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RELATIONS DE PROXIMITÉ ET COMPORTEMENTS D'INNOVATION DES

ENTREPRISES DES CLUSTERS


Le cas du cluster de l'optique en Île-de-France

André Torre

Lavoisier | « Revue française de gestion »

2014/5 N° 242 | pages 49 à 80


ISSN 0338-4551
ISBN 9782746246652
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2014-5-page-49.htm
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VA R I A
ANDRÉ TORRE
INRA – AgroParistech

Relations de proximité
et comportements
d’innovation des
entreprises des clusters
Le cas du cluster de l’optique en Île-de-France
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L’objectif de cet article est d’analyser et de caractériser
la diversité des relations de proximité entretenues par les
entreprises innovantes au sein d’un cluster. Nous mettons
en évidence les principales caractéristiques des relations
de proximité organisée et de proximité géographique et les
différentes catégories de relations proches et à distance
entretenues par les entreprises d’un cluster, en particulier en
termes de collaborations de recherche et de développement.
Cette grille de lecture est appliquée aux entreprises du cluster
de l’optique en Île-de-France. Les résultats révèlent l’existence
de quatre groupes d’entreprises innovantes, qui entretiennent
des relations spécifiques à l’espace et mobilisent de manière
différente les relations locales et à distance.

DOI:10.3166/RFG.242.49-80 © 2014 Lavoisier


50 Revue française de gestion – N° 242/2014

L
’analyse des relations de proximité recherches portent ainsi tout spécialement
a connu des développements impor- sur l’étude des relations de collaboration
tants depuis ses origines. D’abord et de coopération entre les firmes, parti-
initiée par un groupe d’économistes fran- culièrement au niveau local, ou entre les
çais (Bellet, 1993 ; Torre et Gilly, 1999), firmes et leur environnement (Dankbaar,
cette approche a été cantonnée pendant les 2007 ; Wetterings et Boschma, 2009), mais
années 1990 à l’analyse des relations de mettent également l’accent sur la rela-
production industrielle et s’est tout particu- tion entre réseaux locaux et flux externes
lièrement développée dans le cadre d’étude dans le processus de création des savoir
des processus d’innovation. Relations indus- et innovations (Bathelt et al., 2004 ; Vaz
trielles, innovation, nomadisme des entre- et Nijkamp, 2009). Les changements en
prises, nouvelles technologies, ressources matière d’innovation et de recherche sont
territoriales, systèmes productifs locaux… conçus dans une optique évolutionniste,
ont constitué des objets d’étude inlassable- considérés comme des processus collectifs
ment explorés et remis sur le tapis grâce à et resitués dans leur contexte spatial et
la confrontation entre les élaborations théo- organisationnel (Freel, 2003 ; Laursen et
riques et les recherches de terrain (Boschma, al., 2010 ; Ponds et al., 2007). Le rôle de la
2005 ; Carrincazeaux et al., 2008 ; Rychen proximité géographique dans l’aggloméra-
et Zimmermann, 2008). Plus récemment, tion spatiale des firmes est mis en évidence
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les sciences de gestions se sont intéressées à (Takeda et al., 2008), comme les processus
cette question (voir le numéro spécial de la d’apprentissage local et de transmission des
Revue française de gestion (RFG, 2011) sur innovations par l’intermédiaire de relations
les économies de proximités). de face à face (Giuliani et Bell, 2005).
Depuis les années 2000, ce courant de pen- Les analyses restent fondées sur l’idée
sée s’est fortement développé et a connu des qu’existent deux dimensions fondamentales
extensions thématiques et disciplinaires. de la proximité, une dimension spatiale et
Il s’est tout d’abord internationalisé, et une dimension non spatiale. Mais, dans le
donne lieu maintenant à des contributions même temps, les approches de la proximité
de chercheurs économistes ou géographes, sont sorties du cadre restrictif de l’approche
européens pour la plupart. Par ailleurs, des relations locales, pour s’intéresser aussi
l’intérêt pour les processus organisationnels aux relations à distance et à leur lien à l’es-
a conduit à la prise en compte de nou- pace (Weterings et Ponds, 2008 ; Biggiero
veaux champs d’analyse, avec les questions et Sammarra, 2010). L’analyse s’est élargie
de transport, d’emploi, de développement à la prise en compte des collaborations à
durable, d’aménagement du territoire, de distance et des échanges via les Tic, ainsi
politique de la ville… (Gomez et al., 2011 ; qu’à la reconnaissance du rôle joué par les
Torre et Zuindeau, 2009). foires ou les grands congrès dans le proces-
Pour autant, l’intérêt pour les processus sus de diffusion et de partage des innova-
d’innovation est resté crucial et se trouve tions (Bathelt et Schuldt, 2010). Elle repose
toujours au cœur de l’analyse des rela- également aujourd’hui sur des notions telles
tions de proximité (Baptista et Mendonça, que la proximité géographique temporaire
2009 ; Gallie, 2009 ; Uzunidis, 2010). Les (Freire-Gibb et Lorentzen, 2011 ; Torre,
Relations de proximité et innovation des entreprises des clusters 51

2008, 2011) ou l’intégration des relations la définition de deux grandes catégories de


de proximité organisée à distance. proximités, que l’on peut respectivement
Le présent article a pour objet de procéder à qualifier de proximité géographique et de
un test des relations de proximité locales et proximité organisée (Torre, 2010 ; Torre et
à distance, spatiales et non spatiales, à par- Rallet, 2005). La conjonction ou la combi-
tir d’un cas d’étude représentatif. Il s’agit naison plus ou moins réussie de ces deux
d’analyser le rôle joué par les proximités proximités permet tout d’abord d’éclairer
dans les processus d’innovation, puis de le le lien interne entretenu par les firmes des
tester sur un secteur fortement innovant, au clusters, en matière de collaborations ou
sein d’un cluster dans lequel la dimension d’échanges réalisées au niveau local au
spatiale est avérée. Dans un premier temps, cours des processus de recherche et de
nous procédons à une présentation des rela- développement, et de mesurer l’impor-
tions de proximité et de leurs liens aux pro- tance ou le faible intérêt de la colocalisa-
cessus d’innovation, en examinant les deux tion dans le cadre de telle ou telle activité
principales notions de proximité, leur jeu d’innovation. Toutefois, l’évaluation des
au sein des clusters, puis l’importance des liens de collaboration à distance menés
relations de proximité géographique tempo- dans le cadre de projets collaboratifs et
raire, avant de présenter le schéma des dif- la mesure des avantages respectifs des
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férentes catégories de relations proches et à collaborations à distance ou des relations
distance entretenues par les entreprises d’un de voisinage en matière de flux d’innova-
cluster, en particulier en termes de collabo- tion demande également l’intégration des
rations de recherche et de développement. approches en termes de proximité géogra-
Nous abordons ensuite le cas d’étude, qui phique temporaire.
concerne le secteur de l’optique en région 1. Les catégories de base des proximités
Île-de-France. Nous commençons par justi-
Une tradition récente dans le champ de
fier ce choix d’un secteur représentatif des
l’analyse des proximités fait référence à
relations d’innovation au niveau local, avant
deux courants majeurs de recherche : cer-
de présenter les différents groupes carac-
tains auteurs (Boschma, 2005) identifient
téristiques de ce cluster, puis de décrire, à quatre ou cinq grandes catégories de proxi-
l’aide des schémas théoriques élaborés plus mités : géographique, sociale, cognitive,
haut, leurs relations différenciées aux diffé- organisationnelle et institutionnelle. En
rentes catégories de proximités. accord avec nos travaux antérieurs, nous
retenons ici la division selon deux grandes
I – PROXIMITÉS ET INNOVATIONS catégories de proximités (Torre, 2010),
DANS LES ÉCHANGES DES FIRMES redéfinies au vu des recherches récentes
DES CLUSTERS
menées sur le sujet (voir RERU, 2008)1.
L’analyse des échanges internes et externes On ne peut accorder de valeur morale,
réalisés par les firmes des clusters dans le d’avantage ou d’inconvénient manifestes
cadre du processus d’innovation repose sur à l’existence de ces deux proximités, qui

1. Pour une approche alternative, voir en particulier Bouba Olga et Grossetti (2008).
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LES CLUSTERS

