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Indicateurs économiques

de la gouvernance démocratique
au Maroc

La gouvernance est définie comme étant « l’exercice de l’autorité politique, Noureddine


économique et administrative dans le cadre de la gestion des affaires d’un el Aoufi*
pays à tous les niveaux. C’est une notion objective qui comprend les Omar
mécanismes, les processus, les relations et les institutions complexes au moyen Belkheiri**
desquels les citoyens et les groupes articulent leurs intérêts, exercent leurs Mohammed
droits et assument leurs obligations et auxquels ils s’adressent afin de régler Bensaïd**
leurs différends » (PNUD, Rapport mondial sur le développement humain Karima
1997). Ghazouani**
Dans cette optique, la gouvernance démocratique prend appui sur trois Abid Ihadiyan**
principes essentiels : * Université
– l’accès libre à l’information publique, aux documents administratifs, Mohammed V-Agdal,
aux règles de fonctionnement et de gestion des établissements publics Rabat.
** Université
(principe de Transparency) ; Abdelmalek Essaâdi,
– la responsabilité des décideurs et contrôle de l’action publique (principe Tanger.
d’Accountability) ;
– la participation des citoyens et de la société civile (ici dans le domaine
économique), amélioration des capabilities au sens d’A. Sen (principe
d’Empowerment).
Ce texte est dédié aux aspects économiques de la gouvernance
démocratique. Les indicateurs proposés ne sont pas limitatifs, mais
présentent plusieurs convergences avec le modèle standard d’évaluation
quantitative et qualitative des processus de transition démocratique, et, par
conséquent, ils sont susceptibles de favoriser les comparaisons internationales.
Ces indicateurs sont :
– le contrôle des dépenses publiques ;
– l’équité fiscale ;
– la transparence dans la passation des marchés publics ;
– la concurrence ;
– l’organisation et la représentation professionnelle et syndicale ;
– la négociation collective ;
– la responsabilité sociale de l’entreprise.

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Deux objectifs cumulatifs sont poursuivis : (i) partir d’indicateurs plus


ou moins mesurables (disponibilité de données et d’instruments factuels
de mesure) ; (ii) construire de nouveaux indicateurs pertinents induisant
un besoin de production de données et d’éléments d’informations
nouveaux.
Au plan méthodologique, l’approche s’inscrit dans une triple perspective :
– élaborer une définition normative de l’indicateur compte tenu des
« spécificités » liées à l’expérience de transition démocratique au Maroc ;
– indiquer les limites liées aux données disponibles, aux difficultés de
mesure, à l’absence de normes, etc.;
– préciser que l’objectif essentiel est de capturer, dans le processus de
transition démocratique au Maroc, les indices à la fois de progression et
de régression.
Contrairement aux conceptions fonctionnalistes ou managériales
réduisant la gouvernance économique à l’efficacité comptable et financière,
l’approche institutionnaliste, privilégiée ici, met l’accent sur le rôle des
institutions, comme construction collective, dans l’efficience de l’organisation
démocratique, la coordination des actions privées et publiques, la
rationalisation des procédures de prise de décision publique et de contrôle
des politiques économiques.

1. Contrôle des dépenses publiques


Les indicateurs relatifs au contrôle des dépenses publiques visent à faire
le lien, dans le temps, entre la qualité des différents contrôles et la
gouvernance démocratique. Etant donné l’importance que revêtent les
dépenses publiques, sur le plan à la fois économique et social, leur mode
de gestion ne peut être que révélateur de la substance de la gouvernance
qui l’encadre : une gestion socialement contrôlée des deniers publics
constitue, en l’occurrence, un indicateur pertinent de la transition
démocratique.
Les dépenses publiques correspondent à l’emploi des deniers publics.
Une utilisation rationnelle et conforme à des règles claires et légitimes de
ces deniers peut être source d’efficacité et de justice sociale et pourrait placer
le Maroc sur le chemin de la croissance et du développement économiques.
Il va sans dire que l’exécution des dépenses publiques revêt une grande
importance et qu'elle doit, par conséquent, être soumise à un ensemble de
règles juridiques et de procédures budgétaires bien précises.
Afin de s’assurer de la conformité de l’exécution par rapport à la
réglementation, il y a lieu de distinguer entre contrôle a priori et contrôle
a posteriori des dépenses publiques. Le contrôle a priori intervient lors de
la phase de l’engagement des dépenses et est exercé essentiellement par le
Contrôle des engagements de dépenses en la personne du contrôleur général,
des contrôleurs centraux, préfectoraux et provinciaux. Il s’agit d’un contrôle
administratif interne. Le contrôle a posteriori intervient, quant à lui,

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essentiellement au moment où toutes les opérations de recettes et de dépenses


publiques ont effectivement été réalisées. Ce type de contrôle est exercé
principalement par trois autorités : le Parlement qui exerce un contrôle de
type politique, la Cour des comptes qui assure un contrôle d’ordre judiciaire
et, enfin, l’Inspection générale des finances chargée du contrôle de type
administratif.
Une autre distinction importante est à faire entre contrôle de régularité
et contrôle de gestion, la tendance étant de s’orienter vers plus de contrôle
sur l’utilisation efficace des dépenses que sur leur simple régularité.
Deux types d’informations sont à rechercher : des informations d’ordre
qualitatif et d’autres d’ordre quantitatif. Les données qualitatives sont relatives
à la dimension juridique et aux comportements des décideurs. Jusqu’à quel
point les lois sont-elles respectées par les acteurs publics ? Existe-t-il un
cadre effectif de contrôle ou de sanction à l’encontre des agents
commettant différents types d’infractions et de fautes ? Quel est le degré
d’indépendance des instances de contrôle ? Qu’en est-il de leur
transparence ? Ont-elles les moyens et la possibilité de mener des actions
efficaces et effectives ?
Quant aux données quantitatives, il serait utile de collecter et
d’interpréter dans leur évolution les données chiffrées suivantes :
– le nombre de tournées d’inspection administratives effectuées sur une
année ;
– le nombre d’affaires et de recours soumis à la Cour des comptes ;
– le nombre et la portée des commissions d’enquête parlementaires en
relation avec le nombre d’affaires révélées.
Il est évident que pour ce qui est des informations qualitatives, en plus
de l’étude des textes régissant les institutions du contrôle des dépenses
publiques, des enquêtes pourraient constituer une source privilégiée, en
particulier pour tester l’applicabilité de ces textes, leurs failles, leurs limites
ou leur efficacité et pour dévoiler la réalité des comportements des acteurs
(administrateurs et candidats).
Les données quantitatives peuvent être recherchées auprès de la Cour
des comptes, de l’Inspection générale des Finances, des commissions
d’inspection internes aux ministères, des rapports annuels de la Commission
des finances du parlement et des rapports des commissions d’enquête des
deux chambres.
Il est clair que pour rassembler l’ensemble des données nécessaires à
l’observation de l’évolution du contrôle des dépenses publiques vers plus
ou moins de transparence, de responsabilisation, d’efficacité et de
participation de la société civile, de nombreuses difficultés et contraintes
surgissent qui sont relatives à l’accessibilité des informations, à leur fiabilité
et enfin à leur interprétation.
De nombreuses données sont aujourd’hui inaccessibles à l’exemple des
arrêts, des enquêtes et des rapports de la Cour des comptes. L’absence de

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transparence de certaines institutions est un obstacle qui limite le travail


de construction d’un indicateur quantifiable en matière de contrôle des
dépenses publiques. Il s’agit d’un obstacle institutionnel (sur lequel on
reviendra plus loin), qu’il ne faut pas confondre avec l’obstacle
méthodologique, technique et logistique, ayant trait à la masse d’informations
à recueillir et à traiter : est-il possible de mesurer l’ensemble des tournées
d’inspection administratives menées au sein de chaque ministère, wilaya,
région, collectivité locale, établissement public, etc. ? Il va de soi que le
problème gagne en complexité lorsque les deux obstacles se combinent, d’où
la nécessité d’élaborer une méthodologie à la fois appropriée et rigoureuse.
La construction d’indicateurs pertinents est fonction du système
d’information relatif à la gestion des deniers publics. Celui-ci est
aujourd’hui marqué à la fois par l’insuffisance, l’opacité et la dispersion
des données disponibles.
L’analyse menée ici porte sur le rôle de certaines instances de contrôle
et leur action. Elle insiste, pour chaque institution prise en compte, sur
les trois critères, évoqués plus haut, de la gouvernance démocratique : la
transparence, la responsabilité et l’efficacité et, enfin, la participation de
la société civile.
1.1. Le contrôle administratif
En matière de contrôle administratif des lois de finances, les principales
institutions sont l’Inspection générale des Finances (IGF), le Contrôle des
engagements de dépenses (CED) et la Direction des établissements publics
et des participations (DEPP), en plus du Trésor général.
La loi 61.99 du 23 avril 2002 fixe les nouvelles responsabilités des
ordonnateurs, des contrôleurs et des comptables publics et vise le
renforcement de leur responsabilité. Il faut mentionner ici que le dahir du
2 avril 1955 se limite à la responsabilité personnelle et pécuniaire des
comptables publics et que le décret royal du 21 avril 1967 portant règlement
général de comptabilité demeure muet sur la responsabilité des ordonnateurs,
des contrôleurs des engagements de dépenses ou encore des contrôleurs
financiers, ce qui rend complexe la mise en œuvre de leur responsabilité
en cas de faute de gestion. Avec la nouvelle loi, les responsabilités des
différents agents intervenant dans le processus de dépenses publiques
semblent plus clairement définies et séparées. Cette loi indique aussi les
droits de ces agents en cas de mise en cause de leur responsabilité. Mais il
n’est pas sûr qu’elle puisse dépasser les véritables limites de ses précédentes,
notamment en cas de couverture hiérarchique ou politique.
Une autre nouveauté concerne le contrôle financier des établissements
publics par le biais de la Direction des établissements publics et des
participations (DEPP). Jusqu’à une date récente, cette institution,
encadrée par le dahir du 14 avril 1960, avait pour mission d’exercer un
contrôle à la fois de type a priori (focalisé sur la régularité des dépenses

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des établissements en question) et ne concernant que les sociétés d’Etat


(entièrement propriété de l’Etat). La DEPP a, en théorie, d’autres missions
comme la surveillance du portefeuille public, la participation à la
rationalisation et à la restructuration des établissements publics, et, enfin
la normalisation comptable. Vu les nombreuses limites du dahir de 1960,
tant sur le plan de son contenu et de son étendue que sur celui de son
application, un projet de loi vient d’être voté par les deux chambres
introduisant un certain nombre de principes nouveaux, dont principalement
l’élargissement du contrôle à l’ensemble des établissements publics et la
diversification des modes de contrôle. En plus du contrôle a priori classique,
qui sera maintenu, seront introduits le contrôle d’accompagnement, le
contrôle dit conventionnel et le contrôle contractuel. Une nouvelle
classification dynamique (révisable) des établissements publics et semi-publics
devrait se faire en fonction des types de contrôle auxquels ils sont soumis.
Ainsi, pour qu’un établissement public puisse bénéficier du contrôle
d’accompagnement, il lui faudra remplir un ensemble de conditions (outils
de gestion et de contrôle de gestion adéquats, transparence des informations
et publication de rapports annuels dans le Bulletin officiel, etc.). Ce faisant,
le contrôle devrait s’exercer plus sur les résultats et les performances
économiques des établissements publics que sur les dépenses, l’objectif affiché
étant la responsabilisation et la rationalisation de la gestion de ces
établissements (une meilleure gouvernance économique). Eu égard à
l’ampleur des scandales et/ou la faillite de nombreux établissements publics
– CIH, BNDE, etc. – où les deniers publics ont été dilapidés et détournés
par dizaines de milliards de dirhams, il est devenu impératif d’agir sur le
cadre du contrôle des établissements publics afin de le rendre à la fois plus
efficace, plus contraignant et plus crédible. Mais là aussi, les textes et les
mesures à la marge ne suffisent pas : une véritable séparation s’impose entre
les sphères politique et administrative, d’une part, et la sphère économique,
d’autre part.
1.2. Le contrôle de la Cour des comptes
La Cour des comptes, instance judiciaire ayant pour charge d’assurer
le contrôle supérieur de l’exécution des lois de finances, est régie par la loi
n° 62-99 (promulgué le 13 juin 2002) formant code des juridictions
financières. Cette nouvelle juridiction se veut un outil dans la dynamique
de moralisation de la vie publique et dans la rationalisation et la sauvegarde
des deniers publics. Elle cherche à donner plus de poids au contrôle a
posteriori, à coordonner les différents types de contrôle, à instaurer un
mécanisme de contre-rapports, à rendre possible le recours en appel devant
une formation inter-chambres habilitée. Le code vise également une
responsabilisation accrue des différents agents d’exécution des dépenses
publiques. Le nouveau contrôle institué cherche à mettre l’accent
davantage sur l’efficacité que sur la simple conformité ou régularité, et ce

