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André Torre
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Relations de proximité
et comportements
d’innovation des
entreprises des clusters
Le cas du cluster de l’optique en Île-de-France
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L
’analyse des relations de proximité recherches portent ainsi tout spécialement
a connu des développements impor- sur l’étude des relations de collaboration
tants depuis ses origines. D’abord et de coopération entre les firmes, parti-
initiée par un groupe d’économistes fran- culièrement au niveau local, ou entre les
çais (Bellet, 1993 ; Torre et Gilly, 1999), firmes et leur environnement (Dankbaar,
cette approche a été cantonnée pendant les 2007 ; Wetterings et Boschma, 2009), mais
années 1990 à l’analyse des relations de mettent également l’accent sur la rela-
production industrielle et s’est tout particu- tion entre réseaux locaux et flux externes
lièrement développée dans le cadre d’étude dans le processus de création des savoir
des processus d’innovation. Relations indus- et innovations (Bathelt et al., 2004 ; Vaz
trielles, innovation, nomadisme des entre- et Nijkamp, 2009). Les changements en
prises, nouvelles technologies, ressources matière d’innovation et de recherche sont
territoriales, systèmes productifs locaux… conçus dans une optique évolutionniste,
ont constitué des objets d’étude inlassable- considérés comme des processus collectifs
ment explorés et remis sur le tapis grâce à et resitués dans leur contexte spatial et
la confrontation entre les élaborations théo- organisationnel (Freel, 2003 ; Laursen et
riques et les recherches de terrain (Boschma, al., 2010 ; Ponds et al., 2007). Le rôle de la
2005 ; Carrincazeaux et al., 2008 ; Rychen proximité géographique dans l’aggloméra-
et Zimmermann, 2008). Plus récemment, tion spatiale des firmes est mis en évidence
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1. Pour une approche alternative, voir en particulier Bouba Olga et Grossetti (2008).
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LES CLUSTERS
Le terme de clusters, qui constitue la manière contemporaine de qualifier les formes locales
d’organisation des activités d’innovation et de production, a fini par recouvrir et englober
les appellations antérieures des systèmes localisés de production et d’innovation tels que
districts, milieux, technopoles, SPL… Défini par Porter (1990, 1998) comme « …un groupe
géographiquement proche de firmes et d’institutions associées, interconnectées au sein d’un
champ particulier et liées par des éléments communs et des complémentarités », cette notion
connait un succès qui ne se dément pas, au niveau analytique comme dans le cadre des poli-
tiques territoriales (voir Despret et Hamdouch, 2009).
Dans un premier temps, la notion de cluster s’est appliquée à des success stories, dont
l’exemple le plus connu est celui de la Silicon Valley. Création de technologies, d’innovations
et forts taux de profits sont présents depuis maintenant un siècle au sein de ce système, qui
suscite l’attention des autorités publiques locales et des organismes financiers tels que les
capital-risqueurs et les business angels. Par la suite la notion de cluster a été étendue vers des
systèmes moins axés sur les activités de haute technologie ou dont le degré de performance
est plus faible mais aussi en tant qu’outil de politiques économiques locale ou nationale
mises en place par la Banque mondiale ou l’OCDE (2001 et 2005). On en est ainsi venu à
considérer, du point de vue des politiques de développement, que la mise en synergie des
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constituent avant tout des potentiels offerts Une ligne de train à grande vitesse peut per-
aux acteurs. C’est, en particulier, l’activa- mettre un accès rapide entre deux localisa-
tion par l’action humaine qui donne à ce tions, mais son coût va se révéler prohibitif
potentiel tout son intérêt et lui confère une pour une partie de la population, au moins
valeur (« positive » ou « négative ») au dans le cas de déplacements fréquents. On
regard des critères économiques ou sociaux dira que la proximité géographique entre
en cours dans les sociétés où il s’applique. des personnes, ou entre des personnes et
L’activation des proximités va ainsi donner des lieux, est partiellement liée aux coûts de
lieu à des formes différentes de relations transport, ainsi qu’à la richesse et au revenu
dans l’espace, et tout particulièrement à des individus.