Le terme de clusters, qui constitue la manière contemporaine de qualifier les formes locales
d’organisation des activités d’innovation et de production, a fini par recouvrir et englober
les appellations antérieures des systèmes localisés de production et d’innovation tels que
districts, milieux, technopoles, SPL… Défini par Porter (1990, 1998) comme « …un groupe
géographiquement proche de firmes et d’institutions associées, interconnectées au sein d’un
champ particulier et liées par des éléments communs et des complémentarités », cette notion
connait un succès qui ne se dément pas, au niveau analytique comme dans le cadre des poli-
tiques territoriales (voir Despret et Hamdouch, 2009).
Dans un premier temps, la notion de cluster s’est appliquée à des success stories, dont
l’exemple le plus connu est celui de la Silicon Valley. Création de technologies, d’innovations
et forts taux de profits sont présents depuis maintenant un siècle au sein de ce système, qui
suscite l’attention des autorités publiques locales et des organismes financiers tels que les
capital-risqueurs et les business angels. Par la suite la notion de cluster a été étendue vers des
systèmes moins axés sur les activités de haute technologie ou dont le degré de performance
est plus faible mais aussi en tant qu’outil de politiques économiques locale ou nationale
mises en place par la Banque mondiale ou l’OCDE (2001 et 2005). On en est ainsi venu à
considérer, du point de vue des politiques de développement, que la mise en synergie des
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entreprises locales s’avère toujours bénéfique, en particulier parce que la circulation des
connaissances est nécessaire au bon fonctionnement de n’importe quel système organisé.
On peut avancer l’idée que le succès des clusters repose sur quatre fondements : elle
s’attaque à la question de la diffusion des connaissances au niveau local, en insistant sur le
caractère crucial des interactions entre membres d’un même réseau d’individus situés ; elle
repose sur l’existence d’externalités de réseaux, au niveau local et inter-entreprises ; elle fait
référence à la notion de quasi-intégration des firmes, porteuse de profits supranormaux grâce
à la mise en commun de certaines infrastructures et à la diminution des coûts de transaction
entre participants d’un même processus de production ; les clusters ne sont pas des systèmes
clos mais des structures qui accordent une attention particulière aux relations entretenues
avec l’extérieur, qu’il s’agisse d’autres acteurs ou des politiques impulsées à un niveau
national ou supranational.
Du coup, les politiques cherchant à promouvoir la mise en réseau des entreprises sont appa-
rues valables, car elles ne peuvent que conduire à un accroissement de leur compétitivité,
l’organisation en « réseau local » devant se révéler supérieure aux autres types de fonction-
nement, en particulier décentralisé. En France, comme dans la plupart des pays de l’OCDE,
ce type de politique a connu des déclinaisons nombreuses et importantes, souvent initiées par
les pouvoirs publics nationaux. On peut citer les politiques de technopolisation et les SPL
dans les années 1980 et 1990, ou plus près de nous et toujours impulsées sous l’égide de la
Datar, le lancement, dans les années 2000, de la politique des pôles de compétitivité, puis
encore des grappes d’entreprises, plus volontiers dirigée vers les PME.
Relations de proximité et innovation des entreprises des clusters 53

constituent avant tout des potentiels offerts Une ligne de train à grande vitesse peut per-
aux acteurs. C’est, en particulier, l’activa- mettre un accès rapide entre deux localisa-
tion par l’action humaine qui donne à ce tions, mais son coût va se révéler prohibitif
potentiel tout son intérêt et lui confère une pour une partie de la population, au moins
valeur (« positive » ou « négative ») au dans le cas de déplacements fréquents. On
regard des critères économiques ou sociaux dira que la proximité géographique entre
en cours dans les sociétés où il s’applique. des personnes, ou entre des personnes et
L’activation des proximités va ainsi donner des lieux, est partiellement liée aux coûts de
lieu à des formes différentes de relations transport, ainsi qu’à la richesse et au revenu
dans l’espace, et tout particulièrement à des individus.
des types de relations et de collaborations La proximité géographique est neutre dans
diverses entre les firmes, que ce soit au sein son essence, et activable ou mobilisable
des clusters ou avec des partenaires situés par les actions des acteurs économiques
à distance. et sociaux. Ce sont les actions et les per-
ceptions humaines qui lui confèrent une
La proximité géographique
dimension plus moins positive ou négative,
La proximité géographique se rapporte à ainsi qu’une certaine utilité. C’est bien la
la distance entre les acteurs, pondérée par manière dont s’en emparent les acteurs
le coût monétaire et temporel de son fran- qui est importante. Ainsi, le fait que deux
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chissement. Dans son acception la plus entreprises se trouvent localisées à une
simple, il s’agit du nombre de mètres ou faible distance peut être ou non source
de kilomètres qui séparent deux entités. d’interactions : ces deux entités peuvent
Mais la proximité est relative, de plusieurs aussi bien rester indifférentes qu’entrer
manières : en contact et l’on parle alors de mobili-
– en termes de caractéristiques morpho- sation des potentialités de la proximité
logiques des espaces au sein desquels géographique. Mais cette mobilisation peut
se déroulent les activités. Il peut s’agir conduire à des résultats différents selon les
d’une proximité « à vol d’oiseau », comme actions entreprises. Par exemple, dans le cas
dans le cas d’un déplacement en avion par d’entreprises innovantes, il peut aussi bien
exemple, mais le relief du terrain joue un s’agir de la transmission de connaissances
rôle : il n’est pas équivalent de se déplacer scientifiques et techniques par le biais de
d’un point A à un point B sur une surface spillovers géographiques (Bonte, 2008) que
plane ou en escaladant une montagne ; d’espionnage et de capture indue des béné-
– en termes d’infrastructures de transport. fices d’une invention tombant sous le droit
L’existence d’une route ou d’une autoroute, de la propriété intellectuelle (Boschma,
d’une ligne de train ou de métro, d’une voie 2005 ; Arend, 2009).
fluviale, va permettre un temps d’accès plus
ou moins long et plus ou moins aisé. C’est La proximité organisée
dans cet esprit que l’on parle de distance La proximité organisée constitue elle
fonctionnelle, au sens de Perroux ; aussi un potentiel, éventuellement à acti-
– en termes de richesse des individus qui ver ou mobiliser. Elle concerne différentes
utilisent ces infrastructures de transport. manières qu’ont les acteurs d’être proches,
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en dehors de la relation géographique, le se fonder sur une logique du non-dit, et


qualificatif Organisée faisant référence au faciliter les interactions entre des personnes
caractère agencé des activités humaines (et qui ne se connaissaient pas auparavant mais
non à l’appartenance à une organisation en adhèrent à des références similaires. Ainsi,
particulier2). La proximité organisée repose des individus vont d’autant mieux pouvoir
sur deux logiques essentielles, qui ne sont collaborer qu’ils appartiennent à une même
pas antinomiques, et que l’on qualifiera de culture. De même, des chercheurs faisant
logiques d’appartenance et de similitude. partie d’une même communauté scienti-
La logique d’appartenance désigne le fait fique pourront facilement coopérer car ils
que deux ou plusieurs acteurs appartiennent partagent non seulement le même langage
à un même graphe de relations, ou encore mais aussi le même système d’interpréta-
à un même réseau, que leur relation soit tion des textes, des résultats.
directe ou intermédiée. On peut en don- La logique de similitude possède deux
ner une mesure en termes de degrés de facettes. Comme la logique de ressem-
connectivité, qui traduit une plus ou moins blance, elle peut se construire dans une
grande proximité organisée et donc un relation réciproque, qui provoque un rac-
plus ou moins grand potentiel d’interac- courcissement des distances cognitives
tion ou d’action commune (Bouba Olga et (projet commun, éducation, connaissances
Zimmermann, 2004). Ainsi, et toutes choses
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communes circulant dans un réseau, etc.).

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égales par ailleurs, la mise en œuvre d’inte- Mais elle peut également être donnée par
ractions entre deux acteurs sera facilitée par une base commune, facilitant alors la
l’appartenance commune à un club de ten- communication entre étrangers (exemple
nis ou à un réseau de connaissances sur le des diasporas). Pour reprendre les termes
Net. De même, la coopération sera a priori de Bouba-Olga et Grossetti (2008), les
plus facile à développer entre chercheurs et acteurs liés par la logique de similitude
ingénieurs appartenant à une même entre- ont en commun un certain nombre de
prise, un même consortium technologique ressources, d’ordre matériel (diplômes ou
ou un même réseau d’innovation. statuts sociaux…) ou cognitif (routines,
La logique de similitude correspond à l’ad- conventions…), qui seront mobilisables en
hésion mentale à des catégories communes ; cas d’activation des propriétés ici énoncées.
elle se traduit par le fait que des individus Le potentiel de proximité organisée est
se trouvent à de faibles distances cognitives neutre par essence. On ne peut accorder
les uns des autres. Il peut s’agir de per- de connotation spécialement positive au
sonnes qui se reconnaissent dans des pro- fait d’entretenir une relation de proximité
jets partagés, ou encore qui partagent des organisée avec un autre individu. Ainsi, le
valeurs communes en termes de culture, de fait d’entretenir des liens de connectivité en
religion... Les normes sociales, le langage termes de logique d’appartenance n’est pas
commun, participent de cette proximité un garant de la survenance d’interactions,
organisée. Elle peut toutefois également encore moins de la qualité de ces dernières.