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par une meilleure définition du contrôle de gestion à réaliser et par son


extension aux organismes bénéficiant d’une gestion déléguée, aux
organismes de sécurité sociale, au contrôle de l’emploi des fonds publics
et au contrôle de l’emploi des fonds collectés sur appel à la générosité
publique.
Par ailleurs, le nouveau code des juridictions financières consacre une
organisation plus décentralisée de la Cour des comptes par l’institution des
cours régionales des comptes, avec possibilité de recours auprès de la Cour
des comptes, voire auprès de la Cour suprême. Par ailleurs, cette institution
se voit confier également une mission d’assistance et d’information du
gouvernement et du parlement.
Les rapports de la Cour sont confidentiels, mais il s’agit d’une
confidentialité de fait, qui n’est nullement inscrite dans les textes. Cette
confidentialité est bien respectée : il n’existe pas d’archivage accessible au
public ou aux chercheurs, qu’il s’agisse des arrêts de la Cour, de ses enquêtes
ou de ses rapports annuels.
Le Maroc, à l’instar d’autres pays arabes, s’est engagé devant
l'Organisation arabe des institutions supérieures de contrôle des finances
publiques (l’ARABOSAI) à rendre public son rapport annuel. Mais ce n’est
que dans la nouvelle juridiction qu’il est précisé que la publication se fera
au Bulletin officiel, la première étant prévue pour 2004.
Tout en soulignant que ces innovations vont dans le sens d’une plus
grande responsabilisation et efficacité de l’action des agents publics, la
question de la responsabilité pose celle du champ de son application. Or,
l’article 52 du nouveau code stipule que ne sont pas assujettis à la juridiction
de la Cour des comptes les membres du gouvernement et les membres de
la Chambre des représentants et de la Chambre des conseillers. Il n’y a par
conséquent nul changement par rapport à la loi n° 12-79 relative à la Cour
des comptes (art. 59). Il y a lieu de noter néanmoins que, contrairement
à la nouvelle loi, les membres de la Chambre des représentants pouvaient
subir un tel contrôle en cas de levée de leur immunité parlementaire. Les
membres du gouvernement, quant à eux, ne dépendent pas, en ce qui
concerne leur responsabilité d’ordonnateurs principaux, de la Cour des
comptes. Les ministres sont, en principe, politiquement responsables devant
le chef de l’Etat et le parlement, civilement et personnellement responsables
en cas d’irrégularité budgétaire et, enfin, pénalement responsables devant
la Cour spéciale de justice, en cas d’infractions. Or, ces différents registres
de responsabilité ne sont quasiment jamais mis en œuvre. De plus, la
responsabilité ne peut se limiter à l’aspect régularité dès lors que la question
de l’opportunité économique et sociale des dépenses engagées et de leur
efficacité dépasse de loin cet aspect et se trouve au cœur de la gouvernance
démocratique.
Aussi, une plus grande responsabilisation des responsables, condition
d’une plus grande efficacité de la Cour des comptes, présuppose-t-elle

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l’indépendance de celle-ci. Le Maroc, en tant que membre de l'Organisation


internationale des institutions supérieures de contrôle des finances
publiques (l’INTOSAI), adhère aux principes de la Déclaration de Lima,
parmi lesquels figure le principe d’indépendance de l’institution supérieure
de contrôle : « Les institutions supérieures de contrôle des finances publiques
ne peuvent accomplir leurs tâches de manière objective et efficace que si
elles sont indépendantes du service contrôlé et si elles sont soustraites aux
influences extérieures. » La déclaration précise que « l’établissement des
institutions supérieures de contrôle des finances publiques et le niveau
d'indépendance qui leur est nécessaire doivent être précisés dans la
Constitution ». L’indépendance de la Cour dépend de celle de ses membres
et de ses cadres supérieurs et doit, elle aussi, être inscrite dans la constitution.
Ainsi, « la méthode de nomination et de révocation des membres est fonction
de la structure constitutionnelle du pays en cause », et il en est de même
en ce qui concerne leur carrière professionnelle, les agents de contrôle devant
« être libres de toutes pressions que pourraient exercer les services contrôlés
et ne doivent pas être subordonnés à ces services ».
On est en droit de s’interroger sur le respect par le Maroc de ces règles.
La Constitution révisée en 1996 fait de la Cour des comptes une institution
constitutionnelle (voir les articles 96 à 99). De même, l’article 84 stipule
que « l'autorité judiciaire est indépendante du pouvoir législatif et du pouvoir
exécutif ». Mais, en même temps, il est précisé que les magistrats de la Cour
« sont nommés par dahir sur proposition du Conseil supérieur de la
magistrature ».
1.3. Le contrôle par le Parlement
Les rapports des commissions parlementaires et notamment de la
Commission des finances ainsi que les rapports des commissions d’enquête
sont publiés au Bulletin officiel, comme ce fut le cas du rapport de la
commission d’enquête sur les affaires du CIH (Crédit immobilier et hôtelier)
et de la CNSS (Caisse nationale de la sécurité sociale). La publication de
ces rapports constitue, au-delà des problèmes et obstacles rencontrés, un
pas en avant qu’il importe de souligner, même si l’action des commissions
parlementaires reste plutôt informative. De tels documents sont, en effet,
une source d’information sur l’action des parlementaires et sur les rapports
qu’ils développent avec les membres du gouvernement, constituant, de ce
fait, un instrument favorisant l’animation, au-delà de l’enceinte
parlementaire, du débat démocratique. C’est ainsi que le rapport 2003 de
la Commission des finances et de la croissance économique sur les lois de
finances dénonce l’immobilisme du gouvernement face aux phénomènes
de détournement d’argent constatés au sein d’un certain nombre
d’établissements publics par les commissions d’enquêtes parlementaires,
celles-ci allant jusqu’à réclamer une mise sous contrôle parlementaire de
ces établissements.

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Quant aux organes de contrôle publics, nombre de parlementaires ont


souligné le rôle important que joue l’Inspection générale des finances.
Toutefois, notent-ils, il est souhaitable, afin de renforcer son indépendance
et sa neutralité, de rattacher l’IGF au Premier ministre et de transférer à
l’instance parlementaire le pouvoir de désigner le contrôleur général.
Selon le ministre des Finances, les affaires de corruption et de malversation
remontent à un passé relativement lointain où le contrôle était absent, alors
que de nos jours le climat malsain est en passe de disparaître grâce à l’arsenal
de contrôle mis en œuvre par le gouvernement pour mieux encadrer l’action
des administrations. Cette réponse va à l’encontre de ce que rapportent de
nombreux parlementaires et entrepreneurs ainsi que la presse et plusieurs
acteurs de la société civile. Le ministre a, par ailleurs, fourni une réponse
plus précise sur les rapports de l’IGF relatifs aux inspections menées auprès
des administrations et établissements publics. Ces rapports sont envoyés
aux ministres et aux institutions concernés par le contrôle, qui sont tenus
de les prendre en compte. Plus particulièrement, lorsqu’il s’agit de rapports
comportant des contraventions en matière de discipline financière, c’est
la procédure légale qui est suivie : après le délai de réponse accordé aux
contrôlés, l’affaire est adressée à la Cour des comptes qui s’en charge selon
ses propres règles et procédures. En cas d’infractions graves, le ministre des
Finances renvoie l’affaire au ministre de la Justice.

Année Cour des comptes Justice Total


2000 10 1 11
2001 7 6 13
(au 31-10) 2002 6 — 6
Total 27 7 30
Rapport de la Commission des finances (2003).

Pour ce qui est de l’indépendance de l’IGF et de ses responsables, le


ministre considère qu’elle est consacrée et assurée par les textes organisant
cette institution. C’est dire que le gouvernement ne voit pas la nécessité
du changement réclamé par nombre de parlementaires.
Le Parlement, en raison de l’existence de dispositifs d’exception tels les
comptes spéciaux et les budgets autonomes, ne peut exercer qu’un contrôle
politique limité sur les lois de finance. En effet, grâce à la procédure des
comptes spéciaux, le gouvernement est en mesure de dissimuler le déficit
budgétaire en inscrivant certaines dépenses au titre de dépenses provisoires.
De même, les budgets autonomes permettent d’engager des dépenses hors
loi des finances.
1.4. Le contrôle par la société civile
Le Maroc a connu ces dernières années une montée en puissance de la
société civile. Plusieurs associations et ONG dénoncent, par différents

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moyens, l’inefficacité d’organes officiels comme le Comité national de lutte


contre la corruption mis en place par le gouvernement d’Alternance en 1999
et soulignent les limites des contrôles sur les dépenses publiques.
Transparency Maroc n’a pas cessé de souligner les écarts entre les
engagements des gouvernements successifs et la réalité de leurs actions :
« Malgré l’annonce officielle de la constatation de nombreuses malversations
dans la gestion des communes et des établissements publics, les poursuites
n’ont pas été engagées. Lorsque la justice a été saisie, la communication
n’a pas été au rendez-vous, confortant dans l’opinion publique l’idée que
ce sont les lampistes qui sont poursuivis et que l’ère de l’impunité n’est
pas encore révolue dans ce domaine. » (Rapport moral 2001).
Ce même rapport fait remarquer que « la déclaration du gouvernement
de donner une suite judiciaire au résultat de l’enquête de la commission
parlementaire sur l’affaire du CIH reste toujours sans application. Elle
témoigne à elle seule du traitement politique de ces affaires criminelles. »
Le rapport dénonce aussi l’existence de juridictions exceptionnelles comme
la Cour spéciale de justice, alors que le gouvernement reconnaît lui-même
la nécessité d’une profonde réforme en matière de législation sur la
corruption : « Notre position, comme celle de nombreuses associations,
demeure inchangée sur cette question primordiale. Nous considérons que,
par son existence-même, cette juridiction d'exception viole les principes
de l’égalité devant la justice, de la séparation des pouvoirs ainsi que les droits
de la défense. La corruption doit être traitée comme un crime de droit
commun, et pour cela il faut rendre aux magistrats le pouvoir de déclencher
les poursuites et les doter des moyens suffisants pour le faire. Jusqu’à présent,
la réforme de la Justice dont il est question dans les déclarations
gouvernementales reste en deçà des attentes des citoyens. Le rétablissement
de la confiance des citoyens dans leur système judiciaire est tributaire de
réformes législatives et de mesures concrètes qui rompent l’image d’une justice
qui manque d’indépendance, tant à l’égard du pouvoir politique que de
celui de l’argent. » (Ibid.)

