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LA DYNAMIQUE DU DEVELOPPEMENT LOCAL

Les choix du Beaufortain

Expériences et témoignages
recueillis et mis en forme par Hugues de Varine

2005

2
Un grand merci à :

Lucien Avocat

Edith Blanc-Mappaz

Franck Bon-Mardion

Denise Favre

Hubert Favre

Frédéric Frison

Brigitte Joguet

Pascal Meunier

Christelle Nantermoz

Yves Paris

Janine Sochas

Anne-Marie Teraube

Elisabeth Viallet

Martine et Léopold Viallet

Ils ont apporté leur mémoire, leurs expériences, leur patience à la construction de ce
livre, qui est une œuvre collective comme l'a été le développement du Beaufortain

…et pardon à eux et à tous les habitants du Beaufortain pour les erreurs qui n'ont
pas manqué de se glisser encore dans le texte malgré tant de bonnes volontés…

3
SOMMAIRE

Introduction 5

Mise en perspective : le Beaufortain et ses racines 11

Le Beaufortain 14

La chronologie 28

La complexité 32

Les acteurs 45

L'animation 66

La culture 81

La communication 95

La formation 108

L'aménagement du territoire 120

L'organisation 134

Mise en prospective : le Beaufortain, quel avenir ? 157

Bibliographie sommaire et adresses 168

Les fiches pratiques se trouvent à la fin de chaque chapitre.

4
INTRODUCTION

Pourquoi le Beaufortain ?

Cet ouvrage, dans l'esprit de la collection "Décision Locale", part d'une expérience
grandeur nature pour en déduire des éléments de méthode susceptibles de nourrir la
réflexion des acteurs publics et privés du développement, qu'ils soient élus ou
fonctionnaires, stratèges ou techniciens, militants ou chercheurs. On espère aussi
intéresser de nombreux citoyens soucieux de comprendre les enjeux du
développement de leur lieu de résidence ou même de participer aux programmes de
ce développement. Et bien sûr nous nous adressons aux étudiants de toutes
disciplines qui se préparent à assumer un jour des responsabilités dans le
développement d'un territoire.

Selon la règle de la collection, nous aurions voulu que les acteurs eux-mêmes
s'expriment et apportent leur contribution à la recherche constante de solutions.
Nous leur avons demandé de s'adresser ainsi en professionnels à des collègues qui
partagent le même intérêt pour l'objectif de développement global, socialement
responsable, des territoires qui leur sont confiés. Ils n'ont pas souhaité le faire
directement et ont préféré la médiation d'un écrivain public, pour assurer la mise en
forme de ce qu'ils avaient à dire.

Pourquoi le Beaufortain a-t-il été choisi comme exemple privilégié d'un processus de
développement rural ? Certes, il s'agit d'un territoire particulier, de moyenne et haute
montagne, ce qui entraîne des contextes, des problèmes et des situations
spécifiques. C'est-à-dire que les solutions trouvées et les outils créés ne seront pas
reproductibles tels quels ailleurs. C'est sans doute mieux ainsi, car il n'existe pas de
modèles ou de règles absolues en matière de développement local et c'est à chaque
territoire de répondre à ses propres questions. D'ailleurs, comme on le verra, si le
Beaufortain n'a jamais rien copié, il s'est fortement inspiré de pratiques qu'il est allé
chercher ailleurs, dans l'espace français et européen.

5
Le Beaufortain, et c'est sans doute ce qui le qualifie le mieux pour entrer dans cette
collection, suit un processus volontaire et continu de développement depuis près de
quarante-cinq ans. Cela signifie que trois générations au moins se sont succédé
dans la prise de responsabilités actives au service de ce développement, sans pour
autant s'écarter du chemin et des objectifs tracés au départ.

De plus, ce processus a été porté, de façon équivalente et complémentaire, par trois


catégories d'acteurs, elles mêmes emmenées par trois leaders principaux, couvrant
respectivement les champs politique, communautaire et économique. Cela lui donne
cet équilibre qui manque trop souvent dans les stratégies de développement plus
orientées sur l'économique et la résolution de problèmes de nature technique,
administrative ou financière, où encore qui suivent les idées personnelles, fortement
subjectives et souvent biaisées, d'un leader unique que l'on nomme volontiers
charismatique.

On trouvera donc, dans la suite des chapitres, un exposé à plusieurs voix qui seront
surtout celles de ces trois principaux acteurs dont l'action s'est déroulée ou se fait
sentir tout au long de ces trois générations. Cela fait du Beaufortain un cas sans
doute unique en France, car il ne semble pas que l'on trouve ailleurs, sur une aussi
longue période, une équipe cohérente et soudée, capable d'assurer la continuité du
regard, des principes, de la rigueur dans l'analyse et dans la répartition des tâches.

Ces trois acteurs (Maxime Viallet est disparu en 2004 et c'est son entourage qui a
été consulté en plus de l'enregistrement d'un interview radiophonique) apparaissent
ici comme les témoins d'une histoire dont ce livre n'est que le modeste reflet. Mais ils
ne sont pas les seuls et ce sont tous les Beaufortains qui ont porté et vécu cette
histoire. Plusieurs d'entre eux ont même revu et corrigé le texte qui suit, ce qui lui
donne une qualité collective rarement atteinte dans notre collection.

6
Vers une définition du développement local

Il est intéressant de se demander quelle définition nos trois acteurs principaux


donnent, chacun en ce qui le concerne et à partir de sa position dans le processus
du développement.

Pour Lucien Avocat, ancien maire et conseiller général de Beaufort, c'est "apporter
sa pierre à l'édifice communautaire et participer à sa gestion en concertation avec les
habitants, engagés de préférence dans la vie associative".

Pour Hubert Favre, fondateur et ancien président de l'Association d'animation du


Beaufortain (AAB), c'est "permettre aux gens du pays, s'ils le souhaitent, de rester
chez eux et de profiter de l'apport extérieur de personnes qui viennent s'y implanter."

Pour Maxime Viallet, ancien responsable cantonal du syndicalisme agricole et


membre fondateur de la Coopérative de Beaufort, à partir de ses écrits et du
témoignage de son épouse, Elisabeth Viallet, elle-même militante et partie prenante
dans toute l'histoire récente du Beaufortain, c'est "cette prise en charge du milieu par
le milieu lui-même", et donc "une réussite d'hommes", "un exemple de l'efficacité des
rapports humains, établis dans la confiance, sur un plan d'égalité réciproque et du
respect des hommes". Et il ajoute: "la chance se met souvent du côté de ceux qui
osent forcer le destin."1

On pourrait multiplier les définitions du développement local, sans jamais parvenir à


un consensus. Il est sans doute plus facile de chercher à faire une liste des principes
qui ont inspiré la démarche du Beaufortain et de ses acteurs, pour arriver, en les
combinant, à constituer en quelque sorte un lexique du développement.

1
Ces citations de Maxime Viallet sont tirées de discours ou d'articles, successivement et dans
l'ordre ci-dessus: Session nationale CMR-Arras, 9 et 10 mai 1992; "L'expérience du beaufort: quelles
conclusions pour l'agriculture de montagne", article de 1992; discours lors des 20 ans de l'Union des
producteurs de beaufort, 1985; bulletin de l'association des ingénieurs du GREF, 6 octobre 2000.

7
Des principes simples et de bon sens

Il suffit d'en donner la liste sans les commenter, tant ils sont élémentaires et évidents.
Cependant, on se souviendra qu'il ne s'agit pas ici de notions théoriques; ils ont été
formulés à la suite d'une réflexion sur les pratiques des acteurs du développement
en Beaufortain.

Car ceux-ci ont agi à partir de situations réelles et tous ces principes sont clairement
déduits de l'expérience. Les voici:

- avant tout cultiver le bon sens, chez soi et chez les autres

- ne jamais agir seul: toute réflexion, comme toute action, doit être collective

- faire se rencontrer les gens pour créer un enrichissement réciproque et des


interactions génératrices de solutions et d'initiatives

- aller chercher le savoir et le savoir faire des gens, pour leur faire produire toute
leur efficacité

- se prendre en mains, sans jamais attendre des solutions apportées toutes faites
de l'extérieur

- éveiller, entretenir et afficher la confiance dans les gens et dans leurs capacités
de participer et d'agir

- rester soi-même

- toujours rechercher, promouvoir et renforcer l'homogénéité du territoire, et


susciter un sentiment d'appartenance chez ses habitants au-delà des
particularismes locaux et de l'individualisme

- s'attacher à l'héritage et le valoriser, pour le faire fructifier, en le modernisant, à la


lumière de la prospective

- enfin garder l'esprit ouvert et aider le hasard, pour saisir toutes les opportunités

8
La chasse à l'opportunité

Nous retrouverons ce dernier principe tout au long de cet ouvrage et dans chacun de
ses chapitres. De nombreux exemples en seront donnés.

Car c'est une des caractéristiques du Beaufortain et de ses responsables, celle


d'avoir toujours recherché et exploité les opportunités qui se présentaient. De
nombreux exemples en seront donnés. Dans cette vallée, autant et sans doute plus
qu'ailleurs, des stratégies et des plans ont été élaborés, des calendriers ont été plus
ou moins respectés, des contrats ont été passés avec l'Etat ou le département, etc.
Mais jamais on n'a laissé passer une opportunité qui se présentait, parfois sous les
formes les plus inattendues et sans rapports avec les projets en cours ou à l'étude.

Quelqu'un entend parler de quelque chose, en parle autour de lui, et la personne la


mieux placée, aussitôt, lance la candidature du Beaufortain, avec la ferme volonté
d'aboutir, ou bien encourage une idée, un porteur de projet. Qu'il y ait résultat positif
ou non n'a pas vraiment d'importance. On ira jusqu'au bout de toute manière.

Tout se passe comme si on se disait: "Un vrai succès sur deux ou trois opportunités,
c'est mieux que de ne rien saisir. Donc on verra bien ce qui se passe, mais c'est une
chance et ce serait trop dommage de ne pas essayer."

Cela implique une veille de tous les instants, une surveillance de l'information, une
animation des réseaux de chacun, l'écoute des personnes rencontrées, associées à
une forte curiosité et à une grande capacité d'imagination (et d'optimisme).

La chasse à l'opportunité est un grand jeu auquel tous peuvent participer.

9
Note pour la lecture

Les chapitres qui suivent recherchent, sur certains thèmes de développement, les
enseignements que l'on peut tirer de l'histoire des 45 dernières années du
Beaufortain et de ses dynamiques de développement. Il ne s'agit pas d'une
monographie du développement d'un territoire particulier, mais d'une réflexion a
posteriori sur des méthodes et des démarches. Une bibliographie est donnée chaque
fois que cela paraîtra utile.

Certains aspects ou certains domaines ne sont pas abordés, ou le sont indirectement


(comme l'emploi ou l'économie): il ne faut pas prendre ce livre comme un manuel de
plus, mais plutôt comme une boîte à idées.

Parce que chaque chapitre doit pouvoir être lu séparément et pour assurer la clarté
du texte sans multiplier notes et renvois, on a conservé de nombreuses répétitions,
particulièrement lorsque un concept ou un exemple présente un intérêt pour
plusieurs thèmes.

Chaque chapitre est suivi d'une fiche pratique, qui invite le lecteur, par des
questionnaires ou des tableaux, à réfléchir aux différents thèmes traités, à partir de
son propre territoire et de sa propre situation (étudiant, chercheur, élu, agent de
développement, fonctionnaire territorial, militant associatif). Il n'y a pas de "corrigé"
pour ces fiches ! Ce sont des exercices de simulation dont l'un des objectifs est de
démontrer au lecteur les différences et les ressemblances entre son cas personnel et
celui des gens dont nous allons parler.

Pour le reste, la réponse à vos questions ne peut être trouvée que sur place, en
Beaufortain ou chez vous…

10
MISE EN PERSPECTIVE HISTORIQUE
André Palluel-Guillard
Professeur honoraire d'Histoire contemporaine
Université de Savoie

Pourquoi s'intéresser au Beaufortain ? Ce "pays" n'a pas eu une histoire


particulière, on y a peut-être vu des Romains ou tout au moins des Gallo-romains (le
dénommé Lucius aurait ainsi donné son nom à Hauteluce) mais le reste est bien
imprécis et bien incertain. Des châteaux médiévaux, on en a mais bien abîmés et
avec des seigneurs assez "quelconques", de belles églises mais en fait rien
d'extraordinaire par rapport aux bâtiments de Tarentaise ou du Faucigny. Bien sûr, il
y a cette originalité d'avoir vécu jusqu¹au XIV° siècle en stricte relation politique avec
le Faucigny et de ce fait d'être entré assez tardivement dans la mouvance des
comtes puis des ducs de Savoie. Quant au reste, bien des légendes comme le
passage de Gargantua et celui, presque aussi douteux, d'Henri IV et de ses "folies".
Bref rien d'extraordinaire et à même de susciter l'intérêt des amoureux de la Savoie.
Et pourtant !

En effet, a contrario, s'il est bien difficile d'échapper à l'attrait de ce "massif", encore
faut-il préciser qu'il a fallu pour cela y rencontrer des touristes qui n'apparurent ici
qu'au début du XX° siècle avec la construction de la route d'Albertville et bien sûr les
automobiles nécessaires pour y arriver sans peine. On y admirait (on y admire
encore) surtout la beauté des paysages, des alpages, des forêts, des lacs de
montagne, des beaux chalets locaux mais en dépit de l'évidence de ces
appréciations, il importe ici aussi de les relativiser puisqu'elles se retrouvent dans
bien des régions de Savoie (et d'ailleurs). Force est donc de chercher encore plus
profondément l'intérêt du Beaufortain.

En fait, comme cela arrive souvent, l'explication est simple car évidente: la vraie
gloire du massif réside d'abord et avant tout dans ses habitants. Non pas que ceux-ci
soient particulièrement meilleurs que leurs compatriotes provinciaux ou même
nationaux, même si depuis le XVIII° siècle les témoins se sont tous rejoints sur la
particulière beauté des femmes locales. Néanmoins quelques éléments sont

11
essentiels à relever: en Savoie l'intérêt des communautés d'altitude repose sur le
contrastes avec celles des fonds de vallées ou de l'avant-pays; nous sommes ici
dans des terroirs de grandes dimensions, loin des petites communes du Petit Bugey
ou du Genevois, d'où la possibilité pour chaque famille de disposer (sans forcément
les posséder) de terres, sinon suffisantes, du moins utiles pour sa survie.
Pas de moines ici, peu de propriétés nobles, donc finalement la plus grande partie du
terroir revient à ses habitants, même si la hiérarchie sociale nous révèle
d'importantes inégalités entre une minorité de grands alpagistes et une majorité de
pauvres hères. Il n'empêche que hormis les périodes de crise (épidémies, guerres ou
mauvaises récoltes), la prospérité ou l'aisance semble régner. La vente des
communaux pour payer les affranchissements au XVIII° siècle, puis pour payer les
grands travaux d'aménagement au siècle suivant n'ont pas modifié ces données
sociales et matérielles, d'autant que l'on était aidé ici par le commerce du bétail (des
bovins comme des mulets) et du fromage qui assurait à une grande partie de la
population à la fois une évidente ouverture culturelle, une habitude des affaires et
bien sûr de beaux profits. Certes on pouvait trouver cela aussi dans bien des vallées
alpines mais peu de celles-ci présentaient sans doute autant de possibilités.
Les grosses maisons de Saint Maxime de Beaufort2 mais aussi les grands chalets
des différents hameaux témoignent de la puissance de ce groupe de "coqs de
village" qui ont perduré jusqu¹au XX° siècle. Les défauts ne leur manquaient pas
mais cette élite fut assez douée pour encadrer la société locale et lui assurer une
efficace et utile permanence de méthodes et de valeurs. Bien sûr cela supposait de
conserver un certain isolement et d'ignorer l'émigration qui, de majoritairement
temporaire, devenait, lentement et irrémédiablement, définitive.

Les guerres, mais aussi l'attrait des villes et des richesses rapides, vidaient le
Beaufortain même de ses meilleurs éléments de sorte que les atouts traditionnels
quantitatifs et qualitatifs se perdaient irrémédiablement. Il était loin le temps où l'on
s'inspirait des méthodes suisses pour la fabrication des fromages, on ne s'occupait
plus que de défendre le prestige du gruyère, puis le grand souci fut de s'adapter aux
mœurs modernes et en particulier à la facilité du rendement rapide et certain sans
souci du passé et de la qualité qui lui était liée.

2
C'est l'ancien nom de Beaufort, St Maxime étant le saint patron de l'église du village.

12
Certaines révolutions sont plus discrètes et moins apparentes que d'autres, celle du
Beaufortain pour être telle n'en fut pas moins certaine dans les années 60-70. On la
dut au fait que le pays n'était pas resté engoncé dans un pays stérile: la construction
des barrages lui avait donné l'aération nécessaire mais la tentation touristique ne
l'avait encore pas atteint au moment où arrivaient à l'âge adulte les jeunes formés
auparavant par les mouvements du réveil catholique en particulier la jeunesse
agricole chrétienne (JAC). Inconsciemment sans doute, mais indéniablement mus
par un évident orgueil local, ces hommes à la fois nouveaux et anciens se sont
imposés pour assurer le difficile mariage du progrès et de la tradition, de la qualité et
de la quantité, redonnant ainsi au massif une force et un équilibre que bien d'autres
ont pu leur envier en cette fin du XX° siècle.

Rien ne dure et rien n'est garanti, le monde évolue vite, d'où la nécessité maintenant
de s'assurer des élites nécessaires et de contrôler le présent en préparant l¹avenir
sans jamais se fier aux seules forces du passé et aux modèles voisins.

13
LE BEAUFORTAIN

Pour ceux qui ne connaissent pas déjà le Beaufortain, et pour dresser le cadre de
l'aventure de développement qui fait l'objet de cet ouvrage, il nous faut présenter ce
territoire et esquisser son histoire récente.

Pour les données concrètes et précises, on les trouvera plus loin dans le tableau
chronologique qui reprend de façon ordonnée les grandes dates qui marquent
l'évolution du Beaufortain depuis les années 1960.

Pour ceux qui souhaiteraient en savoir beaucoup plus, nous renvoyons à la


monographie très complète éditée pour les 25 ans de la revue Ensemble, sous le
titre "Ensemble dans le Beaufortain"3. Cet ouvrage n'a pas été mis à jour depuis mais
il donne une très bonne idée de toute ce qui s'est passé en Beaufortain pendant les
décennies "héroïques" qui ont suivi la fin du chantier des barrages.

Nous nous bornerons donc à une description "impressionniste" qui permettra déjà de
se faire une idée de ce canton des Alpes, si riche et si particulier.

Quelques données de base

Le Beaufortain représente l'ensemble du bassin versant du Doron de Beaufort et


correspond au canton de Beaufort (arrondissement d'Albertville, département de la
Savoie), lequel groupe quatre communes: Queige, Villard-sur-Doron, Hauteluce et
Beaufort. Ce territoire, qui jouit d'une forte personnalité, est situé dans les massifs
centraux cristallins des Alpes, entre le Mont-Blanc au Nord-Est et le Grand-Arc au
Sud-Ouest. Son altitude moyenne est de 1660 mètres (minimum 350 m, maximum
2920 m au Grand Fond). Il couvre 27054 hectares.

3
Collection Savoie Vivante, éd. Curandera, Challes les Eaux, 1987, 210 pages, illustrations.
On trouvera également en annexe au présent ouvrage une bibliographie des principales publications
concernant le Beaufortain.

14
Au Nord se trouve le Val d'Arly, une vallée à la longue tradition industrielle
métallurgique (Ugine), au Nord-Est la Vallée de Chamonix et au Sud la Tarentaise
avec leurs vastes domaines skiables très équipés.

Le chef-lieu de canton, Beaufort (758 m) se situe à 70 km de Chambéry et seulement


18 km d'Albertville4. La proximité de cette dernière ville n'est qu'illusoire, car la vallée
du Doron est fermée par une gorge de 10 km, étroite et profonde: la route ne
comporte pas moins de 150 virages entre Albertville et Beaufort. Cet isolement
physique du territoire est encore accentué par un effet de cul-de-sac: les cols au
départ de Beaufort sont soit difficiles, soit inaccessibles en voiture.

Cet isolement est à relativiser et les habitants, actuellement, le considèrent comme


un point de vue de gens d'ailleurs. L'histoire, de la plus ancienne à la plus récente,
montre en effet les relations actives, humaines, culturelles et commerciales, qui ont
toujours existé avec les territoires voisins, ceux du Val d'Arly et du Val Montjoie, mais
aussi la France et l'Italie. Le Beaufortain apparaît plutôt comme un territoire de
transition entre les Préalpes et les Alpes intérieures.

La pente moyenne est toujours supérieure à 5%, sauf dans les petites plaines
alluviales à l'aval de Beaufort et de Villard. Selon la topographie, on distingue trois
types d'agriculture:

- intensive et mécanisable dans la plaine alluviale,

- intensive mais difficilement mécanisable sur les pentes basses,

- extensive (élevage de parcours) dans les alpages d'altitude.

Il faut y ajouter une couverture forestière très étendue, favorisée par un climat plus
humide que dans la plupart des autres bassins alpins.

De l'examen des conditions physiques et climatiques, on déduira que le Beaufortain


possède deux vocations économiques complémentaires: l'élevage et la production
agro-alimentaire d'une part, le tourisme hivernal d'autre part, auxquelles on peut
ajouter deux ressources secondaires, le tourisme d'été et la forêt. Les activités
industrielles sont nécessairement limitées par la situation géographique. L'artisanat

4
Précisons ici, pour une meilleure compréhension de la suite, que la commune chef-lieu de
canton se nomme Beaufort. Elle comprend notamment un village nommé Arêches où se sont
déroulées des activités communautaires importantes pour l'histoire du développement de la vallée. La
station de ski, qui a été aménagée originellement à partir du site d'Arêches, s'appelle officiellement
Arêches-Beaufort.

15
et le commerce sont des secteurs relativement importants, en raison de
l'éloignement d'Albertville et de l'afflux des résidents saisonniers.

La population

Pendant la période qui nous occupe, le Beaufortain compte environ 4000 habitants,
dont 2000 à Beaufort. L'évolution de la population reflète à la fois le déclin des zones
rurales et de montagne depuis la fin de 19ème siècle, mais moindre qu'ailleurs car
partiellement compensé par les bassins d'emploi du Val d'Arly et d'Albertville, un pic
démographique dans les années 50, dû à la construction des barrages
hydroélectriques et notamment de celui de Roselend, une chute rapide à la suite de
la fermeture des chantiers, et enfin une stabilisation résultant du processus de
développement que nous décrivons ici.

Les chiffres de la population


Année de
Le Beaufortain Beaufort*
recensement
1880 6250 2500
1936 5050 2150
1962 5385 2623
1964 4912 2150
1968 4480 2072
1975 3900 1913
1982 3903 1966
1990 4086 1951
1999 4244 2036
* La commune de Beaufort comprend le village d'Arêches

Après les émigrations savoyardes du 19ème et du début du 20ème siècle, on a assisté


à des flux et reflux migratoires, dus à l'appel des plaines voisines (y compris pour des
agriculteurs), mais aussi aux grands chantiers d'aménagement et actuellement à
l'attractivité particulière d'un pays actif qui offre des opportunités aux gens
entreprenants. Comme ailleurs, les jeunes ont tendance à ne pas rester dans la
vallée à l'issue de la scolarité obligatoire, mais ils y reviennent parfois après avoir
acquis de l'expérience ailleurs, surtout lorsqu'une habitation est disponible par
héritage.

La structure du peuplement a fortement évolué, pour des raisons sociales et


administratives. A l'origine et jusque dans les années 60, les habitants vivaient, selon

16
les saisons et les occupations, à trois niveaux d'altitude: dans des chalets d'alpage
en été et dans des hameaux à mi-hauteur le reste de l'année pour les agriculteurs-
éleveurs, dans les villages de fond de vallée pour le reste des gens, notamment ceux
qui exerçaient des métiers commerciaux ou de services. Les hameaux, de véritables
villages, avec chacun son école et sa chapelle, constituaient autant de petites
communautés fermées sur elles-mêmes une partie de l'année.

La réduction de la population agricole, le vieillissement, l'instauration du


regroupement scolaire ont amené les hameaux à perdre beaucoup de leur
autonomie, et surtout leurs écoles, au profit du renforcement du rôle des villages de
vallée. Mais les hameaux demeurent et ont retrouvé une importance avec le tourisme
et les résidences secondaires.

Une histoire de croissance

La période de l'histoire du Beaufortain qui nous intéresse ici commence après la


seconde guerre mondiale. A ce moment, la vallée entre progressivement dans un
cadre économique et social français puis européen: apogée des activités
industrielles dans le Val d'Arly voisin et lancement des grands chantiers de barrages
dans les années 50 (La Gittaz, St Guérin, Roselend), à la même époque essor de la
coopérative laitière à Beaufort et des équipements de sports d'hiver à Arêches et
Hauteluce, apparition du tourisme social d'été dans années 70 et 80, essor de la
station des Saisies et effet d'entraînement des Jeux Olympiques d'Albertville dans les
années 80 et 90…

Parallèlement à cette évolution, le territoire s'est organisé. A partir du village le plus


entreprenant, Arêches, le dynamisme s'étend à l'ensemble de la commune de
Beaufort, puis aux autres communes du canton. Un SIVOM est constitué en 1970
puis transformé en communauté de communes en 2002. Simultanément naît et se
développe l'Association d'Animation du Beaufortain (AAB), dont il sera sans cesse
question par la suite, qui représente les forces vives de la société civile, en
coopération avec les collectivités locales. Les premiers équipements "structurants" à
vocation intercommunale sont mis en place dès les années 60: le collège, le foyer

17
rural préfigurant AAB, l'office de tourisme; ils accompagneront le développement du
canton tout au long de son histoire. La commune de Hauteluce prend une
importance nouvelle avec la station des Saisies, maintenant reliée au domaine
skiable de Crest-Voland et de Notre-Dame de Bellecombe (en Haute Savoie).

A ces étapes qui intéressent surtout l'évolution endogène du Beaufortain, doivent


être ajoutées des démarches tournées vers l'extérieur, en Savoie d'abord avec des
relations étroites et symétriques entre les collectivités locales et le Conseil général,
entre AAB et Savoie Vivante ou l'Université de Chambéry, mais aussi des
coopérations ou des partenariats avec l'Association départementale pour la
promotion sociale - ADPS, au niveau régional avec des organismes de formation
(Université de Grenoble, Développement Formation Rhône-Alpes - DELFRA), puis
au niveau national avec des institutions de financement (Fonds d'Intervention
Culturelle - FIC, Fonds d'Intervention pour le développement et l'aménagement rural
- FIDAR), d'éducation populaire (Institut national de la jeunesse et de l'éducation
populaire - INJEP) et de solidarité professionnelle (Association nationale pour le
développement local et les pays - ANDLP).

On voit déjà dans tout ce qui précède que le Beaufortain n'a pas cessé de changer et
de se développer pendant les 45 dernières années, à partir à la fois de ses propres
ressources et d'échanges soigneusement entretenus avec l'extérieur. Les retombées
des barrages (aides à l'équipement scolaire, taxe professionnelle et taxes foncières
de la part d'EDF), le maintien d'une agriculture prospère grâce au beaufort, l'essor
d'un tourisme d'été et d'hiver maîtrisé, des aides extérieures mobilisées avec
modération (on note l'absence de contributions européennes, à l'exception de
financements du FSE pour la formation et des financements de droit commun issus
de la PAC) mais en fonction des besoins réels, tout cela reflète un dynamisme qui
compense largement le relatif isolement géographique, les difficultés liées au climat,
une population faible, dispersée et vieillissante, tous facteurs de paralysie qui, on le
verra, ont parfois été transformés en atouts.

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Ruptures et tremplins

Il faut revenir un instant sur certains points déjà évoqués, pour souligner leur
importance en tant que moments-clés de l'évolution et du développement du
Beaufortain.

- La crise de la fin du chantier du barrage de Roselend

Le barrage avait causé une première crise, par la disparition de quelques un des
meilleurs alpages du Beaufortain. Pendant quelques années, le chantier avait
cependant apporté de l'emploi, de nouveaux résidents et de l'activité dans la haute
vallée (Beaufort et Arêches), alors que dans les autres communes se poursuivait un
exode rural très important depuis l'après-guerre. Avec la fin du chantier, on constate
que les alpages noyés sont toujours perdus, sans réelle compensation autre que
financière pour leurs anciens propriétaires, que emplois et migrants sont repartis,
que l'activité se rétracte dans la vallée. Elément positif, les collectivités locales
perçoivent des recettes fiscales substantielles (les 2/3 des budgets locaux de
Beaufort et Hauteluce provenaient d'EDF avant la création de la communauté de
communes).

Pour la population, les années 1960-1962 sont très difficiles et le découragement a


menacé tout au long des années 1960. La vallée aurait pu connaître à partir de là
une décadence irréversible. Nous verrons plus loin les mesures qui ont été prises
pour retourner la tendance et remobiliser ressources et énergies. Qu'il suffise ici de
noter cette existence d'une crise économique, sociale et même culturelle, génératrice
d'un processus de développement, une caractéristique que l'on retrouve souvent sur
les meilleurs sites de développement, en France et ailleurs. Les communes et
l'intercommunalité en ont été les principaux maîtres d'œuvre.

- La relance du fromage de Beaufort

Vers la même époque, les races laitières traditionnelles Tarentaise et Abondance qui
fournissaient le lait pour le fromage de Beaufort, le plus rare des gruyères, risquaient
de disparaître, la fabrication du beaufort d'alpage devenant insuffisamment rentable
et les circuits de commercialisation étant inadaptés. L'ancienne coopérative
d'affinage du beaufort, créée en 1939, avait perdu tout dynamisme. Ses locaux sont

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rachetés et permettent l'installation d'une fromagerie coopérative. Joseph Viallet
(père de Gilbert, actuel président de la coopérative, ancien maire de Beaufort et
ancien président du SIVOM) fut le président fondateur de cette nouvelle structure.

L'intervention déterminante d'un professionnel autochtone aux qualités de meneur,


de gestionnaire et de négociateur, Maxime Viallet, a permis de sauver les races
menacées (dans le Beaufortain comme dans les vallées voisines), de créer
l'appellation AOC et de nouveaux circuits commerciaux, de relever le prix d'achat du
lait et la rentabilité des exploitations, enfin de créer une nouvelle coopérative laitière
et fromagère moderne, avec la participation des fonds de compensation apportés par
EDF suite au chantier de Roselend.

Les conséquences en ont été le maintien des paysages et de la vie agricole en


alpage, la restructuration des exploitations, le rajeunissement des exploitants, la
montée en puissance d'une coopération multiforme entre les exploitants et les
structures agricoles, la construction d'une image d'excellence au plan national et
international pour le Beaufortain, portée par son fromage. Et cela sans interdire, ou
même gêner, l'esprit d'entreprise individuel.

- La fermeture des écoles de hameaux et le collège de Beaufort

L'impact culturel et social de la fermeture des écoles de hameaux, au début des


années 1970, aurait pu être catastrophique pour la vie communautaire de ces
villages de moyenne montagne aux identités souvent fortes et revendiquées.

En réalité, cette rupture avec des traditions bien ancrées a eu des résultats positifs:
meilleurs échanges entre jeunes qui se retrouvaient "en bas", création de nouveaux
liens entre les familles, renouveau de la vie associative, utilisation des anciennes
écoles comme gîtes communaux, etc.

La création du collège à Beaufort a renforcé et prolongé l'effet produit sur l'ancrage


des enfants et des jeunes dans la vie de la vallée.

- Le ski et les Jeux olympiques de 1992

Même si des équipements de sports d'hiver de qualité existaient déjà aux Saisies et
à Arêches, ce sont les Jeux Olympiques d'Albertville qui ont "lancé" le Beaufortain
comme un espace privilégié pour les sports d'hiver, en donnant toute leur valeur

20
médiatique à la station des Saisies et à d'autres évènements d'envergure nationaux,
comme la course de la Pierra Menta ou les GR5 Tour du Mont Blanc et Grande
Traversée des Alpes qui passent par le Beaufortain en attirant toujours plus une élite
de randonneurs. La personnalité de Frank Piccard, triple médaillé olympique, a
constitué un atout précieux.

On verra plus loin les choix qui ont été faits pour préserver un caractère spécifique
pour le Beaufortain, mais il suffira ici de signaler la politique systématique (menée
depuis longtemps et bien avant les Jeux) de promotion de la pluriactivité chez les
habitants du Beaufortain. Cette démarche originale, créatrice d'activité et d'emplois,
soit sur place, soit dans d'autres stations des Alpes, a permis de maintenir au pays
toute une génération de jeunes qui, sinon, aurait pu ou dû émigrer.

- Le recentrage de la vie religieuse

La diminution du nombre de prêtres (il y avait au début du 20 ème siècle jusqu'à douze
prêtres résidant à Beaufort, maintenant un seul pour toute la vallée) et les
changements dans la pratique religieuse ont amené progressivement, pendant toute
cette période, à la constitution d'un seul ensemble paroissial et aux changements
correspondants dans les habitudes sociales.

- La construction du territoire

Dès 1971, le SIVOM du Beaufortain avait créé les conditions d'une coopération
intercommunale, dans certains domaines (économique, scolaire, par exemple).
Après les échecs de la création d'un district rural puis d'un Parc naturel régional et la
loi de 1992, le SIVOM se transforma en communauté de communes, dénommée
"Confluences", dont les compétences renforcées permettent la mise en œuvre d'une
véritable stratégie de développement et un certain niveau de coordination des
programmes et des projets des communes membres.

5
Sentiers de Grande Randonnée

21
Car celles-ci tiennent à leurs identités et conservent des compétences fortes (dans le
domaine des équipements de sports d'hiver ou de certaines manifestations
culturelles par exemple)6.

On peut donc parler d'une véritable construction d'un territoire de l'action publique,
cadre d'un développement global concerté. La personnalité du Maire de Beaufort et
Conseiller général pendant une grande partie de la période couverte ici, le Dr. Lucien
Avocat, a rendu possible cette évolution, dans un esprit de coopération entre les
différents élus.

- La naissance de l'AAB

D'un autre ordre, mais d'une importance aussi grande, la création, en 1973, de
l'Association d'Animation du Beaufortain a apporté au processus de développement
le soutien d'une représentation organisée et dynamique de la société civile du
Beaufortain. Il s'agit ici d'une forme de regroupement inter-communautaire, en
parallèle et en coopération avec l'intercommunalité officielle.

Mobilisant compétences, personnes-ressources, associations, réseaux à l'intérieur et


à l'extérieur, l'AAB a rendu possible une participation communautaire au
développement, aux côtés des élus et des services publics. Elle a été à l'origine ou
en appui de nombreuses initiatives, comme la politique d'information et de formation,
la création d'un tourisme diffus, la promotion de la femme, etc.

Ici encore, c'est un animateur et un "metteur en scène", Hubert Favre, militant de


l'éducation populaire, qui a rendu possible la constitution, l'évolution et la pérennité
de l'AAB. Il a été aidé, au fil du temps, par d'autres bénévoles compétents et
dévoués.

6
On notera qu'un processus similaire est en œuvre au plan religieux: s'il n'y a plus
actuellement qu'une seule paroisse pour desservir les cinq clochers du Beaufortain, il n'en reste pas
moins que les anciennes paroisses gardent leur identité communautaire. Les Saisies ont leur
"chapelle", construite par les fidèles, mais elle n'a pas droit au rang d'église paroissiale aux yeux des
habitants de la vallée.

22
Les images du Beaufortain

…pour ses habitants

On ressent une fierté de sa vallée, de sa montagne, de ses traditions, de son


fromage, de la qualité de son tourisme, de l'arrivée ou du retour de jeunes
professionnels, d'une connaissance partagée de son patrimoine et des démarches
de développement à l'œuvre.

… pour ses partenaires publics

C'est un peu un laboratoire, assez hors normes et conscient de sa valeur et de son


originalité, un "bon élève" des mesures et des programmes de développement, et
aussi un interlocuteur fiable des administrations, que l'on peut utiliser comme
exemple et comme lieu d'apprentissage, par exemple pour les universités et les
organismes d'éducation populaire.

…pour ses visiteurs

Le Beaufortain est un lieu de vacances et de loisirs pour des familles, qu'il s'agisse
des stations de ski ou des maisons familiales, ou encore des nombreuses résidences
secondaires, des usagers des gîtes. C'est un but de vacances ou de visites pour des
habitués. Mais c'est aussi un objet de visites d'études, un lieu de formation pour de
nombreux professionnels, aménageurs, développeurs, animateurs, chercheurs de
diverses disciplines.

23
FICHE PRATIQUE

Se connaître soi-même

Comment utiliser cette fiche, et les suivantes ?


Il ne s'agit pas de transposer ce que vous venez de lire pour répondre
mécaniquement aux questionnements de la fiche. Celle-ci veut être un moment de
respiration et de réflexion sur votre propre territoire et sur votre propre situation.
Nous vous suggérons donc de prendre le temps de vous replonger dans votre
actualité, de prendre des cartes, de poser des questions autour de vous, de lire peut-
être tel ou tel document, de vous demander comment vous agiriez dans telle ou telle
hypothèse, etc.
Les fiches comprennent des tableaux ou des questionnaires: personne ne vous
reprochera de ne pas les utiliser. Vous pouvez aussi les critiquer, les recomposer à
votre guise, selon vos préoccupations du moment et votre connaissance de la réalité
du territoire.
L'utilisation d'une fiche n'est pas un devoir sur table, ou un test d'intelligence, aucune
note ne vous sera donnée, sauf éventuellement par vous–même. C'est un exercice
entièrement gratuit, mais il vous évitera de céder à la tentation de prendre le
Beaufortain pour un modèle et il vous amènera, nous l'espérons, à un nouveau
regard sur votre environnement et à des décisions raisonnées !

Définissez votre territoire de développement

A partir d'un fond de carte (IGN au 1/50.000 par exemple), reconstituez les
périmètres susceptibles d'influer sur la définition d'un territoire de développement
homogène, répondant à trois critères principaux:

- une capacité de coopération institutionnelle, tant entre les collectivités locales que
entre les structures de service public existantes (éducation, santé,
communication, transport, etc.)

