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Collège des Enseignants de Nutrition

ENSEIGNEMENT DE LA NUTRITION
Ont participé à cet ouvrage :

B. BEAUFRÈRE Laboratoire de Nutrition Humaine,


INRA-INSERM
CHRU de Clermont-Ferrand
A. BOULIER Laboratoire de Nutrition Humaine,
INSERM U286
Hôpital Bichat, Paris
C. COUET Service de Médecine Interne et des Maladies de la Nutrition
Hôpital Bretonneau, CHRU de Tours
A. FAVIER Laboratoire de Biochimie Métabolique et
Exploration Nutritionnelle, CHU Grenoble
E. GRASSET CLINTEC Technologies, Vélizy
E. JEQUIER Institut de Physiologie
Faculté de Médecine, Université de Lausanne
S. HERCBERG Institut Scientifique et Technique de la Nutrition
et de l’Alimentation,
CNAM, Paris
M. LAVILLE Groupe de Physiopathologie endocrinienne
INSERM U197
Faculté de Médecine Alexis-Carrel, Lyon
J. LOUIS-SYLVESTRE Laboratoire de Nutrition Humaine
INSERM U286
Hôpital Bichat, Paris
J.-P. RIOU Groupe de Physiopathologie endocrinienne
INSERM U197
Faculté de Médecine Alexis-Carrel, Lyon
J. SCHMITZ Clinique des Maladies des Enfants
Département de Pédiatrie
Hôpital des Enfants Malades, Paris

Coordination de la rédaction :
J.-L. BRESSON
Département de Physiologie – Hôpital des Enfants Malades, Paris
Collège des Enseignants de Nutrition

ENSEIGNEMENT DE LA NUTRITION

Tome 1 – Physiologie
A. Boulier

s o m m a i r e

1. Évaluation de l’état nutritionnel :


la composition corporelle de l’homme – Méthodes
de mesure, résultats 9
A. Boulier

2. Dépense énergétique 31
E. Jequier

3. Substrats énergétiques 43
I. Les glucides – J. Schmitz, J. L. Bresson
II. Les lipides – C. Couet

4. Utilisation des substrats énergétiques 69


I. Le jeûne – J. P. Riou, M. Laville
II. Les effets du repas – M. Laville, J. P. Riou

5. Métabolisme des protéines 95


B. Beaufrère

6. Fer, vitamines, oligo-éléments 121


I. Le fer – S. Hercberg
II. Les vitamines – E. Grasset
III. Les oligo-éléments – A. Favier

7. Bases physiologiques du comportement alimentaire 171


J. Louis-Sylvestre

7
1
Évaluation de l’état nutritionnel :
la composition corporelle de l’homme
Méthodes de mesure, résultats
A. Boulier
1. Évaluation physiologique de l’état nutritionnel : la composition corporelle de l’homme

PRINCIPES THÉORIQUES : LES COMPARTIMENTS


DE L’ORGANISME :
e corps humain est constitué

L macroscopiquement de nom-
breux éléments de densités et
de nature très différentes
Initialement, la masse corporelle (P) a été
divisée en deux compartiments seulement : la
masse grasse (MG) et la masse maigre (MM):
Graisse, Os, Protéines, Eau etc. dont les
quantités sont maintenues dans des propor- P=MM+MG
tions remarquablement constantes chez
l’homme normal. On regroupe sous le nom La masse grasse (MG) comprend les
de « compartiment » ou « masse » certains lipides amorphes (triglycérides surtout)
éléments ayant une valeur physiologique qu’il faut distinguer du tissu graisseux qui,
voisine : par exemple le compartiment
lui, comprend en plus de l’eau et de la
graisseux, la masse musculaire.
masse maigre sèche. Ce compartiment
La taille de ces compartiments permet représente environ 15 % du poids du corps
d’abord de distinguer les individus « nor- chez l’homme jeune et 23% chez la femme.
maux », c’est-à-dire observés le plus fré- Sa densité est de 0,90 g/ml à la température
quemment et se portant bien sur une longue du corps.
période d’observation (sujet maigre, musclé,
gras) puis de déceler le risque pathologique La masse maigre (MM) représente le
ou la pathologie elle-même : sujet obèse,
reste de la masse corporelle c’est-à-dire le
sujet dénutri, sujet œdémateux.
poids moins la masse grasse. Il s’agit d’un
La mesure de la composition corporelle
ensemble complexe comprenant en particu-
est indirecte chez l’homme vivant. La
lier l’eau, les protéines, la masse calcique.
séparation directe des compartiments, par
analyse chimique, a toutefois été réalisée Sa densité moyenne est de 1,10 g/ml. Ce
dans un petit nombre de cas post mor- compartiment est plus important physiologi-
tem [1]. Ceci a permis de vérifier la validité quement que le précédent puisqu’il contient
des premières techniques indirectes. Depuis des éléments vitaux dont la disparition peut
peu, des méthodes comme l’activation neu- entraîner la mort. On peut diminuer de plus
tronique ou la résonance magnétique de 50 % ses stocks graisseux sans prendre de
nucléaire permettent de faire des mesures risque (certains sportifs ont 4 à 5 % de grais-
directes de certains compartiments de se seulement), par contre, si l’on diminue de
l’homme vivant (graisse, protéines, cal- moitié la masse de protéines le risque vital
cium). devient considérable car les défenses de
l’organisme diminuent d’autant [2].

Les méthodes classiques ne mesurent


que ces deux compartiments, mais nous ver-
rons que l’on peut actuellement séparer la
masse maigre en trois à cinq comparti-
ments.

11
A. Boulier

MÉTHODES DE MESURES Les Plis cutanés : la simple mesure de


l’épaisseur cutanée avec un compas spécial
CLASSIQUES : (type Harpenden) en différents points du
corps peut suffire chez des sujets normaux,
L’anthropométrie : la mesure des pour estimer la totalité des graisses sous cuta-
longueurs et sections du corps est très utili- nées et profondes. L’adipomètre doit exercer
sée en médecine (étude de la croissance, une pression normalisée de 10 g/mm2. De
épidémiologie etc.), on peut aussi les utili- très nombreux auteurs ont développé des
ser pour évaluer l’état nutritionnel. De très équations de régression permettant de calcu-
nombreuses équations et indices ont été ler la masse grasse à partir d’un nombre très
proposés pour calculer tantôt le poids idéal, variable de sites de mesures.
tantôt la masse maigre ou la masse grasse. Chez l’adulte, Durnin et col [5], ont utili-
Aucune méthode n’a vraiment donné satis- sé les plis bicipital, tricipital, supra-iliaque
faction sauf peut-être l’indice de Quetelet, et sous-scapulaire permettant le calcul de la
le rapport des circonférences taille/hanche, densité corporelle :
et les plis cutanés. d = c - m x log (somme des 4 plis)

L’indice de Quetelet (1871) encore les coefficients c et m figurent dans des


appelé index de masse corporelle (IMC) ou tables et le calcul du pourcentage de graisse
Body Mass Index (BMI) : se fait avec la formule de SIRI décrite plus
loin. Cette méthode est de loin la plus utili-
sée en médecine.
Jackson et Pollock [6,7] ont développé
des formules généralisées (utilisables pour
des populations variées) utilisant sept plis et
le poids est en kg et la taille en mètres, les
des circonférences. La complexité de cette
valeurs théoriques normales sont situées
méthode limite son usage. Ces équations
entre 18 et 25 chez l’adulte, mais ces
sont bien adaptées au sportif et au tra-
limites se modifient sensiblement avec
vailleur manuel ce qui n’est pas le cas des
l’âge et le sexe (voir fig. 1 et 2) [3,4]. Il
formules de Durnin.
faut remarquer que les limites du poids nor- Chez l’enfant des formules adaptées à dif-
mal peuvent être facilement calculées à par- férents âges ont été publiées par Brook [8],
tir du BMI : limites pour une femme de puis Deurenberg [9]. Toutes ces équations
20 ans mesurant 1,63 m : 18 x 2,66 à ont été obtenues par comparaison avec la
25 x 2,66 soit 48 à 66 kg. Ce mode de cal- pesée hydrostatique décrite ci-dessous.
cul remplace maintenant avantageusement La précision de la mesure des plis cutanés
la formule de Lorentz. est aléatoire si l’opérateur n’a pas reçu une
formation par un technicien très entraîné.
Le rapport des circonférences La précision devient également très mauvai-
Taille/Hanche (waist to hip circonférence se dès que la population étudiée s’éloigne
ratio ou WHR) : ce simple rapport du tour trop de la normalité (grandes dénutritions
de taille (circonférence minimale du tronc) avec œdèmes et obésités importantes). Chez
sur le tour de hanche (circonférence maxi- l’obèse, il n’est pas toujours possible de
male à la hauteur des fesses) permet d’ob- prendre les plis ; la mesure est très imprécise
jectiver la distribution abdominale des en raison de l’écrasement progressif du tissu
graisses. Ce rapport augmente en même graisseux sous la pince et de la non prise en
temps que le risque cardiovasculaire ou la compte des graisses profondes. Cette tech-
fréquence du diabète. Un WHR normal ne nique tend à être progressivement abandon-
doit pas dépasser 0,80. née sauf en épidémiologie.

12
1. Évaluation physiologique de l’état nutritionnel : la composition corporelle de l’homme

Variations de la corpulence (P/T2) au cours de la vie


Liftetime variations in the W/H2 body mass index

Hommes

Femmes

13
A. Boulier

Figure 1 et 2
Notes sur l’utilisation des courbes de corpulence

MESURES
L’indice de corpulence P/T2 est calculé à partir de P = poids (kg) et T = taille (m). Exemple : pour
un sujet de 21 ans dont P = 60 kg et T = 1,65 m, P/T2 = 22, valeur proche de la moyenne.
CHOIX DE LA MÉTHODE
Un excès ou un déficit pondéral ne peuvent être appréciés par la seule mesure du poids car il faut
aussi tenir compte de la taille. L’indice P/T2 rend possible cette appréciation. Étant faiblement cor-
rélé à la taille et fortement corrélé au poids, l’indice P/T2 évalue la corpulence (masse corporelle
indépendante de la taille) et prédit le degré d’adiposité chez l’enfant (1) et chez l’adulte (2) ; il peut
alors être utilisé comme indicateur de l’état nutritionnel.
Les courbes du poids selon l’âge d’une part et de la taille selon l’âge d’autre part (3), sont indis-
pensables pour suivre la croissance d’un enfant. Les courbes de l’indice P/T2 selon l’âge donnent
des indications complémentaires : elles permettent de situer la corpulence d’un sujet par rapport à
la population donnée en référence et de suivre son évolution. Cette méthode qui utilise simultané-
ment les trois paramètres poids, taille et âge, révèle les phases ascendantes et descendantes de la
corpulence comme le font les mesures directes (ex. : plis cutanés). Pendant la croissance, on
observe 3 phases : augmentation de la corpulence jusqu’à 1 an, diminution jusqu’à 6 ans, suivie
d’une nouvelle augmentation. L’âge auquel débute la seconde montée de la courbe (en moyenne
vers 6 ans) est un facteur prédictif de l’évolution de l’adiposité : plus il est précoce plus l’adiposité
ultérieure risque d’être élevée (4, 5). A l’âge adulte la corpulence moyenne de la population aug-
mente jusqu’à 65 ans, puis décroît.

ORIGINE ET UTILISATION DES DONNÉES


De un mois à 16 ans, les données utilisées pour construire les courbes proviennent de l’étude lon-
gitudinale du Centre International de l’Enfance (CIE), Paris, France, et de l’Institut National de la
Santé et de la Recherche Médicale (INSERM), France (3).
De 17 à 21 ans les données sont celles de l’étude transversale réalisée par l’Institut Régional pour
la santé (IRSA), Tours, France, fait à la demande de la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie
des Travailleurs Salariés (CNAMTS) (6).
Après 21 ans, les données proviennent de l’étude transversale réalisée par l’Institut National de la
Statistique et des Études Économiques (INSEE) sur un échantillon représentatif de la population
française (7, 8).
Les courbes présentent la distribution de P/T2 en percentiles selon l’âge pour chaque sexe. Les
limites choisies pour définir la normalité dépendent du but en vue duquel sont utilisées les
courbes. A titre indicatif on peut dire qu’un enfant situé en dehors de la zone comprise entre les
10e et 90e percentiles, devrait être suivi avec une attention particulière. Chez l’adulte, les valeurs
souhaitables de la corpulence se situent environ entre 20 et 25 (2). Au-delà de ces limites, les fac-
teurs de risque de diverses pathologies augmentent.
RÉFÉRENCES
(1) - Rolland-Cachera M.F., Sempe M., Guilloud-Bataille M., Patois E., Péquignot-Guggenouni F., Fautrad,
Adiposity indices in children. Am. J. Clin. Nutr. 1982 : 36, 178-184.
(2) - Garrow J.S. and Webster J., Quetelet’s index (W/H2) as a measure of fatness. Int. J. Obesity, 1985 : 147-
153.
(3) - Sempe M., Pédron G., Roy-Pernot M.P., Auxologie, vol. 1, Paris, Thérapix, 1979.
(4) - Rolland-Cachera M.F., Deheeger M. Bellisie F., Sempe M., Guilloud-Bataille M., Patois E., Adiposity
rebound in children : a simple indicator for predicting obesity. Am. J. Clin. Nutr., 1984 : 39, 129-135.
(5) - Rolland-Cachera M.F., Deheeger M. Avons P., Guilloud-Bataille M., Patois E. Sempe M., Tracking in deve-
lopment of adiposity from one month of age to adulthood. Ann. Hum. Biol., 1987 : 14, 219-229.
(6) - Tichet J., De la biométrie à la prévention, répères pour la santé, 6 à 18 ans, 1984, Éd. IRSA 37521, Riche,
France, 125 p.
(7) - Lemel Y. et Villeneuve A., Les consommations médicales des Français, Les Collections de l’INSEE, 1977,
n° 57, série M.
(8) - Charraud A. et Valdelièvre H., La taille et le poids des Français, Économie et Statistique, 1981, 132, 23-38.

COURBES DE CORPULENCE (1 mois à 85 ans et plus) préparées par Marie-Françoise Rolland-Cachera, chargée
de Recherches, Section Nutrition, Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM), 44, che-
min de Ronde, 78110 Le Vésinet, France.
1988 - Tous droits réservés pour tous pays/All rights reserved for all countries.
No part of this chart may be reproduced, by any process.

14
1. Évaluation physiologique de l’état nutritionnel : la composition corporelle de l’homme

Chez le malade, le très faible coût et la En donnant à dm et dg les valeurs 1,1 et


facilité d’utilisation justifient encore aujour- 0,9 et en convertissant Fg en pourcentage
d’hui l’utilisation de cette technique. on obtient la classique équation simplifiée
de SIRI :

La Densitométrie hydrostatique :
Longtemps considérée comme la référence
or de la composition corporelle, elle est basée Une simulation avec ces formules montre
sur le principe d’Archimède, et consiste à qu’une erreur de seulement 1 % sur la den-
déterminer avec une grande précision la sité supposée de la masse maigre (1,09 au
densité du corps humain [1,10] : lieu de 1,10) abaisse le pourcentage de
graisse calculée de 3,3 % (soit une erreur
relative de 15 %). Une telle erreur peut sur-
venir en physiologie si l’on applique impru-
(d : densité corporelle, M : masse en Kg, demment ces formules à l’enfant, dont la
V : volume en litre) masse maigre est plus hydratée que chez
La mesure de d se fait par « pesée hydro- l’adulte, ou en pathologie si le sujet mesuré
statique » c’est-à-dire la pesée successive présente des œdèmes. Une inflation de un
dans l’eau et dans l’air: (Mair et Meau) litre d’eau suffit à modifier la densité de la
masse maigre de 1 %. Des résultats expéri-
mentaux proches de cette simulation ont été
retrouvés par Bunt et coll. [11]. Les résul-
tats de cette technique, de même que ceux
de toutes les méthodes dérivées (plis cuta-
avec VR = volume résiduel pulmonaire qu’il nés, densité mesurée aux rayons X) sont
faut mesurer, VGI volume des gaz du tractus parfois d’interprétation difficile chez le
digestif, deau = densité de l’eau. malade à moins d’y associer une mesure de
Connaissant la densité de deux des com- l’eau totale. On peut alors utiliser la formu-
posants du corps, c’est-à-dire la graisse le de SIRI corrigée qui s’obtient de la
(dg = 0,9) et la masse maigre (dm = 1,1), même façon que la précédente, mais en
on peut calculer la proportion de chacun
tenant compte de l’eau corporelle :
d’eux. La fraction du poids du corps en
graisse (Fg) s’obtient avec l’équation :

l’utilisation de cette équation nécessite les


que vous pourrez facilement démontrer en
utilisant successivement : mesures séparées de la masse d’eau MH2O
V = Vg + Vm, puis d = M/V, dg = et de la densité corporelle par pesée hydro-
Mg/Vg, dm = Mm/Vm et Fg = Mg/M, Fm statique. Chez l’enfant, Deurenberg et coll.
= Mm/M = 1 - Fg pour extraire finalement proposent de remplacer les deux coeffi-
Fg. V indique les volumes, M les masses et cients de la formule simplifiée de SIRI res-
F les fractions respectives du corps entier, pectivement par :
de la graisse et de la masse maigre. (562 - 4,2 x (Age-2)) et (525 - 4,7 x (Age-2))

15
A. Boulier

ce qui équivaut à admettre que la densité de La mesure de l’eau corporelle :


la masse maigre augmente linéairement avec
l’âge allant de 1,08 kg/l à 7 ans à 1,1 kg/l à L’eau totale est mesurée par dilution
18 ans. Ces valeurs sont issues des tables de d’isotope stables comme le deutérium (eau
Fomon et coll. qui figurent en annexe. lourde) ou l’oxygène 18 [14,15]. Ils sont
L’application de cette méthode est diffici- préférés aux produits radioactifs. L’absorp-
le en médecine car une immersion complète tion est orale (0,05 g à 0,25 g d’oxyde de
et répétée du patient, en expiration forcée, deutérium pur par kg de poids par exemple)
est nécessaire pour mesurer le volume cor- et les prélèvements d’urine, de sang ou de
porel, mais c’est la méthode la plus docu- salive sont faits au bout de quelques heures
mentée dans la littérature. Elle est encore (3 à 4 h), après diffusion complète de l’iso-
très utilisée comme référence scientifique. tope dans l’eau de l’organisme. Quelques
échantillons suffisent. En contrepartie de
Le comptage du potassium 40 : cet cette simplicité théorique, des précautions
isotope radioactif est présent de façon natu- doivent être prises : sujet à jeun, aucune
relle dans le corps humain au taux stricte- absorption d’eau pendant les 4 h de dilution
ment constant de 0,012% du potassium total et le dosage doit être fait avec précision, par
(soit environ 0,49 mmoles pour un homme spectrographie de masse, ou par infrarouge.
de 70 kg). Il suffit de le mesurer pour cal- quelques corrections sont appliquées pour
culer le potassium total puis la masse tenir compte de la combinaison d’une partie
maigre (MM) en admettant qu’elle contient
du deutérium (4 %) avec des substances
68,1 mmoles de potassium par kg chez
solides. La masse maigre est calculée en
l’homme et 64,2 chez la femme [12,13].
admettant qu’elle contient 73 % d’eau :

Cette technique est totalement non invasi-


Les résultats les plus précis sont obtenus
ve puisqu’aucune substance n’est adminis-
trée au patient. Le comptage s’effectue dans avec l’oxygène 18, mais son prix très élevé
une chambre blindée à l’aide de compteur à en limite l’usage et le deutérium est plus
l’iodure de Na. Le système est étalonné à largement utilisé. La toxicité de ces produits
partir de fantômes contenant du 40 K à est considérée comme nulle aux doses
concentration connue et adaptés le mieux usuelles et cette technique peut être, et a
possible au volume du sujet mesuré . Cette déjà été, largement utilisée chez l’enfant et
méthode est considérée comme fiable et pré- la femme enceinte.
cise (erreur < 5 %) chez le sujet sain. Elle a L’eau extra-cellulaire peut être mesurée
été largement utilisée en recherche, mais les par diffusion d’un sel de brome (espace
installations restent rares et coûteuses. brome), non radioactif, dosé dans le plasma
Son utilisation en pratique médicale n’est déprotéinisé par chromatographie à haute
que rarement possible. L’hypothèse d’un pression et détection UV. L’espace brome
taux constant de potassium dans la masse est superposable à l’espace chlore, il com-
maigre est très discutable en pathologie en prend le plasma, le secteur interstitiel et
raison des variations des compartiments l’eau des tissus conjonctifs [16]. L’espace
hydriques et de la kalicytie dans les dénutri- inuline ou l’espace sulfate sont inférieurs de
tions. Enfin, l’isolement de 30 à 40 minutes 30 % environ à l’espace brome. Ce dernier
que nécessite cette méthode est parfois mal est considéré actuellement comme le véri-
supporté par les patients. table secteur extra cellulaire.

16
1. Évaluation physiologique de l’état nutritionnel : la composition corporelle de l’homme

Les méthodes de dilutions sont encore


P = MG + ECF + ICF + MIN + PROT
très utilisées, mais leur relative lourdeur
exemple : homme
technique et les durées respectives de l’exa-
P : Masse corporelle 70 kg
men et de l’analyse limitent leur utilisation
MG : Masse grasse 10 kg
à la recherche. Parmi les méthodes clas-
ECF : Eau extracellulaire 20 litres
siques ce sont les seules qui, associées, don-
ICF : Eau intracellulaire 25 litres
nent des renseignements sur quatre compar-
MIN : Minéraux 4 kg
timents corporels (VEC, VIC, MM, MG).
PROT : Protéines 11 kg
Bien que très anciennes, ces techniques
peuvent être rattachées aux méthodes les
plus modernes puisque les produits radioac-
tifs ne sont plus utilisables. éléments les plus importants de la masse
maigre sont les protéines qui représentent le
véritable noyau vital (activités biochimiques
et biologiques essentielles et en particulier
les défenses immunitaires) et la masse cal-
LES MÉTHODES RÉCENTES cique. Pour séparer ces deux éléments du
reste de la masse corporelle il faut en géné-
ral mesurer l’eau (73 % de la masse
Bien que plus complexes dans leurs prin- maigre). Les glucides ne figurent pas dans
cipes, elles sont souvent plus faciles à utili- ce schéma car ils sont quantitativement peu
ser chez le malade. Elles visent toutes à importants ; la quantité de glycogène hépa-
séparer le poids en cinq compartiments et la tique et musculaire n’est que de 300 à 600 g
masse maigre en 3 à 4 compartiments : eau soit moins de 1 % de la masse corporelle.
extracellulaire, eau intracellulaire, masse
protéique, masse calcique (fig. 3). Les méthodes électriques : Le
Il est fréquent d’associer plusieurs de ces corps humain contient 60 à 65% d’eau dans
méthodes pour atteindre ce but. Les deux laquelle sont dissous des électrolytes dont la
concentration est d’une remarquable stabili-
té, en accord avec le principe de l’homéo-
stasie de Claude Bernard. Le milieu inté-
rieur est de ce fait un remarquable conduc-
Les compartiments corporels
d’après Brozek teur d’électricité. Il était donc logique d’uti-
liser l’électricité pour tenter de mesurer
l’eau du corps.
Eau Thomasset le premier , utilisant les théo-
100 extra cellulaire ries de Fricke, a mis au point une méthode
90 25 %
de mesure des compartiments intra et extra-
80
cellulaires [17,18,19,20] : l’impédancemè-
70 Eau
intra cellulaire trie bioélectrique (IBE ou BIA pour les
60 Masse
Maigre 37 % anglosaxons). Pour Fricke, le corps humain
50
Protéines peut être considéré comme une suspension
40 de cellules dans un milieu conducteur
30 Minéraux homogène ; on peut le représenter par un
16 %
20 Masse 6% schéma électrique simple dans lequel deux
Grasse Graisse
10 résistances figurent les secteurs extra et
10 à 30 %
0 intracellulaires. La membrane cellulaire
séparant ces deux milieux se comporte
Figure 3 comme une capacité électrique. Lorsqu’un

17
A. Boulier

courant alternatif traverse le corps, il par-


court différemment ces éléments selon la VEC
fréquence utilisée : entre 1 et 5 KHz, le
courant sinusoïdal passe exclusivement dans
la résistance extracellulaire (REC), au delà
de 500 KHz la capacité membranaire (CM) 1 MHz + 5 KHz REC
présente une très faible résistance au passa-
ge du courant qui, dans ce cas, passe aussi 1 MHz
bien en extra (REC) qu’en intracellulaire RIC CM
(RIC) (voir fig. 4, schéma de Fricke). Ainsi
les fréquences basses permettent de calculer
le volume d’eau extra-cellulaire (VEC), les
fréquences élevées l’eau totale (VT). Le VIC
volume intracellulaire (VIC) est obtenu par
600
différence (VIC = VT - VEC).
Les équations utilisées sont dérivées des 550
formules de l’électricité classique: IMPÉDANCE (ohms)

500
U = Z x I loi d’Ohm pour courant alterna-
tif, Z est calculé, U et I mesurés 450

et V = L x s d’où 400
Z = impédance, I = intensité du courant,
350
U = tension du courant
L = longueur du conducteur 300
r = résistivité, s = section du conducteur,
V = volume d’eau mesuré 250

Ainsi, seules la taille (L) du patient et les 0,1 1,0 10,0 00,0 00,0 00,0 00,0 00,0
1 10 00 00 00
1 10 1 00
impédances Z (fig. 4) à basse et haute fré-
quence sont utiles pour calculer les volumes FRÉQUENCE (Hz)
d’eau ; r est obtenu par étalonnage par rap-
port aux techniques isotopiques.
Notez que seuls les appareils à plusieurs Figure 4
fréquences permettent de mesurer les deux Schéma de Fricke
compartiments extra et intracellulaires.
Par calcul, on obtient la masse maigre
[21,22,23,24,25,26,27] et la masse grasse
comme avec les méthodes isotopiques, soit Le matériel utilisé est léger (mallette de 4
au total 4 compartiments. à 7 kg), simple d’utilisation, les résultats
La mesure s’effectue en plaçant une ou des mesures sont immédiats pour les appa-
deux électrodes sur le dessus du pied reils informatisés.
gauche et sur la main controlatérale ; les C’est, avec les plis cutanés, une des rares
électrodes sont soit des électrodes de surfa- techniques utilisables, en routine, au lit du
ce [24,25,26,27] soit de fines aiguilles sous malade ou au cabinet du médecin. La préci-
cutanées [21,22,23]. Le courant imposé est sion obtenue est très bonne, proche de celle
faible : 100 à 800 µA sous quelques volts, de la densitométrie, et la reproductibilité
l’examen est de ce fait indolore et sans dan- excellente (Coefficient de variation de 3 à
ger. 4 %).

18
1. Évaluation physiologique de l’état nutritionnel : la composition corporelle de l’homme

Ces techniques, en pleine évolution du recalculé par la somme des trois composés
fait de leur parfaite adaptation aux besoins mesurés, est exact à 1 % près. Cette tech-
médicaux présentent encore quelques nique apparaît donc comme le successeur
limites : suivi difficile des faibles variations naturel de la densitométrie hydrostatique
d’eau ou de poids et exploration médiocre avec, comme avantage supplémentaire, une
des amas graisseux localisés au tronc. Les précision sans doute meilleure, trois compar-
appareils à multifréquences [28] devraient timents au lieu de deux, et surtout la possibi-
permettre de résoudre ces problèmes. lité d’études segmentaires (membres, abdo-
men, thorax). L’irradiation imposée au
patient est faible (0,05 millirems selon les
La mesure de la conductivité fabriquants) et sans doute inférieure à celle
corporelle totale (TOBEC des d’une radiographie thoracique standard. Elle
anglo-saxons) est une variante de l’im- devra cependant être rejetée pour les femmes
pédancemétrie. Dans cette technique, au jeunes sans contraception.
lieu d’utiliser des électrodes pour faire pas- Les variations de la teneur en eau de la
ser un courant, celui-ci est imposé dans le masse maigre (enfants et sujets âgés,
corps humain par induction [29]. Le prix du œdèmes, obésité) sont supposées ne pas
matériel et sa lourdeur sont pour l’instant modifier considérablement les résultats mais
dissuasifs. La pédiatrie paraît être le domai- des travaux scientifiques sont encore néces-
ne d’application le plus justifié. Le saires à ce propos. Les constructeurs font,
« TOBEC » ne présente pas d’avantages en effet, constamment évoluer calculs et
majeurs par rapport à l’impédancemétrie facteurs de corrections pour améliorer la
bioélectrique et n’est plus guère utilisé. qualité des résultats. Malheureusement ces
corrections sont des secrets industriels et
tous les appareils ne donnent pas, pour
L’absorption biphotonique l’instant, les mêmes résultats. Le coût et la
(DEXA ou DPA) : elle consiste à effec- relative rareté des installations équipées
tuer un balayage de l’ensemble du corps pour la composition corporelle (beaucoup
avec un faisceau très fin de rayons X à deux d’appareils donnent seulement la densité
niveaux d’énergies [30,31,32]. Ce faisceau, osseuse) limitent également son développe-
en traversant le corps du patient, va subir ment. Cette technique semble complémen-
une atténuation qui va dépendre de la com- taire des méthodes électriques : son intérêt
position de la matière traversée. L’utilisation réside dans sa précision et dans la prise en
de deux énergies très différentes (40 KeV et compte de la masse osseuse (dans les dénu-
100 KeV) va permettre d’individualiser trois tritions surtout), sa limite pratique, hormis
composants : la masse calcique, la masse son coût, étant l’impossibilité de l’utiliser
maigre, la masse grasse. En effet, dans un au lit du malade ou au cabinet pour des
corps à deux composants, les deux énergies résultats immédiats. Les très gros obèses ne
permettent pour chaque composant d’établir pourront pas être mesurés par cette méthode
une pente caractéristique d’atténuation. La (diamètre sagittal maximum 63 cm ).
séparation de deux compartiments (masse
calcique et tissus mous, puis graisse et tissus
mous) revient alors à résoudre un système
d’équations à deux inconnues. Le troisième
composant est obtenu par différence. L’éta-
lonnage est fait par rapport à des fantômes.
La précision obtenue est excellente. Pour
Heymsfield, la graisse est obtenue avec une
erreur inférieure à 1,65 kg. Le poids du sujet

19
A. Boulier

LES MÉTHODES D’AVENIR leur spectre d’activité avec un compteur à


scintillation permet de quantifier de façon
OU DE RECHERCHE très précise le Carbone situé en majeure par-
tie dans les graisses, le calcium des os,
l’azote des protéines. Il s’agit d’une véri-
La Résonance magnétique nu- table dissection chimique in vivo en quatre
cléaire : elle est basée sur l’étude de la compartiments : protéines, os minéral, grais-
résonance des protons soumis d’une part à un se, et un reste fait de composés divers (eau
champ magnétique intense et d’autre part à en particulier). Les trois composés princi-
un ou plusieurs trains d’ondes électromagné- paux sont mesurés avec une erreur inférieure
tiques transversaux réglés à une fréquence à 3 %. Cette technique est la plus précise des
caractéristique dite de Larmor. Il est possible techniques réalisable in vivo, malheureuse-
avec cette méthode de détecter électivement ment la rareté des installations (2 seulement
les radicaux méthyles de la graisse et d’étu- aux États-Unis) et l’irradiation rendent la
dier ainsi seulement et directement ce com- méthode inutilisable en France.
posant. Deux problèmes ont dû être résolus :
la séparation de l’eau et de la graisse et la
mise en place d’un protocole d’étude du
corps entier. La séparation eau-graisse est MÉTHODES DE MESURE
obtenue par l’emploi de séquences à double
impulsions (méthode de Dixon, de Sobol DE LA MASSE MUSCULAIRE :
etc.), la quantification du corps entier a été
obtenue avec une bonne précision par Fowler
à partir de 24 coupes seulement. Cette Excrétion de la créatinine
méthode est très précise pour la mesure de la ou de la 3 Methylhistidine :
graisse : erreur inférieure à 1 kg soit 6 %,
erreur de reproductibilité inférieure à 4 %. La créatinine est un métabolite de la
Ce type d’examen est intéressant par l’absen- créatine dont le débit urinaire des 24 h
ce d’irradiation, il est toutefois limité à la reflète le pool total de créatine situé à 98 %
recherche en raison de son coût et de la durée dans le muscle donc la masse musculaire.
des mesures (1 heure). Tous les appareils ne La mesure s’effectue en état stable, c’est-à-
sont pas adaptés à la mesure des gros obèses dire après un régime de 3 jours sans
(diamètre de l’aimant = 65 cm). viandes ni poissons pour éviter les apports
exogènes de créatine. Le temps de recueil
des urines de 24 h doit être assez précis : un
La tomodensitométrie ou scanner quart d’heure d’erreur = 1 % d’erreur sur le
ne présente qu’un intérêt limité pour l’étude calcul.
de la composition corporelle en raison de Le calcul de la masse musculaire est basé
l’utilisation intensive des installations en sur une équivalence de 17,9 à 20 kg de
urgence et de l’irradiation importante qu’elle muscle par gramme de créatinine. Les
entraîne : la DEXA doit lui être préférée. résultats sont très approximatifs (erreur de
10 à 27 %).
L’utilisation de la 3 Méthylhistidine est
L’activation par faisceaux basée sur le même principe. Il s’agit d’un
de neutrons : acide aminé présent dans les protéines myo-
fibrillaires qui n’est pas recyclé après pro-
Le bombardement de la masse corporelle téolyse et est excrété directement dans les
avec des neutrons fait apparaître des isotopes urines. L’excrétion journalière est propor-
radioactifs à vie courte [33]. La détection de tionnelle à la masse musculaire, toutefois,

20
1. Évaluation physiologique de l’état nutritionnel : la composition corporelle de l’homme

elle ne représente pas seulement la protéo- rectes décrites ci-dessus a permis d’étendre
lyse musculaire (65 % seulement). Son ana- la description à des populations diverses :
lyse urinaire est plus difficile, mais l’erreur femmes, enfants, vieillards, sportifs et non
est plus faible qu’avec la créatinine. Les sportifs, obèses et dénutris :
précautions à prendre et le protocole sont
les mêmes que pour la créatinine.
La masse musculaire peut aussi être En fonction du sexe, la composition
appréciée par anthropométrie à partir de corporelle est très différente, la femme pré-
la circonférence musculaire brachiale déri- sente une masse grasse beaucoup plus déve-
vée de la circonférence brachiale (Ca en loppée que l’homme (voir tableau 1 en
cm) et du pli cutané tricipital (S en cm) : annexe) même lorsque l’on tient compte de
Cm = Ca - πS la masse corporelle.
Les valeurs théoriques normales sont de
20 à 23 cm chez la femme et de 25 à 27
chez l’homme. Chez le sportif, la masse maigre est
• La surface musculaire brachiale s’ob- plus développée et la masse grasse est beau-
tient par : coup plus faible même en l’exprimant en
M = Cm2/4π Kg de graisse.
et le calcul de la masse musculaire totale
par :
Chez l’enfant et l’adolescent :
Mm(kg) = taille x (0,0264 + 0,0029 x
(M-10)). (homme) La masse maigre croît très régulièrement
Mm(kg) = taille x (0,0264 + 0,0029 x jusqu’à 20 ans [16] de même que la masse
(M-6,5)). (femme) grasse. Chez le garçon, un pic du pourcen-
tage de graisse est observé vers 13-14 ans
L’erreur serait de l’ordre de 10%. L’inté- (fig. 5), correspondant à un retard relatif de
rêt de cette méthode est son utilisation faci- la croissance de la masse maigre. La masse
le en médecine. maigre croît de façon à peu près identique
chez le garçon et la fille jusqu’à la puberté,
puis elle croît plus rapidement chez le gar-
çon. Le poids maigre est maximal à 20 ans,
RÉSULTATS : il déclinera progressivement pendant la vie
adulte.
L’hydratation de la masse maigre décroît
Le corps de référence défini par Bro- régulièrement pendant la croissance passant
zek [1], à partir d’analyses chimiques de 86 % d’eau par kg de masse maigre au
directes de la composition corporelle de début de la vie fœtale, à 80% chez le nou-
cadavres, comporte 62,43 % d’eau, 16,44 % veau-né puis 73 % à la fin de l’adolescence
de protéines, 15,31 % de graisse, et 5,82 % [16] (fig. 6 et tableaux 2 et 3 en annexe)
de minéraux. Il s’agissait de cadavres de [34,35]. La densité de la masse maigre évo-
sexe masculin uniquement. Cette référence lue de 1,08 à 1,1 entre 0 et 20 ans.
de normalité a été utilisée comme point de La masse osseuse augmente progressive-
repère pour étalonner les techniques densito- ment pendant l’enfance et l’adolescence pour
métriques. Les proportions correspondantes atteindre environ 4 400 g chez l’homme
pour la masse maigre sont 73,7 % d’eau, (masse sèche et sans lipides) et 3 100 g chez
19,4 % de protéines et 6,9 % de minéraux la femme adultes. Ce poids maximal vers 15
soit une densité de 1,0998. à 20 ans diminuera ensuite progressivement
Le développement des techniques indi- pendant la vie adulte. Le squelette contient

21
A. Boulier

.35 M
LBM : Ht (kg/cm)
.30
F
.25

.20

30
F
%FAT

20 M

10

10 15 20 25 30 35
AGE
Figure 5
Composition corporelle de l’enfant. Évolution en fonction de l’âge (d’après G.B. Forbes)
Courbes du haut : rapport masse maigre sur taille. Courbe du bas : pourcentage de masse grasse

25 % de calcium, le calcium est situé pour Chez l’adulte :


99 % dans l’os.
La masse calcique mesurée par activation En fonction de l’âge, le pourcentage de
neutronique est 1,4 fois plus élevée chez graisse s’élève inexorablement (fig. 7) d’en-
l’homme que chez la femme. viron 3,6 % par an à partir de 20 ans chez
Le pic de masse osseuse dépend surtout la femme et de 2,4% par an chez l’homme
de facteurs génétiques, mais ce potentiel de plus de 30 ans. La masse maigre suit
génétique est modifié par l’alimentation et l’évolution inverse justifiant l’intérêt de
l’activité physique de l’enfance et l’adoles- l’activité physique chez le sujet âgé. Toute-
cence. Des études rétrospectives et expéri- fois les études transversales, ou même lon-
mentales ont montré qu’une alimentation gitudinales, sont dans ce domaine de peu
positivant légèrement le bilan calcique pen- d’intérêt car les informations historiques
dant cette période augmentait le pic cal- qu’elles fournissent ne permettent pas de
cique adulte de 5% et que l’exercice muscu- prévoir ce qui ce passera pour les nouvelles
laire régulier l’augmentait de 6 à 8%… générations tant les habitudes de vie se sont

22
¢
Q
À
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1. Évaluation physiologique de l’état nutritionnel : la composition corporelle de l’homme

90 27

H20

¢
Q
À
€
@
¢¢
QQ
ÀÀ
€€
@@
H20 (%)

80 24

70 21

60 18

Ca (g/kg)
K+
50 15
K+ (mmol)

40 12
Ca
30 9

20 6
Nouveau-Né et Petite Adoles- Adultes
Nourisson Enfance cence

Figure 6
D’après Forbes G.B. in Human Growth vol. 2, 1978

modifiées (alimentation, activité sportive Chez l’homme elle n’est sensible qu’après
précoce et prolongée, traitements préventifs 50 ans (7g/an). Cette perte calcique est
etc.). En France, à ce jour, le pourcentage aggravée par les déficits hormonaux en
de graisse normal entre 18 et 70 ans peut œstrogènes chez la femme ménopausée et
être calculé par les formules : en androgènes chez l’homme. Contraire-
ment au pic calcique, la perte de calcium ne
MG % = 4,37 + 0,24 x Age (hommes ; SD = 5) dépend pas de facteurs génétiques.
MG % = 9,89 + 0,36 x Age (femmes ; SD = 4,7)

L’eau corporelle diminue avec l’âge. Chez la femme enceinte :


Chez la femme, cette variation est très
importante après 60 ans. Elle est parallèle à Les études de composition corporelle
la perte de masse maigre si bien que l’hy- sont peu nombreuses pour des raisons
dratation de la masse maigre varie peu. éthiques. Les techniques utilisables sont les
La masse osseuse décroît avec l’âge : la plis cutanés, les dilutions du deutérium et
perte de calcium est de 3,8 g/an avant l’oxygène 18 [36, 37], l’impédancemétrie
50 ans chez la femme et de 7,6 g/an après. [38, 39] et le Bromure de sodium [39].

23
A. Boulier

30 COMPOSITION CORPORELLE
ET ACTIVITÉ MÉTABOLIQUE :
Hommes % de masse grasse

20

Le démembrement de la composition cor-


10
porelle permet de mieux comprendre le rôle
de chacun des compartiments :
Masse grasse : réserve énergétique et
matière protectrice contre les chocs méca-
0
≤20 21-30 31-40 41-50 >50 niques et thermiques.
Tranche d’âge (ans) Masse maigre : noyau vital, poste essen-
tiel de la dépense énergétique.
Le poids est, de ce fait, une analyse
40 insuffisante si l’on veut interpréter la dépen-
se énergétique de repos de l’organisme.
Celle ci est en relation parfaitement linéaire
Femmes % de masse grasse

30 avec la masse maigre ; pour juger du niveau


métabolique, on rapporte en général la
dépense énergétique de repos
20
au kilogramme de masse maigre. La dépen-
se normale est approximativement de
30 Kcal/24h/kg de MM chez le sujet sain.
10
≤20 21-30 31-40 41-50 51-60 >60

Tranche d’âge (ans)


CONCLUSIONS :
Figure 7
Pourcentage normal de graisse chez l’adulte
(d’après Boulier A., 1992 réf. 41) L’analyse de la composition corporelle
s’est beaucoup affinée depuis quelques
Évolution de la masse grasse en % du poids
(Population de 202 sujets sains mesurés années et les techniques permettent son uti-
par hydrodensitométrie) lisation pour le suivi de l’état nutritionnel.
La composition corporelle est complexe
et ses compartiments en perpétuelle évolu-
tion pendant toute la vie. Pendant la vie
La prise de poids idéale pendant la gros- adulte, le poids des sujets sains (fig 2 et 3)
sesse se situe entre 10 et 15 kg. Ce poids varie finalement assez peu en regard de ses
supplémentaire comporte 6 à 7 litres d’eau constituants (fig. 7), ce qui laisse penser à
dont 4 pour la masse utéro-fœtale et 2 à l’existence de mécanismes de régulation du
3 litres pour la mère. La masse grasse aug- poids à long terme [40]. De ce fait la seule
mente d’environ 3 kg et la masse maigre analyse du poids est insuffisante et peut
de la mère de 3 à 4 kg. L’évolution de l’eau conduire à des interprétations erronées.
extracellulaire est mal connue et probable- Cette notion est d’une importance capitale
ment très variable d’un sujet à l’autre. Le [41] pour l’interprétation des examens bio-
BMI passe de 22,5 à 26,5 à la fin d’une logiques et pour la compréhension des
grossesse normale. maladies nutritionnelles.

24
1. Évaluation physiologique de l’état nutritionnel : la composition corporelle de l’homme

Annexe – Tableau 1
Composition corporelle de l’adulte sain

SÉDENTAIRES ADULTES SPORTIFS ADULTES

Moyenne (+/- SD) Hommes Femmes Hommes Femmes

Age (ans) 29,2 (13,7) 32,3 (12,7) 23,8 (7,9) 22,1 (5,5)

MM kg 61,8 (6,3) 45,2 (4,5) 62,8 (8,3) 50,2 (6,1)

MM % 86,0 (6,3) 77,7 (6,4) 90,6 (4,9) 82,4 (5,3)

MG kg 10,1 (4,9) 13,2 (4,7) 6,5 (3,7) 10,8 (3,7)

MG % 13,9 (6,0) 22,3 (6,4) 9,4 (4,9) 17,6 (5,3)

ET (litres) 45,5 (4,9) 31,2 (4,0) 47,4 (6,4) 35,9 (4,6)

EEC (litres) 21,7 (2,1) 15,4 (1,9) 21,9 (2,7) 17,0 (1,9)

EIC (litres) 23,0 (3,2) 15,7 (2,2) 25,5 (3,9) 18,9 (12,7)

MM et MG mesurés par hydrodensitométrie ; eau totale (ET), eau extracellulaire (EEC) et eau intracel-
lulaire (EIC) mesurées par impédance.

25
A. Boulier

Annexe – Tableau 2
Valeurs normales de composition corporelle chez l’enfant
(d’après Fomon et coll. 1982 réf. 34)
Components of FFBM (% of body wt)
Water Minerals
Age Length Wt Fat FFBM
Protein Extra- Carbo-
TBW cellular CellularOsseous Non hydrate
water water osseous
cm g g % g
A. Boys
Birth 51.6 3545 486 13.7 3059 12.9 69.6 42.5 27.0 2.6 0.6 0.5
1 mo 54.8 4452 671 15.1 3781 12.9 68.4 41.1 27.3 2.6 0.6 0.5
2 mo 58.2 5509 1095 19.9 4414 12.3 64.3 38.0 26.3 2.4 0.6 0.5
3 mo 61.5 6435 1495 23.2 4940 12.0 61.4 35.7 25.8 2.3 0.6 0.5
4 mo 63.9 7060 1743 24.7 5317 11.9 60.1 34.5 25.7 2.3 0.5 0.4
5 mo 65.9 7575 1913 25.3 5662 11.9 59.6 33.8 25.8 2.3 0.5 0.4
6 mo 67.6 8030 2037 25.4 5993 12.0 59.4 33.4 26.0 2.3 0.5 0.4
9 mo 72.3 9180 2199 24.0 6981 12.4 60.3 33.0 27.2 2.3 0.6 0.5
12 mo 76.1 10150 2287 22.5 7863 12.9 61.2 32.9 28.3 2.3 0.6 0.5
18 mo 82.4 11470 2382 20.8 9088 13.5 62.2 32.3 29.9 2.5 0.6 0.5
24 mo 87.2 12590 2456 19.5 10134 14.0 62.9 31.9 31.0 2.6 0.6 0.5
3 yr 95.3 14675 2576 17.5 12099 14.7 63.9 31.1 32.8 2.8 0.6 0.5
4 yr 102.9 16690 2656 15.9 14034 15.3 64.8 30.5 34.2 2.9 0.6 0.5
5 yr 109.9 18670 2720 14.6 15950 15.8 65.4 30.0 35.4 3.1 0.6 0.5
6 yr 116.1 20690 2795 13.5 17895 16.2 66.0 29.6 36.4 3.2 0.6 0.5
7 yr 121.7 22850 2931 12.8 19919 16.5 66.2 29.1 37.1 3.3 0.6 0.5
8 yr 127.0 25300 3293 13.0 22007 16.6 65.8 28.3 37.5 3.4 0.6 0.5
9 yr 132.2 28130 3724 13.2 24406 16.8 65.4 27.6 37.8 3.5 0.6 0.5
10 yr 137.5 31440 4318 13.7 27122 16.8 64.8 26.7 38.0 3.5 0.6 0.5

B. Girls
Birth 50.5 3325 495 14.9 2830 12.8 68.6 42.0 26.7 2.6 0.6 0.5
1 mo. 53.4 4131 668 16.2 3463 12.7 67.5 40.5 26.9 2.5 0.6 0.5
2 mo 56.7 4989 1053 21.1 3936 12.2 63.2 37.1 26.1 2.4 0.6 0.5
3 mo 59.6 5743 1366 23.8 4377 12.0 60.9 35.1 25.8 2.3 0.6 0.5
4 mo 61.9 6300 1585 25.2 4715 11.9 59.6 33.8 25.8 2.3 0.5 0.4
5 mo 63.9 6800 1769 26.0 5031 11.9 58.8 33.0 25.9 2.2 0.5 0.4
6 mo 65.8 7250 1915 26.4 5335 12.0 58.4 32.4 26.0 2.2 0.5 0.4
9 mo 70.4 8270 2066 25.0 6204 12.5 59.3 32.0 27.3 2.3 0.5 0.4
12 mo 74.3 9180 2175 23.7 7005 12.9 60.1 31.8 28.3 2.3 0.5 0.5
18 mo 80.2 10780 2346 21.8 8434 13.5 61.3 31.5 29.8 2.4 0.6 0.5
24 mo 85.5 11910 2433 20.4 9477 13.9 62.2 31.5 30.8 2.4 0.6 0.5
3 yr 94.1 14100 2606 18.5 11494 14.4 63.5 31.3 32.2 2.5 0.6 0.5
4 yr 101.6 15960 2757 17.3 13203 14.8 64.3 31.2 33.1 2.5 0.6 0.5
5 yr 108.4 17660 2949 16.7 14711 15.0 64.6 31.0 33.6 2.5 0.6 0.5
6 yr 114.6 19520 3208 16.4 16312 15.2 64.7 30.8 34.0 2.6 0.6 0.5
7 yr 120.6 21840 3662 16.8 18178 15.2 64.4 30.3 34.1 2.5 0.6 0.5
8 yr 126.4 24840 4319 17.4 20521 15.2 63.8 29.6 34.2 2.5 0.6 0.5
9 yr 132.2 28460 5207 18.3 23253 15.1 63.0 28.9 34.1 2.5 0.6 0.5
10 yr 138.3 32550 6318 19.4 26232 15.0 62.0 28.1 33.9 2.5 0.6 0.5

26
Annexe – Tableau 3
Valeurs normales de composition corporelle chez l’adolescent (d’après Haschke F. 1989, réf. 35)

COMPONENTS OF FAT FREE BODY MASS (FFBM) (% OF BODY WEIGHT)


Water FFBM
AGE HEIGHT WEIGHT FAT FFBM TOTAL % FFBM Extra- Minerals Carbo- Density
(years) (cm) (kg) (kg) (%) (kg) Protein Body as Water cellular Cellular OM* NOM† hydrate (g/cm3)
Males
10.5 140.3 33.30 5.34 16.0 27.96 16.2 63.1 75.2 27.2 36.0 3.3 0.9 0.6 1.086
11.5 146.4 37.46 6.46 17.2 31.00 16.1 62.2 26.5 35.7 3.2 0.8 0.6 1.086
12.5 153.0 45.27 6.90 16.3 35.37 16.4 62.7 74.9 26.4 36.4 3.2 0.9 0.6 1.086
13.5 159.9 47.81 7.05 14.8 40.76 16.8 63.7 26.4 37.3 3.4 0.9 0.6 1.087
14.5 166.2 53.76 7.32 13.6 46.44 17.1 64.4 74.6 26.2 38.2 3.5 0.9 0.6 1.088
15.5 171.5 59.51 7.73 13.0 51.78 17.4 64.6 25.8 38.8 3.6 0.9 0.6 1.090
16.5 175.2 64.39 8.22 12.8 56.17 17.6 64.5 73.9 25.4 39.1 3.8 0.9 0.6 1.091
17.5 176.7 67.78 8.61 12.7 59.17 17.7 64.4 25.0 39.4 3.8 0.9 0.7 1.092
18.5 177.0 69.88 9.01 12.9 60.87 17.7 64.1 73.6 24.7 39.4 3.9 0.9 0.7 1.093

27
Females
10.5 141.5 34.72 8.14 23.5 26.58 15.0 57.3 74.8 25.3 32.0 3.0 0.8 0.5 1.087
11.5 148.2 39.23 8.90 22.7 30.33 15.2 57.7 25.4 32.3 3.2 0.8 0.5 1.088
12.5 154.6 43.84 9.41 21.5 34.43 15.4 58.5 74.5 25.6 32.9 3.4 0.8 0.5 1.090
13.5 159.0 48.26 10.53 21.8 37.73 15.4 58.0 25.2 32.8 3.6 0.8 0.5 1.092
14.5 161.2 52.10 12.09 23.2 40.01 15.1 56.8 74.0 24.4 32.4 3.6 0.8 0.5 1.093
15.5 162.1 54.96 13.59 24.7 41.37 14.9 55.5 23.7 31.8 3.7 0.8 0.5 1.094
16.5 162.7 56.44 14.34 25.4 42.10 14.8 54.9 73.6 23.4 31.6 3.7 0.7 0.4 1.095
17.5 163.4 56.71 14.28 25.2 42.43 14.8 55.1 23.4 31.7 3.7 0.7 0.4 1.095
18.5 164.0 56.97 14.24 25.0 42.77 14.9 55.2 73.5 23.5 31.7 3.7 0.7 0.4 1.096
* Osseous minerals. †nonosseous minerals.
From Haschke F : Body composition during adolescence. In Klish WJ, Kretchmer N (eds) : Body Composition Measurements in Infants and Children, Report of the 98th Ross
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30
2
La dépense énergétique
E. Jéquier
2. La dépense énergétique

MÉTABOLISME BASAL, mique confortable, 12 à 14 heures après le


THERMOGENÈSE, repas de la veille. Le métabolisme basal
n’est pas le métabolisme minimal car, au
ACTIVITÉ PHYSIQUE cours du sommeil, la dépense énergétique est
4 à 5 % plus basse que le métabolisme basal.
L’intérêt du concept du métabolisme basal
a dépense énergétique d’un réside dans le fait que les conditions de la

L individu est divisée en trois


composantes : le métabolisme
basal, la thermogenèse et l’ac-
mesure sont décrites de façon standardisée ;
le métabolisme basal constitue ainsi une
référence à partir de laquelle la dépense
tivité physique. Les principaux facteurs qui d’énergie totale peut être estimée. Le méta-
affectent la dépense énergétique sont men- bolisme basal est principalement fonction de
tionnés dans le tableau 1. l’importance de la masse de tissus maigres.
Chez un individu dont l’activité physique Les différences de métabolisme basal liées
est légère, le métabolisme basal représente au sexe et à l’âge des individus sont expli-
environ 65 % de la dépense énergétique quées en grande partie par des différences de
totale. En d’autres termes, la dépense totale masse maigre. En comparant le métabolisme
peut être estimée en multipliant le métabo- basal d’un homme et d’une femme de poids,
lisme basal par le facteur (100/65), soit taille et âge égaux, celui de l’homme sera 5 à
1,55. Ce facteur est fonction du degré d’ac- 8 % plus élevé que celui de la femme, la dif-
tivité physique des individus ; il est 1,80 férence étant liée à une proportion plus éle-
pour une activité modérée et 2,1 pour une vée de masse maigre (muscles squelettiques)
activité physique intense. chez l’homme que chez la femme. Avec
l’âge, la masse maigre diminue et le métabo-
Le métabolisme basal il constitue la lisme basal est abaissé en conséquence. Par
dépense d’énergie d’un sujet mesurée le contre, le sujet obèse se caractérise non seu-
matin au repos, dans une ambiance ther- lement par une masse de tissu adipeux exces-

Tableau 1
Principaux facteurs affectant la dépense énergétique de l’homme

Facteurs intrinsèques Facteurs extrinsèques

Métabolisme basal Masse de tissus maigres


âge, sexe
Hormones thyroïdiennes
Turnover protéique
Thermogenèse État nutritionnel Prise alimentaire
Activité du système nerveux sympathique Ingestion de substances thermogé-
Tissu adipeux brun ? niques, stress, exposition au froid
Activité physique Masse musculaire Durée et intensité
Rendement des muscles des exercices musculaires
VO2 maximale

33
E. Jequier

sive, mais aussi par une augmentation des de glucose en glycogène nécessite une dépen-
tissus maigres. Chez l’obèse, la composition se énergétique équivalant à 5 % de l’énergie
du poids gagné, en excès du poids normal, contenue dans le glucose, alors que la lipoge-
est environ de 75 % de tissus adipeux et de nèse à partir du glucose implique un coût
25 % de tissus maigres. Il s’ensuit que le équivalant à environ 25% de l’énergie ingérée
métabolisme basal du sujet obèse, exprimé sous forme de glucides. Le stockage de
en valeur absolue, est supérieur à celui du lipides alimentaires dans le tissu adipeux ne
sujet de poids normal. Le métabolisme basal nécessite qu’une faible dépense énergétique
dépend de l’effet calorigénique des hor- (équivalant à 2 à 3 % de l’énergie des lipides
mones thyroïdiennes. Chez des patients com- stockés). L’ingestion des protéines induit une
plètement athyréotiques (privés de glande forte augmentation de la dépense énergétique
thyroïde), le métabolisme basal est abaissé postprandiale (équivalant à environ 25 % de
d’environ 30 %. l’énergie des protéines ingérées). Cette ther-
En comparant le métabolisme basal mogenèse résulte des coûts énergétiques de la
d’animaux d’espèces différentes, on consta- néoglucogenèse, de l’uréogenèse et de la sti-
te que ce dernier est proportionnel à la sur- mulation de la synthèse protéique consécuti-
face cutanée. Ceci s’explique par le fait que ve à l’ingestion de protéines.
les pertes de chaleur sont fonction de la sur-
face cutanée ; ainsi, chez un animal en équi- ➛ La thermogenèse postprandiale
libre thermique, la production métabolique « facultative » représente une dépense
de chaleur (le métabolisme) doit être égale d’énergie supplémentaire. Chez l’homme,
aux pertes de chaleur. Le métabolisme basal elle est induite principalement par l’inges-
est environ de 1 000 kcal/24 heures par m2 tion de glucides, ou lors d’administration
de surface corporelle. La surface cutanée intraveineuse de glucose et d’insuline. C’est
peut être calculée par la formule suivante : surtout en condition de suralimentation en
glucides que cette thermogenèse est stimu-
S = 71,84 x 10-4 x P0,425 x T0,725 lée. On observe alors une activation du sys-
où S est la surface cutanée en m2 tème nerveux sympathique qui se traduit par
P est le poids en kg, et une augmentation de la concentration plas-
T est la taille en cm. matique de noradrénaline ; cette thermoge-
nèse peut être inhibée par des bloqueurs des
récepteurs béta-adrénergiques. Les tissus
La thermogenèse responsables de la thermogenèse « facultati-
ve » ne sont pas connus avec certitude ; il est
C’est la deuxième composante de la probable que le muscle soit un des princi-
dépense énergétique. Il s’agit des diverses paux tissus effecteurs de cette thermogenèse.
dépenses énergétiques qui excèdent le méta- Chez les rongeurs, le tissu adipeux brun joue
bolisme basal lorsque l’individu est au repos. un rôle important. Son rôle chez l’homme
Parmi les facteurs qui induisent la thermoge- adulte est difficile à démontrer. Dans des
nèse, la prise alimentaire est le plus impor- conditions d’apports énergétiques chroni-
tant. On parle de thermogenèse postprandia- quement excessifs, la conversion périphé-
le, qui est subdivisée en deux composantes : rique de thyroxine (T4) en triiodothyronine
la thermogenèse « obligatoire » et la thermo- (T3) augmente. Ce mécanisme contribue à
genèse « facultative ». stimuler la dépense énergétique.