2. Equité fiscale
La notion d’équité fiscale est prise ici au sens large, dépassant la vision
technique (équité horizontale et verticale). Elle constitue un indicateur
économique de gouvernance démocratique que traduisent les principes
d’égalité de traitement pour l’ensemble des contribuables, individuellement
ou par groupes homogènes, de transparence et de droit de contester l’impôt.
La justice fiscale est une situation idéale rendue possible (ou le contraire)
par le système fiscal en place (avec ses spécificités structurelles, historiques
et culturelles) et touchant aussi bien au principe même de l’existence de
l’impôt, son calcul (assiette, taux, exonérations, etc.) et son recouvrement
qu’aux possibilités de sa contestation. Par rapport à cet idéal, les
différentes composantes proposées de cet indicateur doivent pouvoir

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renseigner sur les avancées réalisées mais aussi sur les retards cumulés et
les régressions observées.
2.1. Recettes fiscales et produit intérieur brut
Cet indicateur met en évidence la relation, mesurée par le ratio recettes
fiscales / produit intérieur brut (RF/PIB), entre l’ensemble des prélèvements
fiscaux opérés par les autorités publiques sur l’économie et ce que cette
dernière a généré comme revenu.
De manière stricte, le ratio RF/PIB donne une indication sur
l’importance des recettes fiscales par rapport à la masse des revenus générée
par les différents secteurs d’un pays à l’occasion du processus de
production. Il permet d’apprécier l’ampleur de l’imposition : on parle alors
de « niveau de contribution au financement de l’action publique » ou plus
communément de « pression fiscale ». Ce ratio est utile pour comparer la
situation du Maroc par rapport à des pays voisins ou à situations économiques
similaires (approche internationale) et pour comparer les situations des
différentes branches de l’économie à l’intérieur du pays (approche
sectorielle).
La première approche s’inscrit dans une vision de concurrence fiscale
internationale. En effet, dans un contexte où la masse des impôts à payer
est de plus en plus appréhendée comme un facteur de compétitivité, ce ratio
rend compte d’une forme de justice fiscale vis-à-vis du reste du monde.
La seconde approche privilégie une entrée par grands secteurs, voire par
branches d’activités. Elle a pour objectif d’évaluer la contribution fiscale
de chaque secteur par rapport à sa contribution à la production nationale.
Le but est de déceler les disparités de la pression fiscale, si elles existent,
au niveau de ces secteurs. Techniquement, ce ratio serait : RF du secteur
« X » / PIB du secteur « X » et vise à mesurer et à comparer la charge fiscale
des différents secteurs par rapport à leur propre PIB.
Dans le cas du Maroc, cette approche est particulièrement intéressante
dans la mesure où des voix d’entrepreneurs s’élèvent de plus en plus pour
crier à « l’injustice » que subiraient leurs métiers respectifs alors que des
secteurs entiers, telle l’agriculture, bénéficient de manière « structurelle »
d’exonérations touchant des impôts principaux. De fait, le secteur agricole
profite depuis 1984 d’un traitement préférentiel. En 1998, il est imposé
à hauteur de 14 % du total des revenus qu’il génère contre un taux de pression
fiscale national de près de 21 % (taux calculé selon les données des ministères
des Finances et de l’Agriculture). Du point de vue de la justice fiscale, il
semble qu’il y ait bien une inégalité, quelle qu’en soit l’explication ou la
justification. Un élargissement de ce ratio à l’ensemble des secteurs et des
branches peut contribuer à l’amélioration de la justice fiscale au Maroc.
L’utilisation du ratio RF/PIB nécessite, toutefois, quelques précisions :
– sur le plan technique, les prélèvements obligatoires englobent, en plus
des impôts et redevances, l’ensemble des prélèvements dits sociaux (retraite,

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Indicateurs économiques de la gouvernance démocratique au Maroc

assurance maladies, etc.). Ce qui nécessite des actions correctives des données
pour procéder à des comparaisons sur des bases homogènes ;
– dans l’approche internationale, l’utilisation de ce ratio repose sur la
relation existant entre charge fiscale et décision d’investissement (la fiscalité
comme facteur d’attractivité). Toutefois, dans la mesure où le ratio suppose
que les différentes composantes de branches des économies à comparer soient
assujetties aux impôts, le secteur informel peut constituer un biais non
négligeable.
– en termes sectoriels, une limite majeure réside dans l’absence de données
relatives à la répartition sectorielle des différents impôts.
2.2. Simplification et harmonisation du système fiscal
On s’intéresse ici à recenser les mesures fiscales visant à simplifier l’impôt
ou à harmoniser deux ou plusieurs impôts comparables ou encore à
harmoniser un même impôt au niveau d’une filière ou d’une branche de
production. Ces mesures peuvent concerner aussi bien l’élaboration de
l’impôt et son calcul que les procédures et les conditions de son recouvrement,
ou encore le ou les taux appliqués. A l’opposé, il doit permettre de cerner
les différents aspects et cas de figure majeurs d’injustice que subissent les
assujettis en termes d’incohérence ou de double emploi.
L’indicateur a pour but d’observer l’évolution du système fiscal à travers
les objectifs suivants :
– lisibilité de l’impôt pour les contribuables ;
– équilibre et égalité de traitement des contribuables.
L’analyse des lois de finances (LF), relatant le processus de réforme fiscale
lancé depuis le milieu des années 80, fait apparaître des avancées en termes
de simplification et d’harmonisation du système fiscal en vue de le rendre
plus lisible pour le contribuable et applicable à l’ensemble des couches sociales
et des catégories socioprofessionnelles. C’est ainsi, par exemple, que les
barèmes relatifs à la taxe notariale applicable aux principaux actes ont été
ramenés à deux taux seulement (0,5 % et 1 %) (LF, 1996) ou encore que
certaines taxes ont été intégrées à l’impôt général sur les revenus (IGR).
C’est le cas de la taxe sur les profits immobiliers (TPI) et de la taxe sur les
profits sur cession des valeurs mobilières (TPCVM) qui, auparavant, étaient
traitées de manière isolée alors que les profits concernés étaient de véritables
revenus (LF, 2001). Notons également l’harmonisation des majorations de
retard entre le code de recouvrement et les codes fiscaux (LF, 2001).
En revanche, certaines mesures et certains impôts constituent un frein,
voire un recul, par rapport à cette tendance. C’est ainsi, par exemple, que
la loi de finance de 1995 a annulé l’obligation de déclaration du patrimoine
instituée en 1993 et qui devait renforcer les possibilités de contrôle et de
lutte conte la fraude fiscale. Par ailleurs, des impôts tels que la patente sont
dénoncés par les instances patronales comme constituant une taxation « anti-
économique » (CGEM, Rapport moral 2003) ou parce qu’ils génèrent des

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inégalités au sein de groupes homogènes (secteur ou branche d’activité).


C’était le cas de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), appliquée au sein du
secteur du tourisme avec des taux différents selon les activités.
Par ailleurs, l’indicateur, de par sa nature qualitative, porte sur le principe
d’égalité devant la loi, en l’occurrence fiscale. De ce fait, il présente deux
limites majeures :
– d’une part, l’analyse des lois de finances et des déclarations des
entrepreneurs comporte un biais lié à l’interprétation par les contribuables
du principe fiscal ;
– d’autre part, les opinions des chefs d’entreprises, diffusées par leurs
organisations ou par voie de presse, constituent certes une base
d’information mais qui doit être complétée par le recours à des enquêtes
ciblées et représentatives, c’est-à-dire tenant compte de l’hétérogénéité des
entreprises en termes de taille, de type d’activité, de marché, d’origine des
capitaux, etc.
2.3. Souplesse et réactivité du système fiscal
Il s’agit d’appréhender la capacité du système fiscal à s’adapter aux réalités
économiques des contribuables afin de ne constituer ni un facteur de blocage
ni un élément entraînant un dommage financier aux agents producteurs.
Autrement dit, l’objectif est de montrer en quoi le système fiscal progresse
(ou régresse) dans le sens d’un rapprochement des préoccupations
économiques des contribuables. Les objectifs sont de :
– veiller à atténuer, voire éliminer, les principes et règles fiscaux qui
entravent la bonne marche de l’économie (aspect procédural) ;
– introduire plus de souplesse dans la forme et le contenu des procédures
et dans la relation administration-contribuable.
Sur ce plan, plusieurs avancées peuvent être soulignées. C’est le cas
notamment des règles procédurales relatives au paiement de l’impôt sur
les sociétés (IS). Depuis 1995, l’excédent d’impôt versé est automatiquement
reporté, respectivement, sur les différents acomptes de l’année suivante. Si
un reliquat demeure après le dernier acompte, il est reversé au contribuable
dans un délai d’un mois à partir de l’échéance dudit acompte. Auparavant,
les entreprises devaient payer l’impôt de l’année et attendre de se faire
rembourser l’excédent de l’année précédente; ce qui portait préjudice à leurs
trésoreries (LF, 1995). Autre avancée, s’agissant de la TVA, de l’IS et de
l’IGR, les entreprises peuvent désormais rectifier leurs déclarations de bilan
par le biais de déclarations rectificatives (LF, 1997, 1998).
2.4. Voies et procédés de recours face à l’administration fiscale
L’indicateur a pour objectif de rendre compte de l’évolution des moyens
mis à la disposition des contribuables pour faire valoir leur droit de
contestation et d’explication avant de payer un impôt. Son élaboration se
fonde sur le recueil des critiques faites au système de recours en place. Il

36 Critique économique n° 13 • Eté 2004


Indicateurs économiques de la gouvernance démocratique au Maroc

se compose de deux volets. Le premier, d’ordre qualitatif, recense les voies


de recours ouvertes aux contribuables et suit leur évolution pour en
déterminer les avancées ou les reculs. Le second, d’ordre quantitatif, a pour
but d’appréhender l’avancement des affaires portées en recours : leur nombre
rapporté au nombre de contribuables, leur dénouement, etc.
Le suivi des dispositifs de recours fiscal à travers les dispositions légales
les concernant donne une idée sur la volonté de renforcer les droits des
contribuables. Mais, au-delà de l’intention, il importe d’aller plus loin en
scrutant les analyses publiées relatives au fonctionnement de ces instances
ou/et l’avis des instances représentatives des branches d’activités et des métiers.
Dans cette perspective, des commissions de recours fiscal à l’échelle
régionale et centrale ont été mises en place. La Commission nationale a
connu un renforcement de ses effectifs en vue d’augmenter sa productivité
et son efficacité, en passant, en 1993, à 5 magistrats, 18 fonctionnaires et
50 représentants des contribuables (LF, 1993), puis en 1998 à
25 fonctionnaires et 100 représentants des contribuables (LF, 1997, 1998).
Ses champs de compétence ont également été élargis pour englober aussi
bien les questions de droit que celles de fait (LF, 2003).
Par ailleurs on souligne une dépendance financière de la commission
nationale de recours fiscal vis-à-vis du ministère des Finances. Sur un autre
plan, l’examen des données relatives au nombre d’affaires déposées en recours,
leur dénouement, etc. apporte un éclairage supplémentaire sur l’efficacité
de ces commissions.
Enfin, la question du recours se pose également au niveau des impôts
locaux. Ces derniers sont en effet établis non pas par les autorités centrales,
mais par la régie des impôts au sein des communes insuffisamment
structurées pour organiser et traiter les doléances des assujettis.
L’indicateur de « recours face à l’administration fiscale » est au cœur de
l’approche « démocratique » de l’impôt, car la garantie du droit de contester
une décision d’impôt par le contribuable constitue un principe fondamental
d’équité.
Toutefois, l’élaboration d’un tel indicateur implique la nécessité
d’effectuer des enquêtes auprès des contribuables ayant procédé à des recours
afin d’analyser de plus près le fonctionnement du système en place et
d’évaluer ses avantages et inconvénients.
2.5. Information et relations avec le contribuable
Il s’agit d’observer les aspects liés à l’accueil et à la communication mis
en place par l’administration fiscale. Celle-ci semble avoir amorcé, depuis
quelques années, une mise à niveau en la matière comme en témoigne l’exemple
de l’administration des douanes dans le domaine des nouvelles technologies
de l’information et de la communication : instauration d’un site web à
l’intention des contribuables, individus et entreprises, qui, au-delà de la
fonction d’information, permet d’entamer des services administratifs.

Critique économique n° 13 • Eté 2004 37


N. el Aoufi, O. Belkheiri, M. Bensaïd, K. Ghazouani, A. Ihadiyan

Cependant, outre le problème de la transparence dans son application


au système fiscal, plusieurs défaillances sont mises en évidence, notamment
par les petits contribuables qui n’ont comme interlocuteur que le
percepteur (CGEM, Rapport moral 2003).