- l'existence ou un potentiel de conscience communautaire (une communauté étant


définie par la population qui partage un territoire sur lequel elle vit, son patrimoine
et son avenir)

- une cohérence économique, par la diversité et la complémentarité des activités et


des ressources humaines

24
Vous pouvez par exemple vous inspirer de la grille ci-dessous, que vous adapterez à
votre situation réelle.

Critères Données à reporter sur la carte Critiques

Cohérences
- géographie physique
- géographie humaine
- géographie économique

Communes, cantons,
intercommunalités

Périmètres scolaires

Relations centre-périphérie

Pratiques de consommation

Bassin de vie

Bassin d'emploi

Bassin de main d'œuvre

Autre

Si votre territoire est déjà défini (une communauté de communes par exemple), il
peut être utile de remettre en cause ses limites et ses relations avec les territoires
voisins.

Faites une monographie sommaire (en deux à cinq pages) de ce territoire, en


répondant notamment aux questions suivantes:
- géographie
- population
- organisation
- principaux acteurs
- communications
- histoire récente
- économie
- relations avec l'extérieur
- problématiques évidentes ou cachées

25
Autant que possible, croisez une approche synchronique (ce qui se passe à un
moment donné, par exemple aujourd'hui) avec une approche diachronique
(l'évolution dans le temps entre passé, présent et futur).

Par exemple, sur le critère population, les données de la population et du CSP du


territoire au dernier recensement (synchronique) et celles de la population globale
dans les trois ou cinq recensements précédents (INSEE), avec les projections à
moyen et long terme qui peuvent avoir été dressées à telle ou telle occasion, ou une
extrapolation en glissement de la pyramide des âges à 10 et 20 ans (diachronique).

Naturellement il ne s'agit pas, pour l'instant, de la rédaction d'un document de


recherche ou d'un dossier administratif, mais d'un exercice de réflexion qui peut se
traduire par de simples notes, à revoir et remettre à jour périodiquement. Il sera
possible ensuite, si un processus de développement est lancé, d'utiliser la
monographie comme une sorte de tableau de bord, pour détecter les évolutions en
cours.

Recherchez et analysez les étapes et les ruptures significatives

Etablissez, à partir de vos souvenirs ou d'éléments rassemblés auprès de personnes


ayant vécu sur place pendant les vingt ou trente dernières années, ou plus encore si
possible, une chronologie sommaire des grandes dates qui ont marqué la mémoire
populaire et le processus de développement pendant cette période.

Vous pouvez utiliser cette grille:

Date Evènement Impact Note

Dans la colonne "impact", vous indiquerez les conséquences concrètes de


l’événement.

26
Dans la colonne "note", vous pourrez indiquez par un chiffre (de 1 à 5 par exemple)
l'importance du ressenti de l’événement dans la population. Ce chiffrage subjectif, qui
n'a pas de valeur scientifique, a pour objet de vous faire réfléchir à la signification
réelle de chaque événement dans la vie du territoire et de la communauté.

Recherchez et définissez les images spontanées qu'ont du territoire choisi :

ses habitants (élus et agents du service public local, personnalités, responsables


associatifs, habitants ordinaires)

ses partenaires (services de l'Etat, autres services publics, associations extérieures,


chercheurs…)

ses visiteurs (touristes français et étrangers, gens d'affaires, stagiaires,


représentants)

Il ne s'agit pas évidemment de procéder à une enquête d'opinion ou à des analyses


sociologiques, mais de recueillir des opinions subjectives, issues de points de vue
divers et d'expériences différentes, qui feront ensemble un tableau impressionniste.

27
CHRONOLOGIE DU BEAUFORTAIN

Ce livre ne suit pas un ordre chronologique. Chaque fois que des dates sont
importantes pour la compréhension du texte, elles sont fournies. Mais nous avons
voulu reconstituer l'ensemble de l'histoire, par un tableau synoptique de ce qui s'est
passé pendant les 45 ans. Nous avons donc demandé à plusieurs acteurs de cette
histoire de nous donner les dates qui leur paraissaient importantes et significatives.
Le tableau qui suit est le résultat de ces choix subjectifs. Le lecteur pourra y trouver
des repères pour la continuité des faits.

Dates Général Collectivités Communautés Economique


1957 1° AG coopérative nouvelle
Syndicat d'initiatives
1958
d'Arêches
1959
Conférence sur le
1960
développement agricole
1° collecte de lait
1961 Inauguration du barrage de
Roselend
1962 1° numéro d'Ensemble
Naissance d'un mouvement
Naissance de la station des
de rénovation et d'expansion
Session Connaissance de la Saisies
1963 du Beaufortain
France… et du Beaufortain Session de formation
Syndicat intercommunal des
économique et sociale
Saisies
1° intervention de l'INRA à
la coopérative
Détachement Hubert Favre
1964 Elections cantonales Session "agriculture dans
Foyer rural d'Arêches
l'économie moderne
(IFOCAP)
Club nautique de Roselend
Union des producteurs de
1965 Rapport SOGREAH 1° voyage en Tyrol Groupe de vulgarisation
Beaufort
féminine
1966 Club Montagne
Club nautique Développement de la
1967
Premières formations station d'Arêches
AOC Beaufort
Office de tourisme
1968 Club Volley et Tennis d'Arêches-Beaufort
Centre de vacances CSF
Arêches
Ouverture du camping de
1969 Mémoire Hubert Favre
Beaufort
Piscine de Beaufort
Projet de parc naturel
1970 1° remontées communales
régional
à Arêches
Création du SIVOM et de la
Création du foyer de fond des
1971 SICA
Saisies
L. Avocat Maire de Beaufort
Construction du collège
1972 Abandon du projet de
District

28
Dates Général Collectivités Communautés Economie
Grande traversée L. Avocat conseiller général,
1973 Création AAB
des Alpes président du SIVOM
Visite des ministres de
Première machine à traire
1974 l'agriculture du Marché "Vacances Buissonnières"
en alpage
commun
Maison de retraite à Recrutement d'un agent de
1975
Beaufort développement
Accueil de nombreux Installation TRANSROL à
1976 Décharge contrôlée
stagiaires à l'AAB Beaufort
Contrat de pays
1977 POS de Beaufort et
Hauteluce
1978 Savoie vivante
Formation des pluriactifs (3
1979 Salle polyvalente à Beaufort Club de jeunes dans AAB
ans, AFRAT)
Service architectural Installation TIVOLY à
1980
cantonal Queige
1° animateur salarié à l'AAB
Chalet artisanat à Boudin
1981 Colloque de Marly 1° OPAH (EUC)
Colonie à la ferme
Animateur vacher
Colloque de Mâcon,
1982 Création ADMR (FONJEP)
création ANDLP
Arrivée micro-informatique
Prix national "Villages que
1983
j'aime"
Candidature au réseau
1984
câblé
Maison des stagiaires
Premiers chantiers de
Application de la Loi
1985 Loi Montagne Concordia
Montagne en Beaufortain
Schéma de communication
1° rencontre vidéo des pays
Journal télématique
1986 Formation des premiers
guides du Patrimoine
1987 Contrat Station-Vallée Topoguides randonnées

1988
L. Avocat cesse d'être maire
de Beaufort
1989
Contrat régional de
développement culturel
Etude communale (à
1990 Beaufort) sur les gardes Inventaire du patrimoine
d'enfants
Les olympiades de la vidéo 30° anniversaire du
1991
1° Prix du patrimoine sonore barrage
Loi sur
l'intercommunalité Les chemins du baroque en
1992
Espace mont Blanc Beaufortain Intermarché à Villard
Les J.O. aux Saisies
Label "paysages de
1993 SEM agriculture
reconquête"
Label "site remarquable du
1994
goût"
1995 AAB devient centre social
Relais-emploi en
1996
Beaufortain
Création de l'association
1997
Patrimoine Beaufortain
1998 Contrat Station moyenne Contrat enfance
Lois sur
1999 Relais Parents
l'intercommunalité
Projet d'Espace Diamant
2000 Retraite "politique" de L. Contrat jeunesse Promotion filière bois
Avocat

29
Dates Général Collectivités Communautés Economie
Halte garderie
Création d'associations:
Démarrage du projet
- Queige LAC Restructuration des
2001 Beaufortain-Val d'Arly-
- ADAM abattoirs
Tarentaise
- Villard animation
- Ass. Beaufortaine du Bois
Maison du Beaufortain
2002 Communauté de communes
"Confluences"
2° OPAH
2003 1° rencontres culturelles
2° contrat Station moyenne
2004 CDPRA
5ème rencontre littéraire de la
2005 SMED Déchets
FACIM en Beaufortain

30
FICHE PRATIQUE

Reconstituer l'histoire

Nous vous invitons à vous inspirer du tableau chronologique précédent pour


reconstituer les évènements qui ont marqué votre territoire depuis quelques dizaines
d'années. Dans votre cas aussi, demandez l'opinion des gens qui vous entourent. Ne
vous arrêtez pas seulement, comme dans la première fiche pratique, aux ruptures ou
faits les plus marquants, mais notez tout ce qui paraît, à vous et aux autres,
significatif et porteur d'effets sur la situation actuelle ou future.

Il est aussi intéressant d'indiquer les dates et les sujets des différentes études qui ont
été réalisées sur votre territoire ou sur un problème qui s'y rapporte. Vous serez
surpris de leur nombre, parfois de leur intérêt, parfois aussi de leur nullité. Mais il est
important d'en connaître l'existence, soit pour les utiliser, soit pur éviter de les
recommencer.

31
LA COMPLEXITE

Le développement est une équation à inconnues multiples.

Ce qui est frappant lorsque l'on réfléchit au cas du Beaufortain, c'est la complexité du
cadre, des situations, des problèmes et naturellement des solutions. Le chapitre
précédent qui a décrit sommairement le territoire et ses principaux traits a déjà
montré la grande diversité des éléments que l'on doit prendre en compte pour
approcher la connaissance de la vallée et de ses habitants. Au fur et à mesure que
l'on entre dans la réalité des choses et que l'on essaye de comprendre ce qui s'est
passé depuis 45 ans et ce qui se passe encore aujourd'hui, on est obligé de tenir
compte de détails matériels ou immatériels de plus en plus fins, qui se superposent
comme autant de strates successives et qui interagissent en permanence, sans
même l'intervention du développeur ou de l'animateur. Tout territoire, toute
communauté sont des organismes vivants, qui doivent être regardés, étudiés et
traités comme tels.

Il est intéressant de tenter d'y voir un peu plus clair dans cette complexité, car elle se
retrouve partout et dans tous les processus de développement local. C'est d'ailleurs
la raison principale de l'impossibilité d'imaginer un modèle unique de développement.
Or il ne peut y avoir de démarche efficace et durable sans prise de conscience
préalable des principaux éléments de la complexité.

Nous allons d'abord reprendre un schéma d'analyse que nous utilisons souvent, qui
étudie successivement les effets du temps sur le changement et ceux de la
combinaison des facteurs à un moment donné.

32
L'approche diachronique

Il y a d'abord le poids de l'histoire et de la mémoire que l'on retrouve à tout instant


aussi bien dans les comportements et les motivations des habitants que dans la
configuration physique du territoire : celui-ci est subdivisé en une multitude d'espaces
et de lieux dont les caractéristiques héritées d'un passé qui se perd souvent dans la
nuit des temps doivent être prises en compte dans tout programme ou dans toute
action qui viserait à les modifier ou simplement à les utiliser.

La construction des barrages a constitué un facteur de bouleversement économique,


social et culturel: à côté de la disparition des meilleurs alpages du Beaufortain, les
emplois (3000 au plus fort des chantiers) ont à la fois créé de la richesse Ŕ les
premières machines agricoles et les premiers appareils ménagers ont été achetés
avec l'argent économisé sur les paies Ŕ et une ouverture sur l'extérieur avec l'arrivée
d'un millier d'ouvriers non résidents. Ensuite, le choc de leur fermeture aurait pu
handicaper les projets de redressement et de développement. L'arrêt des écoles de
hameaux a nécessité un effort d'adaptation de la part des habitants, touchés dans
les rythmes traditionnels de la vie familiale. La désertification progressive de
nombreux hameaux, le vieillissement de leurs habitants, l'arrivée de résidents
secondaires qui ont investi les bâtiments abandonnés ont changé le regard porté sur
ces lieux, anciens pôles d'activité économique et nouveaux espaces de loisir.

Autre facteur essentiel à prendre en compte dans les décisions porteuses de


développement: le changement de plus en plus rapide des mentalités et
l'accélération du passage des générations. Le Beaufortain, isolé dans son fond de
vallée au pied de ses montagnes, était resté longtemps soumis à une civilisation
lente, où les évolutions se mesuraient en décennies, voire en siècles, tempérée par
des échanges dus aux flux migratoires7. Or, pendant la période qui nous occupe, les
emplois industriels et les chantiers de barrages, les restructurations agricoles, les
nouvelles techniques de production, la généralisation des phénomènes touristiques,
l'ouverture sur le monde par l'information se sont produits parfois en quelques

7 ème ème
Au 16 siècle, l'émigration concerne 6% de la population de Beaufort, au 17 11,7%.
Cette émigration a eu d'importantes conséquences: introduction du beaufort, fondation d'écoles et de
chapelles, restructuration des alpages…

33
années, au sein d'une même génération, obligeant les habitants, comme les
responsables des décisions, à une sorte de gymnastique mentale et culturelle à
laquelle rien ne les avait préparés.

La population - on devrait d'ailleurs dire les populations Ŕ se compose de couches


successives, non seulement de générations, mais d'apports humains, familles
venues de l'extérieur à divers moments, conjoints que des autochtones sont allé
chercher ailleurs et parfois même très loin et qui apportent leurs cultures et leurs
idées. Ce mouvement, qui a toujours existé, s'est sans doute accéléré avec
l'ouverture sur l'extérieur, le brassage des populations dû aux barrages, l'arrivée
continue de nouveaux résidents permanents ou saisonniers, la formation supérieure
ou professionnelle des jeunes acquise dans les villes de la région ou hors de la
région. Cette superposition, facteur d'hétérogénéité et de renouvellement, est une
difficulté en ce qu'elle rompt les routines anciennes et les consensus implicites; c'est
aussi et surtout une richesse par ce qu'elle apporte de ressource humaine, de
rajeunissement, de fertilisation du terreau local, à condition évidemment d'être
reconnue, utilisée et valorisée. Ici encore Roselend, le tourisme d'hiver, les actions
de formation et de communication ont transformé progressivement une population de
montagnards accrochés à leurs activités traditionnelles, en un ensemble d'acteurs-
créateurs capables de répondre aux défis du monde moderne et de leur trouver des
solutions collectives.

Les différentes communes et les différents villages et hameaux, avec leurs


caractéristiques, leurs dynamismes spécifiques, prennent souvent des chemins
séparés dans le développement dont il faudra tenir compte dans les choix
stratégiques et dans les négociations visant à assurer un minimum de cohérence et
de complémentarité au sein du territoire. Ainsi c'est Arêches, avant Beaufort 8, qui a
innové dans le domaine du socioculturel (avec le foyer rural) et dans celui de
l'équipement de remontées mécaniques. C'est de son côté Beaufort qui a été le plus
loin et le plus vite dans l'organisation de la production agro-alimentaire (coopérative
et abattoir). C'est enfin Hauteluce qui s'est lancée dans le plus ambitieux programme
de sports d'hiver avec les Saisies et leur connexion aux autres stations du massif du

8
Rappelons que, si Arêches fait partie administrativement de la commune de Beaufort, ce
village forme une communauté séparée, à l'identité forte.

34
Mont Blanc. Et cela alors que les deux autres communes de la vallée, attirées par la
bassin d'emploi industriel d'Ugine et privées des taxes professionnelles EDF,
restaient pendant longtemps relativement en arrière dans l'aménagement lourd et le
choix d'axes spécifiques de développement. Toute la politique intercommunale de
développement a dû jongler entre cette diversité pour intégrer les dominantes de
chaque commune dans un schéma commun.

Le Beaufortain a également été confronté, au cours des années, à l'évolution des


politiques nationales, des normes, des rythmes administratifs, des dispositifs
exogènes d'aide et de contrôle, et aux changements constants d'interlocuteurs au
sein des services publics, sans parler évidemment des changements de
responsables politiques, malgré la continuité dont on a vu qu'elle avait été assurée
par un petit nombre de leaders locaux. Toutes les fois qu'il fallait faire appel à des
concours extérieurs, c'est la qualité des interlocuteurs (personnes physiques) qui
comptait: remplacer un "bon" directeur de l'équipement, du travail ou des affaires
sociales par un "mauvais", ou vice-versa, fait toute la différence en matière de délais
de traitement des dossiers, de décision, de suivi des actions. Ce facteur de
complexité, qui n'est absolument pas maîtrisable par les acteurs du terrain, est
classiquement un sujet de préoccupation et l'une des principales inconnues de
l'équation du développement.

Tous ces exemples, on pourrait en citer bien d'autres, montrent la nécessité, pour les
décideurs locaux, de toujours inscrire leur action présente dans une évolution et de
prévoir l'avenir dans une perspective "glissante" qui trouve son origine non pas dans
le moment de la réflexion mais dans la continuité de la vie du territoire.

L'approche synchronique

La politique beaufortaine de mobilisation et de participation du plus grand nombre


d'acteurs a multiplié et multiplie encore le nombre des intervenants dans tout
programme et dans toute action, à un moment donné. Elus, associations ou
entreprises, personnes-ressources, simples habitants se retrouvent comme acteurs
(on verra plus loin à quel point la volonté de les associer a été suivie d'effet). Cela

35
signifie non seulement tenir compte, dans la coopération entre tous ces acteurs, des
compétences et des intérêts, parfois divergents, mais aussi des rythmes de vie et
des pratiques propres à chacun.

L'impact des modes de vie et des habitudes de loisir est particulièrement net:
autrefois, il était naturel de se réunir à partir de 20 heures (après la traite du soir),
maintenant l'heure des rencontres est plutôt 18 heures, mais il faut aussi se soucier
des programmes de la télévision, de "l'effet 35 heures", des contraintes différentes
des hommes et des femmes, etc.

Remarques sur la participation


Les niveaux d'intérêt des participants aux études,
On parle beaucoup aujourd'hui,
réunions, négociations, réalisations de projets sont dans les collectivités comme dans
les associations, mais aussi dans
également divers: outre les considérations d'ordre les lois et dans les études
théoriques, de la démocratie
particulier, individuel, il faut aussi tenir compte des locale qui passe par la parti-
intérêts collectifs de chaque catégorie de personnes cipation des habitants à la vie
publique et aux décisions qui les
(jeunes, vieux, familles, agriculteurs, etc.), du concernent.

hameau, du village et de la commune, de Notons qu'en Beaufortain, ces


termes n'apparaissent pratique-
l'ensemble intercommunal, qui s'identifie à l'intérêt ment jamais: ils ne font pas partie
du vocabulaire des acteurs locaux.
général. Les méthodes participatives, systématique- Mais, comme on le verra tout au
ment utilisées en Beaufortain, ont généralement long de ce livre, les concepts qu'ils
recouvrent sont mis en application
permis de surmonter ces difficultés: on se spontanément, vraisemblablement
parce qu'ils apparaissent indispen-
souviendra du principe énoncé en introduction: sables au processus de dévelop-
pement.

…ne jamais agir seul: toute réflexion, comme toute action, doit être collective…

ce qui oblige à mettre sur la table l'ensemble des paramètres, y compris


psychologiques, d'un problème ou d'un projet.

La même méthode permettra de compenser un autre facteur de complexité,


découlant du précédent, qui est l'inévitable subjectivité de tous les acteurs d'une
même action. On trouve ici une application de la démarche des "subjectivités
simultanées", selon laquelle, au lieu de considérer que ces points de vue sont
nécessairement ou potentiellement conflictuels, ils sont mis en interaction pour
faciliter la co-construction d'un projet, ou son évaluation. Cela ne permet d'ailleurs

36
pas toujours d'éviter les conflits, qui souvent faussent la mise en œuvre des projets
les mieux élaborés dans un apparent consensus.

Autre facteur de complexité, la rencontre de l'endogène et de l'exogène. La


complication des situations locales doit en effet, dans un monde globalisé et dans
une société ouverte, se confronter au nombre et à la complication des intervenants et
des apports extérieurs, qui représentent aussi des intérêts plus larges. Les enjeux
touristiques, par exemple, suscitent de temps à autre les appétits d'investisseurs
extérieurs au Beaufortain, et croisent intérêts particuliers locaux, demande des
visiteurs d'été ou d'hiver, craintes des habitants qui recherchent la tranquillité. Il est
difficile de trouver une réponse unique, qui a dû être cherchée ailleurs en France et
même à l'étranger, au cours de voyages d'études qui étaient naturellement
confrontés à d'autres complexités.

L'endogène, qui est la principale composante du micro-développement d'un territoire


à taille humaine, se heurte sans cesse, aujourd'hui, aux exigences du macro-
développement exogène, présent en Beaufortain par les quotas laitiers, EDF, les
modes alimentaires et les pratiques commerciales qui influent sur la vente du
beaufort, le tourisme de masse, les nouvelles techniques de communication, les
menaces sur l'environnement et les changements climatiques.

Enfin, la complexité de plus en plus grande des procédures et des techniques oblige
à une vigilance et à une information/formation permanente, ce qui cause perte de
temps, risque d'échec, mais aussi exaspération des acteurs locaux, surtout lorsqu'ils
sont de simples citoyens et que leur dévouement bénévole se heurte, ici comme
ailleurs, à la bureaucratie et aux délais de décision des administrations extérieures
au Beaufortain.

Des légitimités aux logiques différentes

Pour comble de complexité, les choix de méthodes de développement faits en


Beaufortain et perfectionnés au cours des années ont donné lieu à une

37
reconnaissance, non pas théorique ou contractuelle, mais pragmatique et effective,
de trois légitimités incontestables et le plus souvent incontestées, mais pas toujours
faciles à concilier:

- la légitimité institutionnelle, celle des élus et des services publics, qui découle de
la démocratie, ici aussi représentative qu'elle peut l'être, puisque les élus
acceptent la co-existence et la coopération avec les deux autres légitimités. Elle
est évidemment la seule "légale", qui fonde la garantie du respect de l'intérêt
général. Mais Lucien Avocat, au long de toutes ses années de maire et de
conseiller général de Beaufort, a respecté l'esprit de la mobilisation conjointe des
efforts des trois catégories d'acteurs, sur pied de respect réciproque. Par contre, il
pouvait y avoir des divergences entre les communes du canton et la structure
intercommunale, par exemple lorsqu'il s'est agi d'un projet de parc naturel
régional.

- la légitimité communautaire, celle qui émane de l'expression permanente de la


voix des citoyens-habitants qui constituent la communauté humaine du
Beaufortain, de leurs avis sur les problèmes et les projets publics (au nom de leur
expertise d'usage), de leur participation personnelle directe à la mise en œuvre
des actions, complète et enrichit, y compris en cas de désaccord, la réflexion et
les arguments des responsables institutionnels. Il est probable que la politique de
tourisme familial, qui impliquait une résistance déterminée aux pressions
spéculatives exogènes, n'aurait pas été aussi réussie sans un consensus et une
mobilisation conjointe des deux groupes, celui des élus et celui des habitants
reconnus comme acteurs, investisseurs partie-prenantes. Cette légitimité est
généralement déléguée aux associations et en particulier à l'AAB.

- la légitimité économique, représentée par les différents entrepreneurs du


territoire, qu'il s'agisse des herbagers, des responsables de la coopérative, des
professionnels du tourisme et des pluriactifs, des artisans et commerçants et des
autres entreprises de la vallée, possède sa logique propre, qui découle des
modes de production, de la gestion de la ressource humaine, des réseaux de
commercialisation. Mais la prise en compte de cette logique par les deux autres
porteurs de légitimité a permis, pendant toutes ces années une relative harmonie
entre les programmes d'aménagement, les contraintes sociales et les impératifs

38
économiques. Là encore, comme on le verra, des structures représentatives ont
été progressivement mises en place, qui servaient de relais avec les deux autres
légitimités.

Les trois dimensions

Une autre clé de la réussite en Beaufortain est à chercher dans l'équilibre toujours
maintenu entre les trois dimensions du développement. Trop souvent en effet, en,
raison notamment de la complexité des démarches à mettre en œuvre qui exigent
des savoir-faire rarement présents sur place en même temps, à cause aussi de la
pression de l'opinion publique et des élus au profit des mesures qui produisent des
effets à court terme, on privilégie la dimension économique, en réservant les
initiatives sociales pour les moments de crise aiguë et en réduisant les programmes
culturels au rôle de "cerise sur le gâteau". Car il est vrai qu'il est exigeant et souvent
difficile de faire avancer les trois de front, d'une manière coordonnée et interactive.

En réalité, et le Beaufortain le démontre depuis des décennies, c'est dans la


combinaison de ces trois orientations pendant tout le processus de développement
que ce dernier peut atteindre ses objectifs.

- Si nous plaçons la dimension culturelle en premier, nous verrons que le


Beaufortain, s'appuyant à la fois sur des aménagements publics (bibliothèque,
école de musique, par exemple), sur des initiatives associatives liées à
l'éducation populaire et à l'animation (Foyer rural, AAB, Patrimoine Beaufortain,
clubs, fêtes et loisirs), et sur des interventions extérieures (Inventaire du
patrimoine par la DRAC, Dôme d'Albertville pour le spectacle vivant, Université de
Grenoble pour la mémoire) a su respecter et encourager les expressions les plus
locales de la culture populaire, promouvoir des manifestations artistiques
professionnelles de qualité, susciter des loisirs éducatifs au profit tant des
résidants que des visiteurs (comme les "soirées des musiciens"). De plus, les
responsables se sont appuyés sens cesse sur la culture vivante des habitants
pour introduire et soutenir les démarches de changement: traditions herbagères
et fromagères, solidarités locales, savoir-faire d'artisans, pratiques musicales,

39
qualité d'accueil, etc. La transformation progressive de l'agriculture et des modes
de production du beaufort, l'introduction des pratiques du tourisme diffus et
familial, la mise à profit des talents sportifs des montagnards pour introduire la
pluriactivité en sont des exemples.

- La dimension sociale vient ensuite, pour créer les conditions de cette mobilisation
de l'ensemble de la population (la communauté) sur le développement du
Beaufortain. Dans une vallée somme toute relativement prospère, où les
habitants sont passés progressivement d'un mode de vie très rural en isolement à
des habitudes de type semi-urbain pour la majorité, comme dans l'ensemble de la
France aujourd'hui, il était nécessaire de créer les conditions de la satisfaction de
ces habitudes. De nombreux exemples des actions qui ont été menées peuvent
être donnés: la politique de formation initiale, populaire et continue, la promotion
de la femme, l'accueil des enfants, le travail avec les jeunes, l'accompagnement
des personnes âgées, les solutions trouvées pour créer des offres d'emplois
diversifiées et adaptées aux conditions de vie, tout cela a nécessité la prise en
compte des nombreux facteurs de complexité mentionnés plus haut.

- La dimension économique enfin rejoint les deux premières, avec la recherche de


solutions aux difficultés liées à la géographie, à l'isolement, à la faible qualification
des habitants dans les années 60 et 70, aux conséquences de la fermeture des
chantiers de barrages. Là encore, la multiplicité et l'éparpillement des acteurs
économiques, leur taille réduite, les contraintes externes et les changements
rapides dans l'espace macro-économique ont obligé à catalyser le maximum de
bonnes volontés, d'initiatives, de moyens de formation, dans le respect de la
complexité du tissu humain local et malgré celle-ci. L'appel à des talents
extérieurs a pu jouer un rôle, en dépassant la complexité locale, facteur de
sclérose par rapport aux exigences de la viabilité économique.

L'interaction entre ces trois dimensions, loin de renforcer l'effet négatif de la


complexité, a permis sans doute de privilégier ses aspects les plus utiles, en
éliminant ou en corrigeant les plus défavorables au processus de développement.

40
La spécificité du rural et de la montagne

Dernier facteur majeur de complexité, la double nature socio-économique et socio-


culturelle du Beaufortain: un territoire rural et un canton de montagne.

Qu'il soit rural ne nous étonnera pas, puisque l'objectif de ce livre est de traiter
précisément du développement local rural. Ici comme ailleurs, on constate
l'attachement au territoire, fut-il celui d'un hameau d'altitude ou d'un alpage, la
différence culturelle fondamentale entre anciens et nouveaux habitants, résidants
permanents et résidants secondaires, autochtones et "forains" (étrangers au pays),
entre agriculteurs-éleveurs et habitants des bourgs. On constate aussi la lenteur
relative de la vie quotidienne, un accès souvent plus difficile à l'information et aux
techniques nouvelles, l'esprit de clocher. Tout cela n'a rien de bien nouveau et on
verra plus loin comment des réponses ont été données ici.

Par contre, il faut chercher à discerner en quoi le caractère montagnard du territoire,


de son climat et de ses habitants introduit un "biais" dans notre démonstration. Tout
d'abord, nous noterons le rythme des saisons, l'alternance de l'été et de l'hiver, qui
commande aussi bien la vie agricole que les flux touristiques et qui rend possible la
pluriactivité. Ensuite, nous avons les niveaux d'établissements humains et d'activités,
et surtout le haut et le bas, qui déterminent des modes de vie, des opportunités et
des contraintes économiques. Enfin nous avons ici encore la forte contradiction entre
les autochtones naturellement adaptés à leur cadre de vie et les gens venus de
l'extérieur, qu'ils s'implantent durablement ou qu'ils soient des résidants secondaires,
généralement des urbains, qui doivent s'adapter à ce cadre très particulier (climat,
circulation).

Si les méthodes qui seront décrites plus loin sont largement applicables ailleurs, en
dehors du milieu de montagne, il faudra rester conscient de l'influence de ce dernier
sur certaines solutions ou sur certaines modalités de mise en œuvre.

*
* *

41
La complexité, qui peut fausser toute démarche de développement, rendre
quasiment impossible l'émergence d'initiatives, encourager l'attentisme et le
formalisme, a pu, dans le cas du Beaufortain, être transformée souvent en facteur
déclencheur (créativité), ou en garant de la pérennité des changements volontaires
impulsés par les collectivités ou les autres acteurs du développement.

C'est sans doute par une conscience forte d'une complexité quasiment impossible à
saisir de l'extérieur que les responsables politiques, associatifs et économiques du
Beaufortain n'ont jamais, à quelques exceptions près, fait confiance à des experts
étrangers pour rédiger seuls études et propositions pour le développement et ses
différentes facettes.

Seuls des autochtones, dûment formés, travaillant en collectifs et s'appuyant sur de


l'expertise sollicitée comme un simple appui technique, se sont eux-mêmes jugés Ŕ
et prouvés - capables de trouver dans cette complexité un aliment pour leurs
réflexions et leurs décisions.

Le résultat est là, comme nous le verrons.

42
FICHE PRATIQUE

La complexité à votre porte

Il s'agit ici d'une simple réflexion, en quelque sorte archéologique, afin de repérer les
différentes couches qui constituent toujours les histoires locales, selon les moments,
les acteurs, les circonstances endogènes ou exogènes, etc. Allez au plus profond
possible, pour trouver ce qui est invisible à l'analyse superficielle, comme les
questions de personnes, les effets du hasard, les dérives involontaires ou
inconscientes.

Choisissez trois "histoires" de développement Ŕ succès ou échecs Ŕ qui se sont


passées dans votre environnement à des moments différents dans les dix dernières
années et analysez-les pour en reconnaître les éléments de complexité.

Quelques exemples au hasard:

- création d'un centre social, d'une mission locale jeunes

- élaboration d'une politique de développement touristique

- création d'un dispositif de commercialisation de produits locaux

- constitution d'une communauté de communes ou d'un pays

Vous pouvez vous poser à leur sujet les questions suivantes

 Essayez de trouver, de comprendre et d'analyser ce qui relève

- du territoire et de l'environnement

- de l'histoire et des évolutions récentes

- des collectivités locales, élus, fonctionnaires

- du système institutionnel et des différentes structures de service public

43
- de la population autochtone, collectivement ou individuellement

- des apports extérieurs de population

- du contexte culturel, social, économique

- des relations aux services publics et à leurs agents

- des nouvelles contraintes exogènes et endogènes

 Recherchez les effets positifs et négatifs de cette complexité et de ses différents


aspects sur

- le déroulement du cas choisi

- son environnement institutionnel et humain

- les objectifs choisis et les méthodes utilisées

- le succès ou l'échec constaté

44
LES ACTEURS

Toute notre réflexion sur le développement du Beaufortain et sur les méthodes


employées nous amène à conclure que le tout premier élément déterminant de cette
histoire est le nombre, la qualité, l'engagement et le comportement des acteurs qui
ont construit patiemment et dans la continuité le Beaufortain d'aujourd'hui.

Par acteurs, nous entendons toutes les personnes qui, à un titre ou à un autre, à un
moment ou à un autre, ont agi, ont joué un rôle dans la conception, la décision, la
mise en œuvre des plans et des programmes, des grandes et des petites actions
dont nous donnerons ensuite progressivement les caractéristiques et les places dans
le processus de développement.

C'est dire si ce chapitre est important: il est au centre de tout l'ouvrage et constitue
en quelque sorte la clé de la compréhension des mécanismes du développement.

Trois leaders historiques

L'une des chances du Beaufortain a été de pouvoir compter, pendant plus de


quarante ans, sur la présence, le dynamisme, la persévérance de trois hommes,
originaires du territoire, qui ont, chacun à sa place, piloté le Beaufortain dans les trois
secteurs principaux de son développement:

- le Dr. Lucien Avocat, en tant qu'élu principal, maire du chef-lieu et conseiller


général, maître d'ouvrage et concepteur de la stratégie du développement,

- Hubert Favre, animateur de la vie sociale et culturelle et catalyseur des forces


vives de la population, créateur de l'outil majeur de transformation sociale qu'est
l'AAB,

45
- Maxime Viallet, expert et initiateur de la transformation et de la modernisation du
système agro-pastoral et de la production fromagère

De plus, ces trois personnages-clés se sont entendus pour travailler et pour


construire ensemble le Beaufortain moderne, même lorsque leurs caractères et leurs
positions professionnelles donnaient l'impression de suivre des chemins différents.

Le Dr. Lucien Avocat, né en 1925 dans le Beaufortain de parents et de grands


parents également ancrés dans le territoire comme agriculteurs, artisans,
enseignants, devenu médecin généraliste, militant associatif (membre de l'AAB dès
sa fondation), entre au conseil municipal en 1965. Selon ses propres termes, même
s'il n'avait pas d'ambitions "politiques", son expérience de médecin le préparait à
connaître en profondeur ses concitoyens et leurs problèmes, leurs potentiels, leurs
besoins. Il devint maire en 1971 et le resta jusqu'en 1989.

En 1973, il est élu conseiller général, poste qu'il Pour illustrer la popularité du Dr.
conservera jusqu'en 2001. Pendant trente ans, par Avocat, on remarquera qu'il a
toujours été élu conseiller général
conséquent, à un titre ou à un autre (il fut porté au premier tour, avec les
pourcentages suivants:
également à la présidence du SIVOM en 1973), il - 1973 67%
- 1976 71%
occupa les postes-clés de décision politique, - 1982 80%
- 1988 76%
administrative et financière pour le développement - 1994 56%
de Beaufort et du Beaufortain tout entier. A ces En 1973, L. Avocat remplaçait en
cours de mandat M. Pierre Dumas,
titres il présida aux deux mouvements conjoints, député-maire de Chambéry. En
2001, il ne se représente pas et
celui endogène de l'intercommunalité (SIVOM, est remplacé par Martial
Sevessand.
maintenant communauté de communes) et celui
exogène de la décentralisation.

Sa préoccupation, qui pourrait recouper celle de nombreux élus "modernes" du


milieu rural, fut à la fois de rapprocher les communes (et d'abord de réduire les
rivalités identitaires entre les deux villages d'Arêches et de Beaufort) et de doter
l'ensemble intercommunal des moyens d'une décision autonome face aux
collectivités territoriales supérieures et à l'Etat.

46
Ses principes, tels qu'il les énonce dans l'entrevue biographique qu'il a enregistrée
en 1989 avec un universitaire de Grenoble 9, peuvent se résumer en quelques
maximes qui ont été mises en œuvre pendant ses mandats et qui constituent encore
largement la base de la culture politique du Beaufortain:

- à ce niveau de responsabilité locale ou départementale, il n'est pas possible à un


élu rural de se plier au moule d'un parti politique; il doit rester indépendant et
suivre son instinct, son expérience, l'intérêt de sa population, sans avoir peur
parfois de se tromper et de devoir changer d'avis. Il doit non seulement être
honnête dans ses fonctions, mais être honnête avec lui-même.

- l'appartenance personnelle et culturelle au territoire est essentielle: les greffes ne


réussissent pas toujours.

- un certain degré de cumul des mandats (entre maire et conseiller général, dans
ce cas) n'est pas à redouter; au contraire, il permet une unité de vision entre la
gestion d'une commune et celle d'un territoire plus vaste, et de servir mieux les
deux; c'est une question d'efficacité.

- un élu ne devrait pas avoir besoin de faire campagne, à la manière habituelle; il


lui suffit de diffuser sa déclaration d'intentions et de programme; le reste est
verbiage.

- la gestion d'un territoire suppose un travail collectif, la coopération avec les


différents acteurs, qu'ils soient associatifs, économiques, ou représentants des
diverses communes.

- le maire ne peut agir seul, il doit s'appuyer sur une équipe, sur des gens en qui il
a confiance, surtout ses adjoints, et aussi le secrétaire général (on dit maintenant
directeur général). Il n'est pas seulement décideur, il est aussi inspirateur.

- la décentralisation est une bonne chose, même si elle est lourde et chère à
assumer: elle permet la prise de décision sur place, sans dépendre de
technocrates lointains.

- le principal objectif est de maintenir un équilibre (entre les communes, entre les
gens des villages et les gens des écarts, entre agriculture et tourisme, entre
tourisme d'hiver et d'été, etc.), en suivant de près et en accompagnant l'évolution

9
Cassette audio, archives de Hubert Favre.

47
du cadre de vie (la fermeture des chantiers dans le Beaufortain) et de la culture
des gens (les jeunes passent en quelques années d'une tradition agricole
d'exploitation familiale à une tradition ouvrière de salariés).

- il est indispensable de mettre des cadres et des règles strictes au fonctionnement


du territoire et de la société (quitte à moduler ensuite en fonction des
circonstances): ce fut le rôle du schéma d'aménagement issu de l'étude
SOGREAH (1965), puis de l'adoption d'un POS rigoureux.