➛ La composante « obligatoire » de la La thermogenèse peut également être sti-


thermogenèse postprandiale dépend des mulée par l’effet de substances thermogé-
voies métaboliques impliquées dans la mise niques. Dans ce contexte, deux substances
en réserve des nutriments. La transformation jouent un rôle important : la caféine et la

34
2. La dépense énergétique

nicotine. L’ingestion de café s’accompagne totale. Par contre, chez un travailleur de


d’une stimulation de la dépense énergétique force ou un sportif effectuant des épreuves
qui est fonction de la dose de caféine. Le fait de longue durée, la dépense énergétique due
de fumer stimule également la dépense éner- à l’exercice physique peut atteindre 60 à
gétique. Dans les deux cas, un effet sur le 70 % de la dépense totale.
système nerveux sympathique et la médullo- Le rendement aérobique net (r net) de
surrénale a été décrit, mais le mécanisme de l’exercice musculaire est défini de la façon
cette thermogenèse reste mal élucidé. L’adré- suivante :
naline et les substances agonistes des ß-adré-
norécepteurs stimulent la thermogenèse. Un
développement récent est la découverte d’un
ß-récepteur du tissu adipeux brun (ß3-récep- Le dénominateur de l’équation représente
teur) qui est particulièrement impliqué dans la dépense énergétique due au travail mus-
la stimulation de la thermogenèse de ce tissu. culaire. La valeur de r net est environ de
Le développement d’agonistes spécifiques de 25 %. Ceci signifie que pour faire un travail
ce ß3-récepteur pourrait constituer une de 100 kcal, il est nécessaire de dépenser
approche thérapeutique intéressante dans le 400 kcal en plus du métabolisme de repos.
traitement de l’obésité pour stimuler la ther-
mogenèse des patients obèses.

L’exercice musculaire : son coût CONTRIBUTION DES


constitue la troisième composante de la DIFFÉRENTS ORGANES ET
dépense énergétique. C’est la composante la TISSUS À LA DÉPENSE
plus variable de la dépense énergétique tota-
le, car elle dépend du comportement des ÉNERGÉTIQUE GLOBALE
sujets, de leur mode de vie, de leur activité
professionnelle. Il est intéressant de souli- La consommation d’oxygène des diffé-
gner le fait que, dans les pays développés, rents organes peut être estimée en mesurant
la plupart des adultes ont une activité mus- la différence artério-veineuse des concentra-
culaire peu importante ; le coût énergétique tions d’oxygène et le débit sanguin de l’or-
de l’activité musculaire représente seule- gane. Le tableau 2 présente la dépene éner-
ment 20 à 25 % de la dépense énergétique gétique des différents tissus et organes en

Tableau 2
Contribution des différents organes et tissus en pourcents
de la dépense énergétique basale globale

Homme Femme Enfant


(30 ans) (30 ans) (6 mois)

Foie 21 21 14
Cerveau 20 21 44
Cœur 9 8 4
Reins 8 9 6
Muscles 22 16 6
Tissu adipeux 4 6 2
Divers (os, peau, intestins) 16 19 24

Total 100 100 100

35
E. Jequier

pourcents de la dépense énergétique basale tenir les gradients électrochimiques à tra-


totale. vers la membrane plasmique, pour la syn-
Il est intéressant de relever que la thèse de nouvelles molécules, et pour les
majeure partie du métabolisme basal cellules musculaires, pour effectuer un tra-
( ; 60 %) est due à la dépense énergé- vail mécanique. La source énergétique
tique d’organes tels le foie, le cerveau, le immédiatement disponible est l’ATP (ou
cœur et les reins, organes dont le poids une autre molécule contenant des liaisons
global n’est que de 5 à 6 % du poids cor- phosphates) qui est hydrolysé. La libération
porel. Ces tissus ont une dépense énergé- d’énergie est couplée à la consommation
tique 15 à 40 fois plus élevée qu’un poids d’oxygène (la phosphorylation oxydative)
équivalent de muscle au repos. pour resynthétiser l’ATP hydrolysé. Ainsi, il
existe une relation entre l’utilisation d’ATP
et la consommation d’oxygène. Ce principe
est la base de la calorimétrie indirecte.
MÉTHODES DE MESURE DU La consommation d’oxygène est mesurée
le plus souvent au moyen d’un système
MÉTABOLISME ÉNERGÉTIQUE ouvert. La tête du sujet est placée dans un
boîtier transparent ventilé, un tissu étanche
à l’air solidaire du boîtier étant ajusté
La méthode de mesure du métabolisme autour du cou du sujet (fig. 1). Le débit
énergétique la plus utilisée est la calorimé- d’air dans le système est assuré par un ven-
trie indirecte. Ce terme signifie que la cha- tilateur et il est réglé à une valeur d’environ
leur libérée par les processus métaboliques cinq fois le débit de l’air inspiré. Ce débit
peut être calculée, de façon indirecte, à par- d’air est nécessaire pour éviter le « rebrea-
tir des échanges gazeux : consommation thing », c’est-à-dire de réinspirer de l’air
d’oxygène et production de gaz carbonique. expiré. Le principe de mesure consiste à
La cellule dépense de l’énergie pour main- mesurer le débit d’air sortant du boîtier et

Figure 1
Méthode de mesure de la consommation d’oxygène et de la production de gaz carbonique en circuit
ouvert. La tête du sujet est introduite dans un boîtier en plastique transparent. Un tissu étanche au gaz
relie le bord inférieur du boîtier au cou du sujet. A la sortie du boîtier, l’air passe au travers d’un pneu-
motachographe (mesure du débit d’air) et d’un ventilateur. Des échantillons d’air entrant et sortant sont
analysés en continu par des analyseurs à O2 et CO2.

36
2. La dépense énergétique

les concentrations (ou fractions) d’oxygène CALCUL DE LA DÉPENSE


et de CO2 à l’entrée et à la sortie du boîtier.
La consommation d’oxygène (VO2) est ÉNERGÉTIQUE
obtenue par l’équation :
VO2 = Vin x Fin O2 - Vex x FexO2
où Vin est le débit entrant (L/min) La calorimétrie indirecte
Vex est le débit sortant (L/min)
F in O 2 est la fraction d’O 2 dans l’air Le métabolisme (M) est calculé à partir
entrant de la consommation d’oxygène (VO2) et de
Fex O2 est la fraction d’O2 dans l’air sor- l’équivalent calorique du litre d’oxygène
tant. (EO2). Ce dernier représente la chaleur pro-
En tenant compte du fait que le débit duite lorsqu’un litre d’oxygène (aux condi-
d’air entrant (Vin) n’est pas rigoureusement tions standards STPD) est consommé. La
égal au débit d’air sortant(Vex), on obtient la valeur de EO2 dépend des substrats oxydés ;
VO2 en appliquant la formule de Haldane : EO 2 = 4,686 kcal/LO2 lorsque seulement
des lipides sont oxydés ; EO 2 = 5,01
kcal/LO2 lorsque uniquement des glucides
sont oxydés. Cette différence d’énergie libé-
où DFO2 = Fin O2 - Fex O2 et rée par litre d’oxygène résulte du fait que la
DFCO2 = Fex CO2 - Fin CO2. glycolyse anaérobique permet une synthèse
Cette équation se simplifie cependant si nette de 2 ATP à partir du glucose, donc
DFO2 = DFCO2, condition dans laquelle le une production de chaleur sans consomma-
quotient respiratoire tion d’oxygène, ce qui n’est pas le cas pour
le métabolisme des lipides.
La valeur de l’équivalent calorique du
litre d’oxygène est déterminée à partir de
Dans ces conditions (QR = 1), on a : l’enthalpie molaire du substrat, c’est-à-dire
la chaleur libérée par l’oxydation d’une
mole de substrat. Pour le glucose, la réac-
tion est la suivante :
et VO2 = Vex x ∆FO2.
C6 H12 O6 + 6O2 ➛ 6CO2 + 6H2O + 673 kcal
La consommation d’oxygène est alors le
produit du débit d’air sortant par ∆FO2. EO2 glucose = = 5,01 kcal/LO2
Par analogie, la production de gaz carbo-
nique (VCO2) est donnée par l’équation : ou 20,96 kJ/LO2 où 22,39 est le volume
d’une mole d’oxygène en conditions stan-
VCO2 = Vex x ∆FCO2 dards.
En pratique, on peut utiliser une valeur
et ceci, quelle que soit la valeur du QR ; en moyenne de EO2 de 4,85 kcal/LO2 et la pro-
effet, pour la VCO2, la correction de Halda- duction métabolique de chaleur (M) est cal-
ne peut être négligée. culée par l’équation :

M = VO2 STPD x 4,85

où M est en kcal/min et VO2 en L/min, en


conditions STPD. Pour obtenir M en
kJ/min, multiplier la valeur trouvée par
4,185. Il existe une manière plus précise de

37
E. Jequier

calcul de la valeur de M, qui tient compte La calorimétrie directe


de la valeur réelle de EO2 dans les condi-
tions mesurées. EO2 peut être calculé à par- Une autre méthode de mesure du méta-
tir du « Quotient respiratoire non pro- bolisme énergétique est la calorimétrie
téique » (QRNP). Le QRNP se calcule de directe qui consiste à mesurer les pertes de
la façon suivante : chaleur d’un sujet. Pour un sujet au repos,
l’équation de l’équilibre énergétique est la
suivante : M = H + S où M est la produc-
tion métabolique de chaleur mesurée par
VCO 2NP est la production de gaz carbo- calorimétrie indirecte, H représente l’en-
nique non protéique : semble des pertes de chaleur (heat), mesu-
. rées par calorimétrie directe et S représente
VCO2NP = VCO2 - (N x 5,27)
. la chaleur stockée dans l’organisme ; ce
où N représente l’excrétion urinaire d’azote terme a une valeur positive lors du réchauf-
(g/min) et 5,27 est le nombre de litres de fement, et une valeur négative lors du
CO2 (STPD) produit lors de l’oxydation de refroidissement.
6,25 g de protéines; rappelons que 6,25 g Ainsi, ce n’est que lorsque l’individu est
de protéines contiennent 1 g d’azote. en équilibre thermique (S = 0) que la calori-
VO2NP est la consommation d’oxygène métrie indirecte (mesure de M) et la calori-
non protéique. métrie directe (mesure de H) donnent des
.
VO2NP = VO2 - (N x 6,3). résultats identiques (figure 2).
La valeur de EO2 s’obtient par l’équation :
EO2 = 4,686 + 1,096 (QRNP - 0,705).
Cette équation montre qu’il existe une
relation linéaire entre EO2 et le QRNP. La
valeur de M s’obtient par l’équation :
M = VO2STPD x EO2
Les principaux coefficients pour les cal-
culs de calorimétrie indirecte sont indiqués
dans le tableau 3.

Tableau 3
Coefficients pour les calculs de calorimétrie indirecte

Substrat VO2 VCO2 QR Production de chaleur EO2


L/g L/g kJ/g kcal/g kJ/L kcal/L

Amidon 0,829 0,829 1,00 17,5 4,19 21,20 5,066


Glucose 0,746 0,746 1,00 15,6 3,74 20,97 5,013
Lipides 2,019 1,427 0,707 39,6 9,46 19,61 4,686
Protéines 1,010 0,844 0,835 19,7 4,70 19,48 4,656
Éthanol 1,460 0,973 0,667 29,6 7,08 20,29 4,849

38
2. La dépense énergétique

Figure 2
Évolution du métabolisme M, des pertes de chaleur totales H, des pertes de chaleur par rayonnement et
convection (R + C) et par évaporation E chez un sujet placé pendant 90 minutes dans un calorimètre
direct (température ambiante 28° C, humidité relative 50 %). Les valeurs M, H, R + C et E sont expri-
mées en Watts, une unité décrivant les puissances fournies et dissipées. Dès la 30e minute de l’expérien-
ce, la puissance de production de chaleur M est semblable à la puissance des pertes de chaleur H.

LES FACTEURS DE première année de vie, de 80 kcal/kg x jour


à 10 ans, et de 45 kcal/kg x jour dès l’âge
VARIABILITÉ DE LA DÉPENSE de 20 ans. Ces différences de besoins éner-
ÉNERGÉTIQUE gétiques sont dues en majeure partie à des
différences d’activité physique et, pour le
nouveau-né, au coût énergétique de la crois-
sance.
Évaluation de Le coût énergétique de la croissance
la dépense énergétique et des représente environ 50 % de l’énergie ingérée
besoins énergétiques pour l’enfant prématuré, mais cette propor-
en fonction de l’âge tion diminue beaucoup dès la première
année de vie. Le coût énergétique de la
La dépense énergétique totale évolue en croissance inclut deux composantes : la
fonction de l’âge, et par conséquent les valeur énergétique des tissus gagnés (énergie
besoins énergétiques sont fonction de l’âge déposée) et le coût énergétique de la synthè-
des sujets. Les besoins énergétiques opti- se des constituants des tissus. Chez les
maux sont définis comme l’apport alimen- jeunes enfants, le coût énergétique global de
taire nécessaire au maintien de la santé, à la la croissance est environ de 5 kcal par gram-
croissance des enfants et à un niveau d’acti- me de tissu gagné. Un prématuré peut
vité physique approprié. Ces besoins sont gagner 12 g/kg x jour, ce qui correspond à
environ de 120 kcal/kg x jour chez l’enfant un coût de la croissance de 60 kcal, soit 50%
prématuré, de 100 kcal/kg x jour pendant la de l’apport ingéré (120 kcal/kg x jour).

39
E. Jequier

Variabilité interindividuelle de la existe une augmentation de l’efficacité éner-


dépense énergétique chez l’adulte gétique des processus métaboliques, car on
observe une diminution de la dépense éner-
Le facteur qui permet de prédire le mieux gétique basale par kg de masse maigre.
la dépense d’énergie de 24 heures est la Deux mécanismes adaptatifs paraissent
masse de tissus maigres ; ce facteur explique contribuer à l’augmentation du rendement
80 % de la variance entre les individus. Le énergétique métabolique au cours du jeûne :
reste de la variance est principalement dû à une diminution de l’activité du système ner-
des différences d’activité physique sponta- veux sympathique et une diminution de la
née. En outre, il existe des différences de concentration plasmatique de la triiodothy-
thermogenèse postprandiale, les sujets ronine (T3). Cette dernière est due à une
obèses ayant une résistance à l’insuline pré- inhibition de la déiodination de la thyroxine
sentent une thermogenèse diminuée. Il est (T4) en T3 dans le foie. Ces processus
intéressant de relever que la variance rési- d’adaptation métabolique pourraient aussi
duelle (non expliquée par la masse de tis- jouer un rôle d’épargne énergétique dans
sus maigres) du métabolisme basal est en des populations de pays en voie de dévelop-
grande partie d’origine génétique, comme pement soumis à des restrictions saison-
le montre des études sur la dépendance fami- nières de l’apport alimentaire.
liale du métabolisme basal et la faible varia-
bilité du métabolisme basal entre jumeaux ➛ La surcharge énergétique
homozygotes. Ces données montrent que La dépense énergétique consécutive à une
l’efficacité énergétique des processus méta- surcharge chronique alimentaire augmente.
boliques est en partie déterminée génétique- Cette augmentation s’explique par trois fac-
ment. Des sujets dont le métabolisme basal teurs : 1) une augmentation de la masse de
(ajusté pour la masse de tissus maigres, tissus maigres, tissus métaboliquement
l’âge et le sexe) est relativement bas pré- actifs, 2) une augmentation de la thermoge-
senteraient un risque accru de prise pon- nèse postprandiale due à l’excès de la prise
dérale par rapport à des sujets dont le alimentaire, 3) une augmentation du coût
métabolisme basal est plus élevé. Ainsi, une énergétique de la locomotion due à l’éléva-
efficacité énergétique augmentée, une carac- tion du poids corporel.
téristique métabolique qui a pu être l’objet de La question d’une diminution du rende-
sélection naturelle au cours des millénaires, ment énergétique global des processus
représente aujourd’hui un facteur de risque métaboliques est controversée. Le rende-
pour le développement de l’obésité. ment énergétique global de l’organisme est
un concept difficile à définir. On peut com-
parer le coût énergétique de la synthèse
Variations de la dépense énergétique d’ATP (18,3 kcal ou 18,4 kcal par mole
en conditions extrêmes : d’ATP synthétisée lors de l’oxydation de
jeûne prolongé, surcharge glucose ou d’acides gras respectivement) au
énergétique coût réel de remplacement des molécules
d’ATP, qui est d’environ 23 kcal et
19,5 kcal par mode d’ATP remplacée lors
➛ Le jeûne prolongé du métabolisme de glucides ou de lipides
Il est bien connu que le jeûne prolongé ingérés respectivement. La différence entre
entraîne une diminution du métabolisme les coûts de synthèse d’ATP et les coûts de
basal. Cette baisse est due à deux méca- remplacement d’ATP est due au fait que
nismes : 1) le jeûne entraîne une diminution l’ATP utilisé dans des cycles « futiles »
de la masse de tissus maigres, c’est-à-dire (cycle de Cori, lipolyse et réesthérification
des tissus métaboliquement actifs. 2) Il de triglycérides) n’est pas considéré comme

40
2. La dépense énergétique

ATP remplacé. Ainsi, selon cette définition, donc pas stimulés dans ces conditions. Par
le rendement de remplacement de l’ATP dû contre, la suralimentation en hydrates de
au métabolisme des glucides ingérés est de carbone induit une augmentation de la ther-
= 80 %, et le rendement de remplace- mogenèse spécifique liée à une stimulation
du système nerveux sympathique. Dans ce
ment de l’ATP dû au métabolisme des cas, on observe un effet thermogénique sup-
lipides ingérés est de = 95 %. plémentaire.
Il est intéressant de relever que l’adapta-
tion au chaud ou au froid influence essen-
La plupart des études ne montrent pas de tiellement les mécanismes impliqués dans
dépense énergétique inexpliquée (appelée les pertes de chaleur (vasodilatation et vaso-
parfois consommation de luxe) lors de sur- constriction cutanée, sudation) alors que la
alimentation avec une alimentation mixte. Il production métabolique de chaleur est peu
s’ensuit que les cycles « futiles » ne sont modifiée.

41
E. Jequier

B ibliographie

Aspects généraux du métabolisme


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42
3
Substrats énergétiques
I. Les glucides
J. Schmitz, J.-L. Bresson
3. Substrats énergétiques – Les glucides

’adulte ingère 300 à lules nerveuses et celles du cristallin en cir-

L 400 g de glucides (hydrates de


carbone, CHO) par jour, ce
qui représente 55 à 60 % de
constances normales. Sa pénétration dans
les cellules est favorisée par l’insuline.
L’absorption du glucose, coïncidant avec
sa ration énergétique quotidienne. 50 à les repas, est un phénomène discontinu. Sur
60 % de cette énergie est apportée sous 100 g de glucose absorbé au cours d’un
forme d’amidon, polymère de haut poids repas, on estime qu’environ 60 g sont oxy-
moléculaire de glucose, 30 à 40 % sous dés dans les 3 heures suivantes. Cet accrois-
forme de saccharose, et le reste sous forme sement de l’oxydation du glucose contem-
de lactose. Les fibres alimentaires végétales poraine du repas s’effectue au détriment
n’étant que peu disponibles (digérées, d’une réduction de l’oxydation des lipides.
absorbées) pour le métabolisme intermédiai- Cependant la capacité d’oxydation du glu-
re n’apportent que quelques dizaines de cose étant limitée (= 4 mg/kg min, chez
kilocalories par jour. l’adulte), la mise en réserve s’impose à l’is-
Depuis le début du siècle, la part des glu- sue de chaque repas, sous forme de glyco-
cides dans l’apport énergétique total des gène hépatique ou musculaire. Ce phénomè-
pays occidentaux a diminué au profit des ne est sous la double dépendance de
graisses. De même, la part de l’énergie l’hyperglycémie et de l’hyperinsulinisme
apportée par l’amidon a diminué au profit qu’elle induit, la glycémie étant rapidement
de celle du saccharose dont la consomma- ramenée à la normale par l’augmentation de
tion par personne et par an est passée en la captation cellulaire du glucose, induite
Italie par exemple de 10 à 30 kg, en par l’insuline. Son stockage sous cette
Hollande de 30 à 50 kg de 1950 à 1970. Un forme coûte à peu près 5 % de la densité
Occidental, un Américain du Nord, ingère énergétique de la masse de glucose ainsi
en moyenne de 50 à 60 kg de saccharose mise en réserve. Si la charge glucidique est
par an, soit de 140 à 170 g de saccharose importante, la capacité de stockage sous
par jour. forme de glycogène peut, elle-même, être
dépassée, le glucose étant alors converti (à
partir de l’acétyl CoA) en acides gras. Cette
transformation est très onéreuse puisque son
RÔLE DES SUCRES coût est estimé à ≈ 30 % de la densité éner-
gétique du glucose mis en réserve.
Le fructose peut tout particulièrement
induire une lipogenèse active et indépen-
➛ 80 à 90 % de l’énergie fournie par les dante de l’insuline, du fait des particularités
hydrates de carbone est absorbée sous de sa voie métabolique.
forme de glucose. Celui-ci peut être utilisé A distance des repas, seul le glycogène
par toutes les cellules de l’organisme hépatique est source de glucose. Ceci ne
comme source d’énergie (l’oxydation représente donc qu’une réserve très limitée
d’une molécule de glucose conduit à la for- (de l’ordre de 400 à 500 kcal) par rapport
mation de 38 molécules d’ATP). Le gluco- aux réserves lipidiques (≈ 150 000 kcal). De
se est la seule source d’énergie pour les cel- fait, la production de glucose par glycogé-

45
J. Schmitz, J.-L. Bresson

nolyse ne peut couvrir qu’une période de L’amylose formé de molécules de gluco-


quelques heures de jeûne. La principale se liées de façon linéaire par des liaisons
source de glucose est alors la néoglucoge- alpha-1-4, que l’on retrouve de façon prédo-
nèse à partir des acides aminés. Après un minante dans le riz et le maïs et dont le
jeûne nocturne, la vitesse de production poids moléculaire varie de 4 à 400 000 D ;
endogène du glucose (foie et rein) est de L’amylopectine formée de l’enchaîne-
l’ordre de 2 mg/kg min. chez l’adulte. ment de molécules de glucose liées en
L’oxydation du glucose représente alors à alpha-1-4 avec des branchements en alpha-
peu près 45 % de la dépense énergétique. 1-6. L’amylopectine est la forme prédomi-
Le glucose non oxydé subit une glycolyse nante de l’amidon dans le blé et la pomme
(GR par exemple) et le pyruvate produit de terre ; les molécules sont de plus haut
peut être recyclé par le foie sous forme de poids moléculaire que celle de l’amylose,
glucose. pouvant dépasser 106 D. Les deux espèces
Les glucides participent aussi : moléculaires coexistent toujours, en propor-
tion variable selon l’espèce végétale et aussi
➛ à la synthèse de certaines molécules : selon la maturité de la plante.
ARN et ADN : le ribose et le désoxyri-
bose provenant, par la voie des pentoses, du
G6P, Digestion
Cérébrosides,
Glycoprotéines des membranes cellu- Les molécules d’amidon sont digérées par
laires, du collagène, de la matrice extracel- les amylases salivaire et (surtout) pancréa-
lulaire ; tique, endo-amylases de structure très voisi-
ne, qui donnent naissance à des polymères
➛ à l’épuration de produits toxiques
de glucose linéaires ou ramifiés (dextrine-
pour l’organisme : Glycuroconjugués dans
limites) selon que ces enzymes ont agi sur
la bile, radicaux NH3 sous forme d’acide
l’amylose ou l’amylopectine mais jamais
glutamique formé à partir d’acide cétogluta-
directement du glucose. L’activité de l’al-
rique, de radicaux H+ sous forme d’acide
lactique formé à partir d’acide pyruvique. pha-amylase pancréatique est nulle à la nais-
sance et demeure extrêmement faible durant
les premières semaines de la vie, ce qui limi-
te l’utilisation de l’amidon non prédigéré
chez le nourrisson qui, à 1 mois, n’est
LES AMIDONS capable que d’en utiliser 10 à 20 g par jour.
Les polymères linéaires et branchés de glu-
cose libérés par l’amylase pancréatique sont
Structure rapidement réduits à l’état de maltose ou de
malto-n-ose et d’isomaltose (2 molécules de
Les amidons sont des polymères de glu- glucose liées en alpha-1-6), di-ou oligosac-
cose de haut poids moléculaire, synthétisés charides que l’on ne trouve pas dans l’ali-
par les cellules végétales pour lesquelles ils mentation à l’état naturel. Ces oligosaccha-
représentent une forme de stockage de rides sont ensuite digérés par les oligo-
l’énergie sous une forme osmotiquement saccharidases de la bordure en brosse qui
peu active. Les amidons se trouvent dans libèrent du glucose (saccharase, isomaltase
les tubercules (pommes de terre), les et glucoamylase). L’entrée de ce dernier
graines de céréales (riz, blé, maïs), les légu- dans la cellule intestinale est couplée à celle
mineuses (lentilles, pois). On distingue du sodium grâce à un transporteur spéci-
deux types de molécules d’amidon : fique.

46
3. Substrats énergétiques – Les glucides

Absorption LE SACCHAROSE

L’amidon est considéré comme un sucre Structure


d’absorption lente par opposition aux sucres
d’absorption rapide comme le glucose ou le Le saccharose est un disaccharide de
saccharose. Cette notion est cependant rela- poids moléculaire 360 D, formé par la liai-
tive. La vitesse d’apparition et la hauteur du son d’une molécule de glucose et d’une
pic d’hyperglycémie provoquée par une molécule de fructose liés en alpha-1-2.
charge orale d’amidon dépendant en grande C’est un sucre non réducteur, ses deux
partie de la forme sous laquelle celui-ci est fonctions aldéhydiques étant liées. Il est
donné : plus ou moins purifié, lié aux fibres extrait de la canne à sucre ou de la bettera-
de la plante qui l’a produit (grains entiers, ve. Il était encore consommé comme un
écrasés, farine), s’il est cuit ou non, de la produit de luxe à la fin du XVIIIe siècle. Son
vidange gastrique. L’hyperglycémie provo- extraction n’a été véritablement industriali-
quée par une charge orale d’amidon purifié sée et sa consommation n’est réellement
est aussi précoce que celle que provoque devenue populaire qu’au tournant de ce
une charge orale de saccharose tant les acti- siècle. Il est digéré par la saccharase-iso-
vités de l’amylase pancréatique et des oli- maltase de la bordure en brosse des entéro-
gosaccharidases de la bordure en brosse cytes dont l’activité n’est jamais le facteur
sont élevées. Une charge orale en amidon limitant de son absorption.
donnée sous une forme habituelle (pain,
pâtes, pommes de terre…) entraîne toutefois
une hyperglycémie plus étalée et retardée Le goût sucré
par rapport à une charge orale équivalente
en saccharose et l’on admet que la digestion La caractéristique principale du saccharo-
complète de l’amidon se termine dans se est son goût sucré, plaisant, qui peut
l’iléon où, de fait, l’activité de la glycoamy- conduire à une consommation excessive. Le
lase est la plus élevée. L’environnement pouvoir sucrant du saccharose (coté 1 arbi-
végétal de l’amidon peut retarder sa diges- tairement) est en effet nettement supérieur à
tion dans la lumière intestinale au point celui du lactose (0,2) ou à celui du glucose
qu’une partie notable de celui-ci arrive dans (0,7). Il n’est inférieur, parmi les sucres
le colon où il est alors fermenté par les bac- naturels, qu’à celui du fructose (1,1 à 1,6).
téries intestinales qui possèdent une amyla- Par comparaison, le pouvoir sucrant du
se. A partir de glucose libéré, les bactéries cyclamate est de 30 et celui de l’aspartam
produisent des acides volatils, du CO2 et de ou de la saccharine environ 300-350 (c’est
l’hydrogène dont on peut mesurer la dire qu’il faut 300 à 350 fois moins de ce
concentration dans l’air expiré (test à l’hy- produit pour provoquer la même sensation
drogène, voir plus loin). Ainsi, il a été mon- qu’une quantité de saccharose).
tré que l’amidon lié aux céréales était moins Le goût sucré est reconnu dès les premiers
bien absorbé, plus fermenté dans le colon, jours de la vie par le nourrisson chez lequel il
qu’une même quantité d’amidon préalable- stimule plus que le glucose, par exemple, la
ment extrait de celles-ci. tétée. Dissous dans une boisson, le saccharo-
se apporte ainsi des calories agréables et
sournoises car ingérées sans effort. Si le sac-
charose n’était présent, par exemple, que
dans les fruits, des quantités bien moindres en
seraient ingérées : 140 g de saccharose repré-
sentent en effet plus de 1,5 kg de pommes.

47
J. Schmitz, J.-L. Bresson

Le plaisir lié à l’ingestion de saccharose lier) qui, aux dépens de ce sucre, forme
a été bien étudié chez le rat qui, seul, dans d’une part, des polysaccharides insolubles
une cage, mange plus de saccharose que de contribuant à la formation de la plaque den-
dextrines, alors que la situation est inverse taire qui accole les bactéries à la dent et
lorsqu’il est en groupe. De même, après d’autre part des acides organiques forts qui
10 h de jeûne, un rat ingère 120 % de sa solubilisent les cristaux d’apatite de l’émail,
ration habituelle si le régime qu’on lui offre et permettent la pénétration du sucre et des
contient des hydrates de carbone sans bactéries dans l’orifice ainsi produit. Le
saveur (polymères de glucose), 140 % de sa risque de carie est proportionnel au temps
ration si celle-ci contient du saccharose de contact du saccharose dans la cavité buc-
mais 200 % de sa ration si elle ne contient cale et à son degré de solubilisation. Il est
que du saccharose. donc d’autant plus grand que les aliments
sont plus liquides et séjournent plus long-
temps dans la bouche (nougat, chewing-
Conséquences nutritionnelles de gum, boissons sucrées, en particulier avant
l’ingestion de saccharose le sommeil). L’utilisation d’une paille, par
exemple, diminue le risque de carie. Fléau
Le caractère agréable de l’ingestion de social (en 1970, 10 % des frais de l’assuran-
saccharose a au moins 2 conséquences ce maladie étaient liées à des soins den-
néfastes. taires ; 95 % des enfants français sont por-
teurs de caries), les caries dentaires doivent
➛ Anomalies du métabolisme lipi- être prévenues. Le brossage enlève la
dique : augmentation de la synthèse endo- plaque polysaccharidique. L’ajout de fluor
gène, par le foie, de triglycérides, bien mise dans l’eau de boisson est l’autre moyen de
en évidence chez l’adulte sain ; ainsi, après diminuer la fréquence des caries. En effet,
6 semaines d’un régime apportant 30 % des le fluor favorise la formation des cristaux
calories sous forme d’amidon ou de saccha- d’apatite, réduit la solubilité de l’émail,
rose, le taux des lipides totaux, des triglycé- inhibe certaines des activités enzymatiques
rides et des VLDL est-il significativement bactériennes conduisant à la formation des
plus élevé chez ceux ayant ingéré du sac- acides. Compte tenu du risque de fluorose
charose que chez les sujets ayant ingérés qu’entraîne une concentration de fluor trop
une quantité analogue d’amidon (+ 30 % élevée dans l’eau de boisson (supérieure à
pour les triglycérides). Cet effet, maximum 8 mg/l) on admet que la protection contre la
après la quatrième semaine du régime, carie est obtenue pour une concentration
apparaît dès la deuxième semaine. Cet effet optimale de 1 mg de fluor par litre d’eau de
est associé à une diminution d’une sensibili- boisson (1 part par million = 1 ppm).
té à l’insuline que l’on retrouve dans les Lorsque l’eau municipale n’est pas fluorée,
états prédiabétiques. il est conseillé de supplémenter l’alimenta-
Au-delà de cet effet métabolique, condui- tion en fluor à la dose de 0,25 mg/jour jus-
sant à une hyperlipoprotéinémie de type IV, qu’à 6 mois, 0,5 mg/jour jusqu’à 1 an, 0,75
l’ingestion d’énergie en quantités supé- mg/jour jusqu’à 2 ans, 1 mg/jour au-delà.
rieures au besoin conduit à l’obésité.

➛ Les caries dentaires sont la deuxième


conséquence néfaste de l’ingestion exagérée
ou trop fréquente de saccharose. Celui-ci
est en effet un substrat d’élection de la flore
microbienne buccale (Lactobacillus acido-
gène ou Streptococcus mutans, en particu-

48
3. Substrats énergétiques – Les glucides

LE LACTOSE colon où il est fermenté par des bactéries


anaérobies strictes (bifidobactéries). La libé-
ration dans la lumière intestinale d’acides
Structure volatils courts et surtout d’acide lactique,
permet l’installation d’un pH acide voisin
Le lactose est un dissacharide de poids de 5 dont on admet qu’il protège l’enfant de
moléculaire 342d, formé d’une molécule de la colonisation par des entérobactéries qui
galactose liée en beta-1-4 à une molécule de pourraient être pathogènes. Pour une raison
glucose. C’est un sucre réducteur, plus que l’on s’explique mal, l’ingestion de
soluble dans l’eau froide. Il n’est retrouvé quantités analogues de lactose dans des laits
que dans le lait des mammifères et constitue industriels n’entraînent pas l’établissement
donc le seul sucre qu’ingère le nourrisson d’un pH aussi acide, protecteur.
chez lequel il apporte environ 40 % de Chez l’adulte la part de l’énergie appor-
l’énergie. Il est synthétisé dans la glande tée par le lactose est très variable : de nulle
mammaire par la lactose synthétase dont à 10-15 % de l’énergie fournie par les
l’alpha-lactalbumine du lait est un cofac- hydrates de carbone, selon les habitudes ali-
teur. Le lait de femme en contient 55 à mentaires et la tolérance au lactose, dépen-
60 g/l alors que le lait de vache n’en dante en grande partie de l’évolution de
contient que 45 g/l. Au sein des espèces de l’activité lactasique en fonction de l’âge. En
mammifères, il existe une relation inverse Amérique du nord, dans l’Europe du nord,
entre la teneur des laits en lactose et en 80 à 90 % de la population adulte a une
chlorure de sodium, l’osmolarité des laits activité lactasique élevée, ne mettant pas de
étant constante dans les diverses espèces. limite à la consommation de lait ou de laita-
ge. En France, il semblerait que la tolérance
au lactose soit plus élevée au nord qu’au
Digestion sud de la Loire.
L’intolérance au lactose se manifeste cli-
Le lactose est digéré par la lactase de la niquement par des douleurs abdominales,
bordure en brosse des entérocytes qui est le un ballonnement, une diarrhée volontiers
facteur limitant de l’absorption du lactose. acide, qui témoignent de la fermentation
L’activité lactasique, maximum à la naissan- colique du lactose non absorbé. L’intensité
ce, chute au sevrage chez tous les mammi- des troubles dépend, bien entendu, de la
fères chez lesquels une activité résiduelle de quantité de lactose ingérée et de la forme
10 % de l’activité à la naissance persiste à sous laquelle il l’est, le lactose donné pur
l’âge adulte. Il en est ainsi dans la plus étant moins bien toléré que dans le lait dont
grande partie de l‘espèce humaine, sauf les lipides ralentissent l’évacuation gas-
chez les Caucasiens et les descendants de trique. La malabsorption du lactose peut
tribus pastorales chez lesquels l’activité lac- être appréciée par une courbe d’hyperglycé-
tasique persiste à l’âge adulte. On admet mie au lactose, la mise en évidence du pH
que la mutation ayant conduit à la persistan- acide des selles après une charge orale et
ce de l’activité lactasique à l’âge adulte surtout par la mesure de la concentration
s’est produite il y a 10 000 ans environ et d’hydrogène dans l’air expiré après l’in-
qu’elle a dû constituer un avantage sélectif gestion d’une quantité donnée de lactose
important pour s’être répandue aussi rapide- (habituellement 50 g chez l’adulte). Le lac-
ment. tose non hydrolysé est fermenté dans le
En dépit du fait que l’activité lactasique colon où les bactéries fabriquent de l’hydro-
est la plus élevée dans les premières gène qui diffuse à travers la paroi colique,
semaines de la vie, une partie du lactose puis dans la circulation et l’air alvéolaire.
ingéré par le nourrisson au sein atteint le L’hydrogène présent dans l’air expiré ne

49
J. Schmitz, J.-L. Bresson

pouvant provenir que du métabolisme bac- rieures de lait. Cependant, leur goût est
térien, témoigne de la fermentation. La moins bon, ils pourraient s’accompagner
concentration d’hydrogène, mesurée par d’une diminution de l’absorption du cal-
chromatographie en phase gazeuse (appa- cium que le lactose favorise et leur osmola-
reils portables), est habituellement inférieu- rité est de plus de 100 mosmol supérieure à
re à 20 ppm. On admet que l’augmentation celle d’un lait normal, ce qui est un incon-
de la concentration au-dessus de ce seuil, vénient chez un sujet, et en particulier un
dans l’heure qui suit l’ingestion du lactose, nourrisson, ayant la diarrhée. D’autre part,
témoigne de « l’intolérance ». Le test est on a redouté que l’ingestion de quantités
simple, mais il dépend d’une flore colique notables de galactose, tel quel, entraîne des
normale (pas d’antibiotique donné dans les cataractes du fait de l’accumulation du
jours qui précèdent) et n’est que semi-quan- galactitol dans le cristallin comme cela a été
titatif. Il a cependant l’avantage de n’être démontré chez le rat. Ce risque néanmoins
pas invasif. ne semble pas réel chez l’homme. Chez
l’enfant malnutri, il semble qu’un lait conte-
nant du lactose hydrolysé permette une
Lactose hydrolysé et laits fermentés reprise de poids, au décours d’un épisode
(yaourts) diarrhéique, plus rapide qu’un lait habituel.
Peu d’études comparatives cepen-
Une proportion importante de la popula- dant ont été menées sur ce sujet et jusqu’à
tion adulte mondiale et notamment les pays présent, l’utilisation de laits contenant
en voie de développement, est intolérante du lactose hydrolysé ne s’est guère répan-
au lactose. D’autre part, l’activité lactasique due, compte tenu, en particulier de leurs
est la première et la plus longtemps dimi- coûts.
nuée en cas de lésions infectieuses intesti- De nombreuses études par contre, ont
nales telles que celles que favorise la mal- montré qu’à quantités égales de laitages
nutrition chronique. Dans de telles situa- ingérés, le yaourt était beaucoup mieux
tions, qui touchent souvent les mêmes toléré que le lait par le sujet intolérant au
populations, la question a été posée de lactose, la fermentation induite par la flore
savoir s’il était justifié de tenter une réali- des yaourts (Lactobacillus bulgaricus, Strep-
mentation ou de fournir des suppléments tococcus thermophilus) diminuant d’environ
alimentaires avec des produits comme le 30 % la teneur en lactose du lait. Il est plus
lait, contenant du lactose. Des laits au lacto- remarquable cependant qu’à quantité de lac-
se préalablement hydrolysé, soit au moment tose ingérée équivalente, le lactose du
de la fabrication, soit juste avant sa yaourt soit aussi mieux toléré que celui du
consommation par l’ajout d’une enzyme lait (tolérance appréciée par le test à l’hy-
bactérienne, ont été mis au point par les drogène). Cette meilleure tolérance serait
industriels. Ils se sont avérés efficaces chez due au moins en partie à la persistance de
les sujets dont l’activité lactasique est l’activité lactasique bactérienne ou à la sur-
basse : à quantité d’hydrate de carbone vie de l’espèce bactérienne elle-même dans
égale, ils entraînent moins de symptômes, le tube digestif au cours du transit, ce qui
ne s’accompagnent pas d’une augmentation expliquerait que le chauffage du yaourt
de la concentration d’hydrogène expiré et fasse disparaître son avantage.
permettent une ingestion de quantités supé-

50
3. Substrats énergétiques – Les glucides

B ibliographie

(1) - « Les aliments dans le tube digestif ». Bernier J.J., Adrian J., Vidon V. eds, Doin, Paris, 1988.
(2) - Bierman E.L. Carbohydrates, sucrose and human diseases. Am J Clin Nutr 1979; 32: 2712-22.
(3) - Shafrir E. Effect of sucrose and fructose on carbohydrate and lipid metabolism and the resulting
consequences. In : « Regulation of carbohydrate metabolism », vol. II, Beitner R. ed CRC Press,
Boca Raton (Florida), 1984, pp. 95-140.
(4) - Shaw J.H. Diet and dental health. Am J Clin Nutr 1985; 41: 1117-31.

51
II. Les lipides
C. Couet
3. Substrats énergétiques – Les glucides

es graisses sont des produits SOURCES ET STRUCTURE


L complexes dont les différents
constituants jouent de façon
directe ou indirecte, immédia-
te ou retardée, un rôle énergétique, structu- Les graisses alimentaires sont d’origine
ral et fonctionnel (figure 1). L’alimentation végétale et animale. Parmi les graisses d’ori-
est à la fois exclusive des acides gras dits gine végétale on distingue les huiles
essentiels (acide linoléique et α-linolénique) « fluides », liquides à température de 15° C
et la source quasi exclusive des acides gras (arachide, olive, tournesol, colza, soja, maïs,
non essentiels tant les capacités de synthèse pépins de raisin,…) et les huiles
endogène sont quantitativement mineures. « concrètes », solides à la température de

LIPIDES ALIMENTAIRES

Triglycérides (100-150 g/j)


STOCKAGE Phospholipides (2-10 g/j)
Cholestérol (0,2-0,8 g/j)

LIPIDES CELLULAIRES

Acides gras Acides gras


Acides gras Phospholipides Phospholipides
O2 Cholestérol

ÉNERGIE STRUCTURE FONCTIONS

CO2’ H2O Membranes Eicosanoïdes


cellulaires Transmission des signaux
Fluidité Expression des gènes

Figure 1
Principales voies d’utilisation des graisses alimentaires

55
J. Schmitz, J.-L. Bresson

15° C (palme, coprah). Les graisses ani- ne suivi du signe « : ». Ainsi, un AG dénom-
males sont soit d’origine laitière (lait, crème, mé 18: … indique que le squelette carboné de
beurre, fromages)… soit apportées (viandes cet AG est constitué de 18 atomes de carbone.
et poissons consommés) ou extraites des ani-
maux terrestres (saindoux de porc, suif de ➛ Leur degré d’insaturation. L’insatura-
bœuf, suif de mouton, graisse d’oie et de tion est définie par le nombre de doubles
canard) ou marins (huiles de hareng, sardine, liaisons situées sur la chaîne carbonée. Dans
saumon…). La teneur lipidique des princi- la dénomination commune le nombre de
paux aliments est incluse dans les tableaux doubles liaisons est indiqué par le chiffre qui
présentés en annexe. suit le nombre d’atomes de carbone. L’ab-
sence de double liaison caractérise les AG
saturés (par exemple 18:0). Une double liai-
Les triglycérides son définie les AG monoinsaturés (par
exemple 18:1). Les AG ayant 2 ou plus de 2
doubles liaisons sont polyinsaturés (par
95 à 98 % des graisses alimentaires sont exemple 18:2, 18:3). La présence de doubles
ingérées sous la forme de triglycérides liaisons sur la chaîne carbonée rend l’AG
(TG). L’alimentation contemporaine apporte sensible aux phénomènes de peroxydation
100 à 150 g de TG par jour. Les TG sont particulièrement sous l’effet de l’oxygène de
composés d’une molécule de glycérol dont l’air et des UV. Il est nécessaire de les
les 3 fonctions alcool sont estérifiées par 3 conserver à l’abri de la lumière. Tout AG
acides gras semblables ou différents. Les soumis à une cuisson à température très éle-
acides gras (AG) qui entrent dans la compo- vée peut se cycliser et/ou se polymériser
sition des TG (et de certains lipides plus mais les AG polyinsaturés sont particulière-
complexes) sont caractérisés par : ment sensibles à ce phénomène. Les graisses
très riches en AG polyinsaturés ne sont pas
➛ Leur longueur de chaîne. Elle est définie des graisses de friture surtout lorsque celle-
par le nombre d’atomes de carbone. Ce ci se déroule en bac et de façon répétée. Tou-
nombre varie généralement entre 4 et 24. tefois, les huiles riches en acide linolénique
Dans la nature, il est quasiment toujours pair. peuvent être utilisées pour les fritures « à
Les AG sont à chaîne courte lorsque le plat » (poêle) car la température ne dépasse
nombre d’atomes de carbone est ≤ 6, à chaîne pas 250° C et à la condition de ne pas utili-
moyenne lorsque le nombre d’atomes de car- ser la même huile pour des fritures répétées.
bone est > 6 et < 14 et à chaîne longue lorsque
le nombre d’atomes de carbone est ≥ 14. La ➛ La place de la première double liaison
numérotation des atomes de carbone se fait à par rapport à l’extrémité méthyle de la
partir de l’extrémité carboxyle de la chaîne chaîne carbonée. Cette place définit la
carbonée (figure 2). Par convention, chaque famille à laquelle appartient un AG qu’il soit
acide gras peut être dénommé par une succes- mono ou polyinsaturé. La famille est identi-
sion de chiffres et de signes. Le premier fiée par la lettre v ou le sigle n- suivi d’un
chiffre indique le nombre d’atomes de carbo- chiffre. Ce chiffre indique la place de la pre-

CH3-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-COOH
16 15 14 13 12 11 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1

Figure 2
Acide gras saturé en 16 carbones (acide palmitique).
Les chiffres indiquent le numéro des atomes de carbone dans la chaîne

56
3. Substrats énergétiques – Les glucides

mière double liaison par rapport à l’extrémi- famille n-3. Les besoins sont estimés entre
té méthyle de la chaîne carbonée. Ainsi un 1 et 3 % de l’apport énergétique pour l’acide
AG de la famille v7 ou n-7 aura une double linoléique et entre 0,2 et 1 % pour l’acide
liaison entre les carbones 7 et 8. S’il est a-linolénique. Compte tenu des compétitions
polyinsaturé, il pourra également présenter de substrats dans les voies de désaturation et
d’autres doubles liaisons mais toujours entre d’élongation, il est important de respecter un
des carbones de rang supérieur et jamais de équilibre d’apport entre ces 2 précurseurs.
rang inférieur. Si, sous l’action d’une élon- Actuellement, un rapport 18:2 n-6/18:3 n-3
gase, la chaîne carbonée s’allonge de compris entre 5 et 10 est considéré comme
2 atomes de carbone, l’AG résultant appar- satisfaisant. 50 à 70 % des AG présents dans
tiendra à la même famille car l’allongement les huiles de soja, maïs, noix, tournesol et
de la chaîne se produit toujours à partir de pépins de raisin sont de l’acide linoléique.
l’extrémité carboxyde. Cette proportion est de 30 % dans l’huile
La désaturation d’un AG résulte de l’ac- d’arachide 20 % dans l’huile de colza et 10 %
tion d’une désaturase. Les désaturases sont dans l’huile d’olive. Les huiles de soja, colza
des enzymes du réticulum endoplasmique et noix contiennent également 10 à 15 %
retrouvées pratiquement dans tous les types d’acide a-linolénique. La figure 3 résume les
cellulaires. Elles ont une grande spécificité voies de biosynthèse des acides gras insatu-
de site (par exemple la D9-désaturase ne peut rés.
introduire une double liaison qu’entre les car- ➛ Leur degré d’isomérisation. L’isoméri-
bones 9 et 10 d’un AG) mais une faible spéci- sation ne concerne que les AG comportant
ficité de substrat ce qui implique une certaine au moins une double liaison. Il existe plu-
compétition de substrat. Certaines désatu- sieurs types d’isomérisation. L’isomérisation
rases sont communes aux animaux et aux géométrique est définie par la position des
végétaux (D9, D6, D5, D4-désaturase). chaînes carbonées par rapport aux doubles
D’autres sont spécifiques au monde végé- liaisons (figure 4). L’isomère est CIS
tal (D12 et D15 désaturases). Ces lorsque les 2 parties de la chaîne carbonée
2 désaturases sont à l’origine de 2 familles placées de part et d’autre de la double liai-
d’acides gras dont les précurseurs ne peuvent son sont, dans l’espace, situées du même
être synthétisés par l’homme. Ils sont dits côté d’un plan passant par la double liaison.
essentiels. Il s’agit de l’acide linoléique, Lorsque ces 2 parties sont placées de part et
dont sont issus tous les AG de la famille n-6 d’autre de ce plan, l’isomère est TRANS. A
et de l’acide a-linolénique précurseur de la l’état naturel, les AG d’origine végétale

Animaux, végétaux Animaux Famille


D9 D6 D5 D4
16:0 © 16:1 © 16:2 G 18:2 © 18:3 G 20:3 © 20:4 n-7

18:0 © 18:1 © 18:2 G 20:2 © 20:3 n-9


©

D12
Végétaux 18:2 © 18:3 G 20:3 © 20:4 G 22:4 © 22:5 n-6
D15
©

18:3 © 18:4 G 20:4 © 20:5 G 22:5 © 22:6 n-3

Figure 3
Biosynthèse des acides gras polyinsaturés d’après P. Lemarchal. © : désaturation. Dx : posi-
tion de la double liaison introduite sur la chaîne carbonée. G : élongation

57
J. Schmitz, J.-L. Bresson

CH3 COOH CH3


CH2 CH2 CH2
CH2 CH2 CH2
CH2 CH2 CH2
CH2 CH2 CH2
CH2 CH2 CH2
CH2 CH2 CH2
CH2 CH2 CH2

CH = CH CH = CH

CH2
CIS Acide oléique (18:1 n-9) TRANS CH2
CH2
CH2
CH2
CH2
CH2
COOH

Figure 4
Exemple d’isomérisation géométrique

sont tous CIS. La présence d’isomères lipides membranaires est un facteur favori-
TRANS dans les graisses alimentaires sant la rigidité membranaire. De plus, les
d’origine végétale résulte du processus formes TRANS d’AG polyinsaturés sont de
d’hydrogénation catalytique mis en œuvre « faux amis » sur le plan métabolique. Ils
dans la fabrication de margarines ou de réduisent les activités de désaturation et
pâtes à tartiner à partir d’huiles végétales d’élongation. Ainsi une chute du taux d’aci-
liquides et riches en AG polyinsaturés. Ce de arachidonique (20:4 n-6) et une dépres-
type d’hydrogénation fait apparaître 10 à sion de la delta 6 et de la delta 9 désatu-
30 % d’isomères TRANS. A l’inverse, les rases ont été observées dans le cerveau de
graisses présentes dans les produits laitiers rat nourri avec une alimentation riche en
et, d’une manière générale, les graisses des forme TRANS d’acide linoléique. De
ruminants, contiennent naturellement 2 à même, la synthèse des prostaglandines peut
5 % de forme TRANS d’acides gras. Ces être réduite ou déséquilibrée entre les diffé-
formes TRANS résultent de la biohydrogé- rentes séries. Ces effets peuvent contribuer
nation des AG insaturés dans la panse des à précipiter ou à aggraver les déficits en
ruminants. Ces isomères TRANS sont acides gras essentiels in vivo chez l’homme.
absorbés, transportés, oxydés, stockés dans La consommation d’isomères TRANS
les lipides de réserve, incorporés dans les d’acides gras est un paramètre nutritionnel
membranes cellulaires et exportés dans le qui mérite une attention particulière. Cette
lait. Toutefois l’isomérisation TRANS consommation est en progression. Plusieurs
donne à l’acide gras insaturé un comporte- études menées en Grande-Bretagne, en
ment physique d’acide gras saturé. Dès lors, Allemagne et aux États-Unis montrent que
la substitution d’AG insaturé CIS par le 3,8 à 9,2 % des acides gras du tissu adipeux
même AG dans sa forme TRANS dans les blanc sont des acides gras TRANS. Le

58
3. Substrats énergétiques – Les glucides

second type d’isomérisation est une isomé- A l’étape post-entérocytaire, les AG des
risation positionnelle. Dans ce cas, c’est la TG seront plutôt orientés vers le muscle et le
position de la double liaison qui change sur tissu adipeux blanc et ceux des phospholi-
la chaîne carbonée. Les conséquences nutri- pides vers le foie. Ceci est du aux effets
tionnelles de ces isomères ne sont pas hydrolytiques préférentiels des différentes
connues. lipases endothéliales (la lipoprotéine lipase
du tissu adipeux et du muscle et la lipase
➛ Leur répartition sur les 3 fonctions hépatique) sur les AG des TG contenus dans
alcool du glycérol. La répartition des AG sur les lipoprotéines, ainsi qu’à l’existence de
la molécule de glycérol entre la position cen- transfert de phospholipides entre les diffé-
trale (dite sn 2) et les positions externes (dites rentes lipoprotéines circulantes et à l’action
sn 1 et sn 3) ne répond pas à la loi du hasard. de la LCAT. A titre d’exemple, Nilsson et
Cette répartition détermine la structure des coll. (1988) ont suivi, chez le rat, l’incorpo-
TG et influence le devenir des AG à l’étape ration dans le foie et le tissu adipeux du
digestive, entérocytaire et post-entérocytaire. [14C] 18:2n-6 et du [3H] 20:4n-6 transportés
A la phase digestive et en raison de la par les chylomicrons. Dans ces lipopro-
sélectivité positionnelle des lipases pour les téines, les triacyglycérols étaient enrichis en
liaisons esters (sn-3 pour les lipases linguale [14C] 18:2n-6 et les phospholipides en [3H]
et gastrique, sn-1 et sn-3 pour la lipase pan- 20:4n-6. La capture du [3H] 20:4n-6 par le
créatique ; la lipase du lait n’a pas de sélecti- foie excédait celle du [14C] 18:2n-6. A l’in-
vité), la structure des TG détermine la forme verse, le [14C] 18:2n-6 était plus incorporé
moléculaire des acides gras dans la lumière dans le tissu adipeux que le [3H] 20:4n-6.
intestinale : acides gras libres lorsqu’ils esté- Ainsi, un AG aura une destinée plutôt péri-
rifient les positions externes des TG, 2- phérique ou plutôt hépatique selon la posi-
monoglycéride lorsqu’ils estérifient la posi- tion qu’il occupe initialement dans le TG
tion centrale. Selon le type d’acide gras ingéré. De plus, la structure des TG des
considéré, la forme moléculaire sous laquel- chylo-microns dépend de la structure des
le il se trouve dans la lumière intestinale TG. Cette particularité peut également
change sa disponibilité. Ainsi, la forme libre contribuer à modifier l’effet métabolique des
représente un handicap relativement à la acides gras au niveau post-entérocytaire
forme 2-monoglycéride pour l’absorption ainsi que leur distribution tissulaire. Certains
des acides gras saturés à 16 et 18 carbones. acides gras exercent un effet dépresseur sur
Ces acides gras sous forme libre forment la clairance hépatique des remnants de chy-
avec les cations divalents (Ca2+ et Mg2+) des lomicrons lorsqu’ils sont placés en position
savons insolubles non absorbables. Les sn-2 dans les TG transportés. Les acides gras
meilleurs coefficients d’absorption des saturés (du 12:0 au 18:0) et l’acide arachido-
graisses du lait maternel peuvent être expli- nique (20:4 n-6) montrent l’effet dépresseur
qués au moins en partie par l’estérification le plus marqué. Pour certains auteurs, l’aug-
préférentielle de la position sn-2 par l’acide mentation de la concentration plasmatique
palmitique (16:0) dans les TG du lait. des remnants qui en résulte favoriserait leur
A l’étape entérocytaire, la forme molécu- capture préférentielle par les tissus périphé-
laire sous laquelle est capté un même acide riques au détriment du foie.
gras par l’entérocyte conditionne sa réparti-
tion entre la resynthèse des TG et la synthè-
se des phospholipides. Les 2-monoglycé- LES CONSTITUANTS MINEURS
rides se retrouvent dans la fraction TG des
chylomicrons. Les AG libres captés sont soit
réestérifiés pour former les TG, soit utilisés A côté des TG, les graisses alimentaires
pour la synthèse des phospholipides. contiennent d’autres constituants. Ces

59
J. Schmitz, J.-L. Bresson

constituants représentent 2à 5 % des graisses phytostérols tels que le b-sitostérol présent


alimentaires. Il s’agit : dans toutes les huiles, le D7-stigmastérol
trouvé en quantité significative dans l’huile
➛ des phospholipides. Les phospholipides de tournesol, le brassicastérol des huiles de
sont des esters du glycérol dont les positions crucifères (colza, moutarde), etc.
sn-1 et sn-2 sont estérifiées par des AG et la
fonction alcool en sn-3 est naturellement ➛ des tocophérols. Les tocophérols sont au
estérifiée par un acide phosphorique lui- nombre de 4 (a, b, g et d-tocophérols). Ils
même associé à un sucre (inositol) ou une jouent le rôle d’antioxydants naturels ce qui
amine (choline, éthanolamine, sérine) (figu- explique pourquoi les huiles végétales résis-
re 5). En raison de leur polarité (hydrophilie tent bien au phénomène de rancissement.
liée à la fonction aminée et hydrophobie liée Parmi les tocophérols, l’a-tocophérol ou
aux AG), les phospholipides jouent un rôle vitamine E est doté de l’effet antioxydant le
majeur de constituant des interfaces mem- plus puissant. Les huiles végétales en
branaires, de transporteur d’AG et d’émulsi- contiennent de 30 à 100 mg pour 100 g.
fiant. Ces propriétés émulsifiantes sont lar- Seules les huiles de coprah et de palmiste
gement utilisées en technologie alimentaire. sont pauvres en tocophérols. L’a-tocophérol
L’alimentation actuelle de nos pays indus- est la vitamine E vendue sous la forme esté-
trialisés apporte quotidiennement 2 à 10 g de rifiée (acétate de tocophérol) ce qui lui fait
phospholipides. perdre sa fonction antioxydante.