2.6. Indicateur relatif aux rapports Etat / collectivités territoriales


La bonne gouvernance comporte une série de principes liés à la gestion
des finances publiques. En termes de justice fiscale, elle pose le problème
de la décentralisation financière. Le transfert progressif des prérogatives de
l’action publique du niveau central aux collectivités soulève la question de
partage des recettes fiscales entre ces deux entités. On propose ici une
perspective ayant trait aux possibilités d’élaboration d’indicateurs relatifs
à l’équité fiscale dans la relation Etat-collectivités territoriales (communes,
régions). Ces indicateurs peuvent viser à apprécier l’équité en rapport avec
le degré de décentralisation territoriale. Ce dernier peut être mesuré par
le ratio dépenses locales / dépenses centrales ou encore revenus locaux /
revenus centraux. En revanche, l’appréciation de l’équité renvoie à l’analyse
des critères régissant le partage des ressources entres les deux entités
concernées. Au Maroc, une part importante du financement des
collectivités locales provient des transferts des taxes centrales (TVA
essentiellement). Cette situation ne laisse aux collectivités qu’une faible prise
sur les principaux impôts prélevés sur leur périmètre territorial. L’indicateur
peut également porter sur l’aspect transparence et échange informationnel
dans les relations Etat / collectivités. Les rapports de communication et
d’échange de données relatives aux sources financières restent encore inégaux
dans les pays en voie de développement en général, car l’Etat détient et
concentre l’information sur le montant de l’essentiel des impôts, ce qui rend
aléatoire la gestion budgétaire au niveau local.

3. Transparence dans la passation des marchés publics


L’objectif recherché à travers cet indicateur est de « mesurer » le degré
de transparence des procédures administratives et des pratiques des décideurs
lors de la passation des marchés publics. Par transparence, il faut entendre
la liberté d’accès à l’information publique, aux documents administratifs,
aux règles de fonctionnement et de gestion des établissements publics. Mieux
et également informés, les candidats au marché pourront, sur un pied
d’égalité, se préparer et s’organiser pour répondre à la demande de
l’Administration. Le marché public correspond à une procédure contractuelle
à laquelle l’Administration peut avoir recours pour réaliser, par exemple,
des travaux publics ou acquérir des fournitures. Il y a donc mise en relation
directe entre les décideurs publics (administrateurs, ordonnateurs,
comptables, contrôleurs, etc.), d’une part, et les entreprises (nationales ou
étrangères), d’autre part.

38 Critique économique n° 13 • Eté 2004


Indicateurs économiques de la gouvernance démocratique au Maroc

Deux types de données sont nécessaires à l’élaboration d’un tel indicateur.


Il s’agit d’abord d’informations qualitatives ayant trait à la dimension
juridique et aux comportements des décideurs. Les textes relatifs à la passation
de marchés publics et les aménagements des modes de passation sont-ils
sans faille ? Introduisent-ils plus de transparence et d’égalité des chances
pour les soumissionnaires aux offres publiques ? Jusqu’à quel point ces lois
sont-elles respectées par les acteurs ? Existe-t-il un cadre effectif de contrôle
et de sanctions à l’encontre du corrupteur et du corrompu ? Pour ce type
d’informations, les enquêtes peuvent constituer une source privilégiée
permettant de mieux dévoiler la réalité des comportements des acteurs
(administrateurs et candidats), sur la base de leur expérience et connaissance
du terrain.
Quant aux données quantitatives, les informations à collecter
concernent :
– le nombre de marchés passés sur une période donnée (annuelle, par
exemple) ;
– le nombre de participants à chaque offre publique ;
– le nombre de recours ou de réclamations relatifs à ces marchés ;
– le nombre de fois qu’un même candidat a remporté un marché public.
Cette dernière donnée peut s’avérer utile pour « débusquer » l’existence
de relations informelles pouvant lier l’administrateur à certains
soumissionnaires.
Ces données quantitatives sont en partie disponibles principalement
auprès du ministère des Finances et des tribunaux administratifs. Toutefois,
il y a lieu de souligner que de nombreuses données sont encore
aujourd’hui indisponibles en raison à la fois de l’absence de transparence
et/ou d’une défaillance organisationnelle. Ainsi, le nombre de recours ou
de réclamations relatifs aux marchés publics est difficile à établir car
l’information les concernant se trouve dispersée dans les sept tribunaux
administratifs que compte le pays et est difficile à collecter.
Pour examiner les liens existant entre transparence des marchés publics
et gouvernance démocratique, un suivi régulier, sur le long terme, du
comportement des décideurs publics en relation avec l’évolution du cadre
institutionnel est nécessaire.
3.1. Evolution du cadre juridique
En ce qui concerne la loi régissant la passation des marchés de l’État,
un « saut qualitatif » a été accompli par le décret n° 2.98.482 (30 décembre
1998) fixant les conditions et les formes de passation des marchés de l’Etat
ainsi que certaines dispositions relatives à leur contrôle et à leur gestion
(en remplacement du décret du 14 octobre 1976 qui a montré ses limites
face aux transformations économiques et sociales, tant internes qu’externes).
En effet, certains aménagements ont été introduits au niveau des
conditions, des formes et des procédures de passation des marchés publics.

Critique économique n° 13 • Eté 2004 39


N. el Aoufi, O. Belkheiri, M. Bensaïd, K. Ghazouani, A. Ihadiyan

Les objectifs affichés de la nouvelle législation sont les suivants : « assurer


la transparence dans la gestion des marchés publics ; garantir le libre jeu
de la concurrence dans l’attribution des marchés ; inciter à la performance
dans la préparation et l’exécution des commandes publiques ; garantir les
droits des entreprises soumissionnaires ; moraliser la gestion des marchés
publics ; simplifier les procédures et les règles régissant la gestion des marchés
publics ».
Ainsi, le décret du 30 décembre 1998 apporte, en comparaison avec le
décret du 14 octobre 1976, quelques améliorations qui se traduisent par :
– La suppression de l’adjudication dans ses deux formes, ouverte et
restreinte. Ce mode de passation s’est avéré peu efficace dès lors que le marché
est attribué automatiquement au soumissionnaire proposant le prix le plus
bas. Or, la qualité de la prestation et les garanties professionnelles sont des
critères primordiaux et souvent plus importants que le prix. Ce sont ces
critères qu’il faut prendre en considération dans le choix du candidat à retenir.
– La suppression du concours restreint. Les raisons de cette suppression
résident dans la nécessité de rendre toutes les procédures de passation des
marchés de l’Etat transparentes et fondées sur l’appel public à la
concurrence, d’autant plus que le concours, dans sa forme ouverte, permet
une sélection préalable des entreprises durant l’étape de l’admission des
candidats.
– L’abandon de l’entente directe, qui consiste à proposer à un candidat
d’adhérer à un contrat préétabli par l’Administration avec des spécifications
techniques prédéterminées, au profit de la négociation. Désormais, toutes
les clauses du marché, tant administratives que techniques, doivent faire
l’objet d’une discussion entre le maître d’ouvrage et plusieurs candidats en
vue d’aboutir à une dépense aussi efficace et avantageuse que possible pour
l’administration. Les principes de l’article 19 du code des marchés publics,
à savoir la transparence, l’égalité, la concurrence et l’efficacité, sont également
applicables à cette procédure négociée. En effet, s’il est permis au maître
d’ouvrage de ne pas recourir à la concurrence publique, il n’en demeure
pas moins contraint de faire jouer la concurrence en vue de satisfaire aux
règles régissant la passation des marchés de l’État. Il en est de même du
principe du meilleur rapport qualité/prix qui doit prévaloir dans tout achat
public.
– L’introduction d’une nouvelle procédure d’appel d’offres avec
présélection présentant un certain nombre d’avantages pour les maîtres
d’ouvrage. En effet, lorsque les missions à réaliser concernent des prestations
d’un certain niveau de complexité et nécessitent des compétences
particulières ou un matériel important, le maître d’ouvrage peut consulter
uniquement les entrepreneurs qu’il a sélectionnés au préalable et qui offrent
les garanties requises, notamment d’ordre financier et technique. Dans ce
cas, le souci majeur du maître d’ouvrage reste la qualité de la prestation et
les garanties professionnelles offertes par les candidats.

40 Critique économique n° 13 • Eté 2004


Indicateurs économiques de la gouvernance démocratique au Maroc

On est ainsi passé de 17 cas d’autorisation de recours aux marchés dits


d’entente directe dans l’ancien décret à neuf cas seulement de marchés dits
négociés dans le nouveau décret. Le passage de la notion de marché d’entente
à celle de marché négocié est un indicateur témoignant du souci du législateur
de rendre plus transparents de tels marchés. De plus, les maîtres d’ouvrage
sont tenus de motiver, par certificat, le choix du mode de passation choisi.
Par ailleurs, le décret de 1998 a apporté de nouvelles garanties aux candidats
et aux attributaires des marchés de l’Etat concernant les modalités de
publicité, les possibilités de retrait ou de changement des dossiers, le contrôle
des offres basses, les délais d’approbation, la diffusion immédiate et par
voie écrite des informations à l’ensemble des soumissionnaires, l’obligation
faite au maître d’œuvre de justifier ses décisions.
– Les modalités de publicité ont été revues. Ainsi, la publicité dans le
Bulletin officiel a été abandonnée et, dorénavant, le maître d’ouvrage doit
faire publier les avis d’appel d’offres ou de concours dans deux journaux
dont un de langue arabe et à diffusion nationale. En outre, le délai de
publication des avis a été prolongé, passant de 15 jours à 21 jours. De plus,
un délai minimum de 10 jours francs a été accordé aux concurrents pour
préparer et déposer leurs documents techniques.
– L’obligation faite aux administrations de publier, dans au moins un
journal à diffusion nationale, au premier trimestre de chaque année
budgétaire, un programme prévisionnel concernant les marchés projetés.
Le but est d’éviter que certaines entreprises, bien introduites, soient favorisées
par rapport aux autres sur le plan de l’information.
– Les candidats ont désormais la possibilité, avant la séance d’ouverture
des plis, de retirer et remplacer les dossiers qu’ils ont déposés.
– Les offres particulièrement basses ne sont acceptées qu’après
explications données par le soumissionnaire, l’objectif étant de sauvegarder
les intérêts à la fois des candidats qui, par inadvertance, commettent des
erreurs lors de l’établissement de leurs offres, et de l'Administration face
au jeu de concurrence par les prix.
– Le délai d’approbation qui, dans la réglementation antérieure,
continuait à courir tant que le soumissionnaire n’avait pas manifesté sa
volonté de se désister de son engagement vis-à-vis de l’Administration, est
devenu contraignant pour le maître d’ouvrage. En effet, si l’approbation
du marché n'est pas notifiée dans les 90 jours qui suivent l’ouverture des
plis ou la signature du marché négocié, l’attributaire se trouve
automatiquement libéré de son engagement vis-à-vis de l’administration
et a droit à la libération de son cautionnement provisoire. De manière
générale, toutes les offres ne sont valables que pendant ce délai.
– Lorsqu’il s’agit de communiquer des informations aux candidats,
l’administration doit les saisir en même temps et par les mêmes moyens,
afin d’éviter que certains candidats ne soient avantagés par rapport à d’autres.
Le moyen de communication préconisé par le texte est la lettre

