que seuls les appareils à plusieurs Figure 4
fréquences permettent de mesurer les deux Schéma de Fricke
compartiments extra et intracellulaires.
Par calcul, on obtient la masse maigre
[21,22,23,24,25,26,27] et la masse grasse
comme avec les méthodes isotopiques, soit Le matériel utilisé est léger (mallette de 4
au total 4 compartiments. à 7 kg), simple d’utilisation, les résultats
La mesure s’effectue en plaçant une ou des mesures sont immédiats pour les appa-
deux électrodes sur le dessus du pied reils informatisés.
gauche et sur la main controlatérale ; les C’est, avec les plis cutanés, une des rares
électrodes sont soit des électrodes de surfa- techniques utilisables, en routine, au lit du
ce [24,25,26,27] soit de fines aiguilles sous malade ou au cabinet du médecin. La préci-
cutanées [21,22,23]. Le courant imposé est sion obtenue est très bonne, proche de celle
faible : 100 à 800 µA sous quelques volts, de la densitométrie, et la reproductibilité
l’examen est de ce fait indolore et sans dan- excellente (Coefficient de variation de 3 à
ger. 4 %).
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1. Évaluation physiologique de l’état nutritionnel : la composition corporelle de l’homme
Ces techniques, en pleine évolution du recalculé par la somme des trois composés
fait de leur parfaite adaptation aux besoins mesurés, est exact à 1 % près. Cette tech-
médicaux présentent encore quelques nique apparaît donc comme le successeur
limites : suivi difficile des faibles variations naturel de la densitométrie hydrostatique
d’eau ou de poids et exploration médiocre avec, comme avantage supplémentaire, une
des amas graisseux localisés au tronc. Les précision sans doute meilleure, trois compar-
appareils à multifréquences [28] devraient timents au lieu de deux, et surtout la possibi-
permettre de résoudre ces problèmes. lité d’études segmentaires (membres, abdo-
men, thorax). L’irradiation imposée au
patient est faible (0,05 millirems selon les
La mesure de la conductivité fabriquants) et sans doute inférieure à celle
corporelle totale (TOBEC des d’une radiographie thoracique standard. Elle
anglo-saxons) est une variante de l’im- devra cependant être rejetée pour les femmes
pédancemétrie. Dans cette technique, au jeunes sans contraception.
lieu d’utiliser des électrodes pour faire pas- Les variations de la teneur en eau de la
ser un courant, celui-ci est imposé dans le masse maigre (enfants et sujets âgés,
corps humain par induction [29]. Le prix du œdèmes, obésité) sont supposées ne pas
matériel et sa lourdeur sont pour l’instant modifier considérablement les résultats mais
dissuasifs. La pédiatrie paraît être le domai- des travaux scientifiques sont encore néces-
ne d’application le plus justifié. Le saires à ce propos. Les constructeurs font,
« TOBEC » ne présente pas d’avantages en effet, constamment évoluer calculs et
majeurs par rapport à l’impédancemétrie facteurs de corrections pour améliorer la
bioélectrique et n’est plus guère utilisé. qualité des résultats. Malheureusement ces
corrections sont des secrets industriels et
tous les appareils ne donnent pas, pour
L’absorption biphotonique l’instant, les mêmes résultats. Le coût et la
(DEXA ou DPA) : elle consiste à effec- relative rareté des installations équipées
tuer un balayage de l’ensemble du corps pour la composition corporelle (beaucoup
avec un faisceau très fin de rayons X à deux d’appareils donnent seulement la densité
niveaux d’énergies [30,31,32]. Ce faisceau, osseuse) limitent également son développe-
en traversant le corps du patient, va subir ment. Cette technique semble complémen-
une atténuation qui va dépendre de la com- taire des méthodes électriques : son intérêt
position de la matière traversée. L’utilisation réside dans sa précision et dans la prise en
de deux énergies très différentes (40 KeV et compte de la masse osseuse (dans les dénu-
100 KeV) va permettre d’individualiser trois tritions surtout), sa limite pratique, hormis
composants : la masse calcique, la masse son coût, étant l’impossibilité de l’utiliser
maigre, la masse grasse. En effet, dans un au lit du malade ou au cabinet pour des
corps à deux composants, les deux énergies résultats immédiats. Les très gros obèses ne
permettent pour chaque composant d’établir pourront pas être mesurés par cette méthode
une pente caractéristique d’atténuation. La (diamètre sagittal maximum 63 cm ).
séparation de deux compartiments (masse
calcique et tissus mous, puis graisse et tissus
mous) revient alors à résoudre un système
d’équations à deux inconnues. Le troisième
composant est obtenu par différence. L’éta-
lonnage est fait par rapport à des fantômes.
La précision obtenue est excellente. Pour
Heymsfield, la graisse est obtenue avec une
erreur inférieure à 1,65 kg. Le poids du sujet
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1. Évaluation physiologique de l’état nutritionnel : la composition corporelle de l’homme
elle ne représente pas seulement la protéo- rectes décrites ci-dessus a permis d’étendre
lyse musculaire (65 % seulement). Son ana- la description à des populations diverses :
lyse urinaire est plus difficile, mais l’erreur femmes, enfants, vieillards, sportifs et non
est plus faible qu’avec la créatinine. Les sportifs, obèses et dénutris :
précautions à prendre et le protocole sont
les mêmes que pour la créatinine.
La masse musculaire peut aussi être En fonction du sexe, la composition
appréciée par anthropométrie à partir de corporelle est très différente, la femme pré-
la circonférence musculaire brachiale déri- sente une masse grasse beaucoup plus déve-
vée de la circonférence brachiale (Ca en loppée que l’homme (voir tableau 1 en
cm) et du pli cutané tricipital (S en cm) : annexe) même lorsque l’on tient compte de
Cm = Ca - πS la masse corporelle.
Les valeurs théoriques normales sont de
20 à 23 cm chez la femme et de 25 à 27
chez l’homme. Chez le sportif, la masse maigre est
• La surface musculaire brachiale s’ob- plus développée et la masse grasse est beau-
tient par : coup plus faible même en l’exprimant en
M = Cm2/4π Kg de graisse.
et le calcul de la masse musculaire totale
par :
Chez l’enfant et l’adolescent :
Mm(kg) = taille x (0,0264 + 0,0029 x
(M-10)). (homme) La masse maigre croît très régulièrement
Mm(kg) = taille x (0,0264 + 0,0029 x jusqu’à 20 ans [16] de même que la masse
(M-6,5)). (femme) grasse. Chez le garçon, un pic du pourcen-
tage de graisse est observé vers 13-14 ans
L’erreur serait de l’ordre de 10%. L’inté- (fig. 5), correspondant à un retard relatif de
rêt de cette méthode est son utilisation faci- la croissance de la masse maigre. La masse
le en médecine. maigre croît de façon à peu près identique
chez le garçon et la fille jusqu’à la puberté,
puis elle croît plus rapidement chez le gar-
çon. Le poids maigre est maximal à 20 ans,
RÉSULTATS : il déclinera progressivement pendant la vie
adulte.
L’hydratation de la masse maigre décroît
Le corps de référence défini par Bro- régulièrement pendant la croissance passant
zek [1], à partir d’analyses chimiques de 86 % d’eau par kg de masse maigre au
directes de la composition corporelle de début de la vie fœtale, à 80% chez le nou-
cadavres, comporte 62,43 % d’eau, 16,44 % veau-né puis 73 % à la fin de l’adolescence
de protéines, 15,31 % de graisse, et 5,82 % [16] (fig. 6 et tableaux 2 et 3 en annexe)
de minéraux. Il s’agissait de cadavres de [34,35]. La densité de la masse maigre évo-
sexe masculin uniquement. Cette référence lue de 1,08 à 1,1 entre 0 et 20 ans.
de normalité a été utilisée comme point de La masse osseuse augmente progressive-
repère pour étalonner les techniques densito- ment pendant l’enfance et l’adolescence pour
métriques. Les proportions correspondantes atteindre environ 4 400 g chez l’homme
pour la masse maigre sont 73,7 % d’eau, (masse sèche et sans lipides) et 3 100 g chez
19,4 % de protéines et 6,9 % de minéraux la femme adultes. Ce poids maximal vers 15
soit une densité de 1,0998. à 20 ans diminuera ensuite progressivement
Le développement des techniques indi- pendant la vie adulte. Le squelette contient
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.35 M
LBM : Ht (kg/cm)
.30
F
.25
.20
30
F
%FAT
20 M
10
10 15 20 25 30 35
AGE
Figure 5
Composition corporelle de l’enfant. Évolution en fonction de l’âge (d’après G.B. Forbes)
Courbes du haut : rapport masse maigre sur taille. Courbe du bas : pourcentage de masse grasse
22
¢
Q
À
@
@@
ÀÀ
QQ
¢¢¢¢
QQ
@@
ÀÀ
¢¢
QQ
ÀÀ
@@
1. Évaluation physiologique de l’état nutritionnel : la composition corporelle de l’homme
90 27
H20
¢
Q
À
@
¢¢
QQ
ÀÀ
@@
H20 (%)
80 24
70 21
60 18
Ca (g/kg)
K+
50 15
K+ (mmol)
40 12
Ca
30 9
20 6
Nouveau-Né et Petite Adoles- Adultes
Nourisson Enfance cence
Figure 6
D’après Forbes G.B. in Human Growth vol. 2, 1978
modifiées (alimentation, activité sportive Chez l’homme elle n’est sensible qu’après
précoce et prolongée, traitements préventifs 50 ans (7g/an). Cette perte calcique est
etc.). En France, à ce jour, le pourcentage aggravée par les déficits hormonaux en
de graisse normal entre 18 et 70 ans peut œstrogènes chez la femme ménopausée et
être calculé par les formules : en androgènes chez l’homme. Contraire-
ment au pic calcique, la perte de calcium ne
MG % = 4,37 + 0,24 x Age (hommes ; SD = 5) dépend pas de facteurs génétiques.
MG % = 9,89 + 0,36 x Age (femmes ; SD = 4,7)
23
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30 COMPOSITION CORPORELLE
ET ACTIVITÉ MÉTABOLIQUE :
Hommes % de masse grasse
20
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1. Évaluation physiologique de l’état nutritionnel : la composition corporelle de l’homme
Annexe – Tableau 1
Composition corporelle de l’adulte sain
Age (ans) 29,2 (13,7) 32,3 (12,7) 23,8 (7,9) 22,1 (5,5)
EEC (litres) 21,7 (2,1) 15,4 (1,9) 21,9 (2,7) 17,0 (1,9)
EIC (litres) 23,0 (3,2) 15,7 (2,2) 25,5 (3,9) 18,9 (12,7)
MM et MG mesurés par hydrodensitométrie ; eau totale (ET), eau extracellulaire (EEC) et eau intracel-
lulaire (EIC) mesurées par impédance.
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A. Boulier
Annexe – Tableau 2
Valeurs normales de composition corporelle chez l’enfant
(d’après Fomon et coll. 1982 réf. 34)
Components of FFBM (% of body wt)
Water Minerals
Age Length Wt Fat FFBM
Protein Extra- Carbo-
TBW cellular CellularOsseous Non hydrate
water water osseous
cm g g % g
A. Boys
Birth 51.6 3545 486 13.7 3059 12.9 69.6 42.5 27.0 2.6 0.6 0.5
1 mo 54.8 4452 671 15.1 3781 12.9 68.4 41.1 27.3 2.6 0.6 0.5
2 mo 58.2 5509 1095 19.9 4414 12.3 64.3 38.0 26.3 2.4 0.6 0.5
3 mo 61.5 6435 1495 23.2 4940 12.0 61.4 35.7 25.8 2.3 0.6 0.5
4 mo 63.9 7060 1743 24.7 5317 11.9 60.1 34.5 25.7 2.3 0.5 0.4
5 mo 65.9 7575 1913 25.3 5662 11.9 59.6 33.8 25.8 2.3 0.5 0.4
6 mo 67.6 8030 2037 25.4 5993 12.0 59.4 33.4 26.0 2.3 0.5 0.4
9 mo 72.3 9180 2199 24.0 6981 12.4 60.3 33.0 27.2 2.3 0.6 0.5
12 mo 76.1 10150 2287 22.5 7863 12.9 61.2 32.9 28.3 2.3 0.6 0.5
18 mo 82.4 11470 2382 20.8 9088 13.5 62.2 32.3 29.9 2.5 0.6 0.5
24 mo 87.2 12590 2456 19.5 10134 14.0 62.9 31.9 31.0 2.6 0.6 0.5
3 yr 95.3 14675 2576 17.5 12099 14.7 63.9 31.1 32.8 2.8 0.6 0.5
4 yr 102.9 16690 2656 15.9 14034 15.3 64.8 30.5 34.2 2.9 0.6 0.5
5 yr 109.9 18670 2720 14.6 15950 15.8 65.4 30.0 35.4 3.1 0.6 0.5
6 yr 116.1 20690 2795 13.5 17895 16.2 66.0 29.6 36.4 3.2 0.6 0.5
7 yr 121.7 22850 2931 12.8 19919 16.5 66.2 29.1 37.1 3.3 0.6 0.5
8 yr 127.0 25300 3293 13.0 22007 16.6 65.8 28.3 37.5 3.4 0.6 0.5
9 yr 132.2 28130 3724 13.2 24406 16.8 65.4 27.6 37.8 3.5 0.6 0.5
10 yr 137.5 31440 4318 13.7 27122 16.8 64.8 26.7 38.0 3.5 0.6 0.5
B. Girls
Birth 50.5 3325 495 14.9 2830 12.8 68.6 42.0 26.7 2.6 0.6 0.5
1 mo. 53.4 4131 668 16.2 3463 12.7 67.5 40.5 26.9 2.5 0.6 0.5
2 mo 56.7 4989 1053 21.1 3936 12.2 63.2 37.1 26.1 2.4 0.6 0.5
3 mo 59.6 5743 1366 23.8 4377 12.0 60.9 35.1 25.8 2.3 0.6 0.5
4 mo 61.9 6300 1585 25.2 4715 11.9 59.6 33.8 25.8 2.3 0.5 0.4
5 mo 63.9 6800 1769 26.0 5031 11.9 58.8 33.0 25.9 2.2 0.5 0.4
6 mo 65.8 7250 1915 26.4 5335 12.0 58.4 32.4 26.0 2.2 0.5 0.4
9 mo 70.4 8270 2066 25.0 6204 12.5 59.3 32.0 27.3 2.3 0.5 0.4
12 mo 74.3 9180 2175 23.7 7005 12.9 60.1 31.8 28.3 2.3 0.5 0.5
18 mo 80.2 10780 2346 21.8 8434 13.5 61.3 31.5 29.8 2.4 0.6 0.5
24 mo 85.5 11910 2433 20.4 9477 13.9 62.2 31.5 30.8 2.4 0.6 0.5
3 yr 94.1 14100 2606 18.5 11494 14.4 63.5 31.3 32.2 2.5 0.6 0.5
4 yr 101.6 15960 2757 17.3 13203 14.8 64.3 31.2 33.1 2.5 0.6 0.5
5 yr 108.4 17660 2949 16.7 14711 15.0 64.6 31.0 33.6 2.5 0.6 0.5
6 yr 114.6 19520 3208 16.4 16312 15.2 64.7 30.8 34.0 2.6 0.6 0.5
7 yr 120.6 21840 3662 16.8 18178 15.2 64.4 30.3 34.1 2.5 0.6 0.5
8 yr 126.4 24840 4319 17.4 20521 15.2 63.8 29.6 34.2 2.5 0.6 0.5
9 yr 132.2 28460 5207 18.3 23253 15.1 63.0 28.9 34.1 2.5 0.6 0.5
10 yr 138.3 32550 6318 19.4 26232 15.0 62.0 28.1 33.9 2.5 0.6 0.5
26
Annexe – Tableau 3
Valeurs normales de composition corporelle chez l’adolescent (d’après Haschke F. 1989, réf. 35)
27
Females
10.5 141.5 34.72 8.14 23.5 26.58 15.0 57.3 74.8 25.3 32.0 3.0 0.8 0.5 1.087
11.5 148.2 39.23 8.90 22.7 30.33 15.2 57.7 25.4 32.3 3.2 0.8 0.5 1.088
12.5 154.6 43.84 9.41 21.5 34.43 15.4 58.5 74.5 25.6 32.9 3.4 0.8 0.5 1.090
13.5 159.0 48.26 10.53 21.8 37.73 15.4 58.0 25.2 32.8 3.6 0.8 0.5 1.092
14.5 161.2 52.10 12.09 23.2 40.01 15.1 56.8 74.0 24.4 32.4 3.6 0.8 0.5 1.093
15.5 162.1 54.96 13.59 24.7 41.37 14.9 55.5 23.7 31.8 3.7 0.8 0.5 1.094
16.5 162.7 56.44 14.34 25.4 42.10 14.8 54.9 73.6 23.4 31.6 3.7 0.7 0.4 1.095
17.5 163.4 56.71 14.28 25.2 42.43 14.8 55.1 23.4 31.7 3.7 0.7 0.4 1.095
18.5 164.0 56.97 14.24 25.0 42.77 14.9 55.2 73.5 23.5 31.7 3.7 0.7 0.4 1.096
* Osseous minerals. †nonosseous minerals.
From Haschke F : Body composition during adolescence. In Klish WJ, Kretchmer N (eds) : Body Composition Measurements in Infants and Children, Report of the 98th Ross
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30
2
La dépense énergétique
E. Jéquier
2. La dépense énergétique
Tableau 1
Principaux facteurs affectant la dépense énergétique de l’homme
33
E. Jequier
sive, mais aussi par une augmentation des de glucose en glycogène nécessite une dépen-
tissus maigres. Chez l’obèse, la composition se énergétique équivalant à 5 % de l’énergie
du poids gagné, en excès du poids normal, contenue dans le glucose, alors que la lipoge-
est environ de 75 % de tissus adipeux et de nèse à partir du glucose implique un coût
25 % de tissus maigres. Il s’ensuit que le équivalant à environ 25% de l’énergie ingérée
métabolisme basal du sujet obèse, exprimé sous forme de glucides. Le stockage de
en valeur absolue, est supérieur à celui du lipides alimentaires dans le tissu adipeux ne
sujet de poids normal. Le métabolisme basal nécessite qu’une faible dépense énergétique
dépend de l’effet calorigénique des hor- (équivalant à 2 à 3 % de l’énergie des lipides
mones thyroïdiennes. Chez des patients com- stockés). L’ingestion des protéines induit une
plètement athyréotiques (privés de glande forte augmentation de la dépense énergétique
thyroïde), le métabolisme basal est abaissé postprandiale (équivalant à environ 25 % de
d’environ 30 %. l’énergie des protéines ingérées). Cette ther-
En comparant le métabolisme basal mogenèse résulte des coûts énergétiques de la
d’animaux d’espèces différentes, on consta- néoglucogenèse, de l’uréogenèse et de la sti-
te que ce dernier est proportionnel à la sur- mulation de la synthèse protéique consécuti-
face cutanée. Ceci s’explique par le fait que ve à l’ingestion de protéines.
les pertes de chaleur sont fonction de la sur-
face cutanée ; ainsi, chez un animal en équi- ➛ La thermogenèse postprandiale
libre thermique, la production métabolique « facultative » représente une dépense
de chaleur (le métabolisme) doit être égale d’énergie supplémentaire. Chez l’homme,
aux pertes de chaleur. Le métabolisme basal elle est induite principalement par l’inges-
est environ de 1 000 kcal/24 heures par m2 tion de glucides, ou lors d’administration
de surface corporelle. La surface cutanée intraveineuse de glucose et d’insuline. C’est
peut être calculée par la formule suivante : surtout en condition de suralimentation en
glucides que cette thermogenèse est stimu-
S = 71,84 x 10-4 x P0,425 x T0,725 lée. On observe alors une activation du sys-
où S est la surface cutanée en m2 tème nerveux sympathique qui se traduit par
P est le poids en kg, et une augmentation de la concentration plas-
T est la taille en cm. matique de noradrénaline ; cette thermoge-
nèse peut être inhibée par des bloqueurs des
récepteurs béta-adrénergiques. Les tissus
La thermogenèse responsables de la thermogenèse « facultati-
ve » ne sont pas connus avec certitude ; il est
C’est la deuxième composante de la probable que le muscle soit un des princi-
dépense énergétique. Il s’agit des diverses paux tissus effecteurs de cette thermogenèse.
dépenses énergétiques qui excèdent le méta- Chez les rongeurs, le tissu adipeux brun joue
bolisme basal lorsque l’individu est au repos. un rôle important. Son rôle chez l’homme
Parmi les facteurs qui induisent la thermoge- adulte est difficile à démontrer. Dans des
nèse, la prise alimentaire est le plus impor- conditions d’apports énergétiques chroni-
tant. On parle de thermogenèse postprandia- quement excessifs, la conversion périphé-
le, qui est subdivisée en deux composantes : rique de thyroxine (T4) en triiodothyronine
la thermogenèse « obligatoire » et la thermo- (T3) augmente. Ce mécanisme contribue à
genèse « facultative ». stimuler la dépense énergétique.
34
2. La dépense énergétique
Tableau 2
Contribution des différents organes et tissus en pourcents
de la dépense énergétique basale globale
Foie 21 21 14
Cerveau 20 21 44
Cœur 9 8 4
Reins 8 9 6
Muscles 22 16 6
Tissu adipeux 4 6 2
Divers (os, peau, intestins) 16 19 24
35
E. Jequier
Figure 1
Méthode de mesure de la consommation d’oxygène et de la production de gaz carbonique en circuit
ouvert. La tête du sujet est introduite dans un boîtier en plastique transparent. Un tissu étanche au gaz
relie le bord inférieur du boîtier au cou du sujet. A la sortie du boîtier, l’air passe au travers d’un pneu-
motachographe (mesure du débit d’air) et d’un ventilateur. Des échantillons d’air entrant et sortant sont
analysés en continu par des analyseurs à O2 et CO2.
36
2. La dépense énergétique
37
E. Jequier
Tableau 3
Coefficients pour les calculs de calorimétrie indirecte
38
2. La dépense énergétique
Figure 2
Évolution du métabolisme M, des pertes de chaleur totales H, des pertes de chaleur par rayonnement et
convection (R + C) et par évaporation E chez un sujet placé pendant 90 minutes dans un calorimètre
direct (température ambiante 28° C, humidité relative 50 %). Les valeurs M, H, R + C et E sont expri-
mées en Watts, une unité décrivant les puissances fournies et dissipées. Dès la 30e minute de l’expérien-
ce, la puissance de production de chaleur M est semblable à la puissance des pertes de chaleur H.
39
E. Jequier
40
2. La dépense énergétique
ATP remplacé. Ainsi, selon cette définition, donc pas stimulés dans ces conditions. Par
le rendement de remplacement de l’ATP dû contre, la suralimentation en hydrates de
au métabolisme des glucides ingérés est de carbone induit une augmentation de la ther-
= 80 %, et le rendement de remplace- mogenèse spécifique liée à une stimulation
du système nerveux sympathique. Dans ce
ment de l’ATP dû au métabolisme des cas, on observe un effet thermogénique sup-
lipides ingérés est de = 95 %. plémentaire.
Il est intéressant de relever que l’adapta-
tion au chaud ou au froid influence essen-
La plupart des études ne montrent pas de tiellement les mécanismes impliqués dans
dépense énergétique inexpliquée (appelée les pertes de chaleur (vasodilatation et vaso-
parfois consommation de luxe) lors de sur- constriction cutanée, sudation) alors que la
alimentation avec une alimentation mixte. Il production métabolique de chaleur est peu
s’ensuit que les cycles « futiles » ne sont modifiée.
41
E. Jequier
B ibliographie
42
3
Substrats énergétiques
I. Les glucides
J. Schmitz, J.-L. Bresson
3. Substrats énergétiques – Les glucides
45
J. Schmitz, J.-L. Bresson
46
3. Substrats énergétiques – Les glucides
Absorption LE SACCHAROSE
47
J. Schmitz, J.-L. Bresson
Le plaisir lié à l’ingestion de saccharose lier) qui, aux dépens de ce sucre, forme
a été bien étudié chez le rat qui, seul, dans d’une part, des polysaccharides insolubles
une cage, mange plus de saccharose que de contribuant à la formation de la plaque den-
dextrines, alors que la situation est inverse taire qui accole les bactéries à la dent et
lorsqu’il est en groupe. De même, après d’autre part des acides organiques forts qui
10 h de jeûne, un rat ingère 120 % de sa solubilisent les cristaux d’apatite de l’émail,
ration habituelle si le régime qu’on lui offre et permettent la pénétration du sucre et des
contient des hydrates de carbone sans bactéries dans l’orifice ainsi produit. Le
saveur (polymères de glucose), 140 % de sa risque de carie est proportionnel au temps
ration si celle-ci contient du saccharose de contact du saccharose dans la cavité buc-
mais 200 % de sa ration si elle ne contient cale et à son degré de solubilisation. Il est
que du saccharose. donc d’autant plus grand que les aliments
sont plus liquides et séjournent plus long-
temps dans la bouche (nougat, chewing-
Conséquences nutritionnelles de gum, boissons sucrées, en particulier avant
l’ingestion de saccharose le sommeil). L’utilisation d’une paille, par
exemple, diminue le risque de carie. Fléau
Le caractère agréable de l’ingestion de social (en 1970, 10 % des frais de l’assuran-
saccharose a au moins 2 conséquences ce maladie étaient liées à des soins den-
néfastes. taires ; 95 % des enfants français sont por-
teurs de caries), les caries dentaires doivent
➛ Anomalies du métabolisme lipi- être prévenues. Le brossage enlève la
dique : augmentation de la synthèse endo- plaque polysaccharidique. L’ajout de fluor
gène, par le foie, de triglycérides, bien mise dans l’eau de boisson est l’autre moyen de
en évidence chez l’adulte sain ; ainsi, après diminuer la fréquence des caries. En effet,
6 semaines d’un régime apportant 30 % des le fluor favorise la formation des cristaux
calories sous forme d’amidon ou de saccha- d’apatite, réduit la solubilité de l’émail,
rose, le taux des lipides totaux, des triglycé- inhibe certaines des activités enzymatiques
rides et des VLDL est-il significativement bactériennes conduisant à la formation des
plus élevé chez ceux ayant ingéré du sac- acides. Compte tenu du risque de fluorose
charose que chez les sujets ayant ingérés qu’entraîne une concentration de fluor trop
une quantité analogue d’amidon (+ 30 % élevée dans l’eau de boisson (supérieure à
pour les triglycérides). Cet effet, maximum 8 mg/l) on admet que la protection contre la
après la quatrième semaine du régime, carie est obtenue pour une concentration
apparaît dès la deuxième semaine. Cet effet optimale de 1 mg de fluor par litre d’eau de
est associé à une diminution d’une sensibili- boisson (1 part par million = 1 ppm).
té à l’insuline que l’on retrouve dans les Lorsque l’eau municipale n’est pas fluorée,
états prédiabétiques. il est conseillé de supplémenter l’alimenta-
Au-delà de cet effet métabolique, condui- tion en fluor à la dose de 0,25 mg/jour jus-
sant à une hyperlipoprotéinémie de type IV, qu’à 6 mois, 0,5 mg/jour jusqu’à 1 an, 0,75
l’ingestion d’énergie en quantités supé- mg/jour jusqu’à 2 ans, 1 mg/jour au-delà.
rieures au besoin conduit à l’obésité.