H C OOR1 RÔLES BIOLOGIQUES


H C OOR2 DES LIPIDES
O
Rôle énergétique
H C O P OCH2CH2N+(CH3)
Le compartiment de réserve énergétique
H O Choline est essentiellement constitué par les TG du
tissu adipeux blanc. Chez l’adulte sain et de
Figure 5 poids normal, ce tissu représente 12 à 25 %
Structure générale des phospholipides du poids corporel dont 75 % sont des TG. Au
total, 80 à 130 000 kcal sont ainsi mises en
➛ des stérols. Les stérols sont des molé- réserve. Pour l’essentiel, les AG du tissu adi-
cules complexes comportant une fonction peux blanc sont d’origine alimentaire. Dans
alcool. Ils se trouvent à l’état libre ou estéri- les conditions habituelles d’alimentation, la
fié. D’origine animale, le cholestérol est néolipogènese ne contribue pas à la mise en
apporté par une alimentation carnée réserve d’énergie. C'est pourquoi le profil
(viandes, produits laitiers, œufs. 200 à des AG du tissu adipeux blanc est un reflet
800 mg sont ainsi ingérés dans nos types de des AG ingérés. A cet égard, l’analyse de la
société. Le cholestérol est également synthé- composition en AG du tissu adipeux est un
tisé de façon endogène. Le cholestérol est le marqueur biochimique qualitatif des graisses
précurseur des hormones surrénaliennes et alimentaires et représente un complément
sexuelles. C’est aussi un constituant indis- utile à l’étude des ingesta lipidiques de
pensable des membranes cellulaires. Les l’homme. Ce marqueur est fiable mais peu
graisses d’origine végétale contiennent des véloce. En effet le renouvellement des AG

60
3. Substrats énergétiques – Les glucides

dans le tissu adipeux est lent. Chez l’adulte à A synthase. Cette enzyme est présente dans
poids stable, le temps de renouvellement est la membrane des peroxysomes hépatiques
≥ 600 jours. Toutefois, la vitesse de modifi- (fourniture de l’énergie pour la formation de
cation de la composition en AG des TG de peroxydes), dans le réticulum endoplas-
réserve en réponse à un changement qualita- mique (formation d’acyl-CoA pour le stoc-
tif des graisses alimentaires varie en fonction kage des AG) et dans la membrane externe
des circonstances tant physiologiques que des mitochondries (fourniture de l’énergie
pathologiques et des AG considérés. Ainsi, via la b-oxydation). Le passage de l’acyl-
une modification qualitative de la ration lipi- CoA de la membrane externe (imperméable
dique alimentaire sera d’autant plus rapide- au CoA et à tous ses dérivés) à la membrane
ment observée dans les TG de réserve qu’elle interne de la mitochondrie où a lieu l'oxyda-
surviendra chez un sujet dont la masse grasse tion des AG nécessite le transfert du groupe-
augmente rapidement (grossesse, phase ment acyl du CoA sur la carnitine puis, au
dynamique de l’obésité par exemple). Les niveau de la matrice interne, le transfert du
AG essentiels et leurs dérivés à longue chaî- groupement acyl de la carnitine sur le CoA.
ne sont rapidement incorporés dans les Deux carnitine-palmityl transférases, l’une
graisses de réserve et un changement des externe et l’autre interne contrôlent ce cycle.
apports alimentaires modifie la composition Un déficit génétique touchant la synthèse ou
en acides gras des TG de réserve dans des le transport de la carnitine ou l’une et/ou
délais très brefs (quelques semaines) tant l’autre de ces transférases conduira à une
chez l’humain que chez le lapin. réduction voire à une absence totale d’utili-
Ces réserves énergétiques sont sollicitées sation oxydative des AG avec des troubles
en période interprandiale et, a fortiori, en cliniques précoces, de gravité variable et sur-
situation de carence énergétique prolongée. venant soit à l’effort soit au repos. Les AG
On a longtemps considéré que l’hydrolyse comportant de 4 à 10 atomes sont suffisam-
des TG de réserve et la libération des AG ment solubles dans l’eau et diffusent rapide-
destinés à la fourniture énergétique étaient ment à travers les membranes y compris la
des phénomènes purement quantitatifs sans membrane interne des mitochondries. Ces
retentissement sur la composition en AG des AG sont donc particulièrement utiles en pré-
TG de réserve. Des travaux récents ont mon- sence d’un défaut de passage transmembra-
tré que la perte de masse grasse obtenue chez naire des AG à chaîne longue. Au niveau de
l’obèse par une alimentation hypocalorique la membrane interne, les AG à 4-10 car-
s’accompagnait d’une baisse tout à fait isolée bones doivent être transformés en acyl-CoA
et significative du taux de 18:3 n-3 dans le avant d’être oxydés. L’enzyme concernée est
tissu adipeux blanc. La signification physio- la butyryl-CoA synthase mitochondriale.
logique de cette observation n’est pas L’acyl-CoA ainsi parvenu jusqu’à la
connue. matrice mitochondriale peut entrer dans la
Les AG sont des substrats énergétiques voie d'oxydation. Il s’agit d’un processus
particulièrement pour les muscles squelet- répétitif (hélice de Lynen) conduisant à un
tiques, le muscle cardiaque et le foie. La pre- raccourcissement progressif de la chaîne car-
mière étape de leur oxydation est semblable bonée par unité de 2 carbones. Chaque étape
quelle que soit le devenir de l’AG considéré. produit 5 molécules d’ATP et 1 acétyl-CoA.
Il s’agit de la formation d’un complexe AG S’il entre dans le cycle de Krebs, cet acétyl-
Coenzyme A ou acyl-CoA permettant la CoA fournira 12 molécules riches en énergie
solubilisation en phase aqueuse de l’AG. (11 ATP et 1 GTP). Il est donc aisé de calcu-
Cette première étape nécessite toujours l’hy- ler pour chaque AG le nombre d’ATP four-
drolyse de 2 ATP quelle que soit la longueur nis, pour peu que l’on connaisse la longueur
de la chaîne carbonée. Pour les AG à 12 car- de sa chaîne carbonée. Ainsi, un AG à 16
bones et plus, l’enzyme est l’acyl-Coenzyme carbones devra effectuer 7 tours d’hélice

61
J. Schmitz, J.-L. Bresson

pour donner 8 moles d’acétyl-CoA. Le le milieu extra-cellulaire, elle-même dépen-


nombre de liaisons riches en énergie obte- dante des apports alimentaires en lipides.
nues par oxydation complète de cet AG est Ainsi, la fonction structuro-modulatrice des
donc de (7 x 5) + (8 x 12) = 131. Le bilan lipides membranaires peut être modulée par
net est de 129 ATP/GTP (2 ATP utilisés pour les apports alimentaires en graisses.
la formation de l’acyl-CoA initial). La valeur Cette fonction prend un relief particulier
énergétique utile, ou enthalpie molaire ou au niveau des tissus dermo-épidermique et
chaleur de combustion des graisses conte- cérébral. L’acide linoléique est nécessaire à
nues dans une alimentation de type omnivo- l’étanchéité de la barrière épidermique. A
re, est de l’ordre de 9,4 kcal/g. Pour ce ce niveau, les lipides complexes forment des
même type d’alimentation, le rapport entre lamelles dans les cellules de la couche gra-
le CO 2 produit et l’O 2 consommé lors de nuleuse. Ces structures lamellaires consti-
l’oxydation des graisses, c’est-à-dire le quo- tuent la principale barrière s’opposant à l’ex-
tient respiratoire, est de 0,71. Contraire- trusion de l’eau. Une carence d’apport en
ment aux glucides, l’oxydation des acide linoléique (AG essentiel) s’accom-
graisses ne s’élève pas en réponse aux pagne de troubles cutanés (parakératose) et
apports alimentaires. Les graisses en excès d’une perte hydrique très importante. Seul
du besoin d'énergie seront mises en réserve l’apport de cet AG permet la correction des
avec un rendement élevé puisque le stockage troubles.
des graisses ne nécessite que 2-3 % de leur Le cerveau est le tissu dans lequel les
valeur énergétique. L’exercice physique pro- principaux AGPI-LC des familles n-3 et n-6,
longé et l’élévation des taux circulants d’AG respectivement l’acide docosahexaénoïque
(obésité, insulinorésistance, insulinopénie) ou DHA (22:6n-3) et l’acide arachidonique
sont en mesure d’accroître l’oxydation lipi- ou AA (20:4n-6), sont les plus représentés
dique in vivo. puisque leur proportion dans les phospholi-
pides cellulaires peut atteindre 60 % des
acides gras totaux. Le DHA est également
Rôle structural très abondant dans les membranes des pho-
torécepteurs rétiniens puisqu’il représente
Les lipides contribuent à l’architecture 35 à 60 % des AG des phospholipides inti-
membranaire. La bicouche lipidique est mement liés à la rhodopsine au niveau de la
essentiellement constituée de lipides com- membrane externe des cellules en bâtonnet.
plexes dont 70 à 90 % sont représentés par Chez l’homme, la croissance du cerveau se
des phospholipides. Le cholestérol est égale- poursuit jusqu’à l’âge de 2 ans et la myélini-
ment un élément constitutif important. sation n’est achevée qu’à l’âge de 4 ans. Les
L’abondance respective du cholestérol et des acides gras s’accumulent dans le cerveau
phospholipides et la composition en AG des pendant cette période pour répondre aux
phospholipides contribuent à moduler la besoins de croissance et de multiplication
fluidité des membranes et interagissent avec cellulaire, à la prolifération des connections
les protéines membranaires à activité biolo- synaptiques et à la myélinisation des axones.
gique telles que les enzymes, les transpor- En particulier, la quantité des dérivés à
teurs membranaires et les récepteurs hormo- longue chaîne du linoléate et de l’a-linoléate
naux. Une augmentation de l’activité et/ou augmente dans cet organe de 4 à 5 fois pen-
du nombre de transporteurs de glucose et de dant les 2 premières années de la vie. Les
récepteurs à l’insuline est observée lorsque AGPI-LC du cerveau sont issus de la biosyn-
le degré d’insaturation des AG augmente thèse in situ à partir des précurseurs, et du
dans les phospholipides membranaires. La transfert plasmatique des acides gras préfor-
composition en AG des phospholipides est més au niveau du foie. Ce transfert à partir
influencée par la disponibilité des AG dans des lipoprotéines plasmatiques est possible

62
3. Substrats énergétiques – Les glucides

grâce à la présence d’une lipoprotéine lipase, hypothèses avancées pour expliquer ces QI
localisée au niveau de l’endothélium vascu- plus bas. Le lait étant la source unique de
laire cérébral. L’accès des AGPI-LC à ces nutriments pour le nourrisson, il convient
structures ne paraît pas limité par la barrière d’attacher une importance particulière à sa
hémato-encéphalique. Il existe même une composition en AG et recourir à des supplé-
sélectivité importante pour l’incorporation mentations en AGPI-LC lorsque l’enfant est
des AGPI-LC plasmatiques dans le cerveau. privé de lait maternel.
Cette sélectivité d’incorporation semble être
le facteur décisif expliquant leur proportion
élevée dans les structures nerveuses. En Rôles fonctionnels
effet, les précurseurs sont très peu captés par
le cerveau et de ce fait la biosynthèse in situ ➛ Synthèse des eicosanoïdes
des AGPI-LC n’est probablement pas impor- Les éicosanoïdes sont constitués par les
tante. Les quantités d’AGPI-LC accumulées prostaglandines (PG) et les leucotriènes
par le cerveau humain pendant les 3 pre- (LT). Ils dérivent tous des produits de désa-
miers mois de la vie extra-utérine étaient de turation et d’élongation des AGE. La synthè-
4,3 mg/semaine pour les AGPI-LC de la se des éicosanoïdes s’effectue après clivage
série n-3 et à 75,4 mg/semaine pour les de l’AG des phospholipides membranaires
AGPI-LC de la série n-6. L’ensemble des par la phospholipase A2. L’AG ainsi libéré
AGPI-LC des 2 séries représente 17 % de la peut entrer dans 2 voies métaboliques. Dans
totalité des acides gras incorporés dans le la voie des prostaglandines, l’AG est rapide-
cerveau en une semaine. Chez l’homme, le ment oxygéné en endoperoxyde (PGG) par
colostrum contient des quantités non négli- une cyclooxygénase, puis transformé en
geables d’AGPI-LC (environ 1 % des AG composés cycliques hydroxylés (PGH) dont
totaux). La réduction des taux d’AGPI-LC la durée de vie est de quelques minutes. On
observée au cours de la lactation coïnciderait distingue 3 séries de PGH selon l’AG origi-
avec la maturation des systèmes de désatura- nel. Les PGH1 sont issus de l’acide dihomo-
tion et d’élongation du nourrisson. L’enfant g-linolénique (18:3 n-6). Les PGH2 dérivent
prématuré est encore plus dépendant des de l’acide arachidonique (20:4 n-6) et les
apports exogènes en AGPI-LC que l’enfant PGH3 de l’acide éicosapentaénoïque (20:5
né à terme. A cette période de la vie, des n-3). Ces PG sont ensuite transformées par
déséquilibres d’apport alimentaire en AGPI- des enzymes spécifiques à chaque tissu.
LC des 2 séries (n-3 et n-6) ou des carences Dans les plaquettes, une thromboxane syn-
d’apport ont des conséquences structurales thase transforme PGH 2 en thromboxane A 2
et fonctionnelles. Ainsi, une augmentation (TXA2), dont la durée de vie est très brève,
du seuil et une diminution de l’amplitude de mais qui est un puissant inducteur de l’agré-
la réponse post-stimulative des cellules en gation plaquettaire. Au contraire, les micro-
bâtonnet a été observée chez les prématurés somes de l’endothélium vasculaire possèdent
recevant un lait artificiel dépourvu d’AGPI- une prostacycline synthase, qui isomérise
LC. Des enfants nés à terme ayant consom- PGH2 en PGI2. Cette PGI2 a un effet anti-
mé des laits infantiles dépourvus d’AGPI- agrégant. Elle forme avec TXA 2 un couple
LC n-3 pendant les premiers mois de la vie antagoniste règlant le temps plaquettaire de
avaient, à l’âge de 3 ans, une acuité visuelle l’hémostase. Dans ces mécanismes de régu-
plus basse que ceux ayant reçu des AGPI- lation les dérivés de la série n-3 entrent en
LC. Des quotients intellectuels plus bas de compétition avec ceux de la
8,5 points ont également été observés chez série n-6. L’EPA aboutit à la formation de
des enfants de 7 à 8 ans nés prématurément TXA3, qui n’a qu’un faible pouvoir agrégant
et privés d’AGPI-LC. Toutefois, la carence plaquettaire, inhibe la synthèse de TXA2 et,
d’apport en AGPI-LC n’est qu’une des au niveau de l’endothélium vasculaire,

63
J. Schmitz, J.-L. Bresson

conduit à la synthèse de PGI3 au détriment ➛ Régulation de la transmission membra-


de PGI2.PGI3 est un très puissant anti-agré- naire du signal
gant plaquettaire. Ceci rend compte de l’al- Au-delà de leurs effets structuraux, des
longement du temps de saignement et de lipides d’origine membranaire sont impli-
l’inhibition de l’agrégation plaquettaire qués dans la production de second messager
observée dans les populations consommant assurant le couplage fonctionnel entre le
beaucoup de poissons, notamment chez les récepteur membranaire activé par la fixation
Esquimaux. La seconde voie métabolique est de son ligand spécifique et l’effecteur intra-
celle des leucotriènes. Les leucotriènes cellulaire. Il s’agit de diacyglycérols (DAG)
résultent de l’action d’un second système et de phosphoinositides (PI) résultants du
d’oxydation présent dans divers tissus et au clivage de glycophospholipides situés dans
niveau des cellules sanguines. La lipooxygé- le feuillet interne de la membrane plasmique
nase est capable d’oxyder les précurseurs par une activité phospholipase C. Ces molé-
des PG des séries n-3 et n-6, mais aussi des cules lipidiques activent la protéine-kina-
dérivés polyinsaturés de la série n-9. Elle se C, enzyme capable de phosphoryler un
produit des AG hydroperoxydés (HPETE) et grand nombre de protéines intracellulaires
hydroxylés (HETE). La synthèse de leur pré- en présence de calcium et phosphatidylséri-
curseur commun est inhibée par les AGE de ne. Il est possible que les DAG activent des
la série n-3. isoformes différentes de la protéine-kinase C
selon l’AG estérifié en position sn-2 du
➛ Modulation de l’expression des gènes DAG produit, c’est-à-dire selon l’AG présent
Quelques travaux indiquent que les acides en position 2 dans le phospholipide initial.
gras sont capables de moduler l’expression Ainsi, le DAG qui résulte du clivage des
des gènes d’enzymes impliquées dans la phospholipides de la classe inositol est riche
lipogenèse hépatique (enzyme malique, en acides arachidonique et stéarique. A l’in-
acide gras synthase). Les mécanismes sont verse, celui qui provient de la phosphatidyl-
encore peu connus mais interviendraient à choline reflète la composition en AG de ce
l’étape prétraductionnelle (transcription, sta- phospholipide, riche en acides plamitique et
bilité de l’ARN messager). De même, l’ex- oléique. De plus, l’enzyme responsable de
pression de certains protooncogènes tels que l’inactivation du DAG par transformation en
c-myc ou ras semble modulée par le type acide phosphatidique, la DAG kinase, a une
d’AG présents dans l’alimentation de l’ani- affinité pour le DAG qui varie en fonction de
mal ou dans le milieu de culture. Ces don- la composition en AG du DAG. Ainsi, la
nées ouvrent de nouvelles perspectives pour composition en AG du DAG influe-t-elle sur
la compréhension du rôle des AG dans les la demi-vie intracellulaire du DAG.
régulations du métabolisme intermédiaire et En conclusion, l’oxydation des graisses est
de la croissance cellulaire. peu influencée par les apports alimentaires,
chez l'homme. Tout déséquilibre au profit des
apports conduira à la mise en réserve des
graisses sous forme de TG dans le tissu adi-
peux blanc avec un coût énergétique de stoc-
kage très faible (3 % de la valeur énergétique
des graisses). Indispensables aux membranes
cellulaires, les graisses jouent un rôle structu-
ral et fonctionnel majeur. Il existe 2 acides
gras essentiels pour l’homme. Les produits
de ces 2 acides gras sont dotés de fonctions
biologiques spécifiques.

64
3. Substrats énergétiques – Les glucides

Annexe – Le groupe IV est constitué des céréales


et produits sucrés.
Composition des aliments – Le groupe V est représenté par les
Il est habituel de classer les aliments par légumes et les fruits,
groupes. Il y en a six. – et le groupe VI par les boissons (non
– Le groupe I est constitué par le lait et les alcoolisées).
produits laitiers. Les teneurs moyennes en G, L, et P des
– Le groupe II rassemble viandes, œufs et différents aliments sont présentées (pour
poissons. 100 g) sous la forme de tableaux et selon les
– Le groupe III se résume aux matières groupes auxquels ils appartiennent.
grasses.

I – LES ALIMENTS DE GROUPE I 2 – LES ALIMENTS DU GROUPE II

G P L G P L
Lait entier cru (vache) 5 3 4 Viandes rouges
Lait entier UHT 4-5 3 3,6* Agneau 0 17 20
Lait demi-écrémé UHT 4-5 3 1,6* Bœuf 0 20 20
Lait entier en poudre 39 26 26 Porc 0 17 25
Lait entier concentré 9 6 7-8 Cheval 0 28 3
Lait maternel mature 3 1 7 Steak 5 % 0 20 5
Crème de lait 2 2 33 Poissons maigres 0 20 <5
Fromage frais 40 % 3 8 8 Œuf entier cru 1 12 11
Yaourt nature 5 4 1 Charcuteries 2 18 10-45
Petit suisse 40 % 3 10 10
Fromages à pâtes cuites 0 27 29
Fromages à pâtes crues 0 20 25

* : valeur réglementaire. Toutes les valeurs pré-


sentées ont été arrondies.
3 – LES ALIMENTS DU GROUPE III

G P L % AGS* % AGMI* % AGPI*


Huiles
Arachide 0 0 100 21 47 32
Olive 0 0 100 15 76 9
Tournesol 0 0 100 11 24 65
Maïs 0 0 100 13 27 60
Raisin 0 0 100 13 16 71
Noix 0 0 100 10 18 72
Colza 0 0 100 8 62 31
Végétaline 0 0 100 99 0 0
Beurre 0 0 83 67 30 3
Saindoux 0 0 100 50 42 8
Margarine de Tournesol 0 0 83 18 32 50
Margarine allégée 0 0 41-65 32 21 43

* : en % des acides gras totaux

65
J. Schmitz, J.-L. Bresson

4 – LES ALIMENTS DU GROUPE IV 5 – LES ALIMENTS DU GROUPE V

G P L G P L
Pain Tubercules
Blanc 58 8 1 Pommes de terre
Complet 49 8 2 cuites 20 1 0
Mie 54 8 3 Salsifis cuits 10 2 0
Biscottes 78 10 4 Légumineuses
Pâtes crues 74 12 1 Haricots verts cuits 4 1-2 0
Pâtes cuites 20 2 0 Petits pois cuits 9 5 0
Riz blanc cru 87 12 0 Racines
Riz blanc cuit 20 2 0 Carottes, navets,
Confiture 69 0 0 céleri 10 1-2 0
Feuilles
Choux, épinards,
bettes… 3-4 2 0

G P L 7 – LES ALIMENTS DE GROUPE VI

Fraises 7 <1 <1


G P L
Oranges 9 <1 <1
Mandarines 10 <1 <1 Eaux 0 0 0
Abricots 10 <1 <1 Jus de fruit frais
Nectarines 12 <1 0 Citron 9 <1 <1
Orange 10 <1 <1
Prunes 12 <1 <1
Pêches 12 <1 <1 Jus de fruits
en conserve
Pommes 12 <1 <1
Orange 10 <1 <1
Poires 13 <1 <1
Pomme 11 0 0
Raisins 16 <1 <1
Sirop de fruits 70 0 0
Cerises 17 1 <1
Sodas 11 0 0
Bananes 19 1 <1 Limonade 10 0 0

Pour en savoir plus


– Répertoire général des aliments. Table de composition des aliments. M. Feinberg,
J.-C. Favier, J. Ireland-Ripert ; Lavoisier-Tec & Doc Ed, Paris, 1991, 281 p.
– Diététique et Nutrition. M. Apfelbaum, C. Forrat, P. Nillus ; Masson Ed, Paris, 1989.

66
3. Substrats énergétiques – Les glucides

ACIDES GRAS (Moles pour cent moles)

SOURCES POSITIONS 8:0 10:0 12:0 14:0 16:0 16:1 18:0 18:1 18:2 18:3 20:0 20:1 20:5 22:1 22:5 22:6
Palme 1+3 <1 66 5 26 5
2 <1 18 1 59 19
1 14 5 59 18 <1
Arachide 2 1 <1 58 39
3 11 5 57 10 4
1 13 3 72 10 <1
Olive 2 1 83 14 1
3 17 4 74 5 1
1 18 3 27 50 1
Maïs 2 2 <1 26 70 <1
3 13 3 31 51 1
1 14 6 27 50 1
Soja 2 1 <1 26 70 <1
3 13 3 31 51 1
Colza 1+3 5 1 55 26 10 1
2 <1 47 37 15
Coprah 1+3 15 9 32 23 11 3 5 1
2 1 3 79 9 1 4 2
Porc 1 1 14 2 23 40 12 <1
(Saindoux) 2 4 58 6 3 18 8 <1
3 1 1 2 11 61 23 <1
Bœuf 1 4 41 6 17 20 4 <1
(Suif) 2 9 17 6 9 41 5 <1
3 1 22 6 24 37 5 <1
1 2 25 12 6 33 14 2
Poulet 2 1 15 7 4 43 23 3
3 1 24 12 6 35 14 3
1 1 26 7 8 43 14 2
Canard 2 1 11 4 4 59 20 2
3 1 27 7 6 45 15 1
1 2 13 8 7 24 6 11 4 9 3
Truite 2 3 6 14 1 35 11 7 4 2 9
3 4 13 8 8 25 5 12 6 9 1
1 6 12 13 1 16 3 25 3 14 1 1
Hareng 2 10 17 10 1 10 3 6 18 5 3 13
3 4 7 5 1 8 1 20 4 50 1 1
1 6 15 11 3 20 2 8 4 16 1 2
Maquereau 2 10 26 6 1 9 1 5 11 5 2 15
3 3 6 7 2 24 2 14 8 24 1 4
Lait 1 1 2 3 10 36 3 15 21 1
(Vache) 2 2 6 6 20 33 2 6 14 2
3 2 4 3 7 10 1 4 15 <1
Lait 1 <1 1 3 16 4 15 46 11 0,9 1 0,3 0 0
(maternel) 2 <1 2 7 58 5 3 13 8 0,8 0,5 0,2 0,2 0,3
3 2 6 7 6 7 2 50 17 1,5 0,5 0,2 0 0,1

Distribution (mole %) des acides gras présents,


sur chaque position dans les triglycérides de différentes graisses végétales et animales

67
4
Utilisation des substrats énergétiques
I. Le jeûne
J.P. Riou, M. Laville
4. Utilisation des substrats énergétiques – Le jeûne

INTRODUCTION l’histoire de l’humanité. La famine, la diset-


te, le jeûne prolongé ont été et sont encore
dans de nombreux pays, une situation phy-
’organisme humain utilise en siologique malheureusement fréquente. Pour

L permanence des substrats


énergétiques pour maintenir
ses fonctions vitales alors que
faire face à cette situation, l’homme, plus
que tout autre espèce, a développé des
mécanismes particulièrement efficaces de
la fourniture de ces substrats par l’alimenta- lutte contre le jeûne. L’homme au jeûne
tion est périodique. De ce fait, l’organisme complet (gréviste de la faim) meurt plus
a développé des processus d’adaptation souvent de complications infectieuses liées
permettant le stockage de l’énergie absorbée à la baisse des défenses contre les agres-
en excès pendant les repas et sa libération sions plutôt que de carence énergétique au
durant les périodes interprandiales. sens strict du terme. Un rat meurt après
Dans les pays développés, la période de 6 jours de carence énergétique, un homme
jeûne, pour la majorité de la population, ne non obèse après 60 jours, voire plus, à
dépasse pas les 12 heures de jeûne noctur- condition que l’apport hydrique, ionique et
ne. Néanmoins, cette période d’abondance vitaminique soit suffisant.
alimentaire est extrêmement récente dans

LES RÉSERVES consistent dans l’utilisation maximale des


ÉNERGÉTIQUES DE L’ADULTE réserves glucidiques, qui sont cependant
rapidement épuisées (voir ci-dessous) et sur-
tout lipidiques. Par ailleurs, des tissus
consommateurs exclusifs de glucose dans les
L’essentiel des réserves énergétiques est conditions physiologiques normales vont
constitué par les triglycérides présents dans pouvoir utiliser des substrats énergétiques de
le tissu adipeux blanc (tableau I). Si on esti- substitution, fournis en quantité pendant le
me que les dépenses énergétiques d’un jeûne prolongé : les corps cétoniques.
homme de 70 kg sont de 2 450 Kcal/24 h Les protéines représentent un stock
(70 kg, 35 Kcal/kg), le tissu adipeux peut énergétique relativement important
fournir, en période de jeûne total, les subs- (tableau I). Néanmoins leur mobilisation
trats énergétiques nécessaires à la survie massive n’est pas compatible avec le
pendant plus de 80 jours (la dépense énergé- maintien de la vie. Leur utilisation massive
tique va diminuer au cours du jeûne). Les au cours du jeûne ne sera (heureusement)
adaptations métaboliques majeures qui vont que transitoire (10-20 jours).
caractériser la transition entre l’état nourri Le maintien d’une glycémie à un niveau
et l’état de jeûne tendent à préserver un minimum de 2,5 mmol.l-1 (0,45 g/l) est indis-
niveau minimum et constant de glucose plas- pensable au fonctionnement cérébral. Les
matique et le stock protéique tissulaire. Elles réserves de glucose circulant sont quasi-

71
J.P. Riou, M. Laville

nulles. Les réserves de glycogène sont épui- sus de l’organisme dans le pool circulant et
sées dans le foie en moins de 24 h de jeûne une utilisation ou débit de disparition par
et, dans le muscle, en quelques jours (noter un ou plusieurs tissus.
que le glycogène musculaire est disponible
exclusivement pour le fonctionnement du Pool
muscle, il ne peut fournir directement de
glucose à la circulation du fait de l’absence Da (M) Dd
dans ce tissu de glucose-6 phosphatase).
Cependant, le pyruvate et surtout le lactate [C]
fournis par la glycolyse musculaire peuvent
passer dans le sang et alimenter la néoglu- Figure 1
cogenèse hépatique (cycle de CORI). Ainsi, Bases physiologiques de la méthodologie des
la glycogénolyse musculaire peut participer traceurs.
indirectement au maintien de la glycémie. Da = débit d’apparition
C’est essentiellement l’augmentation de la Dd = débit de disparition
néoglucogenèse par le foie qui va dans un (M) = quantité totale du substrat dans le pool
[C] = concentration du substrat
premier temps maintenir la glycémie.
Avant de décrire ces adaptations métabo-
liques, il est important de préciser comment
sont mesurés les flux de substrats énergé-
tiques. Une variation de concentration peut donc
dépendre :
Tableau I – d’un changement de taille du pool
Réserves énergétiques – d’un changement du débit d’apparition
chez un sujet de 70 kg – d’un changement du débit de dispari-
tion
Substrats Tissus Énergie Poids – d’une variation de plusieurs de ses
énergétiques (Kcal) (g) paramètres.
Triglycérides Tissu adipeux 100 000 15 000 Ces paramètres peuvent aussi varier sans
blanc changement de la concentration en substrat.
Glycogène Foie 200 70 Par exemple, au cours de l’effort modéré, la
Muscle 400 120 glycémie est constante parce que le débit
Glucose Liquides 80 20 d’apparition de glucose et le débit de dispa-
circulants rition augmentent de façon parallèle. Il
Protéines Muscles 25 000 6 000 apparaît donc que la seule mesure de la
concentration d’un substrat énergétique
– ne permet pas de déterminer si son uti-
lisation évolue de façon identique à sa
MESURE DES FLUX DE concentration,
SUBSTRATS ÉNERGÉTIQUES – ne permet pas de savoir quel est le
mécanisme régulateur (production ou utili-
sation). Afin de mesurer ces paramètres
La concentration des substrats énergé- cinétiques du métabolisme des substrats
tiques présents dans le sang tels que le glu- énergétiques, on fait appel à la méthodolo-
cose, le lactate, les acides aminés, les acides gie des traceurs.
gras non estérifiés (AGNE) et les corps Un traceur est une molécule qui, ajoutée
cétoniques, est la résultante de deux phéno- au compartiment du substrat à étudier
mènes opposés (fig. 1) : une production ou – présente une structure chimique très
débit d’apparition par un ou plusieurs tis- proche de la molécule étudiée (tracé),

72
4. Utilisation des substrats énergétiques – Le jeûne

– a un devenir métabolique identique à Tableau II


celui de la molécule étudiée, Flux de glucose et d’AGNE, flux glucidiques et
– est présent en très faible quantité pour ne lipidiques le matin à jeun chez l’homme normal
modifier ni la taille du compartiment (pool), (µmoles.kg-1.min-1)
ni la concentration de la molécule étudiée,
– est identifiable par une caractéristique Flux AGNE 5,5 ± 0,8
donnée. Oxydation AGNE 1,1 ± 0,2
Le plus souvent, la molécule étudiée est Oxydation lipidique totale 3,1 ± 0,4
marquée par le remplacement d’un ou de Flux glucose 14 ± 0,8
Oxydation du glucose circulant 6 ± 0,3
plusieurs de ces atomes par un atome parti-
Oxydation glucidique totale 7,7 ± 0,4
culier, isotopes soit radioactifs (tritium pour
1
H et 14 C pour 12 C), soit stables (deute-
rium pour 1H et 13 C pour 12 C). Les iso- Notez que :
topes radioactifs sont mesurés avec un * Ox. lip. >> à ox. AGNE, témoin de l’oxyda-
compteur à scintillation, les isotopes stables tion in situ des acides gras
avec un spectromètre de masse. Seuls les * Flux AGNE >> oxydation AGNE. Les AGNE
isotopes stables peuvent être, du fait de leur sont utilisés à d’autres fonctions que l’oxydation
inocuité totale, utilisés in vivo chez l’hom- immédiate (cétogenèse, réestérification…)
me sain (en France). * Ox. glucidique > à oxydation du G. circulant
La molécule traceuse est injectée soit témoin d’une glycogénolyse musculaire.
sous forme de bolus, soit plus souvent sous * Flux glucose >> à oxydation G témoin d’une
voie non oxydative du métabolisme du glucose :
forme de perfusion continue. A l’état
stockage, recyclage…
d’équilibre, c’est-à-dire quand le débit d’ap- * Les flux AGNE, glucose et leur oxydation sont
parition du traceur est égal à son débit de mesurés avec des traceurs, les flux d’oxydation
disparition, la concentration du traceur dans totale en calorimétrie indirecte (voir Ch. 2).
le sang est constante. Connaissant le débit
d’apparition du traceur (on le perfuse) et la
concentration du traceur et du tracé dans le
sang (on la mesure) on peut calculer le LES FLUX DE GLUCOSE
débit d’apparition du tracé. Celui-ci, à l’état AU COURS DU JEÛNE
d’équilibre, est égal au débit de disparition.
Ces méthodologies, quoique lourdes, sont
actuellement utilisées chez l’homme normal
ou malade. Elles ont permis de déterminer Au cours du jeûne nocturne, le maintien
les flux et leur mode de régulation (tableau de la glycémie constante est assurée par la
II). production hépatique de glucose : 2-2,5 mg.
Le choix d’un traceur doit être mûrement kg-1.min-1, 11-13,9µmol.kg -1.min-1, 8,4-10,5
réfléchi et suppose de bien connaître la voie g/h pour un homme de 70 kg. Cette produc-
métabolique du substrat étudié ; un exemple tion, ce débit d’apparition provient essen-
parmi beaucoup d’autres. Si l’on marque tiellement de la glycogénolyse (75 %) et, à
une molécule de glucose sur le carbone 1 un moindre degré, de la néoglucogenèse
ou sur le carbone 6, les résultats des hépatique (25 %). Dans cette période post-
mesures de flux seront différents. En effet, absorptive, la néoglucogenèse rénale ne
le carbone en position 1 de la molécule de contribue pratiquement pas au débit d’appa-
glucose est transformé en CO2 dans la voie rition. Le glucose qui apparaît est utilisé
des pentoses, ce n’est pas le cas du carbone (tableau III) essentiellement par le cerveau,
6. Les débits de disparition du glucose esti- le rein, les cellules sanguines et le muscle.
més par ces deux traceurs seront donc diffé- L’essentiel de l’utilisation a lieu dans des
rents. tissus non insulinodépendants. Seulement

73
J.P. Riou, M. Laville

25 % de l’utilisation périphérique du gluco- difficile, va diminuer après 10 à 20 jours de


se est, dans ces conditions, sous le contrôle jeûne du fait de la diminution des substrats
de l’insuline (muscle avant tout et tissu adi- néoglucogéniques, notamment des acides
peux blanc). aminés.
Tableau III Malgré cette diminution, la glycémie est
Consommation de glucose par l’organisme maintenue constante grâce à l’adaptation de
l’utilisation périphérique du glucose qui
Tissus g/24 h au repos g/h effort diminue par au moins trois mécanismes :
durée du jeûne maximum – chute de l’insulinémie (très précoce au
12 h 8 j 40 j cours du jeûne) qui entraîne une diminution
de la synthèse des transporteurs du glucose
Cerveau 120 45 22 5 insulinodépendants (GLUT IV) et donc de
Muscle 30 5 5 300 la capacité d’utiliser du glucose dans le
Rein 30 5 5 1,6 muscle et le tissu adipeux blanc ;
Sang 34 34 34 1,5
– utilisation préférentielle par le cerveau
Total 214 89 66 308 des corps cétoniques comme substrats éner-
gétiques à la place du glucose (tableau III) ;
– insulinorésistance périphérique secon-
Dans les heures qui suivent cette période daire à l’augmentation de la concentration
post-absorptive, la glycogénolyse va être à plasmatique des acides gras non estérifiés
son niveau d’activité maximum, si bien que (AGNE) et des corps cétoniques.
24 h après le dernier repas, le glycogène
hépatique est totalement épuisé.
Dès le début du jeûne, la production
hépatique de glucose est maintenue à un LES FLUX LIPIDIQUES
niveau significatif (1,5 mg.kg-1.min-1) grâce
à la mise en jeu de la néoglucogenèse, qui AU COURS DU JEÛNE : AGNE
est maximum après 48 h de jeûne. La néo- ET CORPS CÉTONIQUES
glucogenèse est activée grâce à au moins
trois mécanismes :
– augmentation de la quantité de sub- AGNE
strats néoglucogéniques, notamment le gly-
cérol et les acides aminés glucoformateurs A l’état post-absorptif (le matin à jeûn)
(alanine, glutamine) ; environ 60 % de l’énergie non protidique
– augmentation du captage des substrats est fournie par l’oxydation des glucides et
néoglucogéniques par le foie. Dans cette 40 % par l’oxydation lipidique.
période, le lactate utilisé par le foie contri- Le tissu adipeux blanc dans lequel l’éner-
bue pour environ 50 % à la production de gie est stockée sous forme de triglycérides,
glucose ; libère son énergie sous forme d’AGNE et
– augmentation de la synthèse et/ou de de glycérol, ce dernier étant un substrat de
l’activité des enzymes clés de la néogluco- la néoglucogenèse.
genèse (phosphoenol pyruvate carboxykina-
se, pyruvate carboxylase, glucose-6 phos- ➛ Une molécule de triglycérides libère
phatase) et diminution de la synthèse et/ou trois acides gras et une molécule de glycé-
de l’activité des enzymes clés de la glycoly- rol. Néanmoins, au sein du tissu adipeux,
se (glycokinase, 6-phosphofructo-2-kinase, les acides gras libérés peuvent être réestéri-
pyruvate kinase, pyruvate déshydrogénase). fiés alors que le glycérol sort obligatoire-
Cette néoglucogenèse, dont la mesure préci- ment de la cellule, ce tissu ne possédant pas
se in vivo chez l’homme est encore bien de glycérokinase. Ainsi, le glycérol apparaît

74
4. Utilisation des substrats énergétiques – Le jeûne

être un meilleur reflet de la lipolyse que les par le glucagon car elle est active sous
AGNE. Néanmoins, chez l’homme sain, le forme déphosphorylée. Sa synthèse est
processus de réestérification étant très limité effondrée au cours du jeûne, augmentée au
lorsque la lipolyse est active, la concentra- cours d’un régime riche en glucides.
tion en AGNE dans le plasma est un bon Lorsque cette enzyme est active, le malonyl
reflet de leur flux. Leur utilisation est pro- CoA est élevé, il inhibe l’acyl carnitine
portionnelle à la concentration plasmatique transférase, les AGNE présents dans le foie
dans une gamme de concentration variant ne sont pas oxydés. Lorsque cette enzyme
de 0,1 à 1 mM. est inactive (au cours du jeûne du fait de la
Les AGNE peuvent aussi provenir de faible insulinémie et de la glucagonémie
l’hydrolyse intravasculaire des triglycérides élevée), le malonyl CoA est bas, l’acyl car-
circulants par la lipoprotéine lipase. Cette nitine transférase est active, les AGNE acy-
enzyme « accrochée » aux parois externes lés sont transférés dans la mitochondrie et
des cellules endothéliales des vaisseaux vont subir la ß-oxydation. Une partie de ce
peut libérer, en présence d’apoprotéine C, flux va servir aux besoins énergétiques du
des AGNE qui vont, soit être utilisés direc- foie mais l’essentiel, va, au cours du jeûne,
tement in situ, soit enrichir le pool d’AGNE être transformé en corps cétoniques car la
circulants. Cette dernière possibilité n’a pu production d’acétyl CoA dépasse les capa-
être à ce jour clairement quantifiée in vivo cités d’utilisation par le cycle de Krebs.
chez l’homme. L’acétyl CoA généré par la ß-oxydation est
d’abord transformé en ß-hydroxy ß-methyl
➛ Les AGNE circulants sont presque tota- glutaryl CoA avant de donner naissance aux
lement insolubles dans les milieux aqueux. deux corps cétoniques fabriqués dans le
Ils ne peuvent circuler dans le plasma que foie, l’acétoacétate (AcAc) et le ß-hydroxy-
grâce à leur liaison à l’albumine qui possè- butyrate (ßOHB).
de 7 sites de liaison par molécule. Les – Dans le muscle, les AGNE vont être
AGNE vont être utilisés par le muscle, et oxydés pour fournir de l’énergie. Cette oxy-
notamment le myocarde, et par le foie. dation lipidique est particulièrement impor-
Notons que le cerveau ne peut en aucun cas tante au cours de l’effort. Tout comme dans
tirer son énergie des AGNE, même au cours le foie, l’acyl carnitine formé est transféré
du jeûne prolongé. dans la mitochondrie par l’acyl carnitine
– Dans le foie, les AGNE se lient à la transférase. A la différence du foie, l’activi-
FABP (fatty acid binding protein) et sont té de cette enzyme n’est pas dépendante du
activés sous forme d’acyl CoA. A l’état de malonyl CoA. D’autre part, le muscle ne
jeûne, l’essentiel des AGNE captés par le peut pas fabriquer de corps cétoniques si
foie va être oxydé (ß oxydation). La régula- bien que la totalité de l’acétyl CoA formé
tion de cette oxydation se situe au niveau de sera utilisée pour le métabolisme énergé-
l’acyl carnitine transférase I qui transfère tique musculaire. La régulation du métabo-
l’acyl CoA du cytoplasme dans la mito- lisme lipidique intramusculaire est mal
chondrie. Notons que cette régulation connue. Il est probable qu’une partie de
n’existe que pour les AG à longue chaîne. l’oxydation lipidique totale dans l’organis-
Les acides gras à chaîne courte ou moyenne me provient de l’oxydation de triglycérides
traversent librement la paroi mitochondriale. intramusculaires. Autant la régulation de la
Cette enzyme n’est active qu’en l’absence lipolyse dans le tissu adipeux par l’insuline
de malonyl CoA. Cet intermédiaire de la et les catécholamines est bien connue,
lipogenèse est produit par la transformation autant la régulation hormonale de la lipoly-
dans le cytoplasme de l’acetyl CoA grâce à se intramusculaire est encore assez mysté-
l’action de l’acétyl CoA carboxylase. Cette rieuse.
enzyme est activée par l’insuline, inhibée

75
J.P. Riou, M. Laville

Corps cétoniques et cétogenèse jeûne se poursuit, la concentration des corps


cétoniques continue d’augmenter du fait
➛ La production de corps cétoniques par d’une diminution de leur utilisation périphé-
le foie dépend donc essentiellement de la rique, alors que la production est constante.
régulation de l’oxydation intrahépatique des L’augmentation massive de la cétogenèse au
AGNE. La transformation intra-mitochon- cours du jeûne s’accompagne d’une acidose
driale de l’acéto-acétate en ßOHB est assurée métabolique en général compensée.
par la ß-hydroxybutyrate déshydrogénase en
présence de NADH+H+. Il y a donc, au cours ➛ La cétogenèse s’autocontrôle probable-
de cette réaction, transfert d’équivalent ment par deux mécanismes : d’une part, les
réducteur sur le ßOHB. Au cours du jeûne, corps cétoniques inhibent la lipolyse, du
du fait de l’augmentation de l’état « réduit », moins l’empêchent de s’emballer comme
la réaction est déplacée dans le sens ßOHB si dans l’acidocétose diabétique et d’autre
bien que le rapport ßOHB/AcAc, qui est de part, stimulent la sécrétion d’insuline, du
2-3 à l’état nourri dans le foie et dans le sang, moins l’empêchent d’être totalement suppri-
s’approche de 5, voire 10. mée comme dans l’acidocétose diabétique.
Enfin, l’élévation des corps cétoniques est
➛ La cétogenèse au cours du jeûne va peut-être un des mécanismes qui empêche
croître progressivement pendant 4 à 5 jours la protéolyse musculaire de s’activer au
(tableau IV), l’augmentation du flux cétogè- maximum et qui permettrait, au cours du
ne étant considérable et assurant un apport jeûne prolongé, le maintien d’une balance
énergétique d’abord au cerveau et aussi aux azotée proche de O, alors qu’au début du
muscles, au tube digestif, au rein… Si le jeûne, elle est franchement négative.

Tableau IV
Concentration et flux de substrats énergétiques au cours du jeûne

Substrats Jours de jeûne


12 h 48 h 10 j 20 j 40 j

[C]* 4,5 3,5 3 3 3


Glucose
Flux* 14 10 8,5 8,5 8,5
[C] 0,4 1 1,3 1,5 1,5
Acide gras
non estérifiés
Flux 6 12 – – –
[C] 0,1 2 5 6 7
Corps cétoniques
Flux 2-3 10 10 10 10
Insuline mU.l-1 [C] 10 6 3 3 3
Les [C] sont exprimées en mmoles.l-1, les flux en µmoles.kg-1.min-1.

76
4. Utilisation des substrats énergétiques – Le jeûne

LES FLUX D’ACIDES AMINÉS se. La poursuite d’une protéolyse massive au


cours du jeûne supérieur à 15 jours est
AU COURS DU JEÛNE incompatible avec la vie. A cette période, la
protéolyse diminue par un mécanisme mal
connu (rôle des corps cétoniques ? de la
➛ Le « turnover », le débit de renouvelle- chute de la triiodothyronine ? de la diminu-
ment des protéines in vivo chez l’homme nor- tion du métabolisme de base ?). Le bilan
mal est d’environ 200-300 g/J. Ce turnover azoté devient pratiquement nul.
est en fait très variable d’un tissu à l’autre et
d’une protéine à l’autre. Certaines protéines, ➛ Ainsi, après 20 jours de jeûne, la vie
certains tissus sont renouvelés en moins de de l’homme est encore possible grâce à :
48 h, d’autres en plusieurs semaines. – la lipolyse qui fournit avec les AGNE
et les corps cétoniques l’essentiel des sub-
➛ Au cours du jeûne, les réserves pro- strats énergétiques (quotient respiratoire
téiques de l’organisme vont surtout être 0,72-0,74) ;
mobilisées à partir du muscle. La protéolyse – la néoglucogenèse qui fournit le mini-
musculaire bien entendu libère les 20 acides mum de glucose indispensable au cerveau ;
aminés constitutifs des protéines mais, du – la stabilisation de la protéolyse.
fait de leur métabolisme intramusculaire, Le flux de tous ces sustrats énergétiques
80 % des acides aminés libérés par le entre le foie et les tissus est résumé dans la
muscle sont représentés par l’alanine et la fig. 2.
glutamine. Notons que la production muscu-
laire d’alanine est bien supérieure à la pro-
portion de cet acide aminé dans les pro-
téines musculaires du fait de la transamina- MISE EN JEU DE
tion du pyruvate qui donne de l’alanine
(cycle de FEUS). Néanmoins, au cours du L’ADAPTATION AU DÉFICIT
jeûne, la concentration plasmatique de ces ÉNERGÉTIQUE
acides aminés ne se modifie pas car ces
acides aminés vont être plus utilisés par le
foie (néoglucogenèse) et le tube digestif. L’ensemble de ces phénomènes d’adapta-
Par contre, au cours du jeûne, on note une tion est sous contrôle hormonal et probable-
augmentation des acides aminés branchés, ment aussi neuroendocrinien.
leucine, isoleucine et valine, du fait d’une Trois événements physiologiques sur-
diminution de leur utilisation périphérique. viennent au cours du jeûne pour mettre en
jeu l’adaptation décrite :
➛ La mesure du flux total de protéines in – une diminution des dépenses énergé-
vivo chez l’homme reste difficile car il y a tiques probablement secondaire à la diminu-
20 acides aminés et de nombreux phéno- tion du turnover des catécholamines
mènes d’interconversion. Il semble que le (cf. Ch. 2) ;
meilleur traceur (ou le moins mauvais) soit – une diminution de l’interconversion
la leucine (voir Ch. 5). périphérique de thyroxine en triiodothyroni-
ne. On sait que cette hormone a une action
➛ On observe une amyotrophie rapide, positive sur le métabolisme de base ;
importante, du fait de la protéolyse initiale – une augmentation de la sécrétion de glu-
au cours du jeûne essentiellement dans le cagon et une diminution de la sécrétion d’in-
muscle. Le bilan azoté est négatif. Ces acides suline. L’augmentation (transitoire) de la
aminés vont être essentiellement utilisés par sécrétion du glucagon au début du jeûne
le foie où ils contribuent à la néoglucogenè- contribue à transformer le foie en un organe

77
J.P. Riou, M. Laville

O2

MUSCLE FOIE CERVEAU


A. A. 144 g CO2 + H2O
protéines glycogène
75 g GLUCOSE
180 g
36 g GR GB
gluconéogenèse

36 g
LACTATE + PYRUVATE
O2

CŒUR
GLYCÉROL
TISSU ADIPEUX 16 g
CORPS REIN
40 g CÉTONIQUES
Triglycérides 60 g MUSCLE
160 g AGL
160 g CO2 + H2O

AGL
120 g

Figure 2
Flux de substrats énergétiques entre le foie et les tissus, chez l’homme à 24 h de jeûne (adapté d’après 1).

glycogénolytique, cétogenique et néogluco- que grâce à une régulation spécifique au


genique. niveau moléculaire. Les flux s’adaptent
La diminution de la sécrétion d’insuline parce que les activités enzymatiques s’adap-
est probablement le phénomène endocrinien tent. Celles-ci changent au long cours essen-
le plus important. Sa chute, très rapide au tiellement du fait d’un contrôle hormonal de
cours du jeûne, maintenue quelle que soit sa l’expression des gènes des enzymes régula-
durée, est l’élément permettant l’activation trices et/ou de l’activité de ces enzymes.
de la lipolyse, la mise en route de la néo- Quelques exemples : la néoglucogenèse s’ac-
glucogenèse et la protéolyse musculaire. Au tive grâce, entre autres, à l’augmentation de
cours du jeûne prolongé, le maintien d’une l’activité de la phosphoénol pyruvate car-
concentration, faible mais présente, d’insuli- boxykinase (PEPCK) dont la synthèse est sti-
ne évite « l’emballement » de la lipolyse et mulée par le glucagon et inhibée par l’insuli-
de la cétogenèse. ne. Ces deux hormones exercent leurs effets
directement sur la transcription du gène :
elles ne modifient pas l’activité de l’enzyme.
– La cétogenèse s’active au cours du
RÉGULATION SPÉCIFIQUE jeûne grâce à l’inactivation de l’acétyl CoA
AU NIVEAU MOLÉCULAIRE carboxylase dont la synthèse est stimulée
par l’insuline. De plus, le glucagon et l’in-
suline modulent l’activité de cette enzyme
Les variations des flux de substrats éner- en favorisant sa phosphorylation (glucagon
gétiques au cours du jeûne ne sont possibles = forme inactive ; insuline = forme active).