2. On peut être organisé ou organiser une activité sans nécessairement en référer ou appartenir à une organisation,
au sens strict du terme.
Relations de proximité et innovation des entreprises des clusters 55

Ce sont les actions humaines qui condi- peut habiter dans le même immeuble que
tionnent le fait d’entrer en interaction et les des voisins que l’on ne connait ou ne fré-
résultats se révèlent divers : une entreprise quente pas ; un laboratoire va se trouver
peut mettre en place une relation de col- localisé à proximité d’une entreprise avec
laboration avec un laboratoire, ou encore laquelle il n’entretient aucun rapport.
essayer de lui ravir une de ses inventions – Le potentiel de proximité organisée peut
par l’intermédiaire d’une relation privée. rester inactivé. C’est le cas, par exemple, de
Pour la logique de similitude, un projet personnes ayant les mêmes origines géogra-
commun peut aussi bien conduire à un suc- phiques ou des cultures très proches mais
cès en matière industrielle ou technologique qui ne se rencontrent pas ou n’entrent pas
qu’à un échec entraînant de lourdes pertes en communication. La proximité organisée
pour les parties. reste à l’état de potentiel et ne sera activée
que par la mise en place d’interactions
2. Le jeu des deux proximités pouvant reposer sur les actions de groupes
au sein des clusters
d’individus ou d’institutions.
Différents travaux ont étudié le rôle joué – La mobilisation simultanée des deux
par les relations de proximité au sein des types de proximités donne naissance à des
clusters (voir Biggiero et Sammarra, 2010 ; situations de coordination localisée. C’est
Carrincazeaux et al., 2008 ; Takeda et al., le cas des systèmes localisés de production
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2008 ; Weterings et Ponds, 2008). Sur la « qui marchent », des réseaux d’innova-
base des définitions précédentes, nous pou- tion localisés ou des réunions de famille,
vons maintenant analyser le jeu et les situations dans lesquelles la conjugaison
interactions des deux catégories fondamen- des proximités géographique et organisée
tales de proximités et explorer la manière favorise la mise en place de processus de
dont elles contribuent aux relations entre coordination et d’interaction se déroulant
les acteurs économiques engagés dans des dans un lieu précis.
processus de collaboration internes aux On en déduit que les deux catégories de
clusters (Torre, 2006). La combinaison des proximité vues plus haut (géographique et
relations de proximités géographique et organisée) peuvent soit évoluer de manière
organisée permet en effet d’approfondir la séparée, soit se conjuguer, comme mon-
compréhension des processus de communi- tré dans la figure 1. Le croisement des
cation et de coordination entre les différents deux catégories de proximité fournit ainsi
acteurs du processus productif. Il est ainsi une grille d’analyse des différents modèles
possible, sur cette base, de construire une d’organisation géographique des activités.
carte des articulations et combinaisons des Ainsi, les clusters « qui gagnent » se carac-
deux types de proximités, à partir des pro- térisent, comme les districts industriels, par
positions suivantes (Torre, 2010). une présence conjointe des proximités géo-
– Le potentiel de proximité géographique graphique et organisée. Non seulement les
peut rester inactivé, ou non mobilisé. Deux entreprises se trouvent localisées dans un
personnes ou deux entreprises vont se trou- même lieu (proximité géographique) mais
ver en situation de proximité géographique encore elles présentent des liens très forts
sans pour autant entrer en interaction. On et entretiennent des relations privilégiées
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Figure 1 – L’articulation des deux grandes catégories de proximité dans un cluster

Le cas de la conjugaison des deux proximités (P3)


correspond à la situation dans laquelle le potentiel de
proximité géographique (PG) est activé de manière
permanente par des interactions de proximité organisée
P3. PG + PO (PO). Cette situation est particulièrement prégnante
P1. Proximité (Cluster ou SPL)
géographique dans le cas des clusters ou des systèmes locaux de
production et d’innovation, souvent cités comme des
cas d’écoles, et qui constituent l’une des déclinaisons
de l’articulation des deux grandes catégories de
proximités. On note que cette combinaison, difficile
à réaliser, nécessite une colocalisation des acteurs
P2. Proximité concernés, dont la mobilisation repose souvent
organisée
sur des politiques adaptées, telles que l’attraction
des entreprises innovantes ou des laboratoires de
recherche.

(proximité organisée), ici bien évidemment des entreprises peuvent se trouver dans une
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en termes d’échanges de technologies et situation de proximité géographique sans
de transferts de connaissances (Gosse et pour autant entretenir des liens de nature
Sprimont, 2010). On se trouve alors dans organisée (P1). Dans le cas « idéal » des
une situation de proximité territoriale clusters, la proximité géographique, qui se
(Torre et Beuret, 2012), qui correspond confond avec la colocalisation des activités,
au fait qu’un territoire se dessine à l’inter- est de nature permanente. Des entreprises
section des deux proximités. Il s’agit, dans ou des laboratoires se trouvent localisés sur
notre cas, d’un cluster ou d’un système un même site et donc à une faible distance
localisé d’innovation, et donc de la situation les uns des autres. Par ailleurs, des liens de
idéale, que tout décideur local rêve de voir proximité organisée se sont établis entre ces
se produire dans sa zone d’influence… entités, qu’il s’agisse de relations clients-
Bien que très répandu dans la littérature fournisseurs, d’échange de savoir-faire ou
économique ce modèle ne représente de coopérations de natures diverses.
qu’une possibilité parmi d’autres dans le Cette alchimie, qui reste encore exception-
jeu des proximités et n’est pas si courant nelle, repose sur une activation de la proxi-
dans la réalité. En effet, il arrive bien mité géographique par des actions de nature
souvent que la proximité organisée, qui se organisationnelle et institutionnelle (Filippi
compose de relations fonctionnelles (inte- et Torre, 2003). En d’autres termes, il faut,
ractions) ou identitaires (croyances et cartes pour révéler ses potentialités, mobiliser les
cognitives communes) fondées sur l’orga- logiques d’appartenance ou de similitude
nisation et non sur le territoire, ne cor- de la proximité organisée :
responde pas à une situation de proximité – d’un point de vue organisationnel, il s’agit
géographique (P2). De la même manière, de la mise en place d’actions collectives au
Relations de proximité et innovation des entreprises des clusters 57

niveau local, et plus encore du montage 3. L’introduction de la proximité


de projets communs. Ces derniers peuvent géographique temporaire
consister en des collaborations entre diffé- Le point précédent nous a permis d’explici-
rentes firmes ou laboratoires, dans le déve- ter les relations à l’œuvre au sein d’un clus-
loppement conjoint de produits, d’appuis ter, et de comprendre la nature territoriale
techniques ou d’aides réciproques apportés de ce dernier, en termes de proximité du
au sein d’un même collectif, ou encore en même nom. Toutefois, et comme souligné de
des projets de coopération réalisés entre manière abondant par la littérature, les rela-
entreprises ou laboratoires de recherche. tions des firmes des clusters ne se limitent
Compétences et connaissances locales sont pas à des interactions internes, fussent-elles
mises au service d’une ambition commune puissantes, et font également la part belle
à un groupe de participants co-localisés. aux échanges avec l’extérieur (ce sont le
C’est dans ce cadre que les potentialités local buzz et les global pipelines de Bathelt
offertes par la proximité géographique vont et al., 2004). Ces relations sont essentielles à
trouver à s’exprimer et contribuer à la la vie des clusters ainsi qu’au développement
production de synergies internes au sys- des entreprises et de leurs capacités d’inno-
tème local. La proximité géographique est
vation. Leur prise en compte repose sur l’in-
activée par la mobilisation de la logique
tégration explicite des processus de mobilité
d’appartenance de la proximité organisée ;
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et d’ubiquité des acteurs, dont la croissance
– mais la dimension institutionnelle et le
considérable est liée au développement des
rôle joué par l’histoire et par le temps ne
infrastructures de transport et de communi-
doivent pas être non plus négligés dans la
cation. À la multiplication et à la technicité
mobilisation des potentialités de la proxi-
toujours plus grande des infrastructures de
mité géographique. Ainsi que le montrent
communication terrestres et aériennes vient
les exemples de la technopole de Hshinsu,
en effet maintenant s’ajouter la révolution
à Taiwan, ou de Sophia Antipolis (Lazaric
des nouvelles technologies d’information et
et al., 2008), la mise en place des synergies
de la communication (NTIC).
au sein d’un système local repose sur des
représentations partagées ou des anticipa- Mobilités et ubiquités
tions communes des acteurs locaux : on dans les relations à distance
peut dire que la proximité géographique Mobilités et ubiquités scandent les relations
est activée par la mobilisation de la logique à distance entretenues par les acteurs des
de similitude de la proximité organisée. clusters. Toutes deux sont porteuses de
Par ailleurs, c’est le temps qui favorise la modifications importantes du lien à l’es-
création d’un réseau local d’innovation et pace des processus d’innovation, ainsi que
le passage de la juxtaposition d’activités du développement de nouvelles relations
de R&D à un système marqué par des entre acteurs économiques et sociaux.
liens de nature organisée, grâce à la créa-
tion de liens d’appartenance et de repré- Le phénomène de mobilité est lié
sentations communes, par l’intermédiaire à la proximité géographique
d’interactions successives productrices de La mobilité des personnes, qui se développe
confiance. avec les infrastructures de transport, permet
58 Revue française de gestion – N° 242/2014