48
3. Substrats énergétiques – Les glucides
49
J. Schmitz, J.-L. Bresson
pouvant provenir que du métabolisme bac- rieures de lait. Cependant, leur goût est
térien, témoigne de la fermentation. La moins bon, ils pourraient s’accompagner
concentration d’hydrogène, mesurée par d’une diminution de l’absorption du cal-
chromatographie en phase gazeuse (appa- cium que le lactose favorise et leur osmola-
reils portables), est habituellement inférieu- rité est de plus de 100 mosmol supérieure à
re à 20 ppm. On admet que l’augmentation celle d’un lait normal, ce qui est un incon-
de la concentration au-dessus de ce seuil, vénient chez un sujet, et en particulier un
dans l’heure qui suit l’ingestion du lactose, nourrisson, ayant la diarrhée. D’autre part,
témoigne de « l’intolérance ». Le test est on a redouté que l’ingestion de quantités
simple, mais il dépend d’une flore colique notables de galactose, tel quel, entraîne des
normale (pas d’antibiotique donné dans les cataractes du fait de l’accumulation du
jours qui précèdent) et n’est que semi-quan- galactitol dans le cristallin comme cela a été
titatif. Il a cependant l’avantage de n’être démontré chez le rat. Ce risque néanmoins
pas invasif. ne semble pas réel chez l’homme. Chez
l’enfant malnutri, il semble qu’un lait conte-
nant du lactose hydrolysé permette une
Lactose hydrolysé et laits fermentés reprise de poids, au décours d’un épisode
(yaourts) diarrhéique, plus rapide qu’un lait habituel.
Peu d’études comparatives cepen-
Une proportion importante de la popula- dant ont été menées sur ce sujet et jusqu’à
tion adulte mondiale et notamment les pays présent, l’utilisation de laits contenant
en voie de développement, est intolérante du lactose hydrolysé ne s’est guère répan-
au lactose. D’autre part, l’activité lactasique due, compte tenu, en particulier de leurs
est la première et la plus longtemps dimi- coûts.
nuée en cas de lésions infectieuses intesti- De nombreuses études par contre, ont
nales telles que celles que favorise la mal- montré qu’à quantités égales de laitages
nutrition chronique. Dans de telles situa- ingérés, le yaourt était beaucoup mieux
tions, qui touchent souvent les mêmes toléré que le lait par le sujet intolérant au
populations, la question a été posée de lactose, la fermentation induite par la flore
savoir s’il était justifié de tenter une réali- des yaourts (Lactobacillus bulgaricus, Strep-
mentation ou de fournir des suppléments tococcus thermophilus) diminuant d’environ
alimentaires avec des produits comme le 30 % la teneur en lactose du lait. Il est plus
lait, contenant du lactose. Des laits au lacto- remarquable cependant qu’à quantité de lac-
se préalablement hydrolysé, soit au moment tose ingérée équivalente, le lactose du
de la fabrication, soit juste avant sa yaourt soit aussi mieux toléré que celui du
consommation par l’ajout d’une enzyme lait (tolérance appréciée par le test à l’hy-
bactérienne, ont été mis au point par les drogène). Cette meilleure tolérance serait
industriels. Ils se sont avérés efficaces chez due au moins en partie à la persistance de
les sujets dont l’activité lactasique est l’activité lactasique bactérienne ou à la sur-
basse : à quantité d’hydrate de carbone vie de l’espèce bactérienne elle-même dans
égale, ils entraînent moins de symptômes, le tube digestif au cours du transit, ce qui
ne s’accompagnent pas d’une augmentation expliquerait que le chauffage du yaourt
de la concentration d’hydrogène expiré et fasse disparaître son avantage.
permettent une ingestion de quantités supé-
50
3. Substrats énergétiques – Les glucides
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51
II. Les lipides
C. Couet
3. Substrats énergétiques – Les glucides
LIPIDES ALIMENTAIRES
LIPIDES CELLULAIRES
Figure 1
Principales voies d’utilisation des graisses alimentaires
55
J. Schmitz, J.-L. Bresson
15° C (palme, coprah). Les graisses ani- ne suivi du signe « : ». Ainsi, un AG dénom-
males sont soit d’origine laitière (lait, crème, mé 18: … indique que le squelette carboné de
beurre, fromages)… soit apportées (viandes cet AG est constitué de 18 atomes de carbone.
et poissons consommés) ou extraites des ani-
maux terrestres (saindoux de porc, suif de ➛ Leur degré d’insaturation. L’insatura-
bœuf, suif de mouton, graisse d’oie et de tion est définie par le nombre de doubles
canard) ou marins (huiles de hareng, sardine, liaisons situées sur la chaîne carbonée. Dans
saumon…). La teneur lipidique des princi- la dénomination commune le nombre de
paux aliments est incluse dans les tableaux doubles liaisons est indiqué par le chiffre qui
présentés en annexe. suit le nombre d’atomes de carbone. L’ab-
sence de double liaison caractérise les AG
saturés (par exemple 18:0). Une double liai-
Les triglycérides son définie les AG monoinsaturés (par
exemple 18:1). Les AG ayant 2 ou plus de 2
doubles liaisons sont polyinsaturés (par
95 à 98 % des graisses alimentaires sont exemple 18:2, 18:3). La présence de doubles
ingérées sous la forme de triglycérides liaisons sur la chaîne carbonée rend l’AG
(TG). L’alimentation contemporaine apporte sensible aux phénomènes de peroxydation
100 à 150 g de TG par jour. Les TG sont particulièrement sous l’effet de l’oxygène de
composés d’une molécule de glycérol dont l’air et des UV. Il est nécessaire de les
les 3 fonctions alcool sont estérifiées par 3 conserver à l’abri de la lumière. Tout AG
acides gras semblables ou différents. Les soumis à une cuisson à température très éle-
acides gras (AG) qui entrent dans la compo- vée peut se cycliser et/ou se polymériser
sition des TG (et de certains lipides plus mais les AG polyinsaturés sont particulière-
complexes) sont caractérisés par : ment sensibles à ce phénomène. Les graisses
très riches en AG polyinsaturés ne sont pas
➛ Leur longueur de chaîne. Elle est définie des graisses de friture surtout lorsque celle-
par le nombre d’atomes de carbone. Ce ci se déroule en bac et de façon répétée. Tou-
nombre varie généralement entre 4 et 24. tefois, les huiles riches en acide linolénique
Dans la nature, il est quasiment toujours pair. peuvent être utilisées pour les fritures « à
Les AG sont à chaîne courte lorsque le plat » (poêle) car la température ne dépasse
nombre d’atomes de carbone est ≤ 6, à chaîne pas 250° C et à la condition de ne pas utili-
moyenne lorsque le nombre d’atomes de car- ser la même huile pour des fritures répétées.
bone est > 6 et < 14 et à chaîne longue lorsque
le nombre d’atomes de carbone est ≥ 14. La ➛ La place de la première double liaison
numérotation des atomes de carbone se fait à par rapport à l’extrémité méthyle de la
partir de l’extrémité carboxyle de la chaîne chaîne carbonée. Cette place définit la
carbonée (figure 2). Par convention, chaque famille à laquelle appartient un AG qu’il soit
acide gras peut être dénommé par une succes- mono ou polyinsaturé. La famille est identi-
sion de chiffres et de signes. Le premier fiée par la lettre v ou le sigle n- suivi d’un
chiffre indique le nombre d’atomes de carbo- chiffre. Ce chiffre indique la place de la pre-
CH3-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-COOH
16 15 14 13 12 11 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1
Figure 2
Acide gras saturé en 16 carbones (acide palmitique).
Les chiffres indiquent le numéro des atomes de carbone dans la chaîne
56
3. Substrats énergétiques – Les glucides
mière double liaison par rapport à l’extrémi- famille n-3. Les besoins sont estimés entre
té méthyle de la chaîne carbonée. Ainsi un 1 et 3 % de l’apport énergétique pour l’acide
AG de la famille v7 ou n-7 aura une double linoléique et entre 0,2 et 1 % pour l’acide
liaison entre les carbones 7 et 8. S’il est a-linolénique. Compte tenu des compétitions
polyinsaturé, il pourra également présenter de substrats dans les voies de désaturation et
d’autres doubles liaisons mais toujours entre d’élongation, il est important de respecter un
des carbones de rang supérieur et jamais de équilibre d’apport entre ces 2 précurseurs.
rang inférieur. Si, sous l’action d’une élon- Actuellement, un rapport 18:2 n-6/18:3 n-3
gase, la chaîne carbonée s’allonge de compris entre 5 et 10 est considéré comme
2 atomes de carbone, l’AG résultant appar- satisfaisant. 50 à 70 % des AG présents dans
tiendra à la même famille car l’allongement les huiles de soja, maïs, noix, tournesol et
de la chaîne se produit toujours à partir de pépins de raisin sont de l’acide linoléique.
l’extrémité carboxyde. Cette proportion est de 30 % dans l’huile
La désaturation d’un AG résulte de l’ac- d’arachide 20 % dans l’huile de colza et 10 %
tion d’une désaturase. Les désaturases sont dans l’huile d’olive. Les huiles de soja, colza
des enzymes du réticulum endoplasmique et noix contiennent également 10 à 15 %
retrouvées pratiquement dans tous les types d’acide a-linolénique. La figure 3 résume les
cellulaires. Elles ont une grande spécificité voies de biosynthèse des acides gras insatu-
de site (par exemple la D9-désaturase ne peut rés.
introduire une double liaison qu’entre les car- ➛ Leur degré d’isomérisation. L’isoméri-
bones 9 et 10 d’un AG) mais une faible spéci- sation ne concerne que les AG comportant
ficité de substrat ce qui implique une certaine au moins une double liaison. Il existe plu-
compétition de substrat. Certaines désatu- sieurs types d’isomérisation. L’isomérisation
rases sont communes aux animaux et aux géométrique est définie par la position des
végétaux (D9, D6, D5, D4-désaturase). chaînes carbonées par rapport aux doubles
D’autres sont spécifiques au monde végé- liaisons (figure 4). L’isomère est CIS
tal (D12 et D15 désaturases). Ces lorsque les 2 parties de la chaîne carbonée
2 désaturases sont à l’origine de 2 familles placées de part et d’autre de la double liai-
d’acides gras dont les précurseurs ne peuvent son sont, dans l’espace, situées du même
être synthétisés par l’homme. Ils sont dits côté d’un plan passant par la double liaison.
essentiels. Il s’agit de l’acide linoléique, Lorsque ces 2 parties sont placées de part et
dont sont issus tous les AG de la famille n-6 d’autre de ce plan, l’isomère est TRANS. A
et de l’acide a-linolénique précurseur de la l’état naturel, les AG d’origine végétale
D12
Végétaux 18:2 © 18:3 G 20:3 © 20:4 G 22:4 © 22:5 n-6
D15
©
Figure 3
Biosynthèse des acides gras polyinsaturés d’après P. Lemarchal. © : désaturation. Dx : posi-
tion de la double liaison introduite sur la chaîne carbonée. G : élongation
57
J. Schmitz, J.-L. Bresson
CH = CH CH = CH
CH2
CIS Acide oléique (18:1 n-9) TRANS CH2
CH2
CH2
CH2
CH2
CH2
COOH
Figure 4
Exemple d’isomérisation géométrique
sont tous CIS. La présence d’isomères lipides membranaires est un facteur favori-
TRANS dans les graisses alimentaires sant la rigidité membranaire. De plus, les
d’origine végétale résulte du processus formes TRANS d’AG polyinsaturés sont de
d’hydrogénation catalytique mis en œuvre « faux amis » sur le plan métabolique. Ils
dans la fabrication de margarines ou de réduisent les activités de désaturation et
pâtes à tartiner à partir d’huiles végétales d’élongation. Ainsi une chute du taux d’aci-
liquides et riches en AG polyinsaturés. Ce de arachidonique (20:4 n-6) et une dépres-
type d’hydrogénation fait apparaître 10 à sion de la delta 6 et de la delta 9 désatu-
30 % d’isomères TRANS. A l’inverse, les rases ont été observées dans le cerveau de
graisses présentes dans les produits laitiers rat nourri avec une alimentation riche en
et, d’une manière générale, les graisses des forme TRANS d’acide linoléique. De
ruminants, contiennent naturellement 2 à même, la synthèse des prostaglandines peut
5 % de forme TRANS d’acides gras. Ces être réduite ou déséquilibrée entre les diffé-
formes TRANS résultent de la biohydrogé- rentes séries. Ces effets peuvent contribuer
nation des AG insaturés dans la panse des à précipiter ou à aggraver les déficits en
ruminants. Ces isomères TRANS sont acides gras essentiels in vivo chez l’homme.
absorbés, transportés, oxydés, stockés dans La consommation d’isomères TRANS
les lipides de réserve, incorporés dans les d’acides gras est un paramètre nutritionnel
membranes cellulaires et exportés dans le qui mérite une attention particulière. Cette
lait. Toutefois l’isomérisation TRANS consommation est en progression. Plusieurs
donne à l’acide gras insaturé un comporte- études menées en Grande-Bretagne, en
ment physique d’acide gras saturé. Dès lors, Allemagne et aux États-Unis montrent que
la substitution d’AG insaturé CIS par le 3,8 à 9,2 % des acides gras du tissu adipeux
même AG dans sa forme TRANS dans les blanc sont des acides gras TRANS. Le
58
3. Substrats énergétiques – Les glucides
second type d’isomérisation est une isomé- A l’étape post-entérocytaire, les AG des
risation positionnelle. Dans ce cas, c’est la TG seront plutôt orientés vers le muscle et le
position de la double liaison qui change sur tissu adipeux blanc et ceux des phospholi-
la chaîne carbonée. Les conséquences nutri- pides vers le foie. Ceci est du aux effets
tionnelles de ces isomères ne sont pas hydrolytiques préférentiels des différentes
connues. lipases endothéliales (la lipoprotéine lipase
du tissu adipeux et du muscle et la lipase
➛ Leur répartition sur les 3 fonctions hépatique) sur les AG des TG contenus dans
alcool du glycérol. La répartition des AG sur les lipoprotéines, ainsi qu’à l’existence de
la molécule de glycérol entre la position cen- transfert de phospholipides entre les diffé-
trale (dite sn 2) et les positions externes (dites rentes lipoprotéines circulantes et à l’action
sn 1 et sn 3) ne répond pas à la loi du hasard. de la LCAT. A titre d’exemple, Nilsson et
Cette répartition détermine la structure des coll. (1988) ont suivi, chez le rat, l’incorpo-
TG et influence le devenir des AG à l’étape ration dans le foie et le tissu adipeux du
digestive, entérocytaire et post-entérocytaire. [14C] 18:2n-6 et du [3H] 20:4n-6 transportés
A la phase digestive et en raison de la par les chylomicrons. Dans ces lipopro-
sélectivité positionnelle des lipases pour les téines, les triacyglycérols étaient enrichis en
liaisons esters (sn-3 pour les lipases linguale [14C] 18:2n-6 et les phospholipides en [3H]
et gastrique, sn-1 et sn-3 pour la lipase pan- 20:4n-6. La capture du [3H] 20:4n-6 par le
créatique ; la lipase du lait n’a pas de sélecti- foie excédait celle du [14C] 18:2n-6. A l’in-
vité), la structure des TG détermine la forme verse, le [14C] 18:2n-6 était plus incorporé
moléculaire des acides gras dans la lumière dans le tissu adipeux que le [3H] 20:4n-6.
intestinale : acides gras libres lorsqu’ils esté- Ainsi, un AG aura une destinée plutôt péri-
rifient les positions externes des TG, 2- phérique ou plutôt hépatique selon la posi-
monoglycéride lorsqu’ils estérifient la posi- tion qu’il occupe initialement dans le TG
tion centrale. Selon le type d’acide gras ingéré. De plus, la structure des TG des
considéré, la forme moléculaire sous laquel- chylo-microns dépend de la structure des
le il se trouve dans la lumière intestinale TG. Cette particularité peut également
change sa disponibilité. Ainsi, la forme libre contribuer à modifier l’effet métabolique des
représente un handicap relativement à la acides gras au niveau post-entérocytaire
forme 2-monoglycéride pour l’absorption ainsi que leur distribution tissulaire. Certains
des acides gras saturés à 16 et 18 carbones. acides gras exercent un effet dépresseur sur
Ces acides gras sous forme libre forment la clairance hépatique des remnants de chy-
avec les cations divalents (Ca2+ et Mg2+) des lomicrons lorsqu’ils sont placés en position
savons insolubles non absorbables. Les sn-2 dans les TG transportés. Les acides gras
meilleurs coefficients d’absorption des saturés (du 12:0 au 18:0) et l’acide arachido-
graisses du lait maternel peuvent être expli- nique (20:4 n-6) montrent l’effet dépresseur
qués au moins en partie par l’estérification le plus marqué. Pour certains auteurs, l’aug-
préférentielle de la position sn-2 par l’acide mentation de la concentration plasmatique
palmitique (16:0) dans les TG du lait. des remnants qui en résulte favoriserait leur
A l’étape entérocytaire, la forme molécu- capture préférentielle par les tissus périphé-
laire sous laquelle est capté un même acide riques au détriment du foie.
gras par l’entérocyte conditionne sa réparti-
tion entre la resynthèse des TG et la synthè-
se des phospholipides. Les 2-monoglycé- LES CONSTITUANTS MINEURS
rides se retrouvent dans la fraction TG des
chylomicrons. Les AG libres captés sont soit
réestérifiés pour former les TG, soit utilisés A côté des TG, les graisses alimentaires
pour la synthèse des phospholipides. contiennent d’autres constituants. Ces
59
J. Schmitz, J.-L. Bresson
60
3. Substrats énergétiques – Les glucides
dans le tissu adipeux est lent. Chez l’adulte à A synthase. Cette enzyme est présente dans
poids stable, le temps de renouvellement est la membrane des peroxysomes hépatiques
≥ 600 jours. Toutefois, la vitesse de modifi- (fourniture de l’énergie pour la formation de
cation de la composition en AG des TG de peroxydes), dans le réticulum endoplas-
réserve en réponse à un changement qualita- mique (formation d’acyl-CoA pour le stoc-
tif des graisses alimentaires varie en fonction kage des AG) et dans la membrane externe
des circonstances tant physiologiques que des mitochondries (fourniture de l’énergie
pathologiques et des AG considérés. Ainsi, via la b-oxydation). Le passage de l’acyl-
une modification qualitative de la ration lipi- CoA de la membrane externe (imperméable
dique alimentaire sera d’autant plus rapide- au CoA et à tous ses dérivés) à la membrane
ment observée dans les TG de réserve qu’elle interne de la mitochondrie où a lieu l'oxyda-
surviendra chez un sujet dont la masse grasse tion des AG nécessite le transfert du groupe-
augmente rapidement (grossesse, phase ment acyl du CoA sur la carnitine puis, au
dynamique de l’obésité par exemple). Les niveau de la matrice interne, le transfert du
AG essentiels et leurs dérivés à longue chaî- groupement acyl de la carnitine sur le CoA.
ne sont rapidement incorporés dans les Deux carnitine-palmityl transférases, l’une
graisses de réserve et un changement des externe et l’autre interne contrôlent ce cycle.
apports alimentaires modifie la composition Un déficit génétique touchant la synthèse ou
en acides gras des TG de réserve dans des le transport de la carnitine ou l’une et/ou
délais très brefs (quelques semaines) tant l’autre de ces transférases conduira à une
chez l’humain que chez le lapin. réduction voire à une absence totale d’utili-
Ces réserves énergétiques sont sollicitées sation oxydative des AG avec des troubles
en période interprandiale et, a fortiori, en cliniques précoces, de gravité variable et sur-
situation de carence énergétique prolongée. venant soit à l’effort soit au repos. Les AG
On a longtemps considéré que l’hydrolyse comportant de 4 à 10 atomes sont suffisam-
des TG de réserve et la libération des AG ment solubles dans l’eau et diffusent rapide-
destinés à la fourniture énergétique étaient ment à travers les membranes y compris la
des phénomènes purement quantitatifs sans membrane interne des mitochondries. Ces
retentissement sur la composition en AG des AG sont donc particulièrement utiles en pré-
TG de réserve. Des travaux récents ont mon- sence d’un défaut de passage transmembra-
tré que la perte de masse grasse obtenue chez naire des AG à chaîne longue. Au niveau de
l’obèse par une alimentation hypocalorique la membrane interne, les AG à 4-10 car-
s’accompagnait d’une baisse tout à fait isolée bones doivent être transformés en acyl-CoA
et significative du taux de 18:3 n-3 dans le avant d’être oxydés. L’enzyme concernée est
tissu adipeux blanc. La signification physio- la butyryl-CoA synthase mitochondriale.
logique de cette observation n’est pas L’acyl-CoA ainsi parvenu jusqu’à la
connue. matrice mitochondriale peut entrer dans la
Les AG sont des substrats énergétiques voie d'oxydation. Il s’agit d’un processus
particulièrement pour les muscles squelet- répétitif (hélice de Lynen) conduisant à un
tiques, le muscle cardiaque et le foie. La pre- raccourcissement progressif de la chaîne car-
mière étape de leur oxydation est semblable bonée par unité de 2 carbones. Chaque étape
quelle que soit le devenir de l’AG considéré. produit 5 molécules d’ATP et 1 acétyl-CoA.
Il s’agit de la formation d’un complexe AG S’il entre dans le cycle de Krebs, cet acétyl-
Coenzyme A ou acyl-CoA permettant la CoA fournira 12 molécules riches en énergie
solubilisation en phase aqueuse de l’AG. (11 ATP et 1 GTP). Il est donc aisé de calcu-
Cette première étape nécessite toujours l’hy- ler pour chaque AG le nombre d’ATP four-
drolyse de 2 ATP quelle que soit la longueur nis, pour peu que l’on connaisse la longueur
de la chaîne carbonée. Pour les AG à 12 car- de sa chaîne carbonée. Ainsi, un AG à 16
bones et plus, l’enzyme est l’acyl-Coenzyme carbones devra effectuer 7 tours d’hélice
61
J. Schmitz, J.-L. Bresson
62
3. Substrats énergétiques – Les glucides
grâce à la présence d’une lipoprotéine lipase, hypothèses avancées pour expliquer ces QI
localisée au niveau de l’endothélium vascu- plus bas. Le lait étant la source unique de
laire cérébral. L’accès des AGPI-LC à ces nutriments pour le nourrisson, il convient
structures ne paraît pas limité par la barrière d’attacher une importance particulière à sa
hémato-encéphalique. Il existe même une composition en AG et recourir à des supplé-
sélectivité importante pour l’incorporation mentations en AGPI-LC lorsque l’enfant est
des AGPI-LC plasmatiques dans le cerveau. privé de lait maternel.
Cette sélectivité d’incorporation semble être
le facteur décisif expliquant leur proportion
élevée dans les structures nerveuses. En Rôles fonctionnels
effet, les précurseurs sont très peu captés par
le cerveau et de ce fait la biosynthèse in situ ➛ Synthèse des eicosanoïdes
des AGPI-LC n’est probablement pas impor- Les éicosanoïdes sont constitués par les
tante. Les quantités d’AGPI-LC accumulées prostaglandines (PG) et les leucotriènes
par le cerveau humain pendant les 3 pre- (LT). Ils dérivent tous des produits de désa-
miers mois de la vie extra-utérine étaient de turation et d’élongation des AGE. La synthè-
4,3 mg/semaine pour les AGPI-LC de la se des éicosanoïdes s’effectue après clivage
série n-3 et à 75,4 mg/semaine pour les de l’AG des phospholipides membranaires
AGPI-LC de la série n-6. L’ensemble des par la phospholipase A2. L’AG ainsi libéré
AGPI-LC des 2 séries représente 17 % de la peut entrer dans 2 voies métaboliques. Dans
totalité des acides gras incorporés dans le la voie des prostaglandines, l’AG est rapide-
cerveau en une semaine. Chez l’homme, le ment oxygéné en endoperoxyde (PGG) par
colostrum contient des quantités non négli- une cyclooxygénase, puis transformé en
geables d’AGPI-LC (environ 1 % des AG composés cycliques hydroxylés (PGH) dont
totaux). La réduction des taux d’AGPI-LC la durée de vie est de quelques minutes. On
observée au cours de la lactation coïnciderait distingue 3 séries de PGH selon l’AG origi-
avec la maturation des systèmes de désatura- nel. Les PGH1 sont issus de l’acide dihomo-
tion et d’élongation du nourrisson. L’enfant g-linolénique (18:3 n-6). Les PGH2 dérivent
prématuré est encore plus dépendant des de l’acide arachidonique (20:4 n-6) et les
apports exogènes en AGPI-LC que l’enfant PGH3 de l’acide éicosapentaénoïque (20:5
né à terme. A cette période de la vie, des n-3). Ces PG sont ensuite transformées par
déséquilibres d’apport alimentaire en AGPI- des enzymes spécifiques à chaque tissu.
LC des 2 séries (n-3 et n-6) ou des carences Dans les plaquettes, une thromboxane syn-
d’apport ont des conséquences structurales thase transforme PGH 2 en thromboxane A 2
et fonctionnelles. Ainsi, une augmentation (TXA2), dont la durée de vie est très brève,
du seuil et une diminution de l’amplitude de mais qui est un puissant inducteur de l’agré-
la réponse post-stimulative des cellules en gation plaquettaire. Au contraire, les micro-
bâtonnet a été observée chez les prématurés somes de l’endothélium vasculaire possèdent
recevant un lait artificiel dépourvu d’AGPI- une prostacycline synthase, qui isomérise
LC. Des enfants nés à terme ayant consom- PGH2 en PGI2. Cette PGI2 a un effet anti-
mé des laits infantiles dépourvus d’AGPI- agrégant. Elle forme avec TXA 2 un couple
LC n-3 pendant les premiers mois de la vie antagoniste règlant le temps plaquettaire de
avaient, à l’âge de 3 ans, une acuité visuelle l’hémostase. Dans ces mécanismes de régu-
plus basse que ceux ayant reçu des AGPI- lation les dérivés de la série n-3 entrent en
LC. Des quotients intellectuels plus bas de compétition avec ceux de la
8,5 points ont également été observés chez série n-6. L’EPA aboutit à la formation de
des enfants de 7 à 8 ans nés prématurément TXA3, qui n’a qu’un faible pouvoir agrégant
et privés d’AGPI-LC. Toutefois, la carence plaquettaire, inhibe la synthèse de TXA2 et,
d’apport en AGPI-LC n’est qu’une des au niveau de l’endothélium vasculaire,
63
J. Schmitz, J.-L. Bresson
64
3. Substrats énergétiques – Les glucides
G P L G P L
Lait entier cru (vache) 5 3 4 Viandes rouges
Lait entier UHT 4-5 3 3,6* Agneau 0 17 20
Lait demi-écrémé UHT 4-5 3 1,6* Bœuf 0 20 20
Lait entier en poudre 39 26 26 Porc 0 17 25
Lait entier concentré 9 6 7-8 Cheval 0 28 3
Lait maternel mature 3 1 7 Steak 5 % 0 20 5
Crème de lait 2 2 33 Poissons maigres 0 20 <5
Fromage frais 40 % 3 8 8 Œuf entier cru 1 12 11
Yaourt nature 5 4 1 Charcuteries 2 18 10-45
Petit suisse 40 % 3 10 10
Fromages à pâtes cuites 0 27 29
Fromages à pâtes crues 0 20 25
65
J. Schmitz, J.-L. Bresson
G P L G P L
Pain Tubercules
Blanc 58 8 1 Pommes de terre
Complet 49 8 2 cuites 20 1 0
Mie 54 8 3 Salsifis cuits 10 2 0
Biscottes 78 10 4 Légumineuses
Pâtes crues 74 12 1 Haricots verts cuits 4 1-2 0
Pâtes cuites 20 2 0 Petits pois cuits 9 5 0
Riz blanc cru 87 12 0 Racines
Riz blanc cuit 20 2 0 Carottes, navets,
Confiture 69 0 0 céleri 10 1-2 0
Feuilles
Choux, épinards,
bettes… 3-4 2 0
66
3. Substrats énergétiques – Les glucides
SOURCES POSITIONS 8:0 10:0 12:0 14:0 16:0 16:1 18:0 18:1 18:2 18:3 20:0 20:1 20:5 22:1 22:5 22:6
Palme 1+3 <1 66 5 26 5
2 <1 18 1 59 19
1 14 5 59 18 <1
Arachide 2 1 <1 58 39
3 11 5 57 10 4
1 13 3 72 10 <1
Olive 2 1 83 14 1
3 17 4 74 5 1
1 18 3 27 50 1
Maïs 2 2 <1 26 70 <1
3 13 3 31 51 1
1 14 6 27 50 1
Soja 2 1 <1 26 70 <1
3 13 3 31 51 1
Colza 1+3 5 1 55 26 10 1
2 <1 47 37 15
Coprah 1+3 15 9 32 23 11 3 5 1
2 1 3 79 9 1 4 2
Porc 1 1 14 2 23 40 12 <1
(Saindoux) 2 4 58 6 3 18 8 <1
3 1 1 2 11 61 23 <1
Bœuf 1 4 41 6 17 20 4 <1
(Suif) 2 9 17 6 9 41 5 <1
3 1 22 6 24 37 5 <1
1 2 25 12 6 33 14 2
Poulet 2 1 15 7 4 43 23 3
3 1 24 12 6 35 14 3
1 1 26 7 8 43 14 2
Canard 2 1 11 4 4 59 20 2
3 1 27 7 6 45 15 1
1 2 13 8 7 24 6 11 4 9 3
Truite 2 3 6 14 1 35 11 7 4 2 9
3 4 13 8 8 25 5 12 6 9 1
1 6 12 13 1 16 3 25 3 14 1 1
Hareng 2 10 17 10 1 10 3 6 18 5 3 13
3 4 7 5 1 8 1 20 4 50 1 1
1 6 15 11 3 20 2 8 4 16 1 2
Maquereau 2 10 26 6 1 9 1 5 11 5 2 15
3 3 6 7 2 24 2 14 8 24 1 4
Lait 1 1 2 3 10 36 3 15 21 1
(Vache) 2 2 6 6 20 33 2 6 14 2
3 2 4 3 7 10 1 4 15 <1
Lait 1 <1 1 3 16 4 15 46 11 0,9 1 0,3 0 0
(maternel) 2 <1 2 7 58 5 3 13 8 0,8 0,5 0,2 0,2 0,3
3 2 6 7 6 7 2 50 17 1,5 0,5 0,2 0 0,1
67
4
Utilisation des substrats énergétiques
I. Le jeûne
J.P. Riou, M. Laville
4. Utilisation des substrats énergétiques – Le jeûne
71
J.P. Riou, M. Laville
nulles. Les réserves de glycogène sont épui- sus de l’organisme dans le pool circulant et
sées dans le foie en moins de 24 h de jeûne une utilisation ou débit de disparition par
et, dans le muscle, en quelques jours (noter un ou plusieurs tissus.
que le glycogène musculaire est disponible
exclusivement pour le fonctionnement du Pool
muscle, il ne peut fournir directement de
glucose à la circulation du fait de l’absence Da (M) Dd
dans ce tissu de glucose-6 phosphatase).