Critique économique n° 13 • Eté 2004 41


N. el Aoufi, O. Belkheiri, M. Bensaïd, K. Ghazouani, A. Ihadiyan

recommandée avec accusé de réception. Il en est de même des


communications faites par les soumissionnaires et qui doivent être écrites.
– Les demandes d’éclaircissement formulées par les candidats doivent
recevoir une réponse de la part du maître d’ouvrage qui doit être
automatiquement répercutée sur l’ensemble des candidats ayant retiré le
dossier d’appel d’offres afin d’éviter la constitution de nouvelles asymétries
informationnelles. Cette diffusion de l’information doit se faire le jour-
même et par lettre recommandée avec accusé de réception. Il en est de même
lorsqu’il s’agit de visite sur les lieux, auquel cas le maître d’ouvrage doit
dresser un procès-verbal sur l’ensemble des informations obtenues par le
demandeur-visiteur et l’envoyer aux autres candidats.
– Les commissions d’appel d’offres sont tenues de fixer un règlement
de consultation informant les soumissionnaires sur les critères d’évaluation
des offres soumises. A cet égard, le maître d’ouvrage est dans l’obligation
de respecter les normes marocaines homologuées (et à défaut les normes
internationales) lors de la détermination des spécifications techniques ou
de la consistance des prestations. Les commissions sont aussi tenues d’afficher
dans les 24 heures, dans les locaux du maître d’ouvrage, les résultats de
leurs travaux.
– Les soumissionnaires non retenus ont le droit de demander (dans les
sept jours qui suivent leur information des résultats) au maître d’ouvrage
les motifs de l’élimination de leur offre. Cette nouvelle disposition est une
avancée importante puisque la réponse, que le maître d’ouvrage doit fournir
dans un délai ne dépassant pas 15 jours, peut constituer une pièce importante
dans toute demande d’annulation auprès du tribunal administratif.
Le législateur a également renforcé le contrôle de régularité et de gestion
des marchés publics, notamment par le CED et l’IGF. De nouvelles
dispositions spécifiques ont été prévues : pour tout marché dont le montant
dépasse un million de dirhams, le maître d’ouvrage est tenu de produire
un rapport d’achèvement relatant les conditions de déroulement du marché
et de l’adresser aux autorités compétentes. Lorsque le montant de la
transaction dépasse cinq millions de dirhams, un audit sur la préparation,
la passation et l’exécution des marchés est exigé et doit être transmis au
ministre concerné.
Au-delà de ces contrôles administratifs, les marchés publics sont soumis
au contrôle juridictionnel qui peut être exercé par les tribunaux
administratifs, la Cour des comptes et la Cour spéciale de justice.
La création des tribunaux administratifs (loi n° 41-90 du 10 septembre
1993) est en soi un progrès puisqu’elle protège mieux les soumissionnaires
dans la mesure où ces derniers peuvent désormais bénéficier d’une juridiction
à deux niveaux, les tribunaux administratifs et la Cour suprême, alors qu’ils
étaient auparavant soumis aux seuls jugements, du reste définitifs, de cette
dernière. Le nouveau système transforme la Cour suprême en cour d’appel
et permet une décentralisation appréciée par les acteurs concernés. Toutefois,

42 Critique économique n° 13 • Eté 2004


Indicateurs économiques de la gouvernance démocratique au Maroc

le travail des tribunaux administratifs reste marqué par l’insuffisance des


ressources humaines et matérielles en comparaison avec le nombre d’affaires
soumises qui ne cessent d’augmenter, surtout depuis l’instauration du
nouveau code des marchés publics. Le recours aux tribunaux administratifs
constitue ainsi une incitation aux administrations dans le sens d’une plus
grande transparence et vigilance. Notons enfin que les décisions des tribunaux
administratifs n’intervenant, en général, que bien après l’exécution du
marché, ne peuvent véritablement remettre en cause un marché et ne laissent
au demandeur que la possibilité de demander la réparation du dommage
causé.
L’action menée par la Cour des comptes en matière de marchés publics
n’est pour l’instant accessible qu’à travers le Code des juridictions financières
qui l’encadre (cf. supra). En particulier les ordonnateurs (sauf les
ministres), les sous-ordonnateurs et les responsables sont passibles de
sanctions en cas d’infraction aux règles de passation des marchés publics.
Des informations sur les cas concrets qui ont été soumis à (ou enquêtés
par) la Cour ne sont guère disponibles. Il faudra attendre l’année 2004 pour
pouvoir avoir accès aux rapports annuels de la Cour. Quant à la Cour spéciale
de justice, censée sanctionner les crimes de corruption, de trafic d’influence
et de détournements commis par les fonctionnaires publics, son statut est
de plus en plus remis en cause par la société civile. Cette dernière joue un
rôle non négligeable en matière de contrôle des procédures de passation
des marchés publics comme en témoigne l’action de Transparency Maroc.
Bénéficiant d’un contexte international favorable, l’action des ONG
constitue, en dépit de nombreux obstacles d’ordre institutionnel et
comportemental, un véritable adjuvant au renforcement de la gouvernance
démocratique.
3.2. Evolution des comportements
En dépit des améliorations apportées par le nouveau code, ce dernier
continue de souffrir de nombreuses limites. En effet, bien que certaines
techniques de fraude et de corruption aient été éradiquées, d’autres en
revanche semblent prospérer, reflétant ainsi la capacité des corrupteurs et
des corrompus à adapter leurs comportements aux nouvelles règles.
Selon une enquête réalisée par la Vie économique (n° 4228, 8 août 2003),
une des techniques les plus courantes consiste à limiter le nombre de
soumissionnaires informés en publiant par exemple les avis d’appel d’offres
dans des journaux à très faible audience et à des jours non ouvrables de la
semaine. De même, selon la technique des « soumissionnaires fantômes »,
le responsable des marchés informe son « prestataire attitré » de la date de
publication de l’avis d’appel d’offres. L’annonce étant faite quelques jours
seulement avant la date d’ouverture, les concurrents indésirables se trouvent
de ce fait automatiquement éliminés, les autres jouant le rôle de simples
« figurants ». Toutefois, cette dernière technique devient de plus en plus

Critique économique n° 13 • Eté 2004 43


N. el Aoufi, O. Belkheiri, M. Bensaïd, K. Ghazouani, A. Ihadiyan

impraticable en raison du contrôle plus sévère du délai courant entre la


publication de l'avis et la date d’ouverture des plis.
En conclusion, bien que le texte de 1989 ait cherché à introduire plus
de transparence, plusieurs failles demeurent, permettant aux fraudeurs
d’adapter leurs comportements aux contraintes imposées par la nouvelle
loi.
Une telle situation implique la nécessité d’une révision du code de 1998
afin de le rendre plus effectif, plus contraignant et plus général (il ne concerne
aujourd’hui que les administrations de l’Etat et n’englobe pas les
établissements publics).
Parmi les principaux réaménagements attendus, il y a lieu de souligner
la nécessité d’inclure dans le dahir instituant les tribunaux administratifs
le jugement en référé en matière de marchés publics en cas de non respect,
pendant le lancement des marchés, des principes de concurrence et de
transparence. Il est également proposé d’améliorer la constitution et le mode
de fonctionnement de la Commission nationale des marchés à la fois en
intégrant le secteur privé et en étendant son pouvoir de contrôle. La
Commission aurait ainsi pour nouvelle mission d’exercer le contrôle et
d’effectuer le suivi des marchés publics, en termes de réalisations, de normes
et de standards, d’audits et de recours. Mais ce changement annoncé est
loin d’être acquis dès lors que l’ensemble des composantes du gouvernement
ne semble pas y adhérer et notamment le Secrétariat général du
gouvernement dont dépend la Commission.

4. Concurrence
L’instauration de la concurrence et son utilisation comme élément
régulateur des différents marchés constituent un indicateur économique
pertinent d’appréciation du processus de transition démocratique.
(1) Dahir n° 1-00-225 de Le Maroc a adopté une loi sur la liberté des prix et de la concurrence (1)
2 rabii I 1421 (5 juin d’abord pour concrétiser les engagements pris dans le cadre de l’OMC en
2000) portant
promulgation de la loi matière de transparence, de non-discrimination, de loyauté commerciale ;
n° 06/99 sur la liberté des ensuite pour répondre à la nécessité d’harmoniser sa législation avec les règles
prix et de la concurrence. des pays de l’Union européenne dans la perspective de la zone de libre-
échange ; enfin par conviction que la concurrence constitue un principe
de régulation démocratique et permet une allocation plus équitable des
ressources productives.
(2) Le débat sur la La loi n° 06-99 (2) instaure des règles de transparence et d’équité dans
concurrence remonte à la le monde des affaires (liberté des prix, libre accès au marché, transparence
fin des années 80 et s’est
concrétisé par
et loyauté dans les transactions).
l’élaboration en 1989 du Elle combat la mise en place de structures nocives pour la concurrence
1er projet de loi en la (entente, abus de position dominante).
matière. De nombreuses Un Conseil a été créé par cette loi pour déterminer et apprécier la dose
versions lui ont succédé
jusqu’à la version adoptée de concurrence permettant le libre jeu de l’offre et de la demande sur les
par la chambre des différents marchés. Il a pour rôle de faire respecter le principe de libre

44 Critique économique n° 13 • Eté 2004


Indicateurs économiques de la gouvernance démocratique au Maroc

compétition entre les entreprises situées sur un marché déterminé et de représentants et la


chambre des conseillers
conserver à la concurrence son caractère loyal. en juin 2000.
A l’image de ce qui existe dans les législations d’autres pays, la loi
L’entrée en vigueur de la
marocaine prévoit aussi un dispositif d’exemption, voire de traitements loi a été fixée à une année
spécifiques (3). Il est indéniable que l’adoption de cette loi constitue une après la publication de la
avancée. L’analyse de différents indices de concurrence permet d’apprécier loi au Bulletin officiel
(6 juillet 2001). Cette
l’évolution du processus démocratique au Maroc en termes à la fois de phase transitoire a eu
progression et de régression. pour but de mettre en
place le cadre
4.1 Indices de progression institutionnel humain
nécessaire à l’application
4.1.1. Création d’un organe de consultation ouvert de cette loi mais surtout à
sa vulgarisation à l’aide
La loi n° 06/99 a créé un organe consultatif : le Conseil de la concurrence d’une campagne de
(article 14). Celui-ci exerce, outre son rôle consultatif, un rôle de conciliateur communication auprès
des opérateurs
entre les intérêts des opérateurs. La création d’un tel conseil constitue, à économiques.
plus d’un titre, une réelle progression.
(3) Article 8 de la loi
Tout d’abord, outre six représentants de l’administration (4), le Conseil n° 06-99 : dispositif
est composé de trois membres choisis pour leur compétence en matière d’exemption pour les
juridique, économique, de concurrence et de consommation, de trois pratiques et les accords
justifiés par un progrès
membres ayant exercé dans les secteurs de la production, de la distribution technique ou économique
et des services, nommés sur proposition des présidents de fédérations des susceptible d’être
différentes chambres de commerce, d’industrie, d’artisanat, d’agriculture profitable au
consommateur et un
et des pêches. Le président de ce conseil est pour sa part nommé par le traitement spécifique à
Premier ministre (5). certains accords entre
PME visant
Ensuite, de nombreux acteurs peuvent saisir le Conseil : le gouvernement,
l’amélioration de leur
le parlement mais aussi les organisations professionnelles, la société civile gestion.
et les tribunaux. (4) Six représentants de
Enfin, la procédure de délibération utilisée est contradictoire : le rapport différents ministères
est communiqué aux parties intéressées qui sont invitées à présenter leurs (Justice, Intérieur,
Finances, Secrétariat
observations dans un délai d’un mois. Elles peuvent demander à être général du gouvernement,
entendues par le Premier ministre. Les entreprises peuvent contester la Affaires générales du
décision de celui-ci et tenter un recours pour annulation pour excès de gouvernement, Plan).
pouvoir devant le tribunal administratif. Pour plus de transparence, la (5) Celui-ci, ayant en
décision du Premier ministre doit être motivée et faire l’objet d’une charge une autre
fonction, se trouve
publication au Bulletin officiel avec l’avis du Conseil. L’entreprise peut obtenir soumis aux règles
un changement d’avis émis par le Conseil et par l’autorité ministérielle si d’incompatibilité prévues
des preuves sont apportées que, au-delà du risque d’augmentation des prix pour les emplois publics !

ou de domination de marché, une concentration est avantageuse aux


consommateurs et à l’économie nationale.
4.1.2. Concertation dans l’élaboration des règles juridiques
Un autre indice de bonne gouvernance démocratique semble résider dans
le renforcement du rôle des instances consultatives. Différents partenaires
sont impliqués aux côtés de l’Etat pour donner des avis et des