à des individus d’agir dans des espaces dif- agent ou un groupe d’agents, d’être à la
férents, dans des moments différents, mais fois simultanément présent ici et ailleurs et
souvent rapprochés. Il s’agit aussi bien de donc de développer un registre d’action qui
mobilités longues, pour des changements déborde la localisation ou la mobilité. Tout
de domicile ou des localisations/déloca- agent est non seulement localisé ou mobile,
lisations d’entreprises, que de mobilités mais encore capable d’agir en temps réel
courtes ou temporaires, dans le cadre de dans des lieux différents. Un individu peut
séjours de vacances ou de déplacements correspondre par téléphone ou par inter-
professionnels, ou encore pendulaires, par net avec ses proches qui habitent dans
exemple dans le cas des personnes qui réa- un autre pays ou une autre région. Une
lisent des déplacements quotidiens pour se entreprise peut à la fois agir localement et
rendre sur des lieux de travail éloignés. globalement, par exemple en mettant en
Ces mobilités ont connu une croissance concurrence des fournisseurs au niveau
importante, permise par la multiplication et mondial ou en passant des ordres de bourse
l’amélioration technique des infrastructures à l’étranger.
et technologies de transport et de com- Les Tic introduisent une possibilité de
munication : fréquence accrue des avions déplacement supplémentaire par rapport
ou des trains à grande vitesse, multipli- aux infrastructures de transport tradition-
nelles, avec la multilocalisation en temps
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cation des voies d’autoroute par exemple,
ou encore augmentation de la vitesse de réel. Elles ont comme principal intérêt
connexion (surtout dans le cas du rail). Les d’accroître les modes de communication
infrastructures et technologies de transport et de connexion entre individus, et donc
concourent à « raccourcir les distances », d’augmenter les possibilités d’interactions.
c’est-à-dire à diminuer les temps d’accès Comme l’ont montré des psycho-sociolo-
ou à rapprocher des individus de lieux ou gues (Walther et al., 2005), les interactions
d’objets qui les intéressent. Elles multi- qui s’établissent par le biais des ordinateurs
plient les opportunités de rencontres et de mobilisent une partie importante du pro-
contacts et contribuent à activer le potentiel cessus cognitif et affectif des individus et
des proximités en favorisant et en facilitant contribuent à la création de nouvelles rela-
les interactions entre personnes, aidant à tions sociales. Leurs évolutions viennent
construire les relations et à les maintenir ou avant tout impacter la proximité organisée,
à les réactiver. Elles se trouvent au cœur des dans ses dimensions potentielles comme
rencontres temporaires, qui se caractérisent dans ses activations. En effet, les Tic entre-
par une activation ponctuelle et simultanée tiennent un lien fort avec les logiques d’ap-
des proximités géographique et organisée partenance et de similitude, en contribuant
à la création de connexions et de réseaux
en permettant à des acteurs situés à des dis-
entre des êtres humains. Par ailleurs, elles
tances importantes de se rencontrer.
permettent à des individus caractérisés à
Le phénomène d’ubiquité est lié la fois par des distances cognitives faibles
à la proximité organisée et par un fort éloignement géographique
Réalisable grâce au développement des d’entrer en interaction, ce qui n’était que
Tic, il s’agit de la possibilité, pour un difficilement possible auparavant. Les Tic
Relations de proximité et innovation des entreprises des clusters 59

contribuent ainsi à mettre en relation des L’espace compte, mais d’une manière
acteurs situés à de grandes distances, ou renouvelée, qui est celle de la rencontre
encore qui ne se sont jamais rencontrés. ponctuelle entre deux ou plusieurs indivi-
dus. La proximité géographique temporaire
La proximité géographique temporaire
(PGT) correspond à la possibilité de satis-
Afin de rendre compte de ces processus, nous faire certains besoins de contacts de face à
introduisons la notion de proximité géogra- face entre acteurs, grâce au déplacement
phique temporaire (PGT), qui constitue une entre différentes localisations. Ces mobili-
déclinaison de la proximité géographique tés favorisent la naissance de moments de
dans le cadre des rencontres ponctuelles, proximité géographique, dont la durée peut
que ces dernières soient le fait d’acteurs varier mais qui sont toujours limités dans
individuels ou d’organisations comme des le temps3.
firmes ou des laboratoires par exemple La PGT est circonscrite à certains moments ;
(Torre, 2011 et 2008 ; Torre et Rallet, 2005). cette déclinaison de la proximité géogra-
Le développement des technologies de phique ne doit en aucun cas être confon-
communication et des Tic favorise les due avec la colocalisation permanente des
possibilités d’échange à distance, et la entreprises ou des laboratoires4. La satis-
contrainte de colocalisation, posée souvent faction temporaire des besoins de proximité
à tort comme une condition nécessaire géographique aux personnes ou aux lieux
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de localisation permanente des entreprises se retrouve par ailleurs dans le cas des per-
coopérantes, ne constitue pas une nécessité sonnes privées, et l’on constate également
absolue. Une partie importante des infor- l’existence de relations de PGT dans les
mations et des connaissances nécessaires à relations humaines hors activités de produc-
une activité productive ou d’innovation peut tion. Pensons aux touristes, par exemple,
se transmettre à distance, par le biais des qui cherchent à se rapprocher d’un lieu,
échanges via le téléphone ou internet par mais encore davantage, dans la situation qui
exemple (Walther et al., 2005). Toutefois, nous intéresse, aux amis ou aux familles qui
des moments d’interactions de face à face échangent à distance par le téléphone ou
sont nécessaires et profitables dans ce cadre, internet mais vont chercher à satisfaire un
comme le montre l’exemple des équipes besoin de face à face à certains moments
plateaux d’Airbus ou de Renault, ou encore donnés du temps ou lors d’évènements
des déplacements réalisés dans le cadre des particuliers tels que mariages ou enter-
projets de collaboration en matière de R&D rements… (Urry, 2002). Notre ap­ proche
des firmes start-up des biotechs. Il n’est pas emprunte ainsi aux analyses de la mobilité
possible de faire totalement abstraction du les évidences sur les modes et modalités de
contact de face à face, y compris pour les déplacement des personnes.
participants des communautés de pratiques La nécessité de satisfaire ce besoin de PGT
par exemple (voir Torre, 2008). s’incarne dans l’existence de lieux particu-

3. La mobilité dont il est ici question est une mobilité longue, qui n’est pas pendulaire par exemple. Il s’agit de
déplacements qui nécessitent des temps et coûts de transport conséquents. Une mobilité courte, à l’intérieur d’un
SPL, sera considérée de manière conventionnelle comme de la proximité permanente, ou de la colocalisation.
60 Revue française de gestion – N° 242/2014

liers, spécialement dévolus à cette activité d’une activité productive en dehors du lieu
(ce sont les hétérotopies chères à Foucault, de travail habituel. Ces besoins apparaissent
1984). Pour les personnes privées ce seront de manière régulière tout au long du proces-
les conventions ou les parcs d’attraction ou sus de coordination. Leur fréquence et leur
de loisirs. Pour les entreprises ou les labo- régularité sont la cause de la plupart des
ratoires, il s’agit de lieux dédiés : déplacements professionnels. Dans ce cas,
– les foires, colloques et expositions ont pour les interactions physiques n’interviennent
objectif de satisfaire certains besoins liés pas dans des lieux dédiés aux rencontres,
aux processus de production, de recherche mais dans des espaces « ordinaires », i.e.
ou d’innovation, tels que le recueil d’infor- les lieux de travail habituels des protago-
mations, d’expériences et de spéculations nistes de la coopération, entreprises ou
sur un type de production (Entwistle et laboratoires. C’est la raison principale pour
Rocamora, 2006 ; Ramirez-Pasillas, 2010). laquelle les entreprises qui appartiennent
La formule du hub, qui rassemble dans un à un cluster entretiennent des relations de
même lieu des participants venus d’hori- proximité géographique temporaire fortes
zons divers, permet des économies de coûts avec des entreprises ou des laboratoires
de transports et l’on parle volontiers à ce situés à l’extérieur de leur territoire pro-
sujet de clusters temporaires (Maskell et al., ductif. Ces relations de proximité viennent
2006), un terme qui souligne la parenté avec
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donc s’ajouter à celles déjà envisagées dans
la forme permanente des systèmes localisés les paragraphes précédents.
de production. Mais il s’agit tout d’abord du
besoin de relations de face à face, motivées 4. Les différents types de relations
de proximité dans un cluster
par la volonté de réduction des coûts de
transaction (Norcliffe et Rendace, 2003 ; Nous déduisons, de l’analyse des liens de
North, 1991) ; proximité examinés dans les paragraphes
– les « plateaux » communs des équipes précédents, que les entreprises appartenant
de projet ont pour objet de faire travail- à un cluster entretiennent trois types de
ler ensemble les participants d’un pro- relations de proximités avec leurs parte-
jet commun, pendant une période pouvant naires, en particulier en ce qui concerne
aller jusqu’à plusieurs mois, dans le cadre les liens de collaboration (figure 2). Il peut
d’une équipe projet. C’est aussi le cas des s’agir, respectivement :
membres d’un projet appartenant à des – de relations de proximité géographique
établissements dispersés d’une même entre- permanente, qui reposent sur des liens de
prise (Aggeri et Segrestin, 2001 ; Talbot et proximité organisée et se fondent sur des
Kechidi, 2007). Une fois l’accord réalisé, interactions locales, par le biais de réunions
le plateau est démonté et les participants ou de rencontres formelles ou informelles
rentrent chez eux. (elles correspondent à la figure 1 vue plus
Mais l’essentiel des besoins de PGT dépend haut). Ces relations peuvent être plus ou
de deux grands motifs : les déplacements moins suivies ;
professionnels visant à prendre une décision – de relations de proximité géographique
commune ou à préciser les caractéristiques temporaire, qui s’appuient également sur
de la coopération, ainsi que la réalisation des liens de proximité organisée. Fondées
Relations de proximité et innovation des entreprises des clusters 61

Figure 2 – Les schémas de proximité des entreprises appartenant à un cluster

Proximité
géographique
temporaire +
Cluster proximité organisée

Mobilité

Entreprises

Interactions locales
(fortes ou faibles)

Proximité
Tic géographique
permanente +
proximité organisée
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Proximité organisée

sur la mobilité, elles passent par l’organisa- proximités, ainsi que d’établir la balance
tion de séjours rapides et de déplacements entre les relations locales et à distance dans
chez les partenaires et dans des lieux le cadre des activités d’innovation, et tout
dédiés (foires…) par différents moyens de particulièrement de collaborations pour la
transport ; recherche et le développement. Afin de
– de relations de proximité organisée, au disposer de l’ensemble des informations
sein du cluster ou à distance (elles reposent nécessaires à cette étude, nous avons tra-
alors sur l’usage des Tic, telles que le télé- vaillé sur un échantillon de firmes présen-
phone ou internet). tant deux caractéristiques :
– elles appartiennent à un cluster dont
II – RELATIONS DE PROXIMITÉS l’existence institutionnelle est attestée, ce
ET COLLABORATION POUR qui garantit la présence de relations et de
L’INNOVATION : LE CAS synergies locales, sans exclure les relations
DU CLUSTER DE L’OPTIQUE
extérieures ;
Nous allons maintenant tester ce modèle – elles sont engagées dans des processus
analytique dans le cas des relations inte- de production et de diffusion d’innovation
rentreprises et avec les institutions de suffisamment complexes pour impliquer de
recherche, dans le cadre d’un cluster. L’ob- nombreux acteurs et ne pouvant être menés
jectif est de comprendre le rôle joué par les par une entité isolée.
62 Revue française de gestion – N° 242/2014