Cependant, le pyruvate et surtout le lactate [C]
fournis par la glycolyse musculaire peuvent
passer dans le sang et alimenter la néoglu- Figure 1
cogenèse hépatique (cycle de CORI). Ainsi, Bases physiologiques de la méthodologie des
la glycogénolyse musculaire peut participer traceurs.
indirectement au maintien de la glycémie. Da = débit d’apparition
C’est essentiellement l’augmentation de la Dd = débit de disparition
néoglucogenèse par le foie qui va dans un (M) = quantité totale du substrat dans le pool
[C] = concentration du substrat
premier temps maintenir la glycémie.
Avant de décrire ces adaptations métabo-
liques, il est important de préciser comment
sont mesurés les flux de substrats énergé-
tiques. Une variation de concentration peut donc
dépendre :
Tableau I – d’un changement de taille du pool
Réserves énergétiques – d’un changement du débit d’apparition
chez un sujet de 70 kg – d’un changement du débit de dispari-
tion
Substrats Tissus Énergie Poids – d’une variation de plusieurs de ses
énergétiques (Kcal) (g) paramètres.
Triglycérides Tissu adipeux 100 000 15 000 Ces paramètres peuvent aussi varier sans
blanc changement de la concentration en substrat.
Glycogène Foie 200 70 Par exemple, au cours de l’effort modéré, la
Muscle 400 120 glycémie est constante parce que le débit
Glucose Liquides 80 20 d’apparition de glucose et le débit de dispa-
circulants rition augmentent de façon parallèle. Il
Protéines Muscles 25 000 6 000 apparaît donc que la seule mesure de la
concentration d’un substrat énergétique
– ne permet pas de déterminer si son uti-
lisation évolue de façon identique à sa
MESURE DES FLUX DE concentration,
SUBSTRATS ÉNERGÉTIQUES – ne permet pas de savoir quel est le
mécanisme régulateur (production ou utili-
sation). Afin de mesurer ces paramètres
La concentration des substrats énergé- cinétiques du métabolisme des substrats
tiques présents dans le sang tels que le glu- énergétiques, on fait appel à la méthodolo-
cose, le lactate, les acides aminés, les acides gie des traceurs.
gras non estérifiés (AGNE) et les corps Un traceur est une molécule qui, ajoutée
cétoniques, est la résultante de deux phéno- au compartiment du substrat à étudier
mènes opposés (fig. 1) : une production ou – présente une structure chimique très
débit d’apparition par un ou plusieurs tis- proche de la molécule étudiée (tracé),
72
4. Utilisation des substrats énergétiques – Le jeûne
73
J.P. Riou, M. Laville
74
4. Utilisation des substrats énergétiques – Le jeûne
être un meilleur reflet de la lipolyse que les par le glucagon car elle est active sous
AGNE. Néanmoins, chez l’homme sain, le forme déphosphorylée. Sa synthèse est
processus de réestérification étant très limité effondrée au cours du jeûne, augmentée au
lorsque la lipolyse est active, la concentra- cours d’un régime riche en glucides.
tion en AGNE dans le plasma est un bon Lorsque cette enzyme est active, le malonyl
reflet de leur flux. Leur utilisation est pro- CoA est élevé, il inhibe l’acyl carnitine
portionnelle à la concentration plasmatique transférase, les AGNE présents dans le foie
dans une gamme de concentration variant ne sont pas oxydés. Lorsque cette enzyme
de 0,1 à 1 mM. est inactive (au cours du jeûne du fait de la
Les AGNE peuvent aussi provenir de faible insulinémie et de la glucagonémie
l’hydrolyse intravasculaire des triglycérides élevée), le malonyl CoA est bas, l’acyl car-
circulants par la lipoprotéine lipase. Cette nitine transférase est active, les AGNE acy-
enzyme « accrochée » aux parois externes lés sont transférés dans la mitochondrie et
des cellules endothéliales des vaisseaux vont subir la ß-oxydation. Une partie de ce
peut libérer, en présence d’apoprotéine C, flux va servir aux besoins énergétiques du
des AGNE qui vont, soit être utilisés direc- foie mais l’essentiel, va, au cours du jeûne,
tement in situ, soit enrichir le pool d’AGNE être transformé en corps cétoniques car la
circulants. Cette dernière possibilité n’a pu production d’acétyl CoA dépasse les capa-
être à ce jour clairement quantifiée in vivo cités d’utilisation par le cycle de Krebs.
chez l’homme. L’acétyl CoA généré par la ß-oxydation est
d’abord transformé en ß-hydroxy ß-methyl
➛ Les AGNE circulants sont presque tota- glutaryl CoA avant de donner naissance aux
lement insolubles dans les milieux aqueux. deux corps cétoniques fabriqués dans le
Ils ne peuvent circuler dans le plasma que foie, l’acétoacétate (AcAc) et le ß-hydroxy-
grâce à leur liaison à l’albumine qui possè- butyrate (ßOHB).
de 7 sites de liaison par molécule. Les – Dans le muscle, les AGNE vont être
AGNE vont être utilisés par le muscle, et oxydés pour fournir de l’énergie. Cette oxy-
notamment le myocarde, et par le foie. dation lipidique est particulièrement impor-
Notons que le cerveau ne peut en aucun cas tante au cours de l’effort. Tout comme dans
tirer son énergie des AGNE, même au cours le foie, l’acyl carnitine formé est transféré
du jeûne prolongé. dans la mitochondrie par l’acyl carnitine
– Dans le foie, les AGNE se lient à la transférase. A la différence du foie, l’activi-
FABP (fatty acid binding protein) et sont té de cette enzyme n’est pas dépendante du
activés sous forme d’acyl CoA. A l’état de malonyl CoA. D’autre part, le muscle ne
jeûne, l’essentiel des AGNE captés par le peut pas fabriquer de corps cétoniques si
foie va être oxydé (ß oxydation). La régula- bien que la totalité de l’acétyl CoA formé
tion de cette oxydation se situe au niveau de sera utilisée pour le métabolisme énergé-
l’acyl carnitine transférase I qui transfère tique musculaire. La régulation du métabo-
l’acyl CoA du cytoplasme dans la mito- lisme lipidique intramusculaire est mal
chondrie. Notons que cette régulation connue. Il est probable qu’une partie de
n’existe que pour les AG à longue chaîne. l’oxydation lipidique totale dans l’organis-
Les acides gras à chaîne courte ou moyenne me provient de l’oxydation de triglycérides
traversent librement la paroi mitochondriale. intramusculaires. Autant la régulation de la
Cette enzyme n’est active qu’en l’absence lipolyse dans le tissu adipeux par l’insuline
de malonyl CoA. Cet intermédiaire de la et les catécholamines est bien connue,
lipogenèse est produit par la transformation autant la régulation hormonale de la lipoly-
dans le cytoplasme de l’acetyl CoA grâce à se intramusculaire est encore assez mysté-
l’action de l’acétyl CoA carboxylase. Cette rieuse.
enzyme est activée par l’insuline, inhibée
75
J.P. Riou, M. Laville
Tableau IV
Concentration et flux de substrats énergétiques au cours du jeûne
76
4. Utilisation des substrats énergétiques – Le jeûne
77
J.P. Riou, M. Laville
O2
36 g
LACTATE + PYRUVATE
O2
CŒUR
GLYCÉROL
TISSU ADIPEUX 16 g
CORPS REIN
40 g CÉTONIQUES
Triglycérides 60 g MUSCLE
160 g AGL
160 g CO2 + H2O
AGL
120 g
Figure 2
Flux de substrats énergétiques entre le foie et les tissus, chez l’homme à 24 h de jeûne (adapté d’après 1).
78
4. Utilisation des substrats énergétiques – Le jeûne
79
II. Effets du repas
M. Laville, J.P. Riou
4. Utilisation des substrats énergétiques
83
M. Laville, J.P. Riou
FOIE
SANG
Glucose 6 P
Glucose Glycogène
Acétyl Co A
Acides gras
CO2 + H2O
Figure 1
Devenir du glucose 6 P hépatique.
Le G6 P dans le foie pourra soit être orienté vers la synthèse de glycogène, soit être transformé en acé-
tyl coA dans la glycolyse. Il pourra alors être soit oxydé soit transformé en acides gras. Le G6P pourra
aussi être transformé en glucose grâce à l’action de la glucose 6 phosphase, le glucose sera alors libéré
dans la circulation générale.
84
4. Utilisation des substrats énergétiques
GLUCOSE
ABSORPTION DU GLUCOSE
FOIE TISSUS
STOCKAGE
GLUCAGON
Figure 2
Différents paramètres intervenant dans le métabolisme du glucose
Le glucose absorbé est libéré dans le système porte et capté par le foie. Il stimule la sécrétion d’insuli-
ne. Au niveau du foie, sous l’action conjuguée de l’augmentation de l’insuline et de l’hyperglycémie
portale, la production endogène de glucose (PHG) va diminuer. Le glucose sortant du foie va être utilisé
par les tissus. Il pourra être oxydé ou stocké.
Conséquences de l’hyperglycémie et
de l’hyperinsulinémie post-prandiales hépatique en glycogène et diminuer la pro-
duction endogène de glucose. Les méca-
nismes impliqués sont : diminution de la
1. Réduction de la production endogène néoglucogenèse, stimulation de la synthèse
de glucose. de glycogène et de la glycolyse.
2. Stimulation de l’utilisation du glucose. Au niveau du foie, le glucose est trans-
3. Inhibition de la lipolyse. formé en G6P par la glucokinase associée à
l’ATP Mg, isoenzyme de type IV de l’hexo-
kinase qui a comme particularité d’avoir un
➛ Réduction de la production endogène Km élevé (8 mM) et de n’être pas inhibée
de glucose par le G6P. Cette enzyme est présente
exclusivement dans le foie et dans la cellule
L’action du glucose et de l’insuline se ß pancréatique. Lors d’un repas, une forte
conjuguent pour reconstituer la réserve concentration de glucose est obtenue dans
85
M. Laville, J.P. Riou
le système porte (10-15 mM), ce qui permet l’activation des enzymes de la glycolyse
la phosphorylation du glucose et son orien- (HK, PFK, PK) et l’inhibition des enzymes
tation vers la synthèse de glycogène, la gly- de la néoglucogenèse (PEPCK, FD Pase,
colyse, la voie des pentoses ou la lipogenèse. G6Pase).
Par ailleurs, l’insuline inhibe la glycogéno- Il est à noter la grande sensibilité du foie
lyse en s’opposant aux effets du glucagon. à l’action de l’insuline. Ceci peut être mis
Cet effet à court terme est à différencier en évidence in vivo, lors de la réalisation de
d’un effet à plus long terme d’inhibition de courbes dose-réponse à l’insuline en clamp
la néoglucogenèse par l’induction et/ou euglycémique hyperinsulinique.
86
4. Utilisation des substrats énergétiques
thase. Elle stimule aussi l’oxydation du glu- L’oxydation des AGNE se produit en très
cose en activant la PDH . grande majorité dans le muscle. Elle est
La sensibilité à l’insuline de l’utilisation inhibée sous l’effet de l’insuline. En fait,
du glucose peut également être mesurée en cette inhibition est strictement parallèle à la
clamp euglycémique hyperinsulinique. Il diminution du débit de renouvellement des
peut ainsi être mis en évidence que sous AGNE. L’insuline n’a pas d’action propre
l’effet de l’insuline, l’utilisation du glucose sur l’oxydation des AGNE, la diminution
est stimulée jusqu’à une valeur maximale constatée n’étant qu’une conséquence de
autour de 16 mg/kg/min. Le K0,5 est autour l’inhibition de la lipolyse. Cette action sur
de 100 mU/l, traduisant le fait que l’utilisa- les AGNE a un effet indirect sur le métabo-
tion du glucose est moins sensible que la lisme du glucose. En effet, il a été montré en
production de glucose à l’action de l’insuline. 1960 par Randle et coll. que l’oxydation des
AGNE dans le muscle inhibait l’oxydation
du glucose. Cette action est principalement
20
due à une inhibition du complexe enzyma-
V max
tique de la PDH liée à l’augmentation du
Utilisation du glucose
15
rapport entre [acétyl Co A / Co A]. L’accu-
(mg/kg/min)
87
M. Laville, J.P. Riou
6
laire, que la charge en glucose soit de
5 0,5 g/kg ou qu’elle soit de 1 g/kg. C’est
l’élévation insulinique plus importante pour
4
la charge de 1 g/kg qui permet de limiter
3
l’élévation glycémique en inhibant plus for-
- 60 0 60 120 180 240 300 360 tement la production endogène de glucose.
Temps (min)
Ceci peut être mis en évidence en utilisant
des traceurs du glucose, traceur pour le glu-
cose exogène (utilisant par exemple du maïs
qui est naturellement enrichi en C13) asso-
800 0,5g/kg cié à un traceur de l’ensemble du métabolis-
1g/kg
me du glucose (par exemple marqué par du
Acides Gras Libres µM
40
Insuline mU/l
30
MISE EN RÉSERVE DES
20
SUBSTRATS ÉNERGÉTIQUES
10
AU COURS DE LA PÉRIODE
0
- 60 0 60 120 180 240 300 360
POST-PRANDIALE
Temps (min)
Figure 4 A. Le glucose
Évolution de la glycémie, des AGNE et de l’in-
sulinémie au cours de 2 charges orales en gluco- La forme de stockage du glucose est
se 0,5 et 1 g/kg, chez 6 sujets normaux principalement le glycogène, la lipogenèse à
partir du glucose restant réduite dans les
conditions physiologiques.
Métabolisme du glucose
après charge orale ➛ Synthèse du glycogène (figure 6)
Lors de la réalisation d’une hyperglycé- Celui-ci est retrouvé dans le foie et dans
mie provoquée par voie orale, on peut le muscle. Les réserves de l’organisme en
88
4. Utilisation des substrats énergétiques
Ra Total Ra Exogène
8 8
0,5 g/kg 0,5 g/kg
1 g/kg 1 g/kg
6 6
mg/kg. mn
mg/kg. mn
4 4
2 2
0 0
-60 0 60 120 180 240 300 360 -60 0 60 120 180 240 300 360
0
-60 0 60 120 180 240 300 360
Temps (min)
Figure 5
Évolution de l’apparition du glucose total, du glucose exogène et de la production endogène de glucose
au cours de 2 charges orales en glucose 0,5 et 1 g/kg, chez 6 sujets normaux.
Tableau 1
Bilan sur 6 H d'une hyperglycémie provoquée par voie orale (0,5 ou 1 g/kg) réalisée chez 6 sujets sains.
89
M. Laville, J.P. Riou
glycogène sont, en fait très limitées (70 g le biais du gonflement cellulaire, qui se pro-
dans le foie, 150-300 g dans le muscle). duit avec l’entrée de Na+ lors du transport
La synthèse du glycogène peut être réali- des acides aminés. Mais ce mécanisme
sée selon la voie directe : Glucose – glucose n’est certainement pas unique, la glutamine
6P- Glucose 1P – UDP glucose – Glycogène. serait également capable d’induire une acti-
La synthèse du glycogène peut également vation de la glycogène synthase.
s’effectuer par une voie indirecte : Glucose Ainsi lors de la prise alimentaire, le glu-
– lactate/pyruvate – G6 P – Glycogène. La cose, le fructose, les acides aminés, l’éléva-
proportion respective de la voie directe et tion de l’insuline, l’élévation du G6P vont
indirecte serait de 40-60 %. La voie indirecte contribuer à favoriser la synthèse du glyco-
serait particulièrement importante lors de la gène.
réalimentation après une période de jeûne. Dans le muscle l’insuline stimule la syn-
Le métabolisme du glycogène est contrô- thèse du glycogène en activant la glycogène
lé par la glycogène phosphorylase et la gly- synthétase. Cette action de l’insuline est ici
cogène synthétase dont le degré d’activité indépendante de la présence du glucose.
dépend de leur état de phosphorylation. La
glycogène phosphorylase est activée par ➛ Lipogenèse
phosphorylation (forme a) alors que la gly-
cogène synthétase est active sous forme La biosynthèse des acides gras est réali-
déphosphorylée. La phosphorylation et la sée à partir de l’acétyl CoA dans le foie et
déphosphorylation de ces deux enzymes dans le tissu adipeux. Celui-ci est obtenu
sont controlées par l’activité de protéines par décarboxylation oxydative du pyruvate,
kinases et phosphatases. mais aussi par dégradation de certains
Dans le foie, le glucose associé à l’insuli- acides aminés ou par ß oxydation des acides
ne est le principal élément régulateur. Le gras. La lipogenèse se produit dans le cyto-
glucose va induire la synthèse de glycogène sol. L’acétyl CoA doit donc être transporté
en inhibant la phosphorylase a. La phospho- à travers la membrane mitochondriale
rylase a ayant un effet inhibiteur sur la syn- (grâce à une transformation en citrate).
thase phosphatase, celle-ci se trouve stimu- L’acétyl CoA est converti en malonyl CoA
lée lorsque la phosphorylase a est inhibée. par l’acétyl CoA carboxylase. Il s’ensuit
La synthase phosphatase est également acti- 6 étapes successives qui conduisent à la
vée par le G6P et la présence de substrats synthèse d’acide palmitique catalysé par les
néoglucogéniques. Les sucres simples, 6 enzymes du système acides gras synthéta-
autres que le glucose, concourent aussi à la se. La régulation de cette biosynthèse est
synthèse de glycogène. Ainsi, le fructose faite au niveau de l’acétyl CoA carboxylase
qui est capté en presque totalité par le foie qui est inhibée par les acides gras et surtout
est un excellent précurseur pour la synthèse par les acyl-CoA à longue chaîne.
de glycogène. Le fructose stimule l’action Les acides gras synthétisés sont stockés
de la glycogène synthase. Il existe une sous forme de triglycérides après réestérifi-
synergie d’action sur la glycogène synthase cation. Ce stockage nécessite la présence de
entre le glucose et le fructose. L’insuline glycérol 3 Phosphate. Celui-ci pourra être
antagonise l’action des hormones glycogé- produit dans le foie à partir du glycérol
nolytiques. Elle potentialise l’action du glu- grâce à la présence d’une glycérokinase.
cose d’activation de la glycogène synthase. Dans le tissu adipeux, le glycérol 3
Les acides aminés favorisent également Phosphate ne pourra être produit qu’à tra-
la synthèse du glycogène. Ils sont capables vers la glycolyse (réduction du dihydroxy-
de potentialiser l’action du glucose sur cette acétone 6-Phosphate), la glycérokinase étant
synthèse à des concentrations où ils sont absente de ce tissu. Chez l’animal, notam-
peu métabolisés. Leur action passerait par ment le rat, la lipogenèse dans le tissu adi-
90
4. Utilisation des substrats énergétiques
Ca2+
+ GLYCOGÈNE
PHOSPHORYLASE–b
+
GLUCOSE
PHOSHORYLASE
KINASE - FORT TAUX
GLYCOGÈNE
GLYCOGÈNE
PHOSPHORYLASE–a
GLYCOGÈNE GLYCOGÈNE
SYNTHASE–b SYNTHASE–a
GONFLEMENT + -
FORT TAUX GLYCOGÈNE
CELLULAIRE
SYNTHASE PHOSPHATASE -
K+ composante composante
S G
ACIDES AMINÉS
(transport Na+ dépendant)
+
GLUCOSE 6-P + -
AMP Ca2+
GLUCOSE
FRUCTOSE
Substrats Néoglucogéniques
Figure 6
Principaux mécanismes mis en jeu dans le contrôle du métabolisme hépatique du glycogène
peux est importante. Chez l’homme, il est leur passage intestinal, véhiculés dans la
plus probable que la lipogenèse d’origine lymphe par des chylomicrons. Les lipides
glucidique est principalement hépatique, le endogènes sont, eux, sécrétés par le foie
tissu adipeux ne servant qu’au stockage des sous forme de VLDL.
triglycérides. En fait, la lipogenèse à partir
du glucose n’est observée in vivo qu’en cas ➛ Les lipides exogènes : les lipides ali-
d’alimentation très riche en glucides et mentaires sont hydrolysés dans la lumière
d’hyperinsulinisme. intestinale avant d’être absorbés par les
entérocytes. Ils sont alors réestérifiés et
assemblés avec différentes lipoprotéines :
B. Les lipides Apo B48, Apo A1 pour former les chylomi-
crons. Ces chylomicrons sont ensuite déver-
Le métabolisme des lipides va être diffé- sés dans le torrent circulatoire par le canal
rent selon qu’il s’agisse de lipides exogènes thoracique. Ils subissent alors l’action de la
ou endogènes. Le métabolisme du cholesté- lipoprotéine lipase qui hydrolyse les trigly-
rol ne sera pas traité car il n’a pas de rôle cérides, libérant des AGNE qui peuvent être
en tant que substrat énergétique. Les lipides captés par les tissus. Cette hydrolyse asso-
d’origine alimentaire seront principalement ciée à un enrichissement en apo E transfor-
constitués de triglycérides. Ils sont, après me les chylomicrons en remnants de chylo-
91
M. Laville, J.P. Riou
92
4. Utilisation des substrats énergétiques
93
M. Laville, J.P. Riou
B ibliographie
(1) - Assan R., Heuclin Ch., Girard J.R. Métabolisme des glucides. Encyclopédie Médico Chirurgicale,
1976, Nutrition 10507 A10, 1-20
(2) - Jéquier E. Métabolisme énergétique. Encyclopédie Médico Chirurgicale, 1980, Nutrition 10371
A10, 1-14
(3) - Riou J.P., Tissot S., Normand S. Métabolisme du glucose au cours d’une charge orale.
Flammarion, Médecine Sciences, Journées de Diabétologie 1989, 185-190
(4) - Morand C., Remesy C., Demigne C. Contrôle du métabolisme du glycogène au niveau du foie.
Diabète et Métabolisme 1992, 18 : 87-95.
94
5
Métabolisme des protéines
B. Beaufrère
5. Métabolisme des protéines
PROTÉINES
(' 11 kg)
SYNTHÈSE
PROTÉOLYSE PROTÉIQUE
(' 300 g/j) (' 300 g.j)
URÉE
ACIDES NH4
APPORTS DÉGRADATION
AMINÉS IRRÉVERSIBLE
EXOGÈNES LIBRES (' 70 g.j)
(' 70 g.j) CO2
SYNTHÈSE AA POUR
DE NOVO FONCTIONS
ENDOGÈNE SPÉCIFIQUES
Figure 1
Schéma général du métabolisme protéique
97
B. Beaufrère
téique) : elle se fait à partir d’un pool (com- quement nulle pour certaines protéines du
partiment) d’acides aminés libres de très cristallin, très importante pour certaines
petite taille, environ 70 g (soit moins de 1 % protéines hépatiques exportées (à titre
des acides aminés de l’organisme) lui-même d’exemple, la totalité du stock corporel
compartimenté en 2 pools extracellulaire et d’apolipoprotéines B100 des VLDL est
intracellulaire, ce dernier représentant envi- renouvelée 3 fois par jour).
ron 95 % des acides aminés libres et étant le Ainsi, chez le jeune rat, le renouvelle-
véritable précurseur de la synthèse. ment des protéines musculaires représente
– la protéolyse (ou dégradation pro- environ 20 % du renouvellement protéique
téique), total, celui du foie environ 10 % (la masse
– ces deux phénomènes de synthèse pro- hépatique est très inférieure à la masse mus-
téique et de protéolyse sont simultanés et culaire mais ses protéines sont renouvelées
constituent le renouvellement (turnover) beaucoup plus rapidement), les protéines de
protéique. L’équilibre entre synthèse et la peau et du tube digestif constituant les
protéolyse est responsable de la conserva- deux autres participants importants (environ
tion de la masse protéique. Une synthèse 15 % chacun). Ces pourcentages indicatifs
supérieure à la protéolyse résulte en un gain varient en fonction de l’âge, et probable-
protéique net (ou accrétion protéique) ment de l’espèce.
improprement appelé anabolisme protéique. D’un point de vue nutritionnel, il est
A contrario, une protéolyse supérieure à la habituel de considérer l’ensemble du méta-
synthèse résultera en une diminution de la bolisme protéique selon la figure 1. Le
masse protéique. caractère très (trop) global de cette vision
– la dégradation irréversible des acides doit cependant être gardé en mémoire.
aminés correspond à l’oxydation de ces Les valeurs indiquées sur la figure 1 cor-
derniers et résulte en une production d’azo- respondent à celles observées chez un adulte
te et de CO2. de 70 kg en bon état nutritionnel. Il est habi-
– les apports protéiques compensent les tuel d’exprimer synthèse protéique et protéo-
pertes d’acides aminés, la différence entre lyse par kg de poids corporel, ce qui corres-
apports et pertes constituant le bilan pro- pond à environ 4 g de protéine synthétisée et
téique (ou bilan azoté) et correspondant dégradée par kg de poids et par jour. En
également à la différence entre synthèse et l’absence de croissance, la masse protéique
protéolyse protéique à condition que la reste stable et la synthèse est donc égale à la
taille du pool d’acides aminés libres ne protéolyse sur une période de 24 h.
varie pas, ce qui est le cas la plupart du
temps. ➛ Les variations du renouvellement pro-
téique sont importantes en fonction de
➛ Il existe environ 10 000 protéines diffé- l’âge et des différents états pathologiques :
rentes dans leurs structures et leurs fonc- – selon l’âge : le renouvellement pro-
tions chez les mammifères. Ces protéines téique est beaucoup plus rapide chez le nou-
vont participer de façon très variable au veau-né, de 10 à 15 g/kg.jour, la synthèse
renouvellement protéique global. Cette étant cette fois-ci supérieure à la protéolyse,
participation dépend : ce qui entraîne un gain protéique 1 à 1,5 g
– de l’importance quantitative de la pro- de protéine/kg.jour (correspondant à un gain
téine considérée et à ce titre les organes les pondéral de 20 à 30 g.jour composé de
plus importants vont être le muscle, l’intes- 12 % de protéines). Il existe beaucoup
tin, le foie et la peau ; moins de données chez le sujet âgé où le
– de la rapidité du renouvellement de renouvellement protéique ne semble pas
chaque protéine considérée individuelle- varier de façon significative ;
ment. Cette rapidité est très variable, prati- – selon l’état nutritionnel : le renouvel-
98
5. Métabolisme des protéines
99
B. Beaufrère
AMINOACIDE
AMINO ACYL INTRAPROTÉIQUE
t RNA = (protéine)
Transporteur
Figure 2
Transfert intracellulaire des acides aminés pour la synthèse protéique
100
5. Métabolisme des protéines
101
B. Beaufrère
des acides aminés à l’exception des acides aminé considéré), l’acide aminé est définiti-
aminés branchés ayant une dégradation vement « perdu » pour le métabolisme pro-
oxydative essentiellement hépatique. Sché- téique. A titre d’exemple, les deux pre-
matiquement, le radical carboné (céto acide) mières réactions de dégradation des acides
peut avoir deux destinées : aminés branchés sont indiquées ci-dessous.