78
4. Utilisation des substrats énergétiques – Le jeûne

– L’utilisation périphérique du glucose que l’apparition impressionnante de l’obési-


diminue au cours du jeûne grâce à la dimi- té dans notre civilisation actuelle soit liée à
nution du nombre de transporteurs du glu- notre incapacité (relative et variable d’un
cose (GLUT IV dans les tissus insulinodé- individu à l’autre) à nous défendre contre
pendants) dont la synthèse est activée par l’excès d’apport énergétique souvent présent
l’insuline. aujourd’hui.
Cette capacité, exceptionnelle chez les
espèces vivantes, de l’homme à se défendre
contre le jeûne est, en dehors des périodes
CONCLUSION de jeûnes proprement dites, mise en jeu
dans de nombreuses situations physiolo-
giques ou pathologiques particulières telles
Dans l’histoire de l’humanité, l’espèce que la grossesse, la lactation, l’effort pro-
humaine a peut-être sélectionné ceux longé, les états septiques ; événements dans
d’entre nous les plus aptes à résister à la lesquels les dépenses énergétiques sont aug-
carence énergétique, carence qui fait partie mentées sans qu’il y ait obligatoirement
intégrante de notre histoire. Il est possible adaptation de l’apport calorique alimentaire.

79
II. Effets du repas
M. Laville, J.P. Riou
4. Utilisation des substrats énergétiques

’ alimentation fournit à l’orga- – Les ACIDES AMINÉS arrivant au foie

L nisme l’énergie qui lui est


nécessaire. Cette énergie n’est
pas entièrement dépensée au
après absorption par le tube digestif peuvent :
– passer directement dans le sang pour
être captés par les tissus périphériques et être
moment de l’alimentation et est en utilisés pour la biosynthèse des protéines ;
partie stockée pour être disponible en pério- – être utilisés in situ pour la synthèse des
de inter-prandiale. Lors de la prise d’un protéines hépatiques ;
repas, différents mécanismes sont donc mis – être dégradés en pyruvate (désamina-
en jeu pour, d’une part métaboliser et oxy- tion), qui pourra être oxydé ou être repris
der, et d’autre part stocker les nutriments. Le dans la voie de la néoglucogenèse. Cette
rôle des hormones pancréatiques est fonda- voie métabolique pourra se produire en cas
mental dans la mise en place de ces méca- de régime hyperprotidique au cours duquel
nismes. la sécrétion de glucagon sera augmentée.

– Les LIPIDES : Il est à noter que leur


présence dans l’alimentation ralentit la
vidange gastrique. Une partie de ces lipides
ABSORPTION D’UN REPAS : arrive au foie sous forme de phospholipides
SCHÉMA GÉNÉRAL par le système porte, le reste, principale-
ment des triglycérides, arrive par le canal
thoracique sous forme de lipoprotéines par-
ticulières : les chylomicrons. Après hydro-
Un repas classique est composé d’un lyse des triglycérides libérés, ces AGNE
mélange de glucides complexes, de pro- pourront avoir différents devenirs :
téines et de lipides. Après digestion puis – incorporation à des lipoprotéines pour
absorption par le tube digestif, ces nutri- être libérés dans le sang ;
ments vont atteindre le foie qui est leur – oxydation en Acétyl CoA qui pourra,
principal organe de distribution. soit être totalement oxydé dans le cycle de
– En ce qui concerne les GLUCIDES : Krebs, soit être transformé en corps céto-
le foie reçoit un mélange de monosaccha- niques.
rides issus de la digestion. Le glucose libre Les substrats arrivant aux tissus pourront
retenu dans le foie sera phosphorylé en glu- être soit oxydés soit stockés. Au cours de la
cose 6 P. Les autres monosaccharides tels période post-prandiale, le métabolisme des
que le D-fructose, le D-mannose et le D- substrats est orienté, chez le sujet au repos,
galactose sont aussi phosphorylés. Le sang vers leur stockage. Les formes de réserve
ne contient pas d’autres sucres simples que d’énergie de l’organisme sont le glycogène
le glucose et de très petites quantités de et les triglycérides.
fructose. La fig. 1 montre le devenir du G6P Le métabolisme du glucose après un
dans le foie. La quantité de glucose oxydé repas va nous fournir un exemple des méca-
dans le foie est faible, l’énergie étant princi- nismes adaptatifs mis en jeu au cours de
palement fournie par les AGNE et les cette période.
acides aminés.

83
M. Laville, J.P. Riou

FOIE

SANG
Glucose 6 P

Glucose Glycogène

Tissus périphériques Pyruvate

Acétyl Co A

Acides gras

CO2 + H2O

Figure 1
Devenir du glucose 6 P hépatique.

Le G6 P dans le foie pourra soit être orienté vers la synthèse de glycogène, soit être transformé en acé-
tyl coA dans la glycolyse. Il pourra alors être soit oxydé soit transformé en acides gras. Le G6P pourra
aussi être transformé en glucose grâce à l’action de la glucose 6 phosphase, le glucose sera alors libéré
dans la circulation générale.

ABSORPTION DU GLUCOSE dans la circulation générale est la résultante


de l’apparition du glucose exogène non
ET INSULINO-SÉCRÉTION, métabolisé par le foie et de la persistance
CONSÉQUENCES : relative d’une production endogène de glu-
cose. L’absorption du glucose va induire un
afflux de glucose dans le système porte qui
Absorption du glucose stimulera la sécrétion pancréatique d’insuli-
ne et diminuera la production endogène de
Celle-ci va dépendre de la vitesse de la glucose. Le glucose, après sa traversée
vidange gastrique, qui va conditionner l’ar- hépatique, sera capté par les tissus périphé-
rivée du glucose dans le système porte. riques. L’insuline va favoriser l’inhibition
Classiquement, 70 % de la charge orale en de la production endogène de glucose et sti-
glucose sont retenus par le foie au cours du muler l’utilisation du glucose par les tissus.
premier passage. En fait, plus de 80 % du L’ensemble limitera l’hyperglycémie post-
glucose absorbé passent dans la circulation prandiale. Dans les tissus périphériques le
générale. Cette contradiction apparente tient glucose sera orienté vers l’oxydation et le
au fait que la quantité de glucose arrivant stockage (fig. 2).

84
4. Utilisation des substrats énergétiques

GLUCOSE

ABSORPTION DU GLUCOSE
FOIE TISSUS

STOCKAGE

PHG UTILISATION DU GLUCOSE


- +
PANCRÉAS
OXYDATION
+ INSULINE

GLUCAGON

Figure 2
Différents paramètres intervenant dans le métabolisme du glucose

Le glucose absorbé est libéré dans le système porte et capté par le foie. Il stimule la sécrétion d’insuli-
ne. Au niveau du foie, sous l’action conjuguée de l’augmentation de l’insuline et de l’hyperglycémie
portale, la production endogène de glucose (PHG) va diminuer. Le glucose sortant du foie va être utilisé
par les tissus. Il pourra être oxydé ou stocké.

Conséquences de l’hyperglycémie et
de l’hyperinsulinémie post-prandiales hépatique en glycogène et diminuer la pro-
duction endogène de glucose. Les méca-
nismes impliqués sont : diminution de la
1. Réduction de la production endogène néoglucogenèse, stimulation de la synthèse
de glucose. de glycogène et de la glycolyse.
2. Stimulation de l’utilisation du glucose. Au niveau du foie, le glucose est trans-
3. Inhibition de la lipolyse. formé en G6P par la glucokinase associée à
l’ATP Mg, isoenzyme de type IV de l’hexo-
kinase qui a comme particularité d’avoir un
➛ Réduction de la production endogène Km élevé (8 mM) et de n’être pas inhibée
de glucose par le G6P. Cette enzyme est présente
exclusivement dans le foie et dans la cellule
L’action du glucose et de l’insuline se ß pancréatique. Lors d’un repas, une forte
conjuguent pour reconstituer la réserve concentration de glucose est obtenue dans

85
M. Laville, J.P. Riou

le système porte (10-15 mM), ce qui permet l’activation des enzymes de la glycolyse
la phosphorylation du glucose et son orien- (HK, PFK, PK) et l’inhibition des enzymes
tation vers la synthèse de glycogène, la gly- de la néoglucogenèse (PEPCK, FD Pase,
colyse, la voie des pentoses ou la lipogenèse. G6Pase).
Par ailleurs, l’insuline inhibe la glycogéno- Il est à noter la grande sensibilité du foie
lyse en s’opposant aux effets du glucagon. à l’action de l’insuline. Ceci peut être mis
Cet effet à court terme est à différencier en évidence in vivo, lors de la réalisation de
d’un effet à plus long terme d’inhibition de courbes dose-réponse à l’insuline en clamp
la néoglucogenèse par l’induction et/ou euglycémique hyperinsulinique.

Le clamp euglycémique hyperinsulinique consiste en la perfusion d’insuline à débit


constant, destinée à élever l’insulinémie, associée à la perfusion de glucose à débit variable
adapté de façon à maintenir l’euglycémie. La quantité de glucose perfusé est proportionnelle
à la quantité de glucose utilisée sous l’action de l’insuline (sans préjuger de son mode d’utili-
sation : oxydation ou stockage). Plusieurs débits de perfusion d’insuline pourront être utilisés
au cours du même test permettant la réalisation de dose-réponse à l’insuline. Chaque débit
d’insuline est perfusé pendant 2 heures. L’utilisation du glucose pourra être déterminée grâce
à l’emploi de traceur du glucose comme le [6,6 2H2 glucose]. La production endogène de glu-
cose sera calculée comme étant la différence entre l’utilisation du glucose et la quantité per-
fusée. Il pourra être également être couplé une mesure de calorimétrie indirecte qui permet-
tra de déterminer l’oxydation du glucose et d’en déduire le stockage.

L’inhibition totale de la production de ➛ Stimulation de l’utilisation du glucose


glucose est toujours obtenue pour des insu-
linémies de 100 mU/l. Dans ce cas la quan- Parallèlement il existe une stimulation du
tité de glucose utilisé est strictement égale captage de glucose par les tissus. Le glucose
à la quantité de glucose perfusé. La sensibi- stimule par lui-même son utilisation. L’insu-
lité de la production de glucose à l’insuline line la stimule dans les tissus insulino-
peut être définie comme étant l’insulinémie dépendants : muscles et tissu adipeux. Le
responsable de la moitié de l’effet maximal cerveau, les globules rouges et la médullaire
(K0,5). Celle-ci est autour de 20-30 mU/l. du rein sont également consommateurs de
glucose mais son captage y est non-insuli-
3 nodépendant. Le transport du glucose est de
type facilité, dans le sens qu’il est favorisé
Production de glucose

2 par des transporteurs du glucose (Glut 1


(mg/kg/min)

dans les tissus non-insulino-dépendants,


1
Glut 4 dans les tissus insulino-dépendants,
Glut 2 dans le foie et dans les cellules ß
pancréatiques). Le transport du glucose est
0
10 100 très rapidement stimulé sous l’effet de l’in-
Insulinémie (mU/l) suline dans les tissus insulino-dépendants
grâce à un phénomène de translocation des
Figure 3 a
transporteurs du glucose de la fraction
A. Inhibition de la production endogène de glucose
sous l’effet de l’insuline. Elle est notamment inhibée microsomale à la membrane plasmique.
pour une insulinémie à 50 mU/l. Elle est très sensible L’insuline stimule le stockage du glucose
à l’insuline (K0,5 = 15 mU/l) dans le muscle en activant la glycogène syn-

86
4. Utilisation des substrats énergétiques

thase. Elle stimule aussi l’oxydation du glu- L’oxydation des AGNE se produit en très
cose en activant la PDH . grande majorité dans le muscle. Elle est
La sensibilité à l’insuline de l’utilisation inhibée sous l’effet de l’insuline. En fait,
du glucose peut également être mesurée en cette inhibition est strictement parallèle à la
clamp euglycémique hyperinsulinique. Il diminution du débit de renouvellement des
peut ainsi être mis en évidence que sous AGNE. L’insuline n’a pas d’action propre
l’effet de l’insuline, l’utilisation du glucose sur l’oxydation des AGNE, la diminution
est stimulée jusqu’à une valeur maximale constatée n’étant qu’une conséquence de
autour de 16 mg/kg/min. Le K0,5 est autour l’inhibition de la lipolyse. Cette action sur
de 100 mU/l, traduisant le fait que l’utilisa- les AGNE a un effet indirect sur le métabo-
tion du glucose est moins sensible que la lisme du glucose. En effet, il a été montré en
production de glucose à l’action de l’insuline. 1960 par Randle et coll. que l’oxydation des
AGNE dans le muscle inhibait l’oxydation
du glucose. Cette action est principalement
20
due à une inhibition du complexe enzyma-
V max
tique de la PDH liée à l’augmentation du
Utilisation du glucose

15
rapport entre [acétyl Co A / Co A]. L’accu-
(mg/kg/min)

10 mulation de citrate généré dans le cycle de


Krebs est responsable d’une inhibition de la
5
K0,5
phosphofructo-1 kinase. L’accumulation du
0
glucose 6 phosphate résultant de ces inhibi-
10 48 100 1000 tions étant responsable à son tour d’une inhi-
Insulinémie (mU/l) bition de l’hexokinase. La diminution de
l’oxydation des AGNE lève donc ces inhibi-
Figure 3 b tions et favorise l’oxydation du glucose.
Stimulation de l’utilisation du glucose Cet effet indirect de l’insuline sur le
par l’insuline. métabolisme du glucose peut être mis en
évidence lorsque, au cours d’une dose
Celle-ci atteint un maximum de 16 mg/kg.min.
réponse à l’insuline, on maintient artificiel-
Ce paramètre est moins sensible à l’insuline que
la production de glucose par le foie (K0,5 lement l’oydation des AGNE (par exemple
48 mU/l). Il s’agit de l’utilisation totale, l’oxy- par la perfusion d’une émulsion de triglycé-
dation elle-même plafonnant à des valeurs de rides). On obtient une diminution de la sti-
l’ordre de 4 mg/kg.min. L’augmentation de l’uti- mulation de l’utilisation du glucose, princi-
lisation s’effectue donc éventuellement par palement due à une diminution de
recrutement des voies non oxydatives (synthèse l’oxydation du glucose mais également de
de glycogène…). son stockage. On obtient également une
moindre inhibition de la production de glu-
cose. Ainsi, il apparaît qu’une partie de
l’action de l’insuline sur le métabolisme
➛ Inhibition de la lipolyse du glucose dépend aussi de son action sur
le métabolisme des AGNE.
L’insuline sécrétée inhibe la lipolyse par Il est à noter qu’une petite partie des
son action d’inhibition de la triacylglycérol AGNE sont oxydés au niveau du foie où, en
lipase hormono-dépendante. Cette inhibition revanche, l’insuline oriente le métabolisme
est responsable d’une diminution parallèle des AGNE vers la lipogenèse au détriment
du débit de renouvellement et de la concen- de l’oxydation.
tration en acides gras non estérifiés
(AGNE). La lipolyse est très sensible à l’in-
suline (K0,5 environ 20 mU/l).

87
M. Laville, J.P. Riou

8 0,5g/kg mettre en évidence la montée de la glycé-


1g/kg mie, la sécrétion d’insuline, la diminution
7 de la concentration en AGNE. La figure 4
montre que l’élévation glycémique est simi-
Glucose mM

6
laire, que la charge en glucose soit de
5 0,5 g/kg ou qu’elle soit de 1 g/kg. C’est
l’élévation insulinique plus importante pour
4
la charge de 1 g/kg qui permet de limiter
3
l’élévation glycémique en inhibant plus for-
- 60 0 60 120 180 240 300 360 tement la production endogène de glucose.
Temps (min)
Ceci peut être mis en évidence en utilisant
des traceurs du glucose, traceur pour le glu-
cose exogène (utilisant par exemple du maïs
qui est naturellement enrichi en C13) asso-
800 0,5g/kg cié à un traceur de l’ensemble du métabolis-
1g/kg
me du glucose (par exemple marqué par du
Acides Gras Libres µM

600 deutérium). On pourra ainsi suivre l’appari-


tion du glucose exogène, du glucose total.
400 On en déduira par différence l’apparition du
glucose endogène.
200 La figure 5 montre ainsi que la produc-
tion endogène de glucose est plus inhibée
0 au cours de la charge de 1 g/kg qu’au cours
- 60 0 60 120 180 240 300 360 de celle de 0,5 g/kg. Le tableau I montre
Temps (min) le bilan réalisé sur 6 h des 2 charges : entre
80 et 100 % du glucose ingéré est apparu
dans la circulation, la production endogène
60 0,5g/kg de glucose a été réduite de 45 à 55 %.
1g/kg
50

40
Insuline mU/l

30
MISE EN RÉSERVE DES
20
SUBSTRATS ÉNERGÉTIQUES
10
AU COURS DE LA PÉRIODE
0
- 60 0 60 120 180 240 300 360
POST-PRANDIALE
Temps (min)

Figure 4 A. Le glucose
Évolution de la glycémie, des AGNE et de l’in-
sulinémie au cours de 2 charges orales en gluco- La forme de stockage du glucose est
se 0,5 et 1 g/kg, chez 6 sujets normaux principalement le glycogène, la lipogenèse à
partir du glucose restant réduite dans les
conditions physiologiques.
Métabolisme du glucose
après charge orale ➛ Synthèse du glycogène (figure 6)
Lors de la réalisation d’une hyperglycé- Celui-ci est retrouvé dans le foie et dans
mie provoquée par voie orale, on peut le muscle. Les réserves de l’organisme en

88
4. Utilisation des substrats énergétiques

Ra Total Ra Exogène
8 8
0,5 g/kg 0,5 g/kg
1 g/kg 1 g/kg
6 6
mg/kg. mn

mg/kg. mn
4 4

2 2

0 0
-60 0 60 120 180 240 300 360 -60 0 60 120 180 240 300 360

Temps (min) Temps (min)

Production Endogène de Glucose


4
0,5 g/kg
1 g/kg
3
mg/kg. mn

0
-60 0 60 120 180 240 300 360

Temps (min)

Figure 5
Évolution de l’apparition du glucose total, du glucose exogène et de la production endogène de glucose
au cours de 2 charges orales en glucose 0,5 et 1 g/kg, chez 6 sujets normaux.

Charge orale : 0,5 g/kg 1 g/kg


(g) 30 60

RaT = Apparition du glucose total (g/6h) 60 75


RaE = Apparition du glucose exogène (g/6h) 30 50
100 % 83 %

PEG = Production endogène de glucose (g/6h) 28 22


% de suppression de la PEG 46 55

Tableau 1
Bilan sur 6 H d'une hyperglycémie provoquée par voie orale (0,5 ou 1 g/kg) réalisée chez 6 sujets sains.

89
M. Laville, J.P. Riou

glycogène sont, en fait très limitées (70 g le biais du gonflement cellulaire, qui se pro-
dans le foie, 150-300 g dans le muscle). duit avec l’entrée de Na+ lors du transport
La synthèse du glycogène peut être réali- des acides aminés. Mais ce mécanisme
sée selon la voie directe : Glucose – glucose n’est certainement pas unique, la glutamine
6P- Glucose 1P – UDP glucose – Glycogène. serait également capable d’induire une acti-
La synthèse du glycogène peut également vation de la glycogène synthase.
s’effectuer par une voie indirecte : Glucose Ainsi lors de la prise alimentaire, le glu-
– lactate/pyruvate – G6 P – Glycogène. La cose, le fructose, les acides aminés, l’éléva-
proportion respective de la voie directe et tion de l’insuline, l’élévation du G6P vont
indirecte serait de 40-60 %. La voie indirecte contribuer à favoriser la synthèse du glyco-
serait particulièrement importante lors de la gène.
réalimentation après une période de jeûne. Dans le muscle l’insuline stimule la syn-
Le métabolisme du glycogène est contrô- thèse du glycogène en activant la glycogène
lé par la glycogène phosphorylase et la gly- synthétase. Cette action de l’insuline est ici
cogène synthétase dont le degré d’activité indépendante de la présence du glucose.
dépend de leur état de phosphorylation. La
glycogène phosphorylase est activée par ➛ Lipogenèse
phosphorylation (forme a) alors que la gly-
cogène synthétase est active sous forme La biosynthèse des acides gras est réali-
déphosphorylée. La phosphorylation et la sée à partir de l’acétyl CoA dans le foie et
déphosphorylation de ces deux enzymes dans le tissu adipeux. Celui-ci est obtenu
sont controlées par l’activité de protéines par décarboxylation oxydative du pyruvate,
kinases et phosphatases. mais aussi par dégradation de certains
Dans le foie, le glucose associé à l’insuli- acides aminés ou par ß oxydation des acides
ne est le principal élément régulateur. Le gras. La lipogenèse se produit dans le cyto-
glucose va induire la synthèse de glycogène sol. L’acétyl CoA doit donc être transporté
en inhibant la phosphorylase a. La phospho- à travers la membrane mitochondriale
rylase a ayant un effet inhibiteur sur la syn- (grâce à une transformation en citrate).
thase phosphatase, celle-ci se trouve stimu- L’acétyl CoA est converti en malonyl CoA
lée lorsque la phosphorylase a est inhibée. par l’acétyl CoA carboxylase. Il s’ensuit
La synthase phosphatase est également acti- 6 étapes successives qui conduisent à la
vée par le G6P et la présence de substrats synthèse d’acide palmitique catalysé par les
néoglucogéniques. Les sucres simples, 6 enzymes du système acides gras synthéta-
autres que le glucose, concourent aussi à la se. La régulation de cette biosynthèse est
synthèse de glycogène. Ainsi, le fructose faite au niveau de l’acétyl CoA carboxylase
qui est capté en presque totalité par le foie qui est inhibée par les acides gras et surtout
est un excellent précurseur pour la synthèse par les acyl-CoA à longue chaîne.
de glycogène. Le fructose stimule l’action Les acides gras synthétisés sont stockés
de la glycogène synthase. Il existe une sous forme de triglycérides après réestérifi-
synergie d’action sur la glycogène synthase cation. Ce stockage nécessite la présence de
entre le glucose et le fructose. L’insuline glycérol 3 Phosphate. Celui-ci pourra être
antagonise l’action des hormones glycogé- produit dans le foie à partir du glycérol
nolytiques. Elle potentialise l’action du glu- grâce à la présence d’une glycérokinase.
cose d’activation de la glycogène synthase. Dans le tissu adipeux, le glycérol 3
Les acides aminés favorisent également Phosphate ne pourra être produit qu’à tra-
la synthèse du glycogène. Ils sont capables vers la glycolyse (réduction du dihydroxy-
de potentialiser l’action du glucose sur cette acétone 6-Phosphate), la glycérokinase étant
synthèse à des concentrations où ils sont absente de ce tissu. Chez l’animal, notam-
peu métabolisés. Leur action passerait par ment le rat, la lipogenèse dans le tissu adi-

90
4. Utilisation des substrats énergétiques

Ca2+

+ GLYCOGÈNE
PHOSPHORYLASE–b

+
GLUCOSE
PHOSHORYLASE
KINASE - FORT TAUX
GLYCOGÈNE

GLYCOGÈNE
PHOSPHORYLASE–a

GLYCOGÈNE GLYCOGÈNE
SYNTHASE–b SYNTHASE–a

GONFLEMENT + -
FORT TAUX GLYCOGÈNE
CELLULAIRE

SYNTHASE PHOSPHATASE -
K+ composante composante
S G
ACIDES AMINÉS
(transport Na+ dépendant)
+
GLUCOSE 6-P + -
AMP Ca2+

GLUCOSE
FRUCTOSE
Substrats Néoglucogéniques

Figure 6
Principaux mécanismes mis en jeu dans le contrôle du métabolisme hépatique du glycogène

peux est importante. Chez l’homme, il est leur passage intestinal, véhiculés dans la
plus probable que la lipogenèse d’origine lymphe par des chylomicrons. Les lipides
glucidique est principalement hépatique, le endogènes sont, eux, sécrétés par le foie
tissu adipeux ne servant qu’au stockage des sous forme de VLDL.
triglycérides. En fait, la lipogenèse à partir
du glucose n’est observée in vivo qu’en cas ➛ Les lipides exogènes : les lipides ali-
d’alimentation très riche en glucides et mentaires sont hydrolysés dans la lumière
d’hyperinsulinisme. intestinale avant d’être absorbés par les
entérocytes. Ils sont alors réestérifiés et
assemblés avec différentes lipoprotéines :
B. Les lipides Apo B48, Apo A1 pour former les chylomi-
crons. Ces chylomicrons sont ensuite déver-
Le métabolisme des lipides va être diffé- sés dans le torrent circulatoire par le canal
rent selon qu’il s’agisse de lipides exogènes thoracique. Ils subissent alors l’action de la
ou endogènes. Le métabolisme du cholesté- lipoprotéine lipase qui hydrolyse les trigly-
rol ne sera pas traité car il n’a pas de rôle cérides, libérant des AGNE qui peuvent être
en tant que substrat énergétique. Les lipides captés par les tissus. Cette hydrolyse asso-
d’origine alimentaire seront principalement ciée à un enrichissement en apo E transfor-
constitués de triglycérides. Ils sont, après me les chylomicrons en remnants de chylo-

91
M. Laville, J.P. Riou

microns qui sont captés par le foie grâce à THERMOGENÈSE INDUITE


l’existence de récepteurs de l’apo B.
PAR L’ALIMENTATION
➛ Les lipides endogènes : ils sont couplés
aux apoprotéines dans le foie sous forme de
VLDL. Les VLDL sont constitués de lipo- La thermogenèse alimentaire a deux
protéines : apo B, E et C et de lipides. Ces composantes : une obligatoire, liée au coût
lipides proviennent, soit d’acides gras plas- énergétique des processus de digestion et de
matiques captés par le foie et réestérifiés, stockage, l’autre, facultative, correspond à
soit de la synthèse hépatique de novo. un « gaspillage » d’énergie pouvant être en
Après leur sécrétion, ils subissent, comme relation avec l’activation du système sympa-
les chylomicrons, l’action de la lipoprotéine thique et la libération de noradrénaline (voir
lipase qui hydrolyse les triglycérides ainsi Ch. 2).
que des échanges de lipoprotéines. Ces
modifications transforment les VLDL en ➛ Thermogenèse obligatoire : elle corres-
LDL en passant par des formes intermé- pond au coût énergétique de la digestion et
diaires, les IDL. du stockage des nutriments (tableau II). La
Qu’il soit d’origine endogène ou exogène, digestion ne requiert que peu d’énergie (2 à
le métabolisme des lipides dépend étroite- 4 % de l’énergie ingérée). Le coût du stoc-
ment de l’activité de la lipoprotéine lipase. kage dépend de la nature des nutriments,
Cette enzyme est en fait une ectoenzyme qui ainsi le plus coûteux énergétiquement est la
est synthétisée dans la cellule musculaire ou synthèse protéique, alors que le stockage
adipeuse, mais qui est ensuite exportée vers lipidique est effectué presque sans dépense
l’endothélium vasculaire. Elle se retrouve d’énergie. On comprend donc que, lors-
accrochée à l’endothélium vasculaire dans la qu’on mange des graisses, on est dans les
lumière des capillaires. Activée par l’apoCII, meilleures conditions pour le stockage
elle permet l’hydrolyse des triglycérides des d’énergie par gramme de substrat (9 Kcal/g)
lipoprotéines circulantes et la captation tis- et d’autre part, leur mise en réserve ne
sulaire des acides gras provenant de cette coûte que peu d’énergie.
hydrolyse. Suivant l’état nutritionnel, la
répartition de son activité entre muscle et Glucose Lipides Protéines
tissu adipeux va varier. Ainsi, à l’état nourri,
sous l’effet de l’insuline, il y a une augmen- Absorption
tation de l’expression de la LPL du tissu adi- intestinale 3% 2% 4%
peux alors que celle du muscle est diminuée. Stockage Glycogène Triglycérides Urée,
Cela permet une captation des acides gras glucose
par le tissu adipeux, ou ils seront réestérifiés 6% 2% 24 %
et stockés sous forme de triglycérides.
Triglycérides Synthèse
Ainsi, à l’état nourri, tout concourt au protéique
stockage des substrats permettant la mise en 23 % 26 %
réserve d’énergie. Cependant, l’ensemble de
ces processus ont un coût métabolique : la Tableau II
thermogenèse. Coût respectif de l’absorption intestinale
et du stockage des aliments en pourcentage
de l’énergie ingérée, d’après E. Jéquier.

92
4. Utilisation des substrats énergétiques

➛ Thermogenèse facultative : lorsqu’on Chez l’homme, la situation est plus com-


mesure l’augmentation de la dépense éner- plexe. Le rôle du système nerveux sympa-
gétique à la suite d’un repas (en calorimé- thique, et plus particulièrement de la nora-
trie indirecte), on constate une augmenta- drénaline, a pu être mise en évidence dans
tion de la dépense énergétique (c’est la la thermogenèse facultative puisque celle-ci
thermogenèse). Cependant, cette augmenta- diminue, voire s’annule, sous l’effet de
tion de la dépense énergétique est plus beta-bloquants. Cependant, le lieu de pro-
importante que celle que l’on trouverait s’il duction de cette chaleur reste discuté (rôle
existait seulement la thermogenèse obliga- du muscle ?). Un défaut de thermogenèse a
toire. Ce surplus de dépense énergétique pu être mis en évidence chez certains indi-
correspond à la thermogenèse facultative. vidus obèses, ce défaut paraît persister après
Chez l’animal, et surtout chez le rat, les amaigrissement et existe à un stade très pré-
mécanismes responsables de cette thermoge- coce de l’obésité. Il apparaît donc qu’un
nèse facultative ont bien été identifiés. Cette défaut de thermogenèse est probablement
thermogenèse se produit principalement dans impliqué dans la genèse de l’obésité mais ce
le tissu adipeux brun (il se distingue du tissu n’est certainement pas le seul facteur.
adipeux blanc surtout par l’abondance des Au total, l’organisme est équipé de sys-
mitochondries) et est localisée dans les zones tèmes fins de régulation qui permettent
interscapulaires, axillaires, péri-rénales, d’assurer l’apport énergétique nécessaire
para-aortiques). Ce tissu a une innervation aux tissus et d’assurer la mise en réserve de
sympathique. Il a pu être mis en évidence par l’énergie, face aux apports alimentaires dis-
l’existence, dans des souches d’animaux continus. Il existe de plus un système régu-
génétiquement obèses (rats fa-fa, souris ob- lateur responsable d’un certain « gaspil-
ob), d’un défaut de fonctionnement du tissu lage » d’énergie via la thermogenèse. Les
adipeux brun. Ce défaut de dépense énergé- dysfonctionnements de ces systèmes pour-
tique est directement impliqué dans la genèse raient conduire à des pathologies de sur-
de l’obésité de ces animaux. charge, telles que l’obésité.

93
M. Laville, J.P. Riou

B ibliographie

(1) - Assan R., Heuclin Ch., Girard J.R. Métabolisme des glucides. Encyclopédie Médico Chirurgicale,
1976, Nutrition 10507 A10, 1-20
(2) - Jéquier E. Métabolisme énergétique. Encyclopédie Médico Chirurgicale, 1980, Nutrition 10371
A10, 1-14
(3) - Riou J.P., Tissot S., Normand S. Métabolisme du glucose au cours d’une charge orale.
Flammarion, Médecine Sciences, Journées de Diabétologie 1989, 185-190
(4) - Morand C., Remesy C., Demigne C. Contrôle du métabolisme du glycogène au niveau du foie.
Diabète et Métabolisme 1992, 18 : 87-95.

94
5
Métabolisme des protéines
B. Beaufrère
5. Métabolisme des protéines

GÉNÉRALITÉS protéines de structure (collagène...), pro-


téines contractiles (myosine...), protéines de
transport (albumine...), protéines « immuni-
ne protéine est une molécule taires » (immunoglobulines), protéines

U composée d’une séquence


d’acides aminés reliés par
des liaisons peptidiques. La
enzymatiques, ou transmettant l’information
(hormones, récepteurs...), etc. Malgré ces
structures et fonctions très variables, toutes
les protéines ont en commun le même méta-
séquence détermine la structure primaire de
la protéine, la configuration de la chaîne bolisme schématisé sur la figure 1.
peptidique dans l’espace détermine les Ce schéma appelle quelques commen-
structures secondaires et tertiaires, l’asso- taires :
ciation de plusieurs chaînes peptidiques les chiffres indiqués sur le schéma sont
détermine la structure quaternaire. Par donnés à titre indicatif et correspondent
convention, une protéine comportant moins approximativement aux valeurs observées
de 50 acides aminés est appelée peptide. La chez l’adulte en bonne santé.
taille d’une protéine est extrêmement
variable de quelques centaines à plusieurs ➛ Les principales voies de production et
millions de kilo-daltons. De même, les pro- d’utilisation des acides aminés sont :
téines ont de très nombreuses fonctions : – la synthèse protéique (anabolisme pro-

PROTÉINES
(' 11 kg)

SYNTHÈSE
PROTÉOLYSE PROTÉIQUE
(' 300 g/j) (' 300 g.j)
URÉE
ACIDES NH4
APPORTS DÉGRADATION
AMINÉS IRRÉVERSIBLE
EXOGÈNES LIBRES (' 70 g.j)
(' 70 g.j) CO2

SYNTHÈSE AA POUR
DE NOVO FONCTIONS
ENDOGÈNE SPÉCIFIQUES

Figure 1
Schéma général du métabolisme protéique

97
B. Beaufrère

téique) : elle se fait à partir d’un pool (com- quement nulle pour certaines protéines du
partiment) d’acides aminés libres de très cristallin, très importante pour certaines
petite taille, environ 70 g (soit moins de 1 % protéines hépatiques exportées (à titre
des acides aminés de l’organisme) lui-même d’exemple, la totalité du stock corporel
compartimenté en 2 pools extracellulaire et d’apolipoprotéines B100 des VLDL est
intracellulaire, ce dernier représentant envi- renouvelée 3 fois par jour).
ron 95 % des acides aminés libres et étant le Ainsi, chez le jeune rat, le renouvelle-
véritable précurseur de la synthèse. ment des protéines musculaires représente
– la protéolyse (ou dégradation pro- environ 20 % du renouvellement protéique
téique), total, celui du foie environ 10 % (la masse
– ces deux phénomènes de synthèse pro- hépatique est très inférieure à la masse mus-
téique et de protéolyse sont simultanés et culaire mais ses protéines sont renouvelées
constituent le renouvellement (turnover) beaucoup plus rapidement), les protéines de
protéique. L’équilibre entre synthèse et la peau et du tube digestif constituant les
protéolyse est responsable de la conserva- deux autres participants importants (environ
tion de la masse protéique. Une synthèse 15 % chacun). Ces pourcentages indicatifs
supérieure à la protéolyse résulte en un gain varient en fonction de l’âge, et probable-
protéique net (ou accrétion protéique) ment de l’espèce.
improprement appelé anabolisme protéique. D’un point de vue nutritionnel, il est
A contrario, une protéolyse supérieure à la habituel de considérer l’ensemble du méta-
synthèse résultera en une diminution de la bolisme protéique selon la figure 1. Le
masse protéique. caractère très (trop) global de cette vision
– la dégradation irréversible des acides doit cependant être gardé en mémoire.
aminés correspond à l’oxydation de ces Les valeurs indiquées sur la figure 1 cor-
derniers et résulte en une production d’azo- respondent à celles observées chez un adulte
te et de CO2. de 70 kg en bon état nutritionnel. Il est habi-
– les apports protéiques compensent les tuel d’exprimer synthèse protéique et protéo-
pertes d’acides aminés, la différence entre lyse par kg de poids corporel, ce qui corres-
apports et pertes constituant le bilan pro- pond à environ 4 g de protéine synthétisée et
téique (ou bilan azoté) et correspondant dégradée par kg de poids et par jour. En
également à la différence entre synthèse et l’absence de croissance, la masse protéique
protéolyse protéique à condition que la reste stable et la synthèse est donc égale à la
taille du pool d’acides aminés libres ne protéolyse sur une période de 24 h.
varie pas, ce qui est le cas la plupart du
temps. ➛ Les variations du renouvellement pro-
téique sont importantes en fonction de
➛ Il existe environ 10 000 protéines diffé- l’âge et des différents états pathologiques :
rentes dans leurs structures et leurs fonc- – selon l’âge : le renouvellement pro-
tions chez les mammifères. Ces protéines téique est beaucoup plus rapide chez le nou-
vont participer de façon très variable au veau-né, de 10 à 15 g/kg.jour, la synthèse
renouvellement protéique global. Cette étant cette fois-ci supérieure à la protéolyse,
participation dépend : ce qui entraîne un gain protéique 1 à 1,5 g
– de l’importance quantitative de la pro- de protéine/kg.jour (correspondant à un gain
téine considérée et à ce titre les organes les pondéral de 20 à 30 g.jour composé de
plus importants vont être le muscle, l’intes- 12 % de protéines). Il existe beaucoup
tin, le foie et la peau ; moins de données chez le sujet âgé où le
– de la rapidité du renouvellement de renouvellement protéique ne semble pas
chaque protéine considérée individuelle- varier de façon significative ;
ment. Cette rapidité est très variable, prati- – selon l’état nutritionnel : le renouvel-

98
5. Métabolisme des protéines

lement protéique diminue au cours du LA SYNTHÈSE PROTÉIQUE


jeûne, la protéolyse restant supérieure à la
synthèse protéique, ce qui induit un bilan
protéique négatif (cf infra, VIII, B, 2°) ; Pénétration intracellulaire
– selon l’état pathologique : en règle des acides aminés
générale, les situations dites cataboliques
entraînent une augmentation importante du Les acides aminés libres circulants pénè-
renouvellement protéique qui peut être mul- trent d’abord à l’intérieur des cellules à l’ai-
tiplié par 3 à 4, la protéolyse étant cepen- de de transporteurs dont il existe au moins
dant supérieure à la synthèse protéique et quatre types, chacun étant commun à plu-
résultant en des pertes protéiques massives sieurs acides aminés. On distingue :
avec réduction de la masse protéique. – un transporteur pour les acides aminés
Au total, ces trois situations soulignent la neutres dont il existe plusieurs formes, les
possible dissociation entre un gain pro- systèmes A, ASC, L et GLY. La plupart de
téique d’une part et une synthèse pro- ces transporteurs sont sodium-dépendants et
téique d’autre part : une synthèse pro- consomment de l’énergie.
téique élevée (comme par exemple chez le – un transporteur pour les acides aminés
brûlé) n’est pas forcément associée à un basiques : lysine (et cystéine),
gain protéique. Enfin, les différentes varia- – un transporteur pour les acides aminés
tions constatées au niveau du métabolisme dicarboxyliques (aspartate, glutamate),
protéique du corps entier ne portent pas de – un transporteur pour les imino acides
façon similaire sur le métabolisme des dif- (proline).
férents compartiments protéiques : ainsi au Compte tenu de la non-spécificité de la
cours des situations cataboliques, l’accéléra- plupart de ces transporteurs, il peut exister
tion du renouvellement protéique hépatique des phénomènes de compétition entre les
participe de façon majoritaire à l’accéléra- différents acides aminés en cas de déséqui-
tion du renouvellement protéique global. libre majeur entre les concentrations des
acides aminés dépendant d’un même trans-
➛ Quelle est la finalité du renouvelle- porteur.
ment protéique ? L’existence d’un renou-
vellement protéique relativement rapide per-
met une meilleure adaptation de celui-ci Les aminoacyl tRNA
aux différentes circonstances nutritionnelles
et physiopathologiques et permet également Ce compartiment est en fait le véritable
l’élimination de protéines vieillies qui ne précurseur de la synthèse protéique et il
peuvent plus remplir leurs fonctions physio- est de taille extrêmement réduite (cf.
logiques de façon satisfaisante. figure 2). Avant d’être utilisé pour la syn-
Par rapport à la figure 1, nous considére- thèse protéique, un acide aminé doit être
rons le pool d’acides aminés libres comme activé (« chargé ») par un tRNA sous l’in-
élément central du métabolisme protéique et fluence d’une amino acyl tRNA synthétase.
envisagerons successivement les voies d’uti- Il existe vingt amino acyl tRNA synthé-
lisation des acides aminés et les voies de tases, chacune étant spécifique d’un acide
production de ces acides aminés. Le méta- aminé. La controverse persiste pour savoir
bolisme de chaque acide aminé ne sera pas si l’activation par le tRNA se fait exclusive-
considéré individuellement (bien que ment à partir du pool amino acide intracel-
quelques exemples soient donnés) mais en lulaire libre ou également et au moins par-
relation avec le métabolisme protéique vu tiellement à partir du pool d’acide aminé
sous un angle nutritionnel. extracellulaire.

99
B. Beaufrère

AMINOACIDE
AMINO ACYL INTRAPROTÉIQUE
t RNA = (protéine)

Transporteur

AMINO ACIDE AMINO ACIDE


EXTRACELLULAIRE INTRACELLULAIRE OXYDATION
(PLASMATIQUE) LIBRE

Figure 2
Transfert intracellulaire des acides aminés pour la synthèse protéique

La synthèse protéique proprement sous forme de GTP et d’ATP. On distingue


dite la capacité de traduction et son efficacité :
la capacité ribosomale correspond aux pos-
Seules les grandes étapes en seront rap- sibilités de synthèse maximum d’une protéi-
pelées ici. ne par une cellule et s’exprime en quantité
de RNA disponible par rapport à la quantité
➛ Transcription du DNA en mRNA : ini- de protéine tissulaire (ou de DNA). L’effi-
tiation puis élongation, catalysée par la cacité ribosomale correspond à l’activité de
RNA polymérase. la synthèse protéique rapportée à la quantité
de RNA présent.
➛ Traduction du mRNA en un peptide :
cette traduction se fait sur les ribosomes ➛ La maturation : elle correspond aux
(qui sont les « établis » de la synthèse pro- multiples phénomènes post-traductionnels
téique). En général, il existe plusieurs ribo- qui vont permettre d’obtenir une protéine
somes sur un même brin de mRNA qui est fonctionnelle à partir du peptide détaché des
donc traduit simultanément. Cette agréga- ribosones et qui pour l’instant n’a qu’une
tion de ribosomes en polysomes peut être structure primaire. Cette protéine peut rester
visualisée en microscopie électronique et intracellulaire mais peut également être
constitue un témoin morphologique de l’ac- exportée vers d’autres tissus suivant alors la
tivité de synthèse protéique intracellulaire. voie sécrétoire du réticulum endoplasmique
L’interaction entre les groupes de trois puis de l’appareil de Golgi. Au cours de ces
bases du mRNA (codons) et les anti-codons différentes étapes à l’intérieur de la cellule,
du tRNA correspond à la lecture du code les protéines subissent donc différentes
génétique. Les trois étapes successives de la modifications :
synthèse d’un peptide sont l’initiation, – acquisition des structures secondaires,
l’élongation et la terminaison qui nécessi- tertiaires et quaternaires (par exemple
tent à ces différents niveaux des facteurs acquisition de ponts disulfures),
spécifiques (IF, EF, RF), des enzymes (pep- – glycosylation,
tides transférases) et surtout de l’énergie – acquisition de signaux permettant le

100
5. Métabolisme des protéines

ciblage (« targetting ») vers des sites cellu- L’élimination de l’azote


laires spécifiques tels que les mitochondries
ou les lysosomes, Le glutamate formé est converti en gluta-
– coupures de pré-protéines pour arriver mine (glutamine synthétase) qui permet le
à la forme fonctionnelle (par exemple cou- transfert de l’ammoniac (toxique sous sa
pure de la pro-insuline en insuline), forme libre) sous une forme neutre entre les
– modifications de certains acides aminés différents organes et en particulier vers le
(par exemple méthylation de l’histidine foie. D’autres acides aminés, telle que l’ala-
conduisant à la 3 méthyl histidine, hydroxy- nine participent également à ce transfert.
lation de la proline en hydroxyproline...). Dans le foie, la glutamine redonne du
Globalement deux points essentiels sont à glutamate et de l’ammoniac et c’est le cycle
souligner concernant la synthèse protéique : de l’urée qui permet l’élimination de l’ex-
– l’absence ou la faible disponibilité cès d’ammoniac sous une forme neutre,
d’un seul acide aminé suffit à ralentir, hydrosoluble et concentrée (l’urée compre-
voire à bloquer l’ensemble des synthèses nant 2 atomes d’azote par molécule). Les
protéiques, deux atomes d’azote qui seront éliminés
– la synthèse protéique consomme une viennent pour l’un de l’ammoniac dérivé du
quantité importante d’énergie. D’après la glutamate, activé sous forme de carbamoyl
stoéchiométrie des différentes réactions le phosphate et pour l’autre de l’aspartate, lui-
coût énergétique de la synthèse protéique même issu de la transamination de l’oxaloa-
est de l’ordre de 0,85 kcal/g de protéine cétate par le glutamate.
synthétisée. Ceci représente un coût mini- L’urée, produit terminal du métabolisme
mum, les estimations obtenues in vivo chez protéique, n’a pas de fonction métabolique.
l’homme étant de 1 kcal/g de protéine syn- Elle peut diffuser en partie dans l’intestin où
thétisée. elle est dégradée par des uréases bacté-
riennes produisant de l’ammoniac qui peut
être réabsorbé et revenir au foie. Ce méca-
nisme de « sauvetage » de l’azote joue peut-
LA DÉGRADATION être un rôle dans l’épargne protéique relative
au cours du jeûne. La régulation du cycle se
IRRÉVERSIBLE DES ACIDES fait au niveau de la synthèse du carbamoyl
AMINÉS (ou catabolisme oxydatif phosphate et des concentrations des diffé-
des acides aminés, à ne pas confondre rents intermédiaires du cycle de l’urée. Ce
avec la protéolyse) cycle est consommateur d’énergie.
La voie préférentielle d’élimination de
l’azote en excès est le cycle de l’urée,
Désamination mais l’azote peut également être éliminé par
le rein sous forme d’ammoniac, qui repré-
L’étape initiale de l’oxydation de la plu- sente environ 20 % de l’azote urinaire total.
part des acides aminés est le transfert du Cette proportion augmente dans les circons-
groupement alpha-aminé sur l’alpha kéto- tances cataboliques, le jeûne, l’acidose et
glutarate, produisant l’acide alpha-cétonique les insuffisances hépatiques.
(cétoacide) correspondant selon la réaction
indiquée ci-dessous.
AA - NH2 + alpha-cétoglutarate ➛ cétoa- La destinée des radicaux carbonés
cide + glutamate des acides aminés
Le groupe aminé maintenant porté par le
glutamate sera ultérieurement redistribué Cette destinée varie selon l’acide aminé
vers d’autres acides aminés. et également selon les organes, la plupart

101
B. Beaufrère

des acides aminés à l’exception des acides aminé considéré), l’acide aminé est définiti-
aminés branchés ayant une dégradation vement « perdu » pour le métabolisme pro-
oxydative essentiellement hépatique. Sché- téique. A titre d’exemple, les deux pre-
matiquement, le radical carboné (céto acide) mières réactions de dégradation des acides
peut avoir deux destinées : aminés branchés sont indiquées ci-dessous.
– il peut être réaminé soit en un acide
aminé identique, soit en un autre acide 1) Leucine + alpha-cétoglutarate ↔ kétoiso-
aminé après modification conduisant alors à caproate + glutamate (réversible)
la synthèse d’acides aminés non essentiels ; CO2
– il peut être irréversiblement détruit et ➚ isovaleryl CoA (irré-
2) kétoisocaproate ➞
fournir de l’énergie directement ou indirec- versible).
tement, ses carbones étant incorporés dans
d’autres substrats énergétiques, glucose ou L’étape irréversible (2) est la décarboxy-
corps cétoniques. Tous les acides aminés lation en position 1, toute remontée vers
sont néoglucogéniques à l’exception de la l’acide aminé devient alors impossible.
leucine et de la lysine, le plus important C’est au niveau de cette étape que s’exerce
quantitativement étant l’alanine. Leur parti- une régulation hormonale et nutritionnelle
cipation à la cétogenèse est par contre quan- particulièrement fine.
titativement modeste.

Les acides aminés sont aussi des LA PROTÉOLYSE


précurseurs de composés actifs (ou catabolisme protéique)

Les acides aminés ou leurs radicaux car-


bonés peuvent être les précurseurs de com- Il constitue la principale source d’acides
posés spécifiques biologiquement actifs. aminés pour l’organisme (75 % contre 25
Ainsi phénylalanine et tyrosine sont les pré- % pour les apports). Ses mécanismes ont été
curseurs des hormones thyroïdiennes et des beaucoup moins étudiés que ceux de la syn-
catécholamines, l’histidine est un précurseur thèse protéique, en particulier en raison de
de l’histamine, le glutamate un précurseur difficultés méthodologiques mais il s’agit
du gaba (neurotransmetteur), aspartate, gly- certainement du domaine où la progression
cine et glutamate sont des précurseurs des des connaissances a été la plus rapide au
bases puriques et pyrimidiques Ces voies de cours des dix dernières années.
transformation sont quantitativement En règle générale, les protéines sont
minimes en terme de « nutrition protéique » dégradées par des enzymes protéolytiques,
stricto sensu, ce qui n’enlève rien à leurs les protéases (ou hydrolases) réparties en
rôles physiologiques essentiels. trois systèmes principaux :
Du point de vue du métabolisme pro-
téique, la notion essentielle à considérer
est celle de pertes irréversibles d’un acide Le système lysosomal
aminé pour la synthèse protéique. En
règle générale, jusqu’aux céto acides, il est Les enzymes concernées sont des pro-
possible de « remonter » à un acide aminé téases actives en milieu acide, les cathep-
par réamination, l’acide aminé pouvant être sines, dénommées en fonction de l’acide
réincorporé dans une protéine. Par contre, aminé de leur site actif (cystine protéinase :
une fois les étapes d’oxydation irréversibles cathepsines B, C, H, L, S, aspartate protéi-
franchies, (ces étapes étant plus ou moins nases : cathepsines D et E ; sérine protéina-
proches de la désamination selon l’acide se : cathepsine G).

102
5. Métabolisme des protéines

Ces enzymes sont localisées essentielle- tide de 76 aminés dont la séquence est extrê-
ment à l’intérieur des vésicules lysosomales mement conservée chez les eucaryotes. Il se
qui incorporent par endocytose les protéines fixe sur les protéines à dégrader (par liaison
à dégrader. Elles agissent essentiellement covalente au niveau des résidus lysine de la
sur les protéines intracellulaires à demi-vie protéine). Une fois la protéine poly-ubiquiti-
longue, sur les membranes cellulaires, et sur née, elle est reconnue par le protéasome qui
les protéines extra cellulaires. L’endocytose la dégrade en acides aminés et en peptides
peut également concerner un fragment d’or- courts relâchant l’ubiquitine qui peut alors
ganite voire un organite entier (macro auto- être réutilisée. L’ensemble de la réaction
phagie). A l’intérieur de la vésicule, les nécessite plusieurs enzymes, protéines por-
cathepsines vont dégrader la protéine sub- teuses et co-facteurs. Surtout, la réaction
strat en peptides et en acides aminés qui consomme de l’ATP à deux niveaux, d’une
seront libérés dans le cytosol. Le type de part au moment de l’ubiquitination, d’autre
cathepsine et de façon générale l’importan- part au moment de l’intervention du protéa-
ce de la protéolyse lysosomale varie selon some. Cette voie ATP dépendante représente
l’organe considéré : ce mode de dégradation probablement la majorité de la protéolyse au
est particulièrement important dans les niveau musculaire (protéines myofibril-
organes à renouvellement protéique rapide laires). Elle est finement régulée par les cir-
(foie). Il nécessite de l’énergie sous forme constances nutritionnelles et hormonales.
d’ATP.