La littérature a montré que les firmes ter notre recherche doit satisfaire à trois
peuvent présenter des comportements conditions principales :
d’innovation différents en termes de rela- – nous devons travailler sur une concen-
tions de proximité, en fonction de leurs tration spatiale de firmes attestée et dont
caractéristiques propres (Dankbaar, 2007; le périmètre géographique est bien défini ;
Wetterings et Boschma, 2009). Nous dési- – il doit être possible d’identifier les rela-
rons investiguer ce champ de recherche tions entre les organisations internes au
avec des hypothèses plus précises. Sur la cluster ainsi que les flux externes :
base des développements vus plus haut, – nous devons disposer d’une population
nous cherchons à confirmer l’intuition que diversifiée de firmes locales, avec de grandes
les firmes de grande taille sont davantage en et de petites entreprises et des PME, qui se
mesure d’agir au niveau global, sur la base situent à des niveaux technologiques variés,
des relations de proximité géographique afin de pouvoir étudier les comportements
temporaire et de proximité organisée, alors d’innovation relatifs aux différentes tailles
que les firmes de taille plus faible sont et positions concurrentielles.
davantage ancrées et contraintes à entre-
Le choix du terrain d’étude
tenir des relations de nature plus locale.
Ceci est lié à la capacité des grandes firmes Notre choix s’est porté sur les entreprises
franciliennes développant des technolo-
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à utiliser facilement les avantages offerts
par les déplacements et la mobilité, en gies optique-photonique, pour quatre rai-
raison de leurs larges ressources humaines sons principales. 1) Ce cluster possède
et financières. Cette hypothèse n’est pas des limites géographiques et institution-
triviale : on pourrait en effet considérer que nelles bien fixes et balisées. 2) Il englobe
une grande diversité de firmes : petites,
les petites firmes sont plus facilement délo-
grandes et moyennes. 3) On y constate
calisables en raison de leur petit nombre
des différences importantes en termes de
d’employés, de leurs faibles liens avec les
niveaux technologiques, du medium/low
marchés locaux du travail et de leur fiable
tech au high tech. 4) Les relations internes
capital fixe, spécialement dans les secteurs
et externes des firmes présentes y sont
innovants, alors que les grandes firmes se
attestées et peuvent être répertoriées.
trouvent davantage ancrées en raison de
La région Île-de-France abrite une forte
larges investissement en matière de capital
agglomération d’acteurs de la filière fran-
fixe ou de capital humain.
çaise de l’optique-photonique : environ la
1. Le choix de l’industrie de l’optique- moitié de l’industrie et de la recherche fran-
photonique et la méthode d’analyse çaise en optique-photonique y est localisée4,
Pour satisfaire aux exigences de notre soit quelque 556 entreprises qui emploient
approche, le cas d’étude sur lequel va por- plus de 16 700 salariés et 103 équipes de

4. Cette forte implantation en Île-de-France se caractérise par la mise en place en 1999 d’une structure d’animation
et de promotion de la filière optique-photonique, OpTicvalley (http://www.opTicvalley.org/), qui intègre depuis
2005 les filières de l’ingénierie logicielle et de l’électronique.
Relations de proximité et innovation des entreprises des clusters 63

MÉTHODE D’IDENTIFICATION DES ENTREPRISES


OPTIQUE-PHOTONIQUE

La méthode d’identification des entreprises s’est faite en trois étapes :


1) Les codes NAF les plus représentatifs des activités optique-photonique ont été utilisés
comme point de départ pour identifier les établissements franciliens qui produisent, déve-
loppent et/ou commercialisent ces technologies (331A, 332 B, 333Z, 334 A et 334 B sur les
bases de données Kompass, Astree et Coface). Plus de 2 500 établissements déclarent leur
activité sous ces codes NAF en Île-de-France.
2) Ce travail initial a été affiné par l’identification de chaque entreprise qui base son activité
sur les technologies optique-photonique. Cette identification passe par une analyse de l’acti-
vité de chaque entreprise (via leurs sites internet notamment) afin de garder dans la base de
données uniquement celles qui effectivement développent, produisent et/ou commercialisent
des produits et services se basant sur les technologies optique-photonique.
3) Cette liste qualifiée a été complétée et validée par l’ensemble des informations collectées
lors des visites d’entreprises effectuées par OpTicvalley et auxquelles nous avons eu accès.
Cette troisième étape d’identification a permis d’intégrer dans la base de données un très
grand nombre d’entreprises qui ne déclarent pas leur activité sous un code NAF représentatif
de l’industrie malgré le fait que ces technologies sont importantes dans leur activité.
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Ainsi, l’identification par les seuls codes NAF représentatifs de l’optique-photonique c’est
avérée partielle étant donné que notre base de données finale comportait des entreprises
enregistrées sous les codes NAF suivants : 221J, 261 C, 285 D, 300 A, 312 A, 313Z, 321 A,
331 B, 334 A, 511 T, 722 A, 722 C, 731Z, 741 G, 742 C et 743 B. Seuls 103 établissements
sur les 550 identifiés déclarent leurs activités sous les codes NAF supposés être représentatifs
de l’industrie de l’optique-photonique (soit moins de 20 %). Cette réalité pose des questions
sur la validité des analyses (notamment des technologies multi-applicatives) qui se basent
uniquement sur l’étude des données fournies à travers les codes NAF.

La liste des établissements franciliens offreurs de technologies optique-photonique peut être


consultée auprès de l’auteur.

recherche publique (plus de 5 000 emplois), Elle regroupe ainsi plus de la moitié de


formant ainsi un très grand cluster dédié à la recherche nationale dans le domaine
ces activités5. Parallèlement à cette impor- de l’optique (CEA, Onera, ENSTA, École
tante présence, la région compte égale- polytechnique, université Paris-Sud, CNRS,
ment, au sein de grands pôles universitaires, LNE, Supélec, Institut d’optique Graduate
une forte concentration de recherche dans School, Inria, ENS Cachan…) ainsi que
les diverses thématiques liées à l’optique. des équipements scientifiques de grande

5. L’optique utilise la lumière dans ses diverses gammes de longueur d’onde. Les propriétés optiques de la lumière
sont utilisées soit dans des composants ou des instruments (capteurs, actionneurs, etc.) soit dans des systèmes dans
lesquels l’optique joue un rôle plus ou moins grand.
64 Revue française de gestion – N° 242/2014

envergure (Soleil, Institut de la lumière radiologie numérique…), l’instrumentation


extrême…). scientifique (microscopie et lithographie
Deuxièmement, les technologies de l’op- permettent d’opérer dans l’ultraviolet loin-
tique-photonique se caractérisent par un tain…), la production industrielle (prototy-
fort niveau d’innovation technologique, page par laser, capteurs optiques, marquage
sont multi-applicatives et se diffusent à au laser…) et d’autres marchés (sources
l’ensemble des grands secteurs industriels diodes permettant d’atteindre des rende-
stratégiques. Cette industrie développe des ments lumineux supérieurs aux lampes à
technologies critiques (enabling techno- incandescence traditionnelles).
logy et constitutive technology, ISTAG, L’identification des acteurs pertinents a
2006) qui, combinées avec l’électronique été réalisée à partir des bases de don-
et le logiciel, permettent la constitution nées et des connaissances développées par
de produits finis (calculateurs, endoscope, l’organisme de développement économique
camera, RFID, CAO, réseau de télécom- OpTicvalley et le pôle de compétitivité
munication). Le couplage avec d’autres mondial System@tic-Paris-Région, qui
technologies, notamment l’électronique, le répertorient plus de 1 100 entreprises fran-
traitement du signal, ou la mécanique, ciliennes ayant une activité de production
permet des progrès dans l’intégration de et/ou de développement dans les industries
fonctions évoluées au sein de capteurs ou de l’optique, électronique et logiciel. Parmi
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d’équipements optiques, ouvrant ainsi le ces établissements, on trouve :
champ à des applications nouvelles, comme –  42 grands établissements (plus de
le contrôle de la pollution, l’analyse et le 100  salariés) qui emploient plus de
contrôle non destructif, la reconnaissance 8 500  salariés,
d’images, les procédés de contrôle holo- –  77 établissements moyens (entre
graphiques… Parfois en compétition avec 20 et 99 salariés) qui emploient plus de
d’autres solutions technologiques (jet d’eau 4 600  salariés,
ou plasma pour la découpe, ultrasons pour –  437 petits établissements (moins
le soudage, ondes électromagnétiques pour de 20 salariés) qui emploient plus de
le contrôle non destructif), les équipements 3 500  salariés
et instruments de l’optique font l’objet Afin d’étudier les caractéristiques du sec-
de recherches visant à combler certaines teur de l’optique et ses liens en termes de
faiblesses telles que la sensibilité à l’envi- proximités nous avons utilisé deux sources
ronnement ou le coût élevé (OpTicvalley, principales. La première consiste en l’ex-
2004). ploitation d’une base de données dans
Les principaux marchés des entreprises de laquelle l’ensemble des entreprises fran-
l’industrie optique-photonique se situent ciliennes (environ 120 entreprises) déve-
dans les Tic (composants optique-photo- loppant et/ou produisant des technologies
nique), l’industrie spatiale et d’armement optique-photonique sont identifiées et qua-
(imagerie infrarouge et systèmes de gui- lifiées en fonction du nombre de salariés,
dage de missiles, télémètres lasers, etc.), chiffre d’affaire, localisation, intensité en
la santé et les sciences de la vie (lasers R&D, technologies développées et produits
dans le domaine des biotechnologies, développés. La seconde est l’exploitation
Relations de proximité et innovation des entreprises des clusters 65

