L’architecture contemporaine.

Ce qui est ennuyeux dans les maisons que l’on construit à présent, c’est
qu’elles sont faites pour des vieillards, lesquels ne se soucient pas de
beauté architecturale mais seulement de la commodité de leur
logement. Les vieillards sont aveugles, mais ils ne sont pas insensibles.
Ils exigent une foule d’accessoires matériels inventés par le progrès afin
que leur chair ne se fatigue pas.

Il me semble que toute l’architecture dans le monde , depuis quarante

ou cinquante ans, ne s’occupe que du corps des hommes, et non de
leur esprit. Les architectes sont de moins des artistes ,et de plus en
plus des entrepreneurs de plomberie .D’où l’effacement progressif de
la «  physionomie » des villes, qui deviennent nues et utilitaires. La
vieillesse envahit tout ,mange tout ,et singulièrement ce qui témoignait
de la jeunesse des époques passées.

Comme toujours ,c’est l’erreur d’optique qui triomphe .Le passé était
jeune ,mais il est le passé ;le temps a marché sur lui .Il n’est pas neuf .

Une maison qui a deux cents ans ,et sur laquelle on lit comme à livre
ouvert le goût effréné de la jeunesse pour les volutes ,les corniches, les
frontons ,les arabesques, les statues de déesses et les mascarons
grotesques, bref pour ce qui personnifie la joie et la diversité du
monde ,paraît une antiquité ,du seul fait que les jeunes gens pour
lesquels elle avait été composé ont disparu. Elle est classée ,elle a un
certain style ,qui a été remplacé par d’autres styles, également
étiquetés .La maison d’aujourd’hui, toute plate,parallélépipédique,
étirée en hauteur, posée sur le sol comme une boîte à ranger des vieux
(et des marchands,car le commerce est l’autre mamelle de
l’architecture contemporaine),a une supériorité morale sur les œuvres
d’art d’autrefois :elle est moderne,adjectif magique.Un vieillard vivant
se sent forcément plus jeune qu’un jeune homme mort.