Les signaux de la protéolyse


Le système calpaïne-capastatine
Une question fondamentale et encore non
Les calpaïnes (au nombre de deux) sont résolue est la suivante : comment les diffé-
des protéases cytosoliques dont l’activité est rents systèmes protéolytiques savent-ils
étroitement fonction de la concentration quelle protéine dégrader et à quelle vites-
intracellulaire en calcium. Elles sont plus se ? En l’absence de tels systèmes de
spécialisées dans la dégradation des pro- reconnaissance, on pourrait imaginer une
téines du cyto-squelette. La calpastatine est protéolyse continue incontrôlable et rapide-
un inhibiteur puissant des calpaïnes, l’acti- ment léthale. Il est clair qu’il existe un
vité protéolytique globale dépendant de mécanisme de ciblage des protéines permet-
l’équilibre entre calpaïnes et calpastatine. tant de désigner à tel ou tel système ce qui
doit être dégradé ou non. Ce ciblage est
fonction du poids moléculaire, du degré de
glycolysation, du point isoélectrique, mais
Le protéasome (système ATP des systèmes plus spécifiques commencent
dépendant) à être identifiés :

Il s’agit d’un volumineux complexe enzy- ➛ Identité de l’acide aminé N-terminal de


matique composé de nombreuses sous-unités la protéine : certains acides aminés N termi-
dont deux formes, le protéasome 20 S et le naux sont « stabilisants » (par exemple
protéasome 26 S ont été identifiées. Les sub- méthionine, glycine) et portés par des pro-
strats préférentiels de ce protéasome sont les téines à demi-vie longue, d’autres sont
protéines intracellulaires anormales, ou à « déstabilisants » (lysine, aspartate, trypto-
demi-vie courte. Préalablement à l’action du phane) et donc portés par des protéines à
protéasome 26 S, un marquage préalable demi-vie courte. L’acide aminé N terminal
de la protéine à dégrader par l’ubiquitine peut, au cours de la vie de la protéine, être
est nécessaire. L’ubiquitine est un petit pep- modifié (asparagine transformée en asparta-

103
B. Beaufrère

te), ou peut recevoir un acide aminé déstabili- gastrique, une digestion enzymatique par la
sant supplémentaire, ou peut au contraire être pepsine et surtout les enzymes pancréa-
protégé par une acétylation (la désacétylation tiques, libérant ainsi des acides aminés et
exposant alors un acide aminé déstabilisant). des di et tripeptides qui sont absorbés au
niveau des villosités. Les apports représen-
➛ Les « séquences signal » : il a été mis tent chez un adulte en pays développé, de 1
en évidence de courtes séquences d’acides à 1,5 g de protéine/jour (soit 70 à 100 g).
aminés dénommées selon la nomenclature Seules quelques remarques permettant
des acides aminés avec une lettre (séquence une meilleure compréhension du métabolis-
KFERQ ou PEST, le K correspondant à la me protéique seront faites ici :
glycine, le F à la phénylalanine, etc.). Ces – la quantité d’acides aminés absorbée
motifs, inclus dans la séquence primaire de par le grêle n’est pas de 70 à 100 g mais
la protéine, deviendraient exposés au fur et comprend en plus des protéines ingérées les
à mesure du vieillissement de la protéine protéines « sécrétées » par le tube digestif
par modification des structures secondaires sous forme d’enzymes, de mucus, de débris
et tertiaires, l’apparition du motif étant alors cellulaires... Ces protéines « sécrétées »
le signal pour la dégradation de la protéine. représentent environ 50 g et c’est donc un
Cependant, à l’heure actuelle, ces deux total quotidien de 150 g d’acides aminés
mécanismes ne concernent que quelques qui vont arriver dans la veine porte.
protéines et les signaux conduisant à la – le premier organe rencontré par les
dégradation de la majorité des protéines res- acides aminés absorbés est le foie. Seule
tent mystérieux. une fraction des acides aminés absorbés
Au total, les points essentiels à retenir passe dans la circulation générale, le reste
sur la protéolyse sont : étant transaminé, oxydé ou incorporé dans
– la notion que la protéolyse consomme les synthèses protéiques hépatiques. Ce phé-
de l’énergie. En raison de la mutiplicité des nomène, dit de l’extraction splanchnique,
systèmes protéolytiques et de la moins concerne 60 à 80 % des acides aminés
bonne connaissance de la stoechiométrie absorbés (à l’exception des acides aminés
des différentes réactions, il est difficile d’es- branchés, dont l’extraction est d’environ
timer, comme pour la synthèse protéique, 20 %). Il permet à l’aminoacidémie de res-
un coût énergétique de la protéolyse. En ter dans des limites raisonnables même au
tout état de cause, ce coût est probablement cours d’une charge protéique alimentaire
élevé ; importante.
– la protéolyse est tout autant que la – enfin il est intéressant de constater qu’à
synthèse protéique un phénomène très partir d’une protéine alimentaire de structu-
bien régulé par les conditions nutrition- re extrêmement complexe, l’organisme
nelles et hormonales, même si cette régula- dégrade cette protéine en ses unités consti-
tion est actuellement mal connue. tutives (les acides aminés), pour reconstrui-
re ultérieurement une protéine tout aussi
complexe qui peut être à peine différente
structurellement (par exemple pour les pro-
LES APPORTS EN ACIDES téines myofibrillaires) de la protéine ingé-
rée. Ce phénomène de dégradation et de
AMINÉS EXOGÈNES synthèse est rendu indispensable par la
spécficité d’espèce des différentes pro-
téines et va nécessiter une importante
Ceci correspond à l’apport alimentaire en dépense énergétique.
protéines qui subissent après leur ingestion
une dénaturation par l’acide chlorhydrique

104
5. Métabolisme des protéines

SYNTHÈSE DES ACIDES bien démontrée par l’administration d’azote


15 qui, quelle que soit la forme sous laquel-
AMINÉS NON ESSENTIELS le il est administré (15N glycine, par
exemple) se retrouve rapidement sur l’en-
semble des acides aminés libres de l’orga-
La première étape de la dégradation des nisme.
acides aminés est habituellement une désa- Ce phénomène peut être mis à profit au
mination. Cette réaction est bi-directionnel- cours de l’insuffisance rénale, circonstance
le et un radical carboné (céto acide ou dans laquelle les apports d’azote doivent
« céto-analogue ») peut récupérer une fonc- être limités pour éviter une augmentation
tion amine pour resynthétiser un acide trop importante de l’urée plasmatique mais
aminé. Seule la lysine et la thréonine ne doivent cependant être suffisants pour per-
peuvent être resynthétisées à partir du radi- mettre une synthèse protéique correcte et un
cal carboné. bon état nutritionnel. On peut alors en théo-
rie remplacer l’apport en acides aminés
➛ Un acide aminé est dit essentiel lors- essentiels par l’apport de leurs céto-ana-
qu’il ne peut être synthétisé par l’orga- logues qui n’amènent pas d’azote mais vont
nisme ce qui implique qu’il doit être toutefois pouvoir être réaminés en acides
apporté par l’alimentation. La liste des aminés, utilisés dans la synthèse protéique
acides aminés essentiels et non essentiels (sauf pour la lysine et la thréonine qui seuls
chez l’homme est indiquée sur le tableau 1. méritent le qualificatif d’« essentiels » au
Dans certaines circonstances, un acide sens strict).
aminé peut devenir conditionnellement Parmi les acides aminés non essentiels,
essentiel en raison par exemple d’un besoin deux sont considérés comme particulière-
particulièrement élevé où d’une immaturité ment importants, l’alanine et la glutamine :
des voies enzymatiques de synthèse des – le radical carboné de l’alanine est four-
novo, par exemple chez le nouveau-né. ni par le pyruvate lui-même issu de la gly-
colyse musculaire. Le pyruvate est trans-
Tableau 1 aminé par le glutamate pour former de
Acides aminés essentiels et non essentiels l’alanine. L’alanine formée, libérée par le
muscle, va être utilisée par le foie où son
Essentiels Non Essentiels radical carboné servira à la néoglucogenèse,
HISTIDINE ALANINE son azote étant transféré sur le glutamate
LEUCINE GLUTAMINE établissant ainsi un cycle alanine-glucose
ISOLEUCINE GLUTAMATE entre le muscle et le foie ;
VALINE ASPARTATE – la glutamine est l’acide aminé le plus
LYSINE ASPARAGINE abondant dans le plasma. Glutamate et gluta-
MÉTHIONINE CYSTÉINE mine sont interconvertis par la glutaminase
PHÉNYLALANINE PROLINE
(Gln ➛ Glu) et la glutamine synthétase (Glu
TRYPTOPHANE GLYCINE
THRÉONINE ARGININE ➛ Gln), chaque organe privilégiant l’une ou
TYROSINE l’autre voie, ce qui conduit à la notion d’or-
SÉRINE gane exportateur et importateur de glutami-
ne. Sa fonction principale est le transport
d’azote sous forme neutre. La glutamine est
➛ La finalité des réactions de transami- produite par plusieurs organes, essentielle-
nation est de redistribuer l’azote ingéré ment le muscle, et est utilisée principale-
de façon adéquate entre les différents ment par l’intestin où elle représente le
acides aminés nécessaires à la synthèse substrat énergétique majoritaire, par les
protéique. Cette redistribution d’azote a été lymphocytes, le foie et le rein.

105
B. Beaufrère

LES MOYENS D’EXPLORATION l’azote total doit lui être préféré quand il est
possible (méthode de Kjeldhal ou pyro-che-
DU MÉTABOLISME miluminescence).
PROTÉIQUE IN VIVO – la quantification des apports est diffici-
le en dehors des situations de nutrition arti-
ficielle, le dosage effectif de l’azote ingéré
La quantification de la masse protéique (méthode des plateaux dupliqués) est préfé-
totale de l’organisme est effectuée par des rable à celui de l’estimation par les tables
méthodes de composition corporelle (voir de composition alimentaire ;
Ch. 1). A l’exception de la mesure de l’azo- – l’excrétion azotée fécale est en principe
te corporel total par activation neutronique, faible (10 à 15 % des pertes azotées). Il ne
méthode lourde exclusivement destinée à la faut pas oublier de prendre en compte l’ex-
recherche, il n’existe pas de mesure direc- crétion azotée des fistules digestives lors-
te de la masse protéique, qui est déduite qu’elles existent ;
de la mesure d’autres compartiments – les pertes insensibles (sueurs, desqua-
(masse grasse, eau corporelle). mations, phanères...) représentent environ
10 mg d’azote par kg par jour dans des cir-
constances normales.
Globalement un bilan azoté fiable doit
Le bilan azoté être pratiqué sur une période minimum de 3
à 5 jours. Il s’agit donc d’un examen relati-
L’équation de base du bilan azoté est la vement lourd en pratique clinique. On peut
suivante : lui substituer le seul dosage d’azote urinaire
bilan = apport d’azote - (azote urinaire + déjà très informatif pour le suivi d’une ali-
azote fécal + autres pertes azotées) mentation artificielle. Signalons enfin que
compte tenu de la tendance à la suresti-
Par définition, le bilan azoté indique mation des entrées et à la sous-estimation
l’évolution nette de la masse protéique, sous des pertes, les bilans azotés sont quasi
réserve que le pool d’azote non protéique systématiquement surévalués.
(c’est-à-dire le pool d’acides aminés libres
et surtout l’urée) reste stable pendant la
période de mesure (cf. fig. 1). Il est positif Les évaluations de la masse
lorsque la masse protéique s’accroît, c’est le musculaire
cas en période de croissance, proche de
zéro chez un adulte dont la masse protéique ➛ L’excrétion urinaire de créatinine :
est constante, et négatif dans des circons- Le muscle contient 98 % de la créatine
tances pathologiques accompagnées d’une de l’organisme. Cette créatine est transfor-
fonte protéique. mée en créatine phosphate qui fournit
Bien que conceptuellement simple, le l’énergie utilisable pour la contraction mus-
bilan azoté est de réalisation délicate si culaire. Créatine et créatine phosphate sont
une bonne précision est recherchée. Parmi hydratées en créatinine, celle-ci étant libé-
les problèmes pratiques, on peut citer : rée dans le sang, filtrée par le rein et excré-
– l’azote urinaire représente la majeure tée. La créatinurie est de 24 heures et donc
partie de l’excrétion azotée (90 % chez proportionnelle à la masse musculaire.
l’adulte), le recueil des urines doit être Les inconvénients pratiques de la méthode
méticuleux. Le simple dosage d’urée urinai- sont une importante variabilité intra-indivi-
re (80 % de l’azote urinaire, mais cette pro- duelle, une augmentation de la créatininurie
portion peut varier) peut être une indication lors de l’exercice physique, du stress et des
suffisante en clinique mais le dosage de situations cataboliques, une invalidité de la

106
5. Métabolisme des protéines

méthode en cas d’insuffisance rénale, la sen- acides aminés plasmatiques ne représentant


sibilité à l’apport exogène de créatine (ali- qu’un faible pourcentage des acides aminés
mentation carnée). Enfin les équivalences totaux et leur concentration dépend de l’équi-
entre masse musculaire et créatinurie varie libre entre synthèse, protéolyse et oxydation,
selon les auteurs de 17 à 22 kg de muscle par ce qui la rend d’interprétation difficile.
gramme de créatinurie. Pour ces différentes
raisons, cette méthode quoique simple, est
d’interprétation difficile. Elle nécessite un Les méthodes dynamiques
recueil des urines sur 3 jours, la qualité du
recueil étant là encore déterminante. Ces méthodes ont en commun d’être plus
invasives et de nécessiter des techniques
➛ L’excrétion urinaire de 3-méthyl-histi- analytiques plus lourdes, elles sont encore
dine (3 MH) : réservées au domaine de la recherche.
L’histidine est un acide aminé qui subit
une méthylation post-traductionnelle dans ➛ Les méthodes dynamiques locales (dif-
l’actine et la myosine musculaire. Lors de férences artério-veineuses) :
la protéolyse musculaire, la 3 MH ne pou- La méthode consiste à établir un bilan
vant être réutilisée pour la synthèse pro- des acides aminés de part et d’autre d’un
téique est excrétée dans les urines, son organe ou d’un tissu. Chez l’homme, la
excrétion étant proportionnelle à la protéo- méthode a été essentiellement pratiquée sur
lyse protéique musculaire, mais dépendant des segments de membres (avant-bras) et
également de la masse musculaire. Le pos- reflète donc surtout le métabolisme pro-
tulat initial de la méthode est que la totalité téique musculaire. Connaissant les concen-
de la 3 MH urinaire est d’origine musculai- trations artérielles et veineuses des diffé-
re, ce qui paraît très probable chez l’homme rents acides aminés ainsi que le débit san-
(ceci est discutable chez le rat où une gran- guin, on peut déduire pour chaque acide
de partie de la 3 MH urinaire est d’origine aminé un bilan net positif ou négatif selon
intestinale et cutanée). L’apport exogène de l’état nutritionnel. L’adjonction de traceurs
3 MH (alimentation carnée) doit être mini- permet également l’accès à la synthèse et à
misé dans les jours précédant la mesure, et la protéolyse musculaire. L’inconvénient de
le dosage lui-même est relativement délicat la méthode est d’ordre pratique puisqu’elle
(HPLC). Si l’on rapporte l’excrétion urinai- nécessite un cathétérisme artériel.
re de 3 MH à celle de créatinine, on obtient
alors un indice de la protéolyse musculaire ➛ Les méthodes dynamiques globales :
par unité de masse musculaire. Cet examen Elles donnent accès à la synthèse et à la
simple et non invasif est bien adapté à protéolyse au niveau du corps entier ainsi
l’évaluation nutritionnelle des situations qu’à l’oxydation des acides aminés. Elles
cataboliques en réanimation. nécessitent l’utilisation de traceurs qui, en
France, sont exclusivement des acides aminés
marqués avec des isotopes stables non radio-
La chromatographie des acides actifs (carbone 13, deutérium ou azote 15).
aminés Ces traceurs, inoffensifs, ont l’inconvénient
de nécessiter pour la mesure un spectromètre
La mesure des concentrations plasma- de masse, appareil complexe et coûteux.
tiques en acides aminés est parfois proposée Le principe général de la méthode est
comme témoin de l’état nutritionnel. Bien celui de la dilution isotopique (fig. 2 bis)
que cette concentration soit abaissée au cours dont un exemple est détaillé dans l’Annexe I.
des malnutritions protéiques sévères, son Le débit de production d’un acide aminé est
intérêt est nul en pratique courante : les calculé en mesurant la dilution d’un acide

107
B. Beaufrère

aminé marqué introduit dans l’organisme. Le administration d’un acide aminé marqué au
rapport de dilution (acide aminé marqué/non carbone 13.
marqué) est inversement proportionnel au La méthode la plus couramment utilisée
débit de production de l’acide aminé. A l’état chez l’homme est celle dite des précurseurs
stationnaire (concentrations stables), ce débit où l’acide aminé utilisé est la leucine. Le
de production est égal au débit d’utilisation. modèle est décrit sur la figure 3. Dans cette
L’ensemble production-utilisation consti- situation, le débit de leucine issu des pro-
tuant le débit de renouvellement de l’acide téines est un index de la dégradation pro-
aminé. téique. Le débit d’utilisation de la leucine
La destinée de l’acide aminé peut égale- comporte deux composantes : le flux de
ment être quantifiée dans certaines voies leucine incorporé dans les protéines, index
métaboliques si l’on suit le traceur dans de la synthèse protéique, et l’oxydation de
l’organisme. On mesure ainsi l’oxydation la leucine. Cette oxydation de la leucine est
d’un acide aminé en collectant dans les mesurée, on en déduit par soustraction un
gaz expirés le CO2 marqué récupéré après index de la synthèse protéique.

traceur :
13 C Leucine
pool plasmatique
Synthèse
protéique

LEUCINE PROTÉINES

Protéolyse
Oxydation
de la Leucine
13 CO
2
Figure 3
Mesure de la synthèse et du catabolisme protéique du corps entier à l’aide de leucine marquée

Débit de renouvellement de la leucine = Débit de production (index de la protéolyse)


(mesuré par dilution isotopique)
= Débit d’utilisation (index de la synthèse protéique +
oxydation)

Les flux d’acides aminés ainsi mesurés dégradation oxydative est simple, et se
peuvent être convertis en flux de protéines déroule à la fois dans le foie et dans le
sur la base d’un contenu moyen de l’acide muscle (alors que la majeure partie des
aminé choisi dans les protéines totales de autres acides aminés ont une oxydation
l’organisme (8 % pour la leucine). La essentiellement hépatique), et dont l’analyse
représentativité de l’acide aminé vis-à-vis en spectrométrie de masse est relativement
du métabolisme protéique « corps entier » facile.
est donc un point crucial et va déterminer Ce modèle largement utilisé et dont ont
le choix de cet acide aminé. été dérivés les chiffres indiqués dans l’in-
Actuellement, la plupart des études utili- troduction pose cependant un certain
sent la leucine, acide aminé essentiel, dont la nombre de problèmes :

108
5. Métabolisme des protéines

– L’acide aminé réellement précurseur de (ou l’urée) urinaire, la 3 méthyl histidine,


la synthèse protéique n’est pas un acide ou encore l’évolution des protéines de
aminé plasmatique mais un acide aminé transport ;
intracellulaire et plus précisément un acide – lorsqu’un bilan protéique net à court
aminé lié au tRNA. Ce pool n’est pas terme (quelques jours) doit être mesuré, le
accessible au prélèvement chez l’homme à bilan azoté est l’examen de choix ;
moins de pratiquer des biopsies. On peut – lorsqu’un bilan protéique net sur plu-
s’en approcher en mesurant le marquage sieurs semaines doit être évalué, c’est une
non plus dans la leucine plasmatique mais estimation de masse protéique qu’il faudra
dans le céto isocaproate (produit de trans- pratiquer (cf. composition corporelle) ;
amination de la leucine plus représentatif du – enfin, les études portant sur la régula-
marquage intracellulaire). tion de la synthèse et de la protéolyse
– Une mesure quantitative précise de nécessiteront l’utilisation de méthodes
l’oxydation de la leucine est difficile et dynamiques.
cette imprécision se répercute sur les esti-
mations de synthèse protéique.
– Il s’agit de mesures au niveau du corps
entier ne renseignant pas sur l’évolution du RÉGULATION
métabolisme protéique au niveau d’un tissu DU MÉTABOLISME
donné. DES PROTÉINES
Compte tenu de ces difficultés, les résul-
tats obtenus par ces méthodes doivent
être considérés comme semi-quantitatifs. Classiquement, cette régulation est d’une
part hormonale, d’autre part nutritionnelle
➛ Les mesures de synthèse de protéines (c’est-à-dire par les substrats eux-mêmes).
spécifiques : Cette distinction est artificielle puisque dans
Après introduction d’un traceur dans l’or- la majorité des circonstances physiolo-
ganisme (soit par perfusion continue, soit giques, ces deux modes de régulation sont
par la méthode dite « de surcharge »), on simultanés et agissent en synergie.
mesure l’incorporation du traceur au cours
du temps dans la protéine considérée. En
dehors de réelles difficultés analytiques, la La régulation hormonale :
méthode est relativement facile pour la
mesure des débits de synthèse de protéines Les hormones peuvent être anaboli-
circulantes (albumine, apolipoprotéine...) santes (favorisant le gain protéique) ou
mais s’avère plus difficile pour la mesure de catabolisantes (favorisant la perte pro-
synthèse de protéines musculaires puisque téique).
l’on doit alors recourir à une biopsie. Là
encore, il s’agit à l’évidence d’une méthode ➛ L’insuline : il s’agit d’une hormone ana-
de recherche. bolisante indispensable au gain protéique et
En conclusion, le choix d’une métho- à la croissance. Son mécanisme d’action en
de d’exploration de métabolisme pro- terme de synthèse et de protéolyse continue
téique va essentiellement dépendre des cependant à faire l’objet d’une vive contro-
possibilités techniques et de la question verse. Un gain protéique peut en effet être
posée : obtenu par augmentation de la synthèse pro-
– en pratique clinique, dans le cas par téique, par réduction de la protéolyse ou par
exemple d’une alimentation artificielle, la les deux phénomènes combinés.
méthode choisie doit être simple et rapide. Indiscutablement, au niveau cellulaire et
On choisira de suivre, par exemple l’azote moléculaire, l’insuline augmente la synthèse

109
B. Beaufrère

protéique en stimulant la transcription et la nistes de type clembutérol pour la produc-


traduction. Au niveau tissulaire, l’insuline tion de viande de boucherie. En tout état de
stimule la synthèse protéique musculaire en cause, ce ne sont donc pas les catéchola-
particulier chez l’animal jeune en croissance mines « hormones de stress » qui sont res-
ou lorsqu’elle est utilisée à dose pharmacolo- ponsables de la fonte musculaire des
gique ou lorsque l’insuline est rajoutée à par- patients de réanimation.
tir d’une situation totalement insulino-prive.
Cette dernière situation est fréquente in vitro ➛ Les glucorticoïdes sont catabolisants
où sont volontiers comparés des milieux par l’augmentation de la protéolyse muscu-
« avec » et « sans » insuline ne reflétant pas laire et par l’inhibition de la traduction des
la réalité physiologique où l’insuline n’est protéines comme en témoignent les fontes
jamais complètement absente. protéiques constatées lors des hypercorti-
Par contre, chez l’adulte, et en particulier, cismes (maladie de Cushing) ou des traite-
chez l’homme, l’insuline est anabolisante ments glucocorticoïdes au long cours.
essentiellement par une réduction de la pro-
téolyse que ce soit au niveau du corps entier ➛ Les hormones thyroïdiennes et le glu-
ou du muscle ; dans cette situation, l’insuli- cagon ont des effets plus complexes :
ne ne semble pas avoir d’effet sur la synthè- • en ce qui concerne les hormones thy-
se protéique. En dehors de problèmes roïdiennes, l’hyperthyroïdie induit une fonte
méthodologiques, cette dissociation des musculaire suggérant une augmentation de
effets semble liée essentiellement à l’âge, la protéolyse et également une réduction des
les études animales ayant lieu presque synthèses protéiques dans différents tissus.
exclusivement sur des animaux en croissan- Cependant, ces phénomènes et en particulier
ce alors qu’à l’inverse, aucune étude de ce la réduction de synthèse protéique sont
type n’est disponible chez l’enfant. retrouvés également dans les situations d’hy-
pothyroïdie et l’on sait également que les
➛ L’hormone de croissance : est anaboli- hormones thyroïdiennes sont indispensables
sante essentiellement par un effet stimulant à la croissance. Il est donc difficile de classer
de la synthèse protéique agissant directe- les hormones thyroïdiennes comme anaboli-
ment et par l’intermédiaire des facteurs de santes ou catabolisantes et l’on peut dire
croissance (IGF1). Cette propriété pourrait qu’un niveau optimal moyen d’hormone thy-
être exploitée chez l’homme pour prévenir roïdienne est nécessaire à un bon équilibre
la fonte musculaire du sujet âgé (et de entre synthèse et dégradation ;
façon illégale dans les milieux sportifs pour • en ce qui concerne le glucagon, son
augmenter la masse musculaire). L’hormone importance réelle dans la régulation du
de croissance bovine dont le mécanisme métabolisme protéique est contestée et
d’action est similaire est largement utilisée semble se situer surtout au niveau du méta-
pour augmenter la production de lait chez la bolisme splanchnique des acides aminés.
vache, aux U.S.A. Malgré des données contradictoires, un effet
catabolisant semble prédominant.
➛ Les catécholamines : contrairement à
l’idée couramment reçue, il est bien démon- ➛ Les cytokines (TNF, interleukines) sont
tré maintenant que les catécholamines ne catabolisantes au niveau du muscle.
sont pas des hormones catabolisantes vis-à-
vis du métabolisme protéique. Selon les
auteurs, elles réduisent la protéolyse ou Régulation nutritionnelle
augmentent la synthèse protéique, l’applica-
tion la plus classique de ces propriétés ana- Elle sera envisagée sous deux aspects :
bolisantes étant l’utilisation de bêta-ago- – d’abord la régulation par les substrats

110
5. Métabolisme des protéines

eux-mêmes, qu’il s’agisse des acides ami- ticulier, par l’insuline (glucose ➛ insuline
nés ou des autres substrats énergétiques ; ➛ réduction de la protéolyse).
– ensuite l’évolution du métabolisme pro-
téique au cours des différentes circonstances
nutritionnelles que sont le repas et le jeûne. La régulation du métabolisme
protéique au cours des différents
états nutritionnels chez l’homme :
La régulation par les substrats :
➛ On définit trois états successifs en phy-
a) les acides aminés : que ce soit in vitro siologie de la nutrition :
ou in vivo, les acides aminés stimulent glo- – l’état nourri correspond à la période
balement la synthèse protéique. Cet effet pendant laquelle des nutriments ingérés
est particulièrement net pour les acides ami- arrivent du tube digestif dans la circulation.
nés branchés, cette spécificité ne s’étant Selon le type de nutriments, il dure entre 3
toutefois pas traduite par une efficacité par- et 8 heures après un repas ;
ticulière des solutés enrichis en acides ami- – l’état post-absorptif correspond aux
nés branchés en clinique. 12 à 18 heures suivant l’état nourri, c’est-à-
b) les autres substrats énergétiques : de dire en pratique le matin à jeun ;
façon générale, un apport énergétique suffi- – Il est suivi par le jeûne, soit court (2 à
sant est indispensable au maintien d’un 3 jours), soit prolongé (supérieur à 3 jours).
bilan azoté neutre ou positif. La source des L’évolution générale du métabolisme pro-
apports énergétiques n’est pas indifférente et téique est représentée sur la figure 4.
classiquement, les glucides ont un effet a) A l’état post-absorptif, la synthèse, la
d’épargne azotée supérieur à celui des lipides protéolyse et l’oxydation sont à leur niveau
au moins dans des circonstances d’apport éner- basal, la protéolyse étant légèrement supé-
gétique limité. Ceci n’est plus vrai lorsque les rieure à la synthèse et l’organisme étant donc
apports énergétiques sont excédentaires. en bilan négatif. Ce niveau basal de renouvel-
Cette liaison entre apports énergétiques et lement protéique dépend des apports pro-
métabolisme protéique relève de plusieurs téiques des jours précédents, il est accéléré en
mécanismes complémentaires : cas d’apports importants, réduit en cas d’ap-
– le renouvellement protéique (synthèse ports faibles. Au niveau tissulaire, dans cette
mais aussi protéolyse) est, comme vu plus circonstance, le muscle est un producteur net
haut, un consommateur d’énergie impor- d’acides aminés en quantité modérée.
tant. Une limitation de l’apport énergétique b) Lors d’un repas (état nourri) : par des
se traduira donc par son ralentissement. mécanismes liés à la fois à l’apport en sub-
– les acides aminés et le glucose sont en strats et à l’hyperinsulinisme, l’organisme est
compétition au niveau de l’oxydation mito- alors en bilan positif. L’oxydation des acides
chondriale par un mécanisme similaire à celui aminés dans le muscle (pour les acides aminés
du cycle de Randle entre glucose et lipides. branchés) et surtout dans le foie, augmente
Un déficit d’apport en ces substrats énergé- massivement ce qui correspond à un azote uri-
tiques se traduira donc par une oxydation plus naire élevé. Cette augmentation est propor-
importante des acides aminés qui ne seront tionnelle aux apports protéiques et correspond
plus disponibles pour la synthèse protéique. pour l’organisme à un moyen d’éliminer les
– certains substrats (acides gras à chaîne acides aminés excédentaires, le but recherché
moyenne par exemple) peuvent avoir un étant l’obtention à la fin d’un nycthémère (état
effet spécifique d’activation des enzymes de nourri + état post-absorptif) d’un bilan azoté
dégradation des acides aminés ; neutre. Ceci explique l’impossibilité d’aug-
– les substrats énergétiques agissent enfin menter la masse protéique de l’organisme par
par l’intermédiaire des hormones et en par- simple augmentation des apports protéiques.

111
B. Beaufrère

PROTÉOLYSE

SYNTHÈSE
PROTÉIQUE

EXCRÉTION AZOTÉE

+

BILAN AZOTÉ

Post- Nourri Post- Jeûne court Jeûne long


absorptif absorptif
Figure 4
Évolution au cours du jeûne du métabolisme protéique du corps entier

En ce qui concerne la synthèse et la pro- d) Au cours du jeune long, l’excrétion


téolyse, le gain protéique est obtenu au azotée va diminuer pour se stabiliser aux
niveau du foie, essentiellement par réduc- environs de 50 mg/kg.jour, ce qui constitue
tion de la protéolyse et au niveau du muscle les pertes azotées obligatoires. La protéoly-
(qui à l’état nourri stocke des acides ami- se reste bien sûr supérieure à la synthèse
nés) par augmentation de la synthèse pro- (d’où le bilan négatif) mais, globalement le
téique, au moins chez l’animal jeune en renouvellement protéique tend à diminuer
croissance. Au niveau du corps entier, les avec des valeurs de protéolyse qui sont rapi-
données restent plus controversées : il existe dement inférieures à ce qu’elles sont à l’état
indiscutablement une réduction de la pro- post-absorptif. Cette épargne azotée relati-
téolyse globale au moment du repas et peut- ve, permettant de minimiser la réduction de
être une augmentation modérée de synthèse. la masse protéique, est un mécanisme
c) L’organisme repasse ensuite à l’état essentiel de défense au cours du jeûne chez
post-absorptif puis au jeûne court : de l’homme et les mammifères. Il permet une
multiples modifications hormonales (dimi- survie prolongée de 40 à 60 jours, le décès
nution de l’insulinémie) et des métabo- survenant lorsque la masse protéique des-
lismes (augmentation de la néoglucogenèse, cend en dessous d’une valeur que l’on peut
de la lipolyse puis de la cétogenèse) vont estimer à 50-60 % de la masse initiale. Le
survenir. Lors du jeûne court, le bilan azoté mécanisme d’épargne azotée relative reste
est initialement fortement négatif avec des inconnu, il ne semble pas hormonal, mais
pertes azotées importantes. A cette phase, la dépendrait plutôt des substrats énergétiques
protéolyse est élevée, le muscle fournissant privilégiés au cours du jeûne que sont les
des acides aminés pour la néoglucogénèse acides gras et les corps cétoniques.
et la synthèse protéique diminue lentement.

112
5. Métabolisme des protéines

BESOINS EN AZOTE ET EN ➛ Les besoins en azote :


Ils ont été déterminés en mesurant la
ACIDES AMINÉS ET SOURCES quantité minimum d’azote ingéré sous
PROTÉIQUES ALIMENTAIRES forme de protéines d’œufs ou de lait (pro-
téine de haute qualité) qui permet de garder
un bilan azoté neutre (chez l’adulte). Le
Les besoins en azote chiffre obtenu sur un petit groupe d’indivi-
et acides aminés dus adultes en bonne santé est en moyenne
➛ Définitions : le besoin d’un individu en de 0,6 g de protéines/kg.j. Le coefficient de
un nutriment (ici azote ou acide aminé) est variation de cette moyenne est de 12,5 %,
la quantité de ce nutriment nécessaire au qui correspond à des apports individuels
maintien d’une fonction physiologique variant de 0,45 à 0,75 g/kg.j (0,75 g/kg.j
satisfaisante. Pour les protéines, on considè- correspondant donc à la moyenne + 2 DS).
re que le maintien d’un bilan azoté positif Ce dernier chiffre, arrondi à 0,8 g/kg/j de
en phase de croissance ou nul chez l’adulte, protéines de haute valeur biologique (cf.
témoigne d’un besoin satisfait. Sa valeur infra) est donc retenu comme l’apport
varie bien sûr selon les individus et leur état conseillé permettant de couvrir les besoins
physiopathologique (âge, sexe...). L’apport d’une population normale adulte. Ce besoin
idéal pour un individu est celui qui couvre est très largement couvert dans les pays
ses besoins. développés où les apports sont de l’ordre de
Les apports conseillés (= apports de 1,2 à 1,5 g/kg.j. Les apports conseillés (et
sécurité = Recommended Dietary Allo- les besoins) sont plus élevés chez le nour-
wances ou RDA) sont ceux qui permettent risson (2,2 g/kg.j), décroissent progresssive-
la couverture des besoins d’une population ment jusqu’à l’âge adulte (0,8 g/kg.j), aug-
donnée. Par définition, ces apports sont mentent au cours de la grossesse et au cours
supérieurs aux besoins de la majorité de la lactation (+ 5 à + 15 g de protéine/j).
(97,5 %) 1 des individus composant cette Lorsque les besoins sont exprimés en
population. On considère en effet, tout au valeurs absolues, ils sont à peu près
moins en ce qui concerne l’azote et les constants pendant la première année de vie
acides aminés, qu’il n’y a pas d’inconvé- (≅ 10 g/j). Ils restent mal connus chez le
nient à apporter une quantité supérieure aux sujet âgé probablement peu différents de
besoins réels. Les niveaux « officiels » des ceux de l’adulte.
besoins et apports font l’objet de confé- L’exactitude des bilans azotés est ici un
rences de consensus régulières entre les élément essentiel pour apprécier ces besoins
grands organismes internationaux (OMS, puisque la surestimation de la balance
FAO, etc.). Les chiffres varient donc légère- conduira à la sous-estimation des besoins.
ment au fil des années. En ce qui concerne De même une attention particulière doit
les protéines, les besoins doivent être envi- être apportée au contenu énergétique du
sagés à deux niveaux, d’une part en terme régime sous lequel a été déterminé le besoin :
de besoin azoté total, d’autre part en terme un apport énergétique excédentaire résultera
d’acides aminés essentiels, la qualité de en une déposition protéique (ce qui corres-
l’azote amené n’étant pas indifférente. pond à l’augmentation de la masse maigre
au cours de l’obésité) et résultera en une
sous-estimation des besoins.

1. Les apports recommandés sont définis comme ➛ Les besoins en acides aminés :
les apports couvrant les besoins moyens + 2 dévia- Ils sont déterminés par la méthode sui-
tions standards (soit, par définition, 97,5 % de la
population) + un supplément variable selon les vante (figure 5) : des sujets reçoivent une
experts. alimentation parfaitement équilibrée conte-

113
B. Beaufrère

Méthode classique Mesure directe de l'oxydation

Bilan Oxydation
de
azoté + l’acide
aminé +
+ essentiel
0
+ + +
+ +
+

Apport
Besoin Apport croissant croissant
moyen en un acide aminé en un acide
Besoin aminé
essentiel moyen essentiel

Figure 5
Détermination des besoins en acides aminés essentiels

nant tous les nutriments et tous les acides correspond aux besoins importants de la
aminés en quantité suffisante à l’exception synthèse protéique en période de croissance.
de l’acide aminé dont on veut mesurer le Les acides aminés essentiels doivent donc
besoin. En l’absence de cet acide aminé, le représenter chez le nourrisson plus du
bilan azoté est négatif ce qui illustre le fait tiers de l’azote total apporté (ce qui signi-
que l’absence d’un seul acide aminé suffit à fie que les protéines alimentaires devront
ralentir la synthèse protéique. L’apport en être de haute qualité). Chez l’adulte, c’est
cet acide aminé est alors progressivement seulement 10 % de la ration azotée qui
augmenté : lorsque le bilan azoté se positi- devra être composée d’acides aminés essen-
ve, le besoin est alors couvert. tiels.
Là encore, la qualité des résultats obtenus Enfin, certains acides aminés peuvent
dépend de l’exactitude du bilan azoté. Les être conditionnellement essentiels, ce qui
résultats obtenus par cette méthode sont signifie que, à l’occasion d’une circonstance
actuellement contestés par certains groupes physiopathologique donnée, leur synthèse
qui ont proposé de mesurer non plus le endogène n’est pas suffisante pour couvrir
bilan azoté mais l’oxydation de l’acide les besoins. C’est le cas de la cystéine et de
aminé par des méthodes isotopiques. Cette la tyrosine qui peuvent normalement être
oxydation reste minimale tant que les obtenues à partir de la méthionine et de la
besoins de la synthèse protéique ne sont pas phénylalanine respectivement. Dans des cir-
couverts puis augmente régulièrement dès constances telles que la prématurité et l’in-
que le besoin est atteint. Les résultats obte- suffisance hépatique, ces conversions seront
nus par cette méthode sont deux à trois fois insuffisantes pour couvrir les besoins et un
supérieurs à ceux obtenus classiquement. apport exogène devient donc nécessaire. De
Pour l’instant, les recommandations alimen- la même façon, il est probable que les
taires internationales s’en tiennent aux acides aminés du cycle de l’urée (arginine,
chiffres obtenus par la méthode classique. ornithine et citrulline) deviennent condition-
Les besoins de chacun des neuf acides nellement essentiels au cours des insuffi-
aminés pour l’ensemble des acides aminés sances hépatiques et peut-être pour l’argini-
essentiels sont, selon l’acide aminé, de 30 à ne en période de croissance rapide. Il faut
150 mg/kg.j chez le nourrisson (au total enfin citer le cas de la taurine, acide aminé
750 mg/kg.j) et seulement de 5 à 15 mg/kg.j libre abondant dans l’organisme mais non
(au total 80 mg/kg.j) chez l’adulte. Ceci incorporé dans les protéines. La taurine est

114
5. Métabolisme des protéines

amenée en quantité suffisante par le lait de valeur biologique de la protéine sera donc
femme mais pas par le lait de vache et un sous-estimée. Enfin la qualité d’une protéi-
déficit d’apport en taurine peut résulter en ne a été volontiers testée chez l’animal de
des anomalies de la fonction rétinienne. laboratoire, en particulier chez le rat, dont
Enfin, il faut se souvenir que les critères les besoins sont différents de ceux de
d’« essentialité » sont étroitement fonc- l’homme.
tion de l’état physiologique. Il est très pro- Cette valeur biologique globale dépend
bable que les besoins réels de plusieurs en fait de la structure intrinsèque de la pro-
acides aminés au cours des états catabo- téine et également de la façon dont les
liques ou septiques sont différents des acides aminés constituants sont absorbés
besoins décrits ici qui se rapportent unique- par le tube digestif.
ment à l’individu normal. a) L’indice chimique : il est inhérent à une
protéine donnée et se définit comme suit :
– l’indice chimique est évalué par le rap-
Les sources protéiques alimentaires port de la quantité (en mg) d’un acide
aminé essentiel dans 1 g de protéine sur la
➛ Notion de qualité d’une protéine : quantité (en mg) du même acide aminé
Toutes les protéines ne sont pas équiva- essentiel dans 1 g de protéine de référence.
lentes pour remplir les besoins. La qualité La protéine de référence la plus courante
(ou valeur nutritionnelle) d’une protéine est l’albumine de l’œuf. Par exemple, si on
se définit comme l’efficacité avec laquelle considère la quantité de lysine contenue
cette protéine satisfait au besoin à la fois en dans la farine de blé (35 mg/g de protéine)
azote et en acides aminés. Le critère le plus rapportée à celle contenue dans l’albumine
classique de qualité est la valeur biologique (70 mg/g de protéine) on arrive à un indice
définie comme suit : chimique pour la lysine et pour la protéine
– la valeur biologique : c’est le rapport de blé de 50 % (35/70). En théorie, l’indice
de la fraction de l’azote apporté retenu par chimique doit être déterminé pour chaque
l’organisme sur l’azote absorbé par l’intes- acide aminé essentiel dans une protéine
tin. donnée. En pratique, on se contente d’indi-
Une valeur biologique de 100 est donc quer l’indice chimique le plus bas parmi
une protéine dont l’azote absorbé est effica- ceux des différents acides aminés, cet acide
ce à 100 % pour remplacer les pertes azo- aminé étant appelé acide aminé limitant
tées endogènes. (en pratique sont concernés, la lysine, les
Un autre critère couramment utilisé est acides aminés soufrés et le tryptophane).
l’utilisation protéique nette : L’albumine de l’œuf a été longtemps utili-
– l’utilisation protéique nette est le rap- sée comme protéine de référence, mais
port de la fraction de l’azote retenu sur actuellement la composition de la protéine
l’azote ingéré. de référence est déterminée en fonction des
D’autres paramètres tels que le coeffi- besoins propres à chaque situation (nou-
cient d’efficacité protéique (CEP) ou le veau-nés, nourrissons, enfants...).
coefficient d’efficacité protéique net (basés b) La digestibilité est définie comme la
sur les gains pondéraux) sont également capacité du tube digestif à absorber effective-
couramment utilisés. La mesure de ces dif- ment l’azote ingéré et se calcule comme suit :
férents paramètres est plus ou moins facile
selon le dosage requis (gain de poids ou Digestibilité = azote ingéré - azote fécal x 100
dosage d’azote). Surtout, elle dépend du azote ingéré
niveau d’apport protéique puisqu’à niveau
d’apport protéique élevé, la proportion La digestibilité « vraie » inclue de plus
d’azote retenu ne sera pas augmentée et la une correction pour les pertes azotées

115
B. Beaufrère

fécales obligatoires. La digestibilité dépend malnutritions protéiques dans les pays en


de la structure de la protéine elle-même voie de développement en particulier chez
mais également des éventuelles modifica- l’enfant, très sensible à des apports insuffi-
tions que cette structure a pu subir au cours sants en acides aminés essentiels. Il est
de la préparation des aliments. La modifica- cependant tout à fait possible d’obtenir un
tion la plus classique est celle obtenue par apport en acides aminés essentiels suffisant
la réaction de Maillard. Il s’agit de la liai- avec des protéines végétales en prenant sim-
son d’un sucre réducteur avec le groupe plement soin de combiner des protéines
aminé libre de la lysine résultant en un dont l’acide aminé limitant n’est pas le
« blocage » de celle-ci. Cette lysine ne même (protéines de céréales pauvres en
pourra donc plus être absorbée et 10 à 40 % lysine mais normalement riches en acides
de la lysine ingérée (ce chiffre variant selon aminés soufrés et protéines de légumineuses
le mode de cuisson) seront donc non dispo- pauvres en acides aminés soufrés mais nor-
nibles, ce qui réduit d’autant la digestibilité malement riches en lysine). Cette « tac-
de la protéine. Enfin, les interactions avec tique » est volontiers adoptée dans les
d’autres nutriments (en particulier les fibres régimes végétariens.
et les polyphénols) peuvent jouer sur la
digestibilité d’une protéine.
Au total, la digestibilité est de 95 à 98 %
pour les protéines animales et de 75 à 95 %
pour les protéines végétales. Annexe I
L’utilisation protéique nette se résume
donc au produit de la digestibilité par Le principe de dilution isotopique est le
l’indice chimique : elle est de 40 % envi- suivant (ici avec l’exemple de la leucine)
ron pour les protéines végétales de type (figure 1 bis). On souhaite mesurer le débit
maïs ou mil, 70 % pour les protéines de de production de la leucine, c’est-à-dire la
viande, 87 % pour l’albumine de l’œuf et quantité de leucine arrivant dans le plasma
95 % pour le lait de femme. par unité de temps. On introduit dans le
plasma de la leucine marquée (Leu*) à un
➛ Les sources protéiques alimentaires débit connu et constant à l’aide d’un pous-
Les protéines alimentaires sont classique- se-seringue. Lorsque l’état d’équilibre est
ment divisées en protéines animales (vian- atteint, on conçoit intuitivement (mais la
de, poisson, laitage et œufs) et en protéines démonstration mathématique existe) que le
végétales (céréales et légumineuses). La rapport des débits de production de leucine
richesse en protéines des aliments varie marquée et non marquée est égal au rapport
considérablement (pain 2,7 % ; viande de leurs concentrations, ce qui s’écrit :
18 % ; fromage et légumes secs : environ
25 %, exprimée en pourcentage du poids Production Leu = [Leu]
total de l’aliment). Débit Leu* [Leu*]
La qualité de la protéine est également ou encore
importante à considérer. Classiquement les Production Leu = Débit Leu* x [Leu]
protéines végétales sont de qualité infé- [Leu*]
rieure aux protéines animales en raison
d’une digestibilité plus basse et d’un
moindre contenu en acides aminés essen- Le débit de traceur étant connu, le rapport
tiels, en particulier lysine et acides aminés Leu*/Leu mesuré, on en déduit le débit de
soufrés. La densité protéique basse et la production de leucine. Cette équation simple
faible qualité des protéines végétales expli- n’est valable qu’à l’état stationnaire, c’est-à-
quent en partie l’extrême fréquence des dire lorsque ni [Leu], ni [Leu*] (ni par voie de

116
5. Métabolisme des protéines

conséquence le rapport [Leu*/Leu] ne varient de l’utilisation des traceurs, évidente par


pendant la période de mesure. Dans ces exemple au cours de l’étude des repas, où la
conditions, le débit de production (correspon- stabilité des concentrations est difficile à
dant pour la leucine à la somme apports exo- obtenir. La nécessité de travailler une fois
gènes + protéolyse) est égal au débit d’utilisa- l’équilibre atteint (figure 2 bis) explique le
tion (soit synthèse protéique + oxydation). En délai imposé (environ 2 heures pour la leuci-
d’autres termes, à l’état stationnaire, le pool ne) après le début de la perfusion pour obtenir
plasmatique ne variant pas, « ce qui rentre est des prélèvements significatifs. Une simula-
égal à ce qui sort ». Cette contrainte d’obten- tion numérique de mesure du renouvellement
tion d’un état stationnaire est l’une des limites protéique est indiquée sur la figure 1 bis.

POOL DE LEUCINE LIBRE ( plasma)

PRODUCTION [LEUCINE] UTILISATION


DE LEUCINE DE LEUCINE

Débit de traceur [LEUCINE*]

Après obtention de l’équilibre et à l’état stationnaire :


PRODUCTION DE LEUCINE = [Leucine]
Débit de perfusion du traceur [Leucine*]
Débit de perfusion du traceur
PRODUCTION DE LEUCINE = ([Leucine*]/[Leucine])

PRODUCTION = UTILISATION = DÉBIT DE RENOUVELLEMENT (TURN-OVER)

Figure 1 bis

117
B. Beaufrère

Concentration en Leucine
Concentrations

Concentration en Leucine marquée


(en réalité, cette concnetration est très inférieure
à celle de la Leucine non marquée
(dose « traceuse »)

Début de la Temps Prélévements à


perfusion de l’état stationnaire
traceur
Figure 2 bis
Exemple de dilution isotopique

Soit un débit de traceur de 0,05 µmoles/kg.min et un rapport {Leucine*]/[Leucine] de 0,04 (soit 4 %) :


Production de Leucine = 0,05/0,04 = 1,25 µmoles/kg.min.
ce chiffre correspondant également au renouvellement de la leucine.
Pour extrapoler ce chiffre à un renouvellement protéique, on admet que la leucine est un acide aminé
représentatif. Sachant qu’elle constitue en moyenne 8 % des protéines de l’organisme, le renouvellement
protéique est calculé comme :
1,25 x 131 (PM de la leucine) x 1/0,08 (% de leucine) x 70 (poids) x 60 x 24 (min. ➛ jour) x 1 000 000
(µg ➛ g) ≈ 200 g/j (à jeun).

118
5. Métabolisme des protéines

B ibliographie

(1) - Delvin T.M. Ed., Textbook of Biochemistry. Wiley Liss, New York 1992 Biochimie de la syn-
thèse protéique, régulations.
(2) - Young V.R., YU Y.M., Fukagawa N.K. Energy and protein turnover. In « Energy metabolism »,
J.M. Kinney, H.N. Tucker ed., Raven Press, New York, 1992 (relations énergie/protéines).
(3) - Beaufrère B., Evaluation du métabolisme protéique. In « Nutrition pédiatrique » Ricour R C.,
Ghisolfi J., Putet G., Goulet O. éd., Doin, Paris 1993 (sous presse).
(4) - Mc Nurlan M.A., Garlick P. Influence of nutrient intake on protein turnover. Diab. Metab. Rev.,
1989, 5, 165-189 (régulation nutritionnelle).
(5) - Dillon J.C. Les méthodes d’évaluation de la valeur nutritive des protéines en alimentation humai-
ne. Cah. Nutr. Diet., 1991, 26, 224-229 (qualité des protéines).
(6) - Dupin H., Abraham J., Giachetti I. Apports nutritionnels conseillés. Tee & Doc Lavoisier, Paris,
1992.
(7) - Recommended Dietary Allowances, 10e ed., National Academy Press, Washington DC, 1989.
(8) - Dupin H., Cuq J.L. Eds,. Alimentation et nutrition humaine. ESF Paris, 1992 (protéines et ali-
ments).

119
6
Fer, vitamines, oligo-éléments
I. Le fer
S. Hercberg
Institut Scientifique et Technique de la Nutrition et de l’Alimentation (CNAM Paris)
6. Le fer

subcellulaires (Hercberg et Galan, 1989) et


RAPPEL MÉTABOLIQUE par là-même, intervient dans des fonctions
métaboliques variées.
Le fer circule dans le plasma lié à une
e fer, bien que présent en très protéine, la transferrine ou sidérophiline.