de 44 entretiens qualitatifs approfondis réa- mais ambitionnent également de prendre


lisés avec les acteurs locaux (industrie, des parts de marchés et visent à s’appro-
recherche, institutions) les plus représenta- prier une partie des ressources existantes.
tifs de l’industrie6. 2) L’intensité de la concurrence : les entre-
prises de l’industrie sont mutuellement
La méthode d’analyse
dépendantes, car où une action de lune
Notre méthode d’analyse est fondée sur d’entre elles (baisse des prix, amélioration
l’idée que les firmes peuvent suivre diffé- des produits) peut entraîner une riposte de
rents types de stratégies en termes de rela- la part de ses concurrents.
tions de proximités, suivant leurs propres 3) La pression des produits de substitu-
particularités ou leurs positions concurren- tion : deux produits sont dits substituables
tielles dans et hors du cluster. Pour atteindre lorsqu’ils accomplissent la même fonction.
cet objectif, nous utilisons l’approche por- 4) Le pouvoir de négociation des clients :
térienne des groupes stratégiques, dans le ils demandent des baisses de prix, des pro-
but d’identifier les différents groupes de duits de meilleure qualité, plus de services
firmes, avec leurs comportements parti- et font jouer la concurrence.
culiers et leurs caractéristiques en matière 5) Le pouvoir de négociation des fournis-
d’innovation, au sein d’une industrie7 (défi- seurs : ils peuvent menacer d’augmenter les
nie comme un groupe d’entreprises fabri- prix ou de réduire la qualité de produits et
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quant des produits fortement substituables des services fournis.
qui a pour objectif d’étudier l’entreprise en Fondé sur une logique de rapports de
la replaçant dans son contexte industriel). forces, ce modèle laisse peu de place à la
L’étude de l’environnement concurrentiel dimension financière ainsi qu’aux stratégies
immédiat de l’entreprise (les entreprises de collaboration, qui ont acquis une nou-
appartenant à une même industrie) est com- velle légitimité avec l’ouverture mondiale
plétée par celle de l’ensemble des forces des économies et l’accroissement de la
extérieures. complexité et de l’incertitude sur l’évolu-
Porter (1980) définit les clients, four- tion technologique et des marchés (Bellon
nisseurs, substituts et entrants potentiels et Niosi, 2000). Nous avons intégré ces
comme des concurrents plus ou moins rapports dans notre étude. Par ailleurs,
importants. L’extended rivalry repose ainsi il sous-entend que la stratégie consiste
sur cinq forces, dont l’impact global déter- essentiellement à s’adapter aux condi-
mine le degré de profitabilité des entre- tions de l’environnement, ce qui exclut
prises dans une industrie : les approches fondées sur les ressources
1) L’entrée potentielle de nouveaux concur- et compétences qui privilégient une vision
rents : les nouveaux entrants peuvent aug- endogène du succès. Enfin, nous avons
menter les capacités de production globale, ajouté une sixième force, l’influence des

6. 21 entreprises industrielles, 6 organismes de développement économique, 5 collectivités locales, 3 institutions


financières et 9 laboratoires de recherche publique.
7. Depuis la publication de Competitive Strategy (1980) l’économie mondiale a connu des évolutions majeures.
Mais la pertinence de la méthode d’analyse n’est pas remise en cause. Elle permet d’intégrer les évolutions de
l’économie mondiale et les stratégies nouvelles développées par les entreprises.
66 Revue française de gestion – N° 242/2014

pouvoirs publics (État, Commission euro- giques d’entreprises (figure 3). L’identifica-


péenne, collectivités locales, etc.), qui peut tion de ces groupes stratégiques n’exclut pas
affecter chacune des cinq autres forces. les interdépendances de marchés entre eux.

2. Les différents « groupes stratégiques » Les start-up de « rupture technologique »


de firmes de l’industrie francilienne Ces entreprises ont pour caractéristique
de l’optique-photonique et leurs de chercher à introduire sur le marché des
caractéristiques
produits fondés sur une technologie nou-
L’application de la méthode d’analyse velle. Les solutions développées à partir
structurelle au cas de l’industrie de l’op- des connaissances récentes n’ont pas for-
tique-photonique de l’Île-de-France nous a cément un marché identifié et l’innovation
conduit à identifier quatre groupes straté- n’a pas pour origine une demande spéci-

Figure 3 – Les groupes stratégiques de l’industrie francilienne de l’optique-photonique

Forte
spécialisation
sur une Start-up
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technologie
PME « high-tech »
R&D interne importante,
maîtrise d’une technologie
générique
Grandes entreprises
31 établissements « leader »
1 145 salariés R&D interne importante, maîtrise
de plusieurs technologies, gamme
de produits étendue, implantation
mondiale

19 établissements
4 629 salariés

PME
« haute technicité »
Production séries limitées
de produits clairement
identifiés, compétences
Forte
techniques
spécialisation
sur une
64 établissements
catégorie
992 salariés
de produits
ou services
Spécialisation sur une Spécialisation sur Accès à de nombreux
niche de marché 1 ou 2 marchés marchés

Objectif d’évolution stratégique


Relations de proximité et innovation des entreprises des clusters 67

fique ou existante ; nous sommes ici dans (vendeurs de produits intermédiaires très
une logique techno-push. Cette catégorie spécifiques et rares sur le marché). Enfin,
d’entreprises se distingue notamment par la nature générique des technologies fait
un nombre limité de salariés (entre 1 et 20 que ces entreprises sont confrontées à une
pour leur grande majorité). menace constante de produits de substi-
La recherche effectuée dans les grands tution se basant sur d’autres technologies
laboratoires publics ou privés constitue la (optique-photonique, électronique, électro-
principale source de nouvelles connais- mécanique, etc.).
sances. Les start-up introduisent des pro-
Les PME « haute technicité »
duits basés sur de nouvelles technologies
et susceptibles de se substituer aux produits Elles se caractérisent par un niveau impor-
déjà établis sur le marché. La capacité à tant de spécialisation technique et par la
s’imposer sur le marché dépend notamment production de séries limitées et de sur-
du ratio prix/performance de la nouvelle mesure à destination de niches de marché
technologie et de sa capacité à établir une bien identifiées. Outre la plus faible inten-
nouvelle norme sur le marché. sité en R&D, c’est leur différence majeure
avec les PME « haute technologie. Cette
Les PME « haute technologie » forte spécialisation produit/service, couplée
Elles se caractérisent par un important à un réseau de distribution, constituent les
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niveau de R&D interne, qui les rend principales barrières à la mobilité dans ce
capables de développer et d’introduire sur groupe stratégique. Ces entreprises dis-
le marché de nombreuses innovations à un posent d’un pouvoir de négociation faible
rythme soutenu, et se distinguent notam- avec leurs clients (grandes entreprises,
ment par la focalisation sur une technologie grands laboratoires de recherche), auxquels
générique (infrarouge, lasers…), à partir elles fournissent de petites quantités de
de laquelle elles développent une gamme produits en général peu stratégiques, mais
de produits étendue destinée à plusieurs possèdent un pouvoir de négociation fort
marchés applicatifs (santé, automobile, avec leurs fournisseurs, car les intrants
aéronautique, environnement, défense, télé- nécessaires à leur production sont connus
communications, etc.). L’importante maî- et maîtrisés, y compris par des entreprises
trise technologique et les connaissances localisées dans des pays émergents.
accumulées constituent de fortes barrières
à la mobilité dans ce groupe stratégique. Les grandes entreprises « leader »
Les PME « haute technologie » disposent La région Île-de-France bénéficie d’une
d’un faible pouvoir de négociation avec très forte présence des principaux grands
leurs clients, excepté dans le cas de codé- groupes industriels mondiaux en optique-
veloppement de produits. En revanche, le photonique, dont les relations avec l’État,
pouvoir de négociation avec les fournis- la technologie et le territoire s’avèrent dif-
seurs « classiques » (vendeurs de produits férentes de celles des PME. En effet, l’État
intermédiaires abondants sur le marché) est peut être actionnaire ou unique client des
globalement en faveur de nos PME, mais grandes entreprises, notamment sur certains
faible avec les fournisseurs « stratégiques » marchés stratégiques tels que le nucléaire
68 Revue française de gestion – N° 242/2014