Critique économique n° 13 • Eté 2004 45


N. el Aoufi, O. Belkheiri, M. Bensaïd, K. Ghazouani, A. Ihadiyan

recommandations avant toute prise de décision. Le Conseil de la


concurrence est aussi impliqué dans le processus d’élaboration des règles
juridiques. Il est ainsi consulté pour tout projet de loi ou texte
réglementaire instituant un régime nouveau ou modifiant un régime en
vigueur concernant la liberté des prix et la concurrence.
Une telle évolution du droit économique au Maroc est susceptible d’offrir
aux opérateurs économiques plus de garanties et d’inspirer, de ce fait, leur
confiance dans les institutions du pays.
4.1.3. Création d’un environnement favorable à l’application de la loi
La politique de la concurrence repose sur le droit, mais sa crédibilité
est fonction du degré d’application de la loi par les autorités administratives
et le pouvoir judiciaire. Le recours à la justice intervient en cas d’échec de
la procédure de conciliation. Les sanctions sont, dans tous les cas de figure,
du ressort de l’ordre judiciaire et sont déterminées en fonction de
l’importance de l’infraction et du préjudice subi par le marché ou par les
opérateurs (sanctions civiles, pénales, mesures conservatoires).
Les juges, chargés d’appliquer le droit économique, sont les arbitres du
jeu concurrentiel, de la loyauté des comportements et des transactions, de
la transparence des opérations financières.
Certes, depuis quelques années des réformes ont été mises en œuvre dans
(6) Loi sur les le domaine de l’environnement des affaires (6), de la justice, de la lutte
privatisations (loi 39-89 contre la corruption, etc. Le chemin à parcourir est cependant long et fort
dahir avril 1990 modifié
par la loi 45-94 dahir complexe.
février 95), loi 13-89
relative au commerce 4.1.4. Protection du consommateur
extérieur, loi 41-90 créant
les tribunaux La loi sur la liberté des prix et la concurrence a introduit la notion de
administratifs, loi 17-95 bien-être du consommateur et restitué au consommateur un droit
sur les sociétés anonymes, fondamental, celui de pouvoir choisir entre plusieurs produits en faisant
loi 5-96 pour SNC, en
commandite, aux SARL, jouer la loi de l’offre et de la demande et en appliquant l’adéquation
et aux sociétés de prix/qualité. Plusieurs mesures ont été prises concernant la publicité,
participation, loi 53-93 l’affichage et l’étiquetage des prix, l’interdiction du refus de vente et de la
instituant les tribunaux
de commerce, loi 15-95
vente conditionnée, la réglementation de la vente avec prime et la délivrance
formant code de de la facture. De plus, des normes relatives à la sécurité des consommateurs
commerce, loi 17-97 sur ont été rendues obligatoires.
la protection de la
propriété industrielle,
Le rôle des pouvoirs publics dans la protection du consommateur est
code des douanes. primordial, notamment dans certains secteurs tels que la sécurité
alimentaire, la sécurité des produits, les services publics, l’accès à la santé
et aux produits pharmaceutiques et aux biens de première nécessité. Le
consommateur peut réagir à tout dysfonctionnement et saisir la justice en
(7) Le nombre des cas de besoin. Les associations de consommateurs (7) peuvent aussi saisir
associations de le Conseil de la concurrence et se constituer, le cas échéant, partie civile
consommateurs est
encore très limité au pour obtenir réparation du préjudice subi par les consommateurs,
Maroc, et il serait conformément à l’article 99.

46 Critique économique n° 13 • Eté 2004


Indicateurs économiques de la gouvernance démocratique au Maroc

4.2. Indices de régression souhaitable qu'il se


multiplie car le rôle de
Le principe de la liberté des prix et de la concurrence est formulé dans telles associations dans le
succès et le progrès vers
l’article 2 de la loi qui stipule que les prix des biens des produits et services un Etat de droit est
sont librement déterminés par le jeu de l’offre et de la demande. Toutefois, fondamental.
ce principe est limité par deux exceptions où l’administration se réserve le
droit d’intervenir sur les prix pour des raisons économiques à caractère
structurel (monopole, absence de concurrence) ou conjoncturel (situation
de grande crise ou de catastrophe naturelle).
De nombreux secteurs comme l’agriculture, le secteur minier, les services
bancaires ou d’assurance sont réglementés et exemptés du droit de la
concurrence. Ces dérogations sont justifiées par les dysfonctionnements
du marché liés à la pénurie d’infrastructures créant des monopoles de
situation, au manque d’information entre producteurs et consommateurs
et au fait que l’Etat est dans certaines activités le seul opérateur.
Le processus de libéralisation des prix est tributaire des contraintes
structurelles de l’économie nationale. La prise en compte de l’intérêt du
consommateur suppose, en effet, que les monopoles publics ne puissent
pas se transformer en monopoles privés.
4.2.1. Une mise en œuvre progressive de la loi

Une trentaine de prix environ font l’objet aujourd’hui d’une


réglementation (farine de blé tendre, sucre, tabac, électricité, eau potable,
transport, produits pharmaceutiques, analyses médicales, honoraires
médicaux, etc.). Avant la fin de l’année 2003, cinq nouveaux produits
devaient voir leurs prix libéralisés (8). (8) Entre autres le
En l’absence d’un système de couverture sociale généralisée et compte poisson industriel,
les transports intérieurs
tenu du faible pouvoir d’achat moyen, les secteurs sociaux, les banques et (aériens, routiers).
les assurances ne peuvent être totalement libéralisés sans porter préjudice
aux catégories les plus défavorisées de la population.
C’est ainsi que des réglementations graduelles et flexibles ont été élaborées
en concertation avec les représentants des différentes professions pour aboutir
à une libre fixation des prix chaque fois que les conditions du marché le
permettent (9). C’est le cas du secteur des produits pharmaceutiques : en (9) Ces dossiers sont
janvier 2004, une nouvelle réglementation est appliquée à l’ensemble de discutés régulièrement
dans des comités de mise
la profession reposant sur une double indexation des prix (indice du coût à niveau qui se réunissent
de la vie et taux de change pour 50 % de l’indexation chacun). tous les mois avec le
ministre chargé des
Dans le secteur céréalier, ensuite, de nombreuses filières ont été libéralisées Affaires générales et des
depuis 1989, à l’exception du blé tendre : une politique de « ciblage » a pôles de mise à niveau.
été adoptée (quotas, prix maximum, subventions) en faveur des catégories
les plus démunies ne subissant pas de hausse du prix du pain. Elle n’a pas
manqué, dans la pratique, d’être détournée, notamment au profit des
minotiers.

Critique économique n° 13 • Eté 2004 47


N. el Aoufi, O. Belkheiri, M. Bensaïd, K. Ghazouani, A. Ihadiyan

4.2.2. Limites liées à l’indicateur


L’indicateur de concurrence comporte une série de limites :
– La première est liée aux données disponibles : le décret d’application
de la loi date de septembre 2001, mais, à ce jour, la structure administrative
du Conseil n’est pas encore opérationnelle, et aucun bilan d’activité n’a encore
été déposé, les rapporteurs n’ayant toujours pas été désignés. La loi sur la
liberté des prix et de la concurrence étant appliquée depuis janvier 2003
seulement, aucun indice de performance (nombre de cas traités, de sanctions
prises, nature et classification des infractions, nombre de notifications de
concentration, etc.) n’a, par conséquent, pu être estimé à l’exception de
quelques pratiques anti-concurrentielles qui ont été dénoncées dans certains
secteurs (transports, télécommunications, boissons, énergie, sociétés de
distribution) et de trois dossiers de concentrations notifiés dans le domaine
des boissons gazeuses et alcoolisées, du papier et carton et de l’imprimerie.
– Une seconde catégorie de limites a trait aux difficultés de mesure, de
délimitation du marché et de contrôle.
En termes de délimitation du marché, il faut, dans un premier temps,
déterminer le marché concerné et mettre en évidence la restriction de
concurrence imputable à l’entente. La délimitation d’un marché de biens
ou de services peut concerner deux niveaux différents. Au niveau sectoriel,
c’est la substituabilité des produits et services au regard de la demande des
consommateurs qui est analysée. Sur le plan géographique il faut
déterminer la zone territoriale au sein de laquelle s’exercent les effets
d’entente. Dans un second temps, il importe de démontrer que la restriction
de concurrence observée est imputable à l’entente constatée.
En termes de contrôle, la loi sur la concurrence privilégie le contrôle
économique au recours à la répression : « Il faut percevoir les abus, flairer
les ententes. » Les contrôleurs doivent avoir la capacité d’apprécier une
situation anti-concurrentielle.
En troisième lieu, la collecte d’informations nécessaires au contrôle émane
de sources différentes (ministère des Affaires économiques, ministère du
Commerce et de l’Industrie, ministère de l’Intérieur, etc.). Cette dispersion
rend fastidieux le travail de collecte et de contrôle.
– Enfin, il existe des limites liées à l’absence de normes : les
comportements anti-concurrentiels étant difficiles à définir, l’apport
théorique, aussi important soit-il, ne saurait remplacer les enseignements
tirés de la pratique quotidienne et de la jurisprudence. La loi existe, le décret
d’application aussi, mais le Maroc manque d’expérience en la matière.
Un effort de formation, d’information et de pédagogie à destination
des opérateurs économiques privés et publics, des associations
professionnelles, des magistrats, mais aussi des services de contrôle et des
consommateurs est indispensable.
Une nouvelle culture économique doit supplanter les comportements
contre-productifs associés à la concurrence déloyale, aux privilèges et aux
positions rentières.

48 Critique économique n° 13 • Eté 2004


Indicateurs économiques de la gouvernance démocratique au Maroc

La loi se doit d’instaurer un environnement concurrentiel, mais régulé,


permettant à tous les agents économiques d’user de la liberté sans en abuser.

5. Organisation et représentation professionnelles et syndicales


L’indicateur relatif à l’organisation et la représentation professionnelles
et syndicales a pour objectif de déterminer le niveau de développement des
relations sociales, en général, et des relations professionnelles au sein de
l’entreprise, en particulier. Il permet de rendre compte de l’Etat, à un moment
donné, du dialogue social entre les partenaires sociaux, et de mesurer
l’efficience des mécanismes et procédures institutionnels de résolution des
conflits collectifs.
La construction d’un tel indicateur composite implique une série de
conditions d’ordre factuel, notamment l’existence de donnés régulières et
fiables sur :
– la conflictualité sociale (nombre de conflits, de grèves, mobiles des
conflits, fréquence, amplitude et durée des grèves, etc.) et les modes de
résolution utilisés par les partenaires sociaux ;
– la part des « procédures institutionnelles » dans la gestion des conflits
collectifs ;
– le nombre d’accords d’entreprise et de conventions collectives conclus
par les partenaires sociaux ;
– le niveau de la représentation professionnelle et syndicale.
Il y a lieu de souligner que les données et les statistiques disponibles
relatives à ces différents éléments sont partielles et marquées par une forte
porosité, ce qui implique une mise à niveau du dispositif d’information
statistique et d’élaboration d’outils appropriés d’observation des relations
sociales, des configurations des partenaires sociaux, de leurs stratégies et
comportements, etc.
Dans le présent rapport, on se limitera à un examen de la situation
organisationnelle des acteurs sociaux et de la problématique que pose le
niveau de représentativité des différentes organisations patronales et
syndicales. Parallèlement seront suggérées quelques perspectives ayant trait
à l’élaboration d’indicateurs pertinents en matière de gouvernance
démocratique des relations professionnelles dans notre pays.
5.1. L’organisation patronale
La « mise à niveau » structurelle et organisationnelle de la Confédération
générale des entreprises du Maroc (CGEM), créée en 1941, date de 1995
et notamment de l’assemblée générale extraordinaire du 28 juin 1995. Cette
restructuration profonde fut impulsée par le discours royal du 16 mai 1995,
la CGEM ayant été jugée trop peu représentative et peu efficace dès lors
que le pays est confronté à une rude concurrence internationale liée aux
engagements signés en 1994 par le Maroc avec l’Union européenne.