– il peut être réaminé soit en un acide
aminé identique, soit en un autre acide 1) Leucine + alpha-cétoglutarate ↔ kétoiso-
aminé après modification conduisant alors à caproate + glutamate (réversible)
la synthèse d’acides aminés non essentiels ; CO2
– il peut être irréversiblement détruit et ➚ isovaleryl CoA (irré-
2) kétoisocaproate ➞
fournir de l’énergie directement ou indirec- versible).
tement, ses carbones étant incorporés dans
d’autres substrats énergétiques, glucose ou L’étape irréversible (2) est la décarboxy-
corps cétoniques. Tous les acides aminés lation en position 1, toute remontée vers
sont néoglucogéniques à l’exception de la l’acide aminé devient alors impossible.
leucine et de la lysine, le plus important C’est au niveau de cette étape que s’exerce
quantitativement étant l’alanine. Leur parti- une régulation hormonale et nutritionnelle
cipation à la cétogenèse est par contre quan- particulièrement fine.
titativement modeste.
102
5. Métabolisme des protéines
Ces enzymes sont localisées essentielle- tide de 76 aminés dont la séquence est extrê-
ment à l’intérieur des vésicules lysosomales mement conservée chez les eucaryotes. Il se
qui incorporent par endocytose les protéines fixe sur les protéines à dégrader (par liaison
à dégrader. Elles agissent essentiellement covalente au niveau des résidus lysine de la
sur les protéines intracellulaires à demi-vie protéine). Une fois la protéine poly-ubiquiti-
longue, sur les membranes cellulaires, et sur née, elle est reconnue par le protéasome qui
les protéines extra cellulaires. L’endocytose la dégrade en acides aminés et en peptides
peut également concerner un fragment d’or- courts relâchant l’ubiquitine qui peut alors
ganite voire un organite entier (macro auto- être réutilisée. L’ensemble de la réaction
phagie). A l’intérieur de la vésicule, les nécessite plusieurs enzymes, protéines por-
cathepsines vont dégrader la protéine sub- teuses et co-facteurs. Surtout, la réaction
strat en peptides et en acides aminés qui consomme de l’ATP à deux niveaux, d’une
seront libérés dans le cytosol. Le type de part au moment de l’ubiquitination, d’autre
cathepsine et de façon générale l’importan- part au moment de l’intervention du protéa-
ce de la protéolyse lysosomale varie selon some. Cette voie ATP dépendante représente
l’organe considéré : ce mode de dégradation probablement la majorité de la protéolyse au
est particulièrement important dans les niveau musculaire (protéines myofibril-
organes à renouvellement protéique rapide laires). Elle est finement régulée par les cir-
(foie). Il nécessite de l’énergie sous forme constances nutritionnelles et hormonales.
d’ATP.
103
B. Beaufrère
te), ou peut recevoir un acide aminé déstabili- gastrique, une digestion enzymatique par la
sant supplémentaire, ou peut au contraire être pepsine et surtout les enzymes pancréa-
protégé par une acétylation (la désacétylation tiques, libérant ainsi des acides aminés et
exposant alors un acide aminé déstabilisant). des di et tripeptides qui sont absorbés au
niveau des villosités. Les apports représen-
➛ Les « séquences signal » : il a été mis tent chez un adulte en pays développé, de 1
en évidence de courtes séquences d’acides à 1,5 g de protéine/jour (soit 70 à 100 g).
aminés dénommées selon la nomenclature Seules quelques remarques permettant
des acides aminés avec une lettre (séquence une meilleure compréhension du métabolis-
KFERQ ou PEST, le K correspondant à la me protéique seront faites ici :
glycine, le F à la phénylalanine, etc.). Ces – la quantité d’acides aminés absorbée
motifs, inclus dans la séquence primaire de par le grêle n’est pas de 70 à 100 g mais
la protéine, deviendraient exposés au fur et comprend en plus des protéines ingérées les
à mesure du vieillissement de la protéine protéines « sécrétées » par le tube digestif
par modification des structures secondaires sous forme d’enzymes, de mucus, de débris
et tertiaires, l’apparition du motif étant alors cellulaires... Ces protéines « sécrétées »
le signal pour la dégradation de la protéine. représentent environ 50 g et c’est donc un
Cependant, à l’heure actuelle, ces deux total quotidien de 150 g d’acides aminés
mécanismes ne concernent que quelques qui vont arriver dans la veine porte.
protéines et les signaux conduisant à la – le premier organe rencontré par les
dégradation de la majorité des protéines res- acides aminés absorbés est le foie. Seule
tent mystérieux. une fraction des acides aminés absorbés
Au total, les points essentiels à retenir passe dans la circulation générale, le reste
sur la protéolyse sont : étant transaminé, oxydé ou incorporé dans
– la notion que la protéolyse consomme les synthèses protéiques hépatiques. Ce phé-
de l’énergie. En raison de la mutiplicité des nomène, dit de l’extraction splanchnique,
systèmes protéolytiques et de la moins concerne 60 à 80 % des acides aminés
bonne connaissance de la stoechiométrie absorbés (à l’exception des acides aminés
des différentes réactions, il est difficile d’es- branchés, dont l’extraction est d’environ
timer, comme pour la synthèse protéique, 20 %). Il permet à l’aminoacidémie de res-
un coût énergétique de la protéolyse. En ter dans des limites raisonnables même au
tout état de cause, ce coût est probablement cours d’une charge protéique alimentaire
élevé ; importante.
– la protéolyse est tout autant que la – enfin il est intéressant de constater qu’à
synthèse protéique un phénomène très partir d’une protéine alimentaire de structu-
bien régulé par les conditions nutrition- re extrêmement complexe, l’organisme
nelles et hormonales, même si cette régula- dégrade cette protéine en ses unités consti-
tion est actuellement mal connue. tutives (les acides aminés), pour reconstrui-
re ultérieurement une protéine tout aussi
complexe qui peut être à peine différente
structurellement (par exemple pour les pro-
LES APPORTS EN ACIDES téines myofibrillaires) de la protéine ingé-
rée. Ce phénomène de dégradation et de
AMINÉS EXOGÈNES synthèse est rendu indispensable par la
spécficité d’espèce des différentes pro-
téines et va nécessiter une importante
Ceci correspond à l’apport alimentaire en dépense énergétique.
protéines qui subissent après leur ingestion
une dénaturation par l’acide chlorhydrique
104
5. Métabolisme des protéines
105
B. Beaufrère
LES MOYENS D’EXPLORATION l’azote total doit lui être préféré quand il est
possible (méthode de Kjeldhal ou pyro-che-
DU MÉTABOLISME miluminescence).
PROTÉIQUE IN VIVO – la quantification des apports est diffici-
le en dehors des situations de nutrition arti-
ficielle, le dosage effectif de l’azote ingéré
La quantification de la masse protéique (méthode des plateaux dupliqués) est préfé-
totale de l’organisme est effectuée par des rable à celui de l’estimation par les tables
méthodes de composition corporelle (voir de composition alimentaire ;
Ch. 1). A l’exception de la mesure de l’azo- – l’excrétion azotée fécale est en principe
te corporel total par activation neutronique, faible (10 à 15 % des pertes azotées). Il ne
méthode lourde exclusivement destinée à la faut pas oublier de prendre en compte l’ex-
recherche, il n’existe pas de mesure direc- crétion azotée des fistules digestives lors-
te de la masse protéique, qui est déduite qu’elles existent ;
de la mesure d’autres compartiments – les pertes insensibles (sueurs, desqua-
(masse grasse, eau corporelle). mations, phanères...) représentent environ
10 mg d’azote par kg par jour dans des cir-
constances normales.
Globalement un bilan azoté fiable doit
Le bilan azoté être pratiqué sur une période minimum de 3
à 5 jours. Il s’agit donc d’un examen relati-
L’équation de base du bilan azoté est la vement lourd en pratique clinique. On peut
suivante : lui substituer le seul dosage d’azote urinaire
bilan = apport d’azote - (azote urinaire + déjà très informatif pour le suivi d’une ali-
azote fécal + autres pertes azotées) mentation artificielle. Signalons enfin que
compte tenu de la tendance à la suresti-
Par définition, le bilan azoté indique mation des entrées et à la sous-estimation
l’évolution nette de la masse protéique, sous des pertes, les bilans azotés sont quasi
réserve que le pool d’azote non protéique systématiquement surévalués.
(c’est-à-dire le pool d’acides aminés libres
et surtout l’urée) reste stable pendant la
période de mesure (cf. fig. 1). Il est positif Les évaluations de la masse
lorsque la masse protéique s’accroît, c’est le musculaire
cas en période de croissance, proche de
zéro chez un adulte dont la masse protéique ➛ L’excrétion urinaire de créatinine :
est constante, et négatif dans des circons- Le muscle contient 98 % de la créatine
tances pathologiques accompagnées d’une de l’organisme. Cette créatine est transfor-
fonte protéique. mée en créatine phosphate qui fournit
Bien que conceptuellement simple, le l’énergie utilisable pour la contraction mus-
bilan azoté est de réalisation délicate si culaire. Créatine et créatine phosphate sont
une bonne précision est recherchée. Parmi hydratées en créatinine, celle-ci étant libé-
les problèmes pratiques, on peut citer : rée dans le sang, filtrée par le rein et excré-
– l’azote urinaire représente la majeure tée. La créatinurie est de 24 heures et donc
partie de l’excrétion azotée (90 % chez proportionnelle à la masse musculaire.
l’adulte), le recueil des urines doit être Les inconvénients pratiques de la méthode
méticuleux. Le simple dosage d’urée urinai- sont une importante variabilité intra-indivi-
re (80 % de l’azote urinaire, mais cette pro- duelle, une augmentation de la créatininurie
portion peut varier) peut être une indication lors de l’exercice physique, du stress et des
suffisante en clinique mais le dosage de situations cataboliques, une invalidité de la
106
5. Métabolisme des protéines
107
B. Beaufrère
aminé marqué introduit dans l’organisme. Le administration d’un acide aminé marqué au
rapport de dilution (acide aminé marqué/non carbone 13.
marqué) est inversement proportionnel au La méthode la plus couramment utilisée
débit de production de l’acide aminé. A l’état chez l’homme est celle dite des précurseurs
stationnaire (concentrations stables), ce débit où l’acide aminé utilisé est la leucine. Le
de production est égal au débit d’utilisation. modèle est décrit sur la figure 3. Dans cette
L’ensemble production-utilisation consti- situation, le débit de leucine issu des pro-
tuant le débit de renouvellement de l’acide téines est un index de la dégradation pro-
aminé. téique. Le débit d’utilisation de la leucine
La destinée de l’acide aminé peut égale- comporte deux composantes : le flux de
ment être quantifiée dans certaines voies leucine incorporé dans les protéines, index
métaboliques si l’on suit le traceur dans de la synthèse protéique, et l’oxydation de
l’organisme. On mesure ainsi l’oxydation la leucine. Cette oxydation de la leucine est
d’un acide aminé en collectant dans les mesurée, on en déduit par soustraction un
gaz expirés le CO2 marqué récupéré après index de la synthèse protéique.
traceur :
13 C Leucine
pool plasmatique
Synthèse
protéique
LEUCINE PROTÉINES
Protéolyse
Oxydation
de la Leucine
13 CO
2
Figure 3
Mesure de la synthèse et du catabolisme protéique du corps entier à l’aide de leucine marquée
Les flux d’acides aminés ainsi mesurés dégradation oxydative est simple, et se
peuvent être convertis en flux de protéines déroule à la fois dans le foie et dans le
sur la base d’un contenu moyen de l’acide muscle (alors que la majeure partie des
aminé choisi dans les protéines totales de autres acides aminés ont une oxydation
l’organisme (8 % pour la leucine). La essentiellement hépatique), et dont l’analyse
représentativité de l’acide aminé vis-à-vis en spectrométrie de masse est relativement
du métabolisme protéique « corps entier » facile.
est donc un point crucial et va déterminer Ce modèle largement utilisé et dont ont
le choix de cet acide aminé. été dérivés les chiffres indiqués dans l’in-
Actuellement, la plupart des études utili- troduction pose cependant un certain
sent la leucine, acide aminé essentiel, dont la nombre de problèmes :
108
5. Métabolisme des protéines
109
B. Beaufrère
110
5. Métabolisme des protéines
eux-mêmes, qu’il s’agisse des acides ami- ticulier, par l’insuline (glucose ➛ insuline
nés ou des autres substrats énergétiques ; ➛ réduction de la protéolyse).
– ensuite l’évolution du métabolisme pro-
téique au cours des différentes circonstances
nutritionnelles que sont le repas et le jeûne. La régulation du métabolisme
protéique au cours des différents
états nutritionnels chez l’homme :
La régulation par les substrats :
➛ On définit trois états successifs en phy-
a) les acides aminés : que ce soit in vitro siologie de la nutrition :
ou in vivo, les acides aminés stimulent glo- – l’état nourri correspond à la période
balement la synthèse protéique. Cet effet pendant laquelle des nutriments ingérés
est particulièrement net pour les acides ami- arrivent du tube digestif dans la circulation.
nés branchés, cette spécificité ne s’étant Selon le type de nutriments, il dure entre 3
toutefois pas traduite par une efficacité par- et 8 heures après un repas ;
ticulière des solutés enrichis en acides ami- – l’état post-absorptif correspond aux
nés branchés en clinique. 12 à 18 heures suivant l’état nourri, c’est-à-
b) les autres substrats énergétiques : de dire en pratique le matin à jeun ;
façon générale, un apport énergétique suffi- – Il est suivi par le jeûne, soit court (2 à
sant est indispensable au maintien d’un 3 jours), soit prolongé (supérieur à 3 jours).
bilan azoté neutre ou positif. La source des L’évolution générale du métabolisme pro-
apports énergétiques n’est pas indifférente et téique est représentée sur la figure 4.
classiquement, les glucides ont un effet a) A l’état post-absorptif, la synthèse, la
d’épargne azotée supérieur à celui des lipides protéolyse et l’oxydation sont à leur niveau
au moins dans des circonstances d’apport éner- basal, la protéolyse étant légèrement supé-
gétique limité. Ceci n’est plus vrai lorsque les rieure à la synthèse et l’organisme étant donc
apports énergétiques sont excédentaires. en bilan négatif. Ce niveau basal de renouvel-
Cette liaison entre apports énergétiques et lement protéique dépend des apports pro-
métabolisme protéique relève de plusieurs téiques des jours précédents, il est accéléré en
mécanismes complémentaires : cas d’apports importants, réduit en cas d’ap-
– le renouvellement protéique (synthèse ports faibles. Au niveau tissulaire, dans cette
mais aussi protéolyse) est, comme vu plus circonstance, le muscle est un producteur net
haut, un consommateur d’énergie impor- d’acides aminés en quantité modérée.
tant. Une limitation de l’apport énergétique b) Lors d’un repas (état nourri) : par des
se traduira donc par son ralentissement. mécanismes liés à la fois à l’apport en sub-
– les acides aminés et le glucose sont en strats et à l’hyperinsulinisme, l’organisme est
compétition au niveau de l’oxydation mito- alors en bilan positif. L’oxydation des acides
chondriale par un mécanisme similaire à celui aminés dans le muscle (pour les acides aminés
du cycle de Randle entre glucose et lipides. branchés) et surtout dans le foie, augmente
Un déficit d’apport en ces substrats énergé- massivement ce qui correspond à un azote uri-
tiques se traduira donc par une oxydation plus naire élevé. Cette augmentation est propor-
importante des acides aminés qui ne seront tionnelle aux apports protéiques et correspond
plus disponibles pour la synthèse protéique. pour l’organisme à un moyen d’éliminer les
– certains substrats (acides gras à chaîne acides aminés excédentaires, le but recherché
moyenne par exemple) peuvent avoir un étant l’obtention à la fin d’un nycthémère (état
effet spécifique d’activation des enzymes de nourri + état post-absorptif) d’un bilan azoté
dégradation des acides aminés ; neutre. Ceci explique l’impossibilité d’aug-
– les substrats énergétiques agissent enfin menter la masse protéique de l’organisme par
par l’intermédiaire des hormones et en par- simple augmentation des apports protéiques.
111
B. Beaufrère
PROTÉOLYSE
SYNTHÈSE
PROTÉIQUE
EXCRÉTION AZOTÉE
+
–
BILAN AZOTÉ
112
5. Métabolisme des protéines
1. Les apports recommandés sont définis comme ➛ Les besoins en acides aminés :
les apports couvrant les besoins moyens + 2 dévia- Ils sont déterminés par la méthode sui-
tions standards (soit, par définition, 97,5 % de la
population) + un supplément variable selon les vante (figure 5) : des sujets reçoivent une
experts. alimentation parfaitement équilibrée conte-
113
B. Beaufrère
Bilan Oxydation
de
azoté + l’acide
aminé +
+ essentiel
0
+ + +
+ +
+
Apport
Besoin Apport croissant croissant
moyen en un acide aminé en un acide
Besoin aminé
essentiel moyen essentiel
Figure 5
Détermination des besoins en acides aminés essentiels
nant tous les nutriments et tous les acides correspond aux besoins importants de la
aminés en quantité suffisante à l’exception synthèse protéique en période de croissance.
de l’acide aminé dont on veut mesurer le Les acides aminés essentiels doivent donc
besoin. En l’absence de cet acide aminé, le représenter chez le nourrisson plus du
bilan azoté est négatif ce qui illustre le fait tiers de l’azote total apporté (ce qui signi-
que l’absence d’un seul acide aminé suffit à fie que les protéines alimentaires devront
ralentir la synthèse protéique. L’apport en être de haute qualité). Chez l’adulte, c’est
cet acide aminé est alors progressivement seulement 10 % de la ration azotée qui
augmenté : lorsque le bilan azoté se positi- devra être composée d’acides aminés essen-
ve, le besoin est alors couvert. tiels.
Là encore, la qualité des résultats obtenus Enfin, certains acides aminés peuvent
dépend de l’exactitude du bilan azoté. Les être conditionnellement essentiels, ce qui
résultats obtenus par cette méthode sont signifie que, à l’occasion d’une circonstance
actuellement contestés par certains groupes physiopathologique donnée, leur synthèse
qui ont proposé de mesurer non plus le endogène n’est pas suffisante pour couvrir
bilan azoté mais l’oxydation de l’acide les besoins. C’est le cas de la cystéine et de
aminé par des méthodes isotopiques. Cette la tyrosine qui peuvent normalement être
oxydation reste minimale tant que les obtenues à partir de la méthionine et de la
besoins de la synthèse protéique ne sont pas phénylalanine respectivement. Dans des cir-
couverts puis augmente régulièrement dès constances telles que la prématurité et l’in-
que le besoin est atteint. Les résultats obte- suffisance hépatique, ces conversions seront
nus par cette méthode sont deux à trois fois insuffisantes pour couvrir les besoins et un
supérieurs à ceux obtenus classiquement. apport exogène devient donc nécessaire. De
Pour l’instant, les recommandations alimen- la même façon, il est probable que les
taires internationales s’en tiennent aux acides aminés du cycle de l’urée (arginine,
chiffres obtenus par la méthode classique. ornithine et citrulline) deviennent condition-
Les besoins de chacun des neuf acides nellement essentiels au cours des insuffi-
aminés pour l’ensemble des acides aminés sances hépatiques et peut-être pour l’argini-
essentiels sont, selon l’acide aminé, de 30 à ne en période de croissance rapide. Il faut
150 mg/kg.j chez le nourrisson (au total enfin citer le cas de la taurine, acide aminé
750 mg/kg.j) et seulement de 5 à 15 mg/kg.j libre abondant dans l’organisme mais non
(au total 80 mg/kg.j) chez l’adulte. Ceci incorporé dans les protéines. La taurine est
114
5. Métabolisme des protéines
amenée en quantité suffisante par le lait de valeur biologique de la protéine sera donc
femme mais pas par le lait de vache et un sous-estimée. Enfin la qualité d’une protéi-
déficit d’apport en taurine peut résulter en ne a été volontiers testée chez l’animal de
des anomalies de la fonction rétinienne. laboratoire, en particulier chez le rat, dont
Enfin, il faut se souvenir que les critères les besoins sont différents de ceux de
d’« essentialité » sont étroitement fonc- l’homme.
tion de l’état physiologique. Il est très pro- Cette valeur biologique globale dépend
bable que les besoins réels de plusieurs en fait de la structure intrinsèque de la pro-
acides aminés au cours des états catabo- téine et également de la façon dont les
liques ou septiques sont différents des acides aminés constituants sont absorbés
besoins décrits ici qui se rapportent unique- par le tube digestif.
ment à l’individu normal. a) L’indice chimique : il est inhérent à une
protéine donnée et se définit comme suit :
– l’indice chimique est évalué par le rap-
Les sources protéiques alimentaires port de la quantité (en mg) d’un acide
aminé essentiel dans 1 g de protéine sur la
➛ Notion de qualité d’une protéine : quantité (en mg) du même acide aminé
Toutes les protéines ne sont pas équiva- essentiel dans 1 g de protéine de référence.
lentes pour remplir les besoins. La qualité La protéine de référence la plus courante
(ou valeur nutritionnelle) d’une protéine est l’albumine de l’œuf. Par exemple, si on
se définit comme l’efficacité avec laquelle considère la quantité de lysine contenue
cette protéine satisfait au besoin à la fois en dans la farine de blé (35 mg/g de protéine)
azote et en acides aminés. Le critère le plus rapportée à celle contenue dans l’albumine
classique de qualité est la valeur biologique (70 mg/g de protéine) on arrive à un indice
définie comme suit : chimique pour la lysine et pour la protéine
– la valeur biologique : c’est le rapport de blé de 50 % (35/70). En théorie, l’indice
de la fraction de l’azote apporté retenu par chimique doit être déterminé pour chaque
l’organisme sur l’azote absorbé par l’intes- acide aminé essentiel dans une protéine
tin. donnée. En pratique, on se contente d’indi-
Une valeur biologique de 100 est donc quer l’indice chimique le plus bas parmi
une protéine dont l’azote absorbé est effica- ceux des différents acides aminés, cet acide
ce à 100 % pour remplacer les pertes azo- aminé étant appelé acide aminé limitant
tées endogènes. (en pratique sont concernés, la lysine, les
Un autre critère couramment utilisé est acides aminés soufrés et le tryptophane).
l’utilisation protéique nette : L’albumine de l’œuf a été longtemps utili-
– l’utilisation protéique nette est le rap- sée comme protéine de référence, mais
port de la fraction de l’azote retenu sur actuellement la composition de la protéine
l’azote ingéré. de référence est déterminée en fonction des
D’autres paramètres tels que le coeffi- besoins propres à chaque situation (nou-
cient d’efficacité protéique (CEP) ou le veau-nés, nourrissons, enfants...).
coefficient d’efficacité protéique net (basés b) La digestibilité est définie comme la
sur les gains pondéraux) sont également capacité du tube digestif à absorber effective-
couramment utilisés. La mesure de ces dif- ment l’azote ingéré et se calcule comme suit :
férents paramètres est plus ou moins facile
selon le dosage requis (gain de poids ou Digestibilité = azote ingéré - azote fécal x 100
dosage d’azote). Surtout, elle dépend du azote ingéré
niveau d’apport protéique puisqu’à niveau
d’apport protéique élevé, la proportion La digestibilité « vraie » inclue de plus
d’azote retenu ne sera pas augmentée et la une correction pour les pertes azotées
115
B. Beaufrère
116
5. Métabolisme des protéines
Figure 1 bis
117
B. Beaufrère
Concentration en Leucine
Concentrations
118
5. Métabolisme des protéines
B ibliographie
(1) - Delvin T.M. Ed., Textbook of Biochemistry. Wiley Liss, New York 1992 Biochimie de la syn-
thèse protéique, régulations.
(2) - Young V.R., YU Y.M., Fukagawa N.K. Energy and protein turnover. In « Energy metabolism »,
J.M. Kinney, H.N. Tucker ed., Raven Press, New York, 1992 (relations énergie/protéines).
(3) - Beaufrère B., Evaluation du métabolisme protéique. In « Nutrition pédiatrique » Ricour R C.,
Ghisolfi J., Putet G., Goulet O. éd., Doin, Paris 1993 (sous presse).
(4) - Mc Nurlan M.A., Garlick P. Influence of nutrient intake on protein turnover. Diab. Metab. Rev.,
1989, 5, 165-189 (régulation nutritionnelle).
(5) - Dillon J.C. Les méthodes d’évaluation de la valeur nutritive des protéines en alimentation humai-
ne. Cah. Nutr. Diet., 1991, 26, 224-229 (qualité des protéines).
(6) - Dupin H., Abraham J., Giachetti I. Apports nutritionnels conseillés. Tee & Doc Lavoisier, Paris,
1992.
(7) - Recommended Dietary Allowances, 10e ed., National Academy Press, Washington DC, 1989.
(8) - Dupin H., Cuq J.L. Eds,. Alimentation et nutrition humaine. ESF Paris, 1992 (protéines et ali-
ments).
119
6
Fer, vitamines, oligo-éléments
I. Le fer
S. Hercberg
Institut Scientifique et Technique de la Nutrition et de l’Alimentation (CNAM Paris)
6. Le fer
Myoglobine 150 à 200 mg 3à5% économe de son fer. Le pool du fer de l’or-
Fer
Enzymes héminiques
8 à 15 mg 0,3 % ganisme (4 g chez l’homme adulte ; 2,5
Enzymes non héminiques
chez la femme adulte) est en renouvelle-
Fer non
Transferrine 3 à 4 mg 0,1 %
Fer de réserve 300 à 1 200 mg 30 % ment permanent : le fer ayant servi à la syn-
thèse de l’hémoglobine est récupéré après la
destruction des globules rouges et réutilisé.