et la défense. Les grandes entreprises « lea- l’économie en achetant des produits aux
der » jouent un rôle majeur d’intégrateurs fournisseurs, en co-développant des tech-
et de constructeurs de systèmes complexes, nologies avec des PME ou des labora-
ainsi que dans la définition des normes toires et en déterminant les préférences des
technologiques et de produits à destination consommateurs en termes de produits et de
du marché. Elles possèdent un pouvoir services.
de négociation équilibré avec leurs clients 3. Les relations de proximité entretenues
(État ou marché privé) et très important par les entreprises des groupes
avec leurs fournisseurs. Enfin, la menace stratégiques
de produits de substitution est plutôt faible, Sur la base de notre recherche, nous pou-
d’autant qu’elles ont les capacités finan- vons tracer un schéma des différents types
cières pour acheter les concurrents dévelop- de relations entretenues par les entreprises
pant des produits et procédés se basant sur des groupes stratégiques (figure 4). Fondé
une technologie radicalement innovante. sur la présence des clients et fournisseurs
Enfin, leur lien au territoire se caractérise « classiques » ou « stratégiques », ainsi que
par l’organisation internationale des activi- des entreprises et laboratoires partenaires, il
tés de production et de R&D. Elles jouent intègre également le rôle joué par des ins-
un rôle d’entraînement sur l’ensemble de titutions comme les pouvoirs publics. Les
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Figure 4 – Les relations externes des entreprises des groupes stratégiques
Relations de proximité et innovation des entreprises des clusters 69

relations clients/fournisseurs s’inscrivent (nationale, régionale) qui décident d’acqué-


dans la chaine de valeur et peuvent se révé- rir les produits ou services intégrant cette
ler une source majeure de développement/ nouvelle technologie, ou des laboratoires
et d’amélioration des produits, alors que publics. Ils fournissent les premiers feed-
les partenariats avec d’autres entreprises ou back sur l’opérationnalité et l’intérêt de la
laboratoires s’inscrivent à un niveau plus production. Cette précieuse source d’infor-
horizontal. mation renforce la capacité des start-up à
Nous sommes ainsi en mesure de caracté- construire des produits et services compéti-
riser les relations entretenues par les entre- tifs sur le marché.
prises avec leur environnement localisé ou Les start-up de « rupture technologique »
non, en termes de proximités géographique ont un besoin vital de proximité géogra-
et organisée. Dans les figures qui suivent, phique permanente avec les laboratoires de
qui constituent autant d’illustrations du recherche. Elles ont besoin d’accéder aux
schéma théorique initial (figure 2), nous compétences disponibles dans les labora-
avons décrit l’ensemble des interactions de toires voisins ainsi qu’à leurs outils/infras-
proximité des entreprises, tout en privilé- tructures afin de tester et développer leurs
giant l’analyse des partenariats en matière produits. Le rôle de la proximité géogra-
de recherche et d’innovation. Les autres phique est particulièrement central dans leur
relations, jugées secondaires pour le présent
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capacité à poursuivre un processus d’innova-
travail, sont en grisé (par exemple avec les tion. Lors de la phase d’opérationnalisation
fournisseurs ou clients traditionnels). du produit, elles demeurent très fortement
L’importance de la proximité liées aux laboratoires de recherche de leur
géographique permanente entre environnement local et notamment celui
les start-up de « rupture technologique » dont elles sont issues, lié par une proxi-
et les laboratoires de recherche publique mité organisée d’appartenance. En effet, les
Les start-up de « rupture technologique » recours aux compétences et outils/infrastruc-
ont pour caractéristique principale de cher- tures, trop onéreux à acquérir pour une jeune
cher à introduire sur le marché des pro- entreprise, sont très importants et déter-
duits fondés sur des technologies nouvelles. minent la capacité de la start-up à résoudre
Elles ne disposent pas encore de produit les problèmes techniques et scientifiques et
catalogue et sont dans une phase d’opéra- à proposer un produit finalisé. Ces échanges
tionnalisation de leurs productions qui se sont difficiles à réaliser à distance car ils
caractérise notamment par de nombreuses nécessitent une forte répétition des interfaces
interactions, et en particulier par d’impor- et mobilisent des dimensions tacites.
tants échanges de connaissances et d’infor- La proximité géographique joue par ailleurs
mation avec les laboratoires de recherche un rôle plus ou moins important selon les
et des entreprises early users. Ces derniers relations entretenues par les start-up avec
peuvent être des grandes entreprises qui d’autres entreprises :
identifient le nouveau produit ou service et – la proximité géographique permanente
perçoivent un potentiel applicatif important avec les clients early users n’est pas une
dans leurs propres processus de production condition indispensable pour la mise en
ou leurs produits, des institutions publiques place d’interactions efficaces dans la phase
70 Revue française de gestion – N° 242/2014

Figure 5 – Les relations de proximité des start-up « rupture technologique »


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d’opérationnalisation du produit. Les start- – la proximité géographique se révèle
up interagissent avec les entreprises (en accessoire dans les interactions entre les
général des grands groupes) intéressées par start-up de « rupture technologique » et
leur technologie, indépendamment de leur les fournisseurs « classiques », sans que
localisation. La phase d’opérationnalisa- les interactions soient réellement fortes.
tion du produit nécessite des interactions Paradoxalement, bien que les achats de
en « direct », qui ont pour objet d’adapter biens intermédiaires ne nécessitent pas de
les produits aux besoins spécifiques du contacts en face à face, ils se font souvent
client et de mieux mesurer la potentialité localement, notamment dans le cas des
de la nouvelle technologie. Indispensable zones économiques disposant d’un tissu
dans cette phase d’opérationnalisation, la industriel important et diversifié. L’entre-
proximité géographique est temporaire par prise achète localement ses produits s’ils
des mobilités entre les partenaires situés à sont satisfaisants d’un point de vue qualité-
distance, et permanente mais peu mobilisée prix. Il en résulte des relations épisodiques
par des relations épisodiques avec certains avec certains partenaires localisés au sein
partenaires du cluster ; du cluster : les potentialités de la proximité
Relations de proximité et innovation des entreprises des clusters 71

géographique permanente ne sont que peu La proximité géographique joue un rôle


mobilisées. central dans les interactions avec les clients
partenaires. Quand ils sont situés à l’exté-
Les rôles de la proximité géographique
temporaire pour les PME rieur de la région, c’est la proximité géogra-
« haute technologie » phique temporaire qui est mobilisée, avec
Les PME « haute technologie » se carac- utilisation des Tic durant les phases de tra-
térisent notamment par un fort niveau de vail à distance. L’activité des PME « haute
R&D interne nécessaire au maintien de leur technologie », qui a pour objet d’adapter
compétitivité sur un marché mondialisé. un produit à forte intensité technologique
Elles ont besoin d’introduire des vagues aux besoins nouveaux d’un client (grandes
successives de produits à un rythme sou- entreprises en général), se caractérise en
tenu. Ces caractéristiques, qui les incitent effet par de nombreuses interactions de face
à mettre en place des interactions avec à face, en particulier durant les phases de
d’autres entreprises et des laboratoires compréhension par la PME des besoins du
publics, conduisent à des besoins en proxi- client et d’évaluation par ce dernier de la
mité géographique très variables selon les capacité des PME à lui apporter une com-
partenaires. plémentarité technologique. La proximité
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Figure 6 – Les relations de proximité des PME « haute technologie »
72 Revue française de gestion – N° 242/2014

géographique temporaire joue à plein dans souhaite avoir accès aux infrastructures et/
ces phases préliminaires, comme dans les ou aux compétences disponibles dans les
phases intermédiaires de codéveloppement laboratoires de recherche publique. Ces
du produit et d’adaptation aux besoins relations sont d’autant plus importantes
spécifiques du client : il s’agit de réunions qu’elles impliquent des acteurs fonction-
pour évaluer l’avancement du projet de nant selon des logiques différentes. Comme
coopération. Ces rencontres temporaires ne pour les entreprises partenaires, la proxi-
nécessitent pas obligatoirement une colo- mité géographique qui se trouve mobilisée
calisation ; celle que l’on constate avec est des deux types : temporaire pour les
les clients locaux est davantage le fruit de laboratoires situés à l’extérieur de la région,
l’histoire de la région et de la recherche de et permanente pour les laboratoires co-loca-
main-d’œuvre qualifiée. lisés en IdF. Dans tous les cas, les mobilisa-
Les interactions entre les PME « haute
tions sont seulement ponctuelles.
technologie  » et les laboratoires de
recherche nécessitent également des ren- Le rôle accessoire de la proximité
contres ponctuelles, notamment dans les géographique permanente pour les PME
phases initiales et de contrôle des projets « haute technicité »
de R&D coopératifs, qui font l’objet de face Les PME « haute technicité » se caracté-
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à face fréquents. Les contacts directs sont risent par un niveau important de spéciali-
également indispensables lorsque la firme sation technique, par la production de séries

Figure 7 – Les relations de proximité des PME « haute technicité »