Critique économique n° 13 • Eté 2004 49


N. el Aoufi, O. Belkheiri, M. Bensaïd, K. Ghazouani, A. Ihadiyan

Les modes de fonctionnement et d’intervention de la CGEM ainsi que


sa représentativité, se sont par la suite nettement améliorés. En effet,
n’employant, avant 1994, guère plus de quatre cadres, le « système CGEM »
s’est doté depuis d’une structure fonctionnelle et d’un staff administratif
permanent.
La confédération, qui compte aujourd’hui 25 fédérations, 1 867 entreprises
adhérentes et 91 associations affiliées représentant plus de 15 000 entreprises,
est financée par les cotisations des membres et les dons.
La nouvelle organisation s’articule autour de fédérations sectorielles,
de commissions spécialisées et d’unions régionales.
– Les fédérations sectorielles examinent des questions d’ordre catégoriel
ou vertical, encadrent les activités par secteur ou branche et informent les
adhérents de leurs activités et actions.
– Les commissions étudient les questions de nature horizontale. Les neuf
domaines essentiels sélectionnés ont conduit à la constitution de neuf
commissions : la commission sociale, la commission de la formation, la
commission économique et financière, la commission juridique, la
commission fiscale, la commission de mise à niveau et de modernisation
des entreprises, la commission des relations internationales, la commission
d’accueil et d’assistance à l’investissement et la commission de
l’environnement. En plus de ces commissions, un comité permanent traite
de la question de l’éthique et un conseil de médiation a pour mission de
régler à l’amiable les différends qui lui sont soumis.
– Les unions régionales, actuellement au nombre de huit, regroupent
les activités et entreprises relevant d’une même région économique. Elles
sont conçues comme les entités les plus à même de saisir les spécificités
régionales et de les répercuter au niveau central.
La CGEM a lancé en 1995 une stratégie de communication autour du
mot d’ordre d’« entreprise citoyenne » et articulé sa stratégie sur l’objectif
de « la compétitivité globale » dans un contexte marqué par une trop faible
mobilisation des entreprises. En effet, outre l’enjeu de mise à niveau des
entreprises, la CGEM a été confrontée à deux problèmes majeurs liés à
l’étendue de sa représentativité et aux limites de son efficience
organisationnelle, d’une part, à la nature historiquement conflictuelle des
relations avec les syndicats, d’autre part.
Certes, la CGEM constitue le principal représentant du patronat
marocain (d’autres groupements existent tels l’Union générale des
entreprises et des professions et, plus récemment, le Mouvement des
entreprises du Maroc), mais sa base, circonscrite dans les grandes villes,
n’a pas toujours été « disciplinée », contestant parfois ses orientations et
décisions (voir, à titre d’exemple, la réaction de la fédération du textile-
habillement face à la décision de valorisation du SMIG contenue à la fois
dans la Déclaration commune du 1er août 1996 et dans l’Accord social du

50 Critique économique n° 13 • Eté 2004


Indicateurs économiques de la gouvernance démocratique au Maroc

30 avril 2003, celle-ci ayant déclaré n’être pas tenue d’appliquer la mesure
que stipulent les deux accords de revaloriser de 10 % le SMIG.
La réforme des statuts, de l’organisation et des structures, mise en oeuvre
en 1995, a permis la création de la fédération des PME-PMI, celles-ci étant
prépondérantes dans le tissu productif national.
Un audit stratégique externe portant sur l’image, la mission et les services
de la CGEM a permis d’identifier un certain nombre d’axes de
développement. On y trouve principalement le renforcement de l’assise
financière, la rénovation du fonctionnement des instances, l’accélération
du programme de mise à niveau des entreprises, la professionnalisation de
la politique de communication de la Confédération et la modernisation
de son système d’information ainsi que l’intégration de nouvelles
compétences.
En projetant d’étendre le champ de ses activités, tout en les recentrant
sur la défense des intérêts des employeurs, la CGEM espère élargir sa base,
devenir plus efficace et acquérir plus de légitimité. La poursuite de la
restructuration organisationnelle et stratégique de la confédération et son
adhésion aux nouvelles règles du jeu en matière de négociation collective
est cependant tributaire de l’émergence d’une « nouvelle culture
professionnelle » fondée non pas sur la défiance mais sur la confiance et
la coopération.
Par ailleurs, si la Confédération patronale a, dans le passé, souvent pu
peser sur la décision des pouvoirs publics en matière de politique
économique, c’est en grande partie en raison de son rôle de « groupe de
pression » qu’elle s’est efforcé de jouer depuis l’indépendance. Un tel rôle a
été facilité, notamment, par les liens organiques (personnels, familiaux,
clientélistes, etc.) qui se sont noués, à travers l’histoire longue, entre la catégorie
des « hommes d’affaires », d’une part, et l’administration et la structure du
Makhzen, d’autre part. Il s’agit de liens de dépendance des premiers par rapport
aux seconds, traduisant en dernière analyse et, au-delà, une mainmise du
pouvoir politique sur l’ensemble de la sphère économique (financière, bancaire
et industrielle). De ce fait, les décisions économiques majeures prises depuis
l’indépendance ont été plus ou moins l’occasion d’un réaménagement du
rapport de force entre le pouvoir politique et les fractions de la bourgeoisie
suivi d’une redistribution d’actifs au sein la classe capitaliste (marocanisation
de 1973, campagne d’assainissement de 1996, à titre d’exemples).
Certes, les politiques de libéralisation entreprises depuis 1983
(Programme d’ajustement structurel, mise à niveau) n’ont pas manqué de
desserrer l’emprise de l’Etat (en particulier du système du Makhzen en son
sein) et de conférer à la CGEM l’opportunité d’amorcer un processus
d’autonomisation du monde des affaires par rapport au politique, voire de
dépassement de la logique de lobbying vers une démarche en termes d’acteur
collectif représentatif des intérêts du patronat et de ses différents
segments. Si un tel affranchissement de la CGEM par rapport à la tutelle

Critique économique n° 13 • Eté 2004 51


N. el Aoufi, O. Belkheiri, M. Bensaïd, K. Ghazouani, A. Ihadiyan

de l’Etat a, certes, profité du contexte favorable de la mondialisation, il


n’en demeure pas moins qu’une véritable séparation des deux sphères de
pouvoir reste tributaire d’une série de facteurs :
– les progrès accomplis en matière de transition démocratique en général
et dans le domaine de la séparation des sphères de pouvoir en particulier ;
– le rôle de l’Etat (et non du Makhzen) dans l’élaboration et la mise en
œuvre de dispositifs institutionnels et incitatifs favorisant l’émergence d’un
véritable acteur collectif patronal, autonome et représentatif ;
– la capacité de la CGEM à poursuivre sa transformation d’un organe
de défense d’intérêts limités en un groupement ayant pour mission non
seulement la défense des intérêts de l’ensemble des entreprises et des
entrepreneurs marocains, mais aussi et surtout de se doter de moyens
organisationnels et cognitifs lui permettant de contribuer de façon active
à la définition et à la conduite d’une stratégie de développement fondée
sur l’initiative privée, la promotion de l’esprit d’entreprise, l’élargissement
des bases du système productif national, le renforcement des conditions
de création des entreprises, d’articulation entre les branches et les secteurs,
la modernisation des relations professionnelles, etc.
Ce dernier facteur, lié à l’organisation et au degré atteint par la
représentativité de la CGEM, renvoie à deux problèmes étroitement liés :
le premier a trait au développement du corporatisme au sein de
l’organisation patronale et le second à l’effectivité des engagements pris au
niveau national par les instances dirigeantes.
En effet, d’une part, la structuration de la CGEM par intégration de
fédérations de branches se traduit par une asymétrie organisationnelle,
certaines fédérations ayant une position prépondérante par rapport à d’autres
(cas, par exemple, de la fédération du textile- habillement et de la fédération
du tourisme par rapport à la fédération des PME/PMI). Ce qui n’est pas
sans altérer le principe de prise de décision démocratique au niveau central
et, surtout, favorise des comportements de « dissidence » par rapport aux
engagements pris par le bureau (cas déjà évoqué de l’AMITH).
D’autre part, une telle tendance au développement de pratiques
corporatistes, susceptibles par ailleurs de déboucher à terme sur un éclatement
de la CGEM et/ou l’émergence d’un pluralisme patronal, est, toutes choses
étant égales par ailleurs, tout sauf favorable à une gouvernance démocratique
de l’économie privée, dans la mesure où une telle situation tend à rendre
le principe du dialogue social peu crédible aux yeux des autres partenaires
sociaux et, par conséquent, à légitimer les comportements de défiance chez
les salariés, en général, et les centrales syndicales, en particulier.
5.2. Les syndicats
Trois centrales syndicales (sur 17 existantes) dominent le paysage syndical
national : Union marocaine du travail (UMT), Union générale des travailleurs
du Maroc (UGTM), Confédération démocratique du travail (CDT).

52 Critique économique n° 13 • Eté 2004


Indicateurs économiques de la gouvernance démocratique au Maroc

L’indicateur de représentativité est fourni par les résultats obtenus aux


élections des délégués du personnel de 1997 : l’UMT (20 % des élus), la
CDT (15 %) et l’UGTM (10 %) contre plus de 50 % de « sans appartenance
syndicale ». Le ratio électeurs/élus fait apparaître une déformation défavorable
au secteur privé. En termes de députés élus par les grands électeurs (délégués
du personnel des secteurs privé et public) à la Chambre des Conseillers
(composée pour 2/5e par les représentants des syndicats et du patronat),
la CDT arrive en tête suivie de l’UMT et de l’UGTM.
Les données relatives à l’effectif des adhérents sont à la fois approximatives
et difficiles à vérifier : entre 200 000 et 1 million, soit un taux d’adhésion
(adhérents /population syndicale) variant entre 6,7 % et 33 %. Les secteurs
couverts par l’action syndicale sont le secteur privé formel (1,2 million de
salariés employés dans 7 500 entreprises inscrites à la CNSS), 120 000 salariés
dans les entreprises publiques et 840 000 travaillant dans la fonction publique.
Le nombre de salariés « touchés » par le syndicalisme est estimé à quelque
trois millions sur une population active occupée de près de 9 millions de
travailleurs, soit un taux de syndicalisation de l’ordre de 33 %.
L’action syndicale est tiraillée entre deux approches divergentes. La
première, défendue par l’UMT, prône l’autonomie par rapport au
politique en général et aux partis politiques en particulier. La seconde est
celle de la CDT et de l’UGTM qui ont, dès l’origine, établi un lien organique
privilégié avec, respectivement, l’Union socialiste des forces populaires
(USFP) et l’Istiqlal.
Toutefois, on a pu constater une démarcation, voire un positionnement
critique notamment de la CDT vis-à-vis du gouvernement d’Alternance
(1998-2002) : en 2002, la centrale syndicale a appelé deux fois à la grève
générale.
De même, l’action de l’UMT ne fut pas toujours motivée par des
considérations purement syndicales : estimant les « règles du jeu biaisées »
en matière de dialogue social, elle n’a pas signé la Déclaration commune
du 1er août 1996 et a choisi une stratégie non-coopérative ou de type exit
par rapport au gouvernement d’Alternance.