des types de relations et de collaborations La proximité géographique est neutre dans
diverses entre les firmes, que ce soit au sein son essence, et activable ou mobilisable
des clusters ou avec des partenaires situés par les actions des acteurs économiques
à distance. et sociaux. Ce sont les actions et les per-
ceptions humaines qui lui confèrent une
La proximité géographique
dimension plus moins positive ou négative,
La proximité géographique se rapporte à ainsi qu’une certaine utilité. C’est bien la
la distance entre les acteurs, pondérée par manière dont s’en emparent les acteurs
le coût monétaire et temporel de son fran- qui est importante. Ainsi, le fait que deux
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2. On peut être organisé ou organiser une activité sans nécessairement en référer ou appartenir à une organisation,
au sens strict du terme.
Relations de proximité et innovation des entreprises des clusters 55
Ce sont les actions humaines qui condi- peut habiter dans le même immeuble que
tionnent le fait d’entrer en interaction et les des voisins que l’on ne connait ou ne fré-
résultats se révèlent divers : une entreprise quente pas ; un laboratoire va se trouver
peut mettre en place une relation de col- localisé à proximité d’une entreprise avec
laboration avec un laboratoire, ou encore laquelle il n’entretient aucun rapport.
essayer de lui ravir une de ses inventions – Le potentiel de proximité organisée peut
par l’intermédiaire d’une relation privée. rester inactivé. C’est le cas, par exemple, de
Pour la logique de similitude, un projet personnes ayant les mêmes origines géogra-
commun peut aussi bien conduire à un suc- phiques ou des cultures très proches mais
cès en matière industrielle ou technologique qui ne se rencontrent pas ou n’entrent pas
qu’à un échec entraînant de lourdes pertes en communication. La proximité organisée
pour les parties. reste à l’état de potentiel et ne sera activée
que par la mise en place d’interactions
2. Le jeu des deux proximités pouvant reposer sur les actions de groupes
au sein des clusters
d’individus ou d’institutions.
Différents travaux ont étudié le rôle joué – La mobilisation simultanée des deux
par les relations de proximité au sein des types de proximités donne naissance à des
clusters (voir Biggiero et Sammarra, 2010 ; situations de coordination localisée. C’est
Carrincazeaux et al., 2008 ; Takeda et al., le cas des systèmes localisés de production
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(proximité organisée), ici bien évidemment des entreprises peuvent se trouver dans une
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à des individus d’agir dans des espaces dif- agent ou un groupe d’agents, d’être à la
férents, dans des moments différents, mais fois simultanément présent ici et ailleurs et
souvent rapprochés. Il s’agit aussi bien de donc de développer un registre d’action qui
mobilités longues, pour des changements déborde la localisation ou la mobilité. Tout
de domicile ou des localisations/déloca- agent est non seulement localisé ou mobile,
lisations d’entreprises, que de mobilités mais encore capable d’agir en temps réel
courtes ou temporaires, dans le cadre de dans des lieux différents. Un individu peut
séjours de vacances ou de déplacements correspondre par téléphone ou par inter-
professionnels, ou encore pendulaires, par net avec ses proches qui habitent dans
exemple dans le cas des personnes qui réa- un autre pays ou une autre région. Une
lisent des déplacements quotidiens pour se entreprise peut à la fois agir localement et
rendre sur des lieux de travail éloignés. globalement, par exemple en mettant en
Ces mobilités ont connu une croissance concurrence des fournisseurs au niveau
importante, permise par la multiplication et mondial ou en passant des ordres de bourse
l’amélioration technique des infrastructures à l’étranger.