L faible quantité dans l’organis-


me (0,005 % du poids corpo-
rel) joue un rôle essentiel
Chez le sujet normal, cette protéine n’est
saturée en fer que partiellement, au tiers de
sa capacité : le coefficient de saturation de
dans de nombreuses fonctions biologiques la transferrine est normalement de l’ordre
(Hercberg, 1988). Il intervient dans la de 30 %. Sa capacité totale de fixation du
constitution de l’hémoglobine (pigment res- fer est de l’ordre de 300 à 350 µg/dl. Le fer
piratoire qui assure l’échange de l’oxygène plasmatique total représente 3 à 4 mg, ce
et du gaz carbonique avec le milieu exté- qui correspond à une teneur moyenne en fer
rieur), de la myoblogine (forme de réserve d’environ 100 µg/dl.
de l’oxygène du muscle) et d’enzymes A côté de la transferrine, il existe d’autres
jouant un rôle capital dans de nombreuses protéines susceptibles de porter du fer telles
réactions métaboliques. la lactoferrine et la ferritine, mais elles
Dans l’organisme, le fer existe sous deux n’ont, semble-t-il, aucun rôle dans le trans-
formes (tableau 1) : le fer héminique et le port physiologique du fer. Le rôle biologique
fer non héminique. Le fer héminique (incor- de la lactoferrine est encore mal connu mais
poré dans la structure de l’hème) entre dans il lui est attribué une capacité bactériosta-
la constitution de l’hémoglobine, de la tique et bactéricide et une action favorisante
myoglobine et des enzymes hémoprotéi- sur l’absorption intestinale du fer.
ques ; le fer non héminique (non incorporé Les réserves en fer de l’organisme sont
dans la structure de l’hème) est présent dans localisées au niveau du système réticulo-
certaines enzymes et correspond aux formes endothélial, notamment dans le foie, la rate,
de transport (par la transferrine) et de réser- la mœlle osseuse et les muscles squelet-
ve du fer. tiques (où les réserves sont plus particuliè-
rement sous la forme d’hémosidérine) et
Tableau 1 : Répartition du fer de l’organisme dans le parenchyme hépatique (où c’est la
ferritine qui prédomine).
Répartition Répartition
en poids en pourcentage
L’originalité du métabolisme du fer tient
au fait qu’il s’efffectue quasiment en circuit
Hémoglobine 2 000 à 2 500 mg 65 % fermé. L’organisme est particulièrement
héminique

Myoglobine 150 à 200 mg 3à5% économe de son fer. Le pool du fer de l’or-
Fer

Enzymes héminiques
8 à 15 mg 0,3 % ganisme (4 g chez l’homme adulte ; 2,5
Enzymes non héminiques
chez la femme adulte) est en renouvelle-
Fer non

Transferrine 3 à 4 mg 0,1 %
Fer de réserve 300 à 1 200 mg 30 % ment permanent : le fer ayant servi à la syn-
thèse de l’hémoglobine est récupéré après la
destruction des globules rouges et réutilisé.
Le fer est distribué dans de nombreux Les quantités de fer quotidiennement élimi-
organes au niveau de multiples localisations nées sont très faibles, de 1 à 2 mg/jour, ce

123
S. Hercberg

qui ne représente que 1/1 000 à 1/4 000 du Pour les femmes de la puberté à la méno-
pool total de fer de l’organisme. Mais cette pause, il est nécessaire d’ajouter aux pertes
faible dépendance envers l’extérieur est un basales celles liées aux hémorragies mens-
facteur d’une extrême importance car en cas truelles (INACG, 1982). Les pertes en fer
de non-compensation de ces pertes par les dues aux menstruations ont été étudiées
apports alimentaires, il y a risque de désé- chez les femmes de pays développés
quilibre de la balance en fer. (Suède, Royaume-Uni, Canada) et de pays
Chez le sujet considéré en bonne santé, il en voie de développement (Égypte, Inde,
existe un état d’équilibre entre les apports et Birmanie). Dix pour cent des femmes
les pertes. Cette balance peut être déséquili- considérées en bonne santé ont des pertes
brée dans le sens de la carence en diverses menstruelles supérieures à un volume de
circonstances : 80 ml/mois. La médiane des pertes mens-
– insuffisance des apports ou diminution truelles se situe entre 25 et 30 ml/mois, ce
de l’absorption, qui correspond à des pertes en fer de 12,5 à
– augmentation des pertes, 15 mg par mois, soit 0,4 à 0,5 mg/jour qui
– augmentation des besoins. viennent s’ajouter aux pertes basales habi-
Ces différentes causes peuvent être asso- tuelles (0,8 mg/jour). Au total, 50 % des
ciées entre elles et s’aggraver mutuellement. femmes ont donc des pertes totales en fer
En cas de rupture de l’équilibre de la balan- supérieures à 1,3 mg/jour, 10 % ont des
ce en fer, l’organisme puise dans ses pertes supérieures à 2,1 mg/jour et 5 %
réserves disponibles ; lorsque celles-ci sont supérieures à 2,4 mg/jour. De nombreux
épuisées, les fonctions métaboliques dans facteurs, tels que l’hérédité, le poids, la
lesquelles le fer intervient sont perturbées. taille, l’âge, la parité ont une influence sur
le volume des règles. Mais le facteur majeur
est constitué par l’utilisation de certains
modes de contraception. Les contraceptifs
LES BESOINS EN FER oraux peuvent diminuer de 50 % le volume
des règles alors qu’une augmentation de
plus de 100 % peut être observée chez les
Les pertes en fer de l’organisme femmes utilisatrices d’un dispositif intra-
utérin.
Les pertes en fer de l’organisme consti-
tuent un phénomène obligatoire lié à la des-
quamation des cellules des différentes sur- Les besoins au cours de la grossesse
faces du corps humain. Environ les deux-
tiers des pertes en fer se font par l’intermé- Les besoins en fer sont considérablement
diaire du tractus gastro-intestinal. Les pertes augmentés durant la grossesse du fait de
par la peau se font essentiellement par la l’augmentation physiologique de la masse
desquamation de l’épiderme, les quantités érythrocytaire, c’est-à-dire du nombre de
de fer perdues par la sueur pouvant être globules rouges maternels (nécessitant envi-
considérées comme négligeables (même en ron 500 mg de fer), de la constitution des
climat chaud et humide). Les pertes en fer tissus du fœtus (environ 290 mg de fer) et
par les urines sont également très faibles. du placenta (environ 25 mg de fer). Ces
Les pertes basales journalières varient, dépenses spécifiques viennent s’ajouter aux
chez l’adulte, de 0,9 à 1 mg de fer/jour ce pertes basales (0,8 mg/jour compte tenu de
qui correspond à des pertes d’environ l’interruption des menstruations, soit
14 g/kg. Près de 0,6 mg sont perdus par les 220 mg pour l’ensemble de la gestation).
selles, 0,2 à 0,3 mg par la peau et 0,1 par Au total, c’est plus de 1 000 mg de fer dont
les urines. la femme enceinte a besoin pour assurer sa

124
6. Le fer

balance en fer au cours de la grossesse. Ces couchement non traumatique, ces pertes en
besoins sont particulièrement concentrés sur fer supplémentaires représentent au moins
le 2e et le 3e trimestre (tableau 2). L’état des 250 mg). Cependant, la récupération du fer
réserves en fer au début de la grossesse est provenant du déclin de la masse érythrocy-
un facteur essentiel pour évaluer les besoins taire maternelle et « l’économie » de fer due
en fer des femmes enceintes. Si les réserves à l’absence des menstruations pendant plu-
en fer sont de l’ordre de 500 mg en début sieurs semaines après l’accouchement per-
de gestation, ils permettent d’assurer la cou- mettent d’estimer que les besoins en fer des
verture des besoins liés à l’augmentation de femmes allaitantes sont légèrement supé-
la masse érythrocytaire : les besoins journa- rieurs à ceux d’une femme en âge de pro-
liers en fer peuvent donc être évalués aux créer, tout au moins au cours des 6 premiers
environs de 2,5 mg/jour pour les deux der- mois de lactation. Si l'allaitement est pro-
niers trimestres de la grossesse. Si les longé au-delà de cette période (situation
réserves sont par contre faibles, voire habituelle dans de nombreux pays en voie
nulles, les besoins sont difficiles à couvrir de développement), les besoins sont alors
par l’alimentation, malgré l’augmentation nettement supérieurs à partir du 6e mois.
de l’absorption du fer observée au cours de
la 2e moitié de la grossesse.
Les besoins chez le nourrisson,
l’enfant et l’adolescent
Les besoins au cours de la lactation L’organisme d’un nouveau-né à terme
contient entre 260 et 290 mg de fer acquis
La teneur en fer du lait maternel est rela- au cours de la gestation. Environ 25 % de
tivement faible, de 0,3 à 1,5 mg/l. Mais la ce fer correspond à des réserves tissulaires,
spoliation supplémentaire de fer due à l’al- mais une grande partie est sous forme d’hé-
laitement, contribue à agraver le déséqui- moglobine dont le taux est particulièrement
libre de la balance en fer chez des femmes élevé à la naissance. Les besoins de l’enfant
qui sont le plus souvent déjà à leur niveau au cours de la première année de la vie sont
de réserve le plus bas (voire même franche- liés aux pertes basales, à l’expansion de la
ment carencées) du fait des besoins élevés masse érythrocytaire et à la croissance des
de la grossesse qui vient d’arriver à terme et tissus de l’organisme. Au cours des 8 à 10
des hémorragies habituelles de l’accouche- premières semaines de vie, le taux d’hémo-
ment et du post-partum (même en cas d’ac- globine va chuter profondément, passant du

Tableau 2 : Répartition des besoins en fer (mg) au cours de la grossesse

1er trimestre 2e trimestre 3e trimestre TOTAL

Augmentation de la masse
érythrocytaire – 250 250 500
Fer fœtal 60 230 290
Fer du placenta – – 25 25
Hémorragies de l’accouchement
et du post-partum – – – –
Déperditions physiologiques 80 80 80 240
TOTAL 80 390 585 1 055

125
S. Hercberg

niveau le plus élevé au niveau le plus bas moyennes pour chaque âge. Chez les adoles-
relevé pendant toute la période de dévelop- centes, les besoins en fer sont également éle-
pement. Cette chute du taux d’hémoglobine vés, mais ils n’accussent pas une poussée
est liée à une nette diminution de l’érythro- aussi aiguë que chez les garçons, du fait que
poïèse en réponse à l’oxygénation accrue le gain pondéral annuel maximum est un peu
des tissus après la naissance. L’hémolyse plus faible que chez les garçons et parce que
accrue (qui contribue à libérer du fer) et le le taux d’hémoglobine chez la fille ne s’élè-
fer absorbé permettent d’éviter des carences ve que légèrement pendant cette période. Le
en fer au cours de cette période. Dans un gain de poids maximum chez la fille nécessi-
deuxième temps, l’érythropoïèse se réactive te, lui, 280 mg de fer environ pour maintenir
: le taux d’hémoglobine augmente de sa constant le taux d’hémoglobine. Le début
valeur moyenne la plus basse 10 g/100 ml à des règles suit habituellement la poussée de
une valeur moyenne de 12,5 g/100 ml et s’y croissance maximale de l’adolescente, la
maintient pendant toute la première année déperdition menstruelle moyenne est de 30
de la vie. ml environ par menstruation chez la fille de
Compte tenu des besoins liés à la crois- 15 ans et elle correspond à une perte nette
sance, les besoins totaux en fer sont considé- d’environ 175 mg de fer par an. Il y a toute-
rables chez le jeune enfant (INACG, 1979), fois d’importantes variations d’une adoles-
8 à 10 fois supérieurs à ceux d’un adulte de cente à l’autre, celles qui perdent le plus de
sexe masculin lorsqu’ils sont exprimés par sang étant bien sûr les plus exposées au
kilogramme de poids corporel. L’accéléra- risque de carence en fer.
tion de la croissance, particulièrement au
cours des années de maturation sexuelle,
s’accompagne également d’une augmenta- Pertes en fer
tion des besoins en fer, notamment pour la liées à certaines pathologies
production d’hémoglobine. Pendant l’année ou certains comportements
qui correspond à leur plus forte poussée de
croissance, les garçons prennent en moyenne En dehors des besoins en fer liés à la
10 kg. On peut calculer que ce gain pondéral nécessité de compenser les pertes physiolo-
nécessite un accroissement net de fer de giques de la vie, certaines pathologies ou
300 mg environ, ne serait-ce que pour main- comportements peuvent être responsables
tenir un taux d’hémoglobine constant dans d’une augmentation des besoins en fer.
un volume sanguin en expansion. Cepen- Toutes les causes de saignements chro-
dant, la concentration d’hémoglobine aug- niques, quelle que soit leur origine, entraî-
mente ausi de 0,5 à 1,0 g/100 ml/an à cet nent des pertes supplémentaires en fer.
âge. Une augmentation du taux d’hémoglo- Épistaxis, hématuries, métrorragies ou sai-
bine de 0,5 g/dl chez un adolescent de 55 kg gnements du tractus digestif, notamment
nécessite plus de 50 mg de fer. Par consé- lorsqu’ils sont minimes et répétés favorisent
quent, l’adolescent moyen a besoin d’envi- un déséquilibre du bilan du fer. De nom-
ron 350 mg de fer pendant l’année de sa breuses pathologies peuvent être ainsi
croissance maximale. Ce taux de croissance impliquées : fibrome utérin, endométriose,
maximal et, vraisemblablement, l’élévation varices œsophagiennes, hernie hiatale, ulcè-
maximale parallèle de la concentration d’hé- re, polypes et tumeurs digestives… Dans les
moglobine sont beaucoup plus aigus que ne pays industrialisés, seules certaines patholo-
le font apparaître les courbes de pourcentage gies particulièrement fréquentes (telles que
de croissance et d’hémoglobine. Cela est dû les hémorroïdes), la prise de certains médi-
aux variations individuelles de l’âge auquel caments (aspirine, et à un moindre degré
survient la croissance maximale qui dispa- anticoagulants, anti-inflammatoires…) ou
raissent lorsqu’on calcule les valeurs les dons du sang (surtout lorsqu’ils sont

126
6. Le fer

répétés plusieurs fois dans l’année) doivent tuants des repas. Le fer non héminique exis-
être pris en compte. Dans les pays tropicaux te lui à la fois dans les aliments d’origine
et subtropicaux, certaines pathologies para- animale et dans ceux d’origine végétale.
sitaires (telles l’ankylostomiase ou la tricho- L’absorption du fer est maximale au
céphalose), par les saignements qu’elles niveau du duodénum et du jéjunum, où elle
entraînent sont un facteur majeur dans la décroît de la partie proximale à la partie dis-
non-couverture des besoins en fer d’une tale. Chez l’homme, seules de petites quanti-
large fraction de la population. tés de fer sont absorbées au niveau de l’esto-
mac et exceptionnellement au niveau du
côlon. Si le site d’absorption est le même
pour le fer héminique et non héminique, le
LES APPORTS ALIMENTAIRES mode d’absorption diffère profondément. Le
fer non héminique est libéré des complexes
EN FER auxquels il est lié dans les aliments par les
sécrétions gastriques (sécrétion peptique,
acide chorhydrique) ; une fois libéré, il entre
Pour faire face à ses besoins en fer, l’or- dans un pool où il peut être réduit, chélaté
ganisme doit trouver dans son alimentation ou rendu insoluble. Le fer pénètre dans la
la quantité de fer nécessaire. Le fer est pré- cellule muqueuse intestinale en franchissant
sent en quantité variable dans de nombreux les microvillosités des cellules intestinales
aliments, mais seule une fraction du fer (entérocytes). A l’intérieur de la cellule
consommé est réellement absorbée donc les muqueuse, une partie du fer non héminique
apports « réels » en fer dépendent de la est liée à des transporteurs spécifiques et
teneur en fer de l’alimentation (donc du transférée rapidement au pôle séreux où il se
contenu en fer des aliments), mais égale- fixe à la transferrine plasmatique.
ment de la biodisponibilité de ce fer (c’est- Dans un régime de type occidental, les
à-dire sa capacité à être absorbé et utilisé) principales sources de fer sont : les produits
et du statut en fer des individus. La teneur d’origine animale (30 à 35 % du fer total),
en fer des aliments est très variable d’un les céréales (20 à 30 %), puis les fruits et
aliment à l'autre (tableau 3). Mais plus que légumes, enfin les racines et tubercules
la quantité de fer présente dans l’alimenta- amylacés. Pour les pays en voie de dévelop-
tion, c’est la qualité de ce fer qui constitue pement, la place du fer fourni par les ali-
le facteur déterminant pour la couverture ments d’origine animale est beaucoup plus
des besoins. En effet, diverses études faites faible. Le fer non héminique représente à
à l’aide d’aliments marqués avec du fer lui seul 90 à 95 % du fer alimentaire
radioactif (55Fe, 59Fe) ont mis en évidence consommé dans les types alimentaires les
que l’absorption moyenne du fer chez des plus fréquents dans le monde. Sa biodispo-
sujets en bonne santé est très variable d’un nibilité est faible (généralement inférieure à
aliment à l’autre. Ces différences s’expli- 5 %) et peut être influencée par diverses
quent par la forme du fer contenu dans les substances contenues dans d’autres ali-
aliments : fer héminique ou fer non hémi- ments.
nique. On peut définir un coefficient d’absorp-
Le fer héminique est présent uniquement tion du fer pour chaque aliment (1 à 2 %
dans les aliments d’origine animale où il pour le riz, 3 à 4 % pour les légumes secs,
représente environ 40 % du fer total. Il cor- 16 à 22 % pour les viandes, 50 à 70 % pour
respond au fer des hémoprotéines, essentiel- le lait maternel…). Mais ces coefficients
lement de l’hémoglobine et de la myoglobi- d’absorption calculés à partir d’aliments
ne. Sa biodisponibilité est d’environ 25 % et consommés isolément n’ont qu’un intérêt
n’est pas influencée par les autres consti- théorique, car il existe de nombreuses inter-

127
S. Hercberg

actions entre les différents aliments pris au cet effet activateur est encore mal connu.
cours d’un même repas : certaines sub- Certaines études impliquent la cystéine
stances présentent dans les aliments agis- comme étant le facteur facilitateur. Mais
sent en facilitant l’absorption du fer contenu cette hypothèse n’a pas été totalement
dans la ration, d’autres agissent, au contrai- confirmée.
re, comme inhibiteurs. Seul le fer non hémi-
nique (principale source de fer alimentaire
dans les pays en voie de développement) est Les inhibiteurs de l’absorption
influencé par la composition du repas. du fer
Le fer héminique (fer de l’hémoglobine
et de la myoglobine) possède une grande ➛ Les tannins. Disler et al. (1975) ont été
biodisponibilité intrinsèque et à la différen- les premiers à signaler l’effet inhibiteur pro-
ce du fer non héminique, il n’est pas noncé du thé sur l’absorption du fer ; une
influencé par les autres composants du seule tasse de thé prise au cours d’un repas
repas. peut faire chuter l’absorption du fer de
11 % à 2,5 %. L’absorption du chlorure de
fer diminue de 22 à 6 % lorsque les compri-
Les activateurs de l’absorption més sont pris en même temps que du thé.
du fer Dans un petit déjeuner de type occidental,
l’absorption du fer non héminique est rédui-
➛ L’acide ascorbique est le plus puissant te d’environ 60 % par la prise du thé. Par
facilitateur connu de l’absorption du fer non contre, le thé sans tannin n’a pas d’action
héminique (Cook et Monsen, 1977). Il n’y a sur l’absorption du fer. L’effet inhibiteur des
pas de limite à son action facilitatrice, tannins résulte de la formation de précipités
même à des concentrations très élevées ; insolubles de tannates de fer. Le thé consti-
mais au-delà de 100 mg d’acide ascorbique tue expérimentalement le plus puissant inhi-
dans un repas, son effet est moins prononcé. biteur de l’absorption de fer actuellement
L’acide ascorbique facilite l’absorption du connu. Les tannins sont également présents
fer par formation d’un chélate de fer soluble dans le café, mais l’effet inhibiteur du café
à pH bas, qui reste soluble au pH de l’intes- sur l’absorption du fer est bien moindre que
tin grêle. L’absorption du fer d’un repas celui du thé. Cet effet pourrait être égale-
peut être multipliée par trois lorsqu’il est ment lié à la présence d’autres composés
consommé simultanément avec 100 ml de polyphénoliques. Les tannins sont aussi lar-
jus d’orange et par 7 avec un jus de papaye. gement répandus dans les végétaux et leur
D’autres acides, tels que l’acide citrique et présence pourrait expliquer la faible absorp-
l’acide malique ont également un effet acti- tion du fer contenu dans ce type d’aliments.
vateur sur l’absorption du fer non hémi-
nique. ➛ Le rapport calcium/phosphate. Chez
l’homme, des études ont mis en évidence la
➛ Les tissus animaux. Depuis quelques réduction considérable de l’absorption du
années, on a mis en évidence l’effet facila- fer héminique par le jaune d’œuf. Ce fait a
teur de la viande et du poisson (Cook et été attribué au vitellin, principal complexe
Monsen, 1976) : l’absorption du fer non phosphorrotéique dans le jaune d’œuf. Les
héminique est multipliée par 2 ou 3 quand composés phosphatés contenus dans un
on ajoute au repas des protéines d’origine repas constitueraient des inhibiteurs de l’ab-
animale (viandes et poissons exclusive- sorption du fer par la formation de phospha-
ment). L’action de 1 gramme de viande est te ferrique insoluble (Peters et al., 1971).
à peu près équivalente à celle de 1 mg Cet effet serait majoré par la présence
d’acide ascorbique. Le mécanisme exact de simultanée de calcium dans le repas ; le fer

128
6. Le fer

serait co-précipité par un complexe inso- ➛ Les fibres. Le rôle des fibres sur l’ab-
luble calcium-phosphate. sorption du fer n’a pas été suffisamment
étudié chez l’homme. Cook et al., testant
➛ Les protéines. Il est difficile d’apprécier deux repas qui ne se différencient que par la
le rôle direct des protéines sur l’absorption composition en fibres, ont observé (Cook et
du fer. Ceci s’explique par le fait que la plu- al., 1981b) que l’absorption du fer est de
part des études réalisées, notamment chez 6,1 % pour le repas à faible teneur en fibres
l’animal, sont basées sur la modification de (5,1 g). Les mêmes auteurs ont étudié l’effet
des fibres sur l’absorption du fer en fonc-
la part des protéines dans l’apport énergé-
tion de leur nature ; ils n’ont pas observé
tique, celui-ci étant maintenu constant. Il en
d’effet inhibiteur avec la pectine et la cellu-
résulte une grande difficulté d’interpréta- lose alors que cet effet était retrouvé avec le
tion, car il est difficile de déterminer si un son (Cook et Reusser, 1983).
phénomène observé est dû à la seule modi- Les recherches futures sur la biodisponi-
fication de l’apport protéique ou à l’aug- bilité du fer alimentaire vont vraisemblable-
mentation et/ou à la réduction des autres ment mettre en évidence de nombreux
composants. Bien que les pouvoirs facilita- autres activateurs et inhibiteurs dont la
teurs de la viande ont souvent été attribués connaissance permettra de mieux estimer la
aux protéines (sans que ceci puisse être quantité de fer réellement biodisponible à
réellement démontré), des études récentes partir d’un type alimentaire. Ceci est parti-
ont montré que certaines protéines semi- culièrement important, car en fonction de la
purifiées peuvent inhiber l’absorption du présence des substances activatrices et inhi-
fer. Lorsque l’on double la quantité d’albu- bitrices, l'absorption du fer alimentaire peut
varier de 1 à 40 % chez des individus ayant
mine de l’œuf dans un repas, l’absorption
des réserves en fer semblables. Ceci repré-
du fer chute de 2,3 à 1,4 %. A l’inverse,
sente un facteur essentiel à prendre en
lorsque l’on soustrait cette protéine, l’ab- compte pour la compréhension de la problé-
sorption du fer augmente de 3,8 à 9,6 % matique de la carence en fer.
(Monsen et Cook, 1979). Récemment, a été Au total, selon la composition des régimes
également mis en évidence un effet inhibi- alimentaires, on peut différencier schémati-
teur des protéines de soja sans que le méca- quement trois niveaux d’absorption :
nisme en soit connu (Cook et al., 1981a). – les repas contenant du fer considéré
« peu biodisponible » (environ 5 % absor-
➛ Les phytates. Au début des années1940, bable) : c’est le cas des types alimentaires
Widdowson et McCance (1943) ont observé avec repas monotone à base de céréales
que l’absorption du fer d’un repas contenant et/ou de racines-tubercules, pauvres en pro-
du pain complet était plus faible par rapport duits d’origine animale et en vitamine C.
à un repas contenant du pain blanc. Des – les repas contenant du fer considéré
études utilisant des marqueurs radioactifs « relativement biodisponible » (environ
10 % absorbable). Ce sont des repas égale-
ont confirmé l’effet inhibiteur du son et de
ment à base de céréales et/ou de racines et
nombreux travaux ont rapporté cet effet à la
tubercules, mais contenant également un
présence de phytates. Cependant, des études peu d’aliments animale et de la vitamine C.
plus récentes chez l’homme et chez l’ani- – les repas contenant du fer considéré
mal considèrent que les phytates ont peu « hautement biodisponible » (environ 15 %
d’effet sur l’absorption du fer : l’effet inhi- absorbable). Il s’agit d’alimentations diver-
biteur du son n’est pas modifié après des- sifiées et variées contenant des quantités
truction par hydrolyse enzymatique des importantes d’aliments d’origine animale.
phytates (Simpson et al., 1981). Il est évident que la majorité des habitants

129
S. Hercberg

des pays en voie de développement ont une tion du fer non héminique est augmentée
alimentation du premier type contenant du en cas de diminution du stock de fer de
fer peu biodisponible. Ceci aide à com- l’organisme et réciproquement diminuée
prendre pourquoi, dans ces pays, les popula- en cas de surcharge en fer. Une forte cor-
tions ont un risque accru de carence en fer. rélation négative existe entre le cœfficient
d’absorption du fer et l’importance des
réserves en fer de l’organisme et ce quelles
L’état des réserves en fer que soient les méthodes utilisées pour
de l’individu apprécier ces réserves (biopsie de mœlle
osseuse, dosage de la ferritine sérique ou
De nombreux travaux ont montré que la méthodes de phlébotomies). Dans le même
quantité de fer alimentaire absorbée ne sens, on peut rapprocher, chez les femmes
dépend pas seulement de la teneur en fer enceintes, l’augmentation de l’absorption du
des aliments, du type de fer et de la compo- fer au fur et à mesure du déroulement de la
sition du repas, mais également de l’état des grossesse parallèlement à l’épuisement gra-
réserves en fer de l’organisme. L’absorp- duel des réserves.

130
6. Le fer

B ibliographie

(1) – Cook J.D., Morck T.A., Lynch S.R., 1981a. The inhibitory effect of soy products on monheme
iron absorption in man. Am. J. Clin. Nutr., 34 : 2622-2629.
(2) – Cook J.D., Morck T.A., Skine B.J., Lynch S.R., 1981b. Biochemical determinants of iron absorp-
tion. In : Nutrition in health and disease and international development, Harper A.E;, Davis G.K.
from XII international Congress of Nutrition. New York, Alan R. Liss. Inc.
(3) – Cook J.D;, Reusser M.E., 1983. Food iron availability. In : Groupe à risque de carence en fer dans
les pays industrialisés, Dupin H., Hercberg’S. (Eds). Vol. 113, pp. 179-190. Édition Colloque
INSERM.
(4) – Disler P.B., Lynch S.R., Charlton R.W., Torrance J.D., Bothwelll T.H., 1975. The effect of tea on
iron absorption. Gut., 16 : 193-200.
(5) – Hercberg S., 1988. La carence en fer et nutrition humaine. EMI, Lavoisier, 203 pages.
(6) – Hercberg S., Galan P., 1989. Bichemical effects of iron deprivation. Acta. Paediatr. Scand., Suppl.
361.
(7) – Monsen E.R., Cook J.D., 1979. Food iron absorption in human subjects. V. Effects of the major
dietary constituents of a semisynthetic meal. Am. J. Clin. Nutr., 32 : 804-808.
(8) – Peters T., Apt L., Roos J.F., 1971. Effects of phosphate on iron absorption studied in normal sub-
jects and in an experimental model using dialysis. Gastroenterol., 61 : 315-322.
(9) – Simpson K.M., Morris E.R., Cook J.D., 1981. The inhibitory effect of bran on iron absorption in
man. Am. J. Clin. Nutr., 34 : 1469-1478.
(10) – Mac Cance R.A., Edgecombe C.N., Widdowson E.M., 1943. Phytic acid and iron absorption.
Lancet, ii : 120-123.

131
II. Les vitamines
E. Grasset
6. Les vitamines

La nomenclature peut, au début, prêter à


es vitamines sont des sub- confusion car, à côté des dénominations chi-

L stances organiques, sans


valeur énergétique propre, qui
sont nécessaires à l’organisme
miques des molécules, des notations abrégées
sous forme de lettre sont également utilisées.
De même les unités sont parfois exprimées en
et que l’homme ne peut synthétiser en unités internationales. La nomenclature utili-
quantité suffisante. Elles doivent être four- sée est indiquée dans le tableau I.
nies par l’alimentation. Treize substances Il est habituel de regrouper les vitamines
répondent à cette définition. Il s’agit d’un selon leur solubilité et d’opposer les vita-
groupe de molécules chimiquement très mines liposolubles aux vitamines hydroso-
hétérogènes. Ce sont des substances de lubles. Cette classification correspond à des
faible poids moléculaire. propriétés différentes. Schématiquement les
Certaines d’entre elles ont des structures vitamines liposolubles sont absorbées en
proches de celles d’autres composés orga- même temps que les graisses et seront stoc-
niques : sucres pour la vitamine C, hor- kées. Par contre, à l’exception de la vitami-
mones stéroïdes pour la vitamine D, por- ne B12, les vitamines hydrosolubles ne sont
phyrines pour la vitamine B12. pas stockées de manière prolongée et les
apports excédentaires sont excrétés dans les
urines.

DÉFINITION
ET NOMENCLATURE
GÉNÉRALITÉS
Éthymologiquement, « amines nécessaires
à la vie », les vitamines ont en fait des struc- ➛ Comment ont été reconnues les
tures variées et ne sont pas toutes des diverses vitamines ? Comment ont été
amines. Contrairement aux nutriments habi- analysées leurs fonctions ?
tuels utilisés pour la production d’énergie ou La première étape a consisté à identifier
incorporés au cours de la synthèse des des carences cliniques chez l’homme (scor-
constituants de l’organisme (glucides, acides but, béri-béri) ou chez l’animal et à montrer
aminés ou acides gras essentiels), les besoins que ces signes de carence pouvaient être
quotidiens en vitamines ne sont que de prévenus ou supprimés par l’administration
quelques fractions de microgramme à d’une substance organique. Il s’agissait
quelques milligrammes. Ceci est dû au fait donc d’étudier des « vitamino-défi-
que la plupart agissent comme des coen- ciences ». Certains signes cliniques de vita-
zymes ou des cofacteurs au cours des réac- mino-déficiences ont été mieux identifiés
tions enzymatiques. A la différence des chez l’homme du fait de l’apparition des
oligo-éléments, ce sont des substances orga- techniques d’alimentation artificielle (paren-
niques. Les vitamines doivent être apportées térale exclusive prolongée) qui ont permis
en faible quantité dans l’alimentation. de préciser les besoins. Alors que les défi-
Quelques vitamines font exception car il ciences spontanées étaient rares et asso-
existe pour elles d’autres sources pouvant ciaient souvent des carences multiples, des
remplacer les apports alimentaires : exposi- omissions isolées d’une vitamine dans un
tion de la peau aux ultra-violets solaires pour mélange nutritif artificiel utilisé au long
la vitamine D, synthèse à partir du trypto- cours ont permis de préciser les consé-
phane pour la niacine, synthèse par la flore quences d’une vitamino-déficience pure et
microbienne digestive pour la vitamine K. les apports nécessaires.

135
E. Grasset

Molécule Abréviation Unité usuelle


VITAMINES HYDROSOLUBLES
Thiamine Vitamine B1 mg
Riboflavine Vitamine B2 mg
Acide pantothénique Vitamine B5* mg
Pyridoxine Vitamine B6 mg
Niacine Vitamine PP
Vitamiou B3* mg
Acide folique Vitamine B 9 µg
Cobalamine Vitamine B12 µg
Acide ascorbique Vitamine C mg
Biotine Vitamine H ou B8 µg
VITAMINES LIPOSOLUBLES
Rétinol Vitamine A unité internationale
1 UI = 0,3 µg
Calciférol Vitamine D unité internationale
1 UI = 0,025 µg
Tocophérol Vitamine E unité internationale
1 UI = 1 mg acétate
dl alpha-tocophérol
Phytoménadione Vitamine K1 µg
Phylloquinone
* Attention, dénomination à éviter car aux USA vitamine B3 = acide pantothénique.

L’étude de certaines maladies métabo- de synthèse a pu être perdue ou acquise plus


liques a également permis de bien mieux ou moins tôt au cours de l’évolution. Ainsi,
connaître les fonctions de certaines vita- la possibilité de synthèse de la vitamine B12
mines : il s’agit des « vitamino-dépen- en utilisant le cobalt est limitée aux bacté-
dances ». Sous alimentation normale, il ries. Par contre la possibilité de synthèse de
existe des anomalies cliniques ou biolo- la vitamine C (acide ascorbique) à partir du
giques qui disparaissent grâce à un apport glucose semble n’avoir été perdue que beau-
très important d’une vitamine. Ceci peut coup plus tard, chez les primates et le
être dû à une anomalie de l’enzyme, par cochon d’Inde : le rat ne pourrait donc pas
exemple diminution de l’affinité pour le être utilisé pour étudier l’effet d’une caren-
coenzyme dérivé de la vitamine, ou à ce. L’utilisation de souches microbiennes
d’autres anomalies telles qu’une modifica- dépourvues de la possibilité de synthèse de
tion de la biodisponibilité ou du métabolis- certaines vitamines et dépendant donc
me de la vitamine. d’elles pour leur croissance est le principe
Avoir besoin d’une vitamine correspond à sur lequel reposent les méthodes bactériolo-
l’équivalent d’une maladie métabolique : giques de dosage des vitamines.
l’organisme n’est pas capable de synthétiser Les principales fonctions des vitamines et
une substance qui devient essentielle et limi- les conséquences cliniques d’une carence
tante. Toutes les espèces n’ont pas forcément sont très schématiquement rappelées dans le
besoin des mêmes vitamines. La possibilité tableau II.

136
6. Les vitamines

Tableau II
Principales fonctions des vitamines
Conséquences cliniques d’une carence

Molécule Fonctions (exemples) /


Conséquence clinique d’une carence
Thiamine céto-acides déshydrogénases (ex. pyruvate déshydrogénase) sous forme de
thiamine pyrophoshate
Béri-Béri, encéphalopathie alcoolique (Gayet-Wernicke)
Riboflavine oxydo-réductions (mitochondrie)
catabolisme sous forme de FMN et de FAD
Lésions muqueuses et cutanées (lèvres, bouche, langue...).
Acide pantothénique métabolisme acétyl et autres acyl sous forme de coenzyme A
Anomalies neurologiques, paresthésies (?)
Pyridoxine métabolisme des acides aminés (décarboxylation, transamination)
Anomalies cutanées, crises convulsives
Niacine oxydo-réduction (NAD, NADP)
Pellagre (dermatite photosensible, troubles neurologiques)
Acide folique métabolisme groupements méthyl, synthèse des acides nucléiques (avec
vit. B12)
Anémie mégaloblastique
Cobalamine métabolisme groupements méthyl synthèse acides nucléiques (avec ac.
folique)
Anémie mégaloblastique
Acide ascorbique réactions d’oxydo-réduction, hydroxylation
Scorbut, Maladie de Barlow (nourrisson)
Biotine carboxylases biotine-dépendantes
Dermatite, alopécie
Rétinol synthèse de la rhodopsine (vision), multiplication et division cellulaire
Xérophtalmie (carence majeure), diminution adaptation à la vision noc-
turne
Calciférol métabolisme phosphocalcique sous forme 1,25(OH)2 vitamine D (calci-
triol)
Rachitisme, ostéomalacie
Tocophérol anti-oxydant
Anémie hémolytique du prématuré, neuropathie avec ataxie (malabsorp-
tion majeure)
Phytoménadione carboxylation post-traductionnelle des protéines (facteurs de coagulation)
Phylloquinone Maladie hémorragique du nouveau-né

137
E. Grasset

MÉTABOLISME DES Les mécanismes d’absorption sont de


connaissance beaucoup plus récente, les
VITAMINES progrès en ce domaine étant largement liés
au progrès des méthodes d’études. En effet,
en accord avec le caractère limité des
➛ Absorption besoins quotidiens, beaucoup de sytèmes de
Les sites d’absorption des vitamines sont transports actifs ont une très grande affinité
précisés dans le tableau III. Comme la plu- (micromole ou moins) mais une capacité
part des nutriments, beaucoup de vitamines maxima de transport limitée. Il faut donc
hydrosolubles sont surtout absorbées au travailler à des concentrations faibles et uti-
niveau de l’intestin proximal. Certaines liser des méthodes sensibles (utilisation
vitamines ont un site d’absorption unique d’isotopes radioactifs). Comme un système
(vitamine B12 : iléon terminal) ce qui a des de diffusion passive coexiste souvent avec
conséquences cliniques importantes. le sytème de transport actif, en cas d’étude

Tableau III
Absorption digestive des vitamines : quel site ou quelle fonction pour quelle vitamine ?

Estomac vitamine B12


Foie
Stockage vitamine B12
Sécrétion biliaire vitamines liposolubles
Pancréas exocrine vitamine B12
vitamines liposolubles
Intestin grêle vitamines liposolubles
(absorption, resynthèse)
Jéjunum acide folique
Iléon terminal vitamine B12
absorption des acides biliaires (pool nécessaire à l’absorption des
vitamines liposolubles)
Flore microbienne présente synthèse de la vitamine K et de la biotine
Système lymphatique
Fonctionnel vitamines liposolubles

à concentration trop élevée (par exemple l’absorption des vitamines peut mettre en
10-4, 10-3 M), le sytème de transport actif jeu des étapes successives spécifiques et
est saturé et masqué par une diffusion lar- limitantes ; une perturbation peut entraîner
gement prépondérante. En cas d’étude in une malabsorption et donc une carence.
vitro, la possibilité d’accumulation intra- L’absorption des vitamines liposolubles
entérocytaire contre un gradient de concen- est très liée à celle des lipides dont elle suit
tration n’est plus visible. Ces mécanismes les différentes étapes (hydrolyse intralumi-
de transport sont résumés dans le nale sous l’action de la lipase pancréatique
tableau IV. Ce tableau illustre également après émulsification par les sels biliaires,
l’importance du métabolisme intraluminal absorption, réestérification, incorporation
et entérocytaire de ces vitamines. Ceci n’a dans les lipoprotéines, excrétion dans la
pas qu’un intérêt théorique : la digestion et lymphe sous forme de chylomicron). Leur

138
6. Les vitamines

Tableau IV
Absorption digestive des vitamines : étapes spécifiques au niveau de l’intestin

Vitamine Transport spécifique Métabolisme


Ac. ascorbique Actif couplé au sodium
Thiamine Actif faible capacité Hydrolyse de thiamine-phosphate
Niacine Actif couplé au sodium Hydrolyse des nucléotides avant
absorption
Pyridoxine Diffusion passive Phosphorylation intracellulaire
(forme libre) (accumulation des formes phosphorylées)
Biotine Actif couplé au sodium Biotine libérée de biocytine par
biotinidase (pancréas, intestin)
Ac. folique Actif couplé au H+ Hydrolyse des formes conjuguées
(ptéroyl-polyglutamate)
Ac. folique + lait Absorption avec protéine Hydrolase (bordure en brosse intestinale)
de liaison
Cobalamine Actif Liaison avec transcobalamine II
liaison avec facteur avant sortie
intrinsèque préalable
Pyridoxine Phosphorylation avant sortie
Vitamine A rétinol Réestérification après absorption
Béta-carotène clivage en rétinal (carotène dioxygénase)

absorption sera diminuée en cas de malab- (phosphorylation, liaison à l’enzyme...). Les


sorption des lipides et sensible aux modifi- vitamines anti-oxydantes (vitamines C et E)
cation des lipides ingérés (par exemple sont actives sous leur forme naturelle.
l’utilisation de triglycérides à chaîne
moyenne dont l’absorption préférentielle ➛ Distribution Stockage, élimination
vers le sang portal est préservée en cas Le tableau VI résume les données
d’anomalie de la digestion va augmenter concernant la distribution et le stockage des
l’absorption des vitamines liposolubles et vitamines. Schématiquement ces caractéris-
l’orienter également vers le sang portal et le tiques varient entre deux extrêmes : cer-
foie). L’absorption intestinale de la vita- taines vitamines hydrosolubles (vitamine C,
mine E est moins efficace que celle des thiamine) ne peuvent pas être stockées. Un
autres vitamines liposolubles (moins de la apport régulier est indispensable. La vitami-
moitié est absorbée). Ceci explique qu’en ne C est absorbée au niveau du jéjunum par
cas de malabsorption sévère des lipides, la un mécanisme de transport actif, couplé au
carence en vitamine E peut être au premier sodium, similaire à celui décrit pour le glu-
plan. Ceci explique aussi, dans ce cas, la cose mais distinct de celui-ci. Ce mécanis-
nécessité de complémentation systématique. me est saturable. Il est apparu chez les
espèces qui ne peuvent synthétiser la vita-
➛ Formes actives mine C. Il existe également un système de
Les formes actives sont représentées dans réabsorption active au niveau du tubule
le tableau V. Schématiquement les vita- rénal, système lui aussi saturable. L’élimi-
mines subissent souvent une transformation nation se fait surtout sous forme d’ascorbate
avant de remplir les fonctions de coenzyme et d’oxalate. Néanmoins comme la forma-

139
E. Grasset

Tableau V
Vitamines : formes actives

Molécule Formes actives


Thiamine Thiamine diphosphate
(Thiamine pyrophosphate, PP)
Riboflavine Flavine Mononucléotide (FMN)
Flavine Adénine Dinucléotide (FAD)
Acide pantothénique Coenzyme A
Acyl-Carrier Protein (ACP)
Pyridoxine Phophate de pyridoxal
Niacine Nicotinamide Adénine Dinucléotide (NAD+)
NAD Phosphate (NADP+)
Acide folique Tétrahydrofolate
Cobalamine Méthylcobalamine
Déoxyadénosylcobalamine
Acide ascorbique Acide ascorbique
Biotine Enzyme à carboxybiotine
Rétinol Rétinol (régulation expression génique)
Rétinal (rhodopsine)
Acide rétinoïque (glycosylation)
Calciférol 1,25-dihydroxycholécalciférol
1,25(OH)2D3
Tocophérol D-alpha-tocophérol + autres dérivés
Phytoménadione Hydroquinone (vitamine K réduite)
Phylloquinone

140
6. Les vitamines

Tableau VI
Vitamines : distribution, stockage

Molécule Distribution
Thiamine Phosphorylée : 3/4 (globules rouges et leucocytes +++)
Libre : 1/4 (plasma, concentration faible)
Organes : forme phosphorylée
Pas de stockage
Riboflavine Liée aux protéines plasmatiques (FMN) intracellulaire (érythrocytes >
plasma, tissus ; surtout sous forme de FAD)
Demi-vie intracellulaire longue en cas de carence d’apport, déplétion diffi-
cile à réaliser chez l’homme
Acide pantothénique Coenzyme A intratissulaire (muscle, cœur, foie, taux bien conservés grâce
à un système d’accumulation intracellulaire active)
Pyridoxine Phosphate de pyridoxal (foie, muscle ; demi-vie longue)
Niacine NAD et NADP dans les cellules sanguines et tissus (foie)
Synthèse à partir du tryptophane+++
(tryptophane dioxygénase, 60 mg Trp ➛ 1 mg Niacine)
Acide folique CH3-Tétrahydrofolate, lié aux protéines plasmatiques, érythrocytes > plas-
ma
Stockage hépatique (formes non méthylées) mais cycle entéro-hépatique
majeur+++
Cobalamine PLASMA : après absorption liaison à transcobalamine II (TC II, t1/2=1,5 h) ;
90 % liée à TCI, t1/2= 7-10 j) ;
TCIII (t1/2= 5 mn) permets retour vers le foie, stocks hépatiques suffisants
pour plusieurs mois+++, cycle entérohépatique
Acide ascorbique Plasma : libre+++ et liée à l’albumine, concentration dans les leucocytes,
pas de stockage
Biotine Plasma : libre et liée
Tissus : enzyme à carboxybiotine
Rétinol Rétinol lié à Retinol Binding Protein
Stockage hépatique (rétinyl-palmitate) dans gouttelettes lipidiques
Calciférol Plasma : 25(OH)2D3 (t1/2 3 semaines)
Tocophérol Lipoprotéines plasmatiques membranes cellulaires (t1/2 varie de quelques
jours à 3 mois selon les tissus)
Phytoménadione Liaison aux lipoprotéines plasmatiques (VLDL), cycle entéro-hépatique+++
Phylloquinone

141
E. Grasset

90

80

70

% excrété inchangé
60

50

40

30

20

10

0
0 200 400 600 800 1 000 1 200 1 400 1 600 1 800 2 000
Posologie (mg/jour)

Figure 1.
Relation entre l’élimination urinaire de vitamine C et la dose ingérée, effet de doses élevées
(d’après Kallner A, Hartman D, Hornig et al. Am J Clin Nutr 1979 ; 32 : 530-9)

tion d’oxalate est très limitée, l’ingestion de un coenzyme. L’holoenzyme, qui possède
fortes doses de vitamine C entraîne surtout l’activité complète résulte de l’association
une augmentation de son excrétion sous d’un apoenzyme, protéique, et d’un coenzy-
forme inchangée (figure 1). Dans certains me qui lui est lié. Si le coenzyme est lié par
tissus comme les glandes surrénales, la une liaison covalente, il sera dénommé
concentration d’acide ascorbique est supé- « groupement prosthétique ». Un coenzyme
rieure à celle du plasma. peut jouer un rôle de cosubstrat : il subira
L’autre extrême est représenté par des vita- exactement la réaction inverse de celle que
mines telle que la vitamine B12, que l’orga- subit le substrat (réactions d’oxydo-réduc-
nisme peut stocker de manière importante. Il tion : NAD, transamination : phosphate de
faudra des mois de carence d’apport (régime pyridoxal).
végétalien strict) pour épuiser les réserves. L’étude du mécanisme de la décarboxyla-
Alors que les excès de vitamines hydro- tion du pyruvate permet de bien illustrer les
solubles sont souvent éliminées par voie fonctions des vitamines et leur rôle en
urinaire, ce n’est pas le cas des vitamines pathologie (figure 2).
liposolubles, en particulier de la vitamine Le complexe enzymatique de la pyruvate-
A qui est stockée, ce qui contribue à la déshydrogénase catalyse la transformation
toxicité potentielle de doses excessives. du pyruvate, CH3-CO-COOH, en acétyl-
Coenzyme A. Cette enzyme localisée au
niveau de la mitochondrie contrôle donc
l’accès des métabolites du glucose au cycle
RÔLE PHYSIOLOGIQUE de Krebs. En fait cette réaction met en jeu
3 enzymes successives et 5 coenzymes dont
DES VITAMINES 4 sont, chez l’homme, des dérivés de vita-
mines : thiamine pyrophosphate (TPP dérivé
de vitamine B1), flavine-adénine-dinucléoti-
➛ Fonction coenzymatique de (FAD, dérivé de la vitamine B2), coen-
De nombreux enzymes nécessitent une zyme A (dérivé de l’acide pantothénique),
autre molécule de faible poids moléculaire : nicotinamide dinucléotide (NAD, dérivé de

142
6. Les vitamines

Pyruvate-déshydrogénase

CH3 - CO-COOH+ H+ + TPP ➛ Enz - CHOH - CH2 + CO2

Pyruvate-déshydrogénase

CHOH - CH2 + Acide lipoïque ➛ TPP + CH3 - CO - Ac lip - Enz

Dihydrolipoyl transacétylase

CH3 -CO - Ac lip - Enz + CoA - SH ➛ CoA - S - CO - CH3

Dihydrolipoyl transacétylase
Dihydrolipoyl déshydrogénase

Enz - Acide lipoïque oxydé Enz - Acide lipoïque réduit


+ ➛ +
Enz - FAD Enz - FADH2

Dihydrolipoyl déshydrogénase
Enz - FADH2 + NADH2 ➛ Enz - FAD + NADH + H+

Figure 2
Décarboxylation oxydative du pyruvate. Intervention des coenzymes dérivés
des diverses vitamines au sein du complexe pyruvate-déshydrogénase.

la vitamine PP) et acide lipoïque qui, lui, formes : phylloquinone (vitamine K1) obte-
n’est pas une vitamine. nue à partir des plantes et ménaquinone
Le NADP intervient dans le cycle des (vitamine K2) d’origine bactérienne. La
pentoses (génération de NADPH), dans la ménadione (vitamine K3) est d’origine syn-
synthèse et l’élongation des acides gras (uti- thétique. Cette vitamine est indispensable
lisation du NADPH) au maintien de niveaux normaux de certains
La pyridoxine (vitamine B6) est un bon facteurs de coagulation : facteurs II, VII, IX
exemple de vitamine fonctionnant comme et X (prothrombine, proconvertine, facteur
coenzyme. La forme active est le phosphate anti-hémophilique B, facteur Stuart). Ces
de pyridoxal synthétisé grâce à la pyri- facteurs sont synthétisés par le foie sous
doxal-kinase présente dans la plupart des forme inactive. La transformation en dérivés
tissus. C’est le cofacteur des décarboxylases actifs nécessite une étape post-translation-
et des transaminases. Il doit être présent au nelle : transformation des résidus glutamine
voisinage immédiat des sites catalytiques en gamma-carboxyglutamate par une car-
des enzymes car la première étape de ces boxylase dépendant de la vitamine K. Ces
réactions est la création d’une base de fonctions gamma-carboxyglutamate porteurs
Schiff entre sa fonction aldéhyde et le grou- de deux carboxyles (charges négatives) sont
pe alpha-aminé de l’acide aminé (figure 3) ; très nombreuses au niveau de la prothrom-
les trois autres liaisons du carbone pourront bine et expliquent son interaction avec l’ion
alors faire l’objet de transamination ou de Ca++. D’autres protéines qui lient le calcium
décarboxylation. Il intervient également subissent la même réaction : l’ostéocalcine,
dans d’autres réactions (désaminases, aldo- synthétisée par les ostéoblastes, subit la
lase...). même gamma-carboxylation.
La vitamine K se présente sous deux

143
E. Grasset

N – APOENZYME zyme. Elle agit comme anti-oxydant liposo-


luble. Il existe de nombreux isomères de
CH tocophérol possédant une chaîne latérale dif-
férente. Par ordre d’activité décroissante ce
AA1 AA2 sont le D-alpha-tocophérol, le D-béta-toco-
H
RC – COO- phérol, le D-gamma-tocophérol, le D-delta-
tocophérol. Le standard (1 UI) correspond à
N 1 mg d’acétate de DL-alpha-tocophérol. Les
tocophérols sont lipophiles et fonctionnent
CH
comme des antioxydants puissants, aussi bien
dans les membranes cellulaires qu’au niveau
RC – COO-
des lipoprotéines plasmatiques. Le mécanis-
N me de l’effet antioxydant, par réaction avec
un ion peroxyde, est illustré dans la figure 4.
Comme les réactions de peroxydation inter-
CA1 CA2 viennent au niveau des doubles liaisons des
NH2 acides gras, les besoins en vitamine E aug-
CH2
mentnent en cas d’ingestion de grandes quan-
HO tités d’acides gras poly-insaturés.
CH2 – (P) + APOENZ – NH2
De même que la figure 2 (pyruvate
déshydrogénase), la figure 4 montre que
Figure 3 plusieurs vitamines contribuent souvent à la
même voie métabolique ou fonction. Ainsi
Rôle du phosphate de pyridoxal au cours de la
transamination d’un acide alpha-aminé. L’acide la vitamine E, le béta-carotène et l’acide
aminé 1 (AA1) ascorbique sont tous les trois des anti-oxy-
est transformé en céto-analogue 1, dants. Comme ils sont plus ou moins hydro-
le céto-analogue 2 en acide aminé philes (la vitamine E est la molécule la plus
lipophile des trois), ils agissent en synergie
au niveau des divers composants de l’orga-
➛ Transport de protons et d’électrons nisme. D’autres enzymes nécessitants des
L’acide ascorbique agit comme anti-oxy- oligo-élements (sélénium, zinc) sont égale-
dant. Il s’agit d’un agent réducteur qui, sous ment mises en jeu au cours des réactions
forme oxydée, est transformé en acide d’oxydo-réduction.
déhydro-ascorbique. L’acide ascorbique est
un donneur d’équivalent réduit. L’acide ➛ Fonctions de type hormonal
déhydro-ascorbique ainsi formé peut servir Vitamine D et vitamine A agissent selon
de source de vitamine. Du fait de son un mécanisme similaire à celui des hor-
potentiel d’oxydo-réduction, l’acide ascor- mones stéroïdiennes : liaison à un récepteur
bique est capable de réduire l’oxygène cytosolique puis à un récepteur nucléaire,
moléculaire et les cytochromes a et c. modification de la synthèse protéique. Ainsi
La vitamine C est nécessaire au cours de la vitamine D est une prohormone. La vita-
différentes réactions : hydroxylation de la mine D3 subit une hydroxylation en posi-
proline (formation du collagène), dégrada- tion 25 au niveau des microsomes hépa-
tion de la tyrosine, synthèse de la noradré- tiques pour former le 25(OH)D3, forme cir-
naline (dopamine béta-hydroxylase). culante principale. Une hydroxylation sup-
plémentaire en 1,25(OH)2D3, calcitriol, peut
➛ Stabilisation des membranes être effectuée au niveau des mitochondries
La vitamine E représente une exception du tubule rénal. Cette réaction est sous
car on ne lui connaît pas de fonction de coen- contrôle hormonal. Le calcitriol se lie au

144
6. Les vitamines

CH3 – apparition de manifestations cliniques ;


Alpha-tocophérol – apparition de lésions anatomo-cliniques
OH
irréversibles.
R
La durée de la phase infraclinique est
CH3 variable et dépend largement des possibilités
O
CH3
de stockage par rapport aux besoins quo-
tiens. Vitamine B12 et vitamine A peuvent
ROO* mono-dehydro-ascorbate
être stockées abondamment dans le foie, il
Peroxyde faudra une carence d’apport prolongée (mois
ROOH acide ascorbique
chez le nouveau-né, années chez l’adulte)
pour épuiser ces réserves. Dans d’autres cas
CH3 (vitamine C, thiamine), quelques semaines
Alpha-tocophéryl
Alpha-tocophérol seront suffisantes.
O*
Certaines carences produisent des
R tableaux cliniques assez spécifiques
CH3
(tableau II) d’autres non (troubles cutanés
O
communs aux vitamines du groupe B). Mal-
CH3
gré leur rôle central dans le métabolisme
Figure 4 cellulaire, des carences en certaines vita-
Réduction d’un radical peroxyde au sein d’un mines ne s’expriment paradoxalement que
acide gras par l’alpha-tocophérol (vitamine E). par des signes non spécifiques et sans
L’alpha-tocophéryl ainsi formé est réduit en caractère majeur de gravité (par exemple :
alpha-tocophérol par oxydation de l’acide ascor- acide pantothénique).
bique (vitamine C)
La recherche de signes biologiques de
carence en vitamine peut faire appel à deux
niveau de nombreux tissus à un récepteur types d’approche : mesurer directement le
de la même catégorie que les récepteurs sté- niveau de vitamines ou de métabolites dans
roïdiens. Ce récepteur augmente la trans- un pool représentatif ou mesurer une fonc-
cription de plusieurs protéines dont des pro- tion qui dépend d’une vitamine.
téines à forte affinité pour le calcium (Cal- Par exemple l’acide folique et ses dérivés
cium Binding Proteins) au niveau de la peuvent être mesurés dans le plasma et les
peau, des os mais surtout de l’intestin. Il érythrocytes, en effet une anémie mégalocy-
stimule l’absorption digestive du calcium. taire n’apparaîtra qu’à un stade de carence
beaucoup plus avancé. Inversement, pour la
vitamine B1 (thiamine) des mesures fonc-
tionnelles effectuées in vitro et in vivo sont
PHYSIOPATHOLOGIE très sensibles. In vivo, il s’agira de la mesure
des taux plasmatiques d’acide pyruvique et
d’acide lactique (taux qui s’élèvent en cas
➛ Histoire naturelle d’une vitamino-défi- d’apport de glucose, cf. figure 2). In vitro, il
cience s’agit de la mesure de l’activité transcétolase
La constitution d’une carence passe par sur sang entier ou érythrocytes. Il est pos-
plusieurs étapes : sible de mesurer cette activité avec ou sans
– diminution des réserves (diminution pro- addition de thiamine pyrophosphate. En cas
gressive du pool de l’organisme, il n’existe de déficience, l’addition de thiamine pyro-
pas de signes cliniques ou biologiques) ; phosphate exogène entraînera une augmenta-
– apparition de signes biologiques (par tion importante de cette activité, de plus de
exemple diminution d’une activité enzyma- 20 %. Ceci montre que le taux de vitamine
tique) ; est bien le facteur limitant.

145
E. Grasset

➛ Mécanismes étudier, dans une population, les apports qui


permettent de normaliser certains critères
➛ Réduction de l’apport ou diminuer certaines pathologies. Les cri-
Les vitamines sont apportées par l’ali- tères fonctionnels utilisés seront importants
mentation. En principe le besoin minimum pour définir les besoins : 10 mg d’acide
obligatoire correspond au remplacement des ascorbique permettent d’éviter l’apparition
pertes. Par exemple, en supposant que 85 % d’un scorbut alors que 60 mg par jour
de l’acide ascorbique est absorbé et en seront nécessaires pour obtenir chez 95 %
mesurant un turn-over quotidien (mesures de la population des taux plasmatiques
isotopiques) de l’ordre de 40 à 50 mg chez supérieurs à 4 ou 6 mg/l selon les âges. Ce
l’adulte, on aboutit à une recommandation type de discussion sur les méthodes qui ont
de l’ordre de 60 mg par jour. permis d’aboutir à des recommandations
A côté de cette méthode factorielle nutritionnelles adaptées à l’ensemble d’une
(apports = pertes x coefficient d’absorption population se retrouve pour de nombreux
+ marge de sécurité), une autre approche éléments. Lors d’une évaluation individuel-
pour définir les besoins minimum s’appuie le, un patient peut ingérer une quantité infé-
sur des données épidémiologiques. Ces rieure à ces recommandations destinées à
apports conseillés doivent satisfaire les couvrir la majorité d’une population et ne
besoins de la très grande majorité (95 % présenter aucune déficience. Des recom-
soit + 2 DS par rapport aux besoins moyens mandations ont été établies pour différents
qui conviendraient à 50 % de la population). pays. Un exemple est indiqué dans le
Les méthodes épidémiologiques consistent à tableau VII.
Tableau VII
Apports recommandés pour la population française (CNRS – CNERNA, 1992) :
apports conseillés pour les femmes adultes (donné à titre d’exemple)

Molécule Abréviation Apports recommandés

VITAMINES HYDROSOLUBLES
Thiamine Vitamine B1 1,3 mg
Riboflavine Vitamine B2 1,5 mg
Acide pantothénique 10 mg
Pyridoxine Vitamine B6 2 mg
Niacine Vitamine PP 15 mg
Acide folique Vitamine B 9 300 µg
Cobalamine Vitamine B12 3 µg
Acide ascorbique Vitamine C 80 mg
VITAMINES LIPOSOLUBLES
Rétinol Vitamine A 800 µg
Calciférol Vitamine D 10 µg = 400 UI
Tocophérol Vitamine E 18 UI = 12 mg
dl alpha-tocophérol
Phytoménadione Vitamine K1 35 µg
Phylloquinone
Ces recommandations concernent l’ensemble d’une population, il existe donc une marge de sécurité importante ;
pour un individu particulier des apports plus faibles peuvent être suffisants.