Le fer est distribué dans de nombreux Les quantités de fer quotidiennement élimi-
organes au niveau de multiples localisations nées sont très faibles, de 1 à 2 mg/jour, ce
123
S. Hercberg
qui ne représente que 1/1 000 à 1/4 000 du Pour les femmes de la puberté à la méno-
pool total de fer de l’organisme. Mais cette pause, il est nécessaire d’ajouter aux pertes
faible dépendance envers l’extérieur est un basales celles liées aux hémorragies mens-
facteur d’une extrême importance car en cas truelles (INACG, 1982). Les pertes en fer
de non-compensation de ces pertes par les dues aux menstruations ont été étudiées
apports alimentaires, il y a risque de désé- chez les femmes de pays développés
quilibre de la balance en fer. (Suède, Royaume-Uni, Canada) et de pays
Chez le sujet considéré en bonne santé, il en voie de développement (Égypte, Inde,
existe un état d’équilibre entre les apports et Birmanie). Dix pour cent des femmes
les pertes. Cette balance peut être déséquili- considérées en bonne santé ont des pertes
brée dans le sens de la carence en diverses menstruelles supérieures à un volume de
circonstances : 80 ml/mois. La médiane des pertes mens-
– insuffisance des apports ou diminution truelles se situe entre 25 et 30 ml/mois, ce
de l’absorption, qui correspond à des pertes en fer de 12,5 à
– augmentation des pertes, 15 mg par mois, soit 0,4 à 0,5 mg/jour qui
– augmentation des besoins. viennent s’ajouter aux pertes basales habi-
Ces différentes causes peuvent être asso- tuelles (0,8 mg/jour). Au total, 50 % des
ciées entre elles et s’aggraver mutuellement. femmes ont donc des pertes totales en fer
En cas de rupture de l’équilibre de la balan- supérieures à 1,3 mg/jour, 10 % ont des
ce en fer, l’organisme puise dans ses pertes supérieures à 2,1 mg/jour et 5 %
réserves disponibles ; lorsque celles-ci sont supérieures à 2,4 mg/jour. De nombreux
épuisées, les fonctions métaboliques dans facteurs, tels que l’hérédité, le poids, la
lesquelles le fer intervient sont perturbées. taille, l’âge, la parité ont une influence sur
le volume des règles. Mais le facteur majeur
est constitué par l’utilisation de certains
modes de contraception. Les contraceptifs
LES BESOINS EN FER oraux peuvent diminuer de 50 % le volume
des règles alors qu’une augmentation de
plus de 100 % peut être observée chez les
Les pertes en fer de l’organisme femmes utilisatrices d’un dispositif intra-
utérin.
Les pertes en fer de l’organisme consti-
tuent un phénomène obligatoire lié à la des-
quamation des cellules des différentes sur- Les besoins au cours de la grossesse
faces du corps humain. Environ les deux-
tiers des pertes en fer se font par l’intermé- Les besoins en fer sont considérablement
diaire du tractus gastro-intestinal. Les pertes augmentés durant la grossesse du fait de
par la peau se font essentiellement par la l’augmentation physiologique de la masse
desquamation de l’épiderme, les quantités érythrocytaire, c’est-à-dire du nombre de
de fer perdues par la sueur pouvant être globules rouges maternels (nécessitant envi-
considérées comme négligeables (même en ron 500 mg de fer), de la constitution des
climat chaud et humide). Les pertes en fer tissus du fœtus (environ 290 mg de fer) et
par les urines sont également très faibles. du placenta (environ 25 mg de fer). Ces
Les pertes basales journalières varient, dépenses spécifiques viennent s’ajouter aux
chez l’adulte, de 0,9 à 1 mg de fer/jour ce pertes basales (0,8 mg/jour compte tenu de
qui correspond à des pertes d’environ l’interruption des menstruations, soit
14 g/kg. Près de 0,6 mg sont perdus par les 220 mg pour l’ensemble de la gestation).
selles, 0,2 à 0,3 mg par la peau et 0,1 par Au total, c’est plus de 1 000 mg de fer dont
les urines. la femme enceinte a besoin pour assurer sa
124
6. Le fer
balance en fer au cours de la grossesse. Ces couchement non traumatique, ces pertes en
besoins sont particulièrement concentrés sur fer supplémentaires représentent au moins
le 2e et le 3e trimestre (tableau 2). L’état des 250 mg). Cependant, la récupération du fer
réserves en fer au début de la grossesse est provenant du déclin de la masse érythrocy-
un facteur essentiel pour évaluer les besoins taire maternelle et « l’économie » de fer due
en fer des femmes enceintes. Si les réserves à l’absence des menstruations pendant plu-
en fer sont de l’ordre de 500 mg en début sieurs semaines après l’accouchement per-
de gestation, ils permettent d’assurer la cou- mettent d’estimer que les besoins en fer des
verture des besoins liés à l’augmentation de femmes allaitantes sont légèrement supé-
la masse érythrocytaire : les besoins journa- rieurs à ceux d’une femme en âge de pro-
liers en fer peuvent donc être évalués aux créer, tout au moins au cours des 6 premiers
environs de 2,5 mg/jour pour les deux der- mois de lactation. Si l'allaitement est pro-
niers trimestres de la grossesse. Si les longé au-delà de cette période (situation
réserves sont par contre faibles, voire habituelle dans de nombreux pays en voie
nulles, les besoins sont difficiles à couvrir de développement), les besoins sont alors
par l’alimentation, malgré l’augmentation nettement supérieurs à partir du 6e mois.
de l’absorption du fer observée au cours de
la 2e moitié de la grossesse.
Les besoins chez le nourrisson,
l’enfant et l’adolescent
Les besoins au cours de la lactation L’organisme d’un nouveau-né à terme
contient entre 260 et 290 mg de fer acquis
La teneur en fer du lait maternel est rela- au cours de la gestation. Environ 25 % de
tivement faible, de 0,3 à 1,5 mg/l. Mais la ce fer correspond à des réserves tissulaires,
spoliation supplémentaire de fer due à l’al- mais une grande partie est sous forme d’hé-
laitement, contribue à agraver le déséqui- moglobine dont le taux est particulièrement
libre de la balance en fer chez des femmes élevé à la naissance. Les besoins de l’enfant
qui sont le plus souvent déjà à leur niveau au cours de la première année de la vie sont
de réserve le plus bas (voire même franche- liés aux pertes basales, à l’expansion de la
ment carencées) du fait des besoins élevés masse érythrocytaire et à la croissance des
de la grossesse qui vient d’arriver à terme et tissus de l’organisme. Au cours des 8 à 10
des hémorragies habituelles de l’accouche- premières semaines de vie, le taux d’hémo-
ment et du post-partum (même en cas d’ac- globine va chuter profondément, passant du
Augmentation de la masse
érythrocytaire – 250 250 500
Fer fœtal 60 230 290
Fer du placenta – – 25 25
Hémorragies de l’accouchement
et du post-partum – – – –
Déperditions physiologiques 80 80 80 240
TOTAL 80 390 585 1 055
125
S. Hercberg
niveau le plus élevé au niveau le plus bas moyennes pour chaque âge. Chez les adoles-
relevé pendant toute la période de dévelop- centes, les besoins en fer sont également éle-
pement. Cette chute du taux d’hémoglobine vés, mais ils n’accussent pas une poussée
est liée à une nette diminution de l’érythro- aussi aiguë que chez les garçons, du fait que
poïèse en réponse à l’oxygénation accrue le gain pondéral annuel maximum est un peu
des tissus après la naissance. L’hémolyse plus faible que chez les garçons et parce que
accrue (qui contribue à libérer du fer) et le le taux d’hémoglobine chez la fille ne s’élè-
fer absorbé permettent d’éviter des carences ve que légèrement pendant cette période. Le
en fer au cours de cette période. Dans un gain de poids maximum chez la fille nécessi-
deuxième temps, l’érythropoïèse se réactive te, lui, 280 mg de fer environ pour maintenir
: le taux d’hémoglobine augmente de sa constant le taux d’hémoglobine. Le début
valeur moyenne la plus basse 10 g/100 ml à des règles suit habituellement la poussée de
une valeur moyenne de 12,5 g/100 ml et s’y croissance maximale de l’adolescente, la
maintient pendant toute la première année déperdition menstruelle moyenne est de 30
de la vie. ml environ par menstruation chez la fille de
Compte tenu des besoins liés à la crois- 15 ans et elle correspond à une perte nette
sance, les besoins totaux en fer sont considé- d’environ 175 mg de fer par an. Il y a toute-
rables chez le jeune enfant (INACG, 1979), fois d’importantes variations d’une adoles-
8 à 10 fois supérieurs à ceux d’un adulte de cente à l’autre, celles qui perdent le plus de
sexe masculin lorsqu’ils sont exprimés par sang étant bien sûr les plus exposées au
kilogramme de poids corporel. L’accéléra- risque de carence en fer.
tion de la croissance, particulièrement au
cours des années de maturation sexuelle,
s’accompagne également d’une augmenta- Pertes en fer
tion des besoins en fer, notamment pour la liées à certaines pathologies
production d’hémoglobine. Pendant l’année ou certains comportements
qui correspond à leur plus forte poussée de
croissance, les garçons prennent en moyenne En dehors des besoins en fer liés à la
10 kg. On peut calculer que ce gain pondéral nécessité de compenser les pertes physiolo-
nécessite un accroissement net de fer de giques de la vie, certaines pathologies ou
300 mg environ, ne serait-ce que pour main- comportements peuvent être responsables
tenir un taux d’hémoglobine constant dans d’une augmentation des besoins en fer.
un volume sanguin en expansion. Cepen- Toutes les causes de saignements chro-
dant, la concentration d’hémoglobine aug- niques, quelle que soit leur origine, entraî-
mente ausi de 0,5 à 1,0 g/100 ml/an à cet nent des pertes supplémentaires en fer.
âge. Une augmentation du taux d’hémoglo- Épistaxis, hématuries, métrorragies ou sai-
bine de 0,5 g/dl chez un adolescent de 55 kg gnements du tractus digestif, notamment
nécessite plus de 50 mg de fer. Par consé- lorsqu’ils sont minimes et répétés favorisent
quent, l’adolescent moyen a besoin d’envi- un déséquilibre du bilan du fer. De nom-
ron 350 mg de fer pendant l’année de sa breuses pathologies peuvent être ainsi
croissance maximale. Ce taux de croissance impliquées : fibrome utérin, endométriose,
maximal et, vraisemblablement, l’élévation varices œsophagiennes, hernie hiatale, ulcè-
maximale parallèle de la concentration d’hé- re, polypes et tumeurs digestives… Dans les
moglobine sont beaucoup plus aigus que ne pays industrialisés, seules certaines patholo-
le font apparaître les courbes de pourcentage gies particulièrement fréquentes (telles que
de croissance et d’hémoglobine. Cela est dû les hémorroïdes), la prise de certains médi-
aux variations individuelles de l’âge auquel caments (aspirine, et à un moindre degré
survient la croissance maximale qui dispa- anticoagulants, anti-inflammatoires…) ou
raissent lorsqu’on calcule les valeurs les dons du sang (surtout lorsqu’ils sont
126
6. Le fer
répétés plusieurs fois dans l’année) doivent tuants des repas. Le fer non héminique exis-
être pris en compte. Dans les pays tropicaux te lui à la fois dans les aliments d’origine
et subtropicaux, certaines pathologies para- animale et dans ceux d’origine végétale.
sitaires (telles l’ankylostomiase ou la tricho- L’absorption du fer est maximale au
céphalose), par les saignements qu’elles niveau du duodénum et du jéjunum, où elle
entraînent sont un facteur majeur dans la décroît de la partie proximale à la partie dis-
non-couverture des besoins en fer d’une tale. Chez l’homme, seules de petites quanti-
large fraction de la population. tés de fer sont absorbées au niveau de l’esto-
mac et exceptionnellement au niveau du
côlon. Si le site d’absorption est le même
pour le fer héminique et non héminique, le
LES APPORTS ALIMENTAIRES mode d’absorption diffère profondément. Le
fer non héminique est libéré des complexes
EN FER auxquels il est lié dans les aliments par les
sécrétions gastriques (sécrétion peptique,
acide chorhydrique) ; une fois libéré, il entre
Pour faire face à ses besoins en fer, l’or- dans un pool où il peut être réduit, chélaté
ganisme doit trouver dans son alimentation ou rendu insoluble. Le fer pénètre dans la
la quantité de fer nécessaire. Le fer est pré- cellule muqueuse intestinale en franchissant
sent en quantité variable dans de nombreux les microvillosités des cellules intestinales
aliments, mais seule une fraction du fer (entérocytes). A l’intérieur de la cellule
consommé est réellement absorbée donc les muqueuse, une partie du fer non héminique
apports « réels » en fer dépendent de la est liée à des transporteurs spécifiques et
teneur en fer de l’alimentation (donc du transférée rapidement au pôle séreux où il se
contenu en fer des aliments), mais égale- fixe à la transferrine plasmatique.
ment de la biodisponibilité de ce fer (c’est- Dans un régime de type occidental, les
à-dire sa capacité à être absorbé et utilisé) principales sources de fer sont : les produits
et du statut en fer des individus. La teneur d’origine animale (30 à 35 % du fer total),
en fer des aliments est très variable d’un les céréales (20 à 30 %), puis les fruits et
aliment à l'autre (tableau 3). Mais plus que légumes, enfin les racines et tubercules
la quantité de fer présente dans l’alimenta- amylacés. Pour les pays en voie de dévelop-
tion, c’est la qualité de ce fer qui constitue pement, la place du fer fourni par les ali-
le facteur déterminant pour la couverture ments d’origine animale est beaucoup plus
des besoins. En effet, diverses études faites faible. Le fer non héminique représente à
à l’aide d’aliments marqués avec du fer lui seul 90 à 95 % du fer alimentaire
radioactif (55Fe, 59Fe) ont mis en évidence consommé dans les types alimentaires les
que l’absorption moyenne du fer chez des plus fréquents dans le monde. Sa biodispo-
sujets en bonne santé est très variable d’un nibilité est faible (généralement inférieure à
aliment à l’autre. Ces différences s’expli- 5 %) et peut être influencée par diverses
quent par la forme du fer contenu dans les substances contenues dans d’autres ali-
aliments : fer héminique ou fer non hémi- ments.
nique. On peut définir un coefficient d’absorp-
Le fer héminique est présent uniquement tion du fer pour chaque aliment (1 à 2 %
dans les aliments d’origine animale où il pour le riz, 3 à 4 % pour les légumes secs,
représente environ 40 % du fer total. Il cor- 16 à 22 % pour les viandes, 50 à 70 % pour
respond au fer des hémoprotéines, essentiel- le lait maternel…). Mais ces coefficients
lement de l’hémoglobine et de la myoglobi- d’absorption calculés à partir d’aliments
ne. Sa biodisponibilité est d’environ 25 % et consommés isolément n’ont qu’un intérêt
n’est pas influencée par les autres consti- théorique, car il existe de nombreuses inter-
127
S. Hercberg
actions entre les différents aliments pris au cet effet activateur est encore mal connu.
cours d’un même repas : certaines sub- Certaines études impliquent la cystéine
stances présentent dans les aliments agis- comme étant le facteur facilitateur. Mais
sent en facilitant l’absorption du fer contenu cette hypothèse n’a pas été totalement
dans la ration, d’autres agissent, au contrai- confirmée.
re, comme inhibiteurs. Seul le fer non hémi-
nique (principale source de fer alimentaire
dans les pays en voie de développement) est Les inhibiteurs de l’absorption
influencé par la composition du repas. du fer
Le fer héminique (fer de l’hémoglobine
et de la myoglobine) possède une grande ➛ Les tannins. Disler et al. (1975) ont été
biodisponibilité intrinsèque et à la différen- les premiers à signaler l’effet inhibiteur pro-
ce du fer non héminique, il n’est pas noncé du thé sur l’absorption du fer ; une
influencé par les autres composants du seule tasse de thé prise au cours d’un repas
repas. peut faire chuter l’absorption du fer de
11 % à 2,5 %. L’absorption du chlorure de
fer diminue de 22 à 6 % lorsque les compri-
Les activateurs de l’absorption més sont pris en même temps que du thé.
du fer Dans un petit déjeuner de type occidental,
l’absorption du fer non héminique est rédui-
➛ L’acide ascorbique est le plus puissant te d’environ 60 % par la prise du thé. Par
facilitateur connu de l’absorption du fer non contre, le thé sans tannin n’a pas d’action
héminique (Cook et Monsen, 1977). Il n’y a sur l’absorption du fer. L’effet inhibiteur des
pas de limite à son action facilitatrice, tannins résulte de la formation de précipités
même à des concentrations très élevées ; insolubles de tannates de fer. Le thé consti-
mais au-delà de 100 mg d’acide ascorbique tue expérimentalement le plus puissant inhi-
dans un repas, son effet est moins prononcé. biteur de l’absorption de fer actuellement
L’acide ascorbique facilite l’absorption du connu. Les tannins sont également présents
fer par formation d’un chélate de fer soluble dans le café, mais l’effet inhibiteur du café
à pH bas, qui reste soluble au pH de l’intes- sur l’absorption du fer est bien moindre que
tin grêle. L’absorption du fer d’un repas celui du thé. Cet effet pourrait être égale-
peut être multipliée par trois lorsqu’il est ment lié à la présence d’autres composés
consommé simultanément avec 100 ml de polyphénoliques. Les tannins sont aussi lar-
jus d’orange et par 7 avec un jus de papaye. gement répandus dans les végétaux et leur
D’autres acides, tels que l’acide citrique et présence pourrait expliquer la faible absorp-
l’acide malique ont également un effet acti- tion du fer contenu dans ce type d’aliments.
vateur sur l’absorption du fer non hémi-
nique. ➛ Le rapport calcium/phosphate. Chez
l’homme, des études ont mis en évidence la
➛ Les tissus animaux. Depuis quelques réduction considérable de l’absorption du
années, on a mis en évidence l’effet facila- fer héminique par le jaune d’œuf. Ce fait a
teur de la viande et du poisson (Cook et été attribué au vitellin, principal complexe
Monsen, 1976) : l’absorption du fer non phosphorrotéique dans le jaune d’œuf. Les
héminique est multipliée par 2 ou 3 quand composés phosphatés contenus dans un
on ajoute au repas des protéines d’origine repas constitueraient des inhibiteurs de l’ab-
animale (viandes et poissons exclusive- sorption du fer par la formation de phospha-
ment). L’action de 1 gramme de viande est te ferrique insoluble (Peters et al., 1971).
à peu près équivalente à celle de 1 mg Cet effet serait majoré par la présence
d’acide ascorbique. Le mécanisme exact de simultanée de calcium dans le repas ; le fer
128
6. Le fer
serait co-précipité par un complexe inso- ➛ Les fibres. Le rôle des fibres sur l’ab-
luble calcium-phosphate. sorption du fer n’a pas été suffisamment
étudié chez l’homme. Cook et al., testant
➛ Les protéines. Il est difficile d’apprécier deux repas qui ne se différencient que par la
le rôle direct des protéines sur l’absorption composition en fibres, ont observé (Cook et
du fer. Ceci s’explique par le fait que la plu- al., 1981b) que l’absorption du fer est de
part des études réalisées, notamment chez 6,1 % pour le repas à faible teneur en fibres
l’animal, sont basées sur la modification de (5,1 g). Les mêmes auteurs ont étudié l’effet
des fibres sur l’absorption du fer en fonc-
la part des protéines dans l’apport énergé-
tion de leur nature ; ils n’ont pas observé
tique, celui-ci étant maintenu constant. Il en
d’effet inhibiteur avec la pectine et la cellu-
résulte une grande difficulté d’interpréta- lose alors que cet effet était retrouvé avec le
tion, car il est difficile de déterminer si un son (Cook et Reusser, 1983).
phénomène observé est dû à la seule modi- Les recherches futures sur la biodisponi-
fication de l’apport protéique ou à l’aug- bilité du fer alimentaire vont vraisemblable-
mentation et/ou à la réduction des autres ment mettre en évidence de nombreux
composants. Bien que les pouvoirs facilita- autres activateurs et inhibiteurs dont la
teurs de la viande ont souvent été attribués connaissance permettra de mieux estimer la
aux protéines (sans que ceci puisse être quantité de fer réellement biodisponible à
réellement démontré), des études récentes partir d’un type alimentaire. Ceci est parti-
ont montré que certaines protéines semi- culièrement important, car en fonction de la
purifiées peuvent inhiber l’absorption du présence des substances activatrices et inhi-
fer. Lorsque l’on double la quantité d’albu- bitrices, l'absorption du fer alimentaire peut
varier de 1 à 40 % chez des individus ayant
mine de l’œuf dans un repas, l’absorption
des réserves en fer semblables. Ceci repré-
du fer chute de 2,3 à 1,4 %. A l’inverse,
sente un facteur essentiel à prendre en
lorsque l’on soustrait cette protéine, l’ab- compte pour la compréhension de la problé-
sorption du fer augmente de 3,8 à 9,6 % matique de la carence en fer.
(Monsen et Cook, 1979). Récemment, a été Au total, selon la composition des régimes
également mis en évidence un effet inhibi- alimentaires, on peut différencier schémati-
teur des protéines de soja sans que le méca- quement trois niveaux d’absorption :
nisme en soit connu (Cook et al., 1981a). – les repas contenant du fer considéré
« peu biodisponible » (environ 5 % absor-
➛ Les phytates. Au début des années1940, bable) : c’est le cas des types alimentaires
Widdowson et McCance (1943) ont observé avec repas monotone à base de céréales
que l’absorption du fer d’un repas contenant et/ou de racines-tubercules, pauvres en pro-
du pain complet était plus faible par rapport duits d’origine animale et en vitamine C.
à un repas contenant du pain blanc. Des – les repas contenant du fer considéré
études utilisant des marqueurs radioactifs « relativement biodisponible » (environ
10 % absorbable). Ce sont des repas égale-
ont confirmé l’effet inhibiteur du son et de
ment à base de céréales et/ou de racines et
nombreux travaux ont rapporté cet effet à la
tubercules, mais contenant également un
présence de phytates. Cependant, des études peu d’aliments animale et de la vitamine C.
plus récentes chez l’homme et chez l’ani- – les repas contenant du fer considéré
mal considèrent que les phytates ont peu « hautement biodisponible » (environ 15 %
d’effet sur l’absorption du fer : l’effet inhi- absorbable). Il s’agit d’alimentations diver-
biteur du son n’est pas modifié après des- sifiées et variées contenant des quantités
truction par hydrolyse enzymatique des importantes d’aliments d’origine animale.
phytates (Simpson et al., 1981). Il est évident que la majorité des habitants
129
S. Hercberg
des pays en voie de développement ont une tion du fer non héminique est augmentée
alimentation du premier type contenant du en cas de diminution du stock de fer de
fer peu biodisponible. Ceci aide à com- l’organisme et réciproquement diminuée
prendre pourquoi, dans ces pays, les popula- en cas de surcharge en fer. Une forte cor-
tions ont un risque accru de carence en fer. rélation négative existe entre le cœfficient
d’absorption du fer et l’importance des
réserves en fer de l’organisme et ce quelles
L’état des réserves en fer que soient les méthodes utilisées pour
de l’individu apprécier ces réserves (biopsie de mœlle
osseuse, dosage de la ferritine sérique ou
De nombreux travaux ont montré que la méthodes de phlébotomies). Dans le même
quantité de fer alimentaire absorbée ne sens, on peut rapprocher, chez les femmes
dépend pas seulement de la teneur en fer enceintes, l’augmentation de l’absorption du
des aliments, du type de fer et de la compo- fer au fur et à mesure du déroulement de la
sition du repas, mais également de l’état des grossesse parallèlement à l’épuisement gra-
réserves en fer de l’organisme. L’absorp- duel des réserves.
130
6. Le fer
B ibliographie
(1) – Cook J.D., Morck T.A., Lynch S.R., 1981a. The inhibitory effect of soy products on monheme
iron absorption in man. Am. J. Clin. Nutr., 34 : 2622-2629.
(2) – Cook J.D., Morck T.A., Skine B.J., Lynch S.R., 1981b. Biochemical determinants of iron absorp-
tion. In : Nutrition in health and disease and international development, Harper A.E;, Davis G.K.
from XII international Congress of Nutrition. New York, Alan R. Liss. Inc.
(3) – Cook J.D;, Reusser M.E., 1983. Food iron availability. In : Groupe à risque de carence en fer dans
les pays industrialisés, Dupin H., Hercberg’S. (Eds). Vol. 113, pp. 179-190. Édition Colloque
INSERM.
(4) – Disler P.B., Lynch S.R., Charlton R.W., Torrance J.D., Bothwelll T.H., 1975. The effect of tea on
iron absorption. Gut., 16 : 193-200.
(5) – Hercberg S., 1988. La carence en fer et nutrition humaine. EMI, Lavoisier, 203 pages.
(6) – Hercberg S., Galan P., 1989. Bichemical effects of iron deprivation. Acta. Paediatr. Scand., Suppl.
361.
(7) – Monsen E.R., Cook J.D., 1979. Food iron absorption in human subjects. V. Effects of the major
dietary constituents of a semisynthetic meal. Am. J. Clin. Nutr., 32 : 804-808.
(8) – Peters T., Apt L., Roos J.F., 1971. Effects of phosphate on iron absorption studied in normal sub-
jects and in an experimental model using dialysis. Gastroenterol., 61 : 315-322.
(9) – Simpson K.M., Morris E.R., Cook J.D., 1981. The inhibitory effect of bran on iron absorption in
man. Am. J. Clin. Nutr., 34 : 1469-1478.
(10) – Mac Cance R.A., Edgecombe C.N., Widdowson E.M., 1943. Phytic acid and iron absorption.
Lancet, ii : 120-123.
131
II. Les vitamines
E. Grasset
6. Les vitamines
DÉFINITION
ET NOMENCLATURE
GÉNÉRALITÉS
Éthymologiquement, « amines nécessaires
à la vie », les vitamines ont en fait des struc- ➛ Comment ont été reconnues les
tures variées et ne sont pas toutes des diverses vitamines ? Comment ont été
amines. Contrairement aux nutriments habi- analysées leurs fonctions ?
tuels utilisés pour la production d’énergie ou La première étape a consisté à identifier
incorporés au cours de la synthèse des des carences cliniques chez l’homme (scor-
constituants de l’organisme (glucides, acides but, béri-béri) ou chez l’animal et à montrer
aminés ou acides gras essentiels), les besoins que ces signes de carence pouvaient être
quotidiens en vitamines ne sont que de prévenus ou supprimés par l’administration
quelques fractions de microgramme à d’une substance organique. Il s’agissait
quelques milligrammes. Ceci est dû au fait donc d’étudier des « vitamino-défi-
que la plupart agissent comme des coen- ciences ». Certains signes cliniques de vita-
zymes ou des cofacteurs au cours des réac- mino-déficiences ont été mieux identifiés
tions enzymatiques. A la différence des chez l’homme du fait de l’apparition des
oligo-éléments, ce sont des substances orga- techniques d’alimentation artificielle (paren-
niques. Les vitamines doivent être apportées térale exclusive prolongée) qui ont permis
en faible quantité dans l’alimentation. de préciser les besoins. Alors que les défi-
Quelques vitamines font exception car il ciences spontanées étaient rares et asso-
existe pour elles d’autres sources pouvant ciaient souvent des carences multiples, des
remplacer les apports alimentaires : exposi- omissions isolées d’une vitamine dans un
tion de la peau aux ultra-violets solaires pour mélange nutritif artificiel utilisé au long
la vitamine D, synthèse à partir du trypto- cours ont permis de préciser les consé-
phane pour la niacine, synthèse par la flore quences d’une vitamino-déficience pure et
microbienne digestive pour la vitamine K. les apports nécessaires.
135
E. Grasset
136
6. Les vitamines
Tableau II
Principales fonctions des vitamines
Conséquences cliniques d’une carence
137
E. Grasset
Tableau III
Absorption digestive des vitamines : quel site ou quelle fonction pour quelle vitamine ?