Relations de proximité et innovation des entreprises des clusters 73

limitées et de sur-mesure à destination coup plus importants entre les PME « haute
de marchés bien identifiés. Leurs produits technicité » et leurs clients « partenaires »
possèdent des caractéristiques techniques ou fournisseurs « stratégiques » localisés
connues et maîtrisées par les clients et dans d’autres pays qu’au niveau local.
laissent peu de place à l’innovation interac-
Le jeu des proximités pour les grandes
tive avec d’autres entreprises. L’essentiel
entreprises « leader »
du processus d’innovation incrémentale se
construit en interne, via une veille techno- Le groupe des grandes entreprises « lea-
logique et marché. der » est radicalement différent des trois
La proximité géographique temporaire joue autres en raison des relations qu’il entre-
toutefois un rôle. Quand les interactions avec tient avec la technologie, l’État et le ter-
les laboratoires de recherche se font avec ritoire. Ces entreprises développent des
l’extérieur du cluster, elles requièrent des interactions très nombreuses et diverses
contacts à distance, en particulier lorsqu’il avec d’autres entreprises, qui vont de la
s’agit pour l’entreprise d’accéder à des simple relation client-fournisseur à la mise
infrastructures lui permettant par exemple en place de centres de recherches ou d’uni-
de réaliser des tests et/ou mesures dans le tés de fabrication communes, en passant par
cadre d’innovations de produit qu’elle sou- des projets de codéveloppement de produits
et des relations de sous-traitance. Elles pos-
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haite introduire. La proximité géographique
temporaire est alors nécessaire dans les sèdent des unités de R&D et de fabrication
phases initiales et de contrôle des projets localisées dans plusieurs pays, mais cette
de R&D coopérative. Les contacts en face- organisation mondiale n’exclut la nécessité
à-face sont encore indispensables dans le de s’implanter au sein des grands centres
cas d’utilisation des outils/infrastructures de production de biens et services ou de
ou compétences des laboratoires publics connaissance.
(outils mutualisés), également clients sur le Nous avons représenté une grande entreprise
marché pour les produits des PME. leader localisée en Île-de-France, qui entre-
En revanche, la proximité géographique tient des relations internes au groupe avec
permanente ne joue qu’un rôle accessoire une unité de R&D (zone géographique 3)
dans les interactions entretenues par les et une unité de fabrication (zone 4), mais
PME « haute technicité » avec les autres également des relations externes avec des
entreprises. Les produits des fournisseurs fournisseurs classiques et des partenaires
« classiques » possédant des caractéris- en matière de codéveloppement des pro-
tiques connues et maîtrisées, ils ne néces- duits (zone 2). Nous nous concentrons sur
sitent pas d’interactions privilégiées et répé- les relations externes : le rôle joué par les
tées. Simplement, les entreprises préfèrent proximités s’y avère différent en fonction
les interactions locales, qui permettent une de la nature des interactions que déve-
meilleure réactivité et des délais d’appro- loppent les grandes entreprises « leader »
visionnement plus court. Il n’en demeure avec les autres acteurs économiques, pré-
pas moins que les échanges en termes de sents ou non dans la région. L’ensemble de
connaissances et d’information sont beau- la gamme des proximités est ici représenté.
74 Revue française de gestion – N° 242/2014

Figure 8 – Les relations de proximité des grandes entreprises « leader »


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Nous notons que deux grandes catégories l’installation de Thales Research and Tech-
de relations stratégiques, qui impliquent nology ou du Centre de R&D mondiale de
des échanges importants d’informations et Danone sur le campus de l’École polytech-
de connaissances, donnent lieu à une forte nique, au cœur de nombreux centres de
mobilisation des liens de proximité : recherches d’excellence ;
– la proximité géographique permanente – la proximité géographique temporaire
(colocalisation) joue un rôle important dans (rencontres de face à face) joue un rôle
la capacité des grandes entreprises à établir important, notamment dans les relations
des relations approfondies et de long terme où la grande entreprise cherche à co-déve-
avec les centres de recherche d’excellence lopper un nouveau produit (ou à l’adapter
(laboratoires publics). Citons par exemple à ses besoins). C’est le cas des relations
Relations de proximité et innovation des entreprises des clusters 75

de collaboration entretenues avec les PME variantes explicatives des stratégies des
« haute technologie » situées en dehors de entreprises du cluster.
la région IdF. Ce travail nous a permis de montrer que les
En revanche, les relations avec les fournis- analyses en termes de proximité peuvent
seurs classiques ou les entreprises parte- 1) fournir une méthode d’analyse et de
naires situées dans la région n’impliquent représentation efficace des relations entre-
que des mobilisations ponctuelles des liens tenues par les firmes appartenant à un
de proximité géographique permanente, cluster, qu’il s’agisse de relations locales
alors que les relations avec les fournisseurs ou à distance, 2) de qualifier les types de
classiques situés à l’extérieur ne donnent liens entre ces entreprises et leurs différents
lieu qu’à des échanges à distance. partenaires, et 3) de mettre en évidence le
médium par lequel se réalise ce lien (face-
DISCUSSION ET CONCLUSIONS à-face permanent, Tic, mobilité). De plus,
nos résultats appliqués montrent que les
L’objectif de ce papier est d’analyser et de groupes de firmes innovantes présentent des
caractériser la diversité des relations de profils différents en matière de relations de
proximité entretenues par les entreprises proximités, qu’il s’agisse des interactions
innovantes au sein d’un cluster, puis d’en stratégiques ou des relations marchandes
donner une lecture à partir d’un exemple plus classiques. En particulier, les schémas
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appliqué. Pour atteindre cet objectif nous de mobilisation des proximités en termes
avons mis en évidence les principales d’interactions stratégiques et de partena-
caractéristiques des relations de proximité riats varient en fonction de :
organisée et de proximité géographique – la taille des entreprises ;
(dans ses composantes permanentes et tem- – leur place dans la chaine de valeur ;
poraires) et dessiner ainsi le schéma des – leur degré de spécialisation ;
différentes catégories de relations proches – la maturité de la technologie.
et à distance entretenues par les entreprises La partie appliquée du travail nous a per-
d’un cluster, en particulier en termes de mis de vérifier une nouvelle fois que la
collaborations de recherche et de déve- propension à l’accès à des connaissances
loppement. Nous avons testé notre grille externes est inégalement distribuée entre les
de lecture sur le cas des entreprises du firmes appartenant à un cluster (Biggiero et
cluster de l’optique en région Île de France, Sammarra, 2010). Bien que l’ensemble des
en appliquant la méthode d’analyse por- firmes innovantes développe des interactions
térienne des groupes stratégiques. Nous avec des partenaires, on constate de grandes
avons ainsi mis en évidence quatre groupes différences dans le processus d’échange de
d’entreprises innovantes, qui entretiennent connaissances. En effet, les PME « haute
des relations spécifiques à l’espace et mobi- technologie », qui sont avant tout caractéri-
lisent de manière différente les relations sées par une forte organisation interne de leur
locales et les échanges à distance via la R&D et par la spécialisation dans une seule
mobilité ou les Tic. Le schéma théorique technologie générique à partir de laquelle
de la première partie s’est alors vu décliné elles développent des gammes de produits,
dans ces différents cas, avec différentes apparaissent fortement dépendantes des rela-
76 Revue française de gestion – N° 242/2014

tions de proximité géographique, qu’elles est en particulier nécessaire d’éviter une


soient permanentes et locales, ou tempo- focalisation excessive sur les effets de
raires et externes au cluster. Par ailleurs, les polarisation et les conséquences supposées
PME de « haute technicité », caractérisées de la proximité géographique entre firmes
par un niveau élevé de spécialisation tech- de taille variée (Loillier, 2010), qui ne
nique et par la production de séries limitées poursuivent pas toujours les mêmes objec-
de produits destinés à des niches de marché, tifs en matière de choix technologiques.
se révèlent entretenir des liens accessoires au On peut en tirer le petit tableau suivant sur
niveau local et être plutôt dépendantes des la liaison entre taille des entreprises et lien
fournisseurs stratégiques extérieurs ou des au territoire (tableau 1).
laboratoires publics. Notre travail ouvre également la voie à
Nous avons également confirmé l’intuition de futures recherches dans le champ des
que des entreprises diversifiées et de taille relations de proximités. Non seulement
importante vont avoir tendance à mobili- il permet de repérer et de caractériser les
ser les ressources des différents types de relations entretenues par les entreprises
proximités et à s’abolir de la contrainte innovantes dans des cas tout à fait différents
du local. Ceci est dû 1) à l’importance de de celui présenté ici, qu’il s’agisse ou non
leur réseau de correspondant national et de firmes présentes dans un cluster, mais
international, 2) aux ressources financières il appelle à approfondir la réflexion sur
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et humaines qui permettent des déplace- la question du cycle de vie des industries
ments fréquents de cadres et d’ingénieurs. et des technologies. Une firme qui déve-
À l’inverse, des entreprises plus petites et loppe une expertise dans une technologie
spécialisées vont être davantage ancrées, en phase exploratoire ou en croissance a
tributaires de leurs relations locales, pri- besoin de développer de fortes interac-
sonnières du cluster et de leurs ressources tions externes (collaborations en matière de
limitées. Elles devront davantage se repo- R&D, codéveloppement de produits, opéra-
ser sur les relations de proximité géogra- tionnalisation de nouveaux produits) afin de
phique pour construire des liens perma- créer ou renforcer son avantage compétitif.
nents et répétés en matière d’innovation. Mais si la production est fondée sur une
Ajoutons que les politiques publiques technologie mature, alors les interactions
devraient prendre en compte la diversité externes se révèleront moins intensives
des groupes stratégiques et leurs particu- en matière de connaissance et ne condui-
larités au regard des situations locales ; il ront pas nécessairement à la création d’un

Tableau 1 – Taille des entreprises et lien au territoire

Grandes entreprises Start-up

Proximité géographique permanente (colocalisation) X

Proximité géographique temporaire (footlose) X


Relations de proximité et innovation des entreprises des clusters 77

avantage compétitif. Il y a donc nécessité les modifications dans la forme des rela-
d’approches plus dynamiques de relations tions internes et externes entretenues par les
de proximités. De futures études empi- firmes du cluster au cours du temps, ou de
riques, menées de manière diachroniques, suivre l’évolution des firmes innovantes le
seront précieuses, qu’il s’agisse d’évaluer long des cycles de vie.

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