146
6. Les vitamines

Comme la notion de besoin minimum opti- départ, pour compenser les pertes liées à
mal pour une population dépend du critère certains procédés technologiques tels que la
utilisé pour estimer son statut, que les études stérilisation.
épidémiologiques sont lourdes et longues et Il est évident que la possibilité de surve-
enfin qu’une population est faite de groupes nues de carence d’apport dépend des para-
hétérogènes, il existe de nombreuses discus- mètres suivants : abondance de la vitamine
sions concernant l’intérêt potentiel ou non de dans des aliments très variés, capacité de
certaines supplémentations. synthèse bactérienne ou à partir d’autres
Les principales sources alimentaires sont sources, importance du stockage par rapport
rassemblées dans le tableau VIII. Il est aux besoins quotidiens.
généralement admis qu’une alimentation
diversifiée apporte les vitamines néces- ➛ Malabsorption
saires. Il peut ne plus en être de même en Les carences en vitamines sont souvent
cas de traitement médicamenteux ou de les conséquences de malabsorptions diges-
maladie diminuant l’absorption ou augmen- tives. Ceci a deux conséquences : en cas de
tant les besoins. Certains pays comme les déficience vitaminique (anémie macrocytai-
États-Unis supplémentent presque systéma- re, diminution des facteurs de la coagulation
tiquement les aliments courants (vitamines limitée aux facteurs vitamine K-dépen-
du groupe B pour les farines, vitamine D dants...) il faudra rechercher une anomalie
pour le lait), d’autres comme la France, digestive. Inversement, certaines anomalies
autorisent dans certains cas, la restauration digestives devront faire prévoir un risque
au niveau du taux présent dans l’aliment de accru de déficience (tableau III).

Tableau VIII
Vitamines : distribution, stockage

Vitamine Sources alimentaires


Thiamine Écorces de céréales, levures, viandes
Riboflavine Plantes (légumes à feuilles vertes), viandes, abats, lait....
Acide pantothénique Jaune d’œuf, plantes, viandes dont abats, levures...
Pyridoxine Nombreux aliments
Niacine Écorces de céréales, levures, viandes
60 mg de tryptophane ➛ 1 mg niacine
Acide folique Nombreux aliments (mais thermolabile) (levures, abats, légumes verts crus)
Cobalamine Viandes (dont foie)
produits fermentés
Acide ascorbique Fruits, légumes, certains abats
Biotine Nombreux aliments
Rétinol Vitamine A : beurre et produits de substitution (enrichis), foie, poissons
Béta-carotène : carottes, légumes verts, fruits
Calciférol Huiles de poissons
(UV ➛ synthèse cutanée +++)
Tocophérol Huiles végétales
Phytoménadione Légumes verts (choux, épinards)
Phylloquinone (bactéries du tube digestif +++)

147
E. Grasset

➛ Autres mécanismes malies du système nerveux central telles les


Influence des pathologies sur ces besoins, spina bifida.
exemples de l’acide folique et de la vitami- Des signes cliniques de déficience de
ne E. carence en vitamine E peuvent s’observer
L’acide folique (acide ptéroylglutamique) dans deux circonstances : chez le prématuré
n’est que peu stocké. En cas de carence et en cas de malabsorption digestive majeu-
d’apport les stocks seront épuisés après re des lipides (a-béta-lipoprotéinémie).
quelques mois. Les précurseurs apportés par Chez le prématuré, cette carence se tra-
l’alimentation sont sous forme de polygluta- duit par une anémie liée à une diminution
mates. Des conjuguases, dont une présente de la durée de vie des hématies. En cas d’a-
au niveau de la bordure en brosse des enté- béta-lipoprotéinémie, les anomalies neurolo-
rocytes de l’intestin grêle, permettent son giques (ataxie et rétinopathie) sont au pre-
absorption sous forme de monoglutamate. Il mier plan.
existe un système de transport intestinal En dehors de ces déficiences manifestes,
spécifique, cotransport activé par les gra- de nombreux autres travaux sont en cours
dients d’ion H+. (Ce mécanisme a été bien concernant les relations entre vitamine E et
étudié car il intervient également dans l’ab- pathologie. Une des voies les plus actives
sorption de certains médicaments utilisés en repose sur l’hypothèse suivante : certaines
chimiothérapie : les antifoliques comme le lipoprotéines (LDL) seraient d’autant plus
méthotrexate). Comme de plus il existe un athérogènes qu’elles seraient oxydées, leur
cycle entéro-hépatique, les quantités qui phagocytose par les macrophages étant le
sont absorbées chaque jour sont supérieures point de départ des mécanismes conduisant
aux quantités ingérées. Ainsi même si l’ap- à la formation des lésions athéromateuses.
port quotidien n’est que de Dans ce cas, la vitamine E pourrait dimi-
50 µg, c’est un minimum de 150 µg qui nuer ce phénomène initial en agissant au
devra être réabsorbé. Le fait qu’il existe niveau des lipoprotéines circulantes.
plusieurs étapes mettant en jeu l’entérocyte
et l’existence de ce cycle explique qu’une ➛ Relations entre une vitamine et les
maladie digestive avec lésion du grêle autres composants de l’alimentation :
comme la maladie coéliaque entraînera plus exemples de la niacine et de la biotine
rapidement une déficience qu’une simple La niacine présente une particularité
carence d’apport. remarquable : elle peut être synthétisée à
En liaison avec la vitamine B12, l’acide partir du tryptophane (environ 60 mg de
folique intervient dans la synthèse de tryptophane correspond à 1 mg de niacine).
l’ADN. Certaines conditions caractérisées Une carence particulière a été observée en
par un renouvellement cellulaire rapide cas d’alimentation très pauvre en viande et
comme une anémie hémolytique chronique comprenant essentiellement du maïs : la
(par exemple drépanocytose homozygote pellagre associant dermatite, diarrhée et
avec destruction accélérée des globules démence. La raison en est simple :
rouges nouvellement formés) augmentent – le maïs est très pauvre en tryptophane ;
les besoins en acide folique. L’administra- – la nicotinamide présente dans le maïs
tion d’une supplémentation devient alors est complexée et est très mal absorbée.
habituelle. Une autre circonstance se carac- La biotine est le coenzyme de plusieurs
térise par une synthèse cellulaire accrue : la carboxylases (transfert de groupement CO2).
grossesse. Il semble exister des arguments Elle est fixée sur les résidus lysine des
concordants pour penser que l’existence en enzymes sous forme de biocytine, 1-N-car-
début de grossesse au moment de l’organo- boxy-biotine. Malgré la rareté des défi-
genèse d’une carence maternelle en acide ciences, cette vitamine a fait l’objet de nom-
folique augmente le risque de certaines ano- breuses études pour les raisons suivantes :

148
6. Les vitamines

– Elle a fourni un exemple de relation CARACTÉRISTIQUES DE


entre alimentation et statut vitaminique : le
blanc d’œuf contient une glycoprotéine QUELQUES VITAMINES
thermosensible qui complexe la biotine,
l’avidine. L’ingestion prolongée d’une gran-
de quanitié d’œuf cru a ainsi pu entraîner Les fonctions de quelques vitamines sont
des carences en biotine. détaillées ci-dessous.
– Il existe des anomalies du métabolisme
qui peuvent être corrigées par administra-
tion de biotine. L’une de ces maladies (défi- THIAMINE (vitamine B1) :
cit multiple des carboxylases par déficit en une fonction coenzymatique
biotinidase) a permis de mieux comprendre à un secteur clef du métabolisme
un mécanisme de variation de la biodisponi- énergétique
bilité des vitamines. Du fait de l’absence de
biotinidase, la biotine reste fixée au niveau La forme active est le pyrophosphate de
de radicaux lysine. L’administration par thiamine qui intervient dans les réactions de
voie orale de biotine à large dose permet de décarboxylation oxydative des céto-acides
saturer ces sites et de rendre l’excès biodis- (alpha-cétoglutarate, pyruvate, céto-ana-
ponible sous forme libre. logues des acides aminés ramifiés) et de
La biotine est synthétisée par la flore trancétolisation (cycle des pentoses).
microbienne digestive ; l’élimination est Une carence profonde en thiamine entraî-
habituellement supérieure aux apports ali- ne une limitation des réactions enzyma-
mentaires. Les très rares cas de déficits avec tiques dans lesquelles intervient le TPP avec
signes cliniques par carence d’apport ont accumulation en amont des substrats (pyru-
été observés au décours d’alimentation vate converti ensuite en acide lactique, céto-
parentérale prolongée. Il est peut-être pos- acides...). Les signes cliniques associent des
sible que les sujets hétérozygotes pour des signes généraux (asthénie, anorexie, vomis-
anomalies à type de déficit en biotinidase sements), neurologiques centraux et péri-
soient plus facilement sujets à des défi- phériques. Le béri-béri (carence d’apport au
ciences en cas de carence d’apport. cours d’une alimentation essentiellement à
base de riz décortiqué) se caractérise par
➛ Vitamine et flore microbienne : une polynévrite ou une insuffisance car-
exemple de la vitamine K diaque. L’encéphalopathie de Gayet-Wernic-
Du fait de l’existence d’une synthèse ke avec confusion, amnésie, torpeur et
microbienne dans le tube digestif et d’un signes d’atteinte cérébelleuse et motrice
stockage hépatique, la carence en réclame un traitement urgent. Elle se ren-
vitamine K est rare, sauf dans une circons- contre principalement chez l’alcoolique.
tance particulière : chez le nouveau-né, ini- Il existe, de manière exceptionnelle, des
tialement stérile et sans stockage. La surve- maladies héréditaires thiamino-dépendantes
nue de la « maladie hémorragique du nou- dont les leucinoses thiamine sensibles et les
veau-né » est prévenue par l’injection intra- acidoses lactiques congénitales thiamine
musculaire systématique de vitamine K à la dépendantes. Une très forte supplémentation
naissance. Chez l’adulte, l’association d’une en thiamine (de l’ordre de 1 g/jour) corrige
antibiothérapie prolongée et d’une alimenta- les troubles.
tion déplétée ou d’une malabsorption lipi- Les troubles métaboliques de l’acidose
dique importante peut également entraîner lactique sont la conséquence de l’accumula-
une carence. tion de pyruvate qui n’est pas décarboxylé.
L’administration de glucose en quantité
importante est donc un facteur aggravant.

149
E. Grasset

Ceci est également vrai en dehors de ces vita- ne peut être absorbée au niveau de l’iléon
mino-dépendances : les besoins en certaines terminal que si elle est liée au facteur
vitamines sont proportionnels à la quantité de intrinsèque, glycoprotéine sécrétée par le
substrat qu’elles doivent aider à transformer. corps et le fundus gastrique. En effet les
entérocytes de l’iléon terminal possèdent un
récepteur membranaire permettant la fixa-
COBALAMINE (vitamine B12) : tion du facteur intrinsèque. Pour se combi-
un métabolisme particulièrement ner au facteur intrinsèque, la cobalamine
complexe doit être libérée des protéines R grâce à
l’action des protéases pancréatiques. Enfin
La vitamine B12 est nécessaire à la mul- la vitamine B12 doit être liée à une autre
tiplication cellulaire. Ceci est particulière- protéine de transport, la transcobalamine II
ment évident au niveau de certaines cellules (TCII), avant de quitter l’entérocyte pour
à renouvellement rapide comme les cellules gagner la circulation portale. Dans le plas-
souches sanguines. Dans le cytoplasme des ma elle sera ensuite liée surtout à une autre
cellules la cobalamine est sous la forme protéine, la TCI (tableau VI), cependant
d’hydroxocobalamine. Ces formes actives que la TCIII permet le retour vers le foie de
sont la méthylcobalamine (cytoplasme) ou la vitamine B12 circulante. Le foie contient
la 5’ déoxy-adénosylcobalamine (mitochon- la majorité des stocks de vitamine B12 de
drie). La 5’ déoxy-adénosylcobalamine est l’organisme qui sont de l’ordre de 2 à 5 mg.
le coenzyme nécessaire à la conversion du Il existe un cycle entéro-hépatique avec une
méthyl-malonyl-coenzyme A en succinyl- réabsorption très efficace. Ce stockage et la
coenzyme A. La méthylcobalamine est le faiblesse des besoins journaliers expliquent
coenzyme permettant les deux réactions la rareté des signes cliniques en cas de
combinées suivantes : carence d’apport isolée.
– conversion de l’homocystéine en Ce sont les maladies digestives (gastrite
méthionine, atrophique avec achlorhydrie, gastrecto-
– conversion du méthyltétrahydrofolate mie...) qui donneront lieu à des carences
en tétrahydrofolate (figure 5). Le tétrahy- (anémie mégaloblastique et signes neurolo-
drofolate pourra être utilisé dans la synthèse giques de l’anémie de Biermer en cas de
des bases puriques et pyrimidiques. gastrique atrophique autoimmune). Le test
Le métabolisme de la vitamine B12 est de Schilling consiste :
particulièrement complexe. La vitamine – à saturer l’organisme par une injection
B12 ingérée est liée à des protéines dont les de vitamine B12,
« protéines R » sécrétées dans la salive. Elle – à administrer ensuite par voie orale une

HS – (CH2)2 – HCH2 – COOH H3C – S – (CH2)2 – HCH2 – COOH


homocystéine cystéine

Méthionine synthase
(coenzyme : méthylcobalamine)

Méthyl – H4 folate H4 folate

Figure 5
Inter-relation entre l’acide folique et la vitamine B12 lors des transfert de radicaux méthyl

150
6. Les vitamines

dose traceuse (marquage radioactif au malisé par l’administration concomittante


niveau du cobalt) de vitamine B12, combi- per os de facteur intrinsèque.
née ou non au facteur intrinsèque. Comme En raison de la complexité du métabolis-
l’organisme a été saturé, l’excrétion urinaire me de la vitamine B12, les anomalies pos-
de vitamine B12 marquée permettra d’éva- sibles sont nombreuses. Les principales sont
luer l’absorption digestive. En cas d’anoma- résumées dans le tableau IX.
lie du grêle distal (résection intestinale,
maladie de Crohn) ce test ne sera pas nor-

Tableau IX
Principales anomalies du métabolisme de la vitamine B12

I CARENCE D’APPORT
Régime végétarien strict (végétalien) excluant tout produit d’origine animal
Carence générale d’apport (la carence en folate apparaîtra d’abord), alcoolisme chronique (carence +
malabsorption)

II ABSORPTION ANORMALE
II1 Absence de sécretion de facteur intrinsèque
Gastrite atrophique auto-immune, maladie de Biermer
Autres gastrites atrophites
Gastrectomie
Très rares : absence congénitale de facteur intrinsèque ou facteur intrinsèque anormal
II2 Atteinte de l’absorption intestinale
Atteinte (maladie de Crohn, maladie coéliaque étendue, sprue tropicale) ou absence de l’iléon termi-
nal
Médicaments (PAS)
Très rare : malabsorption congénitale (syndrome d’Imerslund-Grasbeck, la malabsorption persiste
même après administration de vit. B12 liée au facteur intrinsèque)
II3 Autres atteintes digestives
Insuffisance pancréatique externe (pas de clivage de la vitamine B12 liée à protéine R)
Syndrome de Zollinger-Ellisson (pH trop acide)
Pullulations microbiennes, infestation par Botriocéphales (captent préférentiellement la vitamine B12)

III UTILISATION ANORMALE


III1 Anomalie enzymatique congénitale (enzymes vit. B12-dépendants)
Méthylmalonyl-Co mutase,
méthylTHF-homocystéine méthyltransférase...
III2 Séquestration intratissulaire
Augmentation de TCI ou TCIII (syndromes myéloprolifératifs) ou de TCII (maladies hépa-
tiques)
III3 Absence de protéine de transfert (TCII)
III4 Stockage anormal +/- excrétion augmentée
Maladie hépatique

151
E. Grasset

RETINOL (vitamine A) : loppés comme médicaments utilisés en der-


des fonctions multiples matologie, rhumatologie et cancérologie.
à différents niveaux de la cellule Des travaux importants sont également en
cours sur la relation entre l’ingestion de
La vitamine A, rétinol, appartient à la béta-carotène et l’épidémiologie de certains
famille des rétinoïdes (rétinol, rétinal, acide cancers épithéliaux. Outre sa fonction de
rétinoïque) actuellement très étudiés. Dans précurseur de la vitamine A, cette molécule
les végétaux elle est surtout présente sous présente également des propriétés anti-oxy-
forme d’un précurseur le béta-carotène qui dantes.
est constitué de deux molécules de rétinol Le premier signe de déficit en rétinol est
réunies au niveau de l’extrémité de leur un retard à l’adaptation à la vision nocturne.
chaîne carbonée. La vitamine A est absor- C’est cette adaptation qui intervient dans la
bée en même temps que les lipides. Le vie courante lorsque l’on vient de croiser la
béta-carotène doit d’abord être hydrolysé nuit une voiture dont les phares vous ont
par un enzyme de la bordure en brosse pour ébloui. A un stade plus avancé apparaissent
être transformé en rétinal qui sera ensuite des anomalies cytologiques de la conjoncti-
réduit en rétinol dans l’entérocyte. Le réti- ve puis, au maximum xérophtalmie et cécité
nol, estérifié par des acides gras, sera absor- (tiers monde).
bé avec les lipides dans les chylomicrons et La vitamine A, liposoluble, est stockée
stocké dans le foie. Le rétinol libre est dans le foie. Un excès ne sera pas éliminé
transporté dans le plasma lié à une protéine dans les urines. Les capacités des transpor-
de transport spécifique, la Retinol Binding teurs plasmatiques et cellulaires peuvent
Protein (RBP). Dans les cellules périphé- être dépassées. Cette vitamine devient alors
riques il se fixe également sur une protéine toxique.
intracellulaire (CRBP). Une toxicité aiguë est observée surtout
La vitamine A présente principalement chez le nourrisson après des doses uniques
deux fonctions : maintien de la vision par la importantes (supérieures à 100 mg soit
synthèse de la rhodopsine, régulation de 300 000 UI) et se traduit par des signes
l’expression génétique et de la différencia- d’hypertension intracranienne. Une toxicité
tion cellulaire (activité commune à l’acide chronique peut être observée en cas d’in-
rétinoïque). gestion répétée de doses au moins supé-
La rhodopsine, pigment présent au niveau rieures à 10 fois les doses recommandées
des bâtonnets de la rétine, résulte de l’as- (> 14 000 UI chez l’enfant). Elle entraîne
semblage de l’opsine et d’un isomère du des anomalies cutanées, neurologiques,
rétinal. hépatiques. Ceci explique que la supplé-
L’activité de régulation génétique s’exer- mentation en vitamine A des aliments et la
ce au niveau du noyau par un mécanisme dispensation des médicaments qui la
similaire à celui des corticoïdes (récepteur contiennent soit réglementées pour éviter
cytoplasmique puis récepteur nucléaire). Par des surdosages intempestifs. Enfin l’admi-
ailleurs la vitamine A intervient dans les nistration de doses importantes doit égale-
phénomènes de glycosylation. Des dérivés ment être évitée chez la femme enceinte en
des rétinoïdes ont été synthétisés et déve- raison de sa tératogénicité potentielle.

152
6. Les vitamines

B ibliographie

Ouvrages généraux :
Lehninger A.L. Principles of biochemistry. New York : Worth Publishers, 1982.
Murray RK., Granner D.K., Mayes P.A., Rodwell V.W., éditeurs. Harper’s biochemistry, 22e édition.
Norwalk : Apppleton & Lange, 1990.

Références specialisées :
Bender D.A. Nutritional biochemistry of the vitamins. Cambridge : Cambridge University Press, 1992.
CNRS-CNERNA. Apports nutritionnels conseillés pour la population française. 2e éd. Paris : Tec &
Doc Lavoisier, 1992.
Munnich A., Ogier H., Saudubray J.M., éditeurs. Les vitamines. Aspects métaboliques, nutritionnels et
thérapeutiques. Paris : Masson, 1987.
Shils M.E., Young V.R., éditeurs. Modern nutrition in health and disease, 7e éd. Philadelphia : Lea &
Febiger, 1988.

153
III. Les oligo-éléments
A. Favier
6. Les oligo-éléments

Toutefois Gabriel Bertrand avait déjà


ongtemps considérés comme pressenti le caractère indispensable de cer-

L des facteurs marginaux de la


biologie et de la nutrition de
l’homme, les oligo-éléments
tains d’entre eux.

ont gagné ces dernières années leurs lettres Essentialité des oligo-éléments
de noblesse et connaissent même un
engouement excessif auprès du grand Les oligo-éléments essentiels sont ceux
public. L’émergence de ces nutriments n’est qui répondent aux critères fixés par Cotzias :
pas qu’un facteur de mode, mais surtout le – être présents dans les tissus vivants à
résultat de progrès considérables sur la une concentration relativement constante ;
connaissance du fonctionnement des – provoquer, par leur retrait de l’organis-
enzymes, de l’hormonologie, de l’immuno- me, des anomalies structurelles et physiolo-
logie et de la biologie moléculaire qui ont giques voisins dans plusieurs espèces ;
montré le rôle important joué par ces élé- – prévenir ou guérir ces troubles par l’ap-
ments dans ce domaine. port du seul élément.
La propriété la plus importante pour Actuellement grâce aux progrès des
expliquer le rôle de ces minéraux est leur méthodes d’analyse, de la purification des
extraordinaire faculté de se fixer sur des nutriments de base (eau, glucides, protéines,
protéines, modifiant en se fixant la forme vitamines), à l’amélioration des conditions
de ces protéines et en changeant alors les d’élevage (cages en quartz, air ultrafiltré) un
propriétés. L’existence de ces protéines nombre croissant d’oligo-éléments ont été
appelées métallo-protéines explique aussi démontrés essentiels à des doses infimes
bien le métabolisme que le mode d’action chez l’animal.
de la plupart des oligo-éléments. Or, pour les derniers éléments (Cd, Pb,
As), dont les carences expérimentales ont
montré des perturbations chez l’animal,
aucun signe de carence n’a encore pu être
DÉFINITION DES OLIGO- observé chez l’homme. Compte tenu du
niveau élevé d’apport par la pollution de
ÉLÉMENTS ESSENTIELS notre environnement ces oligo-éléments se
trouvent dans notre organisme à un niveau
Les oligo-éléments constituent une classe moyen plus proche du niveau toxique.
de nutriments dont la définition ne repose ni
sur des propriétés chimiques ni sur des pro-
priétés biologiques homogènes. Toxicité des oligo-éléments
Leur définition donnée au début du siècle
par Gabriel Bertrand est avant tout analy- Une des particularités des oligo-éléments
tique, par opposition aux éléments chimiques est effectivement qu’ils peuvent tous provo-
majeurs du corps humain (tableau I), les quer des désordres importants lorsqu’ils
oligo-éléments sont présents à une teneur sont apportés à des taux trop élevés dans
inférieure à 1 mg/kg de poids corporel. l’alimentation humaine.

157
A. Favier

Tableau I
Comparaison de la teneur (en g/Kg) en éléments chimiques du corps humain
(d’après Schrœder) et de l’écorce terrestre (d’après Clark)

TENEUR DU CORPS HUMAIN

ÉLÉMENTS MAJEURS
Oxygène 624,3 Carbone 211,5 Hydrogène 98,6
Azote 31,0 Calcium 19,0 Phosphore 9,5
Potassium 2,3 Soufre 1,6 Chlore 0,8
Sodium 0,8 Magnésium 0,27

OLIGO-ÉLÉMENTS
Fer 0,06 Fluor 0,037
Zinc 0,033
Rubidium 0,0046 Strontium 0,0046
Brome 0,0029 Cuivre 0,001
Vanadium 0,0003 Sélénium 0,0002
Manganèse 0,0002 Iode 0,0002
Molybdène 0,0001 Nickel 0,0001
Chrome 0,00002 Cobalt 0,00002
Uranium 0,000001 Beryllium 0,0000003

TENEUR DE LA CROÛTE TERRESTRE


Oxygène 492 Silicium 260 Aluminium 74
Fer 42 Calcium 35 Magnésium 23
Sodium 24 Potassium 23 Hydrogène 10
Titane 5 Carbone 4 Chlore 2
Soufre 5 Phosphore 1 Fluor 1
Manganèse 1 N,Ba,U,Ni,Cu,Cr 0,1 Zn,I,Rb,V

Il convient de ne jamais oublier cette par- Mécanismes expliquant


ticularité que l’effet de l’apport d’un oligo- l’ essentialité des oligo-éléments
élément dépend de la dose. Lorsque l’oligo-
élément est essentiel l’absence comme l’ap- Il est certes délicat d’émettre une explica-
port massif seront léthaux. tion finaliste, toutefois certaines hypothèses
On peut distinguer : expliquent ce caractère indispensable des
– Les oligo-éléments essentiels à risque éléments traces. Dès l’origine de la vie ils
de carence démontré chez l’homme : Iode, étaient présents à l’état de trace dans la mer
Fer, Cuivre, Zinc, Sélénium, Chrome, originelle où les cellules vivantes sont appa-
Molybdène, (Fluor*). rues. Ces métaux possédaient des propriétés
- Les oligo-éléments essentiels à faible naturelles de catalyseurs, notamment d’oxy-
risque de carence (non prouvée chez l’hom- doréduction. Les premiers êtres vivants,
me) : Manganèse, Silicium, Vanadium, Nic- ayant à réaliser des opérations de catalyses
kel, Étain, (Cobalt*). pour se procurer leur énergie, ne pouvaient

158
6. Les oligo-éléments

pas ne pas utiliser ces traces de métaux les autres éléments donnant généralement
pour lier et maîtriser l’oxygène qui venait des coordinances égales à six.
d’apparaître sur terre. Il est d’ailleurs inté- On voit sur la figure 1 que ce type de
ressant de noter que la teneur relative des complexe aboutit à une structure géomé-
minéraux dans les liquides du corps est trique fixe, ceci nous permet déjà de com-
proche de celle de l’eau des mers. prendre le rôle des métaux dans le maintien
D’autre part, leur faible teneur en faisait de la structure tertiaire des protéines,
des candidats idéaux pour être utilisés puisque les atomes de ligands fournis par la
comme messagers et servir à la cellule d’in- protéine devront occuper des positions fixes
dicateurs de l’état du milieu extérieur, puis dans l’espace imposé par le type de coordi-
à l’organisme de ses apports alimentaires. nance du métal.
Ces deux fonctions : catalyse et contribution Les ligands fournissant les atomes de
au message hormonal constituent la base de coordination qui se lient au métal seront, soit
l’action des oligo-éléments. des hétéroatomes des groupements fonction-
nels de la protéine (groupes aminés, thiols,
➛ La liaison métal-protéine imidazols), soit les atomes impliqués dans la
Il s’agit d’un phénomène fondamental, liaison peptidique elle-même, soit les atomes
car, à de rares exceptions, les métaux n’ap- d’un groupement prosthétique de type hémi-
paraissent jamais à l’état d’ions libres dans nique ou corrinique lui-même fixé à la pro-
l’organisme ; ils sont absorbés, transportés, téine comme l’héme de l’hémoglobine.
mis en réserve et agissent liés à une protéi- Des études faites et regroupées par
ne. Les métaux peuvent présenter deux Williams établissent un lien entre chaque
types de liaisons avec les protéines : oligo-élément et un type de ligand, les seuls
– des liaisons ioniques : c’est le cas des liens que l’on puisse bien individualiser
métaux alcalins ou alcalino-terreux (Na, K, sont l’affinité du manganèse pour l’oxygè-
Ca) chargés positivement qui forment alors ne, du cuivre pour l’azote, du zinc et du
par liaison ionique des protéinates très faci- cadmium pour le soufre.
lement dissociables avec les groupements
acides de la protéine chargés négativement ; ➛ Certains oligo-éléments sont des cofac-
– des liaisons de coordination : ces liai- teurs d’enzymes
sons proches de la liaison covalente sont La plupart des oligo-éléments sont des
celles de tous les oligo-éléments métal- métaux de transition et peuvent donc se lier
liques qui forment avec les protéines des aux molécules de protéines que sont les
complexes de force variable et qui lorsqu’ils enzymes, en changeant leur forme dans l’es-
sont difficilement dissociables constituent pace, et donc en modifiant leur vitesse de
des métallo-protéines. réaction. Cette liaison d’un métal à un enzy-
Cette possibilité de former des complexes me est généralement très spécifique d’un
qu’ont les oligo-éléments, provient du fait métal pour un enzyme donné. Le métal se
qu’il s’agit en majorité d’éléments de tran- comporte alors comme un cofacteur indispen-
sition, qui à l’état ionisé possèdent des orbi- sable à l’activité enzymatique au même titre
tales incomplètes. Ils peuvent donc former que les coenzymes qui sont des cofacteurs
des orbitales d’hybridation avec des atomes organiques issus des vitamines, tel le phos-
voisins appelés ligands fournissant par coor- phate de pyridoxal issu de la vitamine B6.
dinance les deux électrons occupant la nou- Un très grand nombre de métallo-
velle orbitale. enzymes a pu être identifié chez les êtres
Les coordinances les plus fréquentes vivants, dont plus de 200 enzymes pour le
seront d’ordre 4 ou 6 ; les oligo-éléments seul atome de zinc. Un exemple de la struc-
légers tel le zinc donnant essentiellement ture de ces enzymes à zinc, l’anhydrase car-
des complexes à coordinance égale à quatre, bonique, est donné en figure 2.

159
A. Favier

CYS 46

SH

CYS 146
SH
HIS 67

H2O

Figure 1
Mode de liaison d’un atome de zinc à un enzyme à zinc, l’alcool deshydrogénase.
Le zinc réalise quatre liaisons rigides ayant la forme d’une pyramide tétraédrale
avec deux molécules de cystéine, une molécule d’histidine de la chaîne protéique
et une molécule d’eau

AcNH

COO-

Figure 2
Structure de l’anhydrase carbonique montrant l’atome de zinc au centre
de la molécule protéique (bille noire)

160
6. Les oligo-éléments

Ces enzymes sont présents dans de très prendre l’action du zinc sur une famille de
nombreux métabolismes (lipides, glucides, protéines dont le rôle est de pénétrer dans la
protéines, ADN...) et, régulent de très nom- chaîne d’ADN à un endroit précis, au niveau
breuses fonctions (reproduction, croissance, d’un gène, pour ouvrir cette chaîne et per-
fonctionnement du cerveau...). Une baisse mettre la lecture de ce gène par la RNA
de la teneur des cellules en un oligo-élé- polymérase DNA dépendante (figure 3).
ment donné se traduira par une baisse d’ac- Ces protéines très importantes dans la
tivité des enzymes ayant cet oligo-élément régulation des gènes sont des « Zinc finger
comme cofacteur. proteins » ou protéines à doigt de zinc, qui
possèdent dans leur séquence des molécules
➛ Certains oligo-éléments entrent dans de cystéine ou d’histidine régulièrement
la structure de vitamines espacées qui leur permettent, en fixant du
C’est le cas du cobalt complexé au sein zinc, de prendre une structure opérationnel-
du cycle corinnique de la vitamine B 12, le en hélice alpha qui va s’intercaler dans la
mais aussi du molybdène qui entre dans une zone complémentaire de l’ADN.
structure organique appellée molybdo-bio- Un nombre considérable de ces protéines
ptérine. (tableau II) a déjà été isolé, dont le récep-
Dans ce cas le métal n’est pas un cofac- teur des stéroïdes ou le récepteur de l’acide
teur directement lié à l’enzyme mais entre rétinoique et de nombreux facteurs de crois-
dans la composition d’un coenzyme orga- sance ou des facteurs de transcription du
nique dissociable. génome. Cette action du zinc, indispensable
à ces récepteurs hormonaux ou ces facteurs
➛ Certains oligo-éléments participent à de croissance ou de différenciation,
l’expression des signaux hormonaux explique son action positive sur la multipli-
Le mode d’action des oligo-éléments vis- cation ou la différenciation cellulaire, ainsi
à-vis des hormones est très diversifié. Ils sans doute que l’effet tératogène des
peuvent participer comme cofacteurs d’en- carences en cet élément.
zyme à la synthèse de molécules hormo-
nales, ainsi le zinc est un cofacteur de la ➛ Certains oligo-éléments participent à
delta-5 réductase du métabolisme de la tes- des fonctions de défense de l’organisme
tostérone produisant la dihydrotestostérone Un certain nombre d’oligo-éléments (fer,
ou des delta-9 désaturases du métabolisme zinc, sélénium) participent à la défense
des prostaglandines. immunitaire. Leur mécanisme d’action peut
Certains oligo-éléments participent direc- s’expliquer par des enzymes mais aussi par
tement à la structure moléculaire de l’hor- des molécules jouant un rôle dans l’expres-
mone, contribuant à lui donner une forme sion, la transformation des cellules lym-
spatiale optimum pour être reconnue par phoïdes grâce à des récepteurs membra-
son récepteur ; soit parce qu’ils font partie naires.
intégrante de cette molécule par des liaisons Des molécules comme la transferrine ou
covalentes comme l’iode des hormones thy- la thymuline jouent de tels rôles en liaison
roïdiennes, soit parce qu’ils se lient à l’hor- avec des oligo-éléments. La thymuline, hor-
mone protéique pour lui donner une forme mone découverte par Bach, ne devient acti-
active, comme le zinc agit avec l’insuline ve que si elle est complexée par du zinc, ce
ou la thymuline. qui induit un changement de structure spa-
Mais les oligo-éléments peuvent agir tiale de ce nonapeptide, lui permettant alors
aussi au niveau du récepteur hormonal soit de faciliter la prolifération des lymphocytes.
en facilitant, soit en inhibant la fixation de Les oligo-éléments participent aussi à la
l’hormone sur son récepteur membrannaire. lutte contre les radicaux libres de l’oxygène,
Une découverte récente a permis de com- conséquence parfois heureuse, parfois

161
A. Favier

H
H
F
Zn

L
Zn
H
H

Figure 3
Fixation au niveau d’un gène d’un facteur de transcription de l’ADN,
fonctionnant comme une protéine dactyle à zinc et pourvu de deux doigts de zinc

toxique de la vie aérobie. Depuis leur passa- la présence dans un tissu de traces de fer ou
ge à la vie aérobie, les êtres vivants ont d’un métal toxique (nickel, plomb, arsenic)
appris non seulement à vivre avec l’oxygène, non lié aux protéines, l’auto-oxydation ou
mais surtout à l’utiliser sous toutes ses l’oxydation par le cytochrome P 450 de com-
formes y compris ses espèces radicalaires, posés organiques xénobiotiques (herbicides,
notamment comme moyen de défense anti- médicaments...) ou endogènes (catéchola-
bactérien. Toutefois il s’agit de formes chi- mines), l’effet des rayonnements ultraviolets
miques extrêmement réactives, donc poten- ou ionisants (rayons X, gamma), le fonction-
tiellement dangereuses. Les principaux nement anormal de la chaîne respiratoire
mécanismes permettant de faire passer l’oxy- mitochondriale...
gène à l’état radicalaire (oxygène singulet, Il est actuellement établi que les radicaux
anion superoxyde, radical hydroxyl) par une libres oxygénés sont impliqués dans les phé-
ou plusieurs réductions monovalentes sont : nomènes de cytotoxicité et de mutagenèse,
l’activation de cellules (macrophages, mono- entrant en jeu au niveau cutané dans les pro-
cytes, polynucléaires, cellules endothéliales), cessus d’héliodermie et de carcinogenèse, au

162
6. Les oligo-éléments

Tableau II
Liste des facteurs nucléaires de transcription possédant des doigts de zinc et classés
selon la nature des complexes formés avec le zinc et créant un doigt de zinc (cys = cysteine,
His = histidine , X = nombre d’ acides aminés séparant les cystéines ou histidines).
Ainsi les facteurs possédant 4 cystéines complexant le zinc s’ écrivent :
Cys(X)n Cys (X)n Cys (Xn) Cys (X)n (d’ aprés Helbecque).

Origine Nom de la séquence Nombre Rôle de la protéine


ou de la protéine de doigts
Séquence types Cys X2 - 4 Cys X3 Phe X5 Leu X2 His X2 - 4 His
Xénope TFIIIA 9 Facteur de transcription
Drosophile Serendipity ß, ∂ 5(ß) ; ∂ + 1 (∂) Gène de transcription chez l’embryon
Kruppel 4 Gène de segmentation
Hunchback 4+2 Gène de segmentation
Souris mkr1, mkr 2 7 (1) ; 9 (2) Contrôle de l’expression génétique
pendant le développement
Krox 20 3 Contrôle de la transcription
Levure ADR1 2 Active la transcription du gène ADH2
Mammifères Sp 1 3 Facteur de transcription
NGF-IA 3 Stimule la différenciation neuronale
Egr-1 3 Contrôle la transcription
TDF 13 Détermination du sexe
Séquence type Cys X2 Cys X6 Cys X6 Cyx X2 Cys
Eucaryotes GAL-4 1 Métabolisme du galactose
unicellulaires PPR-1 1 Régulation de la biosynthèse de la pyrimidine
ARGR-2 1 Métabolisme de l’arginine
LAC-9 1 Métabolisme du galactose
qa-1f 1 Active la transcription de gènes impliqués
dans l’utilisation de l’acide quinique
Séquence type Cys X2 Cys X13 Cys X2 Cys
Adénovirus E1A 1 Stimulation de la transcription
Mammifères Récepteurs stéroïdiens 1 Médiateurs de l’action des hormones
stéroïdiennes, contrôle de la transcription
Séquence type Cys X2 Cys X4 His X4 Cys
Rétrovirus gène gag 1 Formation du core protéique des virions
Séquence type Cys X3 His X5 Cys X2 Cys
Bactériophage gène 32 1 Déstabilise l’hélice
Séquence type Cys X2 Cys X9 Cys X2 Cys ou Cys X2 Cys X6 His X2 His
Bactéries ARNt synthétases 1 Métabolisme des acides nucléiques

niveau cérébral dans la maladie de Parkinson biologiques de l’agression radicalaire sont


et d’Alzheimer, au niveau circulatoire dans nombreuses (protéines, ADN, membranes,
l’athérome et les lésions post-ischémiques, lipoprotéines...) et diversement atteintes.
dans l’insuffisance pulmonaire, l’inflamma- Pour maintenir leur intégrité, les cellules sont
tion, la cataracte et de nombreuses autres pourvues de molécules, telles certaines vita-
maladies liées au vieillissement. Les cibles mines (C, E, carotènes) capables de piéger et

163
A. Favier

respiration 95 %
H2O O2 autooxydation
4 e– 5% flavines
xénobiotiques
cytochrome oxydase e– cytochrome P450
phagocytose
ryons UV
xanthine oxydase

O2°–
superoxyde superoxyde
dismutases glycolate oxydase
SOD Cu Zn
SOD Mn e– D amino acide oxydase
catalases phagocytose
Se-GPx ceruloplasmine Zn
H2O2
peroxyde
d’hydrogène
Fe 2+
H2O
vitamine C
vitamine E Fe 3+
beta-carotène
glutathion OH°
transferrine ferritine
RSH
NaOCl Zn RH ROOH

RSSR SeHPGPx
SeGPx

systéme de production systéme de protection

Figure 4
Systèmes de production , ou de protection
contre les radicaux libres de l’oxygène

164
6. Les oligo-éléments

d’inactiver les radicaux libres (piégeurs dits A la lumière des connaissances plus ou
« scavengers ») et de systèmes enzymatiques moins définitives acquises dans les desti-
antiradicalaires (figure 4) comprenant les nées métaboliques de certains éléments,
superoxydes dismutases à cuivre et zinc, ou à nous avons tenté de symboliser de façon
manganèse, les catalases, les glutathions per- synthétique et schématique ce qu’il est pos-
oxydases sélénodépendantes. Toutes ces sible d’envisager comme les différentes
enzymes utilisent des cofacteurs oligo-élé- étapes du métabolisme d’un oligo-élément.
ments, cuivre, zinc, manganèse, sélénium qui
sont donc appellés oligo-éléments antioxy-
➛ L’ absorption : sa complexité relève de
dants.
formes chimiques différentes sous les-
Les êtres vivants disposent ainsi, en par-
quelles le métal est apporté par l’alimenta-
tie grâce aux oligo-élements, de moyens
tion, sels minéraux, complexes organiques
efficaces pour protéger leurs cellules, de
(métalloprotéines, organométalliques, acides
systèmes de limitation de la production des
aminés, vitamines, phytates...).
radicaux oxygénés à un niveau raisonnable
Les mécanismes impliqués vont donc
dans certains tissus, mais aussi de méca-
varier selon la forme du métal et relèvent
nismes de réparation et d’adaptation rapide
soit de la diffusion simple qui est un méca-
face à une surproduction endogène ou exo-
nisme peu efficace, soit d’un transport actif
gène brutale, appelée choc oxydant.
ou passif par transporteur protéique ou par
un transporteur de molécules organiques, le
➛ Certains oligo-éléments jouent un rôle
métal étant complexé (Cu et histidine) ou
structural
substitué (Se et méthionine) à des acides
Bien qu’étant présents à l’état de trace,
aminés ou des vitamines, il est alors absor-
ils peuvent renforcer la solidité de certains
bé sur un « hôte vecteur » tel un parasite,
tissus : le Fluor en remplaçant un hydroxyl
soit enfin d’un stockage dans la cellule
dans l’hydroxyapatite des os et des dents, le
intestinale permettant souvent par des pro-
Silicium en reliant les fibres de collagène à
téines peu spécifiques telles les métallothio-
celles de mucopolysaccharides des tissus
néines une fixation sur le lieu même d’ab-
conjonctifs.
sorption en cas d’apport rapide ou une éli-
Le rôle des oligo-éléments s’exerce donc
mination par desquamation en cas d’apports
de façon variée sur des mécanismes fonda-
toxiques.
mentaux (enzymes, hormones, mécanismes
de défense...), qui deviendront défaillants en
cas d’apports insuffisants en ces nutriments. ➛ Le transport sanguin : à de rares
exceptions près on ne retrouve jamais les
oligo-éléments sous forme d’ions libres
mais liés à divers types de transporteurs :
MÉTABOLISME – des petites molécules (acides aminés,
ET PHYSIOLOGIE vitamines) avec lesquels ils forment des
complexes ;
DES OLIGO-ÉLÉMENTS – des protéines non spécifiques telle l’al-
bumine qui grâce à ses sites de fixation peut
Comme le rôle biologique, le métabolisme non seulement transporter des acides gras
des éléments traces est régi par leur liaison libres, la bilirubine etc., des médicaments
aux protéines. L’homéostasie des oligo-élé- mais aussi de nombreux métaux ;
ments, c’est-à-dire la régulation de leur – des protéines spécifiques telles les
teneur dans l’organisme, est régie par des transferrine, transcobalamine, nickeloplas-
phénomènes d’induction de ces métallopro- mine, transmanganine.
téines. Il faut toutefois être très rigoureux dans

165
A. Favier

la définition d’un transporteur métallique ; estimations de la teneur des tissus en


en effet cette notion ne signifie pas simple- métaux qui ne sont que des éléments sta-
ment l’existence d’une métallo-protéine tiques aux mesures dynamiques réalisées à
dans le plasma, mais exige que cette protéi- l’aide d’isotopes radioactifs permettant de
ne soit susceptible de capter aisément le mieux apprécier le turn-over de l’élément.
métal d’un endroit de l’organisme pour le En effet les tissus les plus riches peuvent
transporter à un autre et le céder à ce tissu. contenir le métal sous une forme métaboli-
Ainsi la céruloplasmine semble plus, à quement non utilisable, ce qui est souvent
l’heure actuelle, devoir être considérée le cas du tissu osseux.
comme une enzyme sérique oxydant le fer Dans les tissus, le métal peut aussi se
ou les amines biogènes du plasma que fixer sur des protéines dites de stockage,
comme le transporteur actif du cuivre soit spécifiques comme la ferritine, soit non
absorbé lors de la digestion, rôle qui doit spécifiques comme les métallothionéines
être dévolu aux acides aminés et à la sérum qui par leurs nombreux groupes thiols (elles
albumine. contiennent 50 % de cystéine) retiennent de
nombreux métaux (cuivre, zinc, manganèse,
➛ Le stockage : s’il est le plus souvent cadmium, plomb ou mercure), voir figure 5.
hépatique, il est aussi possible dans d’autres La lyse des cellules contenant les pro-
tissus ; ici encore une certaine prudence téines de stockage explique l’augmentation
s’impose pour définir sans ambiguïté la plasmatique de certains oligo-éléments dans
forme de stockage. Il faut confronter les des syndromes dits de cytolyse.

S S S S

----------
COO S
S
Cd Cd
S NH+3
S
S
S Cd Cd S
Cd S
Cd
S S
S S S
S Cd

S S

Cd3Cluster
Cd4Cluster
(fragment)

Figure 5
Structure des métallothionéines (dans le cas de la molécule représentée les groupements thiols des cys-
téines sont saturés par des atomes de cadmium)

166
6. Les oligo-éléments

➛ L’utilisation tissulaire : dans les tissus, L’élimination urinaire est elle, prépondé-
les métaux ont diverses destinées. Ils peu- rante pour les métaux éliminés sous forme
vent être mis en réserve par incorporation « séquestrée » tel le cobalt dans la vitamine
ici encore dans des protéines de stockage ; B 12 ou sous forme anionique tel le molyb-
mais la remarque déjà faite à propos du date.
cuivre doit inciter à une certaine prudence,
car de nombreuses cuproprotéines tissu- ➛ L’homéostasie des métaux est assurée
laires se sont ultérieurement avérées en effet par la régulation de leur taux d’absorption
être des enzymes : la superoxyde dismutase intestinale, ou par les régulations de leur
en est un exemple. taux d’excrétion biliaire ou urinaire. Il exis-
Ils peuvent être métabolisés, oxydés ou te pour certains métaux une influence hor-
réduits sous l’influence d’enzymes spéci- monale, ce qui explique l’existence des
fiques, c’est le cas du cobalt, ou être méthy- cycles nycthéméraux.
lés comme le sélénium, le cobalt, le mercu- Cette régulation se fait par l’induction des
re, l’arsenic ; cette méthylation implique protéines de stockage intra cellulaires telles
comme coenzyme la vitamine B12 méthy- les métallothionéines. Si nous prenons
lée et peut aboutir soit à des dérivés volatils l’exemple de la régulation du métabolisme
aisément éliminés, soit à des dérivés du zinc, nous observons que la régulation de
toxiques. l’absorption se fait dans la cellule intestinale
Ils peuvent enfin être incorporés dans des selon le schéma de la figure 6. Un excès de
enzymes : ce qui est nous l’avons vu, leur zinc a un effet inducteur sur le gène des
rôle majeur. métallothionéines augmentant la teneur intra
cellulaire en ces protéines. Ces protéines
➛ L’excrétion : bien que de nombreux tis- fixent alors le zinc en excès dans la cellule,
sus puissent participer à l’excrétion des l’empêchant de la traverser rapidement pour
métaux (le poumon pour les méthyl-métaux, gagner le plasma sanguin. Comme les cel-
la peau par la sueur), l’essentiel du rôle lules intestinales constituent un épithélium à
excrétoire reste l’apanage du rein et de la multiplication rapide et desquamant rapide-
bile. ment, le zinc en excès fixé aux métallo-thio-
– Éléments à excrétion essentiellement néines sera éliminé dans les selles avec les
biliaire : Cu, Fe, Mn, Ni, Sr, V cellules desquamées empêchant l’absorption
– Éléments à excrétion essentiellement d’un excès. Inversement en cas d’apport ali-
urinaire : Cr, CO, Se, Mo mentaire pauvre en zinc la cellule intestinale
– Éléments à excrétion possible par la ne contient que très peu de métallothio-
sueur : Cr, Cu, Zn, Se, Sr néines et le zinc traverse très vite la cellule
La majorité des oligo-éléments a une et passe dans le sang. Le schéma de méca-
excrétion biliaire et possède un cycle enté- nisme est reproduit en figure 6. Ce mécanis-
ro-hépatique, les éléments sécrétés par les me conditionne le rendement d’absorption
sécrétions biliaires, intestinales, pancréa- du zinc à la richesse des aliments. Par
tiques, très riches en zinc, cuivre, managa- contre, il pourra se dégrader dans des situa-
nése seront en grande partie réabsorbés tions comme le vieillissement entraînant une
dans le duodénum. Cette physiologie parti- moins bonne absorption du zinc. De plus les
culière complique l’interprétation des études métallothionéines n’étant pas très spéci-
de biodisponibilité des oligo-éléments. Les fiques mais pouvant aussi fixer des métaux
perturbations de la sphère digestive seront toxiques (cadmium, mercure) ou utiles
de plus des causes de carences importantes (cuivre), un apport excessif de zinc entraîne-
en perturbant ces mécanismes de réabsorp- ra une augmentation de synthèse des métal-
tion, fistules intestinales, syndromes inflam- lothionéines, donc une fixation accrue de ces
matoires, pancréatites.... autres métaux dans l’entérocyte, et une

167
A. Favier

moins bonne absorption. Ce phénomène ments loins d’être de simples contaminants,


d’interaction sera observé dans les supplé- disposent dans notre génome de méca-
mentations prolongées par des doses élevées nismes sophistiqués régulant leur métabolis-
de zinc, pouvant être responsable d’anémie me. Des dérèglements génétiques existent
par carence en cuivre. d’ailleurs dans des maladies héréditaires du
La plupart des oligo-éléments possède métabolisme du cuivre, du zinc ou du fer et
des mécanismes homéostatiques basés sur aboutissent à des symptômes cliniques
l’induction de protéines de stockage plus ou caractéristiques prouvant leur nécessité pour
moins spécifiques, démontrant que ces élé- l’homme.

REPAS CELLULE INTESTINALE PLASMA

Enzyme Transferrine
et protéines à zinc ADP ou albumine ?
Amino acides Zn ATPase
(Cystéine) ATP
Zinc transferrine
Zinc MT Gène ou zinc albumine ?
Pool

mRNA
Ligand Zn
pancréatique

Zn sécrétion
intestinale
Cu

Cd } Zn
MT

Figure 6
Régulation du métabolisme du zinc au sein de l’hépatocyte

168
6. Les oligo-éléments

B ibliographie

(1-) - Bach J.F., Pléau J.M., Savino W., Laussac J.M., Cung M.T., Lefrancier P., Dardenne M. The role
of zinc in the biological activity of thymulin, a thymic metallopeptide hormone. In : Current
Topics in Nutrition and Disease, 1988, 18, 319-328.
(2) - Chappuis P. Les oligo-éléments en médecine et biologie, 1991, édité par Lavoisier, Paris.
(3) - Combs G., Combs S. The role of selenium in nutrition, 1986, édité par Acad. Press, N.Y.
(4) - Cotzias G.C. Importance of trace substances in experimental health, as exemplified by mangane-
se, Proc. First. Conf. Trace Subst. Env. Health., 1967, 5-19, Columbia éd.
(5) - Favier A., Maljournal B. Données récentes sur la biochimie de certains oligo-éléments. In :
Problèmes Actuels de Biochimie Appliquée. 1980, 11e série, 1-74, édité par Masson, Paris.
(6) - Favier A. Métabolisme du cuivre 10359 C 10 et métabolisme du zinc (10359 D 10),
Encyclopédie Médico Chirurgicale, 1990, édité par Éditions Techniques, Paris.
(7) - Favier A. The role of zinc in reproduction : hormonal mechanisms. Hormonal effects of zinc on
growth in children, Biological Trace Element Research, 1992, 32, 363-398.
(8) - Helbecque N., Henichart J.P. Les doigts à zinc, éléments de reconnaissance de l’ADN. Médecine
Science, 1988, 4, 624-628.
(9) - Horovitz C.T. Is the major part of the periodic system really inessential for life. A. Trace Elem.
Electr. Health Dis., 1988, 2, 135-144.
(10) - Mertz W. Trace elements in human and animal nutrition, 1986, édité par Academic Press , New-
York.
(11) - Miller J. Mc Lachlan A.D., Klug A. Repetitive zinc binding domains in the protein transcription
factor III A from Xenopus oocyts, Embo J. 1985, 4, 1609-1614.
(12) - Sigel H. Zinc and its role in biology and medicine, metal ions in biological systems volume 15,
1983, édité par Marcel Dekker, New York.
(13) - Sultan C., Lobaccaro. Génétique moléculaire des syndromes d’insenibilité aux androgénes. Med.
Sciences 1991, 7 ; 697-704.
(14) - Yu S.Y., Zhu Y., Li W., Huang Q., Huang C., Zhang Q., Hou C. A preliminary report on the
intervention trials of primary liver cancer in high risk populations with nutritional supplementa-
tion of selenium in China. Biol. Trace el. res., 1991, 29 ; 289-294.
(15) - Xue-Cun C., Tai-An Y., Jin-Sheng H., Qiu-Yan M., Zhi-Min H., Li-Xiang L., 1985, Am. J. Clin.
Nutr., 42 ; 694-700.

169
7
Bases physiologiques
du comportement alimentaire
J. Louis-Sylvestre
7. Bases physiologiques du comportement alimentaire

vention de mécanismes de recharge sangui-


n organisme animal ou ne proportionnelle à leur utilisation : en fait,

U humain, en fonction du pro-


gramme génétique de son
espèce, atteint à l’âge adulte
on constate la constance de la pression par-
tielle d’oxygène sanguine et de l’un seule-
ment des métabolites énergétiques le « glu-
une taille et un poids corporels qui demeu- cose ». La cessation brutale de l’alimenta-
rent approximativement stables. De même tion cérébrale en glucose entraîne la mort
la composition corporelle est grossièrement aussi vite que l’hypoxie. L’alimentation san-
identique chez tous les adultes de l’espèce. guine en oxygène et sa régulation sont assu-
Ces constantes impliquent l’existence d’une rées par la respiration. La fourniture conti-
double régulation fondamentale, celle du nue de métabolites est assurée par des
bilan des entrées et dépenses énergétiques, mécanismes qui gèrent l’utilisation et la res-
celle du bilan des entrées et pertes spéci- tauration des réserves. Dans toutes les
fiques de matières dont l’organisme est espèces, la prise alimentaire est un phéno-
construit. Les possibilités d’adaptation des mène discontinu qui permet malgré des
dépenses et des pertes de matières étant très dépenses, certes variables mais cependant
limitées, l’effecteur principal de la régula- continuelles, l’accomplissement d’autres
tion est évidemment la prise alimentaire. comportements, le repos et la survie en cas
L’étude des phénomènes alimentaires devra de disette. Dans un environnement hétéro-
donc rendre compte de la sélection et de gène, l’homéostasie est rendue possible par
l’ingestion en quantités appropriées des l’existence de réserves qui, pour remplir
« aliments » c’est-à-dire des substances qui leur rôle, doivent être maintenues relative-
sont sources d’énergie, sources de maté- ment constantes.
riaux de structure et encore sources d’élé- Périodiquement, le comportement alimen-
ments indispensables à la transformation taire est activé et une réserve de petite
des dites substances en produits que l’orga- dimension (dimension du repas), en fait
nisme peut utiliser. externe, est constituée. Son utilisation, après
La première étape de la nutrition est la digestion et absorption, dépend des dépenses
recherche, la sélection, l’ingestion active courantes de l’organisme mais surtout elle
des aliments : c’est un comportement dont est modulée par la mobilisation ou la restau-
l’évidente finalité est le maintien de l’ho- ration nécessaires des réserves internes
méostasie. (réserves glycogéniques quantitativement
La constance de l’apport en oxygène peu importantes et réserves adipeuses).
(comburant) et en nutriments (carburant) Il semble alors logique de poser dans
aux tissus de l’organisme requiert l’inter- l’ordre les questions suivantes :

Quel signal ou quelle synergie de signaux déclenche le comportement alimentaire ?