à concentration trop élevée (par exemple l’absorption des vitamines peut mettre en
10-4, 10-3 M), le sytème de transport actif jeu des étapes successives spécifiques et
est saturé et masqué par une diffusion lar- limitantes ; une perturbation peut entraîner
gement prépondérante. En cas d’étude in une malabsorption et donc une carence.
vitro, la possibilité d’accumulation intra- L’absorption des vitamines liposolubles
entérocytaire contre un gradient de concen- est très liée à celle des lipides dont elle suit
tration n’est plus visible. Ces mécanismes les différentes étapes (hydrolyse intralumi-
de transport sont résumés dans le nale sous l’action de la lipase pancréatique
tableau IV. Ce tableau illustre également après émulsification par les sels biliaires,
l’importance du métabolisme intraluminal absorption, réestérification, incorporation
et entérocytaire de ces vitamines. Ceci n’a dans les lipoprotéines, excrétion dans la
pas qu’un intérêt théorique : la digestion et lymphe sous forme de chylomicron). Leur
138
6. Les vitamines
Tableau IV
Absorption digestive des vitamines : étapes spécifiques au niveau de l’intestin
139
E. Grasset
Tableau V
Vitamines : formes actives
140
6. Les vitamines
Tableau VI
Vitamines : distribution, stockage
Molécule Distribution
Thiamine Phosphorylée : 3/4 (globules rouges et leucocytes +++)
Libre : 1/4 (plasma, concentration faible)
Organes : forme phosphorylée
Pas de stockage
Riboflavine Liée aux protéines plasmatiques (FMN) intracellulaire (érythrocytes >
plasma, tissus ; surtout sous forme de FAD)
Demi-vie intracellulaire longue en cas de carence d’apport, déplétion diffi-
cile à réaliser chez l’homme
Acide pantothénique Coenzyme A intratissulaire (muscle, cœur, foie, taux bien conservés grâce
à un système d’accumulation intracellulaire active)
Pyridoxine Phosphate de pyridoxal (foie, muscle ; demi-vie longue)
Niacine NAD et NADP dans les cellules sanguines et tissus (foie)
Synthèse à partir du tryptophane+++
(tryptophane dioxygénase, 60 mg Trp ➛ 1 mg Niacine)
Acide folique CH3-Tétrahydrofolate, lié aux protéines plasmatiques, érythrocytes > plas-
ma
Stockage hépatique (formes non méthylées) mais cycle entéro-hépatique
majeur+++
Cobalamine PLASMA : après absorption liaison à transcobalamine II (TC II, t1/2=1,5 h) ;
90 % liée à TCI, t1/2= 7-10 j) ;
TCIII (t1/2= 5 mn) permets retour vers le foie, stocks hépatiques suffisants
pour plusieurs mois+++, cycle entérohépatique
Acide ascorbique Plasma : libre+++ et liée à l’albumine, concentration dans les leucocytes,
pas de stockage
Biotine Plasma : libre et liée
Tissus : enzyme à carboxybiotine
Rétinol Rétinol lié à Retinol Binding Protein
Stockage hépatique (rétinyl-palmitate) dans gouttelettes lipidiques
Calciférol Plasma : 25(OH)2D3 (t1/2 3 semaines)
Tocophérol Lipoprotéines plasmatiques membranes cellulaires (t1/2 varie de quelques
jours à 3 mois selon les tissus)
Phytoménadione Liaison aux lipoprotéines plasmatiques (VLDL), cycle entéro-hépatique+++
Phylloquinone
141
E. Grasset
90
80
70
% excrété inchangé
60
50
40
30
20
10
0
0 200 400 600 800 1 000 1 200 1 400 1 600 1 800 2 000
Posologie (mg/jour)
Figure 1.
Relation entre l’élimination urinaire de vitamine C et la dose ingérée, effet de doses élevées
(d’après Kallner A, Hartman D, Hornig et al. Am J Clin Nutr 1979 ; 32 : 530-9)
tion d’oxalate est très limitée, l’ingestion de un coenzyme. L’holoenzyme, qui possède
fortes doses de vitamine C entraîne surtout l’activité complète résulte de l’association
une augmentation de son excrétion sous d’un apoenzyme, protéique, et d’un coenzy-
forme inchangée (figure 1). Dans certains me qui lui est lié. Si le coenzyme est lié par
tissus comme les glandes surrénales, la une liaison covalente, il sera dénommé
concentration d’acide ascorbique est supé- « groupement prosthétique ». Un coenzyme
rieure à celle du plasma. peut jouer un rôle de cosubstrat : il subira
L’autre extrême est représenté par des vita- exactement la réaction inverse de celle que
mines telle que la vitamine B12, que l’orga- subit le substrat (réactions d’oxydo-réduc-
nisme peut stocker de manière importante. Il tion : NAD, transamination : phosphate de
faudra des mois de carence d’apport (régime pyridoxal).
végétalien strict) pour épuiser les réserves. L’étude du mécanisme de la décarboxyla-
Alors que les excès de vitamines hydro- tion du pyruvate permet de bien illustrer les
solubles sont souvent éliminées par voie fonctions des vitamines et leur rôle en
urinaire, ce n’est pas le cas des vitamines pathologie (figure 2).
liposolubles, en particulier de la vitamine Le complexe enzymatique de la pyruvate-
A qui est stockée, ce qui contribue à la déshydrogénase catalyse la transformation
toxicité potentielle de doses excessives. du pyruvate, CH3-CO-COOH, en acétyl-
Coenzyme A. Cette enzyme localisée au
niveau de la mitochondrie contrôle donc
l’accès des métabolites du glucose au cycle
RÔLE PHYSIOLOGIQUE de Krebs. En fait cette réaction met en jeu
3 enzymes successives et 5 coenzymes dont
DES VITAMINES 4 sont, chez l’homme, des dérivés de vita-
mines : thiamine pyrophosphate (TPP dérivé
de vitamine B1), flavine-adénine-dinucléoti-
➛ Fonction coenzymatique de (FAD, dérivé de la vitamine B2), coen-
De nombreux enzymes nécessitent une zyme A (dérivé de l’acide pantothénique),
autre molécule de faible poids moléculaire : nicotinamide dinucléotide (NAD, dérivé de
142
6. Les vitamines
Pyruvate-déshydrogénase
Pyruvate-déshydrogénase
Dihydrolipoyl transacétylase
Dihydrolipoyl transacétylase
Dihydrolipoyl déshydrogénase
Dihydrolipoyl déshydrogénase
Enz - FADH2 + NADH2 ➛ Enz - FAD + NADH + H+
Figure 2
Décarboxylation oxydative du pyruvate. Intervention des coenzymes dérivés
des diverses vitamines au sein du complexe pyruvate-déshydrogénase.
la vitamine PP) et acide lipoïque qui, lui, formes : phylloquinone (vitamine K1) obte-
n’est pas une vitamine. nue à partir des plantes et ménaquinone
Le NADP intervient dans le cycle des (vitamine K2) d’origine bactérienne. La
pentoses (génération de NADPH), dans la ménadione (vitamine K3) est d’origine syn-
synthèse et l’élongation des acides gras (uti- thétique. Cette vitamine est indispensable
lisation du NADPH) au maintien de niveaux normaux de certains
La pyridoxine (vitamine B6) est un bon facteurs de coagulation : facteurs II, VII, IX
exemple de vitamine fonctionnant comme et X (prothrombine, proconvertine, facteur
coenzyme. La forme active est le phosphate anti-hémophilique B, facteur Stuart). Ces
de pyridoxal synthétisé grâce à la pyri- facteurs sont synthétisés par le foie sous
doxal-kinase présente dans la plupart des forme inactive. La transformation en dérivés
tissus. C’est le cofacteur des décarboxylases actifs nécessite une étape post-translation-
et des transaminases. Il doit être présent au nelle : transformation des résidus glutamine
voisinage immédiat des sites catalytiques en gamma-carboxyglutamate par une car-
des enzymes car la première étape de ces boxylase dépendant de la vitamine K. Ces
réactions est la création d’une base de fonctions gamma-carboxyglutamate porteurs
Schiff entre sa fonction aldéhyde et le grou- de deux carboxyles (charges négatives) sont
pe alpha-aminé de l’acide aminé (figure 3) ; très nombreuses au niveau de la prothrom-
les trois autres liaisons du carbone pourront bine et expliquent son interaction avec l’ion
alors faire l’objet de transamination ou de Ca++. D’autres protéines qui lient le calcium
décarboxylation. Il intervient également subissent la même réaction : l’ostéocalcine,
dans d’autres réactions (désaminases, aldo- synthétisée par les ostéoblastes, subit la
lase...). même gamma-carboxylation.
La vitamine K se présente sous deux
143
E. Grasset
144
6. Les vitamines
145
E. Grasset
VITAMINES HYDROSOLUBLES
Thiamine Vitamine B1 1,3 mg
Riboflavine Vitamine B2 1,5 mg
Acide pantothénique 10 mg
Pyridoxine Vitamine B6 2 mg
Niacine Vitamine PP 15 mg
Acide folique Vitamine B 9 300 µg
Cobalamine Vitamine B12 3 µg
Acide ascorbique Vitamine C 80 mg
VITAMINES LIPOSOLUBLES
Rétinol Vitamine A 800 µg
Calciférol Vitamine D 10 µg = 400 UI
Tocophérol Vitamine E 18 UI = 12 mg
dl alpha-tocophérol
Phytoménadione Vitamine K1 35 µg
Phylloquinone
Ces recommandations concernent l’ensemble d’une population, il existe donc une marge de sécurité importante ;
pour un individu particulier des apports plus faibles peuvent être suffisants.
146
6. Les vitamines
Comme la notion de besoin minimum opti- départ, pour compenser les pertes liées à
mal pour une population dépend du critère certains procédés technologiques tels que la
utilisé pour estimer son statut, que les études stérilisation.
épidémiologiques sont lourdes et longues et Il est évident que la possibilité de surve-
enfin qu’une population est faite de groupes nues de carence d’apport dépend des para-
hétérogènes, il existe de nombreuses discus- mètres suivants : abondance de la vitamine
sions concernant l’intérêt potentiel ou non de dans des aliments très variés, capacité de
certaines supplémentations. synthèse bactérienne ou à partir d’autres
Les principales sources alimentaires sont sources, importance du stockage par rapport
rassemblées dans le tableau VIII. Il est aux besoins quotidiens.
généralement admis qu’une alimentation
diversifiée apporte les vitamines néces- ➛ Malabsorption
saires. Il peut ne plus en être de même en Les carences en vitamines sont souvent
cas de traitement médicamenteux ou de les conséquences de malabsorptions diges-
maladie diminuant l’absorption ou augmen- tives. Ceci a deux conséquences : en cas de
tant les besoins. Certains pays comme les déficience vitaminique (anémie macrocytai-
États-Unis supplémentent presque systéma- re, diminution des facteurs de la coagulation
tiquement les aliments courants (vitamines limitée aux facteurs vitamine K-dépen-
du groupe B pour les farines, vitamine D dants...) il faudra rechercher une anomalie
pour le lait), d’autres comme la France, digestive. Inversement, certaines anomalies
autorisent dans certains cas, la restauration digestives devront faire prévoir un risque
au niveau du taux présent dans l’aliment de accru de déficience (tableau III).
Tableau VIII
Vitamines : distribution, stockage
147
E. Grasset
148
6. Les vitamines
149
E. Grasset
Ceci est également vrai en dehors de ces vita- ne peut être absorbée au niveau de l’iléon
mino-dépendances : les besoins en certaines terminal que si elle est liée au facteur
vitamines sont proportionnels à la quantité de intrinsèque, glycoprotéine sécrétée par le
substrat qu’elles doivent aider à transformer. corps et le fundus gastrique. En effet les
entérocytes de l’iléon terminal possèdent un
récepteur membranaire permettant la fixa-
COBALAMINE (vitamine B12) : tion du facteur intrinsèque. Pour se combi-
un métabolisme particulièrement ner au facteur intrinsèque, la cobalamine
complexe doit être libérée des protéines R grâce à
l’action des protéases pancréatiques. Enfin
La vitamine B12 est nécessaire à la mul- la vitamine B12 doit être liée à une autre
tiplication cellulaire. Ceci est particulière- protéine de transport, la transcobalamine II
ment évident au niveau de certaines cellules (TCII), avant de quitter l’entérocyte pour
à renouvellement rapide comme les cellules gagner la circulation portale. Dans le plas-
souches sanguines. Dans le cytoplasme des ma elle sera ensuite liée surtout à une autre
cellules la cobalamine est sous la forme protéine, la TCI (tableau VI), cependant
d’hydroxocobalamine. Ces formes actives que la TCIII permet le retour vers le foie de
sont la méthylcobalamine (cytoplasme) ou la vitamine B12 circulante. Le foie contient
la 5’ déoxy-adénosylcobalamine (mitochon- la majorité des stocks de vitamine B12 de
drie). La 5’ déoxy-adénosylcobalamine est l’organisme qui sont de l’ordre de 2 à 5 mg.
le coenzyme nécessaire à la conversion du Il existe un cycle entéro-hépatique avec une
méthyl-malonyl-coenzyme A en succinyl- réabsorption très efficace. Ce stockage et la
coenzyme A. La méthylcobalamine est le faiblesse des besoins journaliers expliquent
coenzyme permettant les deux réactions la rareté des signes cliniques en cas de
combinées suivantes : carence d’apport isolée.
– conversion de l’homocystéine en Ce sont les maladies digestives (gastrite
méthionine, atrophique avec achlorhydrie, gastrecto-
– conversion du méthyltétrahydrofolate mie...) qui donneront lieu à des carences
en tétrahydrofolate (figure 5). Le tétrahy- (anémie mégaloblastique et signes neurolo-
drofolate pourra être utilisé dans la synthèse giques de l’anémie de Biermer en cas de
des bases puriques et pyrimidiques. gastrique atrophique autoimmune). Le test
Le métabolisme de la vitamine B12 est de Schilling consiste :
particulièrement complexe. La vitamine – à saturer l’organisme par une injection
B12 ingérée est liée à des protéines dont les de vitamine B12,
« protéines R » sécrétées dans la salive. Elle – à administrer ensuite par voie orale une
Méthionine synthase
(coenzyme : méthylcobalamine)
Figure 5
Inter-relation entre l’acide folique et la vitamine B12 lors des transfert de radicaux méthyl
150
6. Les vitamines
Tableau IX
Principales anomalies du métabolisme de la vitamine B12
I CARENCE D’APPORT
Régime végétarien strict (végétalien) excluant tout produit d’origine animal
Carence générale d’apport (la carence en folate apparaîtra d’abord), alcoolisme chronique (carence +
malabsorption)
II ABSORPTION ANORMALE
II1 Absence de sécretion de facteur intrinsèque
Gastrite atrophique auto-immune, maladie de Biermer
Autres gastrites atrophites
Gastrectomie
Très rares : absence congénitale de facteur intrinsèque ou facteur intrinsèque anormal
II2 Atteinte de l’absorption intestinale
Atteinte (maladie de Crohn, maladie coéliaque étendue, sprue tropicale) ou absence de l’iléon termi-
nal
Médicaments (PAS)
Très rare : malabsorption congénitale (syndrome d’Imerslund-Grasbeck, la malabsorption persiste
même après administration de vit. B12 liée au facteur intrinsèque)
II3 Autres atteintes digestives
Insuffisance pancréatique externe (pas de clivage de la vitamine B12 liée à protéine R)
Syndrome de Zollinger-Ellisson (pH trop acide)
Pullulations microbiennes, infestation par Botriocéphales (captent préférentiellement la vitamine B12)
151
E. Grasset
152
6. Les vitamines
B ibliographie
Ouvrages généraux :
Lehninger A.L. Principles of biochemistry. New York : Worth Publishers, 1982.
Murray RK., Granner D.K., Mayes P.A., Rodwell V.W., éditeurs. Harper’s biochemistry, 22e édition.
Norwalk : Apppleton & Lange, 1990.
Références specialisées :
Bender D.A. Nutritional biochemistry of the vitamins. Cambridge : Cambridge University Press, 1992.
CNRS-CNERNA. Apports nutritionnels conseillés pour la population française. 2e éd. Paris : Tec &
Doc Lavoisier, 1992.
Munnich A., Ogier H., Saudubray J.M., éditeurs. Les vitamines. Aspects métaboliques, nutritionnels et
thérapeutiques. Paris : Masson, 1987.
Shils M.E., Young V.R., éditeurs. Modern nutrition in health and disease, 7e éd. Philadelphia : Lea &
Febiger, 1988.
153
III. Les oligo-éléments
A. Favier
6. Les oligo-éléments
ont gagné ces dernières années leurs lettres Essentialité des oligo-éléments
de noblesse et connaissent même un
engouement excessif auprès du grand Les oligo-éléments essentiels sont ceux
public. L’émergence de ces nutriments n’est qui répondent aux critères fixés par Cotzias :
pas qu’un facteur de mode, mais surtout le – être présents dans les tissus vivants à
résultat de progrès considérables sur la une concentration relativement constante ;
connaissance du fonctionnement des – provoquer, par leur retrait de l’organis-
enzymes, de l’hormonologie, de l’immuno- me, des anomalies structurelles et physiolo-
logie et de la biologie moléculaire qui ont giques voisins dans plusieurs espèces ;
montré le rôle important joué par ces élé- – prévenir ou guérir ces troubles par l’ap-
ments dans ce domaine. port du seul élément.
La propriété la plus importante pour Actuellement grâce aux progrès des
expliquer le rôle de ces minéraux est leur méthodes d’analyse, de la purification des
extraordinaire faculté de se fixer sur des nutriments de base (eau, glucides, protéines,
protéines, modifiant en se fixant la forme vitamines), à l’amélioration des conditions
de ces protéines et en changeant alors les d’élevage (cages en quartz, air ultrafiltré) un
propriétés. L’existence de ces protéines nombre croissant d’oligo-éléments ont été
appelées métallo-protéines explique aussi démontrés essentiels à des doses infimes
bien le métabolisme que le mode d’action chez l’animal.
de la plupart des oligo-éléments. Or, pour les derniers éléments (Cd, Pb,
As), dont les carences expérimentales ont
montré des perturbations chez l’animal,
aucun signe de carence n’a encore pu être
DÉFINITION DES OLIGO- observé chez l’homme. Compte tenu du
niveau élevé d’apport par la pollution de
ÉLÉMENTS ESSENTIELS notre environnement ces oligo-éléments se
trouvent dans notre organisme à un niveau
Les oligo-éléments constituent une classe moyen plus proche du niveau toxique.
de nutriments dont la définition ne repose ni
sur des propriétés chimiques ni sur des pro-
priétés biologiques homogènes. Toxicité des oligo-éléments
Leur définition donnée au début du siècle
par Gabriel Bertrand est avant tout analy- Une des particularités des oligo-éléments
tique, par opposition aux éléments chimiques est effectivement qu’ils peuvent tous provo-
majeurs du corps humain (tableau I), les quer des désordres importants lorsqu’ils
oligo-éléments sont présents à une teneur sont apportés à des taux trop élevés dans
inférieure à 1 mg/kg de poids corporel. l’alimentation humaine.
157
A. Favier
Tableau I
Comparaison de la teneur (en g/Kg) en éléments chimiques du corps humain
(d’après Schrœder) et de l’écorce terrestre (d’après Clark)
ÉLÉMENTS MAJEURS
Oxygène 624,3 Carbone 211,5 Hydrogène 98,6
Azote 31,0 Calcium 19,0 Phosphore 9,5
Potassium 2,3 Soufre 1,6 Chlore 0,8
Sodium 0,8 Magnésium 0,27
OLIGO-ÉLÉMENTS
Fer 0,06 Fluor 0,037
Zinc 0,033
Rubidium 0,0046 Strontium 0,0046
Brome 0,0029 Cuivre 0,001
Vanadium 0,0003 Sélénium 0,0002
Manganèse 0,0002 Iode 0,0002
Molybdène 0,0001 Nickel 0,0001
Chrome 0,00002 Cobalt 0,00002
Uranium 0,000001 Beryllium 0,0000003
158
6. Les oligo-éléments
pas ne pas utiliser ces traces de métaux les autres éléments donnant généralement
pour lier et maîtriser l’oxygène qui venait des coordinances égales à six.
d’apparaître sur terre. Il est d’ailleurs inté- On voit sur la figure 1 que ce type de
ressant de noter que la teneur relative des complexe aboutit à une structure géomé-
minéraux dans les liquides du corps est trique fixe, ceci nous permet déjà de com-
proche de celle de l’eau des mers. prendre le rôle des métaux dans le maintien
D’autre part, leur faible teneur en faisait de la structure tertiaire des protéines,
des candidats idéaux pour être utilisés puisque les atomes de ligands fournis par la
comme messagers et servir à la cellule d’in- protéine devront occuper des positions fixes
dicateurs de l’état du milieu extérieur, puis dans l’espace imposé par le type de coordi-
à l’organisme de ses apports alimentaires. nance du métal.
Ces deux fonctions : catalyse et contribution Les ligands fournissant les atomes de
au message hormonal constituent la base de coordination qui se lient au métal seront, soit
l’action des oligo-éléments. des hétéroatomes des groupements fonction-
nels de la protéine (groupes aminés, thiols,
➛ La liaison métal-protéine imidazols), soit les atomes impliqués dans la
Il s’agit d’un phénomène fondamental, liaison peptidique elle-même, soit les atomes
car, à de rares exceptions, les métaux n’ap- d’un groupement prosthétique de type hémi-
paraissent jamais à l’état d’ions libres dans nique ou corrinique lui-même fixé à la pro-
l’organisme ; ils sont absorbés, transportés, téine comme l’héme de l’hémoglobine.
mis en réserve et agissent liés à une protéi- Des études faites et regroupées par
ne. Les métaux peuvent présenter deux Williams établissent un lien entre chaque
types de liaisons avec les protéines : oligo-élément et un type de ligand, les seuls
– des liaisons ioniques : c’est le cas des liens que l’on puisse bien individualiser
métaux alcalins ou alcalino-terreux (Na, K, sont l’affinité du manganèse pour l’oxygè-
Ca) chargés positivement qui forment alors ne, du cuivre pour l’azote, du zinc et du
par liaison ionique des protéinates très faci- cadmium pour le soufre.
lement dissociables avec les groupements
acides de la protéine chargés négativement ; ➛ Certains oligo-éléments sont des cofac-
– des liaisons de coordination : ces liai- teurs d’enzymes
sons proches de la liaison covalente sont La plupart des oligo-éléments sont des
celles de tous les oligo-éléments métal- métaux de transition et peuvent donc se lier
liques qui forment avec les protéines des aux molécules de protéines que sont les
complexes de force variable et qui lorsqu’ils enzymes, en changeant leur forme dans l’es-
sont difficilement dissociables constituent pace, et donc en modifiant leur vitesse de
des métallo-protéines. réaction. Cette liaison d’un métal à un enzy-
Cette possibilité de former des complexes me est généralement très spécifique d’un
qu’ont les oligo-éléments, provient du fait métal pour un enzyme donné. Le métal se
qu’il s’agit en majorité d’éléments de tran- comporte alors comme un cofacteur indispen-
sition, qui à l’état ionisé possèdent des orbi- sable à l’activité enzymatique au même titre
tales incomplètes. Ils peuvent donc former que les coenzymes qui sont des cofacteurs
des orbitales d’hybridation avec des atomes organiques issus des vitamines, tel le phos-
voisins appelés ligands fournissant par coor- phate de pyridoxal issu de la vitamine B6.
dinance les deux électrons occupant la nou- Un très grand nombre de métallo-
velle orbitale. enzymes a pu être identifié chez les êtres
Les coordinances les plus fréquentes vivants, dont plus de 200 enzymes pour le
seront d’ordre 4 ou 6 ; les oligo-éléments seul atome de zinc. Un exemple de la struc-
légers tel le zinc donnant essentiellement ture de ces enzymes à zinc, l’anhydrase car-
des complexes à coordinance égale à quatre, bonique, est donné en figure 2.
159
A. Favier
CYS 46
SH
CYS 146
SH
HIS 67
H2O
Figure 1
Mode de liaison d’un atome de zinc à un enzyme à zinc, l’alcool deshydrogénase.
Le zinc réalise quatre liaisons rigides ayant la forme d’une pyramide tétraédrale
avec deux molécules de cystéine, une molécule d’histidine de la chaîne protéique
et une molécule d’eau
AcNH
COO-
Figure 2
Structure de l’anhydrase carbonique montrant l’atome de zinc au centre
de la molécule protéique (bille noire)
160
6. Les oligo-éléments
Ces enzymes sont présents dans de très prendre l’action du zinc sur une famille de
nombreux métabolismes (lipides, glucides, protéines dont le rôle est de pénétrer dans la
protéines, ADN...) et, régulent de très nom- chaîne d’ADN à un endroit précis, au niveau
breuses fonctions (reproduction, croissance, d’un gène, pour ouvrir cette chaîne et per-
fonctionnement du cerveau...). Une baisse mettre la lecture de ce gène par la RNA
de la teneur des cellules en un oligo-élé- polymérase DNA dépendante (figure 3).
ment donné se traduira par une baisse d’ac- Ces protéines très importantes dans la
tivité des enzymes ayant cet oligo-élément régulation des gènes sont des « Zinc finger
comme cofacteur. proteins » ou protéines à doigt de zinc, qui
possèdent dans leur séquence des molécules
➛ Certains oligo-éléments entrent dans de cystéine ou d’histidine régulièrement
la structure de vitamines espacées qui leur permettent, en fixant du
C’est le cas du cobalt complexé au sein zinc, de prendre une structure opérationnel-
du cycle corinnique de la vitamine B 12, le en hélice alpha qui va s’intercaler dans la
mais aussi du molybdène qui entre dans une zone complémentaire de l’ADN.
structure organique appellée molybdo-bio- Un nombre considérable de ces protéines
ptérine. (tableau II) a déjà été isolé, dont le récep-
Dans ce cas le métal n’est pas un cofac- teur des stéroïdes ou le récepteur de l’acide
teur directement lié à l’enzyme mais entre rétinoique et de nombreux facteurs de crois-
dans la composition d’un coenzyme orga- sance ou des facteurs de transcription du
nique dissociable. génome. Cette action du zinc, indispensable
à ces récepteurs hormonaux ou ces facteurs
➛ Certains oligo-éléments participent à de croissance ou de différenciation,
l’expression des signaux hormonaux explique son action positive sur la multipli-
Le mode d’action des oligo-éléments vis- cation ou la différenciation cellulaire, ainsi
à-vis des hormones est très diversifié. Ils sans doute que l’effet tératogène des
peuvent participer comme cofacteurs d’en- carences en cet élément.
zyme à la synthèse de molécules hormo-
nales, ainsi le zinc est un cofacteur de la ➛ Certains oligo-éléments participent à
delta-5 réductase du métabolisme de la tes- des fonctions de défense de l’organisme
tostérone produisant la dihydrotestostérone Un certain nombre d’oligo-éléments (fer,
ou des delta-9 désaturases du métabolisme zinc, sélénium) participent à la défense
des prostaglandines. immunitaire. Leur mécanisme d’action peut
Certains oligo-éléments participent direc- s’expliquer par des enzymes mais aussi par
tement à la structure moléculaire de l’hor- des molécules jouant un rôle dans l’expres-
mone, contribuant à lui donner une forme sion, la transformation des cellules lym-
spatiale optimum pour être reconnue par phoïdes grâce à des récepteurs membra-
son récepteur ; soit parce qu’ils font partie naires.
intégrante de cette molécule par des liaisons Des molécules comme la transferrine ou
covalentes comme l’iode des hormones thy- la thymuline jouent de tels rôles en liaison
roïdiennes, soit parce qu’ils se lient à l’hor- avec des oligo-éléments. La thymuline, hor-
mone protéique pour lui donner une forme mone découverte par Bach, ne devient acti-
active, comme le zinc agit avec l’insuline ve que si elle est complexée par du zinc, ce
ou la thymuline. qui induit un changement de structure spa-
Mais les oligo-éléments peuvent agir tiale de ce nonapeptide, lui permettant alors
aussi au niveau du récepteur hormonal soit de faciliter la prolifération des lymphocytes.
en facilitant, soit en inhibant la fixation de Les oligo-éléments participent aussi à la
l’hormone sur son récepteur membrannaire. lutte contre les radicaux libres de l’oxygène,
Une découverte récente a permis de com- conséquence parfois heureuse, parfois
161
A. Favier
H
H
F
Zn
L
Zn
H
H
Figure 3
Fixation au niveau d’un gène d’un facteur de transcription de l’ADN,
fonctionnant comme une protéine dactyle à zinc et pourvu de deux doigts de zinc
toxique de la vie aérobie. Depuis leur passa- la présence dans un tissu de traces de fer ou
ge à la vie aérobie, les êtres vivants ont d’un métal toxique (nickel, plomb, arsenic)
appris non seulement à vivre avec l’oxygène, non lié aux protéines, l’auto-oxydation ou
mais surtout à l’utiliser sous toutes ses l’oxydation par le cytochrome P 450 de com-
formes y compris ses espèces radicalaires, posés organiques xénobiotiques (herbicides,
notamment comme moyen de défense anti- médicaments...) ou endogènes (catéchola-
bactérien. Toutefois il s’agit de formes chi- mines), l’effet des rayonnements ultraviolets
miques extrêmement réactives, donc poten- ou ionisants (rayons X, gamma), le fonction-
tiellement dangereuses. Les principaux nement anormal de la chaîne respiratoire
mécanismes permettant de faire passer l’oxy- mitochondriale...
gène à l’état radicalaire (oxygène singulet, Il est actuellement établi que les radicaux
anion superoxyde, radical hydroxyl) par une libres oxygénés sont impliqués dans les phé-
ou plusieurs réductions monovalentes sont : nomènes de cytotoxicité et de mutagenèse,
l’activation de cellules (macrophages, mono- entrant en jeu au niveau cutané dans les pro-
cytes, polynucléaires, cellules endothéliales), cessus d’héliodermie et de carcinogenèse, au
162
6. Les oligo-éléments
Tableau II
Liste des facteurs nucléaires de transcription possédant des doigts de zinc et classés
selon la nature des complexes formés avec le zinc et créant un doigt de zinc (cys = cysteine,
His = histidine , X = nombre d’ acides aminés séparant les cystéines ou histidines).