et technologies de transport et de com- Les Tic introduisent une possibilité de
munication : fréquence accrue des avions déplacement supplémentaire par rapport
ou des trains à grande vitesse, multipli- aux infrastructures de transport tradition-
nelles, avec la multilocalisation en temps
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contribuent ainsi à mettre en relation des L’espace compte, mais d’une manière
acteurs situés à de grandes distances, ou renouvelée, qui est celle de la rencontre
encore qui ne se sont jamais rencontrés. ponctuelle entre deux ou plusieurs indivi-
dus. La proximité géographique temporaire
La proximité géographique temporaire
(PGT) correspond à la possibilité de satis-
Afin de rendre compte de ces processus, nous faire certains besoins de contacts de face à
introduisons la notion de proximité géogra- face entre acteurs, grâce au déplacement
phique temporaire (PGT), qui constitue une entre différentes localisations. Ces mobili-
déclinaison de la proximité géographique tés favorisent la naissance de moments de
dans le cadre des rencontres ponctuelles, proximité géographique, dont la durée peut
que ces dernières soient le fait d’acteurs varier mais qui sont toujours limités dans
individuels ou d’organisations comme des le temps3.
firmes ou des laboratoires par exemple La PGT est circonscrite à certains moments ;
(Torre, 2011 et 2008 ; Torre et Rallet, 2005). cette déclinaison de la proximité géogra-
Le développement des technologies de phique ne doit en aucun cas être confon-
communication et des Tic favorise les due avec la colocalisation permanente des
possibilités d’échange à distance, et la entreprises ou des laboratoires4. La satis-
contrainte de colocalisation, posée souvent faction temporaire des besoins de proximité
à tort comme une condition nécessaire géographique aux personnes ou aux lieux
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3. La mobilité dont il est ici question est une mobilité longue, qui n’est pas pendulaire par exemple. Il s’agit de
déplacements qui nécessitent des temps et coûts de transport conséquents. Une mobilité courte, à l’intérieur d’un
SPL, sera considérée de manière conventionnelle comme de la proximité permanente, ou de la colocalisation.
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liers, spécialement dévolus à cette activité d’une activité productive en dehors du lieu
(ce sont les hétérotopies chères à Foucault, de travail habituel. Ces besoins apparaissent
1984). Pour les personnes privées ce seront de manière régulière tout au long du proces-
les conventions ou les parcs d’attraction ou sus de coordination. Leur fréquence et leur
de loisirs. Pour les entreprises ou les labo- régularité sont la cause de la plupart des
ratoires, il s’agit de lieux dédiés : déplacements professionnels. Dans ce cas,
– les foires, colloques et expositions ont pour les interactions physiques n’interviennent
objectif de satisfaire certains besoins liés pas dans des lieux dédiés aux rencontres,
aux processus de production, de recherche mais dans des espaces « ordinaires », i.e.
ou d’innovation, tels que le recueil d’infor- les lieux de travail habituels des protago-
mations, d’expériences et de spéculations nistes de la coopération, entreprises ou
sur un type de production (Entwistle et laboratoires. C’est la raison principale pour
Rocamora, 2006 ; Ramirez-Pasillas, 2010). laquelle les entreprises qui appartiennent
La formule du hub, qui rassemble dans un à un cluster entretiennent des relations de
même lieu des participants venus d’hori- proximité géographique temporaire fortes
zons divers, permet des économies de coûts avec des entreprises ou des laboratoires
de transports et l’on parle volontiers à ce situés à l’extérieur de leur territoire pro-
sujet de clusters temporaires (Maskell et al., ductif. Ces relations de proximité viennent
2006), un terme qui souligne la parenté avec
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Proximité
géographique
temporaire +
Cluster proximité organisée
Mobilité
Entreprises
Interactions locales
(fortes ou faibles)
Proximité
Tic géographique
permanente +
proximité organisée
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sur la mobilité, elles passent par l’organisa- proximités, ainsi que d’établir la balance
tion de séjours rapides et de déplacements entre les relations locales et à distance dans
chez les partenaires et dans des lieux le cadre des activités d’innovation, et tout
dédiés (foires…) par différents moyens de particulièrement de collaborations pour la
transport ; recherche et le développement. Afin de
– de relations de proximité organisée, au disposer de l’ensemble des informations
sein du cluster ou à distance (elles reposent nécessaires à cette étude, nous avons tra-
alors sur l’usage des Tic, telles que le télé- vaillé sur un échantillon de firmes présen-
phone ou internet). tant deux caractéristiques :
– elles appartiennent à un cluster dont
II – RELATIONS DE PROXIMITÉS l’existence institutionnelle est attestée, ce
ET COLLABORATION POUR qui garantit la présence de relations et de
L’INNOVATION : LE CAS synergies locales, sans exclure les relations
DU CLUSTER DE L’OPTIQUE
extérieures ;
Nous allons maintenant tester ce modèle – elles sont engagées dans des processus
analytique dans le cas des relations inte- de production et de diffusion d’innovation
rentreprises et avec les institutions de suffisamment complexes pour impliquer de
recherche, dans le cadre d’un cluster. L’ob- nombreux acteurs et ne pouvant être menés
jectif est de comprendre le rôle joué par les par une entité isolée.