Comment est opérée la sélection c’est-à-dire le choix des aliments ?
Comment est déterminée la quantité ingérée au cours de l’acte alimentaire?
Comment sont gérées les réserves ?

173
J. Louis-Sylvestre

énergie dépensée activité physique


thermorégulation
réparation
thermogénèse alimentaire
fonctionnement au repos
apports

réserves
aliments glucides

organisme
lipides
protides

sels minéraux masse de structure


vitamines
énergie dépensée activité physique
thermorégulation
réparation
thermogénèse alimentaire
besoins quantitatifs fonctionnement au repos
apports besoins qualitatifs

RAT NORMAL AD LIB


20
aliments glucides Figure 1réserves

organisme
lipides Les termes du bilan
protides

sels minéraux masse de structure


grammes

vitamines

10

besoins quantitatifs
besoins qualitatifs

0 NORMAL AD LIB
RAT
20
nuit jour
24 heures
grammes

110
10

100
c

0
90
a
nuit jour
24 heures
80

110
b repas Figure 2
La séquence alimentaire du rat en cage 3 min. 1g

100
c

174
90
a

80
7. Bases physiologiques du comportement alimentaire

La revue des connaissances actuelles métabolisme n’affecte pas la prise alimen-


concernant d’une part le « signal métabo- taire. Par ailleurs, cette théorie ne précise
lique de faim » et d’autre part la gestion des pas l’origine de la baisse incriminée.
réserves ou mécanisme lipostatique, va per- En 1953 déjà, Jean Mayer proposait la
mettre de répondre à la question : théorie dite « glucostatique » selon laquelle
Comment le niveau des réserves affecte la le stimulus recherché serait une baisse de
prise alimentaire par l’intermédiaire du l’approvisionnement cellulaire en glucose ;
signal de déclenchement et donc la contrôle ? il précisait bien que le taux de glucose cir-
culant ne pouvait être le facteur déterminant
puisque peuvent coexister état de faim et
hyperglycémie (cas du diabète par
LE SIGNAL MÉTABOLIQUE exemple). Cette théorie a suscité un nombre
considérable de travaux qui relèvent des
INTERNE DE FAIM deux techniques d’explorations possibles.
L’une consiste à provoquer par diverses
manipulations expérimentales des change-
Quel signal déclenche l’acte ments du milieu intérieur et à observer le
alimentaire chez le sujet comportement alimentaire induit. L’autre est
en conditions stables ayant la recherche d’une corrélation temporelle et
continuellement des aliments quantitative entre des événements métabo-
à disposition ? liques ou neuroendocriniens et les événe-
ments alimentaires.
Au XVIIIe siècle, les premiers physiolo- La première voie a conduit à la conclu-
gistes qui se sont penchés sur cette question sion qu’une glucopénie cellulaire artificiel-
pensaient que les contractions de l’estomac lement induite stimule la prise alimentaire ;
vide pouvaient être à l’origine de la sensation la question est de savoir si cette action
de faim et de la prise d’un repas. Depuis, les reproduit celle qui physiologiquement active
hypothèses se sont suivies et ont évoqué, tour le comportement ingestif.
à tour, des variations osmotiques du milieu La deuxième approche, l’étude simulta-
intérieur, une baisse de température interne, née de divers paramètres sanguins et de la
une augmentation du taux des acides gras prise alimentaire spontanée chez le rat, a été
libres, un changement du spectre des acides réalisée pour la première fois dans les
aminés circulants. Cependant aucune de ces années 80. Elle a permis de montrer que
hypothèses ne tient à l’examen. tous les repas spontanés sont précédés
En 1974, était présentée l’hypothèse d’une chute de la glycémie. Cette baisse
« ischymétrique » qui proposait que le progressive commence 5 à 6 min. avant le
signal de faim soit un manque de disponibi- début de l’ingestion et se poursuit pendant
lité pour les cellules de l’ensemble des environ 3 min. après ; elle est suivie de
métabolites énergétiques (glucides, lipides, l’hyperglycémie postingestive (fig. 3).
protides). Son auteur montrait que tout Une réplique des précédents travaux réali-
repas est précédé d’une baisse des dépenses sée aux États-Unis en 1985 a confirmé l’exis-
énergétiques de l’organisme à l’exception tence de cette hypoglycémie préprandiale et
de celle due à l’activité motrice. Cependant, le même phénomène a été mis en évidence
si l’injection de 2-Désoxyglucose qui chez le porc nourri ad libitum et chez le sujet
bloque l’utilisation cellulaire des glucides humain, privé de ses repères horaires, qui
provoque bien une baisse du métabolisme et demande spontanément son repas.
une prise alimentaire, l’injection d’acide Ainsi, une corrélation temporelle était
nicotinique qui bloque l’utilisation des établie entre un événement métabolique et
lipides et provoque aussi une baisse du un événement alimentaire : chez le sujet

175
10

gram
0 J. Louis-Sylvestre

nuit jour
24 heures
Glycémie mg.dl-1
110

100
c

90
a

80

b repas
3 min. 1g

Figure 3
Évolution de la glycémie du rat avant, pendant et après un repas.
a – le phénomène hypoglycémique préprandial
b – début du repas
c – l’hyperglycémie post-absorptive

omnivore (dont le régime est en fait majori- mentalement prouvée par l’ensemble des
tairement glucidique) nourri ad libitum, non travaux qui ont établi qu’un manque de dis-
perturbé, tout repas spontané suit une hypo- ponibilité en glucose – et non en métabo-
glycémie et toute hypoglycémie de ce type lites énergétiques en général – pour les tis-
précède un repas. sus déclenche la prise alimentaire. Chez les
sujets ad libitum ou à jeun ce déficit est
reflété par une baisse de la glycémie mais
Un rapport de causalité pouvait-il la prise alimentaire déclenchée chez le sujet
être établi ? diabétique ou celui qui a subi une injection
d’un analogue non métabolisable du gluco-
En absence d’aliments le phénomène pré- se est aussi évidemment induite par la glu-
prandial a lieu. Cette hypoglycémie est alors copénie cellulaire bien que le sujet soit
rapidement, mais momentanément, corrigée hyperglycémique. L’étude des relations
(20 min. environ chez le rat), puis une entre taille du repas et durée de la satiété
seconde hypoglycémie, moins bien corrigée postprandiale chez le sujet en alimentation
que la première, apparaît et entraîne un repas spontanée démontre que la stimulation à
si les aliments sont disponibles. De la même manger et sa fréquence dépendent de la
façon, il a été montré que toute intervention vitesse d’utilisation, de repas à repas, du
qui prévient la chute préprandiale de la gly- glucose absorbé. Cette vitesse est modulée
cémie retarde le repas. Celui-ci n’intervient par l’utilisation des autres métabolites éner-
que lorsque la glycémie baisse à nouveau. gétiques apportés par le repas ; elle est aussi
Qu’une légère glucopénie joue un rôle modulée par le retrait ou l’apport au pool
comme signal de « faim » déclenchant la général des métabolites respectivement uti-
prise alimentaire n’est plus une hypothèse. lisés à la constitution de réserves ou en pro-
Cette « théorie glucostatique » est expéri- venant.

176
7. Bases physiologiques du comportement alimentaire

Quelle est l’origine gastrointestinale c’est-à-dire à la fin de l’ab-


du phénomène préprandial ? sorption des aliments du précédent repas. A
l’appui de cette hypothèse on peut remar-
L’origine de l’hypoglycémie préprandiale quer que, quelle qu’en soit la cause, une
est encore hypothétique. La réserve hépa- accélération de l’absorption des nutriments
tique de glycogène du rat nourri ad libitum est suivie d’une augmentation de la fré-
n’est jamais épuisée en totalité ; partielle- quence des repas. De plus, chez le porc qui
ment utilisée en période de repos, elle aug- prend spontanément ses repas, l’enregistre-
mente de repas en repas pendant la période ment continu de la glycémie au niveau de la
d’activité. Un épuisement du glycogène veine porte confirme qu’une diminution
hépatique n’est donc pas impliqué. progressive du flux absorptif précède cha-
L’hypoglycémie préprandiale pourrait cun des repas.
correspondre à l’épuisement de la réserve

Quels récepteurs périphériques ou centraux sensibles à ce signal de faible amplitude peu-


vent intervenir dans la commande de l’acte alimentaire ?

➛ Les glucorécepteurs intestinaux lamus, dans le noyau du faisceau solitaire


vagaux et splanchniques étant activés par (NFS) et enfin au niveau du bulbe sont
la présence de glucose dans l’intestin, il ne affectés par la concentration en glu-
peut être exclu que leur baisse d’activité, cose dans le milieu. Par ailleurs, l’adminis-
quand l’absorption touche à sa fin, inter- tration intracérébroventriculaire d’antiméta-
vienne dans le déclenchement de la prise bolites du glucose modifie la prise alimen-
alimentaire. taire : une glucoprivation centrale peut donc
intervenir dans le comportement alimentaire.
➛ Les glucorécepteurs hépatiques ont Par applications locales, in vivo, de divers
fait l’objet d’un nombre considérable de agents (glucose, aurothioglucose,...), l’exis-
travaux qui démontrent leur rôle possible tence de glucorécepteurs ou de neurones
dans les mécanismes qui sous-tendent le glucosensibles a été démontrée au niveau du
comportement alimentaire ; néanmoins, le VMH, du LH, des noyaux paraventriculaires
fait que le comportement alimentaire (prise (PVN), du NFS et de l’area postrema (AP).
calorique, séquence) du rat après transplan- En ce qui concerne le VMH, les expé-
tation hépatique ne soit en rien modifié, riences de lésion, stimulation, administra-
démontre qu’ils ne sont indispensables ni tion locales de diverses substances condui-
pour le déclenchement, ni pour l’arrêt de sent à penser que ces noyaux sont le site
l’acte alimentaire. Il faut remarquer à ce critique de régulation de la masse adipeuse
propos que les mécanismes physiologiques et qu’ils jouent alors un rôle seulement
sont très fréquemment redondants : la indirect dans le comportement alimentaire
sélection naturelle a favorisé les individus (voir plus bas).
munis de systèmes de sécurité. L’importance des structures rhombencé-
phaliques (NFS, AP) dans le déclenche-
➛ Qu’en est-il des glucorécepteurs ou des ment de la prise alimentaire en réponse à
neurones glucosensibles centraux ? L’en- une glucoprivation a été montrée pour la
registrement in vitro de l’activité unitaire sur première fois dans les années 80. Des neu-
tranches d’encéphale a montré que certains rones qui répondent à une application loca-
neurones dans les noyaux ventromédians le ou à une perfusion de glucose dans la
(VMH) et l’aire latérale (LH) de l’hypotha- veine porte, ont été mis en évidence dans le

177
J. Louis-Sylvestre

NFS ; de plus, il existe des neurones gluco- d’autres indirectement. Pour ces derniers,
sensibles dans l’AP ; or l’AP est un organe les auteurs suggèrent que leur réponse aux
circumventriculaire non protégé par la bar- variations de glycémie pourrait être expli-
rière hématoencéphalique; ces neurones quée par la stimulation des afférences
pourraient directement évaluer la concentra- venant du rhombencéphale (NTS et AP).
tion sanguine en glucose et intervenir dans
la commande de prise alimentaire. ➛ Au niveau du LH, lieu de convergence
Après quelques travaux qui mettaient en entre des afférences sensorielles externes et
relation une activité neuronale spontanée au internes (comme il sera montré plus bas), il
niveau du LH et le comportement alimentai- existe des neurones sensibles à des varia-
re, d’autres études ont distingué, dans cette tions de glycémie d’une amplitude équiva-
zone, des neurones « phasiques » activés lente à celle du phénomène préprandial.
chaque fois que l’animal introduit la tête Pour certains d’entre eux, l’activation est
dans la mangeoire et des neurones liée à leur glucosensibilité propre, pour
« toniques » activés pendant toute la durée d’autres, elle relève d’un message transmis
du repas. L’activité de ces derniers semble par d’autres sites directement « glycémie
donc liée au déclenchement et au maintien sensible ». La prochaine étape de la
de « l’éveil alimentaire spécifique ». En démonstration, qui serait alors définitive-
dehors du repas, ces neurones peuvent être ment concluante, serait l’enregistrement
activés par une glucoprivation centrale créée simultané sur l’animal éveillé, de la prise
par injection de 2-Desoxyglucose. Par alimentaire, de la glycémie et de cette acti-
ailleurs, chez le singe et le mouton, dans vité neuronale.
cette même région hypothalamique, des
neurones qui répondent à la présentation de ➛ En résumé, il semble que le signal inter-
nourriture seulement quand l’animal est ne dit « de faim » qui déclenche le compor-
susceptible de l’ingérer – autrement dit tement alimentaire soit un phénomène glu-
quand il a faim – ont été mis en évidence. copénique discret, induit par l’épuisement
Quelques études avaient aussi mis en évi- imminent de la réserve gastro-intestinale,
dence dans le LH, l’existence de neurones auquel des cellules nerveuses centrales
activés après injection périphérique de glu- hypothalamiques participant à l’élaboration
cose ; cependant les hyperglycémies ainsi de ce comportement sont sensibles. Dans
induites étaient largement supraphysiolo- cet état métabolique le sujet « se dirige »
giques. Des expériences récentes réalisées vers ce qui peut être un aliment en prend
chez le rat par une équipe de Marseille ont connaissance et le reconnait grâce à l’analy-
montré qu’un tiers des neurones du LH seur sensoriel périphérique. Comment sont
répond soit à une légère hyperglycémie (en déterminés le choix des aliments et la quan-
moyenne 36 %), soit à une légère hypogly- tité ingérée ?
cémie (en moyenne 10 %) induites, soit
encore à des fluctuations spontanées de gly-
cémie (5 à 27 %), et ce, avec une latence
moyenne de 6 min. Ces chercheurs ont
montré aussi que certains neurones répon- LES AFFÉRENCES
dent seulement aux variations périphériques SENSORIELLES
de glycémie, d’autres seulement à l’applica-
tion locale et d’autres enfin (1/3) aux deux
ET L’ACTE ALIMENTAIRE
manipulations.
Ainsi, parmi les neurones « glycémie
sensibles » de l’aire latérale hypothalamique La sélection de macro et micronutriments
certains peuvent être activés directement et parmi un large éventail de substances qui

178
7. Bases physiologiques du comportement alimentaire

peuvent ou non satisfaire les besoins phy- ressenti lors de la satisfaction du besoin sur
siologiques et être ou non compatibles avec le plaisir sensoriel : l’information affective
les processus biochimiques dont l’individu (la valeur hédonique de l’aliment ou encore
est pourvu, est une fonction biologique fon- sa palatabilité) est, en gros, ajustée aux pro-
damentale. Les systèmes chémosensoriels – priétés nutritionnelles de l’aliment et ce, de
goût et olfaction – sont apparus, au cours de plus, en fonction des besoins de l’individu ;
l’évolution, sous la pression du besoin elle est donc susceptible d’évoluer avec le
nutritionnel et par conséquent sont adaptés temps.
à la recherche et à la sélection d’éléments Deux apprentissages distincts se font
susceptibles de satisfaire les besoins de l’es- simultanément. Le premier module la stimu-
pèce. Plusieurs remarques s’imposent : lation initiale à manger, intervient dans le
Les sensations perçues au moment de l’in- choix : les préférences sont conditionnées. Le
gestion donnent au sujet des informations second module, au cours de la prise, la stimu-
qualitatives (c’est sucré, acide...), quantita- lation à consommer l’aliment choisi et donc
tives (très sucré, peu acide...) mais aussi détermine la quantité en fonction des expé-
affectives (j’aime beaucoup, peu...). La pré- riences passées : le rassasiement est condi-
férence pour le sucré est innée et une faible tionné.
salinité semble appréciée de toutes les Un système régulé par une simple boucle
espèces. L’amer, l’acide et le salé intenses de rétrocontrôle (thermostat pour un local)
sont aversifs de façon innée dès que les est instable et la régulation est lente (fig. 4).
récepteurs gustatifs concernés sont fonction- Un contrôle adaptatif anticipé tel que
nels. Ainsi, la sélection naturelle a favorisé celui qui vient d’être décrit permet une
un système gustatif susceptible d’assurer la régulation efficace et précise (fig. 5).
protection de l’individu en le rendant capable
de maintenir son homéostasie (sucré : éner-
gie ; salé : équilibre osmotique) et capable Le cheminement des informations
aussi d’éviter les poisons, les substances cor- sensorielles
rosives : la motivation hédonique est innée.
Cependant, ce mécanisme inné ne permet Les éléments sensibles au signal interne
pas l’adaptation aux besoins fluctuants de de faim sont vraisemblablement situés au
l’organisme. Pour remplir cette fonction une niveau de l’hypothalamus latéral et toutes
plasticité du codage sensoriel ou de l’aspect les informations sensorielles venant de la
hédonique est nécessaire. En fait, on consta- sphère orale mais aussi de la sphère viscéra-
te qu’à partir des réactions innées, un pro- le (informations sur la distension gastrique,
cessus d’apprentissage intervient. Au fil des la chémosensibilité intestinale...) attei-
prises répétées d’un même aliment ses gnent cette même région hypothala-
caractéristiques sensorielles (aspect, odeur, mique (fig. 6). De plus, il est important
goût, texture), qui représentent le stimulus de remarquer que toutes les voies senso-
conditionné sont progressivement associées rielles externes et internes ont des projec-
aux effets post-ingestifs (stimulus incondi- tions vers le système limbique (amygdale
tionnel) ressentis dans les heures qui suivent rhinencéphalique) qui joue un rôle très éla-
: une double image, sensorielle et métabo- boré dans l’intégration des messages senso-
lique, est créée. L’organisme s’y réfère de riels et participe aux processus d’apprentis-
façon tout à fait inconsciente pour anticiper sage.
les conséquences (réponse inconditionnelle) Partant du récepteur (gustatif, intestinal),
plaisantes ou déplaisantes de l’ingestion le premier relais des voies sensorielles se fait
prévue et adapter son comportement (répon- au niveau médullaire (noyau du tractus du
se conditionnée). Le résultat de l’apprentis- faisceau solitaire : NTS) ; là, les deux voies
sage est le transfert du plaisir (du bien-être) sont parallèles mais interconnectées. C’est

179
J. Louis-Sylvestre

entrée Traitement Disponibilité Utilisation sortie


digestion en carburant
absorption ou paramètre
métabolisme régulé

élément sensible
4 n fois 3
4
1 2
1
régulations régulations
internes comportementales
1

4 2

Figure 4
Réponses physiologiques possibles à la pénurie
1 – Baisse du métabolisme. 2 – Baisse de l’activité physique
3 – Mobilisation des réserves. 4 – Recherche, sélection et ingestion d’aliments

e e e e e

e e e
e
a a c c

e e a ?
plaisir b
mémoire d c
sensoriel plaisir
e e a b bien-être
d

entrée Analyseur Traitement Disponibilité Utilisation sortie


sensoriel digestion en carburant
absorption ou paramètre
métabolisme régulé

élément sensible c
1 fois

régulations régulations
internes comportementales

Figure 5
Mise en place d’un rétrocontrôle adaptatif.
Au fil des prises répétées d’un même aliment, sont mis en mémoire :
a – les caractéristiques sensorielles de l’aliment, b – le plaisir sensoriel,
c – le comportement, d – le bien être ressenti.
Lors d’une nouvelle prise, l’organisme s’y réfère, opère inconsciemment un transfert du bien-être atten-
du sur le plaisir sensoriel et adapte son comportement (tracé e).
7. Bases physiologiques du comportement alimentaire

Cortex Hypothalamus latéral

Voie thalamo- Système Informations Comportement


corticale limbique sensorielles alimentaire
codées

Neurones
Noyau sensibles
parabrachial à la glucopénie

Noyau tractus
solitaire
Noyaux moteurs des nerfs crâniens
Noyaux préganglionnaires parasympathiques
Afférences et sympathiques
gustatives/viscérales (Réponses métaboliques et hormonales)

Figure 6
Schéma simplifié des voies gustatives et viscérales afférentes

ainsi que, dès ce niveau, l’information « dis- l’activité des structures hypothalamiques et
tension gastrique » va pouvoir moduler l’in- limbiques. Celles-ci en retour envoient des
formation « goût » par exemple. De là, par- fibres descendantes vers le NPB et le NTS ;
tent des projections, descendantes cette fois, les activités hypothalamiques et limbiques
vers les noyaux moteurs des nerfs crâniens, peuvent ainsi moduler les réponses inges-
les noyaux préganglionnaires sympathiques tives motrices et les réponses métaboliques.
et parasympathiques à l’origine de réponses Depuis le cortex inférotemporal, des
réflexes motrices, métaboliques et hormo- voies visuelles atteignent massivement
nales. Le deuxième relais se trouve au niveau l’amygdale et par là, le LH : l’information
du pont (noyau parabrachial : NPB). Là visuelle éventuellement modulée par l’ap-
encore, les deux voies sont parallèles. Ensui- prentissage atteint donc aussi cette région.
te et désormais, les fibres véhiculant les De même, l’information olfactive atteint le
informations gustatives et viscérales suivent LH par une voie directe et une voie qui
les mêmes voies et leurs projections conver- passe par l’amygdale.
gent vers les mêmes structures. Toutes les En plus des informations sensorielles
fibres ascendantes issues du NPB suivent brutes ou codées par le système limbique
d’une part, la voie thalamocorticale, d’autre reçues par l’hypothalamus, il est maintenant
part se dirigent vers l’amygdale rhinencépha- reconnu que des structures sus-jacentes
lique en envoyant des collatérales vers l’hy- corticales exercent une influence modu-
pothalamus latéral (LH). Ces connexions latrice sur son activité. Émotions, stress, colè-
suggèrent que les informations gustatives et re... peuvent ainsi intervenir sur la prise ali-
viscérales modulent de façon coordonnée mentaire.

181
J. Louis-Sylvestre

➛ Et les circuits nerveux du plaisir ali- mulus conditionné, délai entre l’établisse-
mentaire ? Actuellement les connaissances ment de l’aversion et la nouvelle présenta-
sur ce point sont assez floues. Au niveau de tion, etc.
l’hypothalamus latéral et du rhinencéphale Il a été possible ainsi d’étudier les condi-
en particulier, deux grands systèmes physio- tions de l’établissement d’une aversion et
logiques, d’action opposée, ont été mis en aussi d’établir que la mémorisation des fla-
évidence : le système de « récompense » ou veurs est fonction de plusieurs facteurs : la
de renforcement positif, et un système dit qualité intrinsèque de la flaveur (chez le rat,
de « punition » ou de renforcement négatif. la mémoire de fromage est plus durable que
Le protocole expérimental qui a permis ces celle du café), la durée du contact avec les
résultats est le suivant : un dispositif que récepteurs, les conséquences post-ingestives,
l’animal peut commander lui-même lui per- la répétition des expériences et l’âge du sujet.
met de s’autoadministrer des impulsions Le traitement au niveau central de la
électriques par l’intermédiaire d’une élec- trace mnésique de l’aliment, associée à
trode préalablement placée dans la structure celle des effets post-ingestifs, a pour effet
cérébrale explorée. Quand la stimulation est de moduler la composante affective associée
agréable, l’animal s’autostimule frénétique- à l’image sensorielle de l’aliment.
ment, si elle est désagréable, il évite de fer-
mer le circuit. La topographie du système
de récompense est maintenant connue, il Le choix alimentaire
parcourt les régions frontales rhinencépha-
liques et traverse l’hypothalamus latéral. Au ➛ Les préférences conditionnées
niveau de certains sites de l’hypothalamus Le « goût pour le sucre » est commun à
latéral l’autostimulation est intense si l’ani- toutes les espèces mais il a été magnifique-
mal a faim , nulle s’il est rassasié. la stimu- ment démontré que cette préférence n’est
lation électrique semble produire le même maintenue que si l’effet post-ingestif béné-
plaisir que la nourriture : quand l’animal a fique attendu – apport calorique rapide - est
faim, il recherche la stimulation électrique effectif. Chez le rat légèrement à jeun, la
ou... plus normalement l’aliment. consommation d’une solution de saccharine
est importante, elle le demeure si l’inges-
tion est associée à l’administration gastrique
Mémoire des aliments de glucose ; en revanche, la consommation
décroît très vite si la charge gastrique est
Les travaux concernant les processus de constituée par de l’eau.
mémorisation de la flaveur et de la texture Une autre expérience démontre le même
des aliments datent des quinze dernières phénomène. Deux versions différemment
années. La méthode souvent employée est odorisées du même régime aprotéique sont
simple : un aliment ayant la flaveur testée alternativement proposées au rat. La
est présenté à l’animal, son ingestion est consommation de l’un (A) est précédée
suivie d’un malaise expérimentalement pro- d’une administration gastrique d’un mélan-
voqué (par exemple une injection intrapéri- ge équilibré d’acides aminés essentiels ; la
tonéale de chlorure de lithium qui provoque consommation de l’autre (B) est précédée
de vives douleurs abdominales). L’animal de l’administration gastrique de chlorure de
étant rétabli, l’aliment testé est présenté à sodium.
nouveau, la quantité consommée est une Désormais, et sans autre intervention, les
mesure de l’intensité de l’aversion et aussi rats préfèrent A. La même expérimentation
une mesure de la trace mnésique. L’explora- peut être réalisée avec un régime non pas
tion a été réalisée en faisant varier les aprotéique mais seulement carencé en un
paramètres expérimentaux : intensité du sti- acide aminé essentiel. Le régime associé à

182
7. Bases physiologiques du comportement alimentaire

la supplémentation en cet acide aminé sera Une seule association entre stimulus
préféré. conditionné (la flaveur) et stimulus incondi-
Il est clair que les récepteurs aux acides tionnel (les effets post-ingestifs nocifs) peut
aminés découverts récemment dans la paroi être suffisante pour que s’établisse l’aver-
intestinale ont fourni l’information post- sion parfois définitive. L’association est
ingestive impliquée. Cependant, le rôle joué efficace même si le délai entre les stimuli
ici par les chémorécepteurs intestinaux atteint plusieurs heures.
n’exclut pas le rôle éventuel d’une sensibi- Chez l’homme, ce phénomène fait partie
lité interne aux variations de l’aminogram- de l’expérience personnelle de chacun ; il est
me sanguin. bien connu que les enfants leucémiques, qui
La sélection par l’organisme des aliments reçoivent une friandise d’un goût nouveau
qui apportent la couverture des besoins en juste avant une chimiothérapie génératrice de
vitamines, minéraux, relève de mécanismes malaise, la refusent désormais : ceci montre
similaires. Il est bien établi que le besoin de bien que le lien obligatoire est un lien de
soulager une carence peut transformer une coïncidence et non une relation causale.
aversion en préférence : les rats préfèrent Les résultats d’enquêtes montrent que le
tous l’eau pure à l’eau acide ; mais les rats stimulus interne le plus efficace est la sen-
carencés en Zinc développent une préférence sation de nausée, viennent ensuite les dou-
pour l’eau acide si celle-ci contient du Zinc. leurs abdominales, les malaises respiratoires
Des préférences soudaines se manifestent et les éruptions. Parmi les aliments pour
aussi fréquemment chez l’homme, elles sont lesquels des aversions se développent faci-
probablement le plus souvent adaptées à un lement, on note d’abord les produits carnés
besoin : ainsi les enfants souffrant d’insuffi- (21 %), les plats complets avec viandes ou
sance surrénalienne développent – s’ils les poissons (13 %), les boissons alcoolisées
trouvent dans leur environnement – un (14 %). Les produits glucidiques en général,
goût prononcé pour les bonbons à la réglis- les produits sucrés tout particulièrement,
se qui contiennent de la glycyrrhizine, sub- deviennent rarement aversifs.
stance qui a une action corticoïde et soulage Le sujet a faim, par le jeu des préfé-
le malaise. rences et aversions conditionnées il va
Il est très frappant de constater qu’aucun sélectionner les aliments à ingérer, mais
conditionnement de préférence – ou même combien va-t-il en ingérer ? Le déterminis-
de rassasiement comme il sera vu plus loin me quantitatif relève de plusieurs méca-
- basé sur l’effet d’une ingestion lipidique nismes dans lesquels interviennent aussi les
n’a pu être mis en évidence. Ce phénomène caractéristiques sensorielles des aliments.
peut être attribué à la lenteur de la vidange
gastrique et de l’absorption des graisses. Il
souligne que pour la grande majorité des La dimension du repas
apprentissages, les stimuli impliqués, condi-
tionnés et inconditionnés, ne sont mis en ➛ Le rassasiement conditionné
relation que s’ils sont suffisamment rappro- Deux versions différemment odorisées du
chés. Tel n’est cependant pas le cas pour même aliment sont présentées alternative-
l’établissement des aversions conditionnées. ment à l’animal, l’une est toujours accom-
pagnée d’une administration gastrique de
➛ Aversions conditionnées glucose, l’autre est associée à l’administra-
Les modalités de création des aversions tion d’eau. Très vite l’animal apprend à
conditionnées ont été évoquées à propos de consommer moins de la première.
la mémorisation. Les caractéristiques de ce Chez l’homme, la démonstration du phé-
conditionnement sont uniques et font excep- nomène est clairement établie par l’expérien-
tion aux lois ordinaires de l’apprentissage. ce simple suivante : deux versions du même

183
J. Louis-Sylvestre

aliment cependant différentes par le goût sont de moins en moins importantes : au fil
sont présentées alternativement mais séparé- des consommations l’état et donc les
ment aux sujets lors d’une série de tests qui besoins du sujet ont changé. Il faut remar-
ont lieu à quelques jours d’intervalle. La quer que l’hyperphagie due à la variété
consommation de l’une des versions est pré- cesse quand le sujet a pu apprendre, et en
cédée de l’ingestion d’un potage très calo- conséquence peut prévoir, qu’il aura à dis-
rique. Pour l’autre version, le potage associé, position des aliments successifs.
gustativement indiscernable du premier, est
peu calorique. Alors que les deux versions de ➛ Les stimuli postingestifs incondition-
l’aliment sont consommées en quantités nels du rassasiement
égales au début des tests, au cours de la série Les stimuli postingestifs, qui intervien-
la consommation de chaque version est pro- nent dans le rassasiement et qui sont au
gressivement augmentée ou diminuée en cours de l’apprentissage peu à peu associés à
fonction de la valeur calorique du potage. la flaveur de l’aliment, sont multiples. Le
Le mécanisme de cet apprentissage, dont rôle des récepteurs gastriques de distension,
le rôle est de fixer quantitativement le volu- celui des osmorécepteurs, des chémorécep-
me ingéré, est très voisin de celui qui teurs (gluco, amino...) gastro-intestinaux,
conduit à l’établissement des préférences et porte-hépatiques, hépatiques est largement
qui intervient, lui, comme il a été dit, dans démontré. Le rôle des hormones digestives
la sélection. L’image sensorielle périphé- (gastrine, cholécystokinine, somatos-
rique est associée cette fois à la sensation tatine...) fut et est encore l’objet de contro-
plus ou moins durable de satiété qui sera verses. Enfin, chez le rat, il a été montré que
ressentie après l’absorption. Plusieurs essais la décharge d’insuline et au moins le début
sont nécessaires à l’ajustement correct de la de l’absorption des métabolites constituent
quantité consommée au contenu énergétique l’un des facteurs du rassasiement. L’effet de
de l’aliment. Quand l’aliment aura été ainsi l’injection d’inhibiteurs d’oxydation sou-
« appris », l’ingestion sera arrêtée quand ligne que le signal opérant est lié à l’oxyda-
une quantité suffisante de nutriments aura tion au niveau hépatique des produits absor-
été ingérée et bien avant qu’ils soient absor- bés dans les premières minutes.
bés. L’ingestion cesse quand elle n’est plus Ces facteurs du rassasiement peuvent être
source de plaisir : la composante affective additifs et sont redondants : la vagotomie
alimentaire est modifiée par le jeu des pré- bilatérale sous-diaphragmatique ou la trans-
férences et aversions conditionnées. Par le plantation hépatique n’empêchent pas le
jeu du rassasiement conditionné, cette sujet d’être rassasié de façon adéquate après
valeur hédonique chute progressivement un repas.
(jusqu’à s’annuler à l’arrêt de la prise) au
cours de l’épisode alimentaire et ce, en
fonction de l’aliment et des besoins. Néan-
moins, cette chute de palatabilité ne concer- LE MÉCANISME
ne que l’aliment qui a été consommé car
elle est spécifique des caractéristiques sen- LIPOSTATIQUE
sorielles de l’aliment (goût, odeur...) : le CHEZ LE SUJET ANIMAL
rassasiement est dit sensoriellement spéci- ET HUMAIN
fique. Elle n’affecte pas un autre aliment.
L’animal rassasié sur un aliment, peut à la
suite en consommer un autre et encore un L’acte alimentaire est le remplissage
autre.. et faire ainsi une prise totale 3 à périodique d’un réservoir de petite capacité,
4 fois plus importante que sur un aliment le tractus gastro-intestinal. Celui-ci a pour
unique. Cependant, les prises successives deuxième fonction la transformation des ali-

184
7. Bases physiologiques du comportement alimentaire

ments en métabolites absorbables qui lipides de la carcasse révèlent que le bilan


entrent dans la circulation qui les distribue positif est associé à un dépôt actif de
aux tissus pour usage immédiat et pour graisses, une lipogénèse. Le bilan négatif de
stockage de plus ou moins longue durée la phase de repos est associé à la mobilisa-
dans les tissus spécialisés, principalement le tion des réserves, à une lipolyse. Ainsi, les
tissu adipeux. Ces réserves obligatoirement nutriments ingérés au cours des repas de la
constituées permettent le repos. La périodi- phase d’activité, mis transitoirement en
cité prandiale de la prise alimentaire se réserve dans le tube digestif, sont utilisés à
double d’une périodicité nycthémérale. la couverture des dépenses courantes et à la
constitution de réserves adipeuses. En
période de repos, le relargage des acides
La périodicité nycthémérale : gras précédemment mis en réserve couvre
première indication de l’existence tout ou partie des dépenses courantes
d’un mécanisme lipostatique (fig. 7). Le stockage pendant la partie du
nycthémère où le sujet est actif permet la
Le rat en période d’activité (la nuit, car le phase de repos.
rat est un animal nocturne) est en bilan Si la réserve est insuffisante, l’animal fait
positif : il ingère 40 à 50 % en plus d’éner- pendant cette phase un ou plusieurs petits
gie qu’il n’en dépense. En période de repos repas juste complémentaires. Si la réserve
(de jour), il est en bilan négatif, en général est excédentaire, elle n’est pas entièrement
exactement compensateur. L’étude de l’évo- utilisée et si le phénomène se répète de nyc-
lution du quotient respiratoire, du taux des thémère en nycthémère l’animal prend du
acides gras libres circulants, la mesure des poids. Chez l’animal en conditions stables,

ACTIVITÉ REPOS

Dépenses courantes Dépenses courantes


+ -
Mise en réserves Mobilisation des réserves

Déclenchement
du repas
seuils
Mobilisation
des réserves

NIVEAU DES RÉSERVES

Figure 7
Évolution nycthémérale de la disponibilité en métabolites et du niveau des réserves

185
J. Louis-Sylvestre

qui a de plus une activité physique suffisan- bolique et hormonal de l’individu, qui
te, on observe une régulation parfaite à expliqueraient d’autre part le rattrapage
l’échelle stricte du nycthémère. d’un sur- ou d’un sous-poids quand en
Cette périodicité nycthémérale comporte- cesse la cause ?
mentale et métabolique est accompagnée La modulation nycthémérale parasympa-
d’une modulation neuro-endocrinienne : on thique des effecteurs endocriniens a été évo-
constate, de nuit, une relative hyperinsuliné- quée plus haut. Ce phénomène primaire
mie basale et prandiale, une tolérance éle- commence à être bien compris : c’est au
vée au glucose, et de jour une hypoinsuliné- niveau de l’aire latérale hypothalamique
mie et une légère intolérance au glucose. (LH), centre parasympathique et actif pen-
De nombreux travaux convergents montrent dant la période active du nycthémère, que
que le primum movens de ce cycle lipoge- s’organise la réponse comportementale de
nèse-lipolyse et de ses conséquences sur prise alimentaire ; la région ventro-médiane
l’ingestion est une modulation nerveuse des hypothalamique (VMH) centre sympa-
effecteurs endocriniens (pancréas et surré- thique, active pendant la phase de repos,
nales), modulation à dominance parasympa- gère les réserves ; ces deux régions sont
thique en période active et sympathique en réciproquement inhibitrices. L’alternance de
période de repos (fig. 8). l’activité de ces deux régions hypothala-
miques est synchronisée sur la lumière mais
➛ Et qu’en est-t-il pour l’homme ? comme il sera développé plus bas, auto-
L’alternance entre un bilan d’énergie entretenue.
positif (différence entre les entrées et les
sorties) avec mise en réserve (diurnes cette
fois), et un bilan négatif avec mobilisation Démonstration expérimentale
des réserves (nocturnes) est établie. Le cycle du mécanisme lipostatique
neuro-endocrinien est retrouvé et la
démonstration que ce cycle persiste en cas Quand cesse le traitement (manœuvre
de jeûne montre bien qu’il constitue la com- expérimentale ou régime imposé) qui, chez
mande primaire. un sujet animal ou humain, a induit pro-
Il semble cependant que l’adéquation gressivement un sur- ou un sous-poids,
entre apports et dépenses ne soit pas tou- apparaît spontanément une hypo- ou une
jours réalisée à l’échelle des 24 heures. Cela hyperphagie qui, d’abord intense, diminue
peut être attribué d’une part à l’absence de peu à peu jusqu’au retour à l’état pondéral
repas pendant la période de repos (ces repas initial.
chez le rat constituent le moyen de rattrapa-
ge), d’autre part, beaucoup de facteurs liés à ➛ Le signal qui lie adiposité et prise ali-
l’environnement et aux habitudes alimen- mentaire
taires facilitent la mise en réserve qui Le signal qui agit sur la commande de
devient excédentaire et ne peut être épongée prise alimentaire en fonction du niveau
par les dépenses métaboliques de repos noc- d’adiposité vient-il du tissu adipeux ou est-
turne. il seulement corrélé à l’adiposité ? Dans le
Si le rattrapage n’a pas lieu à l’échelle premier cas, l’information concerne-t-elle la
stricte des 24 heures, il intervient à l’échelle masse des réserves ou la taille des adipo-
de quelques jours chez le sujet de poids cytes ? Plusieurs auteurs ont tenté de
normal ou plus tardivement chez le prédis- répondre à ces questions par l’ablation chi-
posé à l’obésité. rurgicale de dépôts adipeux chez l’animal.
Quels mécanismes centraux peuvent être En général, ils constatent qu’une hypertro-
évoqués, qui expliqueraient, d’une part, phie des dépôts restants compense la masse
cette alternance jour/nuit du tableau méta- perdue. Quand, après lipectomie, la prise

186
7. Bases physiologiques du comportement alimentaire

ACTIVITÉ

LH (–) VMH
actif insulinisme central augmente quiescent

Efférences parasympathiques Efférences sympathiques


actives quiescences

Catécholamines Insuline (+)


surrénaliennes (–)

PRISE ALIMENTAIRE

La prise alimentaire permet de faire face aux dépenses courantes


et à la mise en réserve (lipogenèse)
LH = aire latérale hypotalamique ; VMH : région ventro-médiane hypothalamique

REPOS

LH (–) VMH
quiescent insulinisme central diminue actif

Efférences Efférences
parasympathiques sympathiques
quiescentes actives

Insuline (–) Catécholamines Tissu adipeux LIPOLYSE


surrénaliennes (+)

La lipolyse permet l’utilisation des réserves pour les dépenses courantes

Figure 8
La modulation nerveuse des effecteurs endocriniens

187
J. Louis-Sylvestre

alimentaire est mesurée elle n’est pas trou- dépenses courantes concourent à l’épuise-
vée augmentée. Cependant il faut remarquer ment des métabolites absorbés lors du repas
qu’après lipectomie les dépenses énergé- et précipitent le déclenchement du repas
tiques sont ipso facto diminuées et qu’avec suivant : le sujet est hyperphagique.
une prise inchangée les animaux sont en fait Ainsi, la prise alimentaire est diminuée
transitoirement hyperphagiques. Néanmoins, par la mobilisation des réserves pléthoriques
il semble qu’à perte de poids égale, une et augmentée par leur reconstitution quand
lipectomie, donc une perte de masse, soit leur niveau est bas. La question devient
moins efficace dans l’induction d’une alors celle de la commande de ces mouve-
hyperphagie compensatrice qu’un amaigris- ments de carburants autrement dit celle de
sement général, donc une diminution de la la commande de la lipolyse et celle de la
taille des adipocytes. lipogénèse en fonction du niveau des
Le tissu adipeux a une innervation affé- réserves.
rente qui serait susceptible de véhiculer
l’information. Cependant, les expériences
de parabiose faites chez le rat sont en Le témoin hypothalamique de l’état
faveur d’un « facteur circulant ». Si l’un des des réserves
partenaires parabiotiques est rendu hyper-
phagique et obèse, l’autre est aphagique et Il y a 20 ans, on avait montré qu’une char-
perd du poids. Dans les conditions de la ge intragastrique de glucose marqué avec un
parabiose, le facteur circulant est difficile à isotope radioactif (C14) induisait au niveau de
identifier : on estime que les échanges plas- l’hypothalamus ventro-médian (VMH) un
matiques sont tels qu’un échange total est marquage durable de la fraction lipidique. Ce
effectué environ 10 fois en 24 h et donc tout phénomène suggérait alors l’existence d’un
facteur circulant, en fonction de sa demi-vie modèle central de l’adiposité périphérique.
et de sa concentration, est peu ou prou Plus tard, il était observé que le contenu lipi-
transféré d’un animal à l’autre. dique de l’hypothalamus variait comme celui
des réserves périphériques. Récemment, une
équipe de l’Université de Georgie s’est atta-
Niveau d’adiposité et tableau chée à l’étude de la captation in vivo et à celle
métabolique du métabolisme in vitro du glucose et des
acides gras par l’hypothalamus latéral (LH)
Quand cesse le traitement ou le régime et l’hypothalamus ventro médian (VMH), et
qui a induit chez un sujet, un niveau élevé ce, en fonction de l’état des réserves et de
d’adiposité, les taux plasmatiques d’acides l’état de faim de l’animal. Ces auteurs se sont
gras libres, de glycérol et de corps céto- intéressés à ces deux zones tout particulière-
niques sont élevés. Tous ces métabolites ment parce qu’un faisceau impressionnant de
peuvent servir de carburant cellulaire, cou- données recueillies en 50 ans de travaux avait
vrir les dépenses courantes et grâce en par- montré leurs rôles dans la régulation du bilan
ticulier à une épargne du glucose par le d’énergie : le LH spécialement concerné par
cycle de Randle permettre aussi la couver- la commande de la prise alimentaire et le
ture des besoins du système nerveux cen- VMH par la gestion des réserves.
tral : l’utilisation du carburant endogène Ces chercheurs montrent d’abord que
rend l’animal quasi aphagique. pour l’ensemble des zones testées dans le
A la cessation de la restriction alimentai- SNC, la captation du glucose et celle des
re, les métabolites circulants sont principa- acides gras libres (palmitate) varient en
lement drainés par le foie et le tissu adipeux fonction de l’état de l’animal. Puis, in vitro
qui reconstituent leurs réserves : ce retrait ils mettent en évidence que :
privilégié et la couverture nécessaire des – au niveau du LH (mais pas ailleurs

188
7. Bases physiologiques du comportement alimentaire

dans le SNC) comme dans le foie, le taux sulinémie dans ce phénomène (voir ci-des-
du glucose capté puis oxydé par la voie du sous).
shunt du GABA est élevé quand le rat est Ainsi, l’activation ou l’inhibition réci-
surnourri ou qu’il surconsomme, diminué proques du LH et du VMH sont entraî-
quand le rat est sousnourri ou qu’il sous- nées par leur métabolisme propre qui
consomme ; or le GABA est un neuromodu- dépend de l’état nutritionnel du sujet et
lateur inhibiteur au niveau du LH ; tend à le corriger.
– aussi au niveau du LH et comme dans
le foie, le taux de captation puis d’oxyda-
tion des acides gras (palmitate) est bas Rôle de l’insuline
quand le rat est surnourri et encore plus
quand il est obèse et s’élève peu à peu Dans toutes les espèces et toutes les
quand, à la cessation du surgavage, il situations où la recherche a été effectuée, le
reprend son poids ; en revanche, ce taux taux d’insuline plasmatique est corrélé à
d’oxydation des acides gras (AG) est élevé l’adiposité. De plus, bien que fort atténuées,
quand le rat est maigre et diminue quand, à les variations de l’insulinémie sont trans-
la cessation du sous-gavage, l’animal mises au liquide céphalorachidien avec un
reprend peu à peu son poids ; or l’oxydation certain délai. Il se pourrait donc que l’insu-
du palmitate conduit au 3-Désoxypentoate line soit le messager informant le SNC de
qui spécialement stimule le LH et à la syn- l’état des réserves. Il existe des récepteurs à
thèse de glutamate neurotransmetteur exci- l’insuline dans le SNC, en particulier dans
tateur. les sites périventriculaires comprenant l’hy-
Réciproquement : pothalamus et l’area postrema. Des récep-
– au niveau du VMH et comme dans le teurs insuliniques sont présents dans les
foie, le taux d’oxydation du glucose est bas capillaires cérébraux et pourraient jouer le
quand le rat est gavé à seulement 50 % de rôle de transporteurs d’insuline par transcy-
sa ration spontanée ; tose permettant alors un transport rapide.
– au niveau du VMH et aussi dans le Une récente étude (1990), très convain-
foie, le taux de captation puis d’oxydation cante, porte sur l’effet de perfusions d’insu-
du glucose par la voie des pentoses est line à doses physiologiques dans divers sites
élevé quand le rat est surnourri par gavage. hypothalamiques. Elle montre que les perfu-
Les produits associés à cette voie des pen- sions dans le VMH provoquent une diminu-
toses (par exemple NADPH - Nicotinamide tion dose-dépendante de la prise alimentaire
Adénine Dinucléotide Phosphate) augmen- et du poids corporel. Les mêmes perfusions
tent l’activité électrique du VMH et indui- faites dans la région périfornicale médiane
sent alors la mobilisation des réserves adi- sont moins efficaces, faites dans le LH pas
peuses via les efférences sympathiques du tout. Ceci permet d’étayer l’hypothèse
décrites mais aussi via l’innervation sympa- du rôle de l’insuline dans le métabolisme
thique du pancréas et des surrénales (fig. 9). glucidique du VMH et donc, via l’activité
Cette voie métabolique privilégiée conduit à de l’oxydation du glucose par la voie des
la synthèse d’acides gras (AG) : le VMH pentoses, le rôle de l’insuline dans la com-
synthétise des acides gras libres comme le mande lipolytique correctrice de l’adiposité.
foie et les stocke comme le tissu adipeux.
Sachant que l’activité de la voie des pen- En résumé, l’état métabolique périphé-
toses (au moins dans les tissus périphé- rique et l’état des réserves reflétés par l’ac-
riques) est dépendante de l’état insulinique, tivité du centre de gestion des réserves
et sachant aussi que le nombre d’insulinoré- (VMH) sont un des candidats au rôle de
cepteurs est élevé au niveau du VMH, il est « facteur circulant » qui lie adiposité et
possible de suspecter le rôle du niveau d’in- prise alimentaire. Le taux d’insuline circu-

189
J. Louis-Sylvestre

Fin de période de repos


animal à jeun
léger sous-poids
Insuline – au niveau du SNC : – captation du glucose –
– captation du palmitate +

oxydation du palmitate➚
oxydation du glucose par
la voie des pentoses➘ ⇓
glutamate➚
VMH ⇓ LH 3-déoxypentoacétate➚
NADPH➘ ⇓
⇓ – activité➚
activité➘ AG – – ➚sensibilité à la glucopénie
activité sympathique – REPAS activité parasympathique +

pas de mobilisation des réserves Carburant absorbé insuline +


X REPAS

Dépenses courantes et réserves➚

Épuisement du carburant

Hypoglycémie

Fin de période d’activité


Insuline + animal nourri
au niveau du SNC : – captation du glucose +

oxydation du glucose par


oxydation du glucose par le shunt du GABA➚
la voie des pentoses➚
VMH ⇓ ⇓
LH activité➘
NADPH➚
⇓ –
activité➚ AG + – ➘sensibilité à la glucopénie

activité sympathique + Pas de REPAS activité parasympathique –

mobilisation des réserves insuline –

dépenses courantes et réserves➘

Figure 9
Les mécanismes centraux qui gouvernent la balance

190
7. Bases physiologiques du comportement alimentaire

lant en est peut-être un autre mais est plus un réseau de connexions nerveuses avec un
certainement un autre aspect du même phé- jeu complexe de neurotransmetteurs et de
nomène. neuromodulateurs. Ceux-ci peuvent être les
Les recherches se poursuivent et quelques mêmes ou être différents pour des fonctions
travaux récents montrent que dans l’adipo- différentes ou identiques. Comme il n’est
cyte hypertrophié l’expression du pas question de faire ici le point, seuls
5-kb mRNA est largement accrue : l’adipo- quelques exemples représentatifs ou simple-
cyte secréterait-il un peptide régulateur ? ment curieux seront évoqués.
La substance P est un décapeptide détec-
té dans les fibres issues des bourgeons du
goût et dans le NTS (voir cheminement des
LA SAGESSE informations sensorielles). La dégradation
de ce neurotransmetteur impliqué dans le
NUTRITIONNELLE ET SON cheminement de l’information gustative est
EXTRAORDINAIRE CABLAGE bloquée par la capsaïcine (trans-8-Methyl-
N-vanillyl-6-nonenamide) contenue dans le
piment par exemple. La sensation de brûlu-
Le jeu de la sélection naturelle fut tel que re et de piquant est provoquée par l’accu-
les organismes sont dotés de mécanismes mulation de la substance P au niveau des
physiologiques adaptés à leur survie dans terminaisons nerveuses. Par ailleurs il a été
leur milieu naturel. Depuis les résultats de montré que la substance P peut induire une
pionniers tels que Clara Davis (1928) étu- sécrétion de met-5-enképhaline (opiacé
diant le jeune enfant et Richter (1943) le endogène) au niveau central. Le goût mani-
rat, la notion de « sagesse nutritionnelle » festé par certains pour les plats très épicés
n’a pas reçu de démentis : placé en situation aurait-il là son origine ?
de libre choix alimentaire, l’individu ingère Les stimuli inconditionnels du rassasie-
en quantité et qualité ce qui lui permet ment ont déjà été évoqués. Un nombre consi-
d’équilibrer ses bilans (énergétiques et spé- dérable de travaux ont porté sur le rôle des
cifiques) et, quand il est jeune, d’assurer sa hormones peptidiques secrétées par la paroi
croissance. du tractus digestif : cholécystokinine, bombé-
Ce rapide exposé des mécanismes qui sine, somatostatine... La motiline est un pep-
sous-tendent le comportement alimentaire tide de 22 acides aminés associé au complexe
est évidemment un canevas très simplifié. myoélectrique du tube digestif. Sa sécrétion
L’acte de « prise » est le résultat d’une ana- augmente en période prandiale ; une injection
lyse inconsciente et le plus souvent parfaite périphérique de motiline favorise la prise ali-
de la situation. Cette analyse comporte mentaire de l’animal à jeun mais ne provoque
l’évaluation des besoins présents et prévus, pas de prise supplémentaire chez l’animal
l’évaluation de l’apport en termes d’énergie rassasié. Vraisemblablement, la motiline qui
et d’éléments spécifiques, celle des dangers intensifie la contraction stomacale, accélère
éventuels liés à l’environnement. Elle la vidange gastrique, réduit la distension gas-
implique d’une part la mise en jeu conti- trique et donc retarde le rassasiement.
nuelle, du début à la fin de l’acte alimentai- Le noyau paraventriculaire hypothala-
re, de récepteurs sensibles à des signaux mique (PVN) constitue la partie rostrale du
internes et externes et d’autre part l’appel VMH. Sa lésion provoque un syndrome
constant à de multiples traces mnésiques. hyperphagique voisin mais un peu différent
Finalement, la décision prise à chaque ins- du syndrome qui suit la lésion complète du
tant a le seul plaisir pour moteur conscient. VMH. Il semble actuellement que le CRF
A la multiplicité des situations auxquelles soit le meilleur candidat au rôle de neuro-
le comportement doit répondre, correspond transmetteur responsable de l’inhibition de

191
J. Louis-Sylvestre

la prise alimentaire par le PVN. comportement spontané vont élaguer et


Dans ce noyau, la noradrénaline (NA) éclairer les données actuelles.
agissant sur les récepteurs a2-adrénergiques Chez le sujet humain de nos sociétés les
stimule la prise alimentaire et principale- mécanismes sont toujours en place, mais le
ment la prise glucidique. Cette action, milieu n’est plus naturel et les modes de vie
potentialisée par la corticostérone serait en sont tels que le choix n’est plus libre et ne
fait une inhibition de la sécrétion de CRF. peut plus l’être. Nos contemporains ont une
Le neuropeptide Y (NPY) est un des pep- alimentation dirigée. La diriger à bon
tides les plus abondants mis en évidence au escient suppose une bonne connaissance des
niveau du système nerveux central ; il est mécanismes qui sous-tendent le comporte-
principalement synthétisé dans le noyau ment alimentaire. Intervenir suppose aussi
arqué. Les neurones à NPY de ce noyau l’étude des facteurs de dysrégulation qu’en-
envoient des efférences vers le PVN. Le traînent éventuellement l’environnement ali-
NPY puissant stimulateur de la prise gluci- mentaire et socioculturel dans lequel nous
dique inhiberait lui aussi la sécrétion de vivons. Les nouveaux ingrédients, les nou-
CRF par le PVN, et ce, via la NA. velles technologies créés par notre génie
Lésions, stimulations électriques, injec- inventif dans le but de concilier la couvertu-
tions de substances à des doses souvent non re des besoins avec les contraintes écono-
physiologiques, ne peuvent susciter que des miques ne pourront être valablement et
hypothèses. Des techniques d’explorations durablement adoptés que s’ils répondent
plus « physiologiques » qui permettent, par aux contraintes irréductibles de la physiolo-
exemple, le recueil par microdialyse in situ gie.
des peptides sécrétés chez l’animal ayant un

192
7. Bases physiologiques du comportement alimentaire

B ibliographie

(1) - Le Magnen J. Neurobiology of feeding and nutrition. Academic Press 1992.


(2) - Le Magnen J. Faim et satiété. Prise alimentaire et régulation nutritionnelle. Encycl. Méd. Chir.
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American Societies for Experimental Biology Journal. 4 : 3310-3318 ; 1990.
(10) - Neurobiologie des comportements, éd. Delacour J. Hermann Press, 1984.

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Sodilac et Candia ont toujours contribué à la recherche et à l'évolu-
tion de la Nutrition en France.
Afin d'aider au développement de l'enseignement de la Nutrition,
Sodilac et Candia sont heureux de contribuer à l'édition et à la dif-
fusion de l'ouvrage réalisé par le Collège des Enseignants de
Nutrition.

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