- la collaboration avec la société civile (en Beaufortain, il s'agit principalement mais


pas seulement de l'AAB) est une nécessité absolue de démocratie; les projets
montés "en participation" sont généralement des succès; la présence consultative
de non-élus aux réunions politiques et administratives est utile à la prise de
décision.
Le Dr Avocat est maintenant plus réservé sur le cumul des mandats électifs: il
préconiserait plutôt l'association d'une activité professionnelle, d'un mandat d'élu et
d'une fonction associative, qui apportent trois éclairages différents et
complémentaires à la gestion de la chose publique au niveau local.

Hubert Favre est également né à Beaufort en 1932 et il ne l'a jamais quitté très
longtemps. Instituteur, il a commencé par être un militant de base, issu à la fois du
scoutisme et de l'éducation populaire. Il est à l'origine de tous les "coups" associatifs
à Arêches, puis à Beaufort, au tournant des années 1960. Cela l'occupe tellement
qu'en 1963, il se fait mettre en congé pour convenance personnelle, afin de
s'occuper de ce qui l'intéresse le plus: le développement social, culturel et finalement
aussi économique de son "pays". De 1964 à 1970, il parvient à se faire mettre à la
disposition du Beaufortain, avec salaire, mais sans titre officiel ni moyens d'action.

Finalement, en 1970, il est nommé CTP (conseiller technique et pédagogique) à la


direction régionale de la Jeunesse et des Sports, pour l'ensemble de l'académie de
Grenoble mais avec une grande disponibilité pour le Beaufortain, ce qui lui donne
quelques moyens d'action et l'accès à l'information et aux réseaux de son ministère
de tutelle. A partir de là, s'appuyant sur les nombreuses structures associatives dont
il a été un des créateurs, telles que le Foyer rural d'Arêches, le syndicat d'initiatives
et divers clubs ou groupes sportifs et culturels, et surtout sur l'AAB, il met en marche

48
la mobilisation populaire pour le développement du Beaufortain, en synergie avec les
élus et en particulier avec le Dr. Avocat.

Il avoue ne pas être autre chose qu'animateur, son plus beau titre sans doute: "je ne
sais rien faire de mes dix doigts, mais j'aime organiser, pousser les gens à se
rencontrer…". Il dit aussi qu'il aurait été "rien, ou presque" sans son épouse, Denise,
également institutrice puis directrice d'école, un temps conseillère municipale, qui a
joué des rôles divers et toujours déterminants dans bien des actions associatives et
paroissiales au sein de la communauté.

Depuis quelques années, Hubert Favre, qui a quitté la plupart de ses charges
"officielles", continue à être le "grand communicateur" du Beaufortain, peut-être aussi
"éminence grise", faisant circuler systématiquement l'information entre les acteurs,
accueillant les nouveaux arrivants, collectant et répandant des informations venues
d'ailleurs, de ses nombreux contacts et relais dans les administrations, dans
l'éducation populaire, à l'université. Adepte de la pédagogie Freinet dans ses années
d'enseignement, il est passé d'un journal scolaire à la publication d'Ensemble, la
revue du Beaufortain, qui rend des services à toute la population, aux associations et
aux communes, et aussi aux expatriés qui conservent ainsi le contact avec leur petite
patrie.

Personnage placé hors-hiérarchie, sans mandat électif, se voulant au service de sa


communauté, il a toujours poursuivi des objectifs méthodologiques clairs qu'il a
maintes fois exprimés:

- travailler en collectif avec l'ensemble des acteurs locaux,

- promouvoir et former les acteurs de la vie locale, actuels et futurs,

- faire circuler l'information à tous les niveaux,

- veiller à l'opportunité, à l'intérieur comme à l'extérieur du territoire, pour ne jamais


laisser passer une occasion et aller jusqu'au bout de sa mise en œuvre, sans
craindre d'échouer ou de perdre du temps,

- rester toujours pragmatique, sans dogmatisme

49
Quelques exemples de son mode de fonctionnement:

- il ne conduit plus, mais pratique fréquemment l'auto-stop, ce qui lui permet de


faire connaissance de nouveaux résidants, sur la route entre Albertville et
Beaufort.;

- il va vers tel ou tel nouvel arrivant, lui fait visiter le territoire, le lui présente, le fait
entrer dans la vie associative, découvre et utilise ses compétences et son esprit
d'initiative;

- tous les matins, il fait à pied un circuit d'information qui le mène à la mairie de
Beaufort, à la communauté de communes "Confluences", à l'office de tourisme, à
l'AAB, pour recueillir et transmettre nouvelles petites et grandes;

- il a constitué une considérable documentation, écrite, photographique,


magnétique, audiovisuelle, qui forme la mémoire du Beaufortain et de ses
habitants; ce fonds sera déposé à la communauté de communes pour servir de
noyau à un centre d'archives et de ressources du Beaufortain.

Maxime Viallet est né, lui aussi, dans le Beaufortain en 1922, de parents
agriculteurs. Il est lui-même paysan, exploitant jusqu'à la retraite, date à laquelle il a
remis son exploitation à un jeune agriculteur, pour aller vivre au bourg de Beaufort. Il
s'est formé à la vie sociale et publique par la JAC, puis par le MFR 10 et le
syndicalisme agricole et est très tôt devenu créateur de structures agricoles:
groupement de vulgarisation agricole (1955), centre départemental de gestion
(1957), coopérative laitière du Beaufortain (1960), Union des producteurs de
Beaufort (1964), SICA du Beaufortain (1974). Il a aussi été président ou
administrateur de pratiquement toutes les organisations agricoles locales et
départementales.

Pour lui, "la vraie solution pour la société et pour l'agriculture de montagne, c'est
d'établir les agriculteurs en tant que partenaires et en tant qu'artisans de la nature:
entrepreneurs de l'espace vert et de l'environnement. Ce sera leur fonction première.
La deuxième étant de faire des produits de qualité." Il a appliqué ces principes en

10
JAC : Jeunesse Agricole Catholique, devenue MRJC; MFR : Mouvement Familial Rural.

50
sauvant, avec les gens du Beaufortain eux-mêmes et malgré les résistances au
changement et à la modernisation, les deux principales ressources de la vallée: ses
paysages et ses troupeaux de laitières et en promouvant la qualité et la réputation du
fromage de Beaufort.

Possédant la compétence d'un agriculteur professionnel et de tradition, il a su aller


chercher les compétences scientifiques, en particulier à l'INRA, pour trouver des
solutions à toutes les étapes de la construction de la nouvelle agriculture en
Beaufortain (par exemple avec l'obtention de l'AOC Beaufort en1968.et la mise au
point de la machine à traire mobile en alpage en 1974). Il a mis à contribution les
responsables professionnels agricoles et leurs organisations, en s'y investissant lui-
même, intervenant partout où il pouvait à la fois représenter le Beaufortain et
promouvoir les idées et les méthodes qu'il y appliquait.

Il fut aussi un formateur (60 stagiaires accueillis sur sa propre exploitation et suivis
par sa femme), un militant de l'aide aux agriculteurs du Tiers Monde, un élu local (de
1977 à 1996).

Maxime Viallet avait épousé Elisabeth Honoré, une institutrice de la région


parisienne, qui partagea son action et fut une actrice active du développement rural:
vice-présidente de la Chambre d'agriculture de Savoie dans les années 70,
conseillère municipale de Beaufort de 1965 à 1971, présidente départementale de
"Vulgarisation agricole féminine" (années 70 et 80), administratrice de l'AAB et de la
Maison de retraite de Beaufort, etc.

Les successions et les successeurs

La question se pose toujours en pareil cas de la succession de ces personnalités


fortes, proches entre elles, qui ont mené plus ou moins ensemble les stratégies de
développement du Beaufortain pendant des décennies.

51
Il apparaît en réalité que des successeurs ont toujours été trouvés, tant pour les
différents postes électifs que pour les responsabilités agricoles ou pour la vie
associative et l'animation. Ces nouvelles figures représentatives du Beaufortain sont
plus nombreuses, cumulent moins de postes et poursuivent, selon leurs
personnalités propres, les lignes tracées par les pères fondateurs. Le résultat de ces
passations de relais entre générations successives de leaders est la multiplication
des personnes-clés. A la tête de l'intercommunalité, on trouve maintenant trois
personnes distinctes, le président de la communauté de communes, le maire du
chef-lieu et le conseiller général. Les innombrables casquettes professionnelles de
Hubert Favre et de Maxime Viallet sont maintenant portées par des "nouveaux",
nombreux et formés à l'école des "anciens".

On peut donc penser que la volonté de participation, d'action collective, de formation


systématique de toutes les personnes qui prenaient un rôle dans la vie politique,
sociale et économique du territoire a obtenu des résultats en termes de continuité,
même si cette multiplication des responsables et le fractionnement des
responsabilités qui en découle font perdre une part de la force de leadership qui
rassemblait les énergies et défendait les acquis collectifs, particulièrement dans le
secteur agricole.

Le système institutionnel est en place et fonctionne, la vie associative se poursuit


(même si l'AAB est devenue centre social et a un important personnel professionnel
et salarié). Il semblerait que le Beaufortain soit arrivé, sans ruptures, à une sorte de
stabilité qui démontre l'efficacité et la pérennité des méthodes employées. Et
cependant les menaces de déséquilibre existent, notamment entre le tourisme et
l'agriculture, suite à la diminution du nombre des agriculteurs, à l'apparition de friches
agricoles, à une certaine folklorisation de la vie rurale, à la pression foncière, qu'elle
soit immobilière autour des bourgs, ou touristique pour le développement et
l'aménagement du domaine skiable. Les héritiers parviendront-ils à adapter leurs
modes d'action à ces nouveaux défis dont on trouvera un inventaire dans le dernier
chapitre ?

Ajoutons que les effets de l'action menée pendant cette période se sont également
fait sentir au-delà du Beaufortain et que de nombreuses structures perdurent, par

52
exemple, au niveau départemental, l'Union des producteurs du beaufort ou la société
d'économie alpestre.

La question de la légitimité

Elle ne s'est jamais posée, dans le Beaufortain, en termes de rivalité ou de


concurrence. Le monde associatif et surtout l'AAB ont toujours respecté la légitimité
démocratique et légale des collectivités locales et de l'intercommunalité, du
département, etc., en tant que dépositaires de la responsabilité de l'intérêt général et
du pouvoir de décision. Inversement, le Dr. Avocat est très clair dans son discours et
sa pratique l'a démontré, une bonne démocratie et l'intérêt bien compris du territoire
impliquent l'information et l'écoute des forces vives et leur association aux processus
qui mènent à la décision, et aussi leur collaboration dans tous les programmes de
développement. Pour Hubert Favre, les associations ont un pouvoir de proposition et
d'action, les collectivités locales ont un pouvoir de décision et de gestion; les unes ne
sont pas inférieures aux autres, elles sont différentes et doivent coopérer.

Plus encore, ici, les associations ne sont pas des foyers d'opposition ou des
pépinières de futurs conseillers municipaux, tandis que les municipalités ne
cherchent pas à contrôler ou à détruire les associations. Une règle non écrite que
l'on aimerait voir appliquer ailleurs…

De même, il n'a jamais été question de remettre en question la légitimité et la


représentativité des organisations agricoles et des acteurs économiques, y compris
touristiques, dans la gestion de leurs intérêts sectoriels. Les collectivités ont toujours
encouragé les entreprenants. C'est ainsi que, pour l'agriculture, le Dr. Avocat précise
que sa mairie aidait les initiatives de développement, à la seule condition que les
projets soient présentés et réalisés collectivement.

On peut dire que la légitimité, en Beaufortain, est issue de la nature collective de la


structure et du projet, toujours dans le respect du pouvoir institué, en donnant la
priorité au local. En effet, le Dr. Avocat comme Maxime Viallet ou Hubert Favre
répètent à l'envi que c'est au niveau local que les décisions doivent être prises, les

53
propositions des niveaux supérieurs, jusqu'à celui de l'Etat, devant être négociées
avec le terrain. Le Beaufortain est un cas exemplaire de mise en œuvre du principe
de subsidiarité et de sa valeur pédagogique pour la motivation communautaire.

Des citoyennes et des citoyens actifs

Il ne suffit pas, du moins en Beaufortain, d'avoir des leaders charismatiques,


reconnus, qui tiennent bien et longtemps les rênes du pouvoir. Une caractéristique
du territoire est d'avoir réussi à susciter autant d'individualités fortes, motivées,
formées, engagées dans les différents mouvements, organismes, institutions qui ont
encadré le développement pendant si longtemps. Comme l'a dit le Dr. Avocat,
"quand les élus s'essoufflent, il y a suffisamment d'initiatives ailleurs"11.

Il n'est pas possible, ni indispensable de lister toutes les personnes qui, à un moment
ou un autre, ont participé activement à la vie locale et aux programmes ou projets de
développement. Voyons seulement quelques points particulièrement significatifs, sur
le plan méthodologique:

- mobiliser les femmes Ŕ Certes, les trois leaders principaux, on l'a vu, étaient
tous des hommes. A l'occasion de leur succession, on voit se multiplier des
femmes, comme maires (elles étaient déjà entrées dans les conseils municipaux
depuis les années 50), présidentes et administratrices de l'AAB et d'autres
d'associations. Cela résulte d'une volonté claire et durable, marquée, par
exemple, par l'initiative, en 1980, de la création de cours de conduite automobile,
dédiée à l'obtention du permis de conduire par les femmes, surtout celles qui,
vivant dans les hameaux, n'avaient pas accès aux actions menées dans les
villages et à l'animation de la vie sociale. Citons aussi le rôle moteur qui a été
celui d'Elisabeth Viallet dans la promotion féminine, l'attention aux défavorisés et
la vulgarisation en milieu agricole, et l'apport très significatif de femmes venues
de l'extérieur (voir page suivante). De même, Denise Favre apparaît dans nombre
d'initiatives associatives. Leurs exemples ont permis, en 40 ans, la multiplication

11
Entretien avec "La Vie Nouvelle" en 1984

54
des postes importants occupés par les femmes. Deux maires, sur les quatre du
canton, sont des femmes. On n'est pas encore arrivé à une totale parité, mais la
situation a déjà nettement changé, au profit d'une meilleure représentation des
femmes à tous les niveaux de l'action publique et de la reconnaissance de leur
apport différent de celui des hommes: si le monde féminin en effet n'évolue pas
parallèlement à celui des hommes, rien ne peut s'inscrire dans la durée car c'est
lui qui agit à la base et qui transmet.

- promouvoir les jeunes à des responsabilités Ŕ c'est une priorité et une urgence,
même si les résultats sont mitigés. Dans le monde agricole, le succès est patent:
en 1970, sur 300 exploitations, l'âge moyen était de 60 ans; actuellement, il ne
reste que 140 exploitations mais l'âge moyen est de 40 ans. On y est parvenu,
grâce à l'action de la coopérative, par la mécanisation, par l'augmentation de la
taille des exploitations et du prix du lait, permettant une meilleure rentabilité. Les
jeunes sont également très présents dans les activités liées aux sports d'hiver.
Par contre, dans la vie associative et dans la vie civique en général, ils sont très
absents. Un contrat jeunesse, récemment signé avec le Conseil général, devrait
changer cette situation: une animatrice a été recrutée et un forum réussi font déjà
bouger les choses.

- impliquer les nouveaux résidants Ŕ l'observation de l'évolution de la population


du Beaufortain depuis quarante ans montre l'importance, non seulement
quantitative, mais aussi et surtout qualitative, des personnes qui ne sont pas
originaires de la vallée et qui se sont installées à un titre ou à un autre: des
personnalités nationales comme Hubert Beuve-Méry12, des "étrangers" au propre
ou au figuré, qui apportent d'autres expériences, d'autres compétences et
d'autres regards sur le pays, enfin les conjoints d'autochtones qui ont souvent un
dynamisme propre et qui créent des activités vraiment nouvelles: nous avons
déjà cité Elisabeth Viallet, il y a aussi cette Marie-Claude Péresse qui, venue de
Reims pour épouser un ouvrier d'Ugine, a fini par créer trois commerces et lancé
la Gymnastique volontaire. Elle a en outre été animatrice du foyer rural,
présidente du club nautique, cheville ouvrière du groupe folklorique, etc. Bien
d'autres femmes pourraient être citées. C'est un apport de sang neuf qui trouve
en Beaufortain un cadre favorable à la création. On remarque que ces nouveaux

12
Fondateur du journal Le Monde

55
arrivants sont nettement plus créatifs que les autochtones en matière d'initiative
économique. L'apport des émigrés, en particulier de ceux qui ont atteint ailleurs
un niveau élevé de compétence et de pouvoir, est moins net: même lorsqu'ils
reviennent dans la maison familiale qu'ils ont gardée, ils ne s'impliquent pas
souvent dans le développement.

Quant à la population prise dans son ensemble, elle est fortement impliquée dans
une vie associative foisonnante: une association pour 44 habitants ! Ces "citoyens
actifs", très représentatifs socialement de la population, participent effectivement au
développement. Ils n'émanent pas d'une élite de notables et ne constituent pas non
plus une classe dirigeante.

Des acteurs collectifs

On compte 90 associations actives dans le canton, couvrant tout le spectre des


activités sociales, culturelles et économiques. On se bornera ici à mentionner celles
qui ont joué le rôle le plus important dans le développement, qui sont au nombre de
trois.

- le Foyer rural d'Arêches, fondé par Hubert Favre en 1964, dès son détachement
de l'Education Nationale, a été le premier moyen de rassembler, d'animer et de
former les habitants, dans un objectif clair de participation à un développement
cohérent, multiforme et durable. Il a promu, le premier, un tourisme résolument
familial et de taille humaine. Il a élaboré et lancé un programme de stages et de
rencontres qui ont permis la toute première mobilisation des gens sur une idée de
développement global du Beaufortain. Il a lancé les premières formations et
permis d'expérimenter à l'échelle d'un village, Arêches, les méthodes d'animation
qui allaient ensuite être généralisées. Il a disparu avec la création de l'AAB.

- l'Association d'Animation du Beaufortain (AAB) dont il a déjà été souvent


parlé est, depuis sa création en 1973, le principal outil de participation active de la
société civile dans le développement du territoire.

56
Association réellement indépendante, fondée par des militants de l'action locale
et de l'animation, très proche des collectivités locales et de l'intercommunalité
dont elle reçoit des moyens importants, on peut dire qu'elle a été et est encore un
outil structurel du développement du Beaufortain. Loin d'être un musée, elle est
tournée vers l'avenir, l'aménagement, l'innovation et de plus, maintenant,
s'attache à gérer les maux de la société.

On peut distinguer trois périodes: d'abord celle de l'imagination et de l'innovation


pendant une dizaine d'années, puis l'âge de la maturité et de l'instrumentalisation
(centre de support technique pour 40 associations et l'office de tourisme à partir
de 1979), enfin une phase d'institutionnalisation avec son agrément comme
centre social et la création de nombreux services sociaux et socioculturels depuis
1995. Au cours de cette dernière période, le nombre des salariés (12
permanents) a fortement augmenté et le professionnalisme l'emporte
progressivement sur le volontariat (il y a encore 200 membres vraiment actifs
quand même).

L'AAB, au cours de sa longue histoire, a conservé ses Un exemple de coopé-


ration entre l'AAB et la
objectifs de base: informer, former, animer la vie collectivité
sociale locale, travailler en réseau avec les L'association a pris en
compte le vœu des élus
associations locales et l'extérieur, notamment Savoie de créer un relais (ou un
Vivante dont elle est membre fondateur. L'activité substitut) de l'ANPE sur le
territoire. Elle a créé et
d'Hubert Favre s'est exprimée largement dans le géré pendant quelques
années le "Relais Emploi
cadre de l'AAB, dont il a été en quelque sorte à la fois Beaufortain". Voir plus
loin page…
un fondateur et le premier animateur permanent.

Par ailleurs, il faut souligner l'importance de l'organe d'information qu'est la revue


Ensemble, un trimestriel créé en 1962, donc antérieur à l'AAB, qui diffuse des
nouvelles de celle-ci et des autres associations ainsi que de la population et qui
sert de bulletin officiel pour les quatre communes (auparavant également pour le
SIVOM). Ensemble compte maintenant 1000 abonnés, qui sont en même temps
les usagers de l'AAB13.

13
Pour plus de détails sur la très riche histoire de l'AAB, voir le dossier d'Ensemble à l'occasion
du 30° anniversaire de l'association, n° 163, janvier-mars 2003.

57
- la Coopérative laitière de Beaufort14, fondée en 1957 par Joseph Viallet et son
groupe, a été le principal outil de reconstruction de l'agriculture en Beaufortain,
après le processus de désertification et le traumatisme des chantiers de
barrages et de leur clôture. Sauver les alpages, un mode de vie, des races de
vaches laitières, des savoir-faire et un produit exceptionnels ne pouvait se faire
dans l'émiettement des exploitations, des villages, des hameaux et des chalets,
avec une population paysanne vieillissante.

Il fallait mobiliser et fédérer les énergies, Un peu d'histoire


moderniser les techniques, former les Avant la création de la coopérative, le beaufort
agriculteurs, construire des équipements était produit uniquement l'été dans les alpages, du
21 juin au 12 septembre. On parle alors de
permettant une fabrication semi- l'exploitation en grande montagne, avec des
industrielle conservant et améliorant la troupeaux (au minimum 50 bêtes) formés par le
rassemblement des animaux de plusieurs
qualité artisanale du produit, propriétaires. Ce système n'a guère changé de
commercialiser. 1830 à 1930 (8000 bovins sont hébergés dans le
Beaufortain l'été) et il va continuer à fonctionner
Produire une roue de fromage de 40 kg jusque dans les années 1950.

exige 400 l de lait, ce qu'aucune famille A partir de cette période s'amorce l'exode rural,
l'effectif du cheptel inalpé décroît, il est plus difficile
ne pouvait obtenir par ses propres de trouver de la main d'œuvre, de surcroît
l'aménagement à partir de 1955 du complexe
moyens. La coopérative a été créée
hydraulique (Roselend, St Guérin, La Gittaz)
pour cela, avec tout ce qui allait avec, entraîne la disparition de 400 hectares de beaux
pâturages. La création de la coopérative laitière du
toujours dans le sens du travail collectif
Beaufortain a provoqué une mutation totale du
et de la solidarité: une association système d'exploitation :
- fabrication du beaufort toute l'année
foncière, une Société d'Intérêt Collectif
- collecte du lait et désenclavement des
Agricole (SICA), l'Union des exploitations agricoles et des alpages grâce à la
construction de routes et de pistes (cette
Producteurs du Beaufortain (UPB). Tout
collecte atteint aujourd'hui la quasi-totalité des
cela supposait, et c'est encore vrai alpages )
- invention de la machine à traire mobile
aujourd'hui, en raison de l'influence des
- les montagnards sont devenus des alpagistes
facteurs extérieurs comme le prix du lait qui sont propriétaires en partie de leur troupeau.
- dans la vallée : abandon des remues et
ou l'évolution des marchés du fromage,
construction d'étables modernes
des débats lors de réunions parfois Brigitte Joguet
houleuses d'agriculteurs

14
Ce n'est pas une association selon la loi de 1901, mais en tant que coopérative son
fonctionnement est analogue à celui d'une association.

58
Il a fallu, pour arriver à ces résultats, non seulement briser l'individualisme des
agriculteurs, faire évoluer les habitudes et les comportements, mais aussi faire
travailler ensemble les gens des hameaux et des alpages et ceux de la vallée,
dont les intérêts divergeaient au départ.

Bien d'autres structures ont participé au mouvement local d'éducation populaire et


aux divers programmes et actions qui forment le processus de développement du
Beaufortain; parmi elles notons le comité des fêtes d'Arêches, divers clubs sportifs
(nautique, de tennis, de montagne, de ski…), les offices de tourisme de Beaufort et
des Saisies, le club du 3° âge, etc.

Cette méthode de multiplication des initiatives associatives est à analyser et à


souligner d'un point de vue méthodologique: au lieu de constituer une association
attrape-tout plus ou moins inféodée aux élus ou bien au contraire située en contre-
pouvoir, qu'aurait pu être l'AAB, on suscite, chaque fois que cela paraît nécessaire,
sur un objet bien déterminé, avec des membres très motivés, une structure
indépendante qui peut compter sur un fort volontariat. L'AAB, comme centre de
support technique, permet des économies d'échelle importantes pour la logistique et
l'assistance technique. Certaines associations meurent (le club nautique, par
exemple) lorsque ses membres ne sont plus assez motivés ou ne se renouvellent
pas. Mais à tout moment et sur tous les problèmes, les élus ont en face d'eux des
interlocuteurs expérimentés, prêts à participer à la conception des décisions et à leur
mise en œuvre.

Les acteurs institutionnels

On rappellera ici l'importance des relations entre les différents niveaux de


collectivités:

Les hameaux, qui ont vu leur importance et leur rôle changer avec le
développement des services en fond de vallée, l'accès des femmes à la conduite
automobile, la fermeture des écoles, la vie associative. Ils n'en ont pas pour autant

59
perdu leur identité et, dans certains cas, leurs activités propres, avec des structures
locales propres, composées de "sages" élus.

Les quatre communes, depuis la montée en puissance de l'intercommunalité,


restent fort jalouses de leur autonomie et de leur capacité à prendre leurs propres
décisions de développement. C'est ainsi que Hauteluce conserve avec Villard la
responsabilité de la station des Saisies. Beaufort, qui a progressivement réglé bien
des problèmes de co-existence avec Arêches, regroupe les fonctions de centralité
pour l'ensemble du territoire.

Le SIVOM du Beaufortain, qui est devenu La progression de l'intercommuna-


lité en Beaufortain
"Confluences" en tant que Communauté de
Dans les années 60, à partir du
Communes depuis 2002, a la tâche d'harmoniser dynamisme d'Arêches, l'ensemble
communal Beaufort Arêches
et de piloter le développement de l'ensemble de la devient le moteur du
développement.
vallée: aménagement global, voirie, habitat, Dans les années 70-80, la
économie, assainissement, etc., en général tout coopération entre les collectivités
s'installe, notamment à l'occasion
ce qui est d'intérêt cantonal. Le Dr. Avocat, qui en du "contrat de pays" passé avec la
DATAR et avec la création du
a été longtemps le président, pense que SIVOM en 1971.
On notera cependant l'échec du
l'intercommunalité, avec la décentralisation, est projet de district et du projet de
Parc Naturel Régional.
une nécessité et permet de régler bien des L'intercommunalité se confirme et
problèmes même si certains coûts en sont se renforce dans les années 2000
avec la communauté de
augmentés. Deux exemples de l'esprit communes (2002).

d'innovation à l'œuvre dans cette structure:

- l'ouverture de ses séances et du droit à la parole à des représentants


d'associations (notamment l'AAB) et de services de l'Etat (Equipement, Education
Nationale, etc.), ce qui lui donne un peu le double caractère d'une assemblée
d'élus délibératifs et d'un conseil de développement consultatif.

- la création, pour la première fois en Savoie et peut-être en France, d'un poste


d'architecte conseil intercommunal, chargé d'harmoniser les mesures et les
règlements en matière d'habitat et d'exercer un influence pédagogique sur les
projets immobiliers communaux et privés.

60
Le collège, ouvert en 1972, a joué un rôle déterminant, non seulement pour la
formation des élèves, mais pour le maintien de jeunes en Beaufortain et pour
l'animation générale de la vallée. Il est un facteur de connaissance réciproque entre
les différentes communes, mais aussi entre les hameaux et les chefs-lieux, gommant
ainsi, au moins en partie, les préjugés, les esprits de clocher, le sentiment
d'infériorité des enfants des écarts.

Dirigé le plus souvent par des Principaux de grande qualité, très impliqués à titre
personnel dans la vie locale et qui ne se retranchent pas derrière le sacro-saint
règlement, il a été pratiquement toujours ouvert à des activités autres que
l'enseignement. Ses locaux, sa bibliothèque sont accessibles à tous. Première
institution locale, et l'un des premiers collèges de France à recevoir une dotation en
matériel informatique, dès le début des années 80, il a joué un rôle d'initiateur aux
nouvelles technologies. Grâce à lui, un "SIVOM des Jeunes", le seul du département,
fonctionna de nombreuses années, contribuant à former les jeunes à la vie civique.

Les partenaires extérieurs

Un exemple de prestation de Savoie


Savoie Vivante est une association Vivante
départementale, regroupant les collectivités L'association départementale a réalisé
en 2002, sous la signature de son
territoriales et de nombreuses associations directeur Yves Paris, un bilan de
l'accompagnement à l'emploi dans le
d'éducation populaire en Savoie, qui leur apporte Beaufortain, destiné à faire suite à la
conseil, information, espaces et occasions disparition du Relais-Emploi de
Beaufort.
d'échanges, qui arbitre les conflits qui peuvent Suite à la rencontre de 26 personnes
survenir dans les territoires au cours des ou structures, le document fournir des
éléments d'état des lieux et des pistes
processus de développement. C'est la véritable de travail, pour les objectifs à
poursuivre, la coopération entre
fenêtre de l'AAB sur l'extérieur. L'AAB et Hubert l'ANPE, les élus et les services
sociaux, les mesures catégorielles à
Favre ont été parmi ses fondateurs et ses prendre, la création d'un nouveau
service emploi dans le Beaufortain.
membres les plus dynamiques; en contrepartie,
Des critiques sont portées sur un
Savoie Vivante et son directeur Yves Paris ont certain manque de dynamisme du
Beaufortain en matière de lutte pour
soutenu et accompagné les dossiers
du l'emploi: faible motivation des
chômeurs, difficultés de recrutement
Beaufortain, au plan départemental et national. sur place d'emplois saisonniers, faible
intérêt porté aux porteurs de projets.

61
Le Conseil général et ses services ont été, tout au long de ces années, des
soutiens actifs des processus à l'œuvre en Beaufortain. La personnalité du Dr.
Avocat, pilote politique du développement de la vallée et conseiller général a été
naturellement déterminante. Sa position politique bien affirmée, mais non-partisane,
lui a permis de mériter le respect des "grands élus" du département et de bénéficier
au mieux des mesures qui pouvaient l'aider dans ses plans et programmes. On peut
dire que le Beaufortain a été, pour le Conseil général, une sorte de laboratoire
d'expérimentation de méthodes et de solutions de développement.

Le Conseil régional figure peu dans l'histoire du Beaufortain récent, peut-être parce
qu'il est loin, peut-être aussi parce qu'il apparaît, comme acteur majeur, dans les
années 80, alors que les principaux partenariats du Beaufortain sont établis depuis
près de vingt ans. En tout cas, on ne note aucune coopération particulière, en dehors
des politiques régionales normales.

La CAF de Savoie intervient maintenant en partenaire du Beaufortain par ses liens


avec l'AAB devenue centre social de plein droit. Elle a permis à celle-ci de multiplier
et de professionnaliser ses services à la population, sans pour autant abandonner
ses objectifs propres et ses activités antérieures.

Les différents services de l'Etat ont été naturellement associés à l'évolution du


Beaufortain, en fonction de leurs compétences et de leurs moyens d'intervention. On
remarquera à leur sujet plusieurs points de méthode importants, et peut-être assez
originaux:

- la volonté des élus, et en particulier du Dr. Avocat, de ne pas se laisser mettre en


tutelle par l'Etat et d'imposer autant que faire se peut le principe de subsidiarité,
dans la théorie comme dans la pratique,

- la veille systématique aux mesures publiques, dans le cadre de la saisie


d'opportunités déjà mentionnée ici parmi les pratiques les plus courantes en
Beaufortain de la part des différents leaders locaux, mais aussi la capacité de

62
"tordre"15 ces mesures pour les adapter au contexte local, sans effectuer le
chemin inverse,

- l'importance attachée aux relations personnelles avec les fonctionnaires eux-


mêmes, bien plus qu'avec des services plus ou moins anonymes, ces agents
publics pouvant devenir de véritables "complices" des élus, des acteurs
économiques, des associations dans des projets complexes qui exigent de la part
de tous les acteurs ouverture d'esprit et faculté d'adaptation, toujours au profit de
l'intérêt général, mais d'abord de celui du territoire et de sa population.

Cela n'a pas toujours été sans heurts et frictions: il a fallu parfois apprendre à l'Etat le
respect dû aux collectivités locales, par exemple dans leurs démêlés avec l'EDF où
les représentants de l'Etat dans le département ou l'arrondissement avaient
tendance à privilégier l'intérêt du programme national énergétique au détriment des
populations du Beaufortain et de leurs représentants.

Les méthodes de mobilisation

Dans le cas du Beaufortain, l'habituel "jeu d'acteurs", qui est toujours largement
gouverné par les personnalités en présence, devient une synergie volontairement
engagée dans le respect de l'identité et de la légitimité de chaque catégorie et de
chaque personne ou structure. On a vu plus haut que le Dr. Avocat considérait que la
démocratie passait par le dialogue et la coopération permanente entre élus et
associations ou autres représentants de la société civile; on a vu aussi que le SIVOM
ouvrait ses séances à l'AAB et aux fonctionnaires de l'Etat. Les relations
personnelles entre les trois leaders principaux, entre eux et les autres acteurs
principaux de la vie locale, ont souvent montré leur efficacité, soit pour élaborer des
projets, soit pour arbitrer des conflits, soit pour trouver des solutions à des questions
insolubles séparément pour chacun d'eux.

15
selon l'expression de M. Barraud, conseiller général de l'Ariège et champion du
développement rural.

63
Cette très forte personnalisation a été évidemment rendue plus facile par la petite
dimension du territoire et par l'origine locale des principaux acteurs, voire même par
leurs liens familiaux ou amicaux antérieurs à leurs engagements publics. Elle n'a pas
empêché, de leur propre aveu, les désaccords ou les divergences, mais elle a
toujours permis les échanges et le débat.

64
FICHE PRATIQUE

Cette démarche a pour but de vous rendre créatif en matière de développement: ce


que nous disons ici du Beaufortain n'est pas un modèle et il ne faut surtout pas le
copier de trop près, même si certains aspects méritent d'être étudiés pour pouvoir
s'en inspirer.

1. Etablissez un tableau des acteurs selon les catégories ci-dessus, en utilisant si


vous le souhaitez la grille ci-dessous. Les acteurs "négatifs" sont à lister aussi
clairement que les acteurs "positifs". Ne pas oublier, dans les appréciations portées,
que les qualités et les défauts, le rôle et la place de la ou des personnes qui
représentent ou animent une structure, quelle qu'elle soit, sont encore plus
importants que ceux de la structure elle-même.

Appréciation
Nom de la Nom de la Rôle dans le
qualitative et
personne structure développement
subjective

Naturellement, il ne s'agit pas d'un fichage, mais d'un moyen de faire un inventaire
aussi complet que possible et qui peut évoluer, être mis à jour et complété au fur et à
mesure que les acteurs changent, ou modifient leur comportement, ou encore que de
nouveaux acteurs apparaissent.

2. Définissez les relations, actuelles ou souhaitables, entre les différentes


catégories d'acteurs:

- collectivités locales, leurs élus et leurs services

- intercommunalités, leurs responsables politiques, administratifs et techniques

65
- associations, leurs présidents, directeurs et organes représentatifs

- services de l'Etat et des autres collectivités territoriales, et les fonctionnaires qui


les animent

- acteurs économiques, surtout collectifs (syndicats, organes professionnels,


chambres consulaires)

- personnes-ressources, leaders, porteurs de projets individuels

3. Si vous êtes vous-même un acteur local, ou si vous souhaitez le devenir,


définissez aussi vos propres relations avec chacune de ces catégories

4. Réfléchissez et choisissez un ou des modes de mobilisation des acteurs qui


vous paraissent les plus pertinents pour votre territoire dans les circonstances
actuelles

- Assises, assemblées générales

- Université populaire rurale, journées d'études, conférences, colloques

- Programme de formation

- Communication, information, média

- Actions prétextes mobilisatrices

- Rencontres individuelles porte à porte

- Autres

66
L'ANIMATION

Que l'on prenne l'animation au sens strict, celui qui a été défini aux temps glorieux de
cette activité étroitement liée à l'éducation populaire, ou au sens commun,
étymologique, de donner vie à une population, à un groupe ou à un territoire, il est
certain que le concept recouvre une très grande part des actions réalisées et des
méthodes appliquées en Beaufortain depuis 1960. C'est en tout cas ce que souligne
fortement Hubert Favre, qui en a été l'initiateur et le chef d'orchestre jusqu'aux
années 1990. Il en est resté activement l'inspirateur jusqu'à aujourd'hui.

Bien entendu, c'est l'Association d'Animation du Beaufortain (AAB) qui a assuré la


plus grande part de cette tâche à partir des années 70, après le foyer rural d'Arêches
qui avait joué le même rôle mais sur une aire géographique plus restreinte, dans les
années 60. Mais les 90 autres associations du territoire y ont largement contribué
ainsi que les nombreux clubs qui sont nés au cours des années pour répondre à des
besoins spécialisés, dans le cadre de l'AAB ou de façon indépendante.

Un concept toujours moderne

On pourrait considérer, de nos jours, l'animation comme un concept dépassé,


correspondant à la période des Trente Glorieuses et à l'idéologie de l'éducation
populaire née sous le Front Populaire, pendant la Résistance et dans l'immédiate
après-guerre. D'autant que, depuis les années 80, il semble que le "métier"
d'animateur ait été progressivement remplacé par celui d'agent de développement,
mot commode mais qui recouvre le plus souvent une mission de développement
économique, ou parfois d'action sociale auprès des plus défavorisés (dans la
politique de la ville par exemple). En Beaufortain, un poste d'agent de
développement a bien été créé en 1975, qui a pris ensuite d'autres noms (chargé de
mission notamment), mais il était strictement limité à des fonctions de montage de

67
dossiers (OPAH par exemple), d'animation économique, de coordination de projets
sociaux.

Or le développement est un objectif, un programme et un processus, tandis que


l'animation est une méthode et un outil au service de ce développement, du territoire
et de la population. L'animation n'est pas spécialisée dans le culturel, ou le social, ou
l'éducatif, ou l'économique, elle prend en compte toutes les facettes de l'action
locale. En Beaufortain, il suffit d'entendre Hubert Favre décrire la diversité des
activités, des projets, des moyens d'action de l'AAB, pour comprendre qu'il n'y a pas
de frontières entre les secteurs d'activité. Le club de ski a été un moyen d'amener les
jeunes, par la pratique d'une activité traditionnelle de loisirs, à se préparer à des
emplois d'hiver dans le cadre de la pluriactivité, offrant par là même de la main
d'œuvre qualifiée aux stations de ski de la vallée ou des vallées voisines. Dans ce
cas, l'animation produisait mobilisation, formation, loisir, emploi, enrichissement
collectif, maintien des jeunes sur place, et cela dans le long terme, en synergie avec
les politiques de développement des collectivités locales. Or qu'y a-t-il de plus banal
comme animation socio-sportive que la création d'un club de ski ? Il en a été de
même pendant trente ans pour le club nautique qui a aidé à faire connaître et à
exploiter les possibilités du Barrage de Roselend.