Ainsi les facteurs possédant 4 cystéines complexant le zinc s’ écrivent :
Cys(X)n Cys (X)n Cys (Xn) Cys (X)n (d’ aprés Helbecque).
163
A. Favier
respiration 95 %
H2O O2 autooxydation
4 e– 5% flavines
xénobiotiques
cytochrome oxydase e– cytochrome P450
phagocytose
ryons UV
xanthine oxydase
O2°–
superoxyde superoxyde
dismutases glycolate oxydase
SOD Cu Zn
SOD Mn e– D amino acide oxydase
catalases phagocytose
Se-GPx ceruloplasmine Zn
H2O2
peroxyde
d’hydrogène
Fe 2+
H2O
vitamine C
vitamine E Fe 3+
beta-carotène
glutathion OH°
transferrine ferritine
RSH
NaOCl Zn RH ROOH
RSSR SeHPGPx
SeGPx
Figure 4
Systèmes de production , ou de protection
contre les radicaux libres de l’oxygène
164
6. Les oligo-éléments
d’inactiver les radicaux libres (piégeurs dits A la lumière des connaissances plus ou
« scavengers ») et de systèmes enzymatiques moins définitives acquises dans les desti-
antiradicalaires (figure 4) comprenant les nées métaboliques de certains éléments,
superoxydes dismutases à cuivre et zinc, ou à nous avons tenté de symboliser de façon
manganèse, les catalases, les glutathions per- synthétique et schématique ce qu’il est pos-
oxydases sélénodépendantes. Toutes ces sible d’envisager comme les différentes
enzymes utilisent des cofacteurs oligo-élé- étapes du métabolisme d’un oligo-élément.
ments, cuivre, zinc, manganèse, sélénium qui
sont donc appellés oligo-éléments antioxy-
➛ L’ absorption : sa complexité relève de
dants.
formes chimiques différentes sous les-
Les êtres vivants disposent ainsi, en par-
quelles le métal est apporté par l’alimenta-
tie grâce aux oligo-élements, de moyens
tion, sels minéraux, complexes organiques
efficaces pour protéger leurs cellules, de
(métalloprotéines, organométalliques, acides
systèmes de limitation de la production des
aminés, vitamines, phytates...).
radicaux oxygénés à un niveau raisonnable
Les mécanismes impliqués vont donc
dans certains tissus, mais aussi de méca-
varier selon la forme du métal et relèvent
nismes de réparation et d’adaptation rapide
soit de la diffusion simple qui est un méca-
face à une surproduction endogène ou exo-
nisme peu efficace, soit d’un transport actif
gène brutale, appelée choc oxydant.
ou passif par transporteur protéique ou par
un transporteur de molécules organiques, le
➛ Certains oligo-éléments jouent un rôle
métal étant complexé (Cu et histidine) ou
structural
substitué (Se et méthionine) à des acides
Bien qu’étant présents à l’état de trace,
aminés ou des vitamines, il est alors absor-
ils peuvent renforcer la solidité de certains
bé sur un « hôte vecteur » tel un parasite,
tissus : le Fluor en remplaçant un hydroxyl
soit enfin d’un stockage dans la cellule
dans l’hydroxyapatite des os et des dents, le
intestinale permettant souvent par des pro-
Silicium en reliant les fibres de collagène à
téines peu spécifiques telles les métallothio-
celles de mucopolysaccharides des tissus
néines une fixation sur le lieu même d’ab-
conjonctifs.
sorption en cas d’apport rapide ou une éli-
Le rôle des oligo-éléments s’exerce donc
mination par desquamation en cas d’apports
de façon variée sur des mécanismes fonda-
toxiques.
mentaux (enzymes, hormones, mécanismes
de défense...), qui deviendront défaillants en
cas d’apports insuffisants en ces nutriments. ➛ Le transport sanguin : à de rares
exceptions près on ne retrouve jamais les
oligo-éléments sous forme d’ions libres
mais liés à divers types de transporteurs :
MÉTABOLISME – des petites molécules (acides aminés,
ET PHYSIOLOGIE vitamines) avec lesquels ils forment des
complexes ;
DES OLIGO-ÉLÉMENTS – des protéines non spécifiques telle l’al-
bumine qui grâce à ses sites de fixation peut
Comme le rôle biologique, le métabolisme non seulement transporter des acides gras
des éléments traces est régi par leur liaison libres, la bilirubine etc., des médicaments
aux protéines. L’homéostasie des oligo-élé- mais aussi de nombreux métaux ;
ments, c’est-à-dire la régulation de leur – des protéines spécifiques telles les
teneur dans l’organisme, est régie par des transferrine, transcobalamine, nickeloplas-
phénomènes d’induction de ces métallopro- mine, transmanganine.
téines. Il faut toutefois être très rigoureux dans
165
A. Favier
S S S S
----------
COO S
S
Cd Cd
S NH+3
S
S
S Cd Cd S
Cd S
Cd
S S
S S S
S Cd
S S
Cd3Cluster
Cd4Cluster
(fragment)
Figure 5
Structure des métallothionéines (dans le cas de la molécule représentée les groupements thiols des cys-
téines sont saturés par des atomes de cadmium)
166
6. Les oligo-éléments
➛ L’utilisation tissulaire : dans les tissus, L’élimination urinaire est elle, prépondé-
les métaux ont diverses destinées. Ils peu- rante pour les métaux éliminés sous forme
vent être mis en réserve par incorporation « séquestrée » tel le cobalt dans la vitamine
ici encore dans des protéines de stockage ; B 12 ou sous forme anionique tel le molyb-
mais la remarque déjà faite à propos du date.
cuivre doit inciter à une certaine prudence,
car de nombreuses cuproprotéines tissu- ➛ L’homéostasie des métaux est assurée
laires se sont ultérieurement avérées en effet par la régulation de leur taux d’absorption
être des enzymes : la superoxyde dismutase intestinale, ou par les régulations de leur
en est un exemple. taux d’excrétion biliaire ou urinaire. Il exis-
Ils peuvent être métabolisés, oxydés ou te pour certains métaux une influence hor-
réduits sous l’influence d’enzymes spéci- monale, ce qui explique l’existence des
fiques, c’est le cas du cobalt, ou être méthy- cycles nycthéméraux.
lés comme le sélénium, le cobalt, le mercu- Cette régulation se fait par l’induction des
re, l’arsenic ; cette méthylation implique protéines de stockage intra cellulaires telles
comme coenzyme la vitamine B12 méthy- les métallothionéines. Si nous prenons
lée et peut aboutir soit à des dérivés volatils l’exemple de la régulation du métabolisme
aisément éliminés, soit à des dérivés du zinc, nous observons que la régulation de
toxiques. l’absorption se fait dans la cellule intestinale
Ils peuvent enfin être incorporés dans des selon le schéma de la figure 6. Un excès de
enzymes : ce qui est nous l’avons vu, leur zinc a un effet inducteur sur le gène des
rôle majeur. métallothionéines augmentant la teneur intra
cellulaire en ces protéines. Ces protéines
➛ L’excrétion : bien que de nombreux tis- fixent alors le zinc en excès dans la cellule,
sus puissent participer à l’excrétion des l’empêchant de la traverser rapidement pour
métaux (le poumon pour les méthyl-métaux, gagner le plasma sanguin. Comme les cel-
la peau par la sueur), l’essentiel du rôle lules intestinales constituent un épithélium à
excrétoire reste l’apanage du rein et de la multiplication rapide et desquamant rapide-
bile. ment, le zinc en excès fixé aux métallo-thio-
– Éléments à excrétion essentiellement néines sera éliminé dans les selles avec les
biliaire : Cu, Fe, Mn, Ni, Sr, V cellules desquamées empêchant l’absorption
– Éléments à excrétion essentiellement d’un excès. Inversement en cas d’apport ali-
urinaire : Cr, CO, Se, Mo mentaire pauvre en zinc la cellule intestinale
– Éléments à excrétion possible par la ne contient que très peu de métallothio-
sueur : Cr, Cu, Zn, Se, Sr néines et le zinc traverse très vite la cellule
La majorité des oligo-éléments a une et passe dans le sang. Le schéma de méca-
excrétion biliaire et possède un cycle enté- nisme est reproduit en figure 6. Ce mécanis-
ro-hépatique, les éléments sécrétés par les me conditionne le rendement d’absorption
sécrétions biliaires, intestinales, pancréa- du zinc à la richesse des aliments. Par
tiques, très riches en zinc, cuivre, managa- contre, il pourra se dégrader dans des situa-
nése seront en grande partie réabsorbés tions comme le vieillissement entraînant une
dans le duodénum. Cette physiologie parti- moins bonne absorption du zinc. De plus les
culière complique l’interprétation des études métallothionéines n’étant pas très spéci-
de biodisponibilité des oligo-éléments. Les fiques mais pouvant aussi fixer des métaux
perturbations de la sphère digestive seront toxiques (cadmium, mercure) ou utiles
de plus des causes de carences importantes (cuivre), un apport excessif de zinc entraîne-
en perturbant ces mécanismes de réabsorp- ra une augmentation de synthèse des métal-
tion, fistules intestinales, syndromes inflam- lothionéines, donc une fixation accrue de ces
matoires, pancréatites.... autres métaux dans l’entérocyte, et une
167
A. Favier
Enzyme Transferrine
et protéines à zinc ADP ou albumine ?
Amino acides Zn ATPase
(Cystéine) ATP
Zinc transferrine
Zinc MT Gène ou zinc albumine ?
Pool
mRNA
Ligand Zn
pancréatique
Zn sécrétion
intestinale
Cu
Cd } Zn
MT
Figure 6
Régulation du métabolisme du zinc au sein de l’hépatocyte
168
6. Les oligo-éléments
B ibliographie
(1-) - Bach J.F., Pléau J.M., Savino W., Laussac J.M., Cung M.T., Lefrancier P., Dardenne M. The role
of zinc in the biological activity of thymulin, a thymic metallopeptide hormone. In : Current
Topics in Nutrition and Disease, 1988, 18, 319-328.
(2) - Chappuis P. Les oligo-éléments en médecine et biologie, 1991, édité par Lavoisier, Paris.
(3) - Combs G., Combs S. The role of selenium in nutrition, 1986, édité par Acad. Press, N.Y.
(4) - Cotzias G.C. Importance of trace substances in experimental health, as exemplified by mangane-
se, Proc. First. Conf. Trace Subst. Env. Health., 1967, 5-19, Columbia éd.
(5) - Favier A., Maljournal B. Données récentes sur la biochimie de certains oligo-éléments. In :
Problèmes Actuels de Biochimie Appliquée. 1980, 11e série, 1-74, édité par Masson, Paris.
(6) - Favier A. Métabolisme du cuivre 10359 C 10 et métabolisme du zinc (10359 D 10),
Encyclopédie Médico Chirurgicale, 1990, édité par Éditions Techniques, Paris.
(7) - Favier A. The role of zinc in reproduction : hormonal mechanisms. Hormonal effects of zinc on
growth in children, Biological Trace Element Research, 1992, 32, 363-398.
(8) - Helbecque N., Henichart J.P. Les doigts à zinc, éléments de reconnaissance de l’ADN. Médecine
Science, 1988, 4, 624-628.
(9) - Horovitz C.T. Is the major part of the periodic system really inessential for life. A. Trace Elem.
Electr. Health Dis., 1988, 2, 135-144.
(10) - Mertz W. Trace elements in human and animal nutrition, 1986, édité par Academic Press , New-
York.
(11) - Miller J. Mc Lachlan A.D., Klug A. Repetitive zinc binding domains in the protein transcription
factor III A from Xenopus oocyts, Embo J. 1985, 4, 1609-1614.
(12) - Sigel H. Zinc and its role in biology and medicine, metal ions in biological systems volume 15,
1983, édité par Marcel Dekker, New York.
(13) - Sultan C., Lobaccaro. Génétique moléculaire des syndromes d’insenibilité aux androgénes. Med.
Sciences 1991, 7 ; 697-704.
(14) - Yu S.Y., Zhu Y., Li W., Huang Q., Huang C., Zhang Q., Hou C. A preliminary report on the
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tion of selenium in China. Biol. Trace el. res., 1991, 29 ; 289-294.
(15) - Xue-Cun C., Tai-An Y., Jin-Sheng H., Qiu-Yan M., Zhi-Min H., Li-Xiang L., 1985, Am. J. Clin.
Nutr., 42 ; 694-700.
169
7
Bases physiologiques
du comportement alimentaire
J. Louis-Sylvestre
7. Bases physiologiques du comportement alimentaire
173
J. Louis-Sylvestre
réserves
aliments glucides
organisme
lipides
protides
organisme
lipides Les termes du bilan
protides
vitamines
10
besoins quantitatifs
besoins qualitatifs
0 NORMAL AD LIB
RAT
20
nuit jour
24 heures
grammes
110
10
100
c
0
90
a
nuit jour
24 heures
80
110
b repas Figure 2
La séquence alimentaire du rat en cage 3 min. 1g
100
c
174
90
a
80
7. Bases physiologiques du comportement alimentaire
175
10
gram
0 J. Louis-Sylvestre
nuit jour
24 heures
Glycémie mg.dl-1
110
100
c
90
a
80
b repas
3 min. 1g
Figure 3
Évolution de la glycémie du rat avant, pendant et après un repas.
a – le phénomène hypoglycémique préprandial
b – début du repas
c – l’hyperglycémie post-absorptive
omnivore (dont le régime est en fait majori- mentalement prouvée par l’ensemble des
tairement glucidique) nourri ad libitum, non travaux qui ont établi qu’un manque de dis-
perturbé, tout repas spontané suit une hypo- ponibilité en glucose – et non en métabo-
glycémie et toute hypoglycémie de ce type lites énergétiques en général – pour les tis-
précède un repas. sus déclenche la prise alimentaire. Chez les
sujets ad libitum ou à jeun ce déficit est
reflété par une baisse de la glycémie mais
Un rapport de causalité pouvait-il la prise alimentaire déclenchée chez le sujet
être établi ? diabétique ou celui qui a subi une injection
d’un analogue non métabolisable du gluco-
En absence d’aliments le phénomène pré- se est aussi évidemment induite par la glu-
prandial a lieu. Cette hypoglycémie est alors copénie cellulaire bien que le sujet soit
rapidement, mais momentanément, corrigée hyperglycémique. L’étude des relations
(20 min. environ chez le rat), puis une entre taille du repas et durée de la satiété
seconde hypoglycémie, moins bien corrigée postprandiale chez le sujet en alimentation
que la première, apparaît et entraîne un repas spontanée démontre que la stimulation à
si les aliments sont disponibles. De la même manger et sa fréquence dépendent de la
façon, il a été montré que toute intervention vitesse d’utilisation, de repas à repas, du
qui prévient la chute préprandiale de la gly- glucose absorbé. Cette vitesse est modulée
cémie retarde le repas. Celui-ci n’intervient par l’utilisation des autres métabolites éner-
que lorsque la glycémie baisse à nouveau. gétiques apportés par le repas ; elle est aussi
Qu’une légère glucopénie joue un rôle modulée par le retrait ou l’apport au pool
comme signal de « faim » déclenchant la général des métabolites respectivement uti-
prise alimentaire n’est plus une hypothèse. lisés à la constitution de réserves ou en pro-
Cette « théorie glucostatique » est expéri- venant.
176
7. Bases physiologiques du comportement alimentaire
177
J. Louis-Sylvestre
NFS ; de plus, il existe des neurones gluco- d’autres indirectement. Pour ces derniers,
sensibles dans l’AP ; or l’AP est un organe les auteurs suggèrent que leur réponse aux
circumventriculaire non protégé par la bar- variations de glycémie pourrait être expli-
rière hématoencéphalique; ces neurones quée par la stimulation des afférences
pourraient directement évaluer la concentra- venant du rhombencéphale (NTS et AP).
tion sanguine en glucose et intervenir dans
la commande de prise alimentaire. ➛ Au niveau du LH, lieu de convergence
Après quelques travaux qui mettaient en entre des afférences sensorielles externes et
relation une activité neuronale spontanée au internes (comme il sera montré plus bas), il
niveau du LH et le comportement alimentai- existe des neurones sensibles à des varia-
re, d’autres études ont distingué, dans cette tions de glycémie d’une amplitude équiva-
zone, des neurones « phasiques » activés lente à celle du phénomène préprandial.
chaque fois que l’animal introduit la tête Pour certains d’entre eux, l’activation est
dans la mangeoire et des neurones liée à leur glucosensibilité propre, pour
« toniques » activés pendant toute la durée d’autres, elle relève d’un message transmis
du repas. L’activité de ces derniers semble par d’autres sites directement « glycémie
donc liée au déclenchement et au maintien sensible ». La prochaine étape de la
de « l’éveil alimentaire spécifique ». En démonstration, qui serait alors définitive-
dehors du repas, ces neurones peuvent être ment concluante, serait l’enregistrement
activés par une glucoprivation centrale créée simultané sur l’animal éveillé, de la prise
par injection de 2-Desoxyglucose. Par alimentaire, de la glycémie et de cette acti-
ailleurs, chez le singe et le mouton, dans vité neuronale.
cette même région hypothalamique, des
neurones qui répondent à la présentation de ➛ En résumé, il semble que le signal inter-
nourriture seulement quand l’animal est ne dit « de faim » qui déclenche le compor-
susceptible de l’ingérer – autrement dit tement alimentaire soit un phénomène glu-
quand il a faim – ont été mis en évidence. copénique discret, induit par l’épuisement
Quelques études avaient aussi mis en évi- imminent de la réserve gastro-intestinale,
dence dans le LH, l’existence de neurones auquel des cellules nerveuses centrales
activés après injection périphérique de glu- hypothalamiques participant à l’élaboration
cose ; cependant les hyperglycémies ainsi de ce comportement sont sensibles. Dans
induites étaient largement supraphysiolo- cet état métabolique le sujet « se dirige »
giques. Des expériences récentes réalisées vers ce qui peut être un aliment en prend
chez le rat par une équipe de Marseille ont connaissance et le reconnait grâce à l’analy-
montré qu’un tiers des neurones du LH seur sensoriel périphérique. Comment sont
répond soit à une légère hyperglycémie (en déterminés le choix des aliments et la quan-
moyenne 36 %), soit à une légère hypogly- tité ingérée ?
cémie (en moyenne 10 %) induites, soit
encore à des fluctuations spontanées de gly-
cémie (5 à 27 %), et ce, avec une latence
moyenne de 6 min. Ces chercheurs ont
montré aussi que certains neurones répon- LES AFFÉRENCES
dent seulement aux variations périphériques SENSORIELLES
de glycémie, d’autres seulement à l’applica-
tion locale et d’autres enfin (1/3) aux deux
ET L’ACTE ALIMENTAIRE
manipulations.
Ainsi, parmi les neurones « glycémie
sensibles » de l’aire latérale hypothalamique La sélection de macro et micronutriments
certains peuvent être activés directement et parmi un large éventail de substances qui
178
7. Bases physiologiques du comportement alimentaire
peuvent ou non satisfaire les besoins phy- ressenti lors de la satisfaction du besoin sur
siologiques et être ou non compatibles avec le plaisir sensoriel : l’information affective
les processus biochimiques dont l’individu (la valeur hédonique de l’aliment ou encore
est pourvu, est une fonction biologique fon- sa palatabilité) est, en gros, ajustée aux pro-
damentale. Les systèmes chémosensoriels – priétés nutritionnelles de l’aliment et ce, de
goût et olfaction – sont apparus, au cours de plus, en fonction des besoins de l’individu ;
l’évolution, sous la pression du besoin elle est donc susceptible d’évoluer avec le
nutritionnel et par conséquent sont adaptés temps.
à la recherche et à la sélection d’éléments Deux apprentissages distincts se font
susceptibles de satisfaire les besoins de l’es- simultanément. Le premier module la stimu-
pèce. Plusieurs remarques s’imposent : lation initiale à manger, intervient dans le
Les sensations perçues au moment de l’in- choix : les préférences sont conditionnées. Le
gestion donnent au sujet des informations second module, au cours de la prise, la stimu-
qualitatives (c’est sucré, acide...), quantita- lation à consommer l’aliment choisi et donc
tives (très sucré, peu acide...) mais aussi détermine la quantité en fonction des expé-
affectives (j’aime beaucoup, peu...). La pré- riences passées : le rassasiement est condi-
férence pour le sucré est innée et une faible tionné.
salinité semble appréciée de toutes les Un système régulé par une simple boucle
espèces. L’amer, l’acide et le salé intenses de rétrocontrôle (thermostat pour un local)
sont aversifs de façon innée dès que les est instable et la régulation est lente (fig. 4).
récepteurs gustatifs concernés sont fonction- Un contrôle adaptatif anticipé tel que
nels. Ainsi, la sélection naturelle a favorisé celui qui vient d’être décrit permet une
un système gustatif susceptible d’assurer la régulation efficace et précise (fig. 5).
protection de l’individu en le rendant capable
de maintenir son homéostasie (sucré : éner-
gie ; salé : équilibre osmotique) et capable Le cheminement des informations
aussi d’éviter les poisons, les substances cor- sensorielles
rosives : la motivation hédonique est innée.
Cependant, ce mécanisme inné ne permet Les éléments sensibles au signal interne
pas l’adaptation aux besoins fluctuants de de faim sont vraisemblablement situés au
l’organisme. Pour remplir cette fonction une niveau de l’hypothalamus latéral et toutes
plasticité du codage sensoriel ou de l’aspect les informations sensorielles venant de la
hédonique est nécessaire. En fait, on consta- sphère orale mais aussi de la sphère viscéra-
te qu’à partir des réactions innées, un pro- le (informations sur la distension gastrique,
cessus d’apprentissage intervient. Au fil des la chémosensibilité intestinale...) attei-
prises répétées d’un même aliment ses gnent cette même région hypothala-
caractéristiques sensorielles (aspect, odeur, mique (fig. 6). De plus, il est important
goût, texture), qui représentent le stimulus de remarquer que toutes les voies senso-
conditionné sont progressivement associées rielles externes et internes ont des projec-
aux effets post-ingestifs (stimulus incondi- tions vers le système limbique (amygdale
tionnel) ressentis dans les heures qui suivent rhinencéphalique) qui joue un rôle très éla-
: une double image, sensorielle et métabo- boré dans l’intégration des messages senso-
lique, est créée. L’organisme s’y réfère de riels et participe aux processus d’apprentis-
façon tout à fait inconsciente pour anticiper sage.
les conséquences (réponse inconditionnelle) Partant du récepteur (gustatif, intestinal),
plaisantes ou déplaisantes de l’ingestion le premier relais des voies sensorielles se fait
prévue et adapter son comportement (répon- au niveau médullaire (noyau du tractus du
se conditionnée). Le résultat de l’apprentis- faisceau solitaire : NTS) ; là, les deux voies
sage est le transfert du plaisir (du bien-être) sont parallèles mais interconnectées. C’est
179
J. Louis-Sylvestre
élément sensible
4 n fois 3
4
1 2
1
régulations régulations
internes comportementales
1
4 2
Figure 4
Réponses physiologiques possibles à la pénurie
1 – Baisse du métabolisme. 2 – Baisse de l’activité physique
3 – Mobilisation des réserves. 4 – Recherche, sélection et ingestion d’aliments
e e e e e
e e e
e
a a c c
e e a ?
plaisir b
mémoire d c
sensoriel plaisir
e e a b bien-être
d
élément sensible c
1 fois
régulations régulations
internes comportementales
Figure 5
Mise en place d’un rétrocontrôle adaptatif.
Au fil des prises répétées d’un même aliment, sont mis en mémoire :
a – les caractéristiques sensorielles de l’aliment, b – le plaisir sensoriel,
c – le comportement, d – le bien être ressenti.
Lors d’une nouvelle prise, l’organisme s’y réfère, opère inconsciemment un transfert du bien-être atten-
du sur le plaisir sensoriel et adapte son comportement (tracé e).
7. Bases physiologiques du comportement alimentaire
Neurones
Noyau sensibles
parabrachial à la glucopénie
Noyau tractus
solitaire
Noyaux moteurs des nerfs crâniens
Noyaux préganglionnaires parasympathiques
Afférences et sympathiques
gustatives/viscérales (Réponses métaboliques et hormonales)
Figure 6
Schéma simplifié des voies gustatives et viscérales afférentes
ainsi que, dès ce niveau, l’information « dis- l’activité des structures hypothalamiques et
tension gastrique » va pouvoir moduler l’in- limbiques. Celles-ci en retour envoient des
formation « goût » par exemple. De là, par- fibres descendantes vers le NPB et le NTS ;
tent des projections, descendantes cette fois, les activités hypothalamiques et limbiques
vers les noyaux moteurs des nerfs crâniens, peuvent ainsi moduler les réponses inges-
les noyaux préganglionnaires sympathiques tives motrices et les réponses métaboliques.
et parasympathiques à l’origine de réponses Depuis le cortex inférotemporal, des
réflexes motrices, métaboliques et hormo- voies visuelles atteignent massivement
nales. Le deuxième relais se trouve au niveau l’amygdale et par là, le LH : l’information
du pont (noyau parabrachial : NPB). Là visuelle éventuellement modulée par l’ap-
encore, les deux voies sont parallèles. Ensui- prentissage atteint donc aussi cette région.
te et désormais, les fibres véhiculant les De même, l’information olfactive atteint le
informations gustatives et viscérales suivent LH par une voie directe et une voie qui
les mêmes voies et leurs projections conver- passe par l’amygdale.
gent vers les mêmes structures. Toutes les En plus des informations sensorielles
fibres ascendantes issues du NPB suivent brutes ou codées par le système limbique
d’une part, la voie thalamocorticale, d’autre reçues par l’hypothalamus, il est maintenant
part se dirigent vers l’amygdale rhinencépha- reconnu que des structures sus-jacentes
lique en envoyant des collatérales vers l’hy- corticales exercent une influence modu-
pothalamus latéral (LH). Ces connexions latrice sur son activité. Émotions, stress, colè-
suggèrent que les informations gustatives et re... peuvent ainsi intervenir sur la prise ali-
viscérales modulent de façon coordonnée mentaire.