6. La négociation collective
La négociation collective au Maroc demeure jusqu’à présent une
procédure résiduelle de régulation des relations professionnelle. Plusieurs
raisons peuvent être invoquées :
– une configuration historique des relations sociales fondée sur la
résolution des conflits collectifs par le recours au rapport de force et à la
puissance publique (ministère de l’Intérieur) utilisant la plupart du temps
la « violence légitime » dans un souci sécuritaire ;
– l’absence d’un cadre institutionnel incitant les partenaires sociaux à
privilégier les procédures de négociation : médiation, conciliation, arbitrage,
etc. ;

Critique économique n° 13 • Eté 2004 53


N. el Aoufi, O. Belkheiri, M. Bensaïd, K. Ghazouani, A. Ihadiyan

– une faible organisation des entreprises par secteurs et branches, ces


deux espaces constituant le niveau optimal de la négociation collective ;
– l’absence au sein des entreprises, y compris les plus grandes, de
structures fonctionnelles destinées à gérer les processus de négociation
collective. Au-delà, les syndicats comme la CGEM ne sont guère mieux
dotés en dispositifs, techniques et routines de négociation collective. Ce
qui se traduit par une absence de stratégie et d’approche en matière de gestion
institutionnelle des conflits collectifs et, de ce fait, débouche la plupart du
temps sur une dégénérescence de la situation de tension et le déplacement
du conflit de son niveau local (entreprise) au niveau national.
C’est précisément le poids prépondérant de l’Administration (ministère
de l’Intérieur), déjà souligné, dans la régulation des relations sociales, poids
dicté par des considérations de sécurité, qui offre une base « rationnelle »
à une telle préférence des partenaires sociaux pour une « montée » des conflits
vers le niveau national, celui-ci étant considéré comme autrement plus
« visible » que les échelons locaux.
Parallèlement, on observe depuis plusieurs années une prolifération
d’accords informels conclus en dehors du cadre juridique canonique. De
même, les négociations collectives ont tendance à se développer sous forme
d’accords atypiques.
Dans le cadre de l’Accord social du 30 avril 2003, les partenaires sociaux
ont convenu d’intégrer, dans la nouvelle législation du travail, des dispositions
portant sur l’harmonisation de la législation nationale avec les conventions
internationales concernant les libertés syndicales (convention n° 78) et la
protection des délégués des salariés (convention n° 135).
De même, les signataires de l’accord se sont engagés à œuvrer de concert
« à promouvoir la conclusion de conventions collectives, à organiser des
campagnes d’information et de sensibilisation, à institutionnaliser le dialogue
social à travers la mise en place de structures nationales et locales, de nature
à consacrer la culture de la concertation ». Il importe de souligner que, depuis
le milieu des années 90, le Maroc connaît une montée en régime des tensions
sociales ayant fait perdre à l’économie nationale, pour les seules années 1999,
2000 et 2001, respectivement 369 377, 414 742 et 249 042 journées de
travail. Au cours de l’année 2002, le nombre total de journées de travail
perdues s’élève à 135 458 pour un total de 237 grèves déclenchées dans
172 entreprises contre 927 grèves évitées dans 697 établissements. La même
année a connu la signature de 52 protocoles d’accord dont 45 conclus au
cours de conflits n’ayant pas dégénéré en grève, contre 7 en situation de
grève ouverte.
L’ampleur des conflits collectifs s’explique, fondamentalement, par les
distorsions sur le marché du travail et la montée des licenciements induites
par les processus de libéralisation et de privatisation. Dans une telle situation
et en l’absence d’une régulation institutionnelle de l’emploi et des relations
professionnelles, la flexibilité du travail, recherchée par les entreprises comme

54 Critique économique n° 13 • Eté 2004


Indicateurs économiques de la gouvernance démocratique au Maroc

moyen privilégié d’adaptation aux changements conjoncturels, tend à


s’imposer, dans la réalité du travail, au-delà de la loi. De fait, l’examen des
motifs de déclenchement des grèves met en évidence une prédominance
des mobiles liés à la non-application de la législation du travail (fermetures
sauvages d’entreprises, licenciements sans autorisation administrative
préalable, retards dans le versement des salaires, entraves à l’implantation
ou à l’action syndicale).
La flexibilité du travail a fini par être « légalisée » dans le nouveau code
du travail, même si, afin d’éviter les abus en matière d’utilisation des contrats
à durée déterminée, elle a été assortie d’une série de conditions sévères :
un contrat à durée limitée, dans les secteurs non agricoles, est transformé
en contrat permanent après deux années de renouvellement. Dans le cas
de contrat d’une durée d’un an, le renouvellement ne peut avoir lieu qu’une
seule fois sous peine d’être transformé en contrat à durée illimitée. De même
un contrat de six mois (secteur agricole) devient permanent au bout de trois
renouvellements. En cas de transfert d’un salarié, sous contrat indéterminé,
d’un service à un autre ou d’un poste à un autre, l’entreprise ne peut revenir
sur ses droits et avantages acquis. Autre disposition allant dans le sens d’une
codification de la flexibilité : la période d’essai en contrat illimité ne peut
dépasser les trois mois pour les cadres, un moi et demi pour les employés
et 15 jours pour les ouvriers.
Par ailleurs, le licenciement collectif et la fermeture totale ou partielle
d’entreprises, pour des raisons économiques, technologiques ou structurelles,
continuent d’être conditionnés par l’« autorisation préalable du gouverneur ».
Une indemnité pour perte d’emploi est prévue selon le barème suivant :
96 heures de salaire pour les cinq premières années d’ancienneté,
144 heures de salaire pour 6 à 10 années d’ancienneté, 192 heures entre
11 et 15 années d’ancienneté, 240 heures pour un salarié ayant cumulé plus
de 15 ans de travail. Quant aux indemnités en cas de licenciement abusif,
elles ont été fixées, dans la limite d’un plafond de 36 mois, à un mois et
demi de salaire par année travaillée.
A l’origine, c’est dans la Déclaration commune du 1er août 1996 qu’a
été amorcé le processus d’organisation des relations professionnelles sur la
base du principe du dialogue social entre les partenaires sociaux. Et afin
d’octroyer à ce dernier un caractère procédural, le législateur a défini les
mécanismes et les outils susceptibles d’opérationnaliser le principe de
dialogue social et de le transformer en dispositif de négociation collective :
redynamisation des conventions collectives, réactivation des procédures de
conciliation et d’arbitrage, recherche d’équilibre entre droit de grève et
libertés syndicales, d’une part, liberté du travail et « intégrité de
l’entreprise », d’autre part.
L’ensemble de ces principes fut réitéré par l’Accord social du 23 avril
2000 (Accord du 19 moharram) et par l’Accord du 21 avril 2003. Ce dernier
précise en outre qu’un compromis a pu être trouvé entre les partenaires

Critique économique n° 13 • Eté 2004 55


N. el Aoufi, O. Belkheiri, M. Bensaïd, K. Ghazouani, A. Ihadiyan

sociaux sur les « points litigieux » qui avaient, par le passé, bloqué la
promulgation du nouveau code du travail. De fait, celui-ci fut voté au
Parlement en juillet 2003 (loi n° 65-99) mettant un terme à une situation
structurelle de « déconnexion légale », c’est-à-dire de dissonance entre le
droit et le fait dans le monde du travail.
C’est dans le livre 2 du code du travail que le principe de négociation
collective est affirmé : celle-ci est institutionnalisée et mise en harmonie
avec les dispositions de la convention internationale (n° 98) de 1949 sur
« le droit d’organisation et de négociation collective ». Les négociations
collectives, désormais obligatoires et annuelles (d’autres délais pouvant être
fixés dans le cadre de conventions collectives), sont organisées au niveau
de l’entreprise et du secteur. Elles peuvent également se dérouler au niveau
national dans un cadre tripartite entre le gouvernement, le patronat et les
syndicats. L’objectif essentiel des négociations collectives est à la fois
d’améliorer les conditions de travail et d’organiser les relations
professionnelles. Un conseil de négociation collective est prévu par le code
dont le rôle est de promouvoir les conventions collectives. En effet, depuis
1957 (dahir du 17 avril) et en dépit de la création en 1960 d’un conseil
supérieur des conventions collectives, une trentaine seulement de
conventions collectives ont été conclues dans les secteurs des banques, du
pétrole, des transports et des sucreries. Deux tentatives (vaines) en 2000
de relancer le recours des partenaires sociaux aux conventions collectives :
la réunion du conseil supérieur des conventions collectives qui ne s’est pas
réuni depuis plus de vingt ans et la tenue d’un colloque tripartite sur les
conventions collectives.
La codification du principe de négociation collective (notamment son
caractère obligatoire) constitue une avancée fondamentale en matière de
démocratisation et de modernisation des relations professionnelles. De même,
le niveau entreprise et secteur correspond au choix du législateur de
décentraliser la négociation collective.
Parallèlement, le code prévoit un réaménagement du système de contrôle
par l’inspection du travail : simplification de la procédure de transmission
des procès-verbaux qui peuvent désormais être directement envoyés au
Parquet sans passer par l’administration centrale ; contrôle et vérification
des dispositions des conventions collectives (livre 5).
Enfin ont été formalisés et institutionnalisés les modes de règlement
des conflits collectifs, c’est-à-dire notamment la conciliation et l’arbitrage.

7. La responsabilité sociale de l’entreprise


La notion de responsabilité sociale de l’entreprise renvoie à l’exigence
en matière de gestion des ressources humaines de prendre en compte les
nouvelles contraintes liées à l’éthique et à l’équité dans le travail et la
production. En effet, de nos jours plusieurs stakeholders, autres que les
actionnaires et les dirigeants, sont concernés par le type de management

56 Critique économique n° 13 • Eté 2004


Indicateurs économiques de la gouvernance démocratique au Maroc

des entreprises et ses formes de régulation : salariés, représentants du


personnel, clients, fournisseurs, collectivités territoriales, société civile, etc.
Au Maroc, la restructuration de la CGEM en 1995 s’est faite autour
du principe d’« entreprise citoyenne » impliquant une redéfinition des
rapports Etat-économie en général et Administration-entreprises en
particulier.
La responsabilité sociale correspond aux nouvelles normes mises en avant
en 1998 par le Bureau international du travail (BIT) dans une « Déclaration
sur les droits fondamentaux » (que tous les Etats-membres sont tenus
d’appliquer même s’ils n’ont pas ratifié les conventions correspondantes)
affirmant l’engagement à « respecter, promouvoir et réaliser de bonne foi » :
– « la liberté d’association et la reconnaissance effective du droit de
négociation collective des travailleurs et des employeurs,
– l’élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire,
– l’abolition effective du travail des enfants,
– l’élimination de la discrimination en matière d’emploi de profession ».
C’est sans doute en référence à cette déclaration que le nouveau code
du travail a introduit une série de dispositions visant à engager la
« responsabilité sociale » de l’entreprise marocaine :
– l’âge minimum pour travailler a été fixé à 15 ans (au lieu de 12 ans
auparavant) (livre 2) ;
– le statut des syndicats professionnels et des délégués du personnel a
été défini, ainsi que l’organisation des comités d’entreprise et de la
représentation syndicale au sein des entreprises (livre 3). C’est, en effet, la
première fois qu’un texte institutionnalise la représentation syndicale, en
correspondance de phase avec la législation internationale.
Les problèmes sur le terrain sont toutefois complexes : ils se posent,
comme il a été souligné plus haut, d’une part, au niveau de l’effectivité du
droit, les entreprises n’ayant pas intériorisé les liens existant entre
responsabilité sociale et efficience économique. D’autre part, les
enchaînements macro-économiques à l’œuvre au Maroc continuent de
privilégier une régulation concurrentielle du rapport salarial fondé sur les
avantages comparatifs liés aux bas salaires.
C’est précisément dans cette optique que le recours au travail des enfants
de moins de 15 ans continue de perdurer, notamment dans le textile-
habillement. Estimé en 2000 à près de 500 000, le nombre des enfants mis
au travail demeure important, bien qu’il ait marqué une nette diminution
de plus de trois fois depuis les années 90, suite aux pressions et interventions
conjuguées de l’Unicef et du BIT (en particulier le programme IPEC pour
l’abolition du travail des enfants).
Selon l’enquête annuelle de la direction de la Statistique sur l’activité,
l’emploi et le chômage en milieu urbain, 90 % des enfants ont entre 10 et
14 ans et 10 % ont moins de 10 ans.

Critique économique n° 13 • Eté 2004 57


N. el Aoufi, O. Belkheiri, M. Bensaïd, K. Ghazouani, A. Ihadiyan

C’est l’extrême pauvreté des familles qui les conduit à placer leurs enfants
dans une entreprise. Toutefois, les rémunérations versées aux travailleurs
mineurs sont en moyenne modiques, voire nulles : un enfant sur deux perçoit
un salaire inférieur au Smig, un sur trois est payé en nature (90 % en milieu
rural). La durée du travail est également peu conforme à la loi (48 heures
par semaine ramenées à 44 heures dans la nouvelle législation du travail) :
plus d’un enfant sur deux travaille plus de 50 heures par semaine. Les enfants
sont soumis à des conditions de travail difficiles et à des risques liés
notamment aux « pires formes de travail » : 59 % sont exposés à l’épuisement
musculaire, 60 % portent des charges supérieures à 5 kg et 39 % subissent
des violences physiques et verbales. De façon générale, le travail réservé aux
enfants ne leur offre aucun apprentissage et se limite à des tâches répétitives.

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