Dans le plus pur esprit de l'éducation populaire, l'animation, en Beaufortain, a


toujours puisé ses ressources humaines, spirituelles et matérielles dans la population
et dans la culture vivante du territoire: Hubert Favre et les bénévoles qui peuplaient
l'AAB et les autres associations étaient les garants de cet ancrage dans le terreau et
le tissu locaux. C'est ainsi que des personnalités comme Roger Frison-Roche et
Hubert Beuve-Méry ont été, avant comme après leur mort, et sont toujours des
exemples, pour la population et des références pour les visiteurs. Comme dit Hubert
Favre: "on se les approprie… Ce sont des icônes du Beaufortain…"

L'animation a été en quelque sorte le levain dans la pâte, au service de la


construction progressive d'un Beaufortain moderne, de la conscience d'une
communauté de vie et d'avenir, de la mise en œuvre participative des projets et des
programmes des communes et de la structure intercommunale. Elle a eu également

68
une fonction d'agitation, pour susciter la créativité, motiver à la formation, encourager
la vie associative

Des animateurs

Pendant les trente dernières années, le Beaufortain a connu trois types de


professionnels de l'animation:

- un conseiller technique extérieur à l'association, Hubert Favre, rémunéré sur un


poste CTP Jeunesse et Sports, qui a cumulé, selon les moments et les besoins,
les fonctions d'animateur bénévole, de formateur d'animateurs, de monteur de
dossiers, de président de l'association (et de bien d'autres lors de leur
lancement), de chargé des relations extérieures.

- un animateur dit "permanent" au sein de l'AAB, c'est-à-dire à tout faire (création


en 1980/1981 grâce à un poste FONJEP16). Ce poste a changé de titulaire et
l'actuel titulaire du poste assure la dimension animation socioculturelle de
l'Association depuis son agrément comme centre social.

- un animateur vacher, recruté en 1982


Une opportunité
sur un autre poste FONJEP, pour Suite à une émission de radio, à la visite du
remplir deux fonctions complémen- responsable national du FONJEP et à la
disponibilité d'un jeune technicien cherchant un
taires: être à la disposition de toutes statut d'objecteur de conscience, un dossier
est monté en urgence et un poste d'animateur-
les personnes qui désirent être vacher est créé, pour le plus grand amusement
des élus et fonctionnaires du Conseil général,
remplacées temporairement sur leur et cela d'autant plus que cette action a
finalement été financée largement dans le
exploitation; créer une activité cadre d'un programme départemental de
"animation" dans le milieu agricole développement culturel !
Le premier titulaire crée son poste et son
pour faciliter les tâches non agricoles métier, puis est remplacé. Il se marie en
des agriculteurs (dossiers, réglemen- Beaufortain et est devenu conseiller agricole à
la Chambre d'Agriculture.
tation, problèmes pratiques, réflexion
collective).

16
Fonds de coopération de la Jeunesse et de l'Education populaire, structure interministérielle
qui cofinance des postes d'animation dans les associations

69
A côté de ces praticiens, de très nombreux bénévoles ont participé à l'animation
générale ou à des actions particulières, en fonction de leur disponibilité, de leurs
intérêts ou de leurs compétences. En effet, si l'on considère que, actuellement,
environ 200 personnes sont encore membres actifs de l'AAB après plus de trente
ans et sa transformation en centre social professionnalisé, on peut estimer que
plusieurs milliers de beaufortains ont, à un moment ou à un autre, participé à
l'animation, non comme usagers, mais comme acteurs responsables, sans parler de
tous ceux qui ont occupé des places dans les divers conseils d'administration
d'autres associations locales.

Une autre caractéristique de l'animation en Beaufortain est l'importance prise par


l'accueil et la mise à contribution de stagiaires. Cela a commencé par un accord avec
Concordia pour des chantiers de restauration et d'aménagement d'espaces et de
bâtiments vacants puis pour l'installation de la délégation régionale de cette
association. Une "maison des stagiaires" a été aménagée dans un ancien hospice
à Beaufort; elle a reçu au cours des années des étudiants, des sessions de
formation. Ces stagiaires apportaient leur enthousiasme, leur compétence, leur esprit
critique, ils laissaient leurs mémoires ou leurs thèses, ils contribuaient à l'ouverture
du Beaufortain et de l'AAB sur l'extérieur.

Enfin le Beaufortain a beaucoup profité des interventions en animation comme en


information ou en formation, de personnalités extérieures, qui ont occupé une
place essentielle dans l'animation, bien au-delà de leurs apports techniques: le
développement de l'agriculture, le conseil en architecture et en paysage (par
l'architecte conseil du canton et le CAUE), les formateurs des diverses disciplines,
les artistes de la décentralisation du Dôme d'Albertville, pour ne mentionner que les
principales catégories.

Des programmes et des actions

L'inventaire des principales actions menées par l'AAB a été fait et publié dans le
dossier d'Ensemble consacré à son trentième anniversaire, en 2003. On le trouvera

70
reproduit ci-dessous car il nous paraît inutile de chercher à sélectionner telle ou telle
activité et encore plus de la décrire: ce qui est important c'est la diversité et
l'originalité des actions et surtout la cohérence de l'ensemble sur une aussi longue
période. On remarquera aussi que pendant 7 ans l'AAB a fonctionné seulement avec
des bénévoles et l'aide d'un conseiller extérieur, Hubert Favre, qui n'était pas
l'employé de l'association.

Contentons-nous de choisir un certain nombre d'axes et d'opérations qui


caractérisent le mieux l'orientation de l'animation en Beaufortain, utilisée comme un
outil au service du développement participatif du territoire et de la communauté.
Nous ne parlerons pas de la formation, qui a beaucoup contribué à l'animation du
territoire, mais qui fera l'objet d'un chapitre à part. Nous ne parlerons pas non plus de
l'action socioculturelle et des loisirs qui n'ont pas, en Beaufortain, de caractère
spécifique. Nous parlerons successivement du rôle du collège, de l'aide à l'initiative,
de l'accueil et de la mise en place du réseau des bibliothèques.

*
* *

Rétrospective des actions conduites par l'A.A.B. entre 1973 et 2003

1973 NAISSANCE DE L'A.A.B.


- Transformation des écoles de hameaux en gîtes d'étapes avec les chantiers de jeunes de
l'association Concordia.
1978
- Poursuite de la rénovation des gîtes.
- Gestion de cinq gîtes (jusqu 'en 1988).
1979
- Plan de formation des pluriactifs : 1800 heures par an pendant 4 ans, avec l'AFRAT et le GRETA.
- Création d'une bibliothèque avec le Fonds d'Interven-tion Culturelle (FIC).
- Formation de femmes
1980
- Création du poste d'animatrice-hôtesse d'accueil permanente.
- Création du club des jeunes à Arêches.
e
- Création du centre support technique d'informatique en lien avec le collège, financé par le 7 plan Etat-Région
(ordinateurs, journal télématique, labo langues, labo photos).
- Rénovation de l'écomusée d'Hauteluce avec les chantiers de jeunes de l'association Concordia.
- Création de la maison de l'artisanat au Pontet à Arêches.
- Premier voyage à Langueux (Bretagne) dans le cadre d'un jumelage.
1981
- Conquête de l'informatique (5 ordinateurs).

71
- Premier séjour de petits Parisiens en Beaufortain avec l'APAS (colonie sans murs).
- Camp ados en Bretagne à vélo.
- Restauration des chemins pédestres avec des étudiants de l'AFRAT.
- Première "Veillée des musiciens"
- Colloque "Patrimoine et vie dans les villages de montagne"
- accueil des nouveaux Beaufortains
1984
- Plan câblé et toute sa technologie.
1985
- Rénovation de l'ancien hospice de Beaufort par les chantiers de jeunes de l'association Concordia et
ouverture de la "Maison des Stagiaires".
er
- En partenariat avec le SIVOM, 1 prix du concours national "Village que j'aime".
- Tour du Beaufortain pour les adolescents du territoire
1986
- Création du journal informatique (télex, Antiope suite au plan câblé).
er
- 1 Eté musical en Beaufortain.
- Solidarité eau : irrigation au Pérou, soutien du projet Rio Arma.
- Visites guidées des villages avec les guides de pays
ère
- 1 rencontre vidéo des pays
1987
- Création d'une chorale d'adultes.
- Accueil du Printemps musical (1000 musiciens, 21 concerts)
- Contrat Station Vallée.(gestion du volet formation)
er
- Edition du 1 guide Glénat
1988
- Ateliers musique dans les écoles.
- Festival des chorales.
1989
- Contrat de développement culturel avec le Conseil Régional.
- Séminaire Accueil Arêches-Beaufort
ère
- 1 mondiale de la "La Pierra Menta" musique de Patrice Mesmal
1990
- Fête de la randonnée.
- Première ouverture du centre de loisirs, avec l'office de tourisme
ère
- 1 Olympiades de la vidéo (22 pays, 250 participants, patronage Unesco).
- Gestion d'un centre d'accueil avec le SIDEVAR à Roselend.
- Premier concours des maisons fleuries
1991
er
- 1 prix national du salon du patrimoine sonore.
1992
- Naissance du groupe "En ça en là" (accueil à la ferme)
- Evolution de "Ensemble dans le Beaufortain"
1993
- Convention avec l'ADAC (Dôme-Théâtre d'Albertville).
er
- 1 Dossier d'Ensemble
1994
- La semaine de la lecture.
- Aide à la mise en place du circuit d'art baroque.
1996
- Premier agrément centre social attribué par la CAF.
- Relais Emploi Beaufortain.
1997
- Première édition du guide des activités.
- La lettre d'information aux Beaufortains.

72
1998
- Ouverture de l'Espace Emploi Formation.
- Signature du Contrat Enfance.
1999
- Ouverture du Relais Parents Assistantes Maternelles.
- Diagnostic jeunesse.
2000
- Signature des contrats cantonaux jeunesse.
- Opération "La Savoie, un coeur gros comme le monde" avec le groupe solidarité.
2001
- Troisième agrément centre social.
- Premier "Forum des associations" du canton.
- Ouverture de la halte-garderie.

*
* *

Le rôle du collège dans l'animation locale Ŕ créé en 1972, le collège a dès le


début joué un grand rôle, en coopération le plus souvent avec l'AAB ou d'autres
associations locales. Dans le cadre des 10% du temps scolaire consacrés à partir
de 1977 à des activités diversifiées d'animation et d'éducation civique et populaire,
une collaboration s'établit entre l'établissement, l'AAB, les animateurs et les
compétences techniques disponibles sur place, certaines structures ressources
comme la coopérative laitière. Dans le même temps, des ateliers et des stages de
formation ouverts à tous utilisaient les locaux du collège. L'AAB a coopéré
également à la modernisation et à l'extension de la bibliothèque du collège.

Dans les années 80, l'informatique s'installe au Opportunité


collège, avec une dotation complémentaire de Une lettre d'un ami parisien
signalant l'utilité potentielle de
l'AAB; son exploitation est assurée conjointement, l'informatique et de la téléma-
tique (1981), l'intérêt spontané
dans l'intérêt de tout le monde. Le Beaufortain de deux jeunes en fin d'études
acquiert ainsi une dimension expérimentale à secondaires, l'entrée en Beau-
fortain d'un premier micro-
l'échelle nationale. On associe pédagogie pour les ordinateur acheté au compte de
l'AAB par Hubert Favre lancent
jeunes et les adultes, communication et usages de le mouvement. La coopération
du collège et son équipement, le
gestion (des bibliothèques par exemple), en utilisant dynamisme de l'AAB et sa
capacité d'organisation et de
toujours les matériels les plus récents, du Minitel mobilisation font le reste. Il ne
aux ordinateurs personnels et maintenant à Internet. fallait rien laisser passer !

Naturellement, comme il a déjà été dit, c'est la personnalité du Principal qui est
déterminante. Heureusement, on n'a connu ici qu'un seul cas d'un responsable
"fermé" au collège.

73
L'aide et le soutien à l'initiative Ŕ Les objectifs de l'AAB ont toujours été d'impulser
des initiatives et de soutenir des projets. Ainsi elle a souvent contribué au
démarrage d'actions (ateliers musique dans les écoles), à la création d'associations
(chorale, club de jeunes ou du troisième âge) ou de groupements (En ça en là,
Solidarité).

Dans certains cas, les initiatives les plus porteuses d'avenir, dans le domaine
économique et dans celui des loisirs ou du socioculturel, étaient le fait de nouveaux
habitants, récemment arrivés, parfois après avoir épousé un(e) autochtone. Ces
entreprenants sont plutôt des urbains qui apportent des idées nouvelles en milieu
rural: c'est ainsi que naquit en 1966, au Foyer rural d'Arêches l'activité de
gymnastique volontaire, qui rassemble actuellement une quarantaine de
pratiquantes. Il en fut de même pour le yoga et pour bien d'autres projets.

Les structures locales, comme le foyer rural Une opportunité perdue: le jumelage
Langueux - Beaufort
ou l'AAB, offrent un cadre de démarrage, un
Langueux est une commune bretonne
soutien et un accompagnement. Ils ont près de St Brieuc. Le rapprochement
avec Beaufort s'est produit par hasard
fonctionné comme des sortes de pépinières, en 1978 à l'occasion d'un séjour de ski
de relais d'information et de recrutement de du maire de Langueux aux Saisies.
Après deux ans de préfiguration et un
"clients". Ils facilitent aussi les connections voyage collectif d'habitants de
Langueux en Beaufortain, il fut
avec les collectivités: le projet de jumelage finalement abandonné, faute de
bonnes volontés en retour de la part
Langueux-Beaufort a été initié par des des Beaufortains, mais des liens
solides se sont créés à cette occasion
relations entre des habitants, puis passé pour entre quelques familles bretonnes et
décision au conseil municipal. savoyardes.

L'aide à l'initiative touche le secteur économique, comme ce fut le cas pour


l'implantation d'ateliers d'artisanat d'art dans le Beaufortain. Dans les années 70,
l'AAB aide à se constituer un groupe de créateurs. Des expositions sont organisées
dans les villages. En 1981, un grand chalet est mis à la disposition, dans le hameau
de Boudin, pour en faire une maison de l'artisanat et commercialiser la production
locale et celle de Savoie, en coopération avec la Fédération des Paysans et
Artisans.

74
Il faudrait aussi citer l'activité de l'Office de Tourisme cantonal, à partir de 1973, qui
a été l'animateur du développement du tourisme familial et social en Beaufortain,
encourageant et aidant les projets individuels d'accueil et d'hébergement, comme
les projets des communes en matière d'aménagement touristique d'été et d'hiver. Il
est maintenant relayé par la Maison du Beaufortain.

Dans le même esprit l'AAB a proposé et mis en œuvre la transformation de plusieurs


anciennes écoles de hameaux, fermées progressivement entre 1964 et 1985 en
gîtes d'étape pour randonneurs, gérés au quotidien par des agriculteurs volontaires
voisins. Des usagers s'en souviennent encore avec enthousiasme. Cette action, qui
est maintenant terminée, avec la création d'autres équipements sur le territoire, a
été déterminante pour le démarrage du tourisme social pédestre et du ski de fond en
Beaufortain, en proposant des hébergements à bon marché à moyenne altitude.

L'accueil Ŕ C'est, d'après les principaux responsables locaux, l'une des priorités de
toute animation. Le Beaufortain doit rester ouvert et l'application du principe
d'opportunité mentionné plus haut repose largement sur l'entrée sur le territoire de
personnes, d'idées et de moyens venant d'ailleurs qu'il faut recevoir, reconnaître,
assimiler, avant de pouvoir les utiliser et en tirer profit. C'est aussi un atout pour
l'image du Beaufortain à l'extérieur. C'est enfin un moyen d'aider les nouveaux
habitants à se sentir bien dans le pays et ainsi à plus facilement s'intégrer. Cet
accueil peut prendre des formes très différentes et concerner des types de visiteurs
également variés. En voici quelques exemples.

Il y a évidemment, comme partout, l'accueil des touristes, aux offices de tourisme


d'Arêches-Beaufort et des Saisies, ainsi qu'à la Maison du Beaufortain au centre de
Beaufort.

On citera ensuite l'accueil des nouveaux habitants, chaque année en novembre


depuis 1981. Les élus se présentent, les nouveaux se présentent ensuite, on boit un
pot et c'est à ce moment que les premiers contacts se nouent. "On va à la pêche",
dit Hubert Favre, pour connaître les compétences utilisables, discerner les
engagements possibles, que l'on reprendra ultérieurement, sur une base plus
individuelle.

75
L'accueil est aussi destiné à des groupes de professionnels ou de militants
associatifs venus d'ailleurs, pour visiter la coopérative laitière, certaines réalisations
d'AAB ou des municipalités, les programmes de tourisme social, etc., ou encore
pour effectuer des recherches. Comme d'autres sites de développement local
expérimentés, le Beaufortain est un peu un lieu de pèlerinage pour de nombreux
spécialistes, y compris universitaires, du développement. A cette occasion, les
responsables locaux, élus, associatifs ou économiques, font connaissance de
collègues, recueillent informations et observations, échafaudent des projets de
coopération ou d'échanges.

On a déjà vu que de nombreux stagiaires venaient en Beaufortain soit dans le cadre


de sessions de formation, soit en formation individuelle (apprentissage par
exemple). Ils sont souvent invités à passer des journées dans des familles
volontaires pour mieux connaître le Beaufortain, ses réalités, sa vie quotidienne et
ses activités.

Enfin, le Beaufortain s'attache à inviter des hôtes exceptionnels. Entre 1966 et 1970,
ont été reçues pour une immersion dans le milieu français des épouses de cadres
supérieurs africains en formation à Paris. Reçues au Foyer rural d'Arêches, elles
découvraient le territoire, passaient quelque temps dans des familles d'exploitants
agricoles. Les agricultrices beaufortaines montraient alors des choses ou
exprimaient des idées qu'elles n'auraient sans doute jamais osé communiquer à
d'autres françaises. Il y eut également ce comité d'entreprise parisien qui plaçait
chaque année 60 ou 70 enfants de travailleurs dans des familles rurales, avec une
formation préalable des accueillants et des animations collectives. En échange des
adultes du Beaufortain étaient reçus dans des familles parisiennes membres du CE,
pour une découverte de Paris.

On voit bien tout ce que peut apporter une telle pratique de l'accueil pour un pays
comme le Beaufortain: une réputation, une ouverture d'esprit, des échanges, un
enrichissement partagé de connaissances et d'expériences, un ensemencement du
terreau local pour la production d'idées et d'initiatives. L'accueil ici n'est pas une
modalité de la politique touristique, c'est un axe fort de la stratégie d'animation tous
azimuts.

76
Le réseau des bibliothèques Ŕ au début, il y eut la bibliothèque du collège, que
celui-ci modernisa, développa et ouvrit à la population, en coopération avec l'AAB,
grâce à une subvention du Fonds d'Intervention Culturelle (FIC) en 1978, puis à un
soutien annuel du SIVOM. C'est ainsi que naquit la bibliothèque publique cantonale,
qui resta installée dans les locaux du collège. De nombreux bénévoles ayant reçu
une formation spécifique l'animaient et la faisaient sortir des murs, en direction des
écoles ou des personnes âgées. L'intérêt pour la lecture se développant, des
manifestations sont organisées, notamment avec les parents d'élèves.

Mais la demande croissant, il n'était plus possible de se limiter à cette bibliothèque


centrale, il fallait aussi desservir les autres villages. En 1994, une commission locale
"bibliothèque" est constituée au sein de l'AAB, avec des élus, des enseignants, des
bénévoles, et élabore un projet de service public cantonal de bibliothèque. Ce projet
a été mise en application entre 1996 et 2002: l'ancienne bibliothèque cantonale
devient bibliothèque municipale de Beaufort, avec une antenne à Arêches (créée
bien plus tôt sur une initiative locale); progressivement les trois autres communes
créent leur propre bibliothèque, avec des budgets et un statut municipaux, et
toujours des animateurs bénévoles. Un documentaliste recruté par le collège,
assisté d'une technicienne sous contrat avec le collège, tous deux repris par la
mairie de Beaufort et maintenant par la communauté de communes, travaille dans la
bibliothèque de Beaufort. La technicienne anime et coordonne le réseau et organise
les manifestations au niveau du territoire, comme l'opération "Lire en Fête". La mise
en place d'un logiciel commun est en cours. L'étape suivante verra la mise en
réseau et la création d'une carte d'adhérent unique.

L'animation au cœur du développement

Depuis le début de l'histoire du développement en Beaufortain, comme on l'a vu par


des exemples concrets, l'animation est présente comme moteur du changement.

77
Du Foyer rural d'Arêches à l'AAB de la Activités 2004 de l'AAB-Centre social
première génération et à l'AAB-Centre social Information-communication
d'aujourd'hui, et aussi aux 90 associations du - Ensemble
- Lettre d'informations
territoire, du bénévolat généralisé qui perdure - Accueil
Petite enfance – Enfance - Jeunesse
à la professionnalisation de nombreuses - Relais parents - assistantes
fonctions, accueil, dynamisation, lecture, maternelles
- Halte garderie
tourisme, le développement est co-construit - Centre de loisirs
- Contrats jeunesse
par les gens et par des actions qu'ils mènent
Culture
en grande partie eux-mêmes. - Théâtre
- Arts
Remarquons toutefois que le label "centre - Musique
- Animation familles
social", s'il a permis de faire de l'AAB le - Informatique, peinture sur bois,
etc.
support de nouveaux services et d'établir un
Vie associative
partenariat avec la CAF, a également - Services aux associations
- Groupe Solidarité
entraîné une institutionnalisation et une
Emploi et formation professionnelle
professionnalisation qui risquent d'affaiblir - Espace emploi-formation

progressivement la capacité d'imagination et (Source: rapport d'activités 2004 de


l'AAB)
d'innovation de la structure.

L'animation a toujours été l'objet de réflexions sur la méthode que l'on retrouve dans
les éditoriaux et les dossiers d'Ensemble, réflexions mises sur la place publique. Il y
a eu des échecs, par exemple la campagne entreprise conjointement par le SIVOM
et l'AAB pour la création d'un secteur audio-visuel et le câblage du territoire.
D'autres animations, très réussies et utiles ont fini par disparaître avec la génération
qui leur avait donné naissance, comme le club nautique. On a vu que la
bibliothèque, au contraire, avait généré tout un réseau, en conséquence de son
succès.

Et il ne faut pas que l'AAB, avec son caractère global et son activité multiforme, avec
ses moyens en personnel et en outils (comme Ensemble) cache d'autres acteurs
collectifs, comme l'ADMR17, la mission locale jeunes ou les groupes locaux actifs
dans telle ou telle commune.

17
Association d'aide à domicile en milieu rural, en faveur des personnes âgées

78
Enfin, insistons sur le rôle joué par la relation étroite et fondatrice entre le
Beaufortain, Hubert Favre et l'AAB d'une part, Savoie Vivante, Yves Paris et
l'ensemble des structures de l'éducation populaire en Savoie et au plan national
d'autre part. Les voyages d'études en France et à l'étranger organisés par le Foyer
rural, puis par l'AAB et enfin par Savoie Vivante ont d'abord profité aux élus et aux
militants associatifs du Beaufortain: non seulement ce furent des occasions de
formation, mais c'étaient aussi des actions de véritable animation par tout ce que
ces expériences provoquaient de réflexions et de créativité parmi leurs participants.
On n'imagine pas ce que des participants à de tels voyages d'études peuvent se
dire et projeter en commun pendant des trajets en car, à l'aller et surtout au retour,
lorsque les cerveaux sont pleins d'observations, de réflexions, d'idées.

Les animateurs du Beaufortain ont trouvé en outre dans ces relations extérieures un
accès à des compétences, à des savoir-faire, à des opportunités qui ont été
systématiquement mis à profit et investis dans le développement local et aussi dans
le perfectionnement des techniques d'animation.

79
FICHE PRATIQUE

L'animation est un vaste domaine, qu'il est parfois difficile d'aborder sans préalables
idéologiques, si vous n'êtes pas vous-mêmes dans le milieu. Nous vous conseillons
de rechercher l'assistance d'un ou deux praticiens locaux, connaissant bien le tissu,
qui vous aideront à détecter les structures et surtout les personnes derrière ces
structures.

Attention, il ne s'agit pas seulement de l'animation socio-culturelle, mais d'animer le


territoire sous tous ses aspects: l'animation ici est aussi bien culturelle que sociale et
économique, ou même politique.

1. Faire la liste des structures d'animation et des animateurs présents sur le


territoire

Ne pas donner une définition trop étroite de l'animation, essayer de discerner tout
ce qui contribue à l'animation ou pourrait y contribuer.

Adopter une attitude à la fois critique (pour les actions et les performances
passées) et prospective (pour ce qui peut être attendu dans l'avenir).

2. Dresser l'inventaire des secteurs "inanimés" ou "désanimés", à redynamiser

Par exemple, sur un territoire où les collectivités privilégient le tourisme, en


abandonnant une agriculture déclinante, indiquer les points où une animation
adaptée pourrait aider à relancer des exploitations ou à susciter des vocations
d'exploitants.

3. Rechercher les outils d'animation disponibles dans l'environnement local,


départemental, régional

Inventorier aussi systématiquement que possible, en indiquant pour chaque structure


le ou les contacts intéressants. Pour cela il pourra être nécessaire de rechercher

80
activement ces contacts, ce qui amènera à les informer d'éventuelles intentions ou
projets de développement.

- associations et fédérations d'éducation populaire

- comité d'expansion, chambres consulaires, pôle d'économie solidaire

- IUT, université, écoles de service social, ESCAE, lieux de recherche et de


formation

- centres de ressources ou de documentation

- personnes-ressources

4. Organiser une réflexion collective sur l'animation du territoire

Cela peut prendre la forme de rencontres informelles, ou d'assises locales de


l'animation, ouvertes aux professionnels, aux militants, aux bénévoles et aux usagers
de l'animation et de l'éducation populaire, ainsi qu'aux élus et partenaires
institutionnels locaux et extérieurs. La réflexion peut couvrir les thèmes suivants, en
vue de parvenir à un projet de schéma territorial d'animation.

- les champs de l'animation à couvrir : culturel, social, sanitaire, économique,


éducatif…

- les objectifs à fixer : mobilisation, initiative, créativité, insertion, accueil…

- les méthodes à privilégier : bénévolat, professionnalisation, micro-projets,


rencontres…

- les structures locales susceptibles de prendre le rôle de chef de file

- les moyens disponibles, sur le territoire ou à l'extérieur: subventions,


équipements, apports privés

81
LA CULTURE

La culture comme ressource et terreau du développement

On pourra s'étonner de voir placer la culture à cette place dans l'étude du processus
de développement à l'œuvre en Beaufortain. C'est que, sur notre territoire, la culture
n'est pas, comme souvent ailleurs, "la cerise sur le gâteau", ce que l'on prend en
compte quand tous les grands problèmes ont été abordés, et en premier lieu
l'économie.

Sur un territoire comme le Beaufortain, dans une population de fond rural et


montagnard, la culture est innée, non pas dans des manifestations exceptionnelles
ou festives, mais dans la manière de vivre ensemble dans son pays, de répondre
aux défis de la nature et du climat, de saisir les occasions de progresser, d'élever les
enfants et de soigner les vieux, de partager loisirs et difficultés.

Il n'est donc pas possible d'envisager une dynamique de développement sans en


faire une démarche culturelle, où les composantes de la culture (ou plutôt, comme on
le verra plus loin, des cultures) constituent à la fois une ressource (le patrimoine, la
capacité d'adaptation au changement, la solidité des convictions) et un terreau
nécessaire à la germination de nouvelles initiatives et de nouvelles générations.

Ce que l'on entend par culture(s) en Beaufortain

Le Beaufortain a acquis progressivement, pendant le dernier demi-siècle une culture


multiple, ou plutôt des cultures vivantes qui cohabitent, s'entrecroisent, se complètent
et s'influencent mutuellement. On peut citer, parmi les plus représentées et plus ou
moins dans un ordre d'apparition sur le territoire:

82
- les cultures rurales montagnardes, autochtones, liées au sol, au paysage, au
climat, aux activités agricoles, forestières, villageoises, d'hiver et d'été -
croyances, adaptation au milieu, veillées, traditions, savoir-faire, patrimoine
matériel et immatériel…

- une culture ouvrière héritée des chantiers de barrages et du voisinage industriel


d'Ugine et Albertville - syndicalisme et luttes sociales, rythmes des horaires de
travail, solidarité ouvrière…

- une culture de l'accueil et de la vie touristique, également d'hiver et d'été,


partagée entre les accueillants et les accueillis - relations économiques,
nouveaux métiers, contacts humains, invitations en ville pour les Beaufortains,
échanges, fêtes, pratiques de services et de consommation…

- une culture de plus en plus urbanisée, amenée par le changement des modes de
vie et par les influences de l'extérieur, des visiteurs, des nouveaux habitants, des
mariages mixtes et des médias - télévision, pratiques des jeunes, mobilité,
vacances, ouverture au monde et aux autres cultures, individualisme…

A tout cela s'ajoute évidemment la culture littéraire et artistique de la France


d'aujourd'hui, avec ses professionnels et ses amateurs, faite de littérature, de
musiques, de spectacles vivants, d'arts plastiques, etc.

Le développement du Beaufortain s'est réalisé dans cet environnement culturel


complexe, aux interactions imprévisibles, avec un fort impact des influences
extérieures et aussi de l'évolution des pratiques scolaires: le passage des écoles de
hameaux aux écoles centrales des villages, l'arrivée du collège ont provoqué un
brassage des population autochtones et des changements profonds dans la vie
culturelle des générations qui se sont succédé depuis quarante cinq ans.

Des cultures multiples à la dimension culturelle du développement

Les responsables de ce développement ont donc dû aborder la question culturelle,


au sens large, du Beaufortain, de façon pragmatique, mais aussi volontariste. Il fallait

83
en effet éviter de donner dans le passéisme, ce que la satisfaction du goût des
touristes et la nostalgie des anciens pouvaient soutenir, sans pour autant sacrifier de
vraies valeurs propres au territoire et à son identité. Il fallait aussi ouvrir la porte aux
nouvelles formes de pratiques culturelles, sinon on risquait de pousser les plus
jeunes à aller chercher ailleurs l'ouverture dont ils éprouvaient le besoin. Il fallait
enfin faire entrer le Beaufortain et sa population dans l'âge artistique et culturel
ouvert par la création du Ministère de la Culture en 1959 et la politique menée au
plan national, puis régional, de promotion d'une haute culture portée par de grands
professionnels et de grandes institutions, que le Beaufortain ne pouvait pas rêver
d'implanter durablement sur son territoire.

Le fait que les trois principaux leaders du Beaufortain, pendant cette période, ainsi
d'ailleurs que la plupart des acteurs des divers secteurs d'activité (politique,
agriculture, tourisme, associations), étaient eux-mêmes fortement ancrés dans les
cultures locales, tout en étant aussi fortement convaincus de la nécessité de changer
et d'enrichir le Beaufortain par l'entrée de nouvelles valeurs et de nouvelles formes
d'expression, a beaucoup facilité ce passage.

La recherche de la dimension culturelle du développement, ici, n'est donc plus une


querelle des anciens et des modernes, des conservateurs et des progressistes, mais
une stratégie équilibrée qui combine plusieurs formes et méthodes. Nous allons en
analyser trois, qui sont sans doute les principales et qui regroupent la plus grande
partie des programmes et des actions qui ont été entrepris depuis les années 60.

Mais auparavant, il faut dire un mot des rythmes de la vie en Beaufortain, qui
conditionnent fortement les comportements sociaux et culturels des habitants comme
des visiteurs. A cause du tourisme, il y a évidemment l'été et l'hiver qui sont les
saisons "utiles" d'accueil, d'opportunité d'emploi. Les autres saisons, automne et
printemps sont celles de l'activité communautaire, de la vie associative, de la
disponibilité plus grande des habitants. Dans la journée, les rythmes ont changé: les
exigences du ramassage du lait, les programmes de télévision, la réduction du temps
de travail des non-agriculteurs et donc l'accroissement du temps de loisir
transforment le calendrier et l'horaire des individus comme des activités collectives:
les réunions de soirée, veillées ou rencontres associatives, ne peuvent plus se tenir

84
après 20 heures, en raison des "obligations télévisuelles". Les veillées ont disparu il y
a déjà longtemps, tandis que les réunions associatives se passent maintenant plutôt
vers 18 heures18.

On notera une difficulté qui se présente ailleurs: entre les pratiques individuelles
(télévision, jeux informatiques), l'offre considérable de loisirs actifs collectifs et les
formations en cours ou en ateliers, les enfants et les jeunes sont très peu disponibles
et ont tendance à "papillonner" d'une activité à l'autre. C'est une contrainte pour les
parents qui, pour transporter ou accompagner leurs enfants à toutes ces activités,
sont moins disponibles pour leurs propres loisirs, pour leur propre formation ou pour
la participation à des activités associatives. Il faut aussi tenir compte des obligations
professionnelles des agriculteurs, qui ont peu de choses en commun avec la "culture
des 35 heures"…

Le patrimoine sous toutes ses formes

Même si le Beaufortain ne bénéficie pas du riche patrimoine que vantent ailleurs les
guides et les opérateurs touristiques, c'est bien par le patrimoine qu'il faut
commencer.

- Le paysage et son aménagement par l'homme - C'est certainement l'atout


principal du Beaufortain, à la fois pour ses habitants, anciens et nouveaux, et
pour ses visiteurs. Des efforts ont été faits, depuis toujours pour le protéger, en
exploiter les richesses, éventuellement l'enrichir. Et cela non seulement parce
que c'est un argument d'attraction touristique, mais bien parce que la population,
les "autochtones" y tiennent et ne veulent pas le dégrader. De ce point de vue, les
barrages EDF représentent un atout réel, malgré l'appauvrissement vivement
ressenti de la perte des plus beaux alpages et du paysage remarquable qu'offrait
le vallon de Roselend avant la construction du barrage.

18
Pour Hubert Favre, c'est d'ailleurs un avantage: ces réunions durent moins longtemps pour
une efficacité au moins aussi grande…

85
Le refus de grandes stations de ski au Un échec: le PNR
sens de la Tarentaise ou de la Maurienne A la fin des années 60, le Beaufortain
a souhaité bénéficier lui aussi d'un
voisines, le respect des espaces parc naturel régional. Le projet fut
finalement abandonné en 1970. Au
forestiers, l'éducation au respect de la
niveau national, on y était favorable,
flore et de la faune, le maintien à tout prix même avec un territoire limité aux
quatre communes du Beaufortain?
des trois étages de la vie traditionnelle Mais la commune d'Hauteluce, qui y
voyait un obstacle pour son projet de
des producteurs de lait et de fromage ont station du Joly, n'a pas donné son
accord.
été les grands axes de cette politique de
On peut cependant constater que la
la nature et de l'espace. Malgré les logique PNR (protection et développe-
ment) est restée appliquée avec
évolutions des modes de vie et de succès. Il reste que, pour Hubert Favre
qui en a toujours été partisan, avec le
production, malgré les flux touristiques, PNR cela eut été plus facile ! Il le
ces objectifs ont été respectés. regrette encore aujourd'hui.

- Le patrimoine bâti Ŕ Même si aucun monument majeur n'existe Ŕ à part des


églises baroques qui appartiennent aux "Chemins du baroque en Savoie" Ŕ
l'habitat traditionnel du Beaufortain présente une grande homogénéité et tous les
efforts possibles ont été faits pour le maintenir vivant en évitant autant que
possible des défigurations et des additions malheureuses ou l'usage de matériaux
modernes trop voyants. Sur ce point, le Beaufortain a innové en décidant très tôt
de se doter d'un architecte-conseil, qui a été chargé de veiller au respect des
principes et des normes mises en place par les règlements d'urbanisme et par le
CAUE de Savoie. Il était également chargé de voir toutes les demandes de
permis de construire et de donner son avis. Son action pédagogique a consisté
notamment à organiser des expositions dans les villages et les hameaux pour
faire observer les caractéristiques du bâti par les habitants eux-mêmes et leur
faire connaître ces principes.

Ce service architectural cantonal une fois créé en 1980 et après un voyage


d'études en Ardèche, une première OPAH19 cantonale était lancée en 1981, pour
aider et accompagner les habitants dans la restauration de nombreux bâtiments
vacants. Une seconde OPAH est actuellement en cours, ainsi qu'une opération
de restauration des façades sur Beaufort. D'autre part, les communes ont montré

19
Opération programmée d'amélioration de l'habitat

86
l'exemple en réhabilitant progressivement, avec l'architecte conseil, tous les
bâtiments publics.

Cette action systématique et continue pendant vingt-cinq ans n'a pas empêché
quelques erreurs, mais les succès sont plus nombreux. On comptera parmi eux
le sauvetage des écoles de hameaux après leur fermeture, d'abord en gîtes
d'étape, puis en logements, la renaissance de certains écarts ou hameaux plus
ou moins abandonnés (voir plus loin l'histoire du hameau des Villes), le contrôle
remarquable des constructions de la station des Saisies.

Le patrimoine a aussi connu des apports nouveaux: un exemple très réussi est la
chapelle des Saisies, d'une architecture contemporaine exceptionnelle, résultat
de la coopération entre des paroissiens et un architecte.

Un inventaire du patrimoine a été fait, en collaboration avec le Ministère de la


Culture et selon ses normes. Pendant toute sa durée, des expositions étaient
organisées, pour informer et sensibiliser la population, dans les églises des
villages. Une association locale "Patrimoine Beaufortain" (fondée en 1997 et
présidée par Martine Viallet) catalyse et oriente maintenant les efforts et les
initiatives de protection et de mise en valeur.

- La mémoire, les savoirs, le beaufort Ŕ Au-delà du patrimoine bâti, le Beaufortain


recèle des richesses matérielles (le fromage, par exemple) ou immatérielles (la
manière de faire le fromage), et bien sûr des traditions, des légendes, des
coutumes. Il y avait aussi les personnes, cette population qui constitue la
"ressource" humaine du territoire, avec ses expériences et ses savoirs. Il fallait
faire l'inventaire de tout cela, au même titre que pour le bâti. Ce fut commencé et
cela dure toujours, par des entretiens et des enregistrements, par des expositions
(c'est en particulier le rôle de l'écomusée de Hauteluce), par des émissions radio
ou télévisées, par des articles et des dossiers dans Ensemble.