181
J. Louis-Sylvestre
➛ Et les circuits nerveux du plaisir ali- mulus conditionné, délai entre l’établisse-
mentaire ? Actuellement les connaissances ment de l’aversion et la nouvelle présenta-
sur ce point sont assez floues. Au niveau de tion, etc.
l’hypothalamus latéral et du rhinencéphale Il a été possible ainsi d’étudier les condi-
en particulier, deux grands systèmes physio- tions de l’établissement d’une aversion et
logiques, d’action opposée, ont été mis en aussi d’établir que la mémorisation des fla-
évidence : le système de « récompense » ou veurs est fonction de plusieurs facteurs : la
de renforcement positif, et un système dit qualité intrinsèque de la flaveur (chez le rat,
de « punition » ou de renforcement négatif. la mémoire de fromage est plus durable que
Le protocole expérimental qui a permis ces celle du café), la durée du contact avec les
résultats est le suivant : un dispositif que récepteurs, les conséquences post-ingestives,
l’animal peut commander lui-même lui per- la répétition des expériences et l’âge du sujet.
met de s’autoadministrer des impulsions Le traitement au niveau central de la
électriques par l’intermédiaire d’une élec- trace mnésique de l’aliment, associée à
trode préalablement placée dans la structure celle des effets post-ingestifs, a pour effet
cérébrale explorée. Quand la stimulation est de moduler la composante affective associée
agréable, l’animal s’autostimule frénétique- à l’image sensorielle de l’aliment.
ment, si elle est désagréable, il évite de fer-
mer le circuit. La topographie du système
de récompense est maintenant connue, il Le choix alimentaire
parcourt les régions frontales rhinencépha-
liques et traverse l’hypothalamus latéral. Au ➛ Les préférences conditionnées
niveau de certains sites de l’hypothalamus Le « goût pour le sucre » est commun à
latéral l’autostimulation est intense si l’ani- toutes les espèces mais il a été magnifique-
mal a faim , nulle s’il est rassasié. la stimu- ment démontré que cette préférence n’est
lation électrique semble produire le même maintenue que si l’effet post-ingestif béné-
plaisir que la nourriture : quand l’animal a fique attendu – apport calorique rapide - est
faim, il recherche la stimulation électrique effectif. Chez le rat légèrement à jeun, la
ou... plus normalement l’aliment. consommation d’une solution de saccharine
est importante, elle le demeure si l’inges-
tion est associée à l’administration gastrique
Mémoire des aliments de glucose ; en revanche, la consommation
décroît très vite si la charge gastrique est
Les travaux concernant les processus de constituée par de l’eau.
mémorisation de la flaveur et de la texture Une autre expérience démontre le même
des aliments datent des quinze dernières phénomène. Deux versions différemment
années. La méthode souvent employée est odorisées du même régime aprotéique sont
simple : un aliment ayant la flaveur testée alternativement proposées au rat. La
est présenté à l’animal, son ingestion est consommation de l’un (A) est précédée
suivie d’un malaise expérimentalement pro- d’une administration gastrique d’un mélan-
voqué (par exemple une injection intrapéri- ge équilibré d’acides aminés essentiels ; la
tonéale de chlorure de lithium qui provoque consommation de l’autre (B) est précédée
de vives douleurs abdominales). L’animal de l’administration gastrique de chlorure de
étant rétabli, l’aliment testé est présenté à sodium.
nouveau, la quantité consommée est une Désormais, et sans autre intervention, les
mesure de l’intensité de l’aversion et aussi rats préfèrent A. La même expérimentation
une mesure de la trace mnésique. L’explora- peut être réalisée avec un régime non pas
tion a été réalisée en faisant varier les aprotéique mais seulement carencé en un
paramètres expérimentaux : intensité du sti- acide aminé essentiel. Le régime associé à
182
7. Bases physiologiques du comportement alimentaire
la supplémentation en cet acide aminé sera Une seule association entre stimulus
préféré. conditionné (la flaveur) et stimulus incondi-
Il est clair que les récepteurs aux acides tionnel (les effets post-ingestifs nocifs) peut
aminés découverts récemment dans la paroi être suffisante pour que s’établisse l’aver-
intestinale ont fourni l’information post- sion parfois définitive. L’association est
ingestive impliquée. Cependant, le rôle joué efficace même si le délai entre les stimuli
ici par les chémorécepteurs intestinaux atteint plusieurs heures.
n’exclut pas le rôle éventuel d’une sensibi- Chez l’homme, ce phénomène fait partie
lité interne aux variations de l’aminogram- de l’expérience personnelle de chacun ; il est
me sanguin. bien connu que les enfants leucémiques, qui
La sélection par l’organisme des aliments reçoivent une friandise d’un goût nouveau
qui apportent la couverture des besoins en juste avant une chimiothérapie génératrice de
vitamines, minéraux, relève de mécanismes malaise, la refusent désormais : ceci montre
similaires. Il est bien établi que le besoin de bien que le lien obligatoire est un lien de
soulager une carence peut transformer une coïncidence et non une relation causale.
aversion en préférence : les rats préfèrent Les résultats d’enquêtes montrent que le
tous l’eau pure à l’eau acide ; mais les rats stimulus interne le plus efficace est la sen-
carencés en Zinc développent une préférence sation de nausée, viennent ensuite les dou-
pour l’eau acide si celle-ci contient du Zinc. leurs abdominales, les malaises respiratoires
Des préférences soudaines se manifestent et les éruptions. Parmi les aliments pour
aussi fréquemment chez l’homme, elles sont lesquels des aversions se développent faci-
probablement le plus souvent adaptées à un lement, on note d’abord les produits carnés
besoin : ainsi les enfants souffrant d’insuffi- (21 %), les plats complets avec viandes ou
sance surrénalienne développent – s’ils les poissons (13 %), les boissons alcoolisées
trouvent dans leur environnement – un (14 %). Les produits glucidiques en général,
goût prononcé pour les bonbons à la réglis- les produits sucrés tout particulièrement,
se qui contiennent de la glycyrrhizine, sub- deviennent rarement aversifs.
stance qui a une action corticoïde et soulage Le sujet a faim, par le jeu des préfé-
le malaise. rences et aversions conditionnées il va
Il est très frappant de constater qu’aucun sélectionner les aliments à ingérer, mais
conditionnement de préférence – ou même combien va-t-il en ingérer ? Le déterminis-
de rassasiement comme il sera vu plus loin me quantitatif relève de plusieurs méca-
- basé sur l’effet d’une ingestion lipidique nismes dans lesquels interviennent aussi les
n’a pu être mis en évidence. Ce phénomène caractéristiques sensorielles des aliments.
peut être attribué à la lenteur de la vidange
gastrique et de l’absorption des graisses. Il
souligne que pour la grande majorité des La dimension du repas
apprentissages, les stimuli impliqués, condi-
tionnés et inconditionnés, ne sont mis en ➛ Le rassasiement conditionné
relation que s’ils sont suffisamment rappro- Deux versions différemment odorisées du
chés. Tel n’est cependant pas le cas pour même aliment sont présentées alternative-
l’établissement des aversions conditionnées. ment à l’animal, l’une est toujours accom-
pagnée d’une administration gastrique de
➛ Aversions conditionnées glucose, l’autre est associée à l’administra-
Les modalités de création des aversions tion d’eau. Très vite l’animal apprend à
conditionnées ont été évoquées à propos de consommer moins de la première.
la mémorisation. Les caractéristiques de ce Chez l’homme, la démonstration du phé-
conditionnement sont uniques et font excep- nomène est clairement établie par l’expérien-
tion aux lois ordinaires de l’apprentissage. ce simple suivante : deux versions du même
183
J. Louis-Sylvestre
aliment cependant différentes par le goût sont de moins en moins importantes : au fil
sont présentées alternativement mais séparé- des consommations l’état et donc les
ment aux sujets lors d’une série de tests qui besoins du sujet ont changé. Il faut remar-
ont lieu à quelques jours d’intervalle. La quer que l’hyperphagie due à la variété
consommation de l’une des versions est pré- cesse quand le sujet a pu apprendre, et en
cédée de l’ingestion d’un potage très calo- conséquence peut prévoir, qu’il aura à dis-
rique. Pour l’autre version, le potage associé, position des aliments successifs.
gustativement indiscernable du premier, est
peu calorique. Alors que les deux versions de ➛ Les stimuli postingestifs incondition-
l’aliment sont consommées en quantités nels du rassasiement
égales au début des tests, au cours de la série Les stimuli postingestifs, qui intervien-
la consommation de chaque version est pro- nent dans le rassasiement et qui sont au
gressivement augmentée ou diminuée en cours de l’apprentissage peu à peu associés à
fonction de la valeur calorique du potage. la flaveur de l’aliment, sont multiples. Le
Le mécanisme de cet apprentissage, dont rôle des récepteurs gastriques de distension,
le rôle est de fixer quantitativement le volu- celui des osmorécepteurs, des chémorécep-
me ingéré, est très voisin de celui qui teurs (gluco, amino...) gastro-intestinaux,
conduit à l’établissement des préférences et porte-hépatiques, hépatiques est largement
qui intervient, lui, comme il a été dit, dans démontré. Le rôle des hormones digestives
la sélection. L’image sensorielle périphé- (gastrine, cholécystokinine, somatos-
rique est associée cette fois à la sensation tatine...) fut et est encore l’objet de contro-
plus ou moins durable de satiété qui sera verses. Enfin, chez le rat, il a été montré que
ressentie après l’absorption. Plusieurs essais la décharge d’insuline et au moins le début
sont nécessaires à l’ajustement correct de la de l’absorption des métabolites constituent
quantité consommée au contenu énergétique l’un des facteurs du rassasiement. L’effet de
de l’aliment. Quand l’aliment aura été ainsi l’injection d’inhibiteurs d’oxydation sou-
« appris », l’ingestion sera arrêtée quand ligne que le signal opérant est lié à l’oxyda-
une quantité suffisante de nutriments aura tion au niveau hépatique des produits absor-
été ingérée et bien avant qu’ils soient absor- bés dans les premières minutes.
bés. L’ingestion cesse quand elle n’est plus Ces facteurs du rassasiement peuvent être
source de plaisir : la composante affective additifs et sont redondants : la vagotomie
alimentaire est modifiée par le jeu des pré- bilatérale sous-diaphragmatique ou la trans-
férences et aversions conditionnées. Par le plantation hépatique n’empêchent pas le
jeu du rassasiement conditionné, cette sujet d’être rassasié de façon adéquate après
valeur hédonique chute progressivement un repas.
(jusqu’à s’annuler à l’arrêt de la prise) au
cours de l’épisode alimentaire et ce, en
fonction de l’aliment et des besoins. Néan-
moins, cette chute de palatabilité ne concer- LE MÉCANISME
ne que l’aliment qui a été consommé car
elle est spécifique des caractéristiques sen- LIPOSTATIQUE
sorielles de l’aliment (goût, odeur...) : le CHEZ LE SUJET ANIMAL
rassasiement est dit sensoriellement spéci- ET HUMAIN
fique. Elle n’affecte pas un autre aliment.
L’animal rassasié sur un aliment, peut à la
suite en consommer un autre et encore un L’acte alimentaire est le remplissage
autre.. et faire ainsi une prise totale 3 à périodique d’un réservoir de petite capacité,
4 fois plus importante que sur un aliment le tractus gastro-intestinal. Celui-ci a pour
unique. Cependant, les prises successives deuxième fonction la transformation des ali-
184
7. Bases physiologiques du comportement alimentaire
ACTIVITÉ REPOS
Déclenchement
du repas
seuils
Mobilisation
des réserves
Figure 7
Évolution nycthémérale de la disponibilité en métabolites et du niveau des réserves
185
J. Louis-Sylvestre
qui a de plus une activité physique suffisan- bolique et hormonal de l’individu, qui
te, on observe une régulation parfaite à expliqueraient d’autre part le rattrapage
l’échelle stricte du nycthémère. d’un sur- ou d’un sous-poids quand en
Cette périodicité nycthémérale comporte- cesse la cause ?
mentale et métabolique est accompagnée La modulation nycthémérale parasympa-
d’une modulation neuro-endocrinienne : on thique des effecteurs endocriniens a été évo-
constate, de nuit, une relative hyperinsuliné- quée plus haut. Ce phénomène primaire
mie basale et prandiale, une tolérance éle- commence à être bien compris : c’est au
vée au glucose, et de jour une hypoinsuliné- niveau de l’aire latérale hypothalamique
mie et une légère intolérance au glucose. (LH), centre parasympathique et actif pen-
De nombreux travaux convergents montrent dant la période active du nycthémère, que
que le primum movens de ce cycle lipoge- s’organise la réponse comportementale de
nèse-lipolyse et de ses conséquences sur prise alimentaire ; la région ventro-médiane
l’ingestion est une modulation nerveuse des hypothalamique (VMH) centre sympa-
effecteurs endocriniens (pancréas et surré- thique, active pendant la phase de repos,
nales), modulation à dominance parasympa- gère les réserves ; ces deux régions sont
thique en période active et sympathique en réciproquement inhibitrices. L’alternance de
période de repos (fig. 8). l’activité de ces deux régions hypothala-
miques est synchronisée sur la lumière mais
➛ Et qu’en est-t-il pour l’homme ? comme il sera développé plus bas, auto-
L’alternance entre un bilan d’énergie entretenue.
positif (différence entre les entrées et les
sorties) avec mise en réserve (diurnes cette
fois), et un bilan négatif avec mobilisation Démonstration expérimentale
des réserves (nocturnes) est établie. Le cycle du mécanisme lipostatique
neuro-endocrinien est retrouvé et la
démonstration que ce cycle persiste en cas Quand cesse le traitement (manœuvre
de jeûne montre bien qu’il constitue la com- expérimentale ou régime imposé) qui, chez
mande primaire. un sujet animal ou humain, a induit pro-
Il semble cependant que l’adéquation gressivement un sur- ou un sous-poids,
entre apports et dépenses ne soit pas tou- apparaît spontanément une hypo- ou une
jours réalisée à l’échelle des 24 heures. Cela hyperphagie qui, d’abord intense, diminue
peut être attribué d’une part à l’absence de peu à peu jusqu’au retour à l’état pondéral
repas pendant la période de repos (ces repas initial.
chez le rat constituent le moyen de rattrapa-
ge), d’autre part, beaucoup de facteurs liés à ➛ Le signal qui lie adiposité et prise ali-
l’environnement et aux habitudes alimen- mentaire
taires facilitent la mise en réserve qui Le signal qui agit sur la commande de
devient excédentaire et ne peut être épongée prise alimentaire en fonction du niveau
par les dépenses métaboliques de repos noc- d’adiposité vient-il du tissu adipeux ou est-
turne. il seulement corrélé à l’adiposité ? Dans le
Si le rattrapage n’a pas lieu à l’échelle premier cas, l’information concerne-t-elle la
stricte des 24 heures, il intervient à l’échelle masse des réserves ou la taille des adipo-
de quelques jours chez le sujet de poids cytes ? Plusieurs auteurs ont tenté de
normal ou plus tardivement chez le prédis- répondre à ces questions par l’ablation chi-
posé à l’obésité. rurgicale de dépôts adipeux chez l’animal.
Quels mécanismes centraux peuvent être En général, ils constatent qu’une hypertro-
évoqués, qui expliqueraient, d’une part, phie des dépôts restants compense la masse
cette alternance jour/nuit du tableau méta- perdue. Quand, après lipectomie, la prise
186
7. Bases physiologiques du comportement alimentaire
ACTIVITÉ
LH (–) VMH
actif insulinisme central augmente quiescent
PRISE ALIMENTAIRE
REPOS
LH (–) VMH
quiescent insulinisme central diminue actif
Efférences Efférences
parasympathiques sympathiques
quiescentes actives
Figure 8
La modulation nerveuse des effecteurs endocriniens
187
J. Louis-Sylvestre
alimentaire est mesurée elle n’est pas trou- dépenses courantes concourent à l’épuise-
vée augmentée. Cependant il faut remarquer ment des métabolites absorbés lors du repas
qu’après lipectomie les dépenses énergé- et précipitent le déclenchement du repas
tiques sont ipso facto diminuées et qu’avec suivant : le sujet est hyperphagique.
une prise inchangée les animaux sont en fait Ainsi, la prise alimentaire est diminuée
transitoirement hyperphagiques. Néanmoins, par la mobilisation des réserves pléthoriques
il semble qu’à perte de poids égale, une et augmentée par leur reconstitution quand
lipectomie, donc une perte de masse, soit leur niveau est bas. La question devient
moins efficace dans l’induction d’une alors celle de la commande de ces mouve-
hyperphagie compensatrice qu’un amaigris- ments de carburants autrement dit celle de
sement général, donc une diminution de la la commande de la lipolyse et celle de la
taille des adipocytes. lipogénèse en fonction du niveau des
Le tissu adipeux a une innervation affé- réserves.
rente qui serait susceptible de véhiculer
l’information. Cependant, les expériences
de parabiose faites chez le rat sont en Le témoin hypothalamique de l’état
faveur d’un « facteur circulant ». Si l’un des des réserves
partenaires parabiotiques est rendu hyper-
phagique et obèse, l’autre est aphagique et Il y a 20 ans, on avait montré qu’une char-
perd du poids. Dans les conditions de la ge intragastrique de glucose marqué avec un
parabiose, le facteur circulant est difficile à isotope radioactif (C14) induisait au niveau de
identifier : on estime que les échanges plas- l’hypothalamus ventro-médian (VMH) un
matiques sont tels qu’un échange total est marquage durable de la fraction lipidique. Ce
effectué environ 10 fois en 24 h et donc tout phénomène suggérait alors l’existence d’un
facteur circulant, en fonction de sa demi-vie modèle central de l’adiposité périphérique.
et de sa concentration, est peu ou prou Plus tard, il était observé que le contenu lipi-
transféré d’un animal à l’autre. dique de l’hypothalamus variait comme celui
des réserves périphériques. Récemment, une
équipe de l’Université de Georgie s’est atta-
Niveau d’adiposité et tableau chée à l’étude de la captation in vivo et à celle
métabolique du métabolisme in vitro du glucose et des
acides gras par l’hypothalamus latéral (LH)
Quand cesse le traitement ou le régime et l’hypothalamus ventro médian (VMH), et
qui a induit chez un sujet, un niveau élevé ce, en fonction de l’état des réserves et de
d’adiposité, les taux plasmatiques d’acides l’état de faim de l’animal. Ces auteurs se sont
gras libres, de glycérol et de corps céto- intéressés à ces deux zones tout particulière-
niques sont élevés. Tous ces métabolites ment parce qu’un faisceau impressionnant de
peuvent servir de carburant cellulaire, cou- données recueillies en 50 ans de travaux avait
vrir les dépenses courantes et grâce en par- montré leurs rôles dans la régulation du bilan
ticulier à une épargne du glucose par le d’énergie : le LH spécialement concerné par
cycle de Randle permettre aussi la couver- la commande de la prise alimentaire et le
ture des besoins du système nerveux cen- VMH par la gestion des réserves.
tral : l’utilisation du carburant endogène Ces chercheurs montrent d’abord que
rend l’animal quasi aphagique. pour l’ensemble des zones testées dans le
A la cessation de la restriction alimentai- SNC, la captation du glucose et celle des
re, les métabolites circulants sont principa- acides gras libres (palmitate) varient en
lement drainés par le foie et le tissu adipeux fonction de l’état de l’animal. Puis, in vitro
qui reconstituent leurs réserves : ce retrait ils mettent en évidence que :
privilégié et la couverture nécessaire des – au niveau du LH (mais pas ailleurs
188
7. Bases physiologiques du comportement alimentaire
dans le SNC) comme dans le foie, le taux sulinémie dans ce phénomène (voir ci-des-
du glucose capté puis oxydé par la voie du sous).
shunt du GABA est élevé quand le rat est Ainsi, l’activation ou l’inhibition réci-
surnourri ou qu’il surconsomme, diminué proques du LH et du VMH sont entraî-
quand le rat est sousnourri ou qu’il sous- nées par leur métabolisme propre qui
consomme ; or le GABA est un neuromodu- dépend de l’état nutritionnel du sujet et
lateur inhibiteur au niveau du LH ; tend à le corriger.
– aussi au niveau du LH et comme dans
le foie, le taux de captation puis d’oxyda-
tion des acides gras (palmitate) est bas Rôle de l’insuline
quand le rat est surnourri et encore plus
quand il est obèse et s’élève peu à peu Dans toutes les espèces et toutes les
quand, à la cessation du surgavage, il situations où la recherche a été effectuée, le
reprend son poids ; en revanche, ce taux taux d’insuline plasmatique est corrélé à
d’oxydation des acides gras (AG) est élevé l’adiposité. De plus, bien que fort atténuées,
quand le rat est maigre et diminue quand, à les variations de l’insulinémie sont trans-
la cessation du sous-gavage, l’animal mises au liquide céphalorachidien avec un
reprend peu à peu son poids ; or l’oxydation certain délai. Il se pourrait donc que l’insu-
du palmitate conduit au 3-Désoxypentoate line soit le messager informant le SNC de
qui spécialement stimule le LH et à la syn- l’état des réserves. Il existe des récepteurs à
thèse de glutamate neurotransmetteur exci- l’insuline dans le SNC, en particulier dans
tateur. les sites périventriculaires comprenant l’hy-
Réciproquement : pothalamus et l’area postrema. Des récep-
– au niveau du VMH et comme dans le teurs insuliniques sont présents dans les
foie, le taux d’oxydation du glucose est bas capillaires cérébraux et pourraient jouer le
quand le rat est gavé à seulement 50 % de rôle de transporteurs d’insuline par transcy-
sa ration spontanée ; tose permettant alors un transport rapide.
– au niveau du VMH et aussi dans le Une récente étude (1990), très convain-
foie, le taux de captation puis d’oxydation cante, porte sur l’effet de perfusions d’insu-
du glucose par la voie des pentoses est line à doses physiologiques dans divers sites
élevé quand le rat est surnourri par gavage. hypothalamiques. Elle montre que les perfu-
Les produits associés à cette voie des pen- sions dans le VMH provoquent une diminu-
toses (par exemple NADPH - Nicotinamide tion dose-dépendante de la prise alimentaire
Adénine Dinucléotide Phosphate) augmen- et du poids corporel. Les mêmes perfusions
tent l’activité électrique du VMH et indui- faites dans la région périfornicale médiane
sent alors la mobilisation des réserves adi- sont moins efficaces, faites dans le LH pas
peuses via les efférences sympathiques du tout. Ceci permet d’étayer l’hypothèse
décrites mais aussi via l’innervation sympa- du rôle de l’insuline dans le métabolisme
thique du pancréas et des surrénales (fig. 9). glucidique du VMH et donc, via l’activité
Cette voie métabolique privilégiée conduit à de l’oxydation du glucose par la voie des
la synthèse d’acides gras (AG) : le VMH pentoses, le rôle de l’insuline dans la com-
synthétise des acides gras libres comme le mande lipolytique correctrice de l’adiposité.
foie et les stocke comme le tissu adipeux.
Sachant que l’activité de la voie des pen- En résumé, l’état métabolique périphé-
toses (au moins dans les tissus périphé- rique et l’état des réserves reflétés par l’ac-
riques) est dépendante de l’état insulinique, tivité du centre de gestion des réserves
et sachant aussi que le nombre d’insulinoré- (VMH) sont un des candidats au rôle de
cepteurs est élevé au niveau du VMH, il est « facteur circulant » qui lie adiposité et
possible de suspecter le rôle du niveau d’in- prise alimentaire. Le taux d’insuline circu-
189
J. Louis-Sylvestre
oxydation du palmitate➚
oxydation du glucose par
la voie des pentoses➘ ⇓
glutamate➚
VMH ⇓ LH 3-déoxypentoacétate➚
NADPH➘ ⇓
⇓ – activité➚
activité➘ AG – – ➚sensibilité à la glucopénie
activité sympathique – REPAS activité parasympathique +
Épuisement du carburant
Hypoglycémie
Figure 9
Les mécanismes centraux qui gouvernent la balance
190
7. Bases physiologiques du comportement alimentaire
lant en est peut-être un autre mais est plus un réseau de connexions nerveuses avec un
certainement un autre aspect du même phé- jeu complexe de neurotransmetteurs et de
nomène. neuromodulateurs. Ceux-ci peuvent être les
Les recherches se poursuivent et quelques mêmes ou être différents pour des fonctions
travaux récents montrent que dans l’adipo- différentes ou identiques. Comme il n’est
cyte hypertrophié l’expression du pas question de faire ici le point, seuls
5-kb mRNA est largement accrue : l’adipo- quelques exemples représentatifs ou simple-
cyte secréterait-il un peptide régulateur ? ment curieux seront évoqués.
La substance P est un décapeptide détec-
té dans les fibres issues des bourgeons du
goût et dans le NTS (voir cheminement des
LA SAGESSE informations sensorielles). La dégradation
de ce neurotransmetteur impliqué dans le
NUTRITIONNELLE ET SON cheminement de l’information gustative est
EXTRAORDINAIRE CABLAGE bloquée par la capsaïcine (trans-8-Methyl-
N-vanillyl-6-nonenamide) contenue dans le
piment par exemple. La sensation de brûlu-
Le jeu de la sélection naturelle fut tel que re et de piquant est provoquée par l’accu-
les organismes sont dotés de mécanismes mulation de la substance P au niveau des
physiologiques adaptés à leur survie dans terminaisons nerveuses. Par ailleurs il a été
leur milieu naturel. Depuis les résultats de montré que la substance P peut induire une
pionniers tels que Clara Davis (1928) étu- sécrétion de met-5-enképhaline (opiacé
diant le jeune enfant et Richter (1943) le endogène) au niveau central. Le goût mani-
rat, la notion de « sagesse nutritionnelle » festé par certains pour les plats très épicés
n’a pas reçu de démentis : placé en situation aurait-il là son origine ?
de libre choix alimentaire, l’individu ingère Les stimuli inconditionnels du rassasie-
en quantité et qualité ce qui lui permet ment ont déjà été évoqués. Un nombre consi-
d’équilibrer ses bilans (énergétiques et spé- dérable de travaux ont porté sur le rôle des
cifiques) et, quand il est jeune, d’assurer sa hormones peptidiques secrétées par la paroi
croissance. du tractus digestif : cholécystokinine, bombé-
Ce rapide exposé des mécanismes qui sine, somatostatine... La motiline est un pep-
sous-tendent le comportement alimentaire tide de 22 acides aminés associé au complexe
est évidemment un canevas très simplifié. myoélectrique du tube digestif. Sa sécrétion
L’acte de « prise » est le résultat d’une ana- augmente en période prandiale ; une injection
lyse inconsciente et le plus souvent parfaite périphérique de motiline favorise la prise ali-
de la situation. Cette analyse comporte mentaire de l’animal à jeun mais ne provoque
l’évaluation des besoins présents et prévus, pas de prise supplémentaire chez l’animal
l’évaluation de l’apport en termes d’énergie rassasié. Vraisemblablement, la motiline qui
et d’éléments spécifiques, celle des dangers intensifie la contraction stomacale, accélère
éventuels liés à l’environnement. Elle la vidange gastrique, réduit la distension gas-
implique d’une part la mise en jeu conti- trique et donc retarde le rassasiement.
nuelle, du début à la fin de l’acte alimentai- Le noyau paraventriculaire hypothala-
re, de récepteurs sensibles à des signaux mique (PVN) constitue la partie rostrale du
internes et externes et d’autre part l’appel VMH. Sa lésion provoque un syndrome
constant à de multiples traces mnésiques. hyperphagique voisin mais un peu différent
Finalement, la décision prise à chaque ins- du syndrome qui suit la lésion complète du
tant a le seul plaisir pour moteur conscient. VMH. Il semble actuellement que le CRF
A la multiplicité des situations auxquelles soit le meilleur candidat au rôle de neuro-
le comportement doit répondre, correspond transmetteur responsable de l’inhibition de
191
J. Louis-Sylvestre
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7. Bases physiologiques du comportement alimentaire
B ibliographie
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Sodilac et Candia ont toujours contribué à la recherche et à l'évolu-
tion de la Nutrition en France.
Afin d'aider au développement de l'enseignement de la Nutrition,
Sodilac et Candia sont heureux de contribuer à l'édition et à la dif-
fusion de l'ouvrage réalisé par le Collège des Enseignants de
Nutrition.