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La littérature a montré que les firmes ter notre recherche doit satisfaire à trois
peuvent présenter des comportements conditions principales :
d’innovation différents en termes de rela- – nous devons travailler sur une concen-
tions de proximité, en fonction de leurs tration spatiale de firmes attestée et dont
caractéristiques propres (Dankbaar, 2007; le périmètre géographique est bien défini ;
Wetterings et Boschma, 2009). Nous dési- – il doit être possible d’identifier les rela-
rons investiguer ce champ de recherche tions entre les organisations internes au
avec des hypothèses plus précises. Sur la cluster ainsi que les flux externes :
base des développements vus plus haut, – nous devons disposer d’une population
nous cherchons à confirmer l’intuition que diversifiée de firmes locales, avec de grandes
les firmes de grande taille sont davantage en et de petites entreprises et des PME, qui se
mesure d’agir au niveau global, sur la base situent à des niveaux technologiques variés,
des relations de proximité géographique afin de pouvoir étudier les comportements
temporaire et de proximité organisée, alors d’innovation relatifs aux différentes tailles
que les firmes de taille plus faible sont et positions concurrentielles.
davantage ancrées et contraintes à entre-
Le choix du terrain d’étude
tenir des relations de nature plus locale.
Ceci est lié à la capacité des grandes firmes Notre choix s’est porté sur les entreprises
franciliennes développant des technolo-
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4. Cette forte implantation en Île-de-France se caractérise par la mise en place en 1999 d’une structure d’animation
et de promotion de la filière optique-photonique, OpTicvalley (http://www.opTicvalley.org/), qui intègre depuis
2005 les filières de l’ingénierie logicielle et de l’électronique.
Relations de proximité et innovation des entreprises des clusters 63
5. L’optique utilise la lumière dans ses diverses gammes de longueur d’onde. Les propriétés optiques de la lumière
sont utilisées soit dans des composants ou des instruments (capteurs, actionneurs, etc.) soit dans des systèmes dans
lesquels l’optique joue un rôle plus ou moins grand.
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Forte
spécialisation
sur une Start-up
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19 établissements
4 629 salariés
PME
« haute technicité »
Production séries limitées
de produits clairement
identifiés, compétences
Forte
techniques
spécialisation
sur une
64 établissements
catégorie
992 salariés
de produits
ou services
Spécialisation sur une Spécialisation sur Accès à de nombreux
niche de marché 1 ou 2 marchés marchés
fique ou existante ; nous sommes ici dans (vendeurs de produits intermédiaires très
une logique techno-push. Cette catégorie spécifiques et rares sur le marché). Enfin,
d’entreprises se distingue notamment par la nature générique des technologies fait
un nombre limité de salariés (entre 1 et 20 que ces entreprises sont confrontées à une
pour leur grande majorité). menace constante de produits de substi-
La recherche effectuée dans les grands tution se basant sur d’autres technologies
laboratoires publics ou privés constitue la (optique-photonique, électronique, électro-
principale source de nouvelles connais- mécanique, etc.).