Un recueil de la mémoire des gens a été fait par des équipes de l'université de
Grenoble (Prof. Viard), des entretiens ont été menés avec Hubert Favre pour
RCF et Télé8 Mont Blanc, un inventaire sonore a même reçu un prix national, une
série documentaire vidéo "Savoie Mémoire Vivante" a été réalisée par Olivier
Pasquet.

87
A titre personnel, Hubert Favre a constitué au fil des années des archives
considérables sur le Beaufortain, qui sont en cours de classement20 et seront
ensuite numérisées avec l'aide des Archives départementales, donc du Conseil
général de la Savoie. Elles comprennent des documents écrits, sonores,
photographiques, audio-visuels. Elles ont été léguées à la communauté de
communes qui les a acceptées le 13 mai 2005, pour être mises à la disposition
des habitants comme des chercheurs.

D'ores et déjà d'autres acteurs locaux ont promis d'en faire autant avec leurs
propres fonds d'archives. Cela devrait donner naissance à un "centre des
archives de la mémoire et du patrimoine" qui regrouperait également des archives
anciennes des communes et celles de la communauté de communes.

Il y a là une leçon qui pourrait inspirer bien des animateurs locaux, y compris en
milieu urbain: la mémoire récente est rarement conservée et encore plus
rarement disponible. On ne mesure pas assez l'importance, pour la fierté et la
confiance en soi des habitants d'un territoire, que revêt la conscience de la valeur
de leur patrimoine, même et peut-être surtout immatériel. Cela à la condition
évidemment de ne pas faire du territoire un conservatoire fermé et stérilisant.

De la culture rurale à une culture de développement

Le Beaufortain a systématiquement privilégié une action culturelle orientée vers le


développement et l'avenir et cela dans quatre directions:

- une culture de participation (avant la lettre), en promouvant des méthodes de


débat collectif, aussi bien à la coopérative que dans les assemblées municipales
ou intercommunales et dans les associations. On a vu sur ce point le rôle de la
communication et de la formation. AAB et Ensemble ont été les principaux
moteurs de cette démocratie locale, encouragée par le Dr. Avocat.

20
Cela représente six mois de travail pour un archiviste professionnel. Un repérage sommaire
mentionne entre autres environ 350 cassettes audio, une centaine de cassettes VHS, une centaine de
mémoires d'étudiants et stagiaires, 2700 diapositives et de très nombreux négatifs, une vingtaine de
classeurs de coupures de presse, etc.

88
- des pratiques associatives et solidaires, qui ne se sont pas limitées à AAB ou
à la coopérative, mais ont irrigué les hameaux (rôle de l'animateur vacher, de
l'auto-école) et ont été systématiquement mises en œuvre toutes les fois qu'il y
avait un problème à régler ou un projet à monter.

- une nouvelle culture rurale/agricole, découlant des exigences de la production


laitière, des nécessités de la coopérative et de celles de la commercialisation et
de l'activité touristique: changement des pratiques d'alpage, sans cesser les
"remues" (transhumances) saisonnières, création de ressources complémen-
taires par l'hébergement des touristes et les métiers de la neige.

- enfin une culture de la pluri-activité, exigeant ouverture, adaptabilité, mobilité,


formation, une nouvelle exploitation des possibilités des activités saisonnières,
mais modifiant en profondeur la vie de famille, les loisirs, les relations humaines.

Et tout cela sur le fond de la crise des années 60, suite à la fermeture des chantiers
et aux changements traumatisants dans les modes de vie agricoles. Si l'on parle de
culture ici, c'est bien parce qu'il a fallu, de la part des Beaufortains, accepter de
participer eux-mêmes à la création des conditions de la modernisation de leur
territoire et de leur cadre de vie.

L'action culturelle et artistique proprement dite

Les pratiques culturelles dans la population Ŕ elles constituent l'essentiel de la vie


culturelle et découlent de ce qui a été dit plus haut de la diversité des cultures
vivantes des différents secteurs de la population. On trouve ainsi des manifestations
traditionnelles, fêtes et danses folkloriques, chorales, sports divers anciens et
nouveaux (ski naturellement, mais aussi tennis, escalade, natation), et des
consommations plus actuelles comme la télévision, la musique "jeune", les jeux
informatiques et vidéo.

Ce que l'on pourrait appeler la "culture du ski", traditionnelle dans la population


depuis ses premiers balbutiements dans les années 1920, pour les déplacements et
le loisir, est devenue le support de la profonde transformation de l'emploi vers la

89
pluriactivité. De même les formes les plus traditionnelles d'activités artistiques (les
fêtes et l'artisanat) sont parmi les éléments les plus attractifs pour le tourisme d'été.

Des activités nouvelles sont apparues: l'artisanat Anecdote


d'art non traditionnel pour la vente aux touristes, la Une dame de 76 ans,
passionnée de généalogie, a
recherche généalogique qui rencontre un succès acheté un ordinateur pour se
livrer à sa passion. Un exemple
croissant comme ailleurs en France et qui occupe de l'influence réciproque des
pratiques culturelles et de
les archives municipales et les paroisses, la l'introduction de l'informatique en
peinture d'amateur, différentes formes de bricolage. milieu rural !!!

Le Foyer rural d'Arêches dans les années 60, puis l'AAB à partir des années 70 ont
joué un rôle essentiel dans le maintien, l'apparition et l'expansion de toutes ces
pratiques. Le Foyer rural, par exemple, s'est attaché, dès les années 60, à la
promotion de l'artisanat, traditionnel et artistique, par la formation/perfectionnement,
le contrôle de qualité et d'authenticité, la promotion et la commercialisation. Il a
même suscité la création d'un groupement de producteurs. Plus tard, L'AAB a
constamment aidé à la création d'ateliers, de groupes et d'associations thématiques
correspondant aux goûts et demandes de la population.

La formation artistique et la créativité Ŕ La période que nous étudions a coïncidé


avec un essor considérable de l'éducation littéraire et artistique en France depuis la
création du Ministère de la Culture, avec lequel le Beaufortain a constamment
entretenu des relations étroites, notamment par l'intermédiaire du Fonds
d'Intervention Culturelle (FIC) qui a fonctionné entre 1971 et 1984. On a vu
l'expansion de la lecture et du réseau des 5 bibliothèques qui a suivi l'allongement de
la scolarisation et les demandes des résidants d'origine urbaine. La coopération
entre l'institution-collège et l'association AAB a été déterminante à cet égard.

Un effort tout particulier a été fait en Beaufortain pour l'éducation et les pratiques
musicales: un conservatoire cantonal (section du conservatoire d'Albertville), un
orchestre qui se produit chaque trimestre dans un village différent, une musicienne
intervenante dans les écoles rémunérée par la communauté de communes, un
soutien aux groupes de jeunes pratiquant les musiques "actuelles".

La vidéo a fait l'objet de formations et de diffusions dans le cadre du plan audio-


visuel lancé par l'AAB avec un financement du FIC; les premières Rencontres Vidéo

90
des Pays eurent lieu en Beaufortain en 1986 et devinrent itinérantes à travers la
France. En 1990, elles devinrent les Olympiades de la Vidéo, avec la participation
d'une trentaine de pays.

Le rôle du collège a été important, pour le lancement de la première bibliothèque, par


le recrutement d'une documentaliste professionnelle dès 1995, par l'hébergement
dans ses murs de nombreuses activités culturelles menées par l'AAB directement ou
en partenariat. Cependant, ici comme ailleurs, on regrette que le système de
l'Education nationale rende difficile l'introduction durable de disciplines culturelles
dans les programmes d'enseignement, qu'il s'agisse des écoles ou du collège.

L'accès à la "haute" culture Ŕ Qu'il s'agisse de l'ouverture des habitants du territoire


aux formes les plus abouties des arts, ou de la satisfaction des demandes légitimes
des visiteurs du Beaufortain, des initiatives ont été prises, même si les moyens
financiers et l'isolement ne permettaient pas de bénéficier de structures
permanentes. On remarque surtout que les habitants des fermes, des chalets et de
hameaux les plus éloignés des centres des villages n'ont pratiquement pas accès
aux programmes: Il faudrait leur proposer des activités de proximité, à domicile ou
chez leurs voisins. Mais cela supposerait probablement, si l'on voulait un effet fort et
prolongé, l'implantation durable en Beaufortain de professionnels de ce type de
spectacles, difficile à envisager d'un simple point de vue économique.

La scène nationale du Dôme à Albertville (18 km) offre des spectacles toute l'année
aux habitants qui peuvent et veulent se déplacer. Elle décentralise également des
manifestations dans le Beaufortain, où un équipement récent existe dans la station
des Saisies. Il n'y a cependant dans le Beaufortain, y compris aux Saisies, que des
salles "polyvalentes", avec les contraintes et les limites de ce type de locaux.

Le cinéma est présent pendant la saison hivernale à Arêches et dans la salle des
Saisies (gestion privée) pour une clientèle surtout touristique. Le reste de l'année,
une diffusion locale est assurée par l'AAB qui a mis jusqu'en 1990 à disposition le
matériel de projection.

Des rencontres littéraires et des expositions d'arts plastiques sont organisées de


temps à autre pour valoriser les créateurs Beaufortains, amateurs ou professionnels,
locaux ou jouissant d'une réputation régionale ou nationale. Le territoire valorise ce

91
qui lui appartient, tout en signalant son rattachement à la vie culturelle extérieure.
Ainsi, depuis 2003, l'association "Patrimoine Beaufortain" organise les "Rencontres
Culturelles en Beaufortain", pour tous publics.

Les loisirs Ŕ Dans le domaine des loisirs (non artistiques) proprement dits, les
activités physiques dominent, liées à la montagne comme l'escalade ou la
randonnée, ou importées des pratiques urbaines comme la piscine, le tennis, le yoga
ou la gymnastique volontaire. Rappelons aussi l'importance internationale, mais
aussi pour la population locale, de la célèbre course annuelle de la Pierra Menta,
course de ski-alpinisme, première et référence du genre.

L'AAB est chargée de la coordination et, le cas échéant, de la programmation, mais


n'a pas de responsable permanent du secteur artistique. Il n'y en a pas non plus
dans les communes ou à la communauté de communes. Une réflexion devra sans
doute être menée sur ce point, car il est vraisemblable que la demande croîtra
rapidement dans les années à venir, en raison non seulement des touristes, mais
aussi des changements d'habitudes et de besoins de la population permanente.

De tout ce qui précède, on peut tirer quelques conclusions sur la place et le rôle de la
culture, au sens large, dans les processus de développement en milieu rural isolé, ou
en montagne, c'est-à-dire lorsque l'influence directe de villes importantes et de
structures professionnelles spécialisées ne se fait pas sentir de façon continue. Rien
de ce qui doit réussir, donc durer, dans le développement ne peut se faire si cela ne
s'appuie pas sur la prise en compte des paramètres culturels locaux. D'autre part,
l'action culturelle est un facteur d'ouverture d'esprit et de regard sur l'extérieur pour la
population.

D'une manière plus générale le caractère vivant et équilibré de la culture d'une


communauté sur son territoire est un facteur essentiel de l'image qu'en ont les
habitants et les visiteurs de l'extérieur.

92
FICHE PRATIQUE

Le travail de réflexion sur la dimension culturelle du développement de votre territoire


ne peut pas être faite par des "experts" ou des consultants extérieurs, même si leur
aide peut être nécessaire. Il doit être le résultat d'une concertation approfondie entre
des acteurs du terrain, à partir de leur propre culture et exprimée dans leur propre
langage, en fonction de leurs objectifs généraux de développement.

1. Faire une étude des pratiques culturelles sur le territoire, et de leurs agents
et acteurs

Il s'agit bien des pratiques, et non pas des seules consommations. De plus, il ne
faut pas porter de jugement de valeur sur ce qu'elles représentent pour vous.
Regarder tel programme de télévision est une pratique qui existe et dont il faudra
tenir compte dans la définition ultérieure des objectifs et des moyens de l'action,
Pas plus et pas moins. Le sport est pour beaucoup une pratique culturelle, même
si elle n'est pas reconnue comme telle par le Ministère de la culture.

L'étude doit mener à un inventaire aussi complet que possible, qui inclut les
pratiques privées et publiques, individuelles et collectives, les langages pratiqués,
le sport et les relations sociales.

2. Inventorier le patrimoine reconnu ou non et étudier ses possibilités21

Il est souhaitable que l'inventaire du patrimoine soit réalisé collectivement par des
habitants, à qui l'on demande de dire ce qu'ils considèrent comme leur
patrimoine. Il ne s'agit pas à ce stade de protection ou de recherche scientifique,
cela pourra venir plus tard, dans une autre phase. Chaque élément inventorié

21
Voir dans la même collection, Hugues de Varine, "Les Racines du Futur Ŕ Le patrimoine au
ème
service du développement local", 2 édition, 2005

93
devrait également faire l'objet d'une réflexion sur son avenir et son usage à court
et moyen terme: restauration, droit de propriété juridique et responsabilité morale,
nouvel usage, etc.

Le résultat peut être un fichier et un atlas. Ce peut être aussi des expositions par
secteurs territoriaux ou thèmes. Ce peut être enfin une "carte de village", ou du
hameau, sous la forme d'une grande affiche illustrée où seront portés tous les
éléments majeurs du patrimoine local choisis par les habitants eux-mêmes
comme significatifs et/ou représentatifs de leur passé, de leur présent et de leur
culture.

3. Réfléchir aux conséquences culturelles du changement (exogène) et du


développement (endogène)

On a vu dans ce chapitre le rôle des changements de vie et notamment des


changements de rythmes sur la culture et sur les comportements de
consommation des habitants. Il vous est proposé de déterminer successivement:

- les changements principaux découlant de l'évolution du monde et de la


société, qui influent sur les habitudes des gens (la télévision ou la grande
distribution, par exemple), considérés dans leurs appartenances aux diverses
générations (jeunes, adultes, personnes âgées),

- les changements causés localement par l'activité économique, sociale, le


travail, le tourisme, les nouvelles relations intra-familiales,

- les nouvelles demandes et les nouveaux besoins d'ordre culturel en général et


d'accès à des produits artistiques en particulier (spectacles, fêtes, expositions,
etc.),

- la pression exercée par les visiteurs (dans les zones touristiques ou


souhaitant développer le tourisme) et par des organismes extérieurs, privés ou
publics (entreprises culturelles, entreprises de spectacles).

94
4. Etudier l'adéquation des moyens existants à ces besoins

A partir des éléments ainsi rassemblés, effectuer en collectif un examen des


structures, des programmes, des activités et des moyens humains et matériels
existants, les évaluer de façon critique, discerner les lacunes ou les insuffisances,
esquisser un schéma à moyen et long terme comportant les objectifs (liés aux
dimensions culturelles du développement global), les nécessités structurelles, les
moyens à dégager, les calendriers.

5. Penser à collecter et à rendre utilisable la mémoire récente du territoire.

Le développement se fait sur plusieurs générations, il y a donc un fort risque de


perte de la mémoire des origines ou des premières étapes du processus. Il faut
prévoir de documenter ce processus et de conserver des traces pour permettre
ultérieurement de le reconstituer.

On réfléchira aux moyens de constituer cette mémoire et aux personnes qui


pourront s'en charger ou y contribuer.

95
LA COMMUNICATION

Information ou communication ?

Faut-il parler ici, à propos du Beaufortain et du développement local en milieu rural


(et de montagne), d'information ou de communication ? Il semble que le terme
d'information, dans la langue courante, couvre plutôt une circulation descendante, de
ceux qui détiennent l'information vers ceux qui en ont besoin, ou dont on estime
qu'ils en ont besoin. Cela entraîne une sorte de censure, volontaire ou involontaire,
puisque ceux qui informent ont toute liberté de choisir le contenu de ce qu'ils
transmettent.

Peut-être pourrions-nous ici préférer le terme de communication, en lui donnant une


acception plus large: un échange bilatéral et multilatéral de nouvelles, d'idées,
d'opinions, de données, de haut en bas et de bas en haut, mais aussi dans un sens
horizontal ou oblique. A chacun et à chaque groupe de choisir dans ces flux
d'informations celles qu'il peut ou veut utiliser au moment où il les perçoit, ou aussi
de stocker celles qu'il souhaite pouvoir réutiliser par la suite.

Cela suppose, non seulement une volonté de la part des détenteurs des pouvoirs et
des moyens de la communication, mais aussi la reconnaissance de la valeur de
l'information, quel qu'en soit l'auteur ou le véhicule.

En Beaufortain, depuis le début de l'aventure du développement, la communication a


bien fonctionné et elle a été privilégiée dans les comportements des principaux
responsables, à la fois pour l'émission, pour l'écoute et le recueil, pour la mise en
œuvre (et à la portée de tout le monde) de moyens diversifiés de transmission.

96
La nécessité de communiquer

Quels sont,, pour les principaux acteurs locaux, les objectifs de la communication,
au-delà du thème général du développement ?

- prévoir Ŕ c'est-à-dire comprendre le passé et le présent, ainsi que les données


techniques de l'environnement, pour être à même de se préparer au changement
et même de se projeter dans l'avenir pour en être acteur conscient et créatif. Or
comprendre signifie aussi pouvoir questionner pour éclaircir ce qui paraît obscur
et complexe.

- mobiliser Ŕ la démocratie est l'affaire de tous les citoyens, mais elle ne peut être
exercée que s'ils se sentent capables d'exercer une part du pouvoir, à leur
niveau. La participation est une entreprise de communication, de négociation, de
partage de savoirs (entre l'expertise technique, la légitimité politique et l'expertise
d'usage qui est le propre des citoyens ordinaires).

- susciter l'initiative Ŕ la communication, la possession et le partage d'information


sont des conditions indispensables de la capacité créative: il faut savoir ce qui se
passe et les besoins des autres pour pouvoir se décider à lancer une idée ou un
projet, contacter ceux qui ont les mêmes intérêts, s'associer à des groupes
affinitaires. Le territoire a besoin d'une multiplication des initiatives individuelles et
collectives, ce qui suppose qu'un climat favorable soit créé, notamment par la
communication.

- obtenir des moyens Ŕ un territoire rural isolé, éloigné des centres de décision, est
normalement peu au courant des possibilités qui s'offrent à lui, à ses élus et à ses
habitants, pour obtenir subventions, soutiens, parrainages, autorisations. Les
différents niveaux, départemental, régional, national, européen, regorgent de
mesures, de règlements qui ne sont distribués qu'au compte-gouttes et à
intervalles irréguliers. La communication peut rendre cette information externe
disponible à tout moment, si les mécanismes locaux sont bien conçus.

- créer l'image du Beaufortain Ŕ aux yeux de ses habitants, pour les valoriser, les
rendre fiers et mieux à même de se présenter aux gens de l'extérieur. On ne
"vend" bien que ce à quoi l'on croit. Pour cela il faut disposer d'une masse

97
d'informations et la capacité de les diffuser et de les expliquer, y compris
lorsqu'elles sont apparemment défavorables.

En somme, la communication est le sang qui circule à travers les canaux virtuels,
écrits, et oraux du territoire pour fournir à la communauté un matériau à utiliser pour
le processus de développement.

Les contenus

Ils couvrent toute la gamme des informations qui sont nécessaires à la vie politique,
économique et sociale du territoire. En particulier:

- les nouvelles des hameaux, des villages, des mairies, des projets divers en cours
ou en préparation, plutôt en direction des habitants et des expatriés, pour
maintenir et développer le sentiment d'appartenance à un territoire et à une
communauté.

- la situation générale du Beaufortain et de son environnement, en direction de


l'extérieur, des partenaires, et du grand public régional et national, dans un esprit
de promotion et de valorisation. C'est particulièrement important pour l'activité
touristique d'été et d'hiver.

- la connaissance des grands problèmes du moment, tels qu'ils concernent les


différents niveaux territoriaux, jusqu'à l'Europe, ou même le reste du monde, pour
les habitants, afin de les mettre à même de comprendre le monde dans lequel ils
vivent et d'en accepter les transformations; il ne s'agit pas de faire double emploi
avec les grands médias, mais de cibler des sujets qui peuvent intéresser
directement les beaufortains.

- le contenu et les modalités de l'offre de services à la population: services sociaux,


culturels, de formation, de loisirs.

- une contribution directe à la formation permanente des habitants, sur des sujets
liés à la vie quotidienne et aux comportements. On peut faire passer ainsi des
messages sur la collecte des déchets, sur l'énergie, sur la pollution, etc.

98
- la recherche d'opportunités, qui implique une ouverture à l'information, surtout
extérieure et une interactivité dynamique.

Les différents outils et médias utilisés font évidemment des choix, mais le secret du
Beaufortain réside dans la multiplication et la diversité des moyens de la
communication: grâce à cette diversité, et aux réseaux des principaux responsables
dans leurs secteurs respectifs, on peut dire que bien peu de choses échappent à
l'habitant moyen, pour peu qu'il fasse l'effort de regarder, de lire et d'écouter. A lui de
réagir à son tour et soit de poser des questions, soit d'exploiter à son profit les
données reçues, soit encore d'alimenter la communication de ses propres apports.

Insistons aussi sur la question de la forme de la communication, du moins en ce qui


concerne les habitants: il est nécessaire de rendre l'information non seulement
accessible, mais aussi et surtout compréhensible, ce qui touche à la qualité du
langage employé, par exemple pour des contenus techniques. L'informalité d'une
grande partie de la communication en Beaufortain, qui se passe en langage courant
et souvent oralement, facilite cette compréhension. Les programmes de formation
ont fait le reste.

Les circuits

La communication emprunte des itinéraires et des circuits divers, plus ou moins


courts, plus ou moins exigeants.

Il y a naturellement la communication entre les acteurs principaux du développe-


ment, les responsables élus, associatifs, économiques: aucun ne doit avoir le
monopole du savoir et de l'information, dit le Dr. Avocat, ne serait-ce que pour
pouvoir jouer sa partie dans le processus. Cela suppose de lutter contre les
domaines réservés et contre les langages spécialisés (ou les jargons d'initiés). Le Dr.
Avocat a incontestablement joué de sa double casquette de maire et de conseiller
général pour bénéficier du maximum d'informations et ensuite les faire circuler sur le
territoire. De même Maxime Viallet, qui avait des contacts à tous les niveaux du

99
monde de l'agriculture, en a fait profiter le réseau local des structures coopératives et
associatives.

Entre les communautés, les groupes (associations par exemple) et les habitants, le
partage d'informations est parfois plus naturel et plus facile, même si là aussi des
individualismes ou des susceptibilités existent. Il y faut des médiateurs, des crieurs
ou des écrivains publics, capables de recueillir et de formuler les non-dits.

La communication avec les visiteurs et les nouveaux habitants est essentielle pour
un bon équilibre entre les populations de différentes origines et entre les résidants
habituels et les saisonniers. Hubert Favre prétend qu'il obtient des résultats, grâce à
l'auto-stop entre Albertville et Beaufort, qui lui permet de nouer des contacts et
d'échanger des informations avec de parfaits inconnus qui peuvent devenir des
relais…

Enfin, avec l'extérieur, ce n'est pas seulement de la promotion touristique (Les


Saisies…) ou commerciale (le beaufort…), c'est aussi, et peut-être surtout, l'entretien
de relations interpersonnelles, pour diffuser des expériences faites en Beaufortain et
récolter d'autres expériences faites ailleurs.

Tous ces circuits, comme on le verra, peuvent être formels, utilisant des médias
conventionnels et le faisant de manière aussi inventive et subtile que possible; ils
peuvent aussi être informels, reposant sur un usage constant des carnets
d'adresses, des relations amicales, de la lecture de la presse générale et spécialisée
et, une fois de plus, des opportunités qui se présentent de glaner de façon
impromptue des bribes de données qui, jointes à d'autres issues d'autres sources,
peuvent amener à modifier des points de vue ou à saisir des occasions.

De toute manière, l'exemple du Beaufortain et l'avis de ses principaux leaders


confirment le principe selon lequel la vraie démocratie repose sur une bonne et égale
information de tous les acteurs, à travers la communication.

100
Les outils

Ils sont innombrables en Beaufortain et il n'est pas sûr que l'on parvienne ici à en
donner une liste exhaustive.

Commençons par les pratiques informelles. On a déjà décrit la promenade


quotidienne de Hubert Favre sortant chaque matin de sa maison de Beaufort pour
aller successivement à la mairie, à la communauté de communes, à l'AAB, à l'office
de tourisme, pour recueillir et transmettre des nouvelles, des idées, des intuitions,
des opportunités, inventant avant la lettre le "chat" sur Internet. Et cet itinéraire
simplifié ne tient pas compte des rencontres faites sur le chemin, ou de celles qui
viendront dans le reste de la journée, des moments avant et après les réunions
associatives, des sorties de messes, etc. D'ailleurs, ce n'est qu'une version
professionnalisée du "bouche à oreille" ou du radio-trottoir. Hubert Favre est le crieur
public numéro 1 du Beaufortain. Il n'est certainement pas le seul et bien des élus et
des militants associatifs pratiquent sans cesse et sans même y penser la même
recette. C'est l'un des avantages du milieu rural, même s'il faut se méfier des
rumeurs et des erreurs d'interprétation.

N'oublions pas la simple correspondance Ŕ personnelle et professionnelle Ŕ des


principaux acteurs qui a alimenté une sorte de pool d'informations d'origines
multiples: le Dr. Avocat en tant que médecin et élu, Maxime Viallet avec tous ses
réseaux agricoles locaux régionaux et nationaux, Hubert Favre et les milieux de
l'éducation populaire et du développement local (Savoie Vivante entre autres) ont
permis au Beaufortain d'avoir en permanence des fenêtres ouvertes sur le monde.

Plus sophistiquée, mais moins interactive, était la diffusion de nouvelles et d'avis par
haut-parleur à Beaufort, le mercredi, jour de marché, et à la sortie de la messe du
dimanche. On peut ranger dans la même catégorie, en plus convivial, la pratique des
réunions publiques d'information et des journées à thème, toutes les fois qu'un sujet
d'intérêt général le mérite.

Les moyens d'information classiques (ce que l'on appelle les médias) sont
nombreux. On commencera par "Ensemble dans le Beaufortain", la revue
trimestrielle commune de l'AAB et des communes du canton, qui fera l'objet d'un
paragraphe spécial. La radio et la télévision ont été très souvent exploitées par le

101
Beaufortain, ses élus et ses associations, non seulement pour informer le reste du
monde de ce qui se passait en Beaufortain, mais pour donner aux habitants
permanents ou temporaires l'orgueil d'être à la une de l'actualité; FR3, Télé8 Mont
Blanc, Radio France, RCF22 ont été mises souvent à contribution. On citera par
exemple les émissions récentes de Télé8 Mont Blanc sur les hameaux de Beaufort:
3 ou 4 de ces hameaux sont traités chaque année, 20 au total jusqu'à maintenant.
Toutes ces émissions de qualité laissent des produits sonores ou audiovisuels qui
peuvent être ensuite réutilisés sur place ou pour la promotion à l'extérieur et qui font
partie ensuite de la mémoire et du patrimoine du Beaufortain.

Radio Beaufortain-Val d'Arly, liée à Europe 2, émet sur le Beaufortain même et


diffuse des programmes musicaux et d'information locale. Mais Télé8 Mont Blanc et
RCF ne peuvent être captées dans le canton. La presse écrite a également
beaucoup servi, des journaux locaux et régionaux de Savoie et de Rhône-Alpes aux
quotidiens nationaux (Le Monde à plusieurs reprises).

La presse professionnelle spécialisée, agricole, touristique, celle de l'éducation


populaire et du monde associatif, ont fait connaître partout en France et même en
Belgique ce qui se passe en Beaufortain, qui a bénéficié en retour, via Hubert Favre,
d'une revue de presse très active, contribuant évidemment à la fameuse "chasse à
l'opportunité".

Des moyens "pédagogiques" existent aussi, de temps à autre: des expositions sur la
communication, sur l'aménagement de la montagne, sur Maxime Viallet, sur le
Beaufort, etc. L'écomusée d'Hauteluce a produit une exposition sur les problèmes
des villages et des hameaux. Toutes ces expositions sont l'occasion de placer des
thèmes importants devant les yeux à la fois des habitants et de leurs visiteurs.

Des structures spécialisées dans la promotion et l'accueil des visiteurs ont été
créées, avec les offices de tourisme (Arêches, puis Beaufort, Les Saisies) et la
Maison du Beaufortain, sans parler de la salle de la coopérative laitière, équipée
pour la visite et l'information. On a déjà vu qu'un certain temps avait existé une
Maison de l'Artisanat.

De façon plus intime et réservée à des privilégiés, les voyages d'études, déjà cités à
l'occasion de la formation, ont joué un rôle dans la communication interne et externe.

22
Le réseau des radios chrétiennes francophones

102
Tous ceux qui y ont participé savent que des échanges passionnants ont lieu à l'aller
comme au retour, qui sont déterminants pour les décisions prises ensuite.

Les nouvelles technologies de l'information ont Un échec de la "méthode


évidemment été prises très au sérieux par ce Beaufortain" de chasse à
l'opportunité
territoire passionné d'information et de Une réflexion sur l'audiovisuel
communication. Dès la fin des années 70, le Minitel avait été lancée en 1979, qui
produisit plusieurs projets et
s'est généralisé: lors de son introduction, les PTT réalisations, dont la création d'un
magazine vidéo de pays, des
ont distribué gratuitement 300 minitels en une seule Rencontres Vidéo des Pays, un
schéma local expérimental de
journée. Puis ce fut l'informatique (nous avons vu le communication.
rôle du collège et de l'AAB dans sa diffusion). Le Ce dernier proposait, dans le
cadre du Plan Câble lancé au
téléphone mobile est plus difficile d'accès, sauf à niveau national, d'implanter en
Beaufortain le premier programme
Beaufort même, faute de relais. Internet était jusqu'à de câblage d'un territoire rural.
maintenant installé à l'office de tourisme, mais le La démarche n'aboutit pas et très
vite la télévision par satellite
Haut Débit vient d'arriver à Beaufort, Queige et relativisa l'intérêt du câble.
Villard, bientôt à Hauteluce, après une longue lutte.

Chaque commune et la communauté de communes ont créé des sites, un portail


Internet très complet existe pour tout le Beaufortain.

Le cas "Ensemble"

Un traitement spécial doit être réservé à "Ensemble dans le Beaufortain", la revue


trimestrielle lancée dès 1962 et qui est devenue à la fois le germe de l'Association
d'animation du Beaufortain (AAB) lors de sa création en 1973 et tout naturellement
son principal moyen de communication, partagé d'ailleurs de façon remarquable
avec les communes, intercommunalités et associations du Beaufortain. C'est un
exemple quasiment unique d'un instrument de communication vieux de 43 ans, géré
par une association indépendante et qui représente à la fois cette association (elle-
même coordonnant 40 associations locales et relayant une association
départementale) et l'ensemble des pouvoirs politiques du territoire.

103
Au début, il y avait des petits journaux scolaires: "Les Murmures de la Forêt" à
l'Ecole du Bersand, "Les Nains de la Montagne" à celle de Boudin, issus des
méthodes de la pédagogie Freinet. Puis Denise et Hubert Favre eurent l'idée de
lancer un bulletin pour l'ensemble du territoire.

Maintenant, dans sa formule achevée, Ensemble comprend dans chacun de ses


numéros, sur près de 80 pages, plusieurs rubriques:

- un éditorial qui donne la ligne politique, rédigé par l'un ou l'autre des membres de
l'AAB ou par un élu,

- les nouvelles de l'AAB et de ses activités, notamment actuellement celles du


centre social qu'est devenu l'AAB

- des rubriques d'informations locales qui vont de l'état civil aux "brèves"
historiques sur tel ou tel hameau,

- un dossier thématique copieux d'information et de formation générales: les


femmes en Beaufortain, l'Europe, les alpages, les projets d'aménagement, pour
ne citer que quelques exemples de cette formule inaugurée en 1993 qui a déjà
produit 50 dossiers,

- les comptes-rendus des réunions des conseils municipaux et des conseils des
structures intercommunales, le SIVOM du Beaufortain, le SIVOM des Saisies, la
communauté de communes, même si celle-ci possède maintenant son propre
bulletin.

Il est donc à la fois un instrument de communication, un outil de formation des


citoyens, un fonds documentaire et une mémoire du territoire et de ses habitants.
Existe-t-il ailleurs une telle archive vivante couvrant près d'un demi-siècle de vie et
de développement ? De plus chaque dossier d'Ensemble est une occasion de
mobilisation sur le thème présenté, tant par la quantité et la diversité des
contributions (jusqu'à 70) à sa rédaction, que par le mouvement d'intérêt provoqué
dans la population par sa lecture.

Techniquement, la revue, réalisée au début par la famille Favre sur une machine à
alcool, s'est modernisée au cours du temps: l'AAB s'est dotée en 1980 de moyens

104
autonomes d'impression sur offset; depuis 1992, la revue a été confiée à un
imprimeur professionnel. Avec un tirage d'environ 1000 exemplaires, 800 abonnés
en 2003 (610 en 1983) permettent au journal de couvrir presque toutes les familles
du canton et un bon nombre d'originaires expatriés. Il est aussi un moyen de
communiquer régulièrement avec les partenaires institutionnels et les soutiens
extérieurs du Beaufortain.

Dans le sillage d'Ensemble, on trouve d'autres formules plus souples et plus


fréquentes d'information journalistique: un journal informatique en 1986, une lettre
d'information en 1997, le bulletin de la communauté de communes depuis 2002, une
lettre d'informations spéciale jeunes en 2004, une feuille de nouvelles associatives
distribuée dans les boîtes aux lettres…

105
FICHE PRATIQUE

1. Quelle est l'image du territoire pour ses habitants et pour l'extérieur ?

Il s'agit d'une enquête rapide (sans prétentions scientifiques ou statistiques pour le


moment) auprès d'un échantillon de personnes rencontrées dans la vie de tous les
jours et de visiteurs occasionnels. Mais elle va plus loin que celle qui était suggérée
dans la première fiche pratique, page 24. Exemple de questions à poser:

Questions Réponses Note


Image interne
Qualité de la vie
Environnement
Facilités d'éducation
Opportunités d'emploi
Santé
Loisirs, sports, culture
Information
Convivialité
Dynamisme
Autres
Globalement
Image externe
Environnement, paysage
Services
Dynamisme
Accueil, information
Patrimoine
Autres
Globalement

Il est possible, pour éviter les jugements flous, de résumer les opinions par des notes
de 1 (défavorable) à 5 (très favorable). Bien entendu, tout doit rester absolument
anonyme et confidentiel.

106
2. Liste des moyens de communication locaux, ascendants et descendants

Etablir une fiche par moyen, tous supports confondus, y compris les plus informels.
Les critères peuvent être les suivants:

- dénomination, adresses

- support (papier, radio, oral…)

- secteur d'information (général, professionnel, local, thématique, jeunesse,


etc.)

- statut (public, privé, associatif, individuel)

- distribution (nationale, régionale, départementale, locale, professionnelle,


autre), tirage, fréquence

- publics cibles

- intérêt manifesté pour les thématiques du développement

- impact interne, externe

- identification du ou des responsables, contact

- appréciation critique

La fiche pourra ensuite être mise à jour périodiquement, afin de repérer les
changements, en positif ou en négatif.

3. Recherche de contacts dans les moyens d'information extérieurs

Etablir une liste précise (noms et toutes adresses) des personnes (physiques)
connues pour s'intéresser au territoire ou à certains de ses aspects dans des médias
extérieurs.

Ajouter devant chaque nom une appréciation de son intérêt et des sujets qui le
motivent plus spécialement.

107
4. Analyse critique de l'information telle qu'elle est pratiquée actuellement

- commencer un "press book" avec des textes et documents d'information


significatifs concernant le territoire (éviter de conserver les coupures de presse
sans intérêt)

- distinguer information interne et externe

- caractère quantitatif (volume d'information et nombre de personnes touchées)

- caractère qualitatif (appréciations subjectives dd la valeur des informations


transmises, de l'interactivité)

- évolution perceptible au cours des dernières années

Cette analyse peut être réalisée au sein d'un groupe de travail représentatif des
différents secteurs d'activité du territoire, de manière à obtenir des jugements et des
avis de personnes ayant des points de vue différents. Ces mêmes personnes
peuvent contribuer au press book, selon les médias dont elles ont l'usage.

5. Recherche des besoins d'information

Le même groupe donnera, en conclusion de l'analyse, ses suggestions quant aux


besoins, en quantité, fréquence, qualité, thèmes, publics, qui sont ressentis par
consensus sur le territoire et dans la population. Il sera utile de rédiger ces
suggestions pour un usage ultérieur.

108
LA FORMATION

La formation, au sens le plus large, est après l'animation et la communication la


troisième priorité de tous les stratèges du développement du Beaufortain, et cela
depuis les premières années. Il fallait en effet, après des années d'isolement
géographique, de désertification agricole et de chantiers EDF, mettre la population
toute entière, ses élus et ses leaders en mesure de créer eux-mêmes le Beaufortain
de demain et d'après-demain.

On retrouve là, tout naturellement, la doctrine de l'éducation populaire, forgée pour


des raisons analogues en 1936 et 1945, au moment même où elle commençait à
perdre en France sa force et son impact, avec l'euphorie des Trente Glorieuses, la
démocratisation des services publics de l'éducation (1960) et de la formation (1971)
et ensuite les problèmes socio-économiques (depuis 1974) auxquels personne n'était
préparé.

Le Beaufortain a franchi ces étapes de façon sereine, en se tenant à la ligne définie


au début des années 60, celle d'une formation générale et spécialisée, multiforme et
dans la longue durée, de l'ensemble des acteurs anciens et nouveaux de la vie
politique, culturelle, sociale et économique du territoire. A titre d'exemple, l'une des
années les plus productives de ce point de vue, 1984, a vu offrir 18000 heures de
formation organisée, sans compter l'effet de formation de nombreuses activités
collectives et participatives.

La formation pour quoi ?

A posteriori, il est possible de reconstruire les divers objectifs de la formation en


Beaufortain:

- conserver les habitants sur le territoire, c'est-à-dire garder les jeunes (rôle du
collège en particulier et d'une offre de formation professionnalisante, en particulier

109
dans l'agriculture et les métiers connexes) et permettre aux adultes de progresser
professionnellement et socialement sans quitter le Beaufortain ou en y revenant.

- former les acteurs, quelque soit leur statut (élus, responsables d'associations ou
d'organismes agricoles, salariés ou non), pour qu'ils puissent remplir leurs tâches
sans nécessairement se reposer sur des intervenants extérieurs. On a déjà
mentionné l'effort fait pour amener les femmes, surtout celles des hameaux, à
prendre part à la vie sociale et culturelle, en leur donnant accès au permis de
conduire, à la prise de parole, à la conduite de réunion.

- créer de la matière grise, c'est-à-dire former les gens à penser et à réfléchir, à


analyser, à décider, en fonction des problèmes concrets qui se posent à eux sur
le terrain, pour atteindre une autonomie de développement compatible avec la
décentralisation et la volonté de revendiquer le principe de subsidiarité. Ce fut le
rôle des voyages d'études, dont on reparlera plus loin.

- faciliter la participation des habitants à la préparation et à la prise de décision,


ainsi qu'à la mise en œuvre de celle-ci, en les amenant à un niveau de
compréhension et de technicité suffisant pour les mettre en situation de
coopérateurs et de partenaires. Le meilleur exemple en est le programme
d'actions de formation mis en place par Maxime Viallet et son équipe autour de la
Coopérative et du développement de l'agriculture.

- apprendre à maîtriser les changements et les techniques, en fonction de


l'évolution du Beaufortain et du monde environnant. Ici encore le collège a joué
un rôle, par exemple dans l'introduction de l'informatique, tandis que Ensemble
publiait des dossiers de mise à jour des connaissances de ses lecteurs sur divers
sujets d'actualité.

- promouvoir et instaurer la pluri-activité, c'est ce qui a donné lieu à la partie la plus


professionnalisante de tout le programme de formation en Beaufortain. C'est ainsi
que les métiers de l'agriculture, du ski, du tourisme et de l'artisanat sont devenus
complémentaires et ont provoqué une offre d'emploi renouvelée, appuyée sur le
rythme des saisons et des activités spécifiques. Ici, le rôle de l'AFRAT 23 a été
déterminant, pour la création de stages et l'envoi des stagiaires.

23
Association pour la formation des ruraux aux activités du tourisme. Cette structure a été
fondée en 1965 dans le Vercors par Jean Faure, sénateur Maire d'Autrans; Hubert Favre en était un
des membres actifs. Son but initial était de mener aux activités de tourisme une population de

110
On remarquera la volonté forte et bien affirmée de professionnalisation. Ici
l'éducation populaire et la formation en général ne sont pas un simple plus pour
l'esprit ou les temps libres (ce l'est aussi, mais pas prioritairement). Il s'agit
d'atteindre un niveau de qualité personnelle, de compétence technique, de
productivité sociale, qui a permis à la population du Beaufortain de prendre toute sa
responsabilité, individuellement et collectivement, dans le processus de
développement. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce n'a été ni le but, ni le
résultat de la formation que de créer une "classe de notables" dans le Beaufortain:
elle a été suffisamment ouverte à tous, répétée dans le temps et multiple pour que le
grand nombre de bénéficiaires exclue la notion de privilégiés.
On retrouve ici, sous une forme différente et avec une expression locale, la notion de
"conscientisation" introduite et pratiquée par Paulo Freire24, c'est-à-dire le fait
d'éduquer/former pour faire de chaque citoyen, individuellement et en groupe, un
sujet et un acteur conscient de son présent et de son avenir.

La formation pour qui ?

A partir du moment où la formation devient une composante majeure du processus


de développement, elle doit s'appliquer à tout le monde: c'est le principe de
l'éducation populaire qui doit constituer progressivement une sorte de base
commune de connaissances et d'outils d'analyse de la réalité du monde. Elle
complète la formation scolaire initiale et l'expérience de chacun. En Beaufortain, ce
sont les grandes associations comme le Foyer rural et l'AAB qui en ont eu la charge.

Mais il faut aussi répondre à des besoins particuliers, soit exprimés par certaines
catégories d'acteurs (les adhérents de la coopérative, par exemple), soit découlant
de projets portés par les responsables Ŕ élus, associatifs ou économiques Ŕ du

montagne habituée à la pluriactivité (l'industrie à Ugine, les chantiers des barrages). Mais elle ne se
limite pas au domaine du tourisme.
24
Voir Paulo Freire, "L'éducation, Pratique de la Liberté", réédition en facsimilé, Asdic Editions,
1996.

111
développement (l'auto-école pour les femmes, par exemple). C'est ainsi que l'on peut
citer, parmi les publics cibles les plus notables dans l'histoire du Beaufortain:

- les élus, pour les amener à une capacité de prévision, de décision et de maîtrise
de leurs responsabilités, dans le cadre de la décentralisation et de
l'intercommunalité.

- les femmes, pour en faire des actrices du développement, à parité avec les
hommes, en renforçant leur mobilité, leur confiance en elles, leur compréhension
du contexte local et des mécanismes du développement.

- les jeunes, pour les ancrer dans la réalité locale et leur permettre d'évoluer sur
place tout en les ouvrant sur l'extérieur et sur de nouvelles pratiques, et aussi
pour les préparer à la prise de responsabilités dans l'avenir.

- les agriculteurs, pour suivre les progrès de la science et de la technique,


l'évolution macro-économiques de l'agriculture, maîtriser la transformation et la
commercialisation des produits.

- les (futurs) pluriactifs, pour optimiser l'occupation des actifs en les adaptant à la
demande saisonnière de main d'œuvre existant dans la région.

- les responsables d'associations et d'activités, pour une gestion et une efficacité


toujours plus grandes de leurs interventions dans la vie sociale et culturelle
locale, en particulier par une formation à l'expression orale et écrite, et aussi à la
conduite de réunions.

Comme on le verra plus loin, cette approche de la formation n'est pas une analyse a
posteriori de ce qui a été fait, mais ce fut une politique délibérée, fondée sur une
analyse des besoins et sur une écoute permanente de leur évolution.

112
Quelle formation ?

On a déjà dit l'importance qu'ont eues en Beaufortain, peut-être encore plus


qu'ailleurs, en raison de son isolement et du type d'habitat dispersé, l'éducation et la
formation. Et cela surtout à une époque où l'agriculteur était décrié (bouseux, au cul
des vaches, etc.) et où les sirènes de la ville moderne et de l'industrie plus
rémunératrice chantaient pour les jeunes. Il était essentiel de retrouver la fierté par la
connaissance.

L'éducation initiale, c'était d'abord l'école primaire, une quarantaine dans les
hameaux au plus près des enfants et de leurs parents, puis les seules cinq écoles de
vallée demeurant après la fermeture de celles des hameaux25, permettant une
meilleure homogénéité culturelle et sociale par le mixage des enfants et des parents;
puis le rôle du collège pour la promotion sociale, culturelle et intellectuelle des
jeunes, mais aussi par les services para-éducatifs rendus à la population
(bibliothèque, espace informatique, atelier audio-visuel, laboratoire de langues).
Notons aussi l'école de musique qui ouvre tout un monde artistique aux enfants
comme aux adultes. Née avant la démocratisation de l'enseignement et la scolarité
obligatoire jusqu'à 16 ans, l'école ménagère, fermée en 1986, a complété la
formation des jeunes filles à l'exercice de responsabilités dans le milieu agricole.

La formation continue des adultes, dans la tradition et selon les méthodes de


l'éducation populaire, vient après l'initiale, pour la compléter. Dès 1964, une session
"Connaissance du Beaufortain", organisée par Hubert Favre pour Jeunesse et Sports
à la suite d'une session plus globale de "Connaissance de la France", avait pour but
de donner aux participants des bases communes de (re)connaissance de leur
territoire à un moment où le découragement guettait et où il fallait une mobilisation
des énergies. Durant plusieurs années ensuite, les Beaufortains ont eu la possibilité de
rencontrer sur place un conseiller en formation continue de la Maison d'Information sur la
Formation (ADPS).

La formation au développement : dans le cadre du Contrat Station Vallée, des réunions ont
eu lieu dans tous les hameaux du Beaufortain présentant les projets touristiques du

113
Beaufortain, les possibilités de formation et recueillant les projets des participants. Une
commission formation formée d'élus, d'administrateurs de l'AAB, de professionnels a été
créée. Parmi les activités générées, on note:

- des bourses de formation attribuées aux personnes qui ont effectué des stages à
l'extérieur

- l'organisation de stages "création d'activités"

- l'apprentissage de l'anglais (200 personnes dont 100 sont partis en séjours linguistiques).

- la formation des acteurs touristiques

- la formation des bénévoles (animateur artisanat, bibliothèque, conduite de réunion,


méthodologie de projet, etc.). C'est au cours du stage méthodologie de projet que
l'intervention d'un permanent de la fédération des Centres sociaux a mis l'AAB sur la voie
de sa transformation en centre social.

Depuis 1986, le Beaufortain a pu bénéficier d'aides du fond social européen grâce à


DELFRA (Développement Formation Rhône- Alpes).
Un processus au plus près des gens et
des besoins
La formation sur projet a été également
Ecoutons Janine Sochas: on a
pratiquée tout au long de ces 45 années. En commencé par un recensement des
besoins, avec des personnes-relais
1977, dans le cadre du Schéma de Massif des dans les hameaux, puis une
cinquantaine de réunions dans les
Alpes du Nord, l'AFRAT fut chargée par la hameaux, chez l'habitant, pour 5 à 15
DATAR de coordonner un programme personnes chaque fois.
Le suivi était assuré par un comité de
pluriannuel de formation dont bénéficièrent pilotage réuni trimestriellement en
ensemble les cantons du Beaufortain et du Val sous-préfecture. Les élus, et surtout le
Dr Avocat, ont porté le programme.
d'Arly. Le directeur de l'AFRAT, Roger Poingt, Les formateurs étaient choisis en
priorité parmi des personnes-
écrivait alors: "La formation se doit d'être un ressources locales.
élément supplémentaire qui permette la On a par exemple bâti un module de
formation à l'accueil, à la sécurité, au
réflexion et l'action en soutenant les projets en sauvetage pour le personnel des
cours, tout en permettant une vie sociale plus remontées mécaniques. Il a été établi
avec les responsables des stations.
forte." En trois ans, de 1978 à 1981, sous Le programme a été mis en place plus
facilement en Beaufortain, car les
l'impulsion de Janine Sochas, sur ces deux
esprits y étaient mieux préparés et
cantons, 48 stages de 40 heures, 3 stages de l'existence du SIVOM était favorable à
un tel projet. L'impact sur les habitants
80 heures, 1 stage de 120 heures ont été a été très fort.

25
réalisée progressivement entre 1964 et 1985

114
organisés pour un total de 23000 heures et
665 personnes différentes.

L'une des formations a permis la préparation au permis de conduire des femmes, en


particulier des habitantes des hameaux. Sur les deux cantons, elle a concerné 90
bénéficiaires. Après un appel d'offres, une auto-école a été choisie. Elle venait donner les
leçons de code à Beaufort et allait chercher les femmes chez elles pour les leçons de
conduite. Pour l'examen du code à Albertville, les élèves étaient emmenées en car.

Cet effort de formation sur projet a été poursuivi dans les années suivantes, mais de
manière moins massive, à l'initiative de l'AAB.

Une autre modalité, très utilisée, a été ce que l'on pourrait appeler une "auto-
formation assistée". Elle a pris plusieurs formes:

- les séances de débat sur des problèmes ou sur des projets d'actualité (le plan
d'occupation des sols, par exemple), destinées aux élus, qui ont intérêt à y
assister s'ils veulent occuper leur place dans les réunions techniques. Ces
séances bénéficient de l'intervention de techniciens et de représentants des
services de l'Etat, qui jouent le rôle de formateurs.

- les voyages d'études, organisés par l'AAB ou par Savoie Vivante, au cours
desquels des groupes d'élus, d'animateurs et d'habitants vont observer sur place
des réalisations remarquables. Citons les voyages en Ardèche pour apprendre le
fonctionnement des OPAH26 dès le début de cette formule d'aide à la rénovation
de l'habitat rural ou en Tyrol pour étudier le tourisme diffus en montagne. D'autres
ont eu lieu en Isère (la filière bois), en Val d'Aoste (artisanat) et dans les
Dolomites (tourisme), à Vandancourt (démocratie locale) et en Val Louron dans
les Pyrénées (aménagement de la montagne), etc. Ces voyages ont un effet
puissant sur la réflexion du groupe, avant, pendant et après la visite de terrain.
Une partie des initiatives de développement du Beaufortain y trouvent leur
origine. Le Dr. Avocat dit à ce sujet que les erreurs ou les échecs d'un site sont
aussi utiles à analyser que ses succès, afin de perfectionner la méthode au profit
du Beaufortain.

26
Opération Programmée d'Amélioration de l'Habitat.

115
- les journées d'études et les colloques, ouverts à tous, mais surtout destinés aux
responsables de secteurs d'activités, élus et autres acteurs locaux, et la
présentation d'études ou de mémoires de recherche par leurs auteurs sont autant
d'occasions de formation et d'ouverture sur l'extérieur, grâce à la confrontation
avec des experts ou des chercheurs de diverses spécialités et disciplines. On est
toujours là dans l'idée de constituer progressivement un réservoir de matière
grise propre au Beaufortain, avec l'aide de ses partenaires et de ses "complices"
à l'extérieur.

Les outils de la formation

Une autre caractéristique du Beaufortain est la diversité des outils utilisés, et parfois
créés, pour produire la formation.

Pour les organismes maîtres d'œuvre de la formation, nous avons déjà vu le collège,
l'AFRAT, l'école ménagère, le Foyer Rural et naturellement l'AAB, en partenariat
avec Savoie-Vivante. On complètera cette liste en ajoutant les grandes associations
d'éducation populaire (comme la Fédération départementale des Œuvres Laïques),
des structures publiques ou semi-publiques telles que la Chambre d'Agriculture, le
GRETA27, la Maison de la Promotion Sociale de Chambéry, DELFRA (dont l'AAB a
été administrateur de 1987 à 1993), ADPS-MIF, etc. On devrait aussi inclure des
formations non-formelles, comme celle que peuvent proposer les syndicats agricoles
ou les mouvements d'action catholique en milieu rural28.

A l'intérieur même du Beaufortain, les principaux leaders du développement ont joué


un rôle de formation directe, de par leur action elle-même. Le Dr. Avocat fait même
remarquer que, comme médecin de campagne, il avait eu, au delà de ses fonctions
d'élus, une action pédagogique auprès de ses patients. De même Hubert Favre,
Maxime et Elisabeth Viallet et leurs collègues responsables de structures ou
d'activités ont toujours été convaincus de leur rôle pédagogique, auprès des

27
Groupement d'établissements, structure de formation continue de l'Education nationale
28
Notamment la Jeunesse Agricole Chrétienne (JAC), aujourd'hui le Mouvement Rural de la
Jeunesse Chrétienne (MRJC).

116
personnes qu'ils rencontraient dans la vie quotidienne. Des techniciens intervenant
sur le territoire ont été mis à contribution, comme les techniciens agricoles venus en
assistance aux exploitants ou à l'Union des Producteurs.

Des outils ont été créés spécifiquement pour répondre à des demandes ou à des
besoins. On citera plus particulièrement:
- les voyages collectifs, dans les années 70
Un exemple: le groupement de
et 80, 30 personnes dans un car, 4 jours de vulgarisation agricole féminine
déplacement en moyenne, financement De 1965 à 1985, le groupement, dirigé
par Elisabeth Viallet a organisé des
Conseil général, organisation Savoie voyages d'études d'une journée pour
une quarantaine de femmes, pour qui,
Vivante. Chaque voyage est préparé par au début, c'était l'unique sortie de
formation.
une visite sur place.
Visites en Savoie, ou dans les
- depuis 1978, l'AAB a mis en place un départements limitrophes de fermes,
élevages, habitat, fleurissement,
Espace Emploi-Formation, lieu ressources accueil, conservation alimentaire
(expérience des premiers congéla-
à la disposition des habitants pour tout ce teurs), des thèmes en rapport avec les
sujets débattus au cours des réunions
qui concerne notamment les opportunités mensuelles de l'année. D'où la mise en
place de commandes groupées de
de formation ou la réponse à des plants de fleurs, de poireaux, etc.
demandes précises. Une visite dans le Jura a permis
d'étudier le tourisme équestre et l'agro-
- les dossiers de Ensemble ont eux aussi un tourisme.

rôle de formation et de sensibilisation.

Planifier la formation

Cette politique de formation n'a pas été l'effet d'une émergence plus ou moins
pragmatique au fil des années, mais bien le résultat d'une volonté forte et d'une
planification rigoureuse réalisée dès 1978. On a vu plus haut le travail systématique
réalisé sur le terrain même par Janine Sochas, pour le compte de la DATAR
(financement FIDAR29). Dans ce cadre, une commission cantonale de la formation
avait été constituée, composée d'élus, de responsables associatifs et socio-
économiques, à raison de trois personnes par commune. Cette commission

29
Fonds d'Intervention, de développement et d'aménagement rural

117
élaborait le programme de formation, puis contrôlait le bon déroulement des
formations.

118
FICHE PRATIQUE

Le thème de la formation est probablement celui qui nécessitera le plus de travail de


la part du lecteur. En effet, il n'existe généralement rien de prêt ou d'écrit. C'est qu'il
est très rare de trouver un territoire qui réfléchit à la formation comme facteur global
et permanent de développement. D'où l'importance de cet exercice.

1. Analyse de la demande de formation, par catégories d'acteurs

Il s'agit seulement, pour commencer, de faire exprimer la demande spontanée de


formation existant actuellement sur votre territoire. Il est en effet important de
commencer par répondre à la demande, avant d'analyser les besoins et de
considérer l'offre.

Idéalement, cette enquête sommaire pourrait prendre la forme suivante:

- organiser des réunions de voisinage: déterminer la bonne échelle pour ces


réunions, trouver des lieux d'accueil volontaires

- mener des entretiens avec des formateurs de formation initiale et continue


connaissant le territoire, notamment pour établir le niveau de base des personnes
à former

Le tableau suivant peut être adapté et utilisé.

Types de formation Demandes constatées Types de public Supports possibles


Formation initiale

Formation continue

Formation civique

Formation spécialisée

Autre

Les demandeurs peuvent être élus, fonctionnaires territoriaux, femmes, jeunes,


salariés, personnes âgées, agriculteurs, artisans, professions libérales,
professionnels de santé, etc.

119
Pour les supports possibles, c'est à vous de regarder, sur le territoire et dans un
environnement proche, si des structures et/ou des personnes-ressources seraient
susceptibles de prendre en charge la réponse à ces demandes, dans le cadre d'une
planification plus large (qui inclura les besoins).

2. Analyse des besoins de formation

Il s'agit de les déduire d'une analyse socio-économique et de la stratégie à moyen et


long terme du développement local et d'un dialogue avec principaux responsables de
ce développement. C'est plus compliqué à réaliser, même de façon sommaire et
indicative.

Un tableau analogue au précédent peut être adapté et utilisé.

Secteurs de Thèmes de formation Types de public Supports possibles


développement
Formation générale

Prise d'initiative

Création d'activités

Métiers de l'agriculture

Métiers du tourisme

Métiers sociaux

Métiers culturels

Vie associative

Les secteurs de développement sont donnés à titre d'exemples. La première ligne


(formation générale) peut être nécessaire si le niveau de base d'une partie de la
population est trop insuffisant pour permettre d'accéder immédiatement à des
formations exigeant plus de connaissances (attention par exemple à l'illettrisme, où
une demande n'est jamais exprimée et où le besoin n'est pas facile à évaluer). Il
faudra repérer, dans les documents descriptifs de la stratégie de développement et
des différents axes de programmation de celui-ci, les points qui exigeront une

120
qualification, une professionnalisation ou une simple sensibilisation de certains
acteurs ou de certains publics.

3. Analyse de l'offre de formation disponible

Lister les structures qui offrent déjà des cours, des stages, des modules de
formation, tant sur place qu'à l'extérieur du territoire (mais, dans ce cas, seulement
celles qui correspondent aux besoins du territoire et qui sont accessibles à partir de
celui-ci).

Etablir sur chaque structure un dossier et le tenir à jour. Il est particulièrement


important d'identifier et autant que possible de connaître personnellement une ou
plusieurs personnes dans cette structure capables de relayer vos demandes le cas
échéant.

Attention: la formation est actuellement un marché: l'offre est importante


quantitativement et très diversifiée, mais il est difficile d'en apprécier a priori la
qualité. Il faudra donc rechercher des témoignages d'utilisateurs.

4. Ebauche de planification concertée

Même dans le cas d'un exercice de simulation, il est utile de prévoir les modalités
d'une planification, en rassemblant une première fois l'ensemble des personnes
(représentant ou non des structures) personnellement et/ou professionnellement
intéressées par une éventuelle politique de formation, pour leur présenter les
résultats de l'analyse et de ses conséquences et aussi pour extraire de ce groupe les
membres d'une future commission permanente de la formation sur le territoire (ou
comité de pilotage), comprenant des élus Ŕ volontaires et si possible mandatés - et
aussi des membres de la société civile et des professionnels de la formation.

121
L'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE

A observer le processus de développement à l'œuvre depuis 45 ans en Beaufortain,


il apparaît clairement que ce qui constitue la trame de ce processus, c'est
l'aménagement du territoire. Certes, de nombreuses actions et programmes
ponctuels ont été réalisés, tant par les collectivités locales que par les acteurs
économiques et les associations, mais il est frappant de voir à quel point les élus,
avec l'aide des autres responsables économiques et sociaux, ont construit, année
après année un nouveau territoire, disposant de tous les éléments, équipements,
structures, nécessaires au développement.

Pratiquement jamais, comme c'est trop souvent le cas ailleurs, on n'a préféré les
"coups" ponctuels, les projets "dans le vent", aux programmes à moyen ou long
terme. La chasse à l'opportunité, qui a déjà été souvent mentionnée n'était pas une
chasse au produit miracle ou à l'occasion médiatique. L'opportunité était saisie si elle
avait un sens dans une stratégie globale. De même, le Beaufortain s'est toujours
méfié des parachutages, qu'il s'agisse d'experts, de mesures financières, de projets
élaborés ailleurs. On a vu à quel point le Beaufortain avait pris au sérieux, sans le
dire d'ailleurs, la décentralisation et le principe de subsidiarité.

Fixer les objectifs et les priorités

Essayons de reconstituer, à partir des éléments disponibles dans la mémoire des


acteurs, les objectifs que se sont donnés les décideurs politiques. Ils ont évolué,
avec le temps, n'ont jamais sans doute été formulés de façon aussi claire et
synthétique, mais ils font consensus dans la mémoire des élus comme des
observateurs locaux.

D'une manière générale, l'orientation donnée par la seule étude, très participative,
menée sur le développement du Beaufortain est restée valable pendant toute la

122
période. Il s'agit de l'étude de la SOGREAH, menée en 1964-1965 sur le seul
territoire de Beaufort-Arêches, mais qui avait de fait pris en compte l'ensemble du
canton. Elle a constitué le fil conducteur pour toute l'évolution ultérieure jusqu'à nos
jours.

Cette étude fut le résultat d'une première démarche collective de réponse à la crise
découlant de la fermeture du chantier de Roselend. Dès 1961, un groupe de
personnalités locales, dont faisait partie Maxime Viallet, se réunit pour jeter les bases
d'une étude d'ensemble des possibilités de développement économique de Beaufort-
Arêches. En 1963, un stage Jeunesse et Sports de connaissance du Beaufortain,
dirigé par Hubert Favre, à l'intention de jeunes français, démontra que les habitants
de la vallée ne connaissaient pas eux-mêmes leur territoire. Il en résulta un second
stage, destiné aux habitants.

En 1964, la municipalité de Beaufort finança Opportunité


partiellement l'étude de la SOGREAH, menée par C'est au cours du stage de
découverte du Beaufortain que
une équipe multidisciplinaire adepte des méthodes Hubert Favre rencontra par hasard
à Roselend un ingénieur de la
participatives de Economie et Humanisme. Des SOGREAH, chargé de l'entretien
du barrage. De leur discussion
réunions publiques qui rassemblèrent plus de 400
naquit l'idée de confier à ce même
personnes au total permirent de consulter la cabinet l'étude de diagnostic et de
programmation
population au cours de l'étude.

Le rapport final recommande de travailler à l'horizon 1985 et esquisse ce qui


deviendra et reste le double axe du développement économique et social du
Beaufortain:

- faire de l'agriculture une ressource moderne et croissante, en procédant à la


transformation des hommes et des structures,

- planifier un tourisme familial et diffus d'été et d'hiver, appuyé sur les ressources et
les initiatives locales, notamment pour l'hôtellerie et la main d'œuvre.

L'étude décrivait ensuite les conditions d'accompagnement de ces deux objectifs


prioritaires: aménager le territoire, moderniser le commerce et l'artisanat, valoriser
les hommes et le pays, susciter la coopération entre toutes les forces vives.

123
Une deuxième grande étape fut la création du Echecs
SIVOM en 1971, qui reprit ces orientations En 1972, le Dr. Avocat tenta de
transformer le SIVOM en district, qui
pour les étendre à l'ensemble du canton. Et aurait pu donner plus de moyens
naturellement, à partir des années 80, la financiers à l'intercommunalité. Mais
Beaufort a porté seul le projet et
décentralisation et plus tard le renforcement de d'ailleurs la formule du district fut
ensuite abandonnée au plan national.
l'intercommunalité avec la communauté de
Un an auparavant, un projet de Parc
communes donnèrent au Beaufortain les naturel régional avait également
échoué devant l'opposition de la
moyens d'une stratégie de développement à commune de Hauteluce. On voit
l'importance de tenir compte de
laquelle est associé le SIVOM des Saisies qui l'évolution lente des mentalités.
ne concerne que Hauteluce et Villard. Dans les années 90, un autre essai eut
pour but de faire adhérer le
Beaufortain au Parc Naturel Interna-
Soulignons ici une nouvelle fois les principes tional du Mont Blanc (Espace Mont
Blanc). Celui-ci n'a pas encore été
suivis pour assurer ce que l'on appelle institutionnalisé et les négociations
sont toujours en cours. En Beaufortain,
maintenant la "durabilité" du développement: on contate quelques retombées: la
restauration d'un chalet et le balisage
- travailler dans le long terme, selon un plan de chemins, l'édition de documents,
etc.
flexible

- jouer la pluri-activité et la pluri-économie

- accompagner et maîtriser le changement

- associer la population à toutes les étapes du processus, de la conception à la


mise en œuvre et à l'évaluation

- mettre en place des structures et des outils qui restent, de préférence aux actions
qui passent

L'aménagement du territoire

C'est ce dernier principe qui a amené les collectivités à privilégier l'investissement,


laissant à l'initiative associative et privée les actions à court terme.

124
- Des documents d'urbanisme et d'aménagement Ŕ Dans un territoire aussi
complexe, la maîtrise du foncier est la condition préalable de tout aménagement,
qu'il s'agisse de l'agriculture, de l'urbanisme ou du tourisme. Il était indispensable
de fixer des règles d'aménagement, mais aussi de les élaborer en concertation
avec les habitants, en tant que propriétaires et usagers. C'est pourquoi des efforts
ont été faits pour informer et expliquer, à travers des réunions de voisinage, des
expositions, des articles dans Ensemble. Le premier Plan d'occupation des sols
(POS) date de 1977 pour Beaufort et Hauteluce.

- Les espaces et les activités agricoles et agro-alimentaires Ŕ Les collectivités et


les acteurs économiques menés par Maxime Viallet coopérèrent pour réussir
l'objectif de modernisation de l'agriculture et de promotion de la ressource
principale du Beaufortain, le lait, et celui de sa transformation. Après les
changements apportés par les barrages, puis la création des stations de ski, il
fallait préserver l'espace agricole, les alpages, les traditions des "remues", les
races laitières, la collecte, la fabrication du fromage respectant les normes.

Cela se concrétisa notamment par l'essor de la Le changement pour les


agriculteurs est matérialisé par
coopérative laitière, la création d'une les chiffres suivants:
association foncière sur le secteur de Roselend
Collecte laitière en Beaufortain
et d'une SICA d'alpage, l'invention et la 1961 – 2 000 tonnes
1980 – 5 000 tonnes
généralisation de la machine à traire en
Prix du lait au kilo
alpage, et même la fondation d'un abattoir, qui 1961 – 0,37 F
1980 – 1,60 F
reste le seul du département, avec ses 1000
adhérents.

Une évolution se dessine actuellement qui inquiète élus comme citoyens


ordinaires: l'émiettement des propriétés familiales, avec les changements dans
les habitudes professionnelles et l'installation d'héritiers hors du territoire,
entraîne fréquemment l'abandon des pratiques traditionnelles. Des parcelles ne
sont pas reprises ou louées, l'herbe n'est plus fauchée, la friche s'étend, la
pression des usages touristiques se fait sentir sur les jeunes agriculteurs.

- La montagne, l'eau, les paysages Ŕ Le Beaufortain présente bien des caractéris-


tiques d'un parc naturel régional, même s'il n'en a pas le label. Pour les élus et les
associations, il s'agissait donc de mettre en valeur ses atouts. Les barrages

125
étaient déjà là, offrant des plans d'eau et des possibilités d'activités nautiques. Le
paysage méritait des parcours de découverte pour l'été (randonnée) comme pour
l'hiver (ski de fond). A partir de 1981, des itinéraires et des sentiers furent donc
créés et aménagés à partir de cheminements anciens, notamment par des
bénévoles et par une coopération entre les communes et l'AAB (stagiaires
financés par Jeunesse et Sports). Un contrat station-vallée finança les
topoguides. Plusieurs anciennes écoles de hameaux désaffectées furent
transformées en gîtes d'étape ouverts toute l'année (il en reste encore deux
actuellement).

- Les centres de vacances Ŕ Même si les


Echec d'une opportunité
vacances d'été sont moins "rentables" pour la
Il avait été projeté l'aména-
collectivité et la population que les vacances gement de 400 lits de tourisme
social au Méraillet, dans les
d'hiver, elles le restent surtout pour deux bâtiments abandonnés du
grand chantier de Roselend.
raisons: un facteur d'image et de promotion La gestion devait être assurée
par la MJC de Chambéry, pour
pour le Beaufortain en multipliant le nombre le compte de la Régie Renault
des usagers, les emplois saisonniers générés qui finit par refuser. Les
bâtiments ont donc été
par les centres de vacances et autres maisons détruits.

familiales.

On y ajoutera des avantages complémentaires: l'impact sur le commerce,


l'utilisation de bâtiments vacants ou à transformer.

La collectivité encouragea donc le "tourisme social" en cohérence avec


l'orientation générale de la politique touristique du canton: village vacances
familles, centres de vacances de villes (comme Orly) et de comités d'entreprise
(comme EDF ou les PTT), maisons familiales, centres pour enfants. On regrette
cependant que, à une exception près, ces structures ne soient pas dirigées par
des Beaufortains, ce qui serait souhaitable.

- Les aménagements pour le ski Ŕ On a vu plus haut que le Beaufortain possédait


deux stations, la plus ancienne étant le domaine skiable d'Arêches (depuis 1947,
mais étendue dans les années 60), celle des Saisies apparaissant à partir de
1963. Les communes et le SIVOM d'Hauteluce-Villard pour les Saisies ont pris et
conservé la maîtrise d'ouvrage des installations. Rappelons que les Saisies

126
bénéficient d'une salle de spectacles moderne et d'une très belle et grande
chapelle.

La vogue pour le ski en Europe et la pression des industriels du tourisme,


l'importance de cette activité saisonnière pour les finances communales comme
pour l'emploi ont entraîné de la part de certaines communes, comme dans le
reste du massif alpin, une sorte de fuite en avant dont on commence à voir les
effets induits négatifs: diminution des surfaces agricoles disponibles,
investissements lourds liés à l'assainissement des ensembles immobiliers,
extension et maintenance du réseau des voies de communication, autant
d'engagements à très long terme qui ne sont pas toujours correctement évalués
au départ.

- L'urbanisme et l'immobilier Ŕ L'un des principaux défis du Beaufortain et de ses


responsables était de maintenir une qualité de vie traditionnelle dans une
structure d'habitat qui devait évoluer. Il fallut donc permettre aux hameaux de
rester vivants, tout en fermant leurs écoles pour des regroupements scolaires en
fond de vallée, et assurer un développement moderne des villages, compatible
avec leur caractère architectural.

Ce développement exigeait une Opportunité


restauration de l'habitat, la création de En 1970, Les Villes, un hameau de
Beaufort, ne comptait plus que 3 habitants,
nouvelles unités d'habitation et la et un seul exploitant agricole. La plupart
des maisons étaient en ruines. Deux
construction ou le réaménagement architectes en fin d'études qui randon-
naient dans le Beaufortain sont rencontrés
d'équipements collectifs (écoles, mairie, par Hubert Favre. Ils se passionnent pour
salles polyvalentes, adduction d'eau, le lieu, font une étude de faisabilité.
Un habitant du hameau, Joseph
etc.). Le SIVOM utilisa la formule de Nantermoz, agriculteur, retraité de l'EDF,
l'OPAH pour aider les propriétaires propose la cession gratuite d'un terrain lui
appartenant. La commune refuse la
privés à remettre aux normes leurs gratuité, acquiert ce terrain à des
conditions normales et assure la maîtrise
propriétés vacantes ou devenues d'ouvrage de logements à vocation sociale.
Les autochtones restaurent certaines
obsolètes, et cela avec succès puisque maisons, en construisent d'autres, la
commune implante des équipements
une seconde opération vient de touristiques de qualité, le tout dans un
commencer. Ces OPAH sont élargies style moderne et traditionnel à la fois et
dans le respect du paysage. La gestion est
aux hébergements touristiques et aux assurée par l'OPAC.
En 1990, le hameau compte déjà 30
bâtiments d'élevage, respectant ainsi la
habitants permanents.
double priorité économique du canton.

127
Toute cette politique fut suivie depuis 1980 par l'architecte conseil du canton.
Soulignons ici qu'elle ne va pas de soi, surtout lorsque la pression touristique
s'en mêle. Le Dr Avocat le reconnaissait en 198430: "Il est plus difficile de
construire 500 lits en diffus que 5000 lits en une seule fois". Car il fallut que lui et
ses collègues luttent constamment pour préserver l'espace agricole, contre des
projets dangereux pour l'équilibre fragile de la vallée et de ses montagnes, tels
que les aménagements de ski ou la construction de logements.

Des regrets sont exprimés localement sur le manque de logements répondant


aux besoins spécifiques des jeunes, le coût prohibitif de l'immobilier dû au
tourisme et l'accaparement d'une part importante de bâti par des résidents
secondaires venus de Paris, de Belgique ou d'ailleurs. Sur ce dernier point, qui
est commun à la plus grande partie du milieu rural français, une analyse est
nécessaire: d'une part il s'agit d'une tendance inquiétante et qui renforce le
manque de logements disponibles pour les locaux, surtout les jeunes, au profit
de résidents intermittents rarement impliqués dans la vie locale; d'autre part,
c'est une source de financement et d'emplois (notamment pour les travaux
artisanaux de restauration et d'aménagement). Le cas fréquent est celui d'une
exploitation agricole comprenant la maison principale, ainsi que plusieurs
granges et chalets de remue. Avec l'évolution des pratiques d'élevage, une partie
de ces constructions ne servent plus et peuvent être vendues aux futurs
résidents secondaires. Le produit de ces ventes permet la restauration du reste
de l'habitat, mais aussi l'investissement dans une affaire commerciale ou de
services. L'économie du Beaufortain en est dopée.

- La question du foncier Ŕ Elle se pose avec une acuité croissante pour les
communes qui avaient déjà peu de terrain constructible en propre et se heurtent
pour des acquisitions à la hausse croissante du prix du m². De plus, les
exigences des habitants changent: les habitations neuves consomment plus
d'espace et le consomment différemment, les maisons étant construites au
centre de leurs terrains, et de préférence isolées. Le même manque de foncier
disponible s'oppose à la création de zones d'activités, d'autant plus qu'elles ne
peuvent être installées qu'en fond de vallée, déjà fort occupé.

30
Interview à La Vie nouvelle, hebdomadaire de Savoie, n° 85.

128
- La voirie Ŕ C'est évidemment une des préoccupations des collectivités, non
seulement à cause des besoins de la population et du relief de montagne, mais
en conséquence des caractéristiques du développement: les besoins des
chantiers et de l'exploitation des barrages d'abord, ceux du tourisme d'hiver
ensuite, avec la création ou l'extension des stations de ski. La "générosité" des
retombées de l'activité d'EDF, tout comme le "filon" des sports d'hiver trouvent là
leurs contreparties en obligations coûteuses.

- Les liaisons avec l'extérieur Ŕ L'une des recommandations de la SOGREAH était


de remédier à l'enclavement du Beaufortain. Cet objectif a été atteint dans trois
directions, avec des fortunes diverses. Le raccordement, à Albertville et à
l'autoroute d'une part, à Bourg Saint Maurice et à la Tarentaise d'autre part, a été
facilité. On a vu la coopération entre le Beaufortain et le centre culturel du Dôme
d'Albertville, ainsi que les relations étroites qui se sont nouées d'une part avec
Chambéry, à travers le Conseil général et Savoie Vivante notamment, d'autre part
avec Grenoble, grâce à l'Université. La liaison entre les Saisies, Crest-Voland,
Notre-Dame de Bellecombe et plus tard peut-être Megève permettent d'étendre le
domaine skiable accessible du Beaufortain.

On doit cependant reconnaître que les efforts faits pour relier les
intercommunalités entre elles n'ont pas toujours été couronnés de succès. Si la
coopération traditionnelle avec le Val d'Arly se maintient, la tentative de définir
une politique de développement concerté avec ce dernier et la Tarentaise n'a
jusqu'ici rien donné, malgré un schéma d'aménagement et de coopération qui
avait été esquissé à partir de 2001. Une nouvelle approche, impulsée par en
haut, est actuellement en cours, avec Arlysère.

Les équipements "structurants"

L'aménagement du territoire en Beaufortain a consisté en particulier à créer ou à


utiliser des équipements lourds que l'on peut qualifier de structurants, dans la
mesure où ils ont des effets directs et indirects multiples, forts et durables sur le
territoire et sur son développement. Il s'agit essentiellement:

129
- du collège et des regroupements scolaires par village

- du réseau des 4 barrages qui constituent une richesse de paysage, une base
potentielle d'activités de loisir et une source de revenus pour les collectivités

- de la coopérative laitière et de son réseau en amont (collecte et formation) et en


aval (commercialisation)

- des deux stations de ski

- du dispositif relatif aux technologies de la communication qui a connu une


croissance régulière pendant toute la période: journal téléphonique, vidéo et radio
de pays, minitel, puis informatique, enfin Internet et le haut débit, associant le
collège, AAB, les offices de tourisme, la Maison du Beaufortain, le "portail"
Internet du Beaufortain, soit un équipement largement virtuel mais qui a contribué
et contribuera plus encore à structurer la communication interne et externe, la
formation des habitants et le développement du canton

Les équipements d'animation et d'accueil

On a vu l'importance stratégique de l'animation pour toute cette période de


développement, et aussi la volonté de créer une dynamique touristique particulière
appuyée sur les ressources locales et sur l'hospitalité des populations. Tout cela
supposait des équipements plus ou moins spécialisés. Après 45 ans, la panoplie du
Beaufortain est assez complète et tout fonctionne normalement. Nous allons les lister
ici, sans entrer dans de grands détails, ne serait-ce que parce que tous ou presque
ont déjà été décrits dans les pages précédentes.

L'animation

- le foyer rural d'Arêches, qui a disparu lors de la création de l'AAB dont il a en


quelque sorte été la préfiguration

- l'AAB devenu centre social cantonal, avec ses équipements pour les familles et la
petite enfance

- les 5 églises paroissiales, comme lieux de culte et comme lieux d'activités


culturelles (concerts, expositions)

130
- les salles polyvalentes

- la piscine

L'AAB devient centre social


Cet avatar de l'AAB, qui date de 1998, mérite une description particulière qui reprend
les termes même utilisés par Janine Sochas, sa directrice actuelle, que nous avons
déjà vue responsable du programme de formation de l'AFRAT à la fin des années
70. Cela pose effet les questions suivantes: comment passer d'une association
essentiellement composée de bénévoles aidés de 3 permanents, à une structure
sociale de service public, relevant à la fois des collectivités et de la CAF, disposant
d'un personnel de 12 professionnels ? Comment faire participer les habitants,
maintenir la vie associative dont AAB a été si longtemps le principal moteur ?
D'une part, les relations aux communes changent: les responsables de secteur du
centre social rendent compte directement aux conseils municipaux de leurs activités.

Le conseil d'administration a créé des


L'innovation dans la continuité
commissions de travail qui sont ouvertes aux
L'AAB travaille actuellement, par exemple,
élus et aux habitants aux côtés de référents sur les problèmes de la famille, par la
formation d'adultes relais et l'organisation
administrateurs et salariés: commissions de soirées à thème pour les parents. Un
projet de ce type sur le thème de l'autorité
enfance, jeunesse, Ensemble, ou portant sur est construit collectivement par un
administrateur, 3 salariés, des membres
des sujets plus ponctuels. D'autre part, l'AAB- de l'association de parents d'élèves et des
centre social a conservé et développé une travailleurs sociaux. 2 soirées-débats sont
organisées, avec intervenants et
partie des fonctions d'action culturelle de animateurs, qui attirent chaque fois 60
personnes.
l'ancien AAB, par exemple pour les
Une autre fois, on traite de l'intégration des
spectacles. Enfin, des habitants sont personnes âgées dans le projet social de
l'AAB. La concertation s'organise avec des
systématiquement associés à certaines élus, des représentants des associations
ème
du 3 âge et de la maison de retraite,
activités: parents d'élèves, DUMIste31, d'une infirmière. Cela donne lieu à une
journée entière de travail à laquelle ont
enseignants participent à l'organisation des assisté des personnes âgées et leurs
spectacles scolaires, des parents prennent enfants, soit 150 personnes, dans une
ambiance conviviale.
part également à des actions menées avec
l'association Musique et Danse en Savoie.

31
DUMI: Diplôme Universitaire de Musicien Intervenant. Les DUMIstes sont recrutés par les
communes (ici par la communauté de communes) et mis à la disposition des écoles pour l'initiation
des enfants à la musique.

131
L'accueil

- les offices de tourisme de Arêches-Beaufort et des Saisies, qu sont devenus des


outils incontournables du développement.

- le Relais-emploi, né lorsque le Dr Avocat assumait la présidence de la CLI


d'Albertville, n'a duré qu'un temps entre 1995 et 200132, mais il a joué alors un
rôle important dans la rupture de l'isolement des RMIstes et des demandeurs
d'emploi du Beaufortain par rapport à l'ANPE et aux autres dispositifs situés à
Albertville. Ce fut une réalisation exemplaire de la collaboration entre les élus
(SIVOM et Conseil général) et l'AAB qui était chargée de sa gestion. L'AAB a
repris certaines de ses missions (veille, présentation des offres, aide aux
candidatures) et l'ANPE fait une permanence sur le canton, mais seulement une
fois par mois. Une étude de Savoie Vivante en 2002, dont il est parlé par ailleurs,
constate que ce dispositif est insuffisant.
La Maison du Beaufortain
- la Maison du Beaufortain, tournée Cette nouvelle entité est le fruit d'une
réflexion menée par le SIVOM du
surtout vers la promotion globale et la Beaufortain et Beaufortain Promotion dans
le cadre du Contrat de Plan Etat Région
communication. (CPER). Elle a statut associatif et est soutenue
par la Communauté de Communes
- la Maison des Stagiaires, facteur de "Confluences".

notoriété et d'échange de services. Elle est dotée d'outils d'analyse et


d'investigation capables d'anticiper pour orga-
niser d'une façon harmonieuse et cohérente le
- la base de loisirs de Marcot, à développement touristique du Beaufortain.
Beaufort, utilisant un espace naturel La Maison du Beaufortain est un centre de
délaissé, aménagée par des chantiers services du développement économique et
touristique de l'ensemble du Beaufortain dans
militaires et de jeunes (Concordia), un objectif de montée en gamme du territoire.
Ses compétences sont les suivantes :
puis développée par la commune et - l'analyse et l'investigation économique.
- la prospection commerciale dans un
vouée à la pêche aux loisirs de plein objectif de développement.
air et à la restauration. - l'animation de la communication interne et
externe.
- les hébergements touristiques publics - la promotion du Beaufortain.
- l'assistance technique aux collectivités
ou privés, hôtellerie classique, pour le développement de l'économie
touristique.
maisons de vacances, gîtes de séjour - l'accueil.
ou d'étape (malgré un manque actuel Le président de la Maison du Beaufortain
est Guy Sevessand, Conseiller général. Il
de chambres et de tables d'hôtes) est assisté par deux agents permanents.

32
Le relais a disparu, suite au désengagement de l'ANPE et des collectivités au moment de
l'embellie du marché du travail en 2000. Le permanent a alors été licencié et n'a pas été remplacé.

132
FICHE PRATIQUE

1. Créer les structures et les occasions de concertation

Dans l'hypothèse où nous nous plaçons de la nécessité d'une forte démocratie


locale, traduite par une participation de tous à tous les stades du processus de
développement, la première mesure est de constituer un premier groupe de
volontaires des trois "piliers" du développement, représentatifs (mais pas
nécessairement, dans un premier temps, représentants) des collectivités, des
associations et des milieux économiques (le milieu agricole notamment). Ce premier
groupe pourra ultérieurement se compléter, évoluer ou se scinder. Mais il restera
aussi longtemps que possible le pilote de la réflexion.

2. Etablir un diagnostic partagé des ressources locales 33

Par ressources on entendra l'ensemble du "capital social"34, qui comprend les


composantes actives et positives du territoire, de ses collectivités, de ses
communautés humaines, de ses acteurs économiques, ainsi que les comportements
concrets de ces éléments les uns par rapport aux autres tels que coopération,
confiance en soi et dans les autres, etc.

L'exercice devra se faire par concertation et participation du plus grand nombre


possible de personnes physiques et morales du territoire (les forces vives, ou la
société civile). Cette concertation sera provoquée et coordonnée par le groupe créé
précédemment. Un consultant extérieur pourra être invité à assister la réalisation du
diagnostic, mais il ne doit pas le mener seul. Le diagnostic devra en effet rester la
responsabilité entière et collective du niveau local.

33
On peut utiliser pour ce diagnostic la méthode exposée dans l'ouvrage de Jacqueline
Lorthiois, Le diagnostic local de ressources, Asdic Editions, Lusigny-sur-Ouche, 3° édition, 2002
34
Traduction littérale de "Social Capital", un concept anglo-saxon de plus en plus utilisé dans
les stratégies de développement local.

133
On dressera en outre une liste des manques et des changements récents ou
prévisibles dont il faudra tenir compte.

3. Etablir un atlas du territoire

Reporter sur un fond de carte comportant les lieux de peuplement et les voies de
circulation tous les aménagements et équipements existants, publics et privés.

Compléter ce travail par un fichier à mettre à jour périodiquementt et portant sur les
critères suivants:

- nom et coordonnées

- origine et objectifs

- activités, programmes, publics

- moyens matériels et humains

- sensibilité et relation au développement

- capacité de coopération transversale ou en réseau

4. Définir les objectifs

A la suite du diagnostic, on s'attachera à définir des objectifs à long terme et les


grandes lignes des méthodes à appliquer; ils seront formulés clairement dans un
document de type charte, ou règlement du développement du territoire, qui devra
faire l'objet, non seulement d'une information large à la population, mais aussi et
surtout d'un débat préalable, pour assurer une bonne compréhension des enjeux et
des responsabilités des différentes composantes de la société..

Par la suite, tout plan, programme, mesure ou action devra recevra ses propres
objectifs, en cohérence avec les objectifs à long terme.

C'est aussi par rapport à ces objectifs initiaux et à long terme que l'on pratiquera
l'évaluation des actions menées.

134
5. Reconnaître les circuits de décision

De chaque stratégie et de chaque méthode choisies, on déduira les circuits


extérieurs de décision qui commanderont les moyens à obtenir: intercommunalités,
département, région, services extérieurs de l'Etat, Europe. Il faudra alors étudier ces
circuits et connaître les personnes (physiques) qui les animent à un moment donné.

On se souviendra des principes de la décentralisation et de la subsidiarité pour


exclure tout risque de perte de la maîtrise de son avenir de la part du territoire.

135
L'ORGANISATION

Retour aux principes

L'organisation d'une démarche et de programmes de développement n'est pas


seulement une question de technique, de règles, ou de méthodes apprises à
l'université, dans les écoles d'administration publique ou dans les livres. Il y a aussi
les circonstances locales et les structures préexistantes. Il y a enfin des critères, ou
des paramètres, issus de l'expérience personnelle des acteurs, découlant d'une
certaine idée du développement. Ils se rapprochent des principes que nous avons
découverts au fil des chapitres. Ils sont apparus en cours de route, dans notre
analyse de ce qui s'est passé en Beaufortain pendant ces 45 années et dans les
discours des responsables. En voici quelques uns:

- le développement est une discipline essentiellement empirique. Un responsable


du développement doit partir de sa connaissance personnelle des problèmes des
gens: le médecin de campagne, l'instituteur et l'institutrice, le militant du
syndicalisme agricole sont mieux armés que d'autres pour participer au pilotage
du développement de leur territoire.

- on trouve toujours des solutions à un problème quand on se met ensemble pour


le résoudre.

- le processus va de l'idée vers les gens car ce sont eux qui doivent la mettre en
œuvre: ainsi ils sont tellement impliqués qu'ils sont obligés de poursuivre, ils ne
peuvent pas abandonner.

- il y a une certaine dépendance de l'extérieur, qui est aussi une interdépendance:


le bassin de main d'œuvre dépend du bassin d'emploi et vice-versa; l'accès à l'art
dépend d'un centre culturel voisin, lequel recherche du public dans son
environnement…

- il ne suffit pas d'accélérer le mouvement, il faut d'abord le maîtriser.

136
- un changement endogène accompagné permet d'assurer la maîtrise du
changement exogène: une transformation de l'agriculture de l'intérieur de la
profession aide les habitants à supporter et à contrôler les problèmes du marché
des produits (ici le lait et le fromage) et les flux du tourisme.

- le hasard crée l'opportunité, le tout est de savoir discerner le hasard.

- l'initiative existe: il faut savoir l'écouter.

La coopération inter-acteurs

Sur un territoire, dont nous avons vu la complexité, les acteurs sont nombreux et la
première tâche du responsable est de parvenir, dans la durée, à passer de
l'individualisme ou de l'esprit de clocher à la coopération. C'est valable dans les trois
domaines-clés:

- rassembler les collectivités dans une intercommunalité forte, qui multiplie les
atouts en réduisant les coûts et en garantissant les cohérences. On a vu à de
nombreuses reprises que cela n'avait pas été facile, ni évident en Beaufortain. Il a
fallu des années pour que Arêches accepte l'union avec Beaufort tout en retenant
une identité claire. Hauteluce manifeste de son côté une forte personnalité
communautaire et la station des Saisies n'est pas directement gérée par la
communauté de communes. Cependant, pour de nombreux domaines,
agriculture, artisanat, industrie, équipements collectifs, le Beaufortain parle d'une
seule voix et il y est parvenu en plusieurs étapes.

- les exploitants agricoles sont depuis longtemps unis dans plusieurs organisations
unitaires au niveau du canton (coopérative, union des producteurs, SICA d'alpage
et SICA de la vallée, abattoir, GIDA, etc.).

- l'AAB, maintenant centre social, a conquis en trente ans un rôle fédérateur pour la
vie associative de la vallée et pour nombre de services culturels et sociaux. Partie
d'un foyer rural local (à Arêches), elle s'est étendue à tout le territoire et à de très
nombreux domaines d'activités. Elle s'est également pérennisée,
professionnalisée, sans perdre pour autant le bénévolat qui la fait vivre au plus
près de la population.

137
- un symbole a été créé (la Maison du Beaufortain), un outil de communication
fonctionne pour tous (Ensemble).

Tout cela n'a jamais mis en danger le maintien des spécificités de tel hameau, de
telle commune, de telle paroisse, tout comme le contrôle communal de la gestion du
tourisme d'hiver, aux Saisies comme à Arêches.

L'une des clés de cette coopération est la concertation


Janine Sochas,
permanente, non seulement entre les élus, mais entre toutes directrice de l'AAB –
centre social:
les catégories d'acteurs: la liste des personnes présentes à
"…on a la chance,
telle réunion intercommunale montre bien que des dans le départe-
ment, d'avoir des
responsables agricoles, associatifs ou des services publics partenaires qui ont
l'intelligence de tra-
départementaux ou de l'Etat sont là et s'expriment, non pas
vailler ensemble…"
comme décideurs mais comme informateurs, partenaires,
collaborateurs.

Il reste que, de l'avis même des responsables, l'esprit de clocher reste vivace et tend
à ralentir l'action. En voulant aller trop vite, deux initiatives ont été rejetées au nom
de l'autonomie communale: le projet de parc naturel régional en 1970, celui d'un
district (plus contraignant que le SIVOM) en 1972. Il fallut attendre les lois sur
l'intercommunalité pour aboutir à la communauté de communes actuelle.

Il resterait encore beaucoup de choses à regrouper, mais on se heurte ici, et pas


seulement en Beaufortain, à l'émiettement municipal dans le milieu rural français. Il
en est de même pour les nouvelles obligations légales de l'aménagement des
territoires: le Schéma de cohérence territoriale (SCOT) doit couvrir ce que l'on
appelle Arlysère, comprenant l'agglomération d'Albertville et le Val d'Arly, en plus du
Beaufortain. C'est un exercice très compliqué, qui oblige les partenaires à faire de la
prospective à long ou très long terme, ce qui est positif, mais qui se heurte à
certaines tendances isolationnistes, en particulier de la part de certains nouveaux
résidents.

Un projet collectif a été tenté récemment, sous le titre "Vers un projet de territoire
Beaufortain-Tarentaise-Val d'Arly – 2020". Malgré l'enthousiasme des participants,
trop hétérogènes, dont l'histoire et la pratique du développement étaient trop
différentes, il n'y a pas eu encore de suites.

138
Terminons par un rapide schéma récapitulatif de l'évolution des collectivités du
territoire depuis 45 ans, pour ce qui concerne les dynamiques de développement:

Confluences: une structure intercommunale au service du développement du


Beaufortain
Nous avons souvent parlé de la communauté de communes, fruit de l'aboutissement
du processus intercommunal commencé dès le début de la période que nous
décrivons ici. Il reste à la présenter, d'autant plus qu'elle représente actuellement le
principal instrument du développement local en Beaufortain. Voici quelles sont ses
principales caractéristiques, tirées de ses documents officiels.

Confluences a vu le jour le 28 novembre 2002. Elle succède au SIVOM du


Beaufortain qui avait été créé le 20 janvier 1971. Comme le SIVOM, elle rassemble
quatre communes : Beaufort, Hauteluce, Queige et Villard-sur-Doron. Confluences est
avant tout une communauté de projets pour aménager ensemble un territoire et à ce
titre elle joue aussi informellement le rôle d'une structure de "pays".

Les objectifs sont les suivants :

- rationaliser et développer les services destinés à la population, répondre davantage


à un souci de solidarité entre les communes.

- capter les dotations de l'Etat dont le montant à tendance à baisser pour les
communes au profit des intercommunalités.

139
Chaque commune a élu parmi ses conseillers municipaux un certain nombre de
délégués titulaires et autant de suppléants. Les titulaires forment désormais le Conseil
Communautaire. Au total, on compte 14 délégués répartis en fonction de la population
de chaque commune, soit à l'heure actuelle :

Beaufort 5
Hauteluce 3
Queige 3
Villard-sur-Doron 3

Le conseil élit un président et quatre vice- Le Président de Confluences, Léopold


présidents. Léopold Viallet en est Viallet, présentait ainsi sa conception du
rôle de cette structure dans le
actuellement le président, après avoir été développement du Beaufortain, dès sa
mise en place:
celui du SIVOM. Avec cette nouvelle organisation, de
nombreuses données économiques se
La communauté de communes retrouvent centralisées, permettant d'avoir
une vision globale du Canton. Je
développe sa politique autour des
m'aperçois que les communes ont des
compétences suivantes : rythmes de développement différents. La
communauté de communes devient le
 Aménagement de l'espace (exemple: territoire minimum de réflexion, de prises de
décisions pour une expansion harmonieuse,
élaboration d'une charte intercommunale sans ignorer ce qui se fait ailleurs : les
interdépendances sont si fortes !
de développement).
Notre territoire est habité et animé par des
hommes et des femmes, qui en fonction de
 Développement économique, agricole, leurs moyens et de leurs activités ont des
industriel, touristique, (le Groupement problèmes et des besoins différents. Il est
du devoir des élus de tenter d'y apporter
intercommunal de Développement une réponse. On ne peut pas faire de
l'économie sans lien social, mais on ne fera
Agricole (GIDA), les abattoirs, La pas d'actions sociales sans faire de
l'économie. Travail de symbiose délicat,
Maison du Beaufortain, le Contrat station quelquefois peu motivant, sûrement de
moyenne Beaufortain). longue haleine, difficile mais incontour-
nable: il devra rassembler toutes les
énergies disponibles de chacun d'entre
 Environnement (ex : la collecte et
nous.
traitement des ordures ménagères, des Tout ce qu'entreprend la Communauté de
Communes doit avoir pour objectif la
cartons, des huiles usagées, les Points
cohérence, l'esprit de solidarité, le souci
d'Apport Volontaire (PAV), la déchetterie, d'équité, le bien-être de ses habitants.
(Lettre d'information, 1er semestre 2003)
l'assainissement collectif et individuel,
l'entretien des sentiers et des cours d'eau).

 Logement et cadre de vie (exemples : Opération pour l'Amélioration de l'Habitat


(OPAH), Charte architecturale).

140
 Transports scolaires.

 Equipements et activités sportives, sociales, culturelles et scolaires (gymnase,


piscine, terrain de football, bâtiment cantonal, contrats cantonaux de la jeunesse,
bibliothèques, annexe de l'école de musique, etc.).

 Prestations de services aux communes membres.

Pour son financement, Confluences peut compter sur les recettes suivantes :

- les impôts locaux sur une partie des 4 taxes, qui comprennent notamment la taxe
professionnelle payée par EDF (la taxe professionnelle unique n'a pas été retenue)

- la facturation de l'assainissement

- la taxe sur les ordures ménagères

- les subventions (Etat, Région, Département, Agence de l'Eau et exceptionnellement


par l'Union Européenne.)

- la dotation de l'Etat

- les taxes de raccordement à l'égout.

Confluences publie une Lettre d'information semestrielle

Matière grise et études

Un territoire rural, surtout aussi isolé et loin de villes importantes, comme le


Beaufortain, a besoin de compétences très diverses et parfois très "pointues", qui
sont difficilement accessibles. Il souffre, dit-on, d'un manque de "matière grise".

Le Beaufortain a montré que ce constat est largement surestimé. Il existe sur le


territoire des compétences qu'il faut seulement inventorier, reconnaître, mobiliser. Le
cas de Maxime et Elisabeth Viallet est un exemple particulièrement fort car grâce à
eux, la vallée a bénéficié directement ou indirectement des compétences dont il avait
besoin pour dynamiser son agriculture. Le mémoire de Hubert Favre de 1969 35

35
Hubert Favre, Animation socio-économique et culturelle en région de montagne, Arêches
Beaufort, 1969, 48 pages, dactylographié.

141
marque l'utilisation d'une expérience, d'un savoir faire et d'une recherche pour définir
les principes et les modalités d'une politique d'animation dans un cadre de
développement global. On peut prendre aussi le cas de la pluriactivité et des sports
d'hiver: les compétences naturelles des habitants en matière de connaissance du
territoire et de pratique du ski ont pu être mises à contribution pour préparer et mettre
en œuvre des stratégies, des programmes et des actions tout à fait professionnels, à
partir de ce qui était disponible sur le terrain.

La formation des responsables locaux aux compétences nécessaires vient ensuite.


On a vu l'importance des programmes de formation, pour la modernisation de
l'agriculture, pour la pluriactivité, pour l'implication des femmes, pour l'artisanat. On a
vu aussi le rôle joué par les voyages d'études en France et à l'étranger. Les principes
et méthodes d'aménagement de la montagne pour le tourisme diffus, de l'accueil des
touristes, de l'enseignement et de la formation dans ces matières dès l'école, tout
cela a été inspiré par l'exemple du Tyrol autrichien: Hubert Favre y a organisé dix
voyages d'études pour découvrir la réalité du terrain et se nourrir de l'expérience des
gens et des institutions.

D'ailleurs, Hubert Favre comme Maxime et Elisabeth Viallet ont donné beaucoup
d'eux-mêmes pour la formation dans leurs secteurs respectifs. La concertation et
l'appel à la participation de tous aux décisions comme à leur mise en œuvre
permettent de tester, de valoriser et d'exploiter des compétences nouvellement
acquises, pour le profit de tous.

Une autre méthode est d'attirer des compétences de l'extérieur, soit


systématiquement, soit à l'occasion d'opportunités. La politique d'accueil
systématique de stagiaires, la création d'une maison des stagiaires, la pratique des
présentations de mémoires universitaires à la population, la création du poste
d'architecte conseil vont dans ce sens. Il en est de même pour le recrutement
progressif d'un agent de développement, des salariés d'AAB, des agents des offices
de tourisme, etc. On rangera dans la même catégorie la manière dont les principaux
acteurs utilisent leurs réseaux personnels, d'amitié, de camaraderie, de métier pour
faire bénéficier "gratuitement" de leurs savoirs.

142
Enfin, il y a l'appel à des spécialistes extérieurs, techniciens du service public,
fédérations d'éducation populaire ou bureaux d'études. On prendra trois exemples:

- l'intervention de la SOGREAH pour la toute première étude de diagnostic et de


programmation sur Beaufort, qui a été le principal point de départ de la démarche
de développement,

- l'aide en expertise, en recherche et en formation de l'INRA pour la modernisation


de l'agriculture,

- la contribution permanente de Savoie Vivante à la vie et aux projets associatifs en


Beaufortain.

Cependant, le Beaufortain s'est toujours refusé à entreprendre des études longues et


coûteuses, lorsque les responsables locaux n'étaient pas certains de maîtriser les
intervenants et les conclusions. Le cas de la SOGREAH et celui de l'INRA sont
différents: dans ces deux cas, les chargés d'études ou de formation s'appuyaient
constamment sur le terrain, sur la participation de leurs interlocuteurs locaux,
jusqu'au niveau de l'habitant ou de l'agriculteur.

On note également, dans le même esprit d'ouverture contrôlée et d'auto-formation,


la pratique des colloques Ŕ utilisés comme prétextes - et celle des visites groupées
en Beaufortain qui favorisent l'interconnaissance des gens d'ici et d'ailleurs, attirent
l'information sur le territoire et font connaître le pays.

Peut-être le domaine le moins exploré et où le besoin de compétences serait le plus


ressenti est-il celui de l'évaluation des objectifs, des résultats et des méthodes. On a
vu à plusieurs reprises déjà que certaines décisions ou initiatives avaient abouti à
des impasses ou à des échecs. Cela peut faire partie de la méthode globale
employée, mais est-on sûr que toutes les leçons en ont chaque fois été tirées ? Le
processus de développement est un chemin ardu, qui ne laisse guère le temps du
regard en arrière.

143
Planifier

L'étude SOGREAH de 1965, le mémoire d'Hubert Favre de 1969, les travaux de


l'INRA et des équipes locales de Maxime Viallet pendant les années 60 et 70 ont
pavé la voie d'un développement à long terme, d'abord à l'horizon de vingt ans, puis
dans la continuité, avec les modifications indispensables, en fonction de l'évolution
de la conjoncture et du territoire. Cette notion de prospective reste, après tout ce
temps, l'une des règles les mieux intégrées par les responsables. Même maintenant
que les responsabilités sont partagées entre un plus grand nombre de personnes et
pour des périodes plus courtes que dans les années 60-80, l'habitude demeure de se
projeter dans l'avenir.

Si la première étude ne considérait formellement que le territoire d'Arêches-Beaufort,


à partir de la création du SIVOM c'est l'ensemble du Beaufortain qui fait l'objet des
plans et programmes successifs, marqués par le contrat de pays (1977), l'OPAH
(1981), le Schéma de la communication (1985), le contrat station-vallée (1986), le
contrat de développement culturel (1989), etc.

Ce qui est caractéristique des orientations adoptées dès 1965 et ensuite fidèlement
suivies, c'est la diversité des axes de travail et l'équilibre que l'on a toujours cherché
à faire respecter entre eux. Naturellement l'équilibre essentiel a été maintenu entre
l'utilisation agricole du territoire, de ses ressources, de la main d'œuvre et des
capitaux disponibles d'une part, l'utilisation touristique de ce même territoire, de ses
ressources et de sa main d'œuvre, tant l'été que l'hiver, d'autre part. Pour le premier
secteur, l'élevage, le lait et le fromage ont constitué le cœur du dispositif, tandis que
la forêt, la viande, l'entretien du paysage et les modes de vie (les remues, l'habitat)
complétaient celui-ci dans une logique socio-économique à dimension humaine.
Pour le tourisme, les choix "tyroliens" d'une fréquentation durable, dépassant les
simples "sports d'hiver", d'une diversité de clientèles de classes moyennes, d'une
urbanisation maîtrisée, d'une pluriactivité professionnalisée ont également permis
d'éviter les dérives des grandes stations hivernales tout en respectant des niveaux
de rentabilité suffisants. Cependant, là où l'Autriche réussissait à développer l'activité
touristique sur les quatre saisons, le Beaufortain n'a pas pu dépasser l'alternance
été-hiver.

144
Il est équitable de rappeler, pour relativiser le mérite de ces décisions, que les
collectivités du Beaufortain sont relativement riches des taxes versées par EDF, qui
les mettent à l'abri des variations budgétaires à court terme. Cependant, ces mêmes
collectivités se sont obligées à ne pas consentir de dépenses somptuaires ou
d'investissements à fonds perdus. Les dépenses nouvelles, on l'a vu dans le chapitre
sur l'aménagement, ont été systématiquement consacrées au renforcement des
objectifs principaux.

Le tableau ne serait pas complet sans le troisième volet économique du dispositif de


développement: l'artisanat, le commerce, les services, l'habitat ont été suivis de près
par les élus, appuyés par les associations, et notamment le foyer rural d'Arêches et
l'AAB. Du regroupement scolaire après la fermeture des écoles de hameaux au
collège, à la formation des femmes, au récent Centre social et au transfert-
agrandissement de la résidence pour personnes âgées, toutes les générations ont
fait l'objet de la sollicitude publique et associative. L'artisanat et le commerce
(Intermarché à Villard en 1992), les services à la population ou d'intérêt touristique
ont eux aussi été développés, avec des fortunes diverses.

L'artisanat créatif, à vocation touristique, a connu des hauts et des bas. Les stages
d'artisanat n'ont pas été poursuivis, la maison de l'artisanat créée à Boudin dans un
chalet privé n'a pas été poursuivie, la propriétaire ayant refusé de prolonger le bail.
On constate une réelle difficulté à passer d'une logique culturelle et créative,
forcément individualiste, à une démarche commerciale, nécessairement
coopérative. Toutefois, des activités ponctuelles se sont développées dans
différentes communes: "Les talents de Queige", "Expo à Villard", "Les petits
marchés à Beaufort", les marchés de Noël.

Pour les activités industrielles, la situation du Beaufortain ne permettait pas une


véritable stratégie ou une continuité dans l'effort. On préféra saisir les occasions qui
se présentaient (toujours le principe d'opportunité). Deux PME se sont ainsi
installées, SKF/TRANSROL (1976) et TIVOLY (1980), l'une à Beaufort, l'autre à
Queige. Quelques essais pour implanter un pôle de nouvelles technologies et de

145
robotique sur la vallée n'ont pas abouti et n'ont amené que une ou deux très petites
entreprises et le télétravail n'a pas eu jusqu'ici le succès escompté.

Le hasard et l'opportunité

Revenons à la chasse à l'opportunité dont nous parlions dans l'introduction. Elle va,
apparemment, à l'encontre de l'organisation, e, ce qu'elle ne permet pas la prévision,
l'inscription dans des plans plus ou moins rigides. Et pourtant, à y regarder de plus
près, il est toujours possible d'identifier la chance qui passe avec tel ou tel objectif du
plan, ou avec telle ou telle démarche (formation, économie, animation, entre autres).

Quelques exemples ont déjà été donnés, en illustrations dans les chapitres
précédents. Mais il faut préciser et décortiquer un cas particulier, à la fois amusant et
complexe, qui décrit bien le mécanisme. On le trouvera à la page suivante.

Il y aurait évidemment bien d'autres exemples:

 l'introduction de l'informatique en Beaufortain, résultat de la curiosité de


Hubert Favre, suite à un petit mot manuscrit reçu d'un ami parisien excité par
les possibilités théoriquement offertes par cette nouvelle technique. Un des
premiers micro-ordinateurs rapporté de Paris par Hubert Favre. Les deux fils
de celui-ci, alors lycéens, se passionnant pour cette nouvelle discipline et
commençant à s'initier et à créer des programmes. Le lien avec Savoie
Vivante qui prend l'idée en mains et apporte son réseau et sa capacité de
trouver des soutiens techniques. Le tout en quelques mois.

 le rôle déclencheur du Fonds d'Intervention Culturelle (FIC) dans le


développement culturel et artistique en Beaufortain. Suite à la visite touristique
d'un des chargés de mission du FIC venu passer ses vacances en Beaufortain
et "accroché" par celui-ci et par Hubert Favre, qui en profite pour soumettre un
projet de programme audio-visuel, ce qui mènera à une convention de
développement culturel avec la DRAC et même à l'animateur vacher.

 celui-ci, dont il a déjà été parlé, est une triple opportunité saisie au vol: une
émission de radio sur France-Inter mettant l'accent sur la dureté du travail

146
d'agriculteur 365 jours sur 365, qui donne l'idée d'un remplaçant pour les
exploitants, une visite de vacances d'un fonctionnaire parisien responsable du
FONJEP36 qui apporte une subvention mais à la condition du recrutement sur
ce poste d'un animateur, la rencontre d'un objecteur de conscience d'origine
rurale voulant devenir animateur. Et le projet s'inscrit finalement dans la
convention de développement culturel…

 l'implantation de l'usine SKF en Beaufortain. Une scierie avait disparu. Après


divers essais de sauver cette activité, notamment selon une méthode inspirée
d'un modèle trouvé en Isère, le Dr Avocat entend parler d'une expérience
d'ateliers ruraux en Maurienne. C'est à ce moment qu'il rencontre M. Bugaud,
directeur du Comité d'expansion de Savoie, suite à un concours de
circonstances qui illustre parfaitement le concept d'opportunité, tel qu'il a été
pratiqué en Beaufortain.

Deux lièvres d'un coup

Essayons de conter l'histoire et d'en tirer quelques enseignements


méthodologiques.

Le feuilleton Les enseignements, pas à pas

- lors de la création d'Ensemble dans le


Beaufortain, le tirage en était fait sur
place, avec les moyens du bord et le
travail de bénévoles.
- au bout de quelques années, un Le rôle du hasard : l'intérêt d'un habitant pour
professeur du collège parle par hasard ce qui se passe dans son environnement,
d'Ensemble à sa mère et mentionne suffisamment pour en parler à sa mère.
sa fabrication artisanale.
- cette personne, mère du professeur Le rôle du hasard: une conversation entre
mais qui n'habite pas le Beaufortain, une secrétaire et son patron.
est la secrétaire du directeur du
Comité d'Expansion de Savoie à L'intérêt d'un professionnel du développe-
Chambéry, M. Bugaud. Elle parle ment pour une petite initiative sur un territoire
d'Ensemble à son patron. marginal.

- celui-ci propose d'imprimer Ensemble Le facteur personnel: les liens de sympathie


entre deux personnes qui normalement
au Comité d'Expansion. Des liens avaient peu en commun.

36
Fonds de la Jeunesse et de l'Education Populaire, qui finance des postes d'animation.

147
s'établissent entre Hubert Favre et M.
Bugaud.
- quelques années plus tard, une Le lien personnel créé avec le comité
enquête est menée par Hubert Favre d'expansion est réanimé par une autre
sur la situation de l'emploi dans le initiative locale, l'enquête emploi.
Beaufortain, pour Ensemble.
- M. Bugaud apprend l'existence de
cette enquête et est intéressé.
- il contacte le Dr Avocat, maire et Un nouveau lien personnel s'établit entre le
conseiller général, pour lui proposer comité d'expansion et la collectivité locale, à
d'étudier l'implantation d'entreprises travers les deux responsables.
dans le Beaufortain. Le Dr Avocat
découvre que M. Bugaud avait
coordonné les parachutages en
Beaufortain pendant la Résistance…
- l'une des entreprises éventuellement
Coïncidence avec les idées d'ateliers ruraux
susceptibles de s'installer en pris en Maurienne.
Beaufortain est SKF. Elle pratiquait
l'installation de petits ateliers de 2 ou 3
ouvriers, chez les habitants.
- la mise en place se fait en 1980, avec La commune investit et accompagne.
6 emplois et des objectifs sur 10 ans.
Des aménagements sont faits par la
collectivité.
- un peu plus tard, le PDG de la filiale
française de SKF, TRANSROL, vient
visiter le site; les experts de la société
lui conseillent de le fermer.
- Ce PDG se trouve être le frère d'un Le rôle du hasard: le frère chirurgien du
PDG.
chirurgien, ancien camarade de fac du
Dr Avocat. Et il fait beau à Beaufort ce Le rôle du hasard: il se trouve que lors de sa
jour-là. La décision est prise de visite, il fait beau à Beaufort…
maintenir l'activité sur place.

 la base de loisirs de Marcot est le résultat d'une autre conjonction


d'opportunités. Au début, un espace plus ou moins abandonné avec un
étang artificiel au milieu, à la sortie de Beaufort. Un jour de 1981, un
capitaine du 7° BCA de Bourg-Saint Maurice cherche à faire réaliser un
"exploit" à sa compagnie: 120 hommes pendant 8 jours ! Hubert Favre lui
indique une parcelle de forêt à débroussailler sur cet espace. Après, des
chantiers de jeunes sont organisés pour aménager le site en base de

148
loisirs. L'AAB a été à l'origine du projet qui est ensuite repris officiellement
par la commune (1988). Le succès a immédiatement suivi.

 des vacances de mer pour tous: écoutons le Dr Avocat.

Il y a cinq ou six lustres, un parlementaire des Alpes de Haute Provence, Maire de Saint
Julien la Montagne, est venu se présenter au maire de Beaufort que j'étais à l'époque pour
l'informer que le SIDEVAR (Syndicat intercommunal pour le développement des vacances
rurales) devenait le nouveau propriétaire du bâtiment qu'EDF utilisait comme mess à
Roselend et qu'il était le président de cette structure intercommunale basée au Lavandou et
regroupant presque exclusivement des communes du Var. C'est ainsi que j'ai fait la
connaissance de Maurice Janetti, dont j'ai admiré le dynamisme et l'efficacité. Il est revenu
un peu plus tard pour solliciter de la commune de Beaufort la cession du terrain jouxtant ces
locaux et considéré comme indispensable à l'aménagement d'un terrain de pétanque
absolument nécessaire au bien-être des ressortissants du Midi méditerranéen. L'accord de la
commune a prouvé notre compréhension et notre bonne volonté à nos interlocuteurs qui sont
revenus nous proposer d'adhérer au SIDEVAR pour officialiser notre collaboration.
Cette idée a fait son chemin, car une co-propriété au bord de la mer n'était pas sans nous
séduire, puisqu'elle pouvait encourager notre population rurale à profiter de cette structure
pour faire des découvertes. Il restait aux montagnards prudents que nous étions à nous
rendre sur place pour vérifier le bien fondé de notre analyse, ce qui fut fait assez rapidement
par deux d'entre nous. La situation privilégiée du bâtiment, la valeur des essences d'arbres
constituant son parc, la possibilité d'une extension non négligeable vite exécutée, l'agrément
de la vue et la facilité d'accès à la mer ont eu un effet positif vis-à-vis de nos hésitations,
d'autant plus que nous apprenions que d'autres acquéreurs se présentaient pour édifier un
complexe touristique haut de gamme permettant une surenchère.
Pour célébrer notre accord, nous avons été reçus d'abord au Lavandou dont le maire de
l'époque, médecin comme moi, a été un animateur remarquable; puis, sur le chemin du
retour, à Saint Firmin en Valgaudemar, commune des Hautes Alpes presque aussi étrangère
que nous au Midi. Depuis lors, nombreuses sont les personnes et associations qui ont été
accueillies aux Pins Penchés, justifiant à notre orientation qui répondait à un souci de
banalisation des vacances pour toutes les couches de la société.
Si j'avais à m'interroger sur le bien fondé de cette initiative, il me suffirait de me rappeler la
carte qu'un couple d'agriculteurs nous avait un jour adressée pour nous remercier de les
avoir encouragés et aidés à prendre hors de leur horizon habituel les cinq ou six premiers
jours de congé de leur vie.

 l'occasion de la fermeture des écoles de hameau a été saisie, dans cinq cas,
par l'AAB pour les transformer avec l'accord et l'appui de la commune et des
habitants en gîtes d'étape. Deux de ces gîtes sont encore en activité.

 une opportunité dans le domaine de l'agro-tourisme en 1981: un article dans


l'hebdomadaire départemental La Vie Nouvelle, où il était recherché un lieu
d'implantation d'une colonie de vacances pour enfants parisiens dans un
milieu agricole. Une lettre est adressée à l'auteur dès le lendemain. Rencontre
et montage du projet, mobilisation d'agricultrices volontaires des quatre
communes pour participer au projet. Au préalable une formation à l'accueil

149
leur est donnée (psychologie, hygiène alimentaire, etc.), puis les dames
accueillantes ont fait de nombreux allers et retours à Paris pour aller chercher
les enfants et les ramener, découvrant ainsi la capitale. Résultats: pour les
accueillantes un revenu complémentaire, pour le Beaufortain de la notoriété,
pour les enfants la découverte de la montagne et de l'agriculture.

Il n'y a pas de chance en Beaufortain, seulement des opportunités saisies au bon


moment. On pourrait dire aussi qu'il n'y a de chance que si on la provoque.

Créer les dynamiques et les dispositifs locaux

Certes les communes du Beaufortain et maintenant sa communauté de communes


sont des collectivités relativement riches grâce à la manne des redevances EDF, qui
ne sont après tout que des compensations durables au préjudice, également
durable, subi par le canton du fait des barrages, de leurs nuisances et surtout de la
perte de riches alpages. Encore a-t-il fallu négocier pour obtenir cette "rente" et le Dr.
Avocat, qui a mené certaines des discussions, dit que ce fut rude, d'autant plus que
les pouvoirs publics (c'est-à-dire évidemment le préfet et ses services) avaient
toujours tendance à privilégier l'avis des pouvoirs parisiens (dont EDF) au nom du
fameux intérêt national.

Au-delà de cet apport extérieur, les moyens du développement viennent,


normalement, des ressources locales, dont on a vu qu'elles avaient essentiellement
comme origine l'agriculture et le tourisme.

L'agriculture est toujours venue en premier dans les priorités du Beaufortain, comme
dans les esprits. Son histoire est faite de hauts et de bas, de mobilisation interne et
d'interventions externes, de relations avec la macro-économie (AOC, évolution des
prix du lait et du fromage) et d'attention à la micro-économie (le bien être et la
mobilisation des agriculteurs).
Voici un calendrier sommaire des principales étapes de l'organisation professionnelle
de la production du beaufort, établi par Maxime Viallet lui-même en 1993:

150
1925 A Bourg-Saint Maurice, école de formation des fromagers d'alpage.
1939 Création de la société coopérative d'affinage du beaufort de Haute Montagne
1960 Crise du système agro-pastoral. Fin de l'économie de subsistance
1963 Mouvement de rénovation et d'expansion du canton de Beaufort
1964 Participation de Beaufortains à des sessions de l'IFOCAP
1965 Nouvelle organisation des producteurs; création de l'Union des Producteurs de beaufort
1967 Commission communale de réorganisation foncière et de remembrement (Beaufort)
1968 Décret de protection du nom "beaufort" (AOC)
1970 Crise locale et commerciale
1971 Première visite d'experts de l'INRA à la coopérative laitière du Beaufortain
1972 Redressement de la coopérative laitière de Beaufort, locomotive de la zone d'AOC beaufort
1974 SICA du Beaufortain; première machine à traire mobile en montagne
1975 Création du Syndicat de défense du beaufort; accord DDA/SIVOM pour le projet SAR
1976 Décret de définition des règles de production; création de la commission de contrôle
1986 Décret sur les règles sanitaires; obligation des races Tarine et Abondance
1991 Signature avec la région du PIDA Beaufort et des contrats d'alpages
1993 Décret renforçant les règles de production

Explication des sigles IFOCAP, Institut de formation des cadres paysans ; INRA, Institut national de la recherche
agronomique ; PIDA, Plan d'intervention de déclenchement des avalanches ; SAR, Schéma d'aménagement
régional.

Tout cela n'a pas été sans difficultés. Si les conditions macroéconomiques étaient
hors de portée des agriculteurs de Beaufort et de leurs organisations, on notera le
travail réalisé pour surmonter les obstacles internes et pour maîtriser l'ensemble de
la filière du beaufort:

- les alpages sont tous des propriétés privées, seule la coopérative peut donc
assurer le maintien d'une logique collective, tout en respectant les droits des
propriétaires individuels

- l'abandon du fromage d'alpage n'allait pas de soi, il faisait partie de la culture des
gens. Il a fallu s'adapter au système du ramassage.

- la collecte du lait en alpage est difficile et exigeante: l'invention de la machine à


traire mobile a résolu en partie le problème37.

- les normes de production du beaufort, de plus en plus complexes suite à


l'obtention de l'AOC, n'étaient pas établies au départ et ensuite ont dû être
imposées à tous. Ce fut le rôle de l'INRA et de la formation des agriculteurs.

- l'évolution des cours du lait est restée constamment une préoccupation majeure,
car d'eux dépend le niveau de vie des agriculteurs. Ils sont fonction à la fois de la
production (1% de surproduction entraîne 10% de chute des prix) et des

37
Il reste la question du transport, très coûteux en personnel, en véhicules et en temps, en
raison de la configuration du terrain et des pistes de liaison.

151
règlements de la politique agricole commune (PAC) qui fixent les primes et les
plafonds de prix.

- il a été nécessaire de maîtriser la commercialisation des produits, puis de


maintenir cette maîtrise.

Le soutien des collectivités s'est fait sentir par des aides à toutes les actions
collectives (à l'exclusion d'aides individuelles, ce qui est un autre moyen de soutenir
la coopération) et par des programmes d'aménagement du territoire visant à faciliter
le travail des agriculteurs (routes et pistes par exemple).

Le lait et le beaufort ne couvrent pas la totalité de l'activité agricole: il fallut s'occuper


de l'entretien de la forêt et de la question de la viande (abattoir créé à Beaufort).

Tout cela est le fruit d'un extraordinaire mouvement de coopération. Autour de la


coopérative laitière de Beaufort, fer de lance de la modernisation de la production du
beaufort, une constellation d'associations et de groupements s'est constituée au
cours des années. En voici une liste, sans doute incomplète, mais qui donne une
bonne idée de la diversité des thèmes et de la volonté de coopération des
Beaufortains:
- Association foncière pastorale
- Association mutualiste pour la santé animale
- CUMA du Beaufortain
- Abattoir de Beaufort
- Groupement de vulgarisation
- SICA d'alpage
- SICA de la vallée
- Syndicat agricole cantonal

Le Groupement intercommunal de développement agricole (GIDA) regroupe la


plupart de ces structures.

Toutes ensemble, ces organismes, dont on parle sans doute moins que la
coopérative, fleuron médiatique du canton, ont eu et ont encore un rôle dynamisant
et structurent le monde rural, selon une variété d'approches qui permettent de
répondre aux différents enjeux de l'agriculture moderne.

152
On pourrait y ajouter le Foyer rural et maintenant, d'une certaine manière, l'AAB pour
leur accompagnement des agriculteurs et des agricultrices dans leur vie sociale et
culturelle.

Le tourisme est la seconde activité économique du Beaufortain. Lui aussi a exigé


une organisation, selon plusieurs types d'acteurs et de programmes.

- le tourisme d'hiver: les stations, contrôlées par les communes, avec un suivi du
syndicat d'initiatives cantonal, ont été mises en place progressivement: Les
Saisies (1966, 80 km de pistes de ski alpin, 80 km de pistes de ski de fond),
Arêches-Beaufort (1967, 50 km de pistes de ski alpin, un snowpark, 38 km de
pistes de ski de fond), Hauteluce-Val Joly-Les Contamines-Montjoie (1992, 120
km de pistes de ski alpin). La participation des Saisies aux JO de 1992 a permis
de placer le Beaufortain sur la carte des vacances d'hiver, mais sans altérer le
caractère volontairement familial et l'échelle humaine de ces sites, d'ailleurs
favorisé par la géographie, les pistes étant naturellement courtes. Le grand projet
de station du Joly a été finalement abandonné, au profit d'un simple ensemble de
remontées mécaniques.

- le tourisme d'été, qui consiste à développer Une initiative locale: le sentier des
Pointières
largement plusieurs facteurs indispensables: "une boucle sculptée dans le flanc de
un hébergement diversifié (hôtellerie, gîtes, la montagne par des artisans du
temps qui passe…"
maisons familiales, camping), une motivation Il s'agit d'un sentier culturel et
écologique de découverte du
et une formation à l'accueil sous toutes ses
territoire du hameau des Pointières,
formes, une promotion en direction de publics conçu par Henri Molliex et réalisé
avec les habitants de ce hameau.
cibles (familles, comités d'entreprises et Ceux-ci expliquent leur vie
quotidienne, hier et aujourd'hui, et
services sociaux des villes), une promotion font visiter ce qu'ils estiment
important dans leur voisinage: un four
(label station verte de vacances), des clubs à pain, un bois d'épicéas, une
grange, une collection d'outils
sportifs dynamiques et des activités de grand
agricoles, les restes d'une agriculture
air pour tous âges représentant une offre de montagne, maintenant désertifiée
et envahie par la forêt.
attractive.

Comme on l'a déjà vu au chapitre de l'aménagement, les collectivités et les


associations ont, ici comme dans d'autres domaines, mis en place une
organisation complète et très collective, sur trois niveaux:

153
- les structures officielles, relevant des collectivités locales: SIVOM des
Saisies, Maison du Beaufortain, office de tourisme cantonal et celui des
Saisies, piscine,

- les structures associatives: office de tourisme d'Arêches devenu cantonal, les


clubs d'activités sportives, AAB,

- la population, en tant qu'hébergeants et investisseurs touristiques, et comme


pluriactifs pour fournir une main d'œuvre qualifiée et locale aux activités
saisonnières.

On complétera ce tableau en rappelant la densité de la politique de


communication interne et externe menée en Beaufortain par l'ensemble des
acteurs publics, associatifs et privés.

Susciter et utiliser des partenariats de moyens

Une part importante des efforts d'organisation des acteurs du Beaufortain a été
consacrée à l'établissement de plusieurs réseaux de partenaires:

- celui des collectivités, avec le département au cœur du système, mais aussi


avec les différents services de l'Etat (vus à travers les personnes-contacts
avec lesquelles on pouvait traiter plus personnellement qu'administrativement)
et naturellement avec l'EDF. Les relations sont moins fréquentes avec la
Région et avec l'Europe. Cette dernière est cependant présente par les aides
de la PAC et le programme Natura 2000.

- celui des associations, surtout constitué de fédérations d'éducation populaire


ou de structures nationales spécialisées, avec Savoie Vivante comme relais
majeur à l'échelon départemental, mais aussi avec Peuple et Culture,
l'AFRAT, l'ANDLP38.

Ces réseaux servent à l'information montante et descendante, à des échanges


d'expériences, à la passation de conventions et de contrats. Pour les partenaires
publics, il s'agit également de pouvoir bénéficier dans les meilleures conditions

154
des aides et mesures diverses, de droit commun ou exceptionnelles. Il faut les
connaître (encore une affaire d'opportunité et de veille à l'information), les
négocier, les obtenir et, le cas échéant, les "tordre" pour les adapter aux
conditions locales. C'est ainsi que le règlement de la première OPAH a été
modifié pour permettre de financer des bâtiments à usage agricole, chalets
d'alpage et granges ou étables.

On a pu aussi mobiliser des partenaires et des moyens différents sur les mêmes
actions, afin de compenser annualité et réductions budgétaires: les voyages
d'études ont été ainsi co-financés tantôt par Savoie Vivante, tantôt par le Conseil
Général, tantôt par Jeunesse et Sports.

Tous les fonds d'investissement ou d'intervention publics ont été utilisés, surtout
pendant la période 1970-1980, pour construire les différents volets du programme
de développement du Beaufortain: FIC, FONJEP, FIDAR, PAP1639, dont certains
sigles ne disent peut-être plus rien aujourd'hui, ont été les bailleurs de fonds des
initiatives et des innovations les plus productives du Beaufortain.

Evaluer

Le fait que les principaux acteurs du développement, en Beaufortain, mettent l'accent


aussi bien sur leurs échecs que sur leurs succès, le fait aussi qu'ils soient toujours à
l'écoute de l'innovation ailleurs, tout cela montre bien l'importance que revêt pour eux
une évaluation quasiment permanente de leurs actions et de leurs méthodes. Il arrive
que cette évaluation soit faite techniquement en interne ou en externe: ainsi pour les
bilans des grandes opérations de formation mentionnées plus haut. Dans d'autres
cas, la méthode est plus informelle, se passant au cours des réunions d'associations.
Une initiative récente de l'AAB est de créer des "réunions-qualité" pour améliorer sa
performance. Mais plusieurs acteurs locaux regrettent que l'évaluation ne soit pas
plus systématiquement et formellement pratiquée.

38
Association nationale pour le développement local et les pays, devenue depuis l'UNADEL
39 ème
Programme d'action prioritaire du 7 Plan

155
FICHE PRATIQUE

L'organisation est souvent la partie la moins connue du contexte du développement


local, car chacun travaille dans son secteur, sans avoir une claire image de la
manière dont les autres secteurs sont organisés. Les services publics sont
traditionnellement organisés de façon verticale et ne sont pas habitués à des
pratiques de coopération transversale. Cette réflexion sur l'organisation est donc
l'aboutissement naturel des chapitres qui précèdent.

 Recenser l'état actuel de l'intercommunalité, de la vie associative, des


relations de coopération et de concertation entre acteurs principaux

Il ne s'agit pas de faire une étude, un inventaire ou un ficher, mais de réfléchir, autant
que possible en collectif, à la manière dont les choses se passent sur le territoire
entre les différents acteurs, institutionnels ou non, en analysant des actions
conjointes précises, par exemple selon le tableau suivant à remplir pour chaque
action choisie:

Nom de l'action

Acteurs Acteurs Acteurs Acteurs


Etapes
institutionnels associatifs économiques individuels
Idée, initiative

Concertation

Décision

Mise en oeuvre

Evaluation
N.B. Ce tableau est évidemment à modifier et compléter selon le contexte local

Indiquer dans chaque colonne le rôle théorique et réel et l'appréciation critique que
l'on peut faire des relations de l'acteur avec un ou plusieurs autres acteurs en
fonction de l'étape considérée. Par exemple, une commune peut entreprendre une

156
concertation très avancée avec des associations mais se réserver l'exclusivité de la
décision, alors qu'elle demandera une coopération à l'une ou l'autre des associations
au moment de la mise en œuvre. Il sera facile ensuite d'en tirer des enseignements
et d'extrapoler au fonctionnement global de l'organisation locale.

 Quelle connaissance et quelle expertise sont disponibles en matière de


mesures publiques d'aide au développement ?

Quelles sont les mesures publiques qui ont été appliquées sur le territoire, ou sur des
territoires voisins, dans les trois à cinq années précédentes ? Qui les a montées ?
Ont-elles atteint leurs buts ?

Existe-t-il un lieu-ressources accessible où l'on peut trouver des informations, des


conseils et éventuellement une ingénierie sur les mesures publiques ? Ne pas
oublier de penser en termes de mesures et de crédits européens (même si le
Beaufortain n'en a pas utilisé).

Créer un annuaire des services de l'Etat, de la région et du département, avec


l'indication pour chacun du nom et des coordonnées de la personne-contact qui
connaît le territoire et a de l'intérêt pour lui. Cet annuaire sera à mettre à jour pour
tenir compte des changements de personnel. Il s'agit bien ici des fonctionnaires ou
assimilés, et non des élus qui nécessitent une approche et une connaissance
différente.

 De quelle matière grise dispose-t-on localement ?

Il est utile de dresser pour soi une sorte d'annuaire des personnes (et éventuellement
des organismes) qui ont des compétences dans des domaines très variés, même
s'ils ne sont pas liés à des programmes de développement.

Inclure les personnes, extérieures au territoire, qui ont la réputation de bien connaître
celui-ci et pourraient donc être consultés un jour ou l'autre. Il peut s'agit de très
grands personnages (conseillers d'Etat, universitaires, etc.), habitant au loin, même

157
s'ils n'ont plus actuellement de liens étroits avec le territoire. Les résidents
secondaires peuvent être également précieux.

 Faire l'inventaire des études réalisées depuis dix ans et analyser leur
validité, leurs résultats, leurs lacunes

Souvent une simple liste des études faites au sujet d'un territoire compte des
dizaines et des dizaines de titres. Il faut compter les mémoires et thèses, les rapports
de stages, qui souvent ne sont même pas déposés sur le territoire, mais qui
contiennent des informations et des points de vues intéressants.

On peut aussi, mais c'est plus compliqué et pas toujours populaire, tenter d'indiquer
en marge de la liste les décisions qui ont été prises et mises en œuvre sur les
recommandations de ces études.

Cela permet en tout cas d'éviter de recommencer des études sur des sujets déjà
largement et récemment abordés.

158
Mise en prospective : le Beaufortain, quel avenir ?

Ce chapitre a été rédigé à la suite d'une réunion de travail organisée par Brigitte Joguet
et composée des personnes suivantes:
Edith Blanc-Mappaz, 39 ans, hôtesse d'accueil, 4 enfants
Franck Bon-Mardion, 31 ans, agriculteur, conducteur de chenillette en hiver
Frédéric Frison, 35 ans, artisan, 2 enfants
Brigitte Joguet, 47 ans, hôtesse de caisse en hiver, 3 enfants
Christelle Nantermoz, 40 ans, monitrice de ski, 1 enfant
Tous ces acteurs de la vie quotidienne en Beaufortain ont discuté volontairement et
librement des problèmes, des risques et des chances du territoire dans les années à
. venir, pour eux et pour leurs enfants.
Nous avons conservé leur rédaction, pour ne pas risquer de défigurer leur pensée.

L’intercommunalité, incontournable

La création de la Communauté de communes permet une plus grande solidarité


(partage des moyens financiers), fédère les énergies pour résoudre les problèmes
d’assainissement, déchetterie et gère un important volet touristique : le contrat
station moyenne montagne. Demain, il est indispensable que la Communauté de
communes aborde d’une façon globale le problème du foncier qui sera la clé de
l’emploi et du logement dans le Beaufortain.

- Le foncier pour l’emploi

Artisanat - de nombreuses petites entreprises présentes sur le territoire


souhaiteraient pouvoir s’installer correctement : construire leurs locaux, travailler
dans de meilleures conditions (on peut remarquer sur la place Roger Frison-Roche,
les véhicules des entreprises garés le soir). La création de zones artisanales
permettrait de développer leur activité et de créer de l’emploi.

Activités de Loisirs (tourisme) - en observant le Beaufortain vu du ciel, on remarque


le manque de cohérence de l’aménagement du territoire : une zone de loisirs côtoie
une scierie, des ateliers précèdent le camping…. toutes ces zones auraient besoin
d’être redéfinies au niveau du Canton.

159
Agriculture - le grignotage du terrain agricole est préjudiciable, les agriculteurs ont
besoin des meilleures terres, comment les préserver ? Avant tout aménagement
(touristique ou autre), il est important qu’il y ait une réflexion globale pour prendre en
compte le multi - usage du territoire concerné (ex : utilisation d’un alpage pour le ski,
faire auparavant le diagnostic de ses besoins en tant qu’alpage, protéger certaines
sources et ensuite calquer dessus les aménagements touristiques).

- Le foncier pour le logement

Une crainte qu’un jour nous n’ayons plus les moyens d’habiter le Beaufortain est
omniprésente. Reste-il encore des Chamoniards à Chamonix ? Les terrains
abandonnés par les agriculteurs (friches), les espaces à déboiser sont peut-être à
chercher ? Ne pourrait-on pas créer des hameaux du 3ème millénaire où pourraient
s’exprimer les nouveaux modes de vie ? Mais le coût des terrains doit rester
accessible aux Beaufortains. La création de logements locatifs (OPAC) ne
correspond pas toujours aux besoins des habitants qui aspirent à construire leur
maison

La Communauté de communes a un avenir, mais peut-être serait-il intéressant


d’inviter les Beaufortains à un grand débat à l’instar du Conseil général de la Savoie
et de sa réflexion sur l’avenir du département : "Quel Beaufortain pour 2020 ?", et
ensuite les impliquer dans les différents projets. Actuellement ceux-ci ont le
sentiment de n’être pas suffisamment associés aux réalisations en cours (choix
d’investissements précipités dans le Contrat Station de Moyenne Montagne). D’autre
part les usagers ne savent pas toujours à qui s’adresser, les rôles de chacun ont
besoin d’être clarifier (ces fonctions étant actuellement en pleine évolution).

Quant à l’élargissement du périmètre d’aménagement et à nos relations avec la


région Albertvilloise (notre bassin d’emploi) ils sont peut-être actuellement
prématurés : il faut qu’existe auparavant une véritable harmonie entre les 4
communes du canton.

160
L’agriculture

La fin du jardinier de la montagne

Nous sommes dans une période intermédiaire, où peu à peu les petites exploitations
disparaissent au profit de l’agrandissement de nouvelles exploitations plus
modernes. Aujourd’hui, pour s’installer, un jeune a besoin d’un quota laitier de
100.000 l, 25 vaches laitières, suffisamment de surface pour répondre à l’exigence
d’autonomie fourragère de l’AOC Beaufort et parfois d’exercer une activité
saisonnière. Il doit aussi se préparer à travailler seul ou en G.A.E.C40. sans l’aide de
la famille.

La vente de sa production permet de financer le fond de roulement de son


entreprise mais son salaire dépend des aléas des aides accordées dans le cadre de
la PAC. Fragilité financière, contraintes administratives, contrôles de plus en plus
sévères, seuls les passionnés, les entreprenants, resteront.

Terres convoitées

Les agriculteurs ont besoin de parcelles suffisamment grandes permettant la


mécanisation. La construction dans le prolongement des hameaux utilise les
meilleurs terrains, la transformation des granges en résidences, la construction d’une
maison au milieu d’une parcelle avec sa piste d’accès, compliquent leur
travail (périmètre à respecter pour l’épandage des fumiers ou lisiers, placement des
parcs)… Si aujourd’hui l’agriculteur sait encore prendre la faux pour entretenir
gratuitement les alentours des maisons d’habitation, demain le fera-t-il encore ? Les
communes de Queige et de Beaufort en ont déjà pris conscience puisque des aides
sont accordées aux agriculteurs dans le cadre de contrats Agro-environnement, ces
initiatives seraient à étendre à tout le canton et les habitants auront aussi à prendre
en charge leur environnement, s’ils ne veulent pas vivre au milieu des friches.

40
Groupement agricole d'exploitation en commun

161
Construction d’étables modernes

Quelques sièges d’exploitation par village autour desquels seront travaillées les
terres, le vieux bâti agricole ne sera plus utilisé mais transformé. (Patrimoine :
essayer de conserver une vieille étable avec ses crèches, une grange …)

Les relations avec les propriétaires fonciers

Ils sont des partenaires et il est nécessaire de les associer au développement et au


maintien de l’agriculture (aide au maintien du bâti agricole, écoute..). Etant donnée la
pression immobilière, les fermages impayés, les terres mal entretenues (pratiques
parfois rencontrées) porteront préjudice à la profession.

L’influence du prix du lait / relancer l’esprit sociétaire / la qualité

Il y a 4 ou 5 ans le Beaufort se vendait bien ce qui a entraîné une augmentation trop


rapide de la production. On n’a pas vu venir cette crise. Aujourd’hui, les caves sont
pleines ! Le système de vente est il toujours adapté ? L’embauche d’un commercial
(comme pour la viande du Beaufortain qui est un succès) permettrait peut-être
d’améliorer la situation. Le prix du lait a baissé de 30 centimes et les agriculteurs
sont obligés de prendre part à l’écoulement d’une petite partie de la production.
S’impliquer dans la commercialisation est sans doute un bon moyen de relancer
l’esprit sociétaire. La baisse du prix du lait peut aussi freiner la fuite en avant, l’achat
de foin et de concentré et peut-être inciter à chercher des revenus complémentaires
dans l'agro-tourisme, etc.

Jardins, vergers, un atout paysagé (autant que le fleurissement) et productif

Cette petite polyculture est à maintenir pour la consommation familiale et les loisirs
(à Beaufort, on a détruit de nombreux jardins) ; les vergers sont appelés à
disparaître, les arbres sont vieux et envahis par le gui, peu d’habitants récoltent
encore les fruits pour le cidre, c’est peut-être dommage ?

La forêt

Un regard plutôt pessimiste sur la forêt : elle parait vieille, malade (présence de
nombreux chablis). Elle est trop difficile à exploiter et les coupes se vendent mal car

162
le marché est très concurrentiel. On constate une évolution de la demande pour des
bois de qualité sans défaut. Toutes les scieries du Jura vendent du bois raboté alors
qu’à Beaufort il faut le retransformer. Il manque une structure de séchage et de
rabotage

Commerces / services / artisanat

Le petit commerce et les services, la vie du village

Même si une grande partie de nos commerces et services (poste) est liée à l’activité
touristique, le maintien d’une ouverture toute l’année est à encourager. Les petits
commerces sont la vie d’un village, et celui-ci ne s’arrête pas de vivre en période
creuse.

L’artisanat est freiné

Comme nous l’avons évoqué précédemment, la création de locaux permettrait à


certains artisans de développer une activité annuelle et de ne pas avoir recours au
travail saisonnier en station.

On remarque aussi un nombre important d’entreprises extérieures venant travailler


dans le canton dans les domaines suivants : travaux publics, charpente, menuiserie,
plomberie, espaces verts, bûcherons…

Un constat : l’augmentation de la plus value immobilière diminue les montants


consacrés aux travaux de restauration.

Tourisme d’été et d’hiver

De la qualité pour préserver ce que l’on a !

On note une augmentation de la fréquentation pour de courts séjours du fait des 35


heures, par la clientèle de la région Rhône-Alpes. En été, les longs séjours sont en
baisse. De façon générale la fréquentation stagne. La saison d’hiver est plus courte
qu’auparavant : peu d’enneigement à Noël, peu de vacanciers à Pâques.

163
Un marché mature, le vieillissement de la population font que pour conquérir le client
devenu ROI (dont les attentes ont évolué : il skie de moins en moins, ne souhaite
plus savonner les pistes mais découvrir des sites ou bien avoir des sensations de
glisse, ou encore il a envie de "buller" ou de faire du shopping) et qui est dans une
logique de compte (revenu peu extensible), les investissements devront être très
réfléchis.

Domaine skiable

Si la station des Saisies a réalisé une extension répondant aux besoins de


découverte cités ci-dessus, celle d'ArêchesŔBeaufort doit-elle s’agrandir ? Quelle
évolution est à choisir pour ne pas rester figés ? L’amélioration de son domaine est
à poursuivre (jonction Grand Mont / Grande Combe...).

Parc immobilier

La tendance de chaque station est d’augmenter son parc immobilier pour rentabiliser
les remontées mécaniques mais il faut penser à rénover le parc immobilier ancien
pour répondre aux attentes des vacanciers (plus d’espace, plus de décoration).

Pour les résidences secondaires, il existe 2 tendances

- émergence et augmentation d’une population propriétaire qui achète un pied à terre


à la montagne, vient 4 ou 5 semaines dans l’année et ne loue pas le restant de
l’année (un minimum d’investissement et d’entretien). De l’immobilier sous utilisé !
Alors que nous manquons d’espace foncier, quelle action envisager ?

- des personnes qui effectuent des placements, rénovent, louent et parfois


revendent.

Accueil : amélioration du cadre de vie et des villages

La rénovation de tous les locaux d’accueil est à continuer car ils sont la vitrine du
Beaufortain.

La fréquentation touristique induit des problèmes de parking, de circulation pour


traverser les villages (Arêches, Hauteluce…) en pleine saison. La cohabitation
piétons voitures est difficile et nuit certainement au commerce local. Des solutions
sont à imaginer pour répondre aux attentes de shopping, de promenade.

164
Promotion

Une image de "pas cher" est à éviter car elle peut nous amener une clientèle toujours
à l’affût des bons coups et des promos. Par contre développer un "éco-tourisme"
deviendra très tendance avec le réchauffement climatique : le Beaufortain a su
préserver son patrimoine naturel, il faut insister sur la qualité de l’environnement et
l’enneigement exceptionnel de nos stations.

Avenir de la pluriactivité : être professionnel

Elle semble une nécessité pour les activités artisanales soumises aux conditions
météo, pour soutenir un revenu (par exemple dans l’agriculture). Mais s’orienter vers
les métiers du ski nécessite aujourd’hui plus d’investissement et de réflexion :
formation coûteuse, difficile (polyvalence dans toutes les disciplines, bonne formation
générale) et il n’est pas certain que l’on puisse trouver un emploi localement (par
exemple à l’Ecole du Ski Français). Dans tous les cas la pluriactivité exigera du
professionnalisme.

La vie sociale

Le volet social sera toujours plus demandeur de bénévoles ou de salariés et les


conséquences financières (individuelles ou collectives) iront croissantes.

Les jeunes générations

Dans les foyers, il n’y a plus la même cohésion familiale d’autrefois, chacun a son
emploi du temps, ses hobbies. Il n’y a plus de partage des tâches manuelles (comme
auparavant l’aide à la ferme), aujourd’hui les jeunes sont demandeurs d’occupations
et de loisirs.

Les aînés

En Beaufortain, comme ailleurs, la population vieillit. La jeune génération ne peut pas


toujours s’occuper de l’ancienne, par conséquent la Maison de Retraite ainsi que les
services à la personne (ADMR, auxiliaires de vie) seront sources d’emplois.

165
Les nouveaux arrivants

Après quelques années certains repartent (gendarmerie, EDF, perception…). Ils


demeurent vraiment au pays lorsqu’ils achètent un bien immobilier ou lorsqu’il y a
mariage avec un autochtone. Ces personnes font parfois évoluer les services et
activités (qu’elles avaient l’habitude d’utiliser ailleurs). D’autres, des inactifs viennent
s’installer pour leur retraite. Ces derniers ont des compétences et cherchent souvent
à s’investir et à se lier à la population. Ils n’évaluent pas toujours les inconvénients
de la vie hivernale à la montagne, quand vient le grand âge.

Le bénévolat

La vie associative est de plus en plus importante. En même temps on sent un


essoufflement des bénévoles. La responsabilité de grosses associations exige des
compétences et du temps, il en est de même pour la fonction d’élu qui est une lourde
responsabilité. Jusqu’où peut on être bénévole ? Risque qu’il n’y ait plus dans les
conseils municipaux que des retraités qui n’ont pas forcement la même vision des
choses. Alors quels statuts pour les élus de demain ?

Nouveaux besoins de formation

 Formation des futurs responsables associatifs ou élus, mais celle-ci passe


certainement par une formation continuelle du citoyen.

 Réflexion sur la transmission du patrimoine (évaluation foncière, information


autour du notariat, les droits des usagers)

 Environnement : toutes les actions d’information vers les habitants et les


vacanciers visant à sa protection (utilisation de l’eau, respect des sites …)

 Continuer les formations autour de l’éducation des jeunes avec continuité et suivi

 Continuer les formations aux langues et à l'informatique

 Valoriser les entreprises locales : développer une fonction d’accueil permettant


des visites (à l’exemple de la coopérative laitière), faire visiter une scierie, une
exploitation agricole, un atelier… (objectifs : enrichir l’accueil touristique,
intéresser les habitants, les scolaires à ces activités, créer des revenus
complémentaires)

166
Conclusion

Vivre et travailler en Beaufortain ! Cela dépendra beaucoup des orientations prises


dans le domaine du foncier, de l’immobilier, des efforts faits pour maintenir une
harmonie entre agriculture, tourisme, artisanat, services… et surtout de
l’investissement de tous les citoyens pour œuvrer au développement du Beaufortain
et à la préservation de son cadre de vie.

167
FICHE TECHNIQUE

A chacun sa conclusion

Le chapitre de prospective qui clôt la description du Beaufortain et de son


développement, est le résultat de la confrontation de plusieurs subjectivités. Il n'est
pas la conclusion de cet ouvrage, qui serait d'ailleurs impossible, puisque l'avenir du
Beaufortain reste ouvert. Il relativise, à notre sens, utilement un processus que les
chapitres précédents pourraient avoir un peu trop "positivé", voire idéalisé.

Le lecteur peut procéder de même et tenter une mise en perspective de tout ce qu'il
a découvert et formulé auparavant en fonction d'une vision critique de l'avenir. Le
regard sur le passé n'a de sens et d'intérêt que par rapport à ce que sera l'évolution
du territoire et de sa population. Le temps n'est plus, pour nous, de procéder à des
généralisations macro-économiques et macro-sociales, qui sont des domaines
spéculatifs sur lesquels nous n'avons aucune prise. Il faut au contraire,
modestement, regarder le devenir du territoire et de ses habitants à l'horizon le plus
lointain possible.

Voici quelques questions que l'on peut se poser, individuellement ou collectivement:

 quelle est l'évolution prévisible de la population, compte tenu de la pyramide des


âges, des flux migratoires d'entrée et de sortie saisonniers ou non, en
prolongeant les tendances constatées depuis quelques années ?

 comment poursuivre la mise en œuvre d'une véritable démocratie locale,


impliquant un partage de l'information, de la décision et de la légitimité entre les
différentes catégories d'acteurs du développement ?

 comment préparer la succession des principaux leaders locaux, élus,


responsables associatifs, acteurs économiques, y compris agricoles ?

 quel est l'avenir des activités qui constituent actuellement la base de la vie
culturelle, sociale et économique du territoire ?

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 la nécessité, les risques, les avantages d'une modification de la configuration
territoriale (intercommunalité plus homogène, extension de celle-ci ou
changement de statut (de communauté de pays à pays par exemple) ?

 quels sont les problèmes prioritaires qu'il faudra résoudre, ou continuer de poser
dans la longue durée: socialisation du foncier, gestion de l'immobilier, formation,
relations avec les territoires voisins ?

 comment défendre la subsidiarité et le droit à l'autonomie de décision des


différentes instances locales ?

 comment maîtriser localement la dialectique Ŕ qui peut être une confrontation ou


une articulation Ŕ entre le macro-développement et le micro-développement ?

 etc. etc.

Pour la méthode, on peut en imaginer deux:


- le rêve éveillé, c'est-à-dire que notre lecteur peut, tout seul et après les réflexions
menées à l'issue de chacun des chapitres qui précèdent, tenter d'imaginer les dix
ou vingt prochaines années sur le territoire, pour lui, ses descendants, ses voisins
et l'ensemble de la communauté à laquelle il appartient.
- la prospective menée en commun, avec des personnes rassemblées autour de
l'intérêt commun pour le territoire et pour son développement, en les choisissant
de préférence dans la génération active contemporaine.

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BIBLIOGRAPHIE
ET RENSEIGNEMENTS PRATIQUES SUR LE BEAUFORTAIN

Ouvrages et articles

Etienne Fontaine : « Beaufort et ses environs 1920 », réédité Res Universis 1990.
Abbé Garin : « Le Beaufortain, une belle vallée de Savoie », guide historique et touristique illustré 1939,
épuisé. Nouvelle édition préfacée et présentée par Hélène Viallet, La Fontaine de Siloé 1996.
Roger Frison Roche : « Les montagnards de la nuit » 1968, le Versant du Soleil, Flammarion 1981.
Andrée Bordes Vibert-Guigue : « La vie rurale à Saint-Maxime de Beaufort dans la deuxième partie
du XVllle siècle », mémoire de maîtrise 1973, épuisé.
Association d'Animation du Beaufortain : « Ensemble dans le Beaufortain n°100 » 1987, épuisé.
A. Palluel Guillard et Pierre Dumas : « Le Beaufortain, histoire en Savoie » 1989.
Jean-Marie Jeudy : « Le Beaufortain » 1991, La Fontaine de Siloé, épuisé.
Patrimoine DRAC, Monnet et Pabois : « Le Beaufortain, images du patrimoine » 1991, épuisé.
Alexis Vibert-Guigue : « Quand on écoutait le soleil », La Fontaine de Siloé 1991.
P. Mazure et R. Frison-Roche : « A u temps des alpages », La Fontaine de Siloé 1992.
Hélène Viallet: « L e s alpages et la vie d'une communauté montagnarde : Beaufort, du Moyen-
e
Age au XVIII siècle », Académie Salésienne 1993.
Jacques Plassiard : «Autour de Pierra-Menta », l'Edelweiss 1995.
C. et G. Maistre : « Marchands joailliers du Beaufortain » 1996.
François Rieu : « Arêches-Beaufort 1947-1997 », La Fontaine de Siloé 1997.
Pascal Meunier : « La saga des Saisies », La Fontaine de Siloé 1999.
M. Leroy et G. F. de Montleau : « Sur les chemins du baroque en Beaufortain », La Fontaine de Siloé
1999.
Hélène Viallet et 1. Maistre : « Traces d'histoire en Beaufortain » 2000.
Martial Manon : « Panoramas du Beaufortain », La Fontaine de Siloé 2002.
Lou Gonthier : « En Beaufortain sur les chemins de l'école », Cabédita 2003.
Hélène Viallet : « Pays du Beaufort », Desjeux Granvaux 2003.
Collectif : « Pierra-Menta, traces d ' u n e légende », l'Edelweiss 2004.
Laurence Fleury : « Octavie, une paysanne en Beaufortain et ses treize enfants », Recueil 2005.

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Sites web

La Maison du Beaufortain www.lebeaufortain.com

Office de tourisme Arêches-Beaufort www.areches-beaufort.com

Office de tourisme des Saisies www.lessaisies.com

Commune de Hauteluce www.mairie-hauteluce.fr

Sur Maxime Viallet www.echoalp.com/download/expo_m_viallet.pdf

Filmographie

"Au pays du beaufort", 35mm, 19 minutes, Production Kanari Films / Coopérative Laitière du
Beaufortain

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