sances. Les start-up introduisent des pro-
Les PME « haute technicité »
duits basés sur de nouvelles technologies
et susceptibles de se substituer aux produits Elles se caractérisent par un niveau impor-
déjà établis sur le marché. La capacité à tant de spécialisation technique et par la
s’imposer sur le marché dépend notamment production de séries limitées et de sur-
du ratio prix/performance de la nouvelle mesure à destination de niches de marché
technologie et de sa capacité à établir une bien identifiées. Outre la plus faible inten-
nouvelle norme sur le marché. sité en R&D, c’est leur différence majeure
avec les PME « haute technologie. Cette
Les PME « haute technologie » forte spécialisation produit/service, couplée
Elles se caractérisent par un important à un réseau de distribution, constituent les
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et la défense. Les grandes entreprises « lea- l’économie en achetant des produits aux
der » jouent un rôle majeur d’intégrateurs fournisseurs, en co-développant des tech-
et de constructeurs de systèmes complexes, nologies avec des PME ou des labora-
ainsi que dans la définition des normes toires et en déterminant les préférences des
technologiques et de produits à destination consommateurs en termes de produits et de
du marché. Elles possèdent un pouvoir services.
de négociation équilibré avec leurs clients 3. Les relations de proximité entretenues
(État ou marché privé) et très important par les entreprises des groupes
avec leurs fournisseurs. Enfin, la menace stratégiques
de produits de substitution est plutôt faible, Sur la base de notre recherche, nous pou-
d’autant qu’elles ont les capacités finan- vons tracer un schéma des différents types
cières pour acheter les concurrents dévelop- de relations entretenues par les entreprises
pant des produits et procédés se basant sur des groupes stratégiques (figure 4). Fondé
une technologie radicalement innovante. sur la présence des clients et fournisseurs
Enfin, leur lien au territoire se caractérise « classiques » ou « stratégiques », ainsi que
par l’organisation internationale des activi- des entreprises et laboratoires partenaires, il
tés de production et de R&D. Elles jouent intègre également le rôle joué par des ins-
un rôle d’entraînement sur l’ensemble de titutions comme les pouvoirs publics. Les
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géographique temporaire joue à plein dans souhaite avoir accès aux infrastructures et/
ces phases préliminaires, comme dans les ou aux compétences disponibles dans les
phases intermédiaires de codéveloppement laboratoires de recherche publique. Ces
du produit et d’adaptation aux besoins relations sont d’autant plus importantes
spécifiques du client : il s’agit de réunions qu’elles impliquent des acteurs fonction-
pour évaluer l’avancement du projet de nant selon des logiques différentes. Comme
coopération. Ces rencontres temporaires ne pour les entreprises partenaires, la proxi-
nécessitent pas obligatoirement une colo- mité géographique qui se trouve mobilisée
calisation ; celle que l’on constate avec est des deux types : temporaire pour les
les clients locaux est davantage le fruit de laboratoires situés à l’extérieur de la région,
l’histoire de la région et de la recherche de et permanente pour les laboratoires co-loca-
main-d’œuvre qualifiée. lisés en IdF. Dans tous les cas, les mobilisa-
Les interactions entre les PME « haute
tions sont seulement ponctuelles.
technologie » et les laboratoires de
recherche nécessitent également des ren- Le rôle accessoire de la proximité
contres ponctuelles, notamment dans les géographique permanente pour les PME
phases initiales et de contrôle des projets « haute technicité »
de R&D coopératifs, qui font l’objet de face Les PME « haute technicité » se caracté-
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limitées et de sur-mesure à destination coup plus importants entre les PME « haute
de marchés bien identifiés. Leurs produits technicité » et leurs clients « partenaires »
possèdent des caractéristiques techniques ou fournisseurs « stratégiques » localisés
connues et maîtrisées par les clients et dans d’autres pays qu’au niveau local.
laissent peu de place à l’innovation interac-
Le jeu des proximités pour les grandes
tive avec d’autres entreprises. L’essentiel
entreprises « leader »
du processus d’innovation incrémentale se
construit en interne, via une veille techno- Le groupe des grandes entreprises « lea-
logique et marché. der » est radicalement différent des trois
La proximité géographique temporaire joue autres en raison des relations qu’il entre-
toutefois un rôle. Quand les interactions avec tient avec la technologie, l’État et le ter-
les laboratoires de recherche se font avec ritoire. Ces entreprises développent des
l’extérieur du cluster, elles requièrent des interactions très nombreuses et diverses
contacts à distance, en particulier lorsqu’il avec d’autres entreprises, qui vont de la
s’agit pour l’entreprise d’accéder à des simple relation client-fournisseur à la mise
infrastructures lui permettant par exemple en place de centres de recherches ou d’uni-
de réaliser des tests et/ou mesures dans le tés de fabrication communes, en passant par
cadre d’innovations de produit qu’elle sou- des projets de codéveloppement de produits
et des relations de sous-traitance. Elles pos-
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Nous notons que deux grandes catégories l’installation de Thales Research and Tech-
de relations stratégiques, qui impliquent nology ou du Centre de R&D mondiale de
des échanges importants d’informations et Danone sur le campus de l’École polytech-
de connaissances, donnent lieu à une forte nique, au cœur de nombreux centres de
mobilisation des liens de proximité : recherches d’excellence ;
– la proximité géographique permanente – la proximité géographique temporaire
(colocalisation) joue un rôle important dans (rencontres de face à face) joue un rôle
la capacité des grandes entreprises à établir important, notamment dans les relations
des relations approfondies et de long terme où la grande entreprise cherche à co-déve-
avec les centres de recherche d’excellence lopper un nouveau produit (ou à l’adapter
(laboratoires publics). Citons par exemple à ses besoins). C’est le cas des relations
Relations de proximité et innovation des entreprises des clusters 75
de collaboration entretenues avec les PME variantes explicatives des stratégies des
« haute technologie » situées en dehors de entreprises du cluster.
la région IdF. Ce travail nous a permis de montrer que les
En revanche, les relations avec les fournis- analyses en termes de proximité peuvent
seurs classiques ou les entreprises parte- 1) fournir une méthode d’analyse et de
naires situées dans la région n’impliquent représentation efficace des relations entre-
que des mobilisations ponctuelles des liens tenues par les firmes appartenant à un
de proximité géographique permanente, cluster, qu’il s’agisse de relations locales
alors que les relations avec les fournisseurs ou à distance, 2) de qualifier les types de
classiques situés à l’extérieur ne donnent liens entre ces entreprises et leurs différents
lieu qu’à des échanges à distance. partenaires, et 3) de mettre en évidence le
médium par lequel se réalise ce lien (face-
DISCUSSION ET CONCLUSIONS à-face permanent, Tic, mobilité). De plus,
nos résultats appliqués montrent que les
L’objectif de ce papier est d’analyser et de groupes de firmes innovantes présentent des
caractériser la diversité des relations de profils différents en matière de relations de
proximité entretenues par les entreprises proximités, qu’il s’agisse des interactions
innovantes au sein d’un cluster, puis d’en stratégiques ou des relations marchandes
donner une lecture à partir d’un exemple plus classiques. En particulier, les schémas
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avantage compétitif. Il y a donc nécessité les modifications dans la forme des rela-
d’approches plus dynamiques de relations tions internes et externes entretenues par les
de proximités. De futures études empi- firmes du cluster au cours du temps, ou de
riques, menées de manière diachroniques, suivre l’évolution des firmes innovantes le
seront précieuses, qu’il s’agisse d’évaluer long des cycles